résiliation et responsabilité : le contrat, rien que le ... · le droit à la reprise des...

4
Résiliation et responsabilité : le contrat, rien que le contrat ! L’analyse de la jurisprudence révèle que le contrat s’est imposé, en matière de résiliation et de responsabilité y atta- chée, comme la nouvelle loi des parties. En outre, face à des problématiques de fin anticipée du contrat, les juges appliquent prioritairement cet acte. S i le Code civil nous enseigne que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (1) , le droit administratif et sa jurisprudence nous avaient au contraire habitués, en matière de contrats administratifs, à l’existence de grands principes applicables indépendamment des stipulations contractuelles définies par les parties (2) , et auxquels ces dernières ne pouvaient en toute hypothèse renoncer par avance, quand bien même elles y consentiraient en toute connaissance de cause (3) . C’est dans ce contexte contraint que s’est ainsi forgé un régime essentiellement prétorien, ayant vocation à enca- drer de facto des droits aussi fondamentaux et exorbitants que celui appartenant au cocontractant public de résilier, unilatéralement et à tout moment, un contrat adminis- tratif (4) , ou ceux régissant les modalités d’indemnisation du cocontractant de l’administration dans un tel cas ou dans les hypothèses de fin de contrat consécutives à un évènement dit de « force majeure » ou même à une faute (5) . Ainsi, et à la différence du droit privé des contrats, le régime de la résiliation contractuelle en droit administratif se trouvait défini non par les parties au contrat, mais par un corpus de normes et principes supérieurs s’imposant à elles. Dépos- sédées du sujet, les parties ne s’y intéressaient donc pas, et les plus anciens d’entre nous peuvent ainsi témoigner du caractère elliptique, et le plus souvent inexistant, des clauses de résiliation au sein des contrats administratifs ; dans le meilleur des cas en effet, les stipulations sur ce sujet se limitaient à indiquer qu’en cas de résiliation anticipée, pour motif d’intérêt général, force majeure ou faute, il serait fait (1) Code civil, art. 1134. (2) Cons. const. décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985. (3) CE 6 mai 1985, Association Eurolat, req. n° 41589, Rec. CE, p. 141. (4) CE ass. 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec. CE, p. 246 ; CE ass. 2 février 1987, TV6, req. n° 81131, Rec. CE, p. 29. (5) CE 20 mars 1957, Soc. des établissements thermaux d’Ussat- les-Bains ; CE 20 février 2013, req. n° 352762 ; CAA Nantes 21 mars 2014, req. n° 12NT00803 ; CE ass. 21 décembre 2012, Commune de Douai, req. n° 342788 ; CE 4 mai 2015, Soc. Domaine Porte des Neiges, req. n° 383208. Olivier Laffitte Avocat associé, Taylor Wessing Mots clés Exception d’inexécution • Résolution • Responsabilité contractuelle • Reprise des relations contractuelles • Résiliation Contrats Publics – n° 161 - janvier 2016 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/ 47 Dossier Responsabilité contractuelle : dernier état de la jurisprudence

Upload: vandung

Post on 14-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Résiliation et responsabilité : le contrat, rien que le contrat !L’analyse de la jurisprudence révèle que le contrat s’est imposé, en matière de résiliation et de responsabilité y atta-chée, comme la nouvelle loi des parties. En outre, face à des problématiques de fin anticipée du contrat, les juges appliquent prioritairement cet acte.

S i le Code civil nous enseigne que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »(1), le droit administratif et sa jurisprudence

nous avaient au contraire habitués, en matière de contrats administratifs, à l’existence de grands principes applicables indépendamment des stipulations contractuelles définies par les parties(2), et auxquels ces dernières ne pouvaient en toute hypothèse renoncer par avance, quand bien même elles y consentiraient en toute connaissance de cause(3). C’est dans ce contexte contraint que s’est ainsi forgé un régime essentiellement prétorien, ayant vocation à enca-drer de facto des droits aussi fondamentaux et exorbitants que celui appartenant au cocontractant public de résilier, unilatéralement et à tout moment, un contrat adminis-tratif(4), ou ceux régissant les modalités d’indemnisation du cocontractant de l’administration dans un tel cas ou dans les hypothèses de fin de contrat consécutives à un évènement dit de « force majeure » ou même à une faute(5). Ainsi, et à la différence du droit privé des contrats, le régime de la résiliation contractuelle en droit administratif se trouvait défini non par les parties au contrat, mais par un corpus de normes et principes supérieurs s’imposant à elles. Dépos-sédées du sujet, les parties ne s’y intéressaient donc pas, et les plus anciens d’entre nous peuvent ainsi témoigner du caractère elliptique, et le plus souvent inexistant, des clauses de résiliation au sein des contrats administratifs ; dans le meilleur des cas en effet, les stipulations sur ce sujet se limitaient à indiquer qu’en cas de résiliation anticipée, pour motif d’intérêt général, force majeure ou faute, il serait fait

(1) Code civil, art. 1134.

(2) Cons. const. décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985.

(3) CE 6 mai 1985, Association Eurolat, req. n° 41589, Rec. CE, p. 141.

(4) CE ass. 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec. CE, p. 246 ; CE ass. 2 février 1987, TV6, req. n° 81131, Rec. CE, p. 29.

(5) CE 20 mars 1957, Soc. des établissements thermaux d’Ussat-les-Bains ; CE 20 février 2013, req. n° 352762 ; CAA Nantes 21 mars 2014, req. n° 12NT00803 ; CE ass. 21 décembre 2012, Commune de Douai, req. n° 342788 ; CE 4 mai 2015, Soc. Domaine Porte des Neiges, req. n° 383208.

Olivier Laffitte Avocat associé, Taylor Wessing

Mots clés

Exception d’inexécution • Résolution • Responsabilité contractuelle • Reprise des relations contractuelles • Résiliation

Contrats Publics – n° 161 - janvier 2016 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/ 47

DossierResponsabilité contractuelle : dernier état de la jurisprudence

application des principes jurisprudentiels en vigueur. La financiarisation des contrats administratifs, et le recours de plus en plus fréquent à des montages de préfinance-ment bancaire reposant sur la technique dite de « project finance »(6), conduira cependant les parties à s’intéresser aux modalités de fin anticipée des contrats. Les incertitudes liées à un régime jurisprudentiel jusqu’alors considéré comme suffisant, amèneront ainsi les parties à tenter de définir avec précision tant les modalités de mise en jeu que les conséquences indemnitaires attachées aux différents cas de résiliation anticipée des contrats administratifs. Depuis lors, qu’il s’agisse de délégations de service public, de montages dits « domaniaux » ou encore de type partenariat public-privé, les clauses contractuelles régissant les conditions et les effets d’une résiliation n’ont cessé de voir leur importance grandir, non seulement en termes d’enjeux de discussions qu’en termes de volume, tant il est fréquent aujourd’hui que plusieurs pages d’un même contrat leur soient exclusivement consacrées. Seuls les marchés publics classiques semblent encore épargnés par ce mouvement, probablement parce qu’ils ne donnent pas lieu à des négociations contractuelles spécifiques ; à n’en pas douter cependant, le recours de plus en plus fréquent à la négociation, tel que prôné par les nouveaux textes relatifs aux marchés publics, aura pour effet d’étendre à ces derniers les pratiques constatées par ailleurs. Cette tendance de fond s’inscrit, en effet, dans un mouvement plus large affectant le droit des contrats publics, et dont l’objectif fondamental vise à préserver de manière prioritaire la stabilité des relations contractuelles. Dans ce nouveau contexte, l’examen de la jurisprudence récente en matière de résiliation met clairement en exergue, au-delà des conséquences indemnitaires liées à une résiliation, la tendance de fond réservant une place centrale au contrat lui-même. Il apparaît en effet qu’en matière de résiliation, le contrat est devenu non seulement la nouvelle loi des parties, mais également la nouvelle loi des juges.

Le contrat, nouvelle loi des parties en matière de résiliationPendant longtemps apanage exclusif du cocontractant public, la résiliation est désormais un pouvoir partagé, dont les parties peuvent, presque librement, encadrer les modalités.

La fin de l’unilatéralisme

● Le droit à la reprise des relations contractuelles

Traduction contractuelle du privilège du préalable béné-ficiant à l’administration, le cocontractant public est en effet, traditionnellement, le seul à pouvoir prononcer unilatéralement la résiliation d’un contrat administratif, son cocontractant privé ne pouvant, dans un tel cas, que saisir le juge du contrat en vue d’obtenir une indemnisa-tion dès lors qu’un tel pouvoir aurait été injustement mis en œuvre. Revenant sur cette jurisprudence historique

(6) Financement de projets.

dans son fameux arrêt dit « Béziers II », le Conseil d’État a en effet reconnu, pour la première fois, au cocontrac-tant de l’administration le droit de demander la reprise des relations contractuelles. À condition d’être intro-duit dans un délai de deux mois, ce dernier peut en effet désormais saisir le juge administratif d’un recours en ce sens, accompagné, le cas échéant, d’une demande de suspension en référé afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises. Pour se déterminer au fond, le juge du contrat examine alors « eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contrac-tuelles, ainsi qu’aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse »(7).

● La reconnaissance de l’exception d’inexécution

De la même manière, le cocontractant de l’administra-tion se trouvait traditionnellement démuni face au non-respect des engagements contractuels par la personne publique ; ne pouvant, en effet, cesser d’honorer ses propres obligations, faute de reconnaissance d’un quel-conque droit comparable à celui de l’exception d’inexé-cution du droit privé, le cocontractant de l’administration ne pouvait, en ce cas, que saisir le juge du contrat pour lui demander de prononcer la résiliation du contrat pour faute du cocontractant public et obtenir l’indemnisation du préjudice en résultant, sans pour autant pouvoir mettre fin à ses propres prestations dans l’attente du jugement correspondant. Par un arrêt en date du 8 octobre 2014, le Conseil d’État accepta enfin, sous certaines conditions, de valider le principe de l’exception d’inexécution, consa-crant ainsi le caractère pleinement synallagmatique du contrat administratif. Désormais en effet, si « le cocon-tractant lié à une personne publique par un contrat admi-nistratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat, (…) il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n’a pas pour objet l’exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles ; que, cependant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préa-lable, la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ; que lorsqu’un motif d’intérêt général lui est opposé, le cocon-tractant doit poursuivre l’exécution du contrat ; qu’un manquement de sa part à cette obligation est de nature à entraîner la résiliation du contrat à ses torts exclusifs ;

(7) CE, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806, CP-ACCP, n° 110, mai 2011, p. 64, note G. Le Chatelier.

Contrats Publics – n° 161 - janvier 201648 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/

Responsabilité contractuelle : dernier état de la jurisprudenceDossier

été privé »(12). Rien ne s’oppose en revanche « à ce que ces stipulations prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi »(13). Cette jurisprudence confirmait ainsi, en la précisant, celle ayant validé la possibilité de prévoir contractuellement le versement d’un montant d’indemnisation excédant le préjudice subi par le cocontractant de l’administration(14).

Si le contrat s’est ainsi imposé, en matière de résiliation et de responsabilité y attachée, comme la nouvelle loi des parties, il est également devenu celle appliquée prioritai-rement par les juges lorsque des problématiques de fin anticipée du contrat se posent à lui.

Le contrat, nouvelle loi des juges en matière de résiliationL’affirmation de la primauté du contrat par les juges s’est en effet accompagnée d’une quasi-disparition du risque de résolution pesant traditionnellement sur le contentieux contractuel.

La primauté de la relation contractuelle

● Primauté du régime de responsabilité contractuelle

De jurisprudence constante, et à l’image du droit privé, le Conseil d’État a précisé, dès 1976, que lorsque des parties sont liées par un contrat, seule la responsabi-lité contractuelle peut être invoquée à l’occasion de tout différend entre elles, reconnaissant ainsi un mécanisme d’absorption des responsabilités extracontractuelles par la responsabilité contractuelle(15). Si cette primauté peut sembler naturelle à un juriste de droit privé, elle soulève cependant, pour son homologue publiciste, une interroga-tion particulière résultant des spécificités du contentieux administratif des contrats ; en effet, et à la différence du droit privé où le risque de nullité d’un contrat est extrê-mement faible, l’hypothèse d’une disparition rétroactive du lien contractuel au motif de l’illégalité initiale dudit contrat n’est pas à exclure. Dans un tel cas se pose, pour le cocontractant requérant souhaitant invoquer la nullité du contrat, la question du régime de responsabilité à invoquer devant le juge, à savoir contractuel ou quasi-contractuel et délictuel ? À cet égard, les juges ont clai-rement affirmé la primauté du régime de responsabilité contractuelle, en incitant de tels requérants à s’adresser à lui, quand bien même il serait, in fine, amené à réorienter leur action sur le plan extracontractuel. Ainsi, le Conseil d’État a-t-il précisé que « lorsque le juge, saisi d’un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit, le cas échéant d’office, à écarter l’application

(12) CE 4 mai 2011, req. n° 334280.

(13) Idem supra.

(14) CAA Versailles 7 mars 2006, req. n° 04VE01381.

(15) CE 1er décembre 1976, M. Berezowski, req. n° 98946, Rec. CE p. 521.

qu’il est toutefois loisible au cocontractant de contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé afin d’obtenir la résiliation du contrat »(8).

L’avènement du contractualisme

● L’extension du domaine du contrat

Longtemps considérées comme de simples déclarations d’intention ou de collaboration sans portée normative, les conventions conclues entre personnes publiques n’étaient pas assimilées à de véritables contrats administratifs, ne serait-ce que parce qu’elles ne correspondaient pas au schéma contractuel envisagé dans le cadre des « prin-cipes applicables aux contrats administratifs »(9). Ces conventions désormais reconnues comme constituant de véritables contrats administratifs(10), leur régime en matière de résiliation ne saurait toutefois être totalement calé sur celui de ses homologues public/privé ; c’est ce que rappelait encore récemment le Conseil d’État dans un arrêt du 27 février 2015, par lequel il indiquait « qu’une convention conclue entre deux personnes publiques rela-tive à l’organisation du service public ou aux modalités de réalisation en commun d’un projet d’intérêt général ne peut faire l’objet d’une résiliation unilatérale que si un motif d’intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l’équilibre de la convention ou de disparition de sa cause ; qu’en revanche, la seule appari-tion, au cours de l’exécution de la convention, d’un désé-quilibre dans les relations entre les parties n’est pas de nature à justifier une telle résiliation »(11).

● La reconnaissance de la liberté contractuelle

Par ailleurs, le renouveau de la liberté contractuelle en matière administrative a permis aux parties de se saisir pleinement des mécanismes de résiliation, abandonnant la pratique jusqu’alors existante de renvoyer purement et simplement ces questions aux principes dégagés par la jurisprudence. Ainsi a été progressivement admise la possibilité d’aménager contractuellement les grands principes susmentionnés, afin de permettre aux parties de définir précisément, et surtout par avance, le régime de responsabilité, et donc d’indemnisation, qui s’appliquerait en cas de résiliation anticipée de leur contrat. Ainsi à titre d’illustration, le Conseil d’État a précisé qu’en matière de résiliation pour motif d’intérêt général, « l’étendue et les modalités de l’indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concession-naire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a

(8) CE 8 octobre 2014, Société Grenke location, req. n° 370644.

(9) Cf. supra note n° 2.

(10) CE ass. 8 janvier 1988, req. n° 74361 ; CE 13 mai 1992, req. n° 101578 ; CE 24 novembre 2008, req. n° 290540.

(11) CE 27 février 2015, Commune de Béziers, req. n° 357028.

49Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/Contrats Publics – n° 161 - janvier 2016

Responsabilité contractuelle : dernier état de la jurisprudenceDossier

un régime de responsabilité extracontractuelle, qu’une telle nullité ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, et sous réserve de la possibilité en tout état de cause, de ne prononcer qu’une annulation partielle. À l’évidence, ce luxe de réserves démontre que la résolu-tion doit désormais rester marginale, et que les consé-quences d’une fin de contrat anticipée doivent demeurer dans le champ de la responsabilité contractuelle(20). La jurisprudence la plus récente du Conseil d’État confirme cette analyse, en estimant que ni la retranscription incomplète dans le registre des délibérations de la déli-bération autorisant la signature du contrat, ni l’absence de signature dudit registre par l’ensemble des conseillers municipaux, ni la présence de signature sur le registre d’un conseiller municipal absent, et ni l’absence de trans-mission de la délibération au contrôle de légalité avant la signature du contrat ne doivent être regardées comme d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat(21).

● La consécration de l’autonomie de certaines stipulations contractuelles

Enfin, et pour le cas où cet acharnement thérapeutico-juridique à maintenir en vie le contrat ne suffirait pas, le législateur a pris l’initiative, à l’occasion de la transposi-tion en droit français des directives européennes marchés publics et concessions(22), de venir au chevet des contrats pour lesquels le risque de disparition rétroactive est le plus sensible, c’est-à-dire ceux ayant recours à du préfi-nancement privé, en reconnaissant de manière expresse à certains dispositifs contractuels, un effet immuno protec-teur contre le risque de résolution. Ainsi, l’article 89 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics pour ce qui concerne les marchés de partenariat, et l’article 46 du projet d’ordonnance relative aux contrats de concession, prévoient tous deux qu’en « cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge, le titulaire du marché de partenariat (ou du contrat de concession) peut prétendre à l’indem-nisation des dépenses qu’il a engagées conformément au contrat, parmi lesquelles peuvent figurer les frais finan-ciers liés au financement mis en place dans le cadre de la mission globale confiée au titulaire, à condition qu’elles aient été utiles à l’acheteur. Cette prise en compte des frais financiers est subordonnée à la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des clauses liant le titulaire aux établissements bancaires ». Et ajoutent, que « lorsqu’une clause du marché de partenariat (ou du contrat de conces-sion) fixe les modalités d’indemnisation du titulaire en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge, elle est réputée divisible des autres stipulations du contrat », et survit ainsi à toute annulation rétroactive… Le contrat, rien que le contrat donc !

(20) CE avis, 10 juin 1996, n° 176873 ; CAA Marseille 17 janvier 2011, req. n° 08MA00362 ; CAA Nancy 9 mai 2011, req. n° 10NC01276.

(21) CE 27 février 2015, req. n° 357028.

(22) Directives 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014 sur les marchés publics, et Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur les concessions.

du contrat en raison des irrégularités qui l’entachent, les parties peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l’enrichissement sans cause de l’une d’elles ou de la faute, pour l’une d’elles, à avoir conclu un tel contrat, bien que ces moyens, qui ne sont pas d’ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles »(16).

● Primauté des stipulations du contrat

Par ailleurs, l’évolution, tant de la jurisprudence que de la procédure contentieuse, a conduit le juge à assurer au maximum la survie du lien contractuel, au nom de l’exi-gence de loyauté des relations contractuelles(17). Ainsi, en matière de référé contractuel, si le juge doit en prin-cipe prononcer la nullité du contrat lorsqu’un certain nombre d’illégalités sont constatées, il peut cependant choisir de sanctionner ces manquements « soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière (…) si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d’in-térêt général »(18). De la même manière, en cas de recours de tiers en annulation d’un contrat, « il appartient au juge (…), lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences ; qu’ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régulari-sation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci »(19).

La quasi-disparition de la résolution

● La notion résiduelle de vice du consentement

À l’instar du droit privé des obligations, le droit adminis-tratif a donc réduit à la portion congrue le risque de dispa-rition rétroactive d’un contrat en le limitant à la notion restrictive de vice du consentement, et en s’attachant à encadrer très limitativement la notion de vice d’une parti-culière gravité. À cet égard, et quand bien même un tel vice serait constaté par le juge, encore faudrait-il, pour qu’il prononce la nullité d’un contrat et place les parties dans

(16) CE Sect., 20 octobre 2000, req. n° 196553 ; CE 18 septembre 2015, req. n° 376973.

(17) CE ass., 28 décembre 2009, req. n° 304802, CP-ACCP, n° 97, mars 2010, p. 78, note XD.

(18) CJA, art. L. 551-18 et L. 551-19.

(19) CE ass. 4 avril 2014, req. n° 358994.

Contrats Publics – n° 161 - janvier 201650 Retrouvez le dossier sur moniteurjuris.fr/contratspublics/

Responsabilité contractuelle : dernier état de la jurisprudenceDossier