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Le système juridique de l’OHADA et l’attractivité économique des Etats parties 20 ans après : bilans et défis à relever REFLEXION POUR UNE MEILLEURE APPLICATION SUBSTANTIELLE DU DROIT OHADA Par Roger Masamba Professeur à l’Université de Kinshasa Président de la Commission Nationale OHADA - RDC Colloque organisé par l’Association pour l’Efficacité du Droit et de la Justice Université Panthéon-Sorbonne, 20 juin 2013

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Le système juridique de l’OHADA et l’attractivité économique des Etats

parties 20 ans après : bilans et défis à relever

REFLEXION POUR UNE MEILLEURE APPLICATION

SUBSTANTIELLE DU DROIT OHADA

Par Roger Masamba

Professeur à l’Université de Kinshasa

Président de la Commission Nationale OHADA - RDC

Colloque organisé par l’Association pour l’Efficacité du Droit et de la Justice

Université Panthéon-Sorbonne, 20 juin 2013

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SOMMAIRE

I - LA NECESSITE D’AMELIORER LES PROCEDURES D’ELABORATION ET DE RECEPTION

DES NORMES DE L’OHADA

A - L’élaboration des normes

1 - Harmonisation des règles

2 - Domaine du droit des affaires

B - La réception des normes

1 - L’appropriation du droit OHADA dans les Etats parties

a - Mise en conformité des droits nationaux

b - Mise à niveau des utilisateurs des normes

2 - La concurrence des normes (conflits de lois)

a - La concurrence entre normes nationales et communautaires

b - La concurrence entre normes communautaires

II - LA NECESSITE D’AMELIORER LA QUALITE DES NORMES DE L’OHADA

A - La qualité des normes générales

1 - Les contradictions internes du droit OHADA

a - L’entreprenant

b - La qualité d’associé

c - La société de fait

d - Le destinataire de la requête en injonction de payer ou de restituer

e - Le cas d’inertie du juge à l’issue de la phase de conciliation

f - L’immunité de saisie

2 - Les lacunes du système OHADA

B - La qualité des normes spéciales

1 - Problèmes posés par certaines règles dérogatoires

2 - Problèmes posés par certaines règles transitoires

III - LA NECESSITE D’AMELIORER L’ACTIVITE JUDICIAIRE ET ARBITRALE DANS L’ESPACE

OHADA

A - La pratique judiciaire des Etats parties et le risque d’obstruction à l’édifice communautaire

1 - Conflits négatifs et positifs de compétence

2 - Exécution provisoire et défenses à exécuter

3 – Tierce opposition, requête civile et prise à partie

B - La pratique judiciaire et arbitrale communautaire

1 - Organisation et fonctionnement

2 - Compétence distributive

a - Matières mixtes

b - Matières pénales

3 - Léthargie de la procédure consultative de la CCJA et de l’arbitrage

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Introduction

Vingt années d’existence et une quinzaine d’années de pratique ont fait de

l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) une

icône du monde juridique africain et l’une des organisations africaines dont les actions

sont les plus perceptibles et certainement les plus porteuses de germes de sécurité

juridique et judiciaire. Le rayonnement mondial que connaît cette organisation, sa

crédibilité, sa maturité ainsi que sa capacité d’autocritique et de relecture constituent

des atouts majeurs pour son avenir.

En effet, en vingt ans, l’organisation a mis en place un cadre institutionnel

opérationnel et performant, l’a ajusté et amélioré, ainsi qu’un cadre matériel et

processuel qui a maintenant fait ses preuves. Son action a été empreinte de

dynamisme, de persévérance, d’engagement militant, presque de foi. Sa démarche a

engendré le succès. En témoigne, la doctrine africaine qui a véritablement changé de

nature, d’allure, de vitesse et dont les fruits impressionnent chaque jour davantage. Et

la jurisprudence communautaire, assise sur des arrêts qui font honneur, montrant qu’il

est possible de dire le bon droit, même en Afrique. De tous ces éclats, il se dégage un

esprit novateur et une contribution marquante à l’évolution de la pensée juridique de

notre temps, en particulier sur la question de l’intégration juridique et de la justice

communautaire, mais aussi par une flexibilité audacieuse qui bouscule les sentiers

battus sur la conception et le domaine du droit des affaires.

Et tout cela avec un impact réel sur l’attractivité économique : la mise en œuvre du

corps de règles constituant le droit OHADA suffit, à elle seule, répète souvent la

Banque Mondiale, pour atteindre les objectifs visés par la moitié au moins des

indicateurs de Doing Business. Les observateurs de la qualité et de l’efficacité du

droit, comme l’Institut international de Droit d’Expression d’Inspiration Françaises

(IDEF), comme l’Association pour l’efficacité du Droit et de la Justice (AEDJ), ou

encore les auteurs qui s’adonnent à l’analyse économique du droit, relèvent aussi tout

ce que l’OHADA peut signifier en termes d’amélioration du système juridique.

Ainsi, si le climat des affaires est une chaîne du progrès, cette chaîne se compose alors

de maillons de plusieurs couleurs dont certains symbolisent la gouvernance et la lutte

contre la corruption ainsi que l’état de droit, le plus lumineux étant à coup sûr

l’OHADA en tant qu’outil de promotion de la sécurité juridique et judiciaire dans les

Etats parties.

Le contexte dans lequel se meut l’édifice OHADA a beaucoup évolué : les guerres

s’effacent jour après jour, la démocratie s’installe, bon an mal an, l’impératif de bonne

gouvernance devient incontournable. Et le cadre macroéconomique montre que, dans

un monde en crise, l’Afrique se fraie un nouveau chemin, certes trop lentement, mais

avec plus d’audace que par le passé. De toute évidence, il faudra petit à petit apprendre

à conjuguer l’afro-pessimisme au passé, et savoir regarder l’avenir avec à l’esprit une

dose substantielle d’afro-optimisme. Les résultats et les enseignements des vingt ans

de l’OHADA s’apprécient donc au regard du profil qu’affiche une Afrique en

mutation et dans un contexte dynamique nettement plus favorable et prometteur à

l’heure du bilan, à l’instant de la reddition des comptes, qu’au moment du démarrage

de cette belle aventure juridique. Clairement positif, le bilan met tout aussi clairement

en exergue des imperfections à corriger et des défis à relever. Pour y parvenir, le

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temps d’une célébration d’anniversaire doit faire émerger instantanément le temps

d’une réflexion approfondie et d’un débat franc pour provoquer la levée des options

stratégiques indispensables à la consolidation de l’œuvre accomplie et à l’avenir de

l’organisation.

Quelles sont les failles ou les faiblesses de l’OHADA et comment les surmonter ?

C’est l’une des questions essentielles en pareille circonstance, mais pas la seule, loin

s’en faut ! Quelle attitude adopter en cas de matières mixtes portées devant la CCJA,

ou en cas de prescrits logomachiques par rapport à ceux des autres organisations

régionales ? Combien de temps et combien de formalités faut-il compter pour combler

certaines lacunes et réparer des contradictions internes des normes de l’OHADA ? Que

faire face à certains risques d’obstruction ou d’asphyxie du système par des

mécanismes subtils de résistance ou de rébellion des juridictions nationales (tierce

opposition, requête civile, prise à partie) ?

Faut-il repenser l’OHADA ? Faut-il encore plus d’OHADA ou, à l’inverse, est-ce que

« trop d’OHADA tue l’OHADA » ? Faut-il renforcer le contrôle de ses institutions, en

procédant notamment à des audits de gestion et à des audits stratégiques afin d’être à

même de concevoir un plan stratégique de développement ? Faut-il se satisfaire d’une

« petite » CCJA pour connaître des pourvois émanant de plusieurs dizaines, peut-être

un jour d’une centaine, de cours d’appel et juridictions statuant en dernier ressort ?

Quant et comment renverser la léthargie qui caractérise l’arbitrage et la timidité des

demandes d’avis consultatifs à la CCJA ? Quels mécanismes de coopération envisager

en réponse ou en marge du cri des hautes juridictions suprêmes nationales ? Comment

optimiser la réception des normes et, pour les pays adhérents, revoir certaines

dispositions transitoires édictées en 1993 (dont le délai de soixante jours pour l’entrée

en vigueur d’un droit uniforme désormais volumineux et complexe) ?

Des questions récurrentes qui reviennent, sous diverses expressions, à travers la

doctrine ainsi que les innombrables colloques et ateliers1. Leur occurrence montrent

que, au-delà du succès, mais loin de la perfection, des efforts d’envergure doivent

encore être déployés sous la pression et avec le concours de chacun d’entre nous.

Vingt ans d’OHADA, c’est aussi vingt ans de questionnements ! En tout état de cause,

arrivée aujourd’hui à un tournant de son histoire, l’OHADA a besoin de réponses et de

stratégies, d’options et de pistes, la vision étant connue.

Tel est le sens profond et la raison d’être de la présente réflexion qui, sur base d’une

analyse des tendances jurisprudentielles et doctrinales, mais aussi et surtout de

l’observation empirique, aboutira à un simple constat : pour préserver la crédibilité de

l’organisation, renforcer sensiblement l’attractivité de l’espace OHADA et amplifier

les progrès enregistrés durant deux décennies, il importe d’améliorer le processus

normatif (I) et la qualité des normes (II) ainsi que l’activité judiciaire et arbitrale (III).

1 Voir notamment : Sous la direction de Paul-Gérard Pougoué, Encyclopédie du droit OHADA, Paris, Lamy, 2012 ; Joseph Issa Sayegh, Répertoire Quinquennal de la CCJA ; Joseph Issa Sayegh et Paul-Gérard Pougoué, L’OHADA : défis, problèmes et tentatives de solutions, communication au colloque de Ouagadougou, 2008 ; Mahutodji Jimmy Vital Kodo, L’application des Actes uniformes de l’OHADA, PUR et Académia-Bruylant (Bruxelles),

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I. LA NECESSITE D’AMELIORER LES PROCEDURES

D’ELABORATION ET DE RECEPTION DES NORMES DE

L’OHADA

Le droit uniforme repose sur des règles communes couvrant une large part du droit

des affaires. L’élaboration de ces règles prend en compte les progrès de la pensée

juridique et le souci d’améliorer le climat des affaires. Tout le droit des affaires

n’est cependant pas couvert. Des matières comme le droit des investissements ou

le droit de la concurrence échappant encore au système. L’uniformisation est loin

d’atteindre son apogée, de multiples renvois aux lois nationales et le refus

d’édicter des sanctions pénales communes alimentant inévitablement des disparités

au sein de l’espace communautaire.

Au delà de la nécessité de réduire autant que possible les conséquences découlant

de ces disparités et de mener une réflexion approfondie sur l’approche du droit

communautaire des affaires, tout en améliorant le processus d’élaboration des

textes et en transcendant certains formalismes (A), il importe de renforcer les

mécanismes de vulgarisation et de formation des utilisateurs des normes de

l’OHADA afin d’en optimiser l’assimilation et l’appropriation, gages de

l’effectivité et de l’efficacité du droit uniforme (B).

A. L’élaboration des normes

La détermination du domaine du droit des affaires (1) dépend de l’approche

que l’on retient de cette discipline ainsi que de la démarche et du rythme que

l’on choisit pour sa mise en œuvre. Des choix s’imposent aussi quant au mode

d’intégration juridique qui permettrait de mieux rencontrer la teneur du

préambule du Traité de Port-Louis et atteindre les objectifs que l’article 1er

lui

assigne à l’OHADA. Certes, l’harmonisation voulue s’est muée en

uniformisation. Mais doit-il en être ainsi en toute circonstance et dans

l’ensemble des compartiments du droit des affaires ? Quelle conduite la

recherche d’efficacité et d’effectivité impose aujourd’hui et demain ? A vingt

ans d’âge, l’organisation doit trouver réponse à pareils questionnements (2).

1) Harmonisation des règles

Les fondateurs de l’OHADA ont explicitement privilégié l’harmonisation du

droit des affaires comme mode d’intégration juridique. Ainsi en témoigne la

dénomination « Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des

Affaires ».

De même en est-il de l’article 1er

du Traité de Port-Louis qui précise son objet,

à savoir l’harmonisation du droit des affaires : « Le présent Traité a pour objet

l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats Parties par l’élaboration et

l’adoption de règles communes, simples, modernes et adaptées à la situation

de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires

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appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le

règlement des différents contractuels ».

Logiquement, ce processus pouvait ne générer que des mécanismes juridiques

similaires au règlement européen, à savoir un ensemble de principes que les

Etats membres s’engagent à intégrer dans leurs législations internes2.

Contrairement à ce que les mots exprimaient au départ, en visant

l’harmonisation, l’OHADA a atteint l’uniformisation, la récolte ayant surpris la

semence ! Il est vrai que des germes d’uniformisation étaient déjà perceptibles

dans l’article 1er

du Traité dont l’article 1er

prévoit que l’harmonisation

s’opérerait par des règles communes.

Il apparaît donc des sortes de « convergences parallèles » entre l’objet et la

méthodologie du traité, entre le but recherché (harmonisation) et les moyens

d’action retenus (uniformisation). Ce dualisme des paramètres ne cessera

d’alimenter les débats : pour les uns, les renvois aux législations nationales et

le refus de toute compétence communautaire en matière de sanctions pénales

affectent l’uniformisation et trahit la pensée des pères fondateurs, pour les

autres, la cohabitation d’Etats souverains s’accommoderait mal avec une

uniformisation à outrance. Pour ces derniers, seule l’harmonisation, même très

poussée, garantirait le progrès, le succès, l’expansion et la pérennité de

l’OHADA. Selon la tendance que l’on privilégie, on encouragera ou on

découragera l’extension matérielle et territoriale de l’OHADA, on stigmatisera

« trop d’OHADA » ou « pas assez d’OHADA », on recherchera la mutation du

droit des affaires vers un droit privé de l’OHADA aux frontières poreuses ou, à

l’inverse, un droit des affaires aux contours imperméables et circonscrits par

des critères précis.

Dans ce contexte, ne vaudrait-il pas mieux de lever une option claire qui

permettrait de dégager une approche unique du droit OHADA ? Il faut

naturellement répondre par l’affirmative et inciter la doctrine africaine et les

institutions communautaires à cet exercice.

Un réflexe pragmatique conduira alors à palper, à affiner et à mieux encastrer

les pièces du puzzle OHADA, organisation regroupant des Etats dont il serait

difficile de méconnaître les spécificités et la souveraineté, même si

l’appartenance de la majorité d’entre eux à la famille romano-germanique

facilite les rapprochements.

A ce stade déjà, par pragmatisme, l’uniformisation au sens strict et rigide n’a

pas été de mise. C’est donc cette uniformisation souple, ou si l’on préfère, cette

harmonisation rigide, qui s’imposerait assurément, mais en réduisant autant

que faire se peut, les disparités au sein de l’espace OHADA. C’est du reste ce

qui justifie l’initiative récemment amorcée par le Secrétariat Permanent de

l’OHADA par la conception et l’envoi aux Etats parties d’une loi-modèle en

matière de sanctions pénales. A cet égard, force et de relever que d’autres lois

2 Joseph Issa-Sayegh et Jacqueline Lohoues-Oble, Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2002, n˚ 92

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types pointent déjà le nez à l’horizon, si l’on peut y assimiler les projets d’acte

uniforme sur le droit du travail, le droit de la consommation ou même le droit

des obligations (à la suite du projet relatif au droit des contrat). Chaque Etat

serait libre d’en faire usage, notamment en s’en inspirant dans un processus de

modernisation de ses lois nationales.

2) Domaine du droit des affaires

Le traité a opté pour une conception large, voire élastique du droit des affaires.

On peut se demander si chaque législateur même communautaire est habilité à

définir à sa guise une matière juridique et à en tracer les frontières. La question

est d’autant plus cruciale que la définition du droit des affaires n’a jamais mis

tout le monde d’accord. La réponse est naturellement positive. Maurice

Duverger ne manquait jamais de rappeler à ses étudiants que « le parlement

peut tout faire », « sauf », disait-il au milieu de la décennie soixante-dix –

« même », s’exclamerait-il aujourd’hui –, « transformer un homme en

femme ».

Visant visiblement tout ce qui concerne l’entreprise, ses structures, ses biens,

ses activités et ses relations d’affaires, l’article 2 du traité inclut dans le

domaine du droit des affaires :

« (…) l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut

juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux

voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la

liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit

comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le

Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure (..) ».

La doctrine se félicite que les matières ci-dessus, à une exception près (droit

du travail), aient effectivement été harmonisées. Mais elle s’inquiète de

l’émergence d’une tendance à l’extension presque exponentielle vers de

nombreuses autres matières, se souvenant d’un vieil adage : « qui trop

embrasse, mal étreint » !

Il est vrai que, pendant que l’on s’efforce d’assimiler le nouveau droit des

affaires et que l’on ressent le besoin d’actualiser et améliorer l’existant, les

projets d’extension du domaine du droit des affaires par de nouvelles matières

peuvent surprendre. Mais l’immobilisme aurait sans doute aussi choqué et

déçu ! Peut-être que la voie médiane consisterait à avancer à pas mesuré, sans

trop courir.

Ce qui est certain, c’est que la voie de l’harmonisation continue de s’ouvrir. En

effet, certaines matières ont déjà été alignées sur la liste susmentionnée par le

Conseil des Ministres, tandis que d’autres font l’objet d’une étude de faisabilité

et d’opportunité de l’extension de l’OHADA : affacturage, crédit-bail,

médiation commerciale, franchise, sous-traitance, règlement des conflits de lois

et circulation des actes publics, contrats de partenariat public-privé.

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Il faut cependant relever la sagesse du Conseil des Ministres qui, en sa session

de décembre 2012 comme en celle de juin 2013, a adopté le principe selon

lequel la modification intégrale ou partielle d’un Acte uniforme est

subordonnée à un audit préalable dont le rapport doit être soumis à

l’appréciation du Conseil.

Mais, en rapport avec l’approche du droit uniforme, le moment de rectifier le

tir ou d’affiner les options de base n’est-il pas arrivé en cette période

d’anniversaire qui peut aussi marquer un tournant historique de la trajectoire de

l’OHADA.

Dans cette perspective, la technique de l’uniformisation des textes, privilégiant

une harmonisation forte, s’illustrant par des normes proches des actes uniques,

serait réservée aux matières énumérées à l’article 2 du traité. Des extensions

mesurées et limitées seraient encore concevables, mais en les encadrant par des

critères précis permettant de tracer des contours non élastiques du domaine du

droit des affaires uniformisé.

Au contraire, la technique de l’harmonisation serait consacrée à un domaine

plus vaste et son usage s’accommoderait de la faculté des Etats parties à

intégrer librement dans leurs ordres juridiques internes respectifs tout ou partie

du droit des affaires harmonisé (s’ajoutant aux actes uniformes correspondant à

l’énumération de l’article 2 du traité). Cette harmonisation souple s’appuierait

sur des lois-types éventuellement assorties de variantes et proposées aux Etats

parties, éventuellement avec une ouverture aux autres Etats membres de

l’Union Africaine.

Ainsi, par voie d’une révision du Traité de Port-Louis, le droit communautaire

de l’OHADA comprendrait deux branches fondamentales : le droit des affaires

uniformisé, d’application immédiate, directe et obligatoire, et le droit des

affaires harmonisé, d’application subordonnée à une intégration formelle dans

l’ordre juridique interne de chaque Etat intéressé.

B. La réception des normes

L’efficacité et l’effectivité de la mise en œuvre du droit uniforme requièrent la

mis en conformité du droit national et l’adaptation des règles communes à

l’ordre juridique interne (notamment pour y puise des substituts aux termes

génériques et répondre aux renvois). Cet exercice en appelle un autre, tout

aussi déterminants : la mise à niveau des utilisateurs du droit OHADA,

notamment par la vulgarisation et la formation ainsi que l’encadrement des

commissions nationales OHADA (1).

La réception des normes et leur application efficiente oblige aussi à gérer les

difficulté issus de deux types de conflits de lois, d’une part entre le droit

uniforme et les droits nationaux, d’autre part, entre le droit uniforme OHADA

et les autres droits uniformes (2).

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1) L’appropriation du droit OHADA dans les Etats parties

a) Mise en conformité des droits nationaux

Les Actes uniformes ont vocation à s’appliquer dans plusieurs ordres

juridiques nationaux comportant différentes approches et institutions

relatives aux entreprises et à la mise en œuvre du droit des affaires.

Cette réalité, qui rappellent que l’uniformisation stricto sensu n’est pas

pour demain, oblige à organiser une mise en conformité des droit nationaux

sur le droit OHADA, mais aussi une mise en conformité du droit OHADA

pour sa lecture optimale et son application efficiente dans chaque Etat.

Paradoxalement, seuls trois pays ont globalement réalisé cette

gymnastique : le Sénégal, le Cameroun et la République Démocratique du

Congo. Heureusement, en plus du Mali qui a partiellement accompli ce

devoir, plusieurs pays sont déterminés à relever rapidement ce défi. En

attendant, pendant quelques temps encore, le rythme de mise en œuvre du

droit uniforme risque de se caractériser par des allures multiformes !

Outre la facilitation qui en découle pour les utilisateurs des normes de

l’OHADA, le meilleur résultat de l’harmonisation réside dans le fait que le

système ne peut connaître de fonctionnement optimal qu’à compter de la

mise en conformité réciproque. L’interpellation qu’elle apporte porte sur

les deux vitesses de la machine communautaire, d’une part, et sur les

disparités inhérentes à la survie des dispositions nationales concernant les

sanctions pénales et répondant aux multiples renvois des Actes uniformes,

d’autre part.

Face à ce grain de sable, qui peut rouiller et dérouter la machine, une

solution probablement salvatrice est en cours d’expérimentation : le

recours aux lois-modèles mises à la disposition des Etats parties. La

première tentative de ce genre porte sur les dispositions relatives aux

sanctions pénales). Une consécration de cette approche et la conception

d’autres lois-modèles constituent le gage d’une indispensable

« harmonisation communautaire des harmonisations nationales » pour

éviter que les dispersions ou divergences découlant des mises en

conformités des législations internes produisent un effet cacophonique au

niveau de l’espace communautaire (par exemple, une même infraction

pénale serait frappée avec laxisme ou rigueur, selon le lieu de sa

commission).

Le processus de mise en conformité repose sur la démarche suivante :

- recensement et analyse les textes de droit interne correspondant aux

Actes uniformes ;

- confrontation des normes congolaises avec celles de l’OHADA ;

- établissement d’un tableau des termes génériques utilisés dans les

Actes uniformes et précise la formulation retenue en RDC ;

- indication des sanctions pénales qu’appellent les incriminations

définies dans les Actes uniformes ;

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- détermination du mode de conversion de la monnaie utilisée dans

les Actes uniformes (CFA) en monnaie nationale des Etats parties

ne relevant pas de la zone Franc ;

- identification des institutions et professions citées par le droit

uniforme et mention de leurs correspondantes en droit interne.

Cette mise en conformité doit déboucher sur une loi de mise en œuvre

relative aux matières susvisée (particulièrement en matière pénale en raison

du principe de légalité des peines), étant précisé que ladite loi viendra

perfectionner le système, mais qu’en attendant son adoption des règles

existantes et diverses mesures pratiques permettraient de ne pas retarder

l’application du droit OHADA.

Enfin, à la faveur du processus de mise en conformité, des réformes

collatérales mériteraient d’être préconisées pour répondre à certaines

préoccupations en ligne avec la mise en œuvre optimale du nouveau droit

des affaires : création du référé en matière commerciale, institution du

crédit-bail, adoption d’une réglementation sur la micro-finance, réforme du

notariat, modernisation de la profession de greffier et de celle d’huissier de

justice, création de l’ordre des experts comptables, entre autres.

b) Mise à niveau des utilisateurs des normes

La vulgarisation et la formation sont indispensables pour une meilleure

réception du droit uniforme et pour l’efficacité de l’application des règles

issues de ce droit.

Pour améliorer l’existant en ce domaine, il paraît urgent de renforcer le rôle

et les moyens de l’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature

(ERSUMA). La décision de changer sa dénomination, prise par le Conseil

des Ministres en juin 2013, est peut-être un signe annonciateur à cet égard.

Certes, l’ERSUMA compte à son actif d’impressionnantes réalisations.

Mais vingt ans après la création de l’OHADA, il faut se rendre à l’évidence

et ajuster les stratégies. Ainsi, par exemple, la multiplication des

formations délocalisées s’avère opportunes. De même sera-t-il fort utile

d’examiner la possibilité de décentraliser certains projets par l’institution

d’antennes régionales.

A moins d’acheter des avions et des hôtels, il sera impossible à l’OHADA

d’organiser la formation des quatre mille magistrats et huit mille avocats

congolais (sans compter les juristes d’entreprise, les experts comptables et

autres utilisateurs des normes OHADA) en les invitant tous, ou même à

tour de rôle, à Porto-Novo. Ce qui était réalisable hier pour le Sénégal qui

compte deux cent magistrats et trois cents avocats (bon nombre d’Etats

parties n’atteignent pas ces effectifs) ne peut s’envisager pour la RDC !

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2) La concurrence des normes (conflits de lois)

a) La concurrence entre normes nationales et communautaires

“Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les

États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne,

antérieure ou postérieure.” (Art. 10 du Traité)

En principe, aucun télescopage n’est imaginable entre les normes

nationales et les normes communautaires. En effet, celles-ci ont une

suprématie sur celles-là en vertu de l’article 10 du traité, mais aussi en

application des règles constitutionnelles internes qui font prévaloir les

traités et leurs dérivés sur les lois nationales.

La pratique offre cependant des exemples surprenants3. Ainsi, certains

justiciables continuent de s’appuyer sur des textes internes pourtant

abrogés. De même, les tribunaux emboîtent parfois le pas aux plaideurs qui

oublient ou feignent d’oublier la suprématie, voire l’existence même, du

droit uniforme. Tant que personne ne saisit la Cour Commune de Justice et

d’Arbitrage (CCJA), le droit national s’appliquera dans une clandestinité à

peine voilée et en torpillant le droit communautaire. Aussi devient-il

impérieux de développer, sous l’égide de la CCJA, des mécanismes de

monitoring de la pratique judiciaire au sein de l’espace OHADA.

Le législateur, à son tour, commet parfois l’erreur de légiférer là où il n’en

a plus le pouvoir.

Par exemple, en matière de saisie conservatoire, le nouveau Code

d’organisation et de compétence judiciaires de la RDC dispose en son

article 111 : « Quelle que soit la valeur du litige, les Présidents des

tribunaux de paix, ou, à défaut, les Présidents des tribunaux de grande

instance, là où les tribunaux de paix ne sont pas installés, peuvent

autoriser les saisies arrêts et les saisies conservatoires en matière civile ou

commerciales ».

Cette disposition pose un réel problème, car l’article 49 de l’Acte uniforme

portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des

voies d’exécution donne formellement compétence au « président de la

juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui »

qui seul peut « statuer sur tout litige ou toute demande relative à une

mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ».

Visiblement le juge de l’urgence visé ici est le juge de référé, non pas

seulement le juge qui peut être saisi par simple voie d’abréviation du délai

de comparution. Le juge de référé n’existe pas encore en RDC. Certes des

3 Narcisse Aka, La problématique des processus d’intégration judiciaire dans l’espace OHADA, in Symposium sur l’intégration Africaine, Abidjan, Institut Goethe, 4-5 juillet 2008, pp. 77-78.

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tribunaux de commerce ont baptisé certains procédés de « référé ». Il ne

s’agit pas du référé classique, ni même d’une pratique consacrée par la loi.

On dénombre aussi de fausses concurrences. Ainsi, l’article 116 du même

Code fait l’objet de pas mal de critiques de la part des praticiens congolais

qui estime que le législateur s’est trompé dans l’exercice de son pouvoir.

Ce texte crée une chambre commerciale au sein de la Cour de cassation

(anciennement dénommée Cour suprême de justice) et reconnaît à la haute

juridiction nationale une compétence en matière commerciale, alors que,

soutiennent ceux qui le stigmatisent, la CCJA a une compétence exclusive

en cette matière.

En réalité, la compétence de la haute juridiction communautaire se limite

aux Actes uniformes dont elle est juge suprême de l’interprétation et de

l’application au niveau de la cassation, à condition que les décisions qui lui

sont soumises ne fassent pas application de sanctions pénales. La CCJA n’a

donc pas le monopole de la compétence en droit commercial. Une large

part des matières commerciales lui échappent, outre celles pour lesquelles

sa compétence est écartée en cas de sanctions pénales : assurance, propriété

intellectuelle, droit minier, transport de marchandises par voie aérienne ou

maritime, par exemple.

b) La concurrence entre normes communautaires

La doctrine s’est, à juste titre, inquiétée du risque de conflits de lois entre

plusieurs systèmes d’intégration juridique qui se partagent un espace

régional : l’OHADA pour le droit des affaires, la Conférence Interafricaine

de la Prévoyance Sociale (CIPRES) pour le droit social, la Conférence

Interafricaine des marchés d’assurance (CIMA) pour le droit des

assurances, l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI)

pour le droit de la propriété intellectuelle.

De même peut-il en être d’un risque de télescopage de l’OHADA avec

l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), la

Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) et la

Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC), la liste

devant, avec l’arrivée de la RDC, s’élargir à terme à la Communauté

Economique des Etats d’Afrique Australe (SADC), le Marché Commun de

l’Afrique Australe (COMESA) et la Communauté des Pays des Grands

Lacs (CPGL).

Comme le relève un auteur4 : « quand un texte de l'UEMOA prohibe la

compensation des dettes de l'Etat et qu'à l'opposé un autre de l'OHADA

(article 30 alinéa 2 de l'Acte uniforme sur le recouvrement simplifié et

voies d'exécution) autorise cette compensation, le juge national devient

nécessairement impuissant car quelle que soit sa décision, l'une des parties

4 Ibrahima Khalil Diallo, La problématique de l’intégration africaine : l’équation de la méthode, Bulletin du Transport Multimodal, n° 00, p. 8.

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13

pourrait obtenir la remise en cause de ce jugement à la faveur du cadre

juridictionnel existant ».

A défaut de concertations entre les organisations concernées ou entre les

rédacteurs des différentes normes uniformes, seul le recours aux règles de

conflits des lois pourrait s’avère inévitable5 : « Pour des questions qui ne

sont pas tranchées par des règles matérielles uniformes, la complétude de

l’ordre juridique OHADA se réalise donc grâce à une référence implicite

aux règles de droit international privé nationales ou à un recours exprès aux

règles communes de conflit de lois ». Le professeur Joseph Issa Sayegh

observe également à cet égard : « en cas de conflit entre deux règles de

droit uniforme, aucune solution n’étant préétablie, il faut recourir aux

solutions des conflits de lois internes (ce qu’elles sont, en définitive) ; si les

règles en présence relèvent, l’une du droit commun, l’autre d’un droit

spécial c’est celle du droit spécial qui l’emporte ; mais si elles sont toutes

deux de droit commun ou de droit spécial, c’est la plus récente qui

l’emporte »6.

Ces risques de concurrence sont certes moins nombreux que l’on ne

pourrait imaginer, mais méritent un regard attentif des institutions de

l’OHADA. La présence, à titre d’observateurs lors des réunions du Comité

d’experts de l’OHADA et de l’assemblée plénière des Commissions

nationales, des représentants de certaines organisations (notamment

UEMOA, CEMAC) permet de prévenir ce risque, voire de le minimiser.

Encore faudrait-il maintenant, à cette même fin préventive, allonger le

nombre des observateurs pour y inclure la CEEAC, la SADC, le COMESA

et la CPGL, auxquelles la RDC fait partie.

II. LA NECESSITE D’AMELIORER LA QUALITE DES NORMES

DE L’OHADA

Des années d’application du droit OHADA, au niveau des Etats parties comme au

niveau de la CCJA, doivent permettre une évaluation en vue d’identifier les

difficultés liées à certaines dispositions et les corrections qui s’imposent tant en ce

qui concernent les règles générales ou permanentes (A) que les règles dérogatoires

ou transitoires (B).

Le recul du temps et l’épreuve du terrain offrent en effet l’opportunité de se

satisfaire d’un succès, mais aussi de déceler les erreurs, les contradictions, les

lacunes.

A. La promotion de la qualité des normes générales

5 Gérard Ngoumtsa Anou, Droit OHADA et conflits de lois, PARIS, LGDJ, 2013, page 26. 6 Joseph ISSA-SAYEGH, Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles), in Congrès 2008 de Lomé :Le rôle du droit dans le développement économique, http://www.institut-idef.org/Le-bilan-jurisprudentiel-du-droit.html

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14

L’analyse des normes générales qui s’appliquent aux sujets du droit des

affaires révèle quelques lacunes qu’il importerait de combler pour la solidité de

l’édifice ainsi que des contradictions résultant souvent de l’inadvertance du

législateur communautaire ou même d’une imprécision, voire une confusion,

de concepts (1). L’observation vaut aussi pour quelques règles spéciales

établissant des régimes dérogatoires et transitoires (2), mais plus

spécifiquement par la défectuosité du style utilisé ou l’inadaptation du délai

défini à la création de l’organisation.

1) Les contradictions internes du droit OHADA

Certaines dispositions du droit uniforme posent problèmes (comme

l’illustrent quelques cas repris ci-dessous), soit parce qu’elles portent

des germes de contradiction ou même d’incohérence, soit parce qu’elles

constituent des erreurs qui appellent correction. L’actualisation

progressive des Actes uniformes et, tout récemment du Règlement de

procédure de la CCJA, aident à amender de tels dispositions.

Mais faudrait-il sacrifier temporairement la sécurité juridique, donc les

droits des justiciables, et attendre une révision globale quant une erreur

inadmissible est décriée et reconnue ? Il importe d’accepter le principe

qu’une correction s’impose promptement lorsqu’une disposition pose

problème, quitte à revenir ensuite sur l’Acte uniforme auquel elle fait

partie pour une révision globale.

a) L’entreprenant

L’article 30 AUDCG sur l’entreprenant, dont la formulation ne

manquera pas de contribuer sensiblement à l’absorption du secteur

informel, institue une passerelle pour la mutation du statut de

l’entreprenant vers celui de commerçant lorsque le chiffre d’affaires

franchit un seuil donné.

Deux alinéas de cet article se contredisent à cet égard.

En effet, en son deuxième alinéa, l’article 30 dispose :

“ L’entreprenant conserve son statut si le chiffre d’affaires annuel

généré par son activité pendant deux exercices successifs n’excède pas

les seuils fixés dans l’Acte uniforme portant organisation et

harmonisation des comptabilités des entreprises au titre du système

minimal de trésorerie ».

Dans la mesure où « chaque État Partie fixe les mesures incitatives

pour l’activité de l’entreprenant notamment en matière d’imposition

fiscale et d’assujettissement aux charges sociales ” (Art. 30 AUDCG

alinéa 7), c’est peut-être le quatrième alinéa qui reflète l’esprit des

rédacteurs de cet article, mais alors en contradiction à la fois avec la

disposition de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation

des comptabilités des entreprises relative au système minimal de

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trésorerie et à celles du deuxième alinéa susvisé qui s’énonce comme

suit :

« Lorsque, durant deux années consécutives, le chiffre d’affaires de

l’entreprenant excède les limites fixées pour ses activités par l’État

Partie sur le territoire duquel il les exerce, il est tenu, dès le premier

jour de l’année suivante et avant la fin du premier trimestre de cette

année, de respecter toutes les charges et obligations applicables à

l’entrepreneur individuel. Dès lors, il perd sa qualité d’entreprenant et

ne bénéficie plus de la législation spéciale applicable à

l’entreprenant ».

b) La qualité d’associé

La lecture croisée de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales et du GIE (AUSCGIE) et de l’Acte uniforme portant sur

le droit commercial général (AUDCG), auquel le premier renvoie sur ce

point, laisse dubitatif.

En effet, l’article 7 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales et du GIE dispose :

“ Toute personne physique ou morale peut être associée dans une

société commerciale lorsqu’elle ne fait l’objet d’aucune interdiction,

incapacité ou incompatibilité visée notamment par l’Acte uniforme

portant sur le Droit Commercial Général. ”.

Or, l’article 9 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial

général écarte les avocats (et quelques autres professionnels) de la

profession commerciale, ce qui donnerait à penser qu’un avocat, un

expert comptable agréé, un commissaire aux comptes (voire un

médecin), ne peuvent plus être associés dans une société régie par le

droit OHADA :

« L’exercice d’une activité commerciale est incompatible avec

l’exercice des fonctions ou professions suivantes : (…) auxiliaires de

justice : avocat, huissier, commissaire priseur, agent de change,

notaire, greffier, administrateur et liquidateur judiciaire ; (…) expert

comptable agréé er comptable agréé, commissaire aux comptes et aux

apports, conseils juridique, courtier maritime ; » ainsi que, « plus

généralement, toute profession dont l’exercice fait l’objet d’une

profession commerciale ».

Cette règle d’incompatibilité vise des activités, non pas des personnes :

« l’exercice d’une activité commerciale est incompatible avec

l’exercice des fonctions suivantes (…) ». Or si une société exerce

l’activité découlant de son objet social, il reste évident que ce ne sont

pas ses associés qui exercent ladite société. Cette observation est

également transposable au mineur lorsqu’il est associé : ce n’est pas lui

mais la société qui devient commerçante et qui effectue des actes de

commerce.

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S’il est compréhensible que l’Acte uniforme relatif au droit commercial

général n’admette pas le mineur non émancipé dans le cercle des

commerçants (« Le mineur, sauf s’il est émancipé, ne peut avoir la

qualité de commerçant ni effectuer des actes de commerce », précise

l’article 7 alinéa 1), il n’en va pas de même de l’Acte uniforme relatif

au droit des sociétés et du GIE dont l’article 7 susvisé revient à interdire

au mineur la qualité d’associé par cela seul qu’il ne peut ni être

commerçant ni poser des actes de commerce.

Pourtant, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et

du GIE pose lui-même une règle dont l’interprétation a contrario

conduit à considérer que les mineurs et incapables peuvent être associés

dans une société, à une seule condition : “ Les mineurs et les incapables

ne peuvent être associés d’une société dans laquelle ils seraient tenus

des dettes sociales au-delà de leurs apports. ” (Art. 8 AUSCGIE).

Paradoxe paroxystique ?

Enfin, en énonçant que “ deux époux ne peuvent être associés d’une

société dans laquelle ils seraient tenus de dettes sociales indéfiniment

ou solidairement. ” (Art. 9 AUSCGIE), le législateur OHADA a perdu

de vue l’existence de la polygamie dans certains. Trois époux seraient

donc associés là où deux ne le pourraient !

c) La société de fait

L’article 115 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés

commerciales et du GIE évoque la « société créée de fait » dans son

premier alinéa et procède à un renvoi par son alinéa 2 : « La société

créée de fait est régie par les dispositions des articles 864 et suivants

du présent Acte uniforme ».

En réalité l’article 864 réside dans le Livre VI intitulé « La société de

fait ». Cet article traite de la « société de fait » en lui donnant une

définition qui correspond en réalité à celle de la « société créée de

fait » :

« Il y a société de fait lorsque plusieurs personnes physiques ou

morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre

elles l’une des sociétés reconnues par le présent Acte uniforme ».

L’article 865 tente de rectifier le tir par ce qu’il semble présenter

comme une variante d’un même concept, société de fait, alors qu’il

s’agit cette fois, non pas une variante, mais de la seule définition de la

« société de fait » qu’il faut absolument ne pas confondre avec celle de

la « société créée de fait » :

« Lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales ont

constitué entre elles une société reconnue par le présent Acte uniforme

mais n’ont pas accompli les formalités légales constitutives ou ont

constitué entre elles une société non reconnue par le présent Acte

uniforme, il y a également société de fait ».

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Malheureusement, l’article 868 ramène la confusion : « Lorsque

l’existence d’une société de fait est reconnue par le juge, les règles de

la société en nom collectif sont applicables aux associés ». En réalité,

ce régime juridique constitue un costume sur mesure pour la « société

créée de fait » (société putative) qui se distingue de celui de la « société

de fait » (dont l’irrégularité de constitution justifie la nullité sans effet

rétroactif, à défaut de régularisation).

Une nouvelle rédaction de l’Acte uniforme, dont d’adoption devrait

intervenir en décembre 2013, apporte les corrections nécessaires, mais

garde encore imprudemment un seul régime juridique pour les deux

réalités juridiques (régime de la société en nom collectif). Allergique à

la nullité (ce qui est bien compréhensible), le droit OHADA des

sociétés et du GIE pèchera donc par un déficit de logique sur ce point,

car s’il est normal que l’on soumette au droit des sociétés un

groupement de personnes se comportant comme des associés, il est

anormal d’appliquer la même solution à une société mal constituée qui

doit naturellement être frappée de nullité. Autrement, la tentative de

créer une société anonyme entraînerait étrangement, en cas

d’irrégularité de constitution, l’application du droit de la société en nom

collectif. On pourrait dont former une société en nom collectif en créant

une fausse société anonyme ou une société à responsabilité limitée

irrégulière !

d) Le destinataire de la requête en injonction de payer ou de restituer

L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de

recouvrement et des voies d’exécution prévoit que « la demande est

formée par requête auprès de la juridiction compétente » (XXXXalinéa

1). S’agissant d’une requête et d’une procédure gracieuse, les règles de

l’organisation judiciaire et de la procédure civile commanderaient de

substituer « président de la juridiction compétente » à « juridiction

compétente ». Il importerait aussi de se conformer à l’article 5 qui

précise adroitement que « (…) le président de la juridiction compétente

rend une décision portant injonction de payer (…) ».

L’article 4 du même Acte uniforme dispose que « la requête doit être

déposée ou adressée par le demandeur (…) au greffe de la juridiction

compétente ». « Déposée », oui, encore qu’aucune alternative n’étant

concevable, il n’y a pas de place pour le « ou ». Mais, surtout, rien ne

justifie la formule « adressée au greffe » qui revient implicitement à

confondre cette autorité avec le destinataire de la demande, également

décideur.

Il est évident que le destinataire n’est pas le greffe, mais doit être un

organe ayant un pouvoir juridictionnel, en l’occurrence le président de

la juridiction compétente. Le préciser formellement aurait permis de

faire l’économie des débats qui font rage au Tribunal de commerce de

Kinshasa/Gombe (le plus important de la RDC), par exemple, où ne

sont admises que les requêtes strictement adressées (au sens de

destinataire) au greffier divisionnaire !

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e) Le cas d’inertie du juge à l’issue de la phase de conciliation

L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de

recouvrement et des voies d’exécution permet au débiteur de former un

recours ordinaire contre la décision d’injonction de payer : l’opposition

(article 9), qui est portée devant la juridiction dont le président a rendu

la décision d’injonction de payer. En pareille circonstance, « la

juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de

conciliation ».

Aucun délai n’est fixé pour cette tentative de conciliation dont l’issue

est capitale pour la nature de la décision finale à prendre. La

conciliation peut donc paradoxalement faire hiberner une procédure

dont la raison d’être est sa supposée simplicité et rapidité !

S’agissant de l’Acte uniforme qui vient très largement en tête des

dispositions communautaires occupant le prétoire au niveau tant

national que communautaire (CCJA), une correction s’impose pour

l’efficacité et la crédibilité des normes de l’OHADA. Elle ne peut

attendre le jour où ledit acte fera l’objet d’une révision d’ensemble !

f) L’immunité de saisie

En vertu du premier alinéa de l’article 30 de l’Acte uniforme portant

organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies

d’exécution, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont

pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité

d’exécution », sans indiquer qui sont ces personnes.

Certes, par sa formulation qui exprime un tempérament au principe

ainsi posé, le deuxième alinéa conduit à déterminer lesdites personnes

par déduction : « Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des

personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles

qu’en soient la forme et la mission, donnent leu à compensation avec

les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera

tenu envers elles, sous réserve de réciprocité ». Enfin le troisième

alinéa dispose que ces dettes « ne peuvent être considérées comme

certaines (…) que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de

ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire (…) ».

Ce texte, qui créé une immunité de saisie7, au profit des personnes

morales de droit public et des entreprises publiques, pèche à plusieurs

égards. D’une part, il aurait gagné en clarté en identifiant formellement

les bénéficiaires de cette immunité autrement que par une disposition

dérogatoire. D’autre part, il aurait pu définir ce qu’il faut entendre par

« entreprise publique » ou, à tout le moins, renvoyer explicitement aux

législateurs nationaux le soin de le faire.

7 Gaston Kenfack Douajni, L’exécution forcée contre les personnes morales de droit public dans l’espace OHADA, http://www.ohada.com/doctrine/ohadata/ D-02-28.

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La jurisprudence de la CCJA semble appliquer ce texte même au profit

des entreprises publiques devenues privées en vertu des dispositions

nationales ou que la loi range sous l’empire du droit privé (CCJA, 1ère

ch, arrêt n° 043/2005 du 7 juillet 2005, aff. Togo Télécom). Les

sociétés commerciales issues de la réforme du portefeuille de l’État ne

manqueraient pas d’exploiter cette aubaine, mais doivent prendre au

sérieux la probabilité d’un renversement de jurisprudence.

Cette situation, qui traduit la difficulté de catégoriser les entreprises

publiques que la loi transforme en société commerciale et de leur

reconnaître une nature et un régime juridique nouveaux, appelle

quelques réflexions pour améliorer le droit uniforme tant dans la qualité

de son contenu que dans l’efficacité de son application.

Par ailleurs, des tendances contradictoires sont déjà observées dans la

jurisprudence internationale (hors OHADA) dans un domaine qui fait

ou défait le lit des fonds vautours. Des décisions judiciaires (notamment

suisses et françaises) s’appuyaient sur l’idée qu’une entreprise sous

contrôle de l’État constitue l’« alter ego » et l’« émanation de l’État »

auquel elle doit être assimilée (y compris en termes de responsabilité,

ce qui revenait à admettre que les créancier de l’Etat puissent saisir

leurs actifs pour se faire payer), alors qu’en juillet 2012 un arrêt rendu à

Jersey par la plus haute juridiction de la Common Law a donné gain de

cause à la Gécamines en refusant de l’assimiler à l’État (Roger

Masamba, L’OHADA en RDC, www.congolegal.cd).

2) Les lacunes du système OHADA

L’OHADA a bonne presse pour ses réalisations, son audace, ses

ambitions et sa persévérance. En deux décennies, elle a accéléré

l’intégration juridique en mettant au point des Actes uniformes

couvrant les matières listées par le Traité et s’avance à pas sûrs vers des

matières nouvelles que le Conseil des Ministres a introduites dans

l’énumération décrivant le domaine du droit des affaires ainsi que

celles dont l’étude de faisabilité annoncée tracerait certainement la

route du droit uniforme (notamment affacturage, crédit-bail, sous-

traitance). Dans ce dernier lot, s’ajoute la coentreprise (joint venture)

qui se serait logiquement mieux insérée dans l’Acte uniforme révisé sur

le droit des sociétés commerciales et du GIE dont l’adoption est

attendue pour mi-décembre 2013.

L’OHADA se distingue aussi par la prudence avec laquelle elle éloigne

de son domaine, outre les sanctions pénales et diverses questions

faisant l’objet de renvois aux droits nationaux, bon nombre de matières

intéressant pourtant la vie de l’entreprise.

Ainsi en est-il des matières prises en charge par d’autres

réglementations uniformes (CIPRES, OAPI, CIMA), ou des aspects

sensibles et particulièrement liés à la souveraineté. Sur ce dernier point,

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force est de constater que certaines droits communautaires n’ont pas

hésité à assortir les règles communes de sanctions pénales communes.

Le droit OHADA a aussi choisi de ne pas toucher à certains pans de la

législation économique connue pour être souvent tributaire des options

stratégiques et souverainiste des Etats : droit des investissements, droit

financier, droit minier, droit des hydrocarbures, droit de l’énergie, droit

agricole, droit forestier, droit des télécommunications, entre autres. Les

législations nationales conservent leurs monopoles respectifs dans ces

matières.

Le souci de promouvoir le climat des affaires dans l’espace OHADA,

par un renforcement de la sécurité juridique et judiciaire, devrait

conduire à réfléchir sur la conception de lois-types dont chaque Etat

partie pourrait librement s’inspirer ainsi que sur la possibilité d’étendre

la compétence de la CCJA dans l’interprétation et l’application de ces

textes. De même pourrait-il en être pour l’interprétation et l’application

des règles communautaires des organisations régionales comme la

CIPRES, l’OAPI, la CIMA, la CEEAC, la SADC, le COMESA et la

CPGL.

B) La qualité des normes spéciales

Les rédacteurs du traité de l’OHADA et des Actes uniformes ont institué

une période transitoire pour l’entrée en vigueur des normes de l’OHADA.

Il faudra certainement en reconsidérer le délai. Des régimes transitoires

résultent aussi de certains actes uniformes pour permettent aux entreprises

de s’y conformes et, notamment, d’harmoniser leurs statuts. Nous

constaterons que les textes y relatifs mériteraient une relecture (2). De

même en est-il des dispositions instituant des régimes dérogatoires (1).

1) Problèmes posés par certaines règles dérogatoires

L’article 21 AUSCGIE édicte une règle dérogatoire relatif aux régimes

juridiques particuliers auxquelles sont soumises les activités de

certaines entreprises.

Sa rédaction ne pose aucun problème : “ Lorsque l’activité exercée par

la société est réglementée, la société doit se conformer aux règles

particulières auxquelles ladite activité est soumise. ” (Art.21

AUSCGIE)

Par contre, la lecture de l’article 916 AUSCGIE, qui institue également

une dérogation, mais en rapport avec le régime juridique particulier de

certaines entreprises, est d’une lecture peu digeste à partir de la

deuxième phrase qui mériterait une réécriture plus simple : “ Le présent

Acte uniforme n’abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont

assujetties les sociétés soumises à un régime particulier. Les clauses

des statuts de ces sociétés, conformes aux dispositions abrogées par le

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présent Acte uniforme mais contraires aux dispositions du présent Acte

uniforme et non prévues par le régime particulier desdites sociétés,

seront mises en harmonie avec le présent Acte uniforme dans les

conditions prévues à l’article 908 du présent Acte uniforme. ” (Art.916

AUSCGIE).

2) Problèmes posés par certaines règles transitoires

Le Traité de l’OHADA entre en vigueur soixante jours après le dépôt

de l’instrument d’adhésion. De même en est-il, outre des Règlement

d’application du traité, des Actes uniformes, sauf disposition contraire

desdits actes. Suffisant autrefois, pendant que les Actes uniformes

paraissent progressivement, ce délai paraît désormais trop bref en

raison de l’abondance et de la complexité du droit uniforme après vingt

ans d’existence de l’OHADA. Il est donc temps, par voie de révision du

traité, de le réajuster sensiblement à la hausse pour atteindre six ou

douze mois.

L’article 908 AUSCGIE organise la période transitoire en ce qui

concerne l’harmonisation des statuts :

“ Les sociétés et les groupements d’intérêt économique constitués

antérieurement à l’entrée en vigueur du présent Acte uniforme sont

soumis à ses dispositions. Ils sont tenus de mettre leurs statuts en

harmonie avec les dispositions du présent Acte uniforme dans un délai

de deux ans à compter de son entrée en vigueur ” (Art.908 alinéa 1

AUSCGIE)

Cet article trouve en quelque sorte sa suite dans l’article 919, certes

d’une rédaction peu heureuse et d’une compréhension acrobatique,

mais d’une importance capitale en période transitoire :

“ Sont abrogées, sous réserve de leur application transitoire pendant

une période de deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur du

présent Acte uniforme, aux sociétés n’ayant pas procédé à la mise en

harmonie de leurs statuts avec les dispositions du présent Acte

uniforme, toutes dispositions légales contraires aux dispositions du

présent Acte uniforme (…) » (Art.919 AUSCGIE).

Quel sort réserve-t-on aux dispositions anciennes, non pas contraires,

mais identiques et à celles qui s’avèrent ni contraires, ni identiques.

Faudrait-il transposer l’avis rendu par la CCJA le 30 avril 2001l sur la

portée de l’article 10 du traité, alors que l’article 919 prévoit une

exception temporaire (deux années de période transitoire instituée par

l’article 908) pour les sociétés dont les statuts ne sont pas encore

harmonisés et qui se réfèrent par cela seul à la seule loi nationale ?

La note doctrinale du quatrième édition du « Code Vert OHADA »,

sous l’article 919, citant un arrêt de la Cour d’appel de N’Djamena daté

du 29 septembre 2000 (se référant aussi aux points 1 à 4b de l’avis de

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la CCJA n° 001/2001/EP du 30 avril 2001, Ohada.com/Ohadata J-02-

04), indique que « dès son entrée en vigueur, l’Acte uniforme

s’applique même aux affaires pendantes », avant de préciser que, selon

la Cour d’appel de Cotonou, « l’article 919, l’Acte uniforme peut voir

son application différée de deux ans dès son entrée en vigueur »8.

En tout état de cause, l’article 919, dont la rédaction met visiblement la

doctrine dans l’inconfort quant à son interprétation, mériterait d’être

repensé et reformulé ou alors faire l’objet d’un avis de la CCJA.

III. LA NECESSITE D’AMELIORER L’ACTIVITE JUDICIAIRE

ET ARBITRALE DANS L’ESPACE OHADA

L’examen de la jurisprudence de la CCJA mis en exergue, sous la plume de Joseph

Issa-Sayegh9

, outre la qualité du travail judiciaire donnant globalement

satisfaction, « des turbulences jurisprudentielles et des controverses doctrinales »,

notamment sur « la nullité des actes de procédure » « l’exécution provisoire », les

voies de recours en matière de saisie immobilière, « les contestations prévues par

l’article 164 AUPSRVE sur les saisies attributions », étant précisé que « d’autres

dispositions qui auraient pu en provoquer sont passées sous silence : article 2

AUSCGIE sur le caractère d’ordre public des normes de cet acte ; article 10

AUSCGIE sur la définition des actes offrant des garanties d’authenticité ; le super

privilège des créanciers prévu par les articles 148 et 149 AUS et 166 et 167

AUPCAP ».

Dans ce contexte, l’attention des institutions de l’OHADA devrait se focaliser sur

les voies et moyens pouvant permettre une amélioration de l’activité de la CCJA

tant en sa qualité de juridiction suprême qu’en celle de centre d’arbitrage (B).

Cependant, un regard sur le comportement des juridictions nationales qui

appliquent le droit uniforme aux premier et second degrés est aussi indispensable

pour susciter la réflexion sur une contribution efficace desdites juridictions à la

réalisation des objectifs de l’OHADA (A).

A. La pratique judiciaire des Etats parties et le risque d’obstruction à

l’édifice communautaire

Visant notamment des erreurs de référence quant aux textes applicables ainsi

qu’une sorte de rébellion à l’égard de la CCJA et même la violation des règles

8 Joseph Issa-Sayegh, Paul-Gérard Pougoué et Michel Filiga Sawadogo (sous la direction de), OHADA : Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Paris, Juriscope, 4e édition, 2012, page 656. 9 Joseph ISSA-SAYEGH, Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles), in Congrès 2008 de Lomé :Le rôle du droit dans le développement économique, http://www.institut-idef.org/Le-bilan-jurisprudentiel-du-droit.html

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impératives, un auteur relève que « le comportement de certaines juridictions

nationales révèle une instabilité de la jurisprudence des juridictions nationales

susceptible d’entraver la cohésion de l’ordre juridique de l’OHADA »10

.

D’autres réalités s’ajoutent à cette obstruction à l’édifice OHADA, en

particulier les conflits négatifs et positifs de compétence (1), le questions

soulevées par l’exécution provisoire (2) ainsi que les risquent auxquelles que

certaines procédures judiciaires internes exposent l’efficacité de l’action de la

haute juridiction communautaire (3).

1) Conflits négatifs et positifs de compétence

Diverses circonstances peuvent gêner la bonne marche du système

OHADA. Ainsi an est-il de la pratique consistant, pour les parties à un

procès, de « laisser juger leur affaire par la juridiction nationale de

cassation »11

.

Ainsi en est-il aussi d’une regrettable expérience récemment observée en

RDC. Des instructions données au greffe de la Cour de cassation

congolaise ont conduit au refus d’enrôlement de tout pourvoi formé en

matière commerciale, le greffier en chef se chargeant d’inviter les

demandeurs au pourvoi à s’adresser à la Commune de Justice et

d’Arbitrage.

De même, face à une nouvelle rédaction du Code d’organisation et de

compétence judiciaires datée du 11 avril 2013, qui institue une chambre

commerciale (article 32 alinéa 1) au sein de la Cour de cassation (qui

remplace la Cour suprême de justice) et reconnaît à la haute juridiction une

compétence en matière commerciale (article 116 alinéa 1), les praticiens

crient à l’illégalité, persuadés que le droit commercial relève exclusivement

de l’OHADA et échappe totalement à la haute juridiction nationale.

Dans un cas comme dans l’autre, force est de souligner que l’OHADA n’a

pas mis sous son empire la totalité de la matière commerciale. Ainsi, les

opérations financières, les assurances, le transport aérien ou maritime,

échappent à l’empire du droit uniforme autant du reste qu’une bonne partie

de la législation économique (investissements, mines, télécommunications,

par exemple).

Dans le premier cas, la Cour de cassation nationale refusera l’enrôlement

d’un pourvoi sur une matière qu’elle croit erronément relever du monopole

de la haute juridiction communautaire (CCJA), alors que cette dernière

n’accueillera certainement pas un tel pourvoi lorsqu’elle constate que la

10 Jimmy Kodo, Le rôle de la jurisprudence de l’OHADA dans le développement économique en Afrique, Congrès IDEF de Lomé sur « Le rôle du droit dans le développement économique », 2008. 11 Joseph ISSA-SAYEGH, Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles), précité.

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matière, même commerciale, constitue en réalité un monopole des hautes

juridictions nationales.

C’est un conflit négatif de compétence, au détriment du justiciable, et dont

l’issue relève encore de la quadrature du cercle !

Un conflit positif de compétence est aussi à redouter en certaines

circonstances : deux juridictions nationales se déclarent compétentes pour

connaître, au premier ou second degrés, d’une affaire soulevant une

question relative à l’application d’un Acte uniforme.

Un règlement des juges peut, au niveau de la cassation nationale, mettre un

terme au problème ainsi posé (par exemple entre un tribunal de paix et un

tribunal de commerce se déclarant compétents en matière de saisie). Mais

encore faut-il que la haute juridiction nationale (compétente en matière de

règlement des juges) ne commette pas une erreur à son niveau, en

s’appuyant par exemple sur la loi nationale et en décidant à tort, que le

tribunal de paix est compétent.

En effet, après l’étape de l’appel ou à la suite d’une décision rendue en

dernier ressort, la CCJA pourra être saisie d’un pourvoi. Jouera-t-elle les

autruches face à l’erreur commise par la haute juridiction nationale ou

sanctionnera-t-elle cette dernière, mais tout en évoquant la cause ?

2) Exécution provisoire et défenses à exécuter

Un jugement assorti de la clause d’exécution provisoire peut être exécuté

nonobstant appel. De même en est-il d’un arrêt d’appel, même si un

pourvoi a été formé contre la décision prononcée. Les milieux d’affaires

auraient voulu que la saisine de la CCJA suspende l’exécution, mais

l’article 16 du traité prévoit expressément le contraire : « La saisine de la

Cour Commune de justice et d’arbitrage suspend toute procédure de

cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision

attaquée. Toutefois cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution

(…) »12

.

Cette crainte est justifiée, car rien ne garantit que le jour où la CCJA rendra

son arrêt de cassation, le débiteur condamné n’aura pas déjà organisé son

insolvabilité.

12 Henri Tchantchou, alexis Ndzuenkeu, L’exécution provisoire à l’ère de l’OHADA, http://www.ohada.com/doctrine/ohadata/D-04-23.

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Une solution existe dans les systèmes judiciaires nationaux. Elle repose sur

le recours à la procédure de défenses à exécuter, non seulement pour

suspendre l’exécution provisoire d’un jugement, mais même, dans certains

pays, pour suspendre l’exécution d’un arrêt d’appel. Dans ce dernier cas,

une requête adressée au président de la juridiction nationale de cassation

permet d’aboutir à cette suspension. La loi peut même obliger le président

de ladite juridiction à accorder les défenses sollicitées si le requérant

consigne le montant de la condamnation dont est assortie la décision

attaquée de telle sorte que si la procédure de défenses à exécuter échouait,

il ne puisse se dérober ou s’abriter derrière une fausse insolvabilité.

3) Tierce opposition, requête civile et prise à partie

La requête civile et la prise à partie pourraient constituer un outil

d’obstruction à l’application du droit OHADA.

La tierce opposition permet à un tiers qui craint qu’une décision préjudicie

à ses droits de saisir le juge qui a rendu cette décision pour la rétracter. Le

plaideur habile aura tendance à prolonger le procès avec l’aide d’un tiers

complice, et donc à retarder toute solution au litige que la juridiction

communautaire pourrait apporter.

De même en sera-t-il dans le cas de la requête civile, qui offre à une partie

la possibilité de revenir sur un procès après la découverte d’une pièce

reconnue fausse qu’avait retenue son adversaire. Ainsi, si une affaire est

pendante au niveau de la CCJA, elle peut encore connaître un nouveau sort

devant une juridiction nationale, étant entendu que la nouvelle décision ne

pourra terminer sa course que devant la haute juridiction communautaire.

De même, la prise à partie initiée contre un juge, dont la décision a été

prise à la suite d’un dol ou d’une fraude commis par ce dernier, peut

constituer un moyen d’obstruction pour un plaideur qui, malgré l’existence

d’une procédure de cassation devant la CCJA, entend court-circuiter la

procédure communautaire ou revenir à tout prix à la barre au niveau

national ou simplement gagner du temps.

La procédure de prise à partie relève de la compétence du juge suprême

national. Lorsqu’elle aboutit, la décision rendue par le juge poursuivi est

anéantie. L’appel qui en a résulté perd en principe tout effet, ce qui prive

d’intérêt la procédure éventuellement pendante devant la haute juridiction

communautaire. Et il peut arriver qu’il soit impossible de relancer

l’affaire !

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Pour enrayer le risque d’obstruction que peut représenter la prise à partie

en certaines circonstances, une solution relativement simple consiste à

l’assortir de limites légales pour l’empêcher en matière commerciale13

.

Peut-être conviendrait-il d’édicter le principe de son inapplicabilité à

l’égard de toute décision susceptible d’un recours devant la haute

juridiction communautaire. Une révision du Règlement de procédure de la

CCJA s’imposerait à cet égard. A défaut, il importerait de préconiser un tel

principe aux Etats parties qui n’en disposeraient pas, par voie de loi-type.

B) La pratique judiciaire et arbitrale communautaire

Si la CCJA a réellement rempli sa mission judiciaire, force est de constater

que des réformes s’imposent pour lui permettre de poursuivre ladite

mission avec satisfaction et contribuer à la réalisation des objectifs de

l’OHADA. Le renforcement des capacités institutionnelles et humaines de

la haute juridiction communautaire, nécessaire à l’optimisation de son

organisation et de son fonctionnement, est une nécessité reconnue qui rend

indispensable la révision le règlement de procédure que le Conseil des

Ministres adoptera probablement en sa session de décembre 2013 (1).

Des réflexions doivent cependant être menée sur le problème que pose la

distribution de compétence en matières mixtes lorsque le traitement

judiciaire d’une cause requiert à la fois l’application du droit national (par

exemple pour statuer la minorité d’âge de l’auteur d’un acte de commerce)

et du droit uniforme (pour qualifier la nature d’un acte de commerce et

décider sur son régime juridique) ainsi qu’en matière pénale lorsque, pour

une même affaire, la haute juridiction communautaire limite sa compétence

à l’examen de la légalité de l’infraction et laisse au juge suprême national

la connaissance de la légalité de la sanction (2).

Enfin, la timidité de la procédure contentieuse devant la CCJA et la

léthargie de l’arbitrage, de même que la nécessité d’instituer d’autres

mécanismes alternatifs de règlement des litiges, appellent des mesures

appropriées (3).

1) Organisation et fonctionnement

La CCJA a été redimensionnée par le traité révisé qui a notamment porté le

nombre de juges de sept à neuf, en conférant au Conseil des Ministres le

pouvoir d’augmenter ce nombre en tant que de besoin si les finances de la

haute juridiction permettent cet accroissement.

Des mesures urgentes mériteraient d’être prises pour améliorer le

fonctionnement et le rendement de la CCJA.

13 Option prise par la RDC, à la faveur d’une imminente actualisation de la loi instituant les

tribunaux de commerce.

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D’une part, les quotas fixés par le traité ne doivent être respectés. En effet,

l’article 31 du traité distingue trois catégories auxquelles doivent appartenir

les juges de la CCJA, à savoir celle des magistrats, celle des avocats et

celle des professeurs de droit. A ce jour, la composition de la haute

juridiction est en marge du prescrit de ce texte qui prévoit qu’« un tiers des

membres de la Cour doit appartenir aux catégories visées aux points 2 et

3 » (article 31, alinéa 3), ne l’occurrence la catégorie des avocats et celle

des professeurs. Pour corriger cette anomalie, il conviendrait que le Conseil

des Ministres élise désormais, prioritairement, des avocats et professeurs

aux fonctions de juges jusqu’à satisfaire le prescrit du traité.

D’autre part, en raison notamment avec les pourvois qui viendront des

douze cours d’appel et des juridictions statuant en dernier ressort en RDC

pour s’ajouter à ceux des Cours d’appel et des juridictions statuant en

dernier ressort dans les seize autres Etats parties, la composition de la

CCJA doit nécessairement et urgemment être revue à la hausse. Déjà, à ce

stade, un certain engorgement de la haute juridiction est de plus en plus

déploré. Il serait difficile de ne pas prévenir le risque d’asphyxie de son

rôle.

Il conviendrait, par ailleurs, de redynamiser l’activité de la haute juridiction

communautaire tant dans son rôle d’unificateur de l’interprétation et de

l’application du droit uniforme que dans une nécessaire mission de

« monitoring » et de « reporting » de l’activité des juridictions nationales.

Dans cet élan, le rapport annuel de la haute juridiction constituerait un

véritable thermomètre de la vitalité du système OHADA et aiderait à

identifier les contreperformances, tout en en recherchant les causes et les

pistes de solution.

Au moment où le Règlement de procédure est sur le point de connaître une

révision, notamment pour sa modernisation, la simplification et la

numérisation de sa saisine (avec suppression du caractère obligatoire de

l’élection de domicile au lieu de son siège) ainsi l’édiction des cas

d’ouverture à cassation, il faudrait tout mettre en œuvre pour lui permettre

de remplir les rôles susdécrits et, plus généralement, d’accomplir

efficacement sa mission. Il faut donc que des moyens beaucoup plus

consistants que ceux dont elle a disposé depuis sa création lui sont

alloués14

.

2) Compétences distributives

a) Matières mixtes

Une cause à l’occasion de laquelle sont soulevées des questions relatives à

l’application à la fois d’un Acte uniforme (par exemple l’Acte uniforme

14 Narcisse Aka, La problématique des processus d’intégration judiciaire dans l’espace OHADA, in Symposium sur l’intégration Africaine, Abidjan, Institut Goethe, 4-5 juillet 2008, p. 66-70.

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portant sur le droit commercial général, notamment pour constater la

commercialité d’un acte) et d’une loi nationale (par exemple, le Code de la

famille, pour examiner la minorité d’âge de l’auteur dudit acte), l’on peut

s’interroger sur la compétence en cas de pourvoi en cassation.

Faut-il une distribution de compétence (chaque juridiction selon sa sphère

de compétence matérielle) entre la haute juridiction communautaire

agissant à l’égard de l’Acte uniforme et la haute juridiction nationale à

l’égard de la loi nationale (Code de la famille, par exemple) ? Faut-il

sacrifier l’une des juridictions (logiquement le juge suprême national) au

profit de l’autre et atténuer les dégâts par le jeu des questions

préjudicielles ?

Le cas de figure susdécrit s’est déjà produit dans l’espace OHADA. La

juridiction nationale a tendance à se reconnaître compétente, en invoquant

le cas échéant l’absence de prépondérance des questions de droit uniforme

dans le cas d’espèce. Mais la CCJA a tendance à se considérer comme

l’unique juridiction compétente en pareille circonstance, dès lors que le

droit uniforme doit être interprété ou appliqué, quant bien même une

interprétation du droit national constituerait un préalable à la décision à

prendre.

Comme le remarque un auteur15

, tant « pour l’examen du pourvoi que dans

son rôle d’évocation de l’affaire au fond après cassation », « la CCJA fait

des incursions en droit interne pour en contrôler la bonne application par

les juges du fond quand un tel examen s’avère nécessaire pour le contrôle

de l’application et de l’interprétation du droit uniforme lui-même que le

requérant au pourvoi pense avoir été violé, soit lorsque l’examen du droit

interne constitue un préalable à la question de droit uniforme posée soit

lorsque le droit interne est un élément de connexité de celle-ci. Observons

que la CCJA procède ainsi aussi bien pour l’examen du pourvoi que dans

son rôle d’évocation de l’affaire au fond après cassation ». La haute

juridiction communautaire agit de la sorte « vérifier la validité d’un acte de

procédure ou d’un contrat », « la pertinence des fins de non recevoir », « la

prescription », « l’inopposabilité d’une convention invoquée par des

tiers »16

.

Or la CCJA ne connaît pas la loi nationale qu’elle ne découvrirait que

furtivement par la lecture des dossiers des parties.

Pour rechercher une solution appropriée à cette situation, le débat sur une

implication des juridictions suprêmes nationales devrait être relancée,

notamment par voie de questions préjudicielles que la CCJA adresserait

aux juridictions nationales lorsqu’elle fait face à une règle édictée par le

droit interne. Il en serait ainsi, par exemple, en cas de mixité de la cause, de

règles découlant d’un renvoi d’un Acte uniforme, ou même de sanctions

15 Joseph ISSA-SAYEGH, Le bilan jurisprudentiel du droit uniforme OHADA (Incertitudes législatives et turbulences jurisprudentielles), précité. 16 Ibid.

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pénales à appliquer, s’il arrivait que le prononcé de sanctions fasse son

entrée dans le domaine de compétence de la haute juridiction

communautaire.

b) Matières pénales

Le droit uniforme peut inclure des infractions pénales, comme en témoigne

notamment le droit pénal des sociétés, mais l’OHADA s’interdit d’édicter

ou de faire application de sanctions pénales. Il n’en demeure pas moins

que, comme dans l’affaire Port Autonome de Douala c/ Ministère Public,

« les incriminations pénales adoptées par le législateur de l’OHADA ne

semblent pas empêcher les juridictions nationales de retenir des

qualifications concurrentes qui font échapper le contentieux de la

qualification de l’infraction à la compétence de la CCJA »17

.

Ainsi, lorsqu’une infraction définie par un Acte uniforme est commise, les

juridictions nationales en constatent la qualification par une décision

susceptible d’appel, et ensuite de pourvoi en cassation devant la CCJA.

Cependant, cette dernière n’exercera son pouvoir que pour apprécier la

qualification de l’infraction, en s’abstenant de toute appréciation de la

légalité de la sanction ou de la nature de la peine adéquate. C’est

l’application de l’article 14 alinéas 3 et 4 du Traité susvisé : « saisie par la

voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions

rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les

affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes

uniformes et des Règlements prévues au présent Traité à l’exception des

décisions appliquant des sanctions pénales » (article 14 alinéa 3).

Un arrêt de la CCJA a fait cette démonstration dans une période

relativement récente. La haute juridiction s’est déclarée incompétente à

connaître d’un pourvoi formé contre une décision faisant application de

sanctions pénales18

: « Cour de céans ne peut connaître, par la voie du

recours en cassation, des affaires qui, bien que soulevant des questions

relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au

Traité, concernent des décisions appliquant des sanctions pénales ». Mais,

comme le déplore l’annotateur de cette importante décision19

, la CCJA a

17 Joseph Kamga, note sur l’Arrêt CCJA n° 053/2012 du 7 juin 2012, Port Autonome de Douala c/ Ministère Public. Cet auteur se réfère également à Ndiaw D., Actes Uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : La difficile émergence d’un droit pénal communautaire des affaires dans l’espace OHADA, Revue Burkinabé de droit, 2001. 18 CCJA, Arrêt n° 053/2012 du 7 juin 2012, Port Autonome de Douala c/ Ministère Public. 19 Joseph Kamga, in Revue Actualité Juridique – Droit Judiciaire, Abidjan, sous presse. L’auteur relève que « la haute juridiction a manqué l’occasion qui s’est offerte à elle pour marquer son territoire dans le contentieux pénal des affaires de l’OHADA », alors qu’elle avait tout intérêt à « indiquer dans ses motivations qu’elle aurait pu être compétente si au moins un moyen du pourvoi était dirigé contre la qualification de l’infraction ».

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failli à un devoir pédagogique qui aurait permis de fixer les esprits en

précisant clairement sa compétence à statuer sur la qualification de

l’infraction.

En tout état de cause, la justice devient acrobatique et repose sur une

distribution paradoxale et spectaculaire : la CCJA apprécie la qualification

de l’infraction et la Cour de cassation nationale porte son examen sur la

légalité de la sanction. Cette mixité procédurale doit susciter une réflexion

incitant à rechercher la solution adéquate, laquelle consisterait notamment

à reconnaître à la CCJA une compétence en matière de sanctions pénales,

sans nécessairement que lesdites sanctions soient édictées par le biais des

Actes uniformes (encore que rien ne puisse exclure définitivement cette

dernière option).

Ici également, le problème posé trouverait solution par le biais de questions

préjudicielles à mettre en place pour permettre à la haute juridiction

communautaire de dire le droit en meilleure connaissance de cause.

3) Léthargie de la procédure consultative de la CCJA et de l’arbitrage

La CCJA peut être saisie à des fins consultatives par les Etats parties, le

Conseil des Ministres ou les juridictions nationales. Ce mécanisme de

coopération est d’une grande utilité pour une meilleure application du droit

OHADA. Mais en pratique, force est de reconnaître que peu nombreuses

encore sont les demandes d’avis adressés à la haute juridiction.

Sous l’impulsion du Secrétariat permanent, des initiatives visant à

promouvoir la procédure consultative et à en démontrer l’utilité

s’avèreraient fort utile pour une bonne application du droit uniforme.

De même en serait-il pour l’arbitrage que les pères fondateurs et le

législateur de l’OHADA ont voulu absolument consacrer comme mode de

règlement alternatif des litiges commerciaux, mais qui manque

manifestement d’attractivité auprès des opérateurs économiques de

l’espace OHADA. Aussi le Conseil des Ministres a-t-il, en décembre 2012,

instruit le Secrétaire Permanent de prendre les mesures nécessaires pour la

vulgarisation et la promotion de l’arbitrage dans les Etats-Parties.

En plus de cet effort en voie de déploiement, des études devraient être

entreprises pour l’introduction dans le système OHADA des autres modes

alternatifs de règlement des litiges que sont la conciliation et la médiation.

Enfin, à la faveur des premières audiences foraines de la CCJA, prévues

pour octobre 2013 à Kinshasa et Brazzaville, le Secrétaire Général de la

CCJA, en charge de l’arbitrage, pourrait également veiller à la promotion

de l’arbitrage et échanger avec les praticiens sur la perspective

d’introduction des autres modes alternatifs de règlement des litiges dans le

système OHADA.

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BIBLIOGRAPHIE

Roger Masamba

Professeur à l’Université de Kinshasa