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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2008) 8, 54—56 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CONSEILS DE LECTURE Réanimation Intensive care C. Trivalle Pôle « vieillissement, réadaptation et accompagnement », hôpital Paul-Brousse, 14, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94804 Villejuif cedex, France Nous allons aborder cette fois-ci le thème de la « réanimation » à travers un roman anglais : Soins inten- sifs, d’Alan Bennett (Coll. « Denoël & d’ailleurs », Éditions Denoël, 12 D ), et un roman américain : Soins à hauts risques, de Richard Dooling (Éditions Archi Poche, 7,50 D ). Tous deux offrent une vision assez sombre de l’hôpital, ce qui se traduit par un humour noir très ravageur. Dans ces services où l’on côtoie la mort au quotidien, la vie semble aussi s’épanouir, notamment à travers la sexualité des soi- gnants qui joue un rôle important dans ces deux ouvrages. Dans les deux cas, il s’agit d’un adulte (une fille pour l’un et un fils pour l’autre) qui attend la mort de son père hos- pitalisé dans un service de réanimation. Adresse e-mail : [email protected]. Soins intensifs, d’Alan Bennett Alan Bennett est né à Leeds dans le Yorkshire, en mai 1934. C’est un touche-à-tout, connu en Angleterre comme un homme d’esprit, un comique (précurseur de l’esprit des Monty Python), un auteur de pièces de théâtre et un scé- nariste de cinéma : il a écrit « Prick up your ears » pour Stephen Frears et a adapté sa pièce « La Folie de George III » pour le réalisateur Nicholas Hytner (« La folie du roi George »). Il a écrit également un nombre considérable de films pour la télévision anglaise. C’est un spécialiste des monologues décapants qu’il a publiés sous le titre col- lectif de Talking heads. Monologue, par exemple, d’une ménagère n’osant pas s’avouer qu’elle est troublée par son épicier pakistanais. Ses pièces sont régulièrement jouées à Paris. Soins intensifs est assez représentatif de la méthode de travail de Bennett. Écrit tout d’abord pour la BBC en 1982, ce texte a été retravaillé pour aboutir à ce court roman, très corrosif sous ses allures anodines, sorti en février 2006. Midgley est un professeur d’anglais d’une quarantaine d’années, qui apprend que son père se trouve à l’hôpital dans le coma, après une attaque. Il est presque sou- lagé de savoir que celui-ci va mourir, persuadé qu’une nouvelle vie l’attend, loin du mépris et de l’emprise pater- nels. Mais, même si Midgley a souvent rêvé de tuer son père (et dans ses rêves tout allait très vite), il décide de l’assister dans ses derniers instants, en fils modèle. Sa femme ne lui apporte aucun soutien. Et à l’hôpital même, les infirmiers ou les médecins interviennent comme des fantômes qui ne sauraient pas quoi faire. L’absurde est poussé à son comble par le fait que ce père, tout en étant dans un état végétatif, se refuse à mourir. 1627-4830/$ — see front matter doi:10.1016/j.npg.2008.01.006

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PG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2008) 8, 54—56

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Pôle « vieillissement, réadaptation et accompagnement », hôpital Paul-Brousse, 14, avenuePaul-Vaillant-Couturier, 94804 Villejuif cedex, France

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ous allons aborder cette fois-ci le thème de laréanimation » à travers un roman anglais : Soins inten-ifs, d’Alan Bennett (Coll. « Denoël & d’ailleurs », Éditionsenoël, 12 D ), et un roman américain : Soins à hauts risques,e Richard Dooling (Éditions Archi Poche, 7,50 D ).

Tous deux offrent une vision assez sombre de l’hôpital,e qui se traduit par un humour noir très ravageur. Dans ceservices où l’on côtoie la mort au quotidien, la vie sembleussi s’épanouir, notamment à travers la sexualité des soi-nants qui joue un rôle important dans ces deux ouvrages.ans les deux cas, il s’agit d’un adulte (une fille pour l’unt un fils pour l’autre) qui attend la mort de son père hos-italisé dans un service de réanimation.

Adresse e-mail : [email protected].

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oins intensifs, d’Alan Bennett

lan Bennett est né à Leeds dans le Yorkshire, en mai934. C’est un touche-à-tout, connu en Angleterre commen homme d’esprit, un comique (précurseur de l’esprit desonty Python), un auteur de pièces de théâtre et un scé-ariste de cinéma : il a écrit « Prick up your ears » pourtephen Frears et a adapté sa pièce « La Folie de GeorgeII » pour le réalisateur Nicholas Hytner (« La folie du roieorge »). Il a écrit également un nombre considérablee films pour la télévision anglaise. C’est un spécialistees monologues décapants qu’il a publiés sous le titre col-ectif de Talking heads. Monologue, par exemple, d’uneénagère n’osant pas s’avouer qu’elle est troublée par son

picier pakistanais. Ses pièces sont régulièrement jouées àaris.

Soins intensifs est assez représentatif de la méthodee travail de Bennett. Écrit tout d’abord pour la BBC en982, ce texte a été retravaillé pour aboutir à ce courtoman, très corrosif sous ses allures anodines, sorti enévrier 2006.

Midgley est un professeur d’anglais d’une quarantaine’années, qui apprend que son père se trouve à l’hôpitalans le coma, après une attaque. Il est presque sou-agé de savoir que celui-ci va mourir, persuadé qu’uneouvelle vie l’attend, loin du mépris et de l’emprise pater-els. Mais, même si Midgley a souvent rêvé de tuer sonère (et dans ses rêves tout allait très vite), il décidee l’assister dans ses derniers instants, en fils modèle.a femme ne lui apporte aucun soutien. Et à l’hôpital

ême, les infirmiers ou les médecins interviennent commees fantômes qui ne sauraient pas quoi faire. L’absurdest poussé à son comble par le fait que ce père, toutn étant dans un état végétatif, se refuse à mourir.
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L’agonie est interminable. Et alors que la libération sefait attendre, le lecteur suit avec délices la mise enscène de l’hypocrisie sociale et des difficiles relationspère—fils.

Les saynètes hilarantes aux dialogues grincants se suc-cèdent ; attisées par une vieille tante et son épouse, lesembrouilles familiales prennent le dessus. Même le per-sonnel hospitalier s’en mêle. Autour du lit, défilent unehumanité peu reluisante : tante cancanière, famille modèleen train de se craqueler. . . Heureusement, Midgley —– quepersonne ne remarque —– finira par trouver un peu deréconfort dans les bras d’une infirmière rondelette etsouillon.

Extrait

« - Mr Midgley, dit le médecin en le secouant par l’épaule.- Denis, dit tante Kitty, c’est le docteur.

Il s’agissait d’un jeune Pakistanais un peu pâlichon, etdurant une fraction de seconde Midgley crut qu’il s’étaitassoupi dans sa classe et que c’était un élève qui leréveillait.

- Mr Midgley ? répéta le médecin.Il s’exprimait d’une voix grave et ferme. Il avait tout

au plus vingt-six ans.- Votre père a eu une attaque cardiaque, dit-il en consul-

tant son dossier. De quelle gravité, c’est difficile à dire.Quand il est arrivé ici, il souffrait d’hypothermie.

Tante Kitty émit un petit cri plaintif. Un tel fléauavait souvent fait la « une » des journaux, ces dernierstemps.

- Il a dû perdre connaissance et rester étendu sur le solpendant au moins deux jours.

- Je vais généralement le voir le week-end, dit Midgley.- La pneumonie s’est bien installée. Son cœur est très affai-

bli. Tout bien considéré, conclut le médecin en consultantencore une fois son dossier, il est probable qu’il ne passerapas la nuit.

En repartant, il glissa le dossier sous son bras et Midgleyvit qu’il n’y avait rien à l’intérieur. »

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oins à hauts risques, de Richard Dooling

e jeune interne Ernst Werner est un médecin très particu-ier. Il est cynique, coureur de jupons, caractériel et peuocial avec les autres membres du personnel. Il crie sures infirmières, se fout un peu des patients et dénigre lesamilles. . .

Mais voilà qu’un jour, aux côtés du patient du bloc 5, seient une charmante jeune femme qui ne le laisse pas indif-érent. Le docteur n’aura plus qu’une obsession : mettreélicia, la fille de ce patient, dans son lit. Surtout quea jeune femme, apprentie mannequin, n’est pas des plusrudes et semble avoir une certaine attirance pour lui.

Mais pourquoi veut-elle à tout prix faire cesser les soinsonnés à son père ? Pourquoi estime-t-elle que ce soit de’acharnement thérapeutique ? Pourquoi fait-elle tout pourcarter sa demi-sœur Constance, son aînée, du chevet deon père ?

Alors que Félicia veut qu’on arrête toute réanimation,onstance, au contraire, veut que l’on tente tout pour sau-er son père et ne comprend pas qu’on ne lui ait toujoursas posé de sonde d’alimentation. Y a-t-il un rapport avec’héritage de deux millions de dollars ? La date du décès-t-elle son importance ? Werner est-il un complice ou uneictime ?

L’auteur, ancien infirmier en soins intensifs, connaît bienet univers qu’il décrit avec beaucoup de minutie et deynisme. À noter qu’une adaptation cinématographique dee roman a été faite en 1997 par Sydney Lumet, sous le titrenglais de Critical care.

xtrait

Autrefois, Werner gaspillait un nombre incalculable’heures par semaine à être gentil et agréable avec lesnfirmières et le personnel de l’hôpital. Très vite, il seendit compte que, pendant qu’il était occupé à être gen-il et agréable, les patients étaient occupés à tomberomme des mouches autour de lui. Plus grave encore, pen-ant qu’il était occupé à être gentil et agréable, d’autreseunes internes étaient occupés à décortiquer les articleses revues médicales et les archives de l’hôpital. Être gen-il et agréable avec les bien-portants avait empêché Wernere se distinguer dans l’étude d’un cas particulièrement dif-cile de maladie du légionnaire —– un étudiant en troisièmennée de médecine lui ayant grillé la politesse. Une autreois, le fait d’avoir été gentil et agréable avec des bien-ortants avait eu un autre résultat contrariant, quand unnterne en radiologie avait diagnostiqué un syndrome deoodpasture, alors que Werner avait précédemment expli-ué à d’éminents professeurs, au cours d’une de leursisites, qu’il s’agissait d’une hémosidérose pulmonaire idio-athique.

Juste après son internat, Werner avait compris qu’ilallait être solide et prêt à tout dans un univers commeelui du Centre médical universitaire, et que, pour y par-

enir, un interne devait préserver chaque petite provisione temps et d’énergie pour l’étude et la lutte contre laaladie. Les tâches de second ordre, comme être gen-

il et agréable, devaient être déléguées au personnel deecond ordre. Si un interne voulait s’assurer un avenir au

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Ullgàs

Andici la vie dans un service de neurochirurgie à l’hôpital de la

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entre médical, il devait judicieusement éviter d’engagera conversation avec qui que ce soit, à commencer para potiche que Werner avait sous la main et qui pouvaite tenir en face d’un patient tout bleu, vous tendre sesésultats de labo qui confirmaient, comme vous le sup-osiez, que chaque cellule de ce patient était asphyxiée,t vous demander en toute innocence si vous vouliezu’elle appelle le service de pneumologie pour augmenter’oxygène.

Non, répondit Werner sans la regarder. N’augmentonspas l’oxygène. Demandons plutôt au service d’entretiend’apporter un sac-poubelle.Un sac-poubelle ? murmura d’une voix rauque MarieQuelque-Chose, dont le visage aux capillaires engorgés

avait viré au vermillon flamboyant.Ouais, dit Werner, comme ca on pourra l’enrouler autourde la tête du Un et voir combien de temps il faut à cespetits gribouillis rigolos pour disparaître de son moniteurcardiaque ! »

Pne

C. Trivalle

utour de ce thème : La grande garde,’Antoine Sénanque

n peu en dehors de la réanimation proprement dite, il y a’univers des urgences et des gardes de nuit. Parmi touteses gardes, on peut individualiser le système de « la grandearde », qui n’existe qu’en région parisienne et qui consistecentraliser chaque soir la garde de neurochirurgie sur un

eul hôpital pour toute l’assistance publique.« La grande garde », c’est le titre et le sujet qu’a choisi

ntoine Sénanque (pseudonyme d’Antoine Moulonguet, uneurologue parisien) pour son nouveau roman. L’auteurépressif de « Blouse », dont nous avions déjà parlé, raconte

itié-Salpêtrière, avec ses mesquineries et ses rivalités. Uneuit, au bloc, il y aura une erreur médicale : à qui la fautet qui doit en porter la responsabilité ?

Ce livre a recu le prix Jean-Bernard 2007.