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REVUE

DES

ÉTUDES BYZANTINES

TOME 59 ANNÉE 2001

Publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

DE BOCCARD 11, rue de Médicis - 75006 Paris

2001

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MOINES ET MONASTERES GÉORGIENS DU 9e SIÈCLE :

LA VIE DE SAINT GRIGOL DE XANCTA

PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION ET TRADUCTION

Bernadette MARTIN-HISARD

Summary : Translation (with an index) of a 10th-century Georgian hagiographical text about the monk Grigol (759-861), who with the help of the Bagratide family contributed to the renewal of Georgian monastic life through the foundation of the monasteries of Xancta and Šaťberdi, in the K'larjeti region in the vicinity of Byzantine Chaldaea. The introduction identifies the places and the principal characters quoted in the text and studies the political terminology used. In the next issue of the Revue, this translation will be followed by a com­mentary which will bring out the importance of a text fundamental to the understanding of the close relations built in the 9th-century Georgian world between political circles, monasteries and ecclesiastical institutions.

La Vie de saint Grigol, moine né en 759 et mort en 861, a été écrite en géorgien au milieu du 10e siècle. Originaire du Kartli, Grigol fonda les monastères de Xancta et de Šaťberdi, dans la région du K'larjeti proche de la Chaldie byzantine, et il participa ainsi à un grand mouvement de restau­ration de la vie monastique cénobitique ; ce mouvement reçut le large sou­tien de l'aristocratie locale et surtout de la branche géorgienne de la famille des Bagratides qui commençait alors à fonder dans la même région, autour d'Art'anuji, les bases économiques et sociales qui lui permirent de restaurer la royauté. Le développement des monastères contribua également au renouveau de la vie ecclésiastique. La Vie de Grigol est ainsi un précieux témoignage sur différents aspects de la vie d'une région, proche de l'Empire byzantin, dans laquelle commencent à se jouer une partie du des­tin politique du monde géorgien et l'avenir de son Église.

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 5-95.

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6 BERNADETTE MARTIN-HISARD

En soixante-dix pages éditées, le texte raconte comment Grigol, né en 759 et élevé au Kartli dans la famille du grand prince Nerse, adopta très jeune une forme de vie monastique, devint prêtre puis, pour échapper à la carrière ecclésiastique, s'enfuit au K'iarjeti avec trois compagnons, Saba, T'evdore et K'rist'ep'ore. Ils s'établirent dans la petite communauté d'Op'iza, puis ils fondèrent en un lieu désert du Šavšeti le monastère de Xancta, dédié à saint Georges, qui ne tarda pas à prospérer grâce à la pro­tection d'un aristocrate local, Gabriel Dapančuli, et du curopalate bagratide Ašoť. À son retour d'un voyage à Constantinople et après avoir reçu un exemplaire de la Règle de Saint-Sabas, Grigol rédigea pour Xancta un typi-kon liturgique et monastique composite. Il contribua ensuite à la fondation du monastère d'Ube en Apxazeti et admit à titre exceptionnel deux enfants dans son monastère, le futur catholicos du Kartli Arseni et le futur évêque d'Ac'q'uri Eprem. Sous la protection du curopalate Bagrať, il fonda ensuite Šaťberdi, dédié à la Mère de Dieu, et devint l'archimandrite d'un ensemble de monastères apparus à la même époque, parmi lesquels Mijnajoro et C'q'arostavi, fondation du futur catholicos îlarion. Le territoire de ces monastères fut précisément défini. Le monastère féminin de Mere se déve­loppa aussi beaucoup avec la mère Febronia. Parmi les compagnons de Grigol, Saba restaura l'évêché ďlšxani au T'ao, T'evdore et K'rist'ep'ore fondèrent au Kartli ou au Samcxe les monastères de Nejvi et de Saint-Cyriaque. Deux conciles au cours desquels Grigol joua un rôle actif eurent lieu à cette époque dans ces régions, l'un pour juger de la régularité de l'élection du catholicos Arseni, qui résultait d'un coup de force, l'autre pour destituer un mauvais évêque d'Anča imposé par l'émir de Tbilisi Sahak'. Xancta et Šaťberdi prospérèrent et s'agrandirent. Grigol et ses disciples accomplirent de nombreux miracles. Grigol mourut à 102 ans. Sa Vie, qui reçut quelques additions, fut mise par écrit en 950/951.

De ce long récit hagiographique, on proposera, dans ce premier article, la traduction, précédée d'une introduction concernant le texte lui-même et fournissant les précisions historiques et géographiques nécessaires à sa compréhension ; la traduction est suivie d'un index. On réserve pour un second article un commentaire plus précis sur les apports historiques fonda­mentaux de la Vie.

I. INTRODUCTION

A. Le texte et sa tradition

La Vie de Grigol de Xancta a été transmise par un unique manuscrit, le manuscrit n° 2 du fond du monastère géorgien de Sainte-Croix de Jérusalem, actuellement conservé dans la Bibliothèque du Patriarcat grec de Jérusalem1. Le texte, découpé en 86 chapitres numérotés, de longueur inégale, se trouve aux f. 157-229v.

1. Le fond qui contient 161 manuscrits a été décrit par R. P. BLAKE, Catalogue des manus­crits géorgiens de la Bibliothèque patriarcale grecque à Jérusalem, ROC 23, 1922-1923,

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Ѵ DE GRIGOL DE XANCTA 7

Le manuscrit fut découvert en 1845 par N. Čubinašvili2. En 1902 N. Marr publia un catalogue de ce fond et il fit en 1911 la première édition de la Vie de Grigol, accompagnée d'une traduction russe et du journal d'un voyage qu'il avait effectué dans les régions concernées par les fondations de Grigol3. Deux nouvelles éditions furent effectuées par S. Q'ubaneisvili en 19464 et par P'. Ingoroq'va en 19495. L'édition de référence est mainte­nant celle qui fut effectuée par K'. K'ek'elije en 1963 et publiée dans la col­lection des textes hagiographiques géorgiens originaux dirigée par I. Abulaje6.

L'édition de N. Marr a servi de base à une traduction latine du texte, publiée avec une introduction et des notes par P. Peeters en 1917-19187. La traduction russe de N. Marr, sans ses notes, a été republiée en 1982 par L. Menabde8.

Le manuscrit 2 de Sainte-Croix de Jérusalem, que son écriture seule per­met de dater de la fin du 11e siècle ou du 12e9, n'a pas fait l'objet d'études paléographiques approfondies depuis l'examen qu'en firent Marr10, Peeters11 et Blake12. Écrit sur parchemin par trois mains différentes, il contient vingt-trois textes hagiographiques traduits du grec en géorgien et réunis sans principe évident13. Sous le n° 20, entre une Vie de Marie l'Égyp-

p. 345-413 ; 24, 1924, p. 190-210, 387-429 ; 25, 1925-1926, p. 132-155. La description de ce manuscrit se trouve dans ROC 23, p. 357-363.

2. L. MENABDE, Jveli kartuli mc'erlobis k'èrebi (Les centres de littérature en géorgien ancien), I, 2, Tbilisi 1962, p. 130-131.

3. N. MARR, Georgij MerčuT, Jitie sv. Grigorij Xandztijskago (Georges Merčule, Vie de saint Grégoire de Xancta), Teksty i razyskanija po armjano-gruzinskoj filologi VII, Saint-Pétersbourg 1911 ; l'édition du texte se trouve p. 1-82, sa traduction p. 83-151 ; on trouve ensuite, p. 1-203, le journal du voyage de Marr, suivi de trois indices, p. 203-216.

4. S. Q'uBANEiSvnj, Jveli kartuli liťeraťuris kresťomatia I (Chrestomathie de la littéra­ture géorgienne ancienne I), Tbilisi 1946, p. 98-156.

5. P'. Ingoroq'va devait ensuite consacrer à ce texte son volumineux Giorgi Merčule, kart-veli mc'erali meate sauk'unisa (Giorgi Merčule, écrivain géorgien du 10e siècle), Tbilisi 1954.

6.1. ABULAJE (éd.), Jveli kartuli agiograpiuli liťeraťuris jeglebi. I : v-x ss (Monuments de la littérature hagiographique en géorgien ancien. 1: 5e- 10e s.), p. 248-319. Une édition récem­ment parue à Tbilisi en 1999 sous le nom de E. Baginašvili n'apporte rien de nouveau à l'édi­tion de K'ek'elije.

7. P. PEETERS, Vie de S. Grégoire de Khandztha, dans ID., Histoires monastiques géor­giennes, An. Boll. 1917-1918, p. 207-309. Peeters a utilisé à la fois le texte du manuscrit et l'édition de Marr en suggérant des corrections ou des additions.

8. L. MENABDE, Drevnegruzinskaja literatura ѵ- ѵ ss (La littérature en géorgien ancien, 5M8e s.), Tbilisi 1982, p. 107-204.

9. ABULAJE (cité n. 6), p. 6. 10. MARR (cité n. 3), p. ѵ -xu. 11. PEETERS, Histoires (cité n. 7), p. 208-209. 12. Voim. 1. 13. Ce manuscrit a été utilisé par M. Tarchnišvili pour dresser un catalogue des traduc­

tions de textes hagiographiques grecs en géorgien (rédaction-Jfceiwœna) : M. TARCHNIŠVILI, Geschichte der kirchlichen georgischen Literatur, aufgrund des erstes Bandes der georgi­schen Literaturgeschichte von K'. K'ek'elidze, Vatican 1955 (Studie Testi 185), p. 464-497. Certaines des traductions contenues dans ce manuscrit sont l'œuvre d'Euthyme d'Iviron.

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8 BERNADETTE MARTIN-HISARD

tienne et une homélie d'André de Crète, sur la vanité des choses humaines14, la Vie de Grigol est la seule pièce originale ; elle constitue donc un précieux témoignage de la littérature hagiographique géorgienne.

Deux auteurs ont contribué de manière inégale à la rédaction de la Vie de Grigol qui fut achevée en 950/951 : le moine Giorgi Mercule, aidé de l'hi-goumène de Xancta Tevdore et de son frère Iovane, et, à un degré moindre, Bagrať, fils du curopalate Adarnerse15. On reviendra plus longuement dans le commentaire sur l'identité de ces auteurs et sur le contexte de la rédac­tion qui permet d'éclairer la structure complexe du texte16.

B. Les lieux17

La vie de Grigol se déroule dans le monde géorgien à une époque où sa traditionnelle division politique en deux ensembles inégaux, Occident ou Apxazeti, Orient ou Kartli, garde toute sa valeur18.

La partie occidentale forme, depuis la fin du 8e siècle ou le début du 9e, un royaume, qui couvre une région triangulaire, inscrite entre le Caucase, le Pont Euxin et la chaîne des monts Lixi que prolonge la chaîne du Łado. Ce royaume, récemment constitué, dispose d'un territoire beaucoup plus étendu que le primitif royaume, disparu au 6e siècle, qui couvrait la seule Apxazeti, c'est-à-dire la partie nord de la région que l'on vient d'évoquer. Cette nouvelle Apxazeti s'étend approximativement du port d'Anak'opi au nord à l'embouchure du C'oroxi (Akampsis des Grecs), au-delà duquel commence l'Empire byzantin. Le rôle de l'Apxazeti reste mineur dans la vie de Grigol qui a eu cependant l'occasion de s'y rendre et de fonder le monastère d'Ube en Imereti19. Persati, où la première épouse répudiée du Bagratide Adarnerse finit ses jours sous le vêtement monastique, n'est peut-être donc pas un monastère, mais un palais ou un simple village dans lequel cette femme de haut lignage vécut retirée et qui pourrait se trouver dans les monts Łado20.

À l'est de la chaîne du Lixi et au sud des monts Łado s'étend le Kartli au sens large, dont l'axe est constitué par la vallée supérieure et moyenne du

14. CPG 8192. 15. Voir la traduction, chap. 83,1. 2619-2621 ainsi que 1. 2252-2253. 16. Pour une approche rapide, voir TARCHNIŠVUJ (cité n. 13), p. 105-107. 17. On se reportera à l'index de la traduction pour retrouver dans la Vie de Grigol les lieux

et personnages cités dans les pages qui suivent. 18. Sur la situation politique du monde géorgien à cette époque, voir la présentation som­

maire avec bibliographie dans B. MARTIN-HISARD, Christianisme et Église dans le monde géorgien, dans G. DAGRON, P. RICHE, A. VAUCHEZ éd., Évêques, moines et empereurs (610-1054) (Histoire du christianisme 4), Paris 1993, p. 549-603, notamment p. 558-565 ; plus détaillée dans EAD., Constantinople et les archontes du monde caucasien dans le De cerimo-niis II, 48, TM 13, 2000, p. 359-530.

19. Sur la localisation d'Ube, MENABDE, Centres (cité n. 2) I, p. 540. 20. Dans l'ouvrage de géographie historique qu'il composa au 18e siècle, Vaxušť fait de

ce nom un synonyme de Łado ; Persati pouvait donc se situer dans cette région, qui sépare l'Imereti du Samcxe : M. F. BROSSET, Description géographique de la Géorgie, par le tsaré­vitch Wakhoucht, Saint-Pétersbourg 1842, p. 95.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 9

Kur. Le cœur du Kartli, ou Kartli Intérieur, correspond au bassin moyen du Kur et il est marqué par les deux villes de Mcxeta et de Tbilisi. Ancienne capitale royale, Mcxeta est surtout le siège des catholicos de l'Église du Kartli, illustrée par l'apostolat de Nino ; la Vie de Grigol cite trois de ces catholicos, sans qu'il soit possible de dater leur pontificat avec précision : Ilarion, Arseni et Mikel21. L'ancienne capitale royale de Tbilisi est au 9e siècle le centre d'un émirat arabe22. La domination arabe n'a plus alors le caractère conquérant et agressif qu'elle avait encore dans le courant du 8e siècle, comme au temps des campagnes de Marwän ibn Muhammad (732-743), le futur dernier calife ummayade23. Le Kartli relève toujours de la vaste province califale d'Armïniya, mais la présence arabe en terre géor­gienne est circonscrite, dans la première moitié du 9e siècle, à l'émirat fondé par Ismä'il b Shu'ayb à Tbilisi et dominé ensuite longuement par son fils Ishäq jusqu'à son élimination par le calife en 85324. D'après la Vie de Grigol, Ishäq était déjà émir à l'époque du curopalate Ašoť25 ; ce dernier étant mort en 826, l'émirat d'Ishäq a donc commencé plus tôt qu'on ne le dit généralement26. L'autorité de l'émir se faisait sentir jusque dans les régions bagratides, mais sans représenter un vrai danger militaire. Sous le nom de «fils d'Agar»27, l'auteur de la Vie vise donc plutôt de plus proches adversaires musulmans, Arabes établis sur le sol arménien, ou gouverneurs de la province d'Armïniya28.

Dans la Vie de Grigol, le mot de Kartli désigne la plupart du temps le Kartli Intérieur; c'est là, en un endroit non précisé, peut-être à Tbilisi même29, que Grigol a passé sa jeunesse et a été élevé avant de partir «à l'étranger»30 ; cet «étranger» désigne en fait la partie du Grand Kartli, située

21. Sur la liste, incomplète, des catholicos et la datation, aléatoire, de leurs pontificats : G. FEDALTO, Hierarchia Ecclesiastica Orientalis. Series episcoporum ecclesiarum Christia­nům orientalium. I. Patriarchatus Constantinopolitanus, Padoue 1988, p. 394; MARTIN-HISARD, Christianisme (cité η. 18), p. 576-581. Les dates traditionnelles du long pontificat d'Arseni sont 860-887 ; Ilarion est certainement son prédécesseur. Les dates traditionnelles (930-944) de Mikel (sans doute le troisième successeur d'Arseni) sont inexactes puisqu'il était catholicos en 950/951.

22. Voir V. MINORSKY - E. BOSWORTH, al-Kurdj, El2 V, 1986, p. 489-500, notamment p. 490-491.

23. Il apparaît sous le nom de Murvan Q'ru (le Sourd) dans l'historiographie géorgienne qui lui prête une grande campagne catastrophique jusqu'au fin fond de Γ Apxazeti, au terme de laquelle il revint par les abords du K'iarjeti qui auraient beaucoup souffert de son passage. Voir MINORSKY - BOSWORTH (cité n. 22).

24. Voir aussi plus bas, p. 16. MARTIN-HISARD, Constantinople (cité n. 17), p. 362. 25. Chap. 68,1.2157-2161. 26. Vers 832-833, pour M. Canard, dans J. LAURENT, L'Arménie entre Byzance et l'Islam

depuis la conquête arabe jusqu'en 886, Nouvelle édition revue et mise à jour par M. Canard, Lisbonne 1980, p. 394-395.

27. Chap. 24,1. 895-896. 28. Quand le texte est écrit au milieu du 10e siècle, le souvenir est encore vif de la cam­

pagne du gouverneur sâdjide YQsuf qui vint pourchasser son adversaire, le roi arménien Smbat, jusque dans le Samcxe en 913.

29. Voir plus bas, p. 15. 30. Chap. 5, 1. 158. C'est encore du Kartli Intérieur que viennent ses amis Ep'ipane et

Mat'o, ainsi que sa propre mère.

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10 BERNADETTE MARTIN-HISARD

au sud-ouest du monde géorgien et au sud des monts Łado et que drainent le C'oroxi et le Kur supérieur. Disons enfin que le mot de Kartli peut avoir encore une autre acception, présente dans la Vie de Grigol, celle de terri­toire de langue kartvélienne31.

La région la plus importante, dans la Vie de Grigol, est le K'iarjeti que bordent au nord le Samcxe, à l'est le Javaxeti et au sud le Tao32.

Le K'iarjeti correspond au bassin inférieur du C'oroxi et à la vallée de son affluent de rive gauche, l'Imerxevi, encore appelé rivière de Šavšeti, lui-même grossi de la rivière d'Art'anuji33. La chaîne de l'Arsiani le sépare du Javaxeti à l'est et du T'ao au sud. Le centre politique du K'iarjeti au début du 9e siècle était la vieille forteresse d'Art'anuji, fondée au 5e siècle, que le Bagratide Ašoť avait restaurée34. Plus au nord, Anča était le siège episcopal du K'iarjeti, siège unique au 9e siècle jusqu'à la fondation de T'beti au tout début du 10e siècle.

Au moment de l'arrivée de Grigol, le K'iarjeti ne possédait plus, aux dires de l'hagiographe, qu'un seul monastère, Op'iza, sur la rive droite de l'Imerxevi35. Grigol fonda ensuite deux autres monastères. Xancta, le pre­mier, est situé un peu en amont d'Op'iza, dans la partie du K'iarjeti appelée le Šavšeti, une région de montagnes comprise entre la vallée de l'Imerxevi et le bas C'oroxi. Par déplacement de toponyme, l'hagiographe applique le nom de Łado à ces montagnes qui se rattachent de fort loin aux vrais monts Łado, plus au nord36. Le site de la seconde fondation de Grigol, Sat'berdi, a fait l'objet de nombreuses propositions d'identification ; d'après l'étude récente de W. Djobadze, Sat'berdi se trouverait sur la rivière d'Art'anuji, à 18 km en amont de cette forteresse, donc assez loin de Xancta37.

En dehors de Xancta et de Sat'berdi, d'autres monastères apparaissent dans la Vie de Grigol, fondés à la même époque38. L'hagiographe en cite plusieurs qui se trouvent tous au nord de l'Imerxevi, non loin de Xancta ; ainsi, en remontant la rivière, Îmerk'i et Dolisqana ; puis, dans l'arrière-pays d'Op'iza, Berta et P'arexni, ainsi que le monastère féminin de Mere ; plus en amont encore, le groupe des trois monastères de Mijnajoro, C'q'arojstavi et Baretelta, celui-ci de localisation imprécise, tout comme Daba, ou encore le monastère féminin de Gunatle39. Un autre monastère, T'ba, devait se trouver non loin du siège episcopal d'Anca.

31. Ainsi, chap. 43,1.1591-1592. 32. Sur ces régions : MARTTN-HISARD, Constantinople (cité n. 18), p. 430-433, avec carte

p. 530. 33. Sur la géographie historique de cette région, voir l'étude détaillée de R. W. EDWARDS,

The Fortifications of Artvin : a Second Preliminary Report on the marchlands of Northeast Turkey, DOP 40, 1986, p. 65-182. Sur la localisation des monastères, voir W. Z. DJOBADZE, Early Medieval Georgian Monasteries in Historic Tao, Klarjett and Savset'i, Stuttgart 1992 (Forschungen zur Kunstg. und Christi. Arch.), avec carte p. 2.

34. Sur cette forteresse : ibid., p. 171-174. 35. Chap. 7,1. 312. 36. Ainsi chap. 11,1. 516; chap. 22,1. 765-767. 37. DJOBADZE (cité η. 33), p. 40-44. On reviendra sur cette localisation dans le commentaire. 38. C'est ce que dit l'hagiographe à la fin du chapitre 10. 39. Destiné aux femmes de la famille Dapančuli, ce monastère devait être assez proche de

Xancta.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 11

Il est en pratique impossible de localiser toute une série de toponymes qui servent de cadres à différents épisodes de la vie de Grigol dans le K'iarjeti. C'est le cas de Korta, qui se trouvait quelque part entre Anča et Xancta ; du lieu dit Sarc'ebi, sans doute un village40 ; de la montagne de Xorasunni, du village d'Anč'k'ora, apparemment peu éloigné de Xancta, tout comme le lieu dit C'ert'ajsni ; ou encore de celui de Norgiali dans le Šavšeti.

Le K'iarjeti est bordé au nord par un ensemble de montagnes, dont celles de Šavšeti, qui le séparent de deux autres régions, Γ Ač'ara, tourné vers le Pont Euxin et non mentionné dans la VieA1, et surtout le Samcxe, beaucoup plus important. Au pied des monts Łado, il est drainé vers le Kur par la rivière dite d'Axalcixe. Des forteresses anciennes s'y dressent dans les zones les plus élevées pour surveiller les routes, comme Ojrqe sur la voie qui mène en Apxazeti à travers les Łado, ou encore Q'veli42 vers le K'iarjeti. Aucune n'est mentionnée, mais ces deux forteresses ont sans doute jalonné la route que suivirent Grigol et ses disciples pour aller de Xancta en Apxazeti par le Samcxe43. Les liens sont nombreux entre le K'iarjeti et le Samcxe dont sont originaires plusieurs amis et disciples de Grigol44. Le poids du Samcxe venait aussi de la vallée du Kur qui le borde à l'est et dans laquelle se trouve le siège episcopal d'Ac'q'uri. Par le défilé de Borjomi passait la grande voie de communication qui reliait, le long du fleuve, le Samcxe et le K'iarjeti au Kartli Intérieur, ce qui explique leurs rapports, plus ou moins conflictuels, avec le siège catholical de Mcxeta comme avec l'émir de Tbilisi45. D semble que le rayonnement du Samcxe, sinon parfois son territoire même, se soit étendu à l'est du Kur, dans la région du Tori, aux abords du Trialeti et du Kartli Intérieur, où l'on a pu situer les monastères de Nejvi et de Saint-Cyriaque fondés par deux dis­ciples de Grigol46.

Du vivant de Grigol, le Samcxe relevait du mampal Guaram, dont le domaine s'étendait encore plus à l'est, sur le Javaxeti ; c'est pourquoi le concile réuni pour discuter de la nomination du catholicos Arseni eut lieu sous sa juridiction dans le Javaxeti47. La chaîne de l'Arsiani séparait le K'iarjeti à l'ouest, du Javaxeti à l'est ; cette dernière région correspondait à une partie du bassin supérieur du Kur et la zone qui se trouvait sur la rive gauche était plutôt appelée Erušeti. La rivière de Panavari qui drainait une

40. C'est par hypothèse qu'on situe au K'iarjeti ce lieu de naissance de Ckiri, futur évêque d'Anča.

41. La région tire son nom de l'affluent qui la draine vers le bas C'oroxi. 42. Voir la n. 234 de la traduction. 43. Voir chap. 19-20. 44. Ainsi Febronia, Zenon et les jeunes Arseni et Eprem. 45. Chap. 42 et 68-69. 46. Ainsi, d'après le chap. 30, les deux moines, partis dans le Samcxe, ont exploré les

régions désertes du Samcxe et du Kartli avant de fonder «deux très bons monastères au Kartli».

47. Chap. 42,1. 1458. Sur Guaram, voir plus bas, p. 18.

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12 BERNADETTE MARTIN-HISARD

partie du Javaxeti sur la rive droite du Kur constituait depuis longtemps un axe majeur de circulation, en particulier vers le Trialeti au nord-est, région dans laquelle la famille de Lip'arit' fit souche au 9e siècle dans la forteresse de K'idek'ari48.

Au sud du K'iarjeti et de la chaîne de l'Arsiani, le bassin moyen du C'oroxi formait le T'ao, mentionné dans la Vie comme un territoire que l'on traversait pour aller de l'Empire byzantin dans le K'iarjeti49 ; cette situation devait contribuer à l'importance politique du T'ao au 9e et surtout au 10e siècle lorsqu'il fut incorporé aux domaines des Bagratides ibères50. La restauration de l'évêché ďlšxani, sur le cours inférieur d'un affluent du C'oroxi, la rivière d'Oltu, en faveur d'un disciple de Grigol, Saba, est comme un prélude à cette expansion, mais Γ hagiographe n'ignore pas que la région appartenait au monde arménien au milieu du 7e siècle51. Un nou­vel évêché géorgien, Bana, fut fondé par les Ibères au début du 10e siècle.

LES HOMMES

1. Les souverains apxazes

Le royaume d'Apxazeti du 9e siècle est la restauration, sur une base terri­toriale plus large, du royaume ancien disparu au 6e siècle. Il est possible que la nouvelle lignée royale soit apparentée à la précédente ; en tout cas les nouveaux rois sont des Apxazes, issus d'une famille que distinguaient au 8e siècle des fonctions conférées par les Byzantins52.

L'Apxazeti n'est pas souvent cité dans la Vie de Grigol ; Grigol s'y est rendu, on l'a dit, mais contraint par la nécessité d'aller y rechercher deux de ses frères. Des liens entre milieux apxazes et famille des Bagratides sont également évoqués ; la Vie de Grigol signale en effet que le fils aîné du curopalate Ašoť, Adarnerse, avait épousé une Apxaze de haut rang53. Ce n'est pas le seul exemple de ce type de relations : une fille du même Ašoť avait épousé Tevdosi fils et successeur du premier roi des Apxazes Leon ; une fille de Guaram, fils du même Asoť, épousa successivement deux rois

48. On ne s'étonnera donc pas qu'un membre de cette famille soit devenu higoumène de Šaťberdi : chap. 83,1. 2616.

49. Grigol le traverse à son retour de Constantinople ; il a dû passer par la région de Païpert et de Sper. Le T'ao est parfois désigné au pluriel : chap. 7,1. 314.

50. Sur l'histoire complexe de cette région : R. W. EDWARDS, Medieval Architecture in the Oltu-Penek Valley : a Preliminary Report on the Marchlands of the North-East Turkey, DOP 39, 1985, p. 15-37, ainsi que The Vale of Kola: a Final Preliminary Report on the Marchlands of the North-East Turkey, DOP 42,1988, p. 119-141, et notamment p. 126-141.

51. Chap. 26., 1.976. 52. Une partie des informations concernant les souverains dont on va parler proviennent

de la Chronique du Kartli, écrite à la fin du 11e siècle et que l'on citera dans l'édition de Kartlis cxovreba (La Vie du Kartli) I, éd. S. Q'AUXCISVILI, Tbilisi 1955, p. 249-317. Dans la même édition, p. 372-386, on utilisera aussi la Vie et Histoire des Bagratides, de peu anté­rieure à la Chronique.

53. Voir p. 14.

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des Apxazes, l'usurpateur Adarnase et Bagrať Ier54. D'autre part le fait que le règne d'un roi des Apxazes intervienne parmi les indications qui permet­tent de dater l'écriture de la Vie de Grigol au milieu du 10e siècle55 est une preuve de l'importance de Γ Apxazeti pour les milieux bagratides56.

La Vie de Grigol mentionne trois, et sans doute quatre membres de la lignée du fondateur, un certain Leon Ier, dont on ne sait à quelle date il avait relevé le titre royal et qui mourut en 798 pour les uns, en 810/811 pour les autres57. Ce roi Leon eut trois fils, dont seul le second, Demet're Ier, est mentionné, un peu longuement, dans la Vie de Grigol 58 ; le règne de Demet're Ier est usuellement daté de 825 à 861 ou de 836/837 à 871/87259. Mais ces dates sont difficilement compatibles avec les données d'un autre texte hagiographique écrit au début du 9e siècle, la Passion d'Habo de Tbilisi, dans lequel on apprend que le roi Demet're accueillit, vers 782, en son royaume où il fut baptisé le jeune Arabe Habo qui appartenait à la suite du prince géorgien Nerse60. Ce texte conduirait donc à anticiper considéra­blement les débuts du règne de Demet're et par là même la fondation du royaume des Apxazes. Demet're eut pour successeur son frère Giorgi Ier, qui mourut en 868 ou en 877/878.

La Vie de Grigol cite deux autres rois, K'ost'ant'i et son fils Giorgi. K'ost'ant'i Ier est un petit-fils de Demet're Ier; les dates de son règne sont particulièrement difficiles à préciser ; on peut placer le début vers 894, la fin vers 922 ou 923, en tout cas avant 92561 ; son fils Giorgi II lui succéda jusqu'en 957. Tous deux furent connus du patriarche Nicolas le Mystique.

La Vie de Grigol mentionne enfin «le grand souverain Bagrať Šaroeli», dont la fille fut la malheureuse première épouse d'Adarnerse62. Le terme de souverain est employé fréquemment dans la Vie de Grigol comme un équi­valent de roi pour désigner les princes bagratides63. Il convient donc de chercher ce Bagrať dans la lignée royale. Or, d'après les sources géor-

54. Chronique du Kartli (cité n. 52), p. 252 et 259 ; Vie et Histoire des Bagratides (cité n. 52), p. 379.

55. Chap. 83, p. 2608. 56. Sur l'évolution de l'Apxazeti dans la première moitié du 10e siècle : MARTIN-HISARD,

Constantinople (cité n. 18), p. 459-465. 57. On trouvera dans l'article cité à la note précédente la bibliographie relative à la data­

tion des différents règnes des rois des Apxazes ; on ne retient ici que les conclusions usuelles, toujours discutables.

58. Voir les chapitres 19-21. 59. Il succéda à son frère Teodosi Ier, qui régna jusqu'en 825 ou 836/837. 60. Les développements fondés sur la Passion d'Habo de Tbilisi reprennent des conclu­

sions que j'ai développées dans deux séances de séminaire tenues à Paris I, en décembre 1999 et janvier 2000, séances qui feront l'objet d'une prochaine publication. Consacrée à Habo, la Passion est riche d'informations précises sur la situation politique du monde géorgien dans les dernières décennies du 8e siècle et particulièrement sur le prince Nerse dont on reparlera plus loin.

61. MAIOIN-HISARD, Constantinople (cité n. 18), p. 460 n. 685. K'ost'ant'i est un petit-fils de Demet're Ier et non de Giorgi comme je l'ai écrit par erreur dans cet article, p. 460.

62. Chap. 56,1. 1906-1907. 63. Voir plus bas, p. 17.

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giennes, à la mort de Giorgi Ier qui ne laissait pas d'enfant, vers 868 ou 878, sa femme écarta le seul héritier survivant du trône, le second fils de Demet're Ier, Bagrať, pour imposer un prince local, Ioane Šavliani, auquel succeda son fils Adarnase. Vers 882, Bagrať qui s'était réfugié à Constantinople reprit le trône avec l'aide des Byzantins64. C'est à lui que succéda vers 884 K'ost'anti Ier, son fils. On affirmerait avec plusde certi­tude que ce Bagrať Ier n'est autre que le grand souverain Bagrať Šaroeli de la Vie de Grigol si l'on pouvait expliquer le deuxième élément de son nom, Šaroeli65. S'il s'agit bien de lui, c'est donc bien une princesse de haut lignage que le Bagratide Adarnerse avait épousée, sans aucun doute avant l'exil de son père, quand celui-ci faisait figure de futur roi des Apxazes66.

2. Nerse

La Vie de Grigol mentionne un personnage nommé Nerse qualifié de «grand éristav» et encore de «souverain» dans la «maison royale» duquel fut élevé Grigol et dont la femme est qualifiée de dedopali, dame, reine67.

On en proposera l'identification suivante. À la suite du traité de capitulation conclu avec Tbilisi au milieu du

7e siècle et renouvelé par al-Djarrâh en 73068, les Arabes nommèrent dans la ville un représentant indigène de la population qui porte dans les textes géorgiens le titre ďerismtavari 69ou parfois simplement de grand éristav70. Ce fut le cas d'un certain Nerse, mentionné dans diverses sources géor­giennes ; il appartenait à une eminente famille qui avait eu des liens avec l'Empire byzantin, puisque, selon la Passion d'Habo de Tbilisi, son père Adarnerse portait le titre de curopalate71. Tel est très vraisemblablement le Nerse de la Vie de Grigol.

La date de la nomination de Yerismtavari Nerse est inconnue ; en revanche on sait avec certitude, toujours par la Passion d'Habo, qu'il fut arrêté en 772 par les Arabes et détenu à Bagdad ; libéré en 775 par le nou­veau calife al-Mahdi, il revint à Tbilisi, accompagné du jeune parfumeur arabe Habo, et il retrouva ses fonctions jusque vers 780 ; il s'enfuit alors chez les Khazars, avec toute sa famille72. Les Arabes nommèrent son neveu

64. Sur cette succession d'événements: Chronique du Kartli (cité n. 52), p. 258-261. Adarnase aurait régné jusque vers 882.

65. Le suffixe -eli du mot est une indication d'origine, géographique vraisemblablement. 66. La répudiation de sa première épouse a pu être facilitée par l'exil de Bagrať ; à son

retour, Adarnerse était mort (entre 867 et 881). 67. Voir le chap. 2. 68. MINORSKY - BOSWORTH (cité n. 22), p. 490; D. M. DUNLOP, І- ., El 2 , 1965,

p. 494-495. 69. C'est-à-dire prince ou chef (mtavari) du peuple (eri) ; sur ces deux mots, voir plus bas,

p. 18. 70. Compte tenu du morcellement qui caractérise alors le monde géorgien, l'étendue terri­

toriale et la nature de la juridiction de ce personnage nous échappent. Les Arabes eurent la même pratique en Arménie où elle conduisit à l'émergence décisive des Bagratuni.

71. On reviendra sur ce titre dans le commentaire. 72. Les raisons de cette fuite nous échappent ; elles peuvent être liées à la nomination

d'Häran au gouvernement des régions caucasiennes. La Passion précise que la mère de

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St'ep'ane comme erismtavari en 782/783. Après le bref séjour en Apxazeti évoqué plus haut, Nerse revint à Tbilisi en 785 ; sa trace se perd alors et il n'est pas mentionné dans la répression à laquelle se livra le gouverneur arabe Khuzayma ibn Khäzim à la fin de cette même année pour châtier un nouveau mouvement de révolte en Armlniya73.

Grigol, qui était né en 759, était le neveu de la femme de Nerse ; son père était le frère de celle-ci. Grigol appartenait donc à un haut lignage, apparte­nance qui ne doit pas être étrangère à la volonté de certains d'en faire un évêque, peut-être l'évêque de Tbilisi où devait se trouver le palais de Nerse. De cette appartenance le curopalate Ašoť fut soigneusement informé plus tard74.

D'après l'hagiographe, Grigol s'enfuit du palais de Nerse pour éviter d'être nommé évêque ; il devait donc avoir au moins une vingtaine d'années ; son départ pour le K'iarjeti se situerait au plus tôt vers 779 et il a donc pu coïncider avec la fuite de son oncle Nerse chez les Khazars75 ; Grigol a ainsi pu connaître dans le palais de Nerse, entre 775 et 779, le jeune Habo, ce qui peut expliquer qu'il ait plus tard composé des sticheres en son honneur, vers 820-83076.

3. Ašoť et les Bagratides L'histoire des débuts de la fortune politique des Bagratides au Kartli, de

leurs liens avec les familles géorgiennes antérieurement attestées, des fon­dements byzantins de leur autorité, de leurs rapports avec la puissance arabo-musulmane alimente d'incessantes controverses dont la finalité n'est pas toujours scientifique. On en restera ici aux données qui permettent d'éclairer la Vie de Grigol.

Après 786 et la disparition de St'ep'ane, il est vraisemblable, mais non prouvé, que les Arabes ont choisi le nouvel erismtavari dans une famille, non impliquée ou peu impliquée dans les mouvements de révolte précédents ; c'est en tout cas le moment où la famille des Bagratides com­mence à mieux sortir de l'ombre77, encore que l'on ignore à quel moment

Nerse, sa femme, ses enfants et tous les gens de sa maison avaient également quitté le Kartli, emportant leurs biens.

73. L'exécution d'Habo en janvier 786 relève de cette répression, de même que celle d'un jeune prince ibère (évoquée par l'historien arménien Lewond) qui pourrait être St'ep'ane. Nerse était peut-être mort à cette date. Ce pourrait être le moment où la mère de Grigol vint rejoindre son fils au K'iarjeti.

74. Chap. 11,1.476-479. 75. On ne peut donc exclure que le départ de Grigol s'inscrive dans ce contexte familial.

Faire coïncider ce départ avec la détention de Nerse à Bagdad pourrait être tentant ; mais Grigol n'avait que treize ans en 772. La date de 785 est également tentante, mais elle implique que Grigol soit resté à Tbilisi après le départ de son oncle et de toute sa famille, ce qui est peu vraisemblable.

76. Ed. P' INGOROQ'VA (cité n. 5), p. 080-085. 77. L'histoire de l'Arménie, mieux connue pour cette époque, montre que les Arabes pra­

tiquèrent constamment, au gré des circonstances politiques, une politique de bascule entre les familles indigènes sur lesquelles ils s'appuyaienL II serait étonnant qu'ils ne l'aient point fait au Kartli.

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exactement Ašoť devint cet erismtavari, avec une juridiction qui aurait été large78.

D'après les sources géorgiennes, la consolidation des Arabes au Kartli Intérieur et à Tbilisi contraignit Ašoť à la fuite, tandis que Tbilisi passait sous le contrôle permanent d'Arabes qui commencèrent à lever un impôt79 ; cela recoupe les données des textes arabes qui évoquent les perturbations créées au Kartli Intérieur par l'action personnelle des premiers Shu'aybides entre 809 et 81980. Telle est sans doute la décennie dans laquelle a dû se placer la fuite d'Ašoť vers les régions où Grigol s'était lui-même installé, vingt ou trente ans auparavant, selon la datation suggérée plus haut.

Il n'est pas question de retracer ici l'histoire de l'implantation et du développement des Bagratides au K'iarjeti et dans les régions voisines. Le commentaire reviendra sur certains de ces aspects. On s'arrêtera simple­ment ici à certains termes du vocabulaire politique employé par l'hagio-graphe pour parler des Bagratides en particulier.

Entre le moment où Grigol s'installa dans le K'iarjeti vers la fin du 8e siècle et l'écriture de la Vie en 951, les régions décrites plus haut connu­rent des transformations politiques considérables. En partie dominées par l'Empire byzantin au 6e siècle et en partie partagées entre les mouvances arménienne et géorgienne, elles étaient au milieu du 7e siècle dans un état de morcellement que les Arabes exploitèrent pour signer des traités de capi­tulation avec la plupart d'entre elles ; elles ne furent pas à proprement parler occupées, mais, ainsi qu'on l'a dit plus haut, intégrées à la province d'Armïniya dont la forteresse de Qâlïqalâ, au sud du T'ao, marquait la fron­tière face à l'Empire byzantin. Dès la fin du 8e siècle, le renforcement de la puissance byzantine, autour de Trébizonde, était net sur le littoral, plus fra­gile mais réel dans la Chaldie intérieure, où Byzance contrôlait le défilé qui permettait à la fois de gagner Sper sur le C'oroxi et de surveiller Qâlïqalâ. C'est vers l'Empire et dans cette direction que s'enfuit le Bagratide Ašoť au début du 9e siècle ; il traversa le Javaxeti où il remporta une victoire sur ceux qui le poursuivaient ; il décida alors de s'arrêter, de l'autre côté du Kur, dans le K'iarjeti où il restaura Art'anuji.

La famille bagratide était anciennement implantée dans ces territoires théoriquement dominés par les Arabes, mais concrètement aux mains de diverses familles, plus ou moins importantes et ramifiées81 ; les Bagratides étaient l'une d'elles, comme celle des Dapančuli au K'iarjeti ou celles de Mirean et d'Eprem au Samcxe82. Les chefs de ces familles sont appelés mtavami, terme formé sur tavi, c'est-à-dire tête, chef, et que l'on a traduit

78. Elle comprenait le Kartli et ses confins et elle se serait même étendue jusqu'à Bardav, d'après la Vie et Histoire des Bagratides (cité n. 52), p. 376, probablement exagérée.

79. Vie et Histoire des Bagratides (cité n. 52), p. 376 ; Chronique du Kartli (cité n. 52), p. 250-252.

80. LAURENT - CANARD, L'Arménie (cité n. 26), p. 134, 459 n. 65, 555. MINORSKY -BOSWORTH (cité n. 22), p. 490.

81. Chaque famille constitue un t'omi, une tribu : chap. 7,1.281, chap. 62,1. 2054. 82. Chap. 9,1. 369 ; chap. 19,1. 690 et chap. 23,1. 809-822 ; chap. 62,1. 2054.

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par prince. Ces princes et les membres de leur maison se targuaient d'être des aznaurni, mot que l'on a simplement francisé en aznaur et qui combine les deux notions de liberté et de supériorité ou de prééminence conférée par la liberté83 ; cette prééminence est parfois soulignée par des qualificatifs : didi, grand ; didebuli, noble; c'arănebuli, eminent84. Ces princes dispo­saient librement de leurs biens85 et veillaient sur les gens de leur maison86.

La condition d'aznaur et de prince n'excluait pas la reconnaissance d'une autorité politique supérieure; c'est cette autorité que la famille des Bagratides réussit à imposer dans le K'iarjeti et les régions voisines. C'est pourquoi, si les Bagratides peuvent être qualifiés de princes comme d'autres, eux seuls en revanche sont qualifiés de qelmcipeni. Le mot de qelmc'ipe, formé sur qeli, qui signifie à la fois main et force, désigne celui qui détient le pouvoir, la potestas, Yexousia ; on l'a rendu par souverain. La souveraineté appartenait à toute la famille des Bagratides87. Ceux-ci sont encore appelés mepeni, rois. Sans déterminatif, ce titre appartient lui aussi collectivement à toute la famille des Bagratides ; mais son emploi se restrei­gnit au fil du temps et des générations, tout en se précisant ; au début du 10e siècle, il est porté par le seul chef de l'une des branches de la famille, qui s'intitule roi des Kartvéliens88.

L'origine du titre royal des Bagratides est complexe. Non défini, le titre s'appuie sans aucun doute sur le fait que les Bagratides se considèrent comme étant de qualité royale, en raison de l'origine davidique qu'ils se donnent89. Il s'appuie aussi sur le fait qu'Asot', en tant au'erismtavari à Tbilisi, exerçait en partie l'ancienne fonction des rois du Kartli, abrogée par les Perses à la fin du 6e siècle90. Cependant, dans le cas des Bagratides, leurs prétentions idéologiques et leur privilège historique n'auraient proba­blement pas suffi au K'iarjeti sans une puissance matérielle réelle acquise par le succès de leurs opérations militaires, succès qui permet de les quali­fier de mplobelni, des conquérants, des dominateurs91. La Vie de Grigol est à ma connaissance le seul texte évoquant une cérémonie religieuse de remise des armes, ce qui donne aux guerres des Bagratides contre les musulmans une coloration particulière92 ; elle est peut-être aux origines du

83. Aznauri dans le Nouveau Testament signifie à la fois libre (Mt 17, 26) et de haut rang (Ac 13,50; 17,12).

84. Ainsi chap. 2,1. 52 ; chap. 9,1. 368, chap. 19,1. 690 ; chap., 23,1. 814. 85. Voir la donation de Gunatle par les Dapančuli, chap. 9,1.418-426. 86. C'est le cas de la mère de Grigol, chap. 29,1. 1118-1119 et 1131-1132. 87. Voir chap. 9,1. 367 ; chap. 14, 24. 88. Comparer chap. 24,1. 894 et chap. 83,1. 2606. 89. Cette origine est évoquée chap. 11,1. 505. 90. On retrouve une terminologie similaire à la même époque chez les Apxazes, où le titre

royal disparu au 6e siècle a été également relevé : voir plus haut, p. 12. Demet're est «roi des Apxazes» (chap. 19,1. 698), «souverain» (chap. 20,1. 711). C'est sur ce vocabulaire que l'on s'est appuyé pour proposer une identification du «souverain» Bagrať Šaroeli.

91. Ainsi, chap. 9,1. 365 ; chap. 14,1. 591 ; chap. 24,1. 895 ; chap. 27,1. 1016. 92. Voir la cérémonie évoquée au chapitre 27, notamment 1.1008-1009.

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18 BERNADETTE MARTIN-HISARD

cérémonial d'investiture des rois, plus tardivement attesté93. En tout cas, la dimension religieuse du pouvoir souverain imprègne profondément la Vie de Grigol.

À l'intérieur de la famille des Bagratides, il y a cependant des facteurs de différenciation.

Le premier est dû à l'Empire byzantin. Jusqu'à l'apparition du titre de roi des Kartvéliens, porté par le chef de la lignée, ce chef se signale par le titre de curopalate94. Or la curopalatie est conférée par Constantinople à un seul membre de la lignée à la fois, selon une tradition historique sur laquelle nous reviendrons. La Vie de Grigol connaît ainsi cinq curopalates95 : les quatre premiers : Ašoť, son fils Bagrat', le fils de celui-ci Davit', puis Gürgen dans la lignée d'Adarnerse ; elle omet ce titre dans la titulature du roi Adarnerse pour citer son fils Asoť qui fut le sixième curopalate.

Un autre titre, proche de celui de roi, mais inférieur, distingue enfin un membre de la famille, le titre de mampali, francisé en mampal96. Lié à la possession de certains territoires, il pourrait correspondre au titre plus ancien dep'it'iaxsi des Ibères97. Porté d'abord par le troisième fils d'Asot', Guaram98, dont la lignée s'éteignit rapidement, il caractérisa ensuite une partie de la lignée d'Adarnerse99.

Le développement de la puissance souveraine des Bagratides conduisit à faire des autres princes des «aznaurs du roi»100 ; et tout se passe comme si peu à peu l'emploi du titre de prince tendait à se restreindre au bénéfice des Bagratides, les seuls véritables princes101. C'est en tout cas dans cette période que le terme tend à s'effacer tandis que se développe celui d'eris-tavni, composé de tavi, tête, chef, déterminé par eri, qui désigne un peuple, une armée, puis un groupe humain précis102. Le terme d' eristavi, francisé en éristav faute de pouvoir le traduire sans déformation, semble donc désigner le représentant du pouvoir d'un souverain dans une région, probablement, mais pas nécessairement, issu d'une famille locale ; il a principalement des fonctions militaires ; eristavi reprend donc l'acception d'erismtavari, mais à une moindre échelle ; c'est ainsi que le prince et aznaur du roi Gabriel peut

93. Sur ce cérémonial : B. MARTIN-HISARD, Le roi géorgien médiéval : christianisme et influences iraniennes, Les Assises du pouvoir. Temps médiévaux, territoires africains, pour Jean Devisse, Saint-Denis 1994, p. 129-139.

94. Voir MARTIN-HISARD, Constantinople (cité n. 18), p. 437-444. 95. Voir le stemma et l'index de la traduction. 96. Voir MARTIN-HISARD, Constantinople (cité n. 18), p. 430 n. 483, p. 441 et n. 574. 97. Sur ce titre souvent traduit par vitaxe : C. TOUMANOFF, Studies in Caucasian History,

Washington DC 1963, p. 263 (11) et 489 ; B. MARTIN-HISARD, Christianisme et Église dans le monde géorgien, L. PIETRI éd., Les Deux Églises. L'Occident latin et l'Orient byzantin (432-610), Paris 1998 (Histoire du christianisme 3), p. 1169-1239, notamment p. 1174-1175.

98. Chap. 42,1. 1456. 99. La Vie de Grigol n'en cite qu'un, Davit, chap. 83,1. 2611. 100. C'est le cas de Gabriel Dapančuli, 1. 839. 101. D'où l'expression de «principat sur les Kartvéliens» employé à leur sujet, chap. 9,

1. 365-366, ou encore chap. 11,1.507. 102. Eri sert ainsi à désigner la famille large des Dapančuli, chap. 9,1.421.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 19

aussi être appelé erismtavari103. Le développement du titre d'éristav entraîna un nouveau titre chez les Bagratides, celui d'éristav des éristavs, trois fois attesté dans la Vie de Grigol104.

Celle-ci porte enfin témoignage de l'importance de la famille des Bagratides dont dix-sept membres sont nommément cités, appartenant aux deux grandes lignées issues d'Ašot' par ses fils Adamerse et Bagrat' ; la lignée issue du troisième fils Guaram ne dépassant pas la fin du 9e siècle. Le stemma qui suit est réduit aux individus cités dans le texte (indiqués en petites majuscules) et à quelques rares autres (indiqués entre crochets et en minuscules) dont les noms apparaîtront dans le commentaire ; les précisions qui accompagnent les noms proviennent de la Vie et Histoire des Bagratides qui indique les dates de décès de la plupart des membres de la famille ainsi que tout ou partie de leur titulature105.

STEMMA DE LA FAMILLE DES BAGRATIDES IBÈRES

AŠOT' (t 826) 1er curopalate

ι I. ADARNERSE t v. 867-881

1. BAGRAT' t 876

A. GUARAM t 882

Première lignée (I) issue d'Adarnerse

I. ADARNERSE

t v. 867-881

II. GÜRGEN

t 891 4e curopalate

III. SUMBAT' t 889

mampal

IV. ASOT' le Non-Mûr 1918 éristav des éristavs

<V. Adarnerse> <VI. Bagrat'> t 896 t 909

I mampal

(plusieurs filles) Ѵ . GÜRGEN le Grand 1941

éristav des éristavs

<LX. Asoť> 1932

Ѵ . DAVIT le Grand 1943

mampal

X. SUMBAT' 1988 éristav

103. Chap. 11,1.476. 104. Chap. 28, 1. 1064 et 1080 ; chap. 83,1. 2609. Il peut correspondre au titre ancien de

sp'ap'et', que portait le commandant en chef des années du royaume, l'équivalent du spara-pet arménien.

105. Comme on l'a dit plus haut (n. 52) il existe une édition de ce texte, mais pas de tra­duction. Il a été utilisé par TOUMANOFF, Manuel de Généalogie et de Chronologie pour l'histoire de la Caucasie chrétienne (Arménie, Géorgie, Albanie), Rome 1976, pour dresser ses schémas très complexes de la famille des Bagratides.

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20 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Deuxième lignée (1) issue de Bagrat'

1. BAGRAT' t 876

2e curopalate I

2. DAVIT t 881

3e curopalate i

3. ADARNERSE t 923

5e curopalate roi des Kartvéliens

I <4. Davit>

947 roi

5. AŠOT' t 954

6e curopalate

6. SUMBAT' t 958

éristav des éristavs 7e curopalate

7. BAGRAT' t 945

magistre I

8. ADARNERSE t v. 961 magistre

8e curopalate

9. BAGRAT' t v. 966

éristav des éristavs

Troisième lignée (A) issue de Guaram

A. GUARAM t 882

mampal

<B. Nasra> t 885

<C. Ašoť> t 869

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 21

I I . TRADUCTION

La traduction que nous proposons repose sur l'édition de K'. K'ek'elije, publiée par I. Abulaje106, dont la pagination est indiquée en marge du texte et en caractères gras. La division en chapitres est celle qui figure dans le manuscrit. Le sigle <...> indique une addition destinée à faciliter la com­préhension du texte. Le sigle [...] propose une modification du texte édité, modification justifiée en note. Le sigle {...} indique une lacune du manus­crit ou un mot non déchiffré par l'éditeur.

Les notes ont été limitées à l'explication de certains termes géorgiens107, à des remarques concernant la traduction et aux références bibliques. Pour les toponymes et les principaux personnages mentionnés dans le texte, on se reportera à Γ index qui suit la traduction et qui indique, outre les lignes de la traduction, les pages de l'introduction où figurent les explications néces­saires.

Les ouvrages cités en abrégé dans les notes sont les suivants :

ABULAJE = I. ABULAJE, Jveli kartuli enis leksik'oni. Masalebi (Dictionnaire de la langue géorgienne ancienne. Matériaux), Tbilisi 1973. K'EK'ELIJE = K'. K'EK'ELIJE, Liturgičeskie gruzińskie pamjaîniki (Les monuments liturgiques géorgiens), Tiflis 1908. MENABDE renvoie à la traduction russe de N. Marr reprise par cet auteur108 . MARTIN-HISARD renvoie à B. MARTIN-HISARD, «Christianisme et Église dans le monde géorgien», cité n. 18. MOLITOR = J. MOLITOR, Glossarium ibéricum 2 vol., Louvain 1962, (CSCO 228 et 237, Subsidia 20 et 21). PEETERS renvoie à la traduction latine de P. Peeters, citée n. 7. SARJVELAJE = G. SARJVELAJE, Jveli Kartuli enis leksik'oni, Masalebi (Dictionnaire de la langue géorgienne ancienne-Matériaux) Tbilisi 1995. TCHOUBINOF = D. TCHOUBINOF, Dictionnaire géorgien-russe-français, Saint-Pétersbourg 1840. TSCHENKELI = K. TSCHENKELI, Georgische-Deutsche Wörterbuch, 3 vol., Fribourg 1987.

106. Citée n. 6. 107. Les termes géorgiens sont cités dans leur forme nominative. 108. Voir n. 3 et 8.

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22 BERNADETTE MARTIN-HISARD

TRADUCTION

248 « Labeur et combat de la digne vie de notre saint et bienheureux père Grigol, archimandrite, fondateur de Xancta et de Šat'berdi, et mémoire de nombreux bien­heureux pères avec lui.

- Lecture -5 Père, bénis-nous.

CHAPITRE 1 La digne sagesse a été donnée à la nature des vrais sages par la source du bien, le

Christ, Dieu de l'univers. Aussi est-il demandé aux sages dont la prudence est par­faite de philosopher109 et aux insensés qui connaissent {...} d'écouter en silence les

10 sages110. Maintenant les insensés philosophent, mais les sages { } U 1 ; ils n'ont pas pu comprendre qu'«une parole sage est argent pur, mais que le silence est or éprouvé», comme dit Salomon112.

Car, lorsque le silence des sages grandit, alors «leur sagesse est proclamée par les rues»113, car leur langue ne profère pas de vaines paroles et ne tient pas des pro-

15 pos médisants dans la mesure où ils s'emploient à rechercher activement la récom­pense114, à pratiquer en toutes choses la pureté dans la justice avec dignité et, par amour de Dieu, à chanter des hymnes en offrant sans cesse intelligemment des prières comme dit l'Apôtre : «Priez sans cesse»115.

Mais comme je ne suis pas capable de prier sans cesse et que je suis plus petit 20 que n'importe quel insensé, mon imperfection m'empêche de me taire et j ' a i jugé

préférable à tout autre chose de parler de la digne vie de ces hommes théophores, de notre bienheureux père Grigol et de ses amis et disciples, avec la grâce et l'aide de Dieu, dans toute la mesure où je pourrai faire connaître en vérité aux auditeurs les

249 récits qui viennent des disciples | du saint et des disciples de ses disciples. Par l'in-25 tercession de ces bienheureux puissé-je, en écrivant ces mots, trouver l'allégement

de mes fautes en ces deux vies.

2 Par la grâce de la sainte Trinité incréée, qui aime l'homme d'une manière qui

nous est incompréhensible, les grands ermites116 qui se sont enorgueillis de la sainte 30 croix, les saints pères qui s'installèrent autrefois dans les glorieux déserts117 du

K'iarjeti et y vécurent dignement ont été inscrits pour l'éternité avec les anges dans

109. Sibrjnis-met'q'ueleba (1. 3): philosopher; voir ABULAJE, p. 389. Ce premier para­graphe repose sur le début de la première Épître aux Corinthiens, consacré au thème sagesse / folie.

110. Le mot non déchiffré a entraîné plusieurs interprétations ; ainsi MENABDE, p. 107 : «et aux insensés qui réalisent {leur faiblesse}...»; PEETERS, p. 216, 1. 7-8: «stulti autem pru­dentes {huius mundi} silentio sapientibus aurem praebere».

111. Trois mots très incomplètement déchiffrés, le premier pourrait être un verbe, le second une forme de dumili, silence. MENABDE, p. 107, propose en simplifiant : «les sages gar­dent le silence» ; PEETERS, p. 216,1. 9 : «dum eos silentio sapientes auscultant».

112. Citation non identifiée. 113. Pr 1,20. 114.VoirMt5,12; 6, 1,2,5, 16. 115. lThess5,17. 116. Meudabno (1. 7) : celui qui vit dans le désert ; voir note suivante. 117. Udobno (1. 7) : désert, littéralement : endroit sans village (dabo).

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VBE DE GRIGOL DE XANCTA 23

les cieux, dans le Livre des Vivants118. Pourtant, à cause de ce que j 'a i dit plus haut, on n'avait pas encore mis par écrit, dans le territoire du Kartli119, leur vaillante patience, leur saint labeur agréable au Seigneur et la multitude de leurs miracles ; il

35 fallait donc les écrire pour les faire connaître à tous, de génération en génération, éternellement, afin que le peuple à venir loue le Seigneur en la fête de leur commé­moration.

Or, maintenant, avec le cours du temps, leurs miracles sont tombés dans un oubli profond ainsi que les bonnes œuvres et la vie immaculée de ces admirables bien-

40 heureux, bien dignes d'être commémorés et admirés, eux qui resplendissaient tels des astres au firmament du ciel, sous ce soleil visible et passager, et qui exultent maintenant, illuminés par l'Esprit dans la lumière infinie, et ils ne cessent d'intercé­der pour nous, joyeux d'avoir reçu ce que le Christ avait promis, puisqu'ils ont reçu dans les cieux, en échange de leurs labeurs, la joie et l'allégresse infinies, inépui-

45 sables, indicibles. Parmi ces bienheureux resplendissait, comblé de grâce et accompli en sagesse, le

grand prêtre, le bon intendant zélé120, celui qui transforma les déserts en villes, l'homme du ciel et l'ange de la terre, le bienheureux Grigol, le père spirituel, l'hi-goumène121 et fondateur de Xancta et de Šaťberdi, les deux glorieux monastères,

50 lui qui est devenu le modèle du bien pour tous les pères ermites d'aujourd'hui, en leur nouvelle fondation122.

Il était le fils de parents éminents, nobles et orthodoxes123 ; et il fut élevé dans la maison royale du grand éristav Nerse124 par les soins de la pieuse dame125, l'épouse de Nerse, qui l'avait adopté, car c'était le fils de son frère126. Il fut dès le sein mater-

55 nel consacré à Dieu par sa mère, comme le prophète Samuel127, et il grandit dans le jeûne, comme le Précurseur128 ; en effet, dès l'enfance, ni vin ni viande n'entrèrent dans sa bouche129, car il avait donné son âme comme demeure au Christ et il avait aussi revêtu la forme de la vie monastique130, car il s'était dégagé des jeux des enfants et de toute agitation humaine et il vivait, solitaire131, dans la demeure qui lui

60 avait été assignée en propre ; c'est pourquoi on lui donnait le nom d'hésychaste132.

118. Voir Ps 69 (68), 29 ; Ap 20,15 ; 22, 19. 119. Il faut ici comprendre Kartli au sens large de territoire de langue kartvélienne, voir

1. 1591-1593. 120. Ganmgebeli (I. 24) : intendant, administrateur, gérant. 121. C'inamjhiari (1. 25) : celui qui marche devant, qui trace la route, guide, higoumène. 122. Axlad šenebasa matsa (1. 27) ; šeneba : construction, fondation, édification. MENABDE,

p. 108 : «dans leur nouvelle construction» ; PEETERS, p. 218,1.13 : «quibus herum excitandis». 123. Sur ce vocabulaire, voir p. 17. Martlmorcmune : orthodoxe : la précision se comprend

par rapport à la peur des hérésies dont témoigne le texte (ainsi, plus bas, 1. 2422-2460). 124. Sur le mot eristavi et sur le qualificatif de royal appliqué à la maison de Nerse, voir

plus haut, p. 14 et 18. 125. Dedopali (1. 31) : dame, reine. 126. Sur Nerse, voir plus haut, p. 14-15. 127. Voir 1 Sam 1,11-27. 128. Voir Le 1,15. 129. Voir Dn 10,3. 130. Xat'i monazonebisa (1. 36-37) qui se retrouve à différentes reprises plus bas.

L'expression renvoie à l'entrée dans la vie monastique par une cérémonie de vêture qui modi­fie l'apparence (xat'i) et qui est accomplie en présence ou sous l'égide de moines plus avan­cés. La prise du scheme est une cérémonie distincte (voir chap. 35,1. 1287). PEETERS, p. 218, 1. 22 : «vestitus erat ritu monastico».

131. Mart'o (1.37). 132. Daq'udebuli (1. 39): hésychaste; d'après daq'udeba, calme, paix; voir ABULAJE,

p. 130. Le sens est donc différent de celui de anachoreta retenu par PEETERS, p. 218,1. 25.

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24 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Sa faculté d'apprendre était très admirable; ainsi il apprit rapidement le 250 Psautier133 et un enseignement transmis | oralement en matière ecclésiastique <et>

doctrinale134. Il étudia tout dans la langue kartvélienne, il apprit aussi à lire et à écrire en de nombreuses langues135 et il connaissait par cœur les Livres divins. Mais

65 il étudia aussi parfaitement la sagesse des philosophes de ce monde et il accueillait toute bonne parole qu'il trouvait et il rejetait celle qui était inutile136. Sa perfection se répandit et devint célèbre auprès de tous. Mais il méprisait la sagesse séculière de ce monde, selon la parole de l'Apôtre : «Dieu a rendu folle la sagesse de ce monde»137. Sa parole était assaisonnée du sel de la grâce. Lorsqu'il parlait, il

70 ouvrait la bouche avec sagesse et assignait une mesure à sa langue. Et, en même temps qu'en taille, il croissait d'une belle vertu ; car il n'était pas, comme un jeune homme, arrogant et amateur de mets savoureux, mais il disait en lui-même la parole du prophète Daniel : «Je ne mangerai pas de pain savoureux»138 ; ainsi le bienheu­reux Grigol, humble de cœur et pauvre en esprit, paisible de comportement et misé-

75 ricordieux d'esprit, prenait une pauvre nourriture pour fortifier son corps ; car la racine de la sainteté fut toujours plantée dans son cœur, faisant pousser les germes de la piété, et le plant de la vraie foi grandit dans son âme et le fruit de l'amour de Dieu se multiplia en lui. Et, doté de tant de belles dispositions, le sacerdotal jeune homme139 vivait agréable à Dieu. Il était grand d'allure, le corps mince, la taille par-

80 faite, accompli en tout, le corps sain et l'âme immaculée.

3 Alors les souverains140 qui l'avaient élevé et sa bienheureuse mère et la foule du

peuple voulurent que le bienheureux soit consacré prêtre. Et les princes141 et sa mère lui dirent : «Fils, serviteur très bon et très fidèle du Christ, voici qu'est arrivé

85 le temps dont le prophète David a parlé en disant : "Qui montera sur la montagne du Seigneur et qui se tiendra dans son lieu saint, sinon celui dont les mains sont inno­centes et le cœur pur ?"142. Et maintenant le Christ t'a trouvé, les mains innocentes et le cœur pur, pour que tu montes sur la montagne du Seigneur et que tu te tiennes dans son lieu saint pour offrir le saint sacrifice non sanglant, en raison de tes

90 mérites et pour l'espoir de nos âmes et de nos corps»143. Et, en dépit de son amour du sacerdoce, le bienheureux fut troublé à leurs

paroles, la peur tomba sur lui en raison de son jeune âge et il leur répondit : «Vous connaissez la substance des Livres divins144, vous avez compris les canons de la

133. Daviri (1-41)· 134. Sc'avlaj saek'lesioj samojhiroj, (1. 41 et 1). PEETERS, p. 218, 1. 26-27: «doctrinam

ecclesiasticam». 135. Il doit s'agir du grec et de l'arménien. 136. Jerk'uali (1. 4) : ce qui est mauvais, inutile. PEETERS, p. 218,1. 32 : dubium. 137. 1 Cor 1,20. 138. Dan 10, 3. 139. Samłdelo (1. 20) : sacerdotal, spirituel. Grigol n'ayant pas encore été ordonné prêtre,

ce qualificatif signifie digne d'être prêtre, semblable à un prêtre; PEETERS, p. 219, 1. 11 : «vitam ducebat ille iuvenis instar sacerdotis Domino accepţi».

140. Qelmc'ipe (1.23) ; voir plus haut, p. 17. 141. Mtavari (1. 25) ; voir plus haut, p. 16. 142. Ps 24 (23), 3-4. 143. Saso (1. 32) : espoir, confiance, espérance. PEETERS, p. 219,1. 24 : «ad liberationem

animarum». MENABDE, p. 110 : «salut». 144. Jali (1. 35) : force, vigueur, substance, c'est-à-dire ici contenu ou signification.

PEETERS, p. 219, 1. 27: «librorum divinorum sententiam». MENABDE, p. 110: «signification, sens».

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sainte Église catholique définis par les saints apôtres et les bienheureux évêques, les 95 précautions qu'exige le sacerdoce, une totale impeccabilité non seulement en

action, mais aussi en pensée et en paroles. Et, même si Dieu a accepté dans sa lon­ganimité de supporter le sacerdoce d'hommes dévoyés145, il eût mieux valu pour

251 eux n'avoir pas été mis au nombre des hommes plutôt que de devoir subir | pour l'éternité des châtiments sans fin. Et, en ce qui concerne les prêtres fidèles, vous

100 savez bien que <le sacerdoce> est supérieur à toute dignité146 spirituelle et maté­rielle, car c'est le vicariat du Christ, Dieu véritable, qui a dit à ses disciples : "Bienheureux êtes-vous, car beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir et entendre ce que vous voyez et entendez et ils n'ont pas obtenu ce dont vous, vous avez été jugés dignes"147. Et, pour tenir lieu de son sacerdoce, le Seigneur a institué

105 les apôtres comme prêtres et, de succession en succession, tous les prêtres fidèles ; et il a confié par eux au sacerdoce l'espoir de salut des chrétiens et il a scellé par le sacerdoce tous les miracles, les visions des prophètes, les révélations faites aux hommes qui ont vu Dieu. Et maintenant il n'y a pas de salut pour les hommes sans le sacerdoce, au sujet duquel Paul dit : "Dans le Christ je vous ai engendrés par ­vangile"148, et le Seigneur déclare : "Si quelqu'un ne naît pas une seconde fois et ne reçoit pas les saints mystères, il ne pourra entrer dans le royaume des deux."149

Ainsi donc je vois la dignité et je crains le châtiment.»150

Alors les sages princes lui répondirent et lui dirent : «Fils élu du Christ, la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse151 ; comme dit Moïse : "Que te

115 demande Dieu, ô Israël, sinon de le craindre ?"152, car "la crainte du Seigneur aug­mente les jours"153, comme dit Salomon, "car le caractère vénérable de la vieillesse n'est pas un grand âge ni le nombre décompté de jours ; mais la sagesse de l'homme, c'est une tête chenue et l'âge de la vieillesse, c'est une vie pure"154. Et Job dit encore : "Ce ne sont pas ceux qui ont des années qui sont sages et les

120 [anciens] ne connaissent pas le droit"155, mais "<c'est> donc l'Esprit, et l'Esprit du Tout-Puissant qui enseigne la sagesse"156. Le Christ t'a donné la véritable vieillesse de la raison, ne sois donc plus indocile, mais montre-toi obéissant à l'ordre du Christ et sers par le sacerdoce celui qui a souffert pour nous, le Prêtre éternel, et il nous a tous sauvés.»

125 Et le bienheureux Grigol leur obéit et il fut consacré prêtre par la volonté de Dieu, selon la prière de ceux qui l'en avaient prié, ce qui convenait à sa conduite respectueuse des canons divins et à sa constante et juste confession de la sainte

145. Uc'eso (1. 40): déréglé, désordonné. PEETERS, p. 219, 1. 32: «maie moratos». MENABDE, p. 110 : «malhonnêtes».

146. Dideba (1. 2) : dignité, au sens de fonction. 147. Mt 13,17. 148. 1 Cor 4, 15. 149. Voir Jn 3,3, 5. 150. Jeu de mots entre ρ'ar'i vi, dignité (ici la fonction episcopale), etp'at'iži, châtiment. 151. Voir Pr 1,7. 152. Dt 10, 12. 153. Pr 10,27. 154. Sag 4, 8-9. 155. Jb 32, 9. Dans l'édition (1. 24), brjenta, les sages, que l'on corrige, selon la sugges­

tion de Marr reprise par PEETERS, p. 220, n. 5, en berta, les anciens, plus conforme au texte biblique.

156. Jb 32, 8, dont le texte exact est : «En réalité, dans l'homme, c'est l'Esprit, l'Esprit du Tout-Puissant qui rend intelligent». En géorgien, le premier Esprit est suivi de vidreme (1. 25) qui signifie certainement, par conséquent, donc (ABULAJE, p. 158). PEETERS, p. 220, 1. 21 et n. 6 : «Sed spiritus <est in homine> ubicumque <adest>.»

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Trinité. Et ainsi la foule du peuple se réjouit lorsqu'elle fut digne de recevoir de ses saintes mains le corps et le sang du Christ.

130 Ensuite les princes envisagèrent pour lui l'épiscopat ; en effet, tel un ange de Dieu, tous le tenaient pour un maître157 de vérité, ainsi qu'il est écrit : «Les lèvres du prêtre gardent la justice et on recherche la loi à sa bouche, car il est l'ange du Seigneur tout-puissant»158.

4 252 135 | Mais quand le bienheureux Grigol se vit célèbre selon la chair, il en eut le cœur

affligé et il décida de fuir son pays en secret, à l'appel de Dieu qui le guidait lui aussi vers le désert, à l'instar du patriarche Abraham et comme les Israélites. Mais Dieu éloigna Abraham d'une terre de gens infidèles, tandis qu'il fit sortir <Grigol> d'une terre fidèle et pieuse afin qu'il fasse luire dans des déserts vides159 une lampe

140 qui ne s'éteint pas, brillante sur un haut chandelier grâce à une huile qui ne se vole pas160, afin qu'il fasse éclater le bruit et le son de la trompette161, qu'il resplendisse de l'Esprit de force et qu'il guide vers le lieu de la noce l'assemblée de ses saints disciples. Et, comme par la grâce de Dieu, la contemplation, la sagesse et la pureté, il avait compris l'immuable règne, le principat des cieux, dans son désir d'y avoir

145 part, il abandonna la dignité terrestre passagère du royaume des mortels et il se détourna des réalités temporelles et matérielles pour que la lumière intemporelle le guide vers la demeure immatérielle et la gloire immuable du royaume des cieux.

5 Et, pour un si beau dessein et pour ce voyage, il trouva de vrais amis, avec l'aide

150 de la grâce du Christ : Saba qu'on appelait Saban, le fils de la sœur de sa mère, res­taurateur et évêque ďlšxani, Tevdore, fondateur et père de Nejvi, et Krist'epore, fondateur et père de <Saint>-Cyriaque. La foi rassembla ces quatre hommes et l'amour de Dieu les affermit, unis en un même projet, comme une seule âme affer­mie en quatre corps. Alors le bienheureux Grigol dit cette parole de David : «"Qu'y

155 a-t-il de meilleur ou de plus agréable que d'habiter ensemble en frères ?"162 Et puisque le Christ a dit qu'il habiterait au milieu de ceux qui sont réunis en son nom163, que le Seigneur soit lui-même parmi nous pour que notre combat164 spiri­tuel à l'étranger165 lui plaise et que nous lui rendions un culte qui lui soit agréable». Et ils dirent : «Que le Christ notre Dieu soit au milieu de notre fraternité spirituelle,

160 de notre voyage, de notre zèle fragile, selon ta parole, sage Grigol, afin que la force divine habite au milieu de nous !»

Alors, dans une même unanimité, ils se signèrent du sceau de puissance, du signe du Seigneur, de la croix vénérable, et ils s'en allèrent joyeux sur une route qu'ils ne connaissaient pas, mais ils n'étaient pas sans savoir que le Seigneur seul

157. Masc'avleli, 1. 37 : celui qui enseigne. 158. Mal 2,7. 159. Ukmni(i. 7) : vides. PEETERS, p. 221,1. 6 : «vastis incultisque». 160. Ganup'arveli (1. 9): qu'on ne peut voler. PEETERS, p. 221, 1. 7-8: «oleo non

arescente». MENABDE, p. 112 : «une huile inépuisable». Voir Mt 5, 15. 161. Voir Is 58, 1 : «Appelle à plein gosier, ne te ménage pas ; comme la trompette, enfle

ta voix.» 162. Ps 133 (132), 1. 163. Voir Mt 18, 20. 164. Sagroba (1. 28-29) : guerre, combat, comme dans 1 Cor 9, 7 et 1 Tim 1,18 (com­

battre le bon combat) ; voir ABULAJE, p. 354. PEETERS, p. 222,1. 7 : «expeditionem». 165. Ucxoeba (1. 29).

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 27

165 les guidait, qu'il voyait leurs saintes âmes, leur prière incessante comme une source et leurs torrents de larmes. Et il les conduisit d'abord du Kartli à Op'iza166.

Il y avait à Op'iza quelques frères rassemblés pour l'amour du Christ, car il s'y 253 trouvait une sainte petite église du saint | Baptiste ; le nom de leur higoumène était

Amba Giorgi, et c'était le troisième abbé d'Op'iza depuis que Samoel et Andria 170 étaient morts. Quand le bienheureux Amba Giorgi vit le bienheureux père Grigol et

ses amis, il comprit par une intuition divine la grâce de leur sainteté et il les accueillit avec joie, non pas comme des disciples, mais comme ses supérieurs. Il savait spirituellement que des honneurs surnaturels leur seraient accordés par Dieu. Le père Grigol et ses amis restèrent deux ans à Op'iza dans le rude combat du tra-

175 vail167 de la vie monastique, comme c'était la coutume168 des moines de ce temps. Mais le père Grigol aspirait à l'hésychasme dans la solitude, car il avait entendu

parler de la vie angélique des solitaires qui vivaient dans ce vaste désert ; les uns, comme des herbivores, se nourrissaient de légumes et de fruits169 et d'autres d'un peu de pain ; le nom des uns était connu, d'autres étaient tenus secrets. Le saint

180 Grigol allait rendre visite à tous ces bienheureux et en apprenait la bonne conduite : prière et jeûne chez les uns, humilité et charité des autres, paix et douceur pour cer­tains, pour d'autres dénuement et coucher à même le sol ou sommeil assis, chez d'autres [veilles]170 et travail manuel en silence, et bien d'autres vertus semblables. Puis, comblé de ces enseignements spirituels, il revenait dans sa demeure, car il

185 avait entendu ces saints dire : «Que le monde soit confondu par notre conduite !»

6 Il y avait à cette époque un vieillard qui vivait solitaire à Xancta, un homme

juste et saint, qui s'appelait Quedios. Ce bienheureux eut une vision, non pas en songe, mais clairement ; car il vit, sur le saint lieu où s'élève maintenant la sainte

190 église de Xancta, comme un nuage de lumière en forme d'église qui demeura long­temps et un puissant parfum émanait du nuage. Et le bienheureux vieillard entendit une voix qui disait: «En ce lieu une sainte église sera construite par le prêtre Grigol, l'homme de Dieu, et le parfum de ses prières et de celles de ses disciples montera devant Dieu comme un bon encens». Et quand il eut cette vision, il en

195 éprouva une très grande joie, et il attendait le saint annoncé, car il avait l'habitude que Dieu lui envoie des visions. De même le Christ révéla au bienheureux père Grigol la dignité du vieillard et celle du lieu qu'il allait lui donner.

A ce moment, sous la conduite de l'Esprit-Saint, notre père Grigol agréable à Dieu se rendit à Xancta auprès du saint vieillard. Chacun se réjouit grandement à la

200 vue de l'autre et ils firent une prière. Puis le bienheureux vieillard lui dit : «Bénis-moi, saint père Grigol, car tu es prêtre». Et le père Grigol fit une prière. Et ils se

254 saluèrent comme des amis qui s'aiment de longue date | et ils s'assirent joyeux. Et ils se racontèrent la vision qu'ils avaient eue et le bienheureux Grigol lui dit : «Je rends grâces au Christ qui m'a conduit à ta demeure, moi ton fils, et qui m'a rendu

166. Kartli désigne ici le Kartli Intérieur. 167. Luac'le (1. 8-9) : combat, comme dans 2 Tim 4, 7 ; différent du terme plus militaire

brjola : lutte, guerre. Sroma (1. 9) : labeur, travail qui nécessite un effort, de la peine, de la fatigue ; le terme figure dans le titre même de cette hagiographie.

168. Cesi (1. 9) qui a de nombreuses acceptions : usage, coutume, pratique, rite, cérémo­nie, ordre, taxis, règle, typikon (en un sens plutôt liturgique) ; voir n. 236,243,258.

169. Mc'uanvili (1. 13): herbe potagère, verdure, légumes; ABULAJE, p. 311. Xiii (1. 13-14) : fruit.

170. La leçon de l'édition ujlurebasa (1. 20), faiblesse, n'a pas grand sens ici ; on retient, comme PEETERS, p. 223, n. 10, la correction proposée par Marr, uhrulebasa, veille.

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205 digne de vénérer la trace de tes saints pieds, ô élu de Dieu ! Qu'à jamais ta sainte croix soit mon abri et que le secours de tes saintes prières soit mon rempart !» Mais il lui dit : «Bien plutôt, que le fruit de tes saintes prières et ta sainte croix soient tou­jours sur moi, le faible vieillard ! Dans peu de jours, tu me verras devenu poussière, saint de Dieu. Bien que plus jeune que moi par l'âge, tu es mon aîné par les labeurs,

210 et tu seras le bon pasteur de nombreuses brebis raisonnables du Christ, la couronne éternelle et l'espoir de mon âme. Car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont conduit de ton pays en ce désert vide, vénérable père, mais tu as pour te guider la puissance du Fils unique de Dieu, la sagesse de l'Esprit Saint et la grâce de Dieu le Père devant qui toute combinaison et machination de l'Ennemi se défait comme

215 toile d'araignée au vent. Car le Malin connaît l'effroi devant tes vertus qui le cer­nent, tel un méprisable volatile, et le Christ te le fera pleinement fouler aux pieds, saint père !»

Et le bienheureux Grigol lui dit : «Le Christ a promis à ses disciples : "Je suis avec vous tous les jours", et pas seulement avec vous, mais "jusqu'à la fin du

220 monde"171 avec tous les fidèles. C'est ce même Seigneur qui habite en toi, digne père ; qu'il m'accorde par tes prières la victoire sur les démons et sur leurs innom­brables machinations et qu'il te donne, en échange de tes labeurs, le royaume des cieux, selon la parole de l'Apôtre : "Le salaire est compté à celui qui travaille non pas comme une grâce mais comme un dû"172».

225 Après cela le bon vieillard dit au saint père Grigol : «Le prophète dit : "Tes paroles sont plus douces à mon palais que le miel à ma bouche"173, mais le corps a droit au prix du travail, ainsi qu'il est écrit : "<C'est lui> qui donne la nourriture à toute chair, car sa miséricorde est éternelle"174»

Alors, joyeusement, il prépara comme d'habitude la table175 qui seyait à son 230 grand dénuement, et ils la bénirent en rendant grâces et ils commencèrent à manger,

en disant sans cesse la parole qui nourrit l'âme : "Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, aie pitié de nous !". Et ils se délectèrent de ce modeste régal comme de somptueuses nourritures, car Dieu était au milieu de ces saints, joie éternelle et bien inépuisable ;

255 c'est pourquoi ils disaient: «Nous ne sommes pas indigents, mais | comblés de la 235 grâce de trésors inépuisables, invisibles et imprenables». Et quand ils eurent pris de

la nourriture, ils recommencèrent à parler de vie spirituelle et leur conversation dura longtemps, car le jour devint soir et la nuit devint jour, sans qu'ils dorment, dans la prière et la louange à Dieu.

Au matin, saint Grigol visita tous les environs de Xancta qui lui plurent beau-240 coup. Alors il dit au saint vieillard : «Je rentre à Op'iza et j 'irai vite retrouver mes

frères que j ' y ai laissés pour qu'ils viennent avec moi et reçoivent eux aussi la béné­diction de tes saintes prières.» Et quand il arriva à Op'iza, il annonça à ses frères la bonne nouvelle de sa visite au saint vieillard et de ce beau lieu d'habitation donné par Dieu. Et ils allèrent en hâte trouver Amba Giorgi, l'higoumène d'Op'iza, ils

245 reçurent sa sainte bénédiction et celle de tous les frères et ils partirent joyeusement à Xancta.

Us firent une prière et saluèrent le saint vieillard comme un ange du ciel. Et il se réjouit à la vue des bienheureux et il leur dit : «Vous êtes un fruit de sainteté, des

171. Mt 28,20. 172.Rm4,4. 173. Ps 119(118), 103. 174. Ps 136 (135), 25. 175. Tabla (1. 34) : table, couvert, ici au sens de repas ; voir ABULAJE, p. 410 ; alors que

t'rap'ezi, désigne la table du réfectoire (n. 289, 581).

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plantes parfumées, de belles roses, de bonnes dattes, des olives charnues, grasses de 250 l'huile de sainteté, dont la vue aujourd'hui a embaumé ma vieillesse et fait grandir

ma joie comme la corne de la licorne. Désormais vous serez la joie de ce désert, plantés en son milieu, vous qui faites la volonté du Christ.» Et ils lui dirent : «Saint père semblable à saint Antoine, l'honneur de tes paroles à notre sujet dépasse de beaucoup notre nature ; mais que le Christ tout-puissant affermisse ta parole spiri-

255 tuelle de louange et cela nous suffit et que le Seigneur veuille nous accorder la grâce d'être dignement au service de ta sainteté jusqu'à la fin, ô saint de Dieu !» Alors le vieillard leur dit : «Bien que votre cœur se réjouisse de servir ma vieillesse, sachez cependant que, jusqu'à ma mort, si Dieu le veut, je me servirai moi-même. David dit en effet: "Faites des vœux au Seigneur votre Dieu et accomplissez-

260 les"176. Et moi, j 'a i fait vœu au Seigneur de vivre seul jusqu'à ma mort. Je serai donc avec vous en esprit, mais il me faut accomplir concrètement mon vœu.»

Après cela il dit au bienheureux Grigol : «Toi qui ressembles à Élie et à Jean, ô bienheureux parmi les hommes, il y a près de nous une petite grotte ; toi et tes frères, menez-y moi pour que j ' y achève le reste de mes jours, car je ne vais plus

265 demeurer dans mon corps que peu de temps. Mais promettez-moi de ne pas devenir plus nombreux en ce lieu avant ma mort.» Il fit le signe de croix sur sa demeure, et sa parole était un ordre et ils n'osèrent pas discuter ; ils l'accompagnèrent à la grotte et dirent une prière. Et le vieillard dit : «Voici le lieu de mon repos pour l'éternité,

256 j ' y habiterai, car il me plaît.» | Alors ils s'embrassèrent ; les bienheureux donnèrent 270 la paix au saint et ils descendirent à l'endroit que Dieu leur avait indiqué pour en

faire un monastère. Et saint Grigol, l'esprit brisé, en larmes et les bras tendus, prononça la prière sui­

vante :

7 275 «En ce temps où nous sommes étrangers et pauvres, Christ, nous ne craindrons

pas le mal, car tu es avec nous, Seigneur, toi qui nous as préparé ce bel endroit où repose ta volonté. Nous y offrirons sans cesse notre supplication en vue du jour attendu où tu reviendras dans la gloire, Dieu ! Alors l'horreur de l'épouvante et le son de la trompette rempliront d'effroi toutes les créatures, car ils annonceront aux

280 pécheurs les châtiments éternels, mais ils annonceront aux justes la bonne nouvelle du salut éternel. Alors toutes les tribus de la terre177 pleureront parce que tous les pécheurs seront livrés aux coups et aux tourments, et les justes se lamenteront à cause d'eux, car la frayeur que tu inspires remplit d'effroi les innocents. Et elle me fait trembler, car je ne suis pas prêt ; non pas que je sois retenu par les ombres de

285 l'ignorance, mais parce que, dominé par les négligences de la paresse, je crie en soupirant: quand arriveront la délivrance du corps et l'aveu des péchés, puis le renouvellement et la réunion de l'âme et du corps pour la vie éternelle des uns et le châtiment éternel des autres, d'où me viendra la délivrance de la punition de mes fautes ? Car je n'ai pas acquis d'œuvre qui puisse me rendre innocent devant ton

290 trône, Christ ! Mais par la supplication de notre Dame, la Mère de Dieu toujours vierge, et de tous tes saints, Seigneur miséricordieux et Roi clément, aie pitié de nous et sauve-nous avec tes élus pour que nous te rendions grâces, nous aussi, en leur compagnie, éternellement. Amen !»

Après cela il commença à construire Xancta et il demanda aux frères de réciter 295 ces versets du chant de David178 : "Tes bontés sans cesse je les chanterai, Seigneur ;

176. Ps 76 (75), 12. 177. T'omi (1. 13) : tribu, comme dans Mt 24, 30.

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de generation en generation, ma bouche racontera tes vérités, car tu as dit: le monde sera construit par la bonté et tes champs seront pleins de graisse, tu engrais­seras la beauté du désert et les collines se vêtiront de joie et les vallées multiplieront le froment de la piété, nos bouches crieront et chanteront ainsi : regarde tes servi-

300 teure, Seigneur, l'œuvre de tes mains ! Guide tes fils ! Que ta lumière, Seigneur notre Dieu, soit sur nous ! Dirige les œuvres de nos mains, Seigneur ! Confirme pour nous l'œuvre de nos mains, car dans ces déserts et ces montagnes, nous levons sans cesse nos yeux <vers l'endroit> d'où tu viendras nous sauver. En vérité, notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre et toutes les créa-

305 tores.» 257 | Et ensemble ils firent le signe de croix sur cet emplacement, et ils commencè­

rent à aplanir le sol pour faire les cellules. Or il n'y a pas de roche plus dure que celle de Xancta dans tous les déserts du K'iarjeti ; ce fut donc au prix de grands tra­vaux qu'ils aménagèrent le terrain. Comme ils n'avaient ni cognée, ni masse179 ni

310 aucun autre outil de ce genre, les pères d'Op'iza leur donnèrent tout ce dont ils dis­posaient et ils leur fournirent de l'aide pour les outils et les besoins matériels. Car il n'existait à ce moment aucun autre monastère dans ces régions en dehors d'Op'iza et aucun paysan laïc180 n'était revenu s'établir dans ces régions181 ; car il ne se trou­vait dans le K'iarjeti et les T'ao, dans le Šavšeti et toutes les régions voisines que

315 quelques hommes établis çà et là dans les forêts. Le bienheureux père Grigol construisit d'abord une église en bois, puis son hésychastèrion182, et de petites cel­lules pour chacun des frères et une grande cellule pour la cuisine183.

Et, de jour en jour, le nombre des frères augmentait, car le Seigneur ajoutait des ouvriers de la onzième heure pour travailler dans la véritable vigne184, et ils deve-

320 naient co-participants des premiers justes et compagnons des saints martyrs, car ils affrontaient le combat de la vie monastique comme les saints martyrs et mieux qu'eux, car les martyrs ont rendu témoignage une seule fois tandis qu'ils rendaient à tout moment témoignage pour le nom du Christ, comme dit David : «Chaque jour nous périssons pour toi»185, et Paul dit : «Je meurs chaque jour pour le Christ186.» Et

325 si la lutte des saints n'avait pas été incessante, ils n'auraient pas parlé de lutte mor­telle quotidienne.

178. Muqli (1. 28) : verset ; voir aussi plus bas, n. 265. La prière qui suit combine des ver­sets de différents psaumes, notamment : 89 (88), 1-3 ; 65 (64), 13-14 ; 90 (89), 16-17 ; 121 (120), 1 ; 124 (123), 8.

179. Culi (1· 4) : cognée, hache ; voir TCHOUBINOF, p. 620 et ABULAJE, p. 520. C'erakvi (1. 4): masse, marteau avec un tranchant; voir TCHOUBINOF, p. 650, ABULAJE, p. 542 et TscHENKEU, p. 2141. PEETERS, p. 227,1. 26 : «dolabram neque asciarti».

180. Msoplioni erisk'acni (1. 8). 181. Allusion à l'expédition dévastatrice de Murvan Q'ru dans les années 730-740, dont

les effets furent aggravés quelques années plus tard par une épidémie de dysenterie ; voir plus haut, p. 9 n. 23.

182. Saq'udeli (1. 13) : demeure d'un hésychaste, hésychastèrion. 183. Saost'igne (1. 14), bâtiment pour la cuisine (en se fondant sur la seconde occurrence

de ce terme, voir n. 582) ; il regroupe vraisemblablement la cuisine au sens propre, le réfec­toire {t'rap'ezi, plusieurs fois cité dans le texte, ainsi n. 289) et sans doute une réserve de pro­duits alimentaires. Seul ce dernier sens est retenu par MENABDE, p. 118 et TSCHENKELI, p. 1156 et 1135. Pour ce passage précis, SARJVELAJE, p. 180, propose l'équivalent samzareulo, «cui­sine». PEETERS, p. 228, n. 5, fait dériver ce mot de l'arménien ostikan, gouverneur et traduit, p. 228,1. 1, «cella penaria».

184. Voir Mt 20, 1-16. 185. Ps 44 (43), 23 ; voir Rom 8, 36. 186. 1 Cor 15, 31.

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Car «le cœur de chair parle contre l'esprit et l'esprit contre le corps et ils sont adversaires l'un de l'autre», comme dit l'Apôtre187. En effet tantôt le souffle de l'es­prit produit la grâce et tantôt le souffle de l'esprit produit la faute au milieu de

330 nous188. C'est pourquoi Paul appelle l'esprit humain "ange de l'adversité"189. Et ce dont il parle ouvertement pour lui-même, il le dit également pour tous ; car il y a en nous tantôt l'esprit des saints anges et tantôt celui des démons. C'est pourquoi le Christ a dit à l'apôtre Pierre : «Ne pardonne pas seulement sept fois à tes frères mais soixante-dix fois sept fois190.» C'est ainsi que les dignes pères affrontaient vaillam-

335 ment les coups invisibles et visibles qui sont les ruses de l'Adversaire et ils souf­fraient pour le Christ angoisses et tourments de multiples sortes.

/ 8

À cette époque, le bienheureux vieillard Quedios était très âgé et son départ du corps proche. Alors notre saint père Grigol et les frères qui étaient avec lui allèrent

340 rendre visite au vieillard. Après l'avoir salué, ils lui dirent : «Bénis-nous, saint père, puisque tu pars maintenant vers le Seigneur.» Et il leur dit : «Que le Dieu de paix,

258 d'amour et de bonté | soit toujours avec vous ! Priez pour moi, saints pères, car je pars aujourd'hui vers une légion191 inconnue, vers le tribunal effrayant de Dieu192.» Et ils lui dirent : «Tu n'es pas un inconnu pour la légion des saints anges, car tu

345 exultes sans cesse avec eux en esprit devant le Christ. Mais ne nous oublie pas, nous les habitants de ton saint lieu et les rejetons de ta grâce.» Et il leur dit : «Je remets mon esprit entre les mains de Dieu et mon corps entre les vôtres. Que, par la volonté de Dieu, notre joie soit commune dans l'éternité.»

Et le bienheureux vieillard s'endormit et doux fut son sommeil. Et l'endroit 350 s'emplit de parfums et des hymnes des saints anges qui l'emmenaient joyeux devant

le Christ. Le père Grigol et les frères emportèrent son corps revêtu de victoire et le déposèrent dans un tombeau au milieu d'hymnes saintes et ils rendirent grâces au Christ qui donne victoire et couronne à ceux qui font sa volonté.

Alors, par la volonté de Dieu, les frères qui servaient le Christ se multiplièrent. 355 Mais le père Grigol refusait ceux qui étaient paresseux. Il les éprouvait d'abord

dans toutes les œuvres de bien ; s'il en trouvait un qui était simple d'esprit, franc, obéissant avec une humilité sans murmure, ardent dans toutes les œuvres de bien, il l'accueillait avec joie. C'est pourquoi tous ses disciples furent excellents, accueillant dignement ses saintes vertus, et ils imitaient le bon maître193 comme leur

360 maître imitait le Christ qui dit: «Il suffit au disciple d'être comme son maître.»194

Et ils menaient ainsi une bonne vie au spirituel, mais leur indigence était grande dans le domaine matériel.

187. Gai 5,17. 188. PEETERS, p. 228, 1. 14-15, propose de corriger le texte ainsi : «Dum enim afflatu

Spiritus gratia, afflatu <carnis> vitium efficitur in nobis», ce qui en modifie le sens. 189. Voir 2 Cor 12, 7 : «Il a été mis une écharde en ma chair, un ange de Satan chargé de

me frapper». 190. Mt 18,22. 191. Banak'i (1. 2) : camp, retranchement militaire, mais aussi corps de soldats ; il s'agit

ici de la légion des anges, mentionnée un peu plus bas 1.344 et 350. 192. Saq'darni (1. 2) : trônes, tribunal. Voir ABULAJE, p. 376. 193. Mojhiari (1.21). 194. Mt 10,25.

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32 BERNADETTE MARTIN-HISARD

9 Le pieux souverain, le grand Bagratide Ašoť le curopalate, un bon croyant,

365 devint à cette époque le dominateur195 de cette région. À partir de lui, son principat sur les Kartvéliens et celui de ses fils furent affermis pour toujours. Et ce souverain et les nobles souverains, ses fils, n'avaient pas entendu parler de saint Grigol. Mais il y avait un noble aznaur196 auprès du curopalate Ašoť qui avait pour nom Gabriel Dapančuli et ses descendants s'appellent maintenant les DapanČuli. Cet aznaur était

370 orné de toute perfection, richesse, sagesse, prestance et vaillance. Il était célèbre pour sa réussite en tout ce qu'il faisait et pour la rectitude de sa foi.

Et il possédait plusieurs villages197 près de la demeure198 du bienheureux Grigol, lequel, devant l'indigence de ses disciples, se rendit par la volonté de Dieu à la mai­son199 de Gabriel Dapančuli. Il n'y était pas, mais sa pieuse femme, Mariam,

259 375 accueillit avec foi notre père Grigol, l'honora comme il convenait, | le renvoya avec de nombreux présents et elle le fit accompagner de gens chargés de se renseigner et elle lui dit : «Saint père, indique à ces gens le chemin de ton monastère ; cesse de te tourmenter pour les besoins matériels de tes fils spirituels, car notre maison ne te laissera manquer de rien. Mais faites sans cesse mémoire de mon seigneur Gabriel,

380 de moi-même ta servante, et de nos fils dans vos saintes prières.» Alors le père Grigol retourna joyeux à son monastère et les frères furent dans une grande joie, car Dieu honore ceux qui le louent.

Et quand le prince Gabriel revint à sa maison, sa pieuse femme lui apprit la venue du bienheureux père Grigol et comment elle l'avait renvoyé joyeux200. Et en

385 apprenant cela, le noble aznaur rendit grâces à Dieu de la venue du saint dans sa maison et il bénit sa femme. Et il s'empressa d'écrire une lettre suppliante et dépê­cha des gens de confiance pour lui demander de revenir chez lui. Et notre bienheu­reux père Grigol obéit à ses paroles et accompagna les envoyés.

Et quand il apprit l'arrivée du bienheureux, Gabriel, l'aznaur du roi, se leva et 390 vint à sa rencontre ; il se prosterna devant lui avec joie, embrassa les mains du saint

avec ferveur, le conduisit chez lui avec honneur et il l'y fit se reposer pendant de nombreux jours. Il fit venir devant lui ses quatre très beaux fils qui ressemblaient en tous points à leur père Gabriel : P'at'rik', Guaram, Aršuša et Abulasat. Et il dit au bienheureux Grigol : «Saint de Dieu, bénis-les en leur imposant tes saintes mains.

395 Comme Israël a béni les fils de Joseph201, bénis de même tous nos enfants ainsi que leurs parents.»

Et quand le saint vit la grande foi de ces époux bénis202 et de leurs enfants, il se leva, couvert de larmes de joie, et il tendit ses saints bras vers Dieu et lui dit : «Seigneur qui accomplis depuis toujours la parole de tes saints lorsqu'ils bénissent

195. Mplobeli (1. 26) ; voir plus haut, p. 17. Iqo : il fut ou plutôt ici : il devint ; en effet, d'après les dates proposées plus haut, la fondation de Xancta a certainement précédé de plu­sieurs années la venue ďAšoť au K'iarjeti (entre 809-819).

196. Sur ce terme, voir plus haut, p. 17. 197. Sopeli (1. 36) désigne un village avec son territoire ; il ne se confond ni avec agarak'i

qui désigne plus précisément un domaine (ainsi n. 228), ni avec dabo, qui renvoie à un village en tant qu'habitat (ainsi, chap. 54,1.1779).

198. Vani (1. 36) : logis, domicile, demeure ; le mot peut désigner un monastère (voir n. 207) ; ABULAJE, p. 153.

199. Saxli (1.38) : maison, lieu d'habitation, mais aussi famille, lignée. 200. PEETERS, p. 230, 1. 17, avec une paraphrase : «et de gratificatìone quacum ab ea

dimissusfuisset». 201. Voir Gn 48,15-16 ; Hbll, 21. 202. K'urtxeulni (1. 25) ; PEETERS, p. 230,1. 33, .

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400 ceux qui croient en toi, Seigneur, considère maintenant ma prière, moi ton pauvre serviteur ; par la prière de tous tes saints, bénis ces parents avec leurs enfants et ces enfants avec leurs parents, bons fidèles et laudateurs de ton saint nom. De même que tu as béni la maison du juste Noé, du patriarche Abraham et de tous ceux qui font ta volonté, Dieu de gloire, que ton éternelle bénédiction repose de même au

405 milieu d'eux, accorde-leur en abondance au long des jours les biens de la terre et les biens infinis du ciel et aie pitié de nous, amen !»

Et il traça le signe de croix sur tous et s'assit. Alors Gabriel dit au saint : «Que le Christ confirme par des actes la parole de tes lèvres, digne père, et que le Seigneur

260 nous donne de servir avec ferveur ta sainteté | pour que s'accomplisse parmi nous la 410 parole de l'Apôtre : "Que votre superflu <supplée> à leur indigence et leur superflu

à votre indigence"203.» Maintenant nous avons les biens matériels et vous avez les biens spirituels : unis­

sons-les. Vous nous ferez participer sans cesse à vos saintes prières pendant cette vie et, après la mort, vous accorderez à nos corps de reposer auprès de vos saints

415 corps et vous assignerez à votre monastère de prier éternellement pour nous. Et voici ce que nous vous promettons pendant notre vie et la vie de nos enfants :

De génération en génération, nous aurons à jamais la responsabilité204 de vous et de votre monastère. Cependant, saint père, cherche un bon lieu d'habitation pour que des femmes s'y installent afin qu'il y ait cette prescription entre nous : si un

420 homme de ma famille se fait religieux205, Xancta sera sa demeure ; si une femme de mon peuple206 se fait religieuse, elle demeurera à l'endroit, béni par toi, que tu auras choisi dans cette région. De même que je désigne Xancta pour les hommes défunts, de même la sépulture des femmes sera dans la fondation que tu vas faire.»

Alors le bienheureux père Grigol fit une soigneuse recherche et il trouva un bon 425 emplacement près de Gunatle. Il le bénit et on y construisit un monastère de

femmes, actuellement appelé demeure de Gunatle207. Et, à la demande de Gabriel, le bienheureux Grigol désigna un prêtre de Xancta pour célébrer la liturgie. C'est pourquoi on prie à Xancta pour les Dapančuli, aujourd'hui encore et demain, selon la promesse qui a été faite.

430 10 Le noble aznaur Gabriel renvoya le père Grigol avec de nombreux présents ; il

leur donna des maçons208 et tous les matériaux nécessaires pour la construction d'une église de pierre. Et ainsi le père Grigol retourna dans sa demeure et ses dis­ciples se réjouirent, ils rendirent grâces au Christ et ils priaient pour leurs protec-

435 teurs209. Alors le bienheureux Grigol nivela l'emplacement destiné à l'église. Et quand il

commença l'église, il prononça en pleurant cette prière : «Christ Dieu, tu as révélé de manière divine à tes créatures l'économie de ton

incarnation. Les prophètes ont servi dans la crainte ta royauté en prophétisant, les 440 apôtres en prêchant, les martyrs par une véridique confession, les vénérables saintes

203. 2 Cor 8,14. 204. Luc'a (1. 10) : soin, cure, responsabilité; d'où plus bas, mohiac'e, curateur, protec­

teur, responsable (voir n. 209, 244). 205. Moc'ese (1. 13) : celui qui suit une règle (c'esï). 206. Eri (1. 14) : peuple, groupe humain, ici ensemble des gens qui dépendent du prince.

PEETERS, p. 231,1. 27 : e gente mea. 207. Gunatlis vani (1. 20) ; voir η. 198. 208. K'irit-xuroni (1. 25). PEETERS, p. 232,1. 6 : «caementarios». 209. Mohiac'e (1. 29) ; voir n. 204.

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34 BERNADETTE MARTIN-HISARD

communautés dans le monde et les pères dans les déserts par la louange de ton saint nom210 ; et l'assemblée divine de tous les saints, avec ses quatre côtés disposés tout autour à la façon d'une muraille inexpugnable, a formé la forteresse de tes saintes églises. Car toi qui es la Sagesse, tu as construit pour toi-même une maison de sain-

445 teté211 comme refuge du peuple des fidèles212, car tu as appelé la sainte Église ton 261 corps213 et | tu as fait construire inébranlablement les saintes églises en ton saint

nom et au nom de tes saints et tu les as fortifiées. C'est pourquoi tu as appelé Église tous les saints afin que tes brebis, les vrais chrétiens, aient, à leur place, après leur mort, des églises comme forteresse et gloire jusqu'à ton retour dans la gloire avec

450 les saints. Toi, Seigneur, bénis maintenant cet emplacement où doit être établie ta sainte

église, par ta grâce et par l'intercession de tes saints, afin que, moi le pauvre, je sois digne de la terminer, <à la gloire> du nom et de l'invincible foi de ton grand martyr Georges, célèbre par la croix214, vaillant et brillamment renommé parmi tes saints

455 martyrs et témoins dont le glaive tailla le corps en pièces sans en trancher la foi ; et saint Georges s'est signalé plus que tous par son courage et il a enseigné le valeu­reux courage aux chrétiens, depuis longtemps terrorisés par les impies, lorsqu'il souffrit joyeusement de multiples tortures et, revêtu de victoire, il a été exalté dans les deux et sur la terre. C'est pourquoi les bienheureux martyrs se sont réjouis avec

460 les saints anges de la fin de ses combats, car le Christ lui a donné la victoire sur tous ses ennemis à lui et, maintenant, à ses reliques et à son nom, et son intercession pro­tège tous ceux qui le louent, toujours et pour l'éternité.»

Et il traça le signe de croix sur l'emplacement de la sainte église et la construc­tion commença. Et la première église de Xancta fut ainsi heureusement achevée,

465 avec l'aide du Christ, l'intercession de saint Georges et la prière du bienheureux père Grigol ainsi qu'avec la responsabilité matérielle du noble prince Gabriel et de tous les orthodoxes. À cette époque, de saints pères se mirent à construire des monastères et de saintes églises dans tous les saints déserts ; ainsi se multiplia le nombre des serviteurs de la sainte Trinité et de ses permanents laudateurs.

470 11 Et la bienheureuse mère Febronia, ornée de ses miracles, arriva du Samcxe et

elle s'établit à Mere. Sa sainte vie et sa direction spirituelle215 n'avaient pas de limites et, dans l'amour de Dieu, il y avait entre ces très bienheureux êtres de Dieu, la mère Febronia et le père Grigol, communauté d'idées et amitié d'un saint amour

475 divin. Et le prêtre de Mere venait toujours de Xancta. Après cela Yerismtavari Gabriel216 informa le pieux roi Ašoť le curopalate de la

dignité et de l'origine étrangère du bienheureux père Grigol, de la fondation du

210. K'reba (1. 34) : assemblée, réunion, d'où congrégation, concile ; d'où MENABDE, p. 123 : «les vénérables saints conciles œcuméniques». Mais la phrase suivante montre que l'auteur considère quatre groupes de saints, respectivement les prophètes, les apôtres, les mar­tyrs et les moines ou religieux ; c'est donc de ce dernier groupe qu'il s'agit ici, divisé en cénobites («les communautés dans le monde») et ermites.

211. Voir Pr 9,1. 212. Erta morc'muneta (1. 39), littéralement : des peuples fidèles, que je rends par peuple

(au sens de toos) des fidèles pour éviter la confusion entre eri et natesavi (genos, phulë). 213. Voir Ep 1,22-23 ; Col 1, 18. 214. Mokaduli (1. 9) : célèbre, loué, de kadeba : promettre, menacer, louer ; PEETERS,

p. 232,1. 31 : «per crucem triumphantis» ; MENABDE, p. 123 : «terrible, menaçant». 215. Gangeba (1. 30) : administration, gestion, gouvernement et, par extension, règlement,

règle, typikon ; voir plus bas, n. 258. PEETERS, p. 233,1. 16 : «spiritualis conversation. 216. Sur le titre à'erismtavari, voir plus haut, p. 14 et 18.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 35

monastère dans un désert vide, de la vertu de ses disciples et de ce que l'on savait par ses disciples de la noblesse des parents du saint217. Et quand le très pieux curo-

480 palate Ašoť eut tout réalisé, il se hâta d'écrire une lettre en main propre et il envoya en hâte au père Grigol un homme sûr appartenant à sa suite218 ainsi que l'un des ser-

262 viteurs de Gabriel. Et après avoir lu la lettre | du curopalate qui lui écrivait en termes flatteurs et avoir tout appris des envoyés, le bienheureux père partit sur le champ auprès du souverain.

485 Et lorsqu'il arriva au palais219, les fils du curopalate vinrent à sa rencontre et, lorsqu'il arriva dans la salle palatine220, le curopalate se leva et il vint au devant du bienheureux père Grigol ; ils se saluèrent en grande humilité et ils s'assirent. Et le curopalate lui dit: «Saint, que la divine bénédiction soit sur nous tous par ta bouche !»

490 Et il dit : «Que la bouche du Christ et de tous les saints vous bénisse tous, car elle est vraiment juste cette parole : "Là où est la dignité du principat, là est l'image de la divinité"221. Dieu vous a en effet donné à vous, les souverains, le pouvoir de gouverner la terre ainsi que nous le comprenons par les bienfaits que Dieu nous pro­cure grâce à ta royauté. De même que le Seigneur a dit au sujet d'Abraham :

495 "Abraham désirait voir ma lumière, il a vu et s'en est réjoui"222, moi aussi, le pauvre, comme Abraham, je désirais vous voir et vous rendre hommage, et je suis maintenant plein de joie et je t'offre en cadeau cette prière : que le Christ garde ta royauté, toujours plus glorieusement, dans la gloire et la joie et qu'il te donne en héritage, à toi et à tes bons fils, la gloire éternelle avec les principautés du ciel.»

500 Alors le curopalate dit au père Grigol : «Temps après temps, Dieu a suscité des prophètes aux rois d'Israël, pour leur fierté223 et comme rempart de la Loi, comme aide des fidèles et pour la réprobation des impies. De même, en notre temps, Dieu t'a manifesté pour la fierté des chrétiens et afin que tu livres combat pour nous, par tes saintes prières, devant le Christ et ses saints.»

505 Mais il lui dit: «Souverain appelé fils de David224, le prophète et l'oint du Seigneur, que le Christ Dieu te donne en héritage la royauté et les grâces de celle-ci. C'est pourquoi je te le dis : le principat de tes fils et de leurs descendants ne passera pas en ces terres jusque dans l'éternité ; mais ils seront plus solides que les fermes rochers et que les montagnes éternelles et ils seront exaltés jusque dans l'éternité.»

510 Ensuite l'homme qui avait été envoyé à Xancta en prononça cet éloge: «Ce désert est bon partout en raison de la chaleur du soleil et de la qualité de l'air. Il possède une source qui coule en abondance, belle, fraîche et savoureuse, d'innom­brables quantités de forêts de chênes225 et toutes ces autres menues ressources qui appartiennent à un désert. Mais il n'y a absolument aucun champ à ensemencer226,

217. Sur ce point, voir plus haut, p. 15. 218. C'inašemdgomelni (1. 40), littéralement : ceux qui se tiennent en la présence de quel­

qu'un. 219. P'alat'i (1. 3). PEETERS, p. 233,1. 31 : ad cudam regiam. 220. T'ajari (1. 4) signifie aussi palais ; la nuance avec le mot p'alat'i m'échappe ; comme

le curopalate se lève, je pense que t'ajari doit ici désigner une salle d'apparat. MENABDE, p. 125 : «porte du palais» ; PEETERS, p. 233,1. 32 : «ad ianuam aedium».

221. Citation non identifiée. 222. Jn 8, 56. 223. Sikadtdad matta (1. 21) ; PEETERS, p. 234,1. 19 : «(prophetas) qui spiritus Ulis attolle-

rent». 224. Voir plus haut, p. 17. 225. Mamari (1. 35) désigne la forêt en général (ABULAJE, p. 221), mais surtout la forêt de

chênes (TCHOUBINOF, p. 275). PEETERS, p. 234,1. 33 : «querceta» ; de même MENABDE, p. 126. 226. Q'ana (1. 27) : champ.

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515 ni terre à moissonner et il ne peut en être créé227 dans ces âpres sommets escarpés des monts Łado.»

Quand le noble curopalate entendit cela, il offrit comme domaines228 à Xancta de 263 bons terrains229 et le terrain de Sat'berdi. Ensuite les trois nobles fils | du curopalate,

Adarnerse, Bagrať et Guaram, offrirent, chacun à son tour, sans limites, tout le 520 nécessaire dont le monastère avait besoin.

Et quand il eut reçu ces terrains, le bienheureux père Grigol accorda sa bénédic­tion au curopalate et à ses fils ; ensuite, comblé des fruits de nombreux biens, il revint à Xancta, son monastère, et il annonça à ses frères la bonne nouvelle de toute cette bonne fortune, par la grâce du Christ et l'intercession de saint Georges. Et ils

525 s'en réjouissaient et priaient pour leurs fidèles donateurs et ils rendaient grâces au Christ bienfaisant.

12 Mais, parallèlement à ces développements matériels, sur le plan spirituel le

nombre des saints hommes augmentait, car, à cette époque, le père Ep'ipane230 et le 530 prêtre Mat'o arrivèrent du Kartli et le grand Zenon du Samcxe. En effet Ep'ipane et

Mat'o étaient d'anciens amis du saint et sa renommée les attira à Xancta231. Zenon était le fils d'un homme en vue232 du Samcxe ; il avait été pieusement

élevé et il vivait saintement, car la crainte de Dieu habitait en lui et il aspirait à la vie monastique selon le vœu qu'il avait fait de vivre selon le vœu de ceux qui jeû-

535 nent233. Et quand ses parents moururent, ils laissèrent leurs biens à Zenon et à sa sœur qui vivait dans la maison avec lui. Zenon souhaitait laisser à sa sœur les biens paternels et maternels pour qu'elle en disposât à sa guise et se faire lui-même moine à l'étranger.

Et comme Zenon nourrissait ce projet, un mauvais homme séduisit sa sœur par 540 une manœuvre du démon et ils partirent en Šavšeti toute une nuit durant234. Quand

il apprit cela, Zenon prit tout seul ses armes et il monta à cheval et les poursuivit ; et quand il eut parcouru une longue distance, il réfléchit en lui-même : «Je suis un jeune homme connu et celui que je poursuis est parfaitement méprisable. Quand bien même je le rattraperais et le tuerais, ce serait un piège pour mon âme. Et si je

545 rentre bredouille à la maison, je serai couvert de honte. Je vais donc plutôt accom-

227. Ikmnebis (1. 37) ; le verbe implique l'action de faire, de créer ; la phrase signifie donc que non seulement il n'y a pas de champs, mais qu'il ne saurait y en avoir, ce qui explique la donation que va faire le curopalate. PEETERS, p. 234,1. 35-36 : «neque eiusmodi extant» qui ne rend pas compte de la phrase.

228. Ağarak'ni (1.40). 229. Adgilni (1.40). 230. Le manuscrit donne tantôt la forme Et'vipane, tantôt la forme Ep'ipane, qui a été

retenue dans la traduction. 231. Littéralement : ils venaient à Xancta en son nom. 232. Sačinoj (1.14). 233. Mmarxvelni (1. 17) : ceux qui gardent le jeûne, comme dans Mt 7, 17-18 et dans les

textes hagiographiques cités dans ÀBULAJE, p. 258) ; de même MENABDE, p. 126 ; voir plus bas, chap. 20,1. 737, le jeûne dans la définition de la vie monastique. PEETERS, p. 235, n. 2, interprète le verbe marxva, garder, comme garder un vœu, d'où 1. 22 : «ad vitam monasticam aspirabat, quant voverat ut (vovent) qui vota persolvunt».

234. Lame q'ovel (1. 22) : toute la nuit ; on comprend, comme MENABDE, p. 127, que la fuite du couple a duré toute la nuit. PEETERS, p. 235-236, n. 3, préfère corriger q'ovel en q'uels, qu'il interprète comme la ville de Q'veli (voir plus haut, p. 11), d'où, 1. 28 : «et noctu Quelim in Savsetiam profectus est». La correction est d'autant moins fondée que Q'ueli se trouve dans le Samcxe, et non pas dans le Šavšeti.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 37

plir le vœu de vie monastique que j 'a i fait au Seigneur.» Et le bienheureux fit preuve de courage, car renoncer à ses biens, c'est comme répandre son sang. Il signa son corps de la croix et il fut conduit sur un chemin de Dieu et il arriva à Mere en présence de la mère Febronia qui était de la même maison que lui. Par la

550 volonté de Dieu, le père Grigol se trouvait là ; et la mère Febronia confia l'agneau innocent au saint et bon pasteur, lequel l'emmena à Xancta ; il l'établit dans le pâtu­rage de la grâce de Dieu et le fit grandir près des eaux du repos du Saint-Esprit235.

Et le bienheureux Zenon atteignit un âge avancé et ne quitta pas Xancta jusqu'à sa mort, en vrai fils spirituel semblable à son père, bon disciple, vicaire de son

555 maître, bienheureux, trésor de vertus, sainte règle236 de la vie monastique, rempart 264 des déserts du K'iarjeti, chassant les esprits malins | ; en effet le démon n'osa pas

frapper les saints hommes en ces lieux durant sa vie et celle de son maître. Depuis sa mort, cet homme valeureux est notre intercesseur auprès de Dieu, éternellement, avec ses amis qui furent comme lui des disciples du père Grigol, dignes et thauma-

560 turges, inébranlables colonnes de patience semblables à des colonnes du ciel inébranlablement affermies237.

1 3238

Car, avant l'arrivée du bon pasteur Grigol, les rares brebis du Christ, mises en fuite par d'invisibles bêtes féroces, se trouvaient dispersées, seules ou par deux,

565 dans ces vastes déserts239 ; mais les brebis reprirent courage avec l'arrivée du saint Grigol, elles chassèrent les diaboliques bêtes féroces et l'ensemble des règles divines s'imposa.

Et le père Grigol réfléchit ainsi : «Puisque les pères de mon monastère l'emportent par leurs vertus sur les moines de ce temps, il faut aussi établir dans mon église des

570 règles ecclésiastiques divines240 que les sages ne puissent critiquer.» Aussi décida-t-il de se rendre au trésor241 du Christ, dans la seconde Jérusalem, c'est-à-dire Constantinople, de visiter tous les glorieux lieux saints de la Grèce242 et d'y prier. Et il se trouva que l'un de ses amis partait à ce moment à Jérusalem et il le pria de recopier le Typikon2*3 de Saint-Sabas et de le lui apporter. Et il désigna des gens pour veiller244

575 sur ses frères, il leur donna la paix et leur promit de revenir bientôt. Il emmena avec lui son cousin Saba et un autre disciple, et il partit en Grèce et

arriva à Constantinople245. Il adora le Bois de Vie et toutes les saintes reliques, et il

235. Voir Ps 23 (22), 2. 236. Cesi (1.40) ; voir n. 168. 237. Sur le rôle de Zenon, voir encore la fin du chapitre 76. 238. Dans le manuscrit : 11 ; dans l'édition : 13. PEETERS, p. 236, suivant Marr, ne marque

pas ici de chapitre. 239. Sur le rôle des monastères dans le développement économique de la région, voir le

commentaire. 240. Cesi sałmrtoj saek'lesio (1. 15), c'est-à-dire un typikon liturgique. 241. Sač'urč'le (1. 17) : endroit où l'on garde des objets précieux, salle du trésor, arsenal ;

ABULAJE, p. 382 ; TSCHENKELI, p. 1193 : «Zeugbaus, Rüstkammer, Schatzkammer.» PEETERS, p. 236,1. 29 : «ad armamentarium Christi».

242. Saberjneti (1. 18) : Grèce, au sens de pays de langue grecque, ce qui désigne ici le ter­ritoire de l'Empire byzantin.

243. Cesi (1. 20) ; voir n. 168. 244. Mohiac'eni (1. 21) : voir n. 204 et 209 ; il s'agit sans doute de moines du monastère

chargés de remplacer Grigol. 245. Sous le règne de Léon V, et certainement après le retour à l'iconoclasme en 815,

puisque le séjour de Grigol à Constantinople précède de peu la mort d'Ašoť en 826, mention­née au début du chapitre suivant.

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38 BERNADETTE MARTIN-HISARD

visita avec joie tous les saints lieux de prière, car il avait appris beaucoup de langues et il avait été largement instruit en matière de culte. Telle chose qu'il vit lui

580 fut un guide vers le bien, telle autre un avertissement contre le mal246. Et ainsi son cœur se remplit de la richesse de la nouvelle loi non scellée247 et ils repartirent dans leur demeure, exultant de l'Esprit de grâce.

14248

Et, quand ils arrivèrent dans le T'ao, des gens du lieu leur apprirent que le curo-585 palate Ašoť avait été tué249 et que ses fils détenaient la souveraineté à sa place ;

alors ils furent remplis de larmes de douleur à cause de l'exécution250 du pieux sou­verain et, pleins de sanglots, ils prièrent pour le roi défunt. Et le bienheureux Grigol louait Dieu et disait en pleurant :

«Ô mon roi puissant et noble, forteresse des églises et rempart des chrétiens, de 590 quelle direction t'attendrai-je ? de l'est ou de l'ouest ? du nord ou du sud ? car tu

étais le dominateur de tous les peuples, toi qui as réduit des souverains à l'obéis­sance par la guerre, admirable, noble et pieux souverain. Et tu as ainsi péri mainte-

265 nant de la main | de gens infâmes, impies et sans foi251, qui se sont faits les meur­triers de leur seigneur, comme Judas, pour notre ruine, nous les pauvres qui prierons

595 pour toi à jamais !» Après cela, ils prièrent pour ses fils, les nobles souverains, afin que le Seigneur

les garde dans la gloire et la longueur des jours dans une bonne piété.

15252

Lorsqu'ils arrivèrent aux environs ďlšxani, Dieu révéla au bienheureux Grigol et 600 au digne Saba la gloire ancienne ďlšxani253, les saintes églises de ce village, et il

leur fut annoncé qu'elles seraient restaurées, telles qu'<elles étaient> autrefois, par Saba et il leur fut aussi indiqué le chemin pour y aller, car l'endroit n'était pas fré­quenté par les gens du temps. Et lorsqu'ils arrivèrent à Išxani, la découverte de ce glorieux endroit leur procura une grande joie, car il offrait ressources254 spirituelles

605 et matérielles. Et sur le champ Saba décida de rester. Le bienheureux Grigol lui dit : «Frère, allons d'abord voir nos frères qui vivent à Xancta et, par la volonté de Dieu et avec leurs prières, tu reviendras en ce saint lieu.» Et l'ayant quitté, ils se rendirent

246. Ces remarques doivent être comprises dans le contexte iconoclaste de la visite de Grigol, PEETERS, p. 237 : «Cum autem multas linguas calleret, atque ad omnia pietatis obse-quia manu exercitissimus esset <...> quodcumque spectaculum erat illi aut invitatio ad bonům aut defensio a malo», où il suppose une lacune.

247. Par opposition à la Loi de la Nouvelle Alliance scellée dans le sang du Christ, l'au­teur désigne ici l'ensemble de la tradition chrétienne (canonique, liturgique...) toujours en développement. PEETERS, p. 237, n. 7, a construit un raisonnement compliqué, en remplaçant doubec'dvelisa (1. 30), non scellé, par daumč'amelis, qui ne rouille pas ; d'où : «animus eius completus est novae legis opulentia robigini non obnoxia :», c'est-à-dire «son âme fut pleine de la richesse de la nouvelle loi non sujette à la rouille.»

248. Dans le manuscrit: 13; correction de l'édition: 14; MENABDE, p. 128, et PEETERS, p. 237: 13.

249. Le curopalate a été assassiné en 826. 250. Dacema (1. 35) désigne le fait de tomber, d'être renversé, abattu, ce qui est une allu­

sion à l'assassinat du curopalate. 251. Undo (1. 1) : à qui l'on ne peut se fier. 252. Dans le manuscrit et l'édition : 15. MENABDE, p. 129, et PEETERS, p. 237 : 14. 253. Voir plus bas, chap. 26,1.975-976. 254. Nugešinis-sacemeli (1. 12) : réconfort, consolation, ressources.

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VEE DE GRIGOL DE XANCTA 39

devant les fils du curopalate et ils prièrent pour eux, en les consolant de la mort de leur père.

610 16255

Et ils allèrent ainsi à Xancta, leur monastère, et ils apportaient des reliques de saints, de saintes icônes et d'autres nombreuses eulogies. Et ils trouvèrent les frères en bonne santé et en paix, tous dans une joie sans mélange, remplis d'un amour divin, et ils se réjouirent parce que la grâce du Sauveur réunissait de nouveau ceux

615 qui accomplissaient sa volonté. Quelques jours plus tard, Grigol laissa partir Saba à Išxani et il lui donna deux

disciples256 ; et lui-même dirigeait la vie spirituelle de Xancta selon la volonté du Seigneur.

1 7257

620 Ensuite arriva de Jérusalem l'homme qui lui apportait la Règle258 de Saint-Sabas <qu'il> avait recopiée259.

Et le bienheureux Grigol établit alors pour son église et son monastère une Règle, sagement composée, resplendissante d'intelligence et faite d'emprunts à tous les lieux saints, telle un trésor260 de biens inépuisables261.

625 Et maintenant, comme on puiserait une goutte d'eau à la mer, nous avons retenu quelques-unes de ces pratiques spirituelles.

Voici quel était le mode de vie des bienheureux. Dans leur rectitude, ils avaient toujours le blâme d'eux-mêmes, la solide racine

de la charité, la patience262 dans l'humilité et la douceur, le jeûne fortifié par la 630 prière, la sainteté de l'esprit affermie dans une foi droite, la droiture de la langue, la

pureté gardée en tout parfaitement. Quand ils priaient dans la sainte église, ils ne bavardaient pas entre eux, mais ils

266 se tenaient avec crainte comme s'ils étaient au ciel devant Dieu. Lorsqu'ils | réci­taient le Psautier, tant que l'Alléluia n'était pas terminé, les chantres263, dans leur

635 paisible prière264, n'osaient pas commencer le stiche265, car ils n'avaient pas l'habi­tude de parler rapidement pendant toute leur psalmodie266, mais leur prière se

255. MENABDE, p. 129, et PEETERS, p. 238 : 15. 256. Sur le départ de Saba et le partage de la communauté de Xancta, voir plus bas,

chap. 30. 257. MENABDE, p. 130, et PEETERS, p. 238 : 16. 258. Gangeba (1. 27), voir plus haut, n. 215. Alors que c'esi a une connotation plutôt litur­

gique (voir n. 168, 236), gangeba désigne plutôt le règlement monastique ; mais la distinction n'est pas toujours aussi nette (voir n. 243).

259. Dans l'édition : gangebaj da c'erili (1. 27) : la Règle et une lettre, ce qui ferait deux textes ; on retient la proposition de PEETERS, p. 238,1. 16-17 et n. 2, de lire plutôt dac'erili en un seul mot : «qui Sancii Sabae constitutionem (a se) descriptam ei porrexit».

260. Săpase (1.31). 261. MENABDE, p. 130, et PEETERS, p. 238, font commencer ici le chapitre 17, ce qui rétablit

la correspondance de leurs chapitres avec ceux de l'édition. 262. PEETERS, p. 238,1. 25, rapporte mt'k'ice (solide), à patience et non à racine ; la ponc­

tuation de l'édition, 1. 35, en fait une épithète de racine. 263. Memqreni (1. 1). Voir K'EK'ELUE, S. V. mequri, p. 332-333. 264. PEETERS, p. 238,1. 33-239,1. 1 : «adeo composita erat eorum precotto». 265. Muqli (1. 2), verset (voir plus haut, n. 178), a ici le sens plus technique de stiche ; voir

K'EK'ELUE, p. 334 ; de même PEETERS, p. 238, n. 4. Le stiche est une hymne chantée pendant Yorthros et les vêpres après un verset ou un groupe de versets des psaumes.

266. Sagalobeli (p. 3) : hymne chantée, psalmodie.

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déroulait doucement267 et lentement. Et personne ne s'appuyait contre le mur sauf quelque vieillard. Et jamais ils n'osaient dormir ou s'asseoir négligemment dans l'église.

640 Et bien d'autres semblables belles vertus régnaient parmi eux, que je ne passerai pas en revue maintenant, car le temps est compté et la raison pousse à ne pas lasser l'oreille des auditeurs. C'est pourquoi toute la Règle n'a pas été recopiée268 dans ce livre, mais seulement quelques mots de l'ensemble269 du Typikon que Xancta eut à partir de ce moment et qu'il a encore présentement.

645 Ainsi, pour toutes les vigiles, prière depuis vêpres jusqu'à l'aurore270. Le jour précédant la vigile, prière à toutes les heures du jour et liturgie à l'heure de none et addition d'ekténies271. À chaque liturgie, avant «Dieu Saint», ekténie «Du haut du ciel» et, à la liturgie des dimanches, six fois «Dieu Saint». Et, pour le service de l'autel, personne n'osait servir avec un vêtement à franges et en peau272.

650 Pour tous les défunts, quel que soit le jour du décès, ils célébraient la liturgie le troisième jour, le septième, le quarantième et le jour anniversaire, et la liturgie de ces jours-là n'était pas comptée dans les 200 jours institués pour ceux qui sont enterrés à Xancta. Et la distribution du paximadion21* fut instituée dès le début.

Quand le mois de saint Georges commençait, jeûne avec lait jusqu'à la Saint-655 Georges274 ; de même, jeûne pour la Nativité du Christ et pour les saints apôtres, à

la manière ecclésiastique, avec grande austérité, et ils observaient une bonne absti­nence.

Et, du début du mois de novembre jusqu'au commencement des Grands Jeûnes, tous les samedis à l'office du matin275, quatre canons276.

660 Et, pendant les Grands Jeûnes, jusqu'au dimanche des Rameaux277, à chaque office du matin, quatre canons ; de même quatre lectures du Livre.

Et la Règle de la semaine de la Passion était très précise. De Pâques278 jusqu'au nouveau dimanche279, on ne disait pas le canon de l'Angoisse280. Aux complies281,

267. Mdablad (1. 4), au sens de humblement, modestement. 268. Dae'era (1. 10) : écrire, ici au sens de recopier, inscrire ; voir n. 377, 558, 568,571. 269. Tito sit'q'uaj q'ovlisagan (1. 10-11), dans lequel tito n'a pas le sens distribuţii habi­

tuel de chaque, mais celui de quilibet (MOUTOR, p. 143). PEETERS, p. 239, 1. 10-11 : «sed de singulis aliquid dictum est, < unde ostenderetur > quae regulae...», qui reprend MENABDE, p. 130.

270. Lamis-teva (1. 13) : vigile, pannychie ; cet office était de longueur variable. Mc'uxri : prière du soir, vêpres ; voir TCHOUBINOF, p. 366.

271. K'uereksi (1. 15): ekténie; voir ' ' , . 330-331, qui en distingue quatre. PEETERS, p. 239,1. 16 : «litaniis».

272. Pesuedita samoslita da t'q'avita (1. 18). PEETERS, p. 239,1. 20-21 : «in veste fimbriata et ex corio». MENABDE, p. 131 : «vêtement sacerdotal avec des franges ou en peau.» TCHOUBINOF, p. 504, renvoie, à propos de pesvedi, à la description de l'ephod du prêtre juif dans Ex 28,4-14 ; il s'agit donc d'un vêtement liturgique.

273. P'aksimadi (1.22) ; ' ' , . 335. 274. L'église de Xancta est dédiée à saint Georges et la fête en est célébrée le 3 novembre,

et non le 23 avril. 275. Cisk'ari (1. 27) : office du matin, orthros ; voir K'EK'ELUE, p. 340. 276. K'anoni (1. 28). Pour ' ' , p. 329, k'anoni est l'équivalent de kathisma, c'est-à-

dire l'une des 20 subdivisions du Psautier, comprenant de 1 à 5 psaumes. 277. Bzoba (1. 28). 278. Aivseba (1. 30). 279. Axalk'viriak'e (1. 30) : il s'agit du premier dimanche après Pâques ; TCHOUBINOF, p. 42. 280. K'EK'ELUE, p. 342: nom donné au kathisma 18 en raison des premiers mots du

psaume 120 par lequel il commence. 281. Seroba (1. 28) : apodeipnon, complies ; K'EK'ELUE, p. 338, distingue un grand et un

petit apodeipnon.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 41

ils récitaient «À mon appel»282 et les versets283 de la Résurrection. À l'office du matin, les <psaumes> ordinaires284 et leurs canons jusqu'au nouveau dimanche.

665 Pour la commémoration des âmes285, après Pâques, à l'office du matin, ils récitaient «Ils sont bienheureux»286 et les odes287.

Quant à tout ce qui est encore écrit dans la Règle de cette église, les pères de mon temps ont l'habitude de le faire.

18 670 Et, dans les temps anciens de notre bienheureux père Grigol, les règles qui s'im­

posaient à ses disciples288 étaient très rades. Ils avaient en effet un petit lit dans leurs cellules et une misérable paillasse et, chacun, une cruche pour l'eau, et il n'y

267 avait absolument aucune autre commodité matérielle | pour manger et boire, et leur vie reposait sur ce qu'ils mangeaient ensemble au réfectoire289. La plupart d'entre

675 eux ne buvaient jamais de vin, et ceux qui en prenaient se contentaient de peu. Il n'y avait pas de cheminée290 dans leurs cellules, car on n'allumait pas de feu, et aucune chandelle ne brûlait pendant la nuit; et la nuit, c'était la récitation des psaumes291 ; le jour, la lecture et la prière constante, comme dit David : «Le Seigneur m'a enseigné le jour sa miséricorde et la nuit sa louange.»292

680 Le bienheureux Grigol passait personnellement les Grands Jeûnes avec quelques choux293 non cuits et il eut pour double nourriture, sa vie durant, du pain dont il mangeait une fois par jour avec parcimonie et de l'eau en petite quantité. Mais il ne buvait pas de vin depuis sa jeunesse. Dieu seul connaît ses innombrables vertus et celles de ses disciples.

685 19 Depuis le début, les bons amis du bienheureux Grigol, Tevdore et Krist'epore,

avaient au fond du cœur le divin désir de fonder un monastère, et ils ne s'étaient pas ouverts de ce projet au père Grigol, mais ils partirent en cachette en Apxazeti et ils emmenèrent avec eux quelques frères.

690 Lorsqu'ils arrivèrent au Samcxe, par la volonté de Dieu, le fils du grand aznaur Mirean294 devint leur disciple ; il s'appelait Arseni, mais il fut justement appelé le

282. K'EK'ELUE, p. 342 : premiers mots du psaume 4 qui marque le début du grand apo-deipnon.

283. C'ardgomani (1. 32). K'EK'ELUE, p. 341. Pour TCHOUBINOF, p. 639-640, il s'agit de versets du psautier chantés avant la lecture de l'épure. PEETERS, p. 240,1. 10 : versiculis.

284. Dac'esebulni (1. 32) ; K'EK'ELUE, p. 326 : hexapsalmon. 285. La fête de tous les saints a lieu le premier dimanche après la Pentecôte. 286. Début du premier psaume du kathisma 17. 287. Galobani (1. 34), qui désigne les neuf cantiques bibliques ; K'EK'ELUE, p. 324-325. 288. Littéralement : les règles (k'anonni) des disciples, ce qui renvoie au typikon monas­

tique, par opposition aux règles du typikon liturgique qui viennent d'être évoquées. 289. Τ rap'eú (1. 1), réfectoire ; voir n. 67,473. 290. Sak'vami (1. 4). D'après TSCHENKEU, II, p. , sak'vamle désigne tout ce qui sert à

l'évacuation de la fumée, depuis le trou dans le toit jusqu'à la hotte en passant par le conduit. 291. Les psaumes étaient donc connus par cœur. 292. Ps 42 (41), 9. 293. K'alnabi (1. 9) ; brassica en latin, d'après TSCHENKEU, p. 545. 294. Ce personnage n'est connu que par ce texte.

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grand Arseni, catholicos du Kartlı, inflétrissable couronne du siège de Mcxeta295. C'était alors un jeune enfant de six ans environ et il grandissait dans la maison de son père. Et, suivant la décision de Mirean, les hommes de Dieu revêtirent l'enfant

695 du vêtement des religieux296 et ils donnèrent à Mirean la main droite du serment et lui dirent : «Notre maître Grigol est le père de Xancta et, s'il plaît au Seigneur, <cet enfant)> sera lui aussi son disciple avec nous, où que nous soyons.» Et ils partirent en Apxazeti et le roi des Apxazes, Demet're, les couvrit de grands honneurs et il les installa dans un bel endroit.

700 20 Et quand le bienheureux Grigol apprit le départ de Tevdore et de Krist'epore, il

fut très affligé ; il prit quatre frères et le bon pasteur partit rechercher les agneaux choisis. Et lorsqu'il arriva aux environs du Kartli, il trouva, par la volonté de Dieu, en cherchant ses frères, le petit Eprem, un digne enfant ; <c'est lui que> l'on vit,

705 dans sa dignité, parvenir à l'âge adulte avec sainteté et <on le vit>, dans sa sainteté, évêque thaumaturge d'Ac'q'uri et il atteignit dans l'épiscopat un âge très avancé et il mourut admirablement et ses saintes reliques ont été données au Samcxe pour l'illuminer. Le bienheureux Grigol fit d'Eprem, digne de Dieu, son disciple et il lui dit : «Quand je reviendrai d'Apxazeti, je t'emmènerai avec moi à Xancta.» Et il par-

710 tit en Apxazeti. Lorsqu'il parvint en présence du souverain, celui-ci se leva et il alla à sa ren­

contre et le salua humblement, car il était frappé d'effroi devant les grâces de sa 268 sainteté et la splendeur de son visage. En effet, | la figure du saint resplendissait de

la grâce divine, comme le visage du prophète Moïse297. 715 Après cette salutation, le roi et le bienheureux Grigol s'assirent, et le saint pria

pour lui longuement et le couvrit de nombreuses bénédictions. Et le roi dit : «Béni soit Dieu qui t 'a conduit ici, saint père. Mais, dis-moi, pourquoi tant de fatigues ?» Et le bienheureux Grigol lui dit : «Pieux et noble roi, de saints pères, mes frères, se sont présentés à toi et ils se trouvent maintenant dans ton royaume et c'est pour eux

720 que je suis venu ici. Que Ta Souveraineté donne l'ordre de les faire venir à nous ici.» Mais il en coûtait beaucoup au roi de les quérir et il lui dit : «Les moines dont parle Ta Sainteté ne sont pas venus ici.» Alors le bienheureux père Grigol se mit en colère à cette parole du roi et il lui dit : «Roi, ne me fatigue pas ! Rends-moi mes frères qui sont venus chez toi.» Et comme le roi ne pouvait rien répondre à la juste

725 réprimande du saint, il donna l'ordre de faire venir les frères. Et quand ils virent le père Grigol, ils se prosternèrent devant lui en pleurant.

Mais le saint les releva, les embrassa avec amour et il remerciait le Christ de les avoir trouvés. Et comme les frères étaient tout naturellement dans l'attente du saint, grande fut la joie de chacun d'eux à ces retrouvailles.

730 Et le roi dit au bienheureux Grigol : «Saint père, ce que tu désirais et souhaitais a été satisfait. Que le Seigneur accomplisse aussi le désir de mon cœur, car je vou­drais fonder un nouveau monastère. Accepte maintenant que nous allions voir diffé­rents endroits en Apxazeti et nous ferons de l'endroit retenu par Ta Sainteté un monastère.»

735 Ils parcoururent des terres susceptibles de devenir des monastères et elles ne plu­rent pas au saint qui dit au roi : «Il n'y a ni sol298 ni eau dans ce pays où fonder un

295. Sur les conditions dans lesquelles Arseni devint catholicos du Kartli, voir plus bas chap. 42.

296. Moc'ese (1.23). 297. Voir Ex 34, 29. 298. Mìe'aj (1.27): sol.

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monastère, car le talent du moine, c'est le jeûne299. On ne peut jeûner sur ce sol à cause de la mortelle chaleur de l'air.»

Le roi fut très affecté de cette explication et il leur dit : «Il n'est pas juste que ce 740 pays ne puisse participer à vos bienfaits.»

21 Alors, devant la foi du roi, le père Grigol fonda un monastère auquel il donna le

nom de Ube. Il y établit comme abbé un certain Ilarion, arrivé de Jérusalem, un vieillard plein de foi, qui avait quitté Xancta avec Tevdore et Krist'epore et qui pos-

745 sédait de bons livres, et le père Grigol laissa également au monastère ses propres livres qu'il avait avec lui. Et la fondation du monastère remplit de joie le souverain qui offrit de nombreux dons pour sa fondation. Et il donna 10 000 drachmes300 au père Grigol et à ses amis et les combla de toutes sortes de biens.

22 750 Et au moment de leur départ, le roi Demet're interrogea avec insistance le père

269 Grigol sur l'aspect des déserts du K'iarjeti afin de connaître | toutes les caractéris­tiques de ces saints lieux. Et le père Grigol lui dit : «Pieux roi, même si je parlais longtemps, je ne pourrais parvenir à te dire, comme je le voudrais, toute l'excel­lence de ces déserts depuis que la règle de la vie monastique germe au milieu d'eux

755 et elle y fleurit particulièrement et s'y épanouira dans les temps à venir. Mais je t'en dirai quelques mots parmi bien d'autres choses301.

La région où se trouvent ces déserts est homogène302 de nature et bien favorisée par le soleil et l'air, car ils ne sont pas brûlés par de fortes chaleurs et le froid n'af­flige pas excessivement ceux qui y vivent ; mais <la région> ne souffre naturelle-

760 ment d'aucun excès303, sans humidité, sans chaleur étouffante, sans défaut304, enso­leillée ; et la plante des pieds305 de ceux qui la traversent ne devient pas boueuse. Elle possède eau de qualité et arbres306 à volonté, sans limites, poussant dans les sables, d'innombrables forêts de chênes et des eaux douces en abondance : Dieu lui a donné une nature riante. Elle n'a pas de routes et elle est inaccessible à ceux qui

765 vivent dans le monde307 ; car leurs demeures se trouvent dans les hautes montagnes du Lado308j et la montagne les enveloppe d'un côté, de l'autre les eaux abondantes venues du Šavšeti les entourent, en convergeant, comme d'une muraille immuable.

Ainsi <ces déserts> sont de tous côtés enclos de montagnes, de ravins et d'eaux provenant de régions terriblement difficiles. Et il n'y a ni terre à moissonner, ni

299. T'alant'i (1. 28) : talent (pièce de monnaie), don, aptitude ; PEETERS, p. 242, n. 2 : «proprium munus, officium.»

300. Drama (1.40) : pièce d'argent. 301. Passage à rapprocher du bref éloge du chap. 11,1. 511-516. 302. Ertguam (1. 7) ; PEETERS, p. 243,1. 15 : una specie. 303. Littéralement : elle se tient par constitution dans sa propre limite. MENABDE, p. 135 :

«...dans les limites de sa propre nature» ; PEETERS, p. 243 : «aequabiliter in sua mediocri­tate».

304. Ubic'oj (1. 10) : irréprochable, sans impureté, sans saleté. PEETERS, p. 243, n. 2, cor­rige en uc'vimoj, «non pluviosa.» MENABDE, p. 135, ne traduit pas.

305. Naxc'ni perqtani (1. 11); si perqi désigne indiscutablement le pied, naxc'i en revanche est un mot rare ; SARJVELAJE, p. 163, lui donne comme équivalent pexisguli, pied ! On suit PEETERS, p. 243,1. 20 : «planta pedum».

306. Šeša (1. 12) : bois, arbre. 307. Littéralement : selon la loi de ce monde. 308. Il s'agit des demeures des moines.

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770 champ à labourer dans ces monastères, et le ravitaillement arrive à grand peine à dos d'âne ; et quelques vignes ont été plantées avec difficultés et soucis ainsi que des jardins309 ; mais il y a des légumes des champs310 en quantité innombrable.

Et, en plus de cela, l'esprit <des habitants des déserts> n'a pas à redouter les per­turbations des non-chrétiens païens, ni aucune commotion en période de conflit des

775 souverains. Ils vivent ainsi dans une très grande tranquillité et dans la paix et ils louent le Christ.

Car Dieu, au moment même de la Création, a créé <ces déserts> pour les temps à venir, pour l'installation de moines et comme refuge pour tous les chrétiens en ces deux vies311. Selon le décret de Dieu en effet, c'est l'habitude que les monastères de

780 ces saints déserts soient construits par la main des pauvres, lesquels se sont aussi complètement affranchis des séductions du monde ; bien que les souverains veillent sur les saints déserts, il a cependant plu au Christ que les pauvres tirent leur renom de la fondation des monastères. En revanche Dieu a donné aux rois fidèles le pou­voir de fonder des sièges épiscopaux et des villes avec des villages, et il en a fait

785 des princes sur tout le peuple afin qu'ils jugent avec justice, ornés de splendides vêtements, sans laisser cependant leur esprit dans des choses visibles, mais en pen­sant aux biens éternels. Car la sagesse divine fait comprendre à tous les hommes, à travers la diversité des vêtements, la dignité de chacun de leurs ordres312, dans la piété.

790 Mais les moines fidèles et véritables ne sont sous la souveraineté de personne sur 270 terre puisqu'ils se sont volontairement soustraits aux délices qui passent | et qu'ils

ont choisi, à cause de Dieu, la tristesse de lieux de désolation, comme les saints pères d'autrefois, lesquels, vivant dans une grande pauvreté, ont fondé de saints déserts, sans l'ordre des rois de la terre, avec l'aide du Dieu tout-puissant.

795 Et voici qu'à notre époque il est des hommes, semblables à ces premiers bien­heureux, qui ont fondé des monastères dans des lieux vides pour que Dieu y habite, et de pieux souverains prennent une part à leurs travaux par des dons généreux, comme vient de le faire aujourd'hui Ta noble Majesté qui a enrichi notre pauvreté de nombreux bienfaits ; et tu as pleinement part à notre prière.»

800 Le roi se réjouit des paroles du bienheureux Grigol et il renforça en son âme la grande foi et l'amour qu'il avait pour les déserts du K'iarjeti et il rendait grâces à Dieu, bienfaiteur de ceux qui suivent sa volonté. Et ils donnèrent la paix au souve­rain et quittèrent Γ Apxazeti.

23 805 Tandis qu'ils cheminaient ensemble, les bienheureux Tevdore et Krist'epore

dirent au bienheureux Grigol : «Saint père, lors de notre départ de Xancta pour le Samcxe, lorsque nous sommes arrivés aux abords du domaine de l'aznaur Mirean, ses hommes nous ont aperçus alors que nous faisions étape dans la campagne, le soir venu ; ils en ont informé leur seigneur et Mirean lui-même s'est empressé de

810 venir ; il nous a salués humblement et il nous a emmenés dans son palais et il nous a permis de bien nous reposer.

309. Mt'ili (1.23) : jardin ; MOUTOR, p. 225 : avec le sens de hortus ; PEETERS, p. 243,1. 34 : «pomario.»

310. Mxali (1. 21) : plante potagère, légume. 311. Ork'erjove (1. 30), littéralement: des deux côtés; PEETERS, p. 244, 1. 5: «geminum

perfugium» en comprenant geminum au sens animae et corpori. Il s'agit plutôt de la prière pour les vivants et les défunts. Non traduit dans MENABDE.

312. Cesi (1. 41), voir plus haut, n. 168.

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Et quand il a fait jour, il nous a introduits en présence de son épouse qui s'ap­pelle K'ravi et c'est une servante du Christ ; et après que nous l'eûmes bénie et que nous nous fûmes assis, le noble seigneur Mirean a donné l'ordre de faire venir ses

815 fils devant nous, trois très beaux et bons garçons. Et quand nous les eûmes bénis, il a dit à K'ravi : "Faisons maintenant un beau signe313, désignons celui de nos fils qui deviendra moine et disciple de ces disciples du Christ ; par leurs prières la grâce lui sera donnée pour que ceux qui nous haïssent voient et soient couverts de honte. Indique maintenant celui de nos enfants qui deviendra religieux." Et elle lui a dit :

820 "Mon seigneur, tes enfants sont devant toi. Celui que tu voudras, que le Seigneur le choisisse comme religieux élu." Et il a dit : "Le cadet sera moine et fils spirituel de ces pères du désert."

Il l'a conduit de sa propre main et nous l'a donné pour que nous le marquions de la croix et il a revêtu le vêtement des religieux, et nous lui avons donné le nom

825 d'Arseni et nous lui avons promis que son fils deviendrait ton disciple comme nous, et il s'en est beaucoup réjoui. Fais maintenant ce qui plaira à Ta Sainteté.»

Et le saint leur dit: «Bienheureux frères, c'est la volonté de Dieu qu'il soit par nos mains choisi parmi les religieux et qu'il parvienne à un haut rang.» Et il leur raconta à son tour, comme en réponse, tout ce qui concernait le digne enfant et ado-

830 lescent Eprem. Et les frères se réjouirent à ces paroles de leur maître. Ils arrivèrent ensemble à l'endroit où était Eprem et ils l'emmenèrent ; de même

271 pour le bienheureux Arseni ; saint Eprem était le plus âgé. | C'est à leur sujet que le bienheureux Grigol dit cette parole de David : «"La découverte des paroles de Dieu est illumination, elle rend sages les petits enfants314", eux par qui la louange du

835 Christ sera renforcée. En vérité des innocents et des justes nous ont accompagnés pour soutenir le combat de la vie monastique, selon le commandement du Seigneur : "N'empêchez pas ces enfants de venir à moi, car c'est à leurs semblables qu'appar­tient le royaume des cieux"315. Mais sachez, frères, que de légitimes protestations vont s'élever contre nous parmi nos frères, mais le Seigneur prendra lui-même soin

840 de ceux dont il a dit : "Gardez-vous de scandaliser un seul de ces petits, car leurs anges contemplent sans cesse la face de mon Père des cieux"316. C'est à vous main­tenant, frères Tevdore et Krist'epore revêtus de victoire, de bien les élever selon la volonté de Dieu.»

Et ils lui promirent de se charger de leur tutelle. Alors le bienheureux Grigol leur 845 dit : «Que votre plus grand plaisir soit d'avoir toujours les yeux sur eux. Souvenez-

vous de la noblesse de leurs parents, de leur foi envers le Christ et envers les pauvres que nous sommes, de la manière dont ils ont oublié l'amour paternel par amour du Christ, dont ils les ont livrés en sacrifice au Christ par nos mains et dont ils nous les ont confiés, à nous des étrangers, comme si nous étions leurs propres

850 frères. Et maintenant que nous avons emmené ces innocents loin de leurs parents pour les garder dans la sainteté, puisse le Christ les trouver tels quand il les deman­dera à nos mains comme son héritage !»

Lorsqu'ils arrivèrent à Xancta, les frères, divinement rassemblés par le Christ, se réjouirent de Γ arrivée du père spirituel et des frères. Mais il y eut parmi eux des

855 protestations parce qu'ils introduisaient des enfants, et ils vinrent trouver le père Grigol et lui dirent: «Saint père, l'Apôtre a dit: "L'amour parfait chasse la

313. Sasc'auli (1. 26) : miracle, signe. 314. Ps 119 (118), 130. 315. Voir Mt 19, 14 ; Me 10, 14 ; Le 18, 16. 316. Mt 18, 10.

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crainte"317. Si Ta Sainteté l'ordonne, nous dirons sans crainte ce pour quoi nous sommes venus.»

Et il leur dit : «En vérité l'amour est enraciné au milieu de nous et il n'y a pas en lui de crainte ; dites ce que vous voulez.» Et ils lui dirent : «Il n'y a rien à reprocher à aucun de tes actes, sauf que tu as introduit des enfants. La règle que tu as édictée est violée sous ta direction même et les temps à venir nous en feront reproche. Bien que notre esprit soit sans crainte pour l'instant, cependant cet acte va contre la règle. Voilà ce que nous disons, saint de Dieu.»

Quand il entendit cette bonne remarque, le bienheureux père Grigol se réjouit ouvertement et leur dit : «Ô bienheureux frères, que jamais il ne m'advienne de changer pour quelque raison profane une règle apportée par les premiers pères ! Mais je vais vous dire la vérité devant Dieu et jamais vous n'avez entendu de parole fausse sortir de ma bouche : ces enfants sont venus ici parce que le Christ Dieu m'a tout dit à leur sujet par la bouche d'un saint ange : "Comme Éphrem | le Syrien et Arsène le Romain318 qui se sont éloignés des hommes et rapprochés de Dieu, de même ces dignes enfants seront élevés à Xancta sans qu'il y ait faute jusqu'à l'heure de leur dignité319". Pouvons-nous donc contester l'ordre du Seigneur? Car "cela m'a été imposé contre mon gré", selon la parole de l'Apôtre : "Si je n'évangé-lise pas, malheur à moi !"320. Mais bienheureux êtes-vous de ce que le Seigneur vous ait choisis pour ses serviteurs !321 Sans une raison de ce genre, si quelqu'un change l'antique règle et introduit un enfant dans ce monastère, il sera lourdement puni lors du retour glorieux de notre Seigneur Dieu.»

Et les frères furent satisfaits et édifiés de cela et ils louaient le Christ qui fait des merveilles. Alors Tevdore et Krist'epore, dont les cellules se trouvaient au même endroit, à l'écart des autres frères, emmenèrent les enfants théophores, loin des pères spirituels, dans leurs cellules, selon l'ordre du bienheureux père Grigol et, en guise de lait, ils les nourrirent avec bonheur de la grâce de Dieu.

24 885 À cette époque, par la volonté de Dieu, par la volonté de ses frères et par ordre

du roi des Grecs322, le curopalate Bagrať reçut la curopalatie à la place du curopa-late Ašoť, son père, car le pouvoir de la souveraineté lui fut donné d'en haut. Ses frères, tous bons et nobles souverains, Adarnerse l'aîné et Guaram le plus jeune, obéissaient à leur frère cadet dans l'amour d'une divine fraternité, car ils n'avaient

890 qu'une seule pensée, une seule âme, une seule volonté. Et Bagrať les surpassait en sagesse, en allure323, en vertu et par une totale joie de

servir Dieu, car il ressemblait au prophète David et au bienheureux Pancrace,

317. Un 4,18. 318. Arsène (v. 354-v. 450) est un des plus célèbres pères du désert ; il passa une grande

partie de sa vie comme moine dans le désert de Scété. Il est l'auteur des apophthegmes dits du père Arsène ainsi que d'une lettre uniquement conservée en géorgien ; voir G. GARITTE, Une «Lettre de S. Arsène» en géorgien, Le Museon 68, 1955, p. 259-278 ; M. VAN PARYS, La Lettre de saint Arsène, Irénikon 54,1981, p. 62-86.

319. Le suffixe -o que porte le dernier mot de cette phrase (matisao, 1. 3) indique la fin d'un discours direct ; ce qui précède rapporte donc les propos tenus par l'ange à Grigol.

320. 1 Cor 9,16. 321. Gamogirăna (1. 6), dans lequel gi- renvoie à un objet de 2e personne ; on ne peut

donc retenir la traduction de PEETERS, p. 247,1. 6 : hos eligerit. La phrase prolonge en fait la citation de Paul qui, au verset 18, se définit comme l'esclave de tous.

322. Sur l'identité de cet empereur (Léon V, Théophile ou Michel III), voir le commen­taire.

323. Saxe (1. 23) désigne l'apparence, les traits du visage ; PEETERS, p. 247,1. 24 .forma.

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apôtre, prêtre et martyr, disciple du saint apôtre Pierre324, par son absolue piété ; et la royauté des trois frères souverains grandit, par la grâce du Christ, car, avec l'aide

895 de Dieu, ils conquirent par leur épée de nombreuses terres et ils chassèrent les fils d'Agar.

Et le bienheureux père Grigol se présenta devant le noble curopalate Bagrať et il le félicita comme il convenait de son accession à la curopalatie. Mais cet éloge de son avènement, inconcevable pour les sages du temps, plut beaucoup au très pieux

900 curopalate qui lui dit : «Ô saint père, Dieu t'a paré en sagesse, en taille et en Esprit Saint pour que tu sois pour nous la muraille de salut qui s'interpose entre la mort et la vie, elle grâce à qui également toute cette terre s'est étendue par ta sollicitude et tes divins combats et il m'appartient d'aimer et d'honorer Ta Paternité. Maintenant que Ta Sainteté dise quel service notre royauté peut rendre à Ta Révérence, car tu

905 as, de par Dieu, une part avec nous, les enfants du curopalate Ašoť.» Alors le saint lui dit : «Ô pieux roi, gardé par la croix du Seigneur bien plus et

bien davantage que ton pieux père, puissent la droite du Créateur et la prière des saints te garder toujours et puisse le Gardien qui ne dort pas être en toutes choses

273 ton gardien et | puisse la lumière qui ne s'obscurcit pas guider ta royauté et puisse 910 celle-ci n'avoir pas besoin de la lumière de chandelles, sinon dans l'obscurité. Et

moi, je m'empresse d'accepter ta demande pour qu'il ne manque pas une bonne œuvre aux affaires de ta royauté. Et voici ce que je te demande : c'est le curopalate Ašoť qui a offert à Xancta un domaine qui pourrait devenir un bon monastère. Si Ta Royauté m'en donne l'ordre, je le construirai pour la gloire de Dieu et le salut de

915 ton âme et il y sera prié pour toi tant que dureront le ciel et la terre.»

25 Alors le curopalate Bagrať tout joyeux lui donna l'ordre de le construire et il lui

donna tout ce qui était nécessaire à la construction. Et quand le bienheureux père Grigol vint à Šaťberdi, il baigna l'endroit de torrents de larmes en prononçant la

920 prière suivante : «Ô Dieu, dans la puissance de ton règne, tu as créé sans travail toutes tes créa­

tures et tu gouvernes avec souveraineté toutes tes œuvres, car, facteur des deux, créateur des anges, consolidateur de la terre, fondateur des mers, tu fais aussi des œuvres menues, comme dit le prophète David : "Si le Seigneur ne construit la mai-

925 son, en vain les constructeurs se hâtent"325. Maintenant Seigneur, que tes oreilles se fassent attentives au cri de ma prière326 ; bénis cet endroit par ta grâce ; fonde ce monastère pour le repos des héritiers de ta sainteté et donne à son nom une grande célébrité parmi des peuples nombreux pour ta gloire, Seigneur de l'univers, par l'aide invisible de ton bras puissant ; illumine-le de la lumière de ton Esprit Saint et

930 protège-le jusqu'à la fin des temps par l'intercession de la sainte Mère de Dieu et de tous les saints, amen !»

Et il traça le signe de la croix à l'endroit choisi et on commença à faire l'église ainsi que les cellules et <la construction> progressait de jour en jour avec bonheur et ce devint une vallée de désolation pour les ennemis invisibles et visibles, mais le

935 port du salut pour les brebis du Christ, rois, princes et tout le peuple des chrétiens orthodoxes. Comme Xancta choisi d'en-haut par Dieu, Šaťberdi fut de même fondé avec l'aide divine et par la prière de ce bienheureux homme, lequel réunit ces deux

324. Bagrať est la forme géorgienne de Pancrace. 325. Ps 127 (126), 1. 326. Voir Ps 130 (129), 2.

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déserts, conjoints et affermis dans l'amour fraternel jusqu'à la consommation des temps.

940 Après cela le curopalate appela le saint et, quand <le saino fut devant lui, il lui fit part de Fheureux avancement du monastère par le Christ. Alors <le curopalato attribua à Šaťberdi de bons terrains comme domaines et il lui donna tout ce qui était nécessaire pour achever la construction.

26 945 À ce moment-là le bienheureux Grigol eut l'idée de parler de Saba ďlšxani et il

raconta au pieux curopalate tout ce qui s'était passé précédemment ; et celui-ci se réjouit beaucoup en l'entendant ; il s'empressa d'écrire une lettre et il envoya les hommes qu'il fallait et invita cérémonieusement <Saba>. Mais les envoyés revin-

274 rent et informèrent le curopalate : «L'homme de Dieu ne veut pas | venir.» Alors le 950 curopalate décida de faire des chemins pour Išxani327 dont il ne se trouvait alors pas

loin. Et il dit au bienheureux père Grigol : «J'ai agi sans sagesse en ne te faisant pas écrire une lettre. Ecris-lui maintenant comme il est normal.» Et il écrivit lui-même de nouveau une autre lettre et il lui envoya aussi la lettre du père Grigol. Et le bien­heureux Saba obéit au deuxième mandement du curopalate et surtout à la lettre du

955 père. Et l'homme de Dieu attendu se rendit auprès de ceux qui l'attendaient. Et le

curopalate alla à sa rencontre et le salua avec déférence. Et <l'homme> le bénit. Et quand ils furent assis, le curopalate dit au saint : «Il faut obéir aux souverains : pourquoi n'es-tu pas venu à mon premier appel, saint père ?» Et il lui dit : «Noble

9C0 roi, tu es un souverain de la terre, et le Christ <l'est> du ciel, de la terre et des enfers. Tu es roi de ces peuples, et le Christ <l'est> de toutes les créatures. Tu es roi de ces temps qui passent, et le Christ <est> roi éternel et il demeure roi des anges et des hommes, parfait, immuable, intemporel, sans commencement ni fin, et c'est toi surtout qui dois écouter ses paroles, lui qui a dit : "Personne ne peut servir deux sei-

965 gneurs"328. Mais c'est à cause de la lettre de mon frère et maître Grigol que je me suis maintenant présenté devant toi.»

Et le curopalate lui dit : «Tu parles justement, saint ; mais il vaut mieux que de nombreuses âmes soient éclairées par ton éclat sur un lampadaire, par le flambeau de la splendeur, comme dit le Christ à ses disciples : "De même que la clarté du

970 soleil illumine ceux qui vivent sous les cieux, de même que votre lumière brille devant les hommes pour qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils louent votre Père des cieux"329.»

Après cela le curopalate alla à Išxani avec les bienheureux hommes, le père Grigol et le père Saba. Et le lieu plut beaucoup au curopalate. Mais pourquoi en dire

975 plus ? Par la volonté de Dieu, Saba devint évêque d'Kxani, l'église catholique fon­dée par le bienheureux catholicos Nerse330 et son siège, <église> qui était restée veuve pendant de nombreuses années ; et il y eut maintenant de nouveau un mariage spirituel et <le siège> fut restauré par ce bienheureux ainsi que par les soins des pieux rois sur le plan matériel.

327. G zata I tenistim sakine (1. 1) ; Išxani était pratiquement abandonné ; la réalisation de chemins prélude à la visite que va faire le curopalate.

328. Mt 6,24 ; Le 16,13. 329. Mt 5, 16. 330. Nersës III le Constructeur (641-661), catholicos d'Arménie, construisit l'église

Sainte-Croix ďlšxani, lorsque son conflit avec T'êodoros Rštuni, à l'époque de Constant II, l'obligea à se replier dans le Tayk' dont il était originaire, de 654 à 659.

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980 Et chaque fois que le père Grigol était invité à Išxani, l'évêque lui faisait prendre place sur le trône et il s'asseyait avec lui, car il ne supportait pas de désobéir au bienheureux Grigol qui était son maître et son supérieur331. C'est ainsi qu'Isxani prospéra jusqu'à nos jours et à jamais.

27 985 Mais revenons maintenant à notre propos initial. Notre bienheureux père Grigol

était honoré d'en haut par Dieu, et personne à son époque ne désobéissait à ce qu'il disait, surtout pas les souverains d'alors. Et un jour où les nobles frères332 se trou-

275 vaient réunis, | le bienheureux leur demanda instamment d'aller visiter les monas­tères qu'il avait construits et tous les déserts du K'iarjeti.

990 Et ils écoutèrent la demande du saint qui guida lui-même les princes. Et il les conduisit d'abord à Sat'berdi et le lieu leur plut beaucoup. Les souverains, les aznaurs et tout le peuple firent de grandes offrandes. Puis les nobles aznaurs décla­rèrent qu'ils seraient les protecteurs de Sat'berdi.

Et alors que les souverains quittaient Sat'berdi, sous la conduite du bienheureux 995 Grigol, arriva Zakaria, le digne et thaumaturge évêque d'Anca. Les souverains le

saluèrent avec respect et l'emmenèrent avec eux, et ils se rendirent à Jmerk'i et à Berta, églises de la Mère de Dieu, et à Daba, église du saint martyr Georges. Et Dolisq'ana devint plus tard un monastère. Ils admirèrent ces saints lieux et réparti­rent entre eux d'abondantes libéralités, car les trois souverains avaient beaucoup à

1000 offrir. Et ils reçurent les remerciements des saints pères avec leur bénédiction. Et ils allèrent à Op'iza et ils en eurent grande joie par la grâce du Baptiste et la

bénédiction des bienheureux et ils lui manifestèrent le grand souci qu'ils en avaient en lui remettant des offrandes.

Et ils se dirigèrent vers Xancta, et le bienheureux Grigol emmena avec lui les 1005 higoumènes des monastères et ils allèrent à Xancta dans la demeure du grand mar­

tyr Georges ; et l'esprit des souverains s'émerveilla encore davantage lorsqu'ils virent les disciples du bienheureux Grigol dans la règle très rigoureuse de la vie monastique, car ils étaient comme des anges du ciel. D'abord, ils reçurent des armes pour vaincre les ennemis333 par l'intercession de saint Georges ; puis, à la prière du

1010 bienheureux, ils illuminèrent les âmes et les corps ensemble, car, voyant que ce lieu aussi était démuni de fruits334, ils firent sur leurs biens des offrandes encore plus abondantes.

C'est alors que l'higoumène de Mijnajoro, le grand et bienheureux père Davit, fondateur de monastères, vint au devant des souverains, avec ses disciples, les bien-

1015 heureux Ilarion, père et fondateur de C'q'arojstavi, futur catholicos de Mcxeta, et le père Zakaria, fondateur de Baretelta. Et les dominateurs se réjouirent quand ils virent l'assemblée de ces saints pères qui étaient semblables aux saints incorporels, car ils les entendaient enseigner les commandements divins. C'est pourquoi les grands souverains dirent : «Saints pères, depuis que nous vous voyons, nous avons

1020 complètement oublié que nous étions sur la terre ; mais nous avons l'impression de demeurer au ciel, dans la légion des saints, car vous vous tenez sans cesse en esprit devant Dieu et là où sont vos demeures, là même est votre cœur. Que votre interces­sion soit sur nous maintenant et à jamais !»

331. Uzeštaes (1. 38) : supérieur, Très-Haut. 332. Il s'agit du curopalate et de ses deux frères. 333. Sač'urveli (1. 24) : armes, armure. 334. Naq'opni (1. 26).

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Et les saints fortifièrent les souverains par de nombreuses prières et ils les béni­rent et leur dirent : «Pieux rois, en vérité | vos cœurs sont dans les mains de Dieu, lui qui a donné aux pauvres que nous sommes le réconfort de votre visage et de vos très généreuses donations. Et le Seigneur vous a donné, en une royauté mortelle, de planter les saintes églises de souverains immortels335 ; et l'assistance de ceux-ci sera pour vous invisiblement autant d'armes, bien supérieures aux armes visibles, plus nombreuses que des milliers de cavaliers. Et sachez que vos saintes armées que voici, les pères des déserts, qui se battent spirituellement, sont les forteresses de vos armées qui se battent matériellement et les armes de tous les rois fidèles dans les rangs de la guerre, particulièrement pour vous qui, dans les hauteurs de la royauté, avez une humilité semblable à celle du Christ, le souci des saintes églises, celui de réconforter les pauvres, un juste jugement envers tout le peuple, selon la parole du Seigneur : "Ne jugez pas selon les apparences, mais rendez un juste jugement"336, afin que, dans la royauté terrestre, vous receviez d'habiter aussi avec le Seigneur du ciel, et le Christ vous donnera la gloire parfaite du ciel et de la terre, pour que nous qui habitons ces demeures337, nous ne négligions jamais de faire bonne mémoire de vous338.

Considérez comment le patriarche Abraham et le prophète David ont donné avec équité une part de leur butin à leurs guerriers : que de cette manière les pauvres et les églises aient toujours part à vos biens, comme le Seigneur l'ordonne au sujet des lévites : "C'est moi qui suis leur part"339. De même définissez, vous aussi, une part pour les pauvres afin de recevoir en échange le Seigneur comme espoir en ces deux vies, car les pauvres n'ont rien, sinon la miséricorde du Dieu clément.»

28 Après cela les saints pères délibérèrent avec l'évêque340 au sujet du père Grigol

afin d'instituer Grigol archimandrite341 sur tous les déserts du K'iarjeti et ils en réfé-1050 rèrent aux souverains. Et ceux-ci s'en réjouirent grandement et, ensemble, avec de

grandes difficultés342, ils lui imposèrent cette responsabilité et il dirigea avec bon­heur l'ordre343 des saints pères pendant de longues années jusqu'à sa mort.

Et les souverains visitèrent Mijnajoro, C'q'arojstavi et Baretelta et leurs terri­toires344, et ils donnèrent là aussi des offrandes et ils reçurent les remerciements des

1055 saintes églises et des bienheureux pères, dignes et saints athlètes. Et ils fixèrent aussi des confins à tous ces déserts.

335. C'est-à-dire les saints. 336. Jn 7,24. 337. Vani (1.26); voir n. 198. 338. PEETERS, p. 253,1. 5-6, rattache cette dernière proposition à la phrase qui suit. 339. Dt 10, 9. À la différence des autres tribus, la tribu de Lévi ne reçoit pas de territoire :

«Le Seigneur a mis à part la tribu de Lévi pour porter l'arche de l'Alliance du Seigneur, se tenir devant le Seigneur, officier pour lui et bénir en son nom... C'est pourquoi Lévi ne pos­sède pas de patrimoine ni de part comme ses frères ; c'est le Seigneur qui est son patrimoine, comme le seigneur ton Dieu le lui a promis.»

340. Zakaria, l'évêque d'Anča, mentionné au début du chap. 27. Les évêques d'Anča ont autorité sur les monastères du K'iarjeti, voir les chap. 64 et 65.

341. Arkimandrìt'i (1. 26). 342. Dap'at'ižeba (1. 28) implique une menace de sanction. 343. Cesi (1. 30) ; voir n. 168. 344. Adgilni (1. 32), littéralement: lieux, que l'on retrouve dans «lieux saints», d'où

PEETERS, p. 252,1. 22 : «(sacra) loca» ; un monastère est un lieu saint dans son ensemble.

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En partant, ils emmenèrent avec eux le bienheureux Grigol, et le souverain Adarnerse lui donna son fils Gürgen345 par le baptême, et comme le fils du curopa-late Bagrať, le curopalate Davit346, fut également reçu <dans le baptême> par le

1060 bienheureux père Grigol, ces deux souverains, le curopalate Davit et le curopalate Gürgen, <...>347 ; c'est pourquoi le curopalate Gürgen fit ce testament au moment de sa mort : «Déposez-moi près des os de mon parrain, à ses pieds ; et déposez les os des autres pères sur moi.» Ce qui fut fait.

277 Mais, après le curopalate Gürgen, | son fils, Péristav des éristavs Ašoť348, com-1065 mença avec ardeur une nouvelle église à Xancta et il multiplia d'immenses

offrandes en sa faveur. Le père Arseni, aznaur de naissance, était alors higoumène de Xancta. Sur ses conseils, on commença la nouvelle et belle église sur une roche dure349, qu'ils nivelèrent350 longtemps au prix de grands travaux et avec de solides fondations en ciment351 ; ils jugèrent alors le terrain prêt pour la construction défini-

1070 ti ve. Que le Christ bénisse Amona, le constructeur plein de science, et tous ceux qui l'ont aidé à l'heureuse réalisation de la construction de cette église ! La pierre et la chaux venaient de très loin à dos d'hommes par des chemins difficiles. Et tout était pesé à la balance352, car les constructeurs l'achetaient.

Le pieux souverain, fondateur de saintes églises, dispensateur de biens et protec-1075 teur des pauvres353 mourut à ce moment et il fut enseveli à Xancta par les soins

d'Arseni et de son fils Mcxuedi. Et le père Arseni et le frère de Jibril, le bienheu­reux Iovane, qui termina la nouvelle église, moururent tous les deux à Xancta durant leur abbatiat354. Que le Christ leur accorde le repos !

Et Gürgen, fils du frère d'Ašot'355, grand souverain de nombreux peuples356, sié-1080 gea par Dieu comme éristav des éristavs. Il acheva la nouvelle église de Xancta

avec tous les nobles souverains, les aznaurs et tout le peuple des fidèles. Que le Seigneur leur accorde à tous les biens inépuisables !

29 Mais revenons maintenant à ce que nous avons laissé plus haut. En grandissant,

1085 le renom du bienheureux père Grigol atteignit le Kartli et sa bienheureuse mère entendit parler de la gloire de son fils ; elle était en effet toujours en vie et aux portes de la vieillesse ; alors son âme se réjouit et son corps reprit force et elle ren­dit grâces au Christ des bonnes nouvelles qu'elle avait apprises au sujet de son fils, bon en tout, célèbre matériellement et couronné spirituellement ; car c'était son fils

1090 unique et elle n'avait pas connu d'autre homme que celui qui l'avait engendré, mais elle était restée saintement dans la prière, le jeûne et la constante crainte de Dieu ; et son cœur souffrait d'être loin de son fils. Mais cette joyeuse rumeur lui donna force

345. Voir stemma, p. 19 : II. GÜRGEN. 346. Voir stemma, p. 20: 2. DAVIT. 347. Il y a manifestement ici une lacune dans le texte. Bagrať devint curopalate après l'as­

sassinat de Davit en 881. 348. Voir stemma, p. 19 : IV. ASOT'. Sur le titre d'éristav des éristavs, voir plus haut,

p. 19. 349. Piaceli (I. 5). 350. Davak'eba (1. 6) ; voir ABULAJE, p. 108. 351. Kvitk'irni (1. 6) : pierres cimentées. 352. Sasc'ori (1. 11) : balance pour peser l'argent ou l'or. 353. Ašoť est mort en 918. 354. Mamoba (1. 16). 355. Voir stemma, p. 19 : VIII. GÜRGEN, fils de V. Adarnerse. 356. Natesavi (1. 19).

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et, ainsi consolée, elle en oublia les disparus pour lesquels elle pleurait. Elle partit immédiatement sur une monture357 et ses serviteurs et servantes l'accompagnèrent.

1095 Et elle se rendit à Mere auprès de la mère Febronia ; celle-ci l'accueillit avec joie et prévint immédiatement par lettre le bienheureux Grigol ; et le saint, en fils impec­cable, vint bien vite auprès de sa pieuse mère et il se prosterna devant elle et il lui donna la bénédiction et la paix du Christ. Et elle s'avança joyeusement vers son fils, elle l'embrassait et lui disait : «Mon doux fils, je t'ai vu, toi que je désirais, et, à ta

278 1100 vue, | toutes mes peines se sont éloignées.» Et leur conversation se prolongea en de multiples paroles.

Et le bienheureux père Grigol lui dit: «Pardonne-moi, ma mère, je ne t'ai pas quitté de ma propre volonté, mais ce qui a été fait, c'est ce qui semblait plaire à la volonté de Dieu. Tu n'as jusqu'à présent manqué de rien au matériel et au spirituel

1105 en cette vie passagère ; mais maintenant il m'appartient de veiller sur toi au spirituel et au matériel, selon le commandement du Seigneur qui dit d'honorer ses parents358, et il est écrit dans la Sagesse : "Rends à tes parents ce qu'ils t'ont donné, car sans eux tu ne serais pas"359 ; et il est dit encore : "Il est blâmable celui qui méprise son père et il est maudit du Seigneur celui qui chagrine le cœur de sa mère"360, car "La

1110 bénédiction du père et de la mère consolide les maisons pour l'éternité, mais leur malédiction les réduit complètement en poussière"361 ; et Paul a de même souvent répété à tous d'honorer ses parents362 et nous avons entendu ces paroles et d'autres semblables dans les divins livres spirituels destinés à l'instruction des fidèles. Et moi, par la grâce de Dieu, je recevrai en héritage ta bénédiction, comme un fils qui

1115 aime sa mère, en obéissant autant que possible au désir de ton cœur.» Et le bienheureux homme de Dieu réconforta et consola beaucoup la bienheu­

reuse vieille femme et elle bénit Dieu d'abord, puis son fils, et elle lui confia les gens de sa maison qui l'avaient accompagnée en disant : «Reçois-les comme moi-même, fils, eux qui sont restés avec zèle à mon service.» Et le saint lui dit :

1120 «L'Apôtre dit : "Celui qui ne veille pas sur les siens et en particulier sur les gens de sa maison, celui-là renie sa foi et il est pire que les infidèles"363. Il m'incombe, mère, d'écouter ce que tu demandes et de veiller à tout ce qui te soucie.» Et il s'oc­cupa heureusement de tout comme il convenait.

Alors la bienheureuse mère Febronia dit à la pieuse vieille femme : «Femme 1125 aimée de Dieu, je suis également maintenant ton enfant avec Grigol, ton fils et mon

frère ; nous ne manquerons en rien à te servir ; tu m'apparais en effet comme la pro-phétesse Anne qui ne s'éloignait jamais du Temple du Seigneur, priant et jeûnant jour et nuit364 ; de même tu es toujours restée ferme toi aussi dans les commande­ments de Dieu, et la qualité d'un arbre se reconnaît à ses fruits.» Et elle rendait

1130 grâces joyeusement au Christ et à ses saints. Alors le bienheureux Grigol organisa comme il le fallait la vie de sa mère et de

ceux qui étaient avec elle. Il donna un mari à une servante de sa mère ; Basili, le père de Xancta, en naquit, lui qui fut pendant de longues années avec bonheur l'hi-goumène de Xancta jusqu'à sa mort et son départ devant le Seigneur365. Et la bien-

357. Saqedari (1. 36) désigne aussi bien un cheval qu'un âne ou un mulet. 358. Ex 20, 12. 359. Si 7,30. 360. Si 3,18. 361. Si 3,10. 362. Ainsi Éph 6, 1-3, Col 3, 20. 363.1 Tim. 5,8. 364. Le 2, 36-38. 365. Voir par exemple le chapitre 86.

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1135 heureuse mère du père Grigol mourut à Mere après de nombreuses années et elle partit vers le Seigneur qu'elle désirait.

30 279 | Et le bienheureux Grigol prit soin de son âme et rendit gloire à Dieu, lui qui

s'était mis heureusement au service de sa mère et qui en reçut pleinement la béné-1140 diction.

Quand les grands et bienheureux pères Tevdore et Krist'epore virent qu'Arseni et Eprem, dignes de Dieu, étaient sortis de l'enfance et qu'ils étaient accomplis en sagesse et en taille, ils s'estimèrent déliés de la promesse faite au père Grigol de ne pas quitter les enfants avant qu'ils aient grandi.

1145 Alors, en secret, ils quittèrent Xancta de nuit et ils emmenèrent avec eux aussi quelques frères ; et ils retournèrent vers les régions du Kartli, car le Seigneur les appelait invisiblement par un ordre pour que soient fondés par eux les saints monas­tères de Nejvi et de Saint-Cyriaque. Et le Seigneur fit savoir au bienheureux Grigol de ne plus contrecarrer leur zèle, mais de participer à leur bonne œuvre.

1150 Et le père Grigol les chercha ; il les trouva au Samcxe et il leur reprocha d'être partis en secret. Us tombèrent à ses pieds et lui dirent : «Pardonne-nous, saint père, car nous avons quitté Xancta parce qu'il nous paraissait pouvoir tirer quelque fruit de la fondation de nouveaux monastères.» Et le saint leur dit : «Votre intention est bonne par la volonté de Dieu ; mais faites-moi participer à votre zèle car je ne suis

1155 pas le destructeur du bien.» Ensemble ils parcoururent des régions désertes du Samcxe et du Kartli, et ils trouvèrent deux endroits propices à l'aménagement de monastères et ils construisirent des cellules dans les deux endroits. Et Tevdore appela l'une des demeures366 Nejvi et Krist'epore appela <l'autre> Saint-Cyriaque et ils y laissèrent des disciples.

1160 Les trois bienheureux, Grigol, Tevdore et Krist'epore, retournèrent à Xancta pour partager les frères comme il le fallait. Et quand ils rejoignirent leur assemblée agréable à Dieu, ils les bénirent et le bienheureux Grigol commença à dire aux frères : «Peuple du Christ, écoutez-moi. Nous sommes arrivés à quatre ensemble au début dans ce saint désert, le pauvre Grigol, Saba évêque ďlšxani, Tevdore et

1165 Krist'epore, et ces grands pères agréables au Christ m'ont obéi comme des disciples pendant de longues années jusqu'à ce que Dieu les appelle. Quand le Christ a voulu que Saba devienne évêque d'Isxani, il a emmené des frères d'ici. Et maintenant le Christ fait fonder deux très bons monastères au Kartli par Tevdore et Krist'epore. Et de même que des parents charnels partagent leurs biens entre leurs enfants, de

1170 même Xancta est notre père spirituel à tous. Nous avions sans doute la forme de la vie monastique avant notre arrivée, mais c'est ici cependant que nous avons reçu la bénédiction complète. Et maintenant <Xancta> accorde à ses enfants, par mes mains, des frères pour qu'ils soient exempts de soucis dans leur nouvelle fondation grâce à l'assistance de moines éprouvés et pour que l'amour spirituel des monas-

1175 teres que nous fondons demeure ferme.» 280 | Quand il eut fini de parler, il ordonna de rassembler tous les frères et, conseillé

par Tevdore et Krist'epore, il désigna parmi eux treize frères comme part d'aî­nesse367 de Xancta et il partagea tous les autres équitablement en trois groupes, car ceux qui constituaient la part de Šaťberdi avaient déjà été envoyés à Šaťberdi. Et il

1180 leur ordonna comme convenu de faire la répartition par tirage au sort, ce dont Tevdore et Krist'epore se réjouirent. Mais ils furent un peu fâchés parce qu'Eprem

366. Vani (1. 24) ; voir chap. 9,1. 372. 367. Sauxuceso (1. 3).

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et Arseni étaient dans la part de Grigol. Alors il donna Eprem à Tevdore, mais il garda Arseni et donna à Krist'epore un autre frère équivalent et ils en furent joyeu­sement satisfaits.

1185 Et ce qui fut admirable dans ces bienheureux troupeaux, c'est qu'ils ne se dispu­tèrent pas avec les bons pasteurs, en discutant avec eux des endroits où ils auraient préféré être. Car ils se considéraient comme les brebis de ces élus du Christ qui étaient sans cesse avec le Christ. Telle était l'obéissance de ces hommes revêtus de victoire. Et nos bienheureux pères se mirent à la tête des frères et ils retournèrent à

1190 Nejvi et à Saint-Cyriaque. Et le père Grigol les assista de tout son cœur pour leur nouvelle fondation, et ils bénirent l'emplacement des saintes églises et ils en jetè­rent les fondements.

Et quand le bienheureux Grigol partit, tous les frères lui dirent en pleurant : «0 saint de Dieu, voici que s'accomplit maintenant pour nous laparole du Seigneur :

1195 "Vous désirerez voir votre maître et vous ne le verrez pas"368. Ô violence de ta sain­teté ! Mais que ta volonté soit faite et non la nôtre ! Toi, saint, même si nous sommes séparés de toi dans cette vie passagère, veuille que nous ne soyons pas séparés de toi dans l'éternité et souviens-toi toujours de nous dans tes saintes prières, ô élu de Dieu !»

1200 Et le bienheureux les bénit tous en pleurant ; il consola leurs cœurs et les confia au Christ et aux bienheureux pères et il fit le signe de croix sur les saints monas­tères. Et quand il partit, le père Tevdore et le père Krist'epore l'accompagnèrent, et ils s'embrassèrent en pleurant et chacun demeura dans son monastère et notre bien­heureux père alla à Xancta.

1205 Nous avons évoqué brièvement la vie de ces trois saints, Tevdore, Krist'epore et Saba ďlšxani, car il serait trop long d'écrire vraiment complètement leurs œuvres.

31 À l'époque où Xancta devenait glorieux par sa grâce et objet de joie par ses fils

spirituels, le père Mikel, le grand ermite qui vivait dans des grottes369, se rendit de 1210 Mijnajoro à Xancta, car c'était un ami du bienheureux père Grigol. Il voulait vivre

en solitaire et il trouva où s'établir dans les grottes de Berta et il s'y installa sur le conseil du saint et il progressa heureusement dans les vertus du Seigneur.

Mais l'Adversaire, le diable, se lamentait beaucoup de voir que la multiplication 281 des saints hommes écourtait son temps370 et il se montrait à Mikel | en de grandes 1215 apparitions371, ouvertement et en secret, afin de le chasser du désert. Et <Mikel>

supportait vaillamment les coups de l'Ennemi qui ne dort pas et il tournait en déri­sion chacune de ses machinations avec l'aide du Christ et par l'intercession de tous les saints.

32 1220 Et un jour où le père Mikel, s'étant éloigné de sa cellule, se trouvait, quelque peu

distrait, sur un rocher élevé, Bélial372 s'enhardit contre lui et il le précipita de haut en

368. Jn 7, 34. 369. P'arexni (1. 37) : grottes ; le mot devient ensuite un toponyme ; voir plus bas, 1. 1242

et 1723. ^ 370. Žamisa tvisisa Semok'leba (1. 43) ; ainsi dans 1 Cor 7, 29 : «Le temps est désormais

écourté.» PEETERS, p. 258,1. 29 : «îempus suum coartari.» MENABDE, p. 151, traduit žarni par «succès.»

371. Saucreba (1. 1) : apparition, vision, rêve ; voir ABULAJE, p. 373. 372. Dans le texte (1. 7) : Beliar.

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bas. Mais le Seigneur de l'univers, le Christ Dieu, le garda parfaitement indemne. Mais le père Mikel s'inquiéta de cette perpétuelle guerre quotidienne et il envoya son disciple à son maître spirituel, le père Grigol, et il lui raconta toutes les vexations des

1225 esprits malins. Et le saint s'empressa d'aller aider son frère par la puissance du Seigneur et il l'encouragea spirituellement. Et il fabriqua alors de sa main des sceaux du Christ porteurs de victoire, deux croix de bois, pour le protéger et chasser les enne­mis ; et il les dressa de part et d'autre de sa cellule, à quelque distance, et ils les assi­gna au saint comme limites : «Sois sans crainte entre ces deux croix du Christ, avec

1230 l'aide de la sainte Trinité et par la puissance de la Croix vénérable. Mais si tu les fran­chis, tu seras de nouveau et plus qu'avant en butte aux attaques.»

Ils prièrent et le bienheureux Grigol partit. Et le bienheureux Mikel connut une complète quiétude; il abattit en effet par son humilité l'orgueilleux Adversaire parce qu'il n'avait pas mis son espoir dans sa propre justice, mais, espérant en Dieu

1235 seul, il avait fait venir son maître et frère spirituel Grigol comme aide, ainsi qu'il est écrit : «Le frère est l'aide du frère comme une muraille inébranlable»373 <et> selon la parole de l'apôtre Jacques : «Priez les uns pour les autres afin d'être sauvés, car la prière du juste est une aide très puissante.»374 C'est ainsi qu'il triompha pleine­ment de l'Adversaire par la grâce de Dieu.

1240 Et le bienheureux Mikel était originaire de la région de Šavšeti, du village de Norgiali ; il se fit moine à Mijnajoro, mais il vécut de nombreuses années à P'arexni ; c'est là qu'on l'enterra quand il mourut; son tombeau est là maintenant ainsi que celui du noble père Basili qui vécut après lui à P'arexni ; ils sont ensemble et ils accordent la grâce de la guérison aux hommes qui y viennent avec foi.

1245 33 Et notre bienheureux père Grigol se déplaçait sans cesse entre les deux monas­

tères qu'il avait fondés, Xancta et Šaťberdi, et il comblait le cœur de ses disciples par les enseignements de son magistère, car non seulement il parlait avec sagesse des livres divins en quelque passage que ce soit375, mais il était indiscutablement un

1250 maître pour l'ordonnance376 annuelle des hymnes chantées par la sainte Église catholique. Il connaissait parfaitement le rituel de tous les jours de fête, car il gar­dait en mémoire tout ce qu'il apprenait. Il avait une voix douce et agréable et sa mémoire était prodigieuse.

282 | Et il y a encore maintenant à Xancta un Iadgari de l'année écrit de sa main377

1255 par le Saint-Esprit et dont les paroles sont très belles. Il savait par cœur les livres scellés de la Nouvelle Loi ainsi que beaucoup de livres de l'Ancienne et il récitait, dans sa langue et par cœur, d'innombrables textes non scellés des saints docteurs378, d'une manière qui dépasse infiniment notre nature. Car là où elle repose, la puis-

373. Prov 18, 19. 374. Je 5, 16. 375. Q'ovlit k'erjo (1. 38-39) : de toutes parts, que je comprends comme une allusion à la

connaissance qu'avait Grigol du contenu de toute la Bible. 376. Gangeba (1. 40 et plus bas, 1. 41) : ordonnance, rituel. PEETERS, p. 260, 1. 1 et 3 :

«ritus.» 377. Iadgari est le nom géorgien du livre liturgique des Menées. Dac'erili (1. 1) : écrit ;

voir n. 268 ; la phrase qui suit laisse comprendre que Grigol serait l'auteur de ce Iadgari et pas seulement le copiste, comme le confirme le fait que Grigol a composé une hymne en l'honneur d'Habo, voir plus haut, p. 15.

378. Tlcumuli (1. 5) : parole, chant ; le mot peut renvoyer à des textes patristiques («non scellés» : par opposition aux textes bibliques), mais, plus bas, n. 483, il désigne clairement des hymnes.

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sance de Dieu réalise toute chose au-delà de la nature et de la connaissance 1260 humaine. C'est ainsi que tout obéissait à Adam avant qu'il ne transgresse le com­

mandement. Quant à lui, grâce à sa parfaite observance des commandements, tout lui réussissait et non seulement il fortifiait ses monastères, mais les torrents de sa sagesse baignaient tous les déserts du K'iarjeti.

Et les saints pères, les higoumènes des monastères, venaient fréquemment le 1265 trouver pour diverses raisons et ils trouvaient la tranquillité en toutes choses grâce à

sa sagesse.

34 Durant toute la vie du bienheureux, les saints pères des monastères passèrent

avec lui, à Xancta, la veille des Grands Jeûnes379 et, le premier jour des Grands 1270 Jeûnes380, ils recevaient la règle pour les Grands Jeûnes381 et partaient. Il y eut un

jour une réunion des bienheureux en présence du saint et le père Grigol adressa de belles paroles de vie spirituelle à chacun, sauf à l'higoumène d'Op'iza. Et le père d'Op'iza s'en attrista et lui dit : «Saint père, pourquoi me laisses-tu à l'écart de tes propos spirituels ?» Et il lui dit : «Vénérable père, je ne te laisse pas de côté par

1275 mépris, mais parce qu'Op'iza a été fondé avant tous ces déserts, je ne gouverne pas Op'iza et je n'en suis pas l'higoumène.» Mais celui-ci persuada humblement le saint de l'instruire à égalité avec les autres pères, car il était pour tous le médiateur entre Dieu et les hommes, tel l'un des saints apôtres.

35 1280 À plusieurs reprises, les souverains de cette époque décidèrent fermement de

nommer le bienheureux évêque et ils déployèrent beaucoup d'efforts pour qu'il leur obéisse, mais lui ne voulait pas de cette dignité et il le leur faisait comprendre en leur expliquant : «Les saintes églises des déserts, sièges de la grandeur de Dieu, ne sont pas inférieures aux saints sièges séculiers. Bien que tous les prêtres reçoivent

1285 leur sacerdoce des évêques, nous tenons des premiers saints pères du désert que la grâce donnée à l'homme au moment du baptême, cette même grâce nous la voyons lorsqu'un nouveau moine adopte la forme de vie monastique et aussi lors de la prise du saint scheme382 ; et il y a beaucoup d'autres témoignages ; et, de même qu'il était prescrit en Israël que les villes servissent de refuge aux assassins, de même les

1290 saints déserts sont le refuge de tous, car ils sont la protection des purs contre la souffrance du monde et le havre de ceux qui souffrent, lorsqu'ils s'y livrent avec foi à la pénitence et se soumettent aux règles. Et ce sera pour moi une dignité suffisante

283 en ces deux vies | si je peux veiller comme il le faut sur ces saints déserts dans les­quels des hommes ont trouvé la liberté383, comme dit Paul : "La liberté par laquelle

1295 le Christ nous a libérés..."384 et "Là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté"385, car il leur a été "donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu"386 selon la parole de

379. Akba (1. 17) : le dernier jour avant les Grands Jeûnes. 380. P'irmarxvi (1. 17) : le premier jour des Grands Jeûnes. 381. K'anoni (1. 18). Grigol rappelle vraisemblablement aux frères les règles qui s'appli­

quent durant le Carême et la liturgie propre à ce Temps (voir plus haut, chap. 17,1. 660-661). PEETERS, p. 260,1. 24 : «regulam», glosé en n. 1 comme poenom, piaculum.

382. Dans l'édition (1. 39) : salane, œuvre, que l'on corrige en skema. 383. Tavisupleba (1. 2). 384. Gai 5, 1. Liberté traduit ici aznaureba (1. 2). 385.2 Cor 3,17. 386. Jn 1, 12.

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l'évangéliste Jean.» Et les souverains étaient édifiés par de telles paroles et ils louaient Dieu.

36 1300 Après cela le bienheureux père Grigol vit que le divin peuple de Sat'berdi avait

suffisamment grandi pour que l'on achevât et consacrât la sainte première église. Alors il fut rempli de joie, car le Seigneur lui accordait, selon son cœur, cette bonne œuvre, par la grâce et l'intercession de la sainte Mère de Dieu, au nom de laquelle le saint monastère avait été fondé pour la gloire éternelle de la Mère de Dieu,

1305 secours des sans-secours, parfaite protectrice de ceux qui espèrent en elle et qui la louent, maintenant et à jamais, elle que son Fils et Dieu de l'univers a exaltée de manière ineffable plus que toutes les créatures de sa souveraineté. Car il l'a établie dès à présent dans le royaume qui ne passe pas, corps et âme unis, en présence de la gloire de sa divinité, car elle est la première née de tous les saints, la lumière de la

1310 chrétienté. Et que le Seigneur, par son intercession et celle de tous les saints, nous sauve,

nous tous qui croyons en lui et qu'il glorifie spécialement ses élus qui accomplis­sent sa sainte volonté, car il a dit : «Je glorifierai ceux qui me glorifient387» et «Je lui accorderai le centuple ici-bas et je le ferai hériter de la vie étemelle388.» Et le

1315 Christ accomplit pour le bienheureux Grigol cette parole non mensongère. Il lui accorda en gloire pour la vie éternelle la fondation des nobles déserts et <Grigol> fit planer sur les rois et tout le peuple, durant sa vie, telle la puissance d'une irrésis­tible souveraineté, la peur et la crainte de sa sainteté. Et après qu'il eut quitté ce monde, <le Christ> le glorifia dans les cieux avec les anges, au-delà de ce que nous

1320 pouvons savoir et il est maintenant glorifié sans cesse sur terre par la bouche de ses disciples et de ses laudateurs.

37 Et la bienheureuse mère Febronia se tourmentait parce que le pieux prêtre que le

père Grigol leur avait envoyé comme pasteur était mort. Mais Dieu lui fit savoir : 1325 «Vous aurez comme pasteur un autre prêtre, meilleur que lui.» Et elle écrivit une

lettre au bienheureux Grigol et lui demanda un digne prêtre. Alors le saint dit au saint Mat'o : «Fils bien-aimé, tant que le guerrier n'est pas allé se battre, sa victoire n'est pas connue de la foule des armées et il ne reçoit pas de présents des rois ; mais, dès qu'il a fait la preuve de sa vaillance, la puissance de ses guerres est

1330 connue de tous et le roi lui accorde à juste titre de riches présents. Toi maintenant, obéis à mes paroles et accepte pleinement, en guerrier du Seigneur revêtu de vic­toire, la fonction de prêtre de Mere, l'église de la très sainte Mère de Dieu ; j'ai

284 confiance dans le Christ | que tu mèneras le bon combat389.» . Il se prosterna en pleurant devant lui et lui dit pitoyablement: «Pardonne-moi,

1335 père ; ta sainteté sait que je n'ai jamais désobéi à tes ordres. Mais maintenant, je n'ai pas la force de faire ce que tu commandes.» Et le saint lui dit : «Tu le pourras par la force du Seigneur. Tu ajouteras maintenant à tes bonnes vertus la parfaite obéissance. Je te signe de la croix du Christ pour que tu rejettes toute discussion.» Quand il vit le caractère inflexible de l'ordre de son maître, il obéit malgré lui à ses

1340 paroles. Ainsi, par la volonté de Dieu, le bienheureux et tliaumaturge Mat'o, grand et glorieux par ses œuvres, devint prêtre du monastère de femmes.

387. ABULAJE, p. 212 renvoie à 1 R 2, 30 (= 1 Sam 2, 30). 388. Mt 19,29. 389. Voir 2 Tim 4, 7.

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58 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Pendant les quarante ans où il fut prêtre à Mere, on ne l'entendit jamais dire ou répondre une de ces futilités que les hommes disent vainement, comme dit le Seigneur : «Les hommes me rendront compte au jour du Jugement de toute parole

1345 sans fondement qu'ils auront proférée390.» Bien plus même, aucun de ceux qui l'ont vu n'oserait l'accuser de s'être écarté de la pureté des mœurs, de la sainteté et d'une vie pure, car il fut pour tous l'image du bien. Il conserva une pureté parfaite non seulement de corps, mais d'esprit, de parole, d'ouïe, d'allure, car le bienheureux avait l'habitude de dire : «On appelle vie monastique la pureté.» C'est pourquoi la

1350 pieuse mère Temest'ia, ecclésiarque391 de Mere, disait: «Pendant les quarante ans où j'ai été ecclésiarque et où Mat'o a été prêtre, il n'a pas reçu une seule fois l'en­censoir de mes mains.» Mais il se fatiguait par des travaux prolongés ; car sans cesse le bienheureux s'adonnait à une prière assidue, à la soif, au jeûne constant, aux veilles, à la station debout et aux génuflexions. Il maîtrisa les passions du corps,

1355 vainquit les ennemis de l'âme et il ne se dispensa jamais de célébrer la liturgie, sauf dans des cas de maladie. Son vêtement ét£iit des plus vils, de même que sa nourri­ture.

38 Un jour, Mat'o était chez lui près de Mere et il apprit l'arrivée de voleurs ;

1360 pendant la journée il leur prépara un repas392 et quand les voleurs arrivèrent la nuit, il leur dit : «Croyez-moi, enfants, la sainte Mère de Dieu vous ordonne de ne pas me faire de mal, mais venez manger le repas que je vous ai préparé.» Mais l'un de ceux qui étaient venus eut l'audace de s'emparer de quelque chose qui était au saint et il leur dit : «Je suis le serviteur393 de la sainte Mère de Dieu. Qu'elle te punisse de ton

1365 impudence !» Et il fut à l'instant terrassé par le malin Adversaire. Alors ses amis se jetèrent en pleurant aux pieds du saint pour qu'il le guérisse. Et il traça sur lui le signe de croix et lui dit : «La sainte Mère de Dieu te guérit !» et il fut guéri à l'ins­tant.

Et le saint lui dit : «Misérable, pourquoi avoir guidé ces hommes pour me faire 1370 du mal ?» Et il leur donna à manger et les renvoya en paix. Le saint fit de nombreux

285 miracles de ce genre et il parvint | à la vieillesse, et comme il était aussi tombé malade à cause de ses grands travaux, il ne pouvait plus s'occuper de lui-même. Alors le bienheureux Mat'o dit : «C'est un moyen trouvé par l'Ennemi pour que les mères me servent ; bien que les sœurs [accomplissent] la volonté de Dieu394, il n'est

1375 cependant pas conforme à la coutume flu'un moine soit servi par la main de femmes ; mais j'ai un moyen d'échapper à cela.» Parmi les serviteurs de la mère du père Grigol, il y avait à Berta des parents de Mat'o, de bons moines, ses amis. II les fit prévenir et ils vinrent joyeux l'emporter sur sa litière, car ses grands combats l'avaient privé de forces.

1380 Et toutes les sœurs qui devenaient orphelines de leur père spirituel et maître étaient inondées de larmes gémissantes ; et, couvert de larmes, il les bénit toutes ; il traça sur elles le signe de croix, leur donna la paix et leur dit : «Que le Christ vous garde par la grâce de sa Mère la Vierge et de tous les saints. Priez toujours pour

390. Mt 12,36. 391. Dek'anozi (1.20). 392. P'uri (1.30). 393. C'inašemdgomeli (1. 35) : assistant, serviteur. 394. Le texte de l'édition est peu clair : «Bien qu'elles soient les sœurs de la volonté de

Dieu...» ; on suit la correction proposée par Marr et adoptée par PEETERS, p. 264, 1. 4 : «Etsi autem divinae voluntati < obsequentes > sunt sorores istae».

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moi.» Et il fît signe aux frères et ils l'emportèrent avec la litière. Quand ils eurent 1385 un peu avancé, il leur ordonna de s'arrêter et il dit : «Seigneur, ta parole a fait de

corps infirmes des corps en pleine santé, donne force à moi aussi, ton serviteur sans forces.» Il retrouva à l'instant toute sa vigueur et arriva à Berta sur ses propres pieds. Il y resta la durée d'un an en pleine santé, puis il quitta ce monde de misères et gagna le monde des vivants comme un courageux et valeureux athlète du Christ,

1390 joyeusement revêtu de victoire, devant Dieu et il intercède pour nous à jamais.

39 À l'heure de sa mort les bienheureuses mères, l'ecclésiarque Temest'ia et

Anat'ole, qui fut appelée Ant'onio, l'hésychaste, eurent toutes les deux à Mere une vision au milieu de la nuit. Celle qui vivait solitaire vint à l'église avant que soit

1395 frappé le signal de la liturgie395 et l'ecclésiarque arriva également dans le portique de l'église ; elles se saluèrent et l'ecclésiarque lui dit : «Pourquoi es-tu venue ? Dis-moi ce que tu as vu.» Et elle lui dit: «Comme dans ta vision, j'ai vu que Mat'o, celui qui nous a bénies, était mort.» Et elle lui fit ce récit :

«Un homme vêtu de façon resplendissante est venu à moi et m'a dit : "Le grand 1400 Mat'o part devant Dieu ; suis-moi afin que tu sois digne de le voir passer de la

gloire de ce monde au royaume des cieux". Je l'ai suivi et il m'a emmenée sur la colline, près de Berta, et il m'a dit : "Regarde au-dessus de Berta et tu verras une vision de gloire". Et moi j'ai vu une colonne de lumière qui descendait du ciel sur le monastère et une foule de saints anges descendant avec la colonne et, avec eux qui

1405 louaient Dieu d'une voix éclatante, quelqu'un qui ressemblait à un diacre avec une étole396 ; et je vis ensuite l'assemblée des saints anges qui remontaient ensemble de la même manière vers le ciel ; et les incorporels ornés de lumière emmenaient au milieu d'eux le saint Mat'o en le tenant par la main, avec une gloire indicible, dans les hauteurs, parmi des hymnes. Voilà ce que j'ai vu à propos de ce saint.»

2861410 Et elle lui dit : «La vision que tu as eue est vraiment digne de foi et | maintenant écoute la mienne. J'ai vu le bienheureux Mat'o, tel qu'il fut dans sa jeunesse, grand et beau, et davantage encore maintenant, orné de gloire, vêtu de vêtements litur­giques à l'éclat inimaginable et il avait en main un encensoir d'or. J'étais stupéfaite en voyant cela et je lui ai dit : "Comment t'es-tu remis de ta maladie, maître ?". Et il

1415 m'a dit: "J'ai quitté l'autel que je desservais depuis ma jeunesse pour desservir celui-ci à jamais, car j'ai été jugé digne de me tenir devant l'autel du ciel et de le servir à jamais."»

Comme elles voyaient cela, des gens de Berta arrivèrent et ils leur dirent que Mat'o était mort à ce moment même et elles glorifièrent le Christ qui fait des mer-

1420 veilles.

40 De nombreux autres disciples du bienheureux Grigol sont parvenus à un niveau

de vie monastique encore plus élevé et l'on vit souvent la splendeur des saints anges revêtir leurs corps, plus que pour Mat'o. Et ils firent de grands miracles durant leur

1425 vie corporelle et après leur mort. Et je parlerai de son pieux fils christophore qui s'appelait Dimit'rios ; il avait été

élevé par la bienheureuse mère Febronia et il devint le disciple de saint Grigol, lui qui est compté parmi ses premiers disciples.

395. Žamis-rek'a (1. 26). Le signal de la liturgie est donné en frappant le simandre. 396. Olari (1. 38).

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41 1430 Souvent on vit sur lui une colonne de lumière émanant de l'homme de Dieu pen­

dant qu'il priait dignement toute la nuit, car le Saint-Esprit reposait sur lui sans cesse. Il partit à Jérusalem et lorsqu'il arriva à Émèse397, il tomba légèrement malade. Il comprit cet appel de l'Esprit de Dieu et il écrivit de sa main cette lettre :

«Élus du Christ, demeures de sainteté, père Grigol et mère Febronia, mes parents 1435 spirituels qui, en guise de lait, m'avez nourri de la nourriture spirituelle du magis­

tère et m'avez envoyé pour ce bon voyage, muni du viatique de l'enseignement divin.

Je ne vous parlerai plus maintenant avant le retour du Seigneur dans la gloire ; car je suis arrivé à Émèse et c'est là que je m'endors jusqu'au retour du Christ.

1440 Lorsque vous dénombrerez vos disciples, cherchez-moi là, votre fils, et souvenez-vous toujours de moi dans vos saintes prières, saints de Dieu.»

Il mourut à ce moment même et il fut enterré sur place à Émèse.

42 Nous avons déjà parlé plus haut des dignes Arseni et Eprem, mémorables et très

1445 dignes de mémoire, disciples et élèves398 de Grigol, dont la volonté de Dieu se plut à faire les pasteurs en chef399 de ses troupeaux raisonnables. Car le grand Eprem devint évêque du siège d'Ac'q'uri dans le Samcxe, de nombreuses années avant Arseni, et le grand Arseni devint ensuite catholicos du Kartli à Mcxeta dans l'église catholique qui garde la tunique du Christ. Et ils s'aimaient parce qu'ils avaient été

1450 élevés ensemble. 287 | Or les évêques du Kartli se mirent fort en colère contre le père d'Arseni,

Mirean, parce que, sans leur avis, avec le peuple du Samcxe, il avait imposé son fils comme catholicos, grâce au concours et à la bénédiction de quelques évêques.

Et Dieu permit en vue d'un léger blâme qu'il y ait une révolte des évêques au 1455 point que même Eprem les suivit, l'accusation étant fondée ; et celui qui était alors

le souverain, le mampal Guaram le Grand400, se fâcha contre Mirean et il ordonna sans tarder une réunion des évêques et des pères du désert.

Tous se rassemblèrent en Javaxeti, mais le père Grigol n'était pas là, ni aucun des pères higoumènes des déserts de K'iarjeti, car le bienheureux Grigol était l'ar-

1460 chimandrite ; et tous l'attendaient avec impatience. Les responsables du droit401 s'étaient réunis à part au sujet du catholicos Arseni,

mais ils ne purent fonder leurs propos. Alors celui qui était à ce moment évêque d'Eroseti leur dit à tous : «Lorsque viendra l'étoile des déserts, l'affaire et l'opinion générale s'arrangeront.» Et ils lui dirent : «De qui parles-tu avec cette assurance ?»

1465 II dit : «De l'archimandrite Grigol, le fondateur de Xancta et de Sat'berdi.» Un évêque dit alors avec insolence au milieu de ceux qui étaient rassemblés : «Est-il

397.tfémwi(1.24et31). 398. Akrdili (1. 37) : celui qui a été élevé, nourri par quelqu'un. 399. Mc'q'emst-mtavari (1. 38). PEETERS, p. 266,1. 15 : «principespastorům». 400. Guaram (t 882) était le plus jeune fils du curopalate ďAšoť ; voir stemma, p. 19. Sur

le titre de mampal, voir p. 18. 401. C'esisa c'inamjiuarni (1. 13), et plus bas 1. 1519, littéralement: guides de la règle.

L'expression désigne les higoumènes pour Peeters qui s'appuie sur le fait que le conflit oppose les évêques hostiles à Arseni et les higoumènes. Mais il semble que l'expression puisse plutôt désigner les spécialistes du droit canon, violé dans la désignation d'Arseni ; il s'agirait donc plutôt des évêques, réunis entre eux avant l'arrivée de Grigol, ce que confir­ment les lignes suivantes (1. 1479 et 1495).

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donc la seule étoile à briller ?» Et tous les autres dirent : «Il a raison, car il éclaire par la lumière de son magistère et il est revêtu de l'Esprit Saint.»

Et ils aperçurent soudain le saint qui arrivait sur une monture au milieu de l'as-1470 semblée des pères, en une stupéfiante vision ; car le misérable vêtement dont il

habillait son grand âge semblait un vêtement d'une lumière insupportablement écla­tante. La cuculle sur sa tête ressemblait à une couronne royale ornée de pierres pré­cieuses et de perles sans prix. Lorsqu'ils virent sa gloire divine, tous l'accueillirent avec joie et ils s'attachèrent avec joie à ses paroles.

1475 L'évêque Eprem arriva alors et il commença par saluer son maître, le père Grigol, puis ses frères évêques. Et le bienheureux Grigol appela le bienheureux Eprem en secret et lui dit: «Fils, par la dignité de ton saint pontificat, je t'en conjure : ne sois pas un obstacle pour ton frère spirituel Arseni.» Il lui dit : «Saint père, en matière de droit402 on ne peut disputer avec mes frères évêques. Pardonne-

1480 moi donc, mais je ne suis plus la brebis d'Arseni et il n'est plus mon pasteur.» Alors le saint lui dit avec colère : «Eprem, si tu fais cela, tu me renies et je ne suis plus ton maître !» À cette parole de son père spirituel et maître, le bienheureux Eprem se mit à pleurer et lui dit : «Ta parole est dure, plus incisive qu'une épée403. Mais que ta volonté soit faite et non la mienne404, saint de Dieu !»

1485 Et il lui dit: «Bienheureux Eprem, que le Christ t'écoute quoi que tu lui 288 demandes, toi dont le cœur est pur et | l'esprit droit et qui imites ton maître le

Christ, comme dit David : "Car notre Seigneur Dieu est droit, il n'y a pas en lui de mensonge"405. Par ton âme qui voit Dieu tu sais que Dieu voulait le catholicat d'Arseni à cause de sa perfection. Mais, dans sa hâte intempestive, son père Mirean

1490 a agi de manière reprehensible, de même qu'Adam a mangé un fruit qui n'était pas mûr. Tu fais bien maintenant en m'écoutant, car la colère de l'homme ne fait pas la justice de Dieu406. Que la faute d'Arseni soit sur moi !»

Après cela, quand le souverain Guaram apprit l'arrivée des bienheureux, il se rendit avec joie à leur rencontre et il les salua humblement. Quand ils furent assis,

1495 Guaram fit rassembler tous les religieux407 ; ils vinrent et il leur dit alors : «Saints pères, évêques et ermites, vous connaissez tous le canon religieux408 qui ordonne de ne pas établir par la force un évêque et un catholicos.» Et il multiplia les paroles de critique dans son discours et attendit leur réponse.

Tous avaient les yeux rivés sur le père Grigol et l'évêque Eprem et ils gardèrent 1500 quelque temps le silence. Alors les évêques dirent à Eprem : «Réponds comme il

convient.» Et il dit : «Je n'ose pas parler quand le père Grigol est là.» Alors le sou­verain dit au bienheureux Grigol : «Tous attendent ta parole de vérité, car tu es leur aîné à tous par l'âge et par ta complaisance à faire la volonté de Dieu. Il t'appartient de parler le premier.» Et il dit : «Il appartenait aux pontifes409 de parler les premiers.

1505 Mais puisque tu le dis, je dirai ceci et vous, véritables brebis du Christ, écoutez le misérable vieillard : le catholicos Arseni est catholicos par la volonté de Dieu et ceux de ses détracteurs qui ne se repentiront pas seront confondus et complètement couverts de honte en ce monde et dans l'éternité.»

402. Simartale (1. 35). 403. Voir Hb 4, 12. 404. Voir Le 22,42. 405. Ps 92 (91), 16. 406. Voir Je 1,20. 407. Guaram les appelle à rejoindre les évêques déjà réunis. 408. K'anoni Sč'ulisa (1. 14). 409. MMelt-mojłuari (1. 23).

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62 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Alors le souverain, bien que sage et pieux, s'alarma beaucoup du juste reproche 1510 de cet homme juste ; la passion l'emporta sur la sagesse et la fureur n'eut pas de

respect pour la dignité quand il laissa sortir de ses lèvres le venin de son âme dans ces propos incontrôlés : «Je n'avais pas vu depuis longtemps le père Gri gol, mais j'avais entendu dire que sa sagesse, inconcevable pour les sages, avait disparu avec la vieillesse. Je constate de mes propres yeux ce que j'avais entendu dire !» Et il tint

1515 sur la religion de nombreux propos qui ne convenaient pas à des laies, car c'était un homme très bavard.

Alors le bienheureux père Grigol lui dit : «Ô souverain, pourquoi t'irriter de la vérité ? Sache que les premiers rois fidèles ont pris part aux réunions des premiers saints pères, évêques et spécialistes du droit avec les moines, non pas pour se pro-

1520 noncer en matière de religion mais pour les interroger sur des points de la religion et pour demander des éclaircissements sur leurs paroles. Car c'est d'eux qu'ils ont

289 appris les commandements | de Dieu et ils se sont faits les témoins de leurs paroles. Dans les règles définies par les saints apôtres et les dignes pontifes, il n'est nulle­ment dit qu'un laie pouvait se permettre de faire le maître410 en ce qui est du ressort

1525 des évêques et des pères spécialistes du droit ni introduire une nouveauté, même considérée comme juste, car c'est mépriser la religion et les pontifes. Quant à moi, comme tu le dis, Guaram, ma constitution a changé, mais quand la justice te jugera, alors tu te verras toi-même privé de connaissance et tu ne rejetteras plus mes paroles avec mépris411.»

1530 Et le souverain fut effrayé en lui-même et il dit aux évêques : «Il vous appartient de gérer ce qui est de votre ressort. Parlez maintenant.» Et ils lui dirent : «Pieux Guaram, un miracle du Christ a rendu notre langue muette, car nous avons vu aujourd'hui une gloire ineffable au-dessus de Grigol.» Et ils lui racontèrent tout ce qu'ils avaient vu lorsqu'ils l'avaient vu arriver. Alors la crainte s'abattit sur le sou-

1535 verain, car il était humble et craignait Dieu. Il fut vaincu par l'humilité et il se jeta aux pieds du bienheureux Grigol et lui dit : «Saint de Dieu, pardonne-moi de t'avoir fait obstacle.» Mais il lui dit : «Que le Christ te pardonne toutes tes fautes.»

Alors le grand souverain Guaram les invita tous et, pendant le repas, alors que le vin rendait Guaram joyeux, tous les évêques lui dirent ensemble : «Il fallait sans

1540 doute émettre ce blâme au sujet d'Arseni. Mais maintenant, qu'Arseni soit désor­mais le catholicos de tout le Kartli, le père spirituel de tous, et que les suspicions antérieures disparaissent complètement chez tous pour que nous remplissions tous dans la paix et la sérénité notre fonction dans le christianisme et pour que nous trou­vions une bonne défense devant le trône du Christ.» Et le souverain Guaram et tout

1545 le peuple dirent : «Amen, qu'il en soit ainsi !» Et le souverain demanda aux évêques : «Saints de Dieu, si quelque laïc de notre

pays, connaissant les livres divins et également instruit dans les langues, se rend à Jérusalem ou en d'autres lieux saints et s'il y voit quelque bonne pratique qui convienne au christianisme et ne se trouve pas chez nous, ou s'il la découvre dans

1550 des livres saints et l'enseigne de lui-même à son peuple inculte, est-ce bien ou non ?» En disant cela, il visait certains beaux parleurs412.

Et ils dirent: «Il est écrit: "Que le navire ait le chargement fixé. S'il est trop chargé, il coule ; s'il ne l'est pas assez, il est la proie des vents et des flots"413. Il en

410. Mojhiareba (1.4), littéralement : enseigner, agir comme un docteur. 411. La signification de cette prédiction m'échappe. 412. Mravlis-met'q'ueli (1. 34) : celui qui parle beaucoup, le bavard, le beau parleur ; voir

ABULAJE, p. 293. On ne peut malheureusement identifier les personnes visées et qui sont pré­sentes dans ce débat (1. 1571).

413- Citation d'origine inconnue.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 63

va de même pour la charge de loi et de pratique du christianisme qui a été reçue 1555 dans notre terre, elle est très bonne et Dieu en est satisfait ; de cela nous sommes

garants. Si quelqu'un s'y tient fermement et la met en pratique sans rien changer et s'il ne trafique pas en paroles, "il recevra ici bas le centuple et il héritera la vie éter­nelle"414, selon la parole du Seigneur. Et nous avons reçu la parole que le père

190 Grigol a dite tout à l'heure. | Et nous, nous disons ceci : si un laïc, comme tu l'as 1560 dit, découvre une bonne pratique nouvelle, il vaut mieux qu'il se taise, comme dit

l'apôtre Jacques : "Frères, ne soyez pas nombreux à enseigner"415. Et s'il ne peut pas se taire, qu'il ne prêche pas de lui-même, mais qu'il informe son évêque et c'est celui-ci, s'il le faut, qui enseignera son troupeau. Mais si ce laïc fanfaronne inso­lemment et impose encore au peuple une autre pratique nouvelle, alors pour ce qu'il

1565 aura ajouté, il sera jugé avec les rebelles et les révoltés quand le Seigneur viendra dans la gloire.»

Alors le souverain dit : «Il est juste en vérité qu'il y ait un tribunal416 spirituel dans les affaires divines, et s'il est nécessaire d'interroger l'homme qui interroge les livres, combien plus faut-il interroger celui qui enseigne la pratique et la religion et

1570 se garder en tout ainsi qu'il est écrit : "Médecin, guéris-toi d'abord toi-même"417.» Et les laïcs rougirent de honte au reproche d'avoir établi des pratiques, ignorants

qu'ils étaient, et ils demandèrent pardon aux spécialistes de la religion. Et quand le repas fut terminé, ils donnèrent la paix au grand prince et il les renvoya tous, joyeux. Ils annoncèrent alors à Arseni qui ne participait pas à l'assemblée : «Après

1575 Dieu, ton maître, le père Grigol, t 'a confirmé dans ton catholicat.» Et joyeux, il ren­dit grâces à Dieu et au saint.

Et, suivant l'ordre du père Grigol, l'évêque Eprem renoua son ancienne amitié avec le catholicos Arseni, et il apaisa rapidement le trouble qui existait entre le catholicos et les évêques, et surtout avec le souverain Guaram. Et les bienheureux,

1580 Arseni le catholicos et Eprem l'évêque, allaient souvent rendre visite à leur maître, le père Grigol. Et le catholicos Arseni consacra la première église de Xancta et il répandit la joie dans toutes les églises du Kartli, car il orna à la perfection le trône du patriarcat418 et il fut orné de gloire. Et quand le père Grigol mourut, Arseni parti­cipa à son ensevelissement, lui qui fut catholicos pendant vingt-sept ans, puis il

1585 quitta ce monde et comparut joyeusement devant le Christ et sa grâce peut nous aider419.

43 Et le grand Eprem apporta de nombreux bienfaits à notre pays. Autrefois en effet

les catholicos d'Orient faisaient venir le myrrhon de Jérusalem. Mais, selon un 1590 ordre du Christ, par décision et avec l'accord joyeux du patriarche de Jérusalem,

Eprem décréta que le myrrhon serait béni au Kartli et on définit420 le Kartli comme le vaste territoire dans lequel la liturgie est célébrée et les prières faites en langue géorgienne421 ; toutefois on dit Kyrie eleison en grec, c'est-à-dire en géorgien "Seigneur, prends pitié", ou "Seigneur, aie pitié de nous".

414. Mt 19,29; Le 18, 30. 415. Je 3,1. 416. Sabč'o 0. II). 417. Le 4, 23. 418. Mamat-mtavroba (1.29). 419. La date de sa mort ne peut être précisée. 420. AHracxebis (1. 38) de airaexa, enregistrer. 421. Sur cette définition, voir le commentaire en seconde partie.

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64 BERNADETTE MARTIN-HISARD

1595 Le bienheureux Eprem fut évêque pendant quarante ans, orné du Saint-Esprit ; 291 car il blâmait, comme s'il les voyait, les actions invisibles aux hommes | et il gué­

rissait rapidement d'une parole les malades condamnés à la mort, mais il faisait aussi mourir d'une parole les indociles ; il accomplit bien d'autres miracles et il mourut plein de grâces dans une heureuse vieillesse et il comparut avec joie devant

1600 le Christ et il intercède à jamais pour nous, les fidèles.

44 Tels étaient les disciples théophores du père Grigol. Et le grand Ep'ipane422

égala son maître par son humilité. En versant des larmes, il chassait les esprits mau­vais, guérissait rapidement les malades et il faisait beaucoup d'autres miracles lors-

1605 qu'il instruisait les indociles par des coups et délivrait les fidèles de la mort par la prière.

Un jour, au moment du printemps, il descendait423, avec des frères, des mon­tagnes de Xorasunni. Ils virent un endroit agréable et s'assirent pour manger. Or une femme passait par ce même chemin et elle était accompagnée de son fils de

1610 sept ans ; c'était un bel enfant à l'esprit vif. Et lorsqu'ils arrivèrent en vue du bien­heureux père Ep'ipane, l'enfant fut saisi de douleurs mortelles et, sous le coup de la faim424, son esprit était sur le point de quitter son corps. Mais la mère souleva son fils avec d'amers gémissements et elle courut vers le saint et elle cria misérable­ment: «Saint de Dieu, secours-moi, moi qui suis sans secours, car mon fils se

1615 meurt ! Après Dieu, c'est vers toi que je cours !» Et elle déposa son fils aux pieds d'Ep'ipane. Et couvert de larmes, il se leva, car il était de nature compatissante, il se prosterna devant le Christ et dit : «Seigneur notre Dieu, Jésus-Christ, regarde mes larmes et les larmes de cette misérable femme ! Prends pitié de cet enfant ; fais que son âme demeure en son corps pendant de nombreuses années pour le réconfort de

1620 cette pauvre <femme> et pour ta gloire, Fils unique avec le Père et l'Esprit Saint pour les siècles, amen !»

Et il traça sur lui le signe de croix, lui prit la main et lui dit : «Le Seigneur Jésus-Christ te guérit ; enfant, lève-toi et sois en bonne santé.» Et le mal le quitta rapide­ment et la faiblesse <quitta> son corps et toute inquiétude son âme, il se leva joyeux

1625 et <Ep'ipane> le rendit à sa mère et lui dit de lui donner à manger. Et joyeuse, la femme rendit grâces à Dieu et au saint, et elle et son fils poursuivirent ensemble tranquillement leur chemin. Et l'enfant vécut heureusement jusqu'à sa vieillesse et il louait Dieu.

45 1630 D'autres fidèles encore avaient un petit garçon, tourmenté depuis sa naissance

par l'Ennemi, car il était sourd, muet et simple d'esprit. Mais il était en apparence d'une taille normale et il grandissait comme tout autre enfant. Et il atteignit ainsi l'âge de dix ans. À cette époque le père Ep'ipane était connu pour les miracles qu'il accomplissait et il arriva dans le village où se trouvait l'enfant malade, et la mère

1635 emmena l'enfant par la route que suivait le père Ep'ipane, et quand elle le vit, elle 292 le supplia avec des larmes amères et une foi solide pour son | fils.

422. Sur Ep'ipane, voir 1. 529-531. 423. Gardamovidoda (1.11-12), littéralement : il traversait en descendant. 424. Seni c'rt'iliali (1. 16). ABULAJE, p. 550 : famine (voir Jer 10, 4 ou 14, 15) ; les paroles

du moine, à la fin du passage, montrent que l'enfant souffrait bien de faim. PEETERS, p. 272, 1. 15 : «vehementia morbis».

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 65

Et le bienheureux pleurait en soupirant et disait, plein de compassion : «Christ Dieu qui t'es fait homme par amour des hommes et as souffert pour guérir ceux qui souffraient, pourquoi, Seigneur miséricordieux, ton innocente créature est-elle

1640 maintenant frappée par le démon en châtiment de nos péchés ? Toi, Dieu infiniment miséricordieux, soulage-le, libère-le de tous ces tourments et rends-le joyeux à ses parents.»

Et il traça sur l'enfant le signe de croix et le rendit guéri à sa mère, car le muet parla immédiatement avec sagesse, et le sourd entendit parfaitement dès que le

1645 malin démon l'eut quitté à la prière du saint homme. Et ceux qui virent ce miracle louaient Dieu.

46 Et la femme amena son mari et il offrit en cadeau deux bœufs425 à Ep'ipane.

Mais il fit don des bœufs à l'enfant guéri, il les bénit et ils partirent joyeux et rendi-1650 rent grâces à Dieu.

47 Un jour, le même bienheureux Ep'ipane se présenta au grand Abulasat, au

moment de la moisson426, pour demander à manger pour Xancta427. Et il lui dit : «Je donne à tes frères ce qu'ils moissonneront en un seul jour.» Abulasat prévint sa

1655 femme qui était à Gunatle et lui-même partit à un autre endroit. Ep'ipane rassembla ses frères qui étaient de bons moissonneurs et ils allèrent à Gunatle, comme cela leur avait été précisément dit, et ils se mirent à moissonner un bon champ avec beaucoup d'ardeur jusqu'à la mi-journée. Mais de méchantes personnes allèrent dire à leur dame : «D'ici ce soir ils auront moissonné tout ce très beau froment428 !»

1660 Et elle s'inquiéta et envoya quelqu'un interrompre leur moisson. Ep'ipane s'était éloigné de ses frères et ceux-ci n'écoutèrent pas ce qui leur était dit.

En colère, elle envoya d'autres gens qui les expulsèrent du champ par la force. Alors le père Ep'ipane reprocha aux frères de ne pas avoir écouté l'homme qui leur avait été envoyé au début, car <Ep'ipane> était un vrai serviteur du Christ et il n'ai-

1665 mait pas les querelles ; aussi dit-il : «Seigneur, pardonne à ta servante son mépris pour nous ; veille à son amendement en permettant à quelque petite infortune de lui apprendre à ne pas outrager les pauvres !» À l'instant, un esprit mauvais la renversa, car l'Esprit de grâce l'avait quittée en raison de son audace. Ep'ipane en fut rapide­ment informé, il vint avec ses frères et ils prièrent pour elle de tout leur cœur ; elle

1670 était fort pitoyable ; et elle fut brusquement guérie, car l'Esprit de grâce habita de nouveau en elle pour la garder à jamais ; elle ne fut plus tourmentée et elle se tourna désormais vers le bien. Elle se prosterna devant Ep'ipane et ses frères et elle les ren­voya joyeusement, avec de grands dons.

Et le Christ orna de miracles et d'humilité les disciples du père Grigol autant que 1675 lui, comme dit l'Apôtre : «Que votre humilité soit connue429.» C'est pourquoi il ren-

293 dit manifeste de la manière suivante l'immense humilité d'Ep'ipane. |

48 Un jour, alors que quelques bons frères moines étaient venus de Nejvi, le bien­

heureux père Grigol leur dit en privé : «Y a-t-il dans votre monastère une parfaite

425. Zroxa (1. 13). 426. Mk'a (1. 17). 427. Abulasat est le fils de Gabriel Dapančuli. 428. Ipkli (1. 24). 429. Phil 4, 5.

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1680 humilité chez les frères, en actes et non pas en paroles ?» Ils lui dirent : «Elle y est, par ta prière, comme tu le sais toi-même.» Et pendant qu'ils parlaient, le signal de la liturgie fut frappé. Et comme le bienheureux Grigol commençait la liturgie430, l'ec-clésiarque lui demanda en public <de désigner> le célébrant. Et il dit à Ep'ipane, qui avait alors été désigné comme higoumène de Xancta, de célébrer la liturgie.

1685 Ep'ipane s'habilla pour la liturgie et d'autres prêtres avec lui, car c'était un dimanche. Comme ils étaient montés à l'autel et qu'Ep'ipane commençait à dire la dernière exclamation431 avant le «Saint Dieu», le père Grigol monta à l'autel et le frappa à la tête de son bâton et il lui dit : «Tais-toi !» Sans se troubler, il se tut. Et il lui ordonna de retourner au diakonikon et de se dévêtir.

1690 Un frisson de stupeur parcourut alors le peuple. Mais <Ep'ipane> partit, se dévê­tit, revint et se tint longuement devant son maître. Celui-ci lui ordonna de nouveau de s'habiller et de célébrer la liturgie ; et il s'habilla joyeusement, se prosterna devant le bienheureux Grigol et celui-ci traça sur lui le signe de croix. Et il monta à l'autel, vainqueur de la maladie d'orgueil, et il commença à offrir le sacrifice non

1695 sanglant. Et personne n'osait demander au saint la raison de son acte, jusqu'à ce qu'il dise lui-même aux frères de Nejvi :

«Avez-vous vu, frères bien-aimés, la parfaite humilité d'Ep'ipane en acte? Croyez-moi, devant Dieu je dis la vérité : il n'avait fait aucune faute, car la grâce du Saint-Esprit a toujours demeuré en lui à cause de sa crainte de Dieu, de sa sainteté

1700 et de son humilité. Mais il existe une humilité de celui qui est humilié sans qu'il y ait eu faute432. Et quelle égalité y a-t-il entre la lumière et la ténèbre433 ? Car il porte le vêtement de la véritable lumière au milieu de nombreux frères ornés d'une pure humilité. Et j ' a i fait cela devant vos yeux pour que vous disiez à vos frères <ce qu'est> la parfaite humilité divine.»

1705 Et ils se prosternèrent devant lui et lui dirent : «Bien que nos frères du monastère aient de belles vertus, ils ne sont pas capables de cette humilité.» Et quand le véné­rable Ep'ipane célébra la liturgie, tous communièrent aux saints mystères du corps et du sang du Christ et ils rendirent grâces ensemble à la sainte Trinité, créatrice de l'univers.

1710 ^ 49 Et il y eut beaucoup de frères de Šaťberdi qui furent, les uns après les autres,

glorifiés pour la vaillance de leur vie monastique, et certains <furent> illuminés par la grâce de la prophétie, <et>, comme eux, d'autres déserts <furent glorifiés> au cours du temps par l'éclat de saints hommes434, parmi lesquels, de notre temps, le

430. Žamsa daicq'o (1. 6) : il commença la liturgie ; PEETERS, p. 274,1. 26-27, trouvant ce sens peu cohérent avec la suite, remplace daicq'o par daivic'q'a (il oubliait), et traduit : «de sacro non cogitasset». Il est difficile cependant d'imaginer que Grigol oublie de se rendre à un office. Commencer la liturgie peut signifier ici simplement se rendre à l'église ou com­mencer les préparatifs.

431. AsamaUebeli (1. 11), formé sur maiali, haut ; le mot ne se trouve pas dans ABULAJE. TCHOUBINOF, p. 25, lui donne comme équivalent russe vozglac, exclamation, avec ce commen­taire : dernières paroles d'une prière sur lesquelles le prêtre appuie en élevant la voix ; le terme est difficile à rendre en traduction. PEETERS, p. 274, 1. 33 : «praefaturum (orationis) sancte Deus».

432. Braltagan (1. 27) ; -gan (avec le sens du grec ek) n'est pas -tvis (grec dia) ; je com­prends donc : en dehors de toute faute, à la différence de PEETERS, p. 275,1.16-17 : «utique est etiam humilitas in eo qui propter delieta deprimatur».

433. 2 Cor 6, 14. 434. Cette dernière partie de la phrase n'est pas claire dans le texte édité, et semble incom­

plète ; PEETERS, p. 275,1. 28-31, propose : «alii prophetiae charismate corruscantes, <alii...>

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Ѵ DE GRIGOL DE XANCTA 67

1715 grand Iak'ob resplendit dans la vallée435 de Mijnajoro, comme l'étoile du matin436

parmi les étoiles, orné, au-delà de tout ce que nous pouvons dire, de multiples 294 grâces parmi les amis de Dieu437. Mais, à cause de la longueur de ce texte, | j ' a i

passé sur eux tous pour en venir aux miracles de notre bienheureux père Grigol que je tiens d'hommes dignes de foi.

1720 Et je n'ai pas pu tout écrire en raison de mon ignorance ; je pensais en effet que sa vie serait écrite par les pères sages et parfaits qui vivaient à notre époque: le grand Şopron, ce bienheureux père qui reconstruisit l'église de Sat'berdi et en fut l'éternelle couronne ; le père Ilarion de P'arexni revêtu de Dieu ; les dignes pontifes du Christ, Giorgi évêque d'Ac'q'uri et St'epane premier évêque de T'beti, et autres

1725 semblables. Mais ces bienheureux se sont endormis ; alors je me suis comme réveillé, moi ignorant et grand pêcheur, pour entreprendre d'écrire sa vie et ses miracles, que vous écoutez maintenant.

50 Un jour le bienheureux Grigol était dans sa cellule d'hésychaste ; aucun feu

1730 n'était jamais allumé dans sa cellule et aucune chandelle n'y donnait de lumière, et pas davantage dans celle des autres frères. Et au moment de l'office du matin, l'ec-clésiarque dit au responsable du luminaire438 : «Va chez le père, écoute s'il dort ou s'il est éveillé.» Comme il y allait, il vit une immense lueur qui, depuis l'intérieur, sortait de sa cellule. Il courut rapidement en criant : «Du feu sort de la cellule du

1735 père !» L'ecclésiarque lui dit: «Tais-toi, fils, et n'aie pas peur. Ce n'est pas le feu d'un

incendie, mais l'Esprit illuminateur de Dieu.» Souvent en effet l'ecclésiarque avait vu ce glorieux spectacle ; il alla jusqu'à la cellule, regarda à travers une fente du mur et vit le saint, les bras tendus ; de son corps émanaient des rayons de lumière en

1740 forme de croix et il était enveloppé de gloire et brillait comme le soleil, et l'ecclé­siarque, joyeux, louait le Christ et il attendit longtemps que cette vision ait disparu avant de frapper le signal de la liturgie.

51 Une autre fois encore, à une époque de froidure, des frères abattaient des arbres

1745 dans la forêt de Xancta ; le bienheureux Grigol était avec eux et se tenait dans un endroit dégagé. Un frère âgé traversa un endroit dangereux, sur le trajet des arbres, et les frères, sans le savoir, laissèrent aller un très grand arbre. Quand il vit l'arbre arriver à toute allure, le frère eut grand peur et, comme il n'arrivait pas à l'éviter, il cria d'une voix très forte : «Père, aide-moi !» <Grigol> fit un signe de croix sur

1750 l'arbre et lui dit : «Au nom du Christ, arbre, arrête-toi !» Et sa parole, telle un rocher inébranlable439, retint sur la pente glacée <l'arbre> qui roulait de manière terri-

panier ac ceterae solitudines illae, labentis saeculis sanctorum virorum fulgore <clarue-runt>.» Il semble cependant que la phrase oppose les frères de Sat'berdi et les frères des autres déserts, comme Iak'ob de Mijnajoro, introduit par «parmi lesquels» et auquel il va être fait allusion.

435. Qevi (1.41). 436. Mtiebi (1. 41) : étoile du matin, lucifer, comme dans 2 Ρ 1, 19. 437. Littéralement (1. 43) : avec (tana) les amis divins ; la comparaison avec «l'étoile du

matin parmi les étoiles» permet de proposer «parmi les amis de Dieu». PEETERS, p. 275,1. 32-33 : «cum divinis sodalibus (suis)», ce dernier adjectif étant une addition.

438. Mnate (1. 15). 439. L'expression est, par son cas (un ergatif), mise en apposition à «sa parole».

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fiante. Et il ordonna au frère de passer tranquillement. Et quand ils virent ce miracle, les frères furent émerveillés et louaient Dieu.

52 1755 Après cela, le bienheureux se trouvait un jour aux environs de Šaťberdi et une

femme s'approcha de lui avec foi et elle tenait dans les bras son petit garçon d'envi­ron deux ans dont les mains et les pieds étaient paralysés par l'Ennemi et la bouche tordue. Elle s'approcha en pleurant beaucoup et elle déposa son fils aux pieds du saint et lui dit : «Saint de Dieu, aie pitié de celui dont les hommes désespèrent ; car,

295 1760 après Dieu c'est vers toi que je cours.» Quand | le saint vit son grand désespoir, il en eut pitié et ses larmes commencèrent à couler et elles devinrent une fournaise pour l'Adversaire, car, à l'insu des hommes, les prières de Grigol brûlèrent le méchant démon oppresseur et le mirent en fuite.

Alors il dit : «Démon, le nom du Christ t'expulse ! Éloigne-toi pour toujours de 1765 ce bambin innocent.» Il traça sur lui le signe de la croix et brusquement l'esprit

malin s'enfuit et l'enfant fut complètement guéri ; sa mère rendait joyeusement grâces à Dieu et au saint, et ils rentrèrent joyeux chez eux et l'enfant vécut parfaite­ment bien.

53 1770 Et encore, une autre femme souffrait depuis longtemps d'hémorragie ; elle apprit

ce miracle et elle vint avec élan trouver le saint. Et elle n'arrivait pas à lui révéler sa maladie, mais elle baignait ses pieds de larmes, silencieusement et en pleurant, et elle implorait sa guérison. Et les frères s'écartèrent un peu sur un signe du saint, car il connaissait en esprit la maladie tenue cachée, il lui donna sa main droite à baiser,

1775 ce qu'elle fit, et elle fut à l'instant même guérie de son infirmité, et joyeusement elle rentra chez elle et elle louait Dieu.

54 Et la bonne vertu du bienheureux père Grigol recèle de nombreuses choses admi­

rables. Ainsi un villageois440 vivait aux environs de Šaťberdi, il se maria et ils 1780 eurent des enfants, il avait de grands biens et ils vivaient dans le bonheur et

c'étaient de bons fidèles. Et la femme tomba malade pour son plus grand profit, afin que le Christ la guérisse par la main de ce juste et pour que l'Ennemi confondu soit couvert de honte. En effet il replia par ses machinations les dix doigts de ses mains dans ses paumes et il la tourmentait cruellement de violentes douleurs. Une inspira-

1785 tion divine lui fit connaître la dignité du bienheureux père Grigol ; la femme s'em­pressa d'emmener avec elle un de ses fils et elle se présenta devant le bienheureux ; par la volonté de Dieu, le saint était alors dans un domaine de Šaťberdi ; avec force larmes et gémissements, elle commença à le supplier à cause de la maladie qui l'avait frappée. Et quand il vit sa foi et ses larmes, il éprouva grande compassion

1790 pour elle. Alors il dit à l'un des prêtres d'aller à l'église et d'y prendre une eulogie, de l'huile à la lampe qui était perpétuellement allumée devant l'image de la sainte Mère de Dieu. Et il resta lui-même jusqu'au retour du prêtre, les bras tendus en prières devant Dieu, avec d'incessants soupirs et en versant des larmes à torrents.

Et lorsqu'il eut reçu l'huile de la lampe, il appela la femme et il traça sur ses 1795 mains le signe de croix et il fit sur elle une onction d'huile en forme de croix au

nom de la sainte Trinité et par l'intercession de la sainte Mère de Dieu et il dit :

440. Mdabio (1. 20), de daba, village ; ABULAJE, p. 255. PEETERS, p. 277,1. 32 : «homo qui­dam plebe ius».

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«Que tes mains soient guéries !» À l'instant même, tous ses doigts se redressèrent et elle n'éprouva plus la moindre douleur, car le démon qui la tourmentait, saisi d'ef-

296 froi, avait fui de par les prières du bienheureux | Grigol ; et elle rentra ainsi chez elle 1800 avec joie et elle louait le Christ Dieu.

Et la femme revint avec son mari et ses enfants, et elle fit de grandes offrandes au saint ; tous reçurent sa bénédiction et ils partirent joyeux, en publiant ce miracle parmi la foule.

55 1805 Et à l'époque du saint, le souverain Ašoť curopalate conquit beaucoup de

régions et il construisit la forteresse441 d'Art'anuji comme lieu de résidence de la dame, son épouse, et il y vécut dans le bien pendant de nombreuses années. Mais l'Ennemi égara le souverain et il introduisit dans la forteresse une femme de mau­vaise vie avec laquelle il commettait l'adultère ; en effet le démon du désir442 l'ex-

1810 cita baucoup, lui qui n'avait pas de telles mœurs précédemment, et il devint la proie de ce mauvais péché. Et quand le bienheureux Grigol apprit cet acte qui détruit l'âme, il fut très affligé et il en informa le saint Grigol, le grand vieillard qui habitait des églises443, car c'était un thaumaturge honoré de Dieu et des hommes. Sur son conseil, <le saint Grigol> réprimanda en tête à tête le souverain et celui-ci lui pro-

1815 mit de renoncer à son péché et de renvoyer la femme qu'il avait fait venir ; mais il ne put confirmer ce qu'il avait dit, car il était l'esclave de la passion.

Alors le bienheureux Grigol profita d'une occasion favorable. Alors que le curo­palate était loin d'Art'anuji, il quitta un jour Šaťberdi et arriva vers le soir au pied de la forteresse. Il envoya quelqu'un demander de la nourriture à la femme et il lui

1820 fournit une explication pour sa halte en cet endroit. Elle se réjouit beaucoup et envoya toutes sortes de nourritures au saint et à ses disciples. Et quand il fit jour, il lui envoya de nouveau quelqu'un pour la faire venir. Alors, encore plus joyeuse, elle se rendit en hâte auprès du saint avec deux de ses servantes dans l'espoir d'être digne de la bénédiction du bienheureux.

1825 Mais il ne traça pas sur elle le signe de la croix et il lui dit de se tenir loin, cepen­dant que les disciples s'écartaient un peu sur un signe de leur maître, ainsi que les servantes de la femme, car la crainte du saint s'était répandue sur tous. Alors le bienheureux Grigol lui dit: «Ô misérable, pourquoi t'es-tu jetée entre mari et femme par cet affreux péché, pour ton éternelle perdition ? Il t'a rendue esclave du

1830 démon ; pour quelle vaine raison t'es-tu fait piéger dans les rets du grand souverain ?»

Et elle lui dit en pleurant : «Saint de Dieu, je ne suis plus libre de ma personne depuis que le curopalate s'est pris pour moi d'un amour démesuré, et je ne sais plus quoi faire maintenant, car le contenu de tes paroles m'a épouvantée.» Le saint lui

1835 dit : «Mon enfant, obéis aux paroles du pauvre que je suis et je me porte garant pour toi devant Dieu que lui-même te pardonnera toutes tes fautes.» Elle lui dit : «Saint père, je suis entre tes mains, agis au mieux pour mon âme.» Alors il traça sur elle le

297 signe de croix et il la bénit en priant, | et il la munit de grâces et lui donna la cour­roie de ses sandales pour qu'elle s'en fasse une ceinture. Ainsi fit-elle.

441. Cixe (1.7). 442. Trpialeba (1. 11) ; PEETERS, p. 278,1. 28 : «libido». 443. Pour PEETERS, p. 279, n. 4, il pourrait s'agir de la Laure des Quatre Églises ; mais

cette laure se trouve au T'ao, loin des régions mentionnées dans la Vie de Grigol ; il s'agit plutôt d'églises de la région d'Art'anuji ou d'Art'anuji même. Ce saint Grigol qui les habitait n'est pas autrement connu.

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1840 Le saint lui dit : «Mon enfant, aujourd'hui le salut est arrivé pour ton âme et je vais te conduire auprès de la bienheureuse mère Febronia.» Elle s'en réjouit beau­coup et le bienheureux Grigol ordonna aux servantes de rentrer dans la forteresse et il dit à la femme : «Pars, mon enfant, et marche devant nous.» Et il la conduisit ainsi à Mere ; et après en avoir d'abord discuté avec la bienheureuse mère, il la lui confia

1845 et lui dit: «Prends soin d'elle comme il convient; prends-en soin aussi quand le curopalate la recherchera, car tu vois la contrition de son cœur.» Et elle dit : «La Christ veillera sur la servante qu'il s'est trouvée grâce à toi, digne père !»

Et les bienheureux s'entretinrent longtemps en particulier, car les pères higou-mènes avaient alors l'habitude de ne rien entreprendre sans l'avis de la mère

1850 Febronia, et l'une des sœurs qui passait près d'eux entendit une seule parole et elle n'osa pas en écouter davantage, car le saint Grigol disait à la bienheureuse Febronia : «Que t'a dit l'ange ?» Dieu était en effet pleinement au milieu d'eux.

Et quand le curopalate revint à la forteresse, il chercha la femme, et quand il ne la trouva pas, il fut fort affligé en comprenant tout ce qui s'était passé. Comme le

1855 souverain brûlait pour elle, non en raison de quelque artifice humain, mais par une machination du démon, il fut vaincu au point d'en oublier tout amour-propre et il alla en hâte à Mere. Et la bienheureuse Febronia cacha la femme. Et quand le curo­palate eut prié dans la sainte église de la Mère de Dieu et qu'il eut reçu la bénédic­tion de la mère Febronia, alors il commença à dire : «Sais-tu, mère, pourquoi je suis

1860 venu maintenant ?» Elle lui dit : «Le Seigneur sait pourquoi tu as décidé de venir.» Il lui dit : «La raison pour laquelle je suis venu, c'est qu'il y avait une femme qui gardait les trésors444 de notre maison, tous nos biens étaient entre ses mains. Et le père Grigol l'a emmenée ici et il nous manque une grande quantité de choses pré­cieuses. Ordonne-lui de retourner une fois à la forteresse et de tout nous restituer ;

1865 ensuite elle reviendra chez vous comme il lui plaît.» Et Febronia lui dit sèchement : «<N'incline pas mon cœur à des paroles de mal>

pour chercher des excuses à des péchés chez les hommes qui commettent l'ini­quité445.» En entendant cela, le curopalate, confus de la justesse du reproche, fut honteux et il demeura longtemps silencieux, comme vaincu, car un puissant souve-

1870 rain matériel est vaincu par ceux qui sont puissants spirituellement <et> armés du zèle divin. L'âme étreinte d'angoisse, le curopalate dit : «Bienheureux l'homme qui n'est plus en vie !» et il se leva rapidement et partit. Alors l'âme paisible, la bien­heureuse Febronia le retenait pour lui donner l'hospitalité. Mais il ne lui obéit pas,

298 car sa propre raison le blâmait. | Il s'était éloigné de la passion de cet amour charnel 1875 et il comprenait son infamie ; et il se réjouit spirituellement quand la sagesse eut

chassé la faiblesse qui l'affligeait et il louait la violence des saints et surtout celle de Dieu qui donne la victoire. Et il partit joyeux, car, dans la pureté du cœur, il véné­rait les bienheureux comme pouvant couronner son âme pour l'éternité.

56 1880 Mais l'Ennemi tourmenta davantage le souverain Adarnerse, fils du curopalate

Ašoť. Car, ayant prêté l'oreille à une femme prostituée avec laquelle il commettait l'adultère, il répudia injustement sa femme fidèle sous la fausse accusation d'adul­tère et il la renvoya dans son pays, l'Apxazeti, d'où il l'avait fait venir. Mais le Christ révéla à son serviteur Grigol toute l'injustice infligée à l'innocente dame.

1885 C'est pourquoi le bienheureux Grigol admonesta Adarnerse à plusieurs reprises, mais le souverain était vaincu par un vain amour-propre et ne se soumit pas aux

444. Šeč'urč'le (1. 30). 445. La citation de Ps 141 (140), 4 n'est pas complète dans le texte.

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remontrances de ce juste, mais il ajouta le mal au mal et prit une autre épouse. Alors le père Grigol prophétisa ce qui allait lui arriver, avec la permission de Dieu, à cause de ses fautes.

jg90 Et il lui dit: «Parce que tu n'as pas écouté la parole du pauvre que je suis, tu seras frappé de cruelles maladies et les fils qui te naîtront maintenant seront tour­mentés par les démons, et ni toi ni tes enfants ne guériront tant que la dame, la ser­vante de Dieu, injustement punie, ne t'aura pas pardonné. Bien qu'elle soit alors morte, tes enfants recevront le pardon de son tombeau. Quant à la prostituée qui a

1895 porté l'accusation, le Christ la confondra bientôt, plus que tout autre pécheur, à cause de son insolence impudente et de sa méchanceté.» Et Adarnerse eut grand peur des paroles du bienheureux Grigol, il se jeta aux pieds du saint, et celui-ci le releva et lui dit : «Que le Christ t'accorde le pardon de tes péchés ; mais sache que mes paroles s'accompliront en leur temps afin que tous comprennent le fruit de la

1900 désobéissance.» Et peu de jours après Adarnerse tomba victime de violents maux dus à ces élan­

cements qu'on appelle la goutte446. Il souffrait cruellement de ces douleurs, lui qui jusqu'à présent n'avait jamais souffert. Il dépêcha immédiatement l'homme qu'il fallait, nommé K'up'ra, à la dame pour lui demander pardon. Quand l'envoyé

1905 d'Adarnerse arriva à Persati où se trouve maintenant son tombeau, il vit sa dame qui vivait dans une vie monastique intense, elle qui était la fille du souverain Bagrať Šaroeli. Car elle avait pour vêtement un misérable habit de drap447 et portait le grand schème et elle portait une lourde charge de bois et la bienheureuse l'appor­tait chez elle, elle qui s'appelait auparavant Bevreuli et maintenant Anast'asia, car

1910 elle avait totalement confondu le diable, et les fidèles trouvent maintenant guérison par sa grâce lorsqu'ils emportent de la terre de son tombeau comme eulogie.

299 | Et quand l'envoyé la vit, il la reconnut et il se jeta à ses pieds de la part d'Adarnerse et lui dit : «Toi qui fais la volonté du Christ, je t'en supplie, aie pitié de mon seigneur que Dieu punit justement par ta puissance. Ne le maudis pas, mais

1915 pardonne-lui ses grandes fautes.» Et elle lui dit: «Je t'en fais le serment par le Christ : aucune malédiction n'est sortie de ma bouche et je ne l'ai pas maudit. Que le Christ lui pardonne tous ses péchés et le guérisse en son âme et en son corps.»

Et immédiatement Adarnerse fut guéri, car l'envoyé lui apprit à quelle heure elle avait prié pour son seigneur. Et quand il revint, il le trouva complètement guéri et il

1920 remerciait le Christ avec joie. Mais quelques années plus tard, les fils qu'Adarnerse avait eus, le curopalate Gürgen et Sumbať, furent cruellement tourmentés par l'Ennemi. Il les envoya en hâte à Persati, vêtus de pauvres habits et porteurs d'of­frandes dignes d'un souverain, prier sur le tombeau de la bienheureuse dame qui était morte. Et quand ils eurent prié, ils furent entièrement guéris selon la parole du

1925 bienheureux Grigol et ils revinrent joyeux chez eux et ils louaient le Christ, Dieu de l'univers.

La femme qui avait porté l'accusation tomba victime d'un cruel démon ; elle devint enragée, et d'autres afflictions la frappèrent encore à cause de ses mauvaises actions. Il était effrayant et épouvantable de la voir et d'entendre ses paroles. Et

1930 quand elle recouvra ses esprits, elle alla misérablement trouver la mère Febronia, se jeta à ses pieds en pleurant et elle confessa toutes ses fautes et la supplia en gémis­sant d'intercéder pour elle auprès du père Grigol. <La mère> écrivit une lettre de supplications. Mais le bienheureux ne Γ écouta pas et il lui dit: «Des malheurs

446. Nik'risi (1. 32) : goutte ; voir TCHOUBINOF, p. 387. 447. čoqa (1. 38) : vêtement monastique, froc ; voir ABULAIE, p. 512. TCHOUBINOF, p. 610 :

«vêtement de drap». PEETERS, p. 282,1.4 : «pannum».

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72 BERNADETTE MARTIN-HISARD

encore plus grands vont la frapper parce qu'elle a séduit le pieux souverain et elle 1935 lui a fait répudier son épouse fidèle en lui faisant la réputation d'être adultère. Elle a

aussi répandu le sang d'un jeune homme innocent448. Elle recevra jusqu'à sa mort ce que méritent ses actes.»

La bienheureuse Febronia dit : «Le jugement du père Grigol est juste» ; et elle ne fit pas pression sur le saint, comme dit l'Apôtre : «Les âmes des prophètes sont sou-

1940 mises aux prophètes449.» Et elle réconforta la femme désespérée comme il conve­nait, car elle était pleine de la sagesse des deux vies ; et on la voyait, elle et cer­taines de ses disciples, faire de grands miracles, et maintenant leurs tombeaux produisent la guérison pour ceux qui les implorent avec foi ; et la femme resta à Mere jusqu'à sa mort, car, tout en souffrant de grands tourments, elle était saine

1945 d'esprit. Et lorsqu'elle mourut, la mère Febronia ordonna de l'ensevelir à côté des sœurs qui avaient fait la volonté du Christ pour que ces innocentes obtiennent la justification de la coupable devant le Christ.

Et le Seigneur fit voir un prodige, car, à trois reprises, lors de l'ensevelissement d'autres défuntes, on trouva le corps de la femme pécheresse à l'intérieur de la

300 1950 porte du cimetière450 | et on n'osait pas l'enlever. Mais alors on rapporta tout à la bienheureuse Febronia qui était très âgée et qui n'avait plus la force de se rendre à l'ensevelissement des défuntes. Et elle dit: «Il faut en informer le bienheureux Grigol, car c'est lui qui mène cette affaire.» Et elle écrivit respectueusement la lettre suivante :

1955 57 «Que le Seigneur nous fasse miséricorde par sa sainte croix et par le secours de

tes saintes prières, père christophore Grigol, toi qui as part en tout à la prière de la pauvre femme que je suis. Saint homme de Dieu, des ennemis, dans leur multiple malice, t'ont tendu un filet comme les rets des chasseurs et ils ont entrepris contre

1960 toi une guerre sans merci, car ils t'ont attaqué par ruse, sous de feintes apparences, avec une cruelle violence, sous l'aspect d'une légion de cavaliers et, parfois, à diverses reprises, sous celui d'une multitude d'animaux féroces, effroyables à voir ; et ils ont ainsi soulevé contre toi des flots d'efforts visibles et invisibles451. Mais l'humilité parée de sainteté qui est enracinée en ton corps les a tous vaincus et ton

1965 âme juste a consumé telle un feu ces ennemis malfaisants invisibles et visibles. À cause de cette grâce, la puissance de Dieu est puissance pour toi, car tu ressembles aux saints anges par la sainteté, harpe à trois cordes452 de victoire, ceinte comme d'un mur par une prière constante, le jeûne, de nombreuses génuflexions, l'offrande des saintes larmes de tes yeux sans sommeil et de ton âme qui veille.

1970 Toi, saint prêtre, paisible453 parmi les justes appelés à l'église, divin maître, for­teresse454 des fidèles, impartial dénonciateur des souverains, instructeur par le bâton

448. Cet épisode n'est pas connu. 449. 1 Cor 14, 32. 450. Ak'ldama (1.43). 451. Cet aspect de la vie de Grigol n'apparaît nulle part ailleurs dans la Vie. 452. Samjali (1. 18) ; terme rare que ne mentionnent ni Tchoubinof ni Sarjvelaje ni

Tschenkeli ; ABULAJE, p. 365, l'interprète comme un instrument de musique (jali, son) à trois (sami, trois) cordes, par rapprochement avec atjali, instrument de musique à dix (ati) cordes (ibid., p. 10 et TCHOUBINOF, p. 9) cité dans Ps 33 (32), 2 : harpe ou lyre à dix cordes ; il existe aussi un orjali, à deux (ori) cordes. PEETERS, p. 284,1. 13 : «firmamentum» ?

453. Gansuenebuli (1. 22) : tranquille, calme, que PEETERS, p. 284, 1. 17 et n. 3, préfère changer en gančvenebuli, soit «exceUentissimus».

454. Simt' 'ice (1.23) : force, forteresse, durée.

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de l'enseignement, en sorte que tes paroles prophétiques s'accomplissent parmi les hommes, voici venu le moment du pardon ; aie pitié de cette femme désespérée, comme il plaira à Ta Sainteté. Le porteur de cette lettre t'apprendra ce que j'ai

1975 encore à te dire. Sois mon secours en tout, ici et dans l'éternité, amen !» Et quand le bienheureux Gri gol eut lu la lettre de Febronia et qu'il eut tout

appris, il rendit grâces au Christ en pleurant et écrivit la lettre suivante aux sœurs défuntes.

58 1980 «Amies du Christ, qui avez triomphé pour le Christ des mœurs de ce monde dans

le bref moment qui est allé de votre enfance à votre mort, selon la parole de l'Apôtre: "Car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand notre vie sera manifestée, vous serez vous aussi manifestés dans la gloire"455

des siècles à venir ; vous que les sages disent bienheureuses, que les ignorants ne 1985 connaissent pas ; vous qui avez acheté comme de bons marchands une richesse éter­

nelle avec du provisoire456 ; vous qui dormez maintenant en votre corps, mais qui êtes éveillées en votre âme ; vous que les mortels considèrent comme mortes, mais qui vivez éternellement par le Christ ; vous qui êtes passées de cette demeure ter-

301 restre de l'âme au ciel ; fleurs de la virginité, semblables | à la Mère de Dieu ; vous 1990 qui exultez en sa présence et attendez le retour glorieux de son Fils pour l'éternité,

vous qui, à partir de votre faiblesse, êtes parvenues à une force inébranlable et qui pouvez donner complètement après la mort les deux types de récompense aux hommes selon leur comportement: comme nous l'avons vu maintenant, c'est bien ainsi que vous avez prononcé un juste jugement dans le cas présent ; ce pourquoi

1995 moi, le pauvre Grigol, et la mère Febronia, nous vous sommes reconnaissants de votre aide.

Et maintenant nous implorons votre miséricorde pour cette femme ; demandez au Christ de lui pardonner ses fautes et daignez accueillir sa dépouille avec vos dépouilles, son âme avec vos âmes, et surtout agissez en sa faveur lors de la

2000 seconde venue du Seigneur, car vous avez la grâce d'aider les fidèles et vous atten­dez la gloire sans fin et la joie ineffable à laquelle vous devez parvenir. Que votre intercession nous vienne toujours en aide pour que nous méritions nous aussi la béatitude de la vie dans le siècle à venir, amen !»

Quand la lettre du père Grigol eut été lue aux sœurs défuntes et que la requête 2005 orale de la mère Febronia leur eut été communiquée, alors on emporta la défunte à

l'endroit où on l'avait déjà primitivement déposée à trois reprises. Et elle n'en bou­gea plus désormais.

Ainsi le bienheureux père Grigol fut à l'origine d'abord de la dénonciation du péché, puis de la rémission et du pardon, mais la pénitence fut aussi une grande aide

2010 pour la pécheresse devant Dieu457, car il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa pénitence. Et tous ceux qui le comprirent furent dans l'admiration et louaient Dieu.

455. Col 3,3. 456. Voir Mt 25,20-21. 457. Sinanulica (1. 20) est formé de sinanuli (pénitence) au cas sujet et du suffixe -ca

(aussi) ; la phrase signifie que Dieu a tenu compte aussi de la pénitence menée par la femme au monastère jusqu'à la fin de sa vie. PEETERS, p. 285,1. 24-25, a fait de sinanuli un complé­ment de nom : «atque peccatrici poenitentiae adiutor praesentissimis apud deum factus est.»

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59 Tels étaient les miracles que le Christ opérait par l'intermédiaire du bienheureux

2015 Grigol, et les infirmes atteints de diverses maladies et tourmentés par les esprits impurs étaient guéris par sa prière et par ses larmes pour peu qu'ils l'aient demandé avec foi.

Non seulement les hommes, mais les animaux des champs aussi voyaient en lui un refuge.

2020 Ainsi, un jour où le bienheureux se trouvait pour quelque affaire dans les mon­tagnes près de Šat'berdi et que quelques frères étaient avec lui, un cerf apparut à leur vue ; des chasseurs l'encerclaient et il ne pouvait plus leur échapper. Alors il se dirigea vers les moines et passa au milieu d'eux tous et il vint auprès du bienheu­reux Grigol comme s'il était doué de raison ; il posa sa tête dans les mains du saint

2025 et c'était comme s'il se plaignait du mal qu'on lui faisait. Et <le saint> le réconforta et lui dit : «Au nom du Christ, tes ennemis ne te feront plus de mal ; n'aie pas peur.» Et quand ils virent cela, les hommes furent bien stupéfaits et ils louaient Dieu. Ils vinrent vers le saint et il traça sur eux le signe de la croix et il les bénit ; il leur donna quelque chose d'autre pour sustenter leur corps à la place du cerf et ils parti-

2030 rent. Et il renvoya paisiblement le cerf.

60 De même, une autre fois, alors qu'il était dans sa cellule à Xancta, une foule de

chasseurs encercla quatre chèvres sauvages458 tout près du monastère et elles se pré­cipitèrent en courant dans la cellule où le père Grigol était assis et elles entourèrent

302 2035 le saint, et il comprit pourquoi elles étaient venues ; | il les rassura et il ordonna de donner de la nourriture aux chasseurs et de les renvoyer. Il donna à manger aux chèvres et les renvoya paisiblement.

61 Et quand il était jeune, le père Basili s'occupait de la monture459 du père Grigol.

2040 Une méchante tumeur460 que l'on appelle cancer461 et que l'on appelait autrefois sat'ali462 se développa sur son cou. Terrassé par la cruelle maladie, Basili souffrit pendant quatre jours. Alors le bienheureux Grigol finit par demander : «Où est le jeune Basili ?» Des frères lui apprirent sa maladie et il ordonna de l'appeler, mais ils lui dirent : «Il n'a pas la force de marcher.» Alors il leur dit : «Dites-lui de ma

2045 part : c'est un ordre du père Grigol.» Quand Basili apprit qu'il l'appelait, il trouva des forces dans l'ordre de son maître et se présenta à lui. Et il l'interrogea : «De quoi souffres-tu ?» Il lui montra du doigt l'endroit où se trouvait la tumeur qui cou­vrait une large place. Alors le bienheureux Grigol frappa vivement de la main l'en­droit de la tumeur et il dit à Basili : «Tu t'es relâché sans raison, car tu n'es absolu-

2050 ment pas malade.» Il passa la main à cet endroit et il n'y avait plus trace de la maligne tumeur. Et ceux qui virent ce miracle louaient Dieu.

458. Garetxa (1.42) : chèvre sauvage, chamois ; TCHOUBINOF, p. 109. 459. K'arauli (1.4). 460. Mjdomi (1. 5). 461. K'urtxeuli (1. 6), mis entre crochets par l'éditeur qui développe ainsi trois lettres k'-x-

1. Non développé par Marr. PEETERS, p. 286,1. 19 : «cancrum» ; il voit dans ces lettres l'abré­viation d'un mot équivalent à l'arménien k'akxei, soit cancer, gangrena et renvoie à 2 Tim 2, 17.

462. Sat'ali (1. 6), entre crochets dans l'édition. Le mot n'est pas dans ABULAJE; TCHOUBINOF, p. 441 : «diarrhée», qui ne convient pas ici. MENABDE, p. 180, se contente de translittérer ; PEETERS, p. 286,1.19 : «gangrenant».

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Ѵ DE GRIGOL DE XANCTA 75

62 Il y avait à cette époque à Jérusalem des disciples du bienheureux Grigol, de

belles personnes, de bons moines, d'une sagesse accomplie et thaumaturges, cher-2055 chant le royaume éternel et fuyant la gloire de ce monde, de vénérables prêtres, fils

de nobles aznaurs, de la famille463 du grand Eprem, évêque d'Ac'q'uri. Et ils écrivi­rent une lettre au père Grigol, lettre parvenue autrefois de Jérusalem à Xancta ; et j'ai maintenant retranscrit dans ce livre toute leur lettre sans rien y changer.

«Que le Seigneur nous accorde la sainte prière de notre saint, grand et vénérable 2060 père Grigol et nous rende dignes, nous pécheurs, tes pauvres et indignes serviteurs,

l'inutile Arseni et le faible Mak'ari, spirituellement fils de ton frère, ton fils et celui de tous tes fils464. Père grand et honoré du Seigneur, notre seigneur digne de Dieu, seigneur éminent de ce saint désert, maître du peuple ami du Christ et illuminatela-de tous, pardonne-nous en ta sainte humilité d'avoir audacieusement fait cette lettre

2065 stupide et insensée, nous serviteurs pauvres et indignes. Confiant en ton amour de Dieu, nous avons eu l'audacieuse audace de t'écrire, à toi <qui es> appelé au repas immortel, nous les plus pécheurs de tous les hommes ; nous nous souvenons de toi avec douleur et nous te transmettons la grâce et la bénédiction de la sainte Résurrection et de tous les saints lieux qui sont dans la sainte ville de Jérusalem et

2070 alentour, et que le Christ notre Seigneur a sanctifiés. Toi, saint vénérable père, et tous tes enfants, avec foi et selon votre désir à vous

303 tous, pardonnez-nous et agréez | notre désir de vous adresser notre salut. Et encore465, saint père, un homme est arrivé ici, un serviteur de Dieu, un prêtre

grec de cette région466, et il t'avait vu, père, et il nous a dit la paix dans laquelle tu 2075 te maintenais par Dieu et la santé de ta vénérable sainte vie en ton désert. Nous

indignes, nous y avons trouvé repos et joie et nous avons osé, de notre bouche indigne, rendre grâces à Dieu qui aime les pécheurs pour cette nouvelle et pour la joie de te savoir en paix. Cet homme de Dieu, Mose, est reparti d'ici maintenant et nous lui avons remis cette lettre. Ici il a visité tous les saints lieux et il y a prié ; il a

2080 prié partout pour toi, père, et pour tous les fidèles, il a fait mémoire de toi et il t'a beaucoup glorifié.

Nous nous en sommes réjouis plus que modérément et nous avons osé t'écrire pour nous et pour nos âmes pécheresses. En nous prosternant, nous supplions ta très bonne clémence et la douce autorité de ton amour de Dieu pour que tu ne nous

2085 oublies pas dans ta saint prière, nous tes serviteurs, père theophore, maître éminent de saints. Puisque nous avons confié notre âme à ta vénérable sainteté, nous t'en supplions maintenant par l'amour du Christ, fais mémoire de nous dans tes dignes prières et devant [ton]467 saint troupeau, digne de Dieu, père vénérable, notre sei­gneur.

2090 Et ce même Mose te parlera de notre séjour en ce saint lieu de Saint-Sabas et de toutes les nouvelles, saint père. Confiants en ta mansuétude, nous te faisons savoir — et que Ta Sainteté en soit persuadée — que nous osons faire sans cesse mémoire de toi dans nos prières, en ces saints lieux, pour que le Seigneur nous

463. T'orni (1. 24). 464. «Fils de ton frère», «ton fils», de même que «celui» sont des singuliers dans le texte ;

il faut sans doute les comprendre comme des pluriels apposés aussi bien à Arseni qu'à Mak'ari. Le «frère» de Grigol doit désigner Eprem.

465. Egretve (1. 1) : et encore. MENABDE, p. 181 : «Et plus loin», qui s'interposerait entre deux passages de la lettre.

466. Le K'iarjeti, où le prêtre grec va repartir avec une lettre pour Grigol. 467. Littéralement : votre.

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76 BERNADETTE MARTIN-HISARD

rende dignes, nous indignes, d'avoir toujours part à ta sainte prière. Père, nous te 2095 recommandons notre sœur Eprosine, saluez-la pour l'amour de Dieu et répandez sur

elle ta prière et ta bénédiction, amen !» Les premiers saints pères disaient à propos d'hommes si dignes : «Les pères qui

faisaient la volonté du Christ et qui sont apparus en ces derniers temps seront avant nous et avant nos pères aussi468.»

2100 63 Et le bienheureux <et> thaumaturge père Grigol, dirigeait ainsi l'ensemble des

saints déserts du K'iarjeti ; il veillait heureusement sur les moines fidèles et il convertissait les pécheurs à la pénitence et il chassait469 complètement quiconque ne respectait pas une coutume. Un vieillard d'Op'iza disait ainsi : «Le père Grigol m'a

2105 expulsé à trois reprises d'Op'iza quand j'étais jeune à cause de ma mauvaise conduite.»

Et depuis que les glorieux déserts du K'iarjeti ont été fondés, leurs prêtres et leurs diacres sont ordonnés par les évêques d'Anca. De même, quand un évêque <d'Anča> est consacré, le catholicos refuse de le consacrer évêque de l'évêché s'il

2110 n'a pas la recommandation unanime de tous les déserts et une lettre de recomman­dation470 véridique de tous, et il ne se contente pas des décisions canoniques471. Car bien que le siège d'Anca ait été fondé depuis des temps immémoriaux et qu'il y ait

304 eu aussi de nombreux évêques | bons thaumaturges, le Christ a fait l'honneur à ces saints déserts d'avoir pour pasteurs des évêques irréprochables, saints et dignes,

2115 comme il convient à ce saint siège qui est demeuré dans la pureté loin de l'ensei­gnement dépravé de l'hérésie pernicieuse, fondé au nom de la sainte Icône du Christ Dieu.

64 Du temps du bienheureux père Grigol, le digne archiprêtre472 Zakaria fit les

2120 miracles suivants. Il y avait ainsi près du monastère de T'ba un rocher terrifiant qui branlait sur une pente abrupte et les moines effrayés fuyaient leurs habitations. Mais Zakaria qui était resté là avec foi leur dit : «Demain vous verrez ce rocher posé en un endroit qui ne sera d'aucun danger pour vous.» Et il en fut ainsi. En effet les pères n'entendirent pas <le rocher> bouger, mais il se trouva le lendemain stable à

2125 un endroit inattendu, là où le saint l'avait dit. Et ils louaient le Christ. Le même Zakaria était un jour assis à T'ba, à l'époque des vendanges, sous des

sarments mûrs qu'une grive473 picora à plusieurs reprises. Il fit sur elle un signe de

468. Même interprétation chez MENABDE, p. 182, qui comprend iq'vnen comme un futur : ils seront. PEETERS, p. 288,1. 24-25 fait de «temps derniers» le sujet du verbe : «.Postrema tem­pora in quibus patres reperti sunt, qui Christo arbitrio servirent, ante nostram et patrům nos-trorum aetatem exacta sunt».

469. Ganasxmìda (1. 35), de gansxma, chasser, proscrire ; voir ABULAJE, p. 70. PUETERS, p. 288,1. 26 : «exterminabat».

470. Cigni sac'amebeli (1. 41) ; voir 2 Cor 3,1. 471. Arca satno ani samartlita sabč'ojta (1. 43), littéralement: il ne se satisfait pas des

jugements de justice ; cependant samariali, justice a aussi le sens de canon ; on comprend donc que l'élection de l'évêque, toute canonique qu'elle ait été, doit être complétée par l'ap­probation unanime des moines pour satisfaire le catholicos. PEETERS, p. 289,1. 1, traduit très incomplètement : «neque recte aestimanti hoc placuisset.» en contestant la traduction de Marr qu'il formule ainsi : «neque... probari polest ut (alicui) onanus imponantur sine eins modi testimoiiio>.»

472. Mìdelt-mtavari (1. 7-8). Zakaria était évêque d'Anča. 473. Šašvi (1. 16). TCHOUBINOF, p. 540 : «grive, tourterelle, merle» ; PEETERS, p. 289,1. 20 :

turdus.

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croix et elle mourut à l'instant. Il fit sur elle un deuxième signe de croix et elle s'en­vola parmi les siens, ressuscitée.

2130 65 Un jour d'innombrables sauterelles474 arrivèrent aux abords du territoire d'Anča.

Le bienheureux évêque Zakaria fit porter par des prêtres son bâton475 au-devant d'elles ; et, par la grâce de son serviteur, le Seigneur détruisit la multitude de saute­relles qui masquait la lumière du soleil, et le peuple fidèle louait Dieu.

2135 66 Et encore, deux dragons476 terrifiants se montrèrent un jour dans une vigne

d'Anca et les vendangeurs s'enfuirent. Mais Zakaria les tua par sa prière et les gens louaient le Christ joyeusement.

Il y eut encore à Anča d'autres dignes évêques thaumaturges de ce genre, sem-2140 blables au Seigneur, qui nourrissaient de nombreux affamés avec un peu de pain

pendant les famines.

67 Les premiers signes de sa grâce se virent sur Zakaria durant sa jeunesse. Il gar­

dait en effet des agneaux dans une région du K'iarjeti et, tel un prêtre, il prépara 2145 l'oblation devant une croix vénérable ; et d'autres bambins se tenaient autour de lui

et chantaient inlassablement l'hymne des anges : «Saint, saint, saint est le Seigneur sabaoth ! les cieux et la terre sont remplis de sa gloire, alleluia, alleluia, gloire à Dieu !477.» Et ils disaient «Kyrie eleison» très souvent. Et une colonne de lumière resplendissante descendit du ciel sur l'innocent prêtre enfant ; et un certain évêque

2150 d'Anca qui passait par là vit ce prodige ; il s'approcha et reçut la communion des mains du digne enfant et il l'emmena avec lui à Anča. Il révéla à l'ecclésiarque comment il avait communié et, sur l'ordre de l'évêque, de saints hommes élevèrent à T'ba le bienheureux évêque Zakaria.

Telles sont les belles vertus que possédaient les évêques d'Anča.

2155 68 305 | Mais, parmi les saints froments478, il se trouva quelqu'un de semblable à l'ivraie,

né à Sarc'ebi et élevé dans le diaconat à Tbilisi par Sahak', fils de l'émir Ismael479. Il était venu comme envoyé auprès du curopalate Ašoť et il vit que l'évêque d'Anča était mort. Par la permission de l'immense patience de Dieu, le méchant Ckiri fit

2160 demander le siège d'Anča au curopalate Ašoť par l'intermédiaire de l'émir Sahak'. Et lorsqu'il se fut emparé par la force d'Anča, il accumula en grand nombre méchancetés sur méchancetés, on ne peut les évoquer toutes dans ce livre.

Son dérèglement fut à de multiples reprises dénoncé par les saints premiers ermites du K'iarjeti, les pères et tous les pasteurs de l'église catholique, et en parti-

2165 culier par le père Grigol qui était l'archimandrite de ces glorieux déserts. Mais <l'homme>, dominé par l'orgueil, rejeta toute crainte de Dieu et il appela en secret

474. Mk'ali (1. 19). 475. K'uertxi (1. 20). 476. Vešap'i (1.24). 477. Is 6 ,3 ; 4, 8. 478. Ipkli (1. 1). 479. Voir l'introduction, p. 9.

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un laïc d'Anca, effronté et pauvre, un solide tireur à l'arc. Il lui promit trois mesures480 de millet481 et cinq boucs482 et l'envoya à Xancta tuer le père Grigol. Il apprit en chemin : «Il est dans un domaine de Xancta et il rentre aujourd'hui

2170 même.» Alors il partit monter la garde dans la forêt de Xancta, et il avait en main son arc bandé.

69 Le bienheureux père Grigol descendait seul de son domaine à Xancta et, chemin

faisant, il récitait de mémoire en gémissant et en pleurant des paroles du saint père 2175 Éphrem483, et son âme exultait, car il voyait de divines visions par la grâce de

l'Esprit Saint. C'est alors que le misérable vit un grand prodige venu d'en haut sur le saint : une colonne de lumière très resplendissante qui montait jusqu'au ciel le couvrait, et il y avait sur sa tête une croix qui répandait autour de lui un éclat insou­tenable, tel Γ arc-en-ciel484 qui apparaît superbe en temps de pluie. L'homme vit

2180 cette gloire sur lui et une grande frayeur le saisit ; les nerfs de ses bras se relâchè­rent485 et il resta à terre, terrassé par une grande peur.

Le bienheureux Grigol lui dit : «Ô misérable, tu exécutes l'ordre de celui qui t'a envoyé parce que tu es un renégat du christianisme et tu répands le sang d'un vieillard innocent pour un médiocre salaire : insensé, n'es-tu pas venu me tuer pour

2185 trois mesures de millet et cinq boucs?» Alors l'homme le supplia en pleurant: «Saint de Dieu, aie pitié de moi, ton assassin désespéré, et imite le Christ qui a par­donné à ses meurtriers repentants, car il ne me reste plus de force devant le spec­tacle effrayant que tu offres et qui m'a terrassé.» Alors le saint traça miséricordieu-sement sur lui le signe de croix et le guérit, car il avait été frappé de multiples

2190 coups, et il le renvoya joyeux chez lui. Et l'homme raconta à Ckiri tout ce qui s'était passé ; il en devint plus furieux encore et ajouta aveuglement sur aveugle­ment.

306 | Il infligea de multiples maux au père Grigol et aux saints pères de ce temps ainsi qu'aux autres laïcs fidèles, et ceux qui l'avaient toujours justement réprimandé

2195 allèrent ensemble tout raconter au grand souverain, le curopalate Ašoť. Sur son ordre, tous les religieux de l'Église catholique d'Anca adressèrent une lettre au catholicos du Kartli qui convoqua tous les dignes évêques à Anča486. Et tous les pères ermites se réunirent avec eux. Et la bienheureuse et thaumaturge mère Febronia vint à ce saint concile semblable aux premiers saints <conciles>487, il y

2200 avait aussi tous les prêtres diocésains488 d'Anča.

480. Grivi (1.16). 481. Pec'vi (1.16). 482. Txa (1. 16) ; ABULAJE, p. 195 : «chèvre, bouc». 483. Tkumulni (1. 21), comme plus haut, n. 378 ; il s'agit d'hymnes de saint Éphrem. 484. PEETERS, p. 291,1. 22-23 : «crux intolerabilis fulgoris (et) circa eum <lucebat splen­

dor iridi similis». 485. Voir Gn 49,24. 486. Le nom de ce catholicos, contemporain du curopalate Ašoť, n'est pas indiqué; ce

peut être Ilarion. 487. MENABDE, p. 187 : «semblables aux premiers conciles des saints pères» ; PEETERS,

p. 292,1. 12-13 : «(conciliis) non dissimile priscorum sanctorum». 488. Q'ovelni midelni, mremlni Ančisani (1. 10) ; MENABDE, p. 187 : «tous les prêtres, qui

paissaient la paroisse d'Anča» ; on ne peut suivre PEETERS, p. 292,1. 14 : «sacerdotes omnium paroeciarum Antziensium...» TCHOUBINOF, p. 348 : mremli ou mrevli, «paroisse, paroissien» ; ici mremli semble mieux traduit par diocèse ou province que par paroisse, plus équivoque.

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Devant les évêques, ces fidèles thaumaturges exposèrent face à face489 le cas de Ckiri, son impiété, l'insolente origine de ses forfaits. Alors les fidèles pontifes le destituèrent de sa dignité. Le père Grigol et la mère Febronia firent descendre de l'autel l'homme en vêtements ; ils le déshabillèrent devant l'autel, et ils le chassè-

2205 rent tous ensemble de l'église catholique comme un membre pourri ; il fut chassé de partout, comme les hérétiques, pour avoir transgressé la loi.

Et comme l'aide de Dieu s'était écartée de lui, tout moyen lui fit défaut et il par­tit à Tbilisi auprès de l'émir Sahak', son patron490, et à force d'importunités de <l'émir>491, il fit en pratique fléchir le curopalate et il reprit par la force le siège

2210 d'Anča pour tirer vengeance du père Grigol. Il rassembla alors tout le peuple d'Anca et l'envoya détruire Xancta. Ils arrivè­

rent au lever du soleil et le père Grigol leur dit : «Fils, donnez-moi du temps jusqu'à midi, à moi et à mes frères, pour que nous fassions une supplication devant le Christ dans la sainte église; nous invoquerons saint Georges et tous les saints et le

2215 Seigneur fera un beau miracle.» Ils écoutèrent la parole du vieillard parce qu'ils avaient l'habitude de voir ses miracles.

70 Et au moment où ils suppliaient le Seigneur en pleurant, il écouta leur .demande

et leur fit dire par un saint ange : «La vengeance divine a frappé votre méchant 2220 adversaire, la nouvelle de sa mort va arriver, même s'il doit vivre encore deux

jours, afin qu'il ne mérite pas d'être enterré dans le siège episcopal et que tous soient témoins de son expulsion. Mais dès à présent son esprit est déjà mort.»

Et quand les pères pareils aux anges entendirent le bruit de la bonne nouvelle donnée par l'ange, ils furent remplis de joie et rendirent grâces à Dieu qui seul fait

2225 des merveilles492 et ils comprirent ce qui est écrit : «Le sot est tué par la colère»493, lui qui s'adonnait sans cesse au dérèglement et se comptait au nombre des justes. Alors le bienheureux Grigol sortit joyeux de l'église et leur dit : «Ne craignez plus l'oppression de celui qui vous a envoyés, car, dans sa colère, le Seigneur l'a tué.» Et un homme arriva qui leur dit: «N'ayez pas l'audace de détruire le glorieux

3072230 Xancta, car son destructeur | est mort.» Alors les hommes se réjouirent, les pères les restaurèrent et ils rentrèrent joyeux chez eux et ils louaient Dieu.

Mais revenons à notre précédent propos. Lorsque Ckiri eut envoyé les gens à Xancta, lui-même partit à Korta prendre un objet à lui qu'il y avait caché. En che­min il s'endormit après avoir mangé et il vit une terrifiante apparition qui lui repro-

2235 chait ses forfaits et particulièrement ceux qu'il avait perpétrés contre les gens de Xancta. Or il y avait avec lui un divin prêtre d'Anča auquel le Seigneur révéla la maie mort de Ckiri. Le prêtre envoya son disciple à Xancta et leur annonça comme certaine la mort de Ckiri. Ckiri mourut seulement en arrivant à Korta et il y fut enseveli jusqu'à la seconde venue du Seigneur.

2240 Et lorsque les malheurs de cette période eurent pris fin, le saint siège de l'Icône vivante du Christ Dieu déploya la joie d'être en paix sur ses troupeaux grâce à la splendeur de ses bons pasteurs.

Dans ces derniers temps qui sont les nôtres, les pauvres se réjouissent de la grâce du Seigneur, de l'intercession des saints depuis toujours et de la protection maté-

489. C'est-à-dire en présence de Ckiri. 490. P'afroni (1. 19). 491. C'q'inebita misita (1. 19-20) ; c'q'ineba : importunile, supplication. 492. Ps 72 (71), 18. 493. Jb 5, 2.

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2245 rielle de nos nobles rois qui furent très pieux, fondateurs de saintes églises, pourfen­deurs de la légion des barbares, gloire des véritables chrétiens, joie des religieux. Il y eut parmi eux le fils du grand Adarnerse le curopalate494 Bagrať l'éristav des éris-tavs495, grand souverain par la puissance de Dieu, à l'époque d'Ezra, digne patriarche évêque d'Anca <et> fils des nobles aznaurs Dapančuli.

2250 Bagrať, glorifié pour son intelligence, fondateur de saintes églises, qui cherchait et rassemblait les livres divins, digne laudateur de tous les saints : que l'intercession des saints lui vienne toujours en aide maintenant et à jamais, lui qui remania cette vie du bienheureux père Grigol en y ajoutant des miracles qui avaient été oubliés : qu'il soit mis par le Christ au nombre des premiers saints rois, par la prière du digne

2255 Grigol et de tous les saints, ce noble roi qui a ôté de nous l'opprobre, nous pauvres enfants du père Grigol, et reporté la honte sur celui qui nous avait insultés par igno­rance. Que le Seigneur ôte complètement l'opprobre des fautes à qui fut soup­çonné496, par la prière des dignes pères ainsi que par la grâce du bienheureux père Grigol qui vécut sur terre comme un ange.

2260 Au temps de sa vieillesse, il donna ce conseil à ceux qui étaient rassemblés à Xancta : «Que personne dans ce monastère ne construise d'oratoire497 avec sa cel­lule pour la liturgie. Car cela ne convient pas, si le peuple ne veut pas <de liturgie> en dehors de la grande église publique ; en effet, lorsque l'ecclésiarque frapperait le signal de la liturgie, aucun prêtre ne viendrait ; mais ils resteraient à célébrer dans

2265 leurs oratoires privés tandis que les gens se fâcheraient dans la grande église en réclamant la liturgie ; et ils devraient supplier l'ecclésiarque de faire venir dans la

308 grande | église des prêtres célébrants. Et maintenant quiconque obéit à mes paroles, moi le pauvre Grigol, devra maintenir fermement cette pratique498.»

71 2270 Le bienheureux homme de Dieu, le père Grigol en qui demeurait la volonté du

Christ, ce glorieux thaumaturge, eut une vieillesse particulièrement longue, puis­qu'il atteignit l'âge de 102 ans. Mais son teint ne changea pas, la vision de ses yeux ne connut pas d'obscurcissement. Son corps était vigoureux et il n'y eut en lui aucune sorte d'infirmité jusqu'à sa mort, car il était fortifié par la puissance du

2275 Christ. Il eut pour fierté la lampe de la virginité, l'huile de la miséricorde, l'amour de Dieu et des frères. Il aimait beaucoup le labeur, non seulement celui du jeûne et de la prière, mais il travaillait jour et nuit de ses mains, comme dit Paul : «Celui qui ne travaille pas, qu'il ne mange pas499.» Il se faisait joyeusement hôtelier et servi­teur des pauvres500.

2280 La plupart du temps il se trouvait à Šaťberdi, car il avait établi dans ses monas­tères des abbés qui veillaient sur eux, et s'il y avait quelque situation importante, ils le tenaient au courant à cause de la sagesse que Dieu lui avait donnée et qui habita toujours en lui jusqu'à ce qu'il meure et que le sage rejoigne les sages dans la vie et le royaume éternels.

494. Voir stemma, p. 20: 8. ADARNERSE. 495. Voir stemma, p. 20: 9. BAGRAT'. 496. On ignore à quel événement dramatique il est ici fait allusion. PEETERS, p. 294,1. 13-

14 : «Eorum quae eredita fuetint eius peccata, reatum penitus aboleat Dominus». 497. Egut'eri (1. 39). 498. Cette interdiction se retrouve formulée au chap. 74. 499. 2 Thess 3,10. 500. Mest'umre da glaxak't-mohiac'e (1. 14-15).

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2285 „ 72 Et alors qu'il était à Sat'berdi durant le temps de sa vieillesse, les frères qui habi­

taient Xancta furent en émoi parce qu'ils avaient entendu dire que leur père envisa­geait spirituellement501 de finir sa vie à Sat'berdi. Alors ceux qui étaient capables de marcher allèrent tous ensemble à Sat'berdi chercher le saint et les frères de

2290 Sat'berdi se réjouirent de la venue de leurs frères, mais quand ils comprirent la rai­son de leur venue, leur joie se changea en tristesse. Et quand ils eurent prié en se prosternant dans la sainte église de la sainte Mère de Dieu, ils se prosternèrent devant leur bienheureux père, eux les enfants qu'il avait spirituellement engendrés et rassemblés par <son> travail. Et, avec plaisir, il les embrassa tous avec élan et les

2295 salua affectueusement comme un doux père et un maître bienveillant, et ensuite les frères de Xancta et ceux de Sat'berdi se saluèrent en s'embrassant les uns les autres et ils s'assirent.

Alors le bienheureux Grigol se mit à dire à ceux de Xancta: «Frères et fils aimés, dites-moi la raison pour laquelle vous vous êtes tous dérangés pour venir

2300 ici.» Et Ep'ipane et Zenon dirent aux autres frères : «Il vous faut faire une digne réponse afin que, en sages disciples, vous offriez au sage maître par de dignes paroles les cadeaux de la ferveur et que nous obtenions par la grâce de Dieu ce que notre âme désire avec espoir.»

Alors ils s'écrièrent tous ensemble : «Ô saint de Dieu, père qui as spirituellement 3092305 enfanté tes enfants, toi qui veilles sur notre vie et | que les fidèles du Christ implo­

rent, bien que tous nos frères de Sat'berdi soient agréables au Seigneur et obéissent à ta volonté comme à celle de Dieu, cependant le fait que tu ne sois pas venu chez nous depuis si longtemps est un très grand motif de confusion pour Xancta et une source de honte pour nous tous de la part de tout le monde ; car le premier fruit de

2310 tes saints travaux est Xancta et maintenant nous sommes venus ici pour que tu daignes venir à Xancta, que tu réconfortes ceux qui n'ont pas eu la force de venir ici et que tu manifestes aussi aux autres déserts ton parfait amour pour nous. Sache que si nous ne sommes pas entendus, nous resterons tous ici devant toi, car il nous est pénible d'aller maintenant à Xancta vide502.»

2315 Et le saint dit: «Béni soit le Christ Dieu de l'univers qui a planté solidement dans vos cœurs son saint commandement d'amour pour moi, votre pauvre vieillard. Mes enfants aimés, enfants du Christ plutôt, qui accomplissez sa sainte volonté, lui qui a appelé ses commandements évangile parce qu'il a annoncé par sa venue la bonne nouvelle de la paix aux hommes, ses ennemis, pour l'amour desquels il a

2320 souffert la mort et il nous a enseigné à tous que "La première de toutes les vertus est l'amour de Dieu"503 ; maintenant l'amour vous a conduits ici et l'alternative est dans les deux cas pénible pour moi : ou bien vous affliger ou bien m'éloigner de ces frères.»

Alors il appela tous les frères de Sat'berdi et il leur dit : «Venez, enfants, avec 2325 les habitants de Xancta, vos frères et accordez vos volontés respectives, car les

troubles sont à l'écart des sages. Décidez ensemble ce qui est le mieux. Et moi voici ce que je pense : un fondateur doit davantage de respect à l'endroit qu'il a fondé en premier, de même que le plus jeune doit servir l'aîné avec respect.» Alors les frères de Sat'berdi lui dirent : «Ta parole est vérité, saint père ; si le jugement ne venait

501. Sulierad (1. 1), que MENABDE, p. 188 et PEETERS, p. 295,1. 21, corrigent en suliersa, «(père) spirituel».

502. Ušenod (1. 10): vide, inhabité; ABULAJE, p. 436. MENABDE, p. 190: «sans toi»; PEETERS, p. 296,1. 16 : «sine solacio».

503. Mt 22, 37-38.

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2330 pas de toi — que vivent le Seigneur et ta sainte prière ! — nous ne laisserions jamais faire nos frères !»

Quand ils eurent dit cela et d'autres choses semblables et appropriées, le bien­heureux père Grigol dit à tous : «Enfants, le précepte du Christ nous a réunis aujour­d'hui pour que vous, les frères qui habitez dans ces deux monastères, vous fondiez

2335 fermement maintenant, comme une loi éternelle, la force de l'union et de l'amour pour les temps à venir, selon la parole du Seigneur qui dit aux apôtres : "[···] si vous vous aimez les uns les autres"504 et il a dit encore : "Ce que je vous dis, je le dis à tous"505. Vous aussi maintenant, gardez les commandements du Seigneur dans le respect et l'amour mutuels, la vertu en tout, l'humilité non feinte ; priez les uns

2340 pour les autres dans vos saintes églises et souvenez-vous toujours du pauvre que je suis dans vos saintes prières et rendez votre fraternité manifeste aux yeux de ceux qui sont proches et de ceux qui sont loin.

Si des frères de Xancta désirent vivre à Šaťberdi ou des frères de Šaťberdi à 310 Xancta, que personne ne se permette de ne pas les recevoir, | ou de ruiner leur projet 2345 par des querelles ou de les en empêcher par la force, sauf pour quelque juste raison.

Si quelqu'un les en empêche injustement, il en rendra compte à Dieu au jour du Jugement, car ce n'est pas ce que je veux, moi votre père spirituel, selon la parole de l'Apôtre : "Même si vous aviez des milliers d'éducateurs506, vous n'avez pas plu­sieurs pères"507. Pour tout le reste de la vie spirituelle, vous avez la Règle divine

2350 que j'ai édictée dès le début ; restez fermes en elle à jamais et que la paix du Christ qui dépasse tout entendement vous garde tous ensemble loin de tout mal de l'âme et du corps508 et vous reçoive parmi les saints.»

Puis il entra dans la sainte église et se recommanda à elle en pleurant, et quand il lui eut dit silencieusement au revoir, il embrassa en sortant tous les vieillards et il se

2355 dirigea ainsi vers Xancta. Et toute la foule le suivit en pleurant et le saint s'arrêta sur une hauteur au milieu du peuple de Dieu, et il rendit grâces au Christ et dit :

73 «Mon Seigneur Jésus-Christ, Dieu, avant ta venue sur terre, tu étais dans le

monde, et maintenant que tu habites dans les cieux, par la lumière de la puissance 2360 de la divinité, tu es avec nous pour nous aider. Toi, Seigneur, tu m'as guidé miséri-

cordieusement dans ces régions avec trois amis, de saints et bons prêtres qui t'ont offert sans cesse et toujours jusqu'à leur mort les saintes offrandes non sanglantes ; tu as fait d'eux des havres de repos pour de nombreuses âmes et tu les as jugés dignes après leur mort de servir sans fin à l'autel céleste avec les saints anges. Et

2365 maintenant par mon intermédiaire, tu as fait croître le nombre de ceux qui font ta volonté, Christ, car j'ai multiplié le talent de sagesse que tu m'as donné dès mon enfance, comme un serviteur fidèle parmi tes fidèles509. Et maintenant voici devant toi les disciples du royaume ; bénis-les, Christ, comme tu as béni les saints apôtres et garde dans ta volonté jusqu'à la fin du monde mes enfants qui viendront dans les

2370 derniers temps et sois miséricordieux pour tous les chrétiens qui te confesseront avec droiture, Seigneur !»

504. Jn 13, 35. Il manque le début du verset : «À ceci tous sauront que vous êtes mes dis­ciples, si vous vous aimez les uns les autres».

505. Me 13, 37. 506. Mzarduli (1. 5) : éducateur, pédagogue. 507. 1 Cor 4,15. 508. Voir Phil 4, 7. 509. Voir Mt 25.

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Et ensuite il fit le signe de croix sur Šaťberdi et lui dit : «Continue à bien croître, Šaťberdi, pare-toi de grâce, sois fort de la force de Dieu pour offrir au Seigneur d'âge en âge le fruit pur de tes oblations, car maintenant je te laisse la paix et tu ne

2375 verras plus physiquement mon visage jusqu'au retour du Seigneur dans la gloire. Et bien que je te quitte maintenant avec mon corps, je suis toujours avec toi par l'âme pour t'aider.» Alors les habitants de Šaťberdi versèrent des larmes amères en l'en­tendant dire qu'ils ne verraient plus physiquement leur maître510.

Alors le saint leur dit : «Enfants, dominez les douleurs du cœur par la sagesse de 2380 l'âme et que votre raison ne se trouble pas511, car je vous le promets : le Christine

311 vous laissera manquer de rien, ici bas et dans l'éternité, | si vous demeurez dans ce que je vous ai enseigné, la Règle de vie monastique écrite, par les saints pères d'au­trefois. Et je donne de même à mes fils d'âge en âge le conseil de conserver ce saint enseignement. Et si, à cause de contraintes, le temps modifie la Règle sans trop

2385 nuire à l'âme, que ce soit permis pour ce temps, mais pas pour toujours ni pour qu'il en découle des plaisirs nombreux, et il est écrit à ce sujet: "Rien n'irrite Dieu comme un excès de plaisir"512. Et quand je serai digne d'arriver devant le Seigneur, je le prierai pour vous, car vous m'avez accordé beaucoup de consolation. Et main­tenant, tant que je suis dans mon corps, je prie pour moi-même et pour vous ; mais,

2390 quand je serai libéré de cette vie passagère, j'espère dans le Christ que ma prière sera incessante près de lui pour vous et pour tous ceux qui le prient avec foi et pour mes fils afin qu'ils trouvent miséricorde auprès de Dieu et aide pour la joie parfaite éternellement.»

Et quand il eut fini de parler, il embrassa les frères de Šaťberdi qui étaient cou-2395 verts de larmes et il les convainquit à force de supplications de retourner chez eux

et lui-même accompagna les frères de Xancta. Et ceux qui l'emmenèrent reçurent de Dieu la même récompense que ceux qui repartirent, car ils avaient tous la même foi et le même amour pour leur père et maître.

Et lorsque le bienheureux Grigol alla de Šaťberdi à Xancta, tous les déserts des 2400 environs se réjouirent avec Xancta, et les frères arrivaient de partout pour voir le

saint et ils recevaient sa bénédiction et sa prière et ils repartaient chez eux pleins de joie. Car la gloire de Xancta s'accrut d'un ornement éternel et célèbre quand il devint à jamais le reposoir prêt pour sa dépouille épuisée par les travaux. Le bien­heureux père Grigol se réjouit à ce moment quand il vit le bel état de son monastère

2405 et il bénit avec de grands remerciements son fidèle higoumène, le père Ep'ipane, et tous les frères qui lui obéissaient.

74 Ensuite un prêtre qui vivait dans l'hésychasme supplia le bienheureux afin de

pouvoir construire un oratoire pour célébrer la liturgie dans sa cellule. Mais le saint 2410 lui dit : «Dans l'assemblée des frères, cela est contraire à la pratique. Si tu construis

un oratoire, tous les frères en construiront un. Et quand l'ecclésiarque frappera le signal de la liturgie, à peine trouvera-t-il un prêtre dans la grande église et cela apportera à l'âme bien d'autres torts et aucun bienfait. Je ne le permets pas5'3.»

510. Voir Ac 20, 38. 511. Voir Jn 14,1. 512. Citation non identifiée. 513. Voir la même interdiction à la fin du chap. 70.

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75 2415 Après cela il dit au grand Zenon : «Frère, descendons à la vigne qui est sur la

route d'Op'iza.» C'était en effet le temps des vendanges et. ils descendirent tous les deux ensemble vers la vigne qu'il avait plantée <et> qui portait de beaux fruits. Le bienheureux 'ari d'Op'iza arriva à ce moment pour voir son maître, le père

312 Grigol. Lorsqu'ils se furent beaucoup réjouis | et salués mutuellement avec plaisir, 2420 ils s'assirent pour manger, car c'était l'heure du repas, et, après le repas, ils décidè­

rent de rester là jusqu'au lendemain. Et, au cours de la conversation, le père 'ari demanda au bienheureux Grigol :

«Si un fils d'hérétiques514 se convertit et devient orthodoxe515, faut-il ou non le bap­tiser ?»

2425 Le saint lui dit: «L'Apôtre appelle faux frères ceux qui portent le nom de leurs maîtres dévoyés516 et Paul n'a pas admis que les vrais fidèles prennent le nom des saints apôtres, mais il les en blâme et leur dit : "Pourquoi y a-t-il des hérésies parmi vous ? Parce que chacun de vous dit : Moi je suis de Paul etc.. "517. Mais il appelle chrétiens tous les orthodoxes. Donc bien que, au sujet des hérétiques, les textes

2430 écrits518 indiquent de baptiser les uns, mais pas les autres, moi je vous dis, comme vous le savez tous, qu'un prêtre hérétique ne doit pas baptiser l'enfant de vrais chré­tiens, même si le non-baptisé est à l'article de la mort, car <les hérétiques> n'ont pas la lumière519 et la mort d'un non-baptisé vaut mieux que l'iniquité qui résulte de la transgression de la loi. De même, il faut, et cela est juste, baptiser les enfants de

2435 tous les hérétiques, même si les hérésies peuvent sembler diverses, car elles sont tressées ensemble, comme les renards dont Samson noua les queues les unes aux autres et il attacha des lampes à toutes les queues520 ; car ils sont le modèle de tous les hérétiques dont la demeure finale est le feu éternel, car ils sont étrangers521 à notre sainte mère l'Église, une, catholique et apostolique ; ils sont égarés522 loin du

2440 sein qui est censé les avoir fait renaître523 ; ils disent des choses fausses524, car ils prêchent sans cesse le mensonge525 et ils font de faux témoignages, eux qui ont été anathematises526 par nos saints pères <et> maîtres.

514. Mc'valebeli (1.4). 515. Martl-morcmune (1. 5). 516. Gai 2, 4. 517. 1 Cor 1,11-12. 518. Cerili (1. 12) : ce qui est écrit, mot qui désigne souvent, mais pas nécessairement,

l'Écriture (Sainte) ; de là PEETERS, p. 300,1. 4, «ostendit ipsa Scriptura». Cependant les pres­criptions sur le baptême des hérétiques ne relèvent pas de l'Écriture, mais du droit canon qui distingue en ce domaine plusieurs groupes d'hérétiques.

519. Nateli ara ars mat tana (1. 16) ; PEETERS, p. 300,1. 7 et n. 5 : «quia (haeretici) baptis-mus nullus est», dans lequel baptismus peut éventuellement rendre nateli, lumière, puisque baptiser se dit donner la lumière, illuminer (natlis-cema) ; en revanche nullus est une addition.

520.VoirJgl5,4-5. 521. Ucxo kmnul arian c'midagan... (1. 23); ucxo: celui qui est en dehors, étranger;

ABULAJE, p. 438 ; la forme verbale, au permansif, désigne un état de fait durable. 522. Sctebian (1. 24), de ctoma, être dans l'erreur, se tromper. La forme verbale est encore

un permansif. 523. C'est-à-dire l'Église qui fait renaître par le baptême ; la phrase déforme donc le sens

de Ps 58 (57) 4 : «Les menteurs divaguent dès leur naissance.» 524. Sicruve (1. 25-26) : ce qui est faux ; ainsi Mt 5, 11 : «On dit faussement du mal contre

vous». 525. Nacili (1. 26) : mensonge et, plus loin, ciba c'ameben : ils font un faux témoignage. 526. Šečuenebuli (1. 26-27).

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 85

Et si des fils d'hérétiques désirent une réunion527, la seule règle à leur sujet est d'être sur ses gardes et de ne prendre en aucun cas langue avec eux pour une telle

2445 réunion ; car il n'est pas nécessaire qu'un fidèle qui n'a pas le pouvoir de faire des miracles discute avec des hérétiques ; et comme les hérétiques ne portent tous que le seul nom d'hérétiques, leurs erreurs sont soutenues ensemble par l'Ennemi. C'est pourquoi il faut tous les baptiser afin que le soupçon de mensonge528 soit écarté et que la joie parfaite des vrais troupeaux du Christ soit générale»

2450 Et le bienheureux Grigol dit encore bien d'autres choses de ce genre, mais le père 'ari lui dit: «En vérité, ce que tu dis est juste, saint père, mais enseigne-moi clairement une digne parole à l'adresse de ceux qui attaquent la sainte Trinité.» Et il lui dit: «Apprends-la d'Isaïe, qui a appris l'égale dignité de la sainte Trinité par les séraphins qui proclamaient d'une voix incessante : "Saint, saint, saint est le

2455 Seigneur sabaoth"529. Et Grégoire le Théologien dit à propos de la triple hypostase de la Trinité530 : "Quand il y a trois lampes dans une maison, on ne peut diviser

313 | leurs lumières ni les mélanger ensuite"531. Voilà ce qu'il faut croire de la sainte Trinité. Tout cela est écrit véridiquement dans le Trésor532 et il y est dit : "Le Père n'est pas supérieur533 au Fils, même d'un clin d'oeil." Puisque tu as appris la sagesse

2460 des Livres saints, cela te suffit pour te guider en tout.» Et le bienheureux 'ari lui dit : «Saint père, le Seigneur m'a autrefois donné

par ta main la forme de la vie monastique534. Maintenant encore il m'a donné par ta bouche un enseignement spirituel pour me protéger à jamais.» Et comme le soir tombait, les trois hommes de Dieu allèrent dans une même maison et récitèrent des

2465 psaumes selon la coutume et 'ari qui tombait de sommeil s'endormit sur un lit.

76 Et le bienheureux père Grigol et Zenon psalmodiaient à voix basse et la grâce

divine les illumina d'une lumière de gloire ; une clarté comme celle du soleil éclaira la maison obscure ; et comme le père Mak'ari se réveillait, il dit : «Que tous ces

2470 saints sont admirables à voir !» Et le père Grigol lui dit : «Frère Mak'ari, pourquoi admires-tu ce spectacle ? N'as-tu pas entendu ce qui est écrit : "Dieu est admirable parmi ses saints"535 ?» Et tous trois se réjouissaient en exaltant la sainte Trinité et ils récitèrent les hymnes de l'office du matin. Et quand vint le jour [,] ces demeures de la paix536 se donnèrent mutuellement la paix537 et le père Mak'ari retourna à Op'iza

2475 et le père Grigol et Zenon remontèrent à leur monastère.

527. K'reba (1. 25-26) : réunion, assemblée, concile. PEETERS, p. 300, 1. 21 : concilium» ; voir n. 102.

528. Cilobisa ič'vi (1. 34) ; PEETERS, p. 300,1. 27-28 : «omnis calumniarum suspicio». 529. Is 6, 3. 530. Sam-guamovneba (1.42). 531. GRÉGOIRE DE ΝΑΖΙΑΝΖΈ, Homélie 31 sur le Saint-Esprit (CPG 3010), éd. PG 36,

col. 149. 532. Le Trésor (ganzfy désigne le Trésor de la Trinité sainte et consubstantielle, de Cyrille

d'Alexandrie (CPG 5215) dont une première traduction géorgienne avait été réalisée avant le 8e siècle.

533. Uxuces (1. 4), plus vieux, supérieur, qui rend ici le grec meizôn, plus grand, utilisé dans le Logos 11 du Trésor, consacré à la discussion du texte biblique : «Le Père est plus grand que moi» : PG 75, col. 139-176 ; voir notamment col. 152.

534. Voir n. 22. PEETERS, p. 301,1. 8 : «habitům monasticum». 535. Ps 68 (67), 36. 536. L'éditeur place une virgule après Vitarca gantena mšvidobisa sadgurta mat (1. 21), ce

qui donne le sens, retenu par MENABDE, p. 196 : «Quand il fit jour <dans> ces demeures de paix...» On préfère, comme PEETERS, p. 301, 1. 14-15, placer la virgule après la classique

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86 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Et parce que Zenon avait atteint les vertus de son maître, les gens disaient de lui, après la mort du bienheureux Grigol : «Zenon est le puissant rempart des glorieux déserts du K'iarjeti538.»

77 2480 Et notre bienheureux père Grigol désirait quitter son corps et partir vers Dieu, et

le Seigneur lui fit savoir l'accomplissement de sa volonté, comme dit David : «Le Seigneur fera la volonté de ceux qui le craignent, il écoutera leurs prières et les sau­vera»539. Alors il dit aux frères de fabriquer des lampes avec de la cire pour les offrir alentour à tous les déserts voisins, c'est-à-dire Op'iza et ses prolongements540,

2485 Berta et ses environs, Mijnajoro et C'q'arojstavi avec ceux qui y habitaient541. Mais, bien qu'un peu éloigné des autres déserts, Sat'berdi est leur inséparable confrère542

par la qualité du peuple de Dieu, par l'ensemble des pratiques du divin enseigne­ment et par les règles de la législation de la vie monastique ; et il est pareillement honoré de Dieu et des hommes pour toutes ces bonnes œuvres, car c'est le monas-

2490 tère le plus glorieux de tous les environs. Il envoya des cierges à tous ces déserts et leur indiqua le jour où les allumer et prier pour lui.

78 Et ils comprirent qu'il s'agissait du moment où il quitterait ce monde ; et de

314 même que | la légion des saints apôtres arriva depuis les extrémités de la terre au 2495 moment du départ de la Mère de Dieu, de même les saints pères se rassemblèrent à

l'heure <et> moment du jour indiqué, pour honorer le bienheureux vieillard et rece­voir sa bénédiction. Et il fut rempli de joie en les voyant ; il les bénit tous de la bénédiction du Christ et il leur dit : «Que le Seigneur vous donne la récompense de votre peine, lui qui a dit : "J'étais infirme et en prison et vous m'avez visité543." Et

2500 moi je quitte une prison charnelle et je suis libéré de l'infirmité par la grâce de Dieu qui a piétiné la mort par sa croix. Il a donné comme guide à tous les fidèles, comme au larron544, sa sainte croix et <il leur a donné> comme signe, avec les saints anges, le sceau royal du christianisme que l'âme des fidèles a comme protection éternelle et salut545 .»

expression vitarca gantena, («quand il fit jour», «le jour venu», ainsi Mt 27, 1 ; Le 4, 42) et comprendre sadguri, résidence, demeure (ici au pluriel), comme désignant non pas la maison (le pluriel ne serait pas justifié), mais les hommes sur lesquels repose la paix de Dieu qu'ils vont échanger, ainsi PEETERS, p. 301,1. 14-15 : «ilia penetralia pads».

537. De même MENABDE, p. 1%. PEETERS, p. 301,1. 14-15, avec une autre ponctuation. 538. Voir la fin du chap. 12. 539. Ps 145 (144), 19. 540. Prta (1. 32) : aile (d'oiseau, de bâtiment, d'armée), côté, bord, pan, coin, faîte, mais

aussi protection, appui. MENABDE, p. 197 : ailes ; PEETERS, p. 301,1. 35 et n. 2 : «propagines», c'est-à-dire rejetons, boutures.

541. Tanamk'vidrit matiturt (1. 33-34), littéralement: avec leurs co-habitants. PEETERS, p. 302,1. 1 : «cum eorum paroecia». ' 542. Tanamojme (1. 35). Ce passage confirme la situation écartée de Sat'berdi par rapport aux autres monastères.

543. Mt 25, 36,43. 544. Littéralement : avec le larron. 545. Sur le bon larron crucifié auquel Jésus promet l'accès au paradis, voir Le 23, 39-43.

Sur le sceau dont les anges marquent le front des élus au moment de la fin du monde, voir Ap7.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 87

2505 Alors tous les pères dirent au bienheureux Grigol : «Saint de Dieu, demeure des œuvres de la béatitude, selon la parole du Christ546, volontairement pauvre par esprit d'humilité pour hériter du royaume, pleurant en ton cœur pour être éternelle­ment consolé, pacifique en pensée dans l'attente du bonheur du paradis, affamé et assoiffé de justice et rendu digne de la suave nourriture qui ne s'épuisera pas sur la

2510 terre, miséricordieux envers les pauvres <et> la miséricorde de Dieu ne s'éloignera jamais de toi, saint en ton cœur et en ton esprit, parfait contemplateur de Dieu, arti­san de paix parmi les frères et parvenu à la paix des saints anges avec le nom de fils de Dieu, toi qui as souffert pour Dieu la persécution et les tribulations pour habiter avec le Christ, havre des hésychastes pour le Christ, soucieux de notre salut dans la

2515 vie éternelle : réjouis- toi et exulte, car ta récompense est grande dans les cieux. En effet, comme l'apôtre Paul le juste547, tu as mené le bon combat, tu as achevé

ta course, tu as gardé la foi ; accompli en bonnes œuvres, la couronne de justice que Dieu te donnera en retour de tes saints travaux t'attend désormais548.

Mais ne nous oublie pas, nous tes fils spirituels, quand tu arriveras devant la face 2520 du Seigneur bienveillant, clément, miséricordieux et suave. Souviens-toi de tes

troupeaux, ne reste pas muet en prenant soin de nous devant le Christ, car tu as reçu toute puissance pour aider ceux qui espèrent en tes prières et se réfugient sous ta protection.»

Et le saint leur dit : «Bien que je me sois tenu prêt pour le Seigneur, et même si, 2525 depuis ma jeunesse, j'ai travaillé comme je le pouvais, vous avez cependant parlé

de moi avec trop d'honneur, ô pères qui servez le Christ. Dieu demande aux hommes de la bonne volonté et accorde son royaume en récompense à ceux qui lui obéissent. Puisse-t-il, par votre prière à tous, me faire à moi aussi la grâce d'habiter avec ceux qui ont fait sa volonté. Vous donc souvenez-vous de mon assiduité à per-

315 2530 severer dans la vie monastique, comme vous l'avez vu depuis que j'habite | parmi vous jusqu'à présent ; car ainsi faut-il chercher le royaume des cieux. Et priez pour moi afin que la grâce me soit donnée de vous aider devant Dieu, vous qui m'aidez par le Seigneur.»

79 2535 Ensuite il dit aux frères qui habitaient Xancta : «Fils, les commandements que

vous avez entendus de moi depuis le début, gardez-les pour le salut de vos âmes et faites perpétuellement mémoire de moi. Et si j'en trouve l'audace auprès du Christ, l'abondance de ses biens ne vous manquera pas dans les deux mondes. Et mainte­nant je vous demande par la croix du Christ d'ensevelir mon corps avec mes frères,

2540 car je ne suis pas meilleur que mes frères par les mérites acquis549. C'est pourquoi je vous adjure tous de ne jamais m'oublier dans vos prières à Dieu, moi qui ai tou­jours prié pour vous et qui offrirai maintenant des supplications pour vous devant le Christ à jamais. Dans vos prières et dans la liturgie, souvenez-vous toujours de moi, éloigné de vous par la mort, quand vous verrez le lieu de mon séjour en terre étran-

2545 gère. Voici en effet que, jusqu'à l'heure du second appel, mon corps retourne à la terre, mais le Seigneur accueille mon âme.»

546. Le passage qui suit est une libre application à Grigol du texte des Béatitudes, voir Mt5,3-ll.

547. P'avles martlisa (1. 27) ; MENABDE, p. 198, et PEETERS, p. 303,1. 4 et n. 4, placent une virgule après P'avles et transforment martlisa (juste) en samartlisa (de justice) pour en faire le complément de combat : iustitiae bonum certamen ; cependant le texte de saint Paul, ici adapté, ne donne pas ce complément à combat.

548. Adaptation de 2 Tim 4,7. 549. Voir 1 Mac 13, 5.

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88 BERNADETTE MARTIN-HISARD

80 Et comme le bienheureux Grigol disait ces mots, alors il fut extérieurement orné

par le Christ, superbement et de manière éclatante, d'une inconcevable lumière. En 2550 effet la légion des anges du Seigneur l'entoura et un arôme de précieux parfums se

répandit sur tout le peuple assemblé des pères. Et comme son âme juste avait l'habi­tude de contempler les saints princes du ciel, il entendit alors leur voix joyeuse : «Ne crains pas de venir avec nous, bienheureux serviteur du Christ, car le roi des cieux, le Christ, t'appelle, toi l'ange de la terre et l'homme du ciel. Viens mainte-

2555 nant avec joie et réjouis-toi sans fin avec ton Seigneur, car tu es bienheureux parmi les hommes, prêt à habiter la bienheureuse gloire et éternellement joyeux.» Et plu­sieurs de ses disciples entendirent ces paroles, mais tous virent ce magnifique spec­tacle.

Alors le bienheureux se réjouit totalement et d'une joie sans bornes et il traça le 2560 signe de croix sur son monastère et il bénit ses frères avec tous les fidèles du Christ

d'une bénédiction éternelle, et il dit: «Seigneur Christ, parce que tu as toi-même souffert et que tu as connu la tentation550, tu as aussi le pouvoir d'aider ceux qui sont tentés par les ruses et les séductions de l'Ennemi. Car tu es l'aide des chrétiens, Seigneur. Protège de ta droite ceux qui espèrent en ton saint nom, sauve-les du mal,

2565 et donne-leur la joie sans fin. Et moi, ton serviteur, fais-moi vivre en ton royaume et souviens-toi de moi avec clémence par ton règne.»

81 Et il remit ainsi son âme au Seigneur et il fut réuni à l'assemblée des anges. Car

les anges incorporels et les âmes des hommes sont une même nature et l'âme de 2570 l'homme est dotée de la parole comme les anges551 ; et bien que David dise au sujet

du silence des langues corporelles : «En ce jour-là périront tous leurs plans»552, il 316 dit aussi en effet au sujet des saintes âmes : | «Les saints exultent dans la gloire, ils

se réjouissent en leur commémoration»553, et ils intercèdent auprès du Christ pour ceux qui les louent. En effet, ceux qui prient dans leur corps œuvrent pour les

2575 hommes fidèles jusqu'au jugement des vivants et des morts et ils attendent la joie parfaite et la félicité, selon la promesse de leur roi, quand ils seront transférés de la gloire à une gloire plus grande554, lors de la venue du Seigneur dans la gloire. Et le rassemblement des élus des quatre vents du ciel, depuis l'extrémité du ciel jusqu'à l'extrémité du ciel555, signifie que le Christ rassemblera devant lui ses saints par le

2580 vent, comme par un char, pour la joie et le repos éternels, lorsque chacun d'eux montrera ses œuvres au Seigneur et recevra en échange les richesses impérissables.

82 Ensuite, bienheureux père, le néo-martyr du Christ, le bienheureux Iovane qui

2585 allait de Xancta à Jérusalem et qui fut tué pour le Christ à Bagdad des mains des Saracènes et qui resplendit de miracles556, se réjouira avec tes fils élus quand tu les présenteras au Christ; et qu'aurons-nous comme réconfort à ce moment, nous

550. Voir Hb 2,18. 551. Littéralement : elle a la parole ; mci'q'ueleba (1. 41) : conversation, parole, comme le

confirme la suite du texte qui oppose langue du corps et langue de l'âme. PEETERS, p. 304, I. 29 et n. 1 : «ratione angelica».

552. Ps 146 (145), 4. 553. Ps 149, 5. 554. Voir 2 Cor 3,18. 555. Mt 24, 31. 556. Martyr inconnu, de toute évidence un moine de Xancta.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 89

paresseux qui sommes appelés tes disciples ? Car la charité mutuelle s'est desséchée et les bonnes œuvres se sont toutes raréfiées et les vices ont pullulé. Cependant,

2590 après les miséricordes de Dieu et l'intercession de tous les saints, notre espoir est tourné vers tes prières, digne père. Daigne agréer notre confiance, ô digne, car tu connais notre charité. Ne nous oublie pas, bien que tu ne nous voies pas corporelle-ment ; mais que ta grâce soit une aide pour nous, habitants de tes saints déserts, et pour tout le peuple, afin que nous nous trouvions avec toi dans la vie d'éternelle

2595 joie. Et maintenant, bien-aimés fidèles du Christ, nous tous aussi, selon nos forces,

nous devons être zélés à faire le bien, avec la miséricorde de Dieu et l'intercession des saints, afin de mériter le pardon des péchés et une grande miséricorde à jamais.

83 2600 Et la mort de notre bienheureux père Grigol eut lieu à 102 ans pour le décompte

de ses années, chronikon 81557. Sa Vie a été écrite558 90 ans après sa mort, en l'an 6554 de la Création du monde559, sous le patriarcat d'Agathon à Jérusalem560,

2605 sous le catholicat de Mikel à Mcxeta561, sous le principat du curopalate Ašoť, fils du roi des Kartvéliens Adarnerse, sur les Kartvéliens562, sous le règne de Giorgi, fils du roi K'ost'ant'i, sur les Apxazes563, sous l'éristavat des éristavats de Sumbať, fils du roi Adarnerse564,

2610 sous le magistrat d'Adarnerse, fils du magistre Bagrat'565, sous l'éristavat de Sumbať, fils du mampal Davit566. Que le Christ leur accorde à tous la gloire éternelle.

317 | A cette époque Mak'ari était évêque d'Anča ; par leur origine les abbés des monastères fondés par le bienheureux père Grigol étaient des^ fils de grands

2615 aznaurs : à Xancta, le père Tevdore, fils de la sœur de Mcxuedi ; à Sat'berdi, le père Grigol, fils de Liparit', orné du nom du grand père Grigol.

Que le Christ les orne pleinement de sa grâce et les justifie567 devant lui éternel­lement.

La Vie du bienheureux Grigol fut écrite568 à Xancta grâce au zèle de l'higoumène 2620 de Xancta et de lovane son frère et de Giorgi Merčule l'auteur569 du texte, de tous

les trois ensemble570. Que le Christ les inscrive571 dans le Livre des Vivants et qu'il soit miséricordieux pour tous les fidèles afin qu'ils comprennent le don divin, sur

557. Soit en 861 ; Grigol est donc né en 759. 558. Daic'era (1. 34) ; voir n. 268. 559. Comput en ère géorgienne à partir de 5604, soit 950/951. 560. Agathon : 951-964. 561. Dates de pontificat inconnues. 562. Voir stemma, p. 20: 3. ADARNERSE (t 923) et 5. AŠOT' (t 954). 563. Dates traditionnelles du règne de Giorgi : 915-959/960. 564. Voir stemma, p. 20: 3. ADARNERSE (t 923) et 6. SUMBAT' (t 958). 565. Ibid. : 7. BAGRAT" (t 945) et 8. ADARNERSE (f v. 961). 566. Voir stemma, p. 19 : VII. DAVIT (t 943) et X. SUMBAT' (t 988). 567. Ganamartlen (1. 6), de ganmartleba, justifier ; PEETERS, p. 306,1. 12 : «dirigat». 568. Daic'era (1. 9) ; voir n. 268. 569. Abnc'ereli(l. 8). 570. Sur ce passage, voir le commentaire. 571. Doc'eren (1. 9) ; voir n. 268.

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90 BERNADETTE MARTIN-HISARD

terre comme au ciel. En effet, qu'il y ait peu ou beaucoup d'auditeurs, un seul lec­teur de texte suffit dans l'église ; de même un seul suffit pour bénir, qu'il y ait une

2625 personne ou beaucoup à bénir. Car les bienfaits du Christ envers nous et la grâce de l'intercession des saints sont inépuisables.

84 C'est pourquoi, aujourd'hui, que la mémoire du bienheureux père Grigol soit572

toujours pour nous espoir et refuge de l'âme et du corps, ainsi que, au milieu de la 2630 phalange573 de tous les justes moines, <celle> de l'éristav, notre père le grand

Antoine574, dans la lumière sans nuit, comme dit Salomon : «lumière sur les justes éternellement»575, et encore : «Les âmes des justes sont vivantes dans les mains de Dieu»576 et <elles sont> éclairées par le soleil de justice577, non circonscrit aux deux, enfermé ineffablement dans le sein d'une vierge et jailli pour notre salut,

2635 lumière incréée, le Christ notre Dieu. Car il n'y a rien d'impossible devant lui578, lui qui a donné une telle splendeur au soleil qu'il a créé579, pour inonder et faire res­plendir de sa lumière toute chose visible. Le Dieu tout puissant lui-même donne à tous ses saints la grâce de la souveraineté et ils lui adressent sans cesse pour nous des supplications ; c'est pourquoi leur mémoire est célébrée par des éloges et ils

2640 protègent toujours ceux qui célèbrent leurs jours de fête et ils font resplendir leurs âmes et ils accordent la grâce à tous les fidèles puisque chacun d'eux a reçu le pou­voir d'aider ceux qui les prient avec foi, et ils sont toujours nos intercesseurs auprès de la sainte Trinité créatrice de l'univers, à qui sont la puissance, la louange, la magnificence et le règne sans commencement ni fin. À elle conviennent honneur et

2645 adoration avec louanges jusqu'à la fin des temps et dans les siècles à venir, amen.

85 Nous avons entendu raconter par nos anciens ce miracle survenu autrefois. Du temps de l'abbatìat d'Ep'ipane, disciple du père Grigol, à Xancta, il y avait à

Anč'k'ora un homme riche qui s'appelait C'ert'a, et ce que l'on appelle maintenant 318 2650 C'ert'ajsni était le domaine580 de ses boucs. Il avait une fille, | sourde et muette de

naissance, mais de taille normale. Et quand la fillette atteignit onze ans, le digne Ep'ipane apparut en vision à sa mère dans son sommeil et lui dit : «Demain, quand je ferai la liturgie à Xancta, envoie quelqu'un ici. Je lui donnerai pour toi de l'eau des ablutions de mes mains à moi, Ep'ipane ; fais-en boire à ta fille et verses-en sur

2655 sa tête et le Christ la guérira de ses infirmités, par la grâce de tous les saints.»

572. Iq'avn (1. 17). 573. Dasi (1. 19), contingent, détachement, phalange, est un terme militaire, tout comme

plus loin éristav, qui désigne un chef d'armée. 574. Le terme d'éristav fait très justement d'Antoine le chef de la phalange des moines,

commémoré avec Giorgi. PEETERS, p. 306, 1. 25 - p. 307, 1. 1 : «qui inter omîtes justos in ordine ilio monachorum patris nostri Antonii magni consors factus est», par remplacement d'eristavisa (1. 19) par ertvis.

575.Provl3,9. 576. Sg 3,1. 577. Voir Mal 3,20 et Le 1,78. 578. Phrase qui renvoie dans Gn 18, 14 à la conception miraculeuse de Sara, et dans Le 1,

37 à celle de la Vierge. 579. Mzis-tuali (1. 26) : soleil. PEETERS, p. 307,1. 7 : «qui creato a se orbi solis huius tan­

tum splendorem indidir». Mais le texte ne comporte pas d'allusion au monde et oppose le soleil incréé au soleil créé.

580. Sadguri (1.42) qui désigne le lieu de résidence.

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VIE DE GRIGOL DE XANCTA 91

La femme fidèle ne raconta pas sa vision à son mari ; car l'homme était à ce moment-là en colère contre les moines, et elle envoya quelqu'un en secret. Le bien­heureux Ep'ipane avait appris du Seigneur ce qui devait arriver et il donna à l'homme l'eau des ablutions de ses mains. Quand il revint, la femme, d'une foi

2660 ferme, oignit sa fille de cette eulogie du prêtre qui offrait dignement le sacrifice non sanglant. Celle-ci dormit pendant trois jours et trois nuits et, quand elle se réveilla, elle dit : «Gloire à Dieu, gloire à la sainte Trinité qui, par la prière du bienheureux père Ep'ipane, m'a guérie et m'a libérée du démon !»

Et quand C'ert'a, son père, vit ce miracle, stupéfait <et> plein de joie, il partit à 2665 Xancta. Comme il arrivait en vue du désert, il pleurait sur son impudence d'une

voix forte. Alors le père Ep'ipane l'accueillit avec joie et réconfort et il lui fit grand honneur autant qu'il le pouvait. Mais C'ert'a lui remit de très grandes offrandes et il les offrit devant le saint archimartyr Georges et il rendait grâces au Christ qui fait des merveilles et à son serviteur Ep'ipane par la prière duquel il avait été comblé de

2670 la plénitude de la joie. Et sa fille vécut heureusement en ce monde passager et dans l'éternité. Que le Seigneur, par Vintercession de tous ses saints, nous accorde à nous aussi la plénitude de la miséricorde.

86 Un habitant de Xancta, le maître Gabriel, un bienheureux saint père plein de sollici-

2675 tude, nous a raconté ceci au sujet du père Basili. «Pendant les nombreuses années de son abbatiat à Xancta, il eut pour règle, lorsqu'il était dans la maison, de ne jamais prendre d'autre nourriture que celle du réfectoire581, aliment ou boisson. Or, à l'époque de la maladie dont il mourut, durant son higouménat, il me dit : «Fils Gabriel, apporte-moi de la cuisine582 un plat chaud de gruau583.» Mais il n'y en avait plus de cuit ; c'est

2680 pourquoi j'en fis cuire un autre et je le lui apportai ; car il n'avait absolument rien mangé depuis de nombreux jours. Lorsqu'il apprit que ce n'était pas la nourriture com­mune ce jour-là, tout bouleversé, il renversa ce que je lui avais apporté et me dit avec colère : «Misérable, comment t'es-tu laissé tromper et me trompes-tu ?» Et, terrifié je demandai pardon et je l'interrogeai sur la raison d'une telle réprimande.

2685 Et il me dit : «Fils, pendant ma jeunesse, je m'occupais de la monture du père Grigol584 et je ne cessais d'importuner mon père spirituel par des préoccupations corporelles. L'homme de Dieu tenait du Christ la grâce de la prophétie et il me dit ainsi : «Basili, tu deviendras bientôt abbé de Xancta ; ce dont tu te préoccupes maintenant, vêtement et lit, tu l'auras alors à volonté. Mais moi, ton père spirituel

2690 avancé en âge, je te donne maintenant cet ordre, en te signant de la croix du Christ : 319 quand ma parole s'accomplira, | contente-toi en tout de la table, pourІ besoins de

ton corps, quand tu seras à Xancta ; quand tu seras à l'extérieur, ta dignité permettra à ton corps du délassement585.» Et moi pendant les nombreuses années de mon abbatiat, j'ai appliqué la règle de mon père ; et toi, à l'heure de ma mort, tu m'as

2695 infligé le châtiment de la désobéissance. Voilà pourquoi je me suis mis en colère contre toi.» Et je me prosternai de nouveau devant lui en admirant sa patience. Et le père Basili me bénit d'une large bénédiction et me dit : «Sois béni du Seigneur, toi et tout le peuple orthodoxe, par l'intercession de la sainte Mère de Dieu, de saint Georges et de tous les saints. Amen.»

581. T'rap'ezi (1.29), voir n. 175,289. 582. Saost'igne (1. 31) ; sur ce mot, voir n. 183. 583. K'ork'ot' (1. 32) : gruau ; voir TCHOUBINOF, p. 250. PEETERS, p. 308,1. 26 : «ferculum

pultis calidae». 584. Voir chap. 61. 585. Littéralement : «Ta dignité sera pour toi le repos de ton corps.»

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92 BERNADETTE MARTIN-HISARD

INDEX DES NOMS PROPRES 5 8 6

Abraham : 137, 138, 403, 494, 495, 496, 1041.

Abulasat : 160, 1652, 1654. Ac'q'uri : 1447,1724,2056. Intr., p. 11. Adam : 1260, 1490. Adarnerse :

- fils du curopalate Ašoť (t 867/881) : 519, 888, 1058, 1079, 1880, 1885, 1896, 1901, 1905, 1913, 1918, 1920. Intr., p. 19 (stemma : I). - curopalate, roi des Kartvéliens (t v. 923) : 2606, 2609. Intr., p. 20 (stemma : 3). - magistre, puis curopalate (t v. 961) : 2247, 2610. Intr., p. 20 (stemma : 8).

Agar : 896. Agathon (patriarche de Jérusalem) : 2604. Amona : 1070. Anastas'ia : 1909. Anat'ole : 1393. Anča : 995, 2108, 2112, 2131, 2139, 2150,

2151, 2154, 2159, 2160, 2161, 2167, 2196, 2197, 2200, 2210, 2211, 2236, 2249, 2613. Intr., p. 10.

Anč'k'ora : 2649. Intr., p. 11. Andria : 169. Anne : 1127. Antoine (saint) : 253, 2631. Anťonio : 1393. Apxazes : 698,2608. Apxazeti : 688, 698, 709, 710, 733, 803,

1883. Intr., p. 8. Arsene (saint) : 871. Arseni :

- catholicos du Kartli : 691, 692, 825, 832, 1141, 1182, 1183, 1444, 1446, 1448, 1451, 1461, 1478, 1480, 1488, 1492, 1506, 1540, 1574, 1578, 1580, 1581, 1583. Intr., p. 9 et n. 21. - higoumène de Xancta : 1067,1076. - disciple de Grigol : 2061.

Aršuša : 160. Art'anujì : 1806, 1818. Intr., p. 10. Ašoť :

- curopalate (t 826) : 364, 368,476,480, 585, 887, 905, 913, 1805, 1880, 2158, 2160, 2195. Intr., p. 16 et 19 (stemma). - éristav des éristavs (t 918) : 1064. Intr., p. 19 (stemma : IV).

- curopalate (t 954) : 2606. Intr., p. 20 (stemma : 5).

Bagdad : 2585. Bagrať :

- curopalate (t 876) : 519, 886, 891, 897, 917, 1059. Intr., p. 20 (stemma : 1). - magistre (t 945) : 2610. Intr., p. 20 (stemma : 7). - éristav des éristavs (t v. 966) : 2247, 2250. Intr., p. 20 (stemma : 9). - Bagrať Saroeli (souverain d'Apxaz-eti): 1907. Intr., p. 13-14.

Bagratide : 364. Intr., p. 15-19. Baretelta : 1016, 1053. Intr., p. 10. Basili :

- higoumène de Xancta : 1132, 2039, 2041, 2043, 2045, 2049, 2675, 2688, 2697. - ermite des grottes de Berta : 1242.

Bélial : 1221. Berta : 997, 1211, 1377, 1387, 1402, 1418,

2485. Intr., p. 10. Bevreuli : 1909. C'ert'a : 2649, 2664, 2667. C'ert'aijsni : 2650. Intr., p. 11. Ckiri (évêque d'Anča) : 2160, 2190, 2202,

2232,2236, 2238. Constantinople : 572, 577. C'q'arojstavi : 1015, 1053, 2485. Intr., p. 10. Daba : 997. Intr., p. 10. Daniel : 73. Dapančuli : 368, 374,428, 2249. Intr., p. 16. David : 85, 154, 295, 323, 505, 833, 892,

924,1041,1487,2481,2570. Davit :

- curopalate (t 881) : 1059, 1060. Intr., p. 20 (stemma : 2). - mampal (t 943) : 2611. Intr., p. 19 (stemma : VII). -higoumène de Mijnajoro : 1013.

Demet're (roi des Apxazes) : 698, 750. Intr., p. 13.

Dimit'rios : 1426. Dolisq'ana : 998. Intr., p. 10. Élie : 262. Émèse : 1432, 1439, 1442. Éphrem (saint) : 870, 2175. Ep'ipane : 529, 530, 1602,1611, 1616, 1633,

1635, 1648, 1652, 1655, 1660, 1663,

586. Les références correspondent aux lignes de la traduction, suivies éventuellement de la référence à la page de l'introduction où ces noms font l'objet d'une explication.

Page 91: REByz-59 (2001)

VIEDEGRIGOLDEXANCTA 93

1668, 1672, 1676, 1683, 1685, 1686, 1697, 1707, 2300, 2405, 2648, 2652, 2654, 2658, 2663, 2666, 2669.

Eprem (évêque d'Ac'q'uri) : 704, 830, 831, 832, 1142, 1181, 1182, 1444, 1455, 1475, 1477, 1481, 1482, 1485, 1499, 1500, 1577, 1580, 1588, 1591, 1595, 2056.

Ep'rosine : 2095. Erušeti: 1463. Intr., p. 11. Ezra Dapančuli (évêque d'Anča) : 2249. Febronia : 471, 474, 549, 550, 1095, 1124,

1323, 1427, 1434, 1841, 1850, 1852, 1857, 1859, 1866, 1873, 1930, 1938, 1945, 1951, 1976, 1995, 2005, 2198, 2203.

Gabriel : - Gabriel Dapančuli : 368, 374, 379, 383, 389, 393, 407, 426, 431, 466, 476, 482. Intr., p. 18-19. - moine de Xancta : 2674, 2678.

Georges (saint) : 454, 456, 465, 524, 654, 655,997, 1006, 1009,2214,2668,2699.

Giorgi : - abbé d'Op'iza : 169, 170,244. -évêqued'Ac'q'uri : 1724. - roi des Apxazes : 2608. Intr., p. 13. - Giorgi Merčule : 2620. Intr., p. 8.

Grèce : 572, 576. Grecs : 886. Grégoire le Théologien : 2455. Grigol :

- fondateur de Xancta et de Šaťberdi : passim. -moine : 1812. - higoumène de Šaťberdi en 951 : 2616.

Guar am : -mampal (t 882) : 519, 888, 1456,1493, 1495, 1527, 1532, 1538, 1539, 1544, 1579. Intr., p. 20 (stemma : A). - fils de Gabriel et de Mariam : 393.

Gunade : 425,426, 1655, 1656. Intr., p. 10. Gürgen :

- curopalate (t 891) : 1058, 1060, 1064, 1921. Intr., p. 19 {stemma : II). - éristav des éristavs (t 941) : 1079. Intr., p. 19 (stemma : VIII).

Iak'ob : 1715. Ilarion :

- higoumène d'Ube : 743. - catholicos de Mcxeta : 1015. Intr., p. 9 etn.21. -deP'arexni :

Iovane : - higoumène de Xancta : 1077. -frère de Tevdore higoumène de Xancta : 2620. Intr., p. 8.

- moine martyr : 2584. Isaïe : 2453. Ismael (pére de l'émir Sahak') : 2157. Intr.,

p. 9. Israël :

-peuple: 115,501, 1289. - (Jacob) : 395.

Israélites : 137. Išxani : 151, 599, 600, 603, 616, 945, 950,

973, 975, 980, 982, 1164, 1167, 1206. Intr., p. 12.

Jacques (saint) : 1237, 1561. Javaxeti : 1458. Intr., p. 11-12. Jean :

- le Baptiste : 56, 168,262, 1001. - l'Évangéliste : 1297.

Jérusalem : 571, 573, 620, 743, 1432, 1548, 1589, 1590, 2053, 2057, 2069, 2585, 2604.

Jibril : 1076. Jmerk'i : 996. Intr., p. 10. Job: 119. Joseph : 395. Judas : 594. Kartli : 33, 166, 530, 692, 703, 1085, 1146,

1156, 1168, 1448, 1451, 1541, 1582, 1591,2197. Intr., p. 8-11.

Kartvéliens : 366, 2606, 2607. K'iarjeti : 31, 308, 314, 556, 751, 801, 989,

1049, 1263, 1459, 2102, 2107, 2144, 2164,2478. Intr., p. 10-11.

Korta: 2233,2238. Intr., p. 11. K'ost'ant'i (roi des Apxazes) : 2608. Intr., p.

13-K'ravi:813,816. "^ " Krist'epore : 151, 686, 701,-744, 805, 842,

880, 1141, 1158, 1160, 1165, 1168, 1177,1181,1183,1202,1205.

K'up'ra : 1904. Łado : 516,766. Intr., p. 8 et 10. Up'arit' : 2616. Intr., p. 12. Mak'ari :

- disciple de Grigol : 2061. - moine d'Op'iza : 2418, 2451, 2461, 2465,2469,2470,2474. - évêque d'Anča : 2613.

Mariam : 374. Maťo : 530, 531, 1327, 1340, 1351, 1359,

1373, 1377, 1397, 1400, 1408, 1411, 1419,1424.

Mcxeta : 692,1015, 1448, 2605. Intr., p. 9 et 11.

Mcxuedi : 1076, 2615. Mere : 472, 475, 549, 1095, 1135, 1332,

1342, 1350, 1359, 1393, 1844, 1857, 1944. Intr., p. 10.

Page 92: REByz-59 (2001)

94 BERNADETTE MARTIN-HISARD

Mère de Dieu : 290, 930, 997, 1303, 1304, 1332, 1361, 1364, 1367, 1792, 1796, 1858, 1989, 2292,2495,2698.

Mijnajoro : 1013, 1053, 1210, 1241, 1715, 2485. Intr., p. 10.

Mikel : - catholicos de Mcxeta : 2605. Intr., p. 9 etn. 21. - ermite des grottes de Berta : 1209, 1214, 1220, 1223, 1232, 1240.

Mirean : 691,694, 695, 807, 809, 814, 1451, 1456, 1489. Intr., p. 16.

Moïse: 114,714. Mose : 2078, 2090. Nejvi : 151, 1147, 1158, 1190, 1678. Intr.,

p. 11. Nerse :

- erismtavari du Kartlı : 53, 54. Intr., p. 11. - catholicos d'Arménie : 976.

Noè : 403. Norgiali : 1241. Intr., p. 11. Op'iza : 166, 167, 169, 174, 240, 242, 244,

310, 312, 1001, 1272, 1273, 1275, 1276, 2104, 2105, 2416, 2418, 2422, 2474, 2484. Intr., p. 10.

Orient: 1589. Pancrace (saint) : 892. P'arexni : 1242, 1243, 1723. Intr., p. 10. P'at'rik : 393. Paul (l'Apôtre) : 18, 68, 109, 223, 324, 328,

330, 410, 856, 874, 1111, 1120, 1294, 1675, 1939, 1982, 2277, 2348, 2425, 2426,2428,2516.

Persati : 1905, 1922. Intr., p. 8. Pierre (saint) : 333, 893. Quedios: 187,338. Romain : 871. Saba, Saban (évêque ďlšxani) : 150, 576,

600, 602, 605, 616, 945, 954, 974, 975, 1164,1167,1206.

Sanak' (émir de Tbilisi) : 2157, 2161, 2208. Intr., p. 9.

Saint-Cyriaque : 152, 1147, 1158, 1190. Intr., p. 11.

Saint-Sabas : 574,620, 2090. Salomon: 12,116,2631. Samcxe : 471, 530, 532, 690, 807, 1150,

1156,1447, 1452. Intr., p. 11. Samson : 2436. Samoel : 169. Samuel : 55. Saracènes : 2585.

Sarc'ebi : 2157. Intr., p. 11. Šaťberdi : 2, 49, 518, 919, 936, 942, 991,

993, 994, 1179, 1247, 1300, 1465, 1711, 1722, 1755, 1779, 1787, 1818, 2021, 2280, 2286, 2288, 2289, 2290, 2296, 2306, 2324, 2329, 2343, 2372, 2373, 2377, 2394, 2399, 2486, 2615. Intr., p. 10.

Šavšeti : 314, 540, 767, 1240. Intr., p. 10. Şopron : 1722. Sťepane (évêque de T'beti) : 1724. Sumbať :

- mampal (î 889) : 1921. Intr., p. 19 (stemma : III). - éristav des éristavs (t 958) : 2609. Intr., p. 20 (stemma : 6). - éristav (t 988) : 2611. Intr., p. 19 (stemma : X).

Syrien : 870. T'ao : 314, 584. Intr., p. 12. T'ba : 2120,2126, 2137,2153. Intr., p. 10. T'beti : 1724. Intr., p. 10. Tbilisi : 2157,2208. Intr., p. 9. Temest'ia : 1350, 1392. Tevdore :

- fondateur de Nejvi: 151, 686, 701, 744, 805, 842, 880, 1141, 1157, 1160, 1164,1177, 1181, 1182, 1202, 1205. - abbé de Xancta : 2615. Intr., p. 8

Ube : 743 Intr., p. 8. Xancta : 2, 49,187, 190, 199, 239, 246, 294,

308, 420, 422, 427, 428, 464, 475, 510, 517, 523, 531, 551, 553, 606, 611, 617, 643, 653, 696, 709, 744, 806, 853, 872, 913, 936, 1004, 1005, 1065, 1067, 1075, 1077, 1080, 1133, 1134, 1145, 1152, 1160, 1170, 1178, 1204, 1208, 1210, 1247, 1254, 1269, 1465, 1581, 1653, 1684, 1745, 2032, 2057, 2168, 2169, 2170, 2173, 2211, 2230, 2233, 2236, 2261, 2287, 2296, 2297, 2308, 2310, 2311, 2314, 2325, 2343, 2344, 2355, 2396, 2399, 2400, 2402, 2535, 2585, 2615, 2619, 2620, 2648, 2653, 2665, 2674, 2676, 2688, 2692, Intr., p. 10.

Xorasunni : 1608. Intr., p. 11. Zâlcsriâ *

- évêque d'Anča: 995, 2119, 2122, 2126, 2132,2137,2143,2153. - fondateur de Baretelta : 1016.

Zenon : 530, 532, 535, 536, 539, 541, 553, 2300, 2415, 2467,2475,2476,2477.

Page 93: REByz-59 (2001)

LA PERCEPTION DE LA PESTE EN PAYS CHRÉTIEN BYZANTIN ET MUSULMAN1

Marie-Hélène CONGOURDEAU — Mohammed MELHAOUI

À la mémoire de M.D. Grmek (t 2000)

Summary : The Arabs' first contact with the bubonic plague was when the caliph Omar entered Palestine in 639-640. Known to Arabic sources as the Emmaus plague, the epide­mic was a resurgence of the pandemia otherwise known under the^By^antine name of Justinian's plague. Thus from the very beginning the plague was a calamity the Moslems shared with the Byzantines. Even though the latter were historically in advance, since they had already been confronted to the plague for a century (its outbreak goes back to 540), each of the two cultural areas had a group of concepts which helped it deal with the plague.

Pour les Byzantins la peste bubonique, dont la peste de Justinien est la première manifestation historique, n'est pas perçue comme différente par nature des autres épidémies qui ont pu frapper le monde grec. Celle-ci est simplement plus universelle et plus mortifère. Les Byzantins utilisent donc, pour penser l'épidémie qui les frappe, les mortalités antérieures, principalement les exemples classiques de la peste de Thèbes2 et de la peste d'Athènes3. Outre les historiens et les poètes, les philosophes grecs ont amorcé, à partir de ces épidémies, une réflexion sur la fatalité, la Providence et le destin, pour tenter de rendre compte dev l'injustice qui frappe les populations aux prises avec ces mortalités4. À l'inverse, les

1. Les paragraphes sur Byzance sont de Marie-Hélène Congourdeau, les paragraphes sur l'Islam de Mohammed Melhaoui. La problématique et la rédaction finale ont été éla­borées en commun.

2. SOPHOCLE, Œdipe-Roi, v. 97. Cf. aussi la peste qui décima le camp des Achéens assiégeant Troie dans HOMÈRE, Iliade, 1, 61.

3. Cf. THUCYDIDE, La guerre du Péloponnèse II, 47-54. Décrivant la peste qui ravagea Constantinople en 542, Procope emprunte largement au récit de Thucydide.

4. Cf. PSEUDO-ARISTOTE, Problemata, I, 7 ; Ps ALEXANDRE D'APHRODISIAS, Proble­matu, . 88.

Revue des Études Byzantines 59,2001, p. 95-124.

Page 94: REByz-59 (2001)

96 MARIE-HÉLÈNE CONGOURDEAU — MOHAMMED MELHAOUI

Arabes, de par le climat de leur pays d'origine, ont connu peu de grandes épidémies : ils sont donc conceptuellement plus désarmés. Cependant, ils ont l'expérience d'épizooties, notamment parmi les chameaux, ce qui leur permet de concevoir une maladie qui se propage.

Au-delà de ce bagage spécifique, les deux peuples possèdent une source commune pour leur réflexion religieuse : la Bible, qui comporte au moins une grande peste, celle qui décima le camp de David après le recensement (2 Sm 24, 14-15)5. Musulmans et chrétiens byzantins entre­tiennent avec la Bible des rapports complexes qui présentent des analo­gies malgré des différences flagrantes. Les Byzantins, en tant que chré­tiens, comptent les livres du Premier Testament parmi leurs Écritures canoniques (statut qui n'est plus remis en cause depuis la condamnation de Marcion au 2e s.). Mais en même temps, ces livres sacrés sont les garants d'une alliance ancienne («Ancien» Testament), reléguée au second rang par une nouvelle alliance («Nouveau» Testament), et dont la valeur est surtout typologique ou symbolique6. De leur côté, les musul­mans ont accès aux données bibliques à travers le Coran qui en reprend de nombreux traits, mais expurgés car le texte reçu par les juifs et les chrétiens est considéré par Mahomet comme falsifié et donc non fiable. C'est cependant la peste de David qui servira de première référence.

Enfin, la conception que les chrétiens byzantins et les musulmans ont de Dieu (qui pour les deux traditions est le Dieu d'Abraham, c'est-à-dire un Dieu unique, transcendant mais personnel, et qui se révèle aux hommes à travers une histoire et une Ecriture) est suffisamment proche pour que les débats sur les rapports entre Dieu et la peste, et donc la per­ception religieuse de la peste, présentent de grandes convergences. Ce sont ces convergences qu'il nous a paru intéressant de mettre en perspec­tive, tout en tâchant de discerner les divergences éventuelles. Nous avons (provisoirement ?) écarté de la compétition deux autres «partenaires» : l'Occident médiéval et les communautés juives, qui nous semblent poser d'autres problèmes7.

D'OÙ VIENT LA PESTE ?

La première question qui se pose, ou s'impose, est celle du «pour­quoi». Le malheur fait partie de la condition humaine, mais lorsque le malheur collectif atteint des proportions extraordinaires, l'interrogation

5. Déjà dans le Pentateuque, la peste fait partie des malédictions qui s'attachent à ceux qui ne gardent pas l'Alliance : cf. Dt 28,21 ; Lv 26,25.

6. Voir la gêne et l'ambiguïté des relations des Byzantins avec le Lévitique, dont les prescriptions, considérées comme périmées, sont cependant partiellement intégrées dans le droit canon.

7. En particulier, le rapport conflictuel entre les chrétiens d'Occident et les juifs, les premiers désignant les seconds comme responsables de la peste, selon le réflexe du bouc émissaire, phénomène que nous n'avons rencontré ni à Byzance ni dans les pays musul­mans.

Page 95: REByz-59 (2001)

LA PESTE EN PAYS CHRÉTIEN BYZANTIN ET MUSULMAN 97

devient lancinante. Or on peut à ce niveau discerner deux grandes orien­tations de pensée : la première enjambe, pourrait-on dire, les causalités naturelles pour recourir directement à une causalité transcendante. La seconde, sans nier cette causalité transcendante, s'efforce de sauvegarder des causalités médianes, dans un double souci de rationalité et de discul­pation de la divinité8.

Confusion des plans du profane et du sacré

La première attitude, qui ne distingue pas les plans de la nature et de la transcendance, peut prendre deux formes. Populaire, elle habille de vêtements chrétiens ou musulmans des réflexes archaïques correspon­dant à la fois à la «conception magique du monde» décrite par M. D. Grmek9 et à la peur atavique de tout ce que l'on ne maîtrise pas. Théologique, elle recourt à un schéma d'origine vétéro-testamentaire pour expliquer l'incompréhensible et donner une orientation à une situa­tion qui semble sans issue : c'est le schéma péché —^punition — repentir — restauration™.

1. Permanence de mentalités païennes pré-chrétienne ou pré-islamique

* Domaine byzantin Lors de la peste de Justinien comme lors de la peste noire, le fléau

apparaît à certains comme une irruption de l'irrationnel. Pour Procope, qui décrit la peste à Constantinople en 542, la raison humaine est désar­mée car l'universalité de la pandémie défie toute explication particulière. Autant que sa cause, le sort imprévisible de chaque malade échappe à toute rationalité11. Agathias, décrivant le retour de la peste à Constantinople en 558, énumère les explications données par les hommes du temps : certains, invoquant d'anciens oracles égyptiens et les spéculations d'astrologues perses, voient dans les malheurs présents un cycle particulièrement funeste de la course du temps ; d'autres croient que c'est la colère divine qui se déchaîne contre les péchés des

8. Sur ces deux grandes orientations de pensée, nous renvoyons à M.-H. CONGOUR-DEAU, La société byzantine face aux grandes pandémies, dans Maladie et société à Byzance, a cura di Evelyne PATLAGEAN, Spolète 1993, p. 21-41 ; La maladie, la peur et la raison, Éthique. La vie en question 10, 1993/4, p. 10-27.

9. M. D. GRMEK, Les vicissitudes des notions d'infection, de contagion et de germe dans la médecine antique, dans Mémoires V: Textes médicaux latins antiques, Centre Jean Palerne, Saint-Étienne 1984, p. 53-70. Cf. aussi O. TEMKIN, An historical analysis of the concept of infection, Studies in Intellectual History, Baltimore 1953.

10. Cf. D. OLSTER, Roman Defeat, Christian Response, and the Literary Construction of the Jew, Philadelphie 1994. Soulignons que, pour D. Olster, ce schéma a été adopté au T siècle, au.moment où les désastres de l'Empire (invasion perse avec la prise de Jérusalem, puis conquête arabe) ont conduit les Byzantins à douter de la protection divine. À son analyse, nous ajouterons que la peste de Justinien était encore présente en toile de fond, dans le désastre général.

11. PROCOPE, De bello persico, II, 22.

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hommes12. Neuf siècles plus tard, les témoins de la grande peste de 1466 observent les mêmes réflexes chez leurs contemporains. «Les gens croient que tout advient par hasard, qu'il n'y a personne pour gouverner les événements», déclare Kritoboulos13, tandis que l'interlocuteur de Théodore Agallianos témoigne : «Certains disent que c'est le hasard qui détermine que les uns meurent et les autres non»14.

Mais l'esprit grec aspire à la rationalité : même l'irrationnel doit obéir à une logique. Procope proclame ainsi que le fléau vient soit de la Destinée (non plus hasard, mais logique inaccessible à la raison humaine) soit de la Providence (logique divine)15. Et l'hagiographe de Syméon Stylitě le Jeune nous montre des habitants d'Antioche, qualifiés d'impies, attribuer les pestes au mouvement des astres16.

Le reflux de la raison fait resurgir des peurs archaïques. Alors que Procope évoque les hallucinations qui font voir aux pestiférés des démons sous forme humaine17, Michel le Syrien, pour l'année 543, pré­sente ces apparitions comme des réalités : «On voyait des spectres terri­fiants dans la mer. Quand la peste passait d'un lieu à l'autre, on voyait comme une barque d'airain dans laquelle siégeaient des hommes noirs et sans tête qui parcouraient précipitamment la mer. Ils couraient en face d'Ascalon et de Gaza, et c'est par leur apparition que le fléau commença en ces lieux»18.

Le désarroi des esprits s'exprime par des blasphèmes. Le rédacteur des Miracles de saint Dèmètrios en signale un grand nombre lorsque la maladie s'abat sur Thessalonique en 586 : blasphèmes contre Dieu19 ou contre le saint qui guérit certains et pas d'autres20. Évagre le Scholastique se scandalise de voir que les enfants d'un païen sont épar­gnés alors que sa propre fille a succombé21. Lors d'une poussée de la peste noire à Constantinople, le patriarche Kallistos s'inquiète de la recrudescence des blasphèmes contre la Providence22.

L'antique notion de châtiment divin resurgit du fond de l'inconscient collectif grec. Châtiment collectif— selon Agathias, certains voient dans la corruption des airs, qui provoque la peste, la manifestation de la colère de la divinité, en rétribution des transgressions humaines23 ; — ou châti-

12. AGATHIAS LE SCHOLASTIQUE, Histoires, V, 10. 13. KRITOBOULOS D'IMBROS, Histoires, V, 17-18. 14. THÉODORE AGALLIANOS (Théophane de Mèdeia), Sur la Providence, contre ceux

qui pensent que s'Us fuient les lieux où soufflent les airs pestilentiels, ils seront sauvés, éd. S. EUSTRATIADÈS, Catalogue des manuscrits de Lavra, I, Paris 1925, p. 427-433.

15. PROCOPE, II, 23. 16. Vie de saint Syméon Stylitě le Jeune, 157. 17. PROCOPE, II, 22. 18. MICHELLE SYRIEN, Chronique, IX, 28. 19. Mir. Ill, 31 20. Mir. ΠΙ, 41. 21. D'après la Vie de Syméon Stylitě le Jeune, ch. 233. 22. KALLISTOS, Homélies, analyse par D. B. GONÈS, Το σνγγραφιχον έργον του

πατριάρχου Καλλίστου A', Athènes 1980, p. 226 s. 23. AGATHIAS, V, 10.

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ment individuel : d'après le médecin Stephanos, au 7e s., les simples (oi ίδιώται), voyant les malades, disent qu'ils sont châtiés par une puissance contraire (démoniaque) à cause d'une colère divine24. Cette divinité iras­cible peut être habillée de vêtements chrétiens, comme dans le texte de Jean d'Éphèse, rapporté par Michel le Syrien, qui attribue à~Ja persécu­tion des Jacobites par l'évêque chalcédonien Domitien, en 601, la succes­sion de fléaux qui touchent le pays : éclipse de soleil, séisme, et enfin la peste. «Par suite de tels châtiments, les Romains (Byzantins chalcédo-niens) mirent fin à la persécution des orthodoxes (jacobites)»25.

* Domaine islamique Les Arabes d'avant l'Islam, contrairement aux Grecs, n'avaient

aucune expérience des pestilences humaines, du fait du climat chaud et sec de l'Arabie qui ne favorise pas la propagation d'une telle maladie26. Ils ne possédaient pas non plus, du moins dans les premiers temps, de savoir médical propre pour faire face à une épidémie. En revanche, les épizooties, qui atteignent le bétail le plus souvent, étaient bien connues en Arabie.

Le Prophète se réfère d'ailleurs à Γ epizootie pour définir la peste, dans un ensemble de hadiths sur la maladie. Répondant aux questions de ses compagnons, il compare l'abcès ou le bubon à la gale qui attaque un chameau et se propage ensuite parmi le troupeau. La comparaison est importante dans la mesure où elle pose dès l'abord le problème de la propagation27. D'autres hadiths traitent d'aspects religieux propres à la maladie, de ses causes et des moyens de s'en préserver par l'évitement de tout contact. Ces hadiths qui ont donné naissance à une matière reli­gieuse abondante, pouvant servir à une jurisprudence sur la peste, four­nissent aussi des renseignements sur les mentalités pré-islamiques. Dirigés contre la persistance de comportements païens, ils sont les sources écrites les plus complètes sur ce sujet.

C'est en particulier le cas d'un hadith qui a suscité la polémique à chaque apparition de la peste. Des théologiens intransigeants l'ont lu

24. STEPHANOS D'ALEXANDRIE, Commentaire du Pronostic d'Hippocrate, I 17, éd. J. DUFFY, Corpus Medicorum Graecorum XI, 1. 2, p. 54-55.

25. MICHEL LE SYRIEN, Chronique, X, 23. 26. L'Arabie ne constitue pas un foyer classique de la peste comme l'Ethiopie qui est à

l'origine de la peste de Justinien, première pandémie du Moyen Age. 27. Ce hadith reconnaît tacitement la transmission de certaines maladies épidémiques :

«Abu Horayra — Que Dieu l'agrée — a rapporté qu'un bédouin demanda à l'Envoyé de Dieu — Que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix : "Ô Envoyé de Dieu ! Comment se fait-il que mes chameaux soient comme des gazelles dans le sable ? Peuvent-ils être ainsi infectés quand des chameaux galeux viennent se mêler à eux ?". Il lui répondit : "Qui a contaminé le premier?"» (AL-BUKHARÏ, Sommaire du Sahîh d'al-Bukhârî, Beyrouth 1987, p. 524). Al-Bukhăn (194/810 - 2567870) fut l'un des traditionnistes et compilateurs des hadiths dans un musannaf (classement) qui compte 7397 hadiths avec leurs isnăd (chaînes de garants complètes). Le hadith ou tradition du Prophète devient après le Coran la deuxième source écrite du droit musulman sunnite. Cf. Encyclopédie de l'Islam, t. III, p. 24.

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comme une négation par le Prophète de la contagion. Le texte mérite une analyse approfondie, car il traite en fait de plusieurs thèmes dont le fac­teur commun est le rejet des croyances de l'ère de l'Ignorance (Al-Ğahiliyya). Le voici, tel que rapporté par le compilateur al Bukharî: «Abu Horayra — Que Dieu l'agrée — a rapporté que l'Envoyé de Dieu — Que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix — a dit : "nulle transmis­sion ('adwâ), ni mauvais présage, ni spectre, ni 'safar', et fuyez le lépreux comme si vous fuyiez le lion"»28.

Ce qui est visé, ce sont les vieux réflexes du paganisme qui avaient tendance à persister. L'Arabie d'avant l'Islam connaissait certaines pra­tiques issues du paganisme ('ädät al-gähiliyya)29 et non conformes au message de l'unicité de Dieu, telles que l'idolâtrie, le culte des astres, la magie, des superstitions diverses. Le hadith en question ne fait que pro­hiber ces pratiques.

Le début du hadith, sujet de désaccord permanent, ne peut être inter­prété que si l'on tient compte de l'ensemble des paroles prophétiques, ainsi que du contexte et des subtilités linguistiques. C'est ce que fait le grammairien ibn Qotayba (213/829 — 276/889). Voici comment il inter­prète les principaux termes énumérés par le hadith : le mot 'adwâ {trans­mission) désigne avant tout la tendance des hommes d'avant l'Islam, dès qu'il leur arrivait malheur, à en rejeter la cause sur leurs femmes, leurs habitations ou leurs montures, toutes porteuses de malheurs. Il n'y a donc pas ici un refus de la contagion au sens médical, mais un jugement rationnel, commun aux médecins et au Prophète. Ce que rejette le hadith, c'est la croyance qu'un regard de soupçon malveillant puisse provoquer (transmettre) une maladie. Les négations accumulées visent des éléments irrationnels de la mentalité pré-islamique.

Malgré la condamnation du Prophète, la conscience collective conserva cette croyance au mal provoqué par le regard fixe d'une per­sonne ou d'un groupe, le regard qui tue. Ce n'est pas la maladie qui cause la mort, pense-t-on, c'est un soupçon malveillant. Cette croyance est connue en langage populaire arabe par l'expression al-mawt bi-1 'ayn (la mort par le regard), causée par une influence psychique mysté­rieuse30.

Les autres termes niés par le hadith désignent aussi des croyances superstitieuses antérieures à l'Islam : le mauvais présage (at-tiyâra) sym-

28. Ibid. 29. Cf. -A. AL-FASSI, Al-hayât al-igtimä'iyya fï šamál garb al-ğazîra al-'arabiyya (La

vie sociale au nord-ouest de la péninsule arabique), Riyad 1993, p. 248-289. 30. Cet aspect peut être mis en parallèle avec une conception occidentale ancienne.

«Un cas particulier de la contagion indirecte est le regard : le Tractatus de epidemia de Montpellier affirme que la maladie se manifeste avec toute sa force et tue subitement lorsque le souffle (spiritus) sort des yeux des malades et se transmet aux yeux de ceux qui les entourent.» (J.-N. BIRABEN, Les hommes et la peste en France et dans les pays euro­péens et méditerranéens, Paris, Mouton-la Haye 1975, I, p. 22). Les mêmes cas sont observés à Avignon en 1348. Il s'agit en réalité de contagion dans le cas d'épidémie de peste pneumonique (ibid., p. 22-23).

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bolisé par un oiseau, d'où le terme atattayyur (oiseau» de mauvaise augure) ; le spectre (al-Häma) dont une légende arabe disait qu'un homme assassiné l'envoyait pour réclamer vengeance. Le quatrième terme (safar) désigne en réalité le deuxième mois du calendrier lunaire arabe : les Arabes de cette époque redoutaient particulièrement ce mois considéré comme portant malheur31.

Transmission par le «mauvais œil», vengeance posthume d'un assas­siné, mauvais présages, malédiction d'un temps de l'année : toutes ces croyances pré-islamiques, que veut déraciner le hadith en question, res-surgissent à la faveur de la pandémie.

2. La colère de Dieu

* Domaine byzantin Après l'explication par le hasard et la Destinée, une seconde interpré­

tation byzantine de la peste est explicitement fondée sur la Bible, et plus précisément sur une interprétation littérale des textes sacrés. La peste dans le camp de David (2 Sm 24, 14-15), mais aussi le déluge (Gn 6-7), le châtiment de Sodome (Gn 19) ou les plaies d'Egypte (Ex 7-11) offraient des épisodes bien connus pour expliquer les catastrophes par le châtiment de fautes déterminées.

Michel le Syrien adopte cette interprétation, que Dieu agisse directe­ment (plaies d'Egypte)32, ou que, comme dans le livre de Job, il donne à Satan la permission de frapper les hommes «jusqu'à ce qu'ils méprisent toutes les choses de ce monde»33.

L'hagiographie fait de même. Pour l'auteur de la Vie de Théodore de Sykéon, une peste est envoyée par Dieu après que les Avars ont détruit le tombeau du martyr Alexandre à Drizipera34. Celui de la Vie de Syméon Stylitě le Jeune fait répondre par Dieu au saint en prière lors d'une peste : «Nombreuses sont les fautes de ce peuple, pourquoi t'affliges-tu de leurs maux ?»35. Et pour celui des Miracles de saint Dèmètrios, la peste qui frappe Thessalonique en 586 «a dépassé tous les châtiments jamais envoyés par Dieu»36.

31. Soulignons enfin que la fuite devant le lépreux, dernier terme du hadith, n'exprime pas une quelconque forme de rejet social (et ne fut pas interprétée comme telle par les théologiens), mais une forte probabilité de la transmission de la maladie : ainsi le seul terme du hadith qui concerne une maladie affirme bien la contagion. Ce que confirme l'in­terprétation d'ibn Qotayba : les personnes saines ne doivent pas fréquenter les lépreux, car si un lépreux est trop affecté par la maladie, «son haleine forte et répugnante peut nuire à la personne et la contaminer si elle le côtoie trop longtemps ou si elle partage son repas». Une femme partageant le lit conjugal peut aussi contracter le mal, ainsi que sa descen­dance. Cet exemple concerne aussi les phtisiques (ibid., p. 97).

32. MICHEL LE SYRIEN, Chronique, X, 8. 33. MICHEL LE SYRIEN, Chronique, IX, 28 : texte de Zacharie le rhéteur. Cf. Jb 1, 12. 34. Vie de Théodore de Sykéon, VII, 15. 35. Ch. 69. 36. Mir. Ill, 29.

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Au 15e s., Théodore Agallianos développe une théologie de la peste-châtiment divin37. La plupart des exemples bibliques qu'il invoque pour expliquer l'épidémie qui dévaste Constantinople et sa région sont tirés du Premier Testament : le déluge (Gn 6-7), les plaies d'Egypte (Ex 7-11), les peuples barbares des visions de Daniel (Dn 11), et a contrario le repentir des habitants de Ninive qui fait renoncer Dieu à l'anéantisse­ment de la ville (Jon 3-4). Les quelques exemples qu'il trouve dans le Nouveau Testament vont dans le même sens : le figuier frappé de stérilité par Jésus parce qu'il n'y avait pas trouvé de fruits (Me 11, 12-1438), le châtiment d'Ananie et de Saphire qui tombent morts pour avoir trompé l'Esprit saint (Ac 5, 1-11). Ces exemples bibliques le conduisent à dire : «La peste qui a fondu sur nous manifeste la colère de Dieu contre nous à cause de nos péchés. Il nous faut agir selon ces modèles anciens et Dieu aura pitié de nous». Dieu donne le bonheur aux bons et le malheur aux méchants. Puisque tout est prédéterminé par lui, fuir est non seulement inefficace mais blasphématoire : on n'échappe pas à la main de Dieu.

Sûrs d'être dans le vrai, et persuadés que toute tentative de trouver une autre explication accroîtrait la colère divine, les tenants de cette lecture «fondamentaliste» de l'Écriture ne cachent pas leur propre colère contre ceux qui invoquent des etiologies naturelles. Cette irritation contre les naturalistes (φυσικοί) est constante, de la peste de Justinien à la peste noire, de l'auteur des Miracles de saint Dèmètrios — pour qui nul ne doit avoir l'audace de dire que l'épidémie est un phénomène naturel dû à la corruption des airs et non un châtiment divin39 — à Théodore Agallianos qui dénie à Anastase le Sinaïte le titre de didascale car il accorde de l'importance à la nature, au mouvement de l'univers et au libre-arbitre, méconnaissant ainsi la souveraineté immédiate de Dieu sur toute chose.

Qu'ils relèvent d'une mentalité archaïque ou biblique, ces auteurs ne tolèrent nulle distance entre les plans profane (la nature et ses lois) et sacré (les desseins de Dieu).

* Domaine islamique Si la Bible est la source première des images de pestilence, le Coran

en fournit aussi des images frappantes40. Mais le terme peste (Tâ'ûn) dont l'équivalent hébreu figure dans le Premier Livre des Chroniques

37. Sur la Providence... 38. L'évangéliste précise que ce n'était pas la saison des figues, montrant par là que

l'épisode réclame une lecture spirituelle et non littérale, car l'innocence du figuier rend incompréhensible l'inhabituelle sévérité de Jésus.

39. Mir. IH, 33. 40. Cf. par exemple la sourate 88 al- Gäsiya (L'Enveloppante) ou la sourate 101 al-

Qâri'a (Le Fléau) : ce sont des appellations métaphoriques du jugement dernier et de la résurrection.

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(1 Ch 21, 7-15 ; cf. 2 Sm 24, 14-15), n'est jamais cité dans le Coran, ni sous forme de racine ni sous aucune autre forme41.

C'est à partir de la lecture de la peste biblique, connue à travers le filtre de la tradition du Prophète, que certains théologiens de l'Islam en vinrent à lire la peste comme un châtiment.

Le verset coranique 243 de la sourate al-Baqara (La Vache de Moïse) évoque en effet des calamités qui auraient frappé un peuple du passé : «N'as-tu pas vu ceux qui sortirent de leurs demeures — il y en avait des milliers — par crainte de la mort ? Puis Allah leur dit : "Mourez". Après quoi II les rendit à la vie. Certes, Allah est détenteur de la faveur envers les gens ; mais la plupart des gens ne sont pas reconnaissants.» (sourate II, verset 243). A la suite du rapporteur de hadiths ibn 'Abbăs, ibn Hağâla et ibn Khâtima au 14e s., et ibn Hağar au 15e s., virent dans ce verset une allusion à une peste qui aurait frappé le peuple d'Israël42. Selon l'auteur andalou ibn Khâtima, témoin de la peste noire, les «mil­liers» furent au nombre de quatre mille, «ils ont été rattrapés par la mort», mais ressuscites par la suite, grâce à leur Prophète qui a imploré Dieu afin d'arrêter les ravages de cette peste43.

D'autre part, un hadith mentionne une peste qui aurait frappé par le passé une tribu d'Israël44 : «On demanda à 'Usâma ibn Zayd — que Dieu l'agrée : "qu'as-tu entendu l'Envoyé de Dieu — que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix — dire au sujet de la peste ?". Il répondit : "La peste est une 'saleté' ou une 'infamie' (riğs) que Dieu avait envoyée à une catégo­rie du peuple d'Israël ou à ceux qui vous ont précédés. Lorsque vous

41. Dans le Dictionnaire lexique des termes du Coran (Le Caire 1991, p. 541), M.F. ABD AL-BÄKI ne mentionne que deux mots composés de la racine de ta'ana, dont le sens propre est frapper ou poignarder. Le premier cas est directement dérivé du verbe simple ta'ana (frapper) conjugué à la forme de l'accompli, à la troisième personne du mas­culin pluriel : ta'anu, figurant au verset 12 de la sourate At-tawba (Le Désaveu ou Le Repentir). Le deuxième cas est le nom d'action admis par le même verbe ta'ana. II est indiqué sous la forme indéterminée — un substantif — ta'nan figurant au verset 46 de la sourate al-nisă' (Les femmes). Les deux versets ne parlent que des attaques portées contre la religion, des incriminations et des blasphèmes.

42. Cf. IBN HAĞAR, Badi al-mä 'ün fi fadl al-tä'ön, ms. des Archives de la Bibliothèque generale (Rabat), 312Q, f. 6. (et l'analyse de J. SUBLET, La peste prise aux rets de la juris­prudence. Le traité d'ibn Hağar al-'Asqalănî sur la peste, Studia Islamica 33, 1971, p. 141-149) ; Ibn 'abï HAĞALA, Daf an-niqma fi as-salât 'ala nabî ar-rahma (Rejet du mal­heur dans la prière sur le Prophète de la miséricorde), Escorial 1772, f. 115-122.

43. IBN KHÂTIMA,Tahsïl ğarad al-qăsid fi" tafsil al-marad al-wăfid (Sommaire à l'atten­tion du messager au sujet de la maladie épidémique), Escorial 1785, f. 87b. Pour la bio­graphie de l'auteur, cf Encyclopédie de l'Islam, t. III., p. 861, s.v. Ibn Khâtima. Nous ne savons pas à quelle calamité le texte coranique fait allusion. Dans un jugement absolu, puisque les images sont multiples, nous pouvons dire uniquement qu'il s'agit de la mort comme destin final de chacun et de la résurrection. C'est une leçon morale et religieuse pour les fidèles et les croyants qui doivent être persuadés de la vérité du message révélé.

44. D'après ibn 'abï Hağâla, qui composa son traité sur la peste en 1364 au Caire, le peuple d'Israël fut touché par la peste en Egypte : «Dieu avait dit : nous leur avons envoyé la peste» (IBN 'ABÏ HAĞÂLA, Daf an-niqma.... f. 59b).

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entendez parler de son existence dans un pays, n'approchez pas de ce pays, mais si vous vous y trouvez, ne le quittez pas en la fuyant"»45.

Les théologiens interprétèrent le fléau du verset coranique cité plus haut (sourate II, 243) comme étant la peste, pour établir un rapport direct entre ce verset et le hadith qui évoque la peste d'Israël, et poser l'équa­tion : peste = colère de Dieu = châtiment. Ibn Khätima s'inscrit contre cette interprétation. L'explication de la peste comme châtiment (riğs), selon lui, ne s'impose pas, même si l'on se rapporte au verset 134 de la sourate Al-a'râf : «wa-lammâ waqa'a 'alay-hum ar-riğs (et quand le châti­ment les frappa)»46. La traduction exacte du terme riğs évoque la souf­france, sans aucune allusion à un châtiment d'origine divine, comme l'attestent bon nombre de théologiens musulmans. Elle est causée par une maladie, et si le terme est associé à l'histoire du peuple d'Israël, c'est que les enfants d'Israël, peuple ancien, furent les premiers frappés par une pestilence. La raison est donc d'ordre chronologique. Dans cette même argumentation, plus proche de la logique historique et philolo­gique que de la théologie conservatrice, l'imam d'Almeria ajoute : «Les Arabes nomment chaque maladie une douleur», ce qui nous renvoie au sens propre de waga' : le mal, la douleur et la souffrance.

Un autre hadith introduit une subtilité nouvelle. «Aicha la femme du Prophète — que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix — a rapporté : "J'interrogeai l'Envoyé de Dieu — que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix — au sujet de la peste". Il me répondit qu'elle est une agonie Cadäb) que Dieu envoie à qui II veut. Dieu en a fait une miséricorde pour les croyants. Celui qui se résigne face à la peste, sachant que rien ne l'at­teint hormis ce que Dieu lui accorde, ne peut obtenir que la récompense d'un martyr»47.

À la notion de châtiment (pour les pécheurs), se superpose celle de miséricorde (pour le croyant musulman qui meurt de la peste) par l'accès au rang de martyr. À quelles conditions ce dernier point est-il recevable ?

Ibn Khätima rappelle qu'il faut considérer l'intégralité des paroles du Prophète qui présentent la peste comme un martyre. Le martyre au sens large est une miséricorde pour tous les croyants48, ce que confirme cet autre hadith, rapporté par le compilateur 'Anas ibn mâlik : «La peste est un martyre pour chaque musulman». L'accès au rang de martyr récom­pense l'humble résignation face au destin tragique qui frappe le pesti­féré, puisqu'il ne peut intervenir par sa faible volonté dans le destin divin qui le frappe et qu'il accepte en tant que tel, en témoin (sâhid)49 de sa propre souffrance.

45. AL-BUKHÂRI, Sommaire du sahïh al-Bukharï, p. 360. Nous avons exposé les hadiths comme il est d'usage avec al-isnäd des garants, c'est à dire les rapporteurs dignes de confiance assurant leur authenticité .

46. Sourate VII, verset 134. Π s'agit de la peste envoyée par Dieu au peuple d'Israël. Cf. dans la même sourate le verset 71. IBN KHÄTIMA, Tahsil..., f. 87b.

47. Ibid. 48. Ibid. 49. Ibid. f. 89a. À partir des termes sähid et sahïd (témoin et martyr), ibn Khätima

donne trois sens au terme martyr: premièrement, l'homme qui meurt de la peste est

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Ce thème, développé au 15e siècle par ibn Hağar (qui-précise que «l'attribution du martyre ne peut être destinée qu'à ceiui qui ne quitte pas le pays ravagé par la peste»50), nous renvoie au statut du martyr en Islam. Les personnes concernées, d'après le hadith d'Abï Horayra, sont : le mort par la peste, le mort-né, le mort par noyade^ le mort victime d'un éboulement et le mort au combat51.

Le désir de mourir de la peste pour devenir martyr se manifesta au cours de l'épidémie d'Emmaùs, qui posa d'une manière très aiguë la question du comportement à adopter face à ses ravages, et qui fut à l'ori­gine des premières discussions juridiques sur la calamité. À cette époque de grande piété religieuse, le compagnon du Prophète Mu'äd ibn Ğabal mourut de la peste d'Emmaùs : il avait souhaité cette façon de mourir et «Dieu exauça ses vœux», commente l'auteur du Tahsïl. Mais en réalité, les premiers croyants musulmans, compagnons du Prophète, qui souhai­taient mourir de la peste (miséricorde) à Emmaüs, se mettaient en contra­diction avec les paroles du Prophète qui privilégiait la prévention et l'évitement.

Distinction des plans du profane et du sacré

* Domaine byzantin Une autre école d'interprétation, qui sépare les plans du profane et du

sacré, coexiste avec la première. Les Byzantins, sauf exception, ne renient pas l'héritage rationnel qu'ils tiennent de la Grèce antique, même s'ils le réinterprètent à la lumière des Écritures.

1. La causalité naturelle

Parallèlement aux explications éthico-spirituelles, les explications rationnelles classiques subsistent. Les médecins byzantins, confrontés à la peste bubonique, font appel aux schémas hérités du corpus hippocra-tique. Trois séries de causes expliquent la survenue d'une épidémie : la corruption des airs (qui affecte les organismes vivants par l'intermédiaire

appelé ainsi parce que les anges de la miséricorde témoignent par leur présence de sa souffrance et de la prise de son âme. Ensuite, sa présence devant Dieu, après l'épreuve douloureuse, lui vaut le titre de martyr au même titre que celui qui perd sa vie au combat au nom de Dieu. Troisièmement, le pestiféré est témoin de sa propre mort parce qu'il est conscient de sa souffrance physique et morale. C'est en fait la force morale qui surmonte la douleur et la souffrance physique, ainsi que les vertus de patience et de résignation qui font des martyrs des privilégiés.

50. IBN HAĞAR, Badi al-mä'ün ..., ff. 47-55. 51. La liste, qui mérite des explications, est élargie à d'autres personnes, notamment la

femme qui perd la vie en accomplissant son devoir conjugal, ou en accouchant. Des cas particuliers sont aussi désignés comme des martyrs, comme le mort loin de son pays, et le mort brûlé.

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des miasmes corrompus), le désordre des humeurs internes qui en résulte, et la différence des tempéraments qui prédisposent tel ou tel à être touché ou non par la maladie, à survivre ou à succomber52.

Dans son commentaire du Pronostic d'Hippocrate, le médecin Stephanos, contemporain de la peste de Justinien, s'interroge sur l'exis­tence de maladies infligées par les dieux et il s'appuie sur Hippocrate et Galien pour réfuter cette causalité extra-naturelle. Selon lui, la cause des pestes (les maladies le plus souvent invoquées en faveur de la causalité divine) réside dans «la constitution putréfiée de l'air qui corrompt les humeurs du corps»53.

Anastase le Sinaïte, moine du 7e siècle qui fut peut-être aussi méde­cin54, adopte la même etiologie naturelle dans ses Questions et Répon­ses : les pestes surviennent à cause des exhalaisons putrides, de la cor­ruption des airs, de la présence de cadavres non inhumés, surtout dans les régions insalubres55. Il n'écarte pas pour autant la causalité divine, car il arrive que Dieu utilise les causes naturelles pour corriger (παιδεύειν) les hommes et les pousser au repentir.

2. Fondement théologique des causes secondes

Pour lire la distinction et l'articulation entre causalité naturelle et cau­salité divine, les Byzantins disposaient d'une réflexion théologique menée dès l'époque des Pères56. Basile de Cesaree en avait affirmé les principes dans son traité Dieu n'est pas l'auteur des maux?1 : les mala­dies surviennent à la suite de dérèglements de la nature (ainsi les pestes sont attribuées à la corruption de l'air, selon la théorie hippocratique), mais en dernière analyse c'est Dieu qui envoie ces maladies, par l'inter­médiaire des causes naturelles, non pour punir les hommes mais pour prévenir des maux plus grands (maux spirituels, plus graves que les maux physiques). Les fléaux ont ainsi une fonction thérapeutique, et la métaphore médicale (en particulier l'amputation) est mise à contribution.

Anastase le Sinaïte intègre son analyse de l'étiologie des pestes dans ce schéma : Dieu certes est le créateur et le maître de tout, mais s'il a donné aux âmes le libre arbitre, il a confié aux éléments (et à ce que nous appellerions les causes secondes) le gouvernement quotidien des corps58.

52. Cf. HIPPOCRATE, De la nature de l'homme, IX ; Périphusôn, VI. 53. STEPHANOS, Commentaire du Pronostic... 54. Sur Anastase le Sinaïte, voir un état récent de la question par J. HALDON, The

works of Anastasius of Sinai : a Key source for the History of 7th century East-mediterra­nean Society and Belief, dans A. CAMERON and L. CONRAD eds, The byzantine and Early Islam Near-Eust.l : Problems in the literary source Material, Princeton 1992, ρ 107-147.

55. Q. 92 (PG 89, 732-3) ; Q. 96 (PG 89, 736-49) ; Q. 114 (PG 89, 766-68). 56. Pour une étude détaillée de cette réflexion, cf. notre étude : La société byzantine... 57. PG 31, 329-353. Traduction française dans Dieu et le mal, Migne, Pères dans la

foi 69, Paris 1997. 58. Q. 96, PG 89, 736-749.

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Cette synthèse des deux etiologies subira une éclipse du fait d'une offen­sive de la causalité transcendante durant la période médio-byzantine (du fait surtout de l'hagiographie), mais elle resurgira avec lá grande crise spirituelle de la fin de l'Empire. On la retrouve- chez Alexios Makrembolitès au 14e s.59, et chez Marc Eugenikos 15e s.60.

« * Domaine islamique Ibn abï Usaybi'a écrit dans l'introduction de son ouvrage intitulé Les

classes de médecins : «La science des corps se trouve attachée à la science des religions»61. La dimension religieuse n'est jamais absente chez les auteurs musulmans, et ce malgré l'émergence du savoir médical d'ibn Sïnâ (Avicenne), et de l'école andalouse incarnée par ibn Zuhr (Avenzoar), ibn al-Khatïb et ibn Khâtima: tous admettent l'intervention de la volonté de Dieu dans la santé, la maladie et la mort. Mais, par ailleurs, la médecine arabe reste fidèle à la théorie humorale d'Hippocrate et de Galien pour expliquer les causes des maladies et des pestilences, à une différence (de taille) près : la contagiosité de la peste, qui sera développée par les médecins andalous au cours de la peste noire.

Ibn abï Hağâla, recherchant les causes de la peste, fait ainsi voisiner explications rationnelles et explications religieuses. L'apparition de la maladie a pour lui une cause d'essence «légale» : «La cause légitime de la peste est l'impudeur qui mène à la destruction de l'âge et le fait dispa­raître, ou de tout ce qui en sort comme la consommation des boissons enivrantes, ou la pratique de tout ce qui est illicite»62. Mais lorsqu'il s'agit d'expliquer d'où vient la peste ou comment elle se propage, ses propos sont parfois radicalement opposés, et bien loin de la cause divine. C'est ainsi que pour lui «la cause médicale de la peste réside dans la cor­ruption de l'air qui est la matière de l'esprit»63. Cette dernière affirma­tion reprend fidèlement les notions d'Avicenne sur les pestilences, qui elles-mêmes dépendent étroitement d'Hippocrate.

Avicenne et les médecins andalous ont bien défini les causes natu­relles de la peste. S'ils fondent leurs descriptions sur l'observation des signes cliniques apparents chez les pestiférés, leurs analyses restent fidèles à la théorie humorale d'Hippocrate ou de Galien.

59. ALEXIOS MAKREMBOLITÈS, D'où viennent la sanie et la maladiei, Sabbaïticus 417, ff. 105v-106: La causalité naturelle existe, mais elle est soumise à la volonté de Dieu.

60. MARC EUGENIKOS, Lettre au moine Isidore sur les bornes de la vie, PG 160, 1194-1200. Cf. notre analyse dans La peste noire à Constantinople de 1348 à 1466, Medicina nei secoli 11/2, 1999, p. 377-389 : il faut penser ensemble les deux types de causalité, comme il faut tenir ensemble les vérités particulières et les vérités générales.

61. L'auteur, ophtalmologue et fils d'ophtalmologue, (né à Damas en 1270), dit qu'il trouvait sa source dans tous les Livres sacrés. Les plus grands médecins musulmans du Moyen Âge se sont aussi inspirés de la loi religieuse pour leurs idées et en faveur de l'art de guérir.

62. IBN Ά Β Ι HAĞÂLA, Daf an-niqma..., f. 42a. 63. Ibid.

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Ibn Khätima définit la peste en ces termes : «C'est une fièvre maligne. Elle tient sa cause de la corruption du tempérament du cœur et de l'air de sa propre nature vers la chaleur et l'humidité. Cette fièvre est souvent mortelle, et s'accompagne d'une sensation de lassitude suivie de sueurs excessives et d'angoisse... L'épuisement apparaît le deuxième jour, la fièvre monte et les bubons sont souvent accompagnés de crachements de sang...»64. Le trait final annonce l'issue fatale de la peste pneumonique. Ces observations personnelles faites à Almeria au cours de la peste noire sont identiques à celles d'ibn al-Khatïb à Grenade.

D'autres causes, dites lointaines dans les chroniques arabes, sont pré­sentées sommairement par les auteurs andalous. Ibn al-Khatïb évoque, pour la refuser, une causalité qui réside dans le ciel, selon les astrologues qui prétendent que des conjonctions astrales influent sur le monde. Le médecin de Grenade ne donne aucune foi à cette causalité, comme il res­sort de son épître sur la maladie effrayante65.

Contrairement à son collègue et ami, ibn Khätima prend acte de ce que le rayonnement céleste hâte la corruption de l'air. Il refuse en revanche des causalités plus extrêmes et anecdotiques rapportées par ses informateurs. Ainsi, des commerçants chrétiens d'Almeria prétendaient-ils que la pandémie était la conséquence d'une infection provoquée par la mort des poissons flottant sur la surface des eaux des côtes turques en Orient. Foudre et tonnerre se seraient alors abattus sur la région, puis les poissons auraient été incinérés et la fumée aurait pollué l'air, emporté en d'autres endroits par le vent. Le jugement d'ibn Khätima est sans équi­voque : «Cette suspicion n'est que mensonge et parole absurde»66.

Le seul facteur extérieur qu'il accepte est le dérèglement saisonnier qui peut engendrer calamités et famines, parce qu'il contrarie la chaleur et le tempérament de l'homme67. Le médecin andalou cite Hippocrate qui témoigne qu'en un seul lieu précis, à la suite d'une pluie estivale diluvienne, accompagnée d'une chaleur intense, survint une corruption

64. La grande peste de 1348-1349 était à la fois bubonique et pneumonique : «peste de couleur noire», telle était la description d'Avicenne de cette forme de peste au 1 Ie siècle dans le livre IV du Canon de la médecine, ce qui peut expliquer l'appellation peste noire. La nature de la pandémie du 14e siècle fait d'elle une peste ravageuse. Voici le témoi­gnage d'ibn Khätima: «C'est une maladie commune à toute une population humaine et qui est souvent mortelle à cause d'un facteur répandu... Elle est différente de l'épizootie, qui est (une épidémie) générale propre aux bestiaux et autres animaux... Mais l'usage de l'appellation (epizootie) appliqua le même terme aux hommes» (Tahsïl..., f. 50b-51a-b).

65. IBN AL-KHATÏB, Muqni 'at as-să'il 'an al-marad al-hä'il {Convaincre l'interroga­teur au sujet de la maladie effrayante), Escorial 1785, f. 39b. Ce manuscrit fait l'objet d'une étude et d'une traduction en cours de notre part.

66. IBN KHÄTIMA,Tahsa, f. 53a. 67. La pollution d'origine terrestre, selon lui, peut infecter un espace déterminé. Les

éléments de cette pollution peuvent être variés : la boue infecte des marécages, de l'eau stagnante et polluée de vapeur souterraines, de broussailles ou de végétation pourrie, les excréments humains ainsi que les cadavres abandonnés sur les champs de bataille, les ani­maux et le bétail morts d'épidémie et se trouvant en état de décomposition. Tous ces fac­teurs, d'après lui, peuvent putréfier l'air, l'élément simple et pur. Ibid., f. 54a.

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de l'air suivie de fièvres épidémiques très mauvaises et d'autres maladies infectieuses.

Tous les éléments invoqués comme causalité externe ne sont en réalité que des facteurs qui favorisent la propagation des épidémies : tel est aussi le facteur démographique avancé par ibn Khaldün dans les Prolégomènes, pour expliquer les désastres qui frappent les dynasties sur leur déclin, en les rendant plus sensibles aux épidémies. Témoin de la peste noire qu'il qualifia de déluge, et des mutations politiques du 14e siècle en Occident musulman, il donne sa propre version des causes de la maladie : elle est, dit-il, la conséquence d'un État déclinant très peuplé : «Les épidémies éclatent. La raison principale est la corruption de l'atmosphère provenant d'une population surabondante... Dans les cas graves, les poumons sont atteints. On a alors des épidémies pulmonaires, ce sont les pestes, des maladies qui touchent les poumons»68.

QUE FAIRE ?

Doit-on fuir ?

L'interrogation sur les causes du fléau débouche sur une interrogation plus pressante : que faire pour lui échapper ? Premier réflexe : fuir. Arguments médicaux et théologiques s'affrontent pour ou contre cette réaction naturelle.

1. Arguments médicaux : la contagion

* Domaine byzantin La notion de contagion (transmission d'une maladie d'un individu à

un autre) s'est longtemps heurtée au monde scientifique. Si la médecine populaire rapproche la maladie pestilentielle de la souillure qui se pro­page par contact, les médecins de la tradition hippocratique en attribuent la cause à un contexte général pathogène (air corrompu) qui touche en même temps toute une population69. Mais cette conception scientifique semble limitée à la médecine savante. Le modèle archaïque de la souillure vient spontanément à l'esprit de nombreux auteurs. Basile et Jean Chrysostome renversent les termes de la comparaison : c'est la peste qui devient la métaphore du péché qui se propage «par transmis­sion», si bien que les hommes «se contaminent mutuellement»70. Les législateurs du Code Théodosien, voulant interdire aux chrétiens de fré-

68. V. MONTEIL (Trad.), Ibn KhaldQn, Discours sur l'histoire universelle, (al-Muqaddimä), Beyrouth 1968, t. 2, p. 612-613.

69. Cf. HlPPOCRATE, De la nature de l'homme, IX, éd. J. JOUANNA, Berlin 1975 (Corpus Medicorum Graecorum I, 1, 3); Péri phusôn, VI, éd. JONES, II, (Loeb) Cambridge MA. - Londres 1923, 19672.

70. BASILE, Sur le Psaume 1 (PG 31, 209) ; cf. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie 57 sur Jean, PG 59, col. 314.

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quenter les synagogues, les mettent en garde contre la contagion de l'im­pureté juive71. A la fin de l'empire, Scholarios compare la peste à une malédiction qui se transmet par contact72.

Outre la permanence de l'image de la souillure, l'évidence de la contagion s'impose aux observateurs, malgré les réticences des auteurs médicaux. Historiens et simples témoins font le même constat. Durant la peste noire, en 1348, Dèmètrios Kydonès écrit à un de ses correspon­dants que nul n'ose inhumer même son proche parent, par crainte de la «communication de la maladie» (την νοσήματος κοινωνίαν)73 ; Kritoboulos fait la même observation en 146674.

Terrorisées par la perspective de contracter la maladie, les populations fuient les lieux infectés. Mais cette attitude, qui se concevait aussi lorsque la cause de la maladie était attribuée à la corruption de l'air, a pour effet de disséminer l'épidémie, puisque les fuyards emmènent avec eux les germes de l'infection.

* Domaine islamique Doit-on fuir? la question se posa dès la peste d'Emmaiis. Fallait-il

s'isoler, pour épargner la vie des conquérants musulmans (ce que laisse entendre le sens réel des hadiths), ou conquérir la région en plein ravage épidémique et mourir de la peste pour acquérir la distinction du martyr ? Le débat, bien que religieux, occultait la question principale et épineuse, celle de la contagion, niée par les savants antiques mais affirmée par les hadiths du Prophète. À partir d'une bonne définition des symptômes de la peste, particulièrement au 14e siècle, les médecins musulmans n'eurent pas de difficultés à démontrer l'évidence de la transmission de la maladie : la médecine savante rencontrait sur ce terrain l'enseignement religieux.

Mais, redoublant la question de la contagion, une autre fut posée par les médecins andalous : s'il est établi que la maladie se transmet, pour­quoi telle personne y est-elle plus vulnérable ?

La réponse la plus savante fut celle d'ibn al-Khatîb. Pour lui, l'expli­cation réside dans une interaction entre la contagiosité et la prédisposi­tion des personnes et des lieux75. D'une part, «l'humeur personnelle s'apparente à la matière toxique, en étant prédisposée à l'admettre sans la moindre résistance... Ignorer de telles choses induit les gens en erreur

71. CODE THÉODOSIEN XVI, 7, 3 (n° 16 dans A. LlNDER, The Jews in Roman Imperial Legislation, Wayne State University Press, 1987) : «Eoram quoque flagitia puniantur, qui christianae religionis et nominis dignitate neglecta Iudaicis semet polluere contagiis».

72. G. SCHOLARIOS, Lettre de consolation, éd. PETIT-SIDÉRIDÈS, IV, p. 298. 73. DÈMÈTRIOS KYDONÈS, Lettre 21 de la classification de F. TINNEFELD (Dèmètrios

Kydones. Briefe I, 1, I, 2 et II, Stuttgart 1981, 1982, 1991, Bibliothek der griechischen Literatur 12, 16 et 33).

74. KRITOBOULOS, Historiae, V, 17-19, p. 204-207, éd. D. REINSCH, CFHB 22, Berlin 1983 : les gens craignent que les malades ne leur communiquent leur corruption (δεδιότες τον φθόρον).

75. IBN KHÄTIMA, Tahsil, f. 59b-60a.

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et multiplie leur sacrifice»76. Et d'autre part, «l'existence de la "contagion a été prouvée par l'expérience, la déduction, la sensation, ^constatation et les fréquents témoignages»77. Ce sont là les arguments'scientifiques d'une médecine savante.

Les mises en garde des médecins se heurtent à la résistance de ceux qui refusent l'idée de la contagion, soit par ignorance, soit par fatalisme religieux. «La grande masse, explique ibn al-Khatïb, n'admettant que la volonté de Dieu comme cause de la santé ou de la maladie, ignore que celle-ci réside dans la prédisposition ou la non-prédisposition»78. Conscient de l'ignorance quasi générale de la société, il détaille ses argu­ments en faveur de la contagion : «La propagation se fait parmi ceux qui s'occupent des malades. Certains échappent à ces nuisances malgré le contact permanent qu'ils ont avec eux, d'autres y succombent bien qu'ils n'aient pas eu de contact, ou qu'ils aient eu des contacts limités dans le temps»79. C'est bien le signe que prédisposition et contagion jouent de concert. Par voie de conséquence, ceux qui croient à la contagion échap­pent à la mort. Parmi eux, «ceux, fort nombreux, qui ont décidé d'adop­ter un mode de vie ascétique, comme le mystique ibn abï Madyan dans la ville de Salé, un de ceux qui croyaient à l'existence de la contagion. Il s'est approvisionné pour une longue période, et il s'est emmuré avec sa famille, fort nombreuse. Sa ville fut décimée, et nul n'en réchappa tout au long de cette période»80.

Cet exemple concerne des personnes. Le suivant, qui concerne des lieux lointains ou isolés, rappelle la théorie d'ibn Khaldûn, selon qui il est préférable d'habiter un territoire moins peuplé et spacieux, qui ne favorise pas la circulation de l'air épidémique : «D'autres nouvelles sont relatives aux régions non touchées par la maladie, régions situées loin des routes, à l'écart des gens. Quoi de si étonnant que le cas des prison­niers musulmans sauvés par Dieu dans la maison des métiers de Seville ? Ils étaient des milliers que la peste n'a pas atteints, alors qu'elle a failli décimer toute la ville. Autre exemple : Le salut des nomades arabes, en Ifriqiya (Tunisie) et ailleurs, a été assuré par l'air pur, non corrompu par la maladie»81. Il en conclut : «Parmi les fondements qu'on ne peut igno­rer, il faut rappeler que la preuve d'autorité magistrale, si elle est contre­dite par le sens de l'observation, doit être interprétée. Dans ce cas précis, l'interprétation est celle adoptée par ceux qui ont confirmé l'existence de la contagion»82.

Imprégné par les idées d'Avicenne, ibn abï Hağâla est plus précis quant à la transmission de la maladie : «Il se peut que la peste se trans­mette d'un malade à un bien portant par le biais de l'exhalaison d'une

76. IBN AL-KHATÏB, Muqni'at.... f. 41b-42a. 77. Ibid., f. 42a. 78. Ibid. 79. Ibid., f. 41b. 80. Ibid., f. 42b. 81. Ibid. 82. Ibid., f. 43a

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personne contaminant une autre personne, sachant que cet élément est l'un des facteurs de la contagion»83. Et pourtant, lui aussi juge que l'or­ganisme doit être prédisposé à contracter la maladie.

Ibn abï Hagäla avait perdu son fils, mort de la peste du Caire en 1364. Affecté par cette épreuve comme le reste de la population, croyant et résigné, il composa ce vers : «S'il n'y avait pas eu autant de larmoyants qui m'entouraient pleurant leurs frères, je me serais alors tué»84. Ce vers exprime l'état d'esprit, fait de douleur et de résignation, d'une société face aux ravages de l'épidémie.

On ne peut que s'interroger sur l'écho réel des idées de bon sens d'ibn al-Khatïb sur le terrain des comportements. Mais il fallait aussi convaincre par des preuves religieuses qu'une société conservatrice pourrait facilement comprendre.

2. Arguments théologiques : La Providence

La question «Doit-on fuir les lieux infectés par la peste ?» n'est pas un simple problème de santé publique. Si l'on pense que la peste est envoyée, ou permise, par Dieu, c'est aussi une question spirituelle. Fuir les lieux où Dieu a envoyé la peste ne revient-il pas à fuir la volonté de Dieu ? Une telle attitude serait au mieux inefficace ; au pire il s'agit d'un péché qui peut attirer une sanction plus grave (la damnation éternelle, par exemple).

* Domaine byzantin Dans le Pré de Jean Moschos, Procope le Scholastique se désole d'ap­

prendre que la peste s'est déclarée à Cesaree où ses deux fils sont étu­diants. Il les rappellerait bien à Porphyreon, mais il craint de les exposer à la colère divine s'il cherche à les soustraire au fléau. Il consulte alors abba Zacchéios au monastère de Sainte-Sion, et le saint homme l'assure que ses fils ne mourront pas car l'épidémie va cesser85. Les scrupules de Procope nous montrent dans quel dilemme se trouvaient les Byzantins pieux confrontés aux pestes. La réponse du saint homme élude, malheu­reusement (pour nous), la question.

Vers la même époque, Anastase le Sinaïte est moins catégorique. À qui lui demande si la fuite est efficace dans le cas d'une épidémie, il répond que cela dépend : s'il s'agit d'un châtiment divin (cas rare mais possible), inutile de fuir. Si les causes sont naturelles, fuir vers des lieux plus salubres peut être une solution86. Cette réponse provoquera l'indi­gnation de Théodore Agallianos, au 15e siècle, pour qui fuir la colère

83. IBN ABI HAGÄLA, Daf an-niqma..., f. 115. 84. Ibid. 85. JEAN MOSCHOS, Le Pré spirituel, c. 131, PG 87, 2996. 86. ANASTASE LE SlNATTE, Question 96, PG 89, 744.

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divine est non seulement inutile mais sacrilège87 ; l'évêque de Mèdeia se rachète cependant aux yeux du lecteur moderne lorsqu'il offre comme alternative à la fuite le dévouement au service des malades infectés.

* Domaine islamique Les jugements des auteurs musulmans andalous sont sévères envers

ceux qui propagent de fausses idées niant la contagion : des religieux assimilés aux prophètes de malheur qui, selon ibn al-Khatïb, «ont opposé aux gens leurs épées, décidé leur destruction, même s'ils n'en avaient pas l'intention, en se limitant à la littéralité du hadith»88. Il s'agit naturel­lement du hadith qui est supposé nier la contagion des épidémies89.

Mais c'est dans la matière religieuse que le médecin de Grenade puise ses arguments en faveur de la contagion : «Dans la juridiction se trouvent plusieurs appuis comme le hadith "qu'aucun malade ne se désaltère avant un bien portant", et comme le dire du Compagnon (le Calife Omar au cours de la crise d'Emmaiis) : "fuir le destin de Dieu vers un autre destin"».

Ibn al Khatîb va plus loin : «Il n'y a pas lieu de multiplier les com­mentaires à ce sujet, puisque la discussion de l'existence de la contagion d'après la juridiction ne relève pas des fonctions de cet art»90. Autrement dit, ce n'est pas à la religion de dire si la peste est contagieuse ou pas. Par ce jugement aussi rare que radical, le médecin voulait délimiter le cadre fonctionnel de chaque discipline sans les opposer, et sans aller jus­qu'à la rupture. Il reste convaincu par sa foi de musulman et précise : «L'ignorance de tels arguments n'est qu'irrespect pour Dieu, et dédain pour la vie des musulmans. Certains hommes pieux ont incité les gens publiquement à revenir sur la fatwâ pour la rejeter, cherchant ainsi à évi­ter le péril. Que Dieu nous préserve dans le dire et le faire»91. Ce texte témoigne qu'il y eut bel et bien un débat théologique intense autour d'un problème médical, celui de la contagion et du comportement qu'il fallait adopter en ces temps de malheurs.

Dans le cadre de cette polémique, ceux qui nient la contagion et les religieux intransigeants sont sévèrement jugés par les deux témoins ocu­laires de la pandémie à Grenade et à Almeria, qui expriment leur colère en des termes sans équivoque. Selon ibn al-Khatïb, «ne nie la contagion

87. Agallianos répond en ce sens à l'interrogateur fictif qui lui pose les questions qui, semble-t-il, étaient «dans l'air» : «Peut-on dire que ceux qui échappent à la mort en fuyant les lieux pestiférés ne sont sauvés que par la Providence ? ... Est-ce un péché de fuir en temps de peste ?» : THÉODORE AGALLIANOS, Sur la Providence...

88. IBN AL-KHATÏB, Muqni'at.... f. 42b. 89. Rappelons la teneur de ce hadith : «Abu Horayra — que Dieu l'agrée — a rapporté

que l'Envoyé de Dieu — Que Dieu lui accorde Sa Grâce et sa Paix — a dit : "nulle conta­gion, ni mauvais présage, ni spectre, ni 'safar', et fuyez le lépreux comme si vous fuyiez le lion"».

90. Ibid., f. 43a. Autrement dit : ce n'est pas à la juridiction de décider de l'existence de la contagion.

91. Ibid.

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que l'hypocrite qui dit le contraire de ce qu'il pense, ou l'ignorant qui n'a jamais connu d'épidémie»92. Quant à ibn Khătima, sa qualification se résume en deux mots : «öahalat Guhhäl (des ignorants ignares)». Ce qui est une manière élégante pour ne pas les qualifier autrement.

Prévention et traitement

1. Permanence de conduites archaïques

* Domaine byzantin La fuite, à supposer qu'elle soit efficace, n'est pas toujours possible. Il

faut donc affronter le fléau. À causalité irrationnelle, remèdes irration­nels. Michel le Syrien nous a conservé le témoignage de Jean d'Éphèse sur la peste de Justinien. Celui-ci nous rapporte un certain nombre de conduites où s'exprime le désespoir des populations touchées. Ainsi, lorsqu'un homme affirme que la peste s'arrêtera si l'on jette par les fenêtres tous les récipients, aussitôt chacun s'affaire à fracasser les vases dans les ruelles, avec un résultat nul comme on peut s'en douter. Dans une ville de Palestine, certains se persuadent que l'épidémie est causée par la colère d'une idole dont le culte a été délaissé au profit du christia­nisme : ils retournent à l'idolâtrie première93. Au 10e s., les habitants de Sparte, avertis par Nikôn Métanoéitè que l'épidémie qui frappe leur ville est causée par la présence des juifs, expulsent la communauté juive de la ville94. Plus pacifique, à la frontière entre superstition et spiritualité, saint Pierre d' Atroa, au 9e s., fait cesser une pestilence par un simple signe de croix tracé aux quatre points cardinaux95. Signe de la croix, expulsion des Juifs, affrontement de l'idolâtrie sont autant de signes de la simple christianisation de conduites archaïques.

* Domaine islamique La lutte contre la peste est bien réelle, même si les indications restent

rares et leurs significations incomplètes96. Cette lutte revêt des aspects multiples. Malgré l'arsenal religieux à caractère préventif ou médical, la société dans son ensemble, partagée entre fatalisme, pessimisme et

92. Ibid. 93. MICHEL LE SYRIEN, Chronique, IX, 28. 94. Vie de Nikôn le Métanoéitè, éd. S. LAMPROS, NE 3, 1906, p. 163. 95. Vie de saint Pierre d'Atroa, éd. V. LAURENT, Subsidia Hagiographica 29, Bruxelles

1956, p. 140. 96. Une seule indication claire est mentionnée chez ibn al-Khatîb dans son manuscrit

Al-wusul li-hifd as-siha fi al-fusQl (Les rapprochements pour préserver la santé au cours des saisons). Parlant des changements climatiques contre nature et des facteurs pouvant infecter l'air et provoquer sa corruption, il témoigne de cette mobilisation : «Nous avons composé, quand les gens étaient en émoi au moment de la peste généralisée, devant la porte du sultan et les médecins qui s'y retrouvaient, une épître noble, aujourd'hui répan­due et connue» (IBN AL KHATÏB, Al-wusul, ms. Bibliothèque Générale de Rabat, 652d, f. 68). Les détails de la mobilisation devant les portes du palais du sultan nasride à Grenade restent à découvrir.

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troubles psychologiques devant la violence de la pandémie, s'attache plus que jamais aux remèdes irrationnels. Ce fut le temps d'un retour aux pratiques archaïques longtemps combattues par l'Islam.

L'image que les musulmans s'étaient faite de la maladie lors de la pre­mière confrontation à Emmaiis, celle d'une maladie qui ne ressemblait à aucune autre, fut déterminante : cette image resta liée à celles de la colère de Dieu, du devoir de souffrir et de la peste comme voie de mar­tyre et miséricorde. Face à cette légitimation de la peste, différemment interprétée et répandue par les religieux, la médecine limitait sa thérapie à une prophylaxie très ancienne. Devant cette impuissance de la méde­cine, la religiosité populaire se réfugia dans des pratiques relevant de la superstition.

Convaincus que la peste, envoyée par Dieu, ne pouvait être ôtée que par lui, les croyants les plus modestes cherchaient à susciter sa clémence en utilisant ses paroles97.

À l'origine, se trouve la lecture du Coran considéré comme source de guérison spirituelle pour les croyants : il est ainsi recommandé de lire avec ferveur, onze fois après chaque prière obligatoire, deux sourates en particulier, Le monothéisme pur (sourate 102) et Les infidèles (sou­rate 109). La lecture de ces versets est considérée en théologie comme un refuge dans la parole de Dieu, et parallèlement, un appel au secours contre la peste. Trois sourates sont particulièrement recommandées en cas d'épidémie : la première sourate du Coran al-Fätiha (Le Prologue ou L'Ouverture), al-'An'äm (Les Bestiaux), et Yûnus (Jonas).

Ibn Hağar, quant à lui, recommande de réciter chez soi le verset 255 de la sourate al-Baqara (La Vache de Moïse)9* pendant trois nuits succes­sives. S'appuyant sur des traditions selon lesquelles le Prophète autori­sait les incantations, il estime que ces pratiques ne sont pas contradic­toires mais complémentaires avec les prières traditionnelles, et qu'elles peuvent agir contre la peste".

Mais certains vont plus loin et utilisent la signification mystique des lettres pour faire de la parole sacrée un usage magique qu'ibn Khaldûn (qui le réprouve et qui ne voit en ces pratiques qu'une forme de cette magie qu'il abhorre), décrit ainsi : «Il s'agit, grâce à la magie littérale, de donner aux âmes divines le pouvoir d'agir sur la nature, à l'aide des beaux noms de Dieu et de certains mots à vertu divine, qui se composent de lettres renfermant les mystères qui se communiquent aux choses créées... La magie littérale se confond avec la magie numérique, puis­qu'il y a un rapport entre les lettres et leurs valeurs numériques». Cette «science des secrets des lettres», qui constitue un phénomène social et religieux très répandu, n'est pour lui qu'«un héritage funeste du passé»,

97. M.W. DOLS, The Black Death in the Middle East, Princeton N.J. 1977, p. 124. 98. Ce verset (Sourate II, verset 255) insiste sur la toute-connaissance et la toute-puis­

sance de Dieu. 99. IBN HAĞAR, Badi al-mä'ün ..., f. 108.

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auquel il reconnaît une influence réelle sur les esprits mais non pas sur les maladies100.

C'est dans cette logique irrationnelle que se situe ibn Haydür at-Tadilï, contemporain d'ibn Khaldun et mathématicien réputé, qui com­posa un traité sur les maladies épidémiques après le passage d'une peste au Maroc en 1364. En sus de sa méthode médicale pour se préserver des maladies épidémiques, qui reproduit celle d'ibn Khätima101, il mit au point une méthode basée sur les noms de Dieu. Il avait été très frappé par des récits où ses maîtres et ses proches racontaient comment ils avaient échappé à la peste. Ainsi le rêve prémonitoire de son maître, Abû-1-käsim ibn Radwan : «Au cours d'une nuit de l'année sept cent soixante-quatre (une année de peste à Fès : 1362-1363), je fus troublé par l'état de la seconde épidémie102. Je me couchai l'esprit submergé par cette his­toire, et je fis un rêve dans lequel une personne venait prendre dans mes volumes un seul petit livre, et me le remettait. Il mit sa main sur la der­nière ligne de la page de garde. Il me dit : voici les noms qui protègent contre l'épidémie. Alors, j 'ai lu : "Ô toi le vivant, ô toi le clément, ô toi l'affectueux, ô toi le judicieux". Je m'éveillai et j'ouvris le livre. Je trou­vai les mêmes paroles à la fin de chaque dernière ligne»103.

Fasciné par ce récit, ibn Haydür at-Tâdilï dressa une liste de quatre noms de Dieu : hay, halïm, hannân, hakïm. Ces quatre noms commen­cent tous par la lettre ha' qui fait partie des lettres ignées, censées éloi­gner les maladies, comme les lettres aquatiques, aériennes et terrestres104. Répétés et schématisés en diverses formes géométriques, ils étaient utilisés pour réaliser des talismans écrits sur divers supports, allant du parchemin carré ou triangulaire, en passant par le fond d'un bol, jusqu'au crâne rasé d'un patient. Ces figures magiques avaient un pouvoir bénéfique certain contre plusieurs maladies, assurait ibn Haydür at-Tâdilïs105, qui préconisait en outre d'éviter la rédaction ou la lecture des formules certains jours, comme le lundi et le samedi, afin d'éviter les influences négatives de certaines planètes106.

100. V. MONTEIL, Ibn Khaldun, Discours ..., p. 1105-1106. 101. IBN HAYDÜR, Al-amräd al-wabă'iyya (Les maladies épidémiques), ms.

Bibliothèque Royale, Rabat 9605. La méthode médicale que l'auteur propose est celle d'ibn Khätima. C'est le folio 71 qui est intégralement recopié.

102. Le souvenir de la grande peste de 1348-1349 est resté sans doute vivace dans l'es­prit de ceux qui en avaient réchappé.

103. Ibid., f. 2. 104. Voici ce qu'écrit ibn Khaldun sur cette magie des lettres : «Les lettres ignées éloi­

gnent les maladies froides et augmentent la chaleur souhaitée tant au sens physique qu'as­tronomique, par exemple pour accroître l'influence de mars sur la guerre, le meurtre ou l'assassinat. Les lettres aquatiques servent à repousser les maladies chaudes, comme les fièvres, et à accroître les influences froides désirées, tant au sens physique qu'astrono­mique, par exemple, pour augmenter l'effet de la lune». Dans V. MONTEIL, Ibn Klmldûn, Discours ..., p. 1104.

105. IBN HAYDÜR, Al-amr..., f. 4. 106. Ibid., f.3.

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Sur ce point particulier des influences astrales, ibn Khaldûn porte un jugement tout aussi sévère : «Ils veulent dire que les natures supérieures et célestes se lient avec les natures inférieures, les premières étant les spiritualités astrales. C'est pourquoi les faiseurs de talismans recourent généralement à l'astrologie ... La croyance aux influences astrales détourne de la foi en Dieu et porte atteinte à l'Islam»107. Le motif de son opposition est donc religieux. Il faut comprendre que les prières et la récitation des versets du Coran ou des quatre-vingt-dix-neuf noms, dits Les plus beaux noms de Dieu, doivent être adressées à Dieu seul, par les gestes et la parole, sans intermédiaire, même si la pratique, assez cou­rante, de transcrire un nom de Dieu, comme Le guérisseur, sous forme d'amulette ou de talismans, est tolérée .

Un autre remède utilisant des termes religieux consistait à se laver ou à absorber une boisson, préparée avec soin et piété, après avoir trempé le talisman dans le bol de la boisson, ou dans une coupe dans laquelle l'encre de l'écriture du talisman avait été dissoute. On pouvait aussi sus­pendre autour du cou des talismans et autres petits sachets de cuir conte­nant les inscriptions coraniques108.

2. Conduites rationnelles

À côté de ces réactions irrationnelles, d'aucuns s'efforcent de com­battre le fléau en mettant en œuvre les ressources de la raison.

* Domaine byzantin On s'attaque d'abord aux causes de la mortalité, selon les critères

indiqués par les médecins : assainir l'air par de grands feux109, inhumer ou brûler les cadavres pour limiter les exhalaisons mortifères, renforcer la résistance du corps par une hygiène de vie qui garantisse l'équilibre des humeurs. Tous ces remèdes préventifs se trouvent dans les manuels médicaux. Quant aux malades déjà atteints, on les soigne avec les moyens classiques : purge, saignée, thériaque, là aussi puisés dans les manuels de thérapeutique ou iatrosophia qui comportent des chapitres sur les maladies pestilentielles110. La maladie pestilentielle étant souvent rattachée à un désordre des humeurs, les divers traitements consistent à rétablir l'équilibre interne. Les textes témoignent du dévouement général des médecins : Procope signale qu'un grand nombre succomba à Constantinople lors de la peste de 542111. Dèmètrios Kydonès est plus

107. V. MONTElL, Ibn Khaldûn, Discours .... p. 1098-1101. 108. M.W. DOLS, The Black Death..., p. 126. 109. L'indication remonte à Galien qui, dans son traité Ad Pisonent de theriaca, 16

(éd. KUHN XIV, p. 281), conseille de combattre la peste par des feux et de bonnes odeurs, se réclamant en cela d'Hippocrate.

110. Les indications des auteurs antiques, compilées par Oribaše, sont reprises par Aétios d'Amida (Tétrabiblos, V, 95), Paul d'Égine, Théophane Chrysobalantès, et de là passent dans les iatrosophia.

111. PROCOPE, De bello persico, II, 22.

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critique envers l'impuissance des médecins qui ne savent que discourir et ne sauvent personne112.

* Domaine islamique Les médecins arabes utilisent aussi contre la peste la saignée, la purge

et la thériaque. Mais ibn Khâtima, qui connut la peste d'Almeria, met en doute leur efficacité contre cette maladie, si bien que pour lui la seule thérapie est la prévention, qui se traduit par des mesures prophylactiques axées sur l'hygiène113.

La saignée, à la fois préventive et curative, est l'acte médical par excellence en temps de peste. Ibn Khâtima lui même la pratique large­ment, «aux tout premiers signes de la maladie»114, avant que la fièvre épidémique ne s'installe dans le corps. Car dès lors que le cœur est atteint, le pronostic est néfaste : «L'organisme ne fonctionne plus, parce que l'organisation naturelle n'est plus assurée dans son ensemble, et même les médicaments n'ont plus d'intérêt. Ils n'ont aucune chance d'être efficaces et peuvent même rajouter à la douleur et peser sur le tempérament. Dans ce cas la mort est proche»115.

Ce qui caractérise les récits du médecin d'Almeria, c'est son désarroi devant l'incapacité à soigner la maladie, même à ses débuts, parce qu'il sait qu'on ne survit pas à la peste pneumonique. Mais ce jugement ne remet pas en cause son espoir de croyant — il était imam de la mosquée d'Almeria. C'est pourquoi il n'hésite pas à pratiquer une seconde sai­gnée sur un pestiféré, afin de soulager sa douleur. Le résultat de cette intervention l'émerveille : son patient, le seul d'un groupe de pestiférés à avoir subi cette double intervention, sera sauvé. «C'était la volonté et le destin irrésistible de Dieu, dit-il. Je n'ai rien indiqué de particulier à cet homme à la suite de la réussite de ce traitement. Ce qui s'était passé en réalité ne pouvait être que la volonté de Dieu qui donne la vie à un groupe plus qu'à un autre»116. Le miraculé fut le seul survivant d'un groupe de vingt personnes qui avaient fui la peste dès son apparition dans la campagne de Ğânâ près d'Almeria.

Ibn Khâtima attribue ce succès à la foi qui fait des miracles. Mais dans le cas de la peste, la foi a des limites. Ibn Zuhr (l'Avenzoar des Latins, 1072-1162) rapporte le cas d'un patient traité par la saignée et qui n'a pu être sauvé117.

112. DÈMÈTRIOS KYDONÈS, Lettres 21, 50, 55 de la numérotation de F. Tinnefeld. 113. IBN KHÂTIMA, Tahsïl..., f. 65a. \U. Ibid., f.lla. 115. Ibid., f. 70a. 116. Ibid., f. 72b. 117. IBN ZUHR, At-taysïr fî-1-mudăwăt wa-t-tadbïr, Rabat 1991, p. 451.

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Quant à la thériaque118, elle était depuis Galien le remède universel le plus ancien, réputé agir positivement contre la peste. D'après ibn Khätima, «Galien ... disait qu'il n'avait vu personne, ayant pris ce médi­cament, mourir de l'épidémie»119. Le problème est quç l'épidémie soi­gnée par Galien n'était justement pas la peste.

Le régime alimentaire accompagne la thériaque ou se conjugue avec les purges et les saignées : menus légers, jus de pomme mélangé à du citron ou eau florale mélangée à du vinaigre, soupe à la menthe, repos ...12°. Dans cette prophylaxie, on déconseille la consommation du vin licite, nabïd, sans parler de l'illicite, parce qu'il chauffe le sang et augmente sa quantité, de même que les produits laitiers121.

Ibn Khaldun, de son côté, préconise une solution liée à sa théorie sur les causes de la maladie, à savoir la surpopulation et la corruption de l'air: «Il faut absolument ménager de vastes espaces libres entre les zones peuplées, pour permettre à l'air de circuler. Ainsi est balayée la corruption, la putréfaction de l'atmosphère en contact avec les vies humaines, tandis que l'air redevient respirable. On sait que la peste est plus fréquente dans les cités surpeuplées, comme le Caire en Orient et Fès au Maroc»122. Rappelons qu'ibn Khaldun fut témoin des ravages de la grande peste de 1348-1349 dans tout le Maghreb, et des pestes qui sui­virent en 1364 au Caire et à Fès.

Pastorale

* Domaine byzantin La thérapeutique traditionnelle ayant peu de prise sur la peste bubo­

nique, le soin des populations passe avant tout par le soutien spirituel. C'est l'objet des homélies pour temps de peste, qui abondent au temps de la peste noire, et qui s'attachent à convertir la terreur sacrée en confiance envers le Dieu miséricordieux, tout en rendant à la liberté humaine une possibilité de se manifester par la conversion des mœurs. Grégoire Palamas, le patriarche Kallistos développent le thème de la pai­deia divine : le fléau n'est pas une punition (ce qui ôterait tout espoir, car la punition est tournée vers le passé qui ne peut être effacé) mais une correction (tournée vers l'avenir). Dieu corrige ses enfants bien-aimés pour les remettre dans le droit chemin et les mener au salut.

La conversion se manifeste par des actes religieux spécifiques. Procope et le rédacteur des miracles de saint Dèmètrios nous montrent les populations touchées se réfugiant spontanément dans les églises123.

118. La thériaque, dont l'invention est attribuée à Mithridate, et dont la plus fameuse recette se trouve chez Galien (De antidotis I, 7), était toujours considérée, au Moyen Âge, comme un remède universel.

119. IBN KHÄTIMA, Tahsil..., f. 66b-67a. 120. Cf. IBN KHÄTIMA, Tahsil..., f. 71b. 121. Ibid., f. 67a. 122. V. MONTEIL, Ibn Khaldun ..., p. 614. 123. PROCOPE, De bello persico, II, 22 ; Mir. Ill, 37. Procope souligne que ni les

prières ni les églises ne protègent du fléau.

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Les habitants de Thessalonique se confient à l'intercession de saint Dèmetrios, ceux d'Émèse à saint Jean-Baptiste, ceux d'Antioche au saint homme Syméon124.

La prière, l'aumône, le jeûne, les processions125, le dévouement au chevet des malades sont autant de thérapeutiques parallèles aux purges et saignées et à l'absorption de chyle de ptisane ou de terre d'Arménie.

* Domaine islamique Les médecins musulmans, dépassés par les ravages de l'épidémie, ont

tous encouragé la population à recourir aux remèdes spirituels. Mais la prévention, recommandée par la religion, passait avant le souhait de mourir de la peste dans le but d'acquérir le rang de martyr. Ibn Khätima expose un hadith très instructif. Le Prophète avait dit : «Ne souhaitez pas rencontrer l'ennemi, mais demandez à Dieu de pouvoir rester dans le bien-être»126. Ibn Hagäla, reprenant ce hadith, ajoute que le Prophète préférait la voie de la grâce, qui passe par la prévention, à celle de la souffrance par la peste ou d'autres malheurs127, même si les souffrances ont valeur de martyre pour le mort de la peste.

C'est parce que les médecins sont incapables de repousser la peste qu'ibn Hağar s'efforce de démontrer les vertus de la résignation et de la confiance en Dieu, pour atteindre la miséricorde128 ; la seule condition pour atteindre le but suprême du martyre est de ne pas fuir la peste, conformément au hadith du Prophète. Il suffit d'y songer, sans souhaiter mourir de la peste pour autant. Si celui qui meurt de la peste dans cet état d'esprit est considéré comme un martyr, c'est qu'un pestiféré, qui n'a pu lutter contre la douleur et la mort, faute de remède efficace sur terre, mérite un sort heureux au paradis129.

Cette idée des martyrs de la peste fit son chemin parmi les populations musulmanes130. On ne saurait voir dans cette disposition religieuse une terreur collective causée par la pandémie. Au contraire, la foi a converti une panique en conviction religieuse qui ne remplace pas les remèdes prophylactiques, mais les complète quand ils s'avèrent inefficaces.

Les épidémies furent aussi les occasions de multiplier les rassemble­ments religieux. Ce qui favorisa incontestablement leur propagation. Mais l'utilité attendue de ce genre de rassemblements restait purement spiri-

124. Mir. ΠΙ, passim; MICHEL LE SYRIEN, Chronique, IX, 28, éd. CHABOT, t. II, p. 240 (de Zacharie le rfiéteur) ; Vie de saint Syméon Stylitě le Jeune, 69-70. À Rome en 680, c'est saint Sébastien qui arrête la peste lorsqu'on dresse un autel en son honneur dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens et qu'on y insère ses reliques {Historia Longobardorum VI, 3).

125. Cf. GRÉGOIRE PALAMAS, Homélie 39, PG 151, 485-496. 126. IBN KHÂTIMA, Tahsïl..., f. 90. L'ennemi en question est la peste, dit-il. 127. IBN ABÎ HAGÄLA, Daf an-niqma..., f. 6. 128. Ibid., f. 56. 129. Ibid., f. 51-52. 130. En tout état de cause, les mentions écrites sont quasi absentes des manuscrits

consultés.

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tuelle, d'où l'expression arabe qirä at al-lafif (lecture spirituelle d'apaise­ment)131 de tradition orale. C'est la formule répétée en cas de calamité. Ainsi, ibn Khâtima, médecin résigné, abandonne le discours médical, en l'absence de remède contre la peste, surtout sous sa forme pneumonique. Son but est d'apporter un soutien moral aux fidèles de la grande mosquée d Almeria : «Face à la tragédie qui perturba le cours du jour et de la nuit, le seul devoir qui reste est celui de s'adresser à Dieu et de l'invoquer afin qu'il repousse la calamité : le grand mal ne peut être repoussé que par le Grand Puissant»132.

Pour mieux se justifier, il déclare : «Dans l'épidémie il y a un peu de la colère de Dieu Tout Puissant»133. Il rapporte une nouvelle fois ses propres faits et gestes : «J'ai opté dans ce sens dans mes paroles, pour les notables et pour la masse, les jours de mes allocutions à la grande mos­quée d'Almeria. Que Dieu la garde tout au long de cette calamité, et après tous mes efforts, je n'ai trouvé pour leur repos et leur guérison que les vertus de Dieu le Très Puissant»134.

Le choc de l'épidémie, la panique et l'angoisse conduisirent les fidèles de toutes confessions, juifs, chrétiens ou musulmans, à recourir à des pratiques religieuses particulières. Car plus que tout, les pestiférés crai­gnaient la mort solitaire et abandonnée, sans personne pour effectuer le travail du deuil nécessaire au repos de leur âme135. La chronique d'ibn abï Zar' (mort en 1326) reflète cet état d'esprit: «En l'année 571/1175, il y eut une peste violente à Marrakech, les gens en mouraient sans être malades. Personne ne sortait sans inscrire son nom, son origine et son lieu de provenance sur un papier qu'il mettait dans sa poche ; en cas de décès on le transportait chez lui, dans sa famille. Le nombre de morts a atteint à Marrakech le chiffre de 1700 personnes»136.

L'exemple suivant est du Machrek du 14e siècle, durant la peste noire. La persistance de la maladie poussa tous les habitants de Damas à sortir dans les rues de la ville en procession. La scène est décrite par le voya­geur venu du Maghreb ibn Battuta, qui fut le témoin oculaire de l'évolu­tion de la maladie : «J'ai vu dans les jours de la grande peste à Damas à la fin du mois de second de l'année quarante-neuf (juillet 1348), un témoignage du respect des habitants de Damas pour cette mosquée... : le roi des émirs, lieutenant du sultan, Arghun-Châh, ordonna à un crieur de proclamer dans Damas que tout le monde eût à jeûner pendant trois jours et que personne ne fît cuire dans les marchés rien de ce qui sert à la nour­riture de l'homme tout le long du jour (or, à Damas, la plupart des habi-

131. M. MELHAOUI, Processions en Islam occidental médiéval au temps de la calamité : sécheresse et peste, Sources, Travaux Historiques 51-52, 1997, p. 110.

132. IBN KHÂTIMA, Tahsil..., f. 85b. 133. Ibid., f. 84b. 134. Ibid., f. 85b. 135. J. CHIFFOLEAU, La mort, la peste et l'au-delà, L'Histoire , février 1994, ρ. 8. 136. IBN ABl ZAR', Al-anîs al-mutrib bi-rawd al-qartăs (La fable mélodieuse du jardin

des feuillets), Rabat 1973, p. 398.

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tants ne mangent que ce qu'on prépare dans les marchés). Les Damasquins jeûnèrent trois jours consécutifs, dont le dernier était un jeudi. Ensuite les émirs, les chérifs, les kadhîs et les autres ordres se réunirent tous pêle-mêle dans cette mosquée principale, au point qu'elle fut comble. Ils y passèrent la nuit du jeudi au vendredi, en priant, louant Dieu, et faisant des vœux. Ils firent après cela la prière de l'aurore, et tous sortirent à pied, tenant dans leurs mains le Coran et les émirs étaient nu-pieds. Tous les habitants de la ville, hommes, femmes, petits et grands prirent part à cette procession. Les juifs sortirent avec leur Pentateuque et les chrétiens avec leur Évangile, et ils étaient suivis de leurs femmes et de leurs enfants. Tous pleuraient, suppliaient et cher­chaient un recours près de Dieu, au moyen de ses livres et de ses Prophètes. Ils se rendirent à la mosquée Elakdäm, et ils y restèrent, occu­pés à supplier et à invoquer Dieu, jusque vers le Zaouäl (de midi à trois heures). Ensuite, ils retournèrent à la ville, ils firent la prière du vendredi et Dieu les soulagea»137.

Ce texte montre la mobilisation d'une société, toutes confessions confondues, touchée par la brutalité de l'épidémie. La marche est réser­vée habituellement à la calamité de la sécheresse ; son but cette fois sera de repousser la peste138. De même dans l'Occident chrétien, le pape Grégoire préconisa une procession et une messe lors de la peste qui s'abattit sur Rome en l'an 590139, et Clément VI institua une messe parti­culière pour demander au Ciel la cessation de ce fléau, qui était encore en vigueur au début du 20e s.140.

Ces comparaisons nous semblent utiles pour saisir la portée spirituelle de ces remèdes au temps de la pandémie. Les croyants de toutes les reli­gions monothéistes firent alors appel à leurs valeurs communes, parta­gées par tous les esprits, même les plus rationnels. Ibn KMtima ne cesse de dire qu'il faut prier pour éloigner la maladie, sans se décourager. Il cite le verset 43 de la sourate al-An'äm {Les bestiaux) : «Pourquoi donc, lorsque notre rigueur leur vint, n'ont-ils pas imploré (la miséri­corde)141 ?». Le Prophète, qui priait pour les malades, les handicapés ou les invalides, était l'exemple à suivre pour le médecin imam.

CONVERGENCES ET DIVERGENCES

Au terme de cette étude comparative, on ne peut qu'être frappé des nombreuses convergences entre l'appréhension de la peste par les com-

137. IBN BATTUTA, Voyages, éd. et trad. . DEFEREMERY et B.R. SANGUINETTI, pré­face de S. YERASIMOS, Paris 1990,1.1, p. 234-235.

138. M. MELHAOUI, Processions..., p. 105-113. 139. Docteur H.-H. MOLLARET et J. BROSSOLET, La procession de saint Grégoire et la

peste à Rome en l'an 590, Médecine de France 199, 1969, p. 13-22. 140. J. VlARD, La messe pour la peste, Revue d'érudition de la Bibliothèque de l'École

des chartes 61, 1900, p. 336. 141. Le Saint Coran, p. 132.

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munautés byzantine et musulmane. Si, comme le dit PaulVeyne, la démarche de l'historien est de faire «l'inventaire des différences»142, cet inventaire ne peut se faire qu'une fois inventoriées les convergences.

Convergences

Face à un fléau qui touche indifféremment les populations quelles que soient leur culture et leur conviction religieuse, les deux traditions connaissent deux types de réaction. Un premier courant court-circuite les médiations naturelles et lit la peste comme un événement directement religieux. Ce courant combine la permanence d'une conception archaïque du sacré (pour qui la maladie est provoquée par la colère divine contre une transgression rituelle ou morale) et une interprétation immédiate, «fondamentaliste» dirions-nous aujourd'hui, des textes saints et en particulier de la Bible mais aussi du Coran ou de certains hadiths. Cette réaction peut avoir des conséquences négatives (expulsion des juifs de Sparte, explosions de superstition, culpabilisation des populations) ou positives dans certains cas (conversion des mœurs, en particulier vers une plus grande charité envers le prochain ou les malades).

Un second courant, issu de la tradition médicale grecque reprise par le monde arabe, cherche à discerner la part des causes secondes, sans cependant nier la souveraineté de la cause première qui est en Dieu. Ce second courant se trouve en butte à l'hostilité du premier, qui voit dans ce souci de la rationalité profane une entreprise impie, comme le mon­trent l'attitude de Théodore Agallianos, au 15e s., contre les partisans d'Anastase le Sinaïte, ou les résistances des théologiens intransigeants aux efforts d'ibn al-Khatîb pour établir la contagion.

Cette distinction ne doit cependant pas être trop tranchée, car beau­coup d'auteurs se situent à mi-chemin entre les deux courants : ainsi Dèmètrios Kydonès, qui voit dans la peste l'expression d'une colère de Dieu, ne peut pas être sans autre analyse rangé dans la catégorie des anti­rationalistes, lui qui fut l'un des premiers traducteurs grecs de Thomas d'Aquin. Quant à Anastase le Sinaïte, tenu pour le porte-parole des ratio­nalistes, il n'exclut pas le fait que parfois seule une intervention divine peut expliquer la survenue d'un fléau. De même, tous les médecins musulmans préconisent la prière et la confiance en Dieu quand les autres remèdes ont échoué. En tout état de cause, le recours à des causalités rationnelles n'implique qu'exceptionnellement une contestation de la théologie traditionnelle.

Divergences

À côté de ces convergences, on peut discerner quelques divergences dans l'appréhension de la peste par les Byzantins et les musulmans.

142. P. VEYNE, L'inventaire des différences, Paris 1976.

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124 MARIE-HÉLÈNE CONGOURDEAU — MOHAMMED MELHAOUI

Une première divergence relève de la spécificité de la médecine arabe. Alors que les textes médicaux byzantins s'en tiennent généralement aux descriptions et explications des médecins antiques (qui refusaient la théorie de la contagion), les médecins arabes s'attachent davantage à tirer les leçons de l'observation. Durant la peste noire, les médecins andalous consignèrent un grand nombre d'observations qui permirent une plus grande prise en compte de la contagion. C'est sans doute par le truchement des médecins arabes que les médecins byzantins commencè­rent à tenir compte eux aussi de ce facteur.

On peut aussi rechercher des divergences de nature théologique. En effet, les deux traditions n'ont pas la même conception des relations entre la liberté humaine et la souveraineté divine. C'est d'ailleurs un des thèmes de la polémique des chrétiens byzantins contre l'islam, comme le montre la Controverse entre un ^musulman et un chrétien de Jean Damascène143, qui débute par cette question du musulman au chrétien : «Qui, selon toi, est l'auteur du bien et du mal ?» À quoi le chrétien répond : «Nous disons que Dieu seul est l'auteur de tous les biens, mais Il ne l'est pas du mal». La question est centrale s'agissant de la peste : la réflexion des théologiens byzantins sur la peste s'enracine dans le traité de Basile Que Dieu n'est pas l'auteur des maux. Pour eux, le mal vient d'un mauvais usage de la liberté. À cette liberté, ils opposent le fatalisme des musulmans : si Dieu est l'auteur de tout ce qui existe, le mal comme le bien, c'est lui qui envoie la peste et il n'y a rien à faire pour y échap­per. Mais peut-être n'y a-t-il là que querelle de mots, car si la théologie musulmane fait bien de Dieu la source ultime de tout ce qui advient, l'in­terprétation de la peste non comme un châtiment mais comme une misé­ricorde peut conduire à voir dans ce «fatalisme» une forme extrême de la confiance que préconisent aussi les Byzantins.

Les divergences ne doivent donc pas être majorées. Le christianisme byzantin connaît des réactions fatalistes, et l'islam des réflexions ration­nelles sur la causalité des pestes. Surtout, la différence se situe souvent, non entre les deux traditions religieuses, mais à l'intérieur de chaque tra­dition, entre les réactions populaires et les réflexions des lettrés, comme entre les lettrés eux-mêmes. Enfin, toute l'affaire est piégée à partir du moment où la peste constitue un fléau sur lequel le savoir médical de l'époque, aussi rationnel fût-il, n'avait aucune prise. Il était donc difficile pour les savants de prouver leurs assertions (puisque la médecine demeu­rait impuissante), et la spiritualité restait souvent le seul recours efficace face à un phénomène que nul ne pouvait maîtriser, mais qu'on pouvait essayer de vivre le moins mal possible.

Marie-Hélène CONGOURDEAU (CNRS, UMR 7572) Mohammed MELHAOUI (Docteur en histoire)

143. Cf. JEAN DAMASCÈNE, Controverse entre un musulman et un chrétien, SC 383.

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LA PROMOTION DU CLERC ET DU MOINE À L'ÉPISCOPAT ET AU PATRIARCAT

Albert FAELLER

Summary : George Pachymeres (1242-after 1307), a member of the clergy of the patri­archate, made no secret of his solidarity with his social milieu and displayed the gravest suspicion of monks. He was opposed to their predominance and the virtual exclusivity, which they had acquired with the passage of time, as candidates for the episcopate. He objected particularly to the monastic tonsure as a prerequisite for episcopal consecration. Similarly, he did not hide his preference for patriarchs who had not been monks, or who at least had not received their first ecclesiastical formation from monks. For the historian, John XI Bekkos, in spite of having committed errors, remains the model of the good patri­arch, while Athanasius I, who cast his shadow over each of the other patriarchs of the epoch, personifies the bad pastor.

Georges Pachymérès consacre une bonne partie de ses Relations histo­riques à la vie de l'Église byzantine. Si on isolait les récits dans lesquels des ecclésiastiques interviennent, cela représenterait près de la moitié du volume total de l'ouvrage. Mais l'histoire de l'État et celle de l'Église sont trop intimement imbriquées pour qu'il soit possible et significatif de faire la séparation. Il suffira, pour l'illustrer, d'évoquer certains passages de l'ouvrage où l'on voit l'Église et l'État mener une action commune et contribuer ensemble au résultat final. Citons l'action du patriarche Arsène, qui, après la mort de Théodore II Laskaris, favorise d'abord l'ac­cession au pouvoir de Michel Palaiologos et tolère ensuite la déchéance progressive de Jean Ѵ Laskaris ; citons ensuite le schisme des Arséniates et l'abrogation de l'union de Lyon après la mort de Michel VIII. L'histoire ecclésiastique devient alors une partie et un sec­teur de l'histoire politique. Il suffira néanmoins d'évoquer les ouvrages historiques de Nicétas Chôniatès ou de Georges Akropolitès pour mon­trer qu'un traitement correct des affaires ecclésiastiques n'exigeait pas une telle abondance d'informations. Mais Georges Pachymérès est lui-même un ecclésiastique et il se révèle tel dans son ouvrage. Il est informé, intéressé, engagé ; tout en sauvegardant les apparences d'un récit neutre et objectif, il se révèle personnel. Son œuvre fourmille de

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 125-146.

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remarques personnelles et orientées, parfois données comme telles, plus souvent adroitement habillées et déguisées en déductions logiques ou en remarques de bon sens.

Aussi convient-il d'avoir à l'esprit la personnalité de l'historien, son milieu social, sa culture, ses convictions religieuses et politiques, pour percevoir le sens et la portée de son récit. Si l'histoire de l'Église byzan­tine pendant les cinquante années (1258-1307) qu'il décrit dans son ouvrage y prend une telle importance et y est rapportée avec tant d'atten­tion et de précision, c'est qu'il est l'un des acteurs de cette histoire. S'il brosse avec soin le portrait — et parfois les portraits — des patriarches successifs, c'est qu'il fut leur collaborateur direct. Il appartenait lui-même à l'une de ces familles qui fournissaient les cadres de l'Église de génération en génération. Il a été initié au service de l'Église et du patriarche par son propre père, dont il rappelle la mémoire, en évitant naturellement toute connotation affective. Le clergé patriarcal, regroupé autour de Sainte-Sophie, constituait l'armature de l'administration ecclé­siastique tant de l'éparchie de l'évêque de Constantinople que des ser­vices synodaux, de la même manière que la curie autour du pape de Rome.

1. LES MOINES ET LES CLERCS

Les clercs patriarcaux jouaient un rôle important, mais subalterne, car l'initiative de l'action leur échappait. Ils étaient les employés du patriarche. Georges Pachymérès fait preuve d'esprit de corps en leur donnant dans son Histoire une place privilégiée et sans doute dispropor­tionnée par rapport à leur influence réelle. L'historien montre bien qu'ils pouvaient seulement s'opposer, résister, se rebeller, mais qu'ils n'avaient pas beaucoup de poids sur la décision. Lorsqu'il met en scène les deux pôles de la vie ecclésiastique, c'est-à-dire le clergé et le monachisme, il montre où vont son intérêt et sa préférence. Bien sûr, il ne peut mécon­naître le rôle dévolu aux moines, considérés comme les vrais gardiens spirituels de l'empire. Il ne dénigre jamais la grandeur de leur vocation, mais il évoque volontiers leur ignorance ou leur intolérance. Le schisme des Arséniates lui donne l'occasion de noter les dérives traditionnelles du monachisme. Membre du clergé patriarcal, Georges Pachymérès décrit assez bien et assez précisément les divers événements de la vie de l'Église pour mériter le titre d'historien ecclésiastique.

Cela dit, il faut remarquer que la majeure partie du clergé était consti­tuée par le clergé paroissial, qui était la vraie base de l'Église, mais qui est totalement absent du récit de l'historien1. Le clergé que celui-ci décrit

1. Dans ce domaine, il ne fait que suivre la voie commune, car peu de documents exis­tent sur l'organisation et l'activité des paroisses. L'importance de ce clergé séculier et marié apparaît dans les actes du patriarche Calliste relatifs à l'institution des exarques dans les paroisses de Constantinople en 1350 (J. DARROUZÈS, Regestes, n° 2319 et 2402).

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est ainsi amputé de sa masse, car il mentionne seulement le haut clergé de la capitale, qui assure l'administration de l'Église et règle la vie pas­torale, tout en assurant certaines tâches liturgiques. Quant au clergé impérial, il relevait directement de l'empereur, mais restait néanmoins sous la juridiction ecclésiastique du patriarcat2. L'historien ignore pareillement l'épiscopat des éparchies, c'est-à-dire les évêques suffra­gante, qui, nommés par le métropolite, jouaient un rôle exclusivement pastoral et ne devaient guère quitter leur diocèse. Dans toute l'Histoire apparaissent seulement trois évêques suffragante, d'ailleurs désignés par la seule mention du siège : ce sont les titulaires de Kozylè en Epire, de Marmaritzia en Thessalie, de Panion en Thrace. L'historien réduit le plus souvent le clergé aux deux composantes essentielles de la hiérarchie ecclésiastique : le clergé patriarcal et le synode patriarcal, qui rassemblait autour du patriarche les métropolites et les archevêques3. L'organe prin­cipal de l'Eglise était le synode, dont les membres élisaient leurs pairs et choisissaient le patriarche, dans la mesure où l'empereur leur en donnait la latitude. Le synode veillait sur le dogme et la discipline. Georges Pachymérès ne mentionne nommément qu'un nombre réduit de syno­daux, se contentant le plus souvent de citer les grandes figures. Il montre d'ailleurs la même discrétion dans la mention nominale des membres du clergé patriarcal, même s'il s'étend sur ses attitudes, ses malheurs, son rôle ou son dévouement.

La distinction entre moines et clercs n'est évidente qu'en apparence. Sont clercs tous ceux qui ont reçu un ordre sacré : lectorat, diaconat, presbyterát, episcopat. Si les moines n'appartiennent pas au clergé, ceux d'entre eux qui ont reçu un ordre sacré rentrent en quelque sorte dans le clergé, tout en gardant leur marque monastique : ce sont les hiérodiacres (moines diacres) et les hiéromoines (moines prêtres).

Si la désignation des moines ne prête pas à confusion, les vocables appliqués par Georges Pachymérès aux clercs n'ont pas toujours la même évidence. La distinction entre clerc impérial et clerc patriarcal ne fait pas difficulté : elle renvoie aux deux clergés cités plus haut. Mais l'expression «dignitaires de l'Église»4 est ambiguë et ambivalente : elle peut s'appliquer aux dignitaires ecclésiastiques de manière générale, et

2 Cette dépendance apparaît dans l'incident qui opposa Michel VIII au patriarche Arsène et à Jean Bekkos à propos d'un manage célébré par un clerc impénal sans l'auton-sation préalable du chartophylax, voir GEORGES PACHYMÉRÈS, Relations historiques, III, 24 A Failler, Ι, ρ 2978 a [Dans la suite de l'article, les renvois à l'histonen compren­dront seulement la référence au volume et à la page de la nouvelle édition Une même référence simplifiée accompagnera les citations de Georges Akropohtès (édition de A Heisenberg), de Théodore Skoutanôtès (même édition) et de Nicéphore Grègoras (édi­tion de Bonn) ]

3 De manière plus épisodique apparaît le clergé impénal, dont les notables constituent une sorte de Conseil ecclésiastique de l'empereur Georges Pachymérès mentionne, en particulier, trois personnalités importantes de ce corps ' Constantin Méhtèmôtès, Georges Métochitès et Georges le Chypnote

4 L'expression (οί της εκκλησίας) est employée fréquemment dans l'Histoire

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elle englobe alors les métropolites et archevêques du synode et le haut clergé patriarcal et impérial ; mais elle désigne habituellement les seuls clercs du patriarcat, qui dirigent l'administration et assurent le service liturgique de Sainte-Sophie, l'église patriarcale5. C'est le coips social auquel appartient le narrateur lui-même, et le traitement qu'il lui réserve dans son ouvrage apparaît privilégié par rapport à son importance réelle. Les membres de ce corps sont désignés à l'occasion par l'expression ambiguë qu'on vient de signaler, mais plus souvent ils sont appelés, de manière plus claire, «membres du clergé», «archontes de l'Église», «notables»6.

Une fois ces remarques faites qui touchent à la terminologie, on voit apparaître à travers l'Histoire une rivalité constante entre deux classes d'ecclésiastiques : les moines et les clercs. Rivalité traditionnelle, il est vrai, surtout depuis que les moines ont pris une place prédominante dans le gouvernement de l'Église après l'Iconoclasme et à partir du patriarcat de Taraise (780-806) en particulier. Solidaire de son corps social, l'histo­rien défend les privilèges des clercs et accuse les moines d'outrepasser leur rôle et d'usurper les droits des clercs.

Un passage de l'Histoire illustre à mots couverts l'intrusion des moines dans le clergé. Le fait qui est signalé paraît ténu en lui-même, mais il peut avoir une portée symbolique considérable. Il s'agit de la ton­sure monastique devenue un préalable à l'ordination episcopale d'un clerc — ou d'un laïc — élu évêque. D'une telle cérémonie, on pouvait déduire que Γ episcopat était réservé aux moines, et son usage répété pouvait conduire les esprits à considérer que l'état monastique était plus noble que l'état clérical. Exprimée en passant et en manière d'incise, qu'à ce titre le rédacteur de la Version brève de l'Histoire a d'ailleurs omise en toute logique, la remarque de Georges Pachymérès vaut d'être relevée. L'historien introduit le thème de manière subtile et vague. À propos de l'ordination d'un métropolite de Brousse, il écrit7 :

«Nicolas Amageireutos, qui prit chez les moines le nom de Néophyte, fut proclamé proèdre de Brousse. Ceci était posé comme règle chez eux, bien que ce ne fût pas indispensable selon les autres : se tenir aujourd'hui devant Dieu et les anges et demander les règles de l'ordre monastique, puis ordonner évêque le lendemain celui qui s'était placé sous l'obéis­sance, une chose qui paraissait elle-même reprehensible à un grand nombre.»

5. Les notices des offikia de la Grande Église, étudiées et éditées par J. DARROUZÈS (Recherches sur les offikia de l'Église byzantine, Paris 1970), attestent par leur nombre l'importance de l'institution et du rôle des archontes ecclésiastiques. Malgré l'abondance des notices normatives, peu de listes réelles ont été conservées ; voir ibidem, p. 529-533.

6. Soit les expressions suivantes, qu'on peut repérer dans l'Index de Pachymérès : οι του κλήρου, οί άρχοντες της εκκλησίας, οι περιφανείς της εκκλησίας, οι προύχοντες της εκκλησίας, οί πρωτεύοντες της εκκλησίας, οι τίμιοι της εκκλησίας ou τοο κλήρου.

7. PACHYMÉRÈS, III, p. ΙΟΙ6"11.

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LA PROMOTION À L'ÉPISCOPAT 129

L'historien affirme que le rite de la vêture monastique était considéré par les moines comme le préalable de l'ordination episcopale, alors qu'on le tenait généralement pour simplement facultatif8. Il en ressort que l'habitude s'était imposée et que le rite était pratiqué dans la plupart des cas, quelque opinion qu'on nourrisse sur son obligation canonique. L'historien ne contredit d'ailleurs l'opinion commune que du bout des lèvres, tout en se permettant de dénoncer la fragilité de son fondement, car il affirme ne pas voir de lien entre l'entrée dans la vie monastique et la prise en charge d'un diocèse. Tel qu'il est pratiqué, le rite laisse penser que l'entrée dans la vie religieuse précède et conditionne l'ordination episcopale. Cela revient à réserver l'épiscopat aux moines. Georges Pachymérès vise à minimiser la portée et la généralisation du rite, dont il dénonce l'illogisme en soulignant l'immédiateté, par rapport à la vêture monastique, de la consécration episcopale, qui se fait dès le lendemain. Il se place ainsi parmi le «grand nombre»9, à qui semblait reprehensible non le rite lui-même, mais l'immédiateté de l'ordination episcopale. C'est, en quelque sorte, un fait aggravant : la cérémonie devenait d'au­tant plus dérisoire que l'ordination avait lieu dès le lendemain. Dans ce cas, en effet, l'impétrant entrait dans la vie monastique, mais ne l'exer­çait pas, puisque dès le lendemain il devenait évêque. Il émettait des pro­messes dont il allait être délié en quelque sorte dès le lendemain, au moment de l'ordination episcopale. L'historien mentionne nommément le vœu d'obéissance10.

La vêture monastique devient ainsi un passage obligé sur le chemin de l'épiscopat, bien que purement symbolique, éphémère et apparemment artificiel. Le rite s'est mis en place progressivement. Dès le 4e siècle, le lien qui s'établit entre episcopat et célibat contribue à donner plus d'éclat à la condition monastique, puisque les moines font vœu de chasteté, alors que la grande majorité du clergé est mariée. Ce lien est renforcé au 6e siècle par la législation justinienne, qui réserve l'épiscopat à l'homme célibataire et sans descendance. Après les querelles de l'Iconoclasme, il devient encore plus naturel que les moines, qui sont apparus comme les meilleurs défenseurs de l'orthodoxie, soient promus aux plus hautes charges de la hiérarchie pour garantir la foi. L'état monastique est devenu ainsi un préalable à la consécration episcopale, comme le confirme un texte du concile de Sainte-Sophie de 879u. Mais ce n'est

8 Le pronom έκείνοις (ibidem, ρ 1018) ne peut en effet représenter que les moines, qui ont en la matière une opinion propre, rejetée par tous «les autres» (κατά τους άλλους ρ ΙΟΙ8)

9 Ibidem, ρ 101π (δ 6ή και. αύτο έδόκει πολλοίς έπιλήψιμον) 10 Ibidem, ρ ΙΟΙ10 (τον εις ύποταγην ταχθέντα) L'obéissance (υπακοή ou υποταγή)

est l'un des trois vœux monastiques, ou plutôt — pour éviter une terminologie occidentale et rester fidèle au vocabulaire de l'Orient — l'une des trois promesses (υποσχέσεις) monastiques, voir Ρ DE MEESTER, De monachico statu luxta disciplinam byzantinam sta­tuta selectis fontibus et commentants instructa, Vatican 1942, p. 50 (n° 116, § 4) et 372

11 Le métropolite de Chalcédoine affirme en effet qu'«en Orient, à moins d'avoir été tonsuré en Christ, on ne devient pas évêque ou patriarche» (εις την άνατολήν ει μη εστί

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qu'un usage, car aucune disposition canonique ne traite du sujet ; de7

même, aucun des grands commentateurs des canons ne touche la ques-^ tion. Fût-il devenu universel, on ne donne à cet usage aucun fondement théologique ou ecclésiologique. Syméon de Thessalonique est lui-même discret sur la question. Il n'en fait pas état dans son exposé «sur les saintes ordinations». Il ne mentionne qu'en passant, et cela dans un autre traité, l'usage désormais établi de la tonsure monastique avant l'ordina­tion episcopale: dans le traité «sur la pénitence», il présente la vie monastique comme le modèle de la pénitence12 et il consacre alors un bref passage à la question. Voici le texte du chapitre où il mentionne la vêture monastique de l'évêque élu13 :

«Pourquoi la plupart du temps ceux qui sont promus aujourd'hui à l'épis-copat se font d'abord moines. C'est pourquoi l'Église du Christ revêt d'abord de ce divin habit la plu­part de ceux qui viennent d'être promus à l'épiscopat et les fait ainsi évêques, en leur assurant, par l'habit très saint et sacré, la plus grande et sainte des saintetés.»

L'archevêque de Thessalonique laisse entendre que le rite n'était pas imposé dans tous les cas14. La vêture monastique, qu'il assimile à un second baptême15, prend le sens d'une purification parfaite à la veille de l'accession à l'épiscopat. Ajoutons que le même auteur place le moine au-dessus du prêtre16 :

«Supérieur est, au contraire, l'état monastique au prêtre séculier, comme le dit Denys, non selon le sacerdoce, mais selon la vie.»

Ajoutons que l'ordination episcopale de Néophyte Amageireutos, le métropolite de Brousse, intervint en 1285, à un moment où, après l'abro­gation de l'union des Églises romaine et grecque, les moines avaient

τις κεκαρμένος έν Χρίστο, επίσκοπος η πατριάρχης ού γίνεται MANSI 17Α-18Α, col 457E1 3) La question de la tonsure monastique comme préalable à l'ordination episco­pale est clairement exposée dans l'étude de Ρ L'HUILLIER, Episcopal Celibacy in the Orthodox Tradition, St Vladimir's Theological Quarterly 35, 1991, ρ 271-300

12 PG 155, 4 8 9 ^ , voir aussi ibidem, 197A B

13 PG 155, 489CD Aucun texte normatif ne traite de cet usage, au point que le manuel où sont soigneusement réunis tous les textes afférents contient à peine quelques lignes et quelques références sur la question (P DE MEESTER, op cit, ρ 389, n° 1,4)

14 Ρ L'HUILLIER {art cit, ρ 291) semble avoir compris autrement ce passage, puis­qu'il écrit «Symeon of Thessalonica (d 1429) notes that almost all the candidates to the episcopacy are selected from among the monks When it rarely happens that the candi­dates are not monks, they pronounce monasUc vows before their consecration » Mais Syméon de Thessalonique prend apparemment en compte dans ce passage les seuls évêques élus qui ne sont pas encore moines et, pour montrer la dignité de l'état monas­tique, il souligne que même eux reçoivent la tonsure monastique avant la consécration episcopale, du moins de manière générale II sous-entend ainsi, rejoignant l'affirmation de Georges Pachymérès, que l'oblıgaüon n'était m établie en droit ni uniformément obser­vée

15 PG 155, 673B1° δεύτερον έστι βάπτισμα, écrrt-il à propos de la vêture monastique faite à l'article de la mort ; voir aussi PG 155, 493A8

16 PG 155, 881D1 3

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toute latitude pour imposer leurs conceptions de la vie religieuse ou ecclésiastique. C'est dans les mêmes circonstances que, deux ans plus tôt, fut élu patriarche Georges le Chypriote, qui n'était évidemment pas le candidat des moines. L'historien rappelle expressément que le nou­veau patriarche reçut la tonsure monastique, que ce fût pour suivre une habitude désormais établie ou pour complaire aux moines ; il souligne ici encore la rapidité des opérations successives : le même jour, de laïc qu'il était Georges le Chypriote se fit moine, de lecteur il fut ordonné diacre, puis il reçut la promotion impériale au patriarcat17.

D'autres réflexions de l'historien pourraient être relevées. Citons seu­lement le passage où il rapporte l'attitude de Nicéphore II à son lit de mort: malgré l'exhortation du moine Théodose de Villehardouin, le patriarche refusa de revêtir l'habit monastique, protestant qu'il entendait mourir en évêque18. En rappelant ce fait, l'historien entend probablement souligner que tous n'acceptaient pas les prétentions des moines et l'obli­gation de la vêture monastique. Cela implique également que Nicéphore II n'avait pas reçu la tonsure monastique plus tôt dans sa vie, c'est-à-dire à la veille de sa consécration episcopale.

Georges Pachymérès insiste davantage sur un autre point, qui était plus actuel et qui semble le toucher de plus près. À plusieurs reprises, il évoque la concurrence qui existait entre moines et clercs pour l'accès à Γ episcopat et il soutient lui-même la revendication des archontes ecclé­siastiques, qui entendaient bénéficier eux aussi de telles promotions, alors que les moines avaient indûment pris le pas sur les clercs. L'exposé le plus explicite à cet égard est fait à propos du patriarche Jean XII19, l'ancien moine Kosmas. Le clergé patriarcal, qui se sentait lésé depuis de nombreuses années, espérait que l'arrivée sur le trône patriarcal d'un ancien clerc, qui, de plus, avait donné auparavant des assurances au clergé patriarcal et jugé «injuste et absolument anticanonique le traite­ment réservé aux dignitaires de l'Église», changerait les habitudes intro­duites dans l'Église au profit des moines et au détriment des clercs. Une sorte de «sanction tacite» était portée contre les clercs, car les sièges épiscopaux étaient attribués exclusivement aux moines, alors que la tra­dition avait assuré jusque-là aux archontes ecclésiastiques les plus méri­tants une promotion normale à l'épiscopat. Mais, une fois en place, Jean ΧΠ oublia ses convictions et ses promesses antérieures. De plus, le patriarche allait décevoir les archontes par une autre mesure qui devait les léser à nouveau : il accepta de signer une loi sur les ordinations20, aux termes de laquelle «tout le manque à gagner retombe non sur les signa­taires, mais sur les clercs, de sorte que, si les uns étaient liés par leur

17. PACHYMÉRÈS, III, p. 5527"29. Voir ci-dessous, p. 145. ÉPHREM (vers 10346 : PG 143, 377) note également que, avant d'être consacré évêque, Grégoire reçut, selon l'usage, l'initiation monastique (Τα των μονάχων πριν τελεσθείς, ώς Ѳ ).

18. PACHYMÉRÈS, I, p. 1798-10. 19. IDEM, III, p. 209^24. 20. IDEM, III, p. 225123.

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engagement, ce sont les autres qui, fût-ce à contrecœur, remplissaient l'engagement de ceux-ci.»

Une lettre du patriarche Athanase attribue aux archontes ecclésias­tiques la même revendication d'accès à Γ episcopat21. Plutôt favorable aux moines, le patriarche se garda évidemment d'y répondre. Mais la longue lettre de récriminations adressée au même patriarche par les archontes ecclésiastiques en 1307 et reproduite par Georges Pachymérès à la fin de son Histoire22 ne mentionne pas expressément cette requête et s'en tient à des demandes plus pratiques et plus immédiates : les plaintes des archontes ecclésiastiques portaient plutôt sur les obligations profes­sionnelles qu'on leur imposait et sur les privations de ressources aux­quelles on les soumettait.

Ces réflexions répétées sur la possibilité, pour les archontes patriar­caux les plus brillants et les plus méritants, d'accéder à l'épiscopat mon­trent que Georges Pachymérès avait pour la question un intérêt prononcé. Il était lui-même assez bien situé sur l'échelle des dignités et il avait sans doute un état de services assez remarquable pour prétendre à un tel hon­neur. Les archontes ecclésiastiques se voyaient évidemment attribuer les grands sièges métropolitains, non les évêchés suffragants, qui étaient pourvus par le chef de l'eparchie à l'intérieur de sa circonscription. La promotion de Théodore Skoutariôtès, qui occupait à peu près la même place que Georges Pachymérès sur l'échelle des dignités (le premier était sakelliou et dikaiophylax, le second prôtekdikos et dikaiophylax), peut servir de modèle pour imaginer quelles promotions recevaient, en temps normal, les archontes supérieurs de Sainte-Sophie ; Théodore Skoutariôtès fut nommé à un siège prestigieux, celui de Cyzique, que les Notitiae des évêchés placent au cinquième rang des éparchies. Le récit de l'historien laisse supposer que, en d'autres temps, le corps des archontes de Sainte-Sophie constitua un vivier de futurs évêques ou, plus précisément, de métropolites23.

2. L'ORIGINE MONASTIQUE OU CLÉRICALE DES PATRIARCHES

Mais l'un des apports les plus originaux de l'Histoire, dans le domaine ecclésiastique, réside dans les portraits des patriarches que dessine l'écri­vain. En insistant sur l'origine cléricale ou monastique des titulaires, l'historien sépare clairement les deux corps et marque l'importance que revêtent à ses yeux l'origine des hommes et l'empreinte de leur forma­tion ecclésiastique.

21. V. LAURENT, Regestes, n° 1764. 22. PACHYMÉRÈS, IV, p. 707-709, 715-725. 23. En corollaire se pose la question de la condition familiale des clercs de Sainte-

Sophie qui pouvaient aspirer à l'épiscopat, étant donné que le célibat était une condition requise. Rapportant le sort tragique d'un archonte de l'Église, PACHYMÉRÈS (IV, p. 42122) précise que ce diacre gardait le célibat.

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LA PROMOTION À L'ÉPISCOPAT 133

Durant la période de cinquante années qu'embrasse l'Histoire, huit patriarches se sont succédé sur le siège de Constantinople ; deux d'entre eux l'occupèrent à deux reprises. Voici la liste des titulaires, accompa­gnée de la mention de leurs antécédents ecclésiastiques :

- Arsène Ier Autôreianos (1255-1259 et 1261-1265), moine. - Nicéphore II Pamphilos (1259-1260), clerc, métropolite d'Éphèse. - Germain (1265-1266), moine, métropolite d'Andrinople. -Joseph Ier (1266-1275 et décembre 1282-mars 1283), clerc, puis

moine. - Jean XI Bekkos (1276-1282), clerc, chartophylax. - Grégoire II le Chypriote (1283-1289), clerc, prôtoapostolarios. - Athanase Ier (1289-1293 et 1303-1309), moine. - Jean (1294-1303), clerc, puis moine sous le nom de Kosmas. Cette liste révèle un certain équilibre concernant l'origine des

patriarches : cinq viennent du monachisme (Arsène Ier, Germain III, Joseph Ier, Athanase Ier, Jean XII), mais deux d'entre eux (Joseph Ier et Jean XII) ne sont devenus moines que sur le tard et ont reçu leur forma­tion dans le clergé ; les trois derniers (Nicéphore II, Jean XI, Grégoire ) viennent du clergé, plus précisément du haut clergé de l'administration patriarcale ou impériale. Dans les portraits qu'il trace des patriarches, généralement au moment de mentionner leur élection au siège, Georges Pachymérès évoque leur origine, leur niveau d'instruction ou de culture.

Commençons par les trois patriarches qui sont de formation purement monastique. Deux d'entre eux, Arsène Ier et Athanase Ier, ont joué un rôle aussi important que controversé, au cours de deux mandats, qui couvrent huit années pour le premier et dix années pour le second. Le troisième, Germain , n'a rempli la charge patriarcale qu'un an et a laissé un sou­venir plus fugace. Voyons ce que dit l'historien de chacun d'eux.

D'Arsène Autôreianos, Georges Pachymérès ne présente pas de por­trait général, pour la raison qu'il le trouve déjà en place là où il situe le commencement de son récit, alors que le portrait du patriarche accom­pagne le plus souvent le récit de son élection. En lieu et place d'un por­trait général, on doit se contenter d'indications éparses dans les passages qui le concernent. Arsène avait pris l'habit au monastère d'Oxeia24. Si Georges Akropolitès, partisan aveugle de Michel ѴІ et pourfendeur de ses ennemis, présente Arsène comme peu instruit25, Théodore Skoutariôtès, qui vécut auprès de lui26, lui prête ici une bonne éduca­tion27, mais tempère là ce jugement, en admettant que, doué pour les lettres, il sacrifia les études à l'ascèse monastique28. Georges

24. IDEM, II, p. 35322 24 ; SKOUTARIÔTÈS, p. 2905 6. 25. AKROPOLITÈS, p. 1076"8. Il est suivi par GRÈGORAS (Ι, ρ 5518) et par ÉPHREM

(vers 8973 : O. Lampsidès, p. 317). 26. SKOUTARIÔTÈS, p. 301 27. IDEM, p. 29021 23

28. IDEM, p. 29915"23. Un Discours prononcé en son honneur donne la même version impatient de se faire moine, Arsène interrompit Ρέγκύκλιος παιδεία, dont il suivait les

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Pachymérès, qui signale son activité de copiste29, ne porte aucun juge­ment sur son niveau de culture. Tous les historiens mentionnent la préci­pitation, proche de l'irrégularité canonique, qui caractérisa son ordina­tion30. Cela étant, Georges Pachymérès porte un jugement plutôt positif sur la personne du patriarche Arsène, qui pécha par naïveté et indécision face à l'ambition de Michel ѴІ . Il souligne qu'Arsène se montra parti­san de Michel Palaiologos dès la mort de Théodore II Laskaris31, sans voir le danger que pouvait constituer sa prise de pouvoir. Quand Arsène devint enfin ferme, il était trop tard. L'historien reconnaît la sainteté du personnage et montre, au moins tacitement, ses sentiments d'admiration pour lui en narrant la visite qu'il lui rendit à Proconnèse en juillet 126532.

Plus que son prédécesseur, Germain III avait, selon Georges Pachymérès, toutes les qualités d'un bon patriarche, et cela bien qu'il fût moine33. Disciple du patriarche Germain , il avait pratiqué la vie monastique à la montagne Noire en Syrie. Ce n'était pas un lettré, mais il admirait les intellectuels et s'efforçait de les promouvoir. En conclusion, l'historien écrit34 :

«Ce n'était pas un savant, mais il portait aux savants le respect qui convient, aimait entendre discourir et s'en montrait un amateur pas­sionné, de sorte qu'il possédait lui-même la moitié de la beauté.»

C'est par amour des lettres qu'il assura la promotion de Manuel Holo-bôlos et le chargea de la formation des futurs cadres administratifs de

cours à Nicée sous la direction de Kastamonitès (P. G. NIKOLOPOULOS, 'Ανέκδοτος λόγος εις 'Αρσένιον Αύτωρειανον πατριάρχην Κωνσταντινουπόλεως, EEBS 45, 1981-1982, ρ. 452-453).

29. PACHYMÉRÈS, II, p. 3512528. 30. AKROPOLITÈS (p. 10710"13), qui est naturellement le plus sévère, affirme que tout fut

réglé en un seul jour. SKOUTARIÔTÈS (p. 29145) atténue la dureté du propos et affirme qu'Arsène, qui n'avait reçu aucun ordre auparavant (Akropolitès le dit ανίερος : p. 1078), fut fait diacre et patriarche en une semaine. Nicéphore Blemmydès, Georges Pachymérès et Nicéphore Xanthopoulos ou encore Ephrem parlent de trois jours ; voir PACHYMÉRÈS, I, p. 1651*2, avec la note 1, p. 164. Jean Cheilas (J. DARROUZÈS, Documents inédits d'ecclé­siologie byzantine, Paris 1966, p. 40912 et n. 3) se contente de signaler, sans autre préci­sion, l'irrégularité des ordinations. L'auteur du Discours en l'honneur d'Arsène (éd. citée, EEBS 45, 1981-1982, p. 460321325) admet pudiquement qu'il reçut tous les ordres en peu de temps (κατά μικρόν).

31. PACHYMÉRÈS, I, p. 111,4-22. 32. IDEM, II, p. ѴІ^- ??25. PACHYMÉRÈS (p. 373'4-'6) affirme qu'il fut «entraîné de

force et sur ordre impérial, mais en même temps», admet-il, «du moment que je me ren­dais auprès de lui, en partie consentant». Que veut-il dire exactement ? 11 regrette de s'être laissé entraîner dans une opération malhonnête, car l'empereur, qui était sans doute convaincu de l'innocence de l'ancien patriarche, cherchait simplement à l'humilier davan­tage. Il était donc peu glorieux de participer à l'opération. La tempête et le tremblement de terre sont le signe que Dieu condamne la démarche. S'il faisait partie de la délégation, Georges Pachymérès gardait l'estime d'Arsène, même s'il n'approuvait pas l'action d'Arsène et des Arséniates.

33. Voir PACHYMÉRÈS, II, p. 363ls-3694. 34. IDEM, II, p. 36327"29. Le tomos d'élection (édité par I. SYKOUTRÈS, EEBS 9, 1932,

p. 1803"5) lui attribue «scienceecclésiastique» et «expérience pratique».

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l'Église35. Quoique moine, il avait le sens de la vie publique, il ne se ren­fermait pas dans l'ascèse, mais il aimait la vie sociale et il était un homme tolérant. C'est le premier antiportrait du futur patriarche Athanase que l'historien esquisse ici, et il s'en ouvre d'ailleurs claire­ment36 :

«La vertu que l'homme avait en partage n'était pas de celles que loue­raient les gens d'aujourd'hui, ou plutôt ceux qui s'estiment supérieurs aux autres, qui chicanent sur les aliments et les boissons, fixent pour cha­cun d'eux des jours appropriés contre toute convenance, préfèrent aller par les rues à pied et pas à pas, ne se lavent pas les pieds, dorment par terre et n'ont qu'une tunique, mais qui placent au-dessous de cela la miséricorde et la charité, voire même la philanthropie et la compassion et, pour tout dire, le discernement ce sont là gens au cœur sec, critiques envers les autres et geignards, choisissant de s'approprier exclusivement la vertu, quoi que les autres puissent faire À l'opposé, sa vertu à lui était vraiment humaine, celle qui est la marque de l'homme véritable, surtout de celui qui est au pouvoir, chez qui la modération des passions est plus utile que l'insensibilité si on ôte de sa vie le discernement, d'un coup on a ruiné le tout »

En un mot, Germain possède toutes les qualités qui manqueront, vingt-cinq ans plus tard, au patriarche Athanase37. L'historien mentionne à nouveau plus loin son esprit de tolérance, qui le guida dans ses rapports avec son successeur, le patriarche Joseph, qui n'eut pas le même doigté38. Mais Germain tomba rapidement en disgrâce et, pour l'éloi­gner, on mit en avant son transfert39. Il resta cependant le familier de l'empereur, qui eut recours à ses services tant pour négocier le mariage d 'Andren ic II avec Anne de Hongrie40 que pour traiter avec le pape au concile de Lyon en 127441. L'historien laisse entendre que l'homme, bien

35 PACHYMÉRÈS, II, ρ 369523

36 IDEM, Π, ρ 36329-365" 37 Voir IDEM, II, ρ 364 η Ι 38 IDEM, II, ρ 4112-6 L'historien a déjà loué plus haut (II, ρ 37921 22) la patience dont

faisait preuve Germain III 39 Le transfert ne constituait pas un obstacle en soi, mais il affaiblissait le titulaire,

dans la mesure où il n'y avait pas de législation concordante sur le sujet Le transfert four­nissait dès lors un prétexte plausible pour éloigner un titulaire L'essentiel du tomos d'élection de Germain III (éd citée, EEBS 9, 1932, ρ 179-183) est d'ailleurs une justifica­tion du transfert Germain III est mentionné dans le Traité des transferts (édité par J DARROUZÊS, REB 42, 1984, ρ 186 n° 67 et ρ 211-212) Dans l'une des copies du traité, due à un rédacteur favorable à Arsène, le transfert de Germain III est considéré comme irrégulier et sa promotion comme une intrusion injustifiée sur un siège déjà occupé «il fut transféré frauduleusement (ληστρικώς) à Constantinople» Le texte de PACHYMÉRÈS (H, ρ 3791213) contient une autre nuance le transfert était d'autant plus discutable que le nouveau patnarche venait d'un siège modeste (ταπεινός), car Andnnople n'avait pas encore été promue du quarantième au douzième rang dans la hiérarchie des métropoles , voir J DARROUZÊS, Notitiae episcopatuum Ecclesiae Constantinopolitanae, Pans 1981, index

40 PACHYMÉRÈS, II, p. 4116-41315

41 IDEM, II, ρ 493 ' Germain était à la tête de la légation ecclésiastique envoyée à Lyon Les documents latins le présentent comme le père spintuel de l'empereur, mais éga-

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que désintéressé et indifférent à l'argent, était cependant un peu trop roué, flattait bassement les grands42 et avait la conscience un peu trop large, pratiquant le népotisme et plaçant, pour lui succéder à Andrinople, son neveu43, un homme indigne et étranger à toute vie spirituelle.

Le troisième patriarche issu du monachisme, Athanase Ier, est présent à travers toute l'Histoire de Georges Pachymérès. Dès le livre IV, on trouve une première allusion à Athanase, même si son nom n'est pas mentionné : ce passage, qui concerne en réalité Germain III et les événe­ments de l'année 1265, vient d'être cité. La première mention explicite d'Athanase se trouve seulement à la fin du livre VII44. Mais tous les récits concernant l'Église, et les patriarches plus particulièrement, doi­vent être lus à travers ce personnage dont l'historien a fait une figure emblématique du mal : Athanase est sa «bête noire». Cette première mention est cependant de tonalité neutre: le hiéromoine Athanase fut présenté, en 1280, au porphyrogénète Constantin Palaiologos, fils de Michel VIII, puis, en 1285, à Andronic II lui-même. Comme à son habi­tude, Georges Pachymérès place le premier portrait détaillé d'Athanase au point du récit où il rapporte son élection au patriarcat en 128945 : c'est un long passage qui ne comprend pas moins de quatre chapitres entiers. L'historien commence par mentionner les nouveautés qu'Athanase intro­duisit dans le protocole46 :

«Ce fut aussitôt, dès le départ, une situation différente d'avant. Il voulait en effet aller à pied dans la rue, porter un habit grossier, être chaussé de vulgaires sandales, qu'il avait travaillées de ses mains, et vivre en toute simplicité. Seulement on ne l'avait pas requis pour cela. En effet le devoir d'un pasteur n'était pas affaire d'habits et de sandales et de travail manuel, mais affaire d'âme bien disposée à cette tâche et dépositaire de la charité du Christ, grâce à laquelle s'opère l'activité pastorale selon le Christ.»

La diatribe est longuement développée. À l'intransigeance du patriarche, dont il stigmatise «le caractère dur et inflexible»47, l'historien oppose

lement, de manière répétée, comme son parent par le sang : de parentela ipsius, avunculus, lege cognationis nobis communicans, secundum sanguinem cognatum [ . ROBERG, Die Union zwischen der griechischen und der lateinischen Kirche auf dem //. Konzil von Lyon (1274), Bonn 1964, p. 22810-'7,232815, 23319-2345, 24618-26].

42. Π flattait en particulier l'empereur, auquel il fut le premier, d'après l'historien (PACHYMÉRÈS, II, p. 3916"7), à donner le surnom de «Nouveau Constantin».

43. IDEM, II, p. 393114. 44. IDEM, III, p. 123315. 45. IDEM, III, p. 157M6924. 46. IDEM,HI,p. 1571924. 47. IDEM, III, p. 1612 (το σκληρον... Αθος και άτενες). C'est le défaut principal que

Georges Pachymérès reproche au patriarche Athanase et qu'il lui attribue déjà dans le por­trait de Germain III (II, p. 3656: σκληροί τίνες), comme plus tard dans le portrait de Jean XII (III, p. 2071 : ηθών σκληρών). Le relevé des passages parallèles et des adjectifs synonymes, s'il n'ajoute rien de neuf, montre cependant l'insistance de l'historien à souli­gner le trait. Voici, réparties sur les deux patriarcats, les mentions successives de la dureté du patriarche: Athanase était «froid et inerte» (III, p. 181ΐ5-183' : ψυχρός... και

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l'indulgence du Christ, que Germain avait su incarner. Le patriarche devrait être «plein de bonté, d'amour pour les hommes et de condescen­dance envers les pécheurs, mais non de vengeance, de colère et de puni­tion»48. Au début du second patriarcat, Andronic II essaiera de justifier la conduite d'Athanase en affirmant que la punition peut être un signe d'amour49. Georges Pachymérès rapporte ensuite deux historiettes amu­santes : la première parle d'un loup qu'Athanase aurait réquisitionné pour porter les légumes du jardin et qui se révéla être un Monsieur Leloup, la seconde parle d'un bol de miel qu'un ami aurait envoyé à Athanase et qui eut le don de provoquer à distance une sensation de sucré dans la bouche de l'ami lorsqu'Athanase y goûta. L'historien fus­tige ensuite les disciples du maître en des termes qui s'appliquent d'abord au maître50 :

«On le supposait avec vraisemblance ascète et on le considérait comme rigoureux dans l'observance des commandements. ceux qui le fréquen­taient en étaient témoins, des va-nu-pieds, au teint pâle, décharnés, dépouillés et sans superflu, ne parlant pas beaucoup, ne disant pas de paroles inutiles, les yeux baissés, inflexibles dans leurs idées, se montrant durs pour tous ; c'étaient les signes évidents de la rigueur du maître et de sa crainte des commandements.»

Appliquant ses principes, Athanase refusa d'utiliser une monture, comme le protocole le prévoyait, pour se rendre du palais au patriarcat à l'issue de sa promotion par l'empereur, et c'est à pied qu'il parcourut la route51. Au lendemain de son installation, une nuée de moines, partisans

ακίνητος), il était «accusé de dureté» (IV, ρ 40722 έπ' αιτίαις σκληρότητος), il avait «une apparence rigide et un manque total de souplesse et d'indulgence» (IV, ρ 51919"20

το μέντοι γε δοκοΟν σκληρον καί μη ές άπαν επικλινές τε καί συγκεχωρηκός), il était «sans douceur et inflexible» (IV, ρ 51925 άγλευκής τε καί άτεγκτος), «il était absolu­ment insensible et intraitable et, pour ainsi dire, inflexible à la manière des fèves réfrac-taires à la cuisson» (IV, ρ 56715 1 δλως δε άθώπευτος řjv καί άτεγκτος, καί, lv' οϋτως ε'ι'πω, κατά τους κερασβόλους κυάμους άμάλακτος), il était «dur pour les moines , dur pour les clercs et dur pour les laïcs» (IV, ρ 56716"19 βαρύς μέν μοναχοΐς , βαρύς δε κληρικοίς, βαρύς δε καί λαικοίς), «il paraissait acanâtre, d'un caractère inflexible et tout à fait intraitable» (IV, ρ 5693"4 άγλευκης έδόκει καί άτενοϋς ήθους και όλως δυσπέμφελος), «il se comportait de la manière la plus insensible possible à cause d'un tempérament dur et inflexible» (IV, ρ 611'9 2 0 άναλγητώς ώς ένήν προσφερόμενος έκ πικρού καί άτενοϋς ήθους), il était «d'un caractère dur» (IV, ρ 61121 22 τω γαρ ήθει, πικρω γε δντι, ρ 6134"5 το κατ' εθος πικρόν), «à tous il paraissait manquer de douceur et de bienveillance, car il ne connaissait pas même en songe l'équité dans l'application des lois» (IV, ρ 67931 32 άγλευκης δέ τοις πδσιν έδόκει καί άχαρις, το περί τους νόμους επιεικές μηδ' δναρ είδώς) L'accumulation de tels qualificatifs accentue l'image d'un homme dur, sévère, sans pitié, sans chanté

48 PACHYMÉRÈS, III, ρ 1853133

49 IDEM, IV, ρ 51931-52110

50 IDEM, III, ρ 1611924

51 IDEM, III, ρ 16320"21 Voir, sur ce passage, A FAILLER, À propos de la promotion patnarcale d'Athanase de Constantinople, REB 57, 1999, ρ 237-243 Habitué au déroule­ment d'un cérémonial complexe et stnct, Georges Pachymérès attache tout naturellement une grande importance au respect du protocole

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du patriarche, se posèrent en réformateurs des mœurs des moines trop tièdes et des clercs de l'Église, qui étaient sous la férule directe du patriarche. Ce thème est souvent abordé dans la suite de l'Histoire : non content de corriger la tiédeur des moines, Athanase voulait plier aussi les clercs du patriarcat à une discipline de fer et les soumettre aux privations les plus cruelles, pour les transformer eux aussi en moines.

Lorsqu'Athanase démissionnera en 1293, l'historien fera de son suc­cesseur, le moine Kosmas, un portrait flatteur, qui est un nouvel antipor­trait d'Athanase52 :

«Après l'hiver le printemps est doux, après la tempête le calme est dési­rable pour les navigateurs, après les vagues et les tempêtes des affaires et l'anomalie des mœurs sévères et les mauvais traitements un caractère doux et affable est spontanément agréable.»

La compassion, si étrangère à Athanase, est présentée comme la qualité principale du patriarche dans sa fonction de pasteur53.

Bien que l'empereur ait assuré, en le rappelant au patriarcat en 1303, qu'Athanase s'était amendé, son attitude resta identique54. La plupart des mentions relevées plus haut en note55, concernant sa dureté, se rapportent d'ailleurs au second patriarcat. Athanase entendait réformer le mona-chisme et imposer le jeûne quotidien56, il ne craignait pas de réviser les typika des monastères57. L'historien le présente comme un provocateur et un agitateur58 ou comme un démagogue59. Le soupçon est jeté sur le but qu'il pouvait poursuivre en organisant des processions continuelles à tra­vers la ville60. Si l'historien n'ose pas blâmer ces processions, il doute néanmoins de leur efficacité et prend à l'occasion un malin plaisir à rela­ter les maux qu'elles causaient ou qui, du moins, les accompagnaient, comme l'incendie de 130561. Il met en doute les dons de prescience du patriarche, lorsqu'on lui attribue la prévision du tremblement de terre62, ou des dons de thaumaturge, lorsqu'on voit en lui l'auteur de la punition infligée à l'Arménien blasphémateur63.

Le portrait est sans doute poussé au noir. Georges Pachymérès avoue à l'occasion qu'il se laisse emporter par sa passion et il admet, au terme d'un long réquisitoire contre le patriarche, que «ce sont peut-être là des paroles intempestives chez l'historien»64. Si le portrait est durci, la plu-

52. PACHYMÉRÈS, III, p. 20532-2072. 53. IDEM, III, p. 2075. 54. IDEM, IV, p. 567,2-5696. 55. Voir la note 47. 56. PACHYMÉRÈS, IV, p. 5671718,67926"27. 57. IDEM, IV, p. 5671< 7, Ó7924-25. 58. IDEM, IV, p. 5818-5839. 59. IDEM, IV, p. 63724. 60. IDEM, IV, p. 63716, 67531, 68914, 6915, 6951. 61. IDEM, IV, p. 6371719. 62. IDEM, IV, p. 393,2-4014. 63. IDEM, IV, p. 56924-20. 64. IDEM, III, p. 19718.

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part des faits rapportés sont cependant attestés par d'autres sources, et même par les écrits du patriarche lui-même pour ce qui cpncerne le ren­voi des métropolites dans leurs Églises ou le gouvernement de l'Église par un synode d'higoumènes et de moines. L'empereur lui-même admet­tait la dureté du patriarche65. Mais la vertu d'Athanase est unanimement reconnue66. L'historien met plutôt en cause ses qualités pastorales et administratives : «l'homme, dont leur témoignage avait assuré qu'il était sans défaut pour le reste, était boiteux pour le ministère pastoral», écrit-il67, ajoutant que «souvent un homme qui n'est pas à rejeter sur le plan moral boite un peu sur le plan administratif»68. On reproche à Athanase d'être enfermé dans la solitude de l'ascèse et de gouverner seul l'Église69, mais on ne nie pas la réalité et la qualité de son zèle. C'est également l'hommage qui lui est rendu par son biographe, qui s'écrie : «Qui a observé à ce point la rigueur?»70. Il a laissé le souvenir d'un grand patriarche. Grégoire Akindynos en témoigne au siècle suivant, lorsqu'il le qualifie d'«homme remarquable sous tous les aspects»71.

Georges Pachymérès a des raisons précises et personnelles de s'en prendre au patriarche Athanase. Dans de nombreux passages, il décrit l'attitude du patriarche envers les clercs de l'Église72, qu'il prive de leurs dignités et surtout de leurs ressources. La lettre des archontes au patriarche illustre la gravité des différends qui opposaient à leur chef les clercs de l'administration patriarcale. En ce sens, Georges Pachymérès ne défend pas ses seuls intérêts, mais ceux de son corps social tout entier.

Le portrait brossé par Georges Pachymérès ne doit pas être faux, même s'il est partiel et partial. Cinquante ans plus tard, Nicéphore Gregoras reprend trop bien l'essentiel de ces jugements sévères pour qu'on puisse les considérer comme calomnieux, même si, lui-même moine et partisan des moines, il adoucit les traits du patriarche et loue ses efforts réformateurs73. Il considère le patriarche Athanase comme un homme ignorant des lettres et inapte à la vie sociale et politique, mais comme un moine admirable et parfait, qui essaya avec raison de réfor­mer l'Église et le monachisme. Il admet que ses manières convenaient plus à la,vie solitaire dans les montagnes et les grottes qu'aux relations

65. IDEM, IV, p. 5191923. 66. IDEM, III, p. 12310, 1612324 ; IV, p. 51919. 67. IDEM, , p. 1852223. 68. IDEM, III, p. 18524"25. 69. IDEM, III, p. 169121523-24; IV, p. 567 , 63729, 679s, 6932729. 70. A.-M. TALBOT, Faith Healing in Late Byzantium. The Posthumuous Miracles of the

Patriarch At lianas ios I of Constantinople by Theoktistos the Stoudite, Brookline 1983, p. 623"4 (Tiç οϋτω τετήρηκε την άκρίβειαν ;). Le terme «rigueur» (ακρίβεια) est également utilisé maintes fois à son endroit par PACHYMÉRÈS (III, p. 16119·24, 1677'8·24·27 ; IV, p. 40734, 4093).

71. Gregorii Acindyni Réfutâtiones duae: J. Nadal Caňellas, Turnhout 1995, p. 3952

(δια πάντων άνήρ αναφανείς γεννάδας). 72. PACHYMÉRÈS, III, ρ. 18115-18329 ; IV, p. 61115"25, 707-709,715-725. 73. GREGORAS, I, p. 18015-18616.

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sociales et politiques et il regrette qu'il ait compromis son œuvre en jetant dès le départ sur les évêques et les clercs «un regard plein de zèle divin et de dureté»74.

Arsène et Athanase sont les deux figures monastiques les plus mar­quantes et les plus originales de ce demi-siècle. Comme moines, ils mon­trent plus d'indépendance envers l'empereur et l'Église établie que les patriarches issus du clergé, car ces derniers, mieux intégrés dans la société civile, partagent davantage les idéaux et les convictions du pou­voir. Les patriarches issus du monachisme peuvent compter sur les troupes d'appoint que constituent les moines, mais, à en croire Georges Pachymérès, ils sont ignorants du monde réel et de la vie des gens75.

Deux autres patriarches viennent du monachisme, mais ils ont été for­més au préalable au sein du clergé. Ils ont vécu longtemps dans l'état clérical, et Georges Pachymérès considère que leur conception de la vie et de l'action ressort plutôt à leur formation première.

Afin d'absoudre Michel Ѵ І de l'excommunication portée contre lui par le patriarche Arsène pour avoir fait aveugler Jean IV Laskaris, on fit appel au supérieur du complexe monastique du Galèsion, Joseph Ier, et on écarta Germain III, dont la légitimité pouvait être rendue douteuse par son transfert d'Andrinople à Constantinople. Père spirituel de l'empe­reur, Joseph fut promu patriarche le 28 décembre 1266 et, le 2 février suivant, il leva l'excommunication qui frappait l'empereur. Mais plus tard, refusant l'union de Lyon, dans des conditions douteuses selon l'his­torien, il se retira le 11 janvier 1275. Déjà malade et diminué, il reprit du service en 1282 pour assurer l'abrogation du concile de Lyon et le retour à l'orthodoxie après la mort de Michel ѴІ .

Si Joseph est moine au moment de son élection au patriarcat, sa for­mation ecclésiastique se fit cependant au sein du clergé. Il servait l'impé­ratrice Irène, l'épouse de Jean III Batatzès, au rang de simple lecteur76. Il était marié et avait une fille77. Insistant sur les antécédents de vie sécu­lière de Joseph, grâce à quoi il possédait le sens de la vie sociale qui manque tant aux moines — et à Athanase en particulier —, Georges Pachymérès écrit78 :

«Joseph du Galèsion était un homme spirituel et bon, de manières simples et affables ; il apportait aussi quelque chose de la vie de palais, parce que, alors qu'il était marié, il avait rang parmi le clergé de la bien­heureuse impératrice Irène et y servait parmi les lecteurs, ainsi que maintes preuves de liberté d'esprit. Il aimait distribuer aux autres ce qui lui tombait entre les mains, ainsi qu'en faire état sans faute, comme

74. IDEM, I, p. 1816"7 (δμμα καΐ ζήλου θείου καΐ πικρίας μεστόν). Il rappelle encore plus loin sa «dureté spirituelle» (I, p. 2151 9 2 0 : της πάλαι πνευματικής βαρύτητος).

75. PACHYMÉRÈS, HI, p. 16923. 76. IDEM, II, p. 3957"8. GRÈGORAS (I, p. 10715"20), qui met surtout en avant son ignorance

des lettres, est plus tempéré dans l'éloge que Georges Pachymérès. 77. ÉPHREM, vers 10308 : PG 143, 376 ; NICÉPHORE CALLISTE : PG 147, 468. 78. PACHYMÉRÈS, II, p. 3955 '9 .

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LA PROMOTION À L'ÉPISCOPAT 141

d'autres aiment à en user chichement. Mais, fait étrange, cet homme qui se délectait de la vie monastique, dans les psalmodies, les veilles, les jeûnes fréquents, l'usage de l'eau quand il le fallait, dans la douceur, la justice, les dispositions vertueuses, la simplicité et au total une conduite irréprochable, ne faisait pas non plus fi de la vertu humaine, comme d'al­ler au-devant d'un visiteur, de l'embrasser, de l'entretenir amicalement, de sourire et d'éclater de rire, lorsqu'on disait un mot de détente ou qu'on faisait une chose plaisante, de s'insinuer auprès des archontes influents, de demander pour d'autres, de faire manger à des tables opulentes et chargées d'une variété de vins et de mets délicats la foule, et surtout tous ceux dont les ressources étaient déficientes et déplorables et qui avaient besoin de protection pour eux-mêmes.»

C'est le troisième antiportrait du patriarche Athanase que, sans le dire, dessine Georges Pachymérès, lorsqu'il montre qu'on peut avoir les ver­tus du moine sans être dépourvu des qualités que requièrent la vie en société et l'exercice du pouvoir spirituel. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'allusion à l'avarice dont d'autres font preuve79. L'historien assure que le patriarche Joseph devait ces qualités au fait d'avoir vécu la vie ordi­naire, avant de devenir moine, et d'avoir ainsi bénéficié, contrairement à Athanase, d'une réelle expérience de la vie des gens. Ce passé le rachète, en quelque sorte, d'être moine au jour de son élévation au patriarcat. Au fond, Joseph est plus un clerc qu'un moine. Comme d'autres patriarches butèrent sur le transfert, Joseph fut constamment mis en cause, par les Arséniates en particulier, à cause d'une prétendue excommunication qu'Arsène aurait portée contre lui80.

Celui qui allait devenir le patriarche Jean XII, en succédant à Athanase en 1293, était d'une extraction et d'une formation à peu près identiques à celles de Joseph. C'était un ancien clerc qui s'était fait moine sur le tard. Dans une première période de sa vie, le moine Kosmas avait été marié, avait eu un fils et avait rempli une fonction sacerdotale, qui n'est pas bien définie81. Après avoir perdu sa femme, il s'était fait moine en compagnie de son fils (Éphrem) et de son frère (Méthode). Dans le portrait qu'en a laissé Georges Pachymérès, il faut voir l'antipor-trait d'Athanase. Kosmas était tolérant, pacifique, de caractère agréable, plein de simplicité et de compassion82 : «c'était un bon vieillard, un homme doux, tout humble et affable, en ce temps de scandale». Suit le passage, déjà cité plus haut83, qui établit une opposition radicale entre

79 On a relevé dans l'édition les deux leçons que présentent les copies de l'Histoire «d'autres» selon le manuscrit C, «nos contemporains» selon les manuscrits A et Β , voir PACHYMÉRÈS, II, ρ 39510, avec la note 3 Les deux leçons expriment une même réalité ces autres sont en effet les contemporains, comme dans un passage précédent, déjà cité , voir II, ρ 364 η 1 (οί παρόντες = οι καθ' ήμδς)

80 PACHYMÉRÈS, Η, ρ 3359 15,4377 8 , III, ρ 9512 1329 30, IV, ρ 51518 19, 523" u

81 IDEM, III, ρ 2031720

82 IDEM, III, ρ 2032224 La même idée est répétée plus loin (III, ρ 205369) Dans le portrait qu'il fait de lui, GREGORAS (Ι, ρ 193312) loue sa vertu et il mentionne à deux reprises (Ι, ρ 1937 8, 21015) son ignorance des lettres grecques

83 Ci-dessus, ρ 138

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142 ALBERT FAİLLER

Athanase et Kosmas : la plus grande qualité de Kosmas était la compas­sion84, et c'est précisément ce qui manquait le plus à Athanase. Il jouis­sait de la confiance de l'empereur85. Il n'avait qu'un petit défaut : son attachement à l'argent86. Georges Pachymérès est bref sur les phases de son élévation : il signale seulement sa promotion par l'empereur et son ordination episcopale à Sainte-Sophie le 1er janvier 129487.

Kosmas, qui prit le nom de Jean (Jean XII) en devenant patriarche, était un antiarséniate déclaré. Il se rebiffa à plusieurs reprises contre Andronic , surtout à propos de Jean Tarchaneiôtès, Γ Arséniate irrespec­tueux de l'Église officielle88, et à propos du mariage de la petite Simonis avec Milutin de Serbie89. Il refusa de signer un tomos en faveur de Michel IX ou encore d'annuler le mariage d'Alexis Komnènos de Trébizonde avec une princesse de Géorgie90. Rien n'est dit de son niveau intellectuel.

Les trois autres patriarches viennent du clergé. Le premier d'entre eux, qui est également le moins marquant, resta à la tête du patriarcat moins d'une année. Il s'agit de Nicephore II, dont le patronyme Pamphilos est attesté seulement par le Traité des transferts91. Il était déjà avancé en âge lorsqu'il devint patriarche en 1260. Il avait déjà été candi­dat en 124392, lorsque Manuel Π lui fut préféré : l'empereur craignait en effet son activisme. En compensation, il fut nommé à la prestigieuse métropole d'Éphèse, que les notices ecclésiastiques des sièges placent en deuxième position, derrière Cesaree. Selon Georges Pachymérès, Jean III Batatzès se serait écrié : «Cet homme qu'on ne peut supporter lorsqu'il n'est qu'archidiacre, comment le souffrirait-on une fois patriarche ?»93. Après la mort de Manuel II en 1254, Nicephore fut à nouveau candidat, mais il fut écarté une deuxième fois, comme les deux autres élus (Nicephore Blemmydès et Joannice Kydônès), au profit d'Arsène94.

84. PACHYMÉRÈS, III, p. 2075 (το συμπαθές). 85. IDEM, III, p. 2052126. 86. IDEM, III, p. 20735 ; IV, p. 32923-3319. 87. IDEM, III, p. 20726"28. 88. IDEM, III, p. 2871 ; IV, p. 30924"30. 89. IDEM, IV, p. 307U-3I37, 321,7-3332'. 90. IDEM, III, p. 223"-25 ; IV, p. 31728-3195. 91. Traité des transferts, n° 66: J. DARROUZÈS, REB 42, 1984, p. 186 et 211-212.

Rédigée par un partisan d'Arsène, une copie du traité considère que Nicephore a occupé indûment un siège dont le titulaire, Arsène, vivait encore : «Nicephore Pamphilos lui fut substitué par violence (έπφατοαδς) sur le trône depuis Éphèse». PACHYMÉRÈS (I, p. 17914" 1S) considère que Nicephore II fut rejeté «non point tant à cause du transfert que parce qu'il fut transféré alors que le vrai patriarche vivait encore».

92. IDEM, I, p. 16519-2'. 93. IDEM, I, p. 1652223. 94. PACHYMÉRÈS (I, p. 16327"28) ne rapporte pas cet épisode, se contentant d'écrire que

«Nicephore d'Éphèse assurait que l'ordination d'Arsène n'avait pas été faite conformé­ment aux canons». De même, le Discours en l'honneur d'Arsène mentionne seulement comme candidats Nicephore Blemmydès et Joannice Kydônès (éd. citée, p. 458239"254).

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LA PROMOTION À L'ÉPISCOPAT 143

Georges Pachymérès rapporte, à propos de Nicéphore il, une scène surprenante. Alors que le patriarche était mourant, Théodose de Villehardouin, le futur patriarche d'Antioche, qui n'était alors que moine, fut chargé par l'empereur de veiller sur sa succession, qui était conséquente et dont les richesses provenaient surtout de la métropole d'Éphèse. Théodose lui proposa de revêtir, sur son lit de mort, l'habit monastique. Le patriarche refusa avec force95. Plus que le refus, c'est l'offre qui surprend. Si un laïc prend naturellement l'habit à l'article de la mort, la signification du geste est moins évidente pour un évêque. D'autre part, la proposition de Théodose implique, comme on l'a remar­qué plus haut96, que Nicéphore II n'avait pas reçu la tonsure monastique avant son ordination episcopale.

À deux reprises, Georges Pachymérès présente Nicéphore II comme un homme redoutable97 :

«C'était un homme pieux, célèbre pour sa vertu, moyennement instruit, déjà vieillissant, d'un zèle capable de s'enflammer pour l'Église et ses lois, si celles-ci étaient méprisées... Cet homme d'une vie austère, impas­sible devant les archontes, bravant la crainte, habitué dès l'enfance à la vertu, paraissait alors à charge au grand nombre.»

Clerc de l'Église, il avait une bonne instruction, car il faut sans doute donner à l'adverbe grec une connotation positive («assez bien instruit» plutôt que «assez mal instruit»98).

Au milieu des troubles qui accompagnèrent le concile de Lyon (1274), Michel Ѵ І fit accéder au patriarcat Jean XI Bekkos, qui avait servi son prédécesseur Joseph99 comme chartophylax et grand skeuophylax100. C'est le patriarche pour lequel Georges Pachymérès a le plus d'admira­tion et d'affection, même s'il ne peut l'affirmer trop ouvertement à cause de la condamnation ultérieure du patriarche. Clerc du patriarcat, Jean Bekkos était diacre101 et sans doute marié102. Parmi les patriarches élus durant ces cinquante années, c'est le seul qui soit issu du clergé patriar­cal, c'est-à-dire du corps auquel appartient le narrateur lui-même. Cela peut expliquer la connivence de l'historien103, qui se garde néanmoins de la rendre trop manifeste.

• Mais SKOUTARIÔTÈS (p. 2806"7) donne une description trop précise de la scène pour qu'on ne retienne pas la triple candidature.

95. PACHYMÉRÈS, I, p. 1799"10. 96. Ci-dessus, p. 131. 97. PACHYMÉRÈS, I, p. 16516"18, 1791214. 98. IDEM, I, p. 16516"17 (λόγω μετρίως κοσμουμενου). 99. De fait, l'historien lui donne une fois la qualité de «clerc du patriarche»

(PACHYMÉRÈS, II, p. 48319 : κληρικον πατριάρχου). 100. IDEM, , . 5151112 . 101. Les détenteurs des hauts offices archontaux du patriarcat appartenaient pour la

plupart à l'ordre diaconat. Au moment de signaler l'élection de Jean Bekkos au patriarcat, l'historien ne mentionne que les deux actes formels de l'élévation au patriarcat : la promo­tion et la consécration episcopale (PACHYMÉRÈS, II, p. 515,3~21).

102. Voir V. LAURENT, Regestes, n° 1495, Critique, § 6. 103. Cette connivence apparaît dès la première mention de Jean Bekkos dans l'Histoire

(PACHYMÉRÈS, I, p. 1714"23).

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L'action de Jean Bekkos s'épuise dans les péripéties de l'union avec l'Église de Rome. D'abord opposé à l'union, il s'y rallia sous la pression de Michel VIII et crut trouver dans les textes la justification d'une déci­sion politique qu'il estimait lui-même opportune pour l'avenir de l'em­pire. Il ne cessera pas de soutenir les mêmes thèses jusqu'à sa mort en 1297. Membre du haut clergé patriarcal, Jean Bekkos possédait une grande culture, littéraire surtout, à l'image de Georges Pachymérès. C'est seulement à l'occasion des querelles dogmatiques sur la procession du Saint-Esprit qu'il aborda l'étude de la théologie, dont Georges Pachymérès ne semble pas non plus avoir eu le culte.

Avant de devenir patriarche, Jean Bekkos s'était vu confier des mis­sions de confiance, en Serbie auprès de Milutin104 et à Tunis auprès du roi de France Louis IX105. Mais déjà plus tôt il s'était affirmé dans sa fonction avec autorité et indépendance106. L'historien donne de lui une image pacifique et rappelle à plusieurs reprises son entente avec le patriarche Joseph, son prédécesseur107. Georges Pachymérès, qui eut Jean Bekkos comme collègue avant de l'avoir pour supérieur hiérar­chique, était proche de lui ; ce n'est pas sans émotion qu'il évoque ses attitudes et ses paroles, son souvenir et ses confidences, et qu'il déplore ses malheurs tout en désapprouvant son entêtement. Nommé par Michel ѴІ , Jean Bekkos avait un ascendant certain sur l'empereur, ainsi que sur son fils, Andronic 108, bien que celui-ci, après la mort de son père, ait sacrifié le patriarche aux impératifs de sa nouvelle politique.

Jean Bekkos est présenté comme un homme savant et expérimenté109, actif et efficace110, au point d'agacer parfois l'empereur par son interven­tionnisme111. Il était doué d'humour112, irréprochable dans sa conduite113. Malgré l'indulgence dont il fait preuve à l'égard de son chef hiérar-

104. IDEM, II, p. 453'-45716. 105. IDEM, II, p. 46327-46725, 4836-48513. 106. IDEM, I, p. 2978-3019. 107. IDEM, H, p. 529829 ; III, p. 47 9 u . 108. IDEM, II, p. 5773"5, 6334"1 ' ; III, p. 2126"30, 2710-18. 109. IDEM, II, p. 48T25, 5151315. Les sources s'accordent pour voir en lui un grand

savant. GRÈGORAS (I, p. 12814-1299) trace de lui un portrait flatteur, louant à la fois son intelligence, son éloquence et sa prestance physique. La Chronique anonyme éditée par J. MOLLER (Byzantinische Analekten, Vienne 1853, p. 387707) témoigne pareillement de sa science (ανδρα μέγιστον 'Ελληνικής παιδείας). Akindynos le considère comme un homme intelligent et un esprit vigoureux (éd. citée, p. 39413-39514 : άνήρ λόγιος καί φρένας ίκανώς έρρωμενος).

110. PACHYMÉRÈS, Ι, ρ. 2978-3019 ; II, p. 51523"25, 517'-5237. 111. IDEM, Η, ρ. 573'-5775. 112. IDEM, III, p. 19. 113. IDEM, II, p. 56922-57131. Là où Georges Pachymérès qualifie Jean Bekkos

d'homme «droit» (ευθύς), au moment de décrire son départ du patriarcat en décembre 1282, un lecteur s'agace de ce compliment, qu'il juge déplacé, et il déclare en marge du manuscrit (III, p. 2720) : «Mon bon, tu prends exagérément parti pour Bekkos !».

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LA PROMOTION À L'EPISCOPAT 145

chique, Georges Pachymérès lui reproche d'avoir soutenu le dogme latin, de s'être entêté à le défendre et d'avoir cédé à la polémique. Il partage le regret de l'empereur d'avoir vu Jean Bekkos mourir avant de s'être réconcilié avec l'Église114. Pour Georges Pachymérès, Jean Bekkos reste le modèle du patriarche : homme savant, pasteur dévoué et actif, esprit indépendant.

Après la démission du patriarche Joseph en mars 1283, on choisit pour lui succéder Georges le Chypriote, qui prit le nom de Grégoire, en se plaçant dans le sillage d'un illustre ancêtre, Grégoire de Nazianze. Comme Jean Bekkos, il appartenait au haut clergé ; il était comme lui un savant et un homme d'influence, même si son titre ne l'indiquait pas. Le récit de Georges Pachymérès montre de quelle autorité il jouissait déjà au moment des tractations qui précédèrent l'union de Lyon115. Comme le patriarche Joseph, il n'avait accédé qu'au premier degré de la cléricature, le lectorat, qui est l'ordre mineur introduisant dans le clergé. Il n'appar­tenait pas au clergé patriarcal comme Jean Bekkos, mais au clergé impé­rial, et sa dignité de prôtoapostolarios, peu mentionnée et documentée dans les sources, relevait de ce clergé116. Sa rapide élévation à la charge de patriarche est ainsi décrite par Georges Pachymérès : de laïc il est consacré moine et de lecteur ordonné diacre, puis il est promu patriarche par l'empereur, enfin ordonné prêtre et évêque117. L'historien concentre ainsi en quelques mots les phases de l'accession au patriarcat. La tonsure monastique est signalée la première, mais elle ne s'imposait qu'avant l'ordination episcopale. D'après cet exemple concret et contrairement à ce qu'écrit Syméon de Thessalonique118, il était suffisant que le patriarche élu ait reçu le diaconat pour être promu par l'empereur, étant entendu que l'ordination, sacerdotale et episcopale, allait suivre.

Georges Pachymérès, comme Nicéphore Grègoras plus tard, insiste à maintes reprises sur les qualités intellectuelles de Grégoire le Chypriote119, dont témoignent en effet sa correspondance, son autobio­graphie et ses autres écrits. L'épisode du moine Marc le dépeint en maître qui assiste ses disciples et corrige leurs «devoirs»120. Georges Pachymérès laisse entendre que le patriarche était légèrement imbu de sa personne et se considérait comme un dialecticien hors pair. Le souvenir

114 IDEM, III, ρ 29728-299' 115 L'historien le désigne comme l'un des collaborateurs les plus proches de

Michel VIII dans les tractations pour l'union avec les Latins (PACHYMERES, II, ρ 47918) GRÈGORAS (Ι, ρ 13010"11) corrobore son affirmation Mais Georges le Chypriote avait sans doute renié ses premières positions bien avant la mort de Michel VIII

116 Voir J DARROUZES, Recherches sur les offikia de l'Église byzantine, Pans 1970, ρ 288 η 1,289 J'ai déjà signalé plus haut (ρ 131) que Georges le Chypriote reçut la ton­sure monastique avant d'être ordonné évêque

117 PACHYMERES, III, ρ 5527 28 28 29, 575 10

118 IDEM, III, ρ 55 η 13 119 IDEM, III, ρ 5330, 1272227, 1371213, 1431 GRÈGORAS (Ι, ρ 1639 ι5) lui attribue

même un rôle dans la renaissance des lettres grecques. 120 PACHYMÉRÈS, III, ρ 1354"21

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146 ALBERT FAİLLER

de ses capacités intellectuelles est conservé aussi par Grégoire Akindynos121.

Mais Grégoire II dut donner sa démission au terme d'une polémique sur la procession du Saint-Esprit. C'est ainsi que le dard laissé par Jean Bekkos, qui avait prédit le départ de son successeur, le piqua lui aussi.

Arrivé au terme de cette galerie de portraits, on constate que, derrière chacun des autres patriarches, se profile le patriarche Athanase, au point que le personnage envahit l'ensemble des récits qui concernent l'histoire du patriarcat durant le demi-siècle. Pour trois d'entre eux (Germain III, Joseph Ier et Jean XII), les références sont plus explicites : leurs qualités renvoient aux défauts parallèles d'Athanase, qui est érigé en antimodèle et qui fournit Γ antiportrait. Georges Pachymérès mesure les titulaires du siège à une autre aune : les clercs sont mieux préparés que les moines à la direction de l'Église. Voir dans l'auteur de l'Histoire un moine, comme l'ont malencontreusement fait certains historiens, fausse la per­ception générale qu'il entend donner des hommes et des événements. Ajoutons, pour terminer, que la succession patriarcale de ces cinquante années connut des remous tels que la plupart des titulaires ne figurent pas dans le Synodikon de l'Orthodoxie122 : parmi les huit patriarches, seuls trois (Arsène, Joseph et Athanase) ont trouvé grâce devant la posté­rité et vu leur nom consigné dans le livre de Γ «éternelle mémoire». Autant l'élection que la destitution de ces patriarches sont dues principa­lement aux décisions des deux empereurs successifs et ne résultent nulle­ment d'une lutte entre le Sacerdoce et l'Empire. Possédant une formation intellectuelle plus poussée, les trois patriarches issus du haut clergé (Nicéphore Π, Jean XI et Grégoire II) appartiennent à la sphère des cadres de l'empire et ils s'intègrent mieux que les moines ou les anciens moines à la société et à l'administration.

Albert FAILLER CNRS-UMR 7572 ^ et Institut français d'Études byzantines (IFEB)

121. AKINDYNOS (éd. citée, p. 39518"19) le dit «plein de toute vertu et connaissance» (αρετής δέ άπάσης καΐ παιδεύσεως πλήρης).

122. J. GouiLLARD, Le Synodikon de l'Orthodoxie : édition et commentaire, TM 2, 1967, p.103-105.

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NOUVEAUX DOCUMENTS CHYPRIOTES

Matoula COUROUPOU et Paul GÉHIN

Summary : The article presents four Cypriot manuscripts from the Panaghia collection of the Ecumenical Patriarchate. The texts transmitted by these manuscripts, as well as the colophons and the annotations they contain, offer much new material for the history of the Church of Cyprus and the topography and prosopography of the island from the second quarter of the fourteenth to the middle of the sixteenth century.

Dans les études chypriotes, en plein essor, le travail des historiens se trouve soutenu par celui des spécialistes du livre-manuscrit médiéval. Les nombreux articles du Père Darrouzès, à présent rassemblés dans un volume de Variorum Reprints1, ont montré la richesse documentaire des manuscrits copiés à Chypre ou étant passés par l'île. Les marges et les feuillets vides se sont couverts de notes de toutes sortes, relatant des évé­nements publics ou privés qui peuvent s'étendre sur une période considé­rable. Ainsi le Parisinus gr. 1588 a servi de registre au monastère των 'Ιερέων pendant quatre siècles : on y a noté les décès et les événements importants de la communauté, du milieu du 12e siècle jusqu'au milieu du 16e siècle. Dans le même temps, codicologues et paléographes ont isolé les particularités des livres copiés dans l'île2. En 1993, Costas N. Constantinidès et Robert Browning ont publié un remarquable réper­toire de manuscrits datés chypriotes3. Nous voudrions ajouter à la docu­mentation déjà connue quelques documents nouveaux, tirés du fonds de la Panaghia Camariotissa du Patriarcat Œcuménique4.

1. J. DARROUZÈS, Littérature et histoire des textes byzantins, Londres 1972 [abrégé dans la suite en Littérature et histoire]. Voir en particulier les articles numérotés XI à XIX .

2. On pense en premier lieu aux travaux de Mgr Paul CANART sur l'écriture chypriote bouclée ou sur le style palestino-chypriote «epsilon».

3. C. N. CONSTANTINIDÈS - R. BROWNING, Dated Greek manuscripts from Cyprus to the year 1570, Nicosie 1993. Voir compte rendu P. GÉHIN, REB 53, 1995, p. 344-346.

4. Dont le nouveau catalogue est en cours de préparation, sous l'égide de l'IRHT. Les deux catalogues actuellement disponibles sont celui du Métropolite ATHÉNAGORAS, paru dans les nœ 10-13, 1933-1937, de EEBS (voir RICHARD - OUVIER 1245) et celui de A. TSAKOPOULOS, paru à Istanbul en 1953, et qui est la reprise de plusieurs articles de

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 147-164.

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148 MATOULA COUROUPOU ET PAUL GÉHIN

I. L E MANUSCRIT PANAGHIAS 44

Un des premiers manuscrits à nous apporter de nouvelles informations est un manuscrit dogmatique et canonique, copié à Chypre dans le deuxième quart du 14e siècle par Basile Perdérias. Les documents nou­veaux sont de deux sortes : les premiers concernent l'Église de Chypre, les seconds le copiste lui-même, déjà connu par un manuscrit parisien.

A. Le synodikon de l'Orthodoxie

Le manuscrit contient aux ff. 273-282 un synodikon de l'Orthodoxie pour l'île de Chypre. Cette copie s'ajoute aux quatre copies connues, les formes Cnopq de la typologie Gouillard5. Nous reproduisons la partie finale (ff. 281-282):

1. Empereurs et impératrices6

Κωνσταντίνου και Ελένης της αύ(ί\ 281, col. ) μ(ητ)ρ(ο)ς, τών ορθοδόξων βασιλέων (και) πρώτων χρϊστϊαν(ών), αιωνία ή μνήμη.

Μιχαήλ του ορθοδόξου ήμ(ών) βασιλέως (και) Θεοδώρας της αύτου μ(ητ)ρ(ο)ς, αιωνίαι (sic) ή μνήμ(η).

Βασιλείου, Κωνσταντίνου, Λέοντο(ς) (και) 'Αλεξάνδρου, Χριστόφορου (και) c Ρωμανού, Νικηφόρου, Ιωάννου, Βασιλείου, 'Ρωμανού, Κωνσταντίνου, 'Ρωμανοϋ, Μιχαήλ, Κωνσταντίνου, Μιχαήλ, Ίσαάκίου, Κωνσταντίνου, 'Ρωμανού, Ανδρόνικου, Μιχαήλ, Νικηφόρου, 'Ρωμανού, Ίσαάκίου 'Αλεξίου, Αλεξίου, Ιωάννου, Μανουήλ, 'Αλεξίου, 'Ανδρόνικου, 'Ρωμανού, Ίσαάκίου, 'Αλεξίου, 'Αλεξίου (και) 'Αλεξίου, Θεωδώρου, Ιωάννου (και) Θεοδώρου, τών την ού(ρά)νιον βασιλεί(αν) της επιγείου άλλαξαμένων, αιω(νία ή μνήμη).

Ευδοκίας, Θεοφανοϋς, Θεοδώρ(ας), 'Ελένης, Θεοφανοϋς, Θεοδώρας, Ζωής, Θεοδώρας, Αικατερίνης, Ευδοκίας, Μαρίας, Ειρήνης, Ειρήνης (και) Ειρήνης τ(ών) εύσευεστάτων αύγουστ(ών), αίω(νία ή μνήμη).

2. Hiérarques et patriarches 'Ιωάννου τοϋ Χρυσοστόμου, Βασιλείου του μεγ(ά)λ(ου) (και)

Γρηγορίου του Θεολόγου τ(ών) μακαριωτάτων (και) άοιδήμων άρχϊέραρχ(ών) (και) οικουμενικών δϊδασκάλ(ων), αίω(νία ή μνήμη).

(f. 28lv, col. a) Γερμανοϋ, Ταρασίου, Νικηφόρου (και) Μεθοδίου των άοιδήμων π(ατ)ριάρχ(ών), αίω(νία ή μνήμη).

Θεολογία (voir RICHARD - OLIVIER 1243). Dès à présent, nous voulons exprimer tous nos remerciements à M. Gilles Grivaud, dont les publications et les informations ont été déter­minantes dans la rédaction de cet article.

5. J. GOUILLARD, Le synodikon de POrthodoxie : édition et commentaire, TM 2, Paris 1967, p. 1-313 (pour Chypre, voir en particulier p. 25-26, 111-112, 273-277).

6. Dans les transcriptions, nous respectons l'orthographe des manuscrits, pensant que certaines particularités pourront retenir l'attention des spécialistes de la langue chypriote.

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NOUVEAUX DOCUMENTS CHYPRIOTES 149

Ιγνατίου, Φωτίου, Στεφάνου, 'Αντωνίου, Νικολάου, Ευθυμίου, Στεφάνου, Τρύφωνος, Θεοφύλακτου, Πολύευκτου, 'Αντωνίου, Νικολάου, Σισινίου, Σεργίου, Ευσταθίου, 'Αλεξίου, Μιχαήλ, Κωνστ(αν)τίνου, Ιωάννου, Κοσμά, Ευστρατίου, Νικολάου, Ιωάννου, Λέοντο(ς), Μιχαήλ, Θεοδώτου, Κωνσταντίνου (και) Λουκά τ(ών) ορθοδόξων π(ατ)ριάρχ(ών), αίω(νία ή μνήμη).

'Ιωάννου του έλεήμωνος, 'Αθανασίου του μεγ(ά)λ(ου), Κυρίλλου (και) Πέτρου τ(ών) άγιωτάτ(ων) π(ατ)ριάρχ(ών), αίω(νία ή μνήμη).

Χριστόφορου, Θεοδώρου, 'Αγαπίου, Ιωάννου, Νικολάου, Ήλιου, Θεοδώρου, Βασιλείου, Πέτρου και Θεοδοσίου, Νικηφόρου, Ιωάννου, Ιωάννου, 'Αθανασίου (και) Λουκά τ(ών) άοιδήμ(ων) π(ατ)ριάρχ(ών), αίω(νία ή μνήμη).

Νικολάου του εν Μύροις (και) Ιωάννου του Δαμασκηνού, αίω(νία ή μνήμη).

3. Archevêques de Chypre Βαρνάβα του γενναιομάρτϋρος (καί) πανευφήμ(ου) άπο(στόλου),

Έπϊφανίου του σοφότατου των άγϊωτάτ(ων) (καί) μακαρϊωτάτ(ων) άρχϊεπϊσκόπ(ων) Κύπρ(ου), αίω(νία ή μνήμη).

(f. 28 lv , col. b) Σεργίου, Δομετίου, Πορφυρίου, Πλουτάρχου, Βαρνάδα, Θεοδώρου, Βασιλείου, 'Αρκαδίου, 'Ανθίμου, Δαμιανού, Σα€€ίνου, Άκακίου, Γελασίου, Θεοφάν(ους), Ιωάννου, Έπϊφανίου, Γρηγορίου, Ευθυμίου, Ιωάννου, 'Αλεξίου, Έπϊφανίου, Βασιλείου, Νικολάου, Θεωδωρίτου, Ιωάννου, Βαρνάβα, Σοφρονίου, Ισαίου, Ίλαρίωνος (καί) Νεοφύτου των άοιδήμ(ων) αρχιεπισκόπων Κύπρ(ου), αίω(νία ή μνήμη).

4. Evêques chypriotes Ίρακλήδωνος, 'Ρώδονος, Μνάσονος (καί) Μακεδονίου τ(ών)

μακαρϊωτάτ(ων) επισκόπων Άμασίας, αίω(νία ή μνήμη). Λαζάρου του άγιωτάτου επισκόπου Κυττέων, αίω(νία ή μνήμη). Τύχωνος του μακαρϊωτάτου επισκόπου Άμαθοϋντ(ων), αίω(νία ή

μνήμη). Ζήνωνος του άγιωτάτου επισκόπου Κουρέων, αίω(νία ή μνήμη). Φιλαγρίου του μακαρϊωτάτου επισκόπου Πάφφου, αίω(νία ή μνήμη). Νίκωνος (καί) 'Αρκαδίου τ(ών) άγϊωτάτ(ων) επισκόπων Άρσενόης,

αίω(νία ή μνήμη). Αύξιδίου του μακαρϊωτάτου επίσκοπου Σόλων, αιω(νία ή μνήμη). Εύλαλίου του άγιωτάτου έπϊσκόπ(ου) Λαπίθου, αίω(νία ή μνήμη). Θεοδώτου του μακαρϊωτάτου έπϊσκόπ(ου) Κηρηνίας, αίω(νία ή μνήμη). (f. 282, col. a) Δημητρϊανου, Πάππου, 'Αθανασίου, Ευσταθίου, Νικήτα

των άγϊωτάτ(ων) επισκόπων Κηθρέ(ων), αίω(νία ή μνήμη). Σπυρίδωνος του θαυματουργού επισκόπου Τρϊμηθουντ(ων), αίω(νία ή

μνήμη). Φίλωνος, Συνεσίου (καί) Σωσηκράτους των μακαριότατων επισκόπων

Καρπασέ(ων), αίω(νία ή μνήμη).

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150 MATOULA COUROUPOU ET PAUL GEHIN

Τριφυλλιού του φωτολαμποϋς (και) επισκόπου Αευκουσίας, αίω(νία ή μνήμη).

Τυχϊκοϋ του άγϊωτάτου επισκόπου Νεαπόλεως Λιμεσου, αίω(νία ή μνήμη).

Ή αγία Τρϊας αύτοϋς έδόξασ(εν). Τούτων τους ύπερ εύσευείας μέχρϊ θανάτου άθλοις τε (καΐ)

άγωνισμασϊν (καί) δϊδασκαλίαις παιδαγογεισθε ται (και) κρατυνεσθαι (καΐ) θ(εο)ν έκλειπαροϋντες (καί) μημητ(ας) της ένθέου αυτών πολιτείας μέχρϊ θανάτου (καί) τέλους άναδείκνυσθαι, έκδυσωπούντες άξϊωθίημ(εν) τ(ών) έξαίτουμένων εν οικτϊρμοίς (καί) χαριτϊ του μεγάλου (καί) πρώτου άρχϊέρέο(ς) Χ(ριστο)ϋ του θ(εο)υ ήμ(ών) πρ(εσ)€ε€ούσης της ύπερένδόξου δεσποίνης ήμ(ών) θ(εοτό)κου τ(ών) θεοειδών αγγέλων καί π(άν)των τών αγίων αμήν.

5. Polychronia (f. 282, col. b) Είτα εύφημείζη καθ' όρδίνο(ς) (dans la marge sup.) : <Ε>υλογίου τοϋ άγϊωτάτ(ου) καί μακαριωτ(ά)τ(ου) π(ατ)ριάρχ(ου) της

πρ(εσ)€υτέρ(ας) 'Ρώμης (και) αύθέντ(ου) ήμ(ών) πολλ(ά) τά ετη.

<Ί>ω(άννου) του άγϊωτ(ά)τ(ου) (καί) μακαριωτ(ά)τ(ου) έπισκ(ό)π(ου) Κωνστ(αν)τ(ι)ν(ου)πό(λεως) νέ(ας) 'Ρώμης (καί) οίκουμενοικοΰ π(ατ)ριάρχου (καί) αύθέντου ήμ(ών) πολλ(ά) τα ετη.

<Ά>θανασίου του άγϊωτ(ά)τ(ου) (καί) μακαριωτ(ά)τ(ου) πάπα π(ατ)ριάρχου θ(εο)υπόλεως μεγάλης Άλεξανδρεί(ας) (και) κριτου της οικουμένης πολλ(α) τα ετη.

<Σ>υμε(ών) τοο άγϊωτ(ά)τ(ου) (καί) μακαριωτάτου π(ατ)ρ(ο)ς θεουπόλε(ως) μεγάλης Άντϊωχί(ας) (καί) πάσ(ης) Αιγύπτου (και) αύθέντ(ου) ήμ(ών) πολλ(ά) τα ετη.

<Λ>αζάρου του άγιωτάτ(ου) (καί) μακαρϊωτάτ(ου) π(ατ)ρ(ο)ς (και) π(ατ)ριάρχ(ου) της αγίας πόλε(ως) Ι(ερουσα)λήμ, Παλεστήνης τε (καί) Φοινίκης (καί) πέρ(αν) τοϋ Ιορδανού (καί) εν Κανά της Γαλιλαίας (καί) πάσ(ης) 'Ανατολής (καί) αύθέντου ημών πολλ(ά) τά ετη.

<Ε>ϊτα τον άρχϊεπίσκοπ(ον) του τόπ(ου), (καί) τον έπίσκοπ(ον) : μετά τ(ού)τ(ους) ( ?) τ(ον) ρήγ(α) :

<Ού>γκου του εύγενήκωτ(ά)τ(ου) (καί) πανυψηλωτ(ά)τ(ου) μεγάλ(ου) ρηγος της αγίας Ι(ερουσα)λήμ, Φοινίκης τε (καί) Παλεστίνης (καί) πέραν τοϋ Ιορδανού, £τι (δέ) (καί) της περιωνύμου νήσου Κύπρ(ου) (καί) π(ά)σ(ης) Άνατολ(ής) (καί) αύθ(έν)τ(ου) ήμ(ών), πολλά : β.λ γ'.

Cette nouvelle copie du synodikon de Chypre est apparentée aux types Cno qui étaient utilisés pour la cathédrale métropolitaine et les sièges suffragants. Elle repose elle aussi, pour l'essentiel, sur une recension eta-

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blie sous les Comnènes dans les années 70 du 12e s. La liste des patriarches défunts de Constantinople s'arrête à Luc Chrysobergès (1156-1169) et celle d'Antioche à Athanase Ier (circa 1157-1171)7. Toutefois les listes des empereurs et des archevêques de Chypre ont été mises à jour jusqu'aux années 30-40 du 13e s. : — La liste des empereurs se prolonge jusqu'à Jean et Théodore, deux empereurs de Nicée, c'est-à-dire Jean III Vatatzès (1222-1254) et Théodore II Lascaris (co-régnant à partir de 1241)8. — La liste des archevêques de Chypre ajoute après Barnabe (jusqu'en 1171) quatre noms : Sophrone, Isaïe, Hilarion et Néophyte. Comme l'a déjà signalé Gouillard9, des divergences apparaissent dans la liste des successeurs de Barnabe. Cn s'arrête à ce dernier, Co a cinq noms (Sophrone, Isaïe, Hilarion, Nil, Germain), Cpq ont trois noms (Sophrone, Isaïe, Hilarion)10. La seule séquence constante est celle de Sophrone, Isaïe, Hilarion. L'archevêque Néophyte n'apparaît pas dans les autres copies, mais il est bien présent dans la liste du chroniqueur Léonce Mâcheras qui donne la succession suivante : Sophrone, Isaïe, Hilarion, Néophyte, Nil, Germain11.

La liste des évêques remarquables de Chypre, des saints faisant l'objet d'un culte pour la plupart, n'apporte rien de nouveau. On notera seule­ment deux variantes par rapport à Co : Triphyllios de Leucosie, que Co avait placé en tête de liste, retrouve sa place normale, et Théodote de Kerynia, omis par Co, est inséré entre Eulalios de Lapithos et Démétrianos de Kythri. Sur ces deux points, il y a accord avec la liste abrégée de Cn12.

La partie nouvelle de ce synodikon se trouve dans les polychronia de la fin, qui mentionnent d'abord les titulaires des cinq grands sièges ecclésiastiques, puis le souverain de l'île. Ceux-ci ont été ajoutés après coup par le copiste, dans la seconde colonne du f. 282, qui était restée vide. L'ajout se trahit par les deux indices suivants : le synodikon se ter­mine normalement par αμήν, au bas de la première colonne du folio, et

7. L'ordre des deux derniers titulaires a été inversé. 8. N. CAPPUYNS, Le synodicon de Chypre au XIIe siècle, Βγζ. 10, 1935, p. 493, suppose

que l'empereur Théodore ici nommé est Théodore Ange d'Epire, couronné empereur de Thessalonique en 1222 (le synodikon à la base de son étude est celui auquel Gouillard a attribué le sigle Cn).

9. Op. cit., p. 273-275. 10. Sur ces évêques du début de la période latine, voir V. LAURENT, La succession epis­

copale des derniers archevêques grecs de Chypre, de Jean le Cretois (1152) à Germain Pèsimandros (1260), REB 7, 1949, p. 33-41.

11. Sur Néophyte, voir V. LAURENT, Regestes N. 1234 et N. 1252-1253. Lorsque le patriarche Germain II prend ses fonctions en 1223, Néophyte a été chassé de son siège et remplacé par un Latin auquel tous les évêques de Chypre doivent soumission, sous peine d'expulsion. Néophyte erre alors quelque part en Orient. Il ne retrouvera son île que cinq ou six ans plus tard.

12. Cn donne les noms, sans mentionner les évêchés. La succession des sièges suit l'ordre des villes donné par le Synekdèmos d'Hiéroklès, éd. E. HONIGMANN, Bruxelles 1939, p. 38 (où l'on ne trouve naturellement pas Néapolis, de création récente).

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dans la seconde colonne, les initiales rubriquées des polychronia n'ont pas été réalisées. Les indications chronologiques qu'ils contiennent empêchent d'ailleurs, comme nous le verrons bientôt, que ce texte ait été copié en même temps que ceux qui précèdent, lesquels sont situés dans une partie du manuscrit datée de septembre 1332. Ce fait reconnu, il faut admettre que ce petit texte réserve quelques surprises et n'est pas dépourvu de difficultés. Reprenons la liste des personnages vivants acclamés : - Euloge de Rome. On ne sera pas étonné qu'il soit fait mention du pape, quand on sait que les évêques orthodoxes de l'île doivent allégeance à la hiérarchie latine. La difficulté vient de ce qu'il n'y a jamais eu de pape de ce nom. La seule solution consiste à reconnaître qu'Euloge est l'équi­valent grec de Benedictus. Nous avons ainsi affaire à Benoît XII, pape d'Avignon (20 déc. 1334-25 avril 1342). - Jean de Constantinople. Il s'agit de Jean XIV Calécas, élu dans des conditions contestables en février 133413 et titulaire du siège jusqu'à sa déposition au début de 1347. - Athanase d'Alexandrie. Le patriarcat d'Athanase II couvre les années 1276-1316. Le rédacteur ignore-t-il que le titulaire d'alors s'appelle Grégoire ? - Syméon d'Antioche. La période est mal documentée. Il faut remonter au début du 13e s. pour avoir un patriarche de ce nom : Syméon Ibn Abu Chaïba14. - Lazare de Jérusalem. Le personnage est bien connu15. Il est attesté pour la première fois un peu avant la mort d'Andronic III (1341) à l'occasion d'une ambassade envoyée par l'empereur au sultan mamelouk Malik Naşir Muhammad. Celle-ci était chargée de régler, entre autres choses, le cas de Lazare, qui avait été régulièrement élu par les évêques de Palestine, mais n'avait pas encore été confirmé et surtout était l'objet de graves attaques de la part d'un moine hiérosolymitain nommé Gérasime. La mort d'Andronic, la guerre civile qui s'ensuivit entre les partisans de Cantacuzène et ceux de Jean V Paléologue, précipitèrent les choses : Lazare fut condamné et son rival Gérasime élu à sa place ; il ne lui resta plus qu'à rejoindre le camp de Cantacuzène. C'est lui qui couronna Cantacuzène en 1346, à Andrinople, avant de rentrer avec l'usurpateur à Constantinople en 1347. Il ne fut rétabli sur son siège qu'à la fin de 1349, après avoir conduit lui-même une nouvelle ambassade auprès du sultan d'Egypte, qui est désormais Malik Naşir Hasan, fils de Malik

13. Voir DARROUZÈS, Regestes N. 2168. 14. J. NASRALLAH, Siméon II Ibn Abu Chaïba, patriarche melchite d'Antioche excom­

munié par Rome, rejeté par Constantinople (avant 1206 - après 1235), Proche-Orient Chrétien TA, 1974, p. 34-43. Ce patriarche est attesté par les Regestes patriarcaux de Constantinople, voir V. LAURENT, Regestes N. 1220, 1278 et 1282. On a aussi conservé son sceau, voir V. LAURENT, Le corpus des sceaux de l'Empire byzantin, t. V/2, Paris 1965, p. 362-363 (sceau n° 1528).

15. PLP 14350 (longue notice biographique).

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Naşir Muhammad16. Ses tribulations ne prendront pas fin pour autant, jusqu'à sa mort survenue en 136717. - Hugues, roi de Jérusalem et de Chypre. Il s'agit de Hugues IV de Lusignan18, roi de Chypre du 15 avril 1324 au 10 octobre 1359. Il ne devient roi de Jérusalem que le 13 mai 1324. Il était acclamé trois fois (cf. l'abréviation β.λγ').

Les données internes permettent de situer la rédaction du document dans l'intervalle de temps constitué par le pontificat de Benoît XII, soit fin décembre 1334-avril 1342. Il y a toutefois une grande vraisemblance pour que cette rédaction ne soit pas très éloignée de la date donnée pour la partie la plus récente du manuscrit, c'est-à-dire février 1335 (f. 268v)19. Dans ce cas, l'élection de Lazare au siège de Jérusalem remonterait plus haut qu'on ne l'admet généralement (c'est-à-dire «avant 1340»). Reste les cas épineux d'Athanase d'Alexandrie et de Syméon d'Antioche. Si l'on peut admettre une lacune dans l'information du copiste Basile Perdérias pour le premier, c'est plus difficile de l'imaginer pour le second. Les polychronia nous apporteraient ainsi le nom d'un patriarche inconnu d'Antioche, un Syméon ΠΙ. Ce point demande un supplément d'enquête.

B. L'activité du copiste Basile Perdérias Ce copiste n'était connu jusqu'à présent que par le Parisinus gr. 723

daté de mai 136820. Le manuscrit de la Panaghias, daté des années 1332-1335, nous transporte au début de la carrière de ce scribe, une carrière exceptionnellement longue puisqu'elle s'étend sur plus de trente ans.

16. Voir M. CANARD, Une lettre du Sultan Malik Naşir Hasan à Jean VI Cantacuzène (750/1349), Annales de l'Institut d'Études Orientales 3, 1937, p. 29-30, 42-44 [repris dans Byzance et les musulmans du Proche-Orient, Variorum Reprints, X, Londres 1973]. Toutes les informations concernant Lazare viennent de l'Histoire rédigée par Jean Cantacuzène après son abdication (1354) : Γ ex-empereur ne peut être que favorable à un de ses plus fer­vents partisans.

17. Les travaux les plus récents s'intéressent surtout au second patriarcat de Lazare, de 1349 à sa mort en 1367: P. WIRTH, Der Patriarchat des Gerasimos und der Zweite Patriarchat des Lazaros von Jerusalem, BZ 54, 1961, p. 319-323 ; T. S. MILLER, A New Chronology of Patriarch Lazarus' Persecution by the Mamluks (1349-1367), 41, 1975, p. 474-478.

18. PLP 92561 (qui remplace PLP 15069). Voir l'étude de base de W. H. RUDT DE COLLENBERG, Les Lusignan de Chypre, Έπετηρίς του Κέντρου 'Επιστημονικών 'Ερευνών Κύπρου 10, 1979-1980, ρ. 121-122 ; sur la réputation d'Hugues IV auprès des lettrés byzantins, voir P. L. M. LEONE, L'encomio di Niceforo Gregora per il re di Cipro (Ugo IV di Lusignano), Byz. 51, 1981, p. 211-224.

19. Sur les différents colophons que comporte le manuscrit, voir ci-dessous. 20. Voir RGK II, n° 51 ; CONSTANTINIDES - BROWNING, p. 216-219, planches 84 et 190b.

Le copiste est répertorié à deux reprises dans le PLP, une première fois au n° 2391 (sous Βασίλειος), une seconde fois au n° 22422 (sous Περδεριά [sic] Βασίλειος), et toujours d'après le seul manuscrit parisien.

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Comme beaucoup de scribes chypriotes, Basile est assez bavard et nous apporte des informations qui débordent largement son activité de copie21.

Entre les deux manuscrits sortis de ses mains, on relève bien des simi­litudes : dans les deux cas, on a la même écriture chypriote bouclée, la même façon de numéroter les cahiers dans l'angle supérieur externe du premier folio et d'ajouter au milieu de la marge supérieure une croix, souvent placée au centre d'une invocation. Dans le manuscrit constanti-nopolitain, les invocations sont brèves et stéréotypées : Χ(ριστ)έ βοήθει (cahier 9, f. 71)22 ; Χ(ριστ)έ + βοήθ(η) (cahier 26, f. 207) ; Χ(ριστ)έ βοήθη μοι πρ(εσ) + βεί(αις) της σε τεκούσ(ης) (cahier 29, f. 233) ; θ(εοτό)κε κυρία μου + βοΐθη μοι (cahier 31, f. 249) ; Χ(ριστ)έ βοΐ + θη μοι (cahier 38, f. 304). Une invocation figure hors série dans la marge sup. du f. 236, le quatrième feuillet du cahier 29 : Χ(ριστ)έ ένδυνάμοσόν με τω άναξίω. Dans le manuscrit parisien, elles sont en revanche plus développées : υίέ βροντ(ης) + βοήθη μοι (cahier 10, f. 73) ; Ίω(άννη) θεοφάντε φώτϊσ(ον) ημών τον νουν (cahier 13, f. 93) ; επιστήθιε φίλ(ε) Χ(ριστο)ϋ + τόνδε πονουντα ρώμην δίδου (cahier 14, f. 101) ; έμπροσθεν άνάκτων + αναξ, κηρύξω σην παρουσί(αν) Λόγε (cahier 16, f. 116)23.

Afin de faciliter les comparaisons, reproduisons d'abord la souscrip­tion du manuscrit parisien, la plus récente : • : ·Χ(ριστ)ώ πεποιθώς τερματίζω την βί€λον + Έτελειώθη το παρόν κ(α)τ(α) Ίω(άννην) αγ(ιον) εύα(γγέλιον) έρμην(εία) Χρ(υσοστόμου) Ίω(άννου) παρ' έμοΰ Βασιλ(είου) ϊέροδϊακόν(ου) του Περδερία νομϊκοο κ(α)τ(ά) μην(αν) μάϊον, έτους ; ,ςωος' (ίνδ.) ς'.

Οί έντυχόντ(ες) ευχεσθέ μοι δια τον κ(ύριο)ν λέγ(ε)τ(ε) ό θεός σώσει τον γράψαντα ταύτ(ην) +

Dans le manuscrit constantinopolitain, nous avons trois souscriptions, ainsi disposées : - souscription datée de février 1335, écrite à l'encre noire à la fin de la Panoplie dogmatique d'Euthyme Zygabène (f. 269v) :

Τέλο(ς) μην! φεθο)ρ(ουαρίω) (ίνδικτιώνος) γ' , ετ(ους) ,ςωμγ' : ευχεσθαί μοι τώ γράψαντ(ϊ) κ(αί) ένέργησαντ(ϊ), Β(ασι)λ(είω) ϊέροδιακ(ό)ν(ω) Λέ(ον)τ(ος) του Περδ(ε)ρ(ία), έκ Ζώτϊας + - souscription datée de septembre 1332, écrite à l'encre de rubrication au f. 309v, à la fin d'une partie comprenant la liste des sept conciles œcu­méniques, le synodikon de l'Orthodoxie, quatre textes hérésiologiques :

Τέλο(ς) της δογματικής πανοπλί(ας) κ(α)τ(ά) μήν(αν) σεπτ(έμ€)ρ(ιον) του ετ(ους) ,ςωμ' : (ίνδικτιώνος) ιε' δϊά χειρός έμοϋ" Β(ασι)λ(είου) ίεροδϊακόν(ου) Λέ(οντος) τοΟ Περδερία. - nouvelle souscription datée de septembre 1332, écrite à l'encre de rubrication au f. 31 lv, après deux folios comprenant quelques épi-

21. Les folios 1-10 de l'actuel manuscrit sont une addition postérieure et sortent de notre propos.

22. Ici, la petite croix est placée en-dessous de l'invocation. 23. Les trois premières invocations s'adressent naturellement à Saint Jean PÉvangé-

liste, puisque Basile Perdérias est en train de copier les Homélies de Jean Chrysostome sur l'Évangile de Jean.

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grammes de Grégoire de Nazianze accompagnées du commentaire de Nicétas Paphlagon :

Δόξα θ(ε)ώ (και) χάρ(ϊς) τώ δΐξαντι το τέλος :-τώ δακτυλογράψαντϊ, τώ το κτομένω. τω άναναγϊνώσκοντι (sic) μετ' έ'βλα'βεί(ας). φύλαττε τ(ούς) τρεις, <5 τρι(άς) τρισολβία :-Συ Χ(ριστ)έ μου τέθηκ(ας) άρχ(ήν) (και) τέλος. δος Χ(ριστ)έ τώ γράψαντι πταισμάτων λύσ(ϊν). το (δε) ένεργησαντϊ (και) τους (mot barré) χρήσιν εχ(ων). Βασιλείω διακόν(ω) τώ Περδερία. οί άναγϊνωσκοντ(ες) τηνδε πϊκτύδα. εάν σφάλμ(αν) (sic) ευρηται εν δε τη δέλτω. μη μέμφεσθαί με, τ'ί άμαθ(ής) υπάρχω. αλλ' ευχεσθαί μοι δέομαι ικετεύω. δττ(ως) πταισμάτ(ων) λύσ(ϊν) εύρω ό τλήμ(ων). λέγεται θ(εο)ς σώσοι τώ γεγραφότϊ. πρ(εσ)6είαις τών άγιων συν τώ Προδρόμω. της θ(εοτό)κου (και) παρθένου Μαρίας. iv' ευρω λύ(σιν) εν τι μελλούσϊ κρίσϊ. τ(ών) άμετρίτων μου πταισμάτ(ων) τε πάντ(ων). (καΐ) εν μον(αις) δικαί(ων) θ(εός) μαι τάξϊ. ή γαρ χειρ ή γράψασα τηνδε πικτύδα. σαπειται τάφω (και) καλυπτησα λίθω. γραφή (δε) μένει εις άπείρ(ους) αίών(ας) :-Τέλος σεπτ(εμ€)ρ(ιω) ετ(ους) ,ςωμ :-24

Le manuscrit ne s'achève pas avec cette longue souscription versifiée. On trouve encore aux ff. 312-317v deux petits textes : une profession de foi et des chapitres anti-latins.

La présence de ces trois souscriptions nous conduit à nous interroger sur la façon dont a été constitué le volume. Le premier détail troublant est dans les deux dates transmises par les colophons : février 1335 (f. 269v) et septembre 1332 (f. 309v et 311v). La partie la plus récente se trouve ainsi placée avant la plus ancienne, et l'ordre des textes dans le manuscrit ne correspond pas à la chronologie de la copie. Une erreur sur l'année du monde paraît exclue, puisque les indictions portées à deux

24. Cette souscription versifiée a été reproduite, avec plusieurs erreurs, par le métropo­lite ATHÉNAGORAS, EEBS 10, 1933, p. 285. Le nom de famille du copiste est lu Περοουρίω. Cette longue souscription formée de dodécasyllabes byzantins remploie des formules sté­réotypées. On notera que le vers 14 se retrouve sous une forme approchante dans la sous­cription du manuscrit parisien (daté de 1368). Sur la formule des vers 20-22, voir B. ATSALOS, Die Formel Ή μεν χειρ ή γράψασα... in den griechischen Handschriften, Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio, Spoleto 1991, t. II, p. 691-750 (ms. cité p. 702 d'après le catalogue Athénagoras, et aussi p. 717, 720 et 723). Au vers 3, le copiste a répété par erreur la syllabe va du verbe ; celle-ci enlevée, le vers est juste. Au vers 7, il hésité et barré un mot ; le vers est juste, au mépris de la syntaxe la plus élémen­taire. Le vers 18 est composé de deux hémistiches de 6 syllabes.

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reprises25 sont exactes. Mais il y a un autre détail plus embarrassant : la souscription indiquant que la Panoplie dogmatique d'Euthyme a été achevée en février 1332 n'est pas à la fin de la Panoplie proprement dite au f. 269v, mais au f. 309v, à la fin d'un ensemble comprenant trois types de textes (liste des conciles, synodikon de l'Orthodoxie et textes hérésio-logiques), et c'est une souscription générale avec la date de février 1335 qui apparaît à la fin de la Panoplie proprement dite. Il est donc très pro­bable que, dans son état actuel, le manuscrit rassemble des parties copiées à des époques légèrement différentes. Pourtant, l'examen codi-cologique (étude des cahiers et des filigranes du papier) et l'analyse du contenu ne permettent pas d'isoler ces éléments et de reconstituer la chronologie des opérations. Les signatures des cahiers, qui sont de la main de Perdérias et qui couvrent l'ensemble du manuscrit, font au contraire penser que le volume constitue un tout cohérent et suivi26, et il n'y a pas de coïncidence entre cahiers et contenu, sauf dans le dernier cahier qui aurait dû porter le numéro 39, et qui, non daté, fait figure d'ajout27. Une anomalie pourrait toutefois trahir une réorganisation du volume : elle apparaît dans le cahier 28 (ff. 223-232) qui comporte exceptionnellement 10 folios. À la différence des 27 cahiers précédents et des deux suivants, le filigrane du papier n'est pas une «hache» ou des «ciseaux», mais «deux cercles». Les deux folios supplémentaires (ff. 230-231) sont insérés dans la seconde partie du cahier, juste avant le folio final 232, et comportent un filigrane unique dans le manuscrit («huchet»). On notera aussi qu'à partir du cahier 31 jusqu'au cahier 38 plusieurs filigranes, anciens ou nouveaux, alternent, ce qui peut être l'in­dice de copies effectuées à des moments différents : cahier 31 (réappari­tion de «deux cercles»), 32-34 (nouveau filigrane : «pot avec anse»), 35 (retour du filigrane «ciseaux»), 36-37 («pot avec anse»), 38 («deux cercles»). Nous avons vu aussi que les polychronia du synodikon, qui remplissent la seconde colonne du f. 282, ont été ajoutés après coup.

Quoi qu'il en soit de cette difficulté, les colophons nous donnent de nouvelles informations sur le copiste. Par le colophon parisien, posté­rieur d'une trentaine d'années, nous savions déjà qu'il était hiérodiacre. Nous connaissons désormais le nom de son père : Léon Perdérias, et le lieu d'origine de la famille, le village de Zôtia28.

25. Dans la souscription du f. 269v, on a l'année du monde 6843 et l'indiction 3, et dans celle du f. 309v, l'année du monde 6840 et l'indiction 15.

26. Elles vont de a' (f. 11) jusqu'à λη' (f. 304). Le dernier cahier, qui ne compte plus dans son état actuel que 7 feuillets (ff. 312-318), ne porte pas de numéro visible ; il est vrai que le coin supérieur du premier folio est endommagé.

27. Ce cahier est le seul à avoir deux filigranes : motif «férule» (attesté autour de 1330), qui lui est propre, et motif «deux cercles», utilisé dans certains cahiers précédents.

28. Le village, actuellement divisé en Panò Zôdia et Katô Zôdia, est situé à 5 km au sud-est de la ville de Morphou. Dans le Paris, gr. 1590, qui a servi d'obituaire au monas­tère de la Théotokos de Phorbia, on lit, dans deux notes respectivement datées de 1318 et 1319, le toponyme de Ζωτοκατοκοπιά, qui peut être une contraction des noms Ζώτια et Κατοκοπιά, les deux villages étant distants d'environ 5 km seulement : voir J. DARROUZÈS,

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C. L'environnement de Basile Perdérias

Des informations supplémentaires nous sont données par des annota­tions qui se trouvent sur les deux derniers feuillets du manuscrit (au bas du f. 317v, sur la totalité du f. 318 et dans la partie supérieure du f. 318v). Les trois premières, déjà éditées par Papadopoulos-Kérameus, sont d'une lecture assez facile29. 1. (bas du f. 317v, à gauche): + Καγω π(α)π(α) Βα(σί)λ(ειος) ό Περδ(ε)ρ(ίας) ομολογώ οτϊ χροστώ του κατηχητ(ήν) του κυρ π(α)ττ(α) Ίω(άννου) εις τουτ(ο) το βιβλ(ΐον) (νομίσματα) δέκα :-2. (bas du f. 317v, à droite ) : + Καγώ π(α)ττ(ά) Άνδρέ(ας) τα αύτ(α) (νομίσματα), τα όμολογ(ώ) ό κ(ύ)ρ π(α)π(α) Β(ασί)λ(ειος) ό π(ατ)ήρ μου οτι χρεόστη τα, έπλέροσα τ(ά). και άφίκα το αύτ(ον) βιί>λί(ων) δι(α) τ(ήν) ψυχήν μας εις τ(ον) αγ<ιον> Ίω(άννην) τ(ών) Πρόδρομ(ον) του Ριακίου. κ(αί) η τί γινόσκη κ(αί) αναγινωσκη, ευχαισ<θαι> μας δϊ(α) τ(ον) κ(ύριο)ν. αμήν. 3. (f. 318) : Ήσίν τα βιβιλία τα εύρίσκουντ(αι) εις τ(ον) ναον του τιμίου (καί) ενδόξου προφήτ(ου) Προδρόμ(ου) (και) βαπτιστ(οΰ) Ιω(άνν)ου εις το Ρι(α)κι. του ετ(ους) ,ςωοα' (ίνδικτιώνος) α' ί­α : αγιον εύαγγέλιον : β : τετραεύάγκελον : γ : απόστολος : δ : τυττικον : ε : παρακλητική : ς : μηνέα όλοχρονικα κομ(μά)τ(ια) ς' : ζ : ψαλτύριν η :ορολόγην θ : προφητεία : ι : ευχολογίον : ια : έξοδιαστικόν : ιβ : συναξάριον έξαμηνέον. α' ιγ : ορμολόγιον : ιδ : πασχάλην : ιε : τριώδιον ις : στιχεραριν ιζ : στιχεροκαθιστάριν ιη : βιβιλίον τοΰ αγίου Νϊκολ(άου) ιθ : βιβιλίον τοΰ αγίου Έπιφ(α)ν(ίου) κ : νομοκάνωνον κα : βιβιλίον ό νέος Βασίλειο(ς). κβ : βιβιλίον οί κανώνες άμβϊκόν. κγ : άποκάλυψις Θεολόγου έρμηνεμένη :

Notes pour servir à l'histoire de Chypre, Littérature et histoire XIV, p. 92, n° 31, et p. 95, n°62.

29. A. PAPADOPOULOS-KÉRAMEUS, Κατάλογος άγνωστου βιβλιοθήκης, W 11, 1904, p. 395-396.

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κδ : εύαγγέλιον έρμηνεμέν(ον) ό κεραμέας κε : καταματθαίο(ς) έρμηνεμένος. κ ς : Διονύσιο(ς) ό άρεοπαγύτης έχων τα μακρύνιια (και) έξαημερον Γρηγορίου Νύσσης. κζ : Ιερεμίας έρμηνεμένος. έχων το άσμα των άσμάτ(ων)· τον 'Ιεζεκιήλ, (και) τον Ιώβ κη : Χρυσοστομικον εγκώμια τ(ούς) άγιους (και) τα ολυμπιακά : κθ : άναγνωστϊκον, έξηγιτϊκον εις τ(ούς) αγίους λ : λεξικον Κυρίλλου 'Αλεξανδρείας Τα εύρέθησ(αν) εις τ(ον) αυτόν ναον τ(η) ε' ϊούνίου τ(ην) αύτ(ήν) ένχρονίαν κομμ(ά)τ(ια) λ30.

La note la plus ancienne est due à Basile Perdérias lui-même : il y reconnaît une dette de 10 nomismata envers le papas Jean, le catéchiste, pour «ce livre»31. La seconde est de la main de son fils André, qui recon­naît avoir acquitté la dette de son père et donné le livre à l'église du Prodrome de Riaki. La troisième est précisément un inventaire des livres déposés dans cet établissement, inventaire établi en 1363. On notera que le lien de la famille Perdérias avec une église dédiée au Prodrome était déjà suggéré par le vers 15 de la longue souscription versifiée du f. 311v (datée de septembre 1332). Cette église doit être très vraisemblablement celle qui est dédiée à Jean-Baptiste au village actuel d'Argaki, selon une hypothèse que nous a communiquée M. G. Grivaud. Dans les documents vénitiens (cartes et inventaires des officiers), le nom du village est trans­crit de différentes façons : Ariati, Arniaco ou, ce qui est le plus proche de la forme grecque, AriachP2. L'hypothèse est d'autant plus vraisemblable que le village d'Argaki est voisin de celui de Zôtia.

30. Cette liste est signalée par J. BOMPAIRE, Les catalogues de livres-manuscrits d'époque byzantine (XIe-XVe s.), Mélanges Ivan DUJČEV. Byzance et les Slaves. Études de civilisation, Paris 1979, p. 70, n° 21 (d'après Papadopoulos-Kérameus). L'auteur ne pré­cise toutefois pas que ces livres se trouvaient dans une église chypriote. On trouve deux mentions rapides de cet inventaire, chez R. Devreesse, Introduction à l'étude des manus­crits grecs, Paris 1954, p. 95 n. 11, et chez B. Atsalos, La terminologie du livre-manuscrit à l'époque byzantine, Thessalonique 1971, p. 141 et n. 1 (avec deux courts extraits).

31. Le nom de famille du copiste a été victime d'une nouvelle mélecture: Papadopoulos-Kérameus donne la lecture conditionnelle : Π(ι)πέρδας (voir plus haut l'autre lecture erronée du métropolite Athénagoras).

32. Nous devons toutes ces informations à M. Gilles Grivaud. Voici ce qu'il nous indi­quait dans une lettre datée du 20 juillet 2000 : «Pour le vaoç τοο Προδρόμου τοϋ 'Ριακίου je ne peux avancer aucune conclusion définitive ; dans le catalogue des toponymes de Chypre, on mentionne une église dédiée à Jean-Baptiste au village Argaki, village voisin de Zôtia. R. Gunnis, Historie Cyprus. A Guide to its Towns and Villages, Monasteries and Castles, Londres 19562, p. 174, affirme que cette église est ancienne, qu'elle possède du mobilier des ѵ - ѵ siècles et qu'elle est reconstruite au cours du xixe siècle. Sur les cartes vénitiennes du xvie siècle, le toponyme Argaki est transcrit Ariati (A. et A. J. Stylianou, The history of the Cartography of Cyprus, Nicosie 1980, p. 117) et la carte de Leonida Attar de 1542 (inédite, en cours de publication) donne le toponyme Arniaco. Dans les listes de villages établies par les officiers vénitiens, le nom est, le plus souvent, rendu par Ariachi (ma thèse, Villages désertés à Chypre (fin xne -fin xixe siècle), Μελέται και 'Υπομνήματα III, 1998, p. 467). Je pense donc que le toponyme Ariachi correspond

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Les annotations placées au verso du f. 318, marqué par l'humidité, sont d'une lecture plus difficile. Les parties déchiffrées montrent qu'elles concernent encore l'église du Prodrome et la famille Perdérias : - Κατ(ά) την έχρον(ίαν) τοΰ Χρίστου αυίζ' εγραφη(σαν) τα χοραφ(ια) τοΰ αύτοΰ Προδρόμου, τα εδοκαν ήκατο ζ' λιτρ(ας). Cette note indique qu'en 1417 on a dressé un inventaire des propriétés du Prodrome. - L'inscription située au-dessous est composée de quatre lignes qui occu­pent toute la largeur du feuillet. La présence de majuscules et d'espaces semblent indiquer qu'elle est formée de plusieurs notes mises bout à bout. Il semble qu'il faille isoler une première note située au bout des deux premières lignes : Έγενν(ήθη) ή Μαρία, ή αγγελ<οι> και ό θ(εο)ς νά την άξιωσ<ιν>33. De la partie restante on déchiffre seulement quelques éléments qui sont insuffisants pour déterminer de façon précise de quoi il s'agit: au début de la première ligne, on lit très nettement la date de 1418 Έχρον(ίας) αυιη τοΰ Χ(ριστο)ΰ ; au début de la deuxième ligne, on a une nouvelle mention de notre Basile τοΰ παπά Βασ(ι)λ(είου) τοΰ Περδερί<α>, et à la fin de la troisième ligne, on lit les mots το ζόδιον της καρκίνος ονόματι κάβουρας34; enfin, le nom de Marie réapparaît au début de la quatrième ligne. La lecture partielle de l'inscription ne per­met pas pour l'instant de déterminer les liens de parenté que cette nou­velle venue, Marią, entretient avec notre copiste.

Les souscriptions du manuscrit et les notes qui y sont inscrites nous ont apporté de nouvelles informations sur la famille Perdérias. Nous connaissons désormais au moins trois générations : Léon le père, Basile le copiste, qui est diacre, son fils André. Nous savons désormais que la famille est établie dans la partie nord-ouest de l'île, à Zôtia ou à Riaki, non loin de la ville de Morphou. Nous voyons également apparaître une personne extérieure à la famille : le catéchiste Jean. Nous ne revenons pas sur le cas de Maria. À travers ces notes, nous entrevoyons aussi un peu l'activité intellectuelle de ce petit milieu, avec les livres copiés par Basile lui-même35, et ceux qui sont déposés à l'église du Prodrome36.

au grec του 'Ριακίου sans pouvoir en être absolument certain. Cependant, la présence d'une église dédiée au Prodrome à Argaki rend l'hypothèse assez probable.»

33. Comparer avec DARROUZÊS, Notes pour servir à l'histoire de Chypre (Quatrième article), littérature et histoire XVII, p. 39, n° 41 : Έγεννήθη... και ό θεός ό άγιος ό έν Τριάδι ύμνούμενος να την διαφύλαξη εις τάς έαυτοΰ έντολάς.

34. Il s'agit donc du signe zodiacal sous lequel est né le personnage dont il est question (noter que le mot savant «cancer» est accompagné de son équivalent vulgaire «crabe»). Pour une semblable mention, voir DARROUZÊS, Notes pour servir à l'histoire de Chypre (Deuxième article), Littérature et histoire XV, p. 40 : Ό υιός μου ό Θεόδωρος έγεννήθη .... το ζώδιόν του ëvi λέων και ό πλανήτης του ό ήλιος.

35. Le manuscrit parisien est un commentaire exégétique (Jean Chrysostome, Homiliae in Iohannem) et le manuscrit constantinopolitain un florilège dogmatique.

36. On remarquera que les livres obéissent à un certain classement: les 17 premiers livres sont bibliques et liturgiques, et les 13 derniers patristiques (au sens large). Que l'œuvre d'Épiphane de Salamine figure en bonne place (n° 19) n'étonnera guère à Chypre. Les livres n05 18 et 21 devaient être hagiographiques : Vie et miracles de s. Nicolas dans le premier, Vie de Basile le Jeune dans le second (cf. BHG 263-264). Le n° 24 contenait les

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Les dates qui sont données couvrent une période allant de 1332 à 1418, soit presque 90 ans.

II. AUTRES MANUSCRITS CHYPRIOTES

Le fonds de la Panaghias comprend trois autres manuscrits chypriotes. 1. Le Panaghias 116, copié en 1475 par le protopapas de Myrianthousa Grégoire, pour le prêtre Thomas Rautopoulos. Nous ne nous attarderons pas sur ce manuscrit, puisqu'il a été bien étudié par Constantinidès-Browning37.

2. Le Panaghias 50, copié en 1527 par le scribe Ambrosios. Le manuscrit s'ajoute aux neuf manuscrits connus de ce scribe fécond, actif dans le deuxième quart du 16e s. Il se situe même au début de sa carrière, alors que celui-ci n'est pas encore abbé du monastère των Άνδρίων, situé à Nicosie. Contenant des Menées de février et mars, le manuscrit a la même présentation et la même décoration que le ms. Métochion du Saint-Sépulcre 19, copié en 1530, contenant des Menées de janvier38. II est tout à fait probable que le personnage avait copié la série complète. Il n'en reste plus que 3 sur 12. Dans le manuscrit de la Panaghias, la sous­cription est placée à la fin des Menées de mars et se présente ainsi : Τω δε θ(ε)ώ ημών εϊη δόξα εις τους αιώνας αμήν. Τέλος 'Αμβροσίου τάλανος αθλίου θύτου έχρον(ίας) τ(ης) ένσάρκου οικονομίας, ,αφκζ' Χ(ριστο)ΰ.

Une autre souscription se trouvait peut-être à la fin des Menées de février, mais elle aura, dans ce cas, disparu avec le dernier folio qui a été arraché. Le copiste Ambrosios utilise une écriture facilement reconnais-sable, dérivée du style des Hodèges. Il copie essentiellement des livres liturgiques ou ascétiques. Dans le Parisinus gr. 931, exceptionnellement un recueil théologique, il est associé à deux autres scribes. Le dernier manuscrit daté, sorti de ses mains, est le Paris, gr. 872 de l'année 155239.

Homélies sur les Evangiles des dimanches de Philagatos de Cerami (d'où son surnom de Kérameus). Au n° 26, le mot Macrinia est le sous-titre par lequel est habituellement dési­gné le De anima et resurrectione de Grégoire de Nysse (CPG 3149) ; il ne s'agit donc pas de YÉloge de Macrine, comme le dit BOMPAIRE, art. cit., p. 70. Les ολυμπιακά du n° 28 sont les Lettres à Olympias de s. Jean Chrysostome. Le contenu du n° 29 n'est pas net. À noter la présence du Lexique du Ps.-Cyrille (n° 30). Les chances de retrouver certains de ces livres dans les bibliothèques actuelles sont très réduites, étant donné le manque de pré­cision des descriptions. On notera cependant que la BnF possède deux lexiques du Ps.-Cyrille qui sont passés par Chypre, les Parisini gr. 2672 et 2673.

37. Pages 243-246, planches 97 et 196a. 38. Les deux manuscrits ont les mêmes caractéristiques : 315 χ 210 mm, 2 col., surf,

écrite 225 χ 70/75 mm (avec un entrecolonnement de 15 mm), 34 à 36 lignes. 39. Voir CONSTANTINIDÈS - BROWNING, p. 271-274 (Métochion du Saint-Sépulcre 19), 274-

276 (Sin. gr. 950), 276-278 (Paris, gr. 931), 283-285 (Jérusalem, Sainte-Croix 9), 285-287 (Dionysiou 795), 293-295 (Sofia, Dujcev gr. 298), 315-316 (Paris. Suppl. gr. 1105), 316-317 (Paphos, Métropole 11) et 323-325 (Paris, gr. 872); C. N. CONSTAOTINIDÈS, Scriptoria in Sixteenth-Century Cyprus, in The Greek script in the 15th and 16th centuries (National Hellenic Research Foundation. Institute for Byzantine Research. International Symposium 7 [Athens 18-20 October 1996]), Athènes 2000, p. 264-268.

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3. Le Panaghias 22, un volumineux Nomocanon de 562 folios écrit d'un bout à l'autre de la même écriture régulière. Son absence du répertoire de Constantinidès-Browning est due à la mauvaise lecture d'une date (1651 au lieu de 1551), dont est responsable le catalogueur Tsakopoulos et qui sera reprise par les savants postérieurs40. Cela dit, la façon dont se présente le «colophon» est assez particulière. Il ne se trouve pas à la fin du texte, mais sur un papier collé au contreplat supérieur de la reliure, et il est dû à une autre main que celle qui a copié le manuscrit. En voici la teneur : Τούτον το βιβλί(ον) λέγεται νομοκάνον(ον)· το όποιον έχει απαράλλακτος ολαις ταίς πράξαις ηουν συνόδ( ?) τών άγί(ων) π(ατέ)ρων ταις επτά οίκουμενικαΐς (και) τοπικαΐς καΐ τ(αϊς) κανόναις τών άγί(ων) αποστόλων το όποιον έξοδίασ(εν) ό κύρϊς Συμεών ίερο(μόναχος) (και) καθηγούμ(ενος) του Κίκκου. Έγεγράφη (δέ) παρά του πανοσϊοτάτου π(ατ)ρ(ο)ς κυροΰ 'Αρσενίου ίερο(μονάχου) καί καθηγουμ(έν)ου μον(ής) τών Έλιακών ( ?). "Ητις βουληθη συλησαι το παρόν αγ(ιον) νομοκάνονον νά έχει τας αράς τ(ών) τιη' άγ(ίων) π(ατέ)ρων (καί) τ(ήν) παναγ(ίαν) άντίδικον εν ημέρα κρίσεως. Έγράφη μέσα εις καράβην Κανάλου (ver­bum supra lineám) είς θ' Οκτωβρίου αφναου άφ' έπηγένναμ(εν) εις την Βενετίαν. ερρωσθε.

Ce texte comprend cinq parties : - désignation du contenu ; - mention de celui qui a supporté les frais du travail : le hiéromoine Syméon, higoumène du monastère bien connu du Kykkos ; - mention du copiste, le hiéromoine Arsène, higoumène d'un monastère dont le nom est d'une lecture problématique ; - formule de malédiction à l'adresse des voleurs ; - mention des circonstances particulières de la copie et de la date : sur un bateau se rendant à Venise, en octobre 1551. Le nom du propriétaire du bateau est même noté dans l'interligne: Κανάλου, c'est-à-dire da Canale, nom très répandu à Venise.

Ce texte curieux exige un examen minutieux, car il tient à la fois du colophon et de la marque de possession. La première question qui se pose est de savoir s'il y a solidarité entre cette note et le corps du manus­crit. À cette réponse on peut répondre par l'affirmative, et ceci pour les deux raisons suivantes : 1) la désignation du contenu donnée par la note correspond effectivement au contenu du manuscrit, 2) les filigranes du papier utilisé pour le manuscrit se situent aux alentours de 1550, ce qui s'accorde avec la date de 1551 donnée à la fin de la note41. La seconde

40. Les lectures erronées de TSAKOPOULOS, p. 51, sont reprises par DARROUZÈS, Autres manuscrits originaires de Chypre, Littérature et histoire XII, p. 142-143.

41. On trouve ainsi plusieurs motifs d'«ancre inscrite dans un cercle, surmontée d'une étoile», parfois avec une contremarque. L'un de ces motifs correspond très exactement à PICCARD VI, Wasserzeichen Anker, 292 (attesté en 1551). Les autres spécimens d'ancre sont attestés dans les années 1530-1550. On rencontre également le motif «chapeau de cardinal surmonté d'une étoile» (très proche de Briquet 3419, attesté en 1524-1527) et le motif «arbalète inscrite dans un cercle» (très proche de Briquet 749, attesté en 1535).

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question est de savoir qui en est l'auteur. L'écriture n'est pas celle du copiste du Nomocanon, qui est d'après la note elle-même l'higoumène Arsène. Il ne semble pas non plus qu'elle soit de la main de Syméon du Kykkos dont nous connaissons l'écriture par une longue inscription por­tée au f. 222v du Coislin 19. D'ailleurs, le fait que Syméon soit men­tionné à la troisième personne dans la note du ms. constantinopolitain s'oppose à cette hypothèse. Il faut donc admettre qu'elle est due à un tiers, resté anonyme, qui accompagnait les deux abbés et qui s'inclut dans la première personne du pluriel du verbe έπηγένναμεν («alors que nous nous rendions à Venise»).

Avant de poursuivre, il convient de dire quelques mots des deux higoumènes mentionnés. L'abbé Syméon du Kykkos est une figure suffi­samment connue pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister42. La data­tion correcte de la note (1551 au lieu de 1651) enlève désormais tout motif de distinguer deux abbés du même nom (l'un du milieu du 16e s. et l'autre du milieu du 17e s.)43. Les choses sont plus compliquées en ce qui concerne son compagnon Arsène. Le nom du monastère qu'il dirige a fait l'objet d'une correction. Avant correction, le mot semble avoir été écrit Έλκακών ; un iota écrit sur le premier kappa invite à lire Έλιακών. Aucun monastère ne correspond à ce nom dans les sources grecques. Cette nouvelle difficulté n'est pas faite pour renforcer le crédit de notre document.

À première vue, cette note paraît donc bien suspecte, puisqu'elle est copiée sur un feuillet indépendant n'appartenant pas au corps du manus­crit44 et qu'elle évoque des conditions de copie d'un manuscrit assez «romanesques», sur un bateau se rendant à Venise. Pourtant nous allons voir que son authenticité est pleinement confirmée par des documents parallèles vénitiens. Un dossier concernant la légation des higoumènes Syméon et Arsène à Venise est en effet conservé dans l'Archivio di Stato de Venise : il comprend six pièces qui ont été publiées par G. Grivaud45. Nous y apprenons ainsi les raisons du voyage. Don Simeon abbate del monasterio de Santa Maria della Pioggia (nom officiel du Kykkos) et Don Arsenio abbate di Elichies se sont rendus à Venise pour présenter chacun de leur côté une requête aux Chefs du Conseil des Dix : Syméon veut obtenir «une rente annuelle de cent mozza de blé prélevée sur les revenus de la reale», tandis qu'Arsène «plaide pour que soit concédée au monastère d'Elichies la location de terres»46. Cette démarche est rendue

42. Il a dirigé le monastère du Kykkos pendant une trentaine d'années (ca. 1542-ca. 1572). Voir A. JAKOVUEVIĆ, Ή προσωπογραφία της Ίερδς Μονής Κύκκου άπο τα πρώτα χρόνια της ιδρύσεως της, 'Επετηρίδα Κέντρου Μελετών 'Ιεράς Μονής Κύκκου 1, 1990, ρ. 122-123 (η° 83), CONSTANTINIDÈS - BROWNING, p. 182-183 . 5 et CONSTANTINIDÈS Scriptoria, p. 270.

43. Ce que fait encore JAKOVUEVIĆ, p. 122 (n° 82) et p. 129, ainsi que CONSTANTINIDÈS -BROWNING, p. 183 n. 5,292 n. 3 et p. 401 de l'Index.

44. Nous avons vérifié que ce feuillet n'appartenait pas au premier cahier. 45. G. GRIVAUD, Le monastère de Kykkos et ses revenus en 1553, 'Επετηρίδα Κέντρου

Μελετών Ίερας Μονής Κύχχου 1, 1990, ρ. 59-73 (en grec) et p. 75-93 (en français). 46. Ibid., p. 76-77.

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NOUVEAUX DOCUMENTS CHYPRIOTES 163

nécessaire par les difficultés matérielles auxquelles doivent faire face leurs monastères, et les monastères grecs de Chypre en général. Les requêtes donneront lieu à un premier courrier entre les trois Chefs du Conseil et le gouvernement de Nicosie daté du 23 février 1551 (selon la datation vénitienne = février 1552 selon la date habituelle)47, et, après divers rapports, le dossier sera clos en octobre 1554, à la satisfaction des demandeurs48. La note grecque et les documents vénitiens s'accordent parfaitement et se complètent mutuellement. Les documents d'archives indiquent le motif de la mission, tandis que la note grecque précise la date du voyage (octobre 1551) et même le nom du propriétaire du bateau (da Canale). La confrontation des deux types de documents permet en outre d'identifier le monastère que dirige Arsène. Celui-ci, qui n'était jusqu'à présent pas attesté par les sources médiévales grecques, existe toujours, bien qu'en ruines, à 15 km au nord-ouest du Kykkos, dans une vallée boisée où coule le fleuve Limnitès. Il est mentionné pour la pre­mière fois dans un autre document de l'Archivio de Venise, daté du 9 septembre 1503, publié par A. Aristeidou49. On notera seulement une légère différence de graphie entre le document grec et les sources véni­tiennes : ces dernières tiennent avec constance pour la forme Elichies, qui doit correspondre au grec Έλικιών, tandis que la note grecque est en faveur de Έλιακών, qui apparaît comme une déformation de 'Ηλιακών50. La note grecque nous informe aussi de la présence d'un tiers, resté ano­nyme, qui faisait partie du voyage ; il est à la fois l'auteur de la note col­lée au contreplat de la reliure et le premier propriétaire du nomocanon, copié par Arsène et financé par Syméon. Nous pouvons supposer qu'il l'a écrite peu après son retour dans l'île, dans le courant de l'année 1552.

Il reste à faire un sort aux conditions de copie d'un manuscrit sur un bateau. Pour exceptionnel qu'il soit, le fait n'est pas isolé. Nous avons un autre exemple célèbre, d'un siècle antérieur, avec le Parisinus gr. 2075, copié en partie sur l'Adriatique par Jean Eugénikos51.

47. A Venise, et par voie de conséquence à Chypre, le changement d'année ne s'effec­tue pas le 1er janvier, mais le 1er mars.

48. Pour le détail, GRIVAUD, art. cit., p. 77. 49. A. CH. ARISTEIDOU, 'Ανέκδοτα έγγραφα της χυπριαχης ιστορίας άπα το αρχείο

της Βενετίας, t. 1 (1474-1508), Nicosie 1990, p. 277-279. On trouvera rassemblé dans cette notice tout ce que l'on sait sur ce monastère.

50. Ces hésitations ont persisté jusqu'à nos jours avec les formes Έλικιών, Έλιτζιών ou 'Ηλιακών. Selon l'orthographe adoptée, on proposera une etymologie différente. La première graphie peut renvoyer à une sorte de pin έλίκη ; la graphie 'Ηλιακών renvoie au contraire au soleil. Le mot ήλιακόν, qui dans un sens très général désigne tout endroit exposé au soleil, a fini par désigner à Chypre le porche situé à l'entrée des maisons, voir I. IONAS, La maison rurale de Chypre (XVIF-XXe siècle). Aspects et tecimiques de construction, Nicosie 1988, p. 68-71 ; il a survécu en grec moderne sous la forme λιακωτό.

51. Jean Eugénikos avait quitté le Concile de Florence-Ferrare et embarqué à Venise en septembre 1438. Au large de Rimini, son bateau fut pris dans une violente tempête et sombra. Jean réussit à se sauver avec 32 compagnons et à aborder à Portoloro ; de là, il se rendit à Ancóne où il séjourna quelque temps. Il reprit la mer le 11 mai 1439 sur un

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164 MATOULA COUROUPOU ET PAUL GEHIN

Une nouvelle fois, les manuscrits chypriotes ont montré la richesse de leur documentation et sont venus enrichir la topographie et la prosopo-graphie de l'île. Nous avons vu aussi tout le bénéfice à tirer de la confrontation des sources grecques et vénitiennes. Nos remarques se sont limitées aux seuls manuscrits du fonds de la Panaghias, mais il est pos­sible que d'autres manuscrits chypriotes apparaissent dans les autres fonds de la bibliothèque du Patriarcat Œcuménique.

Matoula COUROUPOU Paul GÉHIN CNRS-IRHT, Section grecque

bateau anconitain. Au cours de cette nouvelle traversée, il entreprit de mettre au propre le récit de son aventure, dont il avait établi un brouillon pendant son séjour forcé à Ancóne. Voici la traduction du colophon où il relate ce travail de copie, colophon qui se trouve au f. 28lv du manuscrit parisien : «A été transcrit à partir du brouillon, sur le bateau de Philippe Bevenio d'Ancóne, sur lequel j'ai embarqué avec l'aide de Dieu pour regagner ma patrie. Nous étions partis d'Ancóne le lundi 11 mai, vers le soir. La présente (copie) a été achevée alors que nous naviguions au large de Durazzo sur la mer Adriatique, non loin et un peu au-dessous de l'île qui s'appelle maintenant Saseno, le 22 du même mois de mai, de la 2e indiction, un vendredi, vers le soir, en l'an 6947 de la fondation du monde, 1439 de l'Incarnation. Ma Dame, Mère de Dieu, aide-moi jusqu'à la fin. Amen. Le nomo-phylax diacre Jean Eugenikos.» Ce colophon a été reproduit et traduit par S. PÉTRIDÈS, Les œuvres de Jean Eugenikos, Échos d'Orient 13, 1910, p. 281. Il a été édité par SP. LAMBROS, NE 11, 1914, p. 59, et par A. DUCELLIER, Byzantinische Forschungen 5, 1977, p. 25. On notera que le papier utilisé pour copier ce récit est d'un type isolé dans l'ensemble du manuscrit autographe d'Eugénikos : il est le seul à avoir le filigrane «léo­pard assis» (cf. Briquet 7891). Nous remercions vivement M. Thierry Ganchou de nous avoir rappelé cet épisode et fourni les références bibliographiques.

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APION ET PRAEJECTA : HYPOTHÈSES ANCIENNES ET NOUVELLES DONNÉES4

Joëlle BEAUCAMP

Summary : New papyrological data invite reexamination of two aspects of the career of Apion, consul Ordinarius for 539. The first is Apion's age at the time of his consulate : if —as one may infer from P.Oxy. LXIII 4397— he was under his mother's guardianship (tutela) in the years 542-543, he was named consul at the age of ten or eleven. The second point of interest is the existence among Apion's heirs of a woman bearing the same name as the niece of Justinian (Praejecta). Thus, even though the reconstruction suggested by E. Stein has been put into question by the publication of new papyri, its central element, that is the hypothesis of an imperial family alliance, still stands.

Parmi les grandes familles les mieux connues de l'époque protobyzan­tine figure incontestablement celle des Apions1. Grâce à leur ancrage égyptien en effet, la documentation papyrologique vient s'ajouter aux don­nées éparses des sources littéraires ou épigraphiques : les papyrus permet­tent désormais de repérer des membres de cette famille sur presque deux siècles2. Certes, des zones d'ombre et des incertitudes demeurent. Mais les

•Abréviations utilisées : BAGNALL, Consuls = R. S. BAGNALL, AI. CAMERON, S. R. SCHWARTZ et K. A. WORP, Consuls of the Later Roman Empire, Atlanta 1987; BEAUCAMP, Statut, II = J. BEAUCAMP, Le statut de la femme à Byzance (Φ'-7e siècle), II, Paris 1992; GASCOU, Domaines = J. GASCOU, Les grands domaines, la cité et l'État en Egypte byzan­tine, TM 9, 1985, p. 1-90; PALME, Strategius = B. PALME, Flavius Strategius Paneuphemos und die Apionen, ZRG 115, 1998, p. 289-322; PLRE II et IIIA-B = J. R. MARTINDALE, The Prosopography of the Later Roman Empire, Cambridge 1980 et 1992; STEIN, Histoire, II = E. STEIN, Histoire du Bas-Empire, II, Paris-Bruges 1949. Les sources papyrologiques sont citées d'après J. F. OATES, R. S. BAGNALL, W. H. WILLIS, . A. WORP, Checklist of Editions of Greek and Latin Papyri, Ostraca and Tablets, Chico 1992; les autres sources le sont d'après PLRE II et IIIA-B. Les abréviations de périodiques sont celles de la pré­sente revue ou de Y Année Philologique.

1. La bibliographie est rassemblée par R. MAZZA, P. Oxy. XVI 1911 e i conti annuali dei pronoetai, ZPE 122, 1998, p. 161 n. 1 et PALME, Strategius, p. 289 n. 1.

2. Un Strategius apparaît en 439 dans P. Oxy. LXIII 4389 (voir le commentaire de J. Rea, p. 104 n. 1), Apion (III) en 619 (voir n. 54), Strategius Paneuphemos (dont l'ap­partenance directe à la famille des Apions est contestée par PALME, Strategius) dans SB I 5271 de décembre 615.

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 165-178.

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166 JOËLLE BEAUCAMP

nouvelles publications de papyrus contribuent à les restreindre : en 1996 et 1999 notamment, deux volumes de la série des Oxyrhynchus Papyri ont fourni des informations supplémentaires3. C'est sur cette base que je vou­drais réexaminer deux faits, qui sont admis depuis lontemps, mais sur les­quels on ne s'est sans doute pas assez interrogé : l'obtention, en 539, du consulat ordinaire par un jeune membre de la famille, Apion (II)4, et la pré­sence du nom féminin Praejecta un peu plus tard dans cette même famille.

L'ÂGE DU CONSUL DE 539

L'ascension sociale des Apions culmine en 539, quand un Apion, fils du comte des Largesses sacrées Strategius, devient consul ordinaire et obtient de la sorte la fonction la plus prestigieuse dans l'Empire, avec la prérogative de donner son nom à l'année. Si les savants s'accordent sur ce constat5, peu semblent s'être interrogés sur les raisons qui ont pu motiver une telle faveur de la part de Justinien6. La fortune des Apions, qui permettait au nouveau consul d'assumer les énormes dépenses des jeux consulaires, est certainement entrée en ligne de compte. Le choix impérial n'en reste pas moins remarquable.

En effet, si l'on prend en considération les consuls désignés, en Orient, sous les règnes de Justin et de Justinien7, on constate qu'ils se répartissent en trois catégories. Les empereurs exercent le consulat en personne, l'année qui suit leur avènement (Justin en 519 et Justinien en 528), et le réassument une ou deux fois (Justin en 524, Justinien en 533 et 534). D'autres consuls font partie de la famille impériale : en 521 Justinien, qui n'est encore que le neveu de l'empereur Justin ; en 540 Justin, dont le père, Germanus, est un cousin germain de l'empereur Justinien8. D'autres consuls enfin avaient détenu les plus hautes fonc­tions, notamment militaires : ainsi les maîtres des soldats Vitalien et Philoxenus9, en 520 et 525, puis Bélisaire en 535, après la reconquête de

3. P. Oxy. LXIII 4389-4391 et 4396-4397 et LXVI 4535-4536. 4. Les données récentes sur la famille des Apions au 5e siècle impliqueraient de chan­

ger le numéro d'ordre des différents Apions et Strategius connus. Mais, par commodité, les désignations devenues traditionnelles chez les papyrologues seront conservées.

5. GASCOU, Domaines, p. 65 ; PALME, Strategius, p. 293-294. 6. E. R. HARDY, The Large Estates of Byzantine Egypt, New York 1931, p. 3, observe

qu'Apion n'a pas exercé de fonction importante et que la Chronique Pascale donne, ce qui est exceptionnel, le nom du père du consul ; ces deux faits lui suggèrent l'hypothèse qu'Apion ait reçu le consulat en mémoire de son père ou à sa place ; STEIN, Histoire, II, p. 477, envisage un lien avec les réformes apportées à l'administration égyptienne en 538/539 et avec l'importance du père d'Apion.

7. Les deux consuls (tous deux occidentaux) de l'année 522 ont été nommés par la cour occidentale et il en va de même pour l'année 530 ; en 523, 526, 527 et 529, seule la cour occidentale a désigné un consul ; en 531, 532, 536 et 537, il n'y a pas eu de désigna­tion de consul. Voir BAGNALL, Consuls, p. 7-8, 18 et 573-617.

8. Voir PLRE II, stemma 10 p. 1315, et IIIA, p. 750. Il est appelé neveu de Justinien dans BAGNALL, Consuls, p. 615 (et p. 12, «grand nephew»).

9. PLRE II, p. 1171-1176 et 879-880.

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APION ET PRAEJECTA 167

l'Afrique vandale, enfin le préfet du prétoire Jean de Cappadoce en 53810. À ces trois catégories (empereurs, parents de l'empereur, très hauts fonctionnaires) il faut ajouter celui qui fut, en 541, le dernier priva­mi à revêtir le consulat ordinaire : Basilius iunior, membre d'une des plus eminentes familles sénatoriales de Rome, celle des Decii, véritable pépinière de consuls : les ancêtres directs de Basilius sur quatre généra­tions, ses trois oncles et deux de ses cousins avaient été des consuls occi­dentaux11. Ces attaches romaines et cette illustration traditionnelle par le consulat empêchent que l'on tienne son cas et celui d'Apion II pour par­faitement comparables. Par ailleurs, Apion ne saurait entrer dans la caté­gorie des hauts fonctionnaires récompensés par le consulat. En 539, en effet, comme l'atteste l'inscription de son diptyque consulaire, il n'avait pas encore exercé de fonction et jouissait seulement du rang ďillustris, grâce à un titre de comes domesticorum qui devait être honorifique12.

L'une des raisons pour lesquelles Apion n'avait pu se distinguer au service de l'empereur était sa jeunesse. On considérait depuis longtemps qu'il était devenu consul précocement, en se fondant sur l'aspect juvé­nile de son visage, tel que le figure son diptyque13. En 1996, un papyrus d'Oxyrhynchos a confirmé cette jeunesse, au-delà de toute espérance14. Mais toutes les implications du texte n'ont pas été prises en compte. Le document est un accord, conclu le 17 mars 545, par lequel le monastère d'abba Hierax renonce aux revendications qu'il avait élevées à ren­contre de Strategius I, père d'Apion II, puis d'Apion lui-même. Dans la narration des événements qui ont précédé l'accord et qui se sont étendus sur plusieurs années, il est précisé (1. 109-119) que les délégués du monastère «sont récemment (άρτίως) montés à la (ville) impériale et ont prié Apion le très excellent ancien consul et sa mère très renommée (πανεύφημος), qui exerçait aussi la tutelle sur lui (την και

10. STUN, Histoire, H, ρ 461-462. 11 Al. CAMERON et D. SCHAUER, The Last Consul : Basilius and his Diptych, JRS 72,

1982, p. 138 et 143 (repris dans Ute rature and Society m the Early Byzantine World, Londres 1985, XVIII).

12. Le texte (CIL II 2699) est reproduit dans R. DEUBRUECK, Die Consulardiptychen und verwandle Denkmaler, Berlin-Leipzig 1929, p. 150-151 et pl. 33, et HARDY, Estates (cité n. 6), frontispice Sur le caractère non effectif de la fonction de comte des domes­tiques, dans le cas d'Apion comme dans celui du jeune consul de 540, Justin, voir PLRE IIIA, p. 97 et 750 ; on peut aussi évoquer Venantius, jeune consul et comes domesticorum vacans du fait des mentes de son père (voir n 35).

13 H LECLERCQ, Oviedo, dans Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, XIII 1, Pans 1937, col. 227 , GASCOU, Domaines, p. 65 («tout jeune»). Les éludes sur les diptyques consulanes de DELBRUECK, p. 150-151 et de V/. F. VOLBÁCH, Elfenbeinarbeiten der Spatantike und das frühen Mittelalters3, Mayence 1976, p. 31 n° 32, se contentent de signaler l'absence de barbe. Or, pour deux autres consuls, elles associent la jeunesse et le caractère imberbe de la représentation. pour Justin, consul de 540 (VOLBÁCH , p 31-32 n° 33) et pour Anastasius, consul de 517 (DELBRUECK, p. 123-124); pour Justin, la remarque est reprise dans PLRE IIIA, ρ 750 («a beardless youth»). L'absence de barbe n'est pas, néanmoins, un critère fiable de l'âge : le consul de 506, Aréobinde, est repré­senté ainsi (DELBRUECK, p. 109), et il avait alors plus de 40 ans, puisque son mariage remontait à 478/479 (PLRE II, p. 143).

14. P.Oxy LXIII 4397.

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168 JOËLLE BEAUCAMP

έπιτροπεύουσαν αύτφ)» de parachever la donation en numéraire décidée par Strategius avant sa mort. Ce sur quoi, «récemment (άρτίως), Apion le très excellent ancien consul ordinaire et Leontia sa mère très renom­mée... ont enjoint à leurs agents» à Oxyrhynchos de verser le solde de la somme promise par Strategius (1. 119-128). Il ne fait donc aucun doute que la mère d'Apion a exercé quelque temps, vis-à-vis de son fils, une fonction que rendrait le terme επίτροπος. Il reste à définir à quel moment elle a joué ce rôle et quelle était la nature de cette fonction.

Le terme άρτίως ne permet pas, à lui seul, de préciser la chronologie. Mais, quand la délégation du monastère arrive à Constantinople, elle ren­contre, en la personne d'Apion, un «ancien consul ordinaire» : l'entrevue aurait donc lieu au plus tôt en 540, année qui suit le consulat d'Apion15. Elle se situe, par ailleurs, après la mort du père d'Apion. Le moment de ce décès n'est pas connu avec exactitude. Il pourrait être antérieur au 1er mars 542, date à laquelle Pierre Barsymès a déjà remplacé Strategius comme comte des Largesses sacrées16. Mais un papyrus prouve que, dans ses possessions oxyrhynchites, il était toujours considéré comme vivant le 18 février 54217: si sa mort était antérieure, ce serait donc de peu18. Enfin, un autre document d'Oxyrhynchos, datant du 9 octobre 543, est adressé au seul Apion, et non pas à Apion et à sa mère19 : à ce moment-là, le rôle juridique de Leontia aurait donc pris fin20. Au total, on peut situer avec vraisemblance l'activité de Leontia entre la fin de 541 (au plus tôt) et l'automne 543. À partir de là, J. Rea a conclu qu'Apion II «était encore mineur à cette date, c'est-à-dire que, selon toute vraisemblance (presumably), il avait moins de 25 ans, âge romain de la majorité» : Apion serait donc né vers 517 ou 518 et serait devenu consul à 21 ou 22 ans21. L'opinion a été reprise dans les analyses les plus récentes sur la famille des Apions22.

15. À moins que le document, dans son récit rétrospectif, n'applique à Apion un quali­ficatif qui vaut lors de la rédaction, en 545, plutôt qu'au moment de la rencontre.

16. GASCOU, Domaines, p. 65 et n. 366. 17. P. Oxy. LXIII 4396 : voir le commentaire de J. Rea, p. 146. 18. La nouvelle de la mort de l'empereur Maurice parvient à Alexandrie en neuf jours

(Theoph. Sim. ѵ .13.14), et cela en une saison difficile pour la navigation (fin novembre-début décembre).

19. P. Oxy. XVI 1985 : voir le commentaire de J. R. Rea dans P. Oxy. LXIII 4397, p. 148.

20. Sur ce point, les données de P. Oxy. LXIII 4397 (17 mars 545) ne sont pas tout à fait cohérentes. L'adresse initiale (1. 10-11) se réfère au seul Apion ; en revanche, la brève notice qui figure au verso du papyrus mentionne à la fois Apion et sa mère. On pourrait en conclure que, le 17 mars 545, le rôle juridique de Leontia n'était pas achevé ; mais il y aurait alors contradiction avec les informations de P. Oxy. XVI 1985. On peut également estimer que cette mention de la mère, dans la notice, est liée au fait que Leontia avait joué un rôle lors d'une étape antérieure et qu'elle ne reflète pas la situation juridique au moment où l'accord est conclu.

21. P. Oxy. LXIII, p. 148. 22. Ainsi R. MAZZA, dans une communication présentée au colloque «Le rôle et le sta­

tut de la femme en Egypte hellénistique, romaine et byzantine» (Bruxelles-Louvain 1997) ; PALME, Strategius, p. 295 (mais un avis différent est exprimé p. 305 n. 38). Voir aussi B. KRAMER, Urkundenreferat 1996, APF43, 1997, p. 454.

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APION ET PRAEJECTA 169

Or cette interprétation, qui ferait d'Apion un consul certes jeune, mais sans rien d'excessif, se heurte à une importante difficulté : le vocabulaire employé pour la fonction impartie à Leontia, à savoir le verbe έττιτροπεύω. Le droit impérial de l'époque distingue en effet entre la tutelle des impu­bères (jusqu'à 14 ans pour les garçons) et la curatelle des mineurs (jusqu'à 25 ans). Et, même si les papyrus offrent trop peu d'occurrences pour per­mettre une conclusion absolue, cette différenciation d'origine romaine s'y retrouve, tant au 4e siècle qu'au 6e : le terme επίτροπος y apparaît dans le cas d'impubères, celui de κουράτωρ pour des mineurs, alors que le terme générique de κηδεμων peut désigner les deux fonctions23.

En ce qui concerne Leontia et son fils Apion, il n'y a donc que deux solutions possibles. Ou bien le participe έπιτροπεύουσα est employé d'une façon inexacte et Leontia, en 542 ou 543, exerce en réalité la cura­telle sur un fils pubère, mais mineur. Comprendre ainsi n'impliquerait d'ailleurs pas nécessairement qu'Apion ait atteint l'âge de la majorité, à savoir 25 ans, avant le 9 octobre 543. Car on ne saurait exclure que le jeune consul ait obtenu la «remise de l'âge» (venia aetatis), qui permet­tait aux jeunes gens ayant terminé leur vingtième année d'administrer seuls leurs biens24. Si tel était le cas, Apion II aurait eu moins de 20 ans en 542 ou 543 : sa naissance se situerait alors en 522 ou 523 et il serait devenu consul à 16 ou 17 ans. En définitive, si le document oxyrhynchite se réfère à une curatelle de Leontia, il en ressort seulement qu'Apion a été consul entre 16 et 22 ans.

L'autre possibilité amène à un résultat beaucoup plus troublant. Si, en effet, le terme έπιτροπεύουσα est employé à bon escient, cela signifie qu'à un moment indéterminé entre la fin de 541 et l'automne 543 Apion, encore impubère, est sous la tutelle de sa mère ; à l'automne 543, il a déjà atteint la puberté et la tutelle a pris fin. Ces données amènent à pla­cer sa naissance en 528 ou 529. Apion serait alors devenu consul à 11 ans, voire même 10 ans. L'idée est difficile à admettre. Pourrait-elle être étayée par d'autres données sur la famille des Apions ? Il existe bien un indice sur l'âge du père d'Apion Π, Strategius I, mais sa précision est insuffisante. Il semble que Strategius ait été «encore tout jeune en 510»25. À cette date en effet, son propre père, Apion I, tombe en disgrâce

23. Voir BEAUCAMP, Statut, II, p. 172-179. Parmi les documents invoqués les plus révé­lateurs sont : SB XVIII 13295 (P. Cair. inv. 10268), de 298-300, qui mentionne à la fois un κουράτωρ pour une παις qui est άφηλιξ et des επίτροποι, apparemment pour un αρρην (contra A. ARJAVA, Die römische Vormundschaft und das Volljährigkeitsalter in Ägyten, ZPE 126, 1999, p. 202-204) ; P. Oxy. LIV 3756, de 325, qui mentionne également une tutelle pour une enfant et une curatelle pour un jeune homme ; P. Cair. Masp. II 67151, testament de 570 où le gardien désigné par un père pour ses enfants jusqu'à leur majorité est qualifié de κουράτωρ et de κηδεμων (1. 228-261). À ces textes il faut désormais ajouter P. Cair. Cat. 10671 (publié par K. A. WORP, Zwei neue Papyri aus der Kairener Sammlung, ZPE 106, 1995, p. 241-242), en date de 325, où le terme επίτροπος fait claire­ment référence à la tutelle du droit romain et à l'obligation pour la mère de demander un tuteur pour ses enfants impubères qui en sont dépourvus.

24. Code justinien 2,44, 2. 25. R. DELMAIRE, Les responsables des finances impériales au Bas-Empire romain (IVe-

vř s.), Bruxelles 1989, p. 262.

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auprès de l'empereur Anastase : du coup, un frère de Strategius, Hêrakleidês, est contraint de devenir diacre26 ; si Strategius échappe à un sort similaire, c'est vraisemblablement qu'il était encore d'un âge assez tendre. Et plus il était jeune, plus la date de naissance de son fils Apion II devrait être abaissée27.

Par ailleurs, un consul d'une dizaine d'années est-il vraiment inconce­vable ? Il y a eu, bien sûr, des consuls beaucoup plus jeunes, tels le futur Théodose II, consul en 403 à moins de 2 ans ou Léon II, consul en 474 à 6 ou 7 ans ; mais il s'agit d'enfants impériaux, destinés à l'Empire et proclamés Augustes28. Pour eux, le consulat accompagne logiquement la fonction impériale et ce caractère spécifique interdit une comparaison avec un privatus comme Apion. Beaucoup plus intéressant, en revanche, est le cas du consul qui succède à Apion, en 540. Stein, dont l'opinion a été acceptée par différents savants29, place la naissance de Justin entre 525 et 53030. Le fils de Germanus serait alors devenu consul entre 9 et 14 ans. Les sources ne permettent pas de préciser davantage31. Elles fournissent, d'une part, deux faits significatifs : en 540, quand Justin accompagne Germanus, envoyé à Antioche pour organiser la résistance contre les Perses, aucun rôle militaire ne lui est attribué; en 550, en revanche, il aide son père à lever une armée. Les textes offrent, d'autre part, quelques remarques sur son âge. Agathias indique simplement qu'il est encore jeune en 554. Procope donne plus de détails : au moment où Arsace cherche à gagner Germanus et ses fils à son complot contre Justinien (donc début 54932), Justin est un jeune homme qui vient d'avoir sa première barbe ; malheureusement, comme l'a fait remarquer Stein, la façon dont Procope emploie cette expression ne permet pas d'inférer un âge inférieur à 18 ans33. Procope souligne encore, à cette occasion, que l'empereur tient Justin et son frère cadet à l'écart des fonctions étatiques,

26. Theod. Lect. Epit. 482. 27. Il faut, à cet égard, tenir compte du fait que Strategius a été préfet augustal au

moins IS ans avant la promulgation de Γ Edit XIII de Justinien, donc avant 524, si on se fonde sur la date généralement admise pour cet édit : voir GASCOU, Domaines, p. 64 ; DELMAIRE, Responsables (cité n. 25), p. 263.

28. Voir BAGNALL, Consuls, p. 341 et 483 (pour Léon) ; PLREII, p. 664-665. On peut ajouter que deux des fils de Constantin ont été consuls à 9 et 4 ans respectivement (BAGNALL, Consuls, p. 23) et que le futur Valentinien HI a 5 ans lors de son consulat (PLRE II, p. 1138-1139).

29. PLRE, IIIA, p. 750, qui fait naître Justin vers 525 ; D. FEISSEL et I. KAYGUSUZ, Un mandement impérial du VIe siècle dans une inscription d'Hadrianoupolis d'Honoriade, TM 9, 1985, p. 403 n. 14, pour qui il n'a pas dû naître avant 530.

30. STEIN, Histoire, II, p. 744 et n. 2 ; dans sa notice de 1919 (RE X 2, col. 1330), il disait simplement «noch ein Knabe». DELBRUECK, Consulardiptychen (cité n. 12), p. 151-152, lui avait attribué 8 à 10 ans lors de son consulat, en se fondant sur la notation de Procope relative à sa première barbe (mais voir ci-dessous).

31. Voir PLRE HIA, p. 750-751. 32. Sur la date, voir PLRE IIIA, p. 128 (Artabanes 2). 33. STEIN, Histoire, II, p. 744 n. 2. De fait, l'expression est employée pour Bélisaire et

Sittas, en 527 (Proc. BP 112.21) ; or, à en croire Agathias (V 15.7), Bélisaire est vieux en 559 ; sa naissance pourrait donc être placée avant 500 (PLRE IIIA, p. 182).

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ce qui implique qu'ils seraient déjà en âge de les exercer ; il précise enfin que Justin était à même de gérer ses propres affaires, ce qui pourrait ren­voyer tant à l'âge de la majorité qu'à celui de la venia aetatis. Au total, la proposition faite par Stein apparaît tout à fait vraisemblable, mais il n'est pas possible de préciser davantage l'âge de Justin, même en pre­nant en compte les données concernant son frère cadet Justinien ou leur sœur Iustina34. En tout cas, c'est apparemment un consul impubère qui a succédé à Apion35.

En définitive, l'idée qu'Apion ait été consul à 10 ans ne peut être écar­tée comme absurde. De toute façon, il fut un jeune consul, et l'honneur rare dont il a bénéficié ne s'explique pas par le service impérial. L'explication reste à trouver.

L'IDENTITÉ DE PRAEJECTA

Le second fait remarquable dans la famille des Apions est de voir, quelques décennies plus tard, figurer parmi les héritiers du consul de 539 une femme appelée Praejecta. Elle apparaît, entre l'extrême fin de 587, au plus tôt, et 591, dans cinq papyrus : ils la dénomment «très excellente hypatissa» et indiquent que, avec son fils Apion ( ) et sans doute un autre fils, Georges, elle a succédé à Apion II dans ses possessions oxy-rhynchites36. Praejecta est un nom rare. En dehors de celle des papyrus (Praeiecta 2), la Prosopographie de l'Empire romain tardif ne connaît,

34. E. STEIN, dans RE X 2, col. 1330, situe la naissance de Justinien au plus tôt en S2S ; dans PLREIIIA, p. 744, elle est placée vers 525-530, sans doute. Aux sources se référant aux deux frères à la fois s'ajoute simplement une remarque de Jean d'Épiphaneia, selon laquelle, en 575, Justinien n'est affecté ni par les défauts de la jeunesse ni par ceux de la vieillesse. — L'âge de leur sœur Iustina est connu avec plus de précision, puisque Procope permet de situer la naissance en 527 (PLRE IIIA, p. 742-743). Mais quand Procope désigne Justin comme l'aîné des enfants (παίδες) de Germanus (BG III 32.14), cela ne concerne que l'âge relatif des deux frères, car le passage en question, qui traite de la conspiration d'Arsace, ne s'intéresse qu'à Germanus et à ses deux fils (voir BG III 32.10 et 13). C'est bien ainsi que l'interprète STEIN, ibid., col. 1330 («der ältere Sohn») et col. 1310 («der jüngere Sohn»). L'information n'implique donc pas que Justin soit plus âgé que sa sœur.

35. Si le cas de Justin est le plus proche, dans le temps et l'espace, de celui d'Apion, on peut également mentionner deux consuls occidentaux du début du siècle. — Lorsque Avienus, en 502, devient consul, il est encore très jeune : le vocabulaire des sources le montre, qui le désignent comme adulescens ou tener ; et la date de son mariage (conclu fin 512) pourrait en être un autre indice ; mais il est difficile d'en déduire un âge précis. Voir PLRE II, p. 192-193. Selon BAGNALL, Consuls, p. 539, il a dû devenir consul «très jeune». Le terme adulescens suppose tout de même qu'il avait atteint l'âge de la puberté : voir J.-P. NERAUDAU, La jeunesse dans la littérature et les institutions de la Rome républi­caine, Paris 1979, p. 94-98, 134-138. — Quand le consulat est octroyé, pour l'anné 507, à Venantius, celui-ci est in tenera aetate. Voir PLRE II, p. 1153 (Venantius 2) : la dignité de comes domesticorum vacans lui a également été attribuée, avant tout à cause des mérites de son père. BAGNALL, Consuls, p. 549, dit simplement : «consul very young».

36. P. Oxy. XVIII 2196, XIX 2243a, XVI 1989 et 1990, P. Eri. 67. Voir BEAUCAMP, Statut, II, p. 134-136 et 406.

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pour le 6e siècle, que deux femmes nommées ainsi : une noble dame d'Italie et la nièce de l'empereur Justinien, fille de sa sœur Vigilantia (Praeiecta 1). Le possible rapprochement n'avait pas échappé à un histo­rien comme Stein : dans sa somme sur le Bas-Empire, il supposait un lien entre les deux femmes et suggérait que la nièce de Justinien soit la mère de la Praejecta des papyrus et la grand-mère d'Apion III37. Cette idée avait été acceptée38, car elle s'harmonisait avec la reconstruction généalogique de la famille des Apions à laquelle invitaient les papyrus alors connus : Praejecta (2) y figurait comme épouse de Strategius II, fils d'Apion II, et comme mère d'Apion III. En d'autres termes, dans cette hypothèse, le fils du consul de 539 aurait épousé la fille de la nièce de Justinien, appelée Praejecta comme sa mère. Mais, depuis 1985, date de la dernière synthèse sur la famille des Apions, la publication de nou­veaux papyrus a remis en question la place de Praejecta 2 dans leur arbre généalogique. En effet, un papyrus publié en 1986 a révélé le nom de la veuve d'un Strategius, qui a été identifié à Strategius II : elle s'appelle Theophania et est mère de deux filles39. Il fallait donc trouver une autre place pour Praejecta, mère d'au moins un fils. De plus, en même temps que la situation de Praejecta 2 dans la famille des Apions, son lien avec la famille impériale s'est également trouvé mis en cause. C'est ce pro­blème que je voudrais examiner.

S'agissant de la place de Praejecta 2 chez les Apions, il n'y a, en fait, que deux solutions vraisemblables, dans la mesure où les documents la dénomment (avec son ou ses fils) héritière d'Apion II : ou bien elle était sa fille ou bien elle était son épouse40. La première solution a été adoptée par des papyrologues : proposée en 1989 par G. Fan toni, sans argument particulier41, elle a été reprise par B. Palme dans les deux articles qu'il a récemment consacrés à un autre membre supposé de cette famille, Flavius Strategius Paneuphemos42. D'après lui, cette nouvelle reconstitu-

37. STON, Histoire, II, p. 554 n. 1. 38. Al. CAMERON, The House of Anastasius, GRBS 19, 1978, p. 268-269 et 274 (repris

dans Literature and Society in the Early Byzantine World, Londres 1985, XIV) ; GASCOU, Domaines, p. 70.

39. CPR X 127; voir A. PAPATHOMAS, Textbeiträge zu CPR XIV, Tyche 10, 1995, p. 145-146.

40. Voir J. BEAUCAMP, Donne, patrimonio, Chiesa (Bisanzio, IV-VII secolo), dans // tardoantico alle soglie del duemila. Diritto, religione, società, G. LANATA (éd.), Pise 2000, où est aussi discutée l'hypothèse de PALME, Strategius, p. 304-306, sur l'adoption de ses petits-fils par le consul Apion. Le fait que Praejecta et un (ou des) fils de celle-ci soient dénommés ensemble héritiers d'Apion indique qu'Apion II avait rédigé un testament (ce qui paraît aller de soi à ce niveau social) : dans le cadre de la succession ab intestat, en effet, une mère et ses enfants ne se retrouvent au même rang successoral que par rapport à un autre enfant prédécédé.

41. CPR XIV, Appendix, p. 43. Depuis lors, P. Oxy. LXIII 4390, de 469, a révélé une autre femme de la famille des Apions qui hérite de son père : «Flavia Isis, la clarissime fille et héritière de Strategios de glorieuse mémoire».

42. B. PALME, Die domus gloriosa des Flavius Strategius Paneuphemos, Chiron 27, 1997, p. 96 ; PALME, Strategius, p. 298 : les arguments invoqués sont — outre le fait qu'un fils de Praejecta porterait, comme il est habituel, le nom de son grand-père — le rang

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tion généalogique rend caduque l'hypothèse de Stein. De fait, si la Praejecta des papyrus est la fille d'Apion II, elle ne peut avoir pour mère la nièce de Justinien. Car cette dernière a été mariée d'abord au patrice Aréobinde, puis à un arrière-petit-neveu de l'empereur Anastase, Jean43 ; un troisième mariage avec Apion II apparaît hautement improbable. Faut-il, pour autant, exclure tout lien entre les deux Praejecta ?

Ne pourrait-on, par exemple, envisager que le jeune consul ait épousé une fille de la nièce de Justinien et que le couple ait eu une fille, qui aurait été appelée Praejecta comme sa grand-mère maternelle ? Certes, il n'y a aucune trace d'enfants de Praejecta 1 dans les sources littéraires44. Par ailleurs, les données permettant de la situer dans le temps se rédui­sent à peu de choses. En ce qui concerne son âge, la seule information directe vient de Procope : Praejecta était jeune au moment de la mort de son mari Aréobinde, fin 545, puisqu'elle est alors qualifiée de κόρη45. Cette donnée peut être rapprochée des indications, malheureusement approximatives aussi, qui concernent les deux frères de Praejecta et qui amènent à situer leur naissance vers 520-52546. Pour ce qui est des deux mariages de Praejecta, le second se place après le retour d'Artabane d'Afrique et avant la mort de Theodora, donc entre 546 et juin 54847. La date du premier mariage, avec Aréobinde, n'est pas connue avec préci­sion : on peut seulement dire qu'il est antérieur au départ pour l'Afrique, en 54548. Autrement dit, il ne serait pas impossible, d'un point de vue

exceptionnel de Praejecta et de ses fils, consuls dès leur jeune âge, donc, pour B. Palme, du fait de leur ascendance. Pourtant, le fait que Praejecta et son (ou ses) fils soient dénom­més ensemble héritiers d'Apion II n'implique pas que lesdits enfants soient jeunes et sous la tutelle de leur mère, comme il le remarque plus loin (p. 305-307). Le seul autre indice dont on dispose sur l'âge d'Apion ΙΠ est qu'il était marié en 592 et que deux enfants au moins étaient nés de cette union en 594 (PLRE , p. 99).

43. Voir PLRE ΠΙΒ, p. 1048-1049 (Praeiecta 1). 44. La mention d'une «fille» d'Aréobinde (donc de Praejecta 1) dans la traduction de

D. Roques (PROCOPE de Cesaree, La guerre contre les Vandales, Paris 1990, p. 211, II 27.20) est une «coquille» : il s'agit en réalité de la sœur d'Aréobinde.

45. BV Π 27.22. 46. De l'un de ses frères, Marcellus (Marcellus 5 dans PLRE ΙΠΒ, p. 816-817) Procope

dit, quand il devient maître des soldats en 544 et est envoyé sur la frontière orientale, qu'il a commencé récemment à avoir de la barbe (BP II 28.2 : αρτι γενειασκοντα). On pourrait situer sa naissance vers 525, mais aussi plus tôt, si l'on en croit l'expression similaire ana­lysée par Stein (voir n. 33). Son second frère n'est autre que le futur empereur Justin II. Corippe indique qu'au moment de son avènement, en 565, ce dernier avait une fille mariée (voir Av. CAMERON, The Empress Sophia, Byzantion 45, 1966, p. 6, repris dans Continuity and Change in Sixth-Century Byzantium, Londres 1981, XI) et qualifie son âge de praestantìor (Coripp. lust. II 284-285 et 72-84 et I 53). Selon STEIN, Histoire, Π, p. 744 et n. 3, l'expression implique qu'il approchait de la cinquantaine : il serait donc né vers 520 au plus tard. Ajoutons que la date du mariage de leur mère, Vigilantia, sœur de Justinien, est absolument inconnue.

47. PLRE ΙΠΒ, p. 1049 (Praeiecta 1) et , p. 665 (Ioannes 63) et 128 (Artabanes 2). 48. Pour STEIN, Histoire, Π, p. 551 n. 1, Aréobinde a sans doute épousé Praejecta «très

peu de temps avant d'être envoyé en Afrique» (en 545); son opinion est suivie par D. Roques, dans l'ouvrage cité n. 44, p. 260-261 (note 1 de Π.24). Elle repose sur le fait que Marceil. com. Addit. ad a. 546 mentionne le mariage d'Aréobinde avec la nièce de

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chronologique, que la nièce de Justinien ait eu une fille au début des années 540 et que cette fille ait eu d'Apion une fille nommée Praejecta, qui apparaîtrait dans la documentation en 587 avec ses enfants. L'intervalle entre les générations serait, certes, court ; mais les femmes de la famille impériale étaient données en mariage très jeunes : le fait, par exemple, que la fille de Germanus ne soit pas mariée à 18 ans pou­vait apparaître comme un cas extraordinaire, qui ne s'expliquait que par les machinations de Theodora49. Que cette reconstitution soit possible n'implique pas qu'elle corresponde à la réalité. Il s'agissait ici simple­ment de montrer que la nouvelle place que des papyrologues ont propo­sée pour Praejecta 2 dans la famille des Apions n'impose pas de renon­cer à l'idée d'une alliance impériale.

Mais la Praejecta des papyrus est-elle vraiment la fille du consul Apion ? Certains papyrologues réservent leur jugement50. Une seconde hypothèse, comme il a été indiqué plus haut, est recevable : Praejecta 2 serait l'épouse d'Apion. C'est la solution qu'adopte J. Martindale, sans développer d'argumentation51. Elle présente l'avantage d'expliquer pour­quoi Praejecta est dénommée «très excellente hypatissa» : son «éclat» lui viendrait de son mari, comme le prévoit expressément, en 537, la Novelle de Justinien sur le consulat52. Mais d'autres aspects font hésiter. Premièrement, dans les documents oxyrhynchites de 590-591 adressés aux «héritiers» d'Apion II, Praejecta et Apion III, ce dernier est désigné seulement comme «fils de (Praejecta)», ce qui peut surprendre, s'il est en même temps fils d'Apion53. Deuxièmement, l'écart chronologique entre

l'empereur à propos de son envoi en Afnque («Anovinda neptem imperatons acceptam ibi iudex dingitur»). Mais cela n'implique pas nécessairement que les deux événements soient très proches. Selon PLRE IIIA, p. 107-109, la carrière d'Aréobinde avant 545 est inconnue (la question de la date du manage n'est pas abordée).

49. Proc. Anecd. 5.8. Pour les cas du 4e siècle, voir BEAUCAMP, Statut, II, p. 296 et η 7 50. Pour R. Mazza, dans la communication citée n. 22, s'il semble probable que

Praejecta soit la fille d'Apion II, le problème de la succession d'Apion reste ouvert II faut remarquer aussi que les éditeurs de la séné des papyrus d'Oxyrhynchos n'ont pas pris expressément position sur cette question, dans les volumes récents (dans Ρ Oxy LXVI 4536, note aux 1. 7-9, J. Thomas renvoie simplement aux articles de B. Palme).

51. Dans PLRE HIB, p. 96-97 (Apion 3 · «probably husband of Flavia Praeiecta 2»), p. 1049 (Praeiecta 2 • son titre de hypatissa «was perhaps derived from the ordinary consulship of her husband»), p. 99 (Apion 4, fils de Praeiecta 2 : «probably a son of Apion») et stemma 9, p. 1544.

52. Novelle 105, . 2 pr. (où il est précisé, de plus, que ni la fille, m la sœur, m la bru d'un consul n'ont de part à sa dignité). U faut observer qu'en ce cas toutes les mentions papyrologiques d'une «très excellente hypatissa» concerneraient l'épouse du consul ordi­naire Apion : en dehors des documents nommant explicitement Praejecta 2, l'expression «notre maîtresse la très excellente hypatissa» figure dans P. Oxy XXVII 2480 (de 565/566) et se réfère, selon toute vraisemblance, à l'épouse du consul ordinaire Apion, désigné, lui, par l'expression «notre maître le très excellent Apion» (1. 18-19 et 37 voir GASCOU, Domaines, p. 65 et n. 369).

53. Apion III aurait, par ailleurs, le même nom que son père, et non (comme d'ordi­naire) que son grand-père. Mais ce n'est pas sans exemple (ainsi, dans la famille de l'em­pereur Héraclius).

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le consul Apion, d'une part, Praejecta et son fils Apion III, d'autre part, est important. Apion II apparaît, vivant, dans la documentation entre 539 et 577 ; Praejecta apparaît, elle, entre 587 au plus tôt et 591, et Apion III, fils de Praejecta, entre 587 et 61954. Un décalage de 40 ans et plus entre la génération du père et celle du fils est difficile à admettre. Mais il n'est pas impossible, si l'on suppose une différence d'âge importante entre Apion et son épouse. Par ailleurs, l'écart se réduit si l'on admet que le consul était très jeune en 539 et que son fils l'était moins en 58755.

Envisager qu'Apion II soit le mari de Praejecta 2 va, par ailleurs, à rencontre de la proposition faite récemment par B. Palme : le mari de Praejecta 2 serait Strategius Paneuphemos56. Cette «hypothèse de tra­vail», comme il la qualifie lui-même, a le mérite de résoudre la question controversée de la place de ce personnage, qui semble lié aux Apions, sans néanmoins s'intégrer dans leur lignée57. Mais elle n'emporte pas la conviction. D'abord, le mari présumé (Strategius Paneuphemos) apparaît dans les papyrus quand son épouse (Praejecta) en disparaît et il y est attesté presque aussi longtemps que leur fils (Apion III)58. Surtout, le fondement de la reconstruction de B. Palme, à savoir la nouvelle analyse qu'il propose de P. Oxy. XVI 182959, est contestable à plusieurs égards. Cette feuille de papyrus contient deux lettres, de contenu similaire, adressées à deux personnes différentes, mais dont une seule (un Strategius) semble désignée au verso ; elles ont trait à la fonction et à la succession d'un pagarque défunt, de rang «très glorieux» ; ce pagarque est le père du premier destinataire et le beau-père (πενθερός) du second. Sur cette base, on avait conclu que le document s'adressait à un couple60. B. Palme estime, à la suite de J. Gascou, que les deux destinataires sont nécessairement des hommes. Il observe, par ailleurs, que le document a l'aspect d'un brouillon, lequel n'a jamais dû être envoyé. Enfin le verso présente un seul nom de destinataire (Strategius), accompagné de quatre épithètes honorifiques («très glorieux», «très excellent» à deux reprises, «très renommé»), au lieu de deux habituellement. Il en conclut que la formulation du verso fusionnerait les épithètes concernant deux destina-

54. Pour Apion II, voir son diptyque et P. Oxy. XVI 1896 (17 mai 577) ; P. Oxy. I 135, du 21 mars 579, implique qu'il est déjà mort ; le même raisonnement a été fait à partir de CPR XIV 11, du 20 décembre 578 (PALME, Strategius, p. 294 n. 15). Pour Praejecta, voir P. Oxy. XVIII 2196 (derniers jours de 587, à la suite de GASCOU, Domaines, p. 68 n. 383) et P. Eri. 67 (17 septembre 591). Pour Apion III, voir encore P. Oxy. XVIII 2196 et P. land. Ill 49 (5 juillet 619) ; le 12 janvier 620, d'après P. Oxy. LVIII 3959, il est déjà mort.

55. Sur l'âge d'Apion III, voir n. 42. 56. PALME, Strategius, p. 291-293 et 308-322. 57. Pour le rappel des positions antérieures, voir PALME, Strategius, p. 311-312. 58. La première mention de ce Strategius se trouve dans P. Oxy. LVIII 3935 de mars

591 ; pour les autres données, voir n. 2 et 54. Un tel décalage entre le mari et l'épouse est plus gênant que le décalage inverse, en raison de l'âge du mariage, plus tardif pour les hommes.

59. PALME, Strategius, p. 308-319 : elle est très précieuse par les corrections apportées au texte, ainsi que par une foule d'observations minutieuses.

60. Voir BEAUCAMP, Statut, II, p. 445-446 (n. 20) ; PALME, Strategius, p. 311-312.

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taires, qui s'appelleraient Strategius l'un et l'autre. Le premier serait Strategius II, fils d'Apion II (lequel fut pagarque) ; le second serait Strategius Paneuphemos, qui aurait donc Apion II pour beau-père et s'avérerait, de la sorte, le mari de Praejecta.

Assurément, l'hypothèse est extrêmement ingénieuse. Son ingéniosité même suscite quelque hésitation : la probabilité qu'une homonymie entre beaux-frères explique une formulation bizarre paraît faible. Et diverses objections viennent à l'esprit. Comment se fait-il, d'abord, qu'un même document soit adressé à deux hommes qui n'habitaient certainement pas ensemble ? Les lettres doubles sont en général destinées à des personnes d'une même maisonnée61. Reconnaître le texte comme une simple ébauche, qui n'a pas été réellement envoyée, répond dans une certaine mesure à cette critique. Comment se fait-il, ensuite, que le gendre du pagarque défunt joue un rôle aussi important dans la succession de son beau-père ? En effet, selon B. Palme lui-même, Strategius Paneuphemos a toujours été tenu strictement à l'écart des affaires des Apions62. Par ailleurs, cette reconstitution pose deux problèmes textuels. Elle implique, d'une part, que le beau-frère soit désigné, dans le courant de la première lettre, par le terme «frère» (αδελφός), ce qui me paraît impossible dans un tel contexte63. Elle a, d'autre part, pour effet que l'expression «ma maîtresse la très glorieuse dame» se réfère à Praejecta64, ce qui semble étrange pour quelqu'un que les papyrus dénomment toujours «très excel­lente hypatissa». Enfin, un des fondements servant à la construction de B. Palme manque de solidité. Si celui-ci soutient, en effet, que les deux destinataires sont des hommes, c'est parce que chacun d'eux est désigné par la périphrase «votre Autorité (εξουσία)» et qu'une telle périphrase ne saurait s'appliquer à une femme, dépourvue de potestas65. Or il existe au moins une autre lettre d'époque byzantine où cette périphrase est employée pour une femme de très haut rang66. L'hypothèse, plus simple, de deux lettres adressées à un couple garde donc sa probabilité et il devient douteux qu'elles aient pour destinataires deux beaux-frères, dont l'un, Strategius Paneuphemos, serait le mari de Praejecta. Praejecta 2, si

61. Sur ce phénomène, voir P. Oxy. XLIX 3503 et, pour des références plus récentes, PALME, Strategius, p. 313 n. 52 (où il faut lire P. Heid. VII 400).

62. PALME, Strategius, p. 315-316 et 321-322. 63. P. Oxy. XVI 1829, 1. 7. PALME, Strategius, p. 316, se réfère à P. Oxy. LIX 4005,

1. 6, pour appuyer l'idée ανάδελφος peut désigner un beau-frère. Mais le cas n'est pas comparable. Là, l'auteur de la lettre écrit à quelqu'un (très vraisemblablement son beau-frère) en utilisant, dans l'adresse au verso, la formule de politesse «à monsieur (mon) frère Theodosios» ; on a donc affaire à l'emploi «affectif» ά'άδελφός, et cela ne signifie rien en ce qui concerne l'utilisation d'un terme de parenté à la place d'un autre. Ici, l'auteur de la lettre indique, dans le cours de sa narration, des relations objectives de parenté ; il ne peut s'agir d'un emploi figuré.

64. PALME, Strategius, p. 317-319 ; sur l'expression, voir déjà BEAUCAMP, Statut, II, p. 445 (n. 20).

65. PALME, Strategius, p. 314. 66. BGUΙΠ 798,1.4 et 9. Voir déjà BEAUCAMP, Statut, II, p. 446 (n. 20).

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APION ET PRAEJECTA 177

elle n'est pas l'épouse de Strategius Paneuphemos, reste donc disponible comme épouse pour Apion IL

Dans cette éventualité, une parenté avec la nièce de Justinien est encore concevable. Praejecta 1 a épousé Jean entre 546 et 548. Praejecta 2 pourrait être issue de cette union ; de son mariage avec le consul de 539 serait né Apion III qui a lui-même des enfants en 594. Chronologiquement, une telle reconstruction est possible. Mais il s'agit d'une simple conjecture, et d'une conjecture qui entraînerait d'impor­tants bouleversements dans la généalogie des Apions, en particulier à propos de Strategius II : celui-ci ne saurait avoir pour mère une femme née vers 550. À vrai dire, non seulement les dates auxquelles Strategius II est attesté, mais aussi sa place exacte dans la famille des Apions sont problématiques67. Et même si l'opinion traditionnelle devait être maintenue, l'obstacle ne serait pas décisif. Strategius II aurait pu naître d'un premier mariage d'Apion II68.

Au total, deux cas de figure me semblent possibles, qui impliquent tous deux un mariage du consul de 539 avec une fille de la nièce de Justinien. Dans le premier cas, l'épouse d'Apion serait issue du premier mariage de Praejecta 1 et aurait donné naissance à la Praejecta (2) des papyrus. Dans le deuxième cas, l'épouse d'Apion serait issue du second mariage de Praejecta 1, et elle ne ferait qu'une avec la Praejecta des papyrus. Il s'agit, bien évidemment, de conjectures, et elles s'excluent l'une l'autre. Pour choisir entre elles ou proposer une solution inédite, il faudra de nouvelles données, et on peut raisonnablement espérer que des publications de papyrus en fourniront, notamment pour la place de Praejecta II et de Strategius II dans l'arbre généalogique, le nom de l'épouse d'Apion II ou encore l'âge de celui-ci.

67. L'existence d'un Strategius, fils du consul ordinaire Apion, repose, d'une part, sur l'alternance des deux noms au sein de cette famille (mais voir les réserves exprimées dans BEAUCAMP, Donne, cité n. 40) ; elle repose, d'autre part, sur des documents se référant à un Strategius, avant 580. Un Strategius est mentionné dans un compte des Apions que l'on place en 5767577 (P. Oxy. XVIII 2195) ; à Arsinoé en 578 (CPR XIV 11) est attesté un Strategius «très glorieux stratélate et pagarque», qui meurt avant 584 (CPR X 127). À ces trois textes s'ajouterait éventuellement P. Oxy. XVI 1829, qui ne comporte aucune data­tion par année. Quant à P. Oxy. I 130, qui mentionne un «très excellent» Strategius, fils d'un Apion qui est patrice et duc de Thébaïde, il n'est pas tout à fait certain qu'il concerne le consul et son fils (voir GASCOU, Domaines, p. 66 n. 370 et PALME, Strategius, p. 294 n. 14). Enfin, pour P. Oxy. XVI 1911 et LV 3804, voir les réserves exprimées par PALME, Strategius, p. 296 n. 18.

68. L'hypothèse, qui n'a jamais été envisagée, de deux mariages d'Apion II permettrait d'expliquer les difficultés de la succession du consul, qui font que ses héritiers restent anonymes pendant presque dix ans dans la documentation oxyrhynchite : deux branches, issues de deux unions différentes, se seraient en ce cas disputé les biens. La séparation ultérieure des domaines oxyrhynchites et des autres possessions, sur laquelle PALME, Strategius, p. 319-320, allire l'attention, s'expliquerait de la même façon. Et la branche qui l'emporterait au cœur de la fortune des Apions, à Oxyrhynchos, serait celle d'une femme très vraisemblablement apparentée à l'empereur.

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178 JOËLLE BEAUCAMP

Les analyses qui précèdent apportent, en attendant, deux éléments de réflexion. Premièrement, Apion II est devenu consul jeune et sans doute beaucoup plus jeune qu'on ne le pensait. Les raisons de cette faveur exceptionnelle restent à comprendre69? Deuxièmement, l'hypothèse d'une alliance impériale faite autrefois par Stein conserve toute sa force : les découvertes papyrologiques récentes sur la famille des Apion s ne la rendent nullement caduque. On ajoutera, à cet égard, une dernière obser­vation : au troisième tiers du 6e siècle, la fortune des Apions continue à être éclatante, et cela alors qu'ils n'exercent plus, comme autrefois, de hautes fonctions au service de l'empereur. Or Praejecta 1 avait pour frère Justin, qui accède à l'Empire en 565. Si le consul de 539 avait épousé une fille de Praejecta, la famille des Apions comptait alors parmi ses membres une nièce d'empereur.

Joëlle BEAUCAMP (Centre Paul Albert Février, Aix-en-Provence)

69. Le Récit sur la construction de Sainte-Sophie mentionne une parenté rituelle, dont la forme paraît anachronique, entre le père d'Apion et Justinien (Strategius y est appelé «frère par adoption» de l'empereur) : voir G. DAGRON, Constantinople imaginaire. Etudes sur le recueil des «Patria», Paris 1984, p. 198 (§ 4), 200 (§ 9) et 219-220 (n. 31).

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THE MANIAKION OR TORC IN BYZANTINE TRADITION

Christopher WALTER

Résumé : Cet article présente de façon systématique le torque — en grec μανιάκιον — dans le cérémonial et l'iconographie à Byzance. Après avoir précisé son usage chez les

peuples "barbares", notamment les Sassanides et les Gaulois, l'auteur décrit comment les Romains — et surtout les Byzantins — s'en sont servis, d'abord pour récompenser la valeur au combat et ensuite comme insigne des spatharioi. Comme attribut, le torque était utilisé dans l'iconographie presque uniquement pour les saints Serge et Bacchus. Dans l'iconographie copte, le torque est devenu plutôt décoratif ou honorifique.

While preparing a general study of Byzantine warrior saints1, I had naturally to turn my attention to Saints Sergius and Bacchus. I could hardly fail to observe that they were often, but not always, represented wearing a tore, an ornament around their necks. This was rarely the case for other warrior saints. The tore is, of course, well known to Byzantinists ; it has been the subject of a number of studies which are not always in agreement. To have entered into detail about the tore would have been out of place in a general study of warrior saints, for it poses complex problems. I therefore left it aside, considering that the subject would be more appropriate to an excursus. In this article, I intend to focus on the tore in Byzantine iconography. However, this can hardly be done without giving attention to the terms used to designate this neck ornament in the literary sources and what these tell us about it.

The most common term in Byzantine texts is μανιάκιον. However, according to Liddell & Scott, this is a diminutive form of the classical μανιάκη(ς) ; they define it as a necklace — tore — worn by Persians and Gauls. The word occurs in the Septuagint, Esdras, 3, 6, precisely in an account of a banquet given by king Darius of Persia. Three young men of his personal bodyguard disputed what was the strongest influence in

1. This book is due to appear in 2001, probably with the title Warrior Saints in Byzantine Art & Tradition.

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 179-192.

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180 CHRISTOPHER WALTER

life. The one whose answer was judged best would receive, among other privileges, the right to wear a chain around his neck. Related terms were κλυός and στρετττός2. Pseudo-Codinos explains that, in his time, μανιάκιον had changed it meaning ; it was used to signify sleeve. It had been replaced by στρετττός. Virgil wrote that young Trojan warriors wore a circle of twisted gold around their necks (Aeneid V, 558-559). However, Virgil did not use the word torques, the Latin equivalent of μανιάκιον, from which our modern word tore derives3.

No scholar who has studied the tore doubts that its use was not endemic in Roman or Hellenic tradition. It was introduced from sur­rounding nations, particularly the Persians or Sassanians and the Gauls. There are numerous artifacts which illustrate the tore. The Romans were aware that the Persians wore the tore. In the celebrated mosaic from Pompeii of the Battle of Isso, now in the Archaeological Museum in Naples, of Alexander fighting Darius, with members of his retinue, are represented wearing a tore. The Romans were also aware that the Gauls wore the tore, as is evident from the equally celebrated statue of the dying Gaul.

There are numerous examples of the tore on Sassanian and Gallic arti­facts. A tore with a jewel suspended from it is worn by the princely rider on the Sassanian plate in the Metropolitan Museum, New York4

(Figure 1). There are many objects from Gaul in the Musée des Antiquités nationales at Saint-Germain-en-Laye5. Besides statues of fig­ures, probably gods (Figure 2), there are also actual tores, dating from the fifth century B.C. to the first century A.D. They have different forms, sometimes open at the front, sometimes a complete circle with a jewel or jewels at the front. Two tores from la Tene, n° 34 and n° 36, are particu­larly interesting, because they are ornamented with three jewels, a form which was taken up on the Byzantine μανιάκιον.

How the tore came into favour in late Roman and early Byzantine society is a little obscure. The figure leading the horses, the strator, on the arch at Lepcis Magna (Figure 3) wears a tore, with a circle suspended from it6. According to M.P. Speidel, tores were used in the late Roman

2. Pseudo-Kodiaos, Traité des offices, edited by J. VERPEAUX, Paris 1976, p. 219. 3. S. REINACH, Torques, in Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. 5, 376-

379. 4. For further examples, vid. R. GIRSHMAN, Persian Art, Paris 1953, plates 205, 208-

209, 250, 251, 267, 289; N.G. GARSOÏAN, The Iranian Substratum of the Agat'angelos Cycle, East of Byzantium, Syria & Armenia in the Formative Period, Washington DC 1982, p. 151-174, especially p. 131, figures 5-8.

5. Musée des antiquités nationales, Saint-Germain-en-Laye, Paris 1998, especially n° 102, a torc with two jewels ; n° 113, a god from Bouray, Essonne ; À la rencontre des Dieux gaulois, Catalogue of exhibition at Saint-Germain-en-Laye, 1999, p. 19, 29, 81-83.

6. CH. WALTER, The Dextrarumjunctio of Lepcis Magna in relation to the iconography of marriage, Antiquités africaines 14, 1979, p. 271-283 ; reprinted, Prayer & Power in Byzantine and Papal imagery, Aldershot 1993, V.

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THE MANIAKION 181

army to reward valorous officers7. In fact, Reinach had already cited Pliny's Historia naturalis in favour of this. A tribune called Licinius Deutatus who fought in 120 battles received 83 tores8 ! However, it is unlikely that the tore was restricted to being a reward for valour in Constantine's time, when a figure wearing it was represented on his Arch in Rome.9 Another sign of its acceptance is the elevation of Julian at Lutetia Parisiorum in 361.10 He was surrounded by Gauls, one of whom would have lent his tore to be used as a crown. Anastasius II (713-715) was also elevated to the imperial throne by being raised on a shield and having a tore placed on his head.11

The tore would also have been worn as a personal ornament, just as necklaces are today by contemporary youths. Cases can be cited of wealthy men whose entourage of youths wore tores, along with other ornaments. Eusebius of Alexandria, describing the luxury of rich men, wrote that the members of their retinue wore μανιάκια, ορμίσκους (small necklaces) and ψέλια (small necklaces).12 Abbot Alexander's father pos­sessed a thousand slaves, όλοι μανιάκια φορουντες.13 The practice did not meet with ecclesiastical approval. As late as the end of the sixth cen­tury, the synod of Aquileia addressed a letter to the emperors Gratian, Valentinian and Theodosius, complaining that soldiers of the Roman army, following the example of foreigners, dared to wear "torquem et brachiales, impietate gothica profanato s". Ambrose of Milan, who was present at the synod, went further. He deplored the presence of lubricious youths {adolescentes lubricos) at official banquets, aureis torquibus nitent colla.14

Thus the tore was worn for various reasons, as a privilege of office, a sign of rank, a reward for valour or a personal ornament, before it came into official use in Byzantine society and was accepted in imperial, if not ecclesiastical, circles. Even so, its significance is not always clear. Some members of Justinian I's retinue, but not Theodora's, are represented

7. M.P. SPEIDEL, Late Roman Military Decorations : Neck- and Wristbands, Antiquité tardive 4, 1996, p. 235-243, especially p. 236-239.

8. REINACH, art. cit. supra (note 3), PLINY, Historia naturalis XXXIII 10, vu 29. 9. H.P. L'ORANGE, Der spätantike Bildschmuck des Konstantinsbogen, Berlin 1939,

p. 42, 76, pi. 12, 13. 10. W. ENSSLIN, Zur Torqueskrönung und Schilderhebung bei der Kaiserwahl, Klio 35,

1942, p. 268-298 ; . WALTER, Raising on a Shield in Byzantine Iconography, REB 33, 1975, p. 158; reprinted, Studies in Byzantine Iconography, London 1977, p. 158. There are various accounts of this ceremony, ibidem, p. 158, notes 82, 83, 84.

W. De cerimoniis, I 952, Bonn, p. 423 lines 5-8 : ό δέ δήμος Ίστατο έν τοις βαθμοίς και ανελθων των λαγκιαρίων καμπιδούκτωρ το ϊδιον μ α ν ι ά χ ι ν έπέθηκεν εις την κεφαλήν αύτοΟ.

12. Homilia 2\,PG 86, 444b. 13. Apophthegmata Patrum (Appendix ad Palladium), PG 65, 104a, dating from the

fifth or sixth century. 14. Epistola concilii Aquilejensis ad Gratianum, Valentinianum et Theodosium imper-

arotes, MANSI III, 617.

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182 CHRISTOPHER WALTER

wearing tores in the Donation mosaic in San Vitale, Ravenna.15 They also carry spears, so that they must be members of the emperor's per­sonal guard. The tore of the guard nearest to Justinian can be seen to have a round, empty circle at the front, inviting comparison with the stra-tor on the arch at Lepcis Magna.

Further iconographical evidence is provided by the miniature of Pilate sitting in judgment in the Rossano Gospels, f. 8 (Figure 4), probably illu­minated in the second half of the sixth century. The two standard bearers behind his throne wear tores, which are simple circlets with nothing sus­pended from them.16 Speidel thought that the tore became a distinctive sign of standard bearers.17 There is literary evidence that standard bear­ers did wear tores, for example in the Peristephanon of Pruděntius in his poem about Emeterius and Chelidonius, putatively warrior saints.18

These two soldiers, bearers of dragon standards, deserted for the Cross. They announced that the aureos torques which their wounds had earned should be taken off. Speidel suggests that the tore may not have been a privilege of the standard bearer, but rather that standard bearers or dra-conarii were chosen among those who had received the tore as a reward for their bravery. Either hypothesis is possible, because Ammianus Marcellinus wrote that draconarii wore the tore.19

Two secular examples may be noted, a diptych in the State Library, Munich, dated ca 450, on the right side of which a guard, holding a spear, wears a one-lobed tore around his neck,20 and the missorium of Theodosius I in the Real Akademia de Historia, Madrid.21 In the Vienna Genesis, f. 18v, two guards, one wearing a tore decorated with a single jewel, figure in the miniature which illustrates Joseph interpreting Pharoah's dreams, Genesis 41,29.22 The Homilies of Gregory of

15. Illustrated so often, most recently by J. DURAND, L'art byzantin, Paris 1999, p. 32. 16. A. MUŇOZ, // codice pupureo di Rossano e il frammento sinopense, Rome 1907 ;

for an excellent reproduction, DURAND, op. cit. supra (note 15), p. 41. 17. M.P. SPEIDEL, The Master of the Dragon Standards and the Golden Tore : An

Inscription from Prusias and Prudentius' Peristephanon, Transactions of the American Philological Association 115, 1985, p. 283-387.

18. PRUDENTIUS, Peristephanon, composed about 400, edited by J. BERGMAN, Vienna 1926 ; translated by H.J. Thomson, Cambridge MA 1952, p. 102-103. For Emeterius and Chelidonius, vid. D. WOODS, Thessalonika's Patron : Saint Demetrius or Emeterius ?, to appear in Harvard Theological Review 93, 2000, where he suggests ingeniously that the Saint Demetrius, warrior saint, is a refurbishment of Emeterius, whose relics with those of Celidonius were translated to Thessaloniki in 379 or 387 by Theodosius I, rather than of the deacon of Sirmium, called Demetrius, as Delehaye had proposed. This interesting hypothesis does not concern us here. I thank David Woods for allowing me to read a draft of his article before publication.

19. SPEIDEL, art. cit. supra (note 15), citing A. MÜLLER, Militaria aus Ammianus Macellinus, Philologus 64, 1905, p. 537-632.

20. R. DELBRUECK, Die Consulardiptychen und verwandte Denkmäler, Berlin/Leipzig 1929, p. 00.

21. Age of Spirituality, Catalogue of exhibition, edited by K. WEITZMANN, New York 1979, n° 64, p. 74-75, often reproduced.

22. H. GERSTINGER, Die Wiener Genesis, Vienna, no date, plate 36.

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THE MANIAKION 183

Nazianzus, Paris graec. 510, contain two miniatures with figures wear­ing tores.23 On f. 239, in the miniature of Gregory of Nazianzus and the emperor Theodosius conversing, the two imperial bodyguards carry swords and wear tores with two jewels suspended from them. On f. 374v, in the central part of the miniature, Julian is represented sacrific­ing to the gods. His two bodyguards carry spears. The tore with three jewels suspended from it worn by one of them is clearly visible.

For further direct information about the tore, we have to wait until the De cerimoniis. In 1,10, concerning the ceremonies of Easter Monday, it is written that οι σπαθαροκανδιοάτοι φορούσαν μανιάκια.24 The tores are not described here. Later, however, there are two accounts of the promo­tion of the protospatharius. He knelt at the emperors' feet, which he kissed. Then a tore, ornamented with gems, was placed around his neck.25 Pseudo-Codinus gives a slightly fuller description ; the tore was made of twisted gold, with three hanging jewels.26 He added that earlier generals (στρατηγοί) wore a tore.27

By far the most studied texts in which the tore is mentioned are those which recount the martyrdom of Saint Sergius & Bacchus, reputedly primicerius and secundarius of the schola gentilium, one of the units of the imperial bodyguard. There are two relevant texts, their Passion73 and the entry in the Sirmondianus for October 7th.29 The stripping of their military insignia was regularly mentioned in the Passions of warrior saints, but the only other one known to me where the removal of the tore is mentioned specifically is in Prudentius's poem about Emeterius and Chelidonius.30 The sources for the Passion of Sergius and Bacchus,

23. Η ΟΜΟΝΤ, Miniatures des plus anciens manuscrits grecs de la Bibliothèque Nationale, Paris 19292, p. 24, plate 27 ; p. 29, plate 53.

24. Constantin Porpyhrogénète, Le livre des cérémonies, edited by A. VOGT, Paris 1935, Texte I, p. 73, Commentaire I, p. 114.

25. Ibidem, edited VOGT, 68, II, p. 84 = Bonn, I, 59, p. 275; Bonn, I, p. 709. Constantine Porphyrogenitus also recounted in De administrando imperio, edited by Gy. MoRAvesiK & R.H.J. JENKINS, Washington 1967, p. 108-109,1. 80-81, that the emir of Persia wore a necklace like the maniakion, but with the Koran on tablets suspended from it. They were intended to be prophylactic.

26. Op. cit. supra (note 2), p. 199-200. He added that when tyrants obliged martyrs (warrior saints) to leave the army, they were stripped of their tore, along with their cinc­ture.

27. Ibidem, p. 206. 28. Passio antiquior (BHG 1624), edited by J. VAN DE GHEYN, An. Boll. 14, 1985, 9,

p. 371-395; Latin version, Acta sanctorum Octobris III, Paris 1868, p. 863-870 (October 7th) ; translation by J. BOSWELL, The Marriage of Likeness. Same Sex-Unions in Pre-Modem Europe, New York 1994, cited here after the French translation, Les unions du même sexe dans l'Europe antique et médiévale, Paris 1996, p. 365-376. Metaphrastic Life {BHG 1625), where the incident of removing the saints' torc is omitted, B. LATYSEV, Menologia anonymi byzantini quae supersunt I, Petrograd 1911, p. 337-347 ; PG115, 1005-1032.

29. Syn.CP, 115-116. 30. Vid. supra (note 18). Their martyrdom was not as notorious as that of Sergius &

Bacchus.

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184 CHRISTOPHER WALTER

which some scholars, Hippolyte Delehaye the first,31 do not consider to be authentic, have been explored by Franchi de' Cavalieri and more recently by Woods.32 Since the putative sources on which the author of their Passion would have depended are "lost", we are obliged to take for our point of departure the extant Passio antiquior. Personally, I am pre­pared to attribute a substratum of authenticity to this text. The Byzantines certainly accepted it as genuine.

The essential point for the present study is the account of the degrada­tion of Sergius and Bacchus. When they refused to offer cult to the gods, they were stripped of their military insignia and their μανιάκιον was removed. They were two of the most popular martyrs. Their cult spread far and wide and with it their typical iconography. A general presentation of this has been published recently,33 so that there is no need to repeat the same here. It is possible to concentrate on the pictures, in which Sergius and Bacchus are represented with (although sometimes without) a tore.

There are a number of early artifacts, upon which a saint is repre­sented wearing a tore but without an inscription naming him. Naturally, it is supposed that the saint in question is Sergius or possibly Bacchus. In fact, the icon, once at Saint Catherine's Sinai but taken away by bishop Uspensky and now in Kiev (Figure 5), enters into this category, because the two saints' names were added later.34 However, since they closely resemble each other, both wearing a tore, there is no reason to doubt their identity. The main reason for introducing this icon here is that three jewels hang from each saint's tore. Thus, unlike the examples of figures wearing a tore which have been adduced already, they correspond exactly to the description of the tore by Pseudo-Codinus. The votive portrait of Saint Sergius wearing a tore (Figure 6), dated to the seventh century, in Saint Demetrius, Thessaloniki, is probably the earliest to be accompanied by an inscription giving his name.35

31. Bulletin, An, Boll. 23, 1904, p. 478. 32. P. FRANCHI DE' CAVALIERI, Note hagiografické 9, Studi e testi 175, Vatican 1953,

III, Dei santi Gioventino e Massimino, p. 167-200 ; D. WOODS, The Emperor Julian and the Passion of Sergius and Bacchus, Journal of Early Christian Studies 5, 1997, p. 335-367.

33. E. KEY FOWDEN, The Barbarian Plain. Saint Sergius Between Rome and Iran, Berkeley & Los Angeles 1999, p. 29-44.

34. First seriously studied by D. AINALOV, Sinaiskija ikoni voskovoj zivopisi, W 9, 1902, p. 325-361, dating the icon to the sixth century ; J. STRZYGOWSKI, Orient oder Rom, Leipzig 1901, p. 125-126. The two best modern studies are by E. KITZINGER, On some Icons of the Seventh Century, The Art of Byzantium and the Medieval West, edited by W.E. KLEINBAUER, Bloomington/London 1976, p. 240, figure 9, and K. WEITZMANN, The Monastery of Saint Catherine at Mount Sinai', The Icons I, Princeton 1976, 9, p. 28-30, figure 30. Both Kitzinger and Weitzmann date the icon to the seventh, not the sixth cen­tury.

35. R. HODDINOTT, Early Byzantine Churches in Macedonia and Southern Serbia, London 1963, p. 153-154, plate 32b ; R. CORMACK, The Church of Saint Demetrius. The Water-Colours of W.S. George, The Byzantine Eye, London 1989, II, n° 40.

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THE MANIAKION 185

On the ivory casket in the Bargello, Florence (Figure 7), dated by Dalton to the twelfth century, again the two saints are represented with a tore from which three jewels hang.36 In the mosaics at Daphni, the two saints aie also represented with three jewels hanging from their tores.37

In later paintings, sometimes they are represented with a tore, sometimes not. Three jewels are suspended from the tore of Sergius in the twelfth-century church dedicated to the two saints at Koita in the Mani (Figure 8).38 In Saint Sophia, Trebizond, they are represented with a tore, enormous in size, with three jewels suspended from it (Figure 9).39 There is no account of a ceremony into which the tore entered later than the De officiis of Pseudo-Codinus. However, the practice of representing Sergius & Bacchus with a three-jewelled tore around their necks con­tinued, with occasional exceptions, like the representation of them on horseback on an icon betraying Western influence at Mount Sinai ; their tores are not decorated with jewels.40

Other warrior saints in Byzantine art wearing the tore are rare. One of Procopius, also at Sinai (Figure 10), shows him crowned and wearing a tore with only one jewel suspended from it.41 Another portrays thiče saints, the centre one wearing a tore with a single jewel. The accompany­ing inscription is missing. Sotiriou, for no clear reason, apart from the presence of his companion Nestor, named on the same icon, supposed him to be Demetrius.42 To my mind, the resemblance between this figure and the one named Procopius on the previously mentioned icon makes it likely that Procopius has been represented again with a tore.

In Coptic iconography, the tore appears more frequently. Three exam­ples may be noted. One is in a manuscript in Manchester, Ryland's Library, Coptic 33. An illumination in this manuscript portrays Menas on horseback, his arms outstretched. He wears a tore decorated with three

36 M DALTON, A Silver Treasure from the District of Kerynia, Cyprus, now pre­served m the British Museum, Archaeologta 57, 1900, ρ 158-150, figure 2 A GOLDSCHMIDT and WEITZMANN, Elfenbeinskulpturen I, Kasten, Berlin 1930, n° 99a-e, plates LXVIII, LIX, give the fullest description, and, like Dalton, date the coffer to the twelfth century However, they did not grasp the significance of the tores, calling them Martyrenngen, which, of course, they are not

37 E DIEZ & DEMUS, Byzantine Mosaics in Greece Daphni and Hosios Loukas, Cambridge MA 1931, figure 68, 69 G MILLET, in his earlier study, Le monastère de Daphni, Pans 1899, ρ 147, did not appreciate the significance of their tores

38 M ALTRIPP, Die Prothesis und ihre Bildausstatten m Byzanz unter Berücksichtigung der Denkmalers Griechenlands, Frankfurt am Main 1998, ρ 250

39 D TALBOT RICE, The Church of Haghia Sophia at Trebizond, Edinburgh 1968, ρ 142-143

40 G & M SOTIRIOU, Εικόνες της Μονής Σινά, Athens 1956-1958,1, figure 185 , II, ρ 170-171

41 D MouRiKi, Four Thirteenth-Century Sınai Icons by the Painter Peter, Studenica et l'art byzantin autour de l'année 1200, edited by V KORAĆ, Belgrade 1988, ρ 343-344, figure 5

42 SOTIRIOU, I, figure 47, II, ρ 189-190

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186 CHRISTOPHER WALTER

jewels (Figure 11).43 Another is in the Pierpont Library, New York, a miniature from a tenth-century manuscript of Lives of saints which origi­nated at Fayoum (Figure 12). The saint has been identified as Theodore Orientalis, who, if known at Byzantium, was never represented there.44

The inscription calls him Saint Theodore the Anatolian. With his lance he pierces a prostrate chained figure, a serpent with a human head. Two angels offer him crowns, while, around his neck, he wears a tore with three jewels. This is in accordance with Byzantine tradition, but the whole picture recalls that of Saint Sissinius of Antioch in chapel XVII at Bawit.45 A final example is another miniature in a manuscript from Fayoum.46 This time, the figure is the archangel Michael (Figure 13). He holds an orb in his left hand and a lance in his right, surmounted by a cross. Again he wears a tore, adorned, it seems, by three jewels.

These Coptic examples complete the dossier of pictures examined here.

It will be evident that in Coptic tradition tores were not represented as appropriate to members of the imperial bodyguard or as a sign of office. They were decorative or honorific as in the primitive art of Gaul. In Roman and Byzantine iconography, in spite of the existence of well-established traditions, artists borrowed or copied from the art of sur­rounding "barbarian" peoples. The word was not pejorative ; it signified neighbouring foreign nations, like the Sassanids and the Gauls. The Romans — and even more so the Byzantines — adopted the tore, but progressively gave it a more specific significance as a reward for bravery and then as a mark of office, particularly for the spatharoi. In Byzantine iconography it was represented variously, by no means always with three jewels suspended from it, which are described in the De cerimoniis and the De qffìciis. Only in the iconography of Saints and Bacchus was it clearly an attribute.

Christopher WALTER 10, avenue de la République, F. 94300-Vincennes.

43. J. LEROY, Les manuscrits coptes et coptes-arabes illustrés, Paris 1974, p. 193, fig­ure 106 ii.

44. L'art copte, Exhibition catalogue, Paris 2000, n° 52; A. GALUZZI, Teodoro l'Orientale, Bibliotheca sanctorum 12,249.

45. J. CLÉDAT, Le monastère et la nécropole de Baouît, Cairo 1940, p. 80, plates 55, 56. 46. Op. cit. (note 44), n° 51.

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L'ARCHONTE GEORGES, PROTOS OU ÉMIR 71

Vivien PRIGENT

A la mémoire de Bruno Lavagnini

Summary : A seal traditionally attributed to an 8th-century governor of Sicily actually belonged to the emir George of Antioch, minister to the kings of Sicily. George, or his father, was initially in the service of the emperor Alexis I, and his family's flight from Constantinople could be related to the Pseudo-Diogenes conspiracy in 1087. The title of panhypersebastos used in his epitaph can not go back to this Constantinopolitan stage of his career, but was probably confered on him in 1143, during the embassy of Basil Xeros.

1. Liste des abréviations : ACCONCIA LONGO, Epitaffi :

Arch. St. Sic. : LAVAGNINI, Epigramma :

BySl. :

CHEYNET, Pouvoir :

Ααογ. Αελτ. Ελλ. Ααογ. Εταφ.

MÉNAGER, Amiratus :

OiKONOMiDÈs, Listes :

Quellen . Forsch, aus hal. : Archiv, . Bibi. RN: RSBN: SCHLUMBERGER, Sigillographie :

ZACOS-VEGLERY :

ZACOS II :

A. ACCONCIA LONGO, Gli epitaffi giambici per Giorgio di Antiochia per la madre e per la moglie, Quellen . Forsch, aus ital. Archiv, u. Bibl. 61, 1981, p. 25-59. Archivio Storico Siciliano. B. LAVAGNINI, L'epigramma e il commitente, DOP 41 , 1987, p. 339-350. Byzantinoslavica. J.-Cl. CHEYNET, Pouvoir et contestations à Byzance, Paris 1990. Λαογραφία, Αελτίον της ελληνικής λαογραφικής εταιρείας. L.R. MÉNAGER, Amiratus. Άμιρας, L'émirat et les ori­gines de l'amirauté (XI-XIIIe siècles), Paris 1960. N. OIKONOMIDÈS, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles, Paris 1972. Quellen und Forschungen aus italianischen Bibliotheken und Archiven. Revue numismatique. Rivista di Studi Bizantini e Neoellenici. G. SCHLUMBERGER, Sigillographie de l'Empire byzantin, Paris 1884. G. ZACOS - A. VEGLERY, Byzantine Lead Seals, Bale 1972. G. ZACOS - J. W. NESBITT, Byzantine Lead Seals, vol. II, Berne 1984.

Revue des Études Byzantines 59,2001, p. 193- 207.

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194 VIVIEN PRIGENT

En 1961, V. Laurent fut le premier à attirer l'attention sur une pièce conservée au Musée Archéologique de Palerme qu'il publia sommaire­ment en 19662. Il donnait la légende du revers : + Κύριε βοήθει Γεόργιο (πρώτω) κέ αρχο(ν)τι, sans dater le sceau, mais son commentaire le datait implicitement du début du 8e siècle. Or l'examen direct des pièces conservées à Palerme3 et au Museo Nazionale de Reggio de Calabre nous a permis de nous convaincre de la parenté de la pièce découverte par V. Laurent avec un autre sceau, édité dès 1894 par Antonio Salinas4, qui l'accompagnait d'une médiocre photo.

Dans son commentaire, Salinas, mû par son intérêt pour l'histoire sici­lienne, attribuait le sceau calabrais à un ministre de Roger II, le célèbre Georges d'Antioche, actif dans la première moitié du 12e siècle, sans jus­tifier davantage sa datation. Salinas indiquait également qu'une pièce identique avait été découverte lors des fouilles du monastère de Saint-Jean -des-Ermites à Palerme. Il s'agit très certainement de la première pièce que nous éditons. Il convient donc de tenter de trancher entre les deux attributions proposées, en partant de l'édition des deux sceaux, issus de boullôtèria différents, mais ayant appartenu au même person­nage.

Commentant la fonction de prôtos exercée, selon lui, par Georges, Laurent traça un parallèle avec un passage bien connu du Liber Pontificalis mentionnant le patrice Théodore, primům exercitus insulae Siciliae, mandé par Justinien II pour châtier un soulèvement ravennate. Le Liber Pontificalis Ecclesiae Ravennatis d'Agnellus de Ravenne, se rapportant aux mêmes événements, appelle Théodore monostratège5. Dans un cas comme dans l'autre, les titres ( -s/monostratège) auraient donc pu, selon V. Laurent, résoudre l'abréviation exprimée sur le sceau par la lettre A surlignée.

Toutefois, il est à présent bien connu, grâce à N. Oikonomidès, que la Sicile fut érigée en thème entre 687 et 692. Donc, le primus exercitus Siciliae de 711 ne saurait être que le stratège du thème6. Avant d'être une

2. V. LAURENT, Une source peu étudiée de l'histoire de la Sicile au haut Moyen Âge : La sigillographie byzantine, Byzantino-Sicula, Quaderni 2, Palermo 1966, p. 22-50, spec, p. 38.

3. Elle porte à présent le n° d'inventaire 40 421 du catalogue que nous avons dressé avec l'aide de la Dott.ssa Milena Gentile, dont la compétence n'a eu d'égale que la dispo­nibilité et l'efficacité. Qu'elle en soit remerciée, de même que la Dott.ssa Camaratla-Scovazzo, directrice du musée Archéologique Salinas qui nous a permis d'étudier les col­lections placées sous sa responsabilité.

4. A. SAUNAS, Sigilli diplomatici italo-greci, Notizie degli scavi, 1894, ρ 424-5. Nous tenons à remercier la Dott.ssa Elena Lattanzi pour l'accueil chaleureux qu'elle nous a réservé lors de notre passage à Reggio de Calabre.

5. Un sceau inédit de ce même Théodore est également conservé au musée archéolo­gique A. Salinas de Palerme ; ce sceau figurera dans l'édition, que nous préparons, de l'ensemble de la collection.

6. Nous pensons en fait qu'à ce moment-là Théodore fut sans doute exarque au sortir de sa charge sicilienne, détail que n'aura pas enregistré le Uber Pontificalis puisque le renver­sement de Justinien II allait mettre un terme rapide à son mandat. Nous traiterons cette ques­tion dans un travail en cours de rédaction sur la prosopographie des stratèges de Sicile.

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GEORGES, PRÔTOS OU ÉMIR 195

circonscription administrative, le thème est, en effet, d'abord un corps d'armée. Le texte de la iussio de Justinien II, datée de 687, souligne encore cette équivalence, qui mentionne les thèmes de l'Opsikion, des Anatoliques, des Thracésiens et des Arméniaques par la formule «Christo dilecto exercitibus, tam ab a Deo Conservato Osbequio, quamcjiie ab Orientali, Tixracia.no, similiter et ab Armeniano1.» En outre, le musée de Palerme conserve un sceau inédit, au nom de Théodore, patrice et stratège de Sicile. Les caractéristiques stylistiques de ce plomb permettent de le dater du début du 8e siècle et donc de l'attribuer de façon certaine à l'officier de Justinien , plutôt qu'à l'homonyme, servi­teur de l'impératrice Irène, qui tint le même office dans les années 7808. Le titre de primus qui apparaît dans ce passage du Liber Pontificalis ne possède donc en définitive aucune valeur administrative. Il en va autre­ment du titre de monostratège qu'aurait pu porter Georges. Ce titre signale une autorité sur les forces combinées de plusieurs thèmes ou dans le cadre d'une opération impliquant forces navales et terrestres9. Il fut souvent porté par des stratèges de Sicile, ceux-ci ayant, plus que leurs collègues des autres thèmes, tendance à coordonner divers corps de troupes du fait de leur juridiction sur les duchés tyrrhéniens10.

Au vu de ces données, on pourrait formuler une hypothèse a priori séduisante : en 718, le stratège de Sicile, Serge, certain de la chute inévi­table de Constantinople attaquée par les troupes du califat, organisa l'avènement d'un empereur appelé Basile, qu'il renomma Tibère, et pro­céda à une série de nominations. Il aurait pu créer un monostralège du nom de Georges11.

Toutefois, la charge de monostratège est un commandement opéra­tionnel, apparenté au titre de stratège autokratôr, revêtu par un individu dans le cadre d'une campagne précise et dépourvu de signification tech­nique ; en tant que tels, ces deux titres n'apparaissent ni dans les taktika12, ni sur les sceaux13. De plus, le titre de monostratège, par son

7. MANSI Xl, 737 sq. 8. Sceau inédit n° d'inventaire 40 419. Au droit: + Κύριε ό Ѳ [ ] βοη0[ει]. Au

revers : + [Θεοδ]ώρω [πα]τρ[ικ(ίω)] (και) στρ[ατ]ηγ(ώ). 9. Sur cette fonction, voit R. GUILLAND, Recherches sur les institutions byzantines,

Amsterdam 1967,1, p. 380-385. 10. Un acte napolitain mentionne ainsi le monostratège Antiochos en 762 : B. CAPASSO,

Monumenta ad Neapolitani Ducatus historiom pertinentia, Naples 1881, p. 262 ; de même, un acte de Gaète conserve la mémoire du monoslratège Constantin en 839 : Codex diplomaticus Caiet anus, I-II, Montecassino 1888-1891, rééd. 1958-69, acte n° 10.

11. Sur ces événements, voir S. CARUSO, Sulla rivolta in Sicilia dello stratego Sergio, Byzantina Mediolanensia : V Congresso nazionale di Studi Bizantini, Milano, 19-22 Ottobre 1994, Atti a cura di F. CONCA, Catanzaro 1996, p. 87-95.

12. OIKONOMIDÈS, Listes, p. 334. On peut reprendre la définition de Karayannopoulos : non une «institution permanente, mais une mesure exceptionnelle et provisoire, dictée par des nécessités militaires exceptionnelles», J. KARAYANNOPOULOS, Contribution au pro­blème des «thèmes byzantins», L'hellénisme contemporain, 2e série, 10, 1956, p. 467.

13. À l'exception du sceau d'Hérakleios, frère de Tibère III (ZACOS-VEGLERY, n° 1982). Aucun stratège autokratôr n'est connu par un sceau, si l'on excepte un plomb de lecture incertaine publié par N. BÄNESCU, Les sceaux byzantins trouvés à Silistrie, Byz- 7, 1932, p. 321-331, η °8.

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196 VIVIEN PRIGENT

caractère de commandement global des forces armées, ne saurait s'ac­commoder de la présence d'un second titre et tout particulièrement de celui d'archonte qui, dans la terminologie officielle, ne désigne jamais que des commandements et offices subalternes14. En conséquence, l'abréviation ne saurait être résolue ni en primus ni en monostratège, comme le proposait Laurent.

Reste à envisager brièvement deux autres solutions que ne proposait pas le commentaire de V. Laurent : le prôtos urbain et le prôtopolitès. Le prôtos n'apparaît guère à Byzance que dans le cadre monastique où il désigne le supérieur d'une fédération monastique15. Mais l'association sur notre sceau avec la fonction d'archonte invalide cette hypothèse.

Plus compatible a priori dans sa modestie avec celle d'archonte, serait la charge de prôtopolitès, c'est-à-dire de chef d'une cité, titre qui se situe sur un pied d'égalité avec celui des archontes provinciaux placés généra­lement à la tête d'une cité16. Mais ce titre de prôtopolitès n'apparaît, à ma connaissance, qu'une seule fois dans les sources : en 711, l'adminis­tration de la ville criméenne de Chersoń était entre les mains d'un archonte de Chersoń dénommé Toudoun17, et du prôtopolitès Zôïlos18. Ce titre, à cette date connu seulement à Chersoń, ne se retrouve sur aucun sceau et il est probable que sa forme officielle ait été prôteuon, fonction citée dans le chapitre du De Administratîdo Imperio relatif à la création du thème de Chersoń, advenue en 84119. Le terme est également mentionné sur le sceau de Michel, spathaire impérial épi ton oikeiakôn et prôteuon de Chersoń, daté du 10e siècle20. Cette lecture doit être rejetée,

14. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil à l'index des fonctions fourni dans OIKONOMIDÈS, Listes, p. 368.

15. L'exemple le plus connu de cette dernière institution est bien évidemment le prôtos de la Sainte-Montagne de l'Athos, cf. l'introduction de Actes du Prôtaton, éd. D. PAPACHRYSSANTHOU, Archives de l'Athos VII, Paris 1975, p. 23-150.

16. On connaît ainsi des archontes de Dyrrachion, de Théologos, d'Amaseia, d'Héraclée, de Mésèmbria, etc.

17. L'archonte de Chersôn est bien attesté par la sigillographie ; toutefois, dans le cas présent, il s'agissait d'un officier khazar, la ville étant passée sous le contrôle de ces der­niers après la fuite de Justinien II ; le terme Tudun qui apparaît dans les sources n'est pas le nom du gouverneur mais un titre, dérivé du chinois Tudunj : D.M. DUNLOP, The history of the Jewish Khazars, Princeton 1954, p. 174 et n° 16.

18. Nikephoros Patriarch of Constantinople short history, Text, Translation and Commentary by C. MANGO, Washington DC 1990, § 45, 1. 17 et THÉOPHANE LE CONFESSEUR, éd. DE BOOR, I, p. 578,1. 18.

19. Sur la question de la date exacte de la constitution du thème, voir ZUCKERMAN, Two notes on the early history of the thema of Chersoń, Byzantine and Modern Greek Studies 21, 1997, p. 210-222.

20. I. SOKOLOVA, O tak nazyvaemoj pečati protevona Hersona, Vspomogatel'nye istori-ceskie discipliny XXIII (Leningrad 1991), p. 94-102. Dernière édition : Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art, Volume 1. Italy, North of the Balkans, North of the Black Sea, ed. N. OIKONOMIDES and J. NESBITT, Washington DC 1991, 82.10.

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car on ne voit pas comment la lettre A gravée sur le plomb pourrait être transcrite par prôtopolitès ou même prôteuôn.

En conséquence, une des clefs pour interpréter la légende réside dans la datation de la pièce, opération assez difficile car cette dernière pré­sente des caractères paradoxaux. La gravure des lettres, extrêmement grossière, renvoie à des parallèles datables du 8e siècle : en particulier, la gravure du rond et de petite taille et du à double boucle. Le droit porte l'effigie de saint Georges en buste. Les saints sont présents sur les sceaux dès le 6e siècle21. On peut donc être tenté par une datation au 7e/8e siècle. Tel fut le choix de V. Laurent, plus expert sur ce point que Salinas.

Toutefois, plusieurs éléments contredisent cette hypothèse. Notons d'abord le contraste entre la gravure des lettres et celle de la figure du saint. Malgré le caractère grossier du lettrage, l'effigie de saint Georges est fine et détaillée. L'homogénéité des lettres sur les deux faces interdit d'envisager l'intervention de deux graveurs différents. Les bordures de perles et de grènetis deviennent habituelles à partir du 10e siècle. Nous avons passé en revue un échantillon de 150 sceaux au motif de saint Georges22 pour constater que ce sujet ne devient véritablement fréquent qu'après le 10e siècle. Deux sceaux seulement appartiennent de façon sûre au 10e siècle. L'un est daté par son éditeur du 9e/10e siècle23. Toutefois le type iconographique est très différent, puisque saint Georges y apparaît tenant la croisette des martyrs. Pour les époques plus anciennes, je n'ai relevé que deux portraits de saint Georges : l'un le pré­sente à cheval, frappant le dragon, sur un sceau des 6-7e siècles24. L'autre, daté du 7e siècle, le représente en buste, orant, sans croix25. Pour les 8-9e siècles, en partie marqués par la crise iconoclaste, je ne trouve aucun exemple de ce motif iconographique26. Il est particulièrement significatif de constater que sur les quelque 296 sceaux iconographiques de haute époque (6e-9e s.), publiés par G. Zacos, aucun ne porte l'image de saint Georges. De plus, sur les exemples précoces qui ont été relevés,

21. N. OIKONOMIDES, A collection of Dated Byzantine Lead Seals, Washington DC 1986, p. 152. Ces sceaux iconographiques de haute époque sont amplement illustrés dans le sixième chapitre de ZACOS-VEGLERY, p. 709-844.

22. Il s'agit des pièces publiées dans les catalogues de Zacos et dans les articles des soixante dernières années tels que les donnent les SBS 4 et S.

23. W. SEIBT, Die Byzantinischen Bleisiegel der Sammlung Reggiani, JOB 33 , 1983, p. 287-299, n° 2.

24. SCHLUMBERGER, Sigillographie, p. 86. Également Iskusstvo Vizantii ν sobranijah SSSR (Katalog vystavki), Moscou 1977, vol. I, p. 135, n° 38.

25. I. BARNEA, Sigilli bizantine inedite din Dobrogea (III), Pontica 23, 1990, p. 315-334, n° 4.

26. Pourtant de nombreux sceaux iconographiques ont été frappés au lendemain des premier et second iconoclasmes en raison de la réaction naturelle qui suivit le rétablisse­ment des images, respectivement en 787 et en 843.

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aucun ne représente saint Georges, en buste, revêtu du costume militaire. En revanche, la finesse de la gravure et le type iconographique sont tout à fait caractéristiques des sceaux des 11e et 12e siècles. Enfin, la pièce calabraise montre que le nom du saint est précédé d'un espace libre cor­respondant à une lettre unique. Il est donc plus que probable que s'y trouvait gravé le caractère Θ, l'abréviation pour 'Ο α(γιος) qui apparaît au 1 Ie siècle. Ainsi donc, tant par son motif iconographique que par sa légende et par la disposition de celle-ci, ce plomb devrait être daté de la fin du 11e siècle ou du début du siècle suivant. Dès lors, il n'est plus pos­sile de retenir la leçon prôteuon et archonte.

En raison de la forme grossière des lettres, on peut envisager que le sceau ait été frappé dans une zone qui, tout en connaissant les mœurs administratives byzantines, n'ait pas disposé de graveurs de la valeur de ceux de Constantinople. U est éclairant de comparer les sceaux trouvés sur des territoires qui furent jadis sous domination normande, aux plombs édités par A. Engel : on constate leur parenté stylistique, notam­ment pour les plombs de Robert Guiscard, pour trois plombs de Roger Borsa, et pour celui de Bohémond IeťZ7. Les planches laissent de même deviner la médiocre qualité du lettrage. De ce point de vue, le sceau de Bohémond est proche de celui de Georges28. Le à double boucle est également gravé sur les sceaux des princes normands d'Italie, tel celui de Guiscard, et le sur celui de Roger II, roi de Calabre et de Sicile29. On retrouve aussi ces mêmes caractères dans l'Orient byzantin où furent actifs les Normands30.

Georges doit donc être cherché parmi le personnel du royaume nor­mand. La qualité du lettrage s'améliorant nettement au cours du 12e siècle, le sceau appartient probablement à la première moitié de ce siècle et l'identification proposée par A. Salinas doit s'imposer. Le sceau est sans conteste celui du célèbre Georges d'Antioche, fondateur de l'É­glise Santa Maria dell'Ammiraglio de Palerme. Outre son titre d'ar­chonte des archontes, Georges fut émir31. Or il est bien établi que c'est par le biais de l'administration du royaume de Roger II que le terme d'amiral, dérivé du titre musulman, émir, entra dans le vocabulaire insti-

27. A. ENGEL, Recherches sur la numismatique et la sigillographie des Normands de Sicile et d'Italie du sud, Paris 1882, p. 92, n° 33 ; p. 82, n°l ; p. 83, n° 5 et 7 ; p. 84, n° 9, sur six types grecs différent.

28. Ibid., pi. II, 1. Le libellé de la légende est identique avec la même répartition et la même abréviation pour l'invocation initiale.

29. SCHLUMBERGER, Sigillographie, p. 226, n° 1 et p. 228, n° 11. 30. Pour l'Orient byzantin, voir J.-Cl. CHEYNET, Thatoul, archonte des archontes,

REB 48, 1990, p. 233-242, planche. 31. Sur la signification de ce titre dans l'administration normande, voir en dernier lieu

H. Y AMA, The Administration of the Norman Kingdom of Sicily, Leyde - New York -Cologne 1993.

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GEORGES, PRÔTOS OU ÉMIR 199

tutionnel de l'Occident latin. Il semble donc hautement probable que le titre qui se cache derrière le A soit celui d'émir, en grec άμηρας32.

Un sceau de Georges d'Antioche a déjà été publié par Engel33. D'une belle facture, il présente un lettrage régulier, bien que d'un très faible relief, et porte, au revers d'une image de la Vierge, la légende : Ό τ(ώ)ν άρχόν(των) αρχον Γεώργιος + Άμηρδς. Il est encore conservé appendu à l'acte de fondation bilingue de son église, daté de 114334. De toute évi­dence, le sceau qui nous occupe reflète une étape antérieure dans la car­rière de Georges. En effet, il n'apparaît pas encore sur notre pièce comme archonte des archontes, car on ne peut envisager que cette fonc­tion soit abrégée par le seul terme d'archonte. Les rapprochements stylis­tiques, on l'a vu, plaident pour une datation au début du 12e siècle. Le changement iconographique ne fait pas problème. On peut d'ailleurs envisager que la fondation de sa magnifique église, dédiée à la Vierge, ait pu inspirer ce choix.

Georges d'Antioche est mentionné pour la première fois comme émir dans un diplôme de septembre-décembre 1124. Selon L. R. Ménager, son accession à l'émirat devrait être mise en relation avec la campagne contre al-Madhiya menée en commun avec l'émir Christodoule en 112335. Le titre d'émir des émirs apparaît dans un acte dès 1133, sans être jamais un élément de la titulature officielle de Georges qui ne l'utili­sait ni dans ses souscriptions, ni sur son sceau. En conséquence, ce titre ne peut nous aider à dater notre sceau.

En revanche, le titre d'archonte des archontes apparaît bien tant dans les souscriptions de Georges que sur son sceau. La première mention est datée de 1133. Là encore, le contenu est plus implicite que technique, il manifeste l'éminente supériorité de Georges sur les autres archontes de la cour. Le titre d'archonte désignant aussi bien des laïcs que des ecclé­siastiques, des officiers que des féodaux, dénotait simplement la supério­rité sociale de son détenteur en l'absence de toute fonction technique précise. Notre pièce doit donc être datée de la décennie couvrant les années 1123 et 113336.

Des rapprochements sont possibles avec d'autres pièces issues égale­ment d'un milieu où se mêlaient Byzantins et musulmans37. La fin du 11e siècle et le début du suivant connurent d'importants échanges de ter-

32. Voir par exemple le sceau de Gabriel, duc et émir (ZACOS II, n° 464). Rappelons en outre que les descendants d'une famille d'émirs, intégrés dans l'aristocratie byzantine, pri­rent le patronyme d'Amiropoulos et non celui d'Émiropoulos.

33. A. ENGEL, op. cit., p. 92 et pi. III, 8. 34. Nous devons à l'extrême obligeance de Monseigneur Rocco d'avoir pu étudier

directement cette belle pièce, malheureusement affectée par le cancer du plomb et donc en voie de désintégration.

35. MÉNAGER, Amiratus, p. 46-48. 36. Notons toutefois que seul le terminus ante quem est certain. 37. Une première tentative de ce genre est à mettre au crédit de B. LA ν AGNINI dans son

article, Giorgio di Anüochia e il titolo di ΑΡΧΩΝ ΤΩΝ ΑΡΧΟΝΤΩΝ, ΣΥΝΔΕΣΜΟΣ, Studi in onore di Rosario Anastasi, II, Catane 1994, p. 219-220.

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ritoires entre Islam et Chrétienté à la faveur des offensives franco-nor­mande et turque. Le mélange des titulatures apparaît donc plus fréquem­ment qu'on ne pourrait le croire. On en connaît chez les Normands, mais aussi chez les officiers byzantins qui, isolés en arrière de la poussée turque, survécurent en faisant reconnaître leur pouvoir local par le sultan, tel le fameux Gabriel de Melitene38.

À l'inverse, des émirs danishmendites, vaincus par les empereurs, ont frappé des sceaux à légende grecque. Yaghibasan, fils d'Amir Ghazi, s'intitulait Ό δοϋλος του βασιλέως άμυρας Ίαγιπαζάνης, au revers d'une effigie du Christ Emmanuel, et Nasir al-Dïn Muhammad, fils de Dhun-Karnayn, se faisait appeler Νασρατήνης ό μέγας μελικής39. Cette grécisation de la titulature des émirs danishmendides se retrouve sur les légendes de leurs émissions monétaires40.

Or, l'émir Georges, inspirateur de l'œuvre administrative de Roger II, était originaire d'Antioche et s'était donc formé au contact de ce monde mouvant41. En effet, Adalgisa De Simone a récemment attiré l'attention sur un passage d'al-Maqrizï dédié à la biographie de Georges d'Antioche42. Il ressort de ce texte que Georges d'Antioche dut quitter l'Empire byzantin en 1087/88, en raison de son opposition au basileus. Georges aurait donc travaillé pour Alexis Comnène, information qui fait difficulté sur le plan de la chronologie, car Georges mourut en 115143. S'il avait servi le basileus Alexis à la fin des années 1080, il aurait eu au moins vingt ans, et serait donc né vers 1060-1065 ce qui le ferait mourir quasi nonagénaire. L'affirmation d'al-Maqrîzï engendre donc le scepti­cisme. Au reste, cette exceptionnelle longévité n'est pas relevée par l'au­teur de son épitaphe, alors qu'en rédigeant celle de la mère de l'archonte des archontes, le poète fait gloire à celle-ci de l'âge avancé auquel elle décéda. On a peine à croire que cet auteur n'eût pas tiré profit, dans ses compositions, de ce trait commun entre la mère et son fils. De plus, I'ac-

38. Le sceau (cité n. 33) porte l'effigie de trois saints : Georges, Nicolas et Jean Prodrome ; on lit au revers la légende métrique : Γραφάς σφραγίζω του Γαβριήλ öç βλέπεις αμηρά, δουκος, πρωτοκουροπαλάτου.

39. On reconnaît la transcription de l'arabe malik. Cf. N. OIKONOMIDÈS, Les Danishmendides entre Byzance, Bagdad et le sultani d'Iconium, Revue numismatique 6e série, 25 , 1983, p. 189-207.

40. G. G. HENNEQUIN, Catalogue des monnaies musulmanes. Asie prémongole. Les Salguqs et leurs successeurs, Paris 1985, p. 846-860.

41. Bien entendu les situations exposées ci-dessus n'eurent aucune influence directe sur l'administration du royaume normand où l'émirat préexistait à la confuse situation qui donna le jour aux curieuses formes de chevauchement que nous avons signalées. Il est toutefois certain que sa formation au sein d'un tel milieu put aider Georges à s'adapter par la suite au mieux aux réalités du royaume normand.

42. A. DE SIMONE, Il Mezzogiorno normanno-svevo visto dall'Islam africano, // Mezzogiorno normanno-svevo visto dall'Europa e dal mondo mediterraneo, Atti delle tre­dicesime giornate normanno-sveve Bari, 21-24 ottobre 1997, a cura di G. MUSCA, Bari 1999, p. 261-293, spécialement p. 276-279.

43. Ibn al-Athïr place sa mort en 546 (20/4/1151-7/4/1152) et son épitaphe en 6659, soit entre le 1er septembre 1150 et le 31 août 1151 : le décès est donc probablement inter­venu entre le 20 avril et la fin août 1151.

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tivité militaire de Georges semble débuter avec la campagne de 1123. Lorsque Romuald de Salerne décrit le personnage au sommet de sa gloire, dans les années 1130 à l'époque de l'écrasement des oppositions continentales, il le qualifie d'homme mûr, euphémisme s'il s'agissait d'un homme proche de soixante-dix ans44. Le même auteur souligne que Georges ne fut pas uniquement un administrateur et un conseiller de la couronne45. En 1149, quand il mena sa dernière campagne contre l'Empire byzantin, Georges aurait donc eu plus de quatre-vingt-cinq ans, âge auquel le plus dévoué des serviteurs aspirerait à autre chose qu'aux fatigues d'une longue traversée. L'information d'al-Maqrïzï serait plus appropriée pour le père de Georges, dont ibn Khaldun comme al-Maqrïzï, nous ont transmis le prénom, Michel46. Adalgisa De Simone souligne elle-même la saveur hagiographique du passage dont elle nous a livré la traduction47. Certains éléments appartenant à la biographie du père de Georges auraient été transférés sur la figure plus glorieuse de son fils48.

Peut-on comprendre quelles raisons poussèrent Georges ou Michel à fuir l'Empire byzantin49 ? Le texte de Maqrïzï peut s'interpréter de deux façons. La solution la plus simple consiste à comprendre que, à la suite de son opposition, réelle ou prétendue, au basileus, Georges/Michel aurait été convoqué avec sa famille par le souverain, qu'il faut entendre ici comme l'empereur. Prenant alors la fuite, il aurait été capturé par la flotte de Tamïm b. al-Mu'izz b. Bâdïs et emmené en Ifrîqiya, où com­mença sa carrière occidentale. La seconde solution implique que Georges/Michel ait demandé au souverain — alors entendu comme le roi normand, mentionné peu avant dans le texte — de le faire venir avec sa famille. La fuite de Georges/Michel aurait donc été dès l'origine conçue comme un exil à la cour des Normands.

La seconde interprétation semble a priori plus intéressante. En effet, notre seul indice pour tenter de comprendre l'origine des ennuis de Georges/Michel avec le basileus est la date de 1087/8. Celle-ci corres­pond à une période clef du règne d'Alexis Comnène. La naissance d'un

44. ROMUALD DE SALERNE, p. 233. 45. IDEM : «Cuius Consilio et prudentia in mari et terra victoria multas obtinuit». 46. MÉNAGER, Amiratus, p. 45. 47. A. DE SIMONE, op. cit., p. 279. 48. Le musée numismatique d'Athènes conserve un sceau qui a priori concerne direc­

tement notre sujet. Il porte la légende : Γεώργιος Άντιοχέως, éd. Ioanna KOLTSIDA-MAKRÈ, Βυζαντινά μολυβδόβουλλα Συλλογής Ορφανίδη - Νικολαιδη Νομισματικού Μουσείου Αθηνών (Τετράδια Χριστ. Αρχαιολογίας και Τέχνης, 4), Athènes 1996, n° 287 ; ouvrage cité désormais : KOLTSIDA-MAKRE. Toutefois, il convient de garder en mémoire cette remarque de MÉNAGER, Amiratus, p. 47 : «Que Georges ait été ab Antiochia abductus, cela nous semble confirmé par Romuald de Salerne, mais on semble ne s'en être avisé qu'après sa mort et cette seule épithète nous est indice supplémentaire de la fal­sification de document». Donc, puisque Georges lui-même ne se désignait pas par la for­mule Georges d'Antioche, il ne convient pas de lui attribuer le sceau d'Athènes.

49. Notons ici que le musée de Palerme conserve un sceau byzantin inédit, d'un certain Michel, appartenant à la fin du 1 Ie siècle.

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fils, Jean, le 13 septembre 1087, l'amena à éloigner le porphyrogénète Constantin Doukas. Ainsi donc Georges/Michel, s'il était partisan des Doukai, aurait pu quitter l'Empire parce qu'il s'opposait à cette décision de l'empereur Comnène. Des liens rapprochaient la dynastie Doukas et les Normands : le jeune Constantin Doukas, avant l'avènement d'Alexis Comnène, avait été fiancé à Olympias, fille de Robert Guiscard, et ce dernier s'était posé en protecteur de Michel VII en accueillant un impos­teur prétendant être l'empereur renversé50. Cette hypothèse est peu cré­dible, car l'éloignement du jeune Constantin Doukas n'a pas provoqué de trouble, même parmi les membres du clan Doukas. De surcroît, s'ils voulaient gagner le territoire normand, on ne s'explique guère que Georges/Michel et ses dépendants aient choisi de se fixer de longues années en Tunisie avant de rejoindre la Sicile.

Aussi vaut-il mieux sans doute rapprocher le départ de Georges/Michel d'un autre événement de l'année 1087, une tentative d'assassinat sur la personne de l'empereur Alexis, menée par un ano­nyme se prétendant de souche impériale et soutenue par des personnages de haut rang. La conspiration, connue uniquement par le discours de Théophylacte de Bulgarie mentionné plus haut, a été attribuée à un pseudo-Diogène51. Cette tentative d'usurpation causa les seuls troubles connus en cette année et se termina par des sanctions, somme toute, assez légères52 ; il est possible que Georges/Michel ait été compromis dans ce complot53. La dévotion à la mémoire de l'empereur Diogene aura pu demeurer vivace parmi les Syriens du Nord qui avaient soutenu leur champion durant sa lutte contre les Doukas au lendemain de Mantzikert54. Pour cette raison, il semble plus prudent de retenir la pre­mière lecture du texte d'al-Maqrïzï concernant la fuite de Georges/Michel et de lier celle-ci à un soutien au pseudo-Diogène.

Cette conclusion invite à prendre position sur un autre problème sou­levé par une dernière source relative à Georges d'Antioche. Il s'agit des célèbres inscriptions funéraires dont Cozza-Luzi a publié le texte conservé au verso d'un acte émis par l'émir Georges55. Celui-ci y appa-

50. V. VON FALKENHAUSEN, Olympias, eine normannische Prinzessin in Konstantinopel, in Bisanzio e l'Italia, Raccolta dì studi in memoria di Agostino Pertusi, Milano 1982, p. 56-72.

51. Sur la vie politique des années 1087/8, voir CHEYNET, Pouvoir, p. 369-70 et n° 49. 52. Les coupables furent tonsurés et le principal intéressé fut soumis à un simulacre

d'empalement. 53. Arrivé en Tunisie au lendemain de sa fuite, Georges gagna la confiance de l'émir

en mettant en avant des compétences d'administrateur. Ce passage est également traduit dans l'article de Mme De Simone cité plus haut.

54. Le duc d'Antioche, Khatchatour, et les troupes du duché fournirent une nouvelle armée à l'empereur déchu qui venaient de subir ses premiers revers en Anatolie (CHEYNET, Pouvoir, p. 77 et p. 403).

55. A propos de cette source, voir : G. COZZA-LUZI, Delle epigrafi greche di Giorgio Ammiraglio, della madre e della consorte, Arch. St. Sic, n.s. 15 , 1890, p. 22-34; A. ACCONCIA LONGO, Gli epitaffi giambici per Giorgio di Antiochia per la madre e per la moglie, Quellen . Forsch, aus ìtal. Archiv, . і . 61 , 1981, p. 25-59 ; L. PERRIA, Una

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raît comme panhypersebaste. Toutefois, loin de n'être qu'un simple qua­lificatif, le terme renvoie également à un titre byzantin, créé par le basi­leus Alexis Comnène. La question se pose donc de savoir si le terme de l'inscription renvoie à un prédicat honorifique ou s'il recouvre une dignité byzantine. Enfin, si dignité il y eut, fut-elle octroyée à Georges avant ou après son départ de Constantinople ?

Il semble difficile a priori d'admettre que Georges ait reçu le titre de panhypersebaste sous le règne d'Alexis Comnène. Le nouveau système de dignité mis au point par Alexis Ier, dont faisait partie intégrante la dignité de panhypersebaste, reposait sur les liens familiaux unissant l'empereur aux représentants de l'aristocratie56. Tous les personnages parés d'un titre formé avec celui de sebaste, ancienne épithète impériale, étaient de proches parents de l'empereur, à l'exception notable du doge de Venise, protosébaste. Pour le règne d'Alexis, on ne connaît que trois panhypersébastes, gendres ou beau-frère de l'empereur et fine fleur de l'aristocratie constantinopolitaine57. Bien que certains titres byzantins aient été effectivement dévolus à des dignitaires normands, il ne saurait en avoir été de même pour le titre de panhypersebaste, lequel mettait sur un pied d'égalité avec le césarat, traditionnellement réservé à l'héritier présomptif ou aux plus proches parents de l'empereur58. La même logique s'applique pour le règne de Jean II : les deux panhypersébastes connus furent gendres de l'empereur59. Etienne Kontostéphanos porte encore ce titre en 1147. Lors du synode de 1166 au Grand Palais, le pro­tosébaste Alexis Comnène est qualifié de cousin de l'empereur, fils du panhypersebaste. En 1170, Alexis Kontostéphanos, le neveu de l'empe­reur, est présenté comme le fils du panhypersebaste Etienne Kontostéphanos60. Il est donc clair que le titre de panhypersebaste ne se dévalua légèrement qu'au cours du règne de Manuel Ier au début duquel Georges d'Antioche décéda. En conséquence, il est impossible que Georges ait pu recevoir ce titre avant son départ de la cour byzantine.

pergamena greca dell'anno 1146 per la chiesa di S. Maria dell'Ammiraglio, Quellen . Forsch, aus ital. Archiv, u. Bibl. 61 , 1981, p. 1-24; B. LAVAGNINI, L'epitafio in Palermo di donna Irene consorte di Giorgio l'Ammiraglio, in Studi in onore di Francesco Gabrieli nel suo ottantesimo compleanno, a. e. di R. TRAINI, Rome 1984, II, p. 435-442 ; IDEM, L'epigramma e il commitente, DOP 41 , 1987, p. 339-350 ; A. ACCONCIA LONGO, S. Maria Chrysè e S. Maria dell'Ammiraglio a Palermo, RSBN 25, 1988, p. 165-184.

56. Dernière mise au point : P. MAGDALINO, The Empire of Manuel 1 Konmnenos 1143-1180, Cambridge 1993, p. 170 sqq. [cité désormais MAGDALINO, Manuel].

57. Michel Tarônitès, époux de Marie Comnène, sœur de l'empereur, entre 1081 et 1094 ; Nicéphore Bryennios, époux d'Anne Comnène, la fille aînée d'Alexis, entre 1097 et 1109 ; Nicéphore Katakalôn Euphorbènos, époux de la seconde fille d'Alexis au début du 12e siècle.

58. F. DOLGER, Der Kodikellos des Christodoulos in Palermo, Archiv für Urkundenforschung 11, 1929, p. 1-65.

59. Ce furent Jean Rogérios Dalassènos, avant sa promotion au titre de césar entre 1121 et 1138, et Etienne Kontostéphanos (1130-1148).

60. MAGDALINO, Manuel, respectivement p. 503, 506, 508.

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Toutefois, comme le montrent l'exemple du doge de Venise, fait pro-tosébaste sous Alexis Comnène61, et, pour l'époque mésobyzantine, le cas des curopalates de Ta'y ou du magistros du Tarôn62, les étrangers honorés par l'empereur recevaient fréquemment des titres bien supé­rieurs à ceux auxquels pouvait aspirer un aristocrate vivant au sein de l'Empire63. De plus, la formulation même de l'épitaphe, qui introduit le titre, est typiquement byzantine « Ό πανυπερσέβαστος έκ της αξίας»64. Elle est d'usage courant dans les compositions métriques pour introduire une dignité ou une fonction. Enfin, il convient de garder en mémoire qu'un autre grand dignitaire de la cour normande, Christodoule, que Georges précisément supplanta, avait été honoré de la dignité de proto-nobélissime par un chrysobulle impérial inscrit sur parchemin de pourpre en 110965. On est donc en droit de se demander si Georges n'obtint pas ultérieurement cette distinction de panhypersébaste. Pour que Georges ait pu recevoir cette haute dignité, deux facteurs devaient être réunis : il devait se trouver en position dominante à la cour normande, à un moment où Constantinople et Palerme cherchaient un rapprochement diplomatique66. Le premier critère restreint le champ des recherches aux années 1130-115167. Pendant les vingt ans où Georges occupa une situa­tion prééminente, l'hostilité fut la norme entre les deux Etats, sauf au lendemain de l'avènement de Manuel Ier, lorsque ce dernier prit ses dis­tances vis-à-vis de Conrad et tenta de se rapprocher de Roger II. L'empereur confia à Basile Xèros le soin de se rendre à Palerme afin d'y négocier un mariage entre une princesse byzantine et un fils du roi de

61. V. GRUMEL, Titulatures de métropolites. II. Métropolites hypertimes, Mémorial Louis Petit, Mélanges d'histoire et d'archéologie byzantines (Archives de l'Orient Chrétien), Bucarest 1948, p. 152-184, p. 158.

62. K. YUZBASHIAN, Les titres byzantins en Arménie, dans L'Arménie et Byzance (Byzantina Sorbonensia 12), Paris 1996, p. 213-222.

63. Cette opinion a été formulée précédemment par J.-C. Cheynet dans son compte rendu à l'ouvrage de A. GUILLOU, Recueil des inscriptions grecques médiévales d'Italie (Collection de l'École Française de Rome 222), Rome 1996, dans la REB 56, 1998, p. 303.

64. ACCONCIA LONGO, Epitaffi, a remarqué une formule identique chez Théodore Prodrome. On trouve la même formulation dans divers poèmes rédigés en l'honneur de l'évergétisme religieux du pansébaste sebaste et grand drongaire Andronic Kamatèros Doukas, Ό κώδιξ Μαρκιανός 524, NE 8, 1911-12, n° 88,1. 26, n° 93, 1.5 ; n° 94, 1. 23 ; n° 97, 1 15 ; «μέγας τέ δρουγγάριος έκ της αξίας». Également, à propos de Goudèlès Tzykandylès, n° 103,1. 7-8 : «τον πανσέβαστον μυριαχως Γουδέλην έκ αξίας» ou encore de Nicolas Maurokatakalôn, «πρωτονοβελλίσιμος έκ της αξίας», n° 263,1. 2. Autre for­mule très proche également dans le poème du même codex dédié à «'Ιωάννης καΐσαρ μεν της αξίας» : Jean Dalassène, p. 28.

65. F. DoLGER, op. cit. 66. Cette question a déjà été abordée par A. Acconcia Longo, p. 40-46. 67. Georges atteint le sommet des honneurs avant 1133 et meurt en 1151 ; MÉNAGER,

Amiratus, p. 49. Le fait que les épitaphes apparaissent au verso de l'acte de fondation de 1143 n'indique pas qu'ils aient été composées après cette date, car A. Acconcia Longo a pu montrer qu'il ne s'agissait pas du modèle du lapidaire, comme le soutenait le premier éditeur Cozza-Luzzi, mais d'une copie effectuée sur la pierre, ACCONCIA LONGO, Epitaffi, p. 28-32 et p. 47-49.

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Sicile. En fait, Manuel répondait probablement à l'ambassade de Roger II envoyée à son père. Son ambassadeur semble avoir eu pour ins­tructions d'accorder les plus larges concessions à la cour palermitaine, puisqu'il fut par la suite accusé de s'être laissé acheter par le roi nor­mand. Le traité qu'il avait négocié fut donc rejeté et les ambassadeurs de Roger, venus pour la signature du traité à Constantinople, jetés en prison. Par la suite l'état de guerre fut constant entre les deux puissances. Georges d'Antioche ne mentionne jamais un éventuel titre byzantin sur ses sceaux ni sur les documents auxquels il souscrit. Il apparaît pour la dernière fois dans un acte de 1146, seul texte postérieur à l'ambassade de Xèros, susceptible de ce fait d'avoir conservé le souvenir de sa promo­tion68. Bien qu'il s'agisse d'une simple mention, sa titulature complète est donnée et ne comporte pas le titre de panhypersébaste, qu'il ne peut avoir obtenu postérieurement, en raison de la guerre avec l'Empire. Le cas de l'émir des émirs précédent, Christodoule, fournit peut-être l'expli­cation. Honoré par Alexis Ier du titre de protonobélissime, ce personnage est connu au travers d'une quinzaine d'actes dont trois seulement font mention de son titre byzantin69. Ce dignitaire normand n'éprouvait donc pas le besoin de faire état de son rang à la cour byzantine de façon régu­lière, sans qu'il soit possible de mettre en lumière un lien entre les fluc­tuations de sa titulature et celles des rapports entre Byzance et la cour normande. Dès lors, tenter de dater l'éventuelle accession de Georges au titre de panhypersébaste à l'aide des sources officielles paraît bien hasar­deux. On remarquera de plus que dans l'acte de 1146, Georges est quali­fié de panhypertimos, qualificatif fort rare et décalqué d'une dignité byzantine, certes réservée en principe aux ecclésiastiques, mais qui fut également portée à l'origine par un laïc70. Il n'est donc pas possible de trancher de façon définitive la question d'une éventuelle promotion de Georges d'Antioche au rang de panhypersébastos en 1143-114471. L'énoncé même de la dignité et la forme très spécifique du terme lui-même suggèrent, malgré tout, que Georges a pu être honoré lors de l'am­bassade de Basile Xèros.

Le sceau n° 40 421 des collections du Museo Archeologico A. Salinas de Palerme s'avère donc être celui de Georges d'Antioche, émir des

68. MÉNAGER, Amiratus, p. 211-212. 69. MÉNAGER, Amiratus, p. 33 : «Cette reconnaissance si épisodique du titre aulique

décerné à Christodoule est une singularité quasi inexplicable». On trouve, p. 32-33, une liste des actes concernant ce personnage.

70. MÉNAGER, Amiratus, p. 212 et V. GRUMEL, op. cit., p. 153-157. 71. Cette question a déjà été abordée par A. Acconcia Longo, p. 40-46, qui avait la

première envisagé que l'ambassade de Xèros ait été à l'origine de la promotion de Georges. Toutefois, ce travail ne mettait pas en lumière les éléments de comparaison sus­ceptibles d'être apportés par l'étude de la titulature de Christodoule. L'une de ses hypo­thèses, celle d'un souci de parallélisme entre d'une part les souverains Roger II et Manuel, et d'autre part leurs ministres Georges et Etienne Kontostéphanos le panhypersébastos, ne me semble pas à retenir car, étant implicite, elle sous-entend, pour être efficace, de la part du lecteur de l'épitaphe, qu'il connaisse l'aristocrate byzantin mort devant Corfou.

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émirs et archonte des archontes, et refléter une étape de sa carrière anté­rieure à la frappe du sceau conservé à la chapelle palatine de Palerme. Ce nouveau témoin vient enrichir les sources pour l'étude de sa carrière. En revanche, les byzantinistes y perdent l'attestation d'un prôtos, que ce soit comme officier de l'armée byzantine ou comme représentant d'une quel­conque administration urbaine au sein du thème de Sicile.

Georges, émir et archonte

№ d' inventaire : Musée archéologique Salinas 40 421. Dia. : 26. Inédit.

Au droit, dans un cercle d'épais grènetis, buste de saint Georges tenant une lance et un bouclier. De part et d'autre de l'effigie, inscrip­tions en colonne : .. e||(f>|r|l|U : [ Ό α(γΐος) Γ]εώργι.ος.

Au revers, légende sur quatre lignes, précédée d'une croisette :

+K€f\0 + Κ(ύρι)εβο-Ѳ ήθ(ει) Γεορ-

ΓΙΟΑΚβ γιο ά(μηρα) κέ ΑΡΧΟΤ αρχο(ν)τ(ι)

+ Κύριε βοήΟει Γεωργίω άμηρα και αρχοντι.

1123-1133.

№ d'inventaire : Reggio 3160. Dia. : 26. Éd.: A. SALINAS, Sigilli diplomatici italo-greci, Notizie degli scavi, 1894, pp. 424-425.

Au droit, dans un cercle de fin grènetis, buste de saint Georges tenant une lance en main droite et un bouclier en main gauche. De paît et d'autre de l'effigie, inscriptions en colonne: .|Γ6 || .| | | : [ Ό α(γιος)] Γε[ώ]ργιος.

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GEORGES, PRÔTOS OU ÉMIR 207

Au revers, légende sur quatre lignes, précédée d'une croisette

+K6K0 + Κ(ύρι)εβο-ІѲ ιθ(ει)Γεορ-ΓΙ0ΑΚ.6 γίο ά(μηρα) κέ • Ρ Χ [α]ρχο(ν)τ(ι)

+ Κύριε βοήθει Γεωργίω άμηρα και αρχοντι.

1123-1133.

Vivien PRIGENT Membre associé de l'UMR 7572

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DER HEILIGE GEORG AUF SIEGELN EINIGE NEUE BULLEN MIT FAMILIENNAMEN

Alexandra-Kyriaki WASSILIOU

Summary : This article presents a series of seals dating from the third quarter of the 11th century through the 13th century. As the need arises, individuals are identified, fam­ily names are etymologically analysed and the origin and sphere of activity of the families themselves are commented on. Finally, a number of individuals who also appear on seals of approximately the same period are brought into discussion. What is common to all the seals is the presence of the image of saint George on the obverse. The article is introduced by a short survey of the saint's iconography and surnames on seals. The seals are part of the Tübingen Zarnitz Collection and have been in the possession of the Staatliche Münzsammlung in Munich since late 1999.

«Ώς των αιχμαλώτων ελευθερωτής, και των πτωχών ύπερασμιστης, άσθενούντων ιατρός, βασιλέων υπέρμαχος, Τροπαιοφόρε Μεγαλομάρτυς Γεώργιε, πρέσβευε Χριστώ τώ θεώ, σωθήναι τας ψυχας ημών (Apolytikion, Ech. IV)» wird der aus Kappadokien stammende heilige Georg in der griechisch-orthodoxen Kirche gepriesen. Obwohl der historische Kern in den hagiographischen Legenden1 von heldenhaften Motiven wuchert, ist er einer der bedeutendsten Heiligen bei den Orthodoxen, der schon von den Byzantinern besonders verehrt wurde. Das bezeugen einerseits die vielen Kirchen und Heiligtümer, die ihm gewidmet waren, und andererseits die Häufigkeit des Individualnamens Γεώργιος, was sich nicht zuletzt auf byzantinischen Siegeln manifestiert. Hier sei vermerkt, daß den betreffenden Heiligen nicht nur Siegelinhaber, die seinen Namen trugen oder im militärischen Bereich tätig waren, abbilden ließen bzw. in der Legende anriefen.

1. K. KRUMBACHER, Der heilige Georg in der griechischen Überlieferung, Abh. der kaiserl. bayer. Akad. d. Wissenschaften. Philosoph.-philolog. u. hist. Kl. 25/3, München 1911.

Revue def Études Byzantines 59, 2001, p. 209-224. J

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Dargestellt ist Georg auf byzantinischen Bleibullen fast ausschließlich als Militär, ähnlich wie die anderen beiden häufig anzutreffenden Soldatenheiligen, Demetrios und Theodoros. Im Gegensatz zu Theodoros, der in reiferen Jahren und bärtig abgebildet wird, erscheint Georgios jugendlich, bartlos und trägt eine aus Locken bestehende Frisur, die seine Ohren bedeckt. Er unterscheidet sich von Demetrios dadurch, daB dessen Frisur glatt ist und die Ohren frei läßt. Sowohl Büsten als auch Standbilder zeigen Georg2 mit der Lanze in der rechten Hand und dem Schild in der linken. Während aber Büsten den runden Schild frontal (meistens zur Hälfte) und erhoben illustrieren, bieten Standfiguren eine Seitenansicht in Art eines Dreiecks des Schildes, auf dem die linke gesenkte Hand des Heiligen ruht. Ähnlich wie auf Ikonen oder Wandmalereien trägt Georg unter dem Panzer (nicht selten sind auch die Schulterstücke und der Armschutz klar zu erkennen) das Himation und darüber die Chlamys, die im Rücken von den Schultern breit herabfällt. In manchen Fällen ist auch das Schwert abgebildet : Es verläuft schräg von der linken Seite zur rechten Hüfte3. Seltener wird in der rechten Hand die Lanze durch das nach unten gehaltene Schwert ersetzt4.

Nicht zuletzt zeigen die Bilder der Siegel den Militär Georgios zusammen mit Demetrios5 bzw. Theodoros6 aber auch zwischen Ioannes Prodromos und dem hl. Nikolaos7, wobei derartige Kombinationen zweifellos auch auf den Geschmack der Siegelbesitzer zurückgehen. Häufig stellen ikonographische Siegel auf der einen Seite Georgios und auf der anderen Demetrios, Theodoros oder Nikolaos dar. In manchen Fällen wird sogar bei der Verbindung mit Demetrios oder Theodoros die Metapher des Zweigespanns (ξυνωρίς)8 herangezogen.

2. Im Unterschied zur Sphragistik hält der Heilige auf byzantinischen Kleinkunstobjekten gelegentlich anstelle des Schildes das Schwert in seiner Linken. Verwiesen sei etwa auf ein Elfenbeintäfeichen aus Konstantinopel (spätes 10. - frühes 11. Jh.). D. FOTOPULOS - A. DELIVORRIAS, Greece at the Benaki Museum, Athen 1997, 228, Nr. 406.

3. Vgl. J.-CL. CHEYNET - MORRISSON - W. SEIBT, Les sceaux byzantins de la collection Henri Seyrig, Paris 1991, 122 (nach Nummern zitiert).

4. Seyrig 266. 5. N. P. LICHAĆEV, Molivdovuly Grečeskogo Vostoka, ed. V. S. ŠANDROVSKAJA, Moskau

1991, LXIV 13. 6. G. ZACOS, Byzantine Lead Seals II, ed. J. W. NESBITT, Bern 1984, 691 (nach

Nummern zitiert) ; W. SEIBT — M. L. ZARNITZ, Das byzantinische Bleisiegel als Kunstwerk, Wien 1997, 3.3.6.

7. N. OIKONOMIDES, A Collection of Dated Byzantine Lead Seals, Dumbarton Oaks, Washington DC 1984, 107-108 (nach Nummern zitiert).

8. W. SEIBT, Die byzantinischen Bleisiegel in Österreich. 1. Teil: Kaiserhof, Wien 1978, 39 (nach Nummern zitiert). Vgl. A.-K. WASSILIOU, Metrische Legenden auf byzantinischen Bleisiegeln österreichischer Sammlungen, Wien 1998, 1.1.14 (maschinschr. Diss., nach Nummern zitiert).

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Versifizierte Legenden sprechen den Militärheiligen mit άθλητά bzw. είκών άθλητοΰ (1 Mal), αθλοφόρε, μάρτυς, μαρτύρων κλέος, στρατηλάτα und seltener (τρισ)μάκαρ oder σώτερ an.

Den geläufigen Beinamen τροπαιοφόρος9 («Bannerträger») führen die Bilder der Siegel nicht an, im Unterschied zu weniger bekannten, die jeweils aus lokalen Kult resultieren. So fanden sich Siegel, die den Beinamen Κουπερώτης10 anführen und eine Verehrung des Heiligen in Κουπέριον/Thrakien bezeugen11, und andere, die ihn Διασορίτης12

nennen. Die Ikonographie der Siegel attestiert den Heiligen spärlich in der

älteren Darstellungsweise13 des Märtyrers mit langem Himation und dem Kreuz in der rechten Hand.

Ebenfalls selten zeigen Siegel den Heiligen zu Roß (eigentlich Schimmel) im Kampf gegen den Drachen14, ein Motiv paganer Natur (reitender Held oder Herrscher, der mit der Lanze den Feind tötet), das in

9. Im Deutschen hat sich dafür das Wort «Bannerträger» eingebürgert, was aber bedeutungsmäßig vom Griechischen abweicht. Vgl. etwa UTK, IV, 476 (W. HAUBRICHS). — Da Τροπαιοφόρος (τρόπαιον + φέρειν) denjenigen bezeichnet, der das Siegeszeichen trägt bzw. bring, würden wir als Übersetzung «Siegesspender» vorschlagen.

10. I. JORDANOV, Za kulta na sveti Georgi (ό Κουπεριώτης) spored dannite na njakoi vizantijski pečati, Prinosi kăm bălgarskata arheologija II, 1993, 166-169. Ein weiteres Parallelstück zum Siegel des Georgios Philoxenites, dessen Avers das Standbild des hl. Georgios mit dem Beinamen Κουπεριώτης zeigt, in der Slg. Zarnitz Nr. 175.

11. Nik. Choniates 500, 67f., ed. I. A. VAN DIETEN (1975). 12. A.-K. WASSILIOU, Ό αγιος Γεώργιος ό Διασορίτης sauf siegeln. Ein Beispiel zur

Frühgeschichte der Laskariden, ßZ90, 1997, 416-424. 13. So findet sich etwa auf einer Seite eines unpublizierten Siegels (ca. zwischer 50er

und 70er Jahre 11. Jh.) der Sammlung Zacos neben dem Standbild der Theotokos Nikopoios (links) jenes des hl. Georg in ein langes Himation gekleidet. Die andere Seite zeigt die Büsten der Heiligen Ioannes Prodromos und Nikolaos zu beiden Seiten eines hohen Stufenkreuzes. — Als Büste mit dem Kreuz in der linken und der rechten Hand vor der Brust zeigt sich Georgios auf dem Av. einer Bulle (späteres 11. - frühes 12. Jh.). V. LAURENT, Le corpus des sceaux de l'empire byzantin, L'Église, V/3, Paris 1972, 1959 (nach Nummern zitiert). Seltener hält der Heilige das Kreuz in der linken Hand, wie etwa ein Siegel (späteres 11. - frühes 12. Jh.) der Collection Zacos demonstriert. ZACOS II (wie A. 6), 703.

— Georgios ist sehr oft als Märtyrer in der frühbyzantinischen Kunst dargestellt. Zu den bekanntesten Beispielen zählt eine Ikone (2. Hälfte 6. - 1. Hälfte 7. Jh.) aus Sinai, wo die thronende Theotokos mit dem Kinde auf dem Schoß zu ihrer rechten Seite Theodoras und zu ihrer linken Georgios (beide als Märtyrer) stehen hat. K. A. MANAPHES (Hrsg.), Σινά. Οι θησαυροί της Ιεράς Μονής Αικατερίνης, Athen 1990, 138, Abb. 4.

14. SEIBT - ZARNITZ (wie A. 6), 3.3.7. En passant sei erwähnt, daß eine Ikone (8. Jh.) aus Sinai Georg als Reiter im Kampf gegen einen Greis (Personifikation des Bösen) illustriert. Abb. in TltEE, IV, 431 (M. G. SOTIRIU). Auf einer georgischen Silberikone (10./11. Jh.) aus - Cvirmi-Čoban (Svaneti) findet diese Darstellung ihre weitere Ausgestaltung. An die Stelle des Greisen tritt Kaiser Diokletian, unter dem Georgios 303 das Martyrium erlitt. W. SEIBT - T. SANIKIDZE, Schatzkammer Georgien. Mittelalterliche Kunst aus dem Staatlichen Kunstmuseum Tbilisi, Wien 1981, 115, Nr. 25, Abb. 88. — Die Darstellung als Reiter setzt sich in der byzantinischen Kunst ab dem 12. Jh. durch und spielt wohl auf Synaxare (11. Jh.) an, die über den Sieg des Heiligen gegen den Drachen, der das Leben einer Königstochter bedroht hat, berichten. ThEE, . ., 439. Das Motiv des heiligen Georgios als Drachentöter erfuhr eine breite Ausgestaltung im

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erneuter Form im Christentum, allegorisch als Sieg über das Böse gedeutetet, weiter verwendet wird und in späterer Zeit besonders auf Ikonen präsent ist.

Als Vereinfachung des reitenden Drachentöters gilt das Bild des Reiters allein auf zwei späteren Siegeltypen (12./13. Jh.)15, eine besondere Rarität.

Eine sich ändernde Ikonographie des Heiligen auf Siegeln im Laufe der Jahrhunderte ist nicht nachweisbar, nicht zuletzt deswegen, weil sich die ältere Darstellungsweise des Märtyrers — wenn auch spärlich — neben der geläufigen des Soldatenheiligen findet. Auch das Motiv des

Drachentöters zu Roß allgemein ist ziemlich früh bezeugt, wie so manche Kleinkunstobjekte (Amulette, Ringe u. dgl.) zeigen, ist aber nur mit wenigen späteren Beispielen sigillographisch greifbar.

Die Siegel, die im folgenden besprochen werden, stammen aus der Sammlung Zarnitz, die sich seit Ende 1999 im Besitz der Staatlichen Münzsammlung München befindet16. Der hl. Georg erscheint zweimal als Büste (Nr. 1, 2) und viermal als Standfigur (Nr. 3, 4, 5, 6). Zwei Siegelbesitzer heißen auch Georgios (Nr. 5, 6), während die anderen verschiedene Namen tragen. Als Sonderfall gilt Nr. 4, dessen Inhaber nur seinen Familiennamen angibt, aber vermutlich durch den Gebrauch entsprechender rhetorischer Schemata einen Hinweis auf Georgios enthält.

* * *

1. Β α σ ί λ ε ι ο ς Γ ε λ ω τ ή ς , β έ σ τ η ς (letztes Drittel 11. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 505 ; Abb. 1

D. Graubraunes mattes Siegel, Av. nach rechts, Rv. nach oben dezentriert. Geringe Randverluste. Die Aversseite weist zudem eine Einkerbung an der unteren Kanalmündung auf. Allgemein gut erhalten. Ed. Auktion Künker 25, 29.09.-01.10.1993, Nr. 568 (mangelhaft vorediert). || Kein Parallelstück bekannt. 0 17 (tot.), 14 (F.) ; Gewicht 5, 58 g

neugriechischen Volkslied. N. G. POLITIS, Τα ελληνικά δημώδη άσματα περί της δρακοντοκτονίας τοο άγιου Γεωργίου, Λαογραφία 4, 1912-1913, 185-215.

15. G. ZACOS - Α. VEGLERY, Byzantine Lead Seals, I, Basel 1972, 2745 (nach Nummern zitiert) bzw. OIKONOMIDES, Dated Seals (wie Α. 7), 124; Auction Spink 127 (Byzantine Seals from the collection of George Zacos, I) (7. 10. 1998), 41, Nr. 9.

16. Ich danke Frau Dr. Marie Luise Zarnitz für die Auswahl der Siegel und die Überlassung der nötigen Angaben dazu. Meinen Dank möchteich auch Herrn Direktor Prof. Bernhard Overbeck (Staatliche Münzsammlung München) aussprechen, der die Siegelphotos für diese Publikation zur Verfügung stellte.

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Av. Büste des hl. Georg mit dem zur Hälfte abgebildeten Schild in der linken und der Lanze in der rechten Hand. Den Kopf des Heiligen umgibt ein relativ großer Nimbus.

Beischrift:© - -U-P || ..Q-Ç Ό άγιος Γεώρ[γι]ος

Rv. + € Ѵ NACIĄGI

\ - Ѵ-

+ Κ(ύρι)ε β(οη)θ(ει) Βασιλεί-ω βεσττ)

τω Γελ(ω)--x(î ib

Das Stück verdient Interesse wegen des bisher unbekannten Familiennamens Γελωτης. Dieser ist etymologisch mit ό γελως bzw. το γέλος («Lachen») zu verbinden, bleibt aber in der bestehenden Form bedeutungsmäßig unklar17. Ausgehend von seiner aktiven Bedeutung dürfte er denjenigen bezeichnen, der gerne lacht bzw. andere zum Lachen bringt. Mit Γελωτής könnte man deutsche Familiennamen wie Lacher, Lachmann, Witzbold in Verbindung bringen.

2. Νικηφόρος Ή ν ό χ ο ς (ca. letztes Drittel 11. - frühes 12. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 366 ; Abb. 2

D. Dunkelbraunes Siegel, das dreifache Spuren eines Schachtelhalmrandes auf beiden Seiten aufweist. Av. nach links, Rv. nach rechts dezentriert. Av. aufgewölbter Kanal : Auf beiden Seiten untere Kanalmündung ausgebrochen. Guter Erhaltungszustand allgemein. 0 22, 5 (tot.), 19 (F.) ; Gewicht 10, 67 g Ed. Auktion Lanz 60, 11. Juni 1992, Nr. 1021 (vorediert). Vgl. SBS 3, 1993, 192. || Athen, Numismatisches Museum ; Sammlung Fogg. Ed. (des ersten Parallelstückes) Ioanna KOLTSIDA-MAKRE, Βυζαντινά μολυβδόβουλλα συλλογής Ορφανίδη-Νικολα'ιδη Νομισματικού Μουσείου Αθηνών (Τετράδια Χριστιανικής Αρχαιολογίας και Τέχνης 4), Athen 1996, 295 (nach Nummern zitiert).

Av. Büste des hl. Georg, die mit einer in einem Trifolium endenden Lanze in der rechten Hand und einen Schild in der linken dargestellt ist. Eines der Parallelstücke zeigt, daß dieser mit einem Perlenrand und einer Perle in der Mitte verziert ist. Der Heilige hat ein schmales Gesicht, seine kurze Frisur besteht aus großen Locken.

17. Im Wortfeld des Verbums γελώ, γελάζω, γεΛαί(ν)ω, ist derartiges nicht bekannt. E. TRAPP u. a., Lexikon zur byzantinischen Gräzität, 2. Fasz., Wien 1996, 311-312. Auch im volkstümlichen Sprachbereich ist derartiges nicht belegt. Vgl. E. KRIARAS, Λεξικό της μεσαιωνικής ελληνικής γραμματείας, IV, Thessaloniki 1975.

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Beischrift : 0 - € - O | | . . . . Ό α(γιος) Γε(ώ)[ργιο(ς)]

Rv. / Μάρτ(υς)

«ř V Λ ATIC φυλάτ(το)ις N IK Η "POP/ Νικηφόρ(ω)

TUHNO τώ Ήνό-ΧΟ 'χ(ω)

Μάρτυς, φυλάττοις Νικηφόρω τω Ήνόχω. «Märtyrer, mögest Du Nikephoros Enochos beschützen».

Die Legende weist einen Binnenschluß nach der 5. Silbe auf (B5), ist auf der vorletzten Silbe (Paroxytonon) betont, besteht aber aus 13 Silben. Demgemäß gehört sie zu den sogenannten «Stiefkindern»18 des byzantinischen Zwölfsilbers.

Für Ήνόχος fungiert dieses Bulloterion als einziger Beleg. Höchstwahrscheinlich handelt es sich um eine griechische Nebenform des biblischen Namens Henoch (Ενωχ), den drei Personen des Alten Testaments tragen. Für die jüdisch-christliche Tradition ist jener Ενώχ (Gen. 5, 18-24) von Bedeutung, der als Nachkomme (7. Generation) Adams bekannt ist und über die jüdische Apokalyptik eine Verbreitung im Christentum fand, wo er unter anderem als Gegner des Antichristen gedeutet wurde19.

Der Name als solcher leitet sich vom hebräischen link («einweihen») ab.

Der Siegelinhaber könnte ein Mann fremder Herkunft sein, der wie viele andere auf byzantinischem Territorium lebte und in die Gesellschaft integriert war. Biblische Namen, die sich in Byzanz zu Familiennamen entwickelten, bezeugen oft die fremde Herkunft ihrer Träger und deuten auf einen gemeinsamen Vorfahren hin. Herausgegriffen sei etwa die Familie 'Ααρών (ab 11. Jh.)20, deren Gründer kein geringerer war als der drittgeborene Sohn des letzten Königs von Bulgarien, Ivan Vladislav (1015-1018), und der Schwiegervater des byzantinischen Kaisers Isaak I. Komnenos (1057-1059). 'Αδάμ bzw. Άδάμης, Ίωνδς sind weitere Beispiele byzantinischer Familiennamen21 biblischer Provenienz.

Ähnliches findet sich auch im Neugriechischen : Einige Familiennamen wurden ohne jegliche Änderung einfach aus der Bibel übernommen (ζ. Β. Ναούμ, Ναθαναήλ), während viele andere

18. H. HUNGER, Zur Metrik byzantinischer Siegellegenden, SBS 2, 1990, 27ff. 19. UTK (wie A. 9), col. 1424-1425. 20. Zur Familie s. V. LAURENT, La prosopographie de l'empire byzantin, 33, 1934,

391 ff. ; vgl. . BARZOS, Ή γενεαλογία των Κομνηνών, Ι, Thessaloniki 1984,41, 88. 21. PLP, 1. Fasz. 284-285, 289-290 ; 4. Fasz., 8958-8959.

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griechische Endungen bzw. Prä- oder Suffixe (ζ. Β. 'Αβραμόπουλος, Άδαμίτης, Ίωακειμιοης, Χατζηιωακειμ)22 bekamen.

3. Νικηφόρος Κοτέρτζης πρωτονωβελίσσιμος (11./12. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 378 ; Abb. 3

D. Graues, relativ gut erhaltenes Siegel, das seitlich beschnitten ist und Einkerbungen an beiden Kanalmündungen aufweist. 0 24 (tot.), 23 (F.) ; Gewicht 9, 85 g Ed. Unediert. || DO neg. Nr. 55.65.21

Av. Standbild des hl. Georg. Unter dem Panzer trägt der Heilige das Himation, darüber die Chlamys, die im Rücken von den Schultern breit herabfällt. Die erhobene Rechte hält eine Lanze knapp unter der Spitze, die Linke ruht auf dem dreieckig dargestellten Schild.

Beischrift : - Α- ΓΙ - - | | - ÜP - Π - OCν Ό άγιος Γεώργιος

Rv. inerva

· NIK.HfOPO ΑΝϋΓ\6ΛΛΙ CIM.TUI^ - T 6 P T Z I -

Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) τώ σω δούλ(ω)

Νικηφόρ(ω) (πρωτο)νωβελλι-σίμ[<ρ] τώ Κ(ο)-

-τέρτζ(η)-

Paläographisch ist auf die Minuskel-Form des Buchstabens Zeta in Verbindung mit dem Tau zu verweisen, ein Standard des sigillographischen Repertoires.

Der Namen Κοτέρτζης stammt aus dem iranischen Bereich23 und findet sich sowohl im Armenischen als auch im Georgischen.

Die Herkunft der Träger des Familiennamens Κοτέρτζης in Byzanz ist höchstwahrscheinlich georgisch. Um 1027 wirkte ein Goderdzi Mgdeuri24, als Herr von Kanča, der zu den Adeligen von Kayeti zählte. Ein Namensvetter von ihm war Goderdzi eristav bzw. eristavt-eristav25

22. Vgl. M. TRIANTAPHYLLIDES, Τα οικογενειακά μας ονόματα, Thessaloniki 1982, 83f., 90.

23. F. JUSTI, Iranisches Namenbuch, Hildesheim 1963, 118-119. 24. Matiane Kartlisa in Kartlis cxovreba 269, 9; trad. PATSCH 342 (1985); trad.

LORDKIPANIDZE 3 6 (1976) . 25. Matiane Kartlisa (wie A. 23), 300, 2 ; trad. PATSCH (wie A. 23), 374; trad.

LORDKIPANIDZE (wie A. 23), 50.

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in Kaxeti, der einen Sohn namens Guaram26 hatte. Dieser war wiederum der Herr von Beji (Bjni ?) und wurde 1044/45 bei Ani von Liparit27

gefangengenommen. Eine Verbindung mit Guaram, dem Sohn des Goderdzi, ist wohl für die im byzantinischen Reich wirkenden Koterztes anzunehmen.

Den frühesten Beleg des Familiennamens Kotertzes in byzantinischen Quellen bringt Skylitzes Continuatus : Es handelt sich um einen Τορνίκιος Κοτέρτζης28, der in Zusammenhang mit den Ereignissen bei Mantzikert (1071) als Militärkommandant attestiert ist. Zu seinem Regiment gehörte auch eine usische Truppe, die zum Feind überging.

Νικηφόρος Κοτέρτζης, der bisher unbekannt war, ist nur sigillographisch greifbar.

Die weiteren aus den byzantinischen Quellen bekannten Kotertzes sind erst für 1140 ungefähr bekannt.

Theodoritos Kotertzes29, Konstantinos Koterzes διδάσκαλος30 und ein Homonymos des letzteren, der loannes Tzetzes finanziell bei der Beendigung der Allegorien zur Ilias beistand31, gehörten zum Kreis des Literaten. Theodoritos hatte sogar einen Sohn namens Konstantinos32, den Tzetzes aus dem Unterricht entlassen hatte, weil dieser faul gewesen war und keine Leistungen erbrachte.

Ein Κοτέρτζης33 (ohne Angabe seines Vornahmens) ist für den Herbst 1146 als Feldherr im Rahmen der Offensive Manuels I. Komnenos (1143-1180) gegen den Sultan von Ikonion Machmut erwähnt.

26. Matiane Kartlisa (wie A. 23), 300, 10; trad. PATSCH (wie A. 23), 374; trad. LORDKIPANIDZE (wie A. 23), 50. Vgl. N. ADONTZ, Etudes armeno-byzantines, Lisbonne 1965,257, Α. 2.

27. Zu diesem Mann, zweifelsohne eine der bedeutesten Persöhnlichkeiten seiner Zeit, der sowohl mit den Byzantinern als auch mit deren Gegner operierte, s. W. FELIX, Byzanz und die islamische Welt im früheren 11. Jh., Wien 1981, 166 mit A. 103.

28. Skyl. cont. 147, 1-3, ed. TSOLAKES (1968) : «μοίρα τις ούζικη εξαρχον Ταμην τίνα - οΰτως όνομαζόμενον, ύπο Τορνικίω τ ο Κοτέρτζτ) ταττόμενον - τοίς έναντίοις προσερρύη». Τορνίκιος fassen wir hier anders als A. P. KAZDAN, Armjane ν sostave gostpodstvujuscego klassa vizantijskoj imperii ν XI - XII vv, Erevan 1975, Nr. 33, S. I l l , 1 als Vorname auf, nicht zuletzt weil er als solcher bei den Armeniern und Georgiern attestiert ist. In bezug auf die zitierte Stelle bei Skyl. cont. meinte ADONTZ, Études (wie A. 26), 257, falscherweise, daß Tornikios Kotertzes zum Feind übergetreten ist.

29. Tzetzes, Epistulae, Nr. 22, 23 (um 1140), ed. LEONE (1972). Vgl. M. GRÜNBART, Prosopographische Beiträge zum Briefcorpus des loannes Tzetzes, JOB 46, 1996, 190-191. A. KAMBYLIS, Textkritische Beobachtungen zu den Briefen des Johannes Tzetzes, JOB 20, 1971, 138 ist der Meinung, daß der Lehrer Konstantinos Kotertzes ein Bruder des Theodoritos war.

30. Tzetzes, Epistulae (wie A. 28), Nr. 68 (1148), 102 (nach 1155). Vgl. GRÜNBART, Beiträge (wie A. 28), 211, 220-221.

31. Das ist in der Praefatio des Werkes als Ό δ'εύγενης Πεισίστρατος Κοτέρτζης Κωνσταντίνος χρήμασι σφοίς έπέσπευσεν ές τέλος προαχθηναι angeführt. Tzetzae allegoriae Iliadis accedunt Pselli allegoriae quarum una inedita curante jo. FR. BOISSONADE, Paris 1851 (Nachdruck Hildesheim 1967) 192.

32. Tzetzes, Epistulae (wie Α. 28), Nr. 22, 23. 33. Kinnamos 49, 23-24 ; 53, 5ff., ed. MEINEKE (1836). Zum historischen Hintergrund

s. I. E. KARAGIANNOPULOS, Ιστορία βυζαντινού κράτους, III / 1. Τελευταίες λάμψεις (1081-1204), Thessaloniki 1990, 127ff. (mit Quellen- und Literaturangaben).

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Als äußerst tüchtig und erprobt im Kriege wird bei Georgios Akropolites Νικόλαος Κοτέρτζης34 dargestellt, dem 1237 der Kaiser von Nikaia Ioannes III. Dukas Batatzes (1222-1254) mit der Aufsicht der Festung am Berg Ganos beauftragte, nachdem er so manche Gebiete — nicht zuletzt durch die Unterstützung des Bulgarenzaren Ivan Äsen II. (1218-1241) — den Lateiner entrissen hatte und kurzfristig wieder in byzantinische Hand gebracht hatte.

Für die Paläologenzeit35 sind ein Soldat Κοτέρτζης ohne Vornamen (um 1300) und ein Κωνσταντίνος Κοτέρτζης, Grundbesitzer bei Trapezunt (2. Hälfte 13. Jh.) belegt.

4. Μετοχίτης (13. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 758 ; Abb. 4

D. Hellbeiges Siegel von sehr gutem Erhaltungszustand. Abgesehen von einer Kerbe auf der rechten oberen Seite des Avers und einigen schwarzen Bleistellen am Rand sind keine Verletzungen vorhanden. Ed. Auktion Italo Vecchi 13, 4.9.1998, Nr. 1324 bzw. Münz Zentrum 97, 6.-8. 1. 1999, Nr. 791 (Voredition). 0 27 (tot.), 25 (F.) ; Gewicht 18, 26 g || Kein Parallelstück bekannt.

Av. Standfigur des hl. Georg mit Schild und Lanze wie auf dem vorherigen Siegel. Das Zentrum des Schildes zieren hier drei Punkte. Auch der Panzer Georgs ist durch Punkte wiedergegeben, der Armschutz besteht aus Lamellen. Eine kurze Chlamys, die vorne zusammengehalten wird, fällt im Rücken herab.

Beischrift : - - ΓΙ - Ος . - OP - ΓΙ - Ό άγιος Γ[ε](ώ)ργιος

Das Schlußsigma bei ό άγιος hat die Form eines elliptischen Minuskelsigmas, während bei Γεώργιος es weit nach unten ausgedehnt ist.

Rv. TPAtAC Γραφας

r eÒPre iN€N γεωργείν έν-І Ѵ οίκους μάρτυ-

І Ѵ ѲѴ ς δίδου ως θ(εο)υ reUPr iON γεώργιον

34. ... άνδρα πολλοίς κατεξητασμένον πολέμοις καί ές τοσοϋτον εύδοκιμήσαντα, ώς πάντας τοιαύτην δόξαν περί τούτου σχείν, μήτε προ αύτοΟ μήτε μην μετ'αύτον άλλον φανήναι τοιούτοις εργοις έγκεχειρηκότα ή τοσαΰτα κατωρθοκότα 51, 22-26, ed. HEISENBERG (1978).

35. PLP, 5. Fasz., 13328-13329.

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І τώΜετοχί-+ TH+ + )+

Γραφάς γεωργείν ενδίκους, μάρτυς, δίδου ώς Θεοο γεώργιον τω Μετοχίττ).

«Märtyrer, als Acker Gottes laß dem Metochites gerechte Schriften hervorsprießen».

Zweifacher Zwölfsilber mit B5 und B7, paroxytoner Schluß. Der Siegler spricht über das Siegel den Heiligen auf der Vorderseite an.

Besondere Aufmerksamkeit verdient in paläographischer Hinsischt die Ligatur 6-1 in der Form <ł bei γεωργείν sowie das mit einem Knötchen im Zentrum versehene Omikron (Θ) bei γεώργιον. Etwas ähnliches ist anzutreffen auf dem Siegel der Theotokos des Oktagon (13. Jh.)36, wo das zweite in Όκταγόνου eine reduzierte Haste in der Mitte aufweist.

Während der Inhalt der Legende schlicht und einfach ist, zumal über den Familiennamen hinaus keine weiteren Informationen in bezug auf Titel, Amt oder Genealogie geboten werden, basiert die Präsentation auf einer stilisierten Rhetorik, die wiederum als Indiz einer höheren geistigen Bildung des Siegelbesitzers fungiert. Die Legende fußt auf der in der Bibel beheimateten Metapher «Acker Gottes»37. Paronomasie und Hyperbaton ergänzen die Ausdrucksweise.

Syntaktisch gesehen kann ώς Θεοο γεώργιον im zweiten Zwölfsilber auch als Vergleich zur Verdeutlichung der Metapher γραφάς γεωργείν im ersten Zwölfsilber fungieren. Demnach würde die Legende folgendermassen lauten : «Märtyrer, laß dem Metochites gerechte Schriften hervorsprießen, wie ein Acker Gottes».

Sollte vielleicht das rhetorische Spiel mit γεωργείν - γεώργιον sowie die Epiklese an den heiligen Georg als Verweis auf den Vornamen (Georgios) des Siegelinhabers interpretiert werden ? Demnach wäre die Verbindung mit Georgios Metochites38, dem Archidiakon des Palastklerus in Konstantinopel (1276-1282) und επί των δεήσεων (1277) nicht auszuschließen.

«Verewigt» in der byzantinischen Kirchengeschichte wurde er bekannterweise deswegen, weil er zusammen mit dem Patriarchen von Konstantinopel, Ioannes XI. Bekkos (1275-1282) und Konstantinos Meliteniotes ein Verfechter der auf dem Konzil von Lyon (1274)39

besiegelten Union zwischen der byzantinischen und lateinischen Kirche

36. Siehe SEIBT - ZARNITZ (wie A. 6), 3.1.8. 37. Brief Paulus an die Korinther I, 3, 9 : θεοο γαρ έσμεν συνεργοί, θεοο γεώργιον,

θεοϋ οικοδομή έστε. 38. PLP, Fasz. 7, 17979. 39. LAURENT - J. DARROUZÈS, Dossier grec de l'union du Lyon (1273-1277), Paris

1976, 74, 96-98.

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DER HEILIGE GEORG AUF SIEGELN 219

war. Georgios, der sogar kurz nach 1274 zweimal (1275 und 1278) als offizieller Gesandter Michaels VIII.40 beim Papst war, entwickelte auch eine reiche schriftstellerische Tätigkeit41, wobei das bedeutendste seiner Werke die Historia dogmatica.*2 ist. Darin sind neben den langen theologischen Beweisführungen interessante Einzelheiten über die innenkirchlichen Erreignisse vor seiner Verurteilung (1283) zu finden.

Die Bitte an den hl. Georg, er möge dafür sorgen, daß Metochites gerechte Schriften hervorbringt, deutet möglicherweise auf seine Tätigkeit als Schriftsteller.

Georgios ist auch der früheste bekannte Metochites dieser Familie, die in der Paläologenzeit viele bedeutende Mitglieder43 hervorbrachte. Sein Sohn war kein geringerer als Θεόδωρος Μετοχίτης (um 1270-1332)44, der das Amt des Großlogotheten zwischen 1321 und 1328 innehatte und durch die Verbindung seines Namens mit dem Chora-Kloster/Konstantinopel in der Geschichte Eingang gefunden hat.

Der Familienname als solcher läßt sich etymologisch von μετόχιον ableiten. Angesichts dessen, daß -ίτης die Zugehörigkeit zu einem Bereich ausdrückt, bezeichnet μετοχίτης den Mönch eines μετόχιον.

5. Γεώργιος ΟΙναιώτης (Ende 12.- Beginn 13. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 522 ; Abb. 5

D. Weißlich versintertes Siegel, dessen beide Seiten zweimal (jeweils um 180 Grad verdreht) geprägt sind. Av. Ausbruch bei der unteren Kanalmündung, Revers Riß entlang des Kanals sowie Ausbrüche an beiden Kanalmündungen. Allgemein gut bis mittelmäßig erhalten. Ed. Unediert. 0 38 (tot.), 35, 5 (F.) ; Gewicht 22, 26 g || Kein Parallelstück bekannt.

Av. Standbild des hl. Georg mit der Lanze in der linken erhobenen Hand. Die rechte sollte wohl auf einem Schild gestützt sein. Das Haupt

40. D. GEANAKOPULOS, Emperor Michael Palaeologos and the West, Cambridge/Mass. 1959,271,287-292.

41. H.-G. BECK, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, München 1959, 684.

42. Ed. J. COZZA-LUZI, Nova Patrum Biblioteca VIII, 2, 1871, 1-227 und X, 1, 1905, 319-370.

43. PLP, Fasz. 7, 17976-17986. Den Familiennamen Metochites soll auch der Erzbischof von Bulgarien Anthimos (um die 40er Jahre 14. Jh.) gehabt haben. An der Synode von 1347, die den Patriarchen Ioannes XIV. Kalekas absetzte, hat er teilgenommen. BECK, Kirche (wie A. 41), 744.

44. PLP, Fasz. 7, 17985. Zum sogenannten Metochites-Stil in der Paläographie s. H. HUNGER, Antikes und mittelalterliches Buch- und Schriftwesen, in H. HUNGER -O. STEGMÜLLER u. a. (Hrsgg.), Die Textüberlieferung der antiken Literatur und der Bibel, Nördlingen 1961, 102f.

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220 ALEXANDRA-KYRIAKI WASSILIOU

des Heiligen wird von einem Perlennimbus umgeben. Georg ist gepanzert und trägt darunter ein Himation, das knapp unter die Knie reicht. Beischrift: Θ - .0 - UP... Ό άγιος [Γ]ο (sic) ώρ[γιο(ς)]

Die zweimal jeweils um 180 Grad gedrehte und zur Hälfte erhaltene Aufschrift auf dem Revers lautet

...ΡΓΙΟ [Γεω]ργίου ... [σφρ]άγισ-

..TÖOINAI [μα] του Οιναι-.TOV [ώ]του

Die prosaische Legende ist vollständig als Γεωργίου σφράγισμα του Οίναιώτου zu rekonstruieren.

Den Besitzer des Siegels wollen wir mit jenem Georgios Oinaiotes identifizieren, der im Zusammenhang mit der byzantinischen Offensive im Sommer 1198 gegen den Anführer der Valachen, Dobromir Chrysos, zum Gefolge des byzantinischen Kaisers Alexios III. (1195-1203) gehört hat. Während erfahrene Militärs dem Kaiser rieten, bei seiner Aktion gegen den Rebellen Chrysos, der sich der Region von Στρούμνιτσα (Strymon) bemächtigt und sich in der Festung Πρόσακος verschanzt hatte, zunächt die weniger befestigten Stützpunkte anzugreifen und am Ende die Festung selbst45, überredete ihn Oinaiotes als der mächtigste seines Gefolges gerade das Gegenteil zu tun46. Das Unternehmen entwickelte sich für die Byzantiner ungünstig, die dem Chrysos schließlich die Herrschaft über Strymon und Umgebung zusprechen mußten. Die Verhandlungen wurden mit der Eheschließung zwischen Chrysos und der Tochter des πρωτοστράτωρ Μιχαήλ Καμύτζης beendet47.

Dem Georgios Oinaiotes, der als πρόκοιτος bei Choniates bezeichnet wird, ist höchstwahrscheinlich eine zweite Bleibulle (ausgehendes 12. Jh.)48 zuzuweisen, die bezeugt, daß er σεβαστός και παρακοιμώμενος war.

Ein viel jüngerer Namensvetter dieses Mannes war der Schriftsteller (1315 spätestens - 1327)49, der zusammen mit seinem Freund und Verwandten Georgios Galesiotes den Βασιλικός Άνδριάς des

45. Nik. Choniates (wie A. 11), 503, 35ff. 46. άντέστησαν δε γενναιότερον οι μη ένόρχαι τοο βασιλέως πρόκοιτοι, ών

έπρωτίστευεν ό Οίναιώτης Γεώργιος ... οδτοι γαρ περιστάντες τον βασιλέα παλαιοί και πανδέξιοι Επεισαν ές τον Πρόσακον εύθυώρως αγειν την στρατιάν, και κατ'αύτοϋ του Χρύσου άντία τα 'όπλα φέρειν... Nik. Choniates (wie Α. 11), 503,49-53.

47. Nik. Choniates (wie Α. 11), 507, 53ff. Zum historischen Hintergrund vgl. KARAGIANNOPULOS, Ιστορία (wie A. 33), 317-319.

48. Av : Standbild des hl. Georgios mit dem Beinamen ό Κουπεριώτης. Rv. : Όμώνυμόν σοι σεβαστον Οίναιώτην και παρακοιμώμενον, μάρτυς, σκέποις. Sammlung Fogg Nr. 776. Vgl. JoRDANOV, Κουπεριώτης (wie A. IO).

49. PLP, Fasz. 9, 21026.

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DER HEILIGE GEORG AUF SIEGELN 221

Nikephoros Blemmydes in die sogenannte «byzantinische Schrift-Koine» übersetzte50.

Ungefähr zur Zeit unseres Siegelinhabers wirkten ein Theodoros Oinaiotes σεβαστός (12./13. Jh.)51 und ein Konstantinos Oinaiotes (spätes 12.-frühes 13. Jh.)52, dessen Siegel keine Informationen in bezug auf Titel und Amt bringt.

Der herkunftsbezeichnende Familienname, der erst im ausgehenden 12. Jh. aufkommt und bis 142153 belegt ist, leitet sich von Οίναϊον (ant. Οινόη) / Pontos54 ab.

6. Γεώργιος Σαραντάρης σπαθαροχανδιδάτος καΐ κόμης τοΰ άριθμοϋ (ca. 3. Viertel 11. Jh.)

Staatliche Münzsammlung München, Slg. Zarnitz Nr. 740 ; Abb. 6

D. Braunschwarzes Siegel, wobei der Schrötling deutlich größer als das Feld ist. Av. leicht nach rechts, Rv. nach oben dezentriert. Beide Seiten sind rechts plattgedrückt. Allgemein gut bis mittelmäßig erhalten. Ed. Münz Zentrum 94, 13.-15.05.1998, Nr. 941 (Voredition). 0 27, 5 (tot.), 20 (F.) ; Gewicht 14, 77 g || Kein Parallelstück bekannt.

Av. Standbild des hl. Georg in üblicher Darstellungsweise. Der Saum der langen und breit im Rücken herabfallenden Chlamys ist mit einem Perlenband versehen.

Etwas überdimensional erscheint seine linke Hand, die auf dem Schild gestützt ist. Beischrift:® - Γ - 6 || U - Ρ - Γ> Ό α(γιος) Γεώργ(ιος)

Reste von der Anrufungsumschrift auf der rechten Seite der Bulle : +Keřv0... +Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) [τ(ώ) σ(ο) δού(λω)]

50. Η. HUNGER - Ι. SEVČENKO, Des Nikephoros Blemmydes Βασιλικός Άνδριάς und dessen Metaphrase von Georgios Galesiotes und Georgios Oinaiotes (Wiener Byzantinische Studien 28), Wien 1986. Ab jetzt WBS. Der Terminus «Byzantinische Schrift-Koine» geht auf H. EIDENEIER, Ein weiterer Beitrag zur Erschließung der byzantinischen Schrift-Koine, Südostforschungen 41, 1982, 589f. zurück. [Besprechung zu H. HUNGER, Anonyme Metaphrase zu Anna Komnene, Alexias XI—XIII. Ein Beitrag zur Erschließung der byzantinischen Umgangssprache (WBS 15), Wien 1981].

51. Av. : Standbild der Theotokos Hagiosoritissa nach links gewendet. Rv. : Σφραγίς σεβαστοΟ Θεοδώρου τοΟ Οίναιώτου. Ι. JORDANOV, Pečati na vizantijski sebasti ot teritorijata na Bălgarija, Numismatika i sfragistika 5/2, 1998, 16, Nr. 15, Abb. 15, S. 45.

52. DO neg. Nr. 56.55.6-3162 = DO 55.1.3908. Α ν : + K.ÜN - » . - .ΠΑ Rv. : TOV - IN6U - TOV.

53. PLP, Fasz. 9,21028. 54. A. BRYER - A. WINFIELD, The byzantine monuments of topography of the Pontos,

Dumbarton Oaks, Washington DC 1985, 101 ff.

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222 ALEXANDRA-KYRIAKI WASSILIOU

Rv.

.βϋΡΓΡ [Γ]εωργί(ω) .ΠΑΘΑΒΊ^ [σ]παθαρ(ο)κ(αν)-Ą-SKOMIT, δ(ιδάτω) (και) κόμιτ(ι) ΤϋΑΡΙΘΙΊϋ τοΟ άριθμοΟ TOCAPAN τ(ώ) Σαραν--ΤΑΡΗ- -τάρτ)-

Während Σαραντινός, Σαραντηνός oder Σαραντενός ein häufig belegter Familienname ist, findet sich für Σαραντάρης bisher, abgesehen von unserem Siegel, ein einziger Beleg, und der erst für die Palaiologenzeit55. Höchstwahrscheinlich handelt es sich um eine verwandte und einfachere Form von Sarantenos, die als Familienname auch im Neugriechischen56 existiert.

Offensichtlich besteht dabei ein Zusammenhang mit der Zahl σαράντα bzw. τεσσεράκοντα, derer «sakraler» Charakter von der Antike über die jüdische Apokalyptik im Christentum überlebte. Man denke etwa an die sogenannte Τεσσερακοστή bzw. Σαρακοστή, die vierzigtägige Fastenzeit nach dem Faschings-Sonntag bis zum Osterfest. Die besondere Bedeutung dieser Zahl wird zudem durch die Verehrung der «Vierzig Märtyrer» von Sebasteia57 (Τεσσεράκοντα μάρτυρες bzw. άγιοι Σαράντα) gesteigert, die 320 n. Chr. wegen ihres christlichen Glaubens im kalten Wasser des Sees der Stadt sterben mußten. Allein in Konstantinopel wurden acht Kirchen58 errichtet, wobei die älteste zwischen 434-446 entstanden İst. Andererseits bestätigen verschiedene Ortschaften59, die nach ihnen benannt wurden, das Ausmaß ihrer Verehrung, auf die die Genese60 des Familiennamens Sarantenos, Sarantas, Sarantes, Sarantares u. dgl. zurückzuführen sein dürfte.

55 PLP, Fasz. 10, 24870. Es handelt sich um Antonios Sarantares, der fur 1425 als Stifter des Theotokos'ApToxwvora-Klosters auf der Peloponnes belegt ist

56 TRIANTAPHYLLIDES, Ονόματα (wie A. 22), 58. 57. ThEE, XI, 725-726 (G. D. METALLINOS). 58. R. JANIN, La géographie ecclésiastique de l'empire byzantin, І Partie Le siège de

Constantinople et le patriarcat œcuménique, III Les églises et les monastères, Pans2

1969,482-486 59. Der Ortsname "Αγιοι Σαράντα findet sich ζ . an der Küste der Troas (freundliche

Mitteilung v. Univ. Doz. Dr. Belke) und in Nıkopolıs/Epırus Ρ ŠOUSTAL, Nikopol t S und і іі (Tabula Imperii Byzantını 3), Wien 1981, 255. Ab jetzt TIB.

In Thrakien in der Gegend von Andrianupolis sind die Quaranta Chiese/Σαράντα Έκκλησίαι lokalisiert. P. ŠOUSTAL, Thrakien (Thrake, Rodope und Haimimontos) (TIB 6), Wien 1991,420.

Schließlich existiert in Phrygien, am Rand des anatohschen Hochlandes, ein See, der nach den «Vierzig Heiligen» benannt wurde (Λίμνη των Τεσσεράκοντα Μαρτύρων, den 1166 wahrend des Kleinasienfeldzuges Alexios I. auf dem Hin- und Ruckweg benutzte Alexias III 203, 13, ed. LEIB (1974).

60 TRIANTAPHYLLIDES, Ονόματα (wie A. 22), 15

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DER HEILIGE GEORG AUF SIEGELN 223

In Parenthese sei schließlich auch auf die Form Σαρανταπήχης, Σαραντάπηχος, Σαρανταττήχυς bzw. Τεσσερακονταπήχης, Τεσσερακοντάπηχος hingewiesen, ein Familienname, der auf eine körperliche Eigenschaft zurückgeht : «Einer der vierzig Ellen hat, also sehr groß ist»61.

Alexandra-Kyriaki WASSILIOU Österreichische Akademie der Wissenschaften Kommission für Byzantinistik Postgasse 7/1/3 A-1010 Wien

61. PH. KUKULES, Βυζαντινών βίος και πολιτισμός, VI, Athen 1955, 481.

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UNE FAMILLE MÉCONNUE : LES KRATÉROI

Jean-Claude CHEYNET

Summary : The Krateroi were among the most ancient aristocratic families, dating back to the 9th century. Their capacity to face regime crises was remarkable, since they pro­vided an empress for Roman II and were still in the foreground at the time of the Empire of Nicea. The lacunary evidence of narrative and documentary sources can be supple­mented by a number of as yet unpublished seals.

Le nom de Kratéros apparaît dans les sources au début du 9e siècle' et s'y maintient jusqu'au 14e siècle. Le retour régulier de ce nom garantit que nous avons bien un nom transmissible qui rassemble les membres d'une même famille et non pas un simple surnom. La signification de Kratéros, le «costaud» ne fait pas difficulté2. Une telle continuité aurait dû attirer davantage l'attention sur les Kratéroi ; or, à part quelques pages d'une thèse restée inédite3, aucun article ne leur a été consacré4.

1. P. SPECK propose de lire Kartéros sur la légende d'un sceau, datable selon lui des 8e-9e siècles (Byzantinische Bleisiegel in Berlin (West) I, Ποικίλα Βυζαντινά 5, Bonn 1986, η° 168). Mais la lecture est incertaine et, de plus, le sceau doit être rajeuni de trois siècles. Le nom Kratéros a pu être antérieurement donné à des personnages isolés : Claudia SODE, Byzantinische Bleisiegel in Berlin II, Ποικίλα Βυζαντινά 14, Bonn 1997, n° 205, résoud un monogramme du 7e siècle en : Κρατερού διακόνου.

2. É. PATLAGEAN, Les débuts d'une aristocratie byzantine et le témoignage de l'historio­graphie : système des noms et liens de parenté aux IXe-Xe siècles, dans The Byzantine Aristocracy IX to XIII Centuries, éd. M. ANGOLD, Oxford 1984, p. 29. Le premier porteur d'un nom d'une signification proche, Théodore Kartéroukas, fut un général envoyé en 709, avec son collègue Théophylacte Salibas, combattre les Arabes qui assiégeaient Tyane, mission qu'ils ne surent pas remplir (THEOPHANES, Chronographia, éd. C. de BOOR, Leipzig 1883, p. 377). Étant donné qu'un siècle sépare ce général et celui que nous consi­dérons comme le premier Kratéros connu, il serait imprudent d'admettre que le second descendait du premier nommé.

3. M. W. HERLONG, Kinship and social mobility in Byzantium 717-959, The Catholic University of America 1986, reprographie 1989.

4. Pour les Kratéroi du 9e siècle, voir S. EFTHYMIADIS, Notes on the Correspondence of Theodore Studíte, REB 53, 1995, p. 158-160 et F. WINKELMANN, Quellenstudien zur herr­schenden Klasse von Byzanz im 8. und. 9. Jahrhundert, Berlin 1987, p. 163. Pour sa part R. GuiLLAND (Recherches sur les institutions byzantines I - II, Berlin - Amsterdam 1968

Revue des Études Byzantines 59, 2001, p. 225-238.

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226 JEAN-CLAUDE CHEYNET

Le premier Kratéros, qui ait atteint quelque notoriété, occupait déjà un poste remarquable5. En février 819, il fait fouetter Théodore Stoudite sur ordre impérial. La Vie de Théodore qui, seule, donne son nom, précise qu'il était alors stratopédarque d'Orient, terme qui doit recouvrir la fonc­tion de stratège des Anatoliques6. Théodore Stoudite avait coutume d'être maltraité par les plus hauts gradés de l'armée. Déjà, il avait subi un sort semblable lors du schisme mœchien de la part du comte de l'Opsikion et du domestique des Scholes. Ce Kratéros sur lequel nous n'avons pas d'information supplémentaire était sûrement lié à Léon V, puisqu'il détenait le principal poste de l'armée, celui que l'empereur avait occupé peu d'années auparavant. On peut être assuré que ce Kratéros avait commencé sa carrière avant le règne de Léon, peut-être en tant qu'officier de Bardanios Tourkos, comme plusieurs des stratèges de l'époque. On doit sans doute lui attribuer le sceau d'un Kra(-téros), pro-tospathaire et stratège des Thrakèsianoi, charge qu'il aura exercée avant celle de stratège des Anatoliques7. Mais ce n'est pas certain, puisque le plomb peut aussi avoir appartenu au stratège des Cibyrrhéotes du temps de Théophile.

La chute de Léon V n'entraîna pas celle des Kratéroi, car l'un d'eux, dont nous ignorons aussi le prénom, était stratège des Cibyrrhéotes et fut chargé, à ce titre, de combattre les Arabes récemment débarqués en Crète et qui étaient encore loin de maîtriser l'ensemble de l'île8. La date de cette campagne est controversée. D'après le Continuateur de Théophane et le Pseudo-Syméon, l'expédition fut entreprise sous Michel II, meur­trier et successeur de Léon. Cependant il semble, comme l'a bien noté D. Tsougarakis, que plusieurs tentatives de reconquête de la Crète aient été ordonnées par Michel II au cours des quelques années où il régna,

(= GUILLAND, Recherches) a consacré de courtes notices à plusieurs membres de la famille, index s. v.

5. Prosopographie der mittel-byzantmischen Zeit, nach Vorarbeiten F. WINKELMANNS erstellt von R.-J. LILIE, Cl. LUDWIG, Th. PRATSCH, II. ROCHÓW, . ZIELKE, unter Mitarbeit von W. BRANDES, J. R. MARTINDALE, Berlin - New-York 1998-2000 (cité désormais PMBZ), n° 4158.

6. Vie de Théodore, PG 99, col. 296. cf. aussi EFTHYMIADIS, cité n. 4. 7. Sceau des 879e siècles, publié par K. REGUNG, Byzantinische Bleisiegel, Mémoires

du congrès international de numismatique, Bruxelles 1910, p. 43, n° 2 (notice PMBZ, n° 4157). S. Efthymiadis, dans l'article cité ci-dessus, le mentionne comme celui d'un Kratéros, stratège de Thrace. En réalité, ce sceau est celui du stratège des Thrakèsianoi. N. OIKONOMIDÈS et J. NESBITT ont noté que ce nom désigne effectivement les soldats origi­naires de Thrace (Catalogue of the Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art 3, Washington 1996, p. 1). Cependant il est à remarquer que ce plomb fut trouvé à Priène, forteresse qui relevait du thème des Thracésiens. La première ligne de la légende est incomplète, mais les premières lettres (K.PA) permettent d'attribuer ce sceau à un Kratéros. L'épigraphie autorise à dater ce plomb de la première moitié du 9e siècle, la présence d'un fermé étant encore possible à cette date. La lecture de la dignité a été cor­rigée par P. MAAS, BZ 20, 1911, p. 613.

8. Notice du PMBZ, n° 4159.

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LES KRATÉROI 227

débarrassé de la révolte de Thomas le Slave9. Kratéros aurait été stratège des Cibyrrhéotes sous Théophile. Parti à la tête de soixante-dix galères, il débarqua et remporta un premier succès mais, la nuit venue, faute d'avoir placé des gardes et veillé à la sobriété de son armée, il fut surpris par une attaque nocturne et perdit entièrement ses troupes. Seul le stra­tège s'échappa mais, poursuivi par ses adversaires et rattrapé en l'île de Cos, il fut crucifié par les Arabes de Crète10. On peut se demander si ce Kratéros est identique au stratège des Anatoliques. Milite en faveur de l'identification le fait que les prénoms ni de l'un ni de l'autre ne sont connus, ce qui ferait de Kratéros un nom unique, cas qui se présente par­fois pour le fondateur d'une lignée nouvelle11. Mais il serait surprenant qu'un stratège des Anatoliques ait été rétrogradé au rang réputé inférieur, selon les taktika, de stratège des Cibyrrhéotes12, d'autant plus que l'inter­valle de temps qui sépare les deux commandements est sans doute supé­rieur à dix ans, si Ton admet les conclusions de D. Tsougarakis.

Un eunuque, Théodore, surnommé Kratéros, s'illustra à la cour de Théophile, en rabattant la morgue d'un prisonnier arabe qui se vantait de l'emporter sur tous dans l'art de manier la lance13. Comblé d'honneurs, Théodore participa à la grande campagne de Théophile contre les Arabes en 838 et fut un des généraux chargés de défendre Amorion. Il était alors titré patrice. Selon A. Vasiliev14, il aurait été à cette date stratège des Bucellaires. Capturé comme ses collègues après la chute de la forteresse, il refusa de renier sa foi et, après quelques années d'emprisonnement, fut martyrisé à la tête de ses compagnons15. On peut s'interroger sur l'appar-

9. D. TSOUGARAKIS, Byzantine Crete from the 5th Century to the Venetian Conquest, Athènes 1988, p. 41-44.

10. Theophanes Continuatus, éd. I. BEKKER, Bonn 1838 (= THÉOPHANE CONTINUÉ), p. 79-81 ; Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum, éd. I. THURN, CFHB V, Series Berolinensis, Berlin - New York 1973 (= SKYUTZES), même récit, p. 45.

11. À titre d'exemple, rappelons le cas de Balantios au 10e siècle: W. SEIBT, Die Bleisiegel in Österreich I, Kaiserhof, Vienne 1978, p. 297-298.

12. Il serait cependant arrivé une mésaventure du même ordre à Nicéphore Phocas l'Ancien, ancien domestique des Scholes, qui fut ensuite placé à la tête du thème des Thracésiens, mais la fin de la carrière de Nicéphore Phocas est obscure et les sources pour le moins confuses. Pour Kratéros, on pourrait concevoir qu'on l'ait placé à la tête des Cibyrrhéotes pour lui donner davantage de pouvoir sur la flotte qui devait le conduire en Crète.

13. SKYUTZES, p. 69 ; THÉOPHANE CONTINUÉ, p. 115. 14. A. A. VASILIEV, Byzance et les Arabes, I. La dynastie d'Amorium (820-867), éd. fr.

préparée par H. GRÉGOIRE et M. CANARD ( 2, 1), Bruxelles 1935, p. 147, n. 1. La source de cette information n'est pas donnée, mais cette identification est acceptée par les auteurs d'un ouvrage sur l'Asie Mineure (B. BLYSIDOU, E. KOUNTOURA-GALAKÈ, ST. LAMPAKÈS, T. LOUNGHIS, A. SAVVIDÈS, H Μικρά Ασία των θεμάτων. Έρευνες πάνω στην γεωγραφική φυσιογνωμία και προσωπογραφία των βυζαντινών θεμάτων της Μικράς Ασίας (7ος-11ος αι.), Athènes 1998, ρ. 432 η° 9).

15. SKYLITZÈS, p. 78 ; THÉOPHANE CONTINUÉ, p. 133 ; LEON VE GRAMMAIRIEN, p. 324. Plusieurs textes hagiographiques font référence aux 42 martyrs d'Amorion (BHG 1211-1214). Une notice du synaxaire de Constantinople (Synaxarium ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi adiectis synaxariis selectis

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228 JEAN-CLAUDE CHEYNET

tenance de Theodore à la famille des Kratéroi, étant donné, notamment, sa condition d'eunuque. Il n'est fait aucune allusion aux alliances de Théodore et on pourrait penser que Kratéros ait été un simple surnom donné pour célébrer les qualités physiques de ce personnage. On ne peut exclure cette explication, mais il n'est pas facile d'admettre que Théodore ait reçu un surnom qui prêtait à confusion avec le nom d'un génos illustre. Une autre solution serait que cet eunuque aurait appartenu un temps à la maison d'un des Kratéroi stratèges, que nous venons d'évoquer. Enfin, c'est une dernière possibilité, la scène serait aussi des­tinée à critiquer l'empereur iconoclaste.

Les Kratéroi avaient leur palais dans le quartier élégant de la capitale, qui s'étendait le long de la Propontide en s'appuyant sur les ruines de grands bâtiments de l'époque protobyzantine. Ultérieurement, la demeure des Kratéroi passa à Romain Lécapène. Au début de son règne, l'empereur transforma ce palais en monastère familial, connu sous le nom de Myrélaion, destiné à recevoir les sépultures des membres de la famille16.

Lors de la tonsure du tout jeune Léon VI, les cheveux de l'enfant furent offerts à des officiers de l'armée d'Orient, aux premiers rangs des­quels se trouvait le patrice Léon Kratéros, stratège des Anatoliques17. Léon est né en septembre 866. La date de sa tonsure n'est pas connue. En principe, elle aurait dû prendre place peu après la naissance de l'en­fant, alors que Michel III était encore empereur, mais la cérémonie fut organisée après l'assassinat de ce dernier, en septembre 867. Basile Ier

était alors seul empereur. Il fit des officiers des thèmes des Anatoliques et du thème de Cappadoce les parrains de son fils, visant à s'assurer la fidélité des troupes à l'égard de celui qui n'était encore que le second, après Constantin, dans l'ordre de succession au trône. On peut avancer une autre hypothèse selon laquelle la cérémonie aurait pris place beau­coup plus tard. Léon aurait pu être tonsuré seulement après la mort de Constantin, son frère aîné, en 879, alors qu'il devenait l'héritier officiel. De toute façon le texte du De Cerimoniis indique bien que Léon était encore enfant ; de fait il aurait eu douze ans, si la dernière hypothèse était vérifiée. Léon Kratéros était donc à cette date, comme son ancêtre, l'officier le plus élevé en grade de l'armée des thèmes.

M. Herlong compte au nombre des Kratéroi le domestique des Scholes, André le Scythe, actif durant le règne de Basile Ier, en s'ap-puyant sur les informations données par Georges le Moine18, et qui sem­blent confirmées par Theophane Continué. Ce dernier donne la liste des

opera et studio H. DELEHAYE, Bruxelles 1902, 516) commémore le 6 mars les martyrs de Théodore, Constantin, Théophile et Bassoès.

16. Tous les témoignages sur l'oikos de Kratéros ont été relevés par C. MANGO, Le développement urbain de Constantinople (іѴ-viř siècles), Paris 19902, p. 59.

17. CONSTANTIN PORPHYROGÉNÈTE, De Cerimoniis, p. 622. Sur cette cérémonie, voir G. DACRON, Nés dans la pourpre, TMÌ2, 1994, p. 102, n. 105.

18. GEORGES LE MOINE, éd. Bonn, p. 850.

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personnalités chargées de juger Théodore Santabarènos, soupçonné de vouloir placer un parent de Phôtios sur le trône : «ό μάγιστρος Στέφανος καΐ ό δομέστικος 'Ανδρέας και ό Κρατερός και ό Γοΰμερ πατρίκιοι και 'Ιωάννης Άγιοπολίτης19» Il y a encore ambiguïté sur le nom Kratéros, car on pourrait effectivement comprendre qu'il s'agit du nom de famille d'André, mais le récit parallèle de Skylitzès permet de clarifier ce point. Skylitzès donne en effet la même liste de la façon suivante : ό στρατηλάτης 'Ανδρέας καΐ ό μάγιστρος Στέφανος και ό μάγιστρος ό Άγιοπολίτης και Κρατερός και ό Γοΰβερ οι πατρίκιοι20. Cette liste est plus logique puisqu'elle classe les juges par ordre hiérarchique. Pour déterminer si le patrice Kratéros des années 886-887 est à distinguer du stratège des Anatoliques, Léon, il aurait fallu que la date de la tonsure soit établie de façon ferme. Si la date est proche de 867, il ne peut s'agir du même personnage, car cela signifierait que Léon n'aurait pas obtenu le moindre avancement durant ce long intervalle. Si la date est proche de 879, on peut admettre une identité et remarquer que la carrière de Léon aurait été liée à la fortune du domestique des Scholes d'alors, André le Scythe et, dans ce cas, on comprendrait que tous deux aient participé à la commission mise en place par Léon VI au début de son règne. La dignité de patrice, encore parcimonieusement distribuée en cette fin du 9e siècle, garantit que Kratéros était au premier rang de l'aristocratie21.

Nous avons vu que Romain Lécapène possédait à Constantinople un oikos qui avait appartenu auparavant à un Kratéros. Il est difficile de déterminer quand et comment Lécapène acquit cet important bâtiment. Il peut l'avoir acheté à son précédent propriétaire ou l'on peut encore ima­giner que, dans la période troublée qui accompagna sa prise progressive du pouvoir, Lécapène ait procédé à la confiscation des biens de ses adversaires politiques. Il ne serait pas surprenant de compter les Kratéroi parmi les partisans de la dynastie macédonienne, aux côtés des Phocas, et donc au nombre des ennemis de Romain.

La fortune des Kratéroi continue de briller au 10e siècle, après la chute des Lécapènes, puisqu'ils deviennent apparentés à la famille impériale. Romain II épousa Anastasô, fille de Kratéros. Elle reçut alors le nom de Théophanô22, porté jadis par la première épouse de Léon VI. Cette der-

19. THÉOPHANE CONTINUÉ, p. 355. Sur cet épisode, cf. Sh. TOUGHER, The Reign of Leo VI (886-912). Politics and People, Leyde 1997, p. 74-75.

20. SKYLITZÈS, p. 173. 21. Le sceau d'un Léon, stratège des Anatoliques, a été proposé à la vente organisée

par Münz Zentrum (vente 101, décembre 1999, plomb n° 564) et attribué à Léon Kratéros. Or ce dernier nom n'est évidemment pas gravé sur le plomb et de plus la photographie donnée invite à une datation plus haute du sceau d'au moins un demi-siècle, compte tenu de l'épigraphie.

22. Sur la coutume de changer le nom des jeunes épousées et la place particulière du nom de Théophanô dans la dynastie macédonienne, cf. É. PATLAGEAN, Les débuts d'une aristocratie byzantine (cité n. 2), p. 27-28.

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nière avait été ensuite considérée comme une sainte23. Deux traditions s'opposent sur les origines de l'impératrice. L'une en fait donc la fille d'un Krateros24, alors que l'autre voit dans l'impératrice une femme de basse condition et de mœurs condamnables. Léon le Diacre affirme qu'elle était d'obscure naissance et Skylitzès prétend qu'elle était fille de cabaretier25. Romain II avait été fiancé, tout jeune, à Berthe-Eudocie, fille d'un prince occidental, Hughes de Provence, roi d'Italie, mais Eudocie était morte prématurément. Théophanô était donc la seconde épouse de Romain II. La date du mariage n'est pas donnée par les chro­niqueurs. On peut présumer qu'elle était antérieure d'un an environ à la naissance de leur premier enfant, le futur Basile II, né en 958.

Tous les contemporains soulignent sa beauté, observation qui rappelle que des impératrices du siècle précédent avaient été choisies au terme d'un concours de beauté. Il faut toutefois noter que ces concours enga­geaient des candidates toutes issues de l'aristocratie et il serait bien étrange que Constantin VII, si longtemps humilié par son beau-père Romain Lécapène, ait accepté que son fils et héritier épousât une per­sonne de si basse condition. Léon le Diacre, porte-parole des intérêts des Phocas, avait des raisons de dénigrer la famille de Théophanô. Car les Phocas, eux aussi fidèles soutiens des Macédoniens et de Constantin VII, pouvaient voir dans les Kratéroi des rivaux potentiels et se devaient aussi de justifier l'usurpation de Nicéphore contre la régente en 963, même si ensuite Nicéphore épousa la veuve de Romain II. Le nom de la mère de l'impératrice, Marie, nous a été conservé par un sceau, frappé alors que sa fille était déjà augousta26.

Curieusement, les Kratéroi, dont le sang coule dans les veines des der­niers empereurs macédoniens, disparaissent des sources narratives. La sigillographie prend le relai et témoigne de la persistance de cette lignée. Le plus ancien sceau citant le nom de Krateros date de la seconde moitié du 10e siècle ; il appartient à Nic(-ètas, -olas, -éphore ?) protospathaire, épi ton oikeiakôn et chartulaire du drome des Anatoliques27. Au droit, saint Michel, en pied, et au pourtour une légende dont subsistent seule­ment les lettres du début et de la fin : APX AT, ce qui suggère une formule d'invocation commençant par 'Αρχιστράτηγε et dont la fin nous échappe. Au revers, légende sur six lignes: N\K..\ FVACnAQ'Se..|OIMA.SX..|T/T/AR>T/ANA.|OA'OKPA|TePOC : Νικ[...] β(ασιλικος) (πρωτο)σπαθ(άριος) (και) έ[πι τ(ών)] οίκ(ε)ια[κ(ών)] (καί)

23. Sur l'impératrice, épouse de Léon VI, voir en dernier lieu G. DAGRON, Théophanô, les Saints-Apôtres et l'église de Tous-Les-Saints, Σύμμεικτα 9. Μνήμη Δ. Α. Ζαχυθηνού Ι, Athènes 1994, ρ. 201-218.

24. THÉOPHANE CONTINUÉ, p. 458. 25. SKYLITZÈS, p. 240 ; LÉON LE DIACRE, p. 31. 26. G. ZACOS - A. VEGLERY, Byzantine Lead Seals I, Bále 1972, n° 2675. 27. Figure 1. Sceau inedit conservé au musée de Vienne, n° 420. Je remercie vivement

Alexandra-Kyriaki Wassiliou pour les informations données sur ce plomb et pour la photo.

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χ[αρ]τ(ουλάριος) τ(οϋ) δρ(όμου) τ(ών) Άνα[τ]ολ(ικών) ό Κρατερός. C 'es t la dernière fois qu'un Kratéros est associé au thème des Anatoliques.

Un sceau28 de la première moitié du 11e siècle laisse paraître au droit, dans un cercle de fin grènetis, saint Georges représenté en buste, dans sa traditionnelle tenue militaire avec la lance et le bouclier. Dans le champ, de part et d'autre de l'effigie, inscriptions en colonnes : ѳ | | ||.| | > Ό όί(γιος) Γε[ώ]ργ(ιος) ; à la circonférence subsistent des traces de l'habi­tuelle invocation. Au revers, légende sur six lignes, dont la première a disparu: ....|..nA9A|KANMS.|TPATiro|TUKPAT|eP/ : [ ... σ]παθα(ρο)κανδ(ι)δ(άτω) (και) [σ]τρατιγδ τώ Κρατερ(ω). Un second exemplaire de ce sceau trouvé à Dristra, en moins bonne condition, laisse lire quelques lettres du prénom, Léonce ou Léon29. Ce stratège ser­vit sans doute sous les ordres du duc du Paradounavon, chargé de contrô­ler la basse vallée du Danube, voie traditionnelle des invasions. La famille conservait donc sa tradition militaire, cependant les autres Kratéroi contemporains connus par leurs sceaux ne mentionnnent plus de fonctions, à une exception près, mais seulement des dignités. Cette évo­lution suggère que la famille avait commencé à effectuer, comme bien d'autres lignées contemporaines, sa transition vers des activités civiles.

Le prénom de Basile apparaît pour la première fois sur le sceau de Basile Kratéros, patrice et anthypatos. Au droit, le buste de saint Basile, en tenue d'évêque, bénissant ; dans le champ, de part et d'autre de l'effi­gie, inscriptions en colonnes: Ѳ|. | і|| | | . Ό α(γιος) [Β]ασίληος. Au revers, légende sur sept lignes: — | Ѵ -| (і) -| - і | ΑΝθνΠΊ>|ΠΡΠ>ΚΡ|ΑΤ6. Κ(ύρι)ε β(οή)θ(ει) το σφ δού(λω) Βασ(ι)λείω άνθυττίάΜφ) ττ(ατ)ρι(κίω) τ(φ) ΚρατεΙρίώ)]30·

Parmi les contemporains de Basile, on compte Bardas, dont le sceau porte l'effigie de saint Georges, en pied31, et Constantin, anthypatos et patrice, dont le sceau porte l'image de saint Dèmètrios en pied32. Constantin était actif dans le second tiers du 11e siècle33. Le sceau d'un Constantin Kratéros à l'effigie de la Vierge, un homonyme un peu plus jeune que le personnage précédent, est conservé au Centre de Dumbarton

28. Figure 2. Sceau BnF, fonds Zacos, n° 425. 29. I. BARNEA, N. SEIBT, Byzantinische Bleisiegel aus Rumänien eine Nachlese zu

Stücken mit Familiennamen, JOB 49, 1999, p. 94-95. Le prénom de Léonce est à cette époque presque exclusivement réservé aux ecclésiastiques, alors que Léon — nous le savons — appartient au stock des prénoms familiaux des Kratéroi, mais il semble qu'il y ait un signe d'abréviation après le V de Λέοντι, invitant donc à transcnre Λεοντίω. Ce signe peut aussi résulter d'un accident, le sceau étant mal conservé.

30. Figure 3. Sceau BnF fonds Zacos, n° 426. 31. G. SCHLUMBERGER, Sceaux inédits, Revue numismatique, 1905, n° 240. 32. K. M. KONSTANTOPOULOS, Βυζαντιαχά μολυβδόβουλλα τοΟ έν 'Αθήνας ' Ѳѵ

ΝομισματιχοΟ Μουσείου, Athènes 1917, η° 648. 33. La datation est donnée par Ch. STAVRAKOS, Die byzantinischen Bleisiegel mit

Familiennamen aus der Sammlung des Numismatischen Museums Athen (Thèse inédite, Vienne 1990), n° 135.

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Oaks34. Au droit, buste de la Vierge, orante, le médaillon de l'Enfant posé sur la poitrine. Au revers, la légende court sur quatre lignes : -+-leKerV&lKUNTUlKPATel-PU·. Θ(εοτό)κε β(οή)θ(ει ) Κων(σταντίνω) τώ Κρατερω. Dans la même collection se trouve le plomb d'un Nicéphore sans dignité ni fonction, à l'effigie de saint Georges en buste, portant la légende métrique suivante: +CiPA|nCK.PA|TePöTö| ΝΙΚνΗίθ|ΡΟ ; + ΣφραγΙς Κρατερού του Νικηφόρου. Aucun Kratéros ne fut en ce siècle un personnage de premier plan, mais les membres de cette famille continuaient à appartenir à l'aristocratie et sans doute à rési­der dans la capitale.

L'arrivée au pouvoir des Comnènes relégua davantage à Γ arrière-plan les Kratéroi avant que les bouleversements de la fin du 12e siècle ne bousculent à nouveau la hiérarchie sociale. On peut dater de la première moitié du règne d'Alexis Ier le sceau du vestarque Dèmètrios Kratéros35. Au droit, saint Dèmètrios, en pied, est représenté sous son aspect mili­taire habituel, tenant en main gauche un bouclier ovale et une lance en main droite. De part et d'autre de l'effigie, inscriptions en colonne, avec une ligature rare entre le Τ et leP : θ|Α|Π|α || | | І| / : Ό αγιο(ς-) Δημίτρ(ιος). Au revers, légende métrique sur cinq lignes: - + -| ? / | / | І | І | : Σφραγ(ίς) γραμμάτ(ων) Διμητρ(ίου) βεστάρχου τοΰ Κρατεροϋ.

Le sceau d'un Kratéros, découvert en Roumanie et conservé aujour­d'hui au musée du Delta du Danube, a été publié par I. Bamea et daté par son éditeur des 11e-12e siècles36. La fin de la légende métrique a été détruite, ce qui a fait perdre le prénom. Le plomb porte l'effigie de saint Dèmètrios, debout, dans la tenue militaire habituelle. La légende métrique doit être complétée par un nom en quatre syllabes : les prénoms Constantin et Dèmètrios, déjà attestés dans la famille par des sceaux à l'effigie du même saint, conviendraient bien. Si la première hypothèse est retenue, l'épigraphie me paraît interdire de l'identifier à l'homonyme du milieu du 1 Ie siècle, car elle plaide pour une datation de la première moitié du 12e siècle. Mais la représentation de saint Dèmètrios rappelle fortement celle du sceau du vestarque de ce nom et il est possible qu'il s'agisse du même personnage.

On relève un autre Kratéros, Maxime, moine, connu seulement par son sceau conservé en plusieurs exemplaires qu'on peut dater de la pre­mière moitié du 12e siècle37. Au droit, buste de la Vierge Épiskepsis,

34. Figue 4. Sceau inédit DO 58.106.798, mentionné par Stavi akos (cf. note précé­dente). Ce dernier rejette ajuste titre l'hypothèse de la lecture Constantin Kratéros, que P. SPECK Bleisiegel (cité n. 1) avait proposée avec les plus grandes réserves.

35. Le sceau est conservé dans la collection de Madame J. Zacos à Bâle. 36.1. BARNEA, Sceaux byzantins inédits de Dobroudja, SBS 3, 1993, p. 60. 37. Figure 5. Sceau BnF, Fonds Zacos, n° 1213; Vienne MK 419; un sceau de

Dumbarton Oaks, que V. Laurent n'a pas intégré à son Corpus sur l'Église car il est mal conservé, à la différence de l'exemplaire de l'ancienne collection Zacos où l'abréviation pour moine est très nette. Un autre exemplaire en mauvaise condition se trouve au Musée archéologique d'Istanbul (n° 490-1165gg).

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orante, le médaillon de l'Enfant posé sur la poitrine. Dans le champ, de part et d'autre de l'effigie, les sigles : [MP] || ѲѴ : [Μ(ήτη)ρ] θ(εο)ΰ. Au revers, légende sur quatre lignes: ©KefV0-|riAZIMO|ÄTONKPA| T6P0N : [+] θε(οτό)κε β(οη)θ(ει) Μάξιμο(ν) (μον)αχ(ον) τον Κρατερόν.

À la fin du 12e siècle, les Kratéroi sont de nouveau mentionnés dans les sources documentaires. En 1195, Épiphane Kratéros signait au nom de son supérieur, son oncle le protonobélissime Etienne Gabalas, notaire impérial du bureau de la mer, un document en faveur du monastère Saint-Jean de Patmos38. Cette référence témoigne d'une alliance entre deux familles jadis prestigieuses, car liées à d'anciennes dynasties, puisque les Gabalas s'étaient unis aux Lécapènes au 10e siècle39. Une bulle métrique au nom d'Épiphane Kratéros est datée par V. Laurent du tournant du 11e siècle40. Au droit figure la Vierge Hagiosoritissa en pied, tournée de profil, les mains levées vers la main divine qui apparaît au haut du champ à droite. De part et d'autre de l'effigie, les sigles : Ρ | | ѲѴ, et les inscriptions disposées en colonne: | | І - Tl|CA. Μ(ήτη)ρ θ(εο)ϋ ή Άγιοσορίτισ(σ)α. Au revers, une légende métrique est gravée sur quatre lignes: •+-|eni<r,ANl|ONKPATe|PONCI<.e|noiC-KOPH : Έπιφάνιον Κρατερόν σκέττοις Κόρη. En réalité ce plomb doit être daté du milieu du 12e siècle ; dès lors, il n'est pas exclu qu'il ait appar­tenu au fonctionnaire du bureau de la mer.

La chute de Constantinople entraîna la dispersion de la famille tant en Orient qu'en Occident. On trouve des Kratéroi établis dans l'île de Corfou, où ils possédaient leurs biens patrimoniaux, mais d'autres membres de la famille accompagnèrent Théodore Lascaris dans son entreprise de reconstitution d'un État byzantin en Asie Mineure.

Les Kratéroi de Corfou nous sont connus par les appels qu'ils interje­tèrent auprès du tribunal de l'archevêque de Bulgarie, Dèmètrios Chômatianos. Dans un premier cas, Jean, issu du second mariage de son père Nicéphore, décédé au moment du procès, avait pour demi-frère Constantin. Ce dernier mourut, jeune sans doute, en tout cas sans enfant. Sa grand-mère paternelle revendiqua la part d'héritage de Constantin à propos d'un bien immobilier resté jusque-là indivis, prétention que contestait, à juste titre semble-t-il, Jean41. Ce procès qui concerne trois générations de Kratéroi implique que ceux-ci aient été établis à Corfou, bien avant 1204.

38. Βυζαντινά έγγραφα της μονής Πάτμου. Β' - Δημοσίων λειτουργών, éd. Maria NYSTAZOPOULOU-PELEKIDOU, Athènes 1980, n° 56,1. 27, désormais cité Patmos II.

39. Romain Lécapène avait donné pour épouse à son fils Etienne Anne, la fille de Gabalas, qui fut à cette occasion couronnée impératrice (SKYUTZES, p. 228).

40. Figure 6. V. LAURENT, Les bulles métriques dans la sigillographie byzantine, Athènes 1932, n° 623 (coll. Shaw 47.2.1102). Plusieurs pièces parallèles sont connues depuis : DO 58.106.1704, sceau BnF fonds Zacos, n° 1634, un autre exemplaire de l'anc. coll. Zacos a été vendu par Spink (vente 132, mai 1999 à Londres), sceau n° 222.

41. DÈMÈTRIOS CHÔMATIANOS, Συλλογή κρίσεων έπί ζητημάτων κανονικού δικαίου, éd. J. Β. PiTRA, Analecta sacra et classica specilegio Solesmensi parata, t. VI, Rome 1891, col. 221-226.

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Dans la seconde affaire, un certain Constantin Kratéros, à distinguer de l'homonyme dont nous venons de parler, lui ausi originaire de Corfou, se trouvait en procès avec le duc de l'île sur une question de pré­emption de terrain. Constantin ne présenta pas lui-même le cas à Chômatianos, mais se fit représenter par Georges Triakontaphyllos. Le duc de l'île avait acheté un terrain situé au milieu des possessions des Kratéroi, sans les avertir, alors qu'ils étaient voisins. Constantin ne pro­testa pas, car le pouvoir ducal était à redouter. L'oncle maternel de Constantin avait offert un terrain à sa sœur, la mère du plaignant. Plus tard, Dèmètrios Bardanès, époux de Marie, fille de cet oncle et cousine germaine de Constantin, demanda à racheter le terrain et Constantin acquiesça. À ce moment, le duc fit jouer son droit de préemption pour s'emparer du bien en question. Chômatianos donna tort au duc car il rap­pela la vieille loi selon laquelle le détenteur d'une charge ne peut acqué­rir de biens là où il l'exerce42. Cette affaire est intéressante sous plusieurs aspects. Du point de vue juridique, elle montre que l'ancienne législation s'appliquait toujours. Du point de vue social, on constate que les Kratéroi appartiennent au même groupe social que les Bardanès ou Triakontaphylloi, des familles qui fournirent, de longue date pour la seconde, de hauts fonctionnaires civils.

En Orient, les Kratéroi connurent une belle réussite, car l'un d'eux, Alexis, devint un proche de Théodore Lascaris43. En effet, en 1216, le pansébaste sebaste Alexis, parakoimomène, oikéios de l'empereur, duc des Thracésiens, reçoit de Lascaris, par l'intermédiaire du mésazôn Dèmètrios Tornikios, l'ordre de procéder à la remise au monastère de Patmos du métoque de Pyrgos, situé près de Palatia (Milet)44. En mars 1217, un document mentionne indirectement la légende métrique du sceau du parakoimomène :'Αλεξίου σφράγισμα Καρτερωνύμου45. En 1221, Alexis est mentionné à propos de la même affaire par un chryso­bulle de Théodore Lascaris46. Le gendre et successeur de Théodore, Jean III Vatatzès, maintint Alexis dans sa charge de parakoimomène puisque, en 1227, ce dernier était encore à ce poste lorsqu'il lui fut demandé d'aider les moines de Lembos pour la construction d'un vivier dans le golfe de Smyrně, à l'ancienne embouchure du fleuve Hermos47.

42. ibidem, col. 307-314. 43. Courte notice dans GUILLAND, Recherches I, p. 208, à compléter par Patmos II,

p. 143. 44. Patmos II, n° 61. Le titre de Kratéros est attesté par sa signature au dos du docu­

ment, signature que les précédents éditeurs n'avaient pas remarquée. 45. Mention dans V. LAURO«·, Les bulles métriques dans la sigillographie byzantine,

n° 16, qui reprend une remarque de W. Frœhner transmise par G. SCHLUMBERGER, Sigillographie de t'Empire byzantin, Paris 1884,1.1, p. 93.

46. Βυζαντινά . της μονής Πάτμου. Α' - Αυτοκρατορικά, éd. Éra VRANOUSSI, Athènes 1980, n° 13.

47. F. MIKLOSICH - I. MÜLLER, Acta et Diplomata Graeca medii aevi sacra et profana IV, p. 240. Sur cette affaire, voir P. GOUNARIDIS, la pêche dans le golfe de Smyrně, dans ΕΥΨΥΧΙΑ. Mélanges offerts à Hélène Ahrweiler, Paris 1998, p. 265-271.

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Alexis était-il alors encore en charge du thème des Thracésiens, ce que le document ne précise pas ? Alexis agit comme l'autorité supérieure dans cette affaire, ce qui est normalement le rôle d'un duc. Mais il aurait pu aussi, en tant qu'ancien duc, et donc bon connaisseur des réalités locales, avoir été chargé d'une mission ponctuelle. Si l'on devait admettre qu'il fût duc à cette date, il faudrait supposer qu'il ait gardé bien longtemps sa charge ou bien, si Michel Kadianos a été duc en 1226, supposer qu'il ait été nommé deux fois à ce poste48. Quoiqu'il en fût, Alexis Kratéros conserva sa haute charge de parakoimomène sous le règne du successeur de Théodore Lascaris, Jean Vatatzès, qui ne suivit pas exactement la politique de son beau-père. Un document de 1249 le cite comme défunt.

Le praktikon de 1216 était confirmé par la signature du duc et aussi par son sceau, perdu depuis. Mais nous disposons aujourd'hui d'un exemplaire de cette bulle49. Au droit, dans un cercle composé de motifs géométriques, tout le champ est occupé par un monogramme qui se résoud en Alexis. Au revers, dans un cercle de grosses perles entouré de deux cercles concentriques de grenetis, la légende métrique court sur cinq lignes: +|AAeZl|OVC*PAr|lCMAKPA|TePUNV|MOV : +Άλεξίου σφράγισμα Κρατερωνύμου. Nous connaissons par ailleurs un autre sceau, appartenant sans doute au même personnage, actuellement conservé à l'Ermitage. V. Šandrovskaja, qui l'a publié, le date du 11e siècle, ce qui ferait de son propriétaire un homonyme plus ancien du duc vivant au 13e siècle50. En réalité, la photographie donnée par N. Lichačev montre que le texte, gravé en grandes lettres, correspond à l'épigraphie de la fin du 12e siècle et du début du siècle suivant. Au droit du sceau, Etienne le Protomartyr est représenté debout, dans sa tenue habituelle de diacre. Au revers la légende métrique paraît devoir être lue : + Σφράγισμα ρύτων Κρατεροϋ Αλεξίου.

Un élève de N. Blemmydès portait également le nom de Kratéros, mais nous ne connaissons pas son nom de baptême. Il est, à en juger par ses rapports avec Blemmydès51, plus jeune d'une génération qu'Alexis, dont il était peut-être le fils. En effet le fameux maître de l'école

48. Hélène AHRWEILER, L'histoire et la géographie de la région de Smyrně entre les deux occupations turques (1081-1317), particulièrement au XIIIe siècle, TM 1, 1965, p. 139-140 = Variorum Reprints, Byzance, les pays et les territoires, Londres 1976, n° IV.

49. Édition dans le catalogue de la troisième vente des sceaux de la collection Zacos chez Spink (Londres), (vente n° 135, oct. 1999), pièce n° 291. Un autre plomb, compor­tant au droit le même monogramme, mais une légende un peu différente au revers, est passé en vente chez Münz Zentrum (vente n° 93, janvier 1998), sceau n° 590: + Σφράγισμα τοοτο Κρατερού 'Αλεξίου.

50. V. S. ŠANDROVSKAJA, Sfragistika, in : Iskusstvo Vizantii v sobranijach SSSR -Katalog vystaki, I-II, Moscou 1977, n° 682 (Ermitage M 8058); repris dans N. P. LICHAČEV, Molivdovuly Grečeskogo Vostoka, éd. V. S. ŠANDROSKAM, Moscou 1991, n° LXX, 12.

51. Il se querella avec le maître en 1239 (Nicephorus Blemmydès, Autobiographia sive curriculum vitae, éd. J. A. MUNITIZ, Tumhout-Louvain 1984, p. 71-72; Theodoři Ducae Lascaris Epistulae, éd. N. FESTA, Florence 1898).

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nicéenne enseignait d'abord aux rejetons des hauts fonctionnaires de l'Empire de Nicée.

Sous les Paléologues le nom de Kratéros n'apparaît plus qu'une seule fois grâce à une notice d'un manuscrit du 14e siècle52.

En conclusion, les Kratéroi me paraissent une famille typique du développement de l'aristocratie byzantine. Ses ancêtres remontent pour le moins au début du 9e siècle et sont à cette époque au premier rang des compagnons de l'empereur. Ayant fourni deux stratèges des Anatoliques, la lignée tient dans une certaine mesure le rôle des Phocas au siècle sui­vant. Nous ne pouvons démontrer que ses assises étaient anatoliennes, mais le fait est plus que probable. Comme ses rivales, elle compte dans ses rangs un personnage ayant accédé à la sainteté tout en s'illustrant, comme saint Eudocime son contemporain, dans la résistance aux Arabes. Puis, au siècle suivant, elle compte parmi l'élite des familles qui peuvent se targuer d'une alliance avec l'empereur, comme les Phocas, les Maleïnoi, les Lécapènes, les Gabalas... Les Kratéroi ont donc surmonté tous les changements dynastiques et les usurpations qui caractérisent ce temps.

À partir du 11e siècle, les Kratéroi perdirent un peu de leur superbe en fournissant, comme tant d'autres, des fonctionnaires de la capitale. Cependant, à la faveur de la redistribution des cartes sociales qui précède et suit la catastrophe de 1204, ils reviennent au premier plan, notamment en Orient, où l'un d'eux, Alexis, se présente en fidèle de la nouvelle dynastie lascaride. Cet engagement fut peut-être cause de l'affaiblisse­ment apparemment définitif d'une lignée, qui pendant cinq siècles plaça bien des siens au sommet de la société. Sans doute ne suivirent-ils pas massivement Michel Paléologue dans la capitale reconquise et perdirent-ils leurs terres conquises un demi-siècle plus tard par les Turcs.

Jean-Claude CHEYNET (UMR 7572 — Paris IV Sorbonne)

52. Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit, éd. E. TRAPP-H. - V. BEYER, Vienne 1976-1996, n° 13718. M. VOGEL et V. GARDTHAUSEN, Die griechischen Schreiber des Mittelalters und der Renaissance, Leipzig 1909, p. 237.

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LES KRATEROI 237

n ° l n°2 n °3

I tifi

n°4 n°5 n°6

i

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238 JEAN-CLAUDE CHEYNET

Do 47.2.1102

Do 58.106.1704

BnF fonds Zacos

n°1634

n° 6 (suite)

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LA MANNE DE SAINT JEAN. À PROPOS D'UN ENSEMBLE

DE CUILLERS INSCRITES

Ariétta PAPACONSTANTINOU

Summary : Three inscribed spoons of Egyptian origin are here reinterpreted in the light of the hagiographical tradition concerning John the Evangelist. The mention of manna on one of them is not a reference to the Old Testament, but to the white powder which flowed out of the apostle's tomb at Ephesos.

Dans le Bulletin de l'Institut égyptien de 1903, G. Arvanitakis faisait état de «trois cuillers en coquilles avec des manches en fer» qui venaient d'être acquises par le Dr Fouquet pour sa collection aujourd'hui disper­sée1. Il s'agissait d'objets inscrits. Voici ce qu'en dit l'éditeur: «Sur les manches on lit successivement : 'Ιωάννης 'Αποστόλου au lieu de απόστολος ce que prouve l'autre : "Αγιος 'Ιωάννης. La troisième com­porte : φάγε μάνα»2. Se référant à Hébreux 9.4 et Apocalypse 2.17, l'au­teur prête à ces inscriptions un sens eucharistique et aux cuillers qui les portaient un usage liturgique : celles-ci «servaient sans doute, dit-il, à la sainte communion».

Bien que très sommaire, la description d'Arvanitakis permet de recon­naître un type de cuillers caractérisées par un manche en fer forgé riveté à un cuilleron de coquillage, dont le Musée du Louvre et le Musée copte du Caire possèdent plusieurs exemplaires3. Les manches, à section circu-

1. G. ARVANITAKIS, Inscriptions grecques inédites, Bulletin de l'Institut égyptien, 4e série, 4, 1903, p. 485.

2. Ces inscriptions sont reprises dans le Sammelbuch griechischer Urkunden aus Aegypten, I, Strasbourg 1913, n° 5977.

3. D. BÉNAZETH, Musée du Louvre. Catalogue du département des antiquités égyp­tiennes. L'art du métal au début de l'ère chrétienne, Paris 1992, p. 74-75, inv. n° N 2178 (intacte), AF 1132 et AF 1425 (manche seul); J. STRZYOOWSKI, Catalogue général des antiquités du Musée du Caire, if 7001-7394 et 8742-9200. Koptische Kunst, Vienne 1904, p. 322, nœ 7188 (fig. 378), 7189, 7190 (fig. 379).

Revue des Études Byzantines 59,2001, p. 239-246.

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laire pour l'essentiel, portent parfois des inscriptions sur la partie proche du cuilleron qui a été aplatie à cet effet, donnant alors une section rectan­gulaire. Les exemplaires connus sont toutefois indépendants les uns des autres, à la différence des cuillers de la collection Fouquet qui, comme on le verra, formaient un ensemble cohérent. On ne sait rien sur l'origine de ces dernières, ni sur leur devenir après la dispersion de la collection.

C'est la mention de la manne dans la troisième inscription qui a sug­géré à Arvanitakis son interprétation eucharistique de l'ensemble. Pendant longtemps, on a effectivement considéré la fonction liturgique des cuillers datant de l'antiquité tardive comme une évidence, essentiel­lement en raison des allusions religieuses qui ornent un grand nombre d'entre elles. Depuis quelque temps, toutefois, cette fonction a été forte­ment mise en doute : les cuillers, comme d'autres objets d'argenterie par­venus jusqu'à nous, auraient été la plupart du temps destinés à un usage domestique4. Cette réinterprétation repose principalement sur deux argu­ments. D'une part, d'après une étude de J. Braun sur le développement du mobilier liturgique chrétien5, les cuillers n'auraient pas été en usage dans la liturgie orthodoxe avant la fin du 8e siècle voire plus tard dans certaines régions. D'autre part, la présence courante de cuillers inscrites dans les mobiliers funéraires composés par ailleurs d'objets à usage domestique, interdit de les considérer comme des instruments du culte.

Parfois signalée, la présence de cuillers provenant d'églises ne vient pas nécessairement contredire cette interprétation : elles pouvaient s'y trouver sans pour autant faire partie du mobilier liturgique proprement dit6. Il faut pourtant se garder de formuler des affirmations trop absolues. On possède en effet des mentions de cuillers à usage eucharistique anté­rieures au 8e siècle, en tout cas dans le diocèse d'Orient7. Mais rien ne permet de dire si ces objets possédaient des caractéristiques particulières permettant de les distinguer de ceux qui étaient en usage dans la vie quo-

4. Voir par exemple J. ENGEMANN, Anmerkungen zu spätantiken Geräten des Alltagslebens mit christlichen Bildern, Symbolen und Inschriften, JbAC 15, 1972, p. 165-172; S. HAUSER, Spätantike und frtthbyzantinische Silberlöffel. Bemerkungen zur Produktion von Luxus gutem im 5. bis 7. Jahrhundert (= JbAC, Ergänzungsband 19), Münster 1992, p. 78-87.

5. J. BRAUN, Das christliche Altargerät in seinem Sein und in seiner Entwicklung, Munich 1932, p. 272 sqq ; HAUSER, Silberlöffel, p. 78-79.

6. F.A.J. HOOGENDUK et P. VAN MINNEN, Papyri, Ostraca, Parchments and Waxed Tablets in the Leiden Papyrological Institute, Leyde 1991, °* 13,1. 13-14. Dans le com­mentaire p. 59, les éditeurs interprètent ces cuillers comme liturgiques sans se référer à l'article d'Engemann (n. 4 ci-dessus) ; ils citent, en revanche, l'ouvrage de Braun (n. 4 ci-dessus) qui, en réalité, interdit cette conclusion puisqu'il démontre qu'à l'époque de ce texte (778e s.), on ne se servait pas de cuillers dans la liturgie.

7. PS.-DENYS de Tell-Mahré, Chronique, 525/526, trad. R. HESPEL, Louvain 1962, CSCO 507, ser. syr. 213, p. 24-25 : l'évêque force le prêtre Cyriaque à communier, en lui ouvrant la bouche avec le manche d'un fouet pour y verser l'eucharistie avec une cuiller ; ANASTASE LE SINAÏTE, Récits II. 1 : pour recevoir la communion, un stylitě tire avec une corde le calice et la cuiller jusqu'au sommet de sa colonne (pour cette dernière référence, je remercie André Binggeli qui prépare l'édition des textes d'Anastase).

8. C. DIEHL, Argenteries syriennes, Syria 11, 1930, p. 209-215.

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tidienne. Aussi il est difficile de déterminer aujourd'hui avec certitude la destination de telle ou telle cuiller conservée isolément, bien que statisti­quement, l'hypothèse la plus probable soit d'avoir affaire à des éléments de mobilier domestique.

Une autre piste pour l'interprétation de ce type d'objets a été ouverte en 1930 par Charles Diehl, lorsqu'il publia pour la première fois sept cuillers en argent appartenant à un certain Domnos et provenant, sans autre précision, de Syrie8. Ces objets portaient sur leurs manches des ins­criptions commençant toutes par la formule «ευλογία του αγίου ...» et se terminant chacune par le nom d'un apôtre. En se référant aux inscrip­tions analogues des ampoules à eulogie, Diehl proposa de voir dans cet ensemble de cuillers — qui devait à l'origine comporter douze pièces — des souvenirs rapportés par un pèlerin de «quelque sanctuaire consacré aux apôtres»9. Si cette interprétation soulève quelques difficultés dans le cas des cuillers de Domnos10, elle est en revanche fort utile pour com­prendre l'ensemble de la collection Fouquet.

Reprenons le texte des trois inscriptions : 1) 'Ιωάννης αποστόλου - Jean l'apôtre 2) άγιος 'Ιωάννης - saint Jean 3) φάγε μάνα - mange de la manne Il est raisonnable de penser que les deux premières inscriptions font

référence au même saint, avec lequel la troisième n'a, à première vue, aucun rapport. En outre, comme nous ne disposons ni d'une description précise, ni d'une reproduction de ces objets, on ne sait pas si par leurs caractéristiques formelles ils appartenaient à un même ensemble. Seule la cohérence des textes qu'ils portent peut nous apporter cette certitude. Or, en se penchant sur le dossier hagiographique de Jean l'évangéliste, il est possible de constater que ces trois textes formaient effectivement un ensemble.

Les sources conservent deux traditions sur la mort de Jean. Selon la première, représentée par les Actes grecs du saint, et suivie notamment par les Actes coptes et par Jean de Nikiou, l'évangéliste serait entré vivant dans un fossé creusé pour lui par de jeunes disciples. Ces derniers l'auraient laissé prier, puis, revenant le lendemain, n'auraient trouvé qu'une sandale dans le fossé. Le lieu de sépulture du saint serait inconnu11. La seconde tradition est plus solidement rattachée à Éphèse,

9. Ibidem, p. 212. 10. Voir en particulier M. MUNDELL MANGO, Silver from Early Byzantium : The Kaper

Koraon and Related Treasures, Baltimore 1986, p. 216-224, nos 49-55, en particulier le commentaire p. 217-218, ainsi d'ailleurs que les hésitations de Diehl lui-même, p. 212-213.

11. Actes de Jean, Metastasis γ ' , 115, éd. E. JUNOD et J.B. KAESTLI, Acta lohannis, I, Turnhout 1983, p. 336 ; Metastasis ß \ ibid., p. 343 ; Actes de Jean, Compilation du Par. gr. 1468, 7.30-40 {ibid., p. 375) ; Metastasis copte, 115, ibid., p. 396-397 ; JEAN DE NIKIOU, Chronique, 71, éd. M.H. ZOTENBERG, Chronique de Jean, évêque de Nikiou. Texte éthio­pien et traduction, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et autres bibliothèques, 24.1, 1883, p. 290. La tradition se retrouve dans le synaxaire alexan­drin à la date du 4 tybi (30 décembre) : PO 11, 1915, p. 531-532.

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qui dès l'époque d'Eusèbe possédait le tombeau de l'apôtre12. Elle est transmise principalement par les Miracles latins composés dans la région de Rome vers le 6e siècle, eux-mêmes très proches de la Passion écrite un siècle plus tôt par le Pseudo-Méliton et présentée comme des Actes latins destinés à remplacer les Actes grecs que l'auteur jugeait inadmis­sibles13. Voici la version des Miracles :

«Et après que tout le peuple avait répondu amen, une lumière apparut au-dessus de l'apôtre pendant presque une heure, si forte que personne ne pou­vait supporter sa vue. [...] Et il se jeta sur la tombe dans laquelle il avait étendu ses vêtements, en nous disant : "La paix soit avec vous mes frères" ; puis, bénissant tous ceux qui étaient là et leur disant adieu, il se déposa lui-même vivant dans son sépulcre et ordonna qu'on le recouvre en glorifiant Dieu. Et aussitôt il rendit son esprit. Les uns se réjouissaient, les autres pleu­raient ; ils se réjouissaient de voir une si grande grâce, ils s'attristaient d'être privés de la vue d'un si grand homme et de sa présence physique. Et aussitôt apparut une manne sortant du sépulcre, que ce lieu continue encore aujour­d'hui de produire, et les effets miraculeux des ses prières se vérifient pour toutes les maladies, et tous sont libérés des dangers et obtiennent l'effet de leurs supplications14.»

Contrairement à celui des Actes grecs, l'auteur des Miracles sait bel et bien où se trouve le corps de Jean, et la preuve flagrante de la présence de cette relique est la manne miraculeuse qu'elle produit à l'intention des fidèles. Cette version de la fin de l'évangéliste n'est pas inventée de toutes pièces : elle circulait déjà du temps d'Augustin, qui l'attribue à des informateurs dignes de foi et à certains textes «apocryphes», dont malheureusement il ne précise pas l'origine :

«[Jean], dont on rapporte même (chose qui se trouve dans certaines Écri­tures, quoique apocryphes) que, lorsqu'il ordonna qu'on lui fît un tombeau, il était présent en bonne santé ; puis que, une fois le tombeau creusé et très soigneusement préparé, il s'y plaça comme dans un lit, et mourut aussitôt. Toutefois, ceux qui comprennent ainsi les paroles de Dieu, pensent qu'il n'était pas mort, mais qu'il reposait, semblable à un mort ; et qu'alors qu'on le croyait mort, il dormait enterré ; et que, jusqu'à ce que le Christ vienne, il restera ainsi, et qu'il indiquera le fait qu'il est en vie par le jaillissement d'une poussière ; laquelle poussière on'croit qu'afin qu'elle monte des pro­fondeurs jusqu'à la surface du tombeau, il faut qu'elle soit poussée par la

12. EUSÈBE, HE 3.39.6 (SC 31, p. 155); les questions soulevées par la légende des «deux tombeaux» de Jean à Éphèse ne concernent pas mon propos ici.

13. Voir E. JUNOD, Acta lohannis, II, Turnhout 1983, p. 769-777. 14. Miracles de Jean 9.107-120, éd. E. JUNOD, Acta lohannis, II, Turnhout 1983,

p. 831 -832 : «Et cum omnis populus respondisset amen, lux tanta apparuit super apošto­lům per unam fere horam ut nullius earn sufferet aspectus [...] Et proiecit se super tumu­lům in quo straverat vestimenta sua dicens nobis : "Pax vobiscum fratres". Et omnes benedicens ac valefaciens deposuit se viventem in sepulcro suo et iussit se operire glorifi-cans deum. Et statím reddidit spiritum. Alii gaudebant, alii flebant. Gaudebant quod tan-tarn cernebant gratiam, dolebant quod tanti viri aspectu et praesentíae specie defraudaban-tur. Et protinus manna exiens de sepulcro apparuit, quam usque hodie gignit locus ipse et fiunt virtutes orationum eius cum omnibus infirmitatibus, et periculis liberantur omnes et precum suarum consecuntur effectum.»

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respiration du gisant. À cette opinion, je juge superflu de m'opposer. En effet, ceux qui connaissent le lieu, auront vu si la terre fait et subit en cet endroit ce que l'on dit; car en effet, nous n'avons pas entendu cela d'hommes légers15.»

Intéressant à plusieurs égards, ce texte précise d'abord que la «manne» jaillissait des profondeurs du tombeau sous forme de poussière. Il y est par ailleurs très explicitement affirmé que la manne est la preuve de la présence de Jean. Plus encore, Févangéliste reposerait vivant sous terre et ferait sortir la poussière au rythme de sa respiration.

Grégoire de Tours apporte d'autres précisions :

«En vérité Jean, apôtre et evangeliste de Dieu, après avoir porté à son terme aussi bien le cours de son combat légitime que celui d'une prédication très bénéfique, descendant vivant dans son tombeau, ordonna qu'on le recouvrît de terre. Et maintenant son sépulcre vomit, aujourd'hui encore, de la manne semblable à de la farine: les bienheureuses reliques qui en sont tirées, répandues dans le monde entier, apportent la santé aux malades16.»

La poussière qui jaillissait du tombeau était donc blanche, et elle ser­vait, à l'instar de l'huile dans d'autres sanctuaires, d'«eulogie» aux pèle­rins qui la rapportaient chez eux. C'est elle sans doute que contenaient les petites ampoules de terre cuite représentant l'évangéliste et provenant de son sanctuaire éphésien17.

Au 9* siècle, Paschase Radbert mentionne à nouveau la manne, en se faisant toutefois l'écho de la tradition selon laquelle le tombeau de Jean était vide : «Ce que la plupart affirment aussi à propos du bienheureux Jean l'évangéliste, son serviteur, vierge auquel la Vierge a été confiée par le Christ : à savoir que dans son tombeau, on ne trouve — dit-on — rien d'autre que de la manne : et qu'on la voit même jaillir»18. Même associa­

is. Augustin, In loannis evangelium tractatus 124, 2, PL 35.1970-71 : «[Joannes] Quem tradunt etiam (quod in quibusdam Scripturi s quam vi s apocryphis reperitur), quando sibi fieri jussit sepulcrum, incolumem fuisse praesentem ; eoque effosso et diligentissime praeparato, ibi se tanquam in lectulo collocasse, statimque eum esse defuntum : ut autem isti putant, qui haec verba Domini sic intelligunt, non defunctum, sed defuncto simile cubuisse ; et cum mortuus putaretur, sepultum fuisse dormientem ; et donec Christus veniat sic mânere, suamque vitam scaturigine pulveris indicare : qui pulvis credi tur, ut ab imo ad superficiem tumuli ascendat, flatu quiescientis impelli. Huic opinioni supervaca-neum existimo reluctari. Viderint enim qui locum sciunt, utrum hoc ibi faciat vel patiatur terra quod dicitur ; quia et revera non a levibus hominibus id audivimus.»

16. GRÉGOIRE DE TOURS, Miraculorum Lib. I, De gloria martyrům 29, éd. W. ARNDT et . KRUSCH, Gregorii Turonensis Opera, II, M i rac ula et opera minora (= MGH-SRM,

1.2), Hanovre 1885, p. 505 : «Joannes vero apostolus et evangelista Dei, post peractum tam agonis legitimi quam praedicationis saluberrimae cursum, vivus descendens in tumulo, operiri se humo praecepit. Cujus nunc sepulcrum manna in modum farinae hodieque eructat, ex qua beatae reliquiae, per universum delatae mundum, salutem morbi-dis praestant.»

17. Voir M. DUNCAN-FLOWERS, A Pilgrim's Ampulla from the Shrine of St. John the Evangelist at Ephesus, The Blessings of Pilgrimage, éd. R. OUSTERHOUT, Urbana et Chicago 1990, ρ. 124-139.

18. PASCASE RADBERT, Lettre du bienlieureux Jérôme à Paula et Eustochium. Sur l'assomp-tion de la sainte vierge Marie 10, éd. A. RIPBERGER, , 56 . 113 : «Quod et de beato

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tion des deux traditions, cette fois chez un auteui grec du 6e siècle, Éphrem d'Antioche :

«Mais on ne va pas pour autant nier que le juste change de vie avec son corps. Cette opinion a aussi l'appui des Actes de Jean le Bien-aimé et de sa vie que racontent de nombreux témoins On l'avait, en effet, enterré sur son ordre, disent-ils, dans un endroit déterminé et, quand on le rechercha aussi­tôt après, on ne put le retrouver, mais on ne découvrit que la matièie sancti­fiante qui émanait du heu où on l'avait mis un instant et où nous puisons comme à une source de sainteté cet onguent de sanctification19 »

Éphrem ne mentionne pas explicitement la manne, mais c'est évidem­ment à elle qu'il fait allusion par le terme «μύρον». Cet emploi suggèie par ailleurs que la poussière blanche qui sortait du tombeau avait une odeur agréable.

Malgré son absence des textes grecs du dossier de Jean, la manne est bien présente dans le synaxaire de Constantinople, où elle prend une importance tellement grande qu'elle tend à se substituer au saint lui-même. Le 8 mai, le synaxaire comporte en effet deux notices se rappor­tant l'une à saint Jean et l'autre à la «sainte poussièie» :

1 Mémoire du saint apôtre et evangeliste, celui que Jésus aimait et qui s'était penché sur sa poitrine, le vierge Jean le théologien, c'est-à-dire céré­monie des /osahá et récolte de la manne20. 2. Le même jour, on célèbre la synaxe de la sainte poussière qui sort de son tombeau (. ) Et chaque année, le huitième jour de mai, sur un signe de l'Esprit saint, le tombeau dans lequel on enterra le grand apôtre et evange­liste Jean lorsqu'il s'apprêtait à mourir fait jaillir et distribue une sainte poussière, que les gens du heu appellent manne. Les fidèles qui s'y rendent la prennent et s'en servent pour se libérer de toute sorte de maux, pour la guénson de leurs âmes, pour la vigueur de leur corps, tout en rendant gloire à Dieu et en honorant son serviteur et théologien Jean21

ίυ. ω nie evangelista eius ministro, cui vugiiii a Curilo \ ι. go coınimssa est, plui .mi _\ ei ani, qu>a m sepulcro ejus, ut fertur, nonnisi manna in > cnilui, quod et statuì ite cerailur »

19 Réponse à Anatoli us le scholastique (voir CPG 6908), dans PHOTIUS, Biblu>ilin.a, cod 229, éd R HENRY, IV, Pans 1965, ρ 140-1-41 Άλλ'ού δια τούτο την μετά σώματος άρνήσεταί τις του δικαίου μετάΟεσιν Ταύτη ђ δόξη συνάδουσι καί αϊ πράξεις του ήγαπημένου 'Ιωάννου και ό βίος, ας ούκ ολίγοι προψέρουσι Κατατεθείς γαρ, φασι, κατά την αύτοΰ εκείνου προτροπήν εν τινι τόπω, ζητηθείς αίφνίδιον ούχ εύρισκετο, άλλα μόνον άγιασμα βρύον έξ αύτοϋ τοο τόπου έν φ προς βραχείαν ροπην ετέθη άφ'οδ πάντες, ώς πηγήν αγιασμού, το ίίγιον εκείνο μύρον άρυόμεΟα

20 S\na\arium ecclesiae constaniinopolitanae, éd H DCLDIAYE, Bruxelles 1902, 063-664 Μνήμη τοΰ άγιο αποστόλου καί εύαγγελιστοο επιστήθιου παρθένου

'Ιωάννου του θεολόγου, ήγουν ό ροδισμος καί ή τρΰγησις του μάννα 21 Ibid, 665 Τη" αυτή ήμερα ή σύναξις της αγίας κόνεως, ήτις έκ του ταψου

αύτοϋ αναπέμπεται ( ) Καί γαρ ό τάφος, έν ώ ό μέγας απόστολος καί ευαγγελιστής 'Ιωάννης μέλλων μετατεθηναι ετάφη, κόνιν άγίαν, ήν οί εγχώριοι μάννα προσαγορεύουσιν, έπινεύσει Πνεύματος άγιου κατά την όγδύην ήμερα τοο μαίου μηνός ετησίως εξαίφνης άναβρύει καί άναδίδωσιν ην οί προσερχόμενοι λαμβάνοντες χρώνται αυτή εις παντοίων παθών απολυτρωσιν, εις θεραπειαν ψυχών, εις ρώσιν σώματος, Θεον δοξολογοΟντες καί τον αύτου θεράποντα καί θεολόγον Ίωάννην γεραιροντες Le texte de celte deuxième notice se retrouve chez Syméon Melaphrastc au 8 mai (PG 117 441 C)

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Dans la capitale méso-byzantine on célébrait donc une synaxe spéciale pour la manne de saint Jean. On apprend aussi que son jaillissement n'était pas continu, mais se produisait d'un coup le jour anniversaire du saint, à un moment où les pèlerins étaient d'autant plus volontiers pré­sents dans le sanctuaire qu'ils espéraient récolter la «sainte poussière». Le terme «manne» est présenté comme une spécificité locale d'Éphèse ; il est, en tout cas, inhabituel à Constantinople. Enfin, le texte du synaxaire fait état de rosalia, c'est-à-dire d'une cérémonie au cours de laquelle on couvrait de roses les tombes des défunts, et en particulier les tombes saintes22.

Il faut enfin se tourner encore une fois vers un texte occidental, et fort tardif, pour une indication sur l'usage qu'on faisait de cette manne. Il s'agit de la Chronique de Muntaner, qui décrit aussi le dispositif matériel du «miracle» :

Dans cedit lieu d'Ephèse est le tombeau dans lequel monseigneur saint Jean l'évangéliste se plaça quand il eut pris congé du peuple ; et puis on vit un nuage comme de feu, dans lequel, croit-on, il monta au ciel en corps et en âme. Et cela paraît bien par le miracle que l'on voit chaque année à ce même tombeau. En effet, le jour de saint Etienne, à l'heure des vêpres, il commence à sortir de ce monument — situé au pied de l'autel, celui-ci comporte quatre angles et une belle plaque de marbre placée au-dessus, qui a bien douze paumes de long et cinq de large, et est percée en son milieu par neuf trous fort petits — et de chacun de ces neuf trous, quand on commence le jour de saint Etienne à dire les vêpres de saint Jean, il sort une manne ressemblant à du sable, qui s'élève bien à une paume au-dessus de la pierre, et qui s'en écoule comme un petit jet d'eau. Et cette manne commence à sortir, elle sort comme je vous l'ai dit, aussitôt qu'on commence à chanter les vêpres de saint Jean, le jour de saint Etienne ; et cela continue toute la nuit, et puis tout le jour de saint Jean, jusqu'à ce que le soleil soit couché. Et ainsi la quantité de cette manne est telle, lorsque le soleil s'est couché et que cette manne a cessé de sortir, que dans l'ensemble il y en a bien trois quarterades de Barcelonne. Et cette manne est merveilleusement bonne pour beaucoup de choses ; c'est à savoir que, qui en boit quand il sent venir la fièvre, jamais cette fièvre ne lui vient; et d'autre part, si une femme est en travail et ne peut accoucher, qu'elle en boive avec du vin : elle sera aussitôt délivrée ; et encore, si une grande tempête se déclare sur mer, et on en jette trois fois dans l'eau, au nom de la sainte Trinité, de madame sainte Marie et du bienheureux saint Jean l'évangéliste, aussitôt la tempête cessera; et de plus encore, si quel­qu'un a mal à la vessie, et en boit au nom des noms susdits, aussitôt il sera guéri. On donne de cette manne à tous les pèlerins qui y viennent, et elle ne sort que d'année en année23.

22. Sur le ροδισμος, voir W.M. RAMSAY, Cities and Bishoprics of Phrygia, I, Oxford 1895, p. 563-564.

23. Chronique 206, Iraduction partiellement reprise à J.A.C. BUCHON, Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le XIIIe siècle, Paris 1840, p. 425, mais revue d'après R. MUNTANER, L'expedició dels Catalans a Orient (extret de la «Crònica»), Barcelone 1951, p. 35-36. La dernière phrase est omise dans l'édition cata­lane, et se trouve uniquement dans Buchon.

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Mélangée à du vin, et peut-être aussi à de l'eau, la manne était bue par ceux qui souffraient de tel ou tel problème physique : fièvre, accouche­ment difficile, problèmes de vessie. Emportée par les pèlerins dans des petites ampoules, elle pouvait servir à n'importe quel moment de l'an­née, bien qu'elle ne sortît qu'une fois par an. À cet égard, la date donnée par Muntaner ne concorde pas avec celle du synaxaire de Constantinople : il est question ici du 27 janvier, fête occidentale de Jean le lendemain de la Saint-Étienne. Quant à l'aspect matériel du tombeau et à la manière dont la manne sortait des neuf trous de la plaque de marbre, il est difficile de savoir si ce sont des informations valables pour l'époque proto-byzantine. Le dispositif paraît toutefois concevable si on le compare à celui d'autres sanctuaires24.

* * *

Revenons aux cuillers de la collection Fouquet. L'inscription «φάγε μάνα» portée par l'une d'entre elles fait à l'évidence allusion à la manne d'Éphèse. Plus précisément, elle porte à penser que la cuiller servait à consommer cette précieuse eulogie, confirmant ainsi que les pratiques décrites par Muntaner remontaient à l'antiquité tardive. Ce texte trouve, par ailleurs, son complément logique dans les deux autres mentions —

«'Ιωάννης αποστόλου» et «άγιος Ιωάννης» —, permettant ainsi de conclure que les trois cuillers formaient originellement un ensemble ou, à tout le moins, appartiennent à une même catégorie : celle d'objets asso­ciés au culte et au pèlerinage de saint Jean à Éphèse.

Il n'est pas sûr, pour autant, que ces objets aient été fabriqués sur place : fouillé depuis longtemps, le site d'Éphèse n'en a livré aucun ; ceux que l'on connaît sont, en outre, tous originaires d'Egypte. Aussi s'agit-il plutôt de cuillers exécutées sur les bords du Nil, à l'intention d'un fidèle qui s'ap­prêtait à entamer un pèlerinage au tombeau de saint Jean, ou qui revenait d'un tel voyage et souhaitait, ayant rapporté de la manne, disposer de cuillers spéciales pour la «manger». Le propriétaire de ces objets avait peut-être aussi, tout simplement, obtenu de la manne par un autre moyen, sans faire le voyage lui-même. U est difficile d'en dire plus en l'absence d'indications plus précises sur l'aspect et l'origine de ces objets. Mais il faut écarter l'interprétation eucharistique qu'en avait donné leur éditeur au début du siècle dernier, au profit d'une autre qui s'inscrit plutôt dans le fil des observations faites autrefois par Charles Diehl.

Arietta PAPACONSTANTINOU Université Paris I

24. Voir, par exemple, la vasque installée sous l'autel de Saint-Ménas, dans laquelle les pèlerins puisaient l'huile sainte à travers des trous percés dans la dalle de marbre de l'autel à l'aide de petites «pailles», tout en y laissant une pièce de monnaie... P. GROSSMANN, Abu Mena, I, Die Gruftkirche und die Gruft, Mayence 1989, p. 63-70, et H.C. NoESKE, Der spätrömische Münzschatz aus der Gruftkirche von Abu Mina, dans Tesserae. Festschrift für Josef Engemann, Münster 1991, p. 277.

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SECONDE NOTE SUR L'HÉNÈRE

Albert FAİLLER

Summary : In a preceding article, the author noted that the noun ή ένήρης recurs twice in the History of George Pachymeres. It recurs a third time in his Epitome of Aristotle's Logic. The historian and philosopher is the only Byzantine author to use this word.

Dans une note précédente, j 'ai indiqué que les emplois anciens du substantif ή ένήρης remontent tous à Plutarque, soit que le moraliste et biographe ait employé lui-même le terme, soit que son texte ait été repris par d'autres1. De même, dans les sources publiées de l'époque byzantine, on ne relève le mot ένήρης que chez un seul auteur: Georges Pachymérès, qui l'emploie à deux reprises dans les Relations historiques2. En relisant la partie éditée de son Epitome de la Logique d'A ri stote3, j 'ai rencontré une troisième occurrence du mot. Ma précé­dente note était donc prématurée, et je répare ici cette carence.

1. A. FAILLER, Petite note lexicographique sur la monère et Phénère, REB 58, 2000, p. 269-271. Ajoutons que l'extrait de Dion Cassius, qui s'inspire de Plutarque et qui est conservé par Constantin VII Porphyrogénète, n'est pas repris seulement dans la Souda, comme on l'a signalé {ibidem, p. 271 n. 7), mais également dans le Lexique du Pseudo-Zônaras (Johannis Zonarae Lexicon, éd. I. A. H. Tittmann, I, 1808, p. 728), qui recopie la notice de la Souda.

2. GEORGES PACHYMÉRÈS, Relations historiques, VII, 24 et 31 : A. Failler, III, p. 79'6 et 97".

3. Γεωργίου διακόνου πρωτεκδίκου και δικαιοφύλακος τοϋ Παχυμέρους 'Επιτομή της 'Αριστοτέλους Λογιχης, éd. J. Β. Rasarius, Paris 1548. Sur les douze livres de VÉpi-tome, seul le premier est édité dans ce volume ; le texte grec est accompagné d'une tra­duction latine. Par contre, l'ouvrage a été intégralement traduit en latin à la même époque : Ph. BECHIUS, Georgii Pachymerii hieromnemonis in universum fere Aristotelis philosophìam Epitome, Bale 1560. U existe deux versions différentes du texte de Y Épi-tome : la première, celle de l'auteur, est conservée dans plusieurs dizaines de manuscrits, tandis que la seconde, qui consiste en notes de cours d'un élève, est connue par deux manuscrits seulement (Vindobon. Phil. gr. 150 et Vatican, gr. 321) ; voir l'étude récente d'Eleni PAPPA, Die Kommentare des Georgios Pachymeres zum Organon, Lesarten. Festschrift jür Athanasios Kambylis zum 70. Geburtstag, éd. I. Vassis et alii, Berlin-New York 1998, p. 198-210.

Revue des Éludes Byzantines 59,2001, p. 247-249.

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248 ALBERT FAİLLER

Au début de la première partie de son opuscule, Georges Pachyméres énumère six définitions de la philosophie: la première est empruntée à Pythagore, la deuxième à Aristote, les autres à Platon. Les quatre défini­tions platoniciennes sont fondées sur l'objet (το ύποκείμενον) et la fin (το τέλος) de la philosophie, qui se subdivisent à leur tour en proche (το προσεχές) et lointain (το πόρρω) ; on obtient ainsi les quatre définitions sui­vantes: la philosophie est connaissance des êtres en tant qu'êtres (1) ou connaissance des choses divines et humaines (2), pratique de la mort (3) ou ressemblance avec Dieu dans la mesure des possibilités humaines (4)4.

Pour illustrer cette quadruple définition, Georges Pachyméres intro­duit une comparaison avec la construction navale (ή ναυπηγική [sous-entendu τέχνη])5. La comparaison est de son invention, même si Platon utilise lui aussi la métaphore de la construction navale (ή ναυπηγία dans les textes) à diverses reprises dans d'autres contextes. L'objet ou la matière de la construction navale, c'est le bois, mais ce bois peut être ou n'importe quel bois ou un bois spécifique, du chêne par exemple. Le but, c'est le bateau, mais ce bateau peut être ou n'importe quel bateau ou un bateau spécifique, une barque ou une hénère par exemple. Voici le texte grec6 : Καί άλλοι τέσσαρες ορισμοί τη φιλοσοφία, δύο μεν εξ υποκειμένου,

4. Voici le passage de VÉpitomé où sont rapportées les quatre définitions platoni­ciennes de la philosophie (éd. J. Rasanus, f. 3v-4) : Ούτω μοι νόει καί έπί φιλοσοφίας Και εστίν έξ υποκειμένου μεν προσεχοΟς ορισμός ταύτης γνώσις των όντων íj οντά εστίν... Έξ υποκειμένου δε πόρρω ε'τερος ορισμός της φιλοσοφίας εστί γνώσις θείων τε καί ανθρωπίνων πραγμάτων... Μελέτη γαρ θανάτου το προσεχές τέλος της φιλοσοφίας εστί... "Εστί δε καί ό λοιπός της φιλοσοφίας ορισμός έκ τοϋ πόρρω τέλους... όμοίωσις θεο κατά το δυνατόν άνθρώπω. Georges Pachyméres a su traduire en formules concises les quatre définitions classiques de la philosophie qu'il a trouvées chez Platon {République, 477b et 478a; Phèdre, 259d; Phèdre, 81a; Théétète, 176b); voir aussi la note suivante.

5 L'exemple que donne le professeur pour illustrer son exposé n'a pas été retenu par l'élève dont les notes de cours ont été conservées, si du moins j'en crois le seul manuscrit que j'aie consulté, le Vatican, gr. 321. L'élève a sans doute considéré l'exemple comme superflu, bien qu'il soit peut-être plus éloquent que la définition. Voici comment il a dis­posé, sous forme de tableau, les six définitions de la philosophie (f. 6V) : σημείωσαι πόσοι οροί της φιλοσοφίας · πλάτωνος • έξ υποκειμένου προσεχούς · γνώσις των δντων ђ οντά εστίν, έξ υποκειμένου πόρρω · γνώσις θείων [θείων om. codex] τε καί ανθρωπίνων

πραγμάτων, έκ τέλους προσεχοΟς · μελέτη θανάτου. έκ τέλους πόρρω · όμοίωσις θεώ κατά το δυνατόν άνθρώπω. πυθαγόρα · έξ ετυμολογίας • φιλία σοφίας, άριστοτέλους · έξ υπέροχης · τέχνη τεχνών καί επιστήμη επιστημών. Les quatre premières définitions sont une repnse fidèle du texte plus long de l'original de VÉpitomé (voir la note 4) et sont d'ailleurs présentées plus haut dans le même manuscrit (Vatican, gr. 321, f. 5*), sous la forme grammaticale normale cette fois.

6. Édition de J. B. Rasanus, f. 3V. Cette comparaison précède Γ enumeration des quatre définitions de la philosophie, qui sont relevées dans la note 4, et elle permet de mieux en comprendre la logique.

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SECONDE NOTE SUR L'HÉNÈRE 249

δύο δ ' εκ τέλους. Διττον γαρ και το ύποκείμενον εκάστης εστί, διττον και το τέλος καθέστηκεν. Olov έστω επί ναυπηγικής το λεγόμενον δηλον · ταύτη γάρ υποκείμενα τα ξύλα. 'Αλλ' ει μεν τα απλώς ξύλα, προσεχή υποκείμενα · πρόχειρα γαρ τα ζητούμενα. Ει δε τα δρύινα τυχόν, πόρρω · δεί γαρ πραγματείας τινός και σπουδής προς το ταΰτα είναι. 'Ομοίως και έπί του τέλους. Ει μεν απλώς πλοίου ποίησις, προσεχές το τέλος7. Ει δε λεμβαδίου τυχόν η ένήρους [ένήρους éd.], πόρρω · το γαρ εύχερέστερον και προσεχέστερον.

Georges Pachymérès emploie deux mots rares (το λεμβάδιον, ή ένήρης) pour fournir ses exemples de bateaux. Le substantif το λεμβάδιον est le diminutif de ή λέμβος, qui désigne déjà une petite barque ou une chaloupe. Le terme λεμβάδιον a été suppléé dans le texte de l'Histoire^, dans un passage mal conservé par les manuscrits. Le témoignage de YÉ-pitomé ajoute à la vraisemblance de la conjecture qui a été faite dans l'édition. Quant au substantif ή ένήρης, il fait bien partie du vocabulaire de Georges Pachymérès, qui l'a employé à trois reprises et qui reste, en l'état actuel de la publication des sources, le seul auteur byzantin à l'avoir utilisé. Les traducteurs latins de Y Epitome de la Logique d'Aristote ont bien compris le sens et bien discerné l'étymologie du sub­stantif ή ένήρης, même si la traduction du premier est contestable : «si lembum aut triremem efficere animum yiduxeris...», selon J. B. Rasarius9 ; «si lembi forsitan, aut navis, quae uno remo agitur, finem habebis remotiorem...», selon Th. Bechius10.

Albert FAILLER

CNRS-UMR 7572 et Institut français d'Études byzantines

7. Aristote (Ethique à Nicomaque, 1094a) emploie une formule à peu près identique : ναυπηγικής [sous-entendu τέλος] δέ πλοίον.

8. GEORGES PACHYMÉRÈS, Relations historiques, XIII, 30 : A. Failler, IV, p. 6992. 9. Op. cit., p. 9, 2e colonne. Dans sa traduction latine de l'Histoire, Pierre Poussines

transforme également l'hénère en trirème ; voir A. FAILLER, art. cit., p. 271 n. 6. Le rédac­teur de la Version brève avait lui-même transcrit ένήρης en τριήρης (ibidem, p. 271).

10. Op. cit., p. 16.

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IN MEMORIAM

NICOLAS OIKONOMIDÈS

En Nicolas Oikonomidès, beaucoup ont perdu un ami, aussi discret que chaleureux, et tous ses collègues un grand historien de Byzance. Son œuvre est là, mais lui-même, son savoir et son imagination nous man­quent. L'homme, plein d'humour, était généreux, clairvoyant, et il a su, dans la vie, prendre ses responsabilités. Il fut aussi un organisateur effi­cace. C'est seulement une image de ses préoccupations de chercheur qu'on voudrait ici esquisser.

En 1952, à dix-huit ans, il publie dans Archeion Pontou un premier article, sur le culte de saint Phôkas de Sinope, quatre ans avant d'avoir obtenu sa licence en histoire et archéologie à Athènes. En 1955, il donne à Néon Athènaion son cinquième article, sur un acte de l'Athos, l'ordon­nance d'un Grand Comnène pour le monastère de Dionysiou. Le culte des saints et les archives de l'Athos sont des objets d'étude qu'il n'aban­donnera pas. Il est alors, à Athènes, l'élève de Dionysios Zakythinos.

À la fin des années 50, un «heureux hasard» avait mis sous ses yeux le taktikou, alors inédit, de l'Escoriai. Il vint à Paris sur le conseil de Zakythinos pour préparer, sous la direction de Paul Lemerle, une thèse sur ce document. Lemerle et le P. Vitalien Laurent, qu'il rencontrait à la Bibliothèque des Assomptionistes rue François Ier, soulignaient devant lui l'importance des sources documentaires auxquelles ils s'attachaient, les archives de l'Athos et les sceaux. N. Oikonomidès était lui aussi per­suadé que le plus urgent, si l'on voulait progresser dans la connaissance de ce que fut l'empire byzantin, était de publier la documentation inédite. Il a amplement rempli cette tâche. Mais c'est, outre d'amples lectures, la curiosité, l'ouverture d'esprit à ce qui semble d'abord bizarre, la créativité, l'esprit critique, bref le talent de l'historien, qui expliquent que N. Oikonomidès ait si souvent, dans des domaines très divers, touché juste, dans ses livres comme dans ses articles.

Une fois docteur de l'Université de Paris, en 1961, N. Oikonomidès rentra à Athènes, comme chercheur au Centre de recherches byzantines. Il fut ensuite professeur à l'université de Montréal, de 1969 à 1989, où il

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dirigea le département d'histoire de 1976 à 1984, puis il a été, à partir de 1987, professeur à l'université d'Athènes, ville dans laquelle il a dirigé, depuis 1995, l'Institut de recherches byzantines.

Entre 1968 et 1996, vinrent d'amples réalisations. Les livres qu'il a publiés témoignent du double souci de faire connaître la documentation et de l'interpréter historiquement. Les Listes de préséance byzantines (1972) amplifient la recherche faite sur le taktikou de l'Escoriai et propo­sent, outre l'édition des textes, une étude sur le système de préséance, les dignités et les charges dans la Byzance des 9e et 10e siècles. Par le nombre des publications, l'Athos et les sceaux viennent au premier rang : les Actes de Dionysiou (1968), les Actes de Kastamonitou (1978), les Actes de Docheiariou (1984), les Actes d'Iviron (1985-1995, en collabo­ration), Byzantine Lead Seals (1985), A Collection of Dated Byzantine Lead Seals (1986), Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art (1991-1996). Un elegant petit livre, Hommes d'affaires grecs et latins à Constantinople (1979), traite d'un problème neuf, celui de la participation des Grecs au grand commerce dans l'empire des 13e-14e siècles. Enfin, Fiscalité et exemption fiscale à Byzance (1996), ouvrage élaboré à l'incitation de P. Lemerle en 1958, constitue un traité, sans doute définitif, sur le système fiscal byzantin des 9e-11e siècles.

Parallèlement, N. Oikonomidès a publié, jusqu'en l'an 2000, plus de 150 articles (dont huit dans la REB). Certains d'entre eux ont été repris dans deux volumes, Documents et études sur les institutions de Byzance (1976 ; abrégé ci-dessous : Documents), et Byzantium from the Ninth to the Fourth Crusade (1992 ; abrégé ci-dessous Byzantium). Ce qui étonne est la diversité des domaines abordés et ce qu'on retient est le réalisme dont ces articles témoignent : ils partent de documents et traitent de sujets concrets, la portée des conclusions allant souvent bien au-delà de l'argument de départ. La démarche est élégante, et c'est de bonne méthode.

Classer comme je le fais ci-dessous les articles par sujet est un peu arbitraire, nombre d'entre eux touchant à plusieurs domaines (mais les titres, soigneusement choisis, sont toujours clairs), et le choix de ceux que je mentionne est subjectif. La liste des travaux de N. Oikonomidès, qui sera publiée par l'Institut de recherches byzantines d'Athènes, offrira une image complète de ses recherches.

Parmi plus d'une vingtaine d'articles qui portent sur les documents d'archives, je note deux études, l'une sur le support matériel des docu­ments byzantins (dans La Paléographie grecque et byzantine, 1977), l'autre sur les usages de la chancellerie impériale du 13e au 15e siècle (REB, 1985). Parmi plus de dix publications relatives aux sceaux, «The usual Lead Seal» (DOP, 1983) attire l'attention sur un élément de la cor­roboration des actes par les fonctionnaires.

L'administration de l'État est l'objet de plus de trente études. «The Donations of Castles in the Last Quarter of the Xlth Century» (1966

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= Documents, XIV) pose le problème des rapports entre l'État et les bénéficiaires ; «Le haradj dans l'empire byzantin du XVe siècle» (1969 = Documents, XIX) souligne l'influence ottomane sur la fiscalité à cette époque; «Notes sur un praktikon de pronoiaire» (1973 = Documents, XXIII) fait état des réflexions de l'auteur sur la pronoia comme institu­tion ; «La décomposition de l'empire byzantin à la veille de 1204 et les origines de l'empire de Nicée» (1976 = Byzantium, XX) propose en par­ticulier une interprétation fiscale de la Partitio Romaniae ; «L'évolution de l'organisation administrative de l'empire byzantin au XIe siècle» (1976 = Byzantium, X) prolonge dans le temps l'étude faite dans les Listes de préséance ; «À propos des armées des premiers Paléologues et des compagnies de soldats (TM 8, 1981) précise les rapports entre pro-noiaires et mercenaires ; «Das Verfalland im 10.-11. Jahrundert : Verkauf und Besteurang» (1986 = Byzantium, V) éclaire la question de la terre dite «klasmatique» ; en 1997, un article paru dans Symmeikta étudie le privilège judiciaire de la Néa Monè de Chio.

N. Oikonomidès a écrit dans bien d'autres domaines, en particulier une vingtaine d'articles sur l'histoire dite événementielle. Par exemple : «Les Danishmendides entre Byzance, Bagdad et le sultan d'Iconium» (1983 = Byzantium, XIX); «The Turks in Europe (1305-13) and the Serbs in Asia Minor (1313)» (dans The Ottoman Emirate, 1300-1389, éd. E. Zachariadou, 1993).

L'histoire économique et sociale est représentée par plus de vingt études, parmi lesquelles : «Quelques boutiques de Constantinople au Xe s. : prix, loyers, imposition» (1972 = Byzantium, VIII) ; «Silk Trade and Production in Byzantium from the sixth to the ninth Centuries : The Seals of Kommerkiarioi» (DOP, 1986) ; « Ή Πείρα περί πάροικων» (1986 = Byzantium, XIII) ; «Terres du fisc et revenu de la terre aux Xe-XIe siècles» (dans Hommes et richesses, II, VIIIe-XVe s., 1991); «Le marchand byzantin des provinces, IXe-XIe s.» (dans Mercati e Mercanti nell'Alto medioevo, L'area Euroasiatica e l'area Mediterranea, 1993); «The Social Structure of the Byzantine Countryside in the First Half of the Xth Century» (Symmeikta, 1996).

L'histoire des cultes, des moines et des monastères avait été le premier objet d'étude du jeune Oikonomidès. Il y a consacré plus de quinze articles, par exemple : «Monastères et moines lors de la conquête otto­mane» (Südost-Forschungen, 1976) ; «Le dédoublement de Saint Théodore et les villes d'Euchaïta et d'Euchaneia» (1986 = Byzantium, I) ; «La brebis égarée et retrouvée : l'apostat et son retour» (dans Religiose Devianz, éd. D. Simon, 1990) ; «Βυζαντινό Βατοπαίδι, μία μονή της υψηλής αριστοκρατίας» (dans Ίερα μεγίστη μονή Βατοπαιδίου A', Mont Athos, 1996).

Par ailleurs, entre autres études consacrées à des questions de culture ou d'acculturation, cinq traitent d'un sujet nouveau, qui a intéressé N. Oikonomidès depuis la fin des années 1980, le degré d'alphabétisa­tion et son évolution dans l'empire, sujet qu'il a, en particulier, examiné

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dans plusieurs régions : à l'Athos (DOP, 1988), en Asie mineure occi­dentale (dans Το Έλληνικόν. Studies in honor of Spews Vryonis Jr, 1993) et en Crète (dans Πεπραγμένα του Ζ' Διεθνούς Κρητολογικού Συνεδρίου, Π, 2, 1995).

De plus, dans une dizaine d'articles, N. Oikonomidès a étudié des monuments artistiques sous leur rapport avec l'histoire. Trois d'entre eux sont relatifs aux mosaïques de Sainte-Sophie (1976 = Byzantium, X ; 1978 = Byzantium, XV ; DOP, 1985) ; d'autres à des miniatures ou à des objets précieux, tels «La couronne dite de Constantin Monomaque» (TM 12, 1994).

Ce qui précède ne rend pas assez compte de la diversité des intérêts manifestés par N. Oikonomidès. Dans le même esprit historique, il a commenté des inscriptions, par exemple : «Pour une nouvelle lecture des inscriptions de Skripou en Béotie» (TM 12, 1994). Il a étudié des manus­crits (cf. Archéion Pontou, 1984). Il s'est intéressé à l'histoire du droit: voir en particulier «The "Peira" of Eustathios Romaios : an Abortive Attempt to Innovate in Byzantine Law» (1986 = Byzantium, XII), et à la littérature byzantine, en particulier dans : «L'"épopée" de Digénis et la frontière orientale de Byzance aux Xe et XIe siècles» (1979 = Byzantium,

Ѵ ) ; et avec «Jean Argyropoulos, La comédie de Katablattas, Invective byzantine du XVe s.» (édition et commentaire, en collabora­tion, Diptycha, 1982/1983). Ses deux derniers articles, publiés en l'an 2000, portent sur la campagne de Staurakios dans le Péloponnèse au 8e siècle (Thornik Radova) et sur le monocondyle episcopal au 16e s. (dans The Greek script in the 15th and 16th centuries). On ne voit guère de domaines qui n'aient été abordés, et ils l'ont été de main de maître.

Vouloir retracer ce que fut l'activité scientifique de N. Oikonomidès ou évaluer son apport aux études byzantines aurait été présomptueux ou est prématuré. J'ai seulement tenté de souligner la force d'une démarche qui est toujours allée du document à l'histoire, et qui, jointe à une excep­tionnelle connaissance des sources et à une curiosité sans limite, nous a rendu sur de nombreux points Byzance un peu plus intelligible. Chacun en sait gré à Nikos, Athénien international, athlète en son domaine, et parmi eux l'un des premiers.

Jacques LEFORT

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BIBLIOGRAPHIE

Les ouvrages pour compte rendu doivent être envoyés anonymement à la Revue des études byzantines. L'envoi personnel à l'un des membres de la Rédaction n'en­gage en rien la Direction de l'Institut ou de la Revue. La Revue n'accepte pas de publier les recensions qui lui sont proposées sans avoir été sollicitées.

Les recensions sont rangées par ordre alphabétique à l'intérieur de deux séries. La première série comprend les comptes rendus plus détaillés. Dans la seconde série sont regroupés les comptes rendus brefs : ceux-ci se limitent à une description suc­cincte du contenu de l'ouvrage et ils ne sont pas signés. Quant aux ouvrages qui ne se rapportent pas directement à l'empire byzantin, ils figurent sur une liste des «Ouvrages reçus».

Panagiotis A. AGAPITOS et Diether R. REINSCH (Éd.), Der Roman im Byzanz der Komnenenzeit. Referate des Internationalen Symposiums an der Freien Universität Berlin, 3. bis 6. April 1998 (Meletemata. Beiträge zur Byzantinistik und Neugriechischen Philologie 8). — Frankfurt am Main 2000. 21 χ 15. 146 p.

Le roman byzantin a pâti d'une piètre réputation jusque récemment, en particulier à cause des jugements peu amènes de grands philologues comme E. Rohde ou A. Korais. Un symposium, qui s'est tenu à Berlin en 1998, a tenté de rendre justice à ce genre litté­raire moins mineur qu'il n'y paraît, en s'attachant à l'époque des Comnènes. Les commu­nications suivantes y furent présentées :

Diether R. Reinsch : Vorwort (présentation du symposium et des différentes communi­cations).

Panagiotis A. Agapitos (Nicosie) : Der Roman der Komnenenzeit : Stand der Forschung und weitere Perspektiven.

Jakov N. Ljubarskij (Saint Petersbourg) : Der byzantinische Roman in der Sicht der russischen Byzantinistik.

Carolina Čupane (Vienne): Metamorphosen des Eros. Libersdarstellung und Liebesdiskurs in der byzantinischen Literatur der Komnenenzeit.

Ruth E. Harder (Zürich) : Religion und Glaube in den Romanen der Komnenenzeit. Corinne Jouanno (Paris) : Discourse of the body in Prodromos, Eugenianos and

Macrembolites. Ingela Nilsson (Göteborg) : Spatial time and temporal space : Aspects of narrativity in

Makrembolites. Panagiotis Roilos (Cambridge Mass) : Amphoteroglossia : The role of rhetoric in the

medieval Greek learned novel. Elizabeth Jeffreys (Oxford) : A date for Rhodanthe and Dosikles ?

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256 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

Claudia Ott (Beedenbostel) Byzantine Wild East - Islamic Wild West An expedition into a literary borderland

Mane-Hélène CONGOURDEAU

Christine ANGELIDI, La Castità al Potere ( 399- 455) (Donne d'Oriente e d'Occidente) — Jaca Book, Milano 1998 21 χ 13 159 ρ 22 000 L

Dans la série Donne d'Oriente e d'Occidente, Christine Angelidi consacre un livre à l'Augusta Pulchéne, fille d'Arcadius, sœur de Théodose II, épouse enfin de l'empereur Marcien L'ouvrage est composé de cinq chapitres dont les quatre premiers, plus qu'une biographie, constituent un rapide essai sur certains aspects de l'Empire d'Onent au 5e siècle I La famiglia dell'imperatore — Aelia Pulchena Augusta, II Lingue e culture — L'impero di Costantinopoli fra latinità, ellenismo e cristianismo, III Costantinopoli profana, Costantinopoli sacra — Le trasformazioni della capitale, IV Semper casta — Pulchena, la santa virgine Pour les chapitres II et III, le lien avec le per­sonnage pnncipal est parfois ténu De même, dans le chapitre IV, si le point de départ est le vœu public de virginité qu'avait fait Eudocie en dédiant un autel à Sainte-Sophie, il n'y a là qu'un point de départ et l'exposé est en fait consacré à des généralités sur l'ascétisme chrétien

C'est avec le cinquième chapitre (Fama Vagatur — Nascita di una legenda) qu'appa­raissent l'originalité de l'ouvrage et le vrai propos de l'auteur Plus qu'au personnage his­torique de Pulchéne, Angéhdi s'intéresse en fait à la cnstallisation de la légende de l'impératnce vierge Le point fort de cette élaboration est situé après le rétablissement de l'Orthodoxie C'est alors que les iconophiles, par réaction envers la politique des empe­reurs iconoclastes, entreprennent de faire revivre le chnslianisme constantinopohtain sous la forme qui s'était élaborée au 5e siècle «In questo processo [il s'agit de la contre-réforme iconophile] la grande epoca del trionfo dell'ortodossia nel V secolo costituì il campo privilegiato per l'organizzazione di tutto un sistema di corrispondenze e di identifi­cazioni» (p 130) Le culte de la Vierge, en particulier, connaît alors un essor considérable et le personnage de Pulchéne, revistté, se trouve investi rétrospectivement d'un rôle essentiel dans son établissement à Constantinople On reconnaît ici les thèses exposées par l'auteur dans un précédent article de Diptycha 5, 1991-2, ρ 251-269 Elles ont le mérite de proposer une vue d'ensemble du chnstianisme byzantin, particulièrement des grandes étapes du culte de la Vierge, et d'insister sur le fait qu'on a pu attnbuer à Pulchéne (dès le 6e siècle) plus qu'elle n'avait fait Mais dans cet exposé, nécessairement rapide vu les limites de la collection, certains traits peuvent paraître forcés Ce qui est dit de l'iconoclasme, ρ 131, serait sans doute à nuancer II n'est pas sûr d'autre part que le développement du culte manal à Constantinople soit à dater après Chalcédoine (cf ρ 121, «durante la pnma metà del V secolo la questione manana non era stata encora risolta» , ou encore, ρ 124) Les deux décennies qui ont suivi le concile d'Éphèse ont de bonnes chances d'avoir été importantes et d'avoir vu plus, à Constantinople, que la construction par Kyros d'une église de la Théotokos Enfin si Theodora, au 9e siècle, a pu s'inspner du personnage de Pulchéne, le parallèle entre l'Augusta et Irène nous a paru forcé (cf ρ 137 «L'avvento irregolare di Irene che sı attribuì il titolo e le funzione di imperatore, riporto alla memona l'incoronazione atipica della giovane Augusta del V secolo», ou encore, même page «In quanto ai rapporti violenti fra Irene e suo figlio trovarono il loro equivalente nel paradosso della virginità imperiale di Pulchena »

Bernard FLUSIN

Bizantmo-Sicula III : Miscellanea di scritti ut memoria di Bruno Lavagnını (Quaderni di Istituto Siciliano di Studi Bizantini e Neoellenıcı 14). — Palerme 2000. 24 χ 17. L - 3 5 8 p., 31 planches

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BIBLIOGRAPHIE 257

Ce troisième volume de Bizantino-Sicula est destiné à célébrer le centième anniver­saire de la naissance de Bruno Lavagnini (1898-1992), le fondateur de l'Istituto Siciliano di Studi Bizantini e Neoellenici Après une courte preface due à Vicenzo Rotolo, on trou­vera (ρ XI-L) la bibliographie complète de Bruno Lavagnini, laquelle comprend 503 titres qui s'échelonnent de 1918 à 1999 (les demiers étant posthumes) Le volume contient 24 articles de savants italiens et étrangers, portant sur différents aspects de la culture byzan­tine, principalement en Sicile et en Italie méridionale En voici le detail 1 S L Agnello, Una metropoli ed una città siciliane fra Roma e Bisanzio 2 G Caracausi, Suffissi mediogreci nella moderna onomastica siciliana 3 N Conomìs, Minutiae II 4 U Criscuolo, Gregono di Nazianzo e Psello fra greci e latini 5 G D'Ippolito, La Sicilia nei Dionysiaca di Nonno 6 F Ferlauto, Un encomio inedito di san Leone Vescovo di Catania (BHG 981 d) 7 E Folhen, Per il testo della vita di san Nilo da Rossano 8 A Garzya, Per l'erudizione scolastica a Bisanzio 9 M Gigante, Rivisitazione di Eugenio di Palermo 10 V Giustolisi, Nuove testimonianze di Lipari bizantina 11 J Irmscher, Homerische Frage und Akntendichtung 12 N A Katsanis, Graecolatina 13 E Kislinger, Elpidios (781/782) -Ein Usurpator zur Unzeit 14 G Manganaro, Sigilli graffiti su solidi nella Sicilia bizantina 15 A Messina, La fattona bizantina di contrada Costa nel ragusano 16 D Minuto - S M Venoso, Contributi per la stona dell'architettura religiosa nella

Calabna romaica 17 S Nicosia, Alcune etimologie neogreche 18 M Re, Il typikon del S Salvatore de lingua phari come fonte per la stona della biblio­

teca del monastero 19 D Romano, Lo stonco si racconta un dibattito sulla giustizia nella metà del V secolo

dC 20 R Romano, Note di lettura a testi ıtalogrecı 21 E Russo, Uno scomparso monumento tardoromano di Siracusa 22 M Scartata, Del casahno urbano e rurale Dall'edificio all'area fabbricabile 23 M D Spadaro, La figura di Atenodoro in Cecaumeno 24 Ρ L Vocotopoulos, L'icona della Vergine Odıghıtrıa nel Duomo di Isernia Un'opera

ignota di Markos Bathàs

Paul GEHIN

Leslie BRUBAKER, Vision & Meaning in Ninth-Century Byzantium Image as Exegesis in the Homilies of Gregory of Nazianzus — Cambridge Studies in Palaeography & Codicology 6, Cambridge University Press 1999 25 χ 17 XXIII - 489 ρ , 177 illustrations in black and white

It is generally agreed that the two most outstanding illuminated Byzantine manuscnpts are the Menologium of Basil II, Vatican graec 1613, and the ninth-century Homilies of Gregory of Nazianzus, Pans graec 510 Both were satisfactory reproduced early in the twentieth century and both have generated an enormous literature, the latter, it seems, even more than the former, on account of its complex iconography, the relation of which to the text is often not straightforward Given its notonously fragile condition, the authori­ties of the Bibliothèque nationale did not permit Brubaker, any more than other scholars, actually to examine the manuscnpt She had to reconstruct its codicology and analyse its miniatures uniquely from reproductions

Brubaker is the first scholar to have the tementy to undertake an overall study of Pans graec 510, it has taken her nearly twenty years In her preface (p xvii), she has set out the way in which she envisaged her study There were two basic questions to answer how and why the manuscnpt was made and used, what did the manuscnpt mean to those

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who produced it *> There seems no doubt that it was a gift from the patnarch Photius to the emperor Basil I, and that it was intended for his own personal, private use

In her introduction (p 1-18), she describes the manuscript It is large in size (ca 410 χ 300 millimetres), written in uncials with at present 464 folios (a few being lost), prece­

ded by an introductory gathering of five miniatures (f -C), whose subjects make it evi­dent that it was destined to the impenal family and executed between 879 and 882 The text contains all the Homilies of Gregory of Nazianzus, followed by the author's Life by Gregory the Presbyter and other minor writings Each of the homilies is preceded by a fullpage miniature There are forty-six of them comprising over two hundred distinct scenes The iconography of many is conventional, in others the iconography is not attes­ted elsewhere, in some cases because they convey a personal message to the emperor

The illustration of Pans graec 510 stands apart from the only other surviving illumina­ted manuscript of the full collection of Gregory's Homilies, Ambrosiana E 49/50 ìnf, which also dated from the ninth century In this manuscript, the miniatures interpret the text literally without commentary It also has nothing in common with the numerous later illuminated manuscnpts of the aptly named liturgical edition of the Homilies On the other hand it has points in common with other illuminated nmth-century manuscripts produced in the aftermath of Iconoclasm The question anses of the influence of Photius on the choice of subjects for Pans graec 510 Brubaker handles this question delicately It would be absurd to suppose that, since Photius commissioned the manuscript, he exercised no surveillance over the illustration, particularly when it interprets the text Parallels can indeed be established between passages in the wntmgs of Photius, who was, after all, a highly erudite theologian, and the interpretative illustrations Brubaker does not enter into the question whether the influence of Photius may be detected m the choice of illustra­tions for other nmth-century manuscnpts Personally, I suspect that it is visible in, for example, the illuminated Psalter, Pantocrator 61, when miniatures are eruditely interpreta­tive, "'Latter-day' Saints & the Image of Chnst in Ninth-Century Marginal Psalters", REB 46, 1988, ρ 220-222, repnnted, Prayer & Power m Byzantine & Papal imagery, Vanorum Aldershot 1993, n° X

The rest of the book is devoted to the analysis of all the miniatures, followed by three appendixes an inventory of the miniatures, the textual references for the scenes and quire diagrams

In a short review, it is not possible to undertake a critical control of all Brubaker's ana­lyses However, I may be permitted to make two observations on small matters of detail In two miniatures, f 239 (figure 27) and f 374v (figure 39), members of the impenal bodyguard wear tores, a significative detail, noted by H Omont, Miniatures des· plus-anciens manuscrits grecs de la Bibliothèque Nationale (second edition) Pans 1929, ρ 24, ρ 29, and by A Vogt m his edition of the De cenmonits, Pans 1935, Commentaire I, ρ 117, vid my article, "The Maniakion or Tore in Byzantine Tradition" in this number of the REB Brubaker neither notes this, nor comments on it

My second observation concerns the miniature of the martyrdom of the Maccabees, f 340 (figure 34, ρ 257-260) There is a sequence of nine scenes, the fourth of which por­trays a Maccabee being tortured on the wheel Omont wrote, correctly (p 27), that the wheel in the miniature "est garnie de pointes de fer qui déchirent son corps" However, Brubaker says, incorrectly (ρ 259), that he ıs "being broken on the wheel" To point this out is not to quibble The wheel evolved from being an instrument for dislocating the limbs to being one for lacerating them The change was studied in detail by J Vergote, "Les modes pnncipaux de supplice chez les anciens et dans les textes chrétiens", Bulletin de l'Institut historique de Rome 20, 1939, p 151, 160-153 Admittedly the way in which the Maccabee is being tortured is not clear m Brubaker's figure, on account of the small scale of the reproduction, although it is clear in Omont's

This point leads me to a major cnticism, not of the author but of her publisher Although the reproductions in the text come up clearly, the forty-seven reproductions of the immatures in Pans graec 510 which precede the text do not when the iconography is detailed (as is the case for the Maccabees)

In his edition of the manusenpt, Omont reproduced the miniatures almost in their natu­ral size, ca 35 χ ca 25 = 875 square centimetres Brubaker's figures measure 17 5 χ 12 =

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210 square centimetres Thus they are reduced to a quarter of their natural grandeur, making it necessary to refer back frequently to Omont's edition of the manuscript, in oider to follow Brubaker's text So august an academic publishing house as the Cambridge University Press should have grasped the need of a rather larger format to accommodate Brubaker's study

Brubaker might also have given references to the scholarly text of Gregory's Homilies published in the Sources chrétiennes, instead of being content to cite Migne's Patrologia graeca

It would be invidious for me to make major criticisms of Brubaker's study, given that she lists sixteen of my own publications in her bibliography ' Fortunately I have found no need to do so On the contrary, I applaud her work highly , her temerity has certainly paid off

Chnstopher WALTER

W. H. BURNS, Marie-Odile BOULNOIS et Bernard MEUNIER (Éd.). Cyrille d'Alexandrie. Lettres Festales (XII-XVII). Texte grec, Traduction, Notes et Index (SC 434). — Les Éditions du Cerf, Pans 1998. 20 χ 12,5. 313 p. 201 FF.

Des six Lettres festales que contient ce volume, la dernière (Lettre XVII), pour la Pâque de 429, a joué un certain rôle dans le passé Son importance fut reconnue dès l'anti­quité, comme en témoigne une ancienne traduction latine repioduite dans PG 77, 789-800, faussement attribuée à Arnobe le Jeune (cf CPG n° 5240, la note ρ 20), qui la cite cependant dès 451 (p 251) Elle est en effet l'un des tout premiers documents de la controverse nestonenne Celle-ci a dû commencer au cours de l'année 428 Nous avons un sermon de Nestonus, prêché à Constantinople le 25 décembre 428 (Sermo IX, Doctrina pietatis, Loofs, p 251 , Das Konzil von Chalkedon I, 1951, ρ 222) dans lequel le patriarche nouvellement promu dans la capitale s'en prend à ceux qui, dit-il, «comme nous l'avons appris depuis peu, se posent sans arrêt les uns aux autres la question «Marie est-elle Θεοτόκος ou άνθρωποτόκος *>» — Mais Dieu a-t-il une mère 7 Paul serait-il menteur qui dit de la divinité du Christ «sans père, sans mère (άμήτωρ), sans génération» 9 (He 7, 3) Non, mon très cher, Mane n'a pas engendré la divinité » Cyrille ne prend pas encore la défense du mot Θεοτόκος comme il va le faire peu après dans la Lettre aux moines (Epistula I), mais il emploie déjà par deux fois l'expression Marie «Mère de Dieu» (XVII, 2, 8 p 272 et XVII, 2, 130-134 ibid) Prise en elle-même, indépendamment de la chair, la divinité est «sans mère» (άμήτωρ He 7, 3), mais il n'en va pas de même si l'on considère le Verbe de Dieu fait chair (Jn 1, 14) Marie «n'a pas enfanté une divinité nue (Θεότητα γυμνήν), mais le Verbe né du Père devenu homme et uni à la chair» (XVII, 3, 4-6) Et Cyrille d'en référer au mystère de l'Emmanuel qui s'est approprié en tant qu'incarné tout ce qui relève de la chair (XVII, 3 p 279) Le lan­gage est encore assez imagé la divinité est «tressée avec la chair» άναπλεχθείσα σαρκί XVII, 2, 151 p. 272 , cf XVII, 2, 99), le buisson ardent (Ex 3, 1-6) est une illustration (παράδειγμα) de ce qui est advenu dans le Chnst (p 281). . Toute la partie centrale de la Lettre propose ainsi une «chnstologie» qui contient déjà des thèmes que Cyrille dévelop­pera par la suite. — Les autres Lettres traitent également de questions tnmtaires (XII, 3-6, XV, 3-4) ou chnstologiques (XIII, 2-4), mais s'intéressent aussi à la vie quotidienne des chrétiens Elles dénoncent les comportements incompatibles avec la foi, non seule­ment la vie facile et ses plaisirs, mais aussi la fascination de l'astrologie et l'intérêt accorde aux démons Elles révèlent indirectement la survivance de certaines formes de polythéisme dans l'Egypte en plein 5e siècle, y compris au sein de la communauté chré­tienne (p 17-18) — Le volume ne comporte pas d'index de mots grecs mais une note complémentaire sur le vocabulaire chnstologique de Cyrille (p 297-299) et deux index, scnpturaire et des noms propres

Joseph WOLINSKI

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Christel BUTTERWECK, Athanasius von Alexandnen, Bibliographie Redigiert von. . (Abhandlungen der nordrhein-westfalischen Akademie der Wissen­schaften 9 0 ) — 407+1 ρ (Nachtrage)

À l'exemple de la bibliographie que M Altenburger et F Mann consacrèrent à Grégoire de Nysse (Leiden, 1988), nous offre ici un instrument de travail des plus utiles pour l'étude d'Athanase et de son époque — Après une introduction qui donne les renseigne­ments indispensables pour l'utilisation de l'ouvrage, une première partie présente la liste des œuvres d'Athanase, avec les abréviations correspondantes, le numéro de la CPG de M Geerard, et, le cas échéant, la référence à la patrologie grecque de J -P Migne Vient ensuite la présentation des éditions des œuvres athanasiennes et de leurs traductions, regrou­pées par ordre chronologique, en trois ensembles les opera omnia, les collections partielles (contenant deux œuvres et plus), et les éditions d'une œuvre seule On y découvre ainsi un «Petit Traicté sur les Psalmes nouvellement mis en François » publié à Pans en 1586 (il s'agit de VEpistula ad Marcellmum), la dernière traduction des Lettre·, à Serapion sur le Saint-Esprit (Rome 1986), ou encore l'édition de la dixième Lettre festale (version syriaque et tr, Berlin, 1986) La Vie de saint Antoine se taille la part du lion La dernière édition, qui prend le relais de celle de de Montfaucon (1698) n'est pas mentionnée à l'endroit prévu (p 96), mais en appendice (après la ρ 407) SC 400, Pans 1994, G J M Bartelink Les Orationes contra Arianos I-II parues en 1998 dans la grande collection des Athanasius Werke n'ont pu évidemment bénéficier d'un rattrapage analogue (Kann Metzler ed, CR dans REB 58, 2000, p 130-131 , le CA III est encore à paraître) — Une présentation simpli­fiée par ordre chronologique 1 des éditions des œuvres, puis 2 des éditeurs et commenta­teurs (p 96-154) termine cette première partie — La deuxième est de beaucoup la plus volumineuse Elle présente par ordre alphabétique d'auteurs les études relatives à Athanase, à ses écrits, à sa pensée Une dernière partie ressaisit cette documentation en trois index 1 les œuvres d'Athanase, 2 un choix de thèmes et de sujets, et 3 Un choix de mots grecs Une page de compléments clôt le volume

Joseph WOLINSKI

Manolis CHATZIDAKIS & Ioanna BITHA, Corpus de la Peinture Monumentale de la Grèce. L'île de Cythère (m Greek) — Académie d'Athènes, Centre de recherche de l'art byzantin et postbyzantin, Athens 1997. 30 χ 23 332 ρ , illustrations in colour and m black and white with figures in the text. The ambitious project of publishing a corpus of Byzantine wallpainting m Greece was

launched at least two decades ago under the aegis of the late Manohs Chatzidakis The wallpaintings in the churches on the island of Cythera, the subject of the first volume of the corpus, has now appeared In it thirty-seven churches are listed (p 52-301) The cata­logue is preceded by two essays, whose authors are Chatzidakis and Bitha respectively, on the general difficulties involved in making such a corpus and the particular difficulties of compiling one for Cythera (p 13-21) There follows an overall presentation of the archi­tecture and wallpaintings on the island (p 22-44), completed by a bibliography and a map

The churches are presented in exemplary fashion, with plans, plentiful illustrations and the chronology of the paintings One is appalled by their poor state of preservation , virtu­ally all the paintings are m a deteriorated condition It was high time that a full record of what has survived was made

The artistic quality of the paintings is not outstanding Most are provincial in style, although traditional Byzantine iconographical types are followed

Watteau's renowned painting L'embarquement pour Cythère hardly gives an exact impression of the island, which, isolated off the south coast of Greece, can never have been a hive of economic and cultural activity

Christopher WALTER

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BIBLIOGRAPHIE 261

Paolo CHIESA (Éd.), Liudprandi Crenioneiisis Antapodosis, Homelia Paschalis, Historia Ononis, Relatio de Legatione Constantinopolitana, cura et studio -(Corpus Christianorum. Continuatio Mediaeualis 156). — Brepols, Turnhout 1998. 25 χ 15. c-235 p., IV planches après la p.

Une nouvelle édition scientifique de Liutprand est, pour les byzantinistes, un événe­ment qu'il faut saluer. On se réjouira de voir ici réunies pour la première fois les quatre œuvres connues de l'évêque de Crémone: Y Antapodosis (p. 1-150), Historia Ononis (p. 167-183) et la Relatio de legatione constantinopolitana (p. 185-218), mais aussi (p. 151-165) VHomelia Paschalis découverte par B. Bischoff qui en donna Veditio prin-cepsen 1984.

Pour ces quatre œuvres, l'éditeur est placé devant des problèmes bien différents. Pour la Legatio, il est renvoyé en effet ultimement à Veditio princeps de Canisius (1600), fon­dée sur un manuscrit aujourd'hui disparu. L·'Homelia Paschalis est conservée dans un seul manuscrit. UHistoria Ononis est transmise par une partie des témoins de VAntapodosis. C'est pour celle-ci que l'histoire du texte pose des problèmes difficiles, et c'est dans ce domaine que les recherches de P. Chiesa ont apporté (voir en particulier, du même auteur, Liutprando di Cremona e il codice di Frisinga Cim 6388, Turnhout 1994) et apportent des renseignements nouveaux, exposés dans une longue et intéressante intro­duction (p. i- ). Nous nous contenterons ici de résumer ces résultats, qui donnent à l'édi­tion Chiesa, pour VAntapodosis, un aspect assez différent de celui de l'édition Becker.

Au début de son introduction (p. x-xvn), P. Chiesa résume avec clarté l'histoire de la recherche sur le texte de VAntapodosis : édition de Pertz (1839), fondée sur le manuscrit de Freising (F : Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cim 6388) qui, pour Pertz, a été copié sous la surveillance de Liutprand et est même partiellement autographe ; travaux de Köhler (1883), qui, à la suite de la découverte des excerpta de Metz (M), nie le caractère autographe de F, dont M ne peut dépendre ; travaux de Joseph Becker, qui (1908) adhère à la thèse de Köhler, puis (1911) s'aperçoit qu'il existe en fait deux recensions de VAntapodosis remon­tant toutes deux à Liutprand et qui, dans son édition de 1915, choisit d'éditer la seconde recension. Pour Becker, les deux recensions successives de VAntapodosis se distinguent sur­tout par le fait que Liutprand a remanié Antapod. I. 42 et ajouté II. 6. Dans le stemma clas­sique qu'il propose, le même savant assigne à F une place modeste, mais, pour son édition, c'est en fait sur ce manuscrit qu'il s'appuie le plus souvent.

P. Chiesa fait du travail de son prédécesseur un éloge vibrant, mais où pointe déjà la critique : l'histoire du texte proposée par Becker appartient à la «tradizione della migliore filologia positivista tedesca» et son stemma, élaboré selon des principes «rigorosamente lachmanniani» est «apparentemente privo di contraddizioni» (p. xvu). L'éditeur italien pour sa part, adepte d'une philologie plus moderne, s'engage sur d'autres voies, et si son travail confirme celui de Becker pour les groupes de manuscrits, il modifie profondément le sommet du stemma : «per i piani alti gli elementi di novità sono molti e notevoli, e giungono a sovvertire un'ipotesi che è stata ritenuta valida per quasi un secolo» (p. xvii).

Les «nouveaux résultats de la recherche» sont exposés aux p. UI-LVIII, après la description des manuscrits (p. xvn-xu) et le premier classement des témoins (p. XVII-XLI : Le relazioni fra i testimoni ; validità delle famiglie individuate dal Becker). Ils sont récapitulés dans un stemma qui s'oppose à celui de Becker, commodément reproduit. Par suite d'une erreur d'impression, dont le lecteur est dûment averti par un papillon inséré après la page c, les stemmata des tables ι et iv ont été intervertis : le stemma qu'on trouve planche ι sous le titre «Stemma codicum di Joseph Becker» est en fait celui de P. Chiesa, et celui de la planche iv, inversement, est celui de Becker malgré le titre «Stemma codicum della presente edizione».

Les différences entre les deux stemmata codicum sont importantes. On notera tout d'abord la place assignée à la famille : pour Becker, et F dépendent d'un sous-arché­type commun ; pour Chiesa, descend sûrement de F, sans doute à travers A. Cette nou­veauté a deux conséquences importantes : premièrement, comme VHistoria Ottonis n'est connue que par F (et ses descendants) et , si descend de F, l'édition de Historia Ononis ne doit plus tenir compte en fait que de ce manuscrit ; deuxièmement, la seconde recension de VAntapodosis elle aussi n'est plus connue que par F et ses descendants (dont ). F peut donc désormais remonter notablement dans le stemma.

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262 REVUE DES ETUDES BYZANTINES

La nouveauté la plus notable, dans la nouvelle édition de V Antapodosis, concerne en effet la place attribuée au manuscrit F. On sait que, dans ce témoin, il faut distinguer le travail du copiste principal (FI) et celui d'un réviseur (F2) qui corrige, retouche, complète (graeca ; fin du texte). Ρ Chiesa plaide pour qu'on identifie, comme l'avait fait Pertz, F2 avec Liutprand. Il fait remarquer tout d'abord que les arguments de Kohler et de Becker tombent à partir du moment où l'on a remarqué qu'il y a deux rédactions d'auteur les manuscrits de ΓAntapodosis qui ne dépendent pas de F (en particulier les excerpta de Metz M, mais aussi la famille α de Becker) représentent la première rédaction, mais l'ar­chétype de la seconde rédaction n'est autre que F On voit ici toute l'importance qu'il faut accorder au classement de ô . si cette famille, comme l'avait pensé Becker, était indépen­dante de F, il serait difficile de reconnaître en celui-ci un manuscrit îdiographe, et même partiellement autographe. Or, pour P. Chiesa, l'identification qu'il propose, api es avoir analysé finement le travail de F2, si elle ne peut être prouvée, est très probable «Tutti questi elementi fanno ntenere che la mano F2 possa essere quella dell'autore. Come abbiamo osservato concludendo lo studio specificamente dedicato a questo argomento, una conferma definitiva manca» (p. LVI-LVII). Il s'agit de l'hypothèse la plus économique «l'ipotesi dell'autografia ci pare senza dubbio più economica di quella contraria, che richiederebbe di creare dal nulla un segretario compagno di viaggio di Liutprando di cui, nei fatti, non esiste traccia» (p LVII).

Une fois admis ces résultats nouveaux, dont le caractère hypothétique est plusieurs fois souligné, le stemma proposé par Ρ Chiesa se divise en fait en deux branches Si nous appelons Ω l'archétype (nous reviendrons sur ce terme) de la tradition, F et ses descen­dants sont d'un côté, α de l'autre. Les excerpta de Trêves (T), cependant, remonteraient eux aussi directement à l'archétype, quant à ceux de Metz (M), l'auteur les fait remonter au-delà de l'archétype Ω directement à un premier autographe de Liutprand (non conservé, bien sûr).

Comme on le voit, la différence entre les stemmata de Chiesa et de Becker est considé­rable. Alors que, chez Becker, nous avons affaire à un stemma classique, fermé, avec un archétype, celui de l'éditeur italien, plus audacieux, est ouvert et conduit le lecteur jusqu'à la table de travail de Liutprand en train d'écrire, de retoucher et de faire copier Y Antapodosis. Aussi faut-il lire avec soin les pages LXXIX à LXXXII qui sont consacrées à la genèse de l'oeuvre. Après avoir écarté l'hypothèse d'une œuvre antérieure (des Gesta regum perdus) qui aurait constitué le noyau de Y Antapodosis, P. Chiesa propose les étapes suivantes . une première rédaction de l'œuvre, à dater d'avant la mort de Constantin VII, s'arrêtant à Antap. V.32, sans II. 6 et avec une version brève de 142, aurait figuré dans Ω, copie de travail dont dépend α ; puis Liutprand modifie 1.42, ajoute II.6 et fait copier le manuscrit F (FI); il intervient alors lui-même, complète les sommaires, ajoute Antap. V.33-V1.10 après le couronnement d'Otton en février 962, donnant ainsi la der­nière version de son œuvre qui nous soit accessible, toujours grâce au manuscrit F (F2)

L'édition se présente comme «una sorta di edizione genetica dell'opera» (p xcii), c'est-à-dire qu'elle cherche à mettre sous les yeux du lecteur les phases successives du travail de Liutprand et à distinguer les deux rédactions principales de l'œuvre la pre­mière, conservée par a, figure dans l'apparat critique (là où elle diverge de la seconde) sous le sigle Σ ; la seconde, conservée par F (F2), là où elle se distingue de la première, figure à pleme page en petits caractères (c'est le cas de V.33 et de tout le livre VI, mais aussi, chemin faisant, de tel passage, ou de mots isolés). Une autre complexité de l'édition vient de ce qu'il y a des gloses dans F. Elles sont reproduites dans un apparat spécial, sous l'apparat critique. C'est là, en particulier, qu'on pourra trouver les translaté rations en caractères latins et les traductions que Liutprand avait ajoutées — à en croire P. Chiesa — de sa propre main , et qui, chez J. Becker, figuraient à pleine page

Au total, l'édition procurée par P. Chiesa nous a paru parfois délicate à utiliser. On regrettera aussi l'absence d'indices, en particulier pour les mots grecs et pour les noms propres, qui fait qu'on est souvent conduit à se référer à l'édition Becker. Mais, toute hypothétique que soit la reconstruction de l'histoire du texte, elle est intéressante et sera utile pour les éditeurs de textes médiévaux.

Bernard FLUSIN

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BIBLIOGRAPHIE 263

Robin CoRMACK - Elisabeth JEFFREYS (Éd.), Through the Looking Glass. Byzantium through British Eyes. Papers from the Twenty-ninth Spring Symposium of Byzantine Studies, London, March 1995, Society for the Promotion of Byzantine Studies, Publications 7. — Ashgate Variorum, Aldershot-Burlington USA, Singapore, Sydney 2000. 24 χ 16. Xll-258 p.

Ce volume regroupe les communications faites au cours du 29e Symposium britanique d'études byzantines, effectué à Londres en 1995. Les articles sont répartis en cinq sec­tions, respectivement intitulées: I. Encounters with places (articles 1-4); II. Encounters with books (articles 5-10); HI. Interpreters (articles 11-16); IV. Other perspectives (articles 15-16) ; V. Encounters with the imagined Byzantium (articles 17-18). Les contri­butions sont les suivantes : — l.M. Wheeler, Byzantine 'purple' and Ruskin's St Mark's Venice (p. 9-18) ; — 2. H. Kalligas, Twin reflections of a Byzantine city : Monemvasia as seen by Robert Weir Schultz and Sidney H. Barnsley in 1890 (p. 23-44); — 3. M. Whitby, The Great Palace dig : the Scottish perspective (p. 45-56) ; — 4. D. Winfield, The British contribution to fieidwork in Byzantine studies in the twenthieth century : an intro­ductory survey (p. 57-65) ; — 5. B. Zeitler, The distorting mirror : reflections on the Queen Melisende Psalter (London, B.L., Egerton 1139) (p. 69-81); — 6. J. Lowden, Byzantium perceived through illuminated manuscripts : now and then (p. 85-106) ; — 7. P. Easterling, From Britain to Byzantium : the study of Greek manuscripts (p. 107-120) ; — 8. J. Harris, Greek scribes in England: the evidence of episcopal registers (p. 121-126) ; — 9. C. Davey, Fair exchange? Old manuscripts for new printed books (p. 127-134); — 10. Z. Gavrilović, The Gospels of Jakov of Serres (London, B.L., Add. MS 39626), the family Branković and the Monastery of St Paul, Mount Athos (p. 135-144) ; — U.R. Cormack, 'A Gentleman's' Book' : attitudes of Robert Curzon (p. 147-159) ; — 12. A. Cameron, Bury, Baynes and Toynbee (p. 163-175) ; — 13. Chr. Entwistle, O. M. Dalton : 'ploughing the Byzantine furrow' (p. 177-183); — 14. P. Mackridge, R. M. Dawkins and Byzantium (p. 185-195); — 15. J.-M. Spieser, Du Cange and Byzantium (p. 199-210) ; — 16. O. Etinhof, Pyotr Ivanovich Sevastianov and his activity in collecting Byzantine objects in Russia (p. 211-220); — 17. D. Ricks, Simpering Byzantines, Grecian goldsmiths et al. : some appearances of Byzantium in English poetry (p. 223-235) ; — 18. L. James, 'As the actress said to the bishop... : the portrayal of Byzantine women in English-language fiction (p. 237-247).

Les contributions de la Section II ont davantage retenu notre attention. . Zeitler passe en revue les différentes opinions sur l'origine et la confection du manuscrit Egerton 1139 et J. Lowden présente un aperçu statistique sur les manuscrits grecs qui se trouvent actuel­lement en Grande Bretagne, et qui correspondent à 3200-3260 témoins, dont 120 seule­ment sont illustrés (3,7 % de l'ensemble). Si ces textes, dans leur majorité, sont parvenus en Angleterre au cours du 18e siècle, l'auteur examine plus particulièrement ceux qui sont arrivés avant cette date, notamment les manuscrits qui ont appartenu à Robert Grosseteste, archevêque de Lincoln (sur les manuscrits grecs des commentaires à Y Éthique à Nicomaque d'Aristote dont Grosseteste pouvait disposer pour sa traduction, voir Eustratios de Nicée, Dictionnaire des philosophes antiques, sous la dir. de R. Goulet, t. III, Paris 2000, p. 378-388). P. Easterling étudie le travail de trois érudits anglais dont le rôle a été capital pour l'étude des manuscrits en Angleterre : Humphrey Wanley (né en 1672), contemporain de Montfaucon, qui, avant de devenir bibliothécaire des «Earls of Oxford» et de préparer le catalogue des manuscrits du fonds Harley (British Library), a travaillé, au début de sa carrière, pour John Mill, ami de Bentley. Anthony Askew, grand admirateur d'Eschyle, qui, lors d'un voyage à Constantinople, Athènes, Paras... et au mont Athos, a eu l'occasion de collectionner plusieurs manuscrits grecs. J. Harris donne un aperçu sommaire sur la présence des scribes grecs en Angleterre suivant les registres épiscopaux anglais. Cette présence se remarque après la chute de Constantinople et semble liée à Bessarion. C. Davey étudie la correspondance échangée entre Sir Thomas Roe, ambassadeur de l'Angleterre en Turquie de 1621 à 1628, et le patriarche Kyrillos Loukaris, en vue de l'obtention des manuscrits. Z. Gavrilović étudie le manuscrit slavon British Library Add. 39626, apporté en Angleterre par R. Curzon en 1837. Ce manuscrit a été copié, suivant la souscripiton, pour Jacob, métropolite de Serrés (1345-1360/1365),

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durant le règne du tsar Dušan (qui est mort un an après, en 1355) Ce manuscrit permet à Z Gavrilović d'éclairer le rôle de la famille Brankovié pour le rétablissement du monas­tère de Saint Paul (dépendant, à 1'ongine, du monastère de Xéropotamou) au mont Athos Signalons enfin la contribution de J -M Spieser, où l'auteur retrace avec précision les liens qui unissent Charles Dufresne, Sieur Du Cange, au monde byzantin

Michel CACOUROS

Bernard COULIE, Bastien KINDT et Cetedoc, Thesaurus Procopu Caesanensis De Belhs, Historia Arcana, De Aedificus (Corpus Chnstianorum. Thesaurus Patrum Graecorum). — Brepols, Turnhout 2000. 32 χ 23 ; relié, xciv-467 p., 53 microfiches (1015 p.). Prix : 508 € .

Comme le remarquent les auteurs eux-mêmes (p vu), on pourra s'étonner de voir figurer l'œuvre de Procope de Cesaree dans le «Trésor des Pères grecs», mais il est vrai que ses ouvrages se rapportent à la même époque, concernent le même monde et sont écrits dans la même langue L'édition prise comme référence dans le Thesaurus est celle de la Bibhotheca Teubnenana (J Haury, 1905-1913, dans le texte revu par G Wirth, 1962-1964)

Dans l'introduction, les auteurs définissent les règles et méthodes de leur indexation Le signalement des lemmes dont la forme est différente de celle de l'édition (ρ χιιι-χιν) est évidemment utile, de même que la liste des «lemmes particuliers» (ρ χχιν-χχιχ) Suit un index des noms propres (p. xxx-xcni), qui procède à l'identification des personnes et des lieux. On peut alors se reporter à la liste des lemmes, qui, sous le titre «Enumeratio lemmatům et formarum», présente les lemmes selon l'ordre alphabétique, en indiquant la fréquence du lemme d'une part, la fréquence de chaque forme du lemme d'autre part, puis la répartition des occurrences dans l'œuvre de Procope Les dix colonnes correspondent aux grandes divisions de l'œuvre · 1 à 8 pour chacun des 8 livres des Guerres, 9 pour l'Histoire secrète, 10 pour les Édifices.

Pour accéder au texte, il faut recourir aux microfiches. Les premières microfiches (n° 1-5) procurent plutôt des données statistiques elles présentent successivement un index inversé des lemmes, un index de la fréquence des lemmes dans l'ordre décroissant, un index des formes de chaque lemme, un index inversé des mêmes formes L'essentiel (n° 6-53) est constitué par la concordance des lemmes. Au centre de la ligne apparaît, entre deux astérisques, le lemme sous ses différentes formes, classées selon l'ordre alpha­bétique Un large passage encadre le lemme de part et d'autre , il procure une suffisante connaissance du contexte et dispense habituellement de recourir à l'édition

Relevons les impressionnantes données statistiques fournies par les auteurs (p xciv) l'ensemble de l'œuvre comprend 7 981 lemmes, 28 997 formes, 292 552 occurrences Les noms propres représentent une forte proportion dans le lexique, pas moins de 28 % (2 236 lemmes).

La parution de ces divers Thesauri donne un avant-goût des possibilités de consulta­tion et de comparaison des textes que l'on connaîtra avec le perfectionnement des instru­ments d'accès Pour une recherche ponctuelle, le CD-Rom offnra sans doute un accès plus rapide et moins onéreux, mais l'index sur microfiches gardera l'avantage pour une consul­tation continue et permanente d'un texte donné À chaque étape nouvelle, la recherche des sources et des lieux parallèles gagne ainsi en rapidité et en précision.

Albert FAILLER

Georges DECLERCQ, Anno Domini. Les origines de l'ère chrétienne. Traduit de l'anglais par C. ADELINE. — Brepols, Turnhout 2000. 21 χ 14. 212 p. Prix : 20 € .

Le passage à l'an 2000 a été l'occasion de réexaminer et de revisi ter le calendrier en vigueur En ce sens, le présent ouvrage est un livre d'actualité Le but de l'auteur n'est pas

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d'étudier les différents systèmes de computation, à l'exemple d'un Venance Grumel dans sa Chronologie, mais de montrer sur quoi vient se greffer le calendner dionysien, qui allait devenir le calendner de la chrétienté universelle, puis de la mondialisation

Denys le Petit, le moine érudit de la Dobroudja arnvé à Rome vers l'an 500, ne nourns-sait pas l'ambition d'inventer un nouveau comput général et mondial ou de devenir une sorte de comptable des siècles à venir II voulait, plus simplement, procurer au monde chrétien une référence unique et sûre pour la date de Pâques et l'ensemble du calendner liturgique qui s'ordonne autour de cette fête centrale II entendait établir une table indiscutable des fêtes de Pâques pour une durée de 95 ans, correspondant à cinq cycles lunaires de 19 ans Des querelles continuelles opposaient entre elles Alexandrie, Constantinople et Rome, mal­gré les normes fixées au concile de Nicée en 325 On reconnaissait en la matière la supéno-nté des astronomes alexandnns, sur laquelle était fondé le pnvilège du patriarche d'AIexandne de proclamer chaque année, par sa lettre restale, la date de Pâques Lorsque, en 525, Denys le Petit compose sa Table, il prend comme point de départ la Table pascale attn-buée à Cynlle d'AIexandne, qui couvrait les années 5929-6023 de l'ère alexandnne ou les années 153-247 de l'ère de Dioctétien alors en usage II entendait la prolonger de 95 ans et établir ainsi la Table pascale des années 6O24-6118del' ère alexandnne ou des années 248-342 de l'ère de Dioclétien Alors que l'ère d'AIexandne était fondée sur l'année de la Création du monde {Annus mundi [AM]), mythiquement fixée à l'an 5500 avant la nais­sance du Chnst, et que l'ère de Dioclétien était comptée à partir de la première année de règne du persécuteur des chrétiens (284 de l'ère dionysienne), Denys voulut donner au calendner pascal sa vraie référence l'Incarnation du Chnst et la naissance de Jésus Le point de départ de sa Table était l'année 248 de l'ère de Dioclétien, à laquelle il substitua l'année du Seigneur 532 (Aimus Domini [AD] 532) L'ère chrétienne était née, et le cycle de 95 ans établi par Denys couvrait les années 532-626 Mais du tableau chronologique de Denys on ne retint au départ que la Table pascale, non le nouveau décompte des années qu'il y avait introduit et qui ne se répandit que plus tard La diffusion progressive du nouveau calendner est due à la chrétienté anglo-saxonne, à Bède le Vénérable tout particulièrement, qui assura son passage sur le continent La chancellene papale ne l'adopta qu'au 10e siècle Mais au 1 Ie siècle il était répandu dans tout le monde féodal d'Occident Remarquons que l'ère byzantine (comptée à partir de 5510 avant notre ère), vanante de l'ère alexandnne, resta longtemps la référence dans les pays orthodoxes, jusqu'en 1700 en Russie et jusqu'au 19e siècle en Grèce

Quel est le fondement de l'équivalence établie par Denys entre l'année 248 de l'ère de Dioclétien et l'année 532 de notre ère 9 II apparaît en effet que Jésus n'était pas né 532 ans, mais 535 ans plus tôt Or Denys n'ignorait pas la date de la naissance de Jésus, que les histonens de l'Église plaçaient en une année antérieure de deux ou trois ans à l'an 1 du calendner dionysien Dès lors, il semble que l'erreur de Denys soit volontaire Son pre­mier but n'était pas de dater exactement la naissance de Jésus, mais d'établir une Table pascale qui soit indiscutable et qui réponde à tous les paramètres mathématiques et astro­nomiques. Telle est la démonstration centrale de l'auteur, qui considère que «Denys le Petit modifia délibérément la date histonque de la naissance du Christ , afin d'am ver à une date idéale du point de vue du comput» (p 143), et qu'en conséquence il ne s'agirait que d'«une erreur minime dans une partie accessoire» (p 197). Le nombre 532 constituait en effet un chiffre idéal pour le computiste celui-ci n'ignorait pas le cycle des 532 ans, qui peut être dupliqué à l'infini, puisqu'il marque un retour parfait au point de départ après l'accomplissement de 28 cycles lunaires de 19 ans et de 19 cycles solaires de 28 ans (19x28=532) Le calendner dionysien, qui marquait aussi la victoire du comput alexan­drin, s'étant ainsi diffusé, sans que son inventeur en ait prévu le succès, il devint impos­sible de rectifier l'erreur qui grevait le premier chiffre de la Table

L'auteur suggère ainsi qu'il ne convient pas de dauber sur Denys le moine, qui connaissait les problèmes mathématiques et astronomiques que posait l'établissement de la Table pascale, n'ignorait pas non plus les réponses de son temps sur les points contro­versés de la chronologie de Jésus (naissance sous le roi Hérode et non quatre ans plus tard, durée du ministère public de Jésus, configuration lunaire du jour de la Cène et de la Crucifixion)

Albert FAILLER

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Dumbarton Oaks Papers, tome 51, 1997 — Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington DC 1997 29,5 χ 21 χνιι-318 ρ

Ce volume, qui s'ouvre sur l'hommage rendu à deux éminents byzantinistes disparus en 1997, R Browning et A Kazhdan, est consacré pour une grande part à la Syne et à la Palestine byzantines Cinq des contnbutions au symposium sur «Palestine and Transjordan before Islam» (28-30 avnl 1995) y sont publiées

W Bowersock, Polytheism and Monotheism in Arabia and the Three Palestine (p I-10) S H Gnffíth, From Aramaic to Arabic The Languages of the Monasteries of Palestine m the Byzantine and Early Islamic Penods (p 11-31) Y Hirschfeld, Farms and Villages m Byzantine Palestine (p 33-71 ) R Frankel, Presses for Oil and Wine in the Southern Levant in the Byzantine Penod (p 73-84) Y Tsafnr et G Foerster, Urbanism at Scythopolis-Bet Shean in the Fourth to Seventh Centunes (p 85-146) Sh Hadad, Oil Lamps from the Third to the Eight Century E at Scythopolis-Bet Shean, (p 147-183) CI Foss, Syna in Transition, A D 550-750 An Archeological Appoach (p 189-269) D E Graf, The Via Militons in Arabia (p 271-281) J Crow et A Bryer, Survey in Trabzon and Gümüşhane Vilayets, Turkey, 1992-1994 (p 283-289)

S Lightfoot et E A Ivıson, The Amonum Project The 1995 Excavation Season (p 291-300) R Ousterhout, Survey of the Byzantine Settlement at Çanlî Kilise m Cappadocıa Results of the 1995 and 1996 Seasons (p 301-306)

Trois articles sont plus particulièrement étoffés Y Hirschfeld donne une descnption typologique des villages palestiniens du Golan

jusqu'au Néguev, alors que le monumental ouvrage de Claudine Dauphin n'était pas encore publié Certains villages montrent des éléments d'urbanisation, avec des bâtiments publics ou des rues pavées Eglises et synagogues furent construites par les villageois, au témoignage des ınscnptıons

L'histoire de Scythopohs-Bet Shean constitue un bon exemple de l'évolution urbaine de l'époque romaine à l'avènement des Abbassides, d'autant plus que des fouilles ont per­mis de dégager la plus grande partie de la ville antique Fondée à l'époque hellénistique, la ville se développe jusqu'à atteindre 18 000 habitants Devenue capitale de la Palestine Seconde au début du 5e siècle, elle atteint son apogée au 6e siècle Ses habitants, en majo-nté sémites, sont adeptes de plusieurs religions, notamment des Samantains, et à partir du début du 4e siècle, des chrétiens La ville est sujette aux tremblements de terre, dont ceux de 363 et 749 furent les plus graves L'ampleur des destructions permet de saisir l'état de la ville au moment des catastrophes Après le séisme de 363, les temples païens ne furent pas relevés, la basilique civile resta en ruine, non pas faute de moyens pour la restaurer, mais parce qu'elle était devenue mutile avec l'installation des boutiques sous les por­tiques La prospénté fut remise en cause par la révolte samantaine et la peste au 6e siècle Quoique l'histoire des dernières décennies byzantines et des débuts de l'Islam soit diffi­cile à décnre, on constate que, sous les Omeyyades, la ville s'est ruralisée et que les quar­tiers monumentaux sont abandonnés La ville ne se releva pas du seisme de 749, au moment où la Syne cessait d'être au cœur de l'Empire musulman

Cl Foss offre une mise au point de nos connaissances sur les villes et campagnes de Syne Deux conclusions émergent L'une assez attendue les villes de la côte déclinent vivement, ce qui corrobore l'image que nous nous faisons d'un commerce méditerranéen qui s'affaisse au 7e siècle, alors que les villes de l'mténeur restent plus dynamiques, notamment dans le sud avec la présence des tnbus arabes, au premier rang desquelles les Ghassanides L'autre conclusion, plus ongmale, met l'accent sur le maintien d'une acti­vité dans les campagnes à un haut niveau, y compns aux 7e et 8e siècles II y aurait un recentrage des campagnes sur elles-mêmes Ce point ménterait d'être confirmé par des

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fouilles plus nombreuses de villages, mais celles menées à Déhès vont dans ce sens. Cl. Foss annonçait au début de son travail des points de vue différents de ceux de H. Kennedy. C'est sur ce point surtout qu'il diffère de son prédécesseur, qui constatait un impact plus marqué de la peste et un déclin sensible dès le milieu du 6e siècle, sauf en bor­dure de la steppe aride. Ces conclusions ne sont évidemment pas définitives, car seule la fouille approfondie de villages permettra d'infirmer ou de confirmer les résultats obtenus à Déhès.

Jean-Claude CHEYNET

Dumbarton Oaks Papers, t. 53, 1999. — Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington DC 1999. 29,5 χ 21, relié, vi-358 p. et 64 pi.

Ce volume contient 14 articles et un rapport sur les fouilles d'Amorion. J. Duffy, Embellishing the Steps : Elements of Presentation and Style in the Heavenly Ladder of John Climacus. A.R. Littlewood : The Byzantine Letter of Consolation in the Macedonian and Komnenian Periods. T. Hägg : Photius as a Reader of Hagiography : Selection and Criticism. R. Webb : The Aesthetics of Sacred Space : Narrative, Metaphor, and Motion in Ekphraseis of Church Buildings. A.-M. Talbot : Epigrams in Context : Metrical Inscriptions on Art and Architecture of the Palaiologan Era. M. Alexiou : Ploys of Performance : Games and Play in the Ptochoprodromic Poems. P.A. Agapitos : Dreams and the Spatial Aesthetics of Narrative Presentation in Livistros and Rhodamne. N. Patterson Ševčenko : The Vita Icon and the Painter as Hagiographer.

Hahn : Narrative on the Golden Altar of sant'Ambrogio in Milan : Presentation and Reception. H. Maguire : The Profane Aesthetic in Byzantine Art and Literature.

Hannick : Exegese, typologie et rhétorique dans Phymnographie byzantine. A. Eastmond : Narratives of the Fall : Structure and Meaning in the Genesis Frieze at Hagia Sophia, Trebizond. M.J. Johnson : The Lost Royal Portraits of Gerace and the Cefalù Cathedrals. G.C. Maniatis : Organization, Market Structure, and Modus Operandi of the Private Silk Industry in Tenth-Century Byzantium.

Le volume se termine par un rapport de fouilles, donné par CS. Lightfoot et Al. : The Amorium Project : The 1997 Study Season.

L'article le plus long (p. 263-332), celui de G. Maniatis, est consacré à un commen­taire des chapitres du Livre de l'éparque se rapportant aux métiers de la soie. L'auteur s'appuie sur la théorie économique moderne et sur une lecture attentive de sa source prin­cipale pour remettre en cause, parfois avec une certaine acidité, les résultats d'études anté­rieures, R. Lopez, G. Mickwitz et A. Muthesius étant ses cibles privilégiées. De même que l'histoire agraire du 10e siècle ne s'explique plus par l'opposition entre les grands pro­priétaires et les malheureux paysans exploités, de même G. Maniatis s'efforce de libérer notre compréhension du marché fort complexe de la soie des considérations trop «sociales». Il montre de façon convaincante que l'affirmation, selon laquelle les katar-taires (ou les métaxarioi) étaient brimés par les métaxoprates et étaient en voie d'appau­vrissement, ne repose sur aucun texte. S'ils sont d'un statut social inférieur, rien ne prouve qu'ils soient indigents.

L'auteur semble faire confiance à l'efficacité de l'administration byzantine, certaine en ce qui concerne la capitale, mais sans doute moins grande dans les provinces. L'exemple fameux de Liutprand n'est pas très probant, car cet ambassadeur était en raison de sa fonc­tion l'objet d'une surveillance étroite. Il avait pu quitter Constantinople avec des articles interdits. De plus il n'y a pas de raison de mettre en doute ses propos sur l'abondance de tels articles en Italie, même s'ils n'y sont pas tous parvenus en fraude.

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Le caractère un peu systématique des explications économiques de l'auteur apparaît dans sa descnption du marché de la soie. Il estime que les acheteurs sont en position de force vis-à-vis des producteurs provinciaux, ce qui n'est pas contestable, mais il n'est pas certain que les conséquences d'une situation de monopsome soient aussi rigoureusement conformes à la théorie. De même qu'à Constantinople, le préfet, sans entraver le marché, fait respecter la réglementation, on peut supposer que les autorités, dans les provinces où l'élevage du ver à soie représentait une production importante veillaient à ce que les pro­ducteurs, qui payaient sûrement des impôts élevés, n'aient été écrasés S'ils avaient en plus le statut de pareques, les paysans disposaient de protecteurs qui pouvaient se révéler efficaces Enfin, on sait que la notion de «juste prix» ramenait les prix du marché, en dehors des moments de crise aiguë, au niveau traditionnel censé rémunérer équitablement les producteurs.

Cette importante contribution, qui s'appuie sur des remarques très concrètes et perti­nentes sur le comportement vraisemblable des différents agents de ce marché complexe, renforce des acquis, notamment confirmant que Byzance n'était pas le «paradis du mono­pole», et met en valeur le rôle de régulateur et de surveillance du préfet et de ses fonction­naires, auxquels l'auteur prête peut-être une efficacité excessive. Il reste que nous ne pou­vons pas mesurer le volume de cette activité fondamentale de la capitale, même s'il est manifeste qu'il s'agit d'un marché en pleine croissance, et qui n'est aucunement entravé par une quelconque réglementation.

Jean-Claude CHEYNET

Georges-Matthieu DE DURAND (Éd.), Marc le Moine. Traités^ I. Introduction, texte critique, traduction, notes et index (SC 445). — Les Éditions du Cerf, Paris 1999. 20 χ 13. 418 p. 277 F.

Ce premier volume de l'édition des traités de Marc le Moine paraît avec une Note pré­liminaire des Sources Chrétiennes rendant hommage à G -M. de Durand, décédé alors que son travail se trouvait «dans un état qu'on peut dire définitif» (p. 10).

Marc le Moine fut un auteur spirituel très lu dans les milieux monastiques byzantins, comme en témoigne la quarantaine de manuscrits qui contiennent ses œuvres, dont seuls dix-huit ont été retenus pour les apparats critiques de la présente édition. L'étude de l'en­semble de la tradition manuscrite complexe, qui aurait alourdi le volume de Sources Chrétiennes, est renvoyée à la Revue d'Histoire des Textes 29, 1999. L'auteur est difficile à situer, la Vie qui accompagne certains manuscrits, et qui fait de lui un ascète égyptien disciple de Macaire le grand, étant sujette à caution. Les seuls éléments sûrs sont ceux que l'on peut tirer des œuvres mêmes de Marc, mais ils sont rares, l'auteur étant d'une discré­tion extrême. L'éditeur sait cependant tirer parti de sa maigre récolte pour situer Marc vers le milieu du 5e siècle, sans doute en Asie Mineure, dans un milieu aux prises avec le mouvement euchite ou messahen, vis-à-vis duquel il observe la même attitude prudente et bienveillante que les Pères cappadociens au siècle précédent. Ni ermite (malgré son sobri­quet tardif de «Marc l'Ermite») m cénobite, il appartenait peut-être à ce monachisme urbain qui tentait de regrouper des fidèles laïcs autour d'ascètes renommés.

Le présent volume contient les traités suivants : La Loi spirituelle, La Justification par les œuvres ; La Pénitence ; Le Baptême ; Dialogue de l'intellect avec sa propre âme. Ces textes sont riches d'intérêt pour l'histoire de la spiritualité. Ils s'insèrent en effet à la fois dans le mouvement spintuel de cette époque, face au défi que représente le mouvement euchite, et dans la genèse de l'école hésychaste Marc aborde, au cours de ses réflexions sur des questions théologiques (relation entre la grâce baptismale et les œuvres ascétiques, rôle de la pénitence, du baptême ...), un certain nombre de thèmes spirituels fondamen­taux . Vhèsychia {Justif. 28, 29, 211), l'invocation du nom de Jésus (Lot 5 , Justif. 31), la dialectique du souvenir et de l'oubli de Dieu {Loi 21 s. ; 56), l'habitation du Christ dans le cœur de l'homme {Loi 25 ; Bapt. IV, 90 s.). Le jeu de l'intellect et du cœur comme lieux de la prière est aussi très présent {Justif. 81 ; Bapt XI), de même que celui de la connais­sance (gnose) et du secret, surtout dans la Loi spirituelle . il faut discerner le sens caché de

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l'Écriture {Loi 24) ou l'habitation du Chnst dans l'âme {Loi 25), la perfection de la loi divine a été cachée (έγκέκρυττται) dans la croix du Chnst {Loi 29) L'éditeur analyse les relations de l'œuvre de Marc avec Macaire/Syméon, Diadoque et le messahanisme, à pro­pos de La Justification par les œuvres et du Baptême relations entre le baptême, la grâce, la prière, les œuvres, perception sensible de la grâce, participation consciente à l'Espnt D'autres thèmes (rôle de la pensée qui s'attarde dans la naissance d'une pas­sion, traces de la blessure originelle, interprétation des tuniques de peau ) sont esquissés au passage L'œuvre de Marc apparaît ainsi comme une étape importante dans l'histoire de la spiritualité byzantine, tant en elle-même que dans ses prolongements

Si l'œuvre de Marc est d'importance, les circonstances de la publication (décès de l'éditeur avant la mise au point définitive) peuvent expliquer un certain nombre de défaillances, qui font l'objet d'errata et de corrections dans le second volume, auquel nous renvoyons(SC 455)

Marie-Hélène CONGOURDEAU

Hans EJDENEIER, Von Rhapsodie zu Rap: Aspekte der griechischen Sprachgeschichte von Homer bis heute. — Tubingen, Gunter Narr Verlag, 1999. 15 ,5x23 . 242 p.

Ce joli livre sur l'histoire de la langue grecque porte en exégèse une phrase empruntée à Platon «Le chant est composé de trois éléments, les paroles {logos), la mélodie {lianno-nia) et le rythme» {Resp 398d) Et c'est là en effet, dans le lien que H Eideneier établit entre la musique et le texte pour la littérature grecque — poésie et prose — tout au long de son histoire qu'il faut voir à la fois le leitmotiv («roter Faden», ρ 14) qui assure l'unité du livre, et l'explication d'un titre où se rejoignent les antiques rhapsodes et les modernes «rapeurs»

Cet ouvrage original ne vise pas à être une histoire systématique de la langue (litté­raire) des Grecs II se contente d'en éclairer certains aspects en parcourant avec vivacité les longs siècles au cours desquels se développe une littérature qui, pour nous, n'est guère accessible que par l'écrit, mais où la part de la performance orale ne doit jamais être sous-estimée La longue introduction et les six chapitres (2 Dialectes — Koinè — Dialectes , 3 Époque protobyzantine , 4 Byzance médiévale et domination franque , 5 Turcocratie , 6 «Grec moderne» , 7 Excursus les Grecs et l'Europe) conduisent ainsi le lecteur de la naissance de l'alphabet jusqu'à nos jours

Si les thèses générales sur l'importance de Poralité ou sur le rythme de la phrase écnte ne doivent pas être négligées, les byzantimstes seront surtout intéressés par les chapitres 3 et 4 Signalons en particulier l'intérêt d'une illustration — par les textes — particulière­ment heureuse, à commencer par la délicieuse lettre du jeune Théon à son père (POxy 1119, 2/3e s ap J -C ), chaque extrait étant suivi d'un bref et pertinent commen­taire philologique et stylistique qui fait ressortir les éléments d'évolution Les pages 127 à 156 sont ainsi consacrées à treize versions différentes d'une même fable d'Ésope

Laissant aux linguistes le som de discuter les thèses exposées, nous voulons ici dire simplement tout l'intérêt que nous avons pris à la lecture de ce livre allègre et plaisant

Bernard FLUSIN

Stephanos EUTHYMIADÈS (Trad.), Φώτιος, πατριάρχης Κωνσταντινουπόλεως Βιβλιοθήκη 'όσα της ιστορίας. 'Ανθολογία. Είσαγωγη-Μετάφραση-Σχόλια (Κείμενα Βυζαντινής Λογοτεχνίας 2). — Εκδόσεις Κανάκη, Athènes 2000 21 χ 14. 511 ρ.

Iordanès GREGORIADES (Trad.), 'Ιωάννης Ζωναράς 'Επιτομή 'Ιστοριών. Τόμος Γ'. Είσαγωγη-Μετάφραση-Σχόλια (Κείμενα Βυζαντινής ' Ιστοριογρα­φίας 5). — Εκδόσεις Κανάκη, Athènes 1999. 21 x 14. 322 ρ.

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Avec ces deux sénés en cours de parution, les Éditions Kanakis d'Athènes affichent un programme ambitieux mettre les principales sources grecques de la littérature et de l'his­toire byzantines à la disposition et à la portée du public, grec en particulier, et leur assurer ainsi la diffusion qu'elles mentent La présentation est identique dans les deux séries introduction, texte onginal en caractères italiques sur la page de gauche et traduction en grec moderne sur la page de droite, courtes notes infrapaginales ou notes regioupées à la fin des sections, selon la nature des textes publiés

La traduction de la Bibliothèque de Photius est seulement partielle, comme on pouvait le soupçonner d'emblée pour un ouvrage de cette ampleur Comme l'indique le titre, le choix du traducteur est dicté par la matière les œuvres théologiques et philosophiques sont exclues, et seules sont pnses en compte les notices des ouvrages histonques, soit un ensemble de quarante-deux histonens L'enumeration des notices retenues par le traduc­teur n'apparaît nulle part, à ma connaissance, si ce n'est dans la suite des traductions à tra­vers l'ensemble du volume La voici Prologue, n° 3, 27-31, 33-35, 40-42, 44, 47, 57-58, 60, 62-73, 76-80, 82-84, 87-89, 91-94, 97-99, 128-129, 166, 213, Épilogue C'est donc un choix limité de notices, alors que le nombre total des notices s'élève à 280 unités, qui ne recensent pas moins de 386 ouvrages, dont près du tiers n'est plus disponible aujourd'hui

Une longue présentation de l'œuvre, si onginale dans sa forme, précède l'édition et la traduction Le texte de chacune des unités retenues est suivi d'une courte note sur la per­sonne et la production de l'historien recense par Photius Le texte onginal est emprunte à l'édition de R Henry (I-VI1I, Pans 1959-1977) Une traduction n'est pas inutile pour un texte qui, à cause de sa concision et de l'hétérogénéité des données qu'il rassemble, requiert analyse et effort pour être interprété correctement Le lecteur grec disposera là d'un choix éclairé, mais l'œuvre entière ménterait sans doute une semblable traduction

Quant au troisième volume de l'Histoire de Jean Zônaras, il met fin à la traduction de la seule partie qui a été pnse en considération, c'est-à-dire les Livres - ѴІ , une fois laissée de côté la première partie, qui va de la Création du monde à la chnstianisation de l'Empire romain et qui revêt plutôt le caractère d'une chronique universelle Les deux der­niers livres (Livres XVH-XVIII), qui forment la matière du présent volume, couvrent les années 969-1118, du règne de Jean Tzimiskès à celui d'Alexis Ier Komnènos Le texte on­ginal est celui de l'édition de Bonn (Th Buttner-Wobst, 1897) Elle est correctement repnse dans le volume de traduction, même si les divers systèmes de l'accentuation grecque ne manquent pas de provoquer ici ou là quelques confusions, comme un malen­contreux προς τους 'Ρωμαίους (ρ 10) Dans les cinquante pages que j'ai lues plus attenti­vement, j 'ai relevé quelques coquilles τμηθήναι pour τιμηθήναι (ρ 12), πεμφηθέντες pour πεμφθέντες (ρ 14), χρεώδη (ρ 20), προσκηθεΐσαι (ρ 26), πρεσεφερετο δ' pour προσεφέρετο δι' (ρ 40), mais le lecteur corngera aisément L'intérêt de l'ouvrage ne réside d'ailleurs pas dans la réimpression du texte onginal sur la page de gauche, mais dans la traduction en grec moderne présentée en belle page Le traducteur n'est pas esclave de son modèle, son texte est clair, fluide et agréable à lire Par endroits, il n'était pas impossible de donner une version plus proche de l'onginal Un seul exemple (p 19-20, en bas) εξαντλημένοι («épuisés») ne rend pas exactement άπειρηκότες («renonçant» ou «cédant»), même si le résultat est le même

Chacun des deux livres de Jean Zônaras est suivi d'une brève séné de notes, qui por­tent avant tout sur les personnes et les lieux, subsidiairement sur la philologie ou l'expres­sion littéraire Le volume est clos par un index général, dans lequel sont relevés les noms propres On corngera Διακίβυζα en Δακίβυζα (la remarque valant aussi pour le texte de la traduction) et on rectifiera l'accentuation de Λαοδίκεια On regrettera — et ceci vaut pour les deux sénés — l'absence de titres courants, qui rend difficile la consultation de la tra­duction et qui nsque de la réserver à la lecture continue , même si c'est là le but premier de la collection, la possibilité d'une consultation rapide et aisée d'un passage isolé n'était pas incompatible avec cette première destination

Albert FAILLER

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BIBLIOGRAPHIE 271

Riccardo FILANGIERI (Éd.). i Registri della Cancelleria Angioina ricostruiti da Riccardo FILANGIERI, con la collaborazione degli Archivisti napoletani. Voi. 44 , 1269-1293, a cura di Maria Luisa STORCHI ; Vol. 44/II, 1265-1293, a cura di Stefano PALMIERI (Testi e documenti di storia napoletana 44). — Accademia Pontaniana, Naples 1998-1999. 25 χ 18. -472 . (I), χιιι-p. 473-873 (II).

Les deux volumes contiennent des documents épars, qui se rapportent tant au règne de Charles Ier d'Anjou (1266-1285) qu'à celui de son fils Charles II (1285-1309). Les Tables générales, qui récapituleront un jour toute la documentation, permettront de parer à l'épar-pillement de l'édition. Le premier volume contient deux parties: d'abord (p. 1-319) les derniers documents de la 6e indiction (1292-1293), ensuite (p. 321-472) une série de docu­ments antérieurs, qui s'échelonnent sur dix ans (1269-1278). Le second volume contient encore quelques documents concernant la même 6e indiction (p. 473-532), mais surtout un nouvel ensemble d'actes remontant aussi bien au règne de Charles 1er (p. 533-674) qu'à celui de Charles II (p. 675-793). Les nouveaux apports proviennent principalement de deux sources documentaires : une série de microfilms dus à Perrat, le fonds Sthamer déposé à l'Institut Historique Allemand de Rome.

Si l'on consulte l'Index analytique placé à la fin du second volume (p. 795-873) et ras­semblant les données des deux volumes, on rencontre peu de références à Byzance. Quelques territoires et villes sont mentionnés : Achaïe, Athènes, Corfou, Constantinople, Durazzo, Négrepont, Romanie, Saint-Jean-d'Acre, Valona ; mais ce sont généralement des lieux occupés par les Francs. C'est à peine si les documents mentionnent quelques personnes connues aussi des sources byzantines : Palaiologos (l'empereur), Guillaume et Isabelle de Villehardouin, Nicéphore Angélos d'Épire et sa fille Thamar mariée à Philippe de Tarente, Théodore Pichridi l'envoyé de Nicéphore d'Épire, Hugo de Sully capitaine de Corfou. La documentation éditée concerne habituellement l'histoire intérieure du royaume et l'administration ordinaire des possessions d'Italie ou de Provence.

La reconstitution des registres de la Chancellerie angevine de Naples avance sûrement. C'est aussi l'une des sources les plus riches pour l'histoire byzantine de la période des Palaiologoi. On peut encore en espérer des informations nouvelles susceptibles de résoudre quelques points obscurs ou controversés des relations de l'Épire ou de l'Empire lui-même avec l'Italie.

Albert FAILLER

Antonis FYRIGOS (Éd.), Barlaam Calabro, Opere contro i Latini. Introduzione, storia dei testi, edizione critica, traduzione e indici, a cura di Antonis FYRIGOS (Studi e testi, 347, 348). - Città del Vaticano. Biblioteca apostolica vaticana 1998. v-xxxvi + 1-233 p. ; 234-772 p. et xvi planches.

Dès 1975, l'auteur, alors étudiant du professeur Schirò, s'est intéressé à Barlaam de Seminara, promoteur de la polémique antilatine et initiateur de la controverse palamite dans la première moitié du 14e s. La douzaine d'articles qu'il a fait paraître depuis témoi­gnent du souci qui l'a toujours travaillé d'éclairer la figure et l'activité littéraire du moine calabrais, en prélude à l'édition de son œuvre majeure. La longue introduction (p. 3-34) et certains chapitres de la première partie de l'ouvrage synthétisent le meilleur de cette écri­ture préliminaire, sur trois points particulièrement remarquables : le contexte de ce Κατά Λατίνων (les discussions «unionistes», non pas de 1339, mais de février-décembre 1334, suivant un calendrier aussi précis que possible), la découverte de la publication partielle de la diatribe (dans le Τόμος αγάπης de Dosithée de Jérusalem) et l'intervention de la théologie thomiste dans le débat, antérieure à la traduction grecque de l'Aquinate par Dèmètrios Kydonès.

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De l'étude minutieuse de la tradition textuelle (cinquante-six codices inventories dont quarante-quatre ont été classés et collationnés) qui est le plat de résistance de cette pre­mière partie (p 37-210), il résulte que l'œuvre polémique de Barlaam, principalement consacrée à la défense de la procession du Saint-Esprit εκ μόνου του Πατρός en opposi­tion au Filioque de la tnadologie latine (la primauté romaine n'est débattue qu'en fin de discussions), a été transmise en double rédaction, le texte définitif étant la revision d'une première mouture, élaboré à la suite des objections des contradicteurs (les légats romains, Francesco de Camerino et Robert l'Anglais, tous deux dominicains) et des remarques acerbes de Grégoire Palamas Le texte révisé se présente essentiellement sous forme de sept logoi d'une même Pragmateia ou Trattato qui correspond à la rédaction améliorée de l'intervention byzantine dans les pourparlers bilatéraux de 1334 En marge de ceux-ci, Fyngos fait état de deux opuscules mineurs qu'il intitule improprement Dialoghi 1°) Le Λεγάτος ή Περί Πνεύματος, dialogue engagé entre l'envoyé latin (Francesco de Camenno) et l'interlocuteur grec (Barlaam) à partir de la lettre remise par le légat romain au patriarche et à ses hiérarques au sujet des divergences entre Rome et Constantinople, 2°) La Confutano ou réplique de Barlaam, sous le couvert de l'anonymat, à cette lettre qui plaidait la cause du Filioque Pour l'établissement du texte de ce dossier «Προς Λατίνους» (Trattato et Dialoghi, ρ 244-491), l'éditeur déclare avoir la chance de dis­poser de deux manuscrits «originaux» en ce sens que des corrections y ont été apportées par Barlaam lui-même dont la main, nous assure-t-on, a été sûrement identifiée les Vatican gr 1110 (W) et 1106 (V), le premier étant jugé meilleur que le second L'édition se fonde donc sur W, les dix autres témoins signalés dans l'apparat (quatre en plus pour les Dialoghi) permettant de discerner la nature des modifications opérées dans un second et troisième temps

La stesura ou rédaction primitive du «Κατά Λατίνων» constitue le Trattato A publié ensuite sur la base de onze des quinze témoins repérés (p 498-625) Les divergences entre les recensions A et sont telles qu'une édition séparée s'imposait, une fois constatée l'im-possibihté d'un simple versement du «brouillon» dans l'apparat du texte définitif Une réalité que reflète la tradition textuelle onze manuscrits ont transmis, à la suite, les deux «traités» en donnant la priorité au Trattato

Dans chacune des recensions, le dernier opuscule ou λόγος (le 7e en et le 10e en A) expose la doctrine de la primauté romaine d'après l'ecclésiologie orthodoxe traditionnelle, parce que les envoyés de Jean XXII, à court d'arguments spécifiques, au dire de Barlaam, avaient invoqué l'autorité souveraine du pape pour clore en faveur du Filioque le débat sur la procession du Saint-Esprit Ce Περί της πάπα αρχής (ρ 448-465) ou Περί τοΰ πάπα (ρ 614-625) est adressé à l'archevêque Nicolas (de Pékin), légat papal qui s'était adjoint aux prélats dominicains après l'ouverture des pourparlers Quant au De principátu papae publié depuis près de quatre siècles et unique écrit de Barlaam inséré, à la base des colonnes, dans la PG (CLI, 1247-1256), Fyngos l'a écarté de son édition en raison de sa forme épistolaire et de la particularité de sa tradition textuelle Cependant, il en énumère les témoins qu'il a repérés (18 manuscrits, p 5, η 12) et qui ont été pris en considération par Τ M Kolbaba pour son édition cntique parue ici même (REB 53, 1995, p 41-115, références aux manuscrits p 64-69)

Il y a encore le Syntagma ou Περί της έκπορεύσεως τοΰ 'Αγίου Πνεύματος associé, selon l'opinion reçue, aux pourparlers gréco-latins de 1339 et que Fyngos, malgré certains indices semblant le placer au cœur des discussions de 1334, présente comme le discours préliminaire adressé par Barlaam à un auditoire grec, sans doute les membres du Saint-Synode, après l'arnvée à Constantinople de la légation pontificale et à la veille de la confrontation, pour démontrer d'avance l'inconsistance des «syllogismes» latins à l'appui de la thèse de la procession etiatn a Filio L'édition critique (p 630-667) tient compte des huit manuscnts disponibles ou utiles, sur un total de seize témoins, dont la plupart appar­tiennent à la transmission intégrale (double recension) de l'œuvre en question, aux anti­podes des Paris gr 1111 (non utilisé) et 1286 et ďAtlios Iviron 668 qui n'ont transmis que le Syntagma

Dans sa présentation, Fyngos insiste sur le cadre chronologique, l'aspect philologique et la complexité codicologique (pas moins de 49 stemmata éclairent les filiations et les apparentements) des documents édités, de préférence aux subtilités théologiques Mais le

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BIBLIOGRAPHIE 273

soin avec lequel il a repéré les sources scripturaires, classiques (surtout Aristote), patris-tiques (les Cappadociens), byzantines (Photius) et scolastiques (Thomas d'Aquin) montre l'intérêt qu'il accorde à la consistance-doctrinale du débat. Ce repérage, marqué dans l'ap­parat de la traduction italienne (avec une certaine tendance à la paraphrase pour obvier à la concision du texte) et catalogué dans un premier index (p. 669-700), était d'autant plus difficile que Barlaam procède souvent de manière implicite et sans souci de précision à l'égard des sources. Le copieux index verborum, à part les articles, comprend tout le voca­bulaire grec (p. 700-772). La première partie avec l'étude de la tradition manuscrite n'entre pas dans le menu de ces tables. Par contre, en hors-d'œuvre, seize planches photo­graphiques offrent un échantillon des principaux manuscrits utilisés : Vatican, gr. 1110 et 1106 (pi. I-V), Paris, gr. 1308, 1218 et 1278 (pi. VI-XIV) et Marc: gr. II, 92 (pi. XV-XVI).

Le véritable épilogue de ce Κατά Λατίνων est la prière au «Verbe prééternel de Dieu», à la fin de laquelle Barlaam voue son œuvre à un oubli total, au cas où la thèse contraire (Filioque) serait la vraie (p. 492, d'après Vatican, gr. 1106), alternative supprimée, au quinzième siècle, par une main «orthodoxe» (Vatican, gr. 1110, ibid.).

C'est par respect pour la volonté de Barlaam que Fyrigos assure avoir présenté, sous cette double forme, l'édition des opuscules antilatins du Calabrais (p. 31, § 14). En bonne logique, au lieu de se réjouir de préfacer son édition au 650e anniversaire de la mort de Barlaam (p. vin), il aurait dû éprouver quelque scrupule à livrer enfin au public une œuvre désavouée par la volte-face confessionnelle de son auteur et, dès lors, condamnée à moisir dans l'ombre des bibliothèques. Grâces pourtant lui soient rendues. Car il était salutaire que remonte du passé le cliquetis des armes, afin que les héritiers des ennemis d'hier, affrontés à d'autres problèmes, poursuivent plus sereinement leur marche sur le chemin de la paix et de l'unité.

Daniel STIERNON

Antonio GARZYA (Éd.), Denis ROQUES (Trad., comm.), Synésios de Cyrène [Œuvres], t. II, Correspondance, Lettres I-LXIII. t. III, Correspondance, Lettres LXIV-CLVI, texte établi par Antonio GARZYA, traduit et commenté par Denis ROQUES (Collection des Universités de France). — Les Belles Lettres, Paris 2000. 19 χ 12,5. CXLVH-484 p.

Face au corpus épistolaire de Libanius qui comprend 1544 lettres ou à celui d'Isidore de Péluse qui en comprend 2000, le recueil de Synésios est peu volumineux, puisqu'il ne compte que 156 lettres, qui s'étalent sur les quinze dernières années de sa vie (398-413). Le texte grec, établi par les soins du Professeur Garzya, reprend avec quelques modifica­tions celui de YEditio maior parue à Rome en 1979 (les principes d'édition sont ici résu­més dans la seconde partie de l'Introduction : «Tradition et recension du texte»). La pre­mière partie de l'Introduction, la traduction française et l'abondante annotation sont dues au Professeur Roques.

Les lettres de Synésios se présentent dans un complet désordre au regard des corres­pondants ou de la chronologie ; seule la liasse adressée à Héraclien (Lettres 137-146) est restée groupée. Plus du quart des lettres, 41 exactement, sont adressées à son frère Euoptios. Leur richesse vient des perspectives variées qu'elles offrent, historique, litté­raire, psychologique, philosophique et religieuse. Elles forment en effet un document unique sur la vie civile, militaire et religieuse de la Cyrénaïque aux alentours de l'an 400. Elles nous livrent en outre le portrait fascinant de leur auteur, évêque malgré lui (il répète à plusieurs reprises qu'il aurait préféré mille morts à l'épiscopat), chez qui les réminis­cences classiques (Homère, Platon, etc.) viennent bien plus naturellement que celles de l'Écriture Sainte. Dans les lettres où il intervient en qualité d'évêque métropolitain de Ptolémaïs (son élection date de février 411 et son ordination du 1er janvier 412), il fait preuve d'une ignorance déconcertante en matière de canons ecclésiastiques et même de dogmes, ce qui explique sa confiance aveugle en Théophile, le tout-puissant archevêque d'Alexandrie. Nous avons un profil bien différent de celui que présentent les

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Cappadociens ou Isidore de Péluse bien qu'il soit d'une famille chrétienne, sa culture est celle de l'hellénisme classique façonné par des siècles de rhétorique et de philosophie C'est cet aspect qu'ont retenu les lecteurs postérieurs Le nombre des manuscrits (plus de 120) et celui des citations ou des plagiats d'epoque byzantine montrent de quelle faveur n'a cesse de jouir cette correspondance, il n'est jusqu'aux manuels scolaires de la Turcocratie, les mathemataria, pour lui avoir fait une place

La realisation de ces deux volumes est remarquable, édition, traduction et commen taire Etant donné le style concis et très élaboré de Synesius, la traduction française, qui se veut explicite, est nettement plus longue que le grec, ce qui entraîne quelques problèmes de mise en page (traduction et texte grec ne coïncident pas toujours exactement) Le tra­ducteur s'est aussi, dans la mesure des ressources de notre langue, efforcé de rendre les procédés rhétoriques mis en œuvre Çà et là, on pourra préférer d'autres solutions Par ex Lettre 5, 29-32, je traduirais plus simplement i/v se moquaient les uns des autres et se désignaient non par leurs noms, mais par leurs infirmités «Le boiteux», «Le hermeux», «Le gaucher», «Le louche» Dans la Lettre 56, 11-12, Synesius fustige les philosophes d'Athènes qui viennent parader à Cyrène αναστρέφονται δε έν ήμίν ωσπερ εν ήμιονοις ημίθεοι, D Roques s'efforce de rendre le jeu verbal grec en traduisant Et pourtant on les voit virevolter parmi nous comme des demi-dieux parmi des demi ânes En considérant que le verbe άναστρέψεσθαι n'a plus son sens concret, je traduirais d'une façon moins pittoresque Ils se comportent parmi nous comme des demi-dieux au milieu de mules Dans la Lettre 41, 80-81, le verset 9 du Psaume 136, ne peut pas être traduit bienheureux qui arasera leur descendance jusqu'au rocher, mais ainsi bienheureux qui fracassera leurs enfants contre le rocher Les notes sont abondantes, claires et précises Lettre 41, 49, il aurait peut-être fallu une note à l'expression επισκοπής άξιωθήναι θεοΰ («être juge digne de la visite de Dieu», plutôt que du regard de Dieu), l'idée que Dieu vient visiter son peuple est fréquente dans l'Ancien Testament, mais on trouverait certainement des références profanes, Lettre 128, n 2, ρ 383 Origémaste semble être une coquille en français, d'autant qu'il est question d'ongémste dans la suite , Lettre 140, n 15, ρ 405, le traité Περί προσευχής d'Évagre le Pontique est encore donné comme une œuvre de Nil d' Ancyre, alors que l'authenticité évagnenne est maintenant bien établie

Ajoutons que le second volume se termine par plusieurs index, dont un index verborum sélectif, et trois cartes

Paul GEHIN

Pierre GASNAUT, L'érudition mauriste à Saint-Gerniain-des-Prés, Collection des Études Augustınıennes, Série Moyen-Âge et Temps Modernes 34 — Institut d'Études Augustınıennes, Pans 1999 24,5 x 16 334 ρ Prix · 320 FF

L'auteur a réuni, dans ce volume, dix-sept articles sur l'activité d'érudition (historique et philologique) déployée par les Maunstes durant les 17e et 18e siècles Ces articles, à trois exceptions près (n° 4, 6, 16, inédits) ont vu le jour dans différentes revues de 1965 à 1998 Nous donnons les titres des contributions pour en donner, ensuite, un bref aperçu sur leur contenu et présenter les conclusions auxquelles aboutit l'auteur — I Les travaux d'érudition des Maunstes au XVIIe siècle (p 13-32), — II Motivations, conditions de travail et héntage des bénédictins érudits de la Congrégation de Saint-Maur (p 33-43), —

III La correspondance des Maunstes aux XVIIe et XVIIIe siècles (p 45-56), — IV Traités des Maunstes avec leurs libraires et leurs graveurs (p 57-108), — V Dom

Anselme Le Michel et les manuscnts de l'abbaye de Cluny (p 109-119), — VI Encore dom Anselme Le Michel et les manuscnts de Cluny (p 121-123), — VII Les artisans de l'édition maunste de samt Augustin (p 125-157), — VIII En marge de l'édition maunste de saint Augustin lettres de dom Jean Durand à dom Thomas lampin (p 159-182),— IX Manuscnts envoyés d'Italie à la Bibliothèque du roi par Mabillon (p 183-192), — X Lettres inédites de Mabillon à la Bibliothèque nationale (p 193-206), — XI Dom

Bernard de Montfaucon, moine de Saint-Germain-des-Prés (p 207-208), — XII Un por­trait peu connu de Montfaucon (p. 209-217), — XIII Montfaucon antiquaire Le conser-

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BIBLIOGRAPHIE 275

vateur du cabinet d'antiquités de Saint-Germain-des-Prés (ρ 219-242), — XIV Montfaucon codicoiogue La Bibliotheca bibliothecarum manuscrtptorum nova

(p 243-263), — XV Montfaucon, dom Jean Delannes et le catalogue des manuscrits de l'abbaye de Clairveaux (p 265-274), — XVI La bibliothèque de la Procure de la Congrégation de Saint-Maur à Rome une bibliothèque à retrouver, — XVII Une enquête folklorique au XVIIIe siècle (p 285-287)

La congrégation de Saint-Maur est une branche issue de l'ordre bénédictin au debut du 17e siècle Durant 175 ans, au sein de la Congrégation, plusieurs générations d'érudits, mus par la volonté d'étudier l'histoire de leur ordre, se sont consacrées à étudier l'histoire et la philologie Nous leur devons les éditions de plusieurs auteurs chrétiens grecs Cyrille de Jérusalem, Grégoire de Nazianze, Irénée de Lyon, Jean Chrysostome, Ongene, Justin Ils ont également montré beaucoup d'intérêt pour la géographie, les sciences exactes et naturelles Certains Maunstes même, comme Mabillon et Montfaucon, ont fondé des «nouvelles» sciences, la diplomatique {De re diplomatica, 1681), et la paléographie Montfaucon, avec sa Palaeographia graeca, parue en 1708, fut l'inventeur du terme et de la notion nouvelle de paléographie Les littérateurs maunstes habitaient, en règle géné­rale, le monastère de Saint-Germain-des-Prés, qui était le chapitre de la Congregation, ou l'autre monastère pansien de la Congrégation, celui des Blancs-Manteaux

Or, l'auteur le souligne (I et II), cette érudition si abondante et si originale représente seulement, dans le meilleur des cas, l'activité de 2 % à peine des Maunstes, contrairement à l'idée communément admise L'auteur relève également le fait que plusieurs projets adoptés et même largement avancés par les Maunstes n'ont pas pu être achevés On ima­gine difficilement les raisons qui pouvaient obliger un moine à s'écarter de la vie erudite offices très fréquents et qui laissaient peu de temps libre, assistance obligatoire aux matines, andité de la tâche Ainsi, pour mener à bien leurs travaux, les Maunstes étaient dispensés d'assister à tous les offices Faut-il ajouter la piètre réputation concédée au tra­vail d'érudition, mal rémunéré, fréquemment ignoré, voire dénigré II fallait donc bien de l'ardeur aux Maunstes pour financer leurs recherches, puis trouver un accord, toujours délicat, avec leurs éditeurs, l'édition des Opera omnia d'Athanase en fournissant un bon exemple (étude IV) L'auteur s'est aussi penché sur Mabillon (études IX et X), dont il a édité, pour la première fois, quelques lettres (X), et, aussi, sur Montfaucon (études XI-XV), qui montra beaucoup de goût pour les antiquités (XIII), notamment lors de son séjour à Rome de 1698 à 1701

Michel CACOUROS

Sharon E.J. GERSTEL, Beholding the Sacred Mysteries. Programs of the Byzantine Sanctuary. — College Art Association Monograph on the Fine Arts, LXV, Seattle & London 1999. 28 χ 21. ιχ-213 ρ , 95 figures m the text

This book is a study of the development of Byzantine sanctuary decoration, based on twenty-seven churches in Byzantine Macedonia which were decorated between 1028 and 1328 Their sanctuary programmes are catalogued m an appendix (p 80-111) For the spe­cialist, this is no doubt the most useful part of the book

The author studies progressively how sacred space, that is to say the sanctuary cut off by the templon from the body of the church, was created (p 5-14), the introduction of bishops, who from being represented at first as standing portraits, began to appear as offi­ciating (p 16-36), the development of the iconography of the altar (p 37-47) and of the Communion of the Apostles (p 48-67), the introduction of the Mandyhon above the arch before the sanctuary (p 68-77)

Assembling an adequate bibliography, accompanied where relevant by extracts in translation of Byzantine literary texts, Gerstel has produced a comprehensive manual for the study of the decorative programmes m late Byzantine sanctuanes In fact, she has worked on ground already well covered by previous scholars Although she repeats accu­rately what they have wntten on the subject, she has little — perhaps nothing — ongmal to add

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Her study is above all a competent propaedeutic for students not yet familiar with Byzantine apse decoration. In conformity with the contemporary mode, she attempts to reconstruct the way in which a Byzantine, entering a church, would respond to his sur­roundings. She seems to be almost obsessed by the atmosphere created by flickering can­dles !

In passing, it may be noted that, although the word iconostasion (p. 1), properly εικονοστάσι, to denote the sanctuary barrier is tolerated in modern demotic Greek, the proper term is still templon, demotic τέμπλο. In Byzantine usage, είκονοστάσιον had a different meaning ; see my article, "The Byzantine Sanctuary — A Word List", reprinted, Pictures as Language. How the Byzantines Exploited Them, London 2000, p. 272.

Christopher WALTER

Richard P. H. GREENFIELD, The Life of Lazaros of Mt. Galesion : an eleventh-centrury pillar saint. Introduction, Translation and Notes (Byzantine saints'lives in translation 3). — Dumbarton Oaks 2000. 23, 5 χ 16. 423 p.

Né près de Magnésie du Méandre vers 966-967, Leo (qui prit le nom monastique de Lazaros) connut très tôt l'appel de la Terre sainte. Ce n'est qu'à 18 ans qu'il réalisa son rêve, par une fugue qui le mena de Kalathai à Jérusalem en passant par l'Asie mineure. Il resta à Jérusalem jusqu'à la destruction du Saint-Sépulcre par al-Hakim en 1009 et, après quelques séjours à Mar Saba et au monastère d'Euthymios, il regagna l'Asie mineure et aboutit au sommet d'une colonne sur le mont Galèsion. Malgré l'opposition permanente du métropolite d'Éphèse, une communauté se rassembla autour de lui, et c'est un membre de cette communauté qui, après sa mort en 1053, rédigea la Vita dont nous avons ici une traduction anglaise.

Lazaros est un personnage pittoresque, qui combine ascétisme, entêtement et généro­sité. Certains lui reprochèrent son trop grand sens de Γοίκονομία. Il apparaît comme un précurseur de la réforme cénobitique de la fin du 1 Ie s., illustrée par le typikon de l'Éver-gétis. Le récit met en lumière les résistances que Lazaros rencontra tout au long de sa vie, tant de la part du métropolite d'Éphèse que de compagnons mécontents de ses initiatives. Après sa mort, le petit centre connut une éclipse, pour retrouver une certaine renommée avec l'Empire de Nicée. Nicéphore Blemmydès s'y retira, et plusieurs moines-patriarches du 14e s. y firent leurs classes : Joseph 1er, Athanase, Grégoire de Chypre (qui rédigea une Vie de Lazaros), sans compter Meletios le Confesseur. Sous Andronic H le monastère de la Théotokos du mont Galesion fusionna avec l'Anastasis de Constantinople, avant d'être détruit par les Turcs.

L'intention du rédacteur est apologétique : son propos est de défendre à la fois la mémoire et l'œuvre de Lazaros contre ses détracteurs. Certaines lacunes du manuscrit, concernant des épisodes délicats, pourraient ainsi ne pas être accidentelles.

Il reste que nous avons avec la Vita de Lazaros, dont l'accès est facilité par cette tra­duction anglaise, une vie de saint très colorée, loin de la rhétorique hagiographique, qui fourmille de realia et de personnages concrets. Nous voyons défiler une série de person­nages : hérétiques dualistes (c. 10), moines arabophones de Palestine en délicatesse avec les hellénophones (c. 17), visiteur juif (c. 112), musulman converti (c. 113), Paulicien (c. 1 IS), saloi (c. 175, 200). Des récits de miracles, des tentations diaboliques, des visions d'outre-tombe (c. 136) parfois liées aux rites funéraires (c. 200), et toutes sortes de péripé­ties dramatiques, historiques (Constantin Monomaque y fait plusieurs apparitions) ou plai­santes offrent un coup d'oeil rafraîchissant sur la vie monastique byzantine de cette époque.

Marie-Hélène CONGOURDEAU

Michael F. HENDY, Catalogue of the Byzantine Coins in the Dumbarton Oaks Collection and in the Whittemore Collection, vol. 4, Alexius I to Michael VIII,

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1081-1261, parts 1 and 2 (Dumbarton Oaks Research Library and Collection) Wahmgton DC 1999 22 χ 30. xii-736 p. et 54 pi

M Hendy a déjà donné un ouvrage très important (Coinage and Money in the Byzantine Empire 1081-1261, Washington DC 1969) et des études sur l'économie des Comnènes et des Anges (reprises dans The Economy, Fiscal Administration and Coinage, Northampton 1989) qui préparaient largement le catalogue II est intéressant de noter que 1204 ne constitue pas chez les numismates une césure aussi péremptoire que chez les autres historiens Cependant M Hendy considère qu'en 1203-1204 prend fin le dernier vrai monnayage impénal

L'ouvrage se présente avec les rubriques habituelles qui sont d'un grand intérêt même et surtout pour les non numismates L'introduction générale fournit le cadre économique M Hendy s'oppose au point de vue de Ρ Magdalino selon lequel les épiskepseis d'Asie Mineure étaient plus abondantes qu'il ne paraît d'après la Partitio Romanie et en conclut que le nombre de ces domaines étatiques était remarquablement petit en Anatolie S'il est sûr que la conquête turque de l'Asie Mineure centrale et orientale avait réduit les biens publics en Anatolie, on comprendrait mal pourquoi, dans la partie occidentale reprise par les Byzantins, les empereurs auraient mené une politique différente de celle choisie pour l'Europe La liste des épiskepseis montre clairement qu'ils visaient à dominer les meilleures terres de l'Empire En Asie Mineure, ils tenaient la vallée du Méandre, à cette date concédée aux Kamytzai et aux Kontostéphanoi L'autre grande région productrice, la Bithynie, est en partie absente, en raison de la rébellion de Lascans, mais en 1198 dans le traité entre Alexis III et les Vénitiens, plusieurs de ces vastes circonscriptions impénales sont attestées

L'auteur rappelle combien, selon lui, les réformes monétaires sont commandées par les besoins de l'État De fait, la réforme d'Alexis en 1092 est liée à une remise en ordre de l'administration, une fois la menace exténeure réduite Hendy reste fidèle à sa théone selon laquelle les besoins économiques des artisans et des marchands n'étaient pas un élé­ment déterminant de la politique monétaire des empereurs

Le monnayage des Comnènes est minutieusement décrit, de façon que les non spécia­listes puissent utiliser cet important chapitre Un long excursus est consacré aux imitations frappées par les Bulgares et les Latins En effet, une querelle sépare l'auteur de plusieurs autres spécialistes, dont D Metcalf, sur la nature de ces pièces qui apparaissent vers 1195 Sont-ce des imitations frappées par les souverains bulgares redevenus indépendants ou des monnaies dévaluées frappées par les Anges pour répondre aux besoins de l'armée engagée précisément contre les Bulgares 9

Les ateliers monétaires se multiplient À Constantinople, un second atelier aurait coexisté avec celui du Grand Palais, destiné à frapper le métal précieux venant peut-être du secteur pnvé La production de Thessalonique devient abondante dès le début du règne d'Alexis Comnène en liaison avec les guerres normandes L'atelier de Trébizonde a été en service tant que le thème de Chaldée a été coupé de la capitale Cuneusement, l'État séparé de Philarète Brachamios, qui s'étendait sur un terntoire plus vaste et plus nche, ne semble pas avoir eu besoin de frapper monnaie A partir de la fin du 12e siècle, la frappe des monnaies se décentralise au fur et à mesure de l'éclatement de l'Empire

M Hendy nous rappelle ensuite que, paradoxalement, une des meilleures descnptions du couronnement d'un empereur portant les regalia nous a été donnée par Robert de Clan, qui a assisté au couronnement de Baudouin de Flandre L'auteur identifie deux por­traits sculptés comme ceux d'Alexis Ier et de Jean II II présente ensuite les éléments du costume impénal

Le reste des deux volumes est consacré au catalogue des monnaies La diversité s'accroît après la mort de Manuel Comnène, lorsque apparaissent des usurpateurs qui osent frapper monnaie, puis quand l'Empire se divise en multiples entités après 1204 II faut admirer la science des numismates capables de distinguer tant d'émissions si proches dans leur appa­rence À propos de Mankaphas de Philadelphie, rappelons que son nom ne lui est pas propre, mais est hénté d'ancêtres attestés depuis le 1 Ie siècle Ses monnaies, qui ont été retrouvées loin de Philadelphie, notamment en Bulgane, ont été attribuées aussi à Théodore Branas, hypothèse peu vraisemblable, car Branas ne gouverna Andnnople que sous l'autonté de

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l'empereur latin, ou encore à Theodore-Pierre de Bulgarie Notons aussi que l'affirmation de Nicétas, selon laquelle Théodore Lascans appartenait à une famille de haute naissance, n'est pas contestable, car on connaît d'une part un premier Lascans dès le 1 Ie siècle et d'autre part un sceau où Théodore est sebaste et protovestiante avant son manage , enfin, sur son sceau de despote il ne s'appelle que Comnène, ce qui signifie que son père occupait déjà une position sociale suffisante pour être admis dans la famille impénale

Avec les volumes consacrés aux Paléologues, nous disposons d'un instrument de tra­vail vraiment remarquable sur les monnaies byzantines

Jean-Claude CHEYNET

Yizhar HIRSCHFELD, The Early Byzantine Monastery at Khu bet ed-Deir in the Judaean Desert The Excavations in 1981-1987, With contributions by R BARKAY, R BEN-ARIEH, R CALDERON, E COHEN, L D I SEGNI, L HABAS, R TALGAM (Qedem Monographs of the Institute of Archaeology, The Hebrew University of Jerusalem 38) — Institute of Archaeology, The Hebrew University of Jerusalem, Jérusalem 1999 28 χ 21. χιι-180 ρ , 4 planches couleur, plus de 200 photographies et figures noir et blanc

Plusieurs articles précédents avaient fait déjà connaître l'essentiel des résultats obtenus lors des fouilles menées à Kh ed-Deir entre 1981 et 1987 sous la direction de Y Hirschfeld II s'agit ici de la publication finale, qui récapitule l'ensemble sous une forme définitive et commode, tout en ajoutant certaines informations nouvelles Le livre est divisé en neuf chapitres d'importance inégale le premier, consacré à l'architecture (Y Hirschfeld, ρ 9-95), est le plus long, puis viennent les inscnptions (L Di Segni, p 97-105), les mosaïques (R Talgam, ρ 107-115), les fresques (R Ben-Aneh, ρ 133-134), la potene (R Calderon, ρ 135-147), les objets de verre (E Cohen, ρ 149-150), les mon naies (R Barkay, ρ 151-2) et une synthèse finale (ρ 153-176)

Situé dans une gorge du Nahal Arugot, à une trentaine de kilomètres au sud de Jérusalem et à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Caphar Bancha, le monastère de Kh ed-Deir est un bon exemple des cénobia construits sur les flancs souvent escarpés des vallées des oueds du désert de Juda Dès 1929, M Marcoff et D J Chitty avaient proposé de l'identifier avec le monastère dont Cyrille de Scythopolis (Vie de samı Sabas, chap 16) nous apprend qu'il avait été fondé par un disciple de Sabas, Sévénanos, avant 515 Après avoir hésité quelque temps, Y Hirschfeld se rallie, dans cette publica­tion, à cette identification voir en particulier ρ 156-157, The Identification of the Monastery Khırbet ed-Deir, de ce fait, est à resituer dans l'important mouvement du monachisme sabaite, récemment étudié par J Patnch (Sabas, Leader of Palestinian Monasiıcısm voir REB 56, 1998, ρ 327-328) Après un siècle et demi d'existence, vers 650, Kh ed-Deir semble avoir été abandonné par ses habitants Aucune trace de destruc­tion, en effet, n'est visible, et l'extrême rareté des objets retrouvés (monnaies, poterie ) rend vraisemblable aux yeux des auteurs l'hypothèse d'un départ ordonné Jamais réoc­cupé par la suite, ce monastère nous restitue donc l'aspect qu'avait un cénobion du desert au 6e et au 7e siècle

Si les chapitres sur les monnaies, le verre, à un moindre degré les marbres sont, par la force des choses, assez pauvres, les études consacrées aux mosaïques, aux inscriptions et surtout à l'architecture sont d'un grand intérêt On appréciera en particulier ce qui est dit des cuisines du monastère, avec le four à pain, et du système d'adduction et de conserva­tion de l'eau (aqueducs et citernes) Pour l'épigraphie, le chapitre rédigé par L Di Segni nous a paru intéressant, avec de bonnes explications pour les inscnptions qu'on trouve sur la table d'autel ou devant les tombes des moines Toutefois, ρ 101, pour l'inscription n° 4, la lecture π(ατέ)ρες, proposée par D Feıssel, nous paraît devoir être préférée à πρεσ(βύτεροι), retenue par L Di Segni on notera, sur la photo ρ 102, que, quand la fin d'un mot est coupé, le mosaïste emploie une marque d'abréviation (qu'il aurait peut-être fallu reprendre dans la transcnption)

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Dans l'ensemble, il s'agit d'un livre particulièrement clair, abondamment illustre, utile pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du monachisme protobyzantin

Bernard FLUSIN

Elizabeth KEY-FOWDEN, The Barbarian Plain Saint Sergius between Rome and han — The Transformation of the Classical Heritage XXVI, University of California Press, Berkeley & Los Angeles/London 1999 23 χ 15 xix-227 ρ , 3 maps, 16 black & white illustrations in text

Since the time of Franchi de' Cavalieri, little study of importance has been devoted to Sergius and his companion Bacchus There deserve to be mentioned only the tendentious pages allotted to them by James Boswell in his Same-Sex Unions in Pre-Modem Europe, New York 1994, and David Wood's article, "The Emperor Julian and the Passion of Sergius & Bacchus", Journal of Early Christian Studies 5, 1997, ρ 335-367

The present study has been quite differently conceived Exploiting her direct know­ledge of the territory through which the cult of the two saints, especially Sergius, spread and her familiarity with the source matenal, Synac and Arabic as well as Greek, Key Fowden has produced an exhaustive study which will surely stand the test of time

In her Introduction (p 1-5), the author explains that the Barbarian Plain was the term used in the Greek-speaking world to designate the Syrian steppe which spread out from Rusafa in the frontier zone between the late antique empires of Rome and Sassaman Iran It was inhabited by very diverse ethnic groups, most of whom were mobile At the time of Saints Sergius and Bacchus, divine defence went hand in hand with arms and walls Sergius with his relics was among the most revered of the saints invoked there for protec­tion, both by Christians and Moslems

Key Fowden's first chapter (p 7-44) presents the portrait of the two martyrs, as it emerges both m their joint Passio and their iconography The first literary evidence for their cult dates back to little earlier than 431, when Bishop Alexander of Hierapohs endo­wed their sanctuary within the walls of the fortress at Rusafa Their Passio, as it has come down to us, was composed in the "fermenting hagiographical environment of the fifth and sixth centunes when accounts of martyrs' tnals mutually inspired and reinforced each other" (p 17), thus long after the most likely date for their execution in 312, during the great persecution associated with Diocletian and his co-rulers There is a number of por­traits of them, none of which would have been executed earlier than the mid-sixth century Their particular attribute was the tore or maniakion which they wore round their neck Stnppmg them of this when they were cashiered is recounted in their Passio, a detail which hardly recurs in the Passions of other military martyrs Key Fowden accepts the essential authenticity of the Passio, unlike Delehaye and Woods Personally, I agree with her rather than with them

Next the author inserts a chapter devoted to the cult of saints in general m the Barbarian Plain, with particular reference to Mayperqat, now known as Silvan, to the north of the Tigris, a place of meeting for the Roman and Iranian empires, together with the Arabs and Armenians (p 45-59) She then returns to Rusafa (p 60-100) This extraor­dinary site, now isolated in sparsely occupied country, retains its rectangular form, into the defence of which Justinian I invested large sums of money It is being excavated by the German archaeologist Τ Ulbert and his associates Key Fowden provides a summary of their findings No one who has visited the site, as I have, can fail to be impressed by its dual purpose, a military outpost of the Byzantine Empire and a shrine We have many early testimonies of pilgrims who visited it, although once the surrounding territory had been taken over by conquenng Arabs, it became less easily accessible Nevertheless, the cult of Sergius continued, witness the remarkable find at Rusafa in 1982 of silver objects made during the twelfth or thirteenth century, some of which are of Western provenance (p 174-191)

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The peculiar function of Rusafa, at once the sanctuary of Saint Sergius and a military outpost, surely merited the kind of study which Key Fowden has devoted to it However, not the least meritorious part of this study is her investigation of the spread of the cult of Saint Sergius eastwards beyond Syna and Mesopotamia into the Iranian Empire Here she has been able to profit from the research of J M Fiey, while carrying it further

The author's meticulous attention to the terrain together with her prudent interpretation of the source material combine to make this an outstanding book

Christopher WALTER

Phôtemè Ch KOLOVOU, Μιχαήλ Χωνιάτης Συμβολή στή μελέτη του βίου και του έργου του. Το Corpus των επιστολών (Πονήματα Συμβολές στην έρευνα της ελληνικής και λατινικής γραμματείας 2) — 'Ακαδημία Αθηνών. Κέντρον 'Εκδόσεως "Εργων 'Ελλήνων Συγγραφέων, Athènes 1999. 2 4 x 1 7 . -314 .

L'œuvre du fameux métropolite d'Athènes est bien connue depuis les travaux de Sp Lampros et G Stadtmuller Ce brillant élève d'Eustathe de Thessalonique choisit la voie ecclésiastique à la différence de son frère cadet Nicétas tourné vers la haute fonction civile L'a redonne les éléments biographiques, dont la majeure partie est fournie par Michel lui-même II a été témoin, comme son frère, de la chute de l'Empire aux mains des Latins et a souffert de l'occupation étrangère qui l'a contraint à vivre en exil jusqu'à sa mort à un âge très avancé

Son œuvre conservée dans plusieurs manuscrits est largement éditée à l'exception de quelques catéchèses Les lettres constituent pour l'historien la source la plus précieuse Elles sont classées par destinataires, elles sont datées dans la mesure du possible et leur contenu est rapidement décrit, ce qui rend accessible des textes de haute qualité littéraire, mais peu aisés à comprendre Le réseau de correspondants apparaît nettement des ecclé­siastiques, patriarches, évêques de la partie occidentale de l'Empire, kathigoumènes, mais aussi de nombreux laïcs, ses parents et affins, souvent bien introduits dans la capitale et de nombreux hauts fonctionnaires auxquels le métropolite écrivait pour intercéder en faveur de sa ville La comparaison peut se faire avec le réseau de Théophylacte de Bulgarie, récemment analysé par M Mullett, dont l'a s'est inspiré en partie L'ouvrage se termine par une savante étude du style et de la langue de Michel Chômâtes

Ph. Kolovou est assurément plus littéraire qu'historienne, car elle accepte trop facile­ment l'image que veut donner Michel Chômâtes de sa province Le métropolite présente un tableau effrayant de l'Attique à la fin du 12e siècle les pirates demeurent un danger permanent, les percepteurs se montrent impitoyables et injustes, les habitants sont hantés par la misère II serait injuste de rejeter les mots du métropolite, car il ne fait pas de doute que le méga-duc Stryphnos fut indigne, que les percepteurs commirent bien des abus II ne faut pas oublier que le métropolite est un «lobbyiste» qui doit émouvoir le duc de la pro­vince ou les bureaux centraux S'il ne force pas le trait, il a peu de chance d'être entendu Si la situation économique de la province était à ce point désastreuse avant 1204, il serait inexplicable qu'elle ait pu devenir, quelques années plus tard, le siège d'un duché franc plutôt prospère

Jean-Claude CHEYNET

Otto KREŞTEN, „Staatsempfange" im Kaiserpalast von Konstantmopel um die Mitte des 10 Jahrhunderts. Beobachtungen zu Kapitel II15 des sogennanten „Zeremonienbuches" (Österreichische Akademie der Wissenschaften Philosophisch-historische Klasse. Sitzungsberichte, 670. Band). — Verlag der österreichischen Akademie der Wissenschaften, Vienne 2000. 24 χ 15 61p .

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Le chapitre 15 du De Ceriinonus est à la mode puisque, au moment où paraissait l'opuscule de O Kreşten, Zuckerman a fait paraître un article fondé sur le même texte dans le dernier volume des Travaux et mémoires (t 13, 2000, ρ 647-672) et intitulé «Le voyage d'Olga et la première ambassade espagnole à Constantinople en 946» Les conclu­sions de ces deux travaux sont divergentes

L'intérêt des historiens s'est porté depuis longtemps sur ce texte parce qu'il décrit la visite de la princesse russe Olga à Constantinople II s'est dégage deux points de contro­verse, celui de la date de la visite et celui de la date et du baptême de la princesse russe L'abondante bibliographie sur ces points est largement discutée dans les notes, ce qui explique que celles-ci tiennent plus de place dans l'ouvrage de Kreşten que ses propres réflexions Ce dernier admet la date de 946 proposée par G Litavnn et acceptée aussi par

Zuckerman II semble que de ce point de vue le dossier soit clos O Kreşten s'intéresse ensuite à l'ambassade de Tarse, qui se place sous l'autorité de

Γ αμέριμνης et qui a pour but l'échange traditionnel des pnsonniers de guerre Le com­mandeur des croyants n'est pas l'émir d'Egypte, maître de Tarse, mais le calife de Bagdad, aucun souverain de l'Egypte n'osant usurper ce titre avant la venue des Fatımıdes Cet échange est mentionné à la fois par les sources grecques (Théophane Continué) et par des sources arabes dont Mas'ûdï II se trouve que Théophane Continué affirme que le principal négociateur fut l'ancien domestique des Scholes, Jean Kourkouas, alors que Mas'ûdï ne connaît que le moine Jean, anthypatos, patnce et mystikos O Kreşten en conclut à une erreur de Théophane Continué II refuse, pour des raisons peu convaincantes, que les deux personnages aient négocié ensemble les accords avec les Tarsiotes, alors que d'une part les ambassadeurs byzantins se rendaient souvent par deux lors des négociations difficiles avec les Arabes [par ex , Jean Radènos et Michel Toxaras envoyés par Zôè en Syrie (Skyhtzès, éd Thum, ρ 202)] et que, d'autre part, l'expertise d'un ancien domestique des Scholes était indispensable pour connaître les prisonniers à réclamer et savoir comment négocier avec l'ennemi

Enfin, O Kreşten fait allusion à une autre réception d'ambassade dans le même cha­pitre II 15, celle des Arabes de Cordoue, qu'il cherche à dater, d'après la chronologie de l'ambassade de Liutprand de Crémone, en 947 Zuckerman a montré que tout le cha­pitre II 15 se rapporte à l'activité diplomatique de l'année 946 et que Liutprand est venu accompagné de Salomon, lui-même envoyé byzantin qui avait été reçu à la cour d'Otton Ier le 22 avril 949 II faut donc admettre qu'il s'agit de deux ambassades espa­gnoles distinctes

Jean-Claude CHEYNET

Andreas KULZER, Dısputatıones Graecae contra ludaeos. Untersuchungen zur byzantinischen Antıjudıschen Dialoghteratur und ihrem Judenbıld (Byzantinisches Archiv 18) — G. Teubner, Stuttgart und Leipzig 1999 25 χ 16,5. 400 p.

Ce volume, issu d'une thèse d'habilitation en philosophie de l'Université de Cologne, se présente comme une somme qui devrait fournir une base de départ aux études futures sur la littérature antijudaïque à Byzance Une courte préface (p 1-14) rappelle les fonde­ments de la controverse entre juifs et chrétiens et retrace sommairement Γ hi Stenographie de la question et les querelles qu'elle suscite aujourd'hui, chez les historiens cette fois, en insistant d'autre part sur la nécessaire prudence terminologique qui s'impose quand on manie des termes comme «antijudaisme» et «antisémitisme» Elle expose aussi la pers­pective de cette étude qui cherche à détecter les variations de la controverse à travers l'histoire Puis une Introduction générale beaucoup plus volumineuse (p 17-92) présente les sources de la polémique chrétienne dans l'antijudaisme antique et propose deux classe­ments des sources byzantines selon la fonction assignée au texte, d'après la proposition d'Amos von Hulen en 1932 (exposés de la foi chrétienne, controverses, réquisitoires), selon la forme adoptée par l'auteur (lettres, histoire, homélie, hymne, commentaire, pano­plie contre les hérésies, littérature juridique, récits de voyage, canons ecclésiastiques,

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témoignages, traités, Vies de saints) Elle analyse ensuite la notion de «dialogue» dans cette littérature des Advenus Judaeos byzantins L'auteur opère ainsi une distinction entre les dialogues des premiers temps, souvent anonymes, où l'adversaire est abstrait, et qui servent surtout de recueils d'informations et d'arguments, et les dialogues plus tardifs (à partir du "-0" s ), qui se présentent davantage comme des œuvres littéraires et non plus utilitaires

Après cette introduction générale, l'auteur fournit un tableau analytique des divers Adversus Judaeos, qui comporte 37 items, d'Anstôn de Pella à Théodoros Agailianos, en passant par Justin martyr et Anastasios le Sinaite, par les dialogues anonymes ou pseudo­nymes entre Timothée et Aquila ou entre Papiscus et Philon, par la Doctrina Jacobi et les Tropliées de Damas, ou les traités tardifs de Jean Cantacuzène et Scholanos Ce panorama est suivi d'une étude sur la langue des dialogues antijuifs Le contenu des dialogues est abordé, qu'il s'agisse du contexte historique, des thèmes théologiques (exégèse, chnstolo-gie, images, etc ), ou de thèmes non théologiques (récits sur Jésus de Nazareth, l'Antéchrist, la conversion des juifs, Jérusalem et Constantinople) Un excursus sur la lit­térature parallèle chez les Latins et les auteurs orientaux permet de situer les textes byzan­tins

Une bibliographie détaillée (éditions des dialogues, autres sources sur la question des controverses avec les juifs, littérature secondaire) et des index (dont une liste des manus­crits) achèvent de faire de ce volume un manuel très utile On pourra regretter que dans la bibliographie les éditions signalées ne soient pas toujours les plus récentes ainsi les réfé­rences sont souvent données aux Patrologies grecque ou latine ou à des éditions anciennes, alors que des éditions récentes existent dans le Corpus chnsuanorum (Anastasios le Sinaite), les Sources chrétiennes (Eusèbe de Cesaree) ou les Gregoru Nysseni Opera C'est peut-être la rançon d'une question aussi vaste Quoi qu'il en soit, ce volume sera indispensable pour les travaux ultérieurs sur les relations entre juifs et chré­tiens dans l'Empire byzantin

Mane-Hélène CONGOURDEAU

Abel H. A. Fernandez Lois, La Cristologia en los comentarios a Isaïas de Cirilo de Alejandria y Teodoreto de Ciro. — (Tesis doctoral en Teologia y Cıencıas Patrıstıcas), Pontificia Universitas Lateranensis Institutům Patnsti-cum Augustiniánům, Roma 1998 21 χ 15 429 p.

Le commentaire d'Isaie de Cynlle d'Alexandrie n'est accessible que dans l'édition de J-P Migne (PG 70, réimpression anastatique 1987), reprenant celle de J Aubert (Pans 1638) fondée sur deux manuscrits seulement (le Pansinus graecus 836, du 10e s , incom­plet, et le Vaticanus graecus 590, du 16e siècle) Celui de Théodoret de Cyr a eu plus de chance II a été réédité par J -N Guinot, qui a repns et complété l'édition cntique de A Mohle (Berlin 1932) dans les SC (trois volumes, 1980-1984) Les deux commentaires ont été étudiés — rarement — (p 1 et bibliographie, ρ 17), mais n'ont pas encore été comparés entre eux avant le présent travail

Un premier chapitre remet les deux œuvres dans leur contexte et signale au passage les autres commentaires d'Isaie des 4eet 5e siècles (Eusèbe de Cesaree, le Pseudo-Basile, Jean Chrysostome, et surtout Jérôme, ρ 55-72) Puis l'a en vient aux commentaires eux-mêmes Celui de Cynlle a été composé vers 428, avant le concile d'Éphèse (431), celui de Théodoret, plus de dix ans après le concile (en 441-447, ρ 50) Cynlle, héntier d'Athanase, s'inspire aussi de Jérôme, tandis que Théodoret reste fidèle à la tradition antiochienne, dominée par l'œuvre de Théodore de Mopsueste, «l'Interprète» Il semble difficile de supposer que Théodoret ait lu le commentaire de Cynlle (p 403) Les deux commentaires se préoccupent de théologie, mais se tiennent en dehors des controverses chnstologiques liées au concile d'Éphèse, l'un parce qu'il a été composé avant, l'autre parce qu'il l'a été assez longtemps après

L'objet pnncipal de tous les deux est d'étudier la nature et le sens des prophéties Cynlle y voit un cas pnvilégié du rapport entre les deux testaments, et il les aborde à la

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lumière des pnncipes herméneutiques traditionnels de «l'école d'Alexandrie» opposition entre sens littéral et sens allégonque, figure (τύπος) et venté (αλήθεια), monde visible et monde invisible Théodoret, dans la ligne de «l'école d'Antioche», s'intéresse d'abord aux données textuelles, qu'il confronte avec le grec et même avec l'hébreu (p 87) Il s'ef­force de bien comprendre le sens littéral et de montrer comment les prophéties se sont effectivement réalisées dans l'histoire, en utilisant les données historiques et «scienti­fiques» de son temps Mais l'opposition «Alexandne/Antioche» ne doit pas être durcie Tous deux se préoccupent de corriger leurs propres traditions (p 394) Cynlle ne s'en­ferme pas dans une allégonsation permanente et cherche lui aussi à montrer que les pro­phéties se sont réalisées dans le passé, et Théodoret de son côté ne néglige pas tout à fait le sens spirituel des Écritures II est évident pour l'un et l'autre, comme pour Eusèbe de Cesaree ou Jérôme, que les Prophètes ont bénéficié de «visions» qui leur ont permis de contempler, par les yeux de l'intelligence, les événements qu'ils annonçaient, et tout spé­cialement la manifestation du Monogène, ou du Sauveur, dans la chair (p 121-125)

C'est qu'en effet, les deux commentateurs sont d'accord pour considérer que l'objet pnncipal des Écntures est d'introduire au mystère du Chnst, ouvert à l'homme dans une «histoire du salut» Ils mettent en valeur deux grands titres messianiques, celui d'«Emmanuel», auquel ils rattachent l'incarnation du Verbe, et celui de «Serviteur», lié tout naturellement à la Passion et à la Résurrection L'a analyse les nombreuses images tirées d'Isaie, puis le vocabulaire technique dans lequel sont réexpnmées les considéra­tions tnnitaires et chnstologiques de l'époque, comme le mot πρόσωπον, parfois encore utilisé dans un sens traditionnel ancien (le Chnst, visage du Père p 260-261) On relève l'expression caracténstique έκ προσώπου τίνος, comme dans «ταύτα έκ προσώπου εψεται δεσπότου Χρίστου» (qu'il faudrait traduire, semble-t-il, par «cela est dit en tant que parole du Seigneur Chnst» cf M J Rondeau, Les commentaires patnstiques du Psautier, IIIe-Ve siècles, I et II, OCA 219 et 220, Rome, 1982 et 1985) Le dernier cha­pitre, consacré à la soténologie «dynamique» de nos commentateurs, revient sur le carac­tère temporel de «l'histoire du salut» Le «temps» commence à prendre du relief, avec sa division en trois pénodes, avant l'exil, après l'exil, occupation romaine (p 321) Tous deux, Théodoret surtout, se préoccupent d'événements historiques bien concrets, qu'ils tentent de retrouver dans le passé avec les moyens limités dont ils disposent — Le pre­mier destinataire des prophéties est le peuple d'Israel Mais il n'en tire que des châti­ments Vient ensuite l'Église, et c'est à elle de recueillir les biens divins (p 401) L'histoire cependant n'est pas achevée, et le monde reste en attente de l'accomplissement final (eschatologie)

Au terme de son étude, Lois conclut à l'existence d'un véntable «substrat théologique commun au premier Cynlle et au demier Théodoret» (p 403) Chez l'un et chez l'autre il y a eu évolution dans l'expression mais non dans le fonds de la pensée Celle de Théodoret en particulier ressort de cette confrontation libre de tout soupçon d'hérésie Les deux auteurs se présentent ici comme des pasteurs d'âmes soucieux de transmettre une foi authentique dans la ligne de Nicée et de Constantinople I (p 137 , 403-404) Moins doc­trinaires que leurs successeurs, ils se sont montrés capables de faire des concessions pro bono pacts et dans un espnt d'ouverture théologique (p. 403) Un événement comme l'Acte d'Union de 433, signé entre Cyrille et Jean d'Antioche, mais sans doute rédigé par Théodoret, parle éloquemment en faveur de cette vision des choses

Joseph WOLINSKI

Jan H. A. LOKIN et Roos MEUERING, Anatohus and the Excerpta Vaticana et Laurentiana. Edition and Commentary. — Chimaira, Groningue 1999 24,5 χ 19,5 xix-295 p.

Les deux éléments du titre correspondent à la double visée de l'ouvrage II réédite une compilation jundique qui figure, en annexe à la Paraphrase des Institutes de Théophile, dans deux manuscnts byzantins tardifs (Vatican, Pal gr 19 et Florence, Bibi Laur 80 6 désormais V et L) et qui avait été publiée en 1883 par Contardo Femni sous le nom d'Anecdota Laurentiana et Vaticana L'intérêt de cette compilation tient, avant tout, au

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fait qu'elle transmet, en dépit de corruptions manifestes, des passages de commentaires anciens de la compilation justinienne inconnus par ailleurs, notamment des fragments d'un abrégé grec (Summa) du Code justimen, dont l'auteur pourrait être Anatole, profes­seur de droit («antécesseur») à Beyrouth dans les années 530 et membre de la commission chargée de l'élaboration du Digeste

La nouvelle édition marque un progrès considérable par rapport à celle de Ferrini dont les deux auteurs montrent aisément qu'il avait travaillé vite et sans grand soin (p 1-2) Leur étude des manuscrits (p. 3-8) les amène à conclure que L dépend de V, ce qu'auto­rise la datation (première moitié du 14e siècle) désormais attribuée à V Les sources des différents fragments sont soigneusement identifiées (voir la récapitulation, ρ 82-84) Ces analyses permettent d'une part de définir plus précisément les trois composantes de la compilation tardive et leur structure (p. 8-18). la partie centrale (1-193) a pour source, à quelques exceptions près, un manuscrit ancien de la Summa d'Anatole, où les termes tech­niques étaient encore écrits en latin , les quatorze derniers textes (P 1-14) n'ont, eux, que partiellement à voir avec le Code, malgré leur titre (Παρεκβολαι έκ του Κωδικός) , les onze premiers (A-K), plus longs, dérivent de sources plus récentes, dont le Prochiron, et sont centrés sur le droit matnmonial Elles permettent d'autre part quelques réflexions sur les choix du compilateur tardif: le droit ecclésiastique et le droit administratif sont totale­ment absents ; les livres 9 et 4 du Code sont les mieux représentés II faut féliciter les deux auteurs d'avoir muni le texte édité d'une traduction, même si on y relève quelques imper­fections de détail έκβιβαστής est omis dans la traduction de VL 120, «excuse» paraît préférable à «compassion» pour συγγνώμη (VL 6), «édifier» à «found» pour κτίζω (VL 45), «c'est-à-dire» à «or» pour τουτέστι (VL 110), «règles de droit» à «laws» pour τα νόμιμα (VL 2), «d'âge accompli» à «of the legal age» pour τέλειος (VL 12, 15). Enfin, un tableau permettant de distinguer d'un simple coup d'oeil les passages de VL qui remontent à Anatole faciliterait la lecture de l'ouvrage.

La publication d'un texte de ce genre présentait une difficulté spécifique La visée ultime était de retrouver, à travers la compilation tardive, les textes plus anciens qui sont à sa source et, en particulier, la Summa du Code attnbuée à Anatole. Or le texte qui peut être établi à partir de V et de L est manifestement corrompu * certains fragments affirment le contraire de la constitution du Code qu'ils sont censés résumer (VL 47, 53) ; des termes techniques latins sont estropiés (VL 68). Il est exclu d'imputer des erreurs aussi grossières à un juriste de la réputation d'Anatole. Mais corriger le texte de VL aurait été hasardeux il n'y a pas de limites claires à une telle entreprise, inévitablement entachée de subjecti­vité. Les deux auteurs ont donc choisi d'éditer la compilation tardive, qu'ils proposent d'appeler Excerpta Vaticana et Laurentiana pour tenir compte de la hiérarchie des manus­crits, et non les textes plus anciens qui sont à sa base, ceux d'Anatole notamment. En conséquence, ils conservent des mots bizarres issus du latin (VL 68) ou des énoncés qui sont assurément déformés par rapport à la Summa d'Anatole ou aux autres sources anciennes, mais dont le sens est acceptable (VL 47, 50, 53, 109, 111, 122, 128, 135, 136, A 1. 4). Les corrections se limitent, en principe, aux cas où la leçon de VL apparaît absurde (VL 66, 133) ou à des fautes manifestes du point de vue paléographique (VL 1, 153, 187, P 5). Toute difficulté et toute hésitation ne sont pas éliminées pour autant ainsi, p. 48 (VL 44, 1. 12), le κάντεΰθεν des deux manuscrits est remplacé, contrairement à ce qui est indiqué p. 2, par κάνταΰθα qui figure dans le texte parallèle conservé par les Basiliques, p. 36-37 (VL H, 1. 1), πράξει est corrigé en πράσει dans l'édition, mais non dans la traduction.

Les deux auteurs sont parfaitement conscients que l'intérêt principal de la compilation tient à ce qu'elle peut révéler de la littérature juridique protobyzantine et, au premier chef, de la Summa d'Anatole. La deuxième partie du livre (p. 87-122), due à R. Meijenng, vise à rétablir, dans leur état originel, les fragments de la Summa et des autres sources anciennes utilisées dans la compilation tardive. Pour ce faire, le texte de VL y est confronté aux passages correspondants des compilations justiniennes et à la littérature juridique qui en est issue (texte et scholies des Basiliques, Paraphrase des Institutes de Théophile, Eisagogè, Prochiron, Epitome legum.. ). Quant à la troisième partie, elle aussi de la plume de R. Meijenng, elle prend pour base les fragments de la Summa reconstitués à partir de VL, mais aussi d'autres fragments précédemment connus, en particulier les

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passages du texte des Basiliques qui remontent à cette Summa (pour le livre 8 du Code) Elle s'intéresse aux procédés mis en œuvre par Anatole pour traduire et adapter le Code justinien R M souligne qu'il n'y a aucune preuve, d'après les textes transmis, qu'Anatole ait eu à sa disposition un texte du Code meilleur que le nôtre, ou comportant des erreurs spécifiques, ou simplement différent Pour caractériser la méthode d'Anatole, elle compare, selon de multiples points de vue, les passages de sa Summa conservés par VL aux constitutions (majoritairement latines) originales ainsi qu'aux autres commen­taires grecs contemporains (ceux de Thalélée, Isidore et Théodore en particulier) Elle analyse ainsi avec une extrême minutie les changements de contenu et les transformations formelles entre les constitutions du Code et la Summa S'agissant du contenu, on relève une seule adaptation certaine des règles du Code à la législation postérieure (VL 126 tient compte de la Novelle 18 de 536) Les innombrables omissions, simplifications et diffé­rences formelles s'expliquent par la nécessité d'abréger les notations «personnalisées» des resents disparaissent, les énoncés deviennent plus abstraits, les formules mtroductives et les considérations moralisantes des constitutions générales sont supprimées Mais les caracténstiques formelles ou stylistiques ainsi mises au jour ne permettent pas d'attnbuer à Anatole des fragments anonymes d'une version grecque du Code

Le livre prend enfin position sur quelques problèmes généraux concernant Anatole et son œuvre Ainsi, sur le genre exact de son adaptation grecque du Code, qualifiée ordinai­rement de Summa (ρ 265-267) Et sur les hésitations à admettre qu'un professeur de droit ait rédigé un ouvrage apparemment destiné à la pratique jundique et non à l'enseigne­ment, ce qui a amené tant E Zachana que N van der Wal à supposer l'existence de deux Anatole, l'antécesseur et l'auteur de la Summa les auteurs entiquent les arguments avancés à l'appui de cette hypothèse et concluent que l'antécesseur Anatole a rédigé son abrégé peu après 536 (p 24-30)

Joëlle BEAUCAMP

Ruth J MACRIDES, Kinship and Justice in Byzantium, llth-15th Centuries — Ashgate (Vanorum Collected Studies Series), Aldershot 1999 23 χ 15,5.

vin-320 ρ

Ce recueil rassemble douze articles, publiés entre 1984 et 2000, qui explorent, dans une perspective anthropologique ou sociologique, avec aussi un intérêt particulier pour les phénomènes culturels, la constitution de la parenté et le fonctionnement de la justice dans le monde byzantin tardif

Les trois premières études («The Byzantine Godfather», «Kinship by Arrangement The Case of Adoption», «Substitute Parents and their Children in Byzantium») sont consacrées à la «pseudo-parenté» — celle qui, selon les Byzantins, ne résulte pas de la nature (physeï), mais d'une «convention» (thesei) — et notamment à deux de ses formes l'adoption et le rapport parrain-filleul créé par le baptême Le langage des sources ne per­met pas toujours de les distinguer, car, à cette époque, l'adoption emprunte au baptême tous deux sont traités (dans la législation de Léon VI, par exemple) comme des filiations spirituelles, établies par un nte ecclésiastique et entraînant des interdits matnmoniaux Par ailleurs, les parrains jouent parfois un rôle similaire à celui de certains parents adoptifs, en élevant les enfants quand les parents naturels font défaut ou en fournissant une dot On observe, néanmoins, d'importantes différences dans l'extension sociale et le fonctionne­ment des deux institutions À Byzance, contrairement à l'Occident médiéval, l'adoption survit comme stratégie successorale Mais les formules notanales des 13e-15e siècles mon­trent deux types d'adoption l'un fait de l'adopté un membre à part entière de la famille et lui donne des droits successoraux , l'autre s'apparente à au fosterage Le reste des sources confirme qu'il y a des adoptions chantables, à côté d'autres qui visent à créer un héntier L'importance relative des deux catégones d'adoption est difficile à saisir, d'autant que les sources ne les distinguent pas toujours clairement, mais il se pourrait que les adoptions «plénières» aient été limitées aux élites de l'Empire, ce qui atténuerait le contraste entre Byzance et l'Occident Les liens créés par le baptême concernent, eux, l'ensemble de la

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société Et, à travers le baptisé, ce sont, cette fois, deux familles qui s'associent le com-pérage (synlekma) compte au moins autant que la relation entre parrain et filleul, souvent, de fait, tous les enfants d'un couple ont un même parrain Cet apparentement, qui s'ac­compagne de toute une sociabilité (familiarité, y compris entre sexes différents, échange de cadeaux), apparaît ainsi comme le lien social le plus important formé à l'exténeur de la famille Toutefois, même si les sources mentionnent surtout des parrains étrangers au groupe familial (et souvent d'un niveau social supérieur), la part de la famille de naissance n'était peut-être pas négligeable

Deux articles prolongent ces recherches sur la parenté et la famille L'un («Dynastie Marn ages and Political Kinship»), qui fait une typologie de ces alliances et rappelle les jugements de valeur portés par les Byzantins, souligne que les dons octroyés à cette occa­sion par le pouvoir byzantin (titres, argent, objets de luxe) sont identiques à ceux qui accompagnent la création des autres liens de parenté L'autre («Dowry and Inheritance in the Late Period Some Cases from the Patriarcal Register») met en relief quelques faits sociaux, malgré le caractère fragmentaire des données les hommes sont en position de force sur le marché matrimonial, les aînés (filles ou fils) sont dotes au détnment de l'héri­tage des cadets , les justiciables considèrent, malgré des décisions judiciaires contraires, que les frères et sœurs déjà dotés n'ont pas droit à l'héritage restant Les remarques termi­nologiques (sur proïkanadochos et exôproikos notamment) peuvent désormais être com­plétées par E Sp PAPAGIANNE, Ή νομολογία των εκκλησιαστικών δικαστηρίων της βυζαντινής καί μεταβυζαντινής περιόδου σέ θέματα περιουσιακού δικαίου, II, Athènes-Komotènè 1997, ρ 61-63, et par A E LAIOU, «Marriage Prohibitions, Marriage Strategies and the Dowry in Thirteenth-Century Byzantium», dans La transmission du patrimoine Byzance et l'aire méditerranéenne, i Beaucamp et G Dagron (éd ), Paris 1998, ρ 151-157

Un deuxième thème de recherche concerne le fonctionnement de la justice, notamment criminelle La pièce maîtresse est l'édition critique, la traduction et le commentaire de quatre Novelles de Manuel Ier («Justice and Manuel I Komnenos Four Novels on Court Business and Murder») l'une, de 1158, qui pnve d'effet les resents contraires à la loi a sans doute pour origine les chrysobulles de l'empereur en faveur des monastères, mais ne vise pas qu'eux , les deux suivantes, de mars 1166, ont pour objectif déclaré d'accélérer les procédures, en réglementant l'organisation des tribunaux, le déroulement des procès et leurs délais et en précisant les journées et demi-journées chômées, la dernière, d'avril 1166, cherche à remédier aux abus auxquels a donné heu le droit d'asile à la suite d'une loi de Constantin VII sur les meurtriers réfugiés à Sainte-Sophie Si, sur certains points, il y a des changements législatifs, bien des mesures pnses répètent le droit anténeur, sans toujours se référer à lui, parfois aussi, l'ampleur des changements est difficile à apprécier «The Competent Court» développe un aspect particulier de l'organisation des tnbunaux au 12e siècle, en confrontant le droit savant de VEcloga Basüıcorum (qui conserve la ter­minologie et les preemptions du droit romain) et les données fournies par d'autres sources comme la Peira ou Balsamon le problème de la compétence des tnbunaux pré­occupe vivement les autontés, tant civiles qu'ecclésiastiques, manifestement, les tribu­naux spéciaux sont alors florissants et les conflits de jundiction fréquents, dans l'Église comme dans l'État Dans «Killing, Asylum and the Law in Byzantium», la-question du meurtre et du droit d'asile est réabordée sous deux angles nouveaux Le premier a trait aux rapports entre le pouvoir impénal, qui cherche à punir les meurtriers, et l'Église, qui veut sauver leur âme L'autre perspective est sociologique les cas d'homicides rapportés par Chômatianos et Apokaukos font apparaître surtout des violences exercées par des dépendants au profit de leurs maîtres, pour ces meurtners involontaires comme pour les faibles, que les autontés civiles accusaient plus facilement que les puissants, l'Église représentait un recours. Une édition de texte, avec traduction et commentaire, clôt le thème de la justice cnminelle II s'agit d'un poème jusque-là inédit, qui relate un fait divers sensationnel de cannibalisme et de meurtre, venu en jugement devant un tnbunal de la Grande Église son président, le prôtekdikos, a rédigé cette pièce de 165 vers en guise de sèmetôma Les données vénfiables sont explorées et une analyse littéraire très fine per­met de montrer que la forme (extraordinaire) du texte est dictée par le caractère inouï du contenu. la lamentation est le genre le plus approprié pour exposer une telle tragédie

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Le problème de la Rechtsfindung, déjà très présent dans plusieurs des articles précé­dents (V, X, XI), prend une place plus marquée dans les trois derniers «Nomos and Kanon on Paper and in Court», où les méthodes de raisonnement de Zonaras et de Balsamon sont confrontées, conclut à la flexibilité du commentaire et de l'argumentation de ce demier La comparaison entre les deux canonistes est poursuivie dans «Perception of the Past in the Twelfth-Century Canonists», qui montre l'utilisation différente du passé dans leur argumentation juridique (on relève que Balsamon, pour justifier le caractère sacerdotal de la fonction impénale, se réfère à Flavius Josephe, qui cite une titulature qua­lifiant l'empereur Claude de «grand pontife») Enfin, «Bad Histonan or Good Lawyer9

Demetnos Chomatenos and Novel 131» analyse le raisonnement de Chômatianos, dans son débat avec le patriarche Germanos sur l'onction impénale si les textes jundiques y jouent un grand rôle, ils ne sont pas le seul argument et ils sont «manipulés» Il est donc dangereux de se fier à une source simplement parce qu'elle cite des lois

Le regroupement de ces études est bienvenu Mais la règle de la collection (reproduire les textes à l'identique) entraîne un inconvénient les abréviations bibliographiques des publications originelles peuvent faire défaut (ainsi dans l'article IX)

Joëlle BEAUCAMP

Cyril MANGO, Roger SCOTT, Geoffrey GREATREX, The Chronicle of Theophanes Confessor Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 Translated with Introduction and Commentary by Cyril MANGO and Roger SCOTT with the assistance of Geoffrey GREATREX — Clarendon Press, Oxford 1997 24 χ 16 , relié, c-744 p.

Cet ouvrage offre la traduction en anglais, depuis longtemps attendue, de la Chronique de Théophane le Confesseur (t 818) La Chronique de Théophane, comme tous les Byzantmistes le savent, va de 284/285 à 813, se présente comme la continuation de Georges le syncelle (de la création du monde jusqu'à l'accession de Dioclétien au pou­voir), et est une source majeure pour l'histoire de l'empire byzantin, mais aussi pour celui du proche Onent après la conquête arabe Si la première époque (284/285-602) présente des recoupements avec d'autres sources, en revanche, la seconde (602-813) est de pre­mière importance, puisque les œuvres employées ont actuellement disparu

À considérer l'intérêt de l'œuvre, on attendait avec impatience la traduction et le com­mentaire, d'autant plus que la dernière édition donnée, celle de de Boor (Leipzig), date de 1883 Mais on comprend aisément les difficultés que devaient affronter les traducteurs de cette œuvre En fait, comment traduire un texte quand les leçons choisies par le dernier éditeur ne sont parfois pas les meilleures, et qu'une édition cntique devait pratiquement se faire à nouveaux frais 7 Comment procéder avec les sources et les textes parallèles fal-lait-il en donner un inventaire aussi exhaustif que possible (et, dans ce cas, les citer en bas de page, sous forme d'apparat des sources) ou en présenter un aperçu plus sommaire 9 En plus, les publications dans lesquelles les données de la Chronique se trouvent citées, com­mentées ou réfutées étant en nombre particulièrement important, fallait-il favonser le commentaire ou, au contraire, donner une traduction commentée de façon sommaire 9

Face à ces problèmes, les traducteurs ont voulu traiter leur traduction comme une sone de «édition cntique [en anglais]», c'est-à-dire en tant que texte reproduisant en anglais l'ori­ginal grec qu'ils trouvaient être le meilleur, muni d'un apparat des sources Dans celui-ci, les traducteurs ont pns la décision (voir «Preface», ρ ν) de déterminer, aussi attentive­ment que possible, parmi les sources dont disposait Théophane, celles qu'il a effective­ment employées Quant à la bibliographie, ils n'ont retenu que celle qu'ils ont jugée direc­tement liée à l'établissement du texte

Dans l'introduction, les auteurs ont essayé de résoudre les problèmes que pose la Chronique Tout d'abord («I George Synkellos and Theophanes», p. XLIII-UI), un aperçu biographique sur Georges le syncelle permet d'évaluer les rapports qui unissent cette source à Théophane Puis («II The Chronicle and its Authorship», p UI-LXIH), les auteurs développent les particulantés histonques et philologiques que présente la Chronique Ils

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insistent sur le fait que, dans la tradition grecque antérieure à Théophane, il n'y avait pas d'oeuvre qui aurait pu lui servir de modèle. Ainsi, ils attribuent l'influence qu'il a subie à des sources syro-palestiniennes. Un aperçu («III. Chronology», p. LXHI-LXXIV) sur les sys­tèmes de chronologie adoptés par Théophane aide le lecteur à se situer dans un monde où le temps n'était pas compté toujours de la même façon. L'étude des sources de Théophane («IV. Sources», p. LXXIV-XCV) permet de préciser les œuvres qu'il employa et de les diffé­rencier des œuvres contemporaines. Enfin, de brèves indications sont données sur la trans­mission de la Chronique («V. Textual Transmission», p. ѵ- ѵ ) et sur sa langue («VI. Language», p. ѵ - ).

La traduction donnée est littérale et fidèle au texte grec. Les passages difficiles, notam­ment ceux qui ont déjà suscité des remarques dans la bibliographie, sont interprétés dans des notes données en fin de texte. Ainsi, par exemple, lorsque Alexandre, le mandataire de Phocas, auprès des Vénétoi, met la main sur le dèmarchos de ces derniers en les insultant, ceux-ci le repoussent en lui rappelant que Maurice n'est pas encore décédé : «ϋπαγε· μάθε την κατάστασιν, ό Μαυρίκιος ουκ άπέθανεν» (éd. DE BOOR, p. 289,1. 29-30) et la traduc­tion est: «Go away and learn the protocol. Maurice is not dead» (trad., p. 414, I. 3-4). Pour la traduction de κατάστασιν par protocol, l'auteur s'explique (p. 418 n. 54) en don­nant les autres interpretations proposées. Celle qui a été faite par M. et M. Whitby («posi­tion») ne traduit-elle mieux le contexte ?

Cet ouvrage, sans avoir résolu toutes les énigmes que pose la Chronique de Théophane, en donne, cependant, l'aperçu le plus complet.

Michel CACOUROS

Helene METREVELI (Éd.), Sancii Gregorii Nazianzeni Opera. Versio iberica I : Orationes I, XLV, XLIV, XLI, éd. par H. METREVELI et K. BEZARACHVILI, T. KouRTSiKiDZE, N. MELIKICHVILI, T. OTHKHMEZOURI, M. RAPHAVA, M. CHANIDZE, avec une introd. de H. METREVELI et E. TCHELIDZE (Corpus Christianorum, Series Graeca 36; Corpus Nazianzenum 5). — Brepols, Turnhout-Leuven 1998. 25 χ 15. XL-295 p.

Cette publication s'inscrit dans le cadre du projet international d'édition des œuvres de Grégoire de Nazianze, en grec et dans les différentes langues orientales (copte, syriaque, arménien, géorgien, arabe, slave et éthiopien). Elle représente le premier volume de la série géorgienne. Grégoire a fait l'objet d'un réel intérêt dans cette langue, puisqu'on ne distingue pas moins de cinq traductions partielles : une traduction anonyme, qui apparaît dans les anciens recueils liturgiques appelés mravalt'avi, deux traductions très partielles dues à Grégoire d'Orchki et David Tbeli, et les traductions les plus célèbres, celles d'Euthyme PHagiorite (actif à l'Athos) et Éphrem Mtsiré (actif au Mont Admirable, près d'Antioche). A l'exception de Grégoire d'Orchki qui traduit à partir de l'arménien, tous ont travaillé sur des exemplaires grecs. Une brève et dense introduction (p. v-xix) retrace les différentes étapes de ces mouvemeHts de traduction des 10e-1 Ie s. et indique comment se sont formés les recueils contenant les Orationes du Nazianzène.

Partant des XVI Discours liturgiques de Grégoire, les auteurs du programme géorgien donnent ici les versions d'Euthyme et d'Éphrem pour quatre discours de cette série (Or. 1, 45, 44 et 41), selon l'acolouthie du ms. de Tbilisi A - l , contenant la version d'Euthyme. La disposition en vis-à-vis des deux traductions et les subdivisions introduites à l'intérieur du texte faciliteront le travail de comparaison des spécialistes. On lit également une nou­velle édition de la lettre d'Éphrem Mtsiré à K'wiriké d'Alexandrie (c'est-à-dire Alexandrette), suivie d'une traduction française, lettre dans laquelle Éphrem précise ses principes de traduction et justifie la nécessité de traduire à nouveaux frais des textes qui avaient déjà été traduits avant lui, notamment par Euthyme.

Paul GÉHIN

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BIBLIOGRAPHIE 289

François NEYT, Paula DE ANGELIS-NOAH (Éd.), L. REGNAULT (Trad.), Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, vol. II Aux cénobites, t. I (Lettres 224 -398), Introduction, texte critique et notes par François NEYT et Paula DE ANGELIS-NOAH, Traduction par L. REGNAULT (SC 450). — Les Éditions du Cerf, Paris 2000. 19, 5 χ 12, 5. 461 p.

Les consultations données au début du 6e siècle dans la région de Gaza par Barsanuphe et Jean le Prophète ont été classées par types de correspondants. À la question posée à l'un ou l'autre des deux grands spirituels (le Grand Vieillard et l'Autre Vieillard) succède la réponse que celui-ci dicte depuis sa cellule de reclus ; les correspondants restent habituel­lement anonymes. La première section (Lettres 1-223), comprenant surtout des réponses adressées à des solitaires, a été éditée en 1997 (SC 426 et 427 ; voir compte rendu REB 57, 1999, p. 296). Ce nouveau volume engage l'édition de la deuxième section, de loin la plus volumineuse, formée d'échanges avec des moines vivant en communauté (Lettres 224-616). Alors que l'Introduction du volume porte sur la totalité de la section, le tome, pour des raisons matérielles, ne contient que la première moitié de la section, les Lettres 224-398.

Un des intérêts de cette portion est de livrer un bloc important de lettres (L. 252-336) adressées à un moine qu'on identifie avec Dorothée de Gaza, le futur auteur des Instructions. Ces lettres permettent ainsi de suivre la carrière du jeune moine, depuis son noviciat jusqu'à ses premières fonctions à l'intérieur du monastère de l'abbé Séridos, où il est chargé d'abord de la porterie, ensuite de l'infirmerie, et elles illustrent sa personnalité scrupuleuse et inquiète (voir les premières lettres qui indiquent sa difficulté à renoncer à tous ses biens, les lettres 255-258 où il confesse des penchants homosexuels, la lettre 327 où il demande s'il doit aussi lire les traités de médecine, pour exercer correctement sa charge). Des lettres adressées à d'autres consultants on retiendra par exemple les suivantes : L. 228 adressée à un moine ayant des difficultés avec la langue grecque qui n'est pas sa langue maternelle (la note 2 de la p. 151 est d'une banalité déconcertante en regard du problème posé par le bilinguisme dans cette partie de l'Empire), L. 241 relative à l'office liturgique du diacre (la note 2 de la p. 188 confond deux rites liturgiques diffé­rents ; pour l'interprétation symbolique du περισκέλιον donnée aux lignes 39-40 on pour­rait peut-être renvoyer à une exégèse similaire donnée par Évagre en Kephalaia Gnostica IV, 72), L. 248 adressée à un moine qui a été détaché au service d'un Ancien et qui, en l'absence de repères communautaires, se trouve totalement désorienté, ou encore L. 326 évoquant divers vêtements portés par les moines.

Le texte grec est dans l'ensemble d'une bonne correction (il y a très peu de coquilles ; signalons un malencontreux κοσμοΰ en 348, 4). Une des difficultés consiste à apprécier la part de vulgarismes admissible. Il faudrait aussi vérifier sur les manuscrits si les pronoms réfléchis αύτον) et αυτών (très fréquents dans cette édition) sont vraiment attestés ou s'ils viennent d'une réaction de puriste. En 226, 72, il semble nécessaire d'ajouter les mots την καρδίαν après θέρμανον. En 256, 28 le verbe ύττομειδιδ («il sourit doucement») est inso­lite dans le contexte ; la leçon remonte peut-être à une transiittération fautive : les verbes ύποδειλια ou άττοδειλιδ seraient en effet plus indiqués. La traduction laisse en revanche beaucoup à désirer. Cela vient de ce qu'elle est pour l'essentiel la reprise d'une traduction ancienne, celle de Dom Regnault, parue à Solesmes en 1971. Dans plusieurs cas, l'adapta­tion au nouveau texte retenu n'a pas été faite : par ex. en 277, 30 Vaquez et voyez (les mots grecs καί γνώτε sont rejetés dans l'apparat) ; en 287, 1 (où c'est νομίσω rejeté dans l'apparat qui est traduit à la place de ονομάσω), 6-7 (où on a une double négation μήτε ... μήτε indiquant les deux écueils à éviter, alors que la traduction suppose le texte de l'édi­tion de Volos qui omet la première négation) et 10 (où ce sont les infinitifs de l'apparat qui sont traduits). D'une manière générale, cette traduction manque de constance dans la façon de rendre les mêmes mots, et en particulier les notions monastiques fondamentales (voir les diverses traductions adoptées pour rendre ce fameux άψήφιστον : 259, 39 ; 271, 10 ; 272, 2, 4 ; 278, 9, etc.). Cette pratique de la variatio en vient à masquer les liens qui unissent la réponse à la question. Au fil de la plume, corrigeons quelques inexactitudes : 225, 23 si tu n'es pas tenté de rendre vaines mes paroles, au lieu de : si tu ne t'escrimes pas ; 227, 29 invite à sa table le Christ le Roi céleste, au lieu de : mange le Christ, Roi

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céleste , 229, 31-32 l'espérance qui ne déçoit pas, au heu de qui n'est jamais confondue , 236, 38-39 qui rafraîchit la tête, au heu de qui releve, 241, 35 soit que tu te tiennes auprès des saints mystères, au heu de auprès du saint sacrement, 256, 47 qui cause la perte des âmes, au lieu de qui dissipe les âmes, 258, 11 il te procure, au heu de il te suggère, 270, 5 qui se force même à se surpasser, au heu de qui se jorce elle-même et surpasse ses mesures , 314, 13-14 tant que l'homme ne s'est pas rachete lui même, au heu de ne s'est pas acquis, 330, 5 à cause des distractions du dehors, au heu de a cause de l'excitation extérieure, 362, 6 // doit revenir sur sa faute, au heu de reparer sa faute

Barsanuphe et Jean s'expriment sous la double autorité de l'Écriture et des Pères qui les ont précédés Une grande partie de l'Introduction de ce volume est d'ailleurs consacrée aux sources patnstiques de la correspondance (cette partie de l'Introduction valant pour l'ensemble de la correspondance, et non pour la seule section 2) Quelques citations ou allusions scnpturaires peuvent être aisément ajoutées 229, 23 cf 3 Rois 2, 37, 266, 19 cf Galates 6, 9 , 239, 35 Proverbes 24, 15 Dans la Lettre 166, 12-15, on ht ceci Et si tu veux savoir à qui tu as affaire, à un ennemi ou à un ami, lance une prière et interroge-le «Es-tu nôtre ou des ennemis 7», et il te dira la vérité Les éditeurs (Intr , ρ 101) y voient une réminiscence de l'apophtegme Nau 99, l'allusion est moins assurée, une fois qu'on a identifié l'interrogation «Es-tu nôtre ou des ennemis'*» comme une citation de Josué 5, 13 Cette citation intervient aussi dans le même contexte, celui de l'examen des pensées, chez Évagre «Sois le portier de ton cœur et ne laisse entrer aucune pensée sans l'interro­ger Interroge chacune des pensées et dis-leur Es-tu des nôtres ou de nos adversaires 9» (Lettre 11) Dans la Lettre 69, 28-32, Barsanuphe cite un apophtegme qui n'est attesté ailleurs que dans les Patèrica éthiopiens Les trois formules proposées apparaissent cependant fréquemment dans la littérature apophtegmatique, en particulier la dernière το £χειν εαυτόν ύποκάτω πάσης κτίσεως Jean Colobos 34 , Macaire, collection systé­matique I, 16 , variantes dans les apophtegmes Poemen 97 et Sisoès 13

On soulignera encore une fois tout l'intérêt de cette correspondance, et aussi sa spécifi­cité Les questions nous plongent en effet au cœur de la psychologie des moines, et le type de direction spirituelle qui nous est présenté n'est pas banal, puisqu'il est bicéphale et qu'il ne s'exerce pas à visage découvert

Paul GEHIN

Nikolaos OIKONOMIDES (Éd.) Studies in Byzantine Sialography vol 6. — Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington DC 1999. 23 x 15. ix-219 p.

Ce nouveau volume contient la plus grande partie des contributions du symposion de Preslav (septembre 1997) (les trois premières étant parues dans le vol 5) et les deux rubriques habituelles sur les ventes aux enchères et la bibliographie parue depuis les cinq dernières années J -Cl Cheynet, Un aspect du ravitaillement de Constantinople aux Xe/XIe siècles d'après quelques sceaux d'hôrreianoi, ρ 1-26 W Seibt, Siegel als Quelle fur Slawenarchonten m Griechenland, p 27-36 N Oikonomides, On Sigillographie Epigraphy, p 37-42 Valentina S Šandrovskaja, Das Siegel eines χαλκοπράτης aus Sudak, p 43-46 Elena Stepanova, New Seals from Soudak, ρ 47-58 Ch G Chotzakoglou, Byzantinische Bleısıegel aus Ungarn, ρ 59-70

Le reste du volume est consacré aux sceaux vendus aux enchères et aux sceaux parus dans des articles parfois difficiles à obtenir (p 71-159), les informations étant rendues accessibles par un index très complet (p 161-219) Les sceaux vendus aux enchères dispa­raissent dans les collections pnvées Jusqu'ici, les plus beaux étaient en partie achetés par M L Zarnitz, mais cette dernière semble avoir cessé son activité, puisqu'elle a vendu sa collection au musée numismatique de Munich L'intérêt de la liste fournie par les SBS en sera renforcée Pour donner une idée de la richesse des pièces proposées, j 'ai sélectionné les principaux sceaux inédits qui apportent des informations nouvelles sur l'armée et ses

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BIBLIOGRAPHIE 291

officiers. On rencontre un Jean, protospathaire et stratège de Mésopotamie à la fin du 8e siècle (p. 158), ce qui relance la discussion sur ce thème à si haute époque, un Basile Mélias, protospathaire et stratège (p. 157), un Panthèrios, protospathaire et stratège du Lykandos (10e s., p. 153), très probablement un membre de la famille Sklèros, sceau qui constituerait un nouveau témoignage des liens qui unissaient les Sklèroi aux Arméniens. On note aussi le plomb de Romain Styppiôtès, patrice, anthypatos et stratège (11e s., p. 152), Georges protospathaire et stratège des Cibyrrhéotes (11e s., p. 144), Jean Triphyllios, hypatos et stratège (1 Ie s., p. 121). Des officiers étrangers sont cités pour la première fois, tels Zacharie le Franc, vestarque et stratège de Séleucie (11e s., p. 141), dont l'existence témoigne de l'ampleur du recrutement franc dans la seconde moitié du siècle, ou celui de Aplèsirtès, patrice et stratège (1 Ie s., p. 141) et du patrice Léon, fils de Christodoulos Andrabazès (1 Ie s., p. 133). Certaines étapes de la carrière de personnages fort connus sont précisées. Nicéphore Mélissène, beau-frère d'Alexis Coirmene, fut un temps juge et duc de Chypre (1 Ie s., p. 151), Nicéphore Botaneiatès, le futur empereur, obtint le poste de duc de 1 Opsikion (1 Ie s., p. 129), le sceau confirmant au passage que le thème de l'Opsikion, dans la seconde moitié du 1 Ie siècle, avait perdu son statut particu­lier et, comme les autres thèmes, était protégé désormais par un tagma commandé par un duc. Ces exemples qui ne portent que sur les fonctions militaires suffisent à montrer la richesse de cette rubrique des SBS.

Après le décès de leur éditeur, il faut espérer que les SBS continueront à être publiés, car leur apport est irremplaçable pour les byzantinistes.

Jean-Claude CHEYNET

Stelios PAPADOPOULOS & Chrysoula KAPIOLDASSI-SOTEROPOULOU (Éd.), Icons of the Holy Monastery of Pantokrator. — Mount Athos 1998. 33 χ 22,4. 375 p., illustrations in colour in the text.

This volume is part of a project, conceived in 1997 when Thessaloniki was Cultural Capital of Europe, to present in scholarly fashion the unknown treasures of the Holy Mountain to the public.

It begins with a history of the monastery by Kriton Chryso'idis (p. 15-39). It was founded by two Byzantine dignitaries, the brothers Alexius and John, whose family name is unknown, probably a little before 1357. Like all Athonite monasteries, it acquired metochia, notably on the river Strymon and the island of Lemnos, to which others were added after the Turkish conquest of Athos in 1424. Numerous further ones were acquired in the eighteenth century, making it possible to finance extensive renovation of the monastery itself. Paradoxically, the monastery ceased to flourish in the nineteenth and early twentieth centuries as Ottoman rule declined, on account of extensive expropriation by the rulers of the newly formed states. Only after the Second World War, when the renewed community adopted again a coenobitical rule in the place of the idiorhythmic one which had replaced it, did the monastery begin once more to flourish.

Four essays on the icons follow, the first by Titos Papamastorakis on those dating from the thirteenth to the sixteenth century (p. 41-145). The oldest icon, a Crucifixion painted in the thirteenth century (figure 20), was obviously acquired after the monastery's founda­tion. However, there are several painted in the fourteenth century. Possibly the finest, Christ Pantocrator with portraits of the founders as donors (figure 9), is now in the Hermitage. The monastery was fortunate in recruiting the talented Cretan artist Theophanes and his school to paint for them (p. 98-118). His work at the Pantocrator monastery has been studied in detail by M. Chatzidakis (bibliography, p. 343, note 113). The influence of Theophanes persisted throughout the sixteenth century (p. 121-145).

An outstanding treasure of the monastery is the old epistyle, 152 centimetres long and still intact, painted in the last quarter of the sixteenth century. It is described in detail by Katerina Kalamartzi-Katsarou and Tito Papamastorakis (p. 147-173). Cretan influence continued to be exercized, although artists also came from Macedonia, Katerina Kalamartzou-Katsarou (p. 175-266), and loannis Tavlakis (p. 269-322). In general these

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later icons are of lower quality and less interest However, an outstanding one of the First Council of Nicaea, painted in 1779, is published here, apparently for the first time (p 314-315, figure 17) I did not know it when I wrote my article "Icons of the First Council of Nicaea", reprinted in Pictures as Language How the Bvzantines Exploited Them, London 2000, ρ 166-187)

Chnstophei WALTER

Nancy PATTERSON-ŠEVČENKO & Christopher Moss (Éd ), Medieval Cvpius Studies in Art, Architecture & History in Memory of Doula Mouriki — Department of Art & Archaeology, Program in Hellenic Studies, Princeton University, New Jersey 1999 28 χ 21,5 χχνιιι-306 ρ with illustrations in colour and black & white

Often it is notoriously difficult to present a Festschrift satisfactorily, on account of the quantity and heterogeneity of the contributions In this case, however, the task has been much simplified, because the number of contributions is limited to thirteen, all of which are concerned with the same place and epoch The culture typical of the periods when Cyprus and Constantinople were most closely linked, as well as the manuscripts pioduccd on the island, have been mostly set aside, in favour of local products in a specifically Cypnot idiom

After an account of Doula Mounki's academic career by Charalambos Bouras, long her colleague at the National Technical University in Athens (p 3-12), comes her biblio­graphy (p 13-18) Nancy Patterson-Ševčenko, in her Introduction (p XXIII-XXVIII) has conveniently provided summaries of the succeeding papers four on Early Medieval Cyprus, Vera von Falkenhausen, "Bishops & Monks in the Hagiography of Byzantine Cyprus" (p 21-33), offering an explanation why numerous local bishops but hardly any monks were represented in churches, Charalambos Bakirtzis, "Early Christian Rock-Cut Tombs at Hagios Georgios, Peyia" (p 35-41), calling attention to the practice on the island of reusing pagan tombs , Susan Boyd, "Champleve Production in Early Byzantine Cyprus" (p 49-62), who concludes that this technique was indigenous and practised in well-established workshops, Slobodan Ćurčić, "Byzantine Architecture on Cypius An Introduction to the Problem of the Genesis of a Regional Style" (p 71-80), who explains the emergence on the island between 700 and 1000 of vaulted architecture as the response to natural catastrophes like earthquakes, obliging the local architects to invent new, more resistant forms of construction

There follow five papers on Byzantine Cyprus Henry Maguire, "Abaton & Oikonomia St Neophytos and the Iconography of the Presentation of the Virgin" (p 95 105), explaining the prominence of this subject in the church of the Panagia Arakiotissa and its relevance to the donor's concern with his own salvation, Irmgard Hutter, "The Magdalen College 'Musterbuch' A Painter's Guide from Cyprus at Oxford" (p 117-129) shows that the later drawings in the margins of this eleventh-century manuscript were exe­cuted by a Cypnot and copied from Cypnot paintings, Athanasios Papageorghiou, "The paintings in the Church of the Panagia Chryseleousa, Strovolos" (p 147-154), presents a recently restored late thirteenth-century church, remarkable for containing in its dome the only known example on the island of Christ represented seated and full length , Panayotis Vocotopoulos, "Three Thirteenth-Century Icons at Moutoullas" (p 161-171), picsents, besides two icons of the Virgin Hodegetna, a third, on which Saint John the Baptist (colour plate, n° 12) addresses Chnst, his severed head m a dish placed between them He infers that the donor, represented kneeling m the lower nght hand corner, is the same John who commissioned the frescoes in the church of the Panagia at Moutoullas in 1280 , Mary Aspra-Varvardakis, "Three Thirteenth-Century Sinai Icons of John the Baptist Derived from a Cypnot Model" (p 179-186), who reconstructs the epistyles for which these icons were onginally intended While they are evidently Cypnot in style, she considers that the artists who painted them actually worked at Sinai

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BIBLIOGRAPHIE 293

The last four papers are devoted to Later Lusignan & Venetian Cyprus Demetra Papadopoulos-Bakirtzis, "Cypnot Medieval Ceramics A Contnbution to the Study of Individual Artists" (p 197-204), treats thirteenth-fourteenth century ceramics found on Cypriot sites She identifies several different workshops and isolates the hand of some artisans , Caroline Connor, "Female Saints in Cypnot Church Decoration of the Troodos Mountains" (p 211-228), studies representations of women saints in a wide-ranging num­ber of Cypnot fresco programmes, which witness to the survival of a Cypnot ethos and fidelity to the indigenous adaptation of Byzantine style, in spite of the pressures of foreign occupants She opens up a field of study which ments further exploration, Melita Emmanuel, "Monumental Painting in Cyprus During the Last Phase of the Lusignan Dynasty, 1347-1489" (p 241-251), descnbes churches painted dunng a time when entente between Greek and Latin residents on the island was becoming easier This entente did not diminish Orthodox fidelity to Byzantine themes, finally Efthaha Constantmides, "Monumental Painting in Cyprus dunng the Venetian Penod, 1489-1570" (p 263-284), explores the rather greater impact of renaissance art on Cypriot painting, analogous to that on Cretan art, introduced by the Venetian occupants, although it does not seem to have nurtured local artists as bnlliant as Angelos Akotantos and El Greco

Inevitably, as the editors mention (p xxv»), the authors were unable to update their bibliography to the time of publication Some later works, which they could not cite, are noted at the end of the Introduction To these may be added the catalogue of an exhibition held at the Hellenic Centre in London m November-December, 2000, Cyprus the Holy Island Icons Through the Centuries, edited by Sophocles Sophocleous, London/Lefkosia 2000 It is reviewed in this volume of the REB

This Festschrift, which will interest a far wider scholarly public than specialists in Cypriot art, is a fitting tnbute to the much loved and highly respected person in honour of whom it has been published

Chnstopher WALTER

Françoise PETIT (Éd.), La chaîne sur l'Exode. I. Fragments de Severe d'Antioche. Texte grec établi et traduit par Françoise Petit, glossaire syriaque par Lucas VAN ROMPAY (Traditio Exegetica Graeca 9) — Peeters, Louvain 1999 24, 5 x 1 7 208 p

«Du point de vue exégétique, on peut préférer à la lecture biblique de Sévère la ngueur de ses adversaires antiochiens, mais on ne peut nier que sa pensée théologique avait du souffle et était servie par un réel talent oratoire Au lecteur de juger sur pièce» (p VIII)

Pour juger sur pièce le souffle et le talent de Sévère exégète, le lecteur n'avait jusqu'à présent que les traductions synaques de ses œuvres Les onginaux grecs ont pratiquement tous disparu, voués à la destruction par Justinien en 536, par suite de la condamnation de leur auteur Mais en sus du dévouement des traducteurs monophysites de Syrie qui nous ont conservé homélies et lettres en synaque, copte ou arabe, des morceaux du texte grec se sont trouvés épargnés et ont survécu dans des chaînes de commentaires bibliques Voici aujourd'hui l'édition des fragments sur l'Exode, après celle des fragments sur la Genèse (cf La chaîne sur la Genèse Édition intégrale, 4 vol, éd F Petit, TEG 1 2 3 4, Louvain 1991, 1993, 1995, 1996)

Sı les fragments de Sévère font l'objet d'une édition séparée, alors qu'ils se trouvaient intégrés au milieu des fragments d'autres auteurs pour la chaîne sur la Genèse, c'est que l'éditeur a constaté que le corpus des fragments sévénens forme un tout, inséré après coup dans la chaîne, au cours non de sa rédaction mais de la tradition manuscrite Ce corpus présente la particulanté de rendre manifeste la lecture de l'Écnture par Sévère, qui ne cherche pas à l'expliquer mais à l'utiliser pour appuyer ses positions doctnnales Les frag­ments insérés dans la chaîne sont tirés en grande majonté des homélies cathédrales et dans une moindre mesure du traité contre Julien d'Halicarnasse et de la correspondance

L'édition repose sur les manuscnts suivants Bâle, Universitätsbibliothek 1 (A N III, 13), Pari s gr 128,Va//c pal gr 203 , Palm 216 Ces trois derniers manuscrits, qui sont

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les seuls témoins pour la seconde partie des fragments, présentent une rééctiture posté­rieure Lorsque la source des fragments est identifiée, la référence à l'édition du texte syriaque est indiquée Ces fragments permettent ainsi d'étudier le rappoit enti e l'oiiginal grec et la traduction synaque, et de porter un jugement sur la qualité de cette traduction C'est l'objet de la seconde partie de l'ouvrage, due à L Van Rompay, qui fournit en outre un glossaire grec-synaque et syriaque-grec Cet ouvrage sera donc d'une grande utilité pour les études postérieures sur l'œuvre de Sévère

Marie-Hélène CONGOURDEAU

R. POPOVIĆ, Le Christianisme sur le sol de l'illyricum oriental jusqu'à l'ariivée des Slaves. — Institute for Balkan Studies, Thessalonique 1996. 24 χ 17 281 p.

Ce livre est la publication d'une thèse de doctorat soutenue à la Faculté de Théologie de Belgrade en 1989 L'a se propose de faire une synthèse sur la chnstianisalion des régions de l'illyricum oriental entre le premier et le sixième siècle II couvre une zone géographique occupée par l'actuelle Serbie, la Macédoine et le Monténégro L'a se defi­nit comme théologien, historien de l'Église et s'est fixé comme but d'étudier «la pénétra­tion progressive du Christianisme et son épanouissement dans le monde de la culture, de l'art et de la tradition gréco-romaine, en tenant compte des problèmes suscités par ces évé­nements » L'a s'appuie sur les sources littéraires ainsi que sur les sources épigraphiques et archéologiques II offre dans le second chapitre un catalogue des découvertes en archéologie chrétienne Le troisième chapitre porte sur les conciles auxquels participèrent les évêques d'illyncum L'essentiel de ce livre traite de la période des quatrième et cin­quième siècles Les trois premiers siècles et surtout le sixième siècle sont les parents pauvres

On peut regretter que la bibliographie n'ait pas été mise à jour depuis le travail du doc­torat Elle s'arrête en effet au milieu des années 80 L'ouvrage souffre d'autre part d'une relecture fautive du texte, ce qui conduit à de très fréquentes erreurs d'orthographe tant sur les noms communs que sur les noms propres et ne permet pas d'en recommander la lecture à des étudiants La même absence de som se retrouve dans la bibliographie Enfin l'analyse histonque ne tient pas compte de l'historiographie récente, et s'en tient par trop aux opinions des historiens antiques de l'Église L'a se laisse emporter par la veine apo­logétique au point d'en oublier les réalités historiques II peut ainsi écrire que «déjà à l'aube du Nouveau Testament, le Christianisme avait fortement inondé le sud-est de l'Europe, les Balkans et à travers eux des pays de l'Europe occidentale» (p 29) ou prendre au pied de la lettre les critiques des auteurs chrétiens ou des moralistes antiques sur le monde païen La volonté de faire remonter aux temps les plus anciens la christiani-sation et celle de voir la société radicalement transformée par l'adoption de la nouvelle religion conduit l'a à négliger de prendre en compte la lenteur et la complexité de la chnstiamsation

On peut regretter que l'a n'ait pu s'inspirer pour sa présentation des données archéolo­giques du travail de Pascale Chevalier sur les voisines églises dalmates, publié deux ans seulement après l'ouvrage de R Popović (Ρ CHEVALIER, Ecclesiae Dalmatiae L'architecture paléochrétienne de la province romaine de Dalmaiie (IVe-VIe s.), Rome/Split, École Française de Rome, 1995-1996)

Béatrice CASEAU

Ρrosopograpine der mittel-byzantinischen Zeit. Erste Abteilung (641-867), Nach Vorarbeiten F. WINKELMANNS erstellt von Ralph-Johannes LILIE, Claudia LUDWIG, Thomas PRATSCH, Ilse ROCHÓW unter Mitarbeit von Wolfram BRANDES, John R. MARTINDALE und Beate ZIELKE, Herausgegeben von der Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenchaften. — Walter

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BIBLIOGRAPHIE 295

de Gruyter Berlin - New-York 1999-2000, vol 1 (Aaron [#1] - Georgios [#2182]), voi 2 (Georgios [#2183] - Leon [#4271]) voi 3 (Leon [#4271] -Placentius [#6265]) 1999-2000 24,5 χ 17,5 χι-675 ρ - 685 ρ - 687 ρ

La publication de cette prosopographie progresse rapidement, selon ce qui avait été annoncé, puisque trois volumes sont déjà parus

Comme c'était prévisible, ce sont les sceaux qui suscitent le plus de réserve Quelques-uns sont absents soit qu'ils aient simplement été omis soit que les dernières publications n'aient pu être pnses en compte - Damianos, commerciaire de Thessalonique et paraphylax d'Abydos

(DOSeah 3 40 22) - Eustratios, stratège du Péloponèse (SBS 2, ρ 125) - Grégoire, hypatos et chartulaire du stratiôtikon (SBS 6, ρ 62) Il faudrait y ajouter une

dizaine de sceaux de ce volume qui devraient dans un remaniement futur êtie adjoints à la base

- Choumir, patrice (publié par Ébersolt, Revue Numismatique 1914, n° 471) U s'agit en fait d'un sceau parallèle, cité d'après Schlumberger (n° 1158, sous la forme erronée Choumour), qui ne signale pas la réédition de V Sandrovskaja (SBS 5, ρ 95)

D'autres ont été cités de manière erronée - Constantin (n° 3970) se voit attribuer la fonction de chartulaire des troupeaux du

drame, alors qu'il est chartulaire des troupeaux et du drome (Laurent, Corpus II, n° 450)

- Le sceau de Jean, stratège de Céphallonie, est daté de la fin du 8e s alors que les der­niers éditeurs de la pièce (DOSeah 2 1 13), qui sont cités, préfèrent une datation plus tardive

- La datation du sceau d'Isaac, dioecète (n° 3484), est rajeunie à tort d'un siècle par rap­port à celle proposée par G Zacos et A Veglery

- Mannos est donné pour stratège des Anatoliques (n° 4807) - Nicolas, spathaire et chartulaire de POpsikion (n° 5608) La date de l'édition Zacos a

été préférée à celle de N Oikonomidès et J Nesbitt, plus prudente - Paul, patrice et logothète du drome (n° 5827) Il faudrait préférer la date suggérée par

W Seibt Parfois la dernière édition n'est pas mentionnée - Georges, candidat impérial et dioecète de Rhaidestos (n° 2237) Il manque la référence

à DOSeah 1 59 3 - Un Jean, comte de POpsikion (n° 2999), est créé, faute d'un bon renvoi à la dernière

édition (DOSeah 3 39 30) qui donne la bonne lecture Isôès - Le sceau de Mégistos, commerciaire de Thessalonique, cité dans Zacos-Veglery (I,

ρ 356), est omis - Le sceau de Léon, hypatos et Kyros de Chersôn 879e s n'est pas mentionné - Nicétas, hypatos et candidat impénal, publié en 1993 par I Jordanov, manque - Pardos, scholaire, connu par un sceau du 7e s (Zacos-Veglery, n° 670), n'est pas

retenu Enfin, un certain nombre de sceaux, dont la légende et la datation sont douteuses, sont

acceptés en l'état - Il n'est pas certain que la fonction de stratège de l'Armamenton ait jamais existé

(Alexis, n° 196) - André Botaneiatès anthypatos est impossible, il vaudrait mieux interpréter Andre,

anthy patos des ucel lai res (n° 413) - Apélatès n'était pas stratège des Karavisiens au 9e s , mais au siècle précédent, quand

le thème existait encore (n° 575) - Michel vestarque et protonotaire de Paphlagonie (n° 5129) La dignité de vestarque est

exclue à cette date II est probable que les η°* 5077, 5114 et 5129, tous au nom de Michel vestitor, ont appartenu au même personnage

- C'est le même sceau qui sert de référence aux ri* 5551 (Nicolas, notaire du génikon) et 5553 (Nicolas, chartulaire du génikon) Il faut préférer la lecture notaire Certains sceaux mal édités par Gray Birch sont laissés de côté ainsi celui lu Nicéphoras

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296 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

Opsikius (Gray Birch, n° 17716) qui doit être rétabli en Nicéphoie, piotonotane de l'Opsikion (pièce parallèle à Istanbul) On ne saurait reprocher aux auteurs leur prudence dans les identifications Toutefois,

ils auraient pu rapprocher les deux notices sur Martinakios, oncle de Théophanô, la pre­mière épouse de Léon VI (η0* 4843 et 4849) De même, pour les deux Nicolas contempo­rains, dioecètes de Stratonicée (n"s 5588 et 5613) Un seul Pétrônas fut comte de l'Opsikion et tous les exemplaires de son sceau sont proches ( ( 5931 et 5935) Il pourrait s'agir du frère de l'impératrice Théodôra (n° 5929) Quant à Pétrônas, logothète du géni-kon, il ne ménte sans doute pas deux notices distinctes (nm 5930 et 5932) Les notices 812, 4236 et 5232bis respectivement consacrées à Barnoukios, père de Serge, à Lébarnikios, patnce de Lazique et à Serge, fils de Nébarnoukios, concernent sans doute les mêmes personnages, liés aux affaires de Lazique Signalons enfin que Pétrônas (Kamatèros) ne fut pas le premier stratège de Chersôn lorsqu'une partie de la Crimée devint un thème, celui-ci prit d'abord le nom de thème des «Cinq climats» Pourquoi Jean, hypatos, dioecète de Chypre, a-t-il droit à deux entrées (n"s 2892 et 3142)*> Un sceau, celui de Constantin, hypatos et spalhaire impénal (Zacos-Veglery, n° 598), a donné heu à deux notices (n° 3787 et 3804)

Toutes ces remarques de détail n'ôtent nen à l'appréciation très positive que l'on porte à l'égard de cette prosopographie, typographiée avec soin [on relève peu de fautes de frappe sauf n° 5479bis Théophile (629-843) ou 5694 hyptos]

Jean-Claude CHEYNET et Michael NICHANIAN

Antonio RIGO, La «Cronaca delle Meteore» La storia dei monasteri della Tesssaglia tra XIII e XVI secolo (Onentalia Venetiana VIII) — Florence 1999. 21 χ 15, 5. 232 p. et 7 planches

L'histoire des établissements monastiques des Météores en Thessalie se fonde sur un certain nombre de documents, dont la Vie d'Athanase le Météorite et la Chronique des Météores Or ce dernier document réserve des surpnses A Rigo, qui nous donne ici une édition cntique fondée sur le Petrop Gr 251 (alors que les éditions précédentes se fon­daient sur une copie de ce manuscnt), démontre que loin d'être une chronique, ce texte est en fait un réquisitoire, et de ce fait sujet à caution

Ce qui a reçu le nom de Chronique des Météores, par un voisinage codicologique avec la Chronique de loannina, est Vexpositio d'un acte synodal, rédigé à l'occasion d'une assemblée du synode de Stagoi, vers 1530-1540, sous la présidence de l'évêque Néophytos Cette assemblée avait pour objet d'examiner les allégations d'un groupe de moines (les auteurs de la prétendue Chronique), accusant le Météore d'avoir usurpé la direction du centre monastique, aux dépens du Pantocrator La transformation de ce réqui­sitoire en Discours historique (Σύγγραμμα ιστορικόν), devenu par la suite Chronique des Météores, dut avoir heu entre 1540 et 1625, date du plus ancien témoin

L'analyse d'A Rigo consiste à reprendre tous les documents qui concernent les éta­blissements monastiques des Météores, et à les comparer systématiquement avec les don­nées du Discours II nous présente ainsi, en préambule à son édition, une histoire de ces établissements monastiques, depuis les premiers ermitages établis par Athanase et Grégoire vers 1340 Une histoire qui diffère de celles qui se fondaient sur les allegations tendancieuses des auteurs du Discours Cette édition fera désormais foi pour les historiens qui chercheront à retrouver la réalité de l'histoire de ces moines météontes, de leurs prôtoi et de leurs relations avec l'évêque de Stagoi

L'édition, accompagnée de sa traduction et de notes en forme de Commentaire, est sui­vie d'un Appendice sur une inscnption qui permet de fixer la date de la mort d'Athanase (20 avnl 1383), d'une bibliographie, d'index des cartes et illustrations, des manuscrits cités, des noms de personnes, des auteurs modernes et des noms de heu

Mane-Hélène CONGOURDEAU

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BIBLIOGRAPHIE 297

Guy SABBAH, ( t ) André-Jean FESTUGIÈRE (Éd.), Sozomène. Histoire Ecclésias­tique, Livres III-IV. Texte grec de l'édition J. BIDEZ, Introduction, Traduction revue par Bernard GRILLET, notes, deux annexes, Index topographique et pro-sopographique, une carte (Sources Chrétiennes 418). — Les Éditions du Cerf, Paris 1996. 391 p. 275 FF.

Après les livres I et II (parus dans SC 306), Sozomène (t avant 448 : SC 306, p. 30) aborde, dans les livres III et IV la période qui va de 337 (mort de Constantin) à 360 (concile de Constantinople de 360 consacrant le triomphe de Farianisme officiel). Durant cette période, l'empire est gouverné par les fils de Constantin : Constantin II, Constant et Constance II avant 350 (= livre III), règne de Constance, seul empereur d'Orient et d'Occident après la mort de Constant en 350 (= livre IV). La période est dominée par les rebondissements de la crise arienne. Deux grandes figures se détachent, en une antithèse soulignée par Sozomène : du côté du pouvoir politique, l'empereur Constance, partisan d'un arianisme mitigé (l'homéisme), du côté de l'Église, le patriarche d'Alexandrie Athanase, figure que Sozomène idéalise pour le plus grand bien de l'orthodoxie. Le pre­mier s'impose aux évêques par son interventionnisme permanent qui met en place une forme aggravée de «césaropapisme», le second lui tient tête en se détachant de la masse des évêques, dans une collaboration étroite avec Rome (p. 9-10).

Les points de repère ainsi plantés, la cohérence de l'ensemble reste problématique. La démarche de S. n'est pas linéaire, l'ordre chronologique n'est pas toujours respecté, et des confusions dans la suite des événements se glissent dans l'exposé (p. 10, note 3). Notre historien, qui entend poursuivre l'œuvre d'Eusèbe de Cesaree, construit son exposé en référence à des événements de la vie de l'Église, mais il se préoccupe aussi de donner plus de place aux données politiques et militaires. Il ne parvient pas toujours à concilier les deux systèmes chronologiques et les deux approches de la réalité. L'a., heureusement, nous résume avec clarté la structure et le contenu des deux livres (p. 14-20). Il souligne son souci d'impartialité. Près d'un siècle après les événements, il décrit sans animosité un temps de violence, dominé bien souvent par le calcul et l'ambition, soulignant au passage le positif même chez ceux qu'ils considère comme ses adversaires. Cela s'applique en particulier à l'empereur Constance, le principal responsable de la montée de Γ arianisme que S. considère pourtant avec sévérité (p. 31-34). — Là est l'intérêt de ce document. Son auteur a décidé de ne pas prendre parti en matière de doctrine : «Quant à leurs dogmes, qu'en décident ceux qui ont le droit de le faire. Ce n'est pas ce que je me suis proposé d'écrire, et cela ne convient pas à l'histoire, dont la tâche est de raconter seulement les faits sans y introduire aucun élément personnel» (HE III, 15, 10 : p. 147). Il veut s'en tenir aux faits, il s'intéresse aux enjeux concrets, notamment économiques, du conflit (p. 34 et 37). Il met en lumière un fait nouveau dans la présentation de ce conflit : le rôle important qu'a joué le peuple dans la lutte pour la vraie foi. Lorsqu'Athanase eut perdu en Constant son protecteur impérial, c'est dans le peuple qu'il a trouvé l'appui le plus efficace, un appui qui fit plusieurs fois reculer l'empereur Constance lui-même. Mais le mérite princi­pal de S. en tant qu'historien est d'avoir discerné et mis en relief la coupure fondamentale qui se produisit au double concile de Sardique-Philippopolis. (342/343 : p. 39 et 366). Il écrit : «Convoqué pour assurer l'unité, (le concile) aboutit à la scission irréparable. Avant, les évêques nicéens et les évêques ariens étaient encore en communion. Après, la commu­nion est rompue entre eux» (p. 39-40). Et M. Simonetti de commenter : «Entre l'Occident romain et l'Orient hellénisé commencent à s'annoncer, dans le grand corps de l'Église, les premières lézardes qui devaient provoquer, de nombreux siècles plus tard, la scission de ce corps en deux tronçons...» (Simonetti, 1975, La crisi ariana p. 177, cité p. 40, note 4). — On trouve en annexe, outre une carte des évêchés cités par S., deux index, topogra­phique et prosopographique, et deux listes en tableaux, celle des évêques de Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem et Constantinople (p. 356-364) et celle des conciles (synodes) depuis le concile d'Alexandrie de 320 jusqu'à la mort de Constance (361).

Joseph WOLINSKI

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Draginja SIMÍC-LAZAR, Kalenic et la dernière période de la peinture byzantine. — Matica Makedonska, Skopje; diffusion De Boccard, Paris 1995. 27.5 χ 22. 223 p. with 47 illustrations in colour and 32 in black & white, figures in text, abstracts in Serbian & Macedonian. EADEM ; Kalenic, Slikarstvo, Istorija, Šumadija, Kragujevac 2000. 28 χ 22. 332 p. with 51 illustrations in colour and 32 illustrations in black & white, figures in text, abstract in English.

Madame Simić-Lazar began her study of the church dedicated to the Presentation of the Virgin at the Temple at Kalenic as a doctoral dissertation many years ago. Owing to difficulties in distribution from Serbia in recent years, she published a preliminary version in French. This has been corrected and updated in the Serbian edition. In particular, her treatment of the style of the paintings has been ameliorated ; she goes into more detail about the influence exercised by Romanian, Italian and Russian masters on the talented artists responsible for decorating the church.

The church at Kalenic, less well known than those at Ravanica, Manasija and Ljubostinja on account of its isolated situation, was the last outstanding monument to be decorated during the short Serbian heyday which began with the reign of Stefan Dušan ; its paintings can be dated around 1427. Its principal donor was Bogdan, treasurer at the court of Stefan Lazarević, whose portrait as Despot, well preserved, appears, as was cus­tomary, alongside those of Bogdan and members of his family, now, regrettably, for the most part effaced.

Centuries of disuse and intemperate weather have had for result the destruction of much of the decoration, particularly the paintings in the cupola. Nevertheless, the overall programme can be reconstructed. It closely resembles that of other churches of the period, but the author calls attention to its original elements. For example, given the height of the church, it was possible to divide the apse into four zones : the Virgin and Child (lost) ; scenes of the Resurrected Christ (in part preserved) ; the Communion of the Apostles (far more conventional than at Ravanica) ; the Officiating Bishops (who not do all have the conventional phrases inscribed on their rolls and who are also disposed in a fashion which had become archaic). These points illustrate how observantly the author has examined the iconography of the decoration of the church at Kalenic, whose painters not only knew time-honoured Constantinopolitan models but also took an interest in innovations from other milieux.

A few points of minor importance may be made. A first concerns what is normally the fault of the publisher rather than the author ; the set out of the book makes it difficult to consult. For the rest, the author, when treating the Pietà, could have profited from Michael Altripp's study, Die Prothesis und ihre Bildausstauung in Byzanz unter beson­derer Berücksichtigung der Denkmäler Grieclienslaiids, Studien und Texte zur Byzantinistik 4, Frankfurt am Main 1998, which, apparently, she did not know. She has also taken for granted the exactitude of the term used by Otto Demus to designate Christ's biographical cycle in churches as one of the Principal Feasts. Ernst Kitzinger long ago made clear that in church decoration no such liturgical cycle existed. Also, one very minor point, in the well-preserved series of portraits, of admirable quality, of warrior saints at Kalenic, since the legends are largely destroyed, they can often be identified only by their iconography. Generally this is not difficult. However, one is certainly improperly named Nicephorus (French edition, p. 134 ; Serbian edition, p. 202). There was, indeed, a warrior saint called Nicephorus, but elsewhere he does not figure in echelons of warrior saints. No certain identification of this figure is certain, but Nestor is more likely.

My review is based principally on the Serbian edition, although, in Western countries, the French edition is more likely to be consulted. Either way, the author's study is an important and highly competent study of a late Serbian church, which certainly merits the arduous work which she has expended on it.

Christopher WALTER

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BIBLIOGRAPHIE 299

Paul STEPHENSON, Byzantium's Balkan Frontier. A Political Study of the Northern Balkans, 900-1204. — Cambridge University Press, Cambridge 2000. 23,5 χ 16. v-352 p.

Beaucoup d'ouvrages sur les Balkans durant les 10e- 12e siècles ont déjà été publiés, notamment ceux de V. Fine {The Early Medieval Balkans... et The Late Medieval Balkans..., Ann Arbour 1983 et 1987). L'auteur expose le caractère novateur de son projet : concevoir cette histoire du point de vue de Byzance et non à partir de celui des dif­férentes «nations» qui composent la population de la péninsule. Par rapport à ses prédé­cesseurs, P. Stephenson ne dispose pas de nouvelles sources narratives ni de documents d'archives supplémentaires, mais il entend faire usage des résultats des nombreuses fouilles, dont les plus fameuses sont sans doute celles de Preslav avec la spectaculaire découverte d'un trésor sigillographique. L'étude des abondantes trouvailles monétaires lui semble aussi une piste prometteuse.

L'auteur, prenant appui sur des travaux antérieurs, en premier lieu ceux de J. Shephard, propose une nouvelle histoire des relations byzantino-bulgares. Syméon se serait contenté pour sa part de la perception d'un tribut qui lui offrait de quoi se concilier les faveurs de ses boyards et animer les marchés de sa nouvelle capitale, Preslav. Il lui paraît que l'annexion de la Bulgarie ne fut pas vraiment une priorité pour l'Empire, y compris au temps de Basile II. Ce dernier se serait contenté de reprendre la partie orien­tale de la Bulgarie, perdue pendant les premières années du règne, et aurait ensuite conclu un accord de paix avec Samuel, qui laissait à ce dernier son royaume d'Ochrid. Après plu­sieurs années de paix, Basile a repris l'offensive pour des raisons qui ne nous sont guère exposées, mais le résultat fut probant, puisque la Bulgarie fut conquise.

Sans doute P. Stephenson pousse-t-il un peu loin sa relecture provocatrice de la poli­tique de Basile II, qui a tout de même mené à bien un projet qui rééquilibrait l'Empire en faveur de sa partie européenne, au moment où celle-ci entrait dans une phase de crois­sance perceptible. Il souligne de ce point de vue l'importance des emporta danubiens, quoiqu'il paraisse incertain que Nicéphoritzès ait voulu y établir des foundakes.

L'auteur a également le mérite de décrire la façon dont l'Empire cherche à tenir les Balkans en s'appuyant sur les élites locales. Le cas de Dyrrachion est exemplaire aussi bien du temps des guerres bulgares qu'au moment où Robert Guiscard cherche à établir une tête de pont dans la région. La distribution de titres, la reconnaissance des pouvoirs locaux ne sont pas spécifiques de la politique balkanique de Byzance, mais nos sources, comme la Chronique du Prêtre de Dioclée, offrent un éclairage remarquable.

Cette étude de la frontière balkanique de l'Empire constitue une synthèse très recom-mandable. Sans doute certains points de détails devraient-ils être corrigés, notamment en matière de prosopographie. Je prendrai l'exemple des ducs de Bulgarie, donné p. 137. Pour le 1 Ie siècle, P. Stephenson donne les noms de Nicéphore Vatatzès, Nicétas Karykès, Grégoire, protoproèdre et Andronic Philokalès d'après un sceau qu'il croit inédit, alors que plusieurs exemplaires trouvés en Bulgarie ont été édités par I. Jordanov et que Kékauménos dans ses Conseils et récits le donne pour catépan de Bulgarie. On pourrait ajouter à cette courte liste les noms de Léon Drimys (Seibt, dans Numismatic and Sphragistic, Dobrich 1993, p. 227), de Nicéphore Prôteuôn (Skylitzès, éd. Thum, p. 478), de Romain Diogénès (Skylitzès Continué, éd. Tsolakis, p. 121), de Nicéphore Mélissènos (duc de Triaditza, Zacos-Veglery, n° 2697bis), de Michel Sarônitès (sceau inédit ANS Newell 16SS8). U faut sans doute ajouter le nom de Nicéphore Botaneiatès, qui fut avec Apokapès, alors duc du Paradounavon, responsable de la frontière danubienne face aux Ouzes (Attaleiatès, éd. de Bonn, p. 83). Il y eut parmi les ducs de futurs empereurs ou pré­tendants au trône. Les autres noms appartiennent à la plus haute aristocratie, preuve de l'importance de cette province aux yeux des empereurs.

Jean-Claude CHEYNET

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Gojko SUBOTIĆ (Éd.), Hilandar Monastery. — The Serbian Academy of Sciences and Arts Gallery, Belgrade 1998. 30 χ 25. 396 p., illustrations in colour and figures in the text.

Anyone who has had the occasion to stay in the monastery of Hilandar, as 1 have, can­not fail to be impressed by its artistic, quite apart from its historical and religious, interest. Its collection of icons and its archives have been professionally catalogued. Unlike their confrères in some other Athonite monasteries, the monks do not put obstacles in the way of scholars whose interest is scientific as much as spiritual. Throughout the period of Communist domination, the Serbs were able to study and maintain their artistic posses­sions. Moreover, particularly in their review, Hilandarski Zbornik, articles of high scienti­fic quality are published, both about Hilandar itself and its metochia.

This volume, published on the occasion of the 800th anniversary of the monastery's foundation (1198/1199), contains thirty-three essays, all written by Serbs. Among them may be particularly noted eight essays concerned with the wallpaintings, icons and illumi­nated manuscripts, which are followed by an extensive bibliography (p. 361-375). It is a Sununa of contemporary Serbian research on Hilandar, accompanied by illustrations of high quality and written in a style which renders it as accessible to the general reader as to specialists.

Christopher WALTER

Erich TRAPP, en collab. avec Wolfram HÖRANDNER, Johannes DIETHART, Maria CASSIOTOU-PANAYOTOTOUUDS, Elisabeth SCHIFFER, Astrid STEINER-WEBER, et alii (Éd.), Lexikon zur byzantinischen Gräzitat besonders des 9.-12. Jahrhunderts. - 1 . Faszikel (α-άργυροζώμιον). -Verzeichnis der Abkürzungen. -2. Faszikel (άργυροθώραξ-δυσαύχενος). -3 . Faszikel (δυσαφής-ζωόσοφος). -Vorbemerkung zum 2.-3. Faszikel. Veröffentlichungen der Kommission für Byzantinistik VI/1 [Faszikel 1 et Verzeichnis], VI/2, VI/3 [Faszikel 3 et Vorbemerkung]. — Österreichische Akademie der Wissenschaften, philoso­phisch-historische Klasse Denkschriften, 238. 250. 276. Band, Wien 1994, 1996, 1999. 29,5 χ 21. [VI]. 1-192 p. [1. Faszikel] ; 53 p. [Verzeichnis] ; p. 193-416 [2. Faszikel] ; p. 417-648 [3. Faszikel] ; 11 p. [Vorbemerkung] (pagi­nation continue pour les fascicules).

Après avoir achevé le Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit, en collab. avec H.-V. Beyer, E. Kislinger, I. G. Leontiades, R. Walther, entreprise qui demanda un travail de 20 ans (Vienne 1976-1996), en 12 fascicules, 2 addenda (dont un, provisoire, pour les fascicules 1-8 et un autre, plus global, pour les fase. 1-12) et un Abkürzungsverzeiclmis und Gesamtregister (dernier CR in REB 55, 1997, p. 357-358), E. Trapp, chercheur infatigable, s'est attelé à une tâche toute aussi fondamentale que la première, établir le vocabulaire de la Grecite byzantine, en particulier du 9e au 12e siècle. La tâche est particulièrement lourde, d'autant plus que les publications dans ce domaine s'enrichissent à un rythme assez rapide. Autrement dit, on se trouve face à une bibliogra­phie constamment grandissante, qui demande à être revue continuellement. Le premier fascicule du Lexikon a paru en 1994 et, depuis, deux volumes ont encore vu le jour. Il s'agit donc d'une entreprise qui est relativement avancée et tout porte à croire qu'elle pourra s'achever dans des délais raisonnables.

Face à une entreprise d'une envergure si vaste, on ne peut que formuler les remarques suivantes.

Les principes. La valeur d'un lexique repose, avant tout, sur la richesse des mots réper­toriés pour la période étudiée. Dans l'état actuel, les dictionnaires du grec, généraux ou spécialisés (en l'occurrence Liddell - Scott - Stuart Jones et Lampe), offrent, comme le dit l'éditeur, une base lexicale particulièrement large. Par conséquent, si le lexique envisagé veut offrir plus que les dictionnaires déjà existants, le dépouillement des textes byzantins

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BIBLIOGRAPHIE 301

doit être aussi attentif qu'étendu. Autement dit, la Verzeichnis (pour le fascicule 1), la Vorbemerkung (pour les deux autres), qui comprennent l'énumération des ouvrages dépouillés jusqu'à présent, et, aussi, les listes qui y seront ajoutées dans l'avenir, consti­tuent le cœur de fonctionnement pour l'ensemble : si elles sont complètes, le travail final sera, lui aussi, complet. Quel est le critère d'enregistrement dans les deux listes ? L'éditeur s'y explique dans la Einführung du fase. 1, où il signale que le travail repose sur le dépouillement des textes, qui se veut exhaustif pour les textes relevant du 9e au 12e siècle (même pour les textes qui ne sont pas littéraires), alors qu'il est sélectif pour les textes plus tardifs. Les textes hagiographiques ont été systématiquement dépouillés.

L'exécution. Il est vrai que, dans un ouvrage de ce type, certaines omissions ou erreurs sont attendues.

En fait, dans la pratique, l'organisateur du projet devait procéder, avec ses collabora­teurs, au dépouillement des ouvrages et articles anciens ou parus depuis quelque temps, puis (ou simultanément) à celui des ouvrages et articles qui viennent de paraître. Ces der­niers sont assurément, plus difficiles à saisir, à cause de leur dispersion. Les revues peu accessibles ou peu diffusées sont, on s'y attendait, moins représentées, mais seront assuré­ment dépouillées dans les prochains fascicules.

U arrive parfois que certains titres, même pour un auteur amplement représenté, ne soient pas mentionnés dans les fascicules parus. Signalons, par exemple, Chr. CHATZÈIÔANNOU, Νεοφύτου πρεσβυτέρου ιερομόναχου xaì εγκλείστου ερμηνεία εις τους Ψαλμούς xaì τάς Ώδάς, Athènes 1935. Quant aux éditions récentes de Néophytos parus à Thessalonique, nous supposons qu'elles seront prises en considération dans les volumes à venir, et qu'il en est de même pour l'article de G.K. CHRISTODOULOU, Un canon inédit sur la Théosémie de Néophyte le Reclus composé par son frère, Jean le Chrysostomite, REB 55, 1997, p. 247-260 (il s'agit, bien entendu, de Jean higoumène du monastère de Jean Chrysostome de Koutzouvendi). Un autre cas : alors qu'on a dépouillé Théodore Prodrome, on passe sous silence J. A. CRAMER (éd.), Théodore Prodrome, Ξενέδημος ή φωναί, in Anecdota graca e codicibus manuscriptis Biblioth. Oxoniensium III, Oxford 1836, p. 204-215 (l'un des deux dialogues philosophiques de Prodrome que nous éditons actuellement).

Il se produit également que certaines catégories d'ouvrages non littéraires (textes médicaux, militaires et autres), ne soient pas représentées de façon homogène. Par exemple, on passe sous silence les travaux de W. Wolska-Conus parus dans la REB. Nous espérons que les ouvrages d'art militaire (tactique, poliorcétique, guérilla...) datant de la période envisagée pourront, eux aussi, être dépouillés.

Il arrive parfois qu'on n'applique pas le même système pour répertorier les œuvres uti­lisées. Par exemple, on donne le sigle «Prodr» pour désigner Théodore Prodrome, alors que pour Théodore Métochite le sigle est «ThMet» : dans le dernier cas, contrairement au premier, on mentionne les initiales du prénom aussi bien que celles du nom. Même s'il est vrai que les noms de famille sont de création tardive et posent toujours des problèmes de classement, la différence chronologique qui sépare Prodrome de Métochite suffit-elle, à elle seule, pour établir un système de classification différent ?

Michel CACOUROS

Markus ViNZENT (Ed.), Pseudo-Athanasius, contra Arianos IV: eine Schrift gegen Asterius von Kappadokien, Eusebius von Casarea, Markell von Ankyra und Photin von Sirmium. (Supplements to Vigiliae Christianae 36). — E.J. Brill, Leiden - New York - Köln 1996. 24,5 χ 16, relié, xii-464 p.

Le Contra Arianos IV du Pseudo-Athanase a été édité et traduit par A. Stegmann dans sa «Dissertation Théologique» intitulée Die pseudo-athanasianische "IVte Rede gegen die Arianer"... ein Apolliitarisgut, Tübingen 1917, p. 43-87 (p. ix ; cf. ibid. p. 389). Le titre à lui seul nous apprend que l'éditeur du début du siècle pensait avoir trouvé le véritable auteur du CA IV, Apollinaire de Laodicée. Dans sa thèse de doctorat (Rome 1993), Jan Słomka par contre, exclut cette hypothèse, et à l'exemple de R. P. C. Hanson repousse

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302 REVUE DES ETUDES BYZANTINES

la rédaction de l'œuvre entre 350 et 360, ou même après 360 (p 31-33), date à laquelle l'attribution à Apollinaire n'est pas possible

Avant de reprendre la question à ses propres frais, M. Vincent résume en un premier chapitre l'état de la recherche Elle s'est déroulée en trois temps A l'origine le traité est considéré comme une œuvre d'Athanase d'Alexandrie réfutant le sabellianisme et la doc­trine de Paul de Samosate Puis on découvre que le CA IV vise en réalité, sous des noms convenus, Marcel d'Ancyre et Photin (J H. Newman, 1844 et 1892, Th Zahn, Morcelliana, 1893, et d'autres) On finit, dans un troisième temps, par abandonner la paternité athanasienne de l'œuvre Son caractère anti-marcellien est reconnu Mais l'on ne sait toujours pas qui en est l'auteur, non plus qui sont les Anens qu'elle combat en même temps que Marcel La question se pose toujours : où et quand -telle été composée ? — C'est en interrogeant longuement la nature même de sa théologie que l'a reprend l'étude du dossier.

Après la présentation de la structure du CA /V (ρ 31 -33) et le relevé de ses procédés stylistiques (p. 48-57), le second chapitre reprend sa recherche à partir de la thèse de A. Stegmann (1907) qui situait l'œuvre vers 340. Résumant un travail antérieur (p 59, n. 38), l'a. étudie les controverses qui eurent lieu à Rome, à Antioche et au double concile de Sardique et Philippopolis dans les années 340-343 et au-delà, jusqu'au concile de Sirmium (351) Il constate que le CA IV a été connu et utilisé dès cette époque par les conciles, par les Eusébiens contre Athanase et Marcel d'Ancyre, et par Marcel d'Ancyre contre les Eusébiens. À partir de là, l'a. reconstitue le «Sitz im Leben» du CA IV (p. 87) Il aurait été préparé à la veille du concile de Rome de 340, par un Oriental (Apollinaire 9) partisan de Nicée qui croyait encore en une conciliation possible entre l'Occident et l'Orient (p. 84-88, et la conclusion, p. 386). Il s'agirait d'un document de compromis, des­tiné à rapprocher une théologie de type eusébien qui distingue les personnes divines jus­qu'à tomber dans le subordinatianisme, et une théologie de type marcel lien, corrompue par le modalisme. Au départ, une œuvre d'Asténus, nettement anenne, provoque la réac­tion de Marcel d'Ancyre qui attaque au passage Eusèbe de Cesaree. Celui-ci le réfute à son tour dans le Contra Marcellum I-II et le De ecclesiastica theologie. C'est tout ce dos­sier (auquel il faut ajouter un premier contact avec la pensée de Photin, disciple de Marcel) que connaît et utilise l'auteur du CA IV. C'est à partir de là qu'il élabore son dis­cours de conciliation, en utilisant et en critiquant tour à tour les thèses de chacun des deux camps en présence.

L'a. analyse le contenu du CA IV dans les deux derniers chapitres. Le chapitre 111 (p. 89-128) en expose d'abord les thèmes principaux : la doctrine sur Dieu, sur le Fils, et sur l'Espnt-Saint. Le chapitre IV occupe à lui seul les 2/3 du livre. Il suit pas à pas le rai­sonnement de l'Anonyme, avec une particulière attention au dossier scnpturaire utilisé dans le débat. — Le théologien d'aujourd'hui sera reconnaissant à l'a. d'avoir tiré de l'ombre un texte d'un si grand intérêt II y découvre non seulement l'emploi du mot Θεοτόκος (CA IV, 32), mais aussi et surtout une théologie qui annonce déjà les débats autour du concile d'Éphèse de 431 : Le Chnst est le Dieu homme né de Marie (IV, 32) qui nous fait «fils» parce qu'il est lui-même un vrai «Fils» (IV, 21). En se démarquant d'une vision étagée de l'être, le CA IV développe une chnstologie paradoxale dans laquelle «le même» est à la fois né du Père et né de Mane, Verbe Fils et homme. — Au terme du par­cours nous ne savons toujours pas qui est l'auteur du CA IV, mais la datation haute (vers 339/340) que retient l'a. et le sens général de sa démarche, donnent à penser qu'il opte personnellement pour la solution de A. Stegmann (cf. p. 22-23 ; p. 59, note 37) l'auteur du CA IV serait bien Apollinaire

Joseph WOLINSKI

Markus VINZENT (Éd.), Џ von Ankyra, Die fragmente und Der Brief an Julius von Rom. Herausgegeben, eingeleitet und übersetzt von... (Supple­ments to Vigiliae Christianae 39). — E.J. Brill, Leiden - New York - Köln 1997. 24,5 χ 16, relié, cxi-192 p.

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BIBLIOGRAPHIE 303

Les 128 «fragments» de Marcel d'Ancyre, dont l'a nous donne ici une nouvelle edi­tion, nous ont été transmis par Eusèbe de Cesaree {Contra Marcellum l-ll et De ecclesias­tica theologia), dans un corpus anti-marcellien transmis par un seul manuscnt, le Venetus Marciami s graecus 496 daté des 10e-12e s (p et LXXI , un des fragments figure égale­ment chez Epiphane), qui contient également la Lettre de Marcel au pape Jules L'editio princeps date de 1628 (Richard Montagu ρ XCVIII), la première édition critique de 1906 (Eusebius Werke IV, GCS 14) Cette dernière reproduit les fragments selon la classifica­tion thématique de Rettberg (Morcelliana, 1794), qui sera conservée dans la 2e et la 3e édition du même volume (G Chr Hansen 1972 et 1991) En 1994 Klaus Seibt propose une reorganisation complète des fragments pour les classer selon leur place dans l'œuvre originale (p ix-x et cix) C'est la disposition que retient M Vincent dans sa nouvelle édi­tion

Marcel apparaît pour la première fois dans l'histoire comme evêque au concile d'Ancyie de 314 Le concile de Nicee de 325 le voit condamner les Eusebiens Peu après, l'un d'entre eux, Asténus de Cappadoce, un laïc, compose un important éent d'inspiration anamsante Marcel le réfute, en attaquant au passage d'autres évêques, influencés par Asténus, notamment Eusèbe de Cesaree Celui-ci réagit energiquement dans ses deux grands éents contre Marcel, qui sont à l'origine de nos fragments — Marcel sera désa­voue au concile de Tyr (335) et condamné à celui de Constantinople en 336/337 (ρ χνιι-xxvin) Réconcilié après la mort de Constantin, il est exilé peu après II se retrouve à Rome en 339-340, avec Athanase d'Alexandne et d'autres évêques exilés Le pape Jules convoque un concile à Rome (fin 340 - début 341) dans l'intention de gagner à la cause de l'unité les évêques d'Onent Athanase et Marcel y sont réhabilites, mais les Orientaux ont refuse de venir Ils se réunissent à Antioche (concile des Encaenies, la même année 341) et renouvellent leur condamnation d'Athanase et de Marcel II en ira de même au double concile de Sardique/Phihppopolis (342 M Vincent, p xxi-xxiii, automne 343 Ch Piétn, Histoire du christianisme 2, 1995, p 301) qui consomme la rupture entre les Orientaux et les Occidentaux Condamné par les premiers, Marcel avait réussi à faire admettre son orthodoxie par les seconds (concile de Rome, 340/341) L'Occident lui gar­dera sa confiance, jusqu'à ce que Athanase lui retire la sienne, au concile d'Alexandne de 362 Marcel restera une cause de discorde entre l'Onent et l'Occident L'objet du conten­tieux apparaît clairement dans nos fragments un franc modahsme, que Marcel réussit à masquer en 340/341, mais qui réapparut, aggravé, dans l'enseignement de Photin, son dis­ciple — Deux théologies s'opposent diamétralement dans les fragments celle d'Asténus, qui insiste sur la dualité entre le Père et le Fils jusqu'à les rendre étrangers l'un à l'autre, dans la ligne de l'ananisme, et celle de Marcel, qui défend le caractère unique de la divinité jusqu'à nier toute distinction tntra-tnmtaire, et finalement, toute implication définitive de Dieu dans l'économie La puissance divine qui investit l'homme Jésus n'y devient «Fils» et n'y trouve une existence distincte que momentanément Au terme, elle l'abandonne pour réintégrer l'unité divine ongmelle (Frg 106, 109-111)

Au cours de la discussion, Marcel fait état de sources plus anciennes les gnostiques, par exemple, ou encore Ongène De ce demier il cite les quatre premiers mots du Traite des principes (οι πεπιστευκότες και πεπεισμένοι frg 22, ρ 22) en lui reprochant de les emprunter à Platon (Gorgıas 454de) II reproduit le texte grec de plusieurs autres pas­sages, dont un fragment du Commentaire sur la Genèse I, 1 (frg 21) et un autre du Traité des principes IV, 4, 1 (28) cf SC 268, p 400 (Frg 19)

Les deux théologies en présence ont de quoi surprendre Elles étonnent moins quand on les replace dans leur contexte Asténus, ne fait nen d'autre que de s'opposer, dans la ligne d'Ongène, à ce qui fut la grande menace du 3e siècle, le modahsme C'est pour sau­vegarder la distinction des trois qu'il insiste sur la réalité des hypostases, et développe une théologie subordinatiamste Marcel partage une autre préoccupation, celle des monar-chiens du 3e s , qui craignaient de tomber dans l'erreur des deux Dieux Les deux ten­dances partagent une même représentation qui se trouve déjà chez Justin (Apologies II, 6, 3 Ch Munier, 1995, p 130), Théophile d'Antioche (A Autolycus, II, 22 SC 20, p -155), Tertullien (Contre Praxéas 7 cf J Momgt, Théologie tnnttatre de Tertullten, 3, 1966, p 1050-1060) naître, c'est sortir de celui qui engendre Elles se meuvent égale­ment dans un monde mental qui ne pense pas la «naissance du Fils» indépendamment de

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la création C'est à son occasion que le Verbe sort du Père et devient Fils L'erreur de Marcel n'est pas seulement de s'en tenir à un vocabulaire et à des représentations anté-nicéennes, dans un contexte post-nicéen , elle est aussi et surtout de refuser le paradoxe de la foi que Nicée amplifie encore, celle d'un Dieu qui «est un et en même temps multiple» (Hippolyte, Contre Noet 10 Nautin, 1949, 251), celle d'un Dieu qui au début «était seul, et cependant n'était pas seul » (Tertullien, contre Praxéas, 5, 2 éd J Scarpai 1985, ρ 152), un Dieu enfin qui par le Fils, s'engage véritablement dans le temps et l'histoire

À propos de la Lettre de Marcel au pape Jules l'a apporte du nouveau Une question se pose la Lettre a-t-elle été composée avant le concile romain de 340/341, ou après 9 — E Schwartz (1959) pense que Marcel l'a écrite au moment de quitter Rome, avant le

concile, à son intention, hypothèse admise aujourd'hui par l'ensemble des chercheurs (p LXXXII, note 257) L'a est d'un autre avis Prenant appui sur deux documents qui n'ont guère été pris en compte jusqu'à ce jour, une lettre du pape Jules en réponse aux évêques réunis à Antioche en 341, (Athanase Apologia secunda 21-35 CPG 2123) et un texte d'Athanase lui-même {Historia Artanorum 6), il propose le scénano suivant Marcel n'a pu quitter Rome à la veille d'un concile convoqué pour examiner son cas dans un contexte bienveillant, il a donc assisté au concile, et a été invité à y exposer sa foi Sa réponse, qui a convaincu, aura été versée au dossier sous la forme d'une lettre Deux autres cas de pro­cédure similaire sont connus à l'époque, celui de Théophromus de Tyane au concile d'Antioche de 341, et celui d'Eusèbe de Cesaree au concile de Nicée de 325

Joseph WOLINSKI

Christopher WALTER, Pictures as Language. How the Byzantines Exploited Them. — The Pindar Press, Londres 2000 24 χ 17 ; relié, -436

Plutôt que de porter son attention sur l'aspect esthétique de la statue, de la fresque, de l'icône ou de la miniature, l'auteur se met à l'écoute du message qui sous-tend l'œuvre d'art et analyse les moyens qui sont utilisés pour rendre le message audible C'est ce qu'il entend signifier par le titre donné au présent recueil Chaque représentation d'un person­nage ou d'une scène poursuit un but et exprime une parole L'art est mis au service de l'instruction religieuse des fidèles Sans doute s'agit-il d'éveiller et de nourrir la piété, mais, que l'artiste en ait conscience ou non, il guide vers une intelligence de la foi et du monde qui correspond aux principes d'une idéologie établie et qui sert les intérêts des ins­titutions en place, ecclésiastiques sans doute, mais politiques aussi C'est ainsi que la mul­tiplication des portraits d'évêques sur les murs des églises traduit l'aspect hiérarchique de l'Église, justifie leur influence et authentifie leur pouvoir Les impératifs de la publicité et de la propagande ne sont pas loin

Le recueil contient vingt-quatre études Si la plus ancienne remonte à l'année 1968, la plupart s'échelonnent sur les deux dernières décennies du siècle L'auteur a classé ses articles sous cinq rubriques manuscrits, ecclésiologie, liturgie, hagiographie, amulettes Dans le Prologue, il s'explique sur la portée, le sens ou les circonstances de chacune de ces contributions II leur assigne une place dans l'ensemble de ses travaux et il marque en particulier leurs liens avec ses deux ouvrages parus (L'iconographie des conciles dans la tradition byzantine, Pans 1970, Art and Ritual of the Byzantine Church, Londres 1982) ou son ouvrage à paraître sur les saints guerriers Certains articles témoignent d'une grande continuité des thèmes d'étude et de la poursuite persévérante des solutions Un sujet comme l'origine et le développement de l'iconostase fait l'objet d'études succes­sives, parfois éloignées dans le temps un article paru dans cette revue même en 1993 (A New Look at the Byzantine Sanctuary Barner, REB 51, 1993, ρ 203-228) et repns dans le présent recueil (n° XIV, ρ 243-269) fait écho à une première étude parue en 1971 (The Ongins of the Iconostasis, Eastern Churches Review 3, 1971, ρ 251-267) et réimpnmée dans un premier recueil d'articles (Studies m Byzantine Iconography, n° III, Vanorum, Londres 1977)

Dans son Epilogue, l'auteur ajoute surtout des compléments bibliographiques 11 revient de manière particulière sur deux thèmes, celui de la Décapitation de Jean Baptiste

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(n° XVII-XVIII) et celui de la signification des intailles (n° XXIII-XXIV). Le premier de ces articles (n° XVII) a été revu, parce que l'auteur n'avait pas pu vérifier son article sur épreuves. À la fin du volume, un index renvoie commodément aux noms propres men­tionnés et aux thèmes traités dans l'ensemble des études. L'utilité du regroupement de ces articles est d'autant plus grande que certains ont paru dans des revues peu accessibles.

Au lieu de figurer en tête de volume selon un usage désormais bien établi, l'origine des articles réimprimés n'apparaît qu'à la fin du volume, à un endroit où on ne l'attend pas et où on ne le cherchera peut-être pas. De plus, l'éditeur ne s'est pas donné la peine de four­nir une référence complète de la première parution : il faut suppléer tomaison et pagina­tion. Les articles ont été recomposés, et les illustrations, qui sont habituellement regrou­pées à la fin de l'article dans une suite de planches, ont été insérées dans le texte à leur place respective. Sans doute la lecture et la consultation sont-elles facilitées d'autant, mais cette nouvelle impression des textes a un inconvénient, car chaque étude a dès lors une double pagination et peut-être une double version. En contrepartie, c'est un ouvrage de belle facture qui est ainsi offert au lecteur, grâce à l'uniformité de l'impression et à la qua­lité de l'illustration, deux caractéristiques qui ne sont pas communes dans un volume de réimpressions.

Albert FAILLER

Aimilia YEROULANOU, Diatrita. — Benaki Museum, Athens 1999. 29 χ 25. 320 p., illustrations in colour and in black and white.

The unfamiliar word διάτρητα is explained in the subtitle inside the book : Gold pier-ced-work jewellery from the 3rd to the 7th century. The author precedes her catalogue of objects in this genre of sumptuary art with a series of essays : the technique, p. 13-27 ; the types of jewellery (necklaces, diadems, pendants ; brooches and fibulae ; belts and buckles ; bracelets, rings, earrings), p. 29-75 ; the decoration (vegetal, linear, figurai), p. 77-188. In the concluding essay, p. 191-197, the author makes the point that, although pierced jewellery had Roman precedents, it was, in fact, a Byzantine creation of the third and fourth centuries, coinciding with the restructuration of the Roman Empire when the Byzantines entered more freely into contact with the culture of their Eastern neighbours. Exact dating and provenance for these diatrita may be problematic, particularly for the earlier ones. However, the developments in the production of diatrita can be roughly schematized on the basis of innovations. By the sixth century, technical methods had been standardized. "The seventh century witnessed the greatest production ... with the smallest variety of forms and subjects" (p. 196). Then, paradoxically, this technique of decoration became obsolete ; it was abandoned abruptly and absolutely.

These impressive and illuminating introductory chapters are only a prelude to the cata­logue which follows of the chronologically compact range of diatrita. There are 629 entries, set out according to their types and accompanied for the most part by repro­ductions of high quality. Since the objects are dispersed in the museums of twenty-six countries (the Cabinet des Médailles and the British Museum have the largest collec­tions), one can only marvel at the author's assiduity in assembling her material. Art histo­rians, already aware of the taste of wealthy Byzantines for luxury and glitter, will find here startling evidence confirming their appreciation of Byzantine aesthetic principles. It should, perhaps, be emphasized that the production of diatrita was indeed inspired by a demand for luxurious ornaments. They are far different in style and material from the humble amulets whose main purpose was apotropaic.

The preface by Angelos Delivorrias, Director of the Benaki Museum, of whom the author is one of the staff, should be read. It provides a full appreciation, which is exact without being dithyrambic, of the value of this book.

Christopher WALTER

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Klaus BELKE et ALII (Éd.). Byzanz als Raum. Zu Methoden und Inhalten der his­torischen Geographie des östlichen Mittelmeerraumes. Herausgegeben von Klaus BELKE, Friedrich HILD, Johannes KODER und Peter ŠOUSTAL, mit 134 Abbildungen (Österreichische Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse. Denkschriften 283). — Verlag der Österrei­chischen Akademie der Wissenschaften, Vienne 2000. 3 0 x 2 1 . 316 p.

Le concept de géographie historique est un principe fédérateur, comme le montre le volume qui reproduit les dix-huit communications faites au Symposium organisé sur ce sujet en décembre 1997 par la Commission de la Tabula Imperii Byzantini de Vienne. Voici une rapide enumeration des sujets traités, le nom des auteurs étant indiqué entre parenthèses.

Le volume s'ouvre sur une présentation du Symposium par l'un de ses organisateurs, J. Koder. La plupart des exposés examinent, pour une région donnée et pour des époques diverses, les mouvements de population, l'habitat ou les activités locales. II s'agit succes­sivement des provinces suivantes: Bithynie maritime aux 13e-14e siècles (I. Beldiceanu-Steinherr), Macédoine occidentale aux 13e-14e siècles (V. Kravari), Péloponnèse occiden­tal aux 4e-7e siècles (A. Lampropoulou), Lycie (Th. Marksteiner), Sicile (F. Maurici), Pisidie (S. Mitchell) et plus précisément la ville de Sagalassos (M. Waelkens). La céra­mique apparaît comme un témoin privilégié du commerce dans le monde protobyzantin (J.-P. Sodini), et elle fournit une contribution notable pour décrire l'évolution historique de la Béotie (J. L. Bintliff, J. Vroom) ou de Corinthe (G. Sanders). D'autres branches ou moyens de connaissance sont évoqués : computation (D. Feissel), sources littéraires (V. Gjuzelev), sigillographie (W. Seibt), toponymie (P. Šoustal), climatologie (J. Telelis), photographie (P. Waldhäusl).

Boško I. BOJOVIĆ, Ragusę (Dubrovnik) et l'Empire ottoman (1430-1520). Les Actes impériaux ottomans en vieux-serbe de Murad 11 à Selim Ier (Textes. Documents. Études sur le monde byzantin, néohellénique et balkanique 3). — Association Pierre Belon, Paris 1998. 2 4 x 1 7 . Lii-414p.

Située au carrefour de Venise, de la Hongrie et de l'État ottoman, la République de Ragusę joua un rôle important d'intermédiaire entre les puissances ennemies et sut en tirer profit pour elle-même. Conservés à Ragusę et destinés à Ragusę, cent vingt-neuf docu­ments rédigés en vieux-serbe et émanant de la chancellerie ottomane sont présentés en version française: 4 firmans sont dus à Murad II (1421-1451), 46 à Mehmed II (1451-1481), 68 à Bayezid II (1481-1512), 11 à Selim Ier (1512-1520).

Les documents édités concernent autant les relations politiques (traités, annonces offi­cielles d'intronisation ou de victoire militaire, sauf-conduits d'ambassades, directives aux représentants de la Porte) que les affaires commerciales (tributs, douanes, franchises et privilèges, dédommagements après des incidents terrestres ou maritimes).

Anne BOUD'HORS* (Éd.), Études coptes VI . Huitième Journée d'Études, Colmar 29-31 mai 1997 (Cahiers de la Bibliothèque copte 11). — Éditions Peeters, Paris-Louvain 2000. 24 χ 16. 164 p.

Sont rassemblées les quinze brèves communications données à la Huitième Journée des Études coptes à Colmar, qui fut également l'occasion de la tenue de deux expositions («D'Aval en Amon» au musée Bartholdi, «Autour d'Antinoé» au Muséum d'histoire naturelle). La plus grande partie des exposés portent sur les tissus coptes, dont le célèbre «châle de Sabine». Il fut aussi question de la céramique, des sculptures de Baouît ou encore d'ascétisme égyptien et de littérature copte (Jean Cassien, thème de la descente aux enfers, transmission des Épîtres catholiques).

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Anastasios P. CHRISTOPHILOPOULOS, TO Έπαρχιχόν Βιβλίον Λέοντος του Σοφοΰ και αϊ συντεχνίαι εν Βυζαντίω — Εκδόσεις Βάνιας, Thessalonique 2000 24 χ 17. ια'-141 ρ

Dans le présent volume sont reproduits l'ouvrage paru à Athènes en 1935 sous le même titre (p 1-96) et deux articles postérieurs (p 97-117) consacrés par l'auteur à la même question (Ζητήματα τίνα έκ του ΈπαρχικοΟ Βιβλίου, 'Ελληνικά 11, 1939, ρ 125-136 , Περί το Έτταρχικον Βιβλίον, EEBS 43, 1953, ρ 152-159) S'ajoutent une préface de S N Trôianos, qui souligne l'intérêt du livre, et les «Additions» de Catherine Chnstophilopoulou (p 119-136), qui rassemblent les conclusions d'études plus récentes sur ce texte aussi unique que précieux La nature et la destination du Livre du préfet, redé­couvert en 1891, gardent encore des zones d'ombre, bien qu'il soit daté précisément (911-912) et composé de manière claire (Règlements concernant les diverses corporations byzantines)

Bernard COULIE, Panayotis YANNOPOULOS, Bastien KINDT et Cetedoc, Thesaurus Theophams Confessons Index nominum (Corpus Chnstianorum. Thesaurus Patrum Graecorum). — Brepols, Turnhout 2000. 32 x 23 xn-80 p.

L'index contient les 2 636 lemmes utilisés comme anthroponymes ou toponymes dans la Chronique de Théophane le Confesseur II remplacera avantageusement l'index de l'édition de De Boor, dont les graphies sont d'ailleurs signalées ici chaque fois qu'elles sont différentes de celles adoptées dans le nouvel index

Sur trois pages liminaires sont énumérés les lemmes dont la forme a été modifiée depuis la parution du Thesaurus en 1998, au vu d'études postérieures Les noms des Personnes et des Lieux qui forment les lemmes sont suivis d'une identification, puis des références (page et ligne) à l'édition de De Boor

Géôrgios DÈMETROKALLES, "Αγνωστοι Βυζαντινοί ναοί Ίερας Μητροπόλεως Μεσσηνίας II. — Athènes 1998. 24 x 17. 429 p., 324 illustrations et figures dans le texte.

Le premier volume de ce corpus des églises byzantines de Messéme a paru en 1990 (REB 50, 1992, p 340-341) Dans ce deuxième volume, l'auteur catalogue encore vingt-deux églises réparties selon leur architecture Toutes sont délabrées, sinon en ruines, et leurs peintures, à peu d'exceptions près, ont disparu Grâce au travail acharné de l'auteur, un souvenir de ces bâtiments très modestes a été conservé pour la postérité

Hélène KAKOUUDÈ-PANOU (Éd.), Ιωαννίχιος Καρτάνος. Παλαιά τε και Νέα Διαθήκη [Βενετία 1536]. Φιλολογική Επιμέλεια : Ελένη Κακουλίδη-Πάνου. Γλωσσικό Επίμετρο · Ελένη Καραντζόλα — Κέντρο Ελληνικής Γλώσσας, Thessalonique 2000 23 χ 16. 619 ρ

Publié à Venise en 1536 par le hiéromoine Iôannikios Kartanos (voir É LEGRAND, Bibliographie liellémque aux xV et xvř siècles, I, Pans 1885, ρ 226), l'ouvrage connut une grande diffusion, dont témoignent les cinq éditions successives entre 1536 et 1567 L'intérêt du livre est philologique plutôt qu'historique L'auteur entend se mettre à la por­tée d'un lectorat moyen et il donne un excellent exemple de la langue populaire simple qu'on pouvait utiliser dans les textes écrits de cette première moitié du 16e siècle

Le titre ne répond pas vraiment au contenu du livre, car les éléments tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament ne représentent guère plus de la moitié de l'ouvrage Ce n'est pas davantage un manuel de théologie, mais un ouvrage de littérature populaire et un exposé de connaissances générales destiné au fidèle sans culture particulière C'est pour l'essentiel la traduction d'un ouvrage italien au titre similaire Fioretti di tutta la Biblia

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Richard KRAUTHEIMER, Rome, portrait d'une ville. 312-1308, Paris, Librairie Générale Française, 1999. (Livre de poche). 1 8 x 1 1 . 910 p.

Signalons la parution en livre de poché et en traduction française du livre de R. KRAUTHEIMER, Rome, Profile of a City, 312-1308, paru à Princeton en 1980, puis réédité avec des corrections en 1983. Cette initiative heureuse, soutenue par la Fondation de France et le Centre national du livre, permet au public francophone d'avoir accès à une magistrale synthèse sur la Rome chrétienne et médiévale. Toutefois la traduction n'est pas fidèle au texte : des modifications, appelées corrections, ont été ajoutées. La liste des illus­trations a été omise, sans doute parce que le format du livre de poche ne permettait pas d'inclure toutes les illustrations du livre original, (sur les 260 illustrations, photos, dessins et plans, 210 ont été réduits et maintenus). En contrepartie, des notes complémentaires et des ajouts bibliographiques ont été faits, qui donnent une mise à jour partielle des études sur Rome dans les vingt dernières années.

Andrea Luzzi, Studi sul Sinassario di Costantinopoli (Testi e Studi Bizantino-neoellenici, VIII).— Dipartimento di filologia greca e latina. Sezione Bizantino-Neoellenica. Università di Roma "La Sapienza", Rome 1995. 24 χ 17. xxn-227 p.

«11 est difficile de s'occuper d'un sujet quelconque d'hagiographie orientale sans être renvoyé, à chaque pas, aux menées, aux ménologes et aux synaxaires.» C'est cette phrase d'Hippolyte Delehaye, écrite en 1895, qu'Andréa Luzzi a choisi de mettre en tête de son introduction et, s'il est vrai que depuis un siècle, les études sur le Synaxaire de Constantinople ont progressé, avec en particulier la monumentale édition procurée par Delehaye en 1902, beaucoup reste à faire dans ce domaine si important.

La contribution d'Andrea Luzzi est notable et précieuse. 11 réunit ici cinq études dont la cinquième est inédite, les quatre autres, déjà publiées, étant remaniées : 1. Il semestre estivo della recensione H* del Sinassario di Costantinopoli, p. 5-90 (nouvelle version, très développée, de l'article «Note sulla recensione del Sinassario di Costantinopoli patroci­nata da Costantino VII Porfirogenito», Riv. di studi biz- e neoell. NS 26 (1989) 139-186) ; II. Il Sinassario-Tipico Vat. Barb. gr. 500 e una nota agiografica marginale per Filippo di Agira, p. 91-102 (cf. An. Boll. 111 (1993) p. 31-80) ; III. La memoria di san Calogero e altre commemorazioni italogreche nel Sinassario-Tipico Vat. gr. 2046, p. 103-122 (cf. Riv. dì studi biz e neoell. NS 29 (1992) . 5-191) ; IV. Un canone inedito di Giuseppe Innografo per un gruppo di martiri occidentali e i suoi rapporti con il testo dei Sinassari, p. 123-176 (cf. Riv. di studi biz. e neoell. NS 30 (1993) p. 31-80) ; V. L'influsso dell'agio­grafia italogreca sui testimoni più tardivi del Sinassario di Costantinopoli, p. 177-200.

Thanos MARKOPOULOS, Στο σχολείο με... χαρτί και καλαμάρι, (Στους δρόμους του Βυζαντίου 3). Εκδόσεις Καλειδοσκοπίου, Athènes 1999. 20 χ 20. 59 ρ.

Ce petit ouvrage, remarquablement illustré, est destiné aux enfants. Il leur expose com­ment, au Moyen Age, les jeunes Byzantins apprenaient à lire et s'instruisaient au cours de l'enfance et de l'adolescence, quelles matières leur étaient enseignées et quels étaient leurs instruments de travail. Un glossaire et une chronologie complète ce livre très plai­sant.

Helene METREVEU et ALII (Éd.), Sancti Gregorii Nazianzeni opera. Versio Iberica. Π, Orationes XV, XXIV, XIX. Editae a Helene METREVELI et Ketevan BEZARACHVILI, Manana DOLAKIDZE, Tsiala KOURTSIKIDZE, Maia MATCHAVARI-ANI, Nino MELIKICHVILI, Maia RAPHAVA, Mzekala CHANIDZE (Corpus Christianorum. Series Graeca 42 - Corpus Nazianzenum 9). — Brepols

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BIBLIOGRAPHIE 309

Publishers-University Press, Turnhout-Leuven 2000. 25 χ 16. x-223 p. Prix : 4558 BEF.

Dans un premier volume de la collection {Corpus Nazianzenum 5, n° 36 de la Series Graeca du Corpus Christianorum, 1998) ont été édités, dans la version géorgienne, les Discours 1, 41, 44 et 45 de Grégoire de Nazianze. Prolongeant un travail de longue haleine, commencé en 1977, trois autres Discours s'y ajoutent à présent: 15 In Maccabaeos, 19 Ad Iulianum exaequatorem, 24 In Cyprianum.

Les trois discours de Grégoire de Nazianze sont édités dans leur double version géor­gienne, due à Euthyme l'Hagiorite et Éphrem Mtsiré pour les discours 15 et 19, à David Tbeli et Éphrem Mtsiré pour le discours 24.

Kônstantinos K. PAPOULIDES, Οι Έλληνες της Οδησσού. — Εκδοτικός Οίκος Αδελφών Κυριακίδη, Thessalonique 1999. 24 χ 17. 394 ρ.

IDEM, Αρχειογραφικά και ιστοριογραφικά της Ρωσίας. Συλλογή μελετών ελληνορωσικών θεμάτων παιδείας και πολιτισμού της μεταβυζαντινής και νεότερης εποχής. — Εκδοτικός Οίκος Αδελφών Κυριακίδη, Thessalonique 2000. 24 χ 17. 289 ρ.

Le second volume contient quatorze articles, dont les deux premiers et les trois der­niers sont des premières parutions. Il traite d'une matière unique : les liens de l'hellénisme avec la Russie, sur le double plan ecclésiastique et culturel en particulier. Le premier article est un résumé cursif des relations entre les deux mondes et de l'acculturation du byzantinisme religieux et culturel en Russie. Le deuxième article examine un moment pri­vilégié de ces relations : l'afflux d'une diaspora grecque après l'occupation de l'Empire byzantin par les Ottomans et la prise de Constantinople, dont Moscou allait revendiquer les prérogatives en se proclamant Troisième Rome. Les trois derniers articles concernent une époque plus récente : les relations ecclésiastiques entre la Grèce et la Russie d'après les Archives du Parti communiste de l'Union soviétique, l'historiographie russe de la der­nière décennie, quelques réflexions à propos de l'étude d'Ekaterina J. Basargina sur l'Institut archéologique russe de Constantinople, dont l'auteur a lui-même écrit l'histoire (voir la recension de l'ouvrage dans REB 44, 1986, p. 316).

Quant au premier volume, il traite d'un cas précis de la diaspora grecque en Russie : la communauté grecque d'Odessa. Autour du port franc d'Odessa se développa, aux 19e et 20e siècles, une communauté florissante, avec ses églises, ses écoles et ses sociétés savantes, son hospice et ses associations caritatives, ses journaux et son imprimerie. L'auteur tire parti d'une documentation souvent inédite, dont il publie quelques pièces, et il trace le portrait des principales personnalités de la communauté.

Yuri PIATNITSKY, Oriana BADELLEY, Earleen BRUNNER, Marlia MUNDELL-MANGO (ed.), Sinai Byzantium Russia. Orthodox Art from the Sixth to the Twentieth Century. — Fondation Sainte-Catherine & PHermitage, Saint-Pétersbourg, Londres 2000. 488 p.

Ce catalogue est précédé d'une introduction due à Oriana Baddeley et Yuri Piatnitsky, suivie de trois essais écrits par Yuri Piatnitsky, Le Sinaï, Byzance & la Russie ; Marlia Mango, L'art byzantin et la Terre Sainte ; Robin Cormack, Le Sinaï et la construc­tion d'un paysage sacré. L'ouvrage est réparti en trois sections: Byzance, 171 notices; Sinaï, 63 notices ; Russie, 262 notices. Les objets exposés sont de tout genre, donnant une vue globale de l'art orthodoxe jusqu'à nos jours.

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310 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

M. POPOVIĆ, The Fortress of Ras. — Institut d'Archéologie, volume 34, Belgrade 1999. En serbe avec un resume anglais. 28,5 χ 24. 449 p., 256 illustrations dans le texte.

Ce livre est surtout un compte rendu développé des fouilles entreprises à Ras entre 1971 et 1996. Le site, déjà occupé à l'époque préhistorique, a été fortifié entre le 4e et le 6e siècle. Au 10e siècle il acquit une importance stratégique pour Byzance, lorsque fut constitué l'État de Dioclée, les Serbes commençant à revendiquer la forteresse pour eux-mêmes. Au 12e siècle, Ras devint une des résidences du župan. Au début du règne de Milutin, les Serbes abandonnèrent cette place forte. Cette étude technique, savamment menée, intéressera surtout les archéologues.

Olivier RAQUEZ, «Roma Orientalis». Approcci al patrimonio delle Chiese d'Oriente. — Lipa, Rome 2000. 21 χ 13. 587 p.

Olivier Raquez, bénédictin de l'abbaye Saint-André de Bruges, a rejoint Rome en 1954. Recteur du Collegio greco de 1967 à 1995, puis du Collegio Pio Romeno à partir de 1994, il a écrit de nombreux articles sur la liturgie byzantine. Le recueil s'ouvre sur une Préface d'Achille Silvestrini, un Portrait du dédicataire par M. Bielawski (p. 11-26) et une Liste des travaux (p. 27-34). Suivent quarante-trois articles, répartis en trois sections (fêtes de l'année liturgique, questions diverses de liturgie, points historiques). Deux brefs articles constituent des inédits: La Liturgia dei Presantificati (p. 155-165), La Festa dei Concili : Le letture bibliche nella liturgia bizantina attuale (p. 219-221).

Siegel und Papyri. Das Siegelwesen in Ägypten von römischer bis in frühara­bische Zeit, Her. von Alexandra-Kyriaki WASSILIOU unter Mitarbeit von Hermann HARRAUER, (Nilus Studien zur Kulture Ägyptens und des Vorderen Orients, Bd. 4).— Vienne 1999. 24 χ 17. xi-51 p. 8 ill.

Ce petit opuscule constitue le catalogue d'une exposition qui s'est tenue à la Bibliothèque nationale autrichienne à l'automne de l'année 1999. Il présente 34 sceaux dont une partie encore attachée aux papyri et cinq anneaux. Ce type de matériel, le plus souvent daté des 7e et 8e siècles, est rarement étudié faute d'éléments de référence. Ce ne sont pas des sceaux de fonctionnaires, mais des plombs privés qui portent souvent une image d'animal.

Sophocles SOPHOCLEOUS (Éd.), Cyprus The Holy Island. Icons Through the Centuries, J0th-20th Centuries. — Catalogue d'une exposition tenue au Centre hellénique de Londres, novembre-décembre 2000, Nicosie 2000. En anglais et en grec. 27,5 χ 22. 301 p., illustrations en couleur dans le texte.

Ce catalogue est précédé de plusieurs essais (p. 21-100), dont surtout celui de l'éditeur, Peinture religieuse en Chypre pendant deux millénaires. Les soixante-sept icônes expo­sées sont présentées en ordre chronologique, ce qui permet de saisir les changements de style remarquables, dus, entre autres, à l'influence de Byzance et des Vénitiens qui ont occupé l'île pendant une longue période. Néanmoins, les Chypriotes ont pu développer leurs particularismes dans la peinture. Un aspect inhabituel de cette exposition est l'atten­tion donnée à la restauration et à la pratique de repeindre les icônes endommagées.

Alain J. STOCLET, Immunes ab omni teloneo. Étude de diplomatique, de philolo­gie et d'histoire sur l'exemption de tonlieux au haut Moyen Age et spéciale-

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BIBLIOGRAPHIE 311

ment sur la Praeceptio de navibus — Institut Historique Belge de Rome, Bruxelles-Rome 1999 (Diffusion Brepols). 24 χ 16 576 ρ

Impôt sur le commerce et la circulation des marchandises, le tonlieu a laissé de nom­breux témoignages dans les documents, mais ceux-ci ne concernent pas tant l'imposition que la non imposition, c'est-à-dire l'exemption dudit impôt ou l'immunité L'auteur s'in­téresse à un cas plus précis et à une période réduite l'exemption de l'impôt sur les mar­chandises transportées par bateau, d'après les documents antérieurs à l'an 1000 La docu­mentation provient avant tout des États francs, et subsidiairement des États anglo-saxons

Une longue série d'Annexés, de Tableaux synoptiques, de Pièces justificatives et de Cartes (p 253-504) illustre le développement II est souvent fait appel aux usages de l'Empire byzantin, qui présentent des similitudes dans les procédures et des équivalences dans la terminologie La comparaison est éclairante autant pour les procédés d'interven­tion ou la forme des documents (p 93-113) que pour le vocabulaire utilisé (p 129-171)

Robert F. TAFT, Le rite byzantin Bref historique, traduit de l'anglais par Jean Laporte (Liturgie : collection de recherche du Centre national de pasto­rale liturgique 8).— Les éditions du Cerf, Pans 1996. 21,5 χ 13,5 110 p.

Il s'agit ici de la traduction française du livre de Robert F Taft, The Byzantine Rite A Short History, (American Essays in Liturgy senes), Collegeville 1992 (et non The Byzantine, A Short History, comme on le trouvera par erreur ici au verso de la page de titre) Malgré des maladresses (introït parfois au féminin, stationnai parfois écrit staţionai, p 14 «le cycle mobile des propres pour les commémoraisons sanctorales» il s'agit des fêtes fixes , p 19, la période moyenne-byzantine , p 35, «le Propontis» , p 39, «le parti impénal», pour le cortège ou la suite de l'empereur, etc ), cette traduction per­mettra aux lecteurs ignorant l'anglais de prendre connaissance de cette courte introduction à l'histoire de la liturgie byzantine, par le meilleur spécialiste du domaine

Dèmètrès TSOUGARAKES, Εισαγωγή στη βυζαντινή σφραγιδογραφία — Εκδόσεις Κανάκη, Athènes 1999. 25 χ 17. 95 ρ.

Comme le titre de l'ouvrage l'indique, il s'agit d'une introduction illustrée à la sigillo­graphie L'a. donne les indications nécessaires à la publication des sceaux, puis, dans son pnncipal chapitre, détermine les éléments qui permettent de dater un sceau critères épi-graphiques, linguistiques, éléments de la légende (titres et fonctions), et surtout iconogra­phiques (représentation de la Vierge et des saints, types de croix, monogrammes invoca­ti fs, monogrammes compacts ) Ce chapitre est très utile, car il permettra au lecteur, même peu expnmenté en sigillographie, de prendre garde aux datations parfois fantai­sistes des éditions anciennes Enfin l'apport de la sigillographie aux divers domaines est souligné, que ce soit la prosopographie, la connaissance de la société, de l'administration, de l'Eglise byzantines

Gabriele WINKLER, Uber die Entwicklungsgeschichte des armenischen Symbolums. Ein Vergleich nut dem syrischen und griechischen Formelgut unter Einbezug der relevanten georgischen und äthiopischen Quellen (Orientalia Christiana Analecta 262). — Pontificio Istituto Orientale, Rome 2000 24 χ 17. Lix-639p.

L'auteur procède à une ample et savante confrontation des textes arméniens qui repro­duisent le Symbole de Nicée, résumé de la foi chrétienne La traduction du texte grec dans les autres langues de la chrétienté a posé un ensemble de problèmes pour la compréhen­sion d'un énoncé dogmatique bâti sur des concepts nouveaux, aussi est-il fait appel à juste titre aux versions synenne, géorgienne ou éthiopienne du même onginal, car elles

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312 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

peuvent éclairer le texte arménien lui-même. Le texte fondateur de la foi est omniprésent tant dans les écrits spirituels et dogmatiques que dans la prière liturgique ou l'administra­tion des sacrements.

Dans une première partie (p. 9-291) sont relevés et analysés tous les textes arméniens des 4e-7e siècles qui reproduisent tout ou partie du Symbole ou qui s'y réfèrent d'une façon ou d'une autre. La seconde partie (p. 293-620) constitue un commentaire de la constitution et de l'évolution de la formule de foi. Sont étudiés successivement les élé­ments du Symbole et les principaux concepts qui servent à traduire le dogme : le Créateur, l'origine éternelle du Fils, l'idée d'homoousios et de substance, l'Incarnation du Fils et les étapes de sa vie terrestre, la Résurrection et la Parousie, le Saint-Esprit, l'Église et la résurrection des morts.

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OUVRAGES REÇUS

Aicha BEN ABED-BEN KHADER, Karthago. Carthage. Les mosaïques du Parc archéologique des Tliermes d'Antonin. Avec Margaret A. ALEXANDER, Robert L. ALEXANDER, Wassila BAIREM-BEN OSMAN, Noël DUVAL, Anna GONOSOVA, Christine KONDOLEON, Guy MÉTRAUX, et la collaboration de Roger HANOUNE {Corpus des mosaïques de Tunisie. IV, Karthago (Carthage). Atlas archéologique de la Tunisie, feuille 81. Fascicule 1). — Institut National du Patrimoine, Tunis 1999. 27 χ 21. XXVIII-182 p., 91 pi., 19 plans.

I. BITHA, A. KATSIOTI, E. KASTA, Bibliographie de l'Art Byzantin et Postbyzantin. La contribution grecque, 1991-1996. — Centre de recherches de l'art byzantin et postbyzantin, Académie d'Athènes, Athènes 1996. 23,7 χ 17. 183 p.

José Maria BLÁSQUEZ, Mosaicos romanos de Espaiïa. — Editiones Càtedra S.A., Madrid 1993. 21 χ 13,5. 720 p., illustrations en noir et blanc dans le texte.

Régis DARQUES, Salonique au XXe siècle. De la cité ottomane à la métro­pole grecque (Espaces & Milieux). — CNRS Éditions, Paris 2000. 24 χ 17. 390 p.

Géôrgios DÈMÈTROKALLÈS, Βυζαντινή Ναοδομία στην Νάξο. — Athènes 2000. 29,5 x 21. 71 p. [Tiré à part de Καθημερινή/'Επτά 'Ημέρες du 13.2.1997, avec ajout de plans, photographies et notes.]

Catherine S. FÉDOROV, Traktat Nikolaœ de Liry Probatio adventus Christi ego cerkovnoslavœnskij perevod konca xv veka. — Moscou 1999.

20 χ 14. 2 vol. : 283 p. et 120 p.

Anne MCGEE MORGANSTERN, Gothic Tombs of Kinship in France, the Low Countries, and England. With an Appendix on the Heraldry of the Crouchback Tomb in Westminster Abbey by John A. GOODALL. — The Pennsylvania State University Press, University Park PA 2000. 28 χ 21,5 ; relié, xix-252 p.

Chares N. MELÉTI ADES, Η εκπαίδευση στην Κωνσταντινούπολη κατά τον 16. αιώνα. — Κώδικας, Thessalonique 2000. 24 χ 17. 142 ρ.

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314 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

Paolo ODORICO, Conseils et Mémoires de Synadinos, prêtre de Serrés en Macédoine (xvif siècle). Avec la collaboration de S. ASDRACHAS, T. KARANASTASSIS, K. KOSTIS, S. PETMÉZAS (Textes. Documents. Études sur le monde byzantin, néohellénique et balkanique 1). — Éditions de Γ Association Pierre Belon, Paris 1996. 24 χ 17. 596 p.

Lydia PAPARRÈGA-ARTÉMIADÈ, H νομική προστασία της γονικής περιουσίας στη Μύκονο (17ος-18ος αι.) (Επετηρίς του Κέντρου Ερεύνης της Ιστορίας του Ελληνικού Δικαίου. Παράρτημα 1). — Académie d'Athènes, Athènes 1999. 25,5x18,5 . 228 p.

Manolès PAPATHÔMOPOULOS, Πέντε δημώδεις μεταφράσεις του Βίου του Αισώπου. Editio princeps. — Éditions Papadimas, Athènes 1999. 24 χ 17. xxxvi-166 p.

IDEM, Ό Βίος τοϋ Αισώπου. Ή παραλλαγή W. Editio princeps. Είσαγωγή-κείμενο-μετάφραση-σχόλια. — Éditions Papadimas, Athènes 1999. 24 x 17. 206 p.

Dèmètrios I. POLÉMÈS (Éd.), *Αλληλογραφία Θεοφίλου Καίρη. — Καίρειος Βιβλιοθήκη, Andros 1994-1999. 24,5 x 17.

- Μέρος A'. Έπιστολαί Θεοφίλου Καίρη (1814-1853) [3 vol.]. - Μέρος B'. Έπιστολαί Ευανθίας Καίρη (1814-1866) [1 vol.]. - Μέρος Γ. Έπιστολαί προς Θεόφιλον Καίρη (1808-1852 ) [3 vol.]. - Μέρος Δ'. Έπιστολαί προς Εύανθίαν Καίρη (1815-1866) [1 vol.]. - Μέρος E'. Έπιστολαί διάφοροι (1802-1906) [2 vol.].

IDEM (Ed.), Πέταλον. Συλλογή ιστορικού ύλικοΰ περί της νήσου "Ανδρου. Τεύχος 7. — Andros 1999. 20,5 χ 14. 357 ρ.

Gunter PRINZING (Éd.), Bibliographie Hans-Georg Beck. — Arbeitsgemeinschaft Deutscher. Byzantinisten, Mainz 2000. 20,5 χ 14,5. 35 p.

Antonios D. SATRAZANIS, La ville de Thessalonique dans la prose locale (1935-1985). — Municipalité de Thessalonique, Centre d'histoire de Thessalonique, Thessalonique 1996. 24 χ 17. 287 p.

Cornel TATAI-BALTÄ, Pagini de artă românească. — Blaj 1998. 20 ,5x14 . 126 p.

Waren TREADGOLD, Byzantium and its Army 284-1081. Paperback. — Cambridge University Press, Cambridge 1998. 24 χ 15. xn-250 p.

Zacharias N. TSÏRPANLÈS, Ιταλοχρατία στα Δωδεκάνησα (1912-1943). Αλλοτρίωση του ανθρώπου και του περιβάλλοντος. Préface de Elias E. KoLLiAS. — Rhodes 1998. 24 χ 17. 412 p.

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TABLE DES MATIERES

I. — ARTICLES

1. Bernadette MARTIN-HISARD, Moines et monastères géorgiens du 9e siècle : la Vie de saint Grigol de Xancta 5

2. Marie-Hélène CONGOURDEAU - M. MELHAOUI, La perception de la peste en pays chrétien byzantin et musulman 95

3. A. FAILLER, La promotion du clerc et du moine à Γ episcopat et au patriarcat 125

4. Matoula COUROUPOU - P. GÉHIN, Nouveaux documents chypriotes 147 5. Joëlle BEAUCAMP, Apion et Praejecta : hypothèses anciennes et nou­

velles données 165 6. Ch. WALTER, The Maniakion or Tore in Byzantine Tradition 179 7. V. PRIGENT, L'archonte Georges, prôtos ou émir ? 193 8. Alexandra-Kyriaki WASSILIOU, Der heilige Georg auf Siegeln einige

neue Bullen mit Familiennamen 209 9. J.-Cl. CHEYNET, Une famille méconnue : les Kratéroi 225 10. Anetta PAPACONSTANTINOU, La manne de saint Jean. À propos d'un

ensemble de cuillers inscrites 239 H . A . FAILLER, Seconde note sur l'hénère 247 12. In memoriam : Nicolas Oikonomidès 251

II. — BIBLIOGRAPHIE

AGAPITOS Panagiotis A. et Diether R. REINSCH (Éd.), Der Roman un Byzanz der Komnenenzeit 255

ANGELIDI Christine, La Castità al Potere ( . 399- . 455) 256 BELKE Klaus et ALH (Éd.), Byzanz als Raum. Zu Methoden und Inhalten

der historischen Geographie des östlichen Mittelmeerraumes. Herausgegeben von Klaus BELKE, Friedrich HILD, Johannes KODER und Peter ŠOUSTAL 306

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316 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

Bizantino-Sicula III : Miscellanea di scritti in memoria di Bruno Lavagn ini 256

Bojović Boško I., Ragusę (Dubrovnik) et l'Empire ottoman (1430-1520). Les Actes impériaux ottomans en vieux-serbe de M rad 11 à Selim I" 306

BOUD'HORS Anne (Éd.), Études coptes VI 306 BRUBAKER Leslie, Vision & Meaning in Ninth-Century Byzantium. Image

as Exegesis in the Homilies of Gregory of Naz ian z us 257 BURNS W. H., Marie-Odile BOULNOIS et Bernard MEUNIER (Éd.), Cyrille

d'Alexandrie. Lettres Festales (Xli-XVU) 259 BUTTERWECK Christel, Athanasius von Alexandrie/!, Bibliographie 260 CHATZIDAKIS Manolis & BITHA Ioanna, Corpus de la Peinture

Monumentale de la Grèce, L'île de thè re 260 CHIESA Paolo, Liudprandi Cremonensis Antapodosis, Homelia Paschalis,

Historia Ononis, Relatio de Legatione Constantinopolitana, cura et studio 261

CHRISTOPHILOPOULOS Anastasios P., Tò Έπαρχικον Βιβλίον Λέοντος του Σοφοϋ και αϊ συντεχνίαι εν Βυζαντίω 307

CoRMACK Robin - Elisabeth JEFFREYS (Éd.), Through the Looking Glass. Byzantium through British Eyes 263

COULIE Bernard, Bastien KINDT et Cetedoc, Thesaurus Procopii Caesariensis. De Be His, Historia Arcana, De Aedificiis 264

COULIE Bernard, Panayotis YANNOPOULOS, Bastien KINDT et Cetedoc, Thesaurus Theophanis Confessons. Index nominum 307

DECLERCQ Georges, Anno Domini. Les origines de l'ère chrétienne. Traduit de l'anglais par ADELINE 264

DÈMÈTROKALLES Géôrgios, "Αγνωστοι Βυζαντινοί ναοί * Ιεράς Μητρο­πόλεως Μεσσηνίας II 307

Dumbarton Oaks Papers, t. 51, 1997 266 Dumbarton Oaks Papers, t. 53, 1999 267 DE DURAND Georges-Matthieu (Éd.), Marc le Moine. Traités. 1.

Introduction, texte critique, traduction, notes et index 268 EIDENEIER Hans, Von Rhapsodie zu Rap: Aspekte der griechischen

Sprachgeschichte von Homer bis heute 269 EUTHYMIADES Stephanos (Trad.), Φώτιος, πατριάρχης Κωνσταντι­

νουπόλεως. Βιβλιοθήκη όσα της ιστορίας. 'Ανθολογία. Είσαγωγή-Μετάφραση-Σχόλια 269

FILANGIERI Riccardo (Éd.), / Registri della Cancelleria Angioina ricos­truiti da Riccardo FILANGIERI, con la collaborazione degli Archivisti napoletani. Voi. 44/1, 1269-1293, a cura di Maria Luisa STORCHI ; . Voi. 44 І, 1265-1293, a cura di Stefano PALMIERI 271

FYRIGOS Antonis, Barlaam Calabro, Opere contro i Latini. Introduzione, storia dei testi, edizione critica, traduzione e indici, a cura di Antonio FYRIGOS 271

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TABLE DES MATIÈRES 317

GARZYA Antonio (Éd.), ROQUES Denis (Trad., comm.), Synésios de Cyrène [Œuvres], t. II, Correspondance, Lettres I-LXIII. t. III, Correspondance, Lettres LXIV-CLVI, texte établi par Antonio GARZYA, traduit et commenté par Denis ROQUES 273

GASNAUT Pierre, L'érudition mauriste à Saint-Germain-des-Prés 274 GERSTEL Sharon E.J., Beholding the Sacred Mysteries. Programs of the

Byzantine Sanctuary 275 GREENFIELD Richard P.H., The Life of Lazaros of Mt. Galesion : an el

venth-centrury pillar saint. Introduction, Translation and Notes 276 HENDY Michael F., Catalogue of the Byzantine Coins in the Dumbarton

Oaks Collection and in the Whittemore Collection, vol. 4, Alexius I to Michael VIII, 1081-1261, parts 1 and 2 276

HIRSCHFELD Yizhar, The Early Byzantine Monastery at Khirbet ed-Deir in the Judaean Desert : The Excavations in 1981-1987 278

KAKOULIDÈ-PANOU Hélène (Ed.), Ιωαννίκιος Καρτάνος. Παλαιά τε και Νέα Διαθήκη [Βενετία 1536]. Φιλολογική Επιμέλεια : Ελένη Κακουλιδη-Πάνου. Γλωσσικό Επίμετρο : Ελένη Καραντζόλα 307

KEY-FOWDEN Elizabeth, The Barbarian Plain. Saint Sergius between Rome and Iran 279

KOLOVOU Phôteinè Ch., Μιχαήλ Χωνιάτης. Συμβολή στή μελέτη του βίου και του έργου του. To Corpus των επιστολών 280

KRAUTHEIMER Richard, Rome, portrait d'une ville. 312-1308 308 KREŞTEN Otto, „Staatsempfänge" im Kaiserpalast von Konstantinopel um

die Mitte des 10 Jahrhunderts. Beobachtungen zu Kapitel U 15 des sogennanten „Zeremonienbuches u 280

KULZER Andreas, Disputationes Graecae contra ludaeos 281 Lois Abel H. A. Fernandez, La Cristologia en los comentarios a Isaias

de i rilo de Alejandria y Teodor eto de Ciro 282 LOKIN Jan H. A. et Roos MEIJERING, Anatolius and the Excerpta Vaticana

et Laurentiana. Edition and Commentary 283 Luzzi Andrea, Studi sul Sinassario di Costantinopoli 308 MACRIDES Ruth J., Kinship and Justice in Byzantium, llth-15th

Centuries 285 MANGO Cyril, SCOTT Roger, GREATREX Geoffrey, The Chronicle of

Theophanes Confessor. Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 287

MARKOPOULOS Thanos, Στο σχολείο με... χαρτί και καλαμάρι 308 METREVELI Helene (Éd.), Sancii Gregorii Nazianzeni Opera. Versio ibe­

rica I : Orationes I, XLV, XLIV, XLI, éd. par H. METREVELI et K. BEZARACHVILI, T. KOURTSIKIDZE, N. MELIKICHVILI, T. OTHKHMEZOURI, M. RAPHAVA, M. CHANIDZE, avec une introd. de H. METREVELI et E. TCHELIDZE 288

METREVELI Helene et ALII (Éd.), Sancii Gregorii Nazianzeni opera. Versio Iberica. II : Orationes XV, XXIV, XIX. Editae a Helene METREVELI et Ketevan BEZARACHVILI, Manana DOLAKIDZE, Tsiala KOURTSIKIDZE, Maia MATCHAVARIANI, Nino MELIKICHVILI, Maia RAPHAVA, Mzekala

Page 316: REByz-59 (2001)

318 REVUE DES ÉTUDES BYZANTINES

CHANIDZE 309

NEYT François, DE ANGELIS-NOAH Paula (Éd.), REGNAULT L. (Trad.), Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, vol. II Aux céno­bites, 1.1 (Lettres 224 - 398), Introduction, texte critique et notes par François NEYT et Paula DE ANGELIS-NOAH, Traduction par L. REGNAULT 289

OIKONOMIDES Nikolaos (Éd.) Studies in Byzantine Sigillography, vol. 6 290 PAPADOPOULOS Stelios & KAPIOLDASSI-SOTEROPOULOU Chrysouia (ed.), Icons

of the Holy Monastery of Pantokrator 291 PAPOULIDÈS Kônstantinos Κ., Οι Έλληνες της Οδησσού 309 PATTERSON-ŠEVČENKO Nancy & Christopher Moss (Éd.), Medieval Cyprus.

Studies in Art, Architecture ά History in Memory ofDoula Mouriki 292 PETIT Françoise (Éd.), La chaîne sur l'Exode. I. Fragments de Sévère

d'Antioche. Texte grec établi et traduit par Françoise Petit, glossaire syriaque par Lucas VAN ROMPAY 293

PIATNITSKY Yuri, Oriana BADELLEY, Earleen BRUNNER, Marlia MUNDELL-MANGO (ed.), Sinai Byzantium Russia. Orthodox Art from the Sixth to the Twentieth Century 309

POPOVIĆ R., Le Christianisme sur le sol de і oriental jusqu'à l'arrivée des Slaves 294

POPOVIĆ M., The Fortress of Ras 310 Prosopographie der mittel·byzantinischen Zeit. Erste Abteilung (641-

867)y Nach Vorarbeiten F. WINKELMANNS erstellt von Ralph-Johannes LILIE, Claudia LUDWIG, Thomas PRATSCH, Ilse ROCHÓW unter Mitarbeit von Wolfram BRANDES, John R. MARTINDALE und Beate ZIELKE 294

RAQUEZ Olivier, «Roma Orientalis». Approcci al patrimonio delle Chiese d'Oriente 310

RIGO Antonio, La «Cronaca delle Meteore». La storia dei monasteri della Tes s sag Ha tra XIII e XVI secolo 296

Guy S ABB AH, (t) André-Jean FESTUGIÈRE (Éd.), Sozomène. Histoire Ecclé­siastique, Livres III-IV. Texte grec de Fédition J. BIDEZ, Introduction, Traduction revue par Bernard GRILLET 297

Siegel und Papyri. Das Siegelwesen in Ägypten von römischer bis in frü­harabische Zeit, Her. von Alexandra Kyriaki WASSILIOU unter Mitarbeit von Hermann HARRAUER , 310

SIMIĆ-LAZAR Draginja, Kalenic et la dernière période de la peinture byzantine 298

SOPHOCLEOUS Sophocles (Éd.), Cyprus The Holy Island. Icons Through the Centuries, I0th-20th Centuries 310

STEPHENSON Paul, Byzantium's Balkan Frontier. A Political Study of the Northern Balkans, 900-1204. 299

STOCLET Alain J., Immunes ab omni teloneo. Étude de diplomatique, de philologie et d'histoire sur l'exemption de tonlieux au liaut Moyen Âge et spécialement sur la Praeceptio de navibus 311

SuBOTić Gojko (Éd.), Hilandar Monastery 300

Page 317: REByz-59 (2001)

TABLE DES MATIÈRES 319

TRAPP Erich, en col lab. avec HÖRANDNER Wolfram, DIETHART Johannes, CASSIOTOU-PANAYOTOPOULOS Maria, SCHIFFER Elisabeth, STEINER-WEBER Astrid, et alii (Éd.), Lexikon zur byzantinischen Gräzitat besonders des 9.-12. Jahrhunderts 300

TAFT Robert F., Le rite byzantin. Bref historique 311 TSOUGARAKÈS Dèmètrès, Εισαγωγή στη βυζαντινή σφραγιΟογραφία 311 ViNZENT Markus (Ed.), Pseudo-Athanasius, contra Arianos IV: eine

Schrift gegen Asterius von Kappadokien, Eusebius von Casarea, Markeil von Ankyra und Photin von Sirmium 301

VINZENT Markus (Ed.), Markell von Ankyra, Die fragmente und Der Brief an Julius von Rom. Herausgegeben, eingeleitet und übersetzt von... 302

WALTER Christopher, Pictures as Language. How the Byzantines Exploited Them 304

WINKLER Gabriele, Über die Entwicklungsgeschichte des armenischen Symbolums. Ein Vergleich mit dem syrischen und griechischen Formelgut unter Einbezug der relevanten georgischen und äthiop sehen Quellen 311

YEROULANOU Aimilia, Diatrita 305

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RÉSUMÉS D'AUTEURS

REB 59 2001 France p. 5.

Bernadette MARTIN-HISARD, Moines et monastères géorgiens du 9e siècle : la Vie de saint Grigol de Xancta. — Traduction, avec index, d'un texte hagiographique géorgien du 10e siècle, consacré au moine Grigol (759-861) qui, avec l'aide de la famille des Bagratides, contribua au renouveau de la vie monastique géorgienne par la fondation des monastères de Xancta et de Šat'berdi, dans le K'iarjeti, proche de la Chaldie byzantine. La traduction est précédée d'une introduction identifiant les lieux et principaux personnages cités dans le texte et précisant sa terminologie politique. Elle sera suivie dans le prochain numéro de la Revue d'un commentaire qui dégagera les apports d'un texte fondamental pour comprendre les liens étroits qui se sont noués au 9e siècle dans le monde géorgien entre milieux politiques, monastères et institutions ecclésiastiques.

REB 59 2001 France p. 95.

Marie-Hélène CONGOURDEAU - Mohammed MELHAOUI, La perception de la peste en pays chrétien byzantin et musulman. — Le premier contact des Arabes avec la peste bubonique eut lieu lors de l'entrée du calife Omar en Palestine byzantine, en 639-640. Connue par les sources arabes sous le nom de peste d'Emmaiis, cette épidémie était une résurgence de la pandémie autrement connue sous le nom byzantin de peste de Justinien. La peste est donc dès l'abord un malheur que les musulmans partagent avec les Byzantins. Ces derniers ont historiquement de l'avance, puisqu'ils sont affrontés au fléau depuis un siècle (ses pre­mières manifestations remontent à 540). Cependant, chacune de ces deux aires culturelles possède un certain bagage conceptuel avec lequel elle peut aborder la peste.

REB 59 2001 France p. 125.

Albert FAILLER, La promotion du clerc et du moine à Vepiscopat et au patriarcat. — Membre du clergé patriarcal, Georges Pachymérès (1242-après 1307) se montre solidaire

de son corps social et manifeste les plus graves soupçons à l'encontre des moines. Il conteste à ces derniers la prédominance, si ce n'est l'exclusivité, qu'ils ont acquise au fil des siècles pour l'accession à l'épiscopat. 11 met particulièrement en cause l'obligation de la tonsure monastique comme préalable à l'ordination episcopale. Dans la même ligne, il ne cache pas sa préférence pour les patriarches qui ne sont pas issus du monachisme ou qui, du moins, n'ont pas reçu leur première formation ecclésiastique chez les moines. Pour l'historien, Jean XI Bekkos demeure, malgré ses erreurs, le modèle du bon patriarche, tan­dis qu'Athanase Ier, dont il projette l'ombre sur chacun des autres patriarches de l'époque, personnifie le mauvais pasteur.

REB 59 2001 France p. 147.

Matoula COUROUPOU- Paul GÉHIN, Nouveaux documents chypriotes. — L'article présente quatre manuscrits chypriotes de la collection Panaghia du Patriarcat Œcuménique. Les textes transmis par ces manuscrits, aussi bien que les colophons et les annotations qu'ils