regards sur l'histoire pour l'histoire ancienne

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Page 1: REGARDS SUR L'HISTOIRE pour l'Histoire Ancienne
Page 2: REGARDS SUR L'HISTOIRE pour l'Histoire Ancienne

R E G A R D S S U R L ' H I S T O I R E

*

Collection historique dirigée par

Olivier PICARD PROFESSEUR A LA SORBONNE

pour l'Histoire Ancienne

Jean FAVIER MEMBRE DE L'INSTITUT

PROFESSEUR A LA SORBONNE PRÉSIDENT DE LA

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

pour l'Histoire Médiévale

Jean-Pierre POUSSOU PROFESSEUR A LA SORBONNE

PRÉSIDENT DE PARIS IV-SORBONNE

pour l'Histoire Moderne

Jacques VALETTE PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ

DE POITIERS

pour l'Histoire Contemporaine

Page 3: REGARDS SUR L'HISTOIRE pour l'Histoire Ancienne

DU MEME AUTEUR

- Le jansénisme en Lorraine (1640-1789), Paris, Librairie philosophique Vrin, 1960, Bibliothèque de la Société d'histoire ecclésiastique de la France.

- Le catholicisme posttridentin, dans Histoire des reli- gions, t. Il, Paris, Gallimard, 1972, « Encyclopédie de la Pléiade ».

- Jansénisme et politique, Paris, A. Colin, 1965, Coll. U. Idées politiques.

- Œuvres du roi Stanislas. Choix présenté et préfacé par René Taveneaux. Eaux-fortes de Roger Marage, Paris, 1966, Beaux livres grands amis.

- Nancy, Colmar-Ingersheim, 1971. - La vie quotidienne des jansénistes aux XVII et XVIII

siècles, Paris, Hachette, 1973 (Prix G. Goyau de l'Académie française) ; 2° édit., 1985.

- J a n s é n i s m e et prêt à intérêt, Paris, Vrin, 1977, Bibliothèque de la Société d'histoire ecclésiastique de la France.

- Histoire de Nancy, (direction et participation), Toulouse, Privat, 1978 (Prix Thiers de l'Académie française), 2e édit., 1987.

- Histoire de Verdun, direction A. Girardot, (participa- tion), Toulouse, Privat, 1982.

- Stanislas Leszczynski. Inédits. Introduction, variantes, appareil critique (en collaboration avec Laurent Versini), Nancy, Presses universitaires, 1984.

- Encyclopédie illustrée de la Lorraine (direction géné- rale et participation), Metz, Editions Serpenoises, et Nancy, Presses universitaires, 4 vol., 1987-1989.

- Les Habsbourg et la Lorraine, actes du colloque inter- national de Nancy (mai 1987), réunis par J.P. Bled, E. Faucher, R. Taveneaux, Nancy, 1988.

- J ansén i sme et Réforme catholique. Préface de François Bluche, Nancy, P.U.N., 1992 (Recueil d'ar- ticles).

- Saint-Pierre Fourier en son temps, direct., actes du colloque de Mirecourt (13-14 avril 1991), Nancy, P.U.N., 1992.

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REGARDS SUR L'HISTOIRE

HISTOIRE MODERNE

LE CATHOLICISME DANS LA

FRANCE CLASSIQUE 1610-1715

Nouvelle édition revue et corrigée

P R E M I È R E P A R T I E

par René TAVENEAUX

Professeur émérite à l'Université de Nancy II

S E D E S 88, boulevard Saint-Germain

PARIS V

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les « copies ou repro- duction strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans le but d'exem- ple ou d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal.

© 1 9 9 4 C . D . U . E T S E D E S

I S B N 2 - 7 1 8 1 - 3 6 0 4 - 9 (2e é d i t i o n )

I S B N 2 - 7 1 8 1 - 2 1 0 9 - 2 ) ( 1 é d i t i o n )

I S B N 2 - 7 1 8 1 - 3 5 2 6 - 3 ( é d i t i o n c o m p l è t e ) I S S N 0 7 6 8 - 1 2 8 3

OUVRAGES PARUS DANS LA COLLECTION (Histoire moderne)

2. DEVÈZE (M.) et MARX (R.), Textes et Documents d'Histoire Moderne.

4. LIGOU (D.), Le Protestantisme en France de 1598 à 1715.

11-12. DEVÈZE (M.), L'Espagne de Philippe IV (1621-1665). Tomes 1 et 2.

13. ZELLER (G.), La Réforme — De Luther au Concile de Trente. (épuisé).

18. BORDES (M.), L'administration provinciale et municipale en France au XVIIIe s.

19-20. CHAUNU (P.), L'Espagne de Charles Quint. Tomes 1 et 2. 24. ARMENGAUD (A.), La famille et l'enfant en France et en

Angleterre du XVI. au XVIII s. (épuisé). 28. MAURO (F.), Le Brésil du XV siècle à la fin du XVIII s.

(épuisé). 29. DEVÈZE (M.), Antilles, Guyanes, la mer des Caraïbes de 1492

à 1789.

33. CORVISIER (A.), La France de Louis XIV (1643-1715). Ordre intérieur et place en Europe. (4e édition).

34-35. TAVENEAUX (R.), Le catholicisme dans la France classi- que (1610-1715). Tomes I et II (2e édition).

38. CORVISIER (A.), Sources et méthodes en histoire sociale (épuisé).

39. CHAUNU (P.), Église, culture et société. Essai sur Réforme et Contre-Réforme (1517-1620). ( 2 édition).

40-41. VOGLER (B.), Le Monde germanique et helvétique à l'épo- que des Réformes (1517-1618). Tome I (épuisé). Tome II.

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48. MEYER (J.), Les villes en Europe occidentale 1650 à 1791. 49. POUSSOU (J.-P.), LOTTIN (A.), VAN DER WOUDE (Ad.),

SOLY (H.) et VOGLER (B.), Les villes en Europe occiden- tale (milieu du XVII s. à la veille de la Révolution fran- çaise). Tome II — Angleterre, Pays-Bas et Provinces Unies et Allemagne rhénane.

50. BARDET (J.-P.), Rouen aux XVII et XVIII s. : les mutations d'un espace social. 2 volumes.

55. BÉRENGER (J.), BUTEL (P.), CORVISIER (A.), MEYER (J.), POUSSOU (J.-P.), RABREAU (D.), SCHNAPPER (A.), TULARD (J.), WEBER (Mlle E.), L'Europe à la fin du XVIII s. (vers 1780 à 1802).

56. LOUPÈS (Ph.), L'Espagne de 1780 à 1802. 57. LABOURDETTE (J. -F.), Le Portugal de 1780 à 1802. 61. PERNOT (M.), Les guerres de religion (1559-1598). 63. GEORGELIN (J.), L'Italie au XVIII s. 68. BERCÉ (Y.-M.), DELILLE (G.), SALLMANN (J.-M.), WAQUET

(J.-C.), L'Italie au XVII s. 69. HERMANN (Chr.), MARCADÉ (J.), La Péninsule ibérique au

XVII s. ( 2 tirage). 74. BENSIDOUN (S.), Alexandre III. 77. BÉLY (L.), BÉRENGER (J.) et CORVISIER (A.), Guerre et paix

dans l'Europe du XVII siècle (1618-1721), tome I. ( 2 édition).

78. BÉLY (L.), BERCÉ (Y.-M.), MEYER (J.) et QUATREFAGES (R.), Guerre et paix dans l'Europe du XVII siècle (1618-1721 ), tome II. ( 2 tirage).

79. BÉRENGER (J.), LOUPÈS (Ph.) et KINTZ (J.-P.), Guerre et paix dans l'Europe du XVII siècle (1618-1721 ) — Textes et documents, tome III.

80. LOUPÈS (Ph.) et DEDIEU (J.-P.), La péninsule Ibérique à l'épo- que des Habsbourg — Textes et documents.

81. POUSSOU (J.-P.), La croissance des villes au XIX siècle (France, Royaume-Uni, États-Unis et Pays germaniques). ( 2 édition).

84. BÉRENGER (J.) et MEYER (J.), La France dans le Monde au XVIII siècle.

85. DURAND (Y.), La Société française au XVIII siècle. 87. BUTEL (P.), L'Économie française au XVIII siècle. 89. LOUPÈS (Ph.), La Vie religieuse en France au XVIII siècle.

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ABREVIATIONS

A.E.S.C. Annales, Economies, Sociétés, Civilisa- tions

D.D.C. Dictionnaire de droit canonique

D.H.G.E. Dictionnaire d'histoire et de géogra- phie ecclésiastiques

D.S. Dictionnaire de spiritualité

N.R.T. Nouvelle Revue théologique

R.H. Revue historique

R.H.E. Revue d'histoire ecclésiastique

R.H.E.F. Revue d'histoire de l'Eglise de France

R.H.M.C. Revue d'histoire moderne et contem- poraine

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AVANT-PROPOS

Le présent volume répond à une fin didacti- que : il s'adresse aux étudiants d'histoire moderne ou à ceux qui, à échéance plus ou moins longue, envisagent une spécialisation dans les sciences reli- gieuses. Ces objectifs ont déterminé l'économie gé- nérale de l'ouvrage.

Pour des raisons de clarté, on s'est efforcé de disposer les développements par grands thèmes, plutôt que d'essayer de saisir les étapes successives d'une évolution d'ensemble. C'est à l'intérieur de chaque chapitre que se retrouvent les « moments » d'évolution. Les mêmes impératifs pratiques ont conduit à se limiter aux problèmes du catholicisme et à ne traiter qu'indirectement ceux du protestan- tisme — qui ont fait l'objet d'une étude spécifique dans cette collection — bien que des courants origi- naux du siècle, tel que l'attachement à la théologie positive ou à l'esprit christocentrique, aient prévalu dans l'une et l'autre des deux familles spirituelles, tendant parfois à un certain irénisme pragmatique. L'élan du cœur et l'adhésion de l'esprit constituant l'essence de toute religion, l'ouvrage s'attache par- ticulièrement aux manifestations de la « vie reli- gieuse », c'est-à-dire aux options intellectuelles et spirituelles, aux comportements pratiques et mo- raux. Mais une société sacrale comme celle d'ancien régime et une religion très « structurée » comme le catholicisme impliquent des liens étroits et cons- tants entre la vie et le cadre d'action ou d'évolu- tion ; il a, pour cette raison, paru nécessaire d'ac- corder des développements parfois importants aux institutions et à la politique ecclésiastiques.

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Les limites chronologiques adoptées — l'avéne- ment de Louis XIII en 1610, la mort de Louis XIV en 1715 — correspondent, la première au début de la Réforme catholique dans sa phase positive, la se- conde à la fin de la « crise de la conscience euro- péenne » et à l'avénement de l'« ère des Lumiè- res ».

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INTRODUCTION

L'HERITAGE DU XVIe SIECLE

Il peut paraître paradoxal de prétendre traiter du catholicisme, universel par son essence même, dans un cadre géographique limité. Le catholicisme est un, il est vrai : tous ses fidèles participent à la même foi, aux mêmes règles éthiques ou discipli- naires dans la chrétienté tout entière. Mais il lui faut aussi, et cette nécessité s'impose particulière- ment dans le monde moderne, s'accorder avec les impératifs de la politique des princes, prendre cons- cience des ruptures de l'unité chrétienne, compter avec la montée de la nation, s'adapter aux traits spécifiques des civilisations particulières. Subtile fusion d'aspiration d'éternité et de sentiments très incarnés, le catholicisme ne peut donc ignorer les réalités concrètes, matérielles ou psychologiques, toujours pressantes, de son cadre de vie. Il ne peut davantage rejeter l'héritage spirituel ou dogmatique de son passé récent. Au début du XVIIe siècle, en France, trois ordres de faits le marquent avec un relief particulier : l'œuvre du concile de Trente ; la montée des thèses régaliennes ; l'existence, consa- crée par l'édit de Nantes, d'un dualisme religieux alors unique en Europe.

I - L'héritage tridentin

Ouvertes en 1545, les sessions du concile s'é- taient prolongées durant dix-huit ans, jusqu'en 1563, avec d'ailleurs de multiples interruptions, en

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particulier avec une vacance de dix ans, de 1552 à 1562, provoquée par une brutale invasion des prin- ces luthériens en Allemagne du Sud. L'histoire du concile fut donc traversée par les inquiétudes, les angoisses et les troubles politiques de son temps. L'orientation de ses travaux fut par ailleurs tribu- taire de son recrutement ; œcuménique dans son principe, le concile représentait en fait une assem- blée restreinte : elle réunit une soixantaine de pères dans la première session, pour atteindre deux-cent trente cinq dans la vingt-troisième. Mais son trait sociologique dominant réside dans l'écrasante ma- jorité méridionale : par leurs origines ou leur for- mation, les trois quarts des membres de l'assemblée étaient des méditerranéens ; les Italiens dominaient de très loin, suivis par les Espagnols puis par les Grecs des îles ; venaient ensuite les Français, les Allemands et les Anglais. Même répartition chez les théologiens : des quarante deux théologiens impli- qués dans l'élaboration des décrets, quatre ou cinq seulement étaient d'origine nordique. Le concile se caractérise enfin par une prééminence marquée des réguliers : les dominicains et, à un moindre de- gré, les frères mineurs, les jésuites et les carmes y eurent un rôle décisif. Ces traits de sociologie ou de psychologie collective n'ont pas, à eux seuls, déterminé l'œuvre tridentine, mais ils expliquent son « style » et sa tonalité spirituelle. A la compo- sition de l'assemblée s'attache le triomphe des « permanences méditerranéennes » et celui d'une certaine affectivité « baroque » ; au nombre des réguliers, s'associe le primat de la théologie et de l'expression scolastiques. Les débats de Trente ne revêtent pas pour autant une fixité monolithique : la plupart d'entre eux s'établissent sur une ten- sion, parfois vive, entre les « érasmiens », partisans de compromis avec l'humanisme, voire le luthéra- nisme, représentés en particulier par le légat Seri-

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pando, général des augustins, et les « rigoristes », dirigés par les jésuites Lainez et Salmeron, soucieux de maintenir l'intégrité de la foi catholique. Le plus souvent cette dernière tendance l 'emporta, parfois aussi l'assemblée accepta de s'engager sur la « voie moyenne ». Toutes les valeurs religieuses se trou- vant ébranlées ou remises en cause par l 'irruption de la Réforme protestante, les pères de Trente se donnèrent pour but la tâche écrasante de définir dans sa totalité le message du salut, et de. préciser dans chacune de ses applications la mission de l'Église.

Au principe de la « Bible seule », proclamé par les protestants, le concile oppose l'existence de deux sources : l'Ecriture et les « traditions », ce dernier terme désignant à la fois l'enseignement transmis par le Christ à ses apôtres, l'œuvre des Pères, le magistère pontifical et conciliaire, mais aussi le consensus de l'Eglise universelle assistée par l'Esprit Saint. Il réaffirme l'existence du péché originel et sa transmission à la postérité d'Adam ; le baptême remet ce pêché par l'application des mérites de Jésus-Christ, mais il laisse subsister la concupiscence, inclination naturelle qui ne saurait, comme le croyait Luther, être confondue avec l'é- tat de péché : elle peut, au contraire, en étant vic- torieusement contenue et combattue, donner à la créature le moyen de se dépasser ; elle crée la ma- tière du drame spirituel du chrétien. Contre Luther encore, le concile affirma que, chez le premier homme, le libre arbitre n'était pas détruit, « mais seulement diminué et incliné au mal » :

« Si quelqu'un dit que le libre arbitre, après le péché d'Adam, est perdu ou éteint, ou qu'il est une réalité purement verbale et même un titre sans fon- dement, une fiction enfin, introduite par Satan dans l'Église, qu'il soit anathème. »

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Il en résultait que les actions des infidèles n'é- taient pas nécessairement mauvaises : c'était une concession à l 'humanisme des « érasmiens ». En- gagé par le baptême dans la voie de la justification, le chrétien y chemine par une constante coopéra- tion de sa volonté avec la grâce divine. Le concile décrit avec soin chacune des étapes de cette pro- gression : naissance de la foi, adhésion à l'enseigne- ment de l'Eglise, conscience du péché, résolution de « dépouiller le vieil homme au profit de l'hom- me nouveau », par le moyen des œuvres. Cet effort constant de sainteté se veut donc foncièrement dif- férent de la simple confiance au salut personnel — la fiducia — enseignée par Luther. La justifica- tion catholique n'est pas une « imputation » exté- rieure accordée par Dieu à un homme foncière- ment pécheur : elle est « inhérente », c'est-à-dire qu'elle atteint l 'homme dans ses profondeurs et qu'elle implique à la fois un combat de tous les instants et une constante progression spirituelle ; elle suppose, de la part de la créature, l'exercice permanent du libre arbitre et, de la part de Dieu, l'absence de toute prédestination au mal.

« Si quelqu'un dit que la grâce de la justifica- tion n'est accordée qu'aux prédestinés à la vie et que tous les autres appelés, tout en étant appelés, ne reçoivent pas cette grâce, parce que prédesti- nés au mal par la puissance divine, qu'il soit ana- thème. » (VIe session, 1547).

Pour accéder à cette justification, la foi seule ne suffit pas : le chrétien doit pratiquer les bonnes œuvres et surtout adhérer à l'ensemble des sept sacrements. Ceux-ci ne sont ni des rites extérieurs comme l'enseignait l'ancienne loi, ni, comme le prétendait Luther, de simples excitateurs spirituels; ils sont des « signes efficaces » et des voies de sa- lut, puisqu'ils confèrent la grâce à qui les reçoit dans de bonnes dispositions. Une place éminente

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est accordée à l'eucharistie : au cours de la treiziè- me session (1551), le concile proclama la réalité de la transsubstantiation, c'est-à-dire la conversion, après la consécration, de toute la substance du pain et du vin en celle du corps et du sang de Jésus- Christ. L'eucharistie n'est d'ailleurs pas seulement un sacrement à l'usage des hommes, elle est aussi et avant tout un sacrifice offert à Dieu ; le prêtre par- ticipe par là même au sacerdoce du Christ. Action de grâce et repas mystique, la messe renouvelle donc de façon réelle, quoique non sanglante, le sacrifice de la croix (vingt-deuxième session, sep- tembre 1562). C'est sur ce point que l'opposition avec les protestants était la plus totale.

Quant à la rémission des péchés, elle ne peut dépendre d'un simple acte de confiance en la pro- messe divine ; elle exige trois engagements de la part du pénitent : la contrition, l'aveu des fautes sous la forme auriculaire et secrète, et la satisfac- tion ; enfin l'absolution du prêtre, « acte judiciai- re », est la « forme » du sacrement qui confère à celui-ci son efficacité. Le sacrement de l'ordre se justifie par la théologie du sacrifice de la messe : le Christ a créé un sacerdoce institutionnel, d'une autre essence que le « sacerdoce universel » des laïques et supérieur à lui. En vertu de l'ordination divine, il existe des évêques, des prêtres, et des mi- nistres inférieurs. L'Eglise constitue donc une so- ciété strictement hiérarchisée : son caractère mo- narchique est explicitement affirmé, mais il appa- raît aussi indirectement dans la demande de confir- mation qui fut adressée au pontife romain par les pères au cours de la dernière session, pour rendre valides les canons conciliaires. Le 15 décembre, jour de la clôture, l'assemblée affirmait l'existence du purgatoire ; contre les protestants, elle rappelait la valeur de la prière d'intercession en proclamant le bien-fondé du culte de la Vierge et des saints.

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Telle apparaît dans ses lignes essentielles l'œu- vre tridentine. Jamais dans la vie de l'Eglise un con- cile n'avait élaboré un ensemble aussi complet de définitions doctrinales, de règles pastorales ou dis- ciplinaires. Trente ne fut cependant ni une impro- visation ni une rupture. Il se place dans la lignée naturelle des conciles qui l'ont précédé ; à aucun moment il ne nourrit le dessein d'adapter ni sur- tout de changer la religion. Il a poursuivi, appro- fondi ou coordonné des réformes commencées avant lui dans des foyers d'études théologiques, monastères ou universités : bien des propositions sur le sacerdoce, la hiérarchie ecclésiastique, les rapports du spirituel et du temporel se trouvent déjà en puissance chez d'anciens auteurs comme Pierre Damien. Il est vrai par ailleurs que les théo- logiens chargés d'élaborer les décrets appartenaient à des écoles très diverses : thomistes, augustinien- nes, scotistes, nominalistes... C'est pourquoi on re- trouve dans les définitions conciliaires, à la fois un respect strict des livres saints et une synthèse de la tradition chrétienne. Mais ces décrets ou ces ca- nons, pris le plus souvent contre le protestantisme, s'expriment en formules strictes, d'un juridisme austère et presque abrupt. Le développement con- comitant de l'imprimerie imposait d'ailleurs la né- cessité de définir les dogmes dans des canons pré- cis : contemporaine de l'essor du livre, l'assemblée tridentine s'est adaptée nécessairement à ces modes nouveaux de la connaissance et de la diffusion de la pensée.

Le concile est donc à la fois extérieur à l'his- toire et dans l'histoire. Par ses origines, sa composi- tion et son œuvre tout entière, il revêt un caractère presque intemporel : cet attachement aux perma- nences lui permit d'affronter sans dommage les crises du monde moderne. Mais il est en même temps au cœur de l'histoire : il est à l'origine du

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grand essor pastoral et missionnaire du XVIIe siè- cle. Son dessein n'a pas été seulement d'opposer une argumentation polémique à Luther ou aux « érasmiens » ; il a partagé le drame vécu par les contemporains : l'angoisse du salut individuel, avi- vée par l'effacement des cosmogonies médiévales. En proclamant la valeur de la liberté intérieure mal- gré la faute originelle, l'assemblée tridentine ex- cluait toute condamnation des mouvements du coeur ; elle affirmait ainsi que les idées, les senti- ments, voire les passions, pouvaient servir au bien commun et au progrès. Le concile ne se place donc pas en retrait du monde. Il annonce les évolutions futures, en particulier la constitution de la civilisa- tion classique dont la France de Louis XIII et de Louis XIV allait connaître l'épanouissement. Cet- te civilisation, il la prépare d'abord et surtout par son dynamisme créateur, mais aussi par d'autres voies, en particulier par sa constante volonté de saisir l 'homme dans ses traits éternels, et aussi par l'exaltation d'une Eglise très hiérarchisée dont l'image se reflète dans la société civile. La connais- sance de la France classique passe nécessairement par celle de l'œuvre tridentine : le grand renouveau religieux du XVIIe siècle est, à bien des titres, une transposition des décisions ou des directives du concile mais adaptée à des fins pastorales ou mora- les plus que dogmatiques.

II — La réaction nationale

1 — Aspects politiques des décrets tridentins

Si accordée que fût l'œuvre tridentine avec les prémisses du classicisme, il serait excessif d'imagi- ner qu'elle s'imposa sans défiance ou même sans hostilité déclarée, à la société séculière.

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Au sens strict, les décrets conciliaires ne com- portaient aucune clause politique, mais ils ris- quaient d'entraîner dans leur application de graves conséquences dans l'ordre temporel. Ils affirmaient par exemple l'autorité suprême et absolue du pape dans l'Eglise. Ils refusaient aux princes le droit de s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques et en particulier de disposer des biens d'Eglise. Ils s'éle- vaient ainsi contre le cumul des bénéfices et leur collation par la voie ordinaire, c'est-à-dire par l'au- torité séculière. Or, à cette époque d'union du spi- rituel et du temporel, tous les monarques ten- daient, à des degrés divers, à disposer de l'Eglise, à faire d'elle une institution d'Etat au service de leur politique et de leurs intérêts. Le concile de Trente renversait cette tendance. En France, il la heurtait d'autant plus fortement que les thèses gallicanes avaient des assises très fortes ; parmi ces thèses, deux présentaient valeur d'axiomes : l'une, que le concile était supérieur au pape, parce que un tel principe sauvegardait les prérogatives d'une « Eglise nationale » ; l'autre, que le roi de France n'avait aucun supérieur sur terre. Dans cette perspective, les canons et décrets tridentins apparaissaient com- me une dangereuse entreprise ultramontaine : leur publication eût été le symbole d'une victoire ro- maine, car elle eût signifié que le Saint-Siège pou- vait s'ingérer dans des domaines jusqu'alors réservés au roi, telle que la collation des bénéfices ou la dé- signation des évêques et des abbés. De là l'hostilité systématique qu'ils suscitaient dans la classe de ro- be, en particulier dans les parlements.

La méfiance à l'égard des décrets de Trente de- vait être encore accrue par deux ensembles d'événe- ments qu'il convient de situer dans la trame histori- que du XVIIe siècle naissant : la Ligue et la conver- sion d'Henri IV.

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2 — La Ligue et les « politiques »

Le déchaînement des guerres de religion, avant même la clôture du concile, la lente extinction de la dynastie des Valois et la crainte de voir un prince huguenot accéder au trône, avaient fait naître un parti politico-chrétien, la Ligue : dans sa réalité so- ciale et idéologique, elle apparaît vers 1576 et elle est alors dans son principe, une prise de conscience de la France catholique devant le danger protes- tant. Il faut se souvenir en effet qu'à cette époque le changement de religion du prince entraînait iné- luctablement la conversion de la nation : c'est la règle exprimée par la célèbre formule cujus regio hujus religio. Mais la Ligue ne tarda pas à se trans- former : après 1584, elle devint un mouvement de démocratie révolutionnaire dont les artisans les plus zélés étaient les moines mendiants, et qui ten- dait à subordonner en toute chose le temporel au spirituel. La Ligue unit dans un même complexe l'incarnation de l'esprit de croisade et l'idée d'une Europe « catholique » au sens à la fois religieux et politique du terme ; elle marque une résurgence des vieilles idées théocratiques du moyen âge. Le mou- vement menaçait ainsi non seulement l'unité na- tionale mais la notion même d'État. Son emprise dans le royaume était telle qu'Henri III fut con- traint, en mai 1588, d'abandonner sa capitale. Il pensa recouvrer son indépendance en faisant assas- siner les deux chefs ligueurs, Henri de Guise et son frère le cardinal, à Blois, la veille de Noël 1588. Le seul résultat de ce double meurtre fut d'attiser les passions : aux yeux de la masse catholique, Henri III cessait d'être le roi légitime pour devenir le « tyran ». On voit se développer à cette époque les thèses justifiant le tyrannicide : c'est dans ce climat d'exaltation passionnelle qu'Henri III tomba sous

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les coups du moine Jacques Clément, le 1er août 1589.

Henri de Navarre devenait alors le souverain légitime, mais sans être accepté par la nation. La crise était à la fois politique et religieuse et il sem- blait que la guerre dût connaître une recrudescen- ce. Ce fut pourtant le moment où les difficiles pro- blèmes qui divisaient la chrétienté depuis la Réfor- me allaient recevoir, en France, un début de solu- tion. Comment s'opéra cette pacification ? Pour en comprendre le processus, il convient de s'arrêter d'abord sur l'idéologie ligueuse et sur les réactions qu'elle devait entraîner.

Catholiques dans leur immense majorité, les Français estimaient impossible d'accorder leur fi- délité à un prince huguenot et excommunié, car c'est leur salut même qu'ils mettaient en péril. Mais en rejetant l'autorité du roi de Navarre, ils accep- taient implicitement l'idéal de la Ligue et ses al- liances politiques : la victoire des Ligueurs eût si- gnifié nécessairement l'amputation de l'autorité monarchique, la subordination de la nation à l'Espagne et à Rome. Un tel choix conduisait donc à contrecarrer toute l'évolution de la monarchie française depuis deux siècles, c'est-à-dire son in- dépendance croissante à l'égard de l'Église.

C'est pourquoi la partie la plus consciente de la nation, le groupe des « politiques », recruté le plus souvent dans la classe de robe, penchait vers une transaction. Ce groupe allait trouver dans les excès mêmes de la Ligue des conditions favorables à son développement. Au printemps de 1590, Phi- lippe II envoyait des Flandres des troupes espagno- les pour secourir les Ligueurs. A Paris, la Ligue ins- taurait une véritable terreur : elle organisait une ad- ministration révolutionnaire qui alla jusqu'à intro- duire dans la capitale une garnison espagnole, et projetait même une « Saint-Barthélemy des politi-

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ques », c'est-à-dire l'exécution des catholiques ju- gés trop modérés. Beaucoup de curés ou de moines mendiants se livraient à une prédication qui était une invitation à peine dissimulée au massacre. En janvier 1593, la Ligue réunit à Paris des Etats géné- raux qui préconisaient de donner le trône de Fran- ce à l'infante Isabelle, fille de Philippe II et d'Élisa- beth de France. De tels excès devaient amener une réaction. Aux Etats généraux eux-mêmes, on avait vu se former un « tiers parti » hostile à la candida- ture espagnole, mais tout prêt par contre à appuyer un prince du sang pourvu qu'il fût « catholique et obéissant fils de l'Église ». Dans la nation, on saisit l'extension du parti des « politiques » à travers la littérature polémique du temps : ouvrages, libelles, opuscules de tout genre, s'attachent tous, sous des modes divers, au problème de la pacification reli- gieuse et de la succession monarchique. Le dialogue intitulé Le Pacifique, publié en 1590, met en scène un réformé et un catholique ; le premier affirme ne pas saisir de différence foncière entre les deux reli- gions : ... « l'une et l'autre reconnaissent le Christ qui est le fondement et tient les articles de foi compris au symbole des Apôtres, approuve la Sainte-Trinité et les Saints Sacrements du baptême et de la cène ». Les divergences seraient le fait des « sophistes », c'est-à-dire des théologiens. La vraye et légitime Constitution de l'État, publiée en 1591, pose en règle une certaine séparation de l'Eglise et de l'État : l'Etat a ses lois propres, indépendantes de celles de l'Eglise, mais il possède encore ce qu'on nomme la « police », c'est-à-dire l'ordre extérieur de la religion ; l'Etat n'est donc plus fondé sur un principe mystique — et en ce sens il se laïcise — mais la religion demeure une institution qu'il con- trôle. Déjà apparaît dans cet opuscule l'esprit du gallicanisme parlementaire ; l'auteur va même jus- qu'à envisager la coexistence de plusieurs religions

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dans la nation. Il faut encore citer, dans cette pro- duction polémique, le célèbre pamphlet intitulé la Satire Ménippée, œuvre collective d'un groupe de gens de robe écrite pendant les Etats généraux de la Ligue en 1593 : d'inspiration anti-espagnole, elle dénonce le machiavélisme de Philippe II, elle préco- nise la paix et la restauration de l'État, elle établit la nécessité et la possibilité d'une certaine tolérance religieuse. La Satire Ménippée devait avoir, dans les années 1594-1595, une grande influence sur l'opi- nion, qu'elle infléchit vers des solutions préconisées par les « politiques ».

3 — La conversion d'Henri IV

La conversion du roi était, chez ces « politi- ques », la solution la plus en faveur : ils estimaient qu'elle constituait la contrepartie normale de leur loyalisme. Henri IV le comprit et, dans son entou- rage protestant, plusieurs de ses conseillers conce- vaient clairement que c'était là la seule issue au drame national ; ils n'hésitaient pas à la suggérer au roi. Au cours d'une entrevue qu'il eut dans l'année 1593 avec le souverain, Sully lui-même envisageait sans réticence le passage du monarque au catholi- cisme. Henri IV s'y résolut et le fit proclamer le 17 mai 1593. Le 25 juillet, il abjura solennellement à Saint-Denis et reçut l'absolution de l'épiscopat français : il devenait ainsi roi de France grâce à des Français. « Tel fut, remarque Gabriel Hanotaux, le biais gallican qui sauva le royaume du désordre et le roi de l'hérésie. » Le 25 février 1594, les rites du sacre se déroulaient à Chartres, car Reims était alors aux mains des Guise, et le 17 septembre 1595, l'absolution pontificale était proclamée. Elle n'avait pas été obtenue sans difficulté, car elle im- pliquait la reconnaissance de la décision prise à

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Saint-Denis le 25 juillet 1593 par l'épiscopat fran- çais, et Rome se résolvait mal à consacrer de son autorité une telle procédure ; par ailleurs l'absolu- tion renversait la politique ecclésiastique du Saint- Siège, fondée depuis longtemps sur l'idée d'une Eu- rope catholique dominée par les Habsbourg. Cepen- dant l'humiliation du roi de France, son repentir expiatoire, pouvaient dans l'immédiat, sembler pro- fitables à Rome : cette raison détermina l'accepta- tion finale du pape.

Mais, indirectement, cette victoire ultramontai- ne allait susciter une réaction gallicane. Les parle- mentaires refusèrent d'admettre les bulles d'absolu- tion : ils reconnaissaient au Saint-Siège le droit d'absoudre Henri IV « en conscience », non celui de juger de la « capacité » ou de l'« incapacité » de son royaume. Par une conséquence imprévue, la décision royale renforçait la notion d'État et mar- quait plus fortement l'indépendance de la monar- chie à l'égard de Rome. On le vit immédiatement à propos de la réception et de la publication en France des décrets du concile de Trente. Au mo- ment où Clément VIII accepta d'accorder au roi l'absolution pontificale, la « cédule des péniten- ces » portait entre autres choses la promesse de publication des décisions tridentines. Henri IV seul s'y fût sans doute soumis, mais il ne put obtenir du parlement l'enregistrement de l'édit de publication : les parlementaires refusèrent même d'admettre les bulles d'absolution qui, à leurs yeux, outrepas- saient la compétence pontificale. Les textes conci- liaires ne furent jamais publiés en France. Ils furent « reçus » par l'assemblée du clergé de France de 1615. Cette procédure était impropre à faire de cette publication une loi du royaume, mais elle suffisait pour obliger en conscience les fidèles à s'y conformer, puisque l'autorité compétente les y in- vitait. L'acte de 1615 revêt par là même une gran-

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de importance : il marque un nouveau pas dans la distinction du spirituel et du temporel.

La paix faite avec l'Église, restait à régler la pa- cification avec les protestants.

III — Une « coexistence pacifique ». L'édit de Nan- tes

Ces efforts — tâtonnants mais réels — de sépara- tion du spirituel et du temporel revêtent leur pleine signification avec la reconnaissance légale d'une communauté protestante, organiquement incluse dans la nation.

Dès avant son abjuration, Henri IV avait entre- pris des négociations avec les réformés : la veille même de cette abjuration, il avait d'ailleurs promis qu'il « se souviendrait d'eux et ne permettrait ja- mais qu'il fût fait tort ou violence aucune à leur religion ». Les négociations furent longues car elles supposaient le réglement d'une foule de détails pra- tiques. Elles aboutirent à un ensemble de textes comprenant : un édit de pacification en 93 articles, des déclarations concernant l'enregistrement des clauses secrètes de l'édit, enfin deux « brevets » réglant des modalités pratiques d'ordre financier ou militaire. C'est cet ensemble que l'on désigne géné- ralement sous le nom d'édit de Nantes, dont les dif- férentes parties furent signées entre le mois d'avril et le 30 juin 1598. Il s'agissait d'une série d'articles fixant le statut juridique des protestants français. Ils étaient déclarés « capables de tenir et exercer tous états, dignités, offices et charges publiques quelconques, royales, seigneuriales ou municipa- les », à la seule condition de « bien et fidèlement servir le Roi en l'exercice de leurs charges et garder les ordonnances ». La liberté religieuse pour les ré- formés était proclamée sur toute l'étendue du ro- yaume :

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« Nous permettrons, stipulait l'article 6, à ceux de ladite Religion prétendue réformée vivre et de- meurer par toutes les villes et lieux de notre royau- me et pays de notre obéissance, sans être enquis, vexés, molestés, ni astreints à faire chose pour le fait de la Religion contre leur conscience ni pour raison d'icelle être recherchés ès maisons et lieux où ils voudront habiter. »

La liberté du culte était affirmée, mais elle demeurait localisée de façon stricte ; elle n'était en effet permise que : là où ce culte existait avant le 31 août 1597, là où il était autorisé en vertu de l'édit de Poitiers de 1577, dans deux localités par bailliage, enfin chez les seigneurs calvinistes haut- justiciers (ils étaient au nombre d'environ 3 500). Par contre, il était interdit à Paris et dans un rayon de cinq lieues autour de la capitale. Moyennant le respect de ces conditions, les réformés jouissaient des droits civils, ils pouvaient librement bâtir des temples, tenir des consistoires et des synodes, ou- vrir des écoles.

Pour garantir l'impartialité de la justice, il était créé : à Paris, une chambre de l'édit (spécialisée dans la jurisprudence de l'édit de Nantes), une chambre mi-parties à Castres, une seconde en Dau- phiné, une troisième en Guyenne ; une autre cham- bre de l'édit sera instituée à Rouen en 1599. Par ailleurs les protestants demeurent organisés en par- ti : non seulement ils conservent leurs synodes, mais près de deux cents places de sûreté leur sont laissées pour une durée de huit ans ; cette clause sera renouvelée en 1607, 1611, 1615. La plupart de ces places se trouvent dans les régions où la Ré- forme possède d'importantes assises sociales : dans l'Ouest (Loudun, Saumur, Saint-Jean d'Angély, Royan, et surtout La Rochelle...), dans la région rhodanienne (Montélimar, Privas, Die...), en Lan- guedoc (Montauban, Castres, Montpellier, Alès,

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Nîmes...). Certaines de ces places disposent d'une puissance redoutable, ainsi La Rochelle qui pouvait aisément constituer une « tête de pont » accessible à des coreligionnaires étrangers, spécialement an- glais. Les garnisons sont maintenues dans ces pla- ces. Les gentilshommes protestants haut justiciers pouvaient lever 25 000 hommes : cet effectif était élevé, puisque l'armée royale en temps de paix n'en comptait guère plus de 10 000.

L'édit de Nantes marque une étape importante dans l'histoire ecclésiastique et spirituelle de la France. Pourtant, loin d'être une proclamation de la liberté universelle de conscience, il se présente simplement comme la charte des privilèges protes- tants. Non seulement il admet, mais il consacre la division religieuse : il ne réalise donc ni l'unité spi- rituelle, idéal du XVIe siècle, ni la liberté spirituel- le, chère à d'autres générations. Contraint d'aban- donner aux réformés une part de sa souveraineté, le roi a, par étapes successives, imaginé cette solu- tion empirique et ce compromis. L'édit de Nantes n'est même pas juridiquement une grande nouveau- té, puisqu'il est moins libéral que l'édit de Beaulieu qui autorisait le culte réformé partout dans le ro- yaume à l'exception de Paris. Chacune des disposi- tions de l'édit se retrouve d'ailleurs déjà dans des textes antérieurs : ainsi la clause des places de sûre- té dans l'édit de Saint-Germain (1570), celle des chambres mi-parties dans les édits de Beaulieu (1576) et de Poitiers (1577). D'où vient donc son exceptionnelle importance ? Essentiellement d'une raison de fait : le roi a désormais la possibilité de proclamer sa volonté et de la faire appliquer. La vé- ritable signification de l'édit de Nantes se situe dans la perspective de la restauration monarchique: là réside sa grande différence avec les édits anté- rieurs qui ne furent que des concessions verbales demeurées lettre morte. On saisit par cet exemple

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le danger de juger des réalités historiques à la lu- mière des seules institutions. Par sa portée pragma- tique, l'édit de Nantes marque une étape importan- te dans l'histoire des idées de tolérance : il crée une sorte de respect mutuel entre les deux religions, ce qu'en d'autres temps on appellera la « coexistence pacifique ». L'édit de Nantes se rattache à l'idéolo- gie des « politiques », c'est-à-dire à une volonté de sécularisation au moins partielle de l'État. C'est pourquoi on vit paraître, dans les années qui suivi- rent la publication de l'édit, une série d'opuscules, généralement anonymes, qui préconisaient de fon- der la paix civile et l'unité nationale sur une disso- ciation croissante entre la religion et la politique. Ainsi le traité publié en 1599 sous le titre De la concorde de l' Etat par l'observation des Édits de pacification. On y lit, dès les premières pages, une vibrante apologie de la liberté religieuse, facteur d'unité nationale :

« Lâchons la bride à cette diversité de reli- gions... La liberté des deux religions sera la guéri- son de cet État. La liberté rompra l'impétuosité de nos divisions... Est-il possible que nous ayons eu les sentiments si rebouchés, si hébétés, si endurcis que le laps de quarante ans ne nous ait pu appren- dre que la seule relâche, le seul soulagement de nos afflictions est venu par la permission et par la liber- té des deux religions en ce royaume ? C'est donc toi, ô liberté, que j'appelle, que j'invoque à notre secours... »

Conçue dans un esprit analogue, la Conférence des Edits de pacification du publiciste antiligueur, Pierre du Belloy, présente un commentaire point par point du texte de l'édit de Nantes. Celui-ci se situe donc dans une évolution historique riche d'a- venir et destinée à triompher à long terme : celle du monde libéral. Mais, dans l'immédiat, il se fon- dait sur la seule autorité du roi. Henri IV ne l'avait

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d'ailleurs pas imposé sans difficulté. Le parlement de Paris avait refusé l'enregistrement et le 7 février 1599 une délégation était venue au Louvre présen- ter des remontrances au souverain ; celui-ci avait répliqué vertement :

« Ce que j'en ai fait est pour le bien de la paix, je l'ai fait au dehors, je le veux faire au dedans de mon royaume... Ne m'alléguez point la religion catholique ; je l'aime plus que vous, je suis plus ca- tholique que vous : je suis fils aîné de l'Eglise, nul de vous ne l'est ni ne peut l'être... Je suis Roi main- tenant et parle en Roi. Je veux être obéi. A la véri- té, les gens de justice sont mon bras droit, mais si la gangrène se met au bras droit, il faut que le gau- che le coupe. Quand mes régiments ne me servent pas, je les casse... »

Quelques jours plus tard, le parlement était revenu à la charge mais finalement il avait dû, le 25 février, procéder à l'enregistrement. Henri IV avait été contraint de vaincre la résistance de cha- que parlement un à un : celui de Rennes ne se sou- mit qu'en 1600, après deux lettres de jussion, celui de Rouen ne procéda à l'enregistrement définitif qu'en 1609.

L'édit de Nantes était donc entaché de fragili- té : dès la mort du roi, la scission, un instant mas- quée, réapparut ; si les protestants proclamèrent le caractère définitif de l'édit, la nation, catholique dans sa grande majorité, aura tendance à ne l'ad- mettre que comme un compromis provisoire, une solution de circonstance. C'est pourquoi on le ver- ra remis en cause, sous des formes d'ailleurs très différentes, par Richelieu puis par Louis XIV. Ce- pendant, en aucun autre pays d'Europe, la toléran- ce d'une confession dissidente n'a, à cette époque, été aussi explicitement fondée sur une distinction entre les finalités de l'Etat et celles de l'Eglise. L'é- dit de Nantes doit donc être considéré à la fois

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dans la perspective d 'un phénomène court et dans celle d'un phénomène long : phénomène court, fruit des circonstances, il demeure marqué d'incer- titude ; phénomène long, il annonce la difficile ins- tauration de la liberté de conscience et du respect mutuel.

Ainsi la Réforme catholique dans sa phase posi- tive — celle qui allait se traduire par un essor extra- ordinaire de la spiritualité, de la pastorale et des œuvres — commence-t-elle en France non avec les dernières sessions du concile de Trente, mais cin- quante ans plus tard, à la fin du règne d'Henri IV. C'est alors que le catholicisme français de l'âge clas- sique rassemble les éléments spécifiques de son his- toire : histoire passionnée, souvent traversée de cri- ses ou de conflits internes car elle repose sur une tension entre l'héritage de la romanité tridentine et un gallicanisme durci par les excès des guerres de religion, tandis que l'existence d'une forte commu- nauté protestante attise la controverse, mais en mê- me temps favorise les tentatives iréniques. C'est le jeu de ces éléments tantôt complémentaires, tantôt contradictoires, qui confère sa tonalité propre au catholicisme français au temps de Louis XIII et de Louis XIV.

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CHAPITRE I

L'ORGANISATION ECCLÉSIASTIQUE

La société française du XVIIe siècle est de type sacral. Partout s'y affirme l'union étroite de l'Eglise et de l'État ; il n'existe par contre entre le spirituel et le temporel aucun plan de séparation nettement défini : les institutions religieuses intéressent l'État, les institutions civiles tirent leur justification de principes chrétiens. Entre les deux domaines les in- terférences sont constantes. Un tel régime implique l'unité de religion ; en principe, tous les Français sont catholiques : dans la cérémonie du sacre, le roi prête serment de maintenir les liens indissolubles entre l'Église et la nation et il s'engage à chasser de son royaume les hérétiques.

En fait, il est vrai, il existe des communautés étrangères au catholicisme : l'édit de Nantes établit clairement les droits des réformés et, lorsqu'en 1648 l'Alsace devint française, un traité internatio- nal qui sera toujours respecté, protégera les protes- tants de ce pays. Les colonies juives dispersées dans le royaume, mais importantes surtout à Metz et en Alsace, bénéficieront, après le rattachement de ces provinces à la couronne, de libertés particulières. Mais il s'agit là de privilèges (au sens littéral privae leges) applicables soit à des groupes restreints soit à des territoires strictement limités. Dans le prin- cipe et pour l'ensemble de la nation, la religion of- ficielle est le catholicisme qui constitue à la fois une réalité spirituelle et une institution d'Etat aux rouages administratifs complexes.

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I — La hiérarchie épiscopale

1 — Les diocèses

La grande unité ecclésiastique est le diocèse ou l'archidiocèse, gouvernés respectivement par un évêque ou un archevêque. Le nombre des diocèses a varié au cours du XVIIe siècle. La France comp- tait à la fin du XVIe quatorze archidiocèses(Reims, Sens, Rouen, Tours, Bourges, Bordeaux, Auch, Toulouse, Narbonne, Arles, Aix, Embrun, Vienne, Lyon). Ils étaient au début du XVIIIe siècle au nombre de dix-huit ; les quatre nouveaux étaient : Paris, devenu archidiocèse en 1626, Albi en 1678 ; les métropoles de Besançon et de Cambrai avaient été rattachées à la couronne à la paix de Nimègue en 1678. Le royaume comprenait 105 évêchés à la fin du XVIe siècle et 113 à la fin du XVIIe, la dif- férence provenant des territoires conquis par Louis XIV. Dans ce total n'étaient inclus ni l'évêché de Québec au Canada, ni celui de Bethléem établi à Clamecy en Nivernais, ni la métropole d'Avignon située, avec ses suffragants de Carpentras, de Vai- son et de Cavaillon, dans le Comtat Venaissin. Cer- tains de ces diocèses dépendaient de métropolitains étrangers : Strasbourg était suffragant de Mayence ; Metz, Toul et Verdun de Trêves ; Perpignan de Tar- ragone. Quelques prélats disposaient de prérogati- ves traditionnelles mais qui tendaient à devenir strictement honorifiques (1) : ainsi l'évêque d'Au- tun porte-t-il de droit le pallium, normalement ré- servé aux archevêques ; les archevêchés de Reims et de Paris, les évêchés de Laon et de Langres sont des

( 1) Cf. François de Dainville, Cartes anciennes de l'Église de France, Paris, 1956, p.274 sq.

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Le présent volume répond à une fin didactique : il s 'adresse aux étudiants d'histoire moderne ou à ceux qui, à échéance plus ou moins longue, env i sagen t une spécialisation dans les sciences religieuses. Ces objectifs ont déterminé l 'économie générale de l'ou- vrage.

Les l imites c h r o n o l o g i q u e s a d o p t é e s - l 'avène- ment de Louis XIII en 1610, la mort de Louis XIV en 1715 - c o r r e s p o n d e n t , la p remiè re au d é b u t de la Réforme catholique dans sa phase positive, la secon- de à la fin de la « crise de la conscience européenne » et à l 'avènement de |'« ère des Lumières ».

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