revue ape - n°3 - l'europe au pied du mur (janvier 2012)

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revueape.fr/1 Entretiens avec M. Izraelewicz, directeur du journal “Le Monde”, M. Legendre, philosophe et Mme Bechtel, conseillère d’Etat REVUE APE La revue des Masters Affaires Publiques et Européennes de Sciences Po L’ Europe au pied du mur Nr. 3 Janvier 2012

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Où en est l'Europe et où en est la construction européenne ?

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Entretiens avec M. Izraelewicz, directeur du journal “Le Monde”, M. Legendre, philosophe et Mme Bechtel, conseillère d’Etat

REVUE APELa revue des Masters Affaires Publiques et Européennes de Sciences Po

L’ Europe au pied du mur

Nr. 3Janvier 2012

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EditoVoici enfin le troisième numéro de la Revue des Affaires Pu-bliques et Européennes, projet commun entre des étudiants des Masters Affaires Publiques et Affaires Européennes de Sciences Po. Avec quelques changements dans les rubriques et dans la mise en page, nous souhaitons combiner actualité politique et étudiante. Ainsi, vous trouverez en plus du dossier principal une rubrique consacrée à Sciences Po ainsi qu’une rubrique «Actua-lités» qui analysera les dernières actualités politiques nationales et européennes.

«L’Europe au pied du mur» : un sujet qui ne semble pas très original. On incendie la Grèce, on s’offusque de l’intransigeance allemande, on se demande qui va enfin sauver cet euro mal en point et on attend de savoir si les agences de notation dégrade-ront encore les notes des pays. Et surtout, on se demande com-ment l’Europe a pu en arriver là. Véritable remise en question du projet européen, véritable crise identitaire, l’avenir de l’Union Européenne dépendra des prochaines réunions à Bruxelles, de ce couple franco-allemand surnommé «Merkozy», mais aussi de nos charmants voisins britanniques.

Cependant, notre but n’est pas de retracer pour la énième fois toutes les péripéties de cette crise. Nous voulons tout d’abord éclairer ses causes principales, comprendre les raisons de cet échec de l’euro mais aussi plus largement de la remise en cause de l’idée européenne. Ainsi, grâce à des entretiens très fruc-tueux avec des philosophes, économistes et journalistes et à une équipe que je souhaite remercier pour ce travail tout au long du premier semestre, nous espérons que ce numéro vous apportera un éclairage original et des perspectives nouvelles sur la crise que traverse l’Europe aujourd’hui. Sophie Pornschlegel

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L’europe au pied du mur?

L’euro et la centrifugeuse européenne : In varietate concordia? ................................................................................................ 8-13

Entretien avec M. Izraelewicz, directeur du journal «Le Monde»................................................................................................ 14-19

La culture et la crise............................................................................................................................................................................... 20-23

Le couple franco-allemand, tandem intemporel?............................................................................................................................. 24-29

Les différences culturelles en Europe : Entretien avec Mme Bechtel, conseillère d’Etat........................................................ 30-33

Habermas : Pour une Europe des citoyens....................................................................................................................................... 34-35

Que se passe-t-il en Europe? Entretien avec M. Pierre Legendre, philosophe et historien du droit................................... 36-39

Actualités

Les lois mémorielles : retour sur des législations controversées................................................................................................... 42-43

Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire Som

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La QPC, une promesse inachevée...................................................................................................................................................... 44-46

Se dédouaner de l’Europe : la stratégie de «blame avoidance» .................................................................................................... 47

2012 et l’Europe....................................................................................................................................................................................... 48-49

Rubrique Etudiant(e)s

Le portrait du mois : M. Aguila, conseiller d’Etat et professeur de droit public.......................................................................... 51-53

Les modules Career Building de Sciences Po Avenir : quelle utilité ?............................................................................................ 54-55

Actualités AMAE/ AMAP.......................................................................................................................................................................... 56

Remerciements.......................................................................................................................................................................................... 57

Impressum................................................................................................................................................................................................... 57

Crédits Photos........................................................................................................................................................................................... 57

Sommaire Sommaire Sommaire Sommaire

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L’ Europe au pied du mur

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L’euro et la centrifugeuse européenne : In varietate concordia?Entretien avec M Erik Izraelewicz, directeur du quotidien «Le Monde»La culture et la criseLe couple franco-.allemand, tandem intemporel?Entretien avec Mme Marie-Françoise Bechtel, conseillère d’EtatHabermas : Pour une Europe des citoyensQue se passe-t-il en Europe? Entretien avec M. Pierre Legendre, philo-sophe et historien du droit

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Encensé par les uns, fustigé par les autres, objet de la curiosité enthousiaste ou apeurée du

plus grand nombre, l’euro suscita au-tant de craintes qu’il n’éveilla d’espoirs. L’augmentation des échanges écono-miques au sein de la nouvelle zone et la garantie d’une meilleure protection vis-à-vis des turbulences financières internationales constitueraient, selon les plus ardents défenseurs du pro-jet européen, la base nécessaire à une structure politique fédérale. L’objection tenant à l’hétérogénéité des structures économiques des pays de la zone, cou-verte par le tonnerre des protestations souverainistes, fut aussi ignorée par les artisans de l’union monétaire. Les pays membres ne s’étaient-ils pas engagés, avec la signature des accords de Maas-tricht en février 1992, à contrôler étroi-tement l’inflation, la dette publique et le déficit public? Nul doute que la zone euro évoluerait dans le sens d’une har-monisation progressive des structures économiques nationales.

C’était sans compter sur le laxisme bud-gétaire de nombreux Etats, mais aussi le contrôle sévère de l’inflation et le maintien d’un euro fort sous la pression de l’Allemagne. Cette politique, pénali-sant la compétitivité de la plupart des pays de la zone, divisa cette dernière en deux grands ensembles. D’un côté, une Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Danemark…), caractérisée par une bonne discipline budgétaire, une consommation intérieure modérée et une balance commerciale nettement excédentaire. De l’autre, une Europe

du Sud (France, Italie, Espagne, Por-tugal, Grèce…) dont la croissance re-pose avant tout sur la consommation intérieure. D’année en année, l’écart se creuse entre les deux zones sans que l’Europe ne s’en émeuve, la bulle im-mobilière créant l’illusion d’une crois-sance pérenne, notamment en Espagne. Mais la crise survient en 2008. Et avec elle, un effondrement de la croissance et une explosion des déficits publics qui portent le coup de grâce à ceux qu’on a depuis surnommés les «PIGS». Le Portugal, l’Espagne mais aussi l’Irlande croulent sous le poids de leur dette. La Grèce cède à son tour, étouffée par une dette colossale que ni l’aide de l’Union, ni les plans d’austérité ne semblent ca-pables de résorber. L’éventualité d’une faillite grecque menace alors l’ensemble de la zone euro. Mais c’est la conta-gion à l’Italie, dont le PIB représente 17,4% de celui de la zone euro, qui place aujourd’hui l’Europe au pied du mur. L’euro ne survivrait pas à une fail-lite italienne. Et l’Union ne survivrait pas à une faillite de l’euro. Pour éviter cette catastrophe, les dirigeants euro-péens doivent aujourd’hui relever deux défis. Dans l’immédiat, il faut mainte-nir la solvabilité des Etats les plus fra-giles. Mais il est aussi fondamental de résoudre le problème structurel de la zone euro : la trop grande hétérogénéi-té des structures économiques de ses Etats-membres.

La gestion immédiate de la crise

Il est urgent pour les pays européens de rétablir la confiance des investisseurs

pour mettre un terme à l’envolée des taux d’intérêt. Maintenu les six pre-miers mois de l’année en-dessous de la barre des 200 points de base, le spread Italie-Allemagne - la différence des taux d’intérêt sur les marchés financiers - os-cille au mois de novembre autour des 500 points de base : en d’autres termes, l’Italie paie des intérêts sur sa dette cinq fois plus élevés que ceux de l’Allemagne ! Avec des taux sur 10 ans à 7%, l’Italie est condamnée à l’insolvabilité. Certes, on est encore loin des 1000 points de base du spread du Portugal ou des taux sur 10 ans à 25% de la Grèce. Mais à l’inverse de ces pays, qui, exclus du mar-ché financier, peuvent théoriquement être maintenus «sous perfusion» par des organismes supranationaux, l’Italie traîne avec elle une dette avoisinant les 1.900 milliards d’euros, que des créan-ciers extérieurs seraient bien incapables d’éponger. L’adoption de mesures d’austérité budgétaire est donc une mesure indispensable pour ramener les taux d’intérêt à des niveaux tolérables. Les gouvernements, anciens comme nouveaux, s’engagent tous dans la voie d’une plus grande discipline budgé-taire afin de rassurer les investisseurs sur leur capacité de remboursement. L’Espagne, après avoir adopté la «règle d’or» budgétaire en septembre dernier, entreprend des réformes profondes de son système de retraite et de son droit du travail. En France, le gouvernement a prévu d’économiser jusqu’à 65 mil-liards d’euros supplémentaires, l’objec-tif étant de conserver le triple A qui lui permettrait d’emprunter à des taux relativement bas.

L’euro et la centrifugeuse européenne : In varietate concordia ?

Le 1er janvier 1999, onze pays de l’Union franchissaient une étape décisive dans le processus d’intégration européenne avec l’adoption d’une monnaie commune.

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La discipline budgétaire n’est toutefois pas suffisante. Malgré l’adoption de plans d’austérité, qui devraient réta-blir la confiance des marchés, les taux d’intérêt des pays les plus touchés par la crise continuent d’augmenter et at-teignent des taux qui ne correspondent pas toujours à leurs capacités réelles de remboursement. L’Italie est solvable. Elle dispose d’un bon tissu industriel, détient 55% de sa propre dette et peut diminuer drastiquement son déficit budgétaire. Toutefois, l’envolée des taux semble avoir dépassé le seuil cri-tique au-delà duquel la crainte des mar-chés s’autoalimente. Des taux plus éle-vés renchérissent le service de la dette, ce qui, alourdissant le stock de dette, conduit à son tour à une augmentation des taux… Avec des taux à 2 ans qui dépassent ceux à 10 ans, l’Italie est au-jourd’hui rattrapée par cette dynamique auto-réalisatrice. Les investisseurs ont parié sur sa faillite, et les plans d’austé-rité, à moins d’être suffisamment dra-coniens sans amputer la croissance, ne

suffiront pas à rétablir le calme sur les marchés.

Il existe deux sources de financement de la dette : les marchés et les créan-ciers extérieurs. Les marchés sont fer-més à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal, bientôt peut-être à l’Espagne, à l’Italie, et pourquoi pas à la France. Les pays émergents se montrent réservés à l’idée de prêter de l’argent à l’Europe, tandis que le Japon ou les Etats-Unis sont franchement sceptiques. Et même le FMI, avec un budget de 435 milliards d’euros, ne peut couvrir qu’une partie dérisoire des 3000 milliards de dette européenne «sous tension». La zone euro, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, a donc créé, puis ren-forcé, des mécanismes européens de secours, tels que le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF). Ce dernier achète des obligations sur les marchés primaire et secondaire à des taux relati-vement bas – grâce à sa note «AAA» - et prête cet argent aux pays en difficul-

té. La politique du Fonds repose sur un savant équilibre entre la garantie d’un taux minimal de couverture, qui permet d’attirer les investisseurs et de conser-ver leur confiance, et le maintien d’un «effet de levier». Plus le taux de couver-ture est important, plus les investisseurs sont confiants, mais moins les sommes qu’il est possible d’emprunter sont éle-vées ; à l’inverse, un taux bas permet-trait d’avoir un meilleur effet de levier, mais les investisseurs seraient moins incités à prêter au Fonds. Le FESF est déjà venu en aide à l’Irlande, à la Grèce est au Portugal à niveau d’environ 200 milliards d’euros. Toutefois, même à supposer que le taux de couverture soit ramené en-deçà de 20% sans inquiéter les investisseurs, la «force de frappe» du FESF ne serait pas suffisante pour un éventuel sauvetage de l’Italie, dont le coût est estimé à 1.400 milliards d’eu-ros.

Les Etats européens semblent donc engagés dans une voie sans issue.

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Comment éviter la faillite si l’accès aux marchés et aux créanciers exté-rieurs est fermé? Les regards se portent aujourd’hui sur la Banque Centrale Européenne (BCE), dont on espère qu’elle acceptera d’assurer la fonction de prêteur en dernier recours. Dispo-sant de ressources en théorie illimitées, la BCE pourrait «monétiser la dette» des Etats en difficulté, c’est-à-dire pro-céder à un rachat massif de leurs bons du Trésor sur le marché financier, avec pour effet corollaire une diminution mécanique des taux sur les marchés. De nombreux économistes estiment même qu’une simple déclaration de la BCE, à condition d’être suffisamment ferme et crédible, permettrait de rame-ner les taux à un niveau raisonnable : si les investisseurs peuvent être cer-tains que la BCE ne laissera aucun Etat européen faire faillite, la spéculation cesserait et la confiance serait rétablie. Les partisans d’une telle solution citent l’exemple des Etats-Unis, du Japon ou

du Royaume-Uni, où les banques cen-trales ont clairement indiqué qu’elles interviendraient en cas de difficulté de financement. Avec des comptes publics aussi dégradés que ceux de l’Italie et des perspectives économiques guère plus réjouissantes, le Royaume-Uni bénéfi-cie de taux de financement de l’ordre de 2,25%, ce qui, comparé à la moyenne des taux européens, est extrêmement avantageux.

L’intervention de la BCE sur les mar-chés en qualité de prêteur en dernier recours est toutefois loin d’être acquise. Cette éventualité se heurte tout d’abord à une difficulté technique : le statut de la banque, déterminé par les traités eu-ropéens, lui défend de prêter aux Etats-membres. Bien que cette interdiction ait déjà été contournée par des inter-ventions ponctuelles mais récurrentes sur le marché secondaire, aucun rachat massif ne peut être effectué sans une modification des traités. Or, ainsi que

l’a récemment rappelé Herman Van Rompuy, «la question d’un change-ment du mandat de la BCE est un vrai tabou en Allemagne». La détermination allemande est aujourd’hui l’obstacle le plus sérieux à l’intervention de la BCE sur les marchés. Des considérations historiques, et notamment le souvenir des crises inflationnistes qui ont mar-qué l’Allemagne dans les années 1920, expliquent la fermeté de cette position. Mais il faut également rappeler que la stricte séparation des mandats de la BCE fut la condition posée par l’Alle-magne à l’adoption de l’euro, et donc à l’abandon du Mark, la plus solide mon-naie européenne. Depuis 2000, la BCE assure la stabilité des prix, les Etats étant seuls responsables de l’équilibre de leur budget. Les dirigeants allemands de la BCE insistent sur la nécessité de juguler l’inflation et de sauvegarder la crédibilité de l’institution en refusant d’acquérir des créances douteuses. En cas d’intervention de la BCE sur les

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marchés, ajoutent-ils, les Etats européens ne seraient plus in-cités à appliquer des mesures d’austérité pourtant néces-saires. La BCE n’intervient que de manière ponctuelle et détient environ 3% de la dette de la zone euro, tout en «stérilisant» ses achats par une diminu-tion de ses prêts aux banques européennes. Malgré la pres-sion de plus en plus forte qui s’exerce sur elles, la BCE et l’Allemagne ne céderont pro-bablement pas sans la garantie d’une réduction drastique des déficits publics.

La gestion à long-terme de la crise

Bien qu’il soit urgent de trouver des réponses rapides et efficaces aux dif-ficultés de financement des Etats, ces derniers doivent chercher dès à présent une solution au problème de fond de la zone euro, à savoir l’hétérogénéité des structures économiques nationales. Il est impossible d’assurer à long-terme le maintien de pays aux modèles aussi dif-férents que ceux de la Grèce et de l’Al-lemagne dans une zone monétaire uni-fiée. Les pays de la zone euro doivent donc trouver un modèle commun de croissance afin de garantir la stabilité de la monnaie unique et fonder une unité économique solide. Si les débats restent ouverts quant à la nature de ce «mo-dèle commun», il semble acquis que la réduction durable des dettes publiques constitue une condition préalable à une telle homogénéisation économique et nécessite l’adoption de réformes struc-turelles.

Les institutions européennes semblent dépassées par l’ampleur et le rythme de la crise actuelle. La Commission n’a ni l’expertise, ni la légitimité néces-saire pour prendre les réformes struc-

turelles nécessaires, et ce d’autant plus que dix pays sur vingt-sept ne sont pas directement concernés par la crise de la monnaie unique. Seul Michel Bar-nier, commissaire européen aux mar-chés financiers, a défendu un projet d’encadrement des agences de notation : soumission des méthodes à l’Autorité Européenne des Marchés, publication intégrale des rapports, avertissement du pays concerné vingt-quatre heures à l’avance en cas de dégradation de sa note, publication du vote de chaque analyste. La portée de ce projet semble relativement faible, d’autant plus que sa mesure phare, la suspension de la notation d’un Etat sous assistance financière, est abandonnée. Le Par-lement européen joue également un

rôle mineur dans la gestion de la crise, se limitant à des mesures ponctuelles, telles que l’interdiction des «CDS à nu», outils de spéculation sur la dette souveraine des Etats.

Le «couple franco-allemand» est aujourd’hui le véritable moteur de l’Europe. A prio-ri, cette union peut sembler étrange compte tenu des inté-rêts divergents des deux pays : alors que la France, menacée à son tour par une hausse des taux sur les marchés finan-ciers, se montre favorable à une intervention de la BCE, l’Allemagne semble encore épargnée et se refuse catégori-quement à modifier le mandat de la banque centrale. Pour-

tant, chacun a tout intérêt à sauver la zone euro, ce qui n’est possible qu’en évitant la faillite de l’Italie et en rédui-sant le montant de la dette européenne. L’Allemagne est aujourd’hui en position de force, mais elle se sait également me-nacée par l’«effet domino» de la crise. Le couple franco-allemand a donc le devoir de prendre les rênes de l’Union et de s’engager dans la voie d’une inté-gration européenne plus poussée.

«Nous devons développer davantage la structure de l’Union européenne. Cela ne signifie pas moins d’Europe, cela signifie plus d’Europe», martèle Angela Merkel depuis novembre der-nier. La solution à la crise passe donc selon Berlin par une avancée du fédéra-lisme. Au 24ème Congrès de la CDU, la chancelière a plaidé pour une révision du traité européen afin de garantir le respect du pacte de stabilité et de crois-sance. Elle a ainsi proposé l’insertion d’une procédure de sortie volontaire de la zone euro – ce qui n’est actuellement pas prévu par les traités – et la nomi-nation d’un «commissaire à l’austérité» chargé d’encadrer les pays surendettés.

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Le Ministre Allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a également défendu l’idée de sanctions plus lourdes et sys-tématiques des violations du pacte de stabilité, ainsi que la saisine automatique de la CJUE. Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, a quant à lui réitéré son opposition à toute modification du mandat de la BCE.

La France s’en tient pour l’instant à des mesures plus limi-tées, bien qu’elle défende auprès de l’Allemagne l’idée d’une intervention de la BCE sur le marché financier. Elle cherche tout d’abord à s’aligner sur le modèle économique et social allemand. Après avoir modifié le régime des retraites, le gou-vernement envisage une résorption totale du déficit public d’ici à 2016 ainsi qu’une réforme du droit du travail destinée à améliorer la compétitivité nationale. Elle souhaite ensuite, avec l’aval de son partenaire, substituer au FESF un Méca-nisme Européen de Stabilité (MES) permettant d’offrir une aide financière plus adaptée. Le FESF est une société de droit privé luxembourgeoise, et sa note «AAA» repose uni-quement sur la garantie des grands pays de la zone euro. De ce fait, il est relativement fragile et risque de ne pas survivre à une éventuelle contagion de la crise à la France. A l’inverse, le MES, dont la création est programmée pour janvier 2012, aurait le statut d’institution internationale et disposerait de fonds propres. En outre, il présenterait une structure plus simple de financement, ce qui rendrait ses emprunts plus attractifs vis-à-vis des investisseurs.

Modification des traités, création de nouvelles structures su-pranationales, renforcement du contrôle des Etats-membres par la Commission, rôle accru de la CJUE… la crise de la dette, qui pousse aujourd’hui les dirigeants européens au pied du mur, pourrait bien être le moteur d’une intégration renforcée de l’Union européenne. Cette nouvelle avancée du fédéralisme, toutefois, ne reposerait pas sur un consen-sus général, la prise de conscience d’une identité commune : l’intégration à laquelle nous allons peut-être assister est une intégration par l’euro, et à marche forcée.

De quoi agacer ceux à qui on ne demande pas leur avis et qui devront appliquer des mesures d’austérité draconiennes pendant des années, voire des décennies. De quoi révolter les peuples qui ne sont consultés que lors des élections générales et ont le sentiment de n’avoir aucun rôle dans le dénoue-ment de la crise. De quoi effrayer les pays de «seconde zone», qui, pour n’avoir pas adopté l’euro, se voient de plus en plus exclus des centres européens de décision. Avec au premier chef le Royaume-Uni, tiraillé entre deux objectifs contraires : d’une part, la relance de la zone euro, qui absorbe près de la moitié de ses exportations, et d’autre part, la réduction du rôle de l’Union.

Certains redoutent même que l’Allemagne ne fasse «séces-sion» et crée sous son égide une zone de l’«Euromark» re-groupant l’Autriche, le Bénélux, le Danemark, voire la Fin-lande : les pays du Sud, menés par la France, formeraient quant à eux une «Eurozone du Sud» avec un euro dévalué. D’autres, à l’instar de Jean-Pierre Chevènement, prônent le retour à un panier de monnaies nationales pour les échanges intra-zone et le maintien de l’euro pour les échanges avec l’extérieur. Certains vont jusqu’à défendre la dissolution de la zone euro, affirmant que les industries nationales profi-teraient d’un retour à des monnaies nationales plus souples. Bien que ces hypothèses ne soient pas totalement exclues, les dirigeants européens semblent s’engager dans une tout autre voie. Celle d’une Europe qui, pour éviter de sombrer dans la crise, ne se contenterait plus d’une simple «harmonie» ou «concorde» européenne, mais ferait sienne la devise de son voisin d’outre-Atlantique : E pluribus unum.

Il n’est pas dit que les pays européens resteront unis bien longtemps. Il n’est pas dit qu’ils échapperont à la faillite. Il n’est pas dit que l’Europe saura trouver des solutions adé-quates au problème structurel de la zone euro. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui elle n’a plus le choix.

Benoît Carval

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Entretien avec M. Izraelewicz, direc-teur du quotidien «Le Monde»

M. Izraelewicz, vous êtes journaliste spécialiste de l’économie. Vous avez pour-suivi vos études à HEC et ensuite au CFJ (Centre de formation des journalistes) avant de participer à la création du quotidien La Tribune de l’Economie. Vous avez également travaillé pendant 14 ans pour Le Monde dans le service économie, pour ensuite devenir le rédacteur en chef du journal. Après avoir successivement tra-vaillé pour Les Echos en tant que rédacteur en chef et éditorialiste et pour La Tri-bune, vous avez finalement été nommé directeur du Monde en janvier 2011. Vous avez par ailleurs publié de nombreux livres, notamment «Quand la Chine change le monde», paru chez Grasset en 2005 et «L’arrogance chinoise» paru en 2011.

M. Izraelewicz, nous allons parler, comme vous pouvez vous en douter, de la crise qui traverse la zone euro. Jacques Attali a affirmé que «l’euro ne passera pas l’hiver», qu’il faudra une purge budgétaire considérable pour sauver l’euro et qu’un ac-cord politique européen est absolument nécessaire pour résor-ber les déficits. Mais quelles sont les causes de cette crise, et quelles solutions adopter pour éviter une catastrophe? M. Izraelewicz : Tout d’abord, il semble évident que cette crise est due à une mauvaise interprétation du Traité de Maastricht par les Etats Membres de la zone euro. Pour ne pas revivre une telle crise, il semble que les pays concernés vont devoir pleinement accepter les critères de convergence de Maastricht et respecter la limite de 3% de déficit public instaurée en 1992. En effet, même les grands pays comme la France ou l’Alle-magne avaient largement dépassé les seuils fixés, sans pour autant être sanctionnés par l’Union Européenne. En ce qui concerne les solutions immédiates à la crise, les opi-nions divergent largement. L’Allemagne préfère la voie d’un fédéralisme plus poussé, alors que la France plaide pour une monétisation de la dette. De la même manière, le rôle que doit jouer la BCE dans cette crise est interprété différemment dans chaque pays. Ainsi, le débat actuel dévoile de nombreuses di-vergences en matière de politique économique.

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«Il faut supprimer le gras tout en musclant le corps, c’est-à-dire réduire les dépenses inutiles tout en dévelop-pant les secteurs qui ont de l’avenir.»

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Benoît Carval- Le mécanisme du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière), bientôt MES (Mécanisme Européen de Stabilité), vous semble-t-il une solution efficace à la crise ou ne constitue-t-il qu’une simple mesure d’appoint ? « Rache-ter de la dette par de la dette », est-ce une erreur stratégique ? Erik Izraelewicz- Oui, le FESF est un mécanisme provisoire dans une période de crise économique mais aussi de crise politique. Les dirigeants européens cherchent avant tout la confiance des citoyens et des marchés ainsi que la mise en place d’une gouvernance appropriée au niveau européen. Il est encore trop tôt pour savoir si ces mesures auront du suc-cès. Je ne peux pas prédire ce qui va arriver, mais ce qui est sûr, c’est qu’avec le FESF, on essaie de financer la dette par de nouveaux emprunts, méthode controversée mais qui peut fonctionner à court-terme. Néanmoins, j’aimerais remettre en perspective cette crise, car on a tendance à oublier les pa-ramètres qui relativisent la situation. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont bien plus endettés que l’Europe. Ce sont moins les chiffres que la manière dont on gère la dette et la manière avec laquelle on génère de la confiance qui sont les facteurs importants dans une crise. Ainsi, je pense que le FESF est loin d’être une erreur stratégique; je pense plutôt que c’est une solution temporaire à la crise, en attendant de trouver d’autres dipositifs pour gérer la dette et redonner confiance aux marchés. B. C.- Une dégradation de la note des pays de la zone euro par les agences de notation, y compris celle de l’Allemagne, conduirait-elle Berlin à revoir sa position sur l’intervention de la BCE? E.I.- Les Allemands recherchent le compromis, chose tout à fait louable, mais qui soulève de nombreuses difficultés. En effet, si cette crise sévit en Europe, c’est bien parce que le compromis sur l’Union économique et monétaire (UEM) n’est pas assez solide. Les différences entre les structures administratives et les politiques économiques des Etats Membres sont telles qu’il est bien difficile de trouver une solution qui satisfasse tout le monde. L’Allemagne a fait un pas important avec l’abandon du Mark, la devise la plus stable en Europe. Mais aujourd’hui, bien qu’une monétisation de la dette par une intervention mas-sive de la BCE semble être une solution qui permettrait une «guérison» rapide de la zone euro, les traumatismes du passé - notamment la crise inflationniste de 1923 - rendent l’Alle-magne extrêmement réticente. Une dégradation de la note des pays de la zone euro pourrait toutefois remettre en ques-tion l’intransigeance allemande en matière de monétisation de la dette.Finalement, il y a une évolution très positive dans les rap-ports de force et dans les dispositions des gouvernements pour plus de discipline et de solidarité. La BCE acceptera de faire un effort pour assurer la transition et sortir de cette pé-riode. En effet, M. Draghi, le nouveau directeur de la BCE, n’a pas le même discours que M.Trichet ni la même méthode. Par ailleurs, il a bien compris que des mesures ponctuelles ne

serviront à rien pour sauver les pays de la crise actuelle. Ainsi, je suis confiant dans le fait que les dirigeants réussiront à se mettre d’accord sur les dispositions à adopter, et j’espère que M. Draghi, qui est très compétent en la matière, prendra les bonnes décisions. B.C.- Les agences de notation ne font-elles que constater des réalités économiques ou poursuivent-elles des objectifs poli-tiques? Que pensez-vous de leur influence sur les dirigeants de la zone euro et sur la définition des orientations écono-miques des pays européens? E.I.- Ces agences ont un pouvoir de plus en plus considé-rable sur l’économie mondiale. Les pays européens doivent s’adapter à ces nouveaux paramètres. Ces agences ont bien entendu un rôle positif, celui d’avertir les marchés des réalités économiques: on ne peut pas blâmer l’infirmière de montrer au patient son thermomètre! Néanmoins, je pense que leur influence est trop conséquente et que leurs décisions ont des répercussions parfois excessives pour les économies euro-péennes. B. C.- Nous paraissons aujourd’hui tiraillés entre, d’une part, la nécessité de maîtriser nos comptes publics et, d’autre part, celle de relancer la croissance. Si des plans successifs d’aus-térité semblent inévitables, quelles seraient selon vous les mesures à prendre pour concilier ces deux nécessités appa-remment contradictoires? E.I.- Il faudrait tout d’abord réussir à s’entendre sur une coopération plus étroite en terme de politique budgétaire européenne. Ensuite, l’austérité est une nécessité en temps de crise. Il n’y a pas de miracle, l’économie ira mieux quand les pays respecteront les critères de Maastricht et accepteront un contrôle supranational afin d’éviter que les déficits budgé-taires explosent sans mécanisme de contrôle, comme cela a été le cas en Grèce. Bien que les chiffres du déficit budgétaire de la Grèce aient été largement faussés par l’administration nationale, c’est aussi à cause d’un manque de sanction au niveau européen qu’on en est arrivé là. Ainsi, il faudrait à la fois mettre en place des plans de rigu-eur, contrôler les déficits publics et relancer la croissance. Les gouvernements vont devoir combiner ces objectifs, ce qui ne se fera pas sans difficultés. C’est bien pour cela que cette crise défie les gouvernements qui doivent trouver une solution. Comme certains économistes aiment à le répéter, il faut «supprimer le gras tout en musclant le corps», c’est-à-dire réduire les dépenses publiques inutiles, excessives et difficilement supportables, et en même temps développer les secteurs économiques qui ont de l’avenir, investir dans la recherche et les nouvelles technologies. B. C.- Nous n’avons jamais respecté les critères de Maastricht : les réformes proposées, notamment l’institution d’un «com-missaire à l’austérité» suffiraient-elles selon vous à garantir l’équilibre des comptes publics européens?

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E.I.- Tout d’abord, tous les pays sont d’accord pour dire qu’il faut mettre en place un mécanisme de solidarité financière commune. Les difficultés apparaissent dès lors qu’on se perd dans les détails. L’idée d’un commissaire à l’austérité a été abandonnée il me semble, et en échange, la France a dû faire des concessions sur l’automaticité des sanctions. Elle aura pourtant du mal à accepter un contrôle des budgets par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Nous nous trou-vons dans une situation de compromis en ce moment, qui est, à mon avis, assez boîteux. B. C.- Nous sommes aujourd’hui au pied du mur, incapables de rembourser nos emprunts ou de financer nos déficits fu-turs. La seule solution n’est-elle pas de repayer la dette par l’inflation, grâce à une intervention massive de la BCE? E. I.- Oui, pour l’instant c’est une des solutions envisagées. Il y a aussi la solution proposée par des économistes alle-mands, le «Conseil des Sages»: la création d’une «bad bank» qui séparerait la dette des comptes publics et permettrait une convalescence rapide des pays. C’est très osé de sortir 20% du PIB des comptes publics, mais cela permettrait de traiter la dette à part. Nous verrons quelle solution sera adoptée. B.C.- Pensez-vous que la France devrait essayer de redéfinir son modèle de croissance par une diminution de la consom-mation intérieure (hause de la TVA, etc. ) et une hausse des exportations comme l’Allemagne l’a fait il y a quelques an-nées? E.I.- C’est une question à laquelle je ne peux répondre que très vaguement. Il est bien difficile de prédire les consé-quences d’un changement de modèle de croissance en France.Ce que je sais, c’est que la crise que nous traversons oblige

les pays à remettre en question leurs modèles de croissance et leurs modèles sociaux. Elle démontre que l’économie mon-diale se transforme. Aux Etats-Unis, en Europe, les modèles sociaux devront s’adapter à la nouvelle ère économique qui s’annonce. Par exemple, l’allongement de la durée de vie pose des problèmes pour les retraites, qui est un élément principal dans le fonctionnement de nos sociétés. La crise ne fait qu’accélérer ces changements, et il faudra s’y adapter le plus vite possible. Aussi, une plus grande mobilité physique, professionnelle et géographique des sociétés est maintenant possible. Et les pays émergents profitent de cette crise. En somme, nous devons nous adapter à la mondialisation en-core plus rapidement qu’avant. B. C.- La BCE devrait-elle «laisser filer» l’euro, au risque de s’engager dans une «guerre des devises» avec les autres grandes puissances? E.I.- Mon souci principal est la désolidarisation des pays de la zone euro. L’Italie et l’Epagne par exemple sont dans une situation très délicate. Il faut tout d’abord débloquer cette situation et ensuite relancer l’économie par un fédéralisme renforcé. Ce n’est qu’après que peut se poser la question des répercussions de la politique de la BCE sur les relations éco-nomiques avec les autres grandes puissances, mais je pense que pour l’instant, il faut se concentrer sur l’Europe et adop-ter les mesures nécessaires à la crise.D’un point de vue historique, il semble qu’il y ait toujours eu deux solutions à une crise économique : l’inflation ou la guerre. Je pense que le vrai risque réside ainsi en la désolida-risation des peuples et l’accroissement des tensions entre les pays. Nous avons pu observer des polémiques très malsaines ces derniers mois, particulièrement en Grèce par exemple, mais aussi en France ou en Grande-Bretagne contre une «su-

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prématie» économique allemande. Ce populisme m’inquiète. On ne se rend pas souvent à l’évidence que la zone euro serait bien mal en point sans l’Allemagne. J’espère ainsi voir un revirement vers une solidarité renforcée et plus de coopé-ration plutôt qu’une confrontation qui ne mène à rien. Sophie Pornschlegel- Ce qui m’amène à vous demander ce que vous pensez du référendum grec. E. I.- Le référendum de M. Papandréou est compréhen-sible, mais pas nécessairement positif en temps de crise. D’un point de vue démocratique, ce référendum est légitime, mais vu les circonstances, je ne pense pas que cela était le chemin à suivre. En effet, la démocratie directe peut avoir des avantages, mais elle comporte aussi des risques majeurs. Une des plus grandes difficultés auxquelles est confrontée l’Union Européenne est bien ce jeu d’aller-retours constants qui s’impose aux décideurs nationaux. En effet, tous les hommes politiques doivent défendre leurs intérêts nationaux mais ne sont pas libres de décider seuls de l’avenir de leur pays, ils doivent se concerter entre eux. Ainsi, il est très dif-ficile de trouver un accord alors que les politiques nationales divergent autant sur certains points, comme par exemple les politiques budgétaires. Je suis heureux que le référendum n’ait pas eu lieu, il aurait pu avoir des conséquences très né-fastes pour l’Union Européenne. S. P.- Que pensez-vous de l’élection ou de la nomination de «technocrates» en Italie et en Grèce afin de résoudre rapide-ment la crise? E. I.- La désignation de ces décideurs s’est faite pour une raison très simple : ils sont les plus capables pour résoudre cette crise. Je pense que cette mesure temporaire était la seule solution à adopter, basée sur le constat que les hommes po-litiques «traditionnels» n’ont pas été capables d’éviter cette crise, soucieux qu’ils étaient d’adopter des politiques à court-terme favorables à leur réélection.On pourra ainsi dire que ce remplacement est bien la consé-quence d’une faille, qui montre que les dirigeants démocra-tiquement élus ont été trop faibles pour prendre les bonnes décisions au bon moment. S. P.- Et pour finir, en tant que rédacteur en chef d’un quoti-dien influent, quelle analyse faites-vous des réactions média-tiques à la crise? (germanophobie, nationalisme...) E. I.- Il est non seulement triste mais aussi dangereux de voir les quotidiens européens s’offusquer de la politique écono-mique de l’Allemagne et de les voir critiquer si durement nos voisins. L’impuissance politique dans tous les pays favorise la nationalisation des discours. J’espère, en tant que directeur du «Monde», lutter contre cette forme d’extrémisme édito-rial qui mine les relations politiques et répand un climat de méfiance en Europe.

M. Izraelewicz, merci de nous avoir accordé cet interview lors de la «Journée du Livre d’Economie» qui s’est tenue au Ministère de l’Éco-nomie en décembre dernier.

Benoît Carval et Sophie Pornschlegel

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La culture et la crise

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Un peuple de culture ne connaît pas la crise. Appuyons cette hypothèse sur les multiples

exemples des siècles florissants de l’humanité. A leur apogée, Grecs et Ro-mains, Egyptiens et Mayas, ou Italiens de la Renaissance ont connu quelques secousses, mais jamais de remise en cause systémique. Comme si un peuple cultivé était un peuple heureux.Le raisonnement est simpliste. Pour-tant, si l’on s’arrête un instant sur les crises profondes que connaissent et ont connu les XXème et XXIème siècles, un syllogisme s’impose : la récurrence des crises dans une société ne serait-elle pas le symptôme d’un manque de culture ?

C’est dès lors la notion de crise qu’il convient d’interroger. On la définit généralement comme une situation de trouble intense dans laquelle se trouve la société et qui laisse craindre ou espé-rer un changement profond. Mais déjà, l’art nous aide à élargir le propos : au théâtre, la crise est cet instant, nœud de l’action dramatique, où le conflit intense entre les passions doit conduire au dénouement. La crise préfigure donc un changement décisif, qu’il soit bon ou mauvais. De la crise, en somme, naît de facto une solution.

Pour en venir à la zone géographique retenue, on notera que l’Union Euro-péenne est avant tout une union écono-mique. Fondée sur un marché commun, il lui a toujours été difficile de dégager une alliance culturelle et des politiques de grande ampleur en la matière. Notre propos sera donc ici de savoir si faire d’une politique culturelle euro-péenne commune un chantier central peut être un moyen de s’extirper d’un climat de crise qui dure depuis trop longtemps déjà.

Culture de criseIl y a dans les crises économiques qui frappent l’Europe une réminiscence cyclique. Depuis le début du XXème siècle, le Vieux Continent a connu le krach de 1929, la crise américaine du crédit de 1966, le krach d’octobre 1987, la crise du Système Monétaire Euro-péen en 1992. Et, depuis 2007, une crise financière touche le monde entier.

Si la majorité de ces crises ne sont pas d’origine européenne, il n’empêche que leurs répercussions ont directe-ment touché l’Europe. En cela, on peut considérer que le monde occidental a développé, depuis le début des années 1930, une véritable culture de crise. L’appliquer seulement à l’Europe serait réducteur, mais n’est pas contraire à la réalité.De surcroît, ces crises économiques ont très souvent été accompagnées de remises en cause sociales. Celles-ci ont été plus fortes en Europe qu’ailleurs. Ces multiples crises sociopolitiques ont finalement débouché sur une crise de confiance que la récente montée des nationalismes semble illustrer.

Crise de la culturePour rebondir sur le caractère cyclique de ces crises socioéconomiques, il y a dans la vision de l’Histoire chez Oswald Spengler une vraie corrélation entre l’état de crise et le déclin culturel – d’où le titre de son ouvrage référence «Le Déclin de l’Occident», paru en 1918. Pour ce philosophe allemand du pre-mier XXème siècle, les grandes cultures historiques sont semblables à des êtres biologiques : elles naissent, croissent, déclinent et meurent. Si la théorie de Spengler semble démesurée, il n’em-pêche que depuis la publication de son ouvrage, le monde occidental est allé de crise en crise.

On peut par conséquent avancer que ce n’est pas seulement à une crise socioé-conomique que l’Europe est confron-tée, mais aussi à une crise culturelle. Les crises socioéconomiques ne seraient en réalité que la partie visible d’un iceberg : celui de l’émiettement et de l’obsoles-cence des modèles et des valeurs qui fondent notre culture occidentale.

Outre cet aspect théorique de l’hypo-thèse d’une crise de la culture euro-péenne, il est possible de s’appuyer sur des informations plus comptables, celles des pratiques culturelles des euro-péens. L’emploi culturel, par exemple, représente 2,4% de l’ensemble des em-plois de l’Union Européenne. En 1999, les ménages de l’Europe des 15 ont dé-pensé en moyenne 4,5% de leur budget en dépenses culturelles. En 2007, dans

les 27 pays de l’UE, 49% des citoyens de plus de quinze ans n’étaient pas allé au cinéma au cours des douze derniers mois. 59% n’étaient pas allé au musée, 63% n’avaient assisté à aucun concert, 65% n’étaient pas entré dans une bi-bliothèque, et 68% ne s’étaient pas ren-dus au théâtre . Ces quelques exemples parlants illustrent bien la place secon-daire accordée à la culture en Europe par les ménages, comme par les déci-deurs politiques.

Enfin, la notion de crise quand elle se rapporte à la culture peut aussi avoir un sens positif. C’est ce qui faisait dire à Jean Vilar, fondateur du Théâtre Natio-nal Populaire, que : «tant que le théâtre est en crise, il se porte bien».

La culture face à la criseDe fait, une culture a besoin d’être ana-lysée, déconstruite et bousculée pour évoluer. C’est là le rôle des intellectuels et des artistes. Face à la crise, la culture – à la fois comme acte innovant de création et comme mise en perspective par le savoir – permet d’instaurer une distance au réel. Partout en Europe – mais aussi dans l’ensemble du monde occidental –, ont fleuri les œuvres et réflexions s’efforçant de montrer, inter-roger, critiquer, et/ou caricaturer leur propre culture occidentale. En prenant du recul, en offrant un regard décentré, les œuvres de l’esprit, mais aussi l’édu-cation et l’acquisition de connaissances permettent d’habiter le monde en cri-tique. Et donc de se remettre en ques-tion et d’avancer : en somme, de sortir de l’écueil. La culture est à la fois un moyen de s’opposer et de prendre de la hauteur. Dans le cadre de l’ancrage de la notion de crise en Europe, la culture est l’opportunité d’une catharsis, l’appel à imaginer et donc à innover, et enfin l’éventualité de trouver des solutions.

La culture, remède à la crise ?La culture peut-elle être pour autant envisagée comme un moyen crédible de sortie de crise ? Répondre par la posi-tive est subjectif et ne peut s’appuyer sur des données tangibles. Pourtant, plusieurs arguments peuvent laisser croire à la réussite d’un tel pari. Nous en retiendrons ici trois principaux.Tout d’abord, la culture et sa transmis-

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sion sont créatrices de richesse. Si les pratiques culturelles sont sources de re-venus ainsi que la vente d’œuvres d’art, c’est plutôt à la richesse intellectuelle à long terme que nous pensons. Trans-mettre et donner accès à la culture, c’est permettre de comprendre le monde, c’est fertiliser les capacités d’innovation d’un être, et c’est donc investir pour s’assurer une création de richesse fu-ture, à la fois intellectuelle et pécuniaire. En cela, la culture peut être vue comme le meilleur outil pour habiliter un être à faire bouger le monde qui l’entoure. L’innovation, qu’elle soit économique, sociale, artistique ou politique, passe indéniablement par la pratique et l’ac-quisition culturelles.

C’est alors vers la conception de l’artiste comme modèle pour le capitalisme que l’on peut se tourner. Dans son ouvrage «Portrait de l’artiste en travailleur» paru en 2002, le sociologue Pierre-Henri Menger développe l’idée selon laquelle l’artiste correspond à l’idéal du travail-leur de demain : hyper-individualisme, créativité, mobilité, flexibilité, goût du risque et de la nouveauté, et acceptation des inégalités les plus criantes. On peut alors envisager qu’il y a dans l’art, sous-ensemble de la culture, certaines clefs du futur. Que ce futur soit plus capita-liste ou le soit moins n’enlève d’ailleurs rien à la pertinence de l’art, et plus lar-gement de la culture, comme vecteur des modèles à venir.

Cela nous amène à considérer, en der-nier lieu, l’importance non négligeable de l’éducation culturelle. Le propos développé jusqu’alors conduit finale-ment à une conception de la culture comme un objet de création, mais sur-tout de transmission, indispensable à la construction socioéconomique de toute société. Dès lors, la mise en place d’une politique culturelle commune de grande ampleur ne peut être qu’une bonne chose. Si les résultats risquent de ne se faire sentir qu’à long terme, faire de la culture l’un des vrais piliers des politiques européennes est l’assurance d’un avenir renouvelé et donc plus juste et plus sensé.

Il n’y a pas de réponse tranchée à notre question de départ. La mise en place

d’une politique culturelle sans précé-dent ne peut être considérée comme un remède immédiat à la crise. Pour-tant, en se donnant les moyens d’en finir avec la crise de sa culture, l’Europe trouverait sans doute le traitement à sa culture de la crise.

Marin Schaffner

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Le couple franco-allemand, tandem intemporel?

Pour nos fidèles lecteurs, la Revue Affaires Publiques et Européennes propose de retra-cer l’histoire du couple qui a fêté il y a peu ses noces de diamant... Un couple suivi par des yeux tant admiratifs que jaloux. Appelez comme il vous plaît ces «tourtereaux», ce «couple people», ce «binôme passionnel», ce «tandem intemporel»... Nous parlons bien de l’attelage sans nul doute le plus fusionnel et le plus riche en cancans. LE couple fran-co-allemand. Le couple avec un grand «LE» ! Imaginez un couple qui ne représente que 2% de la population mondiale concentrer sur lui les flashs des journalistes du continent européen. Et l’histoire du couple franco-allemand, c’est l’histoire de petits couples, fon-dés sur le Leitmotiv du «oui/non», du «je t’aime, moi non plus».

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Les premières années : «je t’aime moi non plus» (1948- 1953)

La France et l’Allemagne font partie de ces couples qui portent le poids de l’his-toire sur leurs épaules. Union impossible à la Roméo et Juliette? Pas si sûr. L’évi-dence d’un nécessaire rapprochement a vite sauté aux yeux de Robert Schuman et Konrad Adenauer, qui analysent la situa-tion dans l’immédiat de l’après-guerre. Les deux hommes, fondateurs du Mouve-ment Européen au Congrès de la Haye en 1948, jouent les entremetteurs en faisant primer les intérêts des deux pays avant la défiance réciproque que les opinions na-tionales ressentent l’une pour l’autre. Le tandem formé par le chancelier allemand et le Ministre français des Affaires Etran-gères conçoit le rapprochement franco-al-lemand comme une priorité afin d’éviter tout nouveau conflit européen. Mais Schu-man et Adenauer demeurent récalcitrants à accepter ne serait-ce qu’un rencard. L’ar-mistice est trop proche. Le nazisme a laissé une empreinte indélébile en France tandis qu’en Allemagne de l’Ouest, l’occupation française de la Sarre est vécue comme une humiliation. Par ailleurs, Schuman et Adenauer ont certainement des atomes crochus mais continuent de s’opposer sur la question du réarmement allemand que Paris refuse en bloc. Soit, mais tous deux partagent une vision commune de l’Eu-rope fondée sur la solidité de leur couple.

Les deux partenaires mettent au point un stratagème simple afin de pêcher l’autre dans son filet. Les deux partenaires réti-cents s’amadouent et se rapprochent fina-lement en 1950. Tout d’abord, qui parle d’une union exclusive? D’autres invités seront présents: la Belgique, le Luxem-bourg, Italie, Pays-Bas. Le Traité de Paris qui institue en 1951 la Communauté Euro-péenne du Charbon et de l’Acier (CECA) annonce le caractère économique de la construction européenne. Impossible de parler de couple ou d’union pour l’ins-tant, tout au plus d’une coopération dans un secteur stratégique. Les entremetteurs sont aux anges et le chancelier démocrate chrétien quelques temps avant la signature du Traité de Paris de déclarer «une union entre la France et l’Allemagne donnerait une vie nouvelle à l’Europe qui est gra-vement malade». Il voit aussi dans cette première communauté européenne un moyen d’exister sur le théâtre internatio-nal et d’ancrer la RFA à l’Ouest. En effet, l’URSS, le «bad boy» prédateur continue à faire des avances à la RFA (République Fé-dérale d’Allemagne) pour une unification Allemande sous son égide.

Néanmoins, des tensions subsistent des deux côtés du Rhin et la CECA ne gomme pas les divergences. D’autant plus que Schuman est écarté du gouvernement français en 1953. Le rejet de la Commu-nauté Européenne de Défense (CED) par la France mécontente fortement l’Alle-magne, la première refusant catégori-quement toute possibilité de renaissance d’une armée outre-Rhin. L’Allemagne se vexe et naît la crainte que ce rapproche-ment n’aille jamais plus loin que cette première entrevue. Ce désaccord est en partie dépassé par l’entrée de la RFA dans l’OTAN en 1955. La Communauté Eco-nomique Européenne et l’Euratom sont là encore aussi le fruit d’âpres négociations entre les deux partenaires, encore marqués par la quasi rupture induite par le projet de CED. En effet, quel modèle adopter dans cette communauté économique (CEE)? Faut-il se tourner vers le modèle libéral allemand fondé sur la concurrence ou vers celui des Français, accordant une large part au dirigisme de l’Etat? L’introduction de l’agriculture dans la CEE permet à la France d’accepter la concurrence indus-trielle allemande. Là encore, Schuman et Adenauer dépassent leurs divergences et leur relation semble pouvoir commencer à aller plus loin...

Konrad Adenauer et Charles de Gaulle: l’ivresse des débuts (1958-1969)

L’arrivée de de Gaulle au pouvoir en 1958 fait craindre le pire à Adenauer. Schuman, incarnant la figure du père de famille rai-sonnable, cède la place à une mère impré-visible et jalouse de l’indépendance de sa fille. Comment faire confiance à celui qui avait participé au plan de démantèlement de l’Allemagne et chef de file de l’oppo-sition à la CED ? De Gaulle, souverai-niste et partisan d’une Europe des États, permettra à sa manière la bonne entente du couple franco-allemand. Le général et Adenauer sont les derniers dirigeants, avant Kohl et Mitterrand, à l’incarner de façon aussi forte. La rencontre à la Boisse-rie, propriété de de Gaulle, en septembre 1958, à laquelle Adenauer se rend à recu-lons, est décisive. Un rendez-vous intime au cours duquel les deux hommes se dé-couvrent les mêmes valeurs, des qualités de chef d’Etat et un même passé de com-bat contre le nazisme. Bref, on se drague et la mèche prend. De Gaulle rassure le vieux chancelier en lui affirmant qu’il n’est pas question de revenir sur les avan-cées européennes et l’assure de son désir de voir l’union des nations être le moteur du projet européen. Entre de Gaulle et Adenauer, une relation respectueuse et

réfléchie les poussent à avouer qu’ils ont le béguin l’un pour l’autre. En 1961, quand le Kremlin entend renégocier les accords tri-partites sur Berlin, de Gaulle soutient Ade-nauer dans le refus catégorique de toute renégociation alors que les Américains se montrent favorables à l’engagement d’une discussion avec les Russes... La France joue donc les gros bras pour défendre sa dulcinée et éviter qu’elle ne tombe dans les bras d’un autre.

Pourtant c’est l’amitié transatlantique qui est la véritable cause des nombreux orages entre Bonn et Paris. Cet amant sur qui la RFA a des vues met de l’eau dans le gaz et refroidit de Gaulle, peu américanophile. En effet, le chancelier désire continuer à bénéficier des bonnes grâces des Amé-ricains qui sont les garants de la sécurité Ouest Allemande. Ce désaccord est la raison de l’échec du plan Fouchet, projet d’union politique européenne. De Gaulle refuse ainsi toute mention à l’OTAN ou au Royaume-Uni dans le traité, ce qui aboutit à l’enterrement de ce projet en 1961. Pourtant, de Gaulle refuse de perdre l’Allemagne. Loin de compromettre le rapprochement des deux rives du Rhin, cet échec va pousser de Gaulle à proposer une union franco-allemande organisée par un traité. Liens du mariage pour s’assurer mutuelle fidélité ? En tout cas, la signature du Traité de l’Elysée le 22 janvier 1963 officialise l’union des deux partenaires. Ce traité fixe des rencontres biannuelles entre les chefs d’Etat et de gouvernement et prévoit des sommets réguliers entre les ministres en charge des affaires étrangères, de l’éducation, de défense.

Pour autant, de Gaulle et Adenauer ne tombent pas dans les bras l’un de l’autre. Pour l’Allemagne il s’agit de se rappro-cher des États-Unis dont les relations avec la France ne sont finalement pas si mauvaises, tandis que de Gaulle entend au contraire éloigner Bonn des faveurs anglo-saxonnes et asseoir la domination fran-çaise en Europe de l’Ouest. Mais de l’autre côté du Rhin, on exige un solide contrat de mariage : hors de question de se retrouver pris au piège d’une relation exclusive avec la France. Les députés allemands exigent que cette coopération renforcée ne re-mette pas en cause les liens qui unissent la RFA aux États Unis et au Royaume-Uni. Ainsi le préambule rajouté a posteriori par le Parlement allemand vide-t-il le traité d’une partie de sa substance, au grand dam du général.

Georges Pompidou et Willy Brandt : l’approfondissement d’un amour sans passion (1969-1974)

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Pompidou et Brandt sont le parfait exemple d’un amour anodin, inscrit dans la routine. Sans passion, les relations franco-alle-mandes entrent dans une phase de norma-lisation. Non sans désaccords sur les ques-tions monétaires mais avec des avancées ailleurs (relations étrangères, éducation...) tout en faisant du couple le moteur de la CEE.

Il est certain que Georges Pompidou et le chancelier socialdémocrate n’ont pas vrai-ment d’affinités et leurs échanges sont loin d’être nourris. Un traducteur s’est ainsi plaint une fois de n’avoir jamais eu à inter-préter autant de silences... Couple timide, peu expressif mais qui annonce de pro-fonds changements. En 1969, la France lève son véto à l’entrée du Royaume-Uni à la CEE en échange de l’achèvement du marché commun via un accord financier définitif de la Politique Agricole Commune (PAC). Cet accord, fondé sur des compro-mis importants (mode opératoire désor-mais reconnu des relations franco-alle-mandes) souligne néanmoins que ce couple est en pleine thérapie.

Les problèmes de porte-monnaie, comme dans bien des couples, refroidissent les deux partenaires. Dès 1970, des diver-gences monétaires entre Bonn et Paris voient le jour. Karl Schiller et Valéry Gis-card d’Estaing, ministres des Finances, s’opposent au rapport Werner qui prévoit une union économique et monétaire euro-péenne en plusieurs étapes. Tandis que Giscard entend conserver une politique économique autonome visant la croissance et le plein emploi, la RFA refuse d’adop-ter cette optique, bannissant tout risque d’inflation. Ces conceptions économiques divergentes entre l’exigence française d’une croissance fondée sur le plein emploi (et donc l’inflation) et l’exigence allemande d’une économie libérale et concurrentielle refusant toute instabilité des prix demeure la pierre d’achoppement entre les deux par-tenaires. L’épouse dépensière faisant face au mari près de ses sous, comment dès lors envisager l’ouverture d’un compte com-mun? Pompidou s’oppose à cette union monétaire par crainte d’une domination allemande en Europe. Par ailleurs, la mise en place du serpent monétaire européen, sur proposition française et allemande, pour pallier l’instabilité monétaire induite par la fin de Bretton Woods, est un échec. La crise énergétique de 1973, s’ajoutant aux désordres monétaires, est une nouvelle source de désaccord au sein du ménage.

Helmut Schmidt et Valéry Giscard D’Estaing : la maturité amoureuse (1974-1982)

Le socialdémocrate Schmidt et Valéry Gis-card d’Estaing ont accédé pratiquement tous les deux au poste suprême. Cela ne manque pas de créer une certaine com-plicité entre les deux hommes, déjà fami-liers l’un de l’autre du fait de leur ancienne fonction comme Ministres des Finances. En outre, l’élection de VGE est assez bien accueillie en Allemagne qui voit avec sou-lagement se tourner la page du gaullisme. Mais les problèmes financiers demeurent et les crises subsistent entre les amoureux. Avec l’arrivée de la crise économique sui-vant le choc pétrolier de 1973, l’Allemagne se plaint de porter à bout de bras les autres membres de la CEE. Ainsi pour Schmidt, pas de SME sans un retour à l’équilibre des fondamentaux des Etats membres de la CEE. La France se plie alors docilement aux exigences de sa moitié et Raymond Barre, Mi-nistre de l ’ E c o n o -mie, met en place un plan de rigueur qui semble s a t i s f a i r e les Alle-mands. Le P r é s i d e n t français est certes atten-tif aux re-montrances allemandes mais il se refuse pour autant à sacrifier le franc. C’est un amour qui se veut équili-bré. Pourquoi pas l’idée du compte séparé ? Pour lui le SME doit permettre aux mon-naies faibles d’être soutenues par les plus fortes. Schmidt se montre évidement réti-cent mais la dégradation du mark et celle des monnaies des partenaires européens le force à accepter cet accord. La dépendance des économies, contrepartie du succès de la construction européenne, aura eu raison de l’intransigeance allemande. Le SME est désormais la condition d’un retour à l’équi-libre des grands agrégats européens. Ainsi, Schmidt refuse de se plier aux demandes des industriels allemands qui craignent cet accord tandis que la France, avec cette nou-velle intégration monétaire, trouve enfin un moyen de se défaire de sa dépendance au dollar. L’Allemagne doit faire partager à ses partenaires la vitalité de sa monnaie. En amitié, comme en amour, on ne compte pas… enfin pas trop !Mais le couple ne se consacre pas unique-

ment aux problèmes financiers. Ainsi, la méthode franco-allemande fait encore une fois ses preuves en tant que moteur de l’in-tégration européenne, sur le plan politique cette fois-ci. La France accepte l’élection du Parlement européen au suffrage univer-sel en contrepartie de la mise en place du Conseil Européen, qui favorise la souverai-neté des États. Le couple Giscard-Schmidt fera donc une fois de plus une démonstra-tion magistrale de l’importance du compro-mis entre les nations française et allemande afin que la construction européenne puisse aller de l’avant dans l’intégration écono-mique et la démocratisation de ses insti-tutions. Comme le dira Giscard, «l’entente entre les deux pays était la condition néces-saire mais pas suffisante de toute construc-tion européenne».

Helmut Kohl et François Mitterrand: la passion (1982-1988)

Kohl et Mitterrand font renaître un vieil amour passé, et le retour de flammes pas-sionnées est marqué par des moments lyriques. Comme une sorte de deuxième lune de miel. Les divergences de tendances politiques sont bien souvent néfastes dans un couple. La relance menée par le gouver-nement français irrite la rigueur du chan-celier chrétien-démocrate. Cependant, Mit-terrand fait tout pour plaire à son amant, prend le pli et adopte pour de bon une sta-bilité monétaire. Par ailleurs, l’entente sur le plan diplomatique témoigne de ce regain d’amour ; Mitterrand soutient Kohl dans sa volonté d’installer des fusées Pershing en RFA, lui assurant alors sa réélection.

L’anniversaire de mariage, le 20 janvier 1988, est fêté en grande pompe. Pour mar-quer d’un sceau ce jour, les liens sont res-

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serrés par la création des brigades franco-allemandes qui deviendront l’Eurocorps, corps de défense européen. C’est un grand pas quand on considère que la question militaire avait failli ruiner toute perspective d’union. Par ailleurs Kohl partage les vues de Jacques Delors d’une Europe fédérale. Paradoxalement, ce «ménage à trois» ne fait que renforcer la solidité du couple.

La photo glamour, s’il en est, de Kohl et Mitterrand, main dans la main à Verdun en 1984 est le symbole de la réconciliation franco-allemande désormais achevée. Ces effusions soulignent un véritable souhait de bonne entente et un désir de conforter la place du couple franco-alle-mand comme moteur européen. Ainsi, c’est à l’initiative de Kohl et Mitterrand que l’Acte Unique de 1986, véritable relance de l’intégration européenne et le Traité de Maastricht verront le jour. Les deux hommes opposent à Margaret Thatcher une véritable union politique plutôt que l’élargissement d’une simple zone de libre échange. Dynamique européenne encore une fois impulsée par le couple désormais star de l’Europe.

Gerhard Schröder et Jacques Chirac : le couple de la séduction (1998-2005)

C’est bien connu, en amour, le challenge attire. Gerhard Schröder et Jacques Chirac sont l’image même d’un couple qui s’est longtemps cherché. La quarantaine, les che-veux blancs apparaissent, la vieillesse crie, les fleurs du premier amour ont fané au son de cloche des noces d’or…

A première vue, tout les oppose : Jacques Chirac n’a aucunement l’âme forcenée d’un europhile et Schroeder n’est pas un adepte de la francophilie. Cependant, l’Europe a besoin d’être relancée à coups de pragmatisme économique et de sortir de ces vaines lamentations. Mais les ten-sions restent vives, les mesures françaises de 1995-1996 restent encore en travers de la gorge des Allemands. France et Alle-magne s’affrontent directement au Conseil Européen de Berlin en 1999 quant au fi-nancement de l’Union Européenne. Mais les deux hommes d’Etat se tournent une fois de plus autour, et comme nombre de couples, se retrouvent dans un conflit. En effet, tous deux s’opposent à l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis. Schröder avoue même dans ses Mémoires « Cette période avant et après la guerre d’Irak a profondé-ment modifié nos relations personnelles ». Cependant, le chancelier allemand est attiré bien avant ce conflit par le personnage de Chirac. Secrètement il avoue dans ses Mé-

moires «Jacques Chirac est quelqu’un dont on doit d’abord s’approcher, lorsqu’il le permet, pour découvrir qui se cache der-rière les grands gestes de ce Français aux convictions inébranlables».

Mais commençons par le plus croustillant de cette histoire, en 1997. L’année des débuts controversés, de la véritable mésen-tente franco-allemande lors du sommet d’Amsterdam. Les discussions forcenées autour du «pacte de stabilité et de crois-sance» soulèvent des dissensions dans la manière de concevoir la gestion de la zone monétaire. Ce traité renforce certes l’effica-cité de la PESC mais ne peut engager des réformes institutionnelles. Le 11 novembre 1998, Schröder, convié par Chirac, n’appa-raît pas à la commémoration de l’armistice de 1918. Hasard? Sentimentalisme alle-mand de Schröder à l’heure où resurgit le souvenir de la défaite de la Première Guerre Mondiale? Peut-être. Quoi qu’il en soit, quatre mois plus tard, les deux amants n’ont pas réglé leur différend. Lors du Sommet européen à Berlin les 24 et 25 mars 1999, le Chancelier Schröder réclame une dimi-nution de sa contribution au budget com-munautaire dans le cadre de la répartition des charges de l’Agenda 2000. L’Allemagne redoute que les élargissements à tire-larigot de l’Union européenne n’entrainent une forte croissance de sa participation au bud-get communautaire. Est-ce là une perte de confiance en son amour de toujours, et la fin du compte commun ? La France y laisse un bras car les subventions qu’elle touche dans le cadre de la PAC sont rognées. On reporte que cette sombre période est celle de la disparition des petits déjeuners pro-tocolaires… Finies les courbettes, les ten-sions sont à leur paroxysme entre Chirac et Schröder.

La crise de jalousie éclate lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000. Les discussions concernant la réforme de la gouvernance, avec l’élargissement de l’Union Européenne aux PECO et aux Etats du sud de la Méditerranée sont pi-quantes. La France tente de limiter les vel-léités de l’Allemagne qui cherche à s’impo-ser à l’Est. Cependant, Schröder n’évoque qu’une semi-défaite en soulignant que les tensions ont permis au couple de prendre conscience de leur rôle à jouer vis-à-vis des novices européens. « Ce revirement repose en fin de compte sur une prise de conscience : l’Europe ne peut fonction-ner, en tant qu’unité politique, que si elle est portée conjointement par l’Allemagne et par la France». Cependant, cette crise est insuffisante pour faire face aux défis de l’élargissement. France et Allemagne savent

que sans leur entente, le jeu se grippe. Ainsi, l’affaire irakienne tombe à pic, et pour la première fois depuis 1949, Schröder prend ses distances vis-à-vis des Etats-Unis et se range du côté de son amant secret. Comme la lumière au bout du tunnel, l’euro fait son entrée sous sa forme fiduciaire….Sorte de fruit de cette réconciliation, une «chance» selon Chirac, la «clé de l’Europe du XXIème siècle» pour Schröder. C’est un pacte donnant-donnant au niveau éco-nomique. La France gagne au change car enserre l’Allemagne réunifiée dans l’Union Européenne et partage le pouvoir moné-taire de la Bundesbank (le taux de change est défavorable par rapport au mark). L’Al-lemagne ne sort cependant pas mécontente d’avoir pu installer la Banque Centrale eu-ropéenne sur son territoire, et imposer sa propre conception de l’union économique et monétaire européenne.

En janvier 2001, les amoureux établissent le processus de Blaesheim qui les contraint à se rencontrer tous les deux mois au cours de consultations informelles. Telle une relance du Traité de l’Elysée, les époux qui faisaient chambre à part renouent le dialogue et les différends sont surmontés. Ainsi, un énième compromis franco-alle-mand émerge lors des Conseils européens de Bruxelles et de Copenhague en octobre 2002. Un accord sur le dossier empoisonné de la PAC en décembre est alors trouvé. Schröder s’était senti trahi, refusant qu’on prenne l’Allemagne pour la «vache à lait» de l’Europe. Il avait alors flirté alors avec Blair pendant que Chirac recevait Edmund Stoi-ber comme un futur chancelier à la veille des élections allemandes…

Mais cette période est révolue, Chirac en vient même à remplacer Schröder lors d’une prise de parole au cours d’un Conseil Européen en 2003 pour défendre la posi-tion de l’Allemagne. Quelle complicité dans le moteur franco-allemand, qui décidem-ment oublie bien vite les vieilles querelles…

La France et l’Allemagne cherchent à sceller leur complicité retrouvée d’un sceau consti-tutionnel. Cependant, le refus français par referendum du Traité Constitutionnel le 29 mai 2005 fait resurgir les fantômes d’antan. Et comme nous l’annoncions auparavant, les relations du couple franco-allemand sont faites d’ententes et de mésententes, et cette crise fait mourir toute conciliation du couple, tout espoir d’impulsion au sein de l’Union européenne.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy : du divorce au couple de raison (2007- )

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Au premier abord, leurs personnalités ont tout pour les opposer. A l’exception du physique : une petite taille partagée. Nicolas Sarkozy est considéré par son homologue comme «l’agité permanent» alors qu’An-gela est l’expression même de l’orthodoxie financière à l’état pur. L’avocat d’affaires semble très éloigné des priorités de cette di-plômée de physique quantique. C’est sûre-ment pourquoi le président français déclare «elle pense, moi j’agis».

Les médias français, raffolant des conjec-tures sur les rapports de force sous-jacents au couple, aiment affirmer qu’elle porte la culotte. Il est avéré que la première femme à occuper le poste de Chancelier sait faire triompher sa rigueur en se montrant in-flexible. Ainsi, les tensions premières avec Sarkozy font croire que les deux amants sont faits de substances non miscibles. Avouons que les anicroches ont été nom-breuses comme la libération des infirmières bulgares, la valeur de l’euro par rapport au dollar, la volonté de coopération nucléaire de Sarkozy, les ambitions françaises au sein de l’OTAN, ...Mais cette incompatibilité est dynamisée par Angela Merkel qui use avec tact de la diplo-matie du bâton et de la carotte. D’un côté, elle s’accorde en 2006 sur la réforme de la gouvernance du groupe EADS, pomme de discorde franco-allemande. De l’autre, elle s’oppose avec virulence à la France quant au financement et aux procédures du projet français d’Union pour la Méditerranée.

Lorsque des questions d’argent s’immiscent dans un couple, l’union est capitale pour faire face aux banquiers… Ainsi, depuis le début de la crise de la dette souveraine eu-ropéenne, le néologisme Merkozy est sous les feux de la rampe. Pas un jour ne se passe sans que les tourtereaux ne soient exhibés par les médias. Alors le plan de sauvetage de la Grèce, puis de l’Italie, sert de terrain d’entente avec la France. Car l’Allemagne est consciente que le retard pris par ses par-tenaires commerciaux de la zone euro ne peut être que néfaste pour sa propre éco-nomie. Des mésententes se cachent der-rière cette complicité de façade. Le binôme abuse du jeu du «je t’aime, moi non plus». Bien sûr, ils se sont entendus pour la créa-tion du Fond Européen de Stabilisation Fi-nancière (FESF), devenu opérationnel le 4 août 2010. Mais l’Allemagne, ou la France, cela dépend du côté que vous adoptez, se n’accorde pas avec son homologue quant à son financement et à ses conditions d’utili-sation. L’approche différente de la crise de la dette déstabilise la «colonne vertébrale de la zone euro». Alors que la chancelière veut mettre l’Europe à la rigueur budgétaire,

Nicolas Sarkozy veut créer plus de gouver-nance économique. D’où les nombreuses discordes : les euro-bonds et le rôle de la BCE sont des sujets piquants. La France argue que la BCE doit être prise comme prêteur de dernier ressort, dans la conti-nuité de son aide aux pays en difficulté. L’Allemagne plaide pour son indépendance et souhaite qu’elle ne soit pas impliquée dans le FESF.

Le glamour du clin d’œil lors de la Confé-rence de presse à Bruxelles au sujet de Ber-lusconi en octobre 2011 s’inscrit dans une complicité de circonstance. On ne sait si l’on doit croire en l’authenticité de cet amour, qui semble parfois superficiel. Merkel joue la corde de la sensibilité en offrant un ours en peluche à la fille de Sarkozy, pendant que ce dernier lui offre des caisses de vin de Bordeaux. Mais cette complicité instable évolue au rythme des écarts de spread des taux à dix ans. L’abstention de l’Allemagne au conseil de sécurité des Nations-Unies au cours du vote de la résolution 1973 le 17 mars 2011, destinée à protéger les civils libyens contre les exactions du régime Kad-hafi, a profondément affaibli la confiance entre les deux pays. Tout comme le vote du Bundestag d’abandonner le nucléaire d’ici 2022. Alors, Nicolas Sarkozy, en grand prince, décide de reprendre les choses en main et déclare le 27 octobre 2011 «Tout mon travail, c’est de rapprocher la France d’un système qui marche, celui de l’Alle-magne ». Il scande ses discours de la néces-sité de convergence franco-allemande sur le thème de la gouvernance économique de la zone euro. Et Merkel doit maintenant faire des concessions, l’heure est à la carotte…

Quoiqu’il en soit, bien que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel reconnaissent leurs désac-cords, ils ont conscience de l’importance capitale de leur entente (de façade ?) pour rassurer les marchés et résoudre la crise eu-ropéenne des dettes souveraines. Alors, les deux sauront-ils sauver les meubles, décider de cohabiter comme un couple en fin de vie ? Ou alors les deux amants devront-ils débrancher la perfusion en décidant de l’ex-plosion de la zone euro ? On peut supposer que s’ils arrivent à surmonter cette épreuve, le couple franco sortira fortifié de cette crise de la cinquantaine.

Aurélia Rambaud et Sophie Ranger

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Entretien avec Marie-Françoise Bechtel, conseillère d’Etat

Les différences culturelles et la construction euro-péenne

L’objet du dossier de la Revue APE est d’isoler les causes de la crise européenne. Des arguments économiques et politiques, plus ou moins connus, s’imposeront d’eux-mêmes. Mais, plus fondamentalement, il faudra s’interroger sur l’existence ou non d’une prédisposition culturelle à l’intégration européenne. La mesure du facteur culturel est fondamen-tale, car la culture donne du sens et donc un sens à l’action politique.

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Tristan Annoot- L’union Européenne affirme être «Unie dans la diversité». Considérez-vous les différences culturelles en tant qu’obstacle insurmontable ou moteur de la construc-tion européenne?

Marie-Françoise Bechtel- La différence culturelle n’est pas un obstacle insurmontable à une certaine construction euro-péenne. Elle le serait dans une Europe qui irait à marche forcée avec une monnaie unique apposée sur des structures économiques mais aussi sur des cultures, des comporte-ments économiques, budgétaires, fiscaux différents. Je crois que l’erreur de l’Europe telle qu’elle a été construite à la fin du 20e siècle est d’avoir entamé cette marche forcée qui ne tient pas assez compte des différences, alors que cela serait possible et que cela pourrait être très enrichissant. C’est une question historique… T.A.- N’est-ce pas aussi une question sociologique ? Le fac-teur culturel est-il une réalité sociale saisissable ? N’y a-t-il pas une contingence comportementale ? La rationalité des acteurs, me semble-t-il, est partout la même…

M.F.B.- La rationalité des acteurs n’est que l’écume des choses. Il y a aussi tout ce dont ils sont faits, tout leur héri-tage culturel, idéologique. Je prends un exemple. Quand on trouve normal en Grande Bretagne de procéder à la délation de son voisin, en France cela ne passe pas. Regardez l’Alle-magne et sa grande peur historique de la récession. Peur qui explique aujourd’hui sa volonté d’instaurer la stabilité. C’est un comportement culturel profond.

T.A.- Ces comportements culturels ne touchent peut-être pas l’ensemble d’une nation mais un groupe d’acteurs qui ne s’identifie pas à un peuple. La notion de peuple n’est-elle pas fictive ?

M.F.B.- Je ne suis pas en train de vous parler de l’âme alle-mande ou du Volkgeist de Humboldt, je pense en revanche qu’il faut partir de l’histoire. Car les faits sont têtus. Cette histoire est constituée par des peuples européens qui n’ont pas la même notion des choses. Prenons un nouvel exemple. Dans les pays nordiques, les peuples demandent la trans-parence de leur administration. Dans les pays du Sud, ils demandent d’abord à l’administration qu’elle ne soit pas corrompue. Vous me répondrez que ces réactions ne sont pas représentatives d’un peuple, je vous répondrai que vous êtes typiquement dans une perspective fonctionnaliste qui a atteint ses limites, dans le domaine européen, lorsque les peuples ont dit « non » à une certaine Europe. Si le «peuple» n’est pas l’ensemble des citoyens qui votent à un certain mo-ment sur la base de certaines intuitions fortes qui sont les leurs, je ne sais plus ce qu’il faut entendre par cette notion. J’ai commencé ma carrière dans la philosophie et la sociolo-gie, j’ai travaillé sur la spécificité des civilisations. J’ai vu venir la sociologie fonctionnaliste que j’ai écartée, la jugeant non pertinente. Elle nous a menés à un pseudo-universalisme qui nous a conduits à la théorie de la fin de l’histoire. Or l’his-toire s’est justement réveillée à la fin du 20e siècle.

T.A.- Pourtant, je crois que personne n’a encore découvert l’outil méthodologique pour sonder la culture…

M.F.B.- Au contraire. Certains se sont penchés sur la ques-tion. Je pense à Freud, dans «Le malaise de la culture». Je pense à un grand philosophe que l’on a un peu oublié, Lucien Goldmann, qui a travaillé sur les traits culturels. Je pense à Gramsci. Il y a ici une investigation, une herméneutique de la conscience des agents qui n’est pas une science. La sociolo-gie n’est pas une science. C’est une science humaine qui doit toujours prouver sa propre méthodologie. Durkheim a laissé une grande leçon à cet égard. Dans l’analyse de Durkheim sur le suicide vous trouvez des différences culturelles qui sont prouvées. Pourquoi se suicide-t-on différemment quan-titativement et qualitativement dans les pays du Sud et les pays du Nord, en temps de guerre ou en temps de paix ? Pourquoi, si ce n’est pour des raisons culturelles profondes.

T.A.- Comment expliquez-vous que l’histoire touche des individus qui ne la connaissent pas ?

M.F.B.- Quand vous voyez des individus groupés dans un stade de football qui chantent La Marseillaise, qu’est-ce que cela veut dire vraiment ? Ils ne savent pas qu’il s’agit du champ de l’armée du Rhin, mais ils ont une vague notion que c’est lié à la Révolution française et que la Révolution est liée à l’identité de la France. Ce qui se discute d’ailleurs. Je crois que par capillarité il y a une transmission inconsciente des valeurs, qui passe aussi par l’école. Dans un pays comme le nôtre, les individus ayant été éduqués, ils ont acquis quelques notions historiques basiques touchant à l’identité nationale. Mais votre question a une portée plus large qui touche la méconnaissance des valeurs elles-mêmes.L’évacuation de l’histoire a fait beaucoup de mal depuis trente ans dans notre pays. Il faut rappeler sans cesse que les choses sont en évolution. Le structuralisme plaqué sur la sociologie fonctionnaliste a détruit dans les jeunes esprits la conscience de l’histoire. Le système de la parenté de Claude Lévi-Strauss est remarquable. Mais où se place l’histoire dans l’anthropologie structurale ? Lévi-Strauss définit des struc-tures figées, comme s’il n’y avait la culture et rien d’autre. Il répondait aux critiques qui lui étaient adressées affirmant qu’il existait des cultures froides qui n’ont pas d’histoire et des cultures chaudes qui en ont une. C’est un peu court pour un grand esprit.Aucun pays ne peut se construire sans un roman national. A cet égard il doit être mythologique, mais il faut éviter qu’il le soit trop. C’est peut-être le rôle du politique de trouver un équilibre, avec un roman national qu’il faut perpétuer mais qu’il ne faut pas défigurer à un point où la réalité nous revien-drait à la figure. Les pays qui n’ont pas de roman national sont confrontés à de sérieuses difficultés. Je pense à des pays d’Afrique non-développés qui n’ont pas de nation, en partie par notre faute d’ailleurs... Il y a aussi des pays qui ont une histoire nationale plus brève comme l’Italie ou très tourmen-tée comme l’Allemagne. Au lieu de dire que l’histoire n’existe pas parce qu’elle est mythologique, on pourrait dire que les pays n’existent pas sans roman national. On peut critiquer

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légitimement ensuite le contenu de ce roman national.

T.A.- Pourriez-vous me précisez les cas où la différence culturelle représente un obstacle à la construction euro-péenne dans le contexte actuel de crise?

M.F.B. - Il y a d’abord le problème monétaire. Il y a toujours eu des unions monétaires, par exemple dans le cadre du «Zol-lverein». Mais il n’y a pas d’autre exemple historique où l’on a construit un système volontariste avec une banque centrale à la clef, une monnaie unique construite sur des peuples aussi différents, sans politique économique commune (ramenant quand même à des traits culturels, par exemple la vocation à préserver un modèle social à des degrés différents). On voit comment les différences culturelles font obstacle à la mon-naie unique, je n’aurai pas la cruauté de prendre l’exemple de la Grèce. Il y a l’exemple de pays qui, d’un point de vue ra-tionnel, n’ont pas d’instruments convergents tels que la fisca-lité. Si ces pays ne convergent pas, il faut prendre conscience des choix culturels que cette situation exprime. Se pose ensuite la question institutionnelle. Il y a le problème de principe de l’atteinte à la souveraineté populaire. La ques-tion a été beaucoup mieux traitée par la Cour de Karlsruhe que par le Conseil constitutionnel français. In fine, ils disent à peu près la même chose : il n’y a pas de peuple européen. Mais la Cour de Karlsruhe en a tiré des conséquences beau-coup plus fortes. Dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil Constitutionnel dit qu’il faut préserver l’identité constitutionnelle de la France quand on transpose une direc-tive, et cette transposition est un devoir constitutionnel. Ce principe a ses limites. Le commentaire autorisé et détaillé, réalisé par Jean-Eric Schoettl (Secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007), dit bien que cette identité constitutionnelle se résume à la laïcité, à peu près rien d’autre. Je pense qu’il faudrait une plus grande préservation par le Conseil Constitutionnel de l’identité culturelle de la France. Cela serait par exemple possible si l’on réformait la Consti-tution afin de protéger de manière plus efficace le principe d’égalité, tradition culturelle et politique française.Ce qui est certain, c’est que les institutions européennes mo-difient la souveraineté puisqu’il faut réviser la constitution périodiquement pour intégrer ces transformations.

T.A.- N’est-ce pas un choix souverain que de décider d’inté-grer le droit européen dans nos Constitutions?

M.F.B.- Non, puisque quand le peuple se prononce contre le transfert de souveraineté, à l’occasion par exemple du réfé-rendum de 2005, il se trouve contredit par le Congrès. La Ve République montre une faiblesse à cet égard. Les transferts de souveraineté ont été consentis les yeux fermés. On pou-vait encore admettre le Traité de Maastricht. En revanche, le Traité de Lisbonne pose un réel problème de démocratie. Il y a dans le traité une définition des compétences de la Com-mission qui est sans limite. Par exemple la « cohésion sociale » est une notion dont on ne connait pas la définition. Si la Commission se saisit d’un projet de directive, de règlement touchant à la cohésion sociale les Etats en sont dépossédés

au nom de la subsidiarité. J’attire aussi votre attention sur les questions d’environnement. Les premières directives de 1995 sur l’environnement étaient sans mandat. Elles n’étaient pas conformes aux traités, tout le monde le sait. Nous les avons tout de même transposées, dans la douleur que l’on sait en ce qui concerne la chasse, autre trait culturel important ! Donc, si le Traité de Maastricht a constitué un transfert de souverai-neté voulu, consenti, rationnellement connu des acteurs, ce ne fut pas le cas du Traité de Lisbonne. Le système montre ses limites. Ce sont les Etats qui ont repris la main, ce qui est une tradition européenne. J’étais un jour été reçue par notre ambassadeur au Danemark. Il me disait que dans ce pays de cinq millions et demi d’habitants, les citoyens pouvaient pen-ser rencontrer une fois dans leur vie le souverain. Nous leur disons maintenant que les décisions qui auront des consé-quences dans leur vie quotidienne seront prises à Bruxelles. Ils ne peuvent pas comprendre. En Allemagne, comme en France, nous avons été élevés dans l’idée que nous étions de grands pays. Comment concevoir que les choses se pas-seraient désormais à Bruxelles ? Nous avons assisté à une réaction négative à l’occasion des grands arrêts de la Cour de Karlsruhe, Solange I et Solange II. Ce fut la même chose en France à l’occasion du référendum de 2005.

T.A.- La France a-t-elle une vision originale à défendre qui justifierait une résistance nationale ?

M.F.B.- Le mot «résistance» est important dans votre question. S’il y a bien un pays résistant en Europe, c’est le Royaume-Uni. Dit-on du Royaume-Uni qu’il n’est pas mo-derne, alors que nous sommes béats d’admiration devant un certain nombre de ses valeurs, sans compter l’influence éco-nomique qu’il a exercé ? Pourquoi la France seule serait résis-tante ? En France il existe cette idée culturelle qu’on ne peut pas parler de la nation. L’Amérique a le droit d’être hyper-nationale, l’Angleterre aussi. L’Allemagne se redonne lente-ment le droit de revendiquer sa nation, elle parle de moins en moins de fédéralisme au niveau européen… sauf en matière budgétaire, c’est-à-dire de coercition. La France, elle, conserve son message universaliste. Il y a eu le message de la Révolution française qui a frappé un coup extraordinaire dans le monde. La France s’est dit qu’elle por-tait un message universaliste et c’était sa spécificité. Petit à petit, dans les années 1960, sous l’impulsion du Général De Gaulle, ce message est devenu la voix indépendante de la France à l’ONU. La France n’était pas isolée au moment du refus de la guerre en Irak, lorsqu’elle a donné son véto. Il serait dangereux de renoncer à notre siège à l’ONU au profit d’un siège européen, ce que le Royaume-Uni ne fera d’ail-leurs jamais. Nous ne trouverions que lentement et difficile-ment un accord européen. Il y a un message spécifique à la France, c’est un fait. Le monde n’a pas besoin d’une vision unilatérale, on a vu ce que cela a donné.

Tristan Annoot

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Habermas : Pour une Europe des citoyens

Nos journalistes se sont rendus à l’unversité Paris Descartes en octobre dernier, afin d’entendre les sages paroles du philosophe Habermas lors de son colloque intitulé «la crise de l’Union Euro-péenne à la lumière d’une constitutionnalisation du droit interna-tional.». Voici ce que nous en avons retenu.

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Partons de quelques faits d’actualité. Premièrement, le référendum en Grèce a dévoilé une crainte des dirigeants européens de la dé-mocratie, chose étrange pour des pays d’Europe. C’est que ce réfé-rendum risquait de mettre en péril tout le projet de l’Union Euro-péenne, dont l’essence est pourtant démocratique. Deuxièmement, il faut se rendre à l’évidence que les marchés ne s’auto-régulent pas. Pourquoi les Etats sont-ils obligés de sauver les banques, pourquoi n’y a-t-il pas de contrôles efficaces? Pourquoi n’a-t-on pas pris de mesures pour arracher les Etats à l’évaluation des agences de nota-tion? On parle de dettes «souveraines». Le sont-elles vraiment? Il faudrait plutôt les appeler «dettes de la solitude», «dettes de la ser-vilité». Les dirigeants continuent de croire aux vertus d’autorégula-tion des marchés; ils se trompent. La crise en Europe est due à un délitement du politique et à son asservissement au marché.

Voici donc les maux de l’Union Européenne en ce début de XXIème siècle. Et malgré tout, il est possible de donner une ré-ponse positive à cette crise. Tout d’abord, il est nécessaire que la politique sorte de son état de servilité dans lequel elle se trouve pour l’instant. Il faudrait enfin mettre un terme à la destruction des domaines publics, à la généralisation du monde privé de l’entre-prise, au paradis de l’efficacité et en finir avec cet Etat managérial. La démocratie régresse. Cette tendance n’est pas seulement obser-vable au niveau des Etats, elle aussi visible chez les individus : nous vivons de plus en plus dans une société de solitude, de violence et d’insécurité, qui démontre l’isolement des uns et l’indifférence et les craintes des autres. Et les peuples se craignent, eux aussi.

Il faut ainsi s’interroger sur la volonté politique de l’Europe à re-donner vie à l’idée démocratique elle-même, en s’appuyant sur une approche constitutionnelle. Comment peut-on repenser le rôle des dirigeants européens?

Cette relance est basée sur trois concepts. Tout d’abord, il y a l’idée d’une union politique de l’Europe, d’une harmonisation des éco-nomies et d’une homogénisation des conditions de vie. Ensuite, il faut défendre l’idée d’une entité européenne kantienne, conçue en tant qu’unité politique transnationale, tout en s’appuyant sur une idée universaliste et sur la protection des libertés individuelles. Finalement, il faudra redéfinir le partage de souveraineté, en recon-sidérant l’idée de légitimité démocratique basée sur les principes de la Révolution française.

Considérons tout d’abord le concept de partage de souveraine-té, qui doit être pensé traditionellement. Il existe en général une double problématique, celle des souverainetés nationales et celle des souverainetés des peuples. Prise au sens traditionnel, la souve-raineté nationale est l’instance de décision attribuée aux Etats, qui acceptent l’hégémonie du politique sur tous les autres ordres de la vie sociale. Aussi, la démocratie est vécue à travers la souveraineté du peuple. Elle est basée sur l’idée que le peuple peut maîtriser son propre destin, se déterminer et se développer comme il l’entend à tous les niveaux.

Or, l’idée de souveraineté nationale entre en conflit avec l’idée même d’une instance supranationale comme l’Union européenne. Il n’est pas totalement illusoire de dire que l’UE est étrangère aux aspirations des nations européennes. Celles-ci craignent de se voir imposer une législation extérieure, ce qui est déjà le cas dans de nombreux domaines.

Pourtant, on peut bien être partisan de la souveraineté nationale tout en acceptant une délégation de souveraineté à des instances supraétatiques. Cependant, les pays européens en ont peur. C’est

une impasse grave, la politique est historicisée à l’état national et peine à accepter d’autres formes d’organisation.

Comment sortir de cette impasse? La division de souveraineté entre Etats et Etat fédéral renforce la crise, la creuse davantage et met en péril l’avenir de la construction européenne. Il faut donc repenser le concept de souveraineté partagée qui permettrait une telle avancée.

Habermas propose de penser cette dialectique dans d’autres termes. Il différencie les «peuples européens» des «citoyens de l’Union». La volonté des «peuples européens» est définie par les Etats-Nations et par l’expression démocratique du vote national. La volonté des «citoyens de l’Union» est, elle, exprimée par les instances supraéta-tiques de l’UE. C’est seulement lorsque la population acceptera ces deux identités que nous sortirons de l’impasse.

Ce rôle double qu’Habermas attribue aux peuples a plusieurs implications. Tout d’abord, l’extension de l’idée démocratique à l’Europe n’exige pas seulement un peuple européen mais aussi l’expression d’une volonté politique démocratique transétatique. Ensuite, la structure et le fonctionnement du Parlement européen, de la Commission et du Conseil européen doit être remanié afin de mettre en place une stricte égalité entre le Parlement et le Conseil, ce qui donnerait plus de pouvoir aux citoyens et rendrait possible une solidarité entre les peuples.

Habermas défend ainsi une idée kantienne d’union politique de l’Europe. Les Etats doivent former une unité, et pour cela une convergence des démocraties européennes et des pouvoirs réga-liens est nécessaire. L’idée de légitimité démocratique et de «titres» (vote, accession à des partis, pouvoirs) ne suffisent plus à la démo-cratie aujourd’hui. L’Union Européenne doit être une Union des citoyens pour pouvoir fonctionner à l’avenir.

Sophie Pornschlegel

Un texte complet du colloque de J. Habermas «Comment surmonter les crises du présent : quel avenir pour l’Europe? », organisé par l’équipe PHILéPOL et dirigée par le Pr. Yves Charles Zarka paraîtra à la fin du mois dans la revue «Cités» n° 49 de janvier 2012.

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Que se passe-t-il en Europe?

Entretien avec M. Pierre Legendre, philosophe et histo-rien du droit

M. Pierre Legendre, vous êtes historien du droit et psychanalyste, mais aussi philosophe, anthropologue, penseur de l’Etat, en somme «inclassable». Vous avez été expert interna-tional dans le secteur privé en Afrique, puis pour le compte de l’Unesco. Vous êtes direc-teur d’études honoraire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, section des sciences religieuses, et professeur émérite de droit à l’université Paris I. Vous êtes l’auteur d’une oeuvre abon-dante sur les fondements du droit, le phéno-mène religieux, la filiation, la structure de l’Etat de droit et de la structure généalogique des sociétés. Vous vous êtes également intéressé à la pratique du management tout en vous ap-puyant sur la psychanalyse de Freud.

Vous dirigez actuellement la collection «Les Quarante piliers» aux Editions Fayard et Mille

et une nuits. Enfin, vous êtes l’auteur de films documentaires, sur l’Homme occidental, sur l’Ena; le dernier en date s’intitule “Dominium Mundi. L’Empire du Management” (2007).

En tant que spécialiste de «l’historicité de la structure», vous essayez de donner une explication de la logique à laquelle répond l’architecture de nos sociétés. Cela vous a valu d’être désigné comme l’«un des rares penseurs capables d’offrir un diagnostic profond de nos dérives contemporaines» par le quotidien «le Figaro».

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Pierre Legendre - J’ai décidé de donner ce titre à notre entretien, afin de tenir un cer-tain cap : mettre l’actualité en perspective. La crise financière et les menaces écono-miques obligent, au moins pour un temps, à sortir des discours de routine sur l’Europe. Me revient à la mémoire une formule de James Burnham, auteur en 1941 d’un livre qui a fait date. Pour la première fois était mise sur la table “la Révolution du Manage-ment”. Le titre donne à réfléchir : “What is happening in the World ?” Voilà une interrogation de base, qui res-taure l’esprit de perplexité. Rien de plus thérapeutique contre la maladie du rabâ-chage que la perplexité. Comme l’indique l’étymologie de ce mot, il s’agit d’affronter ce qui est embrouillé, ambigu. Pour abor-der l’embrouille européenne, les ambiguïtés européennes, partons de cette question : “What is happening in the world…. in our world… in Europe ?». Que se passe-t-il en Europe ?

Sophie Pornschlegel - Alors, voici ma pre-mière question. A la vue des évènements récents en Europe, de la crise de la dette, de la prise de pouvoir en Italie et en Grèce de nouveaux chefs de gouvernement et la nomination du nouveau directeur de la BCE Mario Draghi, qui viennent tous du milieu financier (Goldman Sachs), pensez-vous que l’Europe souffre d’une dérive technocratique ?

P. L. - Pour moi, il n’y a pas de dérive. Il y a les effets cumulatifs d’une logique des choix impossibles. Cette logique aboutit au gouvernement des techniciens qui tend à neutraliser la démocratie tout en prêchant sa nécessité. Le vocabulaire à la mode - la gouvernance - traduit fort bien cette situa-tion.

Je relève deux données essentielles. Pre-mière donnée : l’Union est une mosaïque d’États et de sociétés qui n’ont pas la même histoire, ni la même culture politique, ni de façon de plus en plus frappante les mêmes intérêts. Il s’ensuit le tableau actuel, sou-ligné par la crise. L’Europe, c’est un peu «le marteau sans maître». Un agglomérat d’exécutifs de poids inégal, une Assemblée délibérative qui s’efforce de ressembler à un Parlement, une Commission qui tend de la robotique administrative, tiraillée entre les lobbies nationaux ou internationaux, les gouvernements, et ses propres intérêts bureaucratiques. Tout cela fait une machi-nerie efficace dans sa sphère technique; ça ne fait pas un système politique véritable-ment investi par les citoyens. Tout au plus, je parlerai d’un type féodal inédit, en quête d’un garant ultime : non pas la figure d’un

Empereur, mais plutôt, pour l’instant, la BCE. Nous sommes bien, et le plus logi-quement du monde, en pleine technocratie. Et puis, il y a une seconde donnée essen-tielle, la vague de fond, à la fois libérale et libertaire, soulevée par l’évolution de la techno-science-économie et l’idéologie de la non-limite depuis plusieurs décennies et qui, avant de retomber, dans un avenir imprévisible, produit ses effets en chaîne. L’Europe, lieu stratégique mondial, traverse aujourd’hui une tempête. Mais je dirai : ce n’est pas la fin du monde !

Alors faisons l’effort de comprendre que la technocratie a au moins le mérite d’être un phénomène discernable et explicable. Nous baignons dans une certaine réalité : les effets déconcertants d’un management échevelé qui s’infiltre dans tous les domaines de la vie, la dérégulation systématique, la conver-sion des ex-révolutionnaires (marxistes tra-ditionnels, maoïstes) à la nouvelle religion du marché total, etc…. Votre génération va découvrir les mécanismes enchevêtrés du pouvoir technocratique, les entreprises géantes transcontinentales fonctionnant comme des empires privés, mais aussi le rideau de fumée des propagandes.Et vous devrez vous interroger sur la soli-dité des murs porteurs de cet immense édi-fice mondial, c’est-à-dire vous interroger sur le ciment des idées. Ce ciment, quel est-il ? On le trouve condensé dans l’oeuvre du juriste-écono-miste Friedrich Hayek, prix Nobel d’éco-nomie en 1974. Véritable bible de Mme Thatcher, cette oeuvre dessine une thèse qui se résume facilement : «l’ordre spon-tané du marché». Avec pour corollaire, la limitation de la démocratie, car l’économie est trop complexe pour être à la merci de débats forcément simplificateurs. Voilà le ciment, mais manifestement la bétonneuse a des faiblesses !

S. P. - Les décideurs européens adoptent-ils, à votre avis, de bonnes mesures pour répondre à la crise, ou est-ce uniquement un «rafistolage» de courte durée ?

P. L. - Je pense que les décideurs bricolent, ils tâchent de faire face à la tempête, ils ra-fistolent ce qui peut l’être. Que voulez-vous qu’ils fassent, dans ce monde sous pression de la Bourse en continu, un monde dominé par le calcul, par les pratiques diverses et variées de la mathématisation. «L’Harmo-nie par le calcul», telle pourrait être la de-vise ! L’espèce de papauté des agences de notation est un signe des temps. De toute évidence, nous manquons d’une réflexion approfondie là-dessus, sur ces instances révélatrices d’une panne de la légitimité po-

litique. Dans ces conditions, un rafistolage en appelle un autre.

S. P. - Plus généralement, pensez-vous que la politique est de plus en plus «gérée» comme une entreprise, en anéantissant les notions de «gouvernement» et de débat po-litique si nécessaire au bon fonctionnement de nos démocraties ?

P. L. - Certes, la politique est de plus en plus «gérée» comme une entreprise, selon la maxime passée en doxa «ce qui vaut pour la General Motors vaut aussi pour l’État». Mais, je ne parlerai pas d’anéantissement de la notion de «gouvernement». Pourquoi? Tout simplement parce que le jeu des riva-lités, nationales ou internationales, échappe au calcul d’entreprise; les rapports de force ne se réduisent pas aux données maîtri-sables par la scientification généralisée. De ce point de vue, la prétention à la transpa-rence des discours relève de la farce… On n’abolira jamais les profondeurs de l’insu, la dimension d’insaisissable des relations humaines. L’idée de gouverne-ment repose sur l’incertitude, la passion de surmonter l’adversité, la nécessaire dis-simulation, la ruse... Pour s’en convaincre, je conseillais jadis aux étudiants de lire les récits de Thucydide et Machiavel, ou s’ils préfèrent la théorie, Jean Bodin et Thomas Hobbes (surtout les premières pages du «Léviathan»); ça vous guérit des simplismes. Car on comprend mieux que la gestion, si souvent vécue comme le triomphe de la rationalité, véhicule l’illusion positiviste po-pularisée par Auguste Comte. J’ajoute qu’à bien y réfléchir, l’idéologie de la gestion est aussi le masque du renoncement à penser. Il faudrait réapprendre à subordonner les nécessités de l’action, c’est-à-dire en termes classiques l’administration, à la politique. Moyennant quoi, la question de la démo-cratie sort de la confusion.

S. P. - Alors que vous dites que l’Europe s’est anéantie pendant la IIème guerre mon-diale, vous parlez aujourd’hui d’une «guerre économique totale», d’allure pacifique. Que voulez-vous dire par là ? P. L. - La guerre économique totale, c’est un constat - le constat du Marché généra-lisé, de la concurrence mondiale sans merci, et des méthodes managériales d’adaptation à cette situation. Du reste, il suffit de fré-quenter les entreprises pour saisir cette réa-lité. Le vocabulaire lui-même est un signe qui ne trompe pas; on use à tout-va des métaphores militaires : stratégies, fenêtres de tir, tueurs, etc… Tout ça s’explique fort bien.Maintenant, j’attire votre attention sur

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le fait suivant : les retombées civiles des guerres du XXe siècle. La IIème guerre mondiale surtout a été soutenue comme une guerre d’organisations, et les progrès du savoir en la matière ont été fulgurants. Ce conflit gigantesque a fait naître après 1945 un marché des techniques d’organi-sation, par exemple les applications de la recherche opérationnelle, chef-d’oeuvre de mathématiciens. Autre exemple, après la guerre du Vietnam, les méthodes mises au point par le Pentagone dirigé par Mac Na-mara ont été ensuite vendues aux États par l’intermédiaire de Cabinets d’organisation pour moderniser la gestion précisément; en France, ce commerce a donné dans les années 1970 la «Rationalisation des Choix Budgétaires», pour les initiés la RCB.

S. P. - Quel rôle attribuez-vous au couple franco-allemand dans la crise actuelle ? Que pensez-vous de la situation actuelle dans laquelle l’Allemagne «domine» les décisions monétaires prises au niveau européen ?

P. L. - Ah, ce couple franco-allemand ! Quand j’entends la formule, une mise en scène d’un grand poids historique me vient à l’esprit : l’effigie de Charlemagne, sa sta-tue monumentale sur le parvis de Notre-Dame à Paris, tandis que le tombeau de l’ancêtre politique commun se trouve à Aa-chen, Aix-la-Chapelle ! On ne saurait mieux représenter le déchirement princeps de l’Europe. Mais laissons cette méditation….

Je ne suis pas compétent pour vous ré-pondre sur les dossiers liés à la question monétaire. Je prends seulement acte de la contradiction entre l’existence de la mon-naie unique et le fonctionnement de deux économies nationales prises dans une Eu-rope n’ayant pas la structure fédérale. Com-ment surmonter pareille contradiction, qui évidemment concerne aussi chacun des membres de l’Union ? Est-ce la quadra-ture du cercle ? Auquel cas les gouverne-ments européens sont condamnés à gérer, crise après crise, une zone de libre-échange particulière, sans autre horizon qu’une fai-blesse sans recours.Quant à la métaphore conjugale - un couple - pour désigner la relation franco-allemande, elle laisse entendre la possibilité d’un divorce. Je reste profondément cho-qué par le discours de politiciens français qui, pour redorer leur blason ou établir leur fonds de commerce électoral, prennent la pose de patriotes outragés par la politique allemande. Alors, quoi ? Est-ce digne des enjeux d’aujourd’hui? Ces propos honteux, tant à droite qu’à gauche, sont un signe de faiblesse, une sorte de démission face à la crise.

S. P. - Au lieu de proposer uniquement une Europe fédérale et un transfert de pou-voirs régaliens vers des institutions supra-nationales, options qui semblent pourtant répondre efficacement à la crise, Habermas propose une Europe des citoyens, plus proche du peuple, afin de sortir de la crise et de donner une légitimité démocratique à l’Union Européenne. Pensez-vous que sa réponse soit adéquate ?

P. L. - Je vais vous répondre par une for-mule de Melville : «certaines vérités ne se voient bien que dans le demi-jour crépuscu-laire». Aujourd’hui, c’est le crépuscule des discours issus de l’après-guerre. On voit bien, dans ce demi-jour, qu’il ne sera bien-tôt plus possible de tourner autour du pot, de contourner certaines réalités de base.Jürgen Habermas est une autorité respectée, ses appels pour une Europe des citoyens ne suscitent pas la controverse. En France, comme vous savez, le mot «citoyen» a la valeur des invocations chrétiennes d’antan! Certes, Habermas a mis le doigt sur un pro-blème général : l’éloignement des pouvoirs. Peut-être n’aperçoit-il que partiellement le ressort logique de cet éloignement dans nos sociétés technocratisées. Contre les insuffisances de la démocratie représenta-tive, on crée des parades, parmi lesquelles la multiplication des recours judiciaires, et l’on tombe immanquablement dans une marchandisation du droit… L’incitation à la consommation judiciaire est aux États-Unis, selon moi, un symptôme à grande échelle, malheureusement sous-analysé; je regrette la même poussée en Europe.

Je ne pense pas que la prédication démo-cratique suffise pour identifier les impasses institutionnelles de l’Europe et y remé-dier. Mais comment ouvrir la voie d’une réflexion vraiment féconde ? Pour l’heure, l’Union Européenne ressemble à un puzzle féodal et, dans cette conjoncture, à moins d’un sursaut inattendu, il faudra du temps, des expériences accumulées pour que la situation se décante. A condition, bien sûr, que la situation mondiale nous le procure, ce temps ! Cela dit, les données théoriques élémen-taires sont bien celles que vous évoquez : Europe fédérale, transferts de pouvoirs dits régaliens, etc… Mais vous connais-sez comme moi le dilemme auquel ne manquent pas les références prestigieuses : Jean Monnet, son pragmatisme et sa fasci-nation pour le modèle américain; de Gaulle, son réalisme, ses propos ironiques sur les «astucieuses nuées supranationales», et son refus de «faire disparaître nos peuples dans quelque construction apatride».Pour ma part, j’ajouterai d’autres constats.

Nombre de praticiens de la supranationalité européenne pensent l’Europe en termes de communauté panatlantique; en coulisse, ils doutent, c’est-à-dire qu’ils voient l’Europe comme un prolongement stratégique des États-Unis. Dans ces conditions, une diplo-matie, une politique extérieure européenne n’est-elle pas par avance condamnée ou simplement réduite à une figuration?

Par ailleurs, la globalisation signifie non seulement la libéralisation des échanges, mais une péréquation mondiale progressive des conditions sociales, autant dire le nivel-lement par le bas. Quand on parle de la crise de l’État Providence, c’est un euphémisme; il serait de meilleure politique d’analyser les chambardements en cours, pour affronter nos lendemains et armer les institutions en conséquence.

Enfin, je note une occasion manquée. Après l’effondrement soviétique, l’Europe a lancé l’élargissement, mais selon des cri-tères en quelque sorte mécaniques, préfor-matés, et sous le regard vigilant de l’Otan. Notre intérêt à tous eût été d’entreprendre une refondation de l’Europe, dans la visée d’unir le continent, donc sur la base d’une redéfinition des fondements élaborés après 1945. Invité à suivre quelques échanges au niveau diplomatique, j’ai constaté, bien à re-gret, l’esquisse d’une politique d’absorption pure et simple : on propose aux entrants un contrat d’adhésion, comme quand vous prenez un billet de train… En l’occurrence, pour aller où ?Il me semble que la question de la légitimité démocratique ouvre sur le gouffre d’autres questions….. S. P. - Justement, je voudrais poursuivre sur ce terrain. En parlant de citoyenneté se pose la question de l’identité européenne. Est-ce seulement un artifice politique construit pour légitimer l’avancée des pou-voirs supranationaux ?Vous avez dit : «les cultures comme les indi-vidus ont une identité, c’est cela qui m’inté-resse”» Faut-il des cultures ou une culture européenne pour fonder une identité euro-péenne ?

P. L. - Effectivement, en parlant de citoyen-neté, est-ce seulement un artifice politique ? Si j’ose dire, vous parlez d’or. Rien de plus sympathique que la citoyenneté. Mais quel en est le contenu concret ? Le vécu des personnes, quel que soit leur statut social, c’est un ensemble de facilités offertes par l’organisation de l’Europe : voyager sans souci de frontières intérieures, multiplier les échanges (ayant été professeur, je pense aux échanges universitaires), apprendre les

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langues, découvrir la vérité des territoires, etc… Et puis, il y a le système des subven-tions, agricoles et autres, qui ont modernisé de vastes espaces. Non sans abus démago-giques parfois, non sans détournements. Mais cela fait partie des effets négatifs col-latéraux. Au total, bilan positif. Mais, est-ce simplement cela, la citoyenneté ?Évidemment non, car ce qui soutient le sta-tut de citoyen, c’est la question de l’iden-tité. Nous touchons là au plus profond de l’humain, à l’entre-appartenance du sujet et de la culture. Qu’est-ce que cela comporte, pour nous tous, ressortissants d’États arrimés à l’Union Européenne ?

L’équation de l’identité se joue à plusieurs niveaux. Considérons le niveau subjectif, le rapport de l’individu aux conditions pri-vées, c’est-à-dire familiales, de la vie sub-jective. Ces conditions s’inscrivent dans la profondeur historique des traditions natio-nales, et de nos jours l’Europe est devenue une réalité. Les jeunes sont bien placés pour la vivre, cette réalité. Opposer les identités nationales à l’identité européenne serait une absurdité. On ne peut qu’ouvrir les identi-tés nationales vers l’identité européenne; ou si on préfère une formulation philoso-phique : subsumer ces identités nationales sous l’identité européenne.

Ainsi, la dialectique se complique. Mais la question de l’identité n’a rien à voir avec l’identitarisme, l’esprit de clocher, ou les rétrécissements de cette sorte, pas plus qu’avec l’abolition des nations. Dans la perspective que j’évoque, la rigueur poli-tique d’un transfert de souveraineté ne signifie pas, de façon univoque, «dépos-session», mais aussi une mise en commun, un au-delà des nations. Un tel au-delà a été vécu au cours du précédent millénaire, avant l’ère industrielle, et dans des contextes évidemment bien différents. Et on peut envisager un futur peut-être assez proche, où vivre l’identité européenne ne sera pas incompatible avec le vivre français, alle-mand, italien,….

Je voudrais évoquer un autre aspect de la question que vous m’avez posée : ce que j’appelle la structure fiduciaire, à savoir le crédit accordé au discours fondateur, en l’occurrence celui qui porte la construction européenne. Plus généralement, ce terme «fiduciaire» redéfinit ce que recouvrent les notions, usées à mes yeux, de mythe, de religion, d’idéologie. Où en sommes-nous sur ce terrain ?Ni le laïcisme français, ni le système alle-mand des références protestante et ca-tholique, (à l’exception des montages

de tradition chrétienne orthodoxe à peu près totalement incompris par l’Ouest), ne prennent la mesure de l’aplatissement des problèmes par la doxa américaine qui considère les religions comme «marché des idées» - formule de la Cour suprême fédé-rale des États-Unis. Une telle position laisse de marbre la plupart des intellectuels euro-péens. En revanche, elle ne peut qu’alimen-ter la violence des refus hors de l’Occident.

S. P. - Vous m’avez expliqué que Talleyrand était un penseur de l’État qui avait réelle-ment compris le rôle des institutions et de la diplomatie. Lors du Congrès de Vienne, alors que la France était démunie face aux Alliés victorieux, il exigea qu’il y ait autant de portes d’entrée que de délégations, afin qu’aucune délégation ne doive céder le pas à une autre. La diplomatie, avant même d’être une institution de la parole, est une institution des formes. Pensez-vous que cette réflexion manque aux décideurs poli-tiques de nos jours ? P. L. - Assurément, cette réflexion manque, et cruellement. J’ai beaucoup médité Tal-leyrand, comme j’ai médité les rhéteurs de l’Antiquité qui en savaient long sur le pou-voir de la parole. Je pense que l’idéologie convivialiste a transformé la parole poli-tique en bavardages, qui provoquent par-fois, au plan international, de grands dom-mages. L’informel a la cote chez les experts en communication, experts surtout en ma-nipulation de leurs semblables. On a perdu de vue que les formes mettent en scène des fonctions, et que la rhétorique des formes est une protection contre la confusion entre les discours. Je conseille parfois à des jeunes intéressés par ces questions cruciales, de faire un stage dans une honnête agence de publicité, où de façon inattendue et parado-xalement se transmettent certaines vérités.

S. P. - Vous dites que «l’Europe n’a pas assez le dos au mur, il faudra faire de l’Eu-rope quand elle aura le dos au mur». Vou-lez-vous dire par là que la crise de la dette n’est pas assez profonde en Europe pour que les dirigeants agissent véritablement ? Ne pensez-vous pas que l’Europe a déjà été au pied du mur en 1945 ?

P. L. - Bien sûr, en 1945, ce qui restait de l’Europe était à bas. Il s’en est suivi l’entreprise d’innover, dont nous sommes en quelque sorte rentiers. Et je pense que, à l’échelle des sociétés comme à celle des individus, c’est sous la pression du danger extrême que surgit la capacité vitale d’in-venter, d’inventer vraiment, c’est-à-dire de désincarcérer une pensée prisonnière. Et en effet, la crise actuelle n’est à mes yeux qu’un

symptôme, le révélateur d’une crise plus vaste, déniée plutôt que reconnue et com-prise. La pensée manque dans les hautes sphères. On attend plutôt quelque miracle. Que veut dire aujourd’hui «mobiliser les énergies», dans le choix de civilisation où nous sommes englués ? Je reprendrai ici à mon compte un propos d’Alain Supiot, fin connaisseur de la situation présente : «la mise en concurrence de tous contre tous»; ce propos contient la réponse…

S. P. - Quels conseils donneriez-vous aux décideurs aujourd’hui pour relancer le pro-jet européen ? P. L. - Simple citoyen, je n’ai pas qualité pour donner conseil aux décideurs, à ces instances complexes et anonymes, dont nous connaissons les sentences à travers les responsables ou porte-parole en titre. Par ailleurs, je ne crois pas aux réservoirs de pensée, à ces «think tanks» dont on ouvre et ferme à volonté le robinet ! Cependant, ayant quelques lueurs sur les sources du destin européen, j’exprimerai deux souhaits qui ne pourront être exaucés qu’à long terme.

Premier souhait. Savoir à quoi s’en tenir sur la question institutionnelle et l’enjeu poli-tique élémentaire : qui gouverne l’Europe? Est-il envisageable que cesse ce théâtre d’ombres où nul en vérité ne tient la barre?Second souhait. Que soit ébranlé le monu-ment des idées reçues, cette doxa de fer d’un individualisme sans précédent qui hypothèque tout projet collectif digne de ce nom en Europe - dans une Europe qui fait étalage de ses impuissances, en préten-dant faire la leçon démocratique au monde entier.

M. Legendre, je vous remercie de m’avoir accordé cet entretien.

Pour approfondir : «Vues éparses Entretiens avec Philippe Petit», Pierre Legendre, Fayard, 16 €.

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Actualités

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Les lois mémorielles : retour sur des législations controverséesLa QPC, une promesse inachevéeSe dédouaner de l’Europe : la stratégie de «blame avoidance» 2012 et Europe : la présidentielle approche!

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Les « lois mémorielles » désignent quatre lois adoptées entre 1990 et 2005, visant à empêcher la néga-tion d’évènements historiques (le génocide juif pour la loi Gayssot de 1990, le génocide arménien pour la loi du 29 janvier 2001, la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité dans la loi dite « Taubira » du 21 mai 2001) ainsi qu’à protéger la mémoire des victimes de ces évènements. Une nouvelle loi, prévoyant des sanctions pénales pour la négation de tout géno-cide, a été adoptée à l’Assemblée Nationale le 22 décembre 2011, et pourrait ainsi s’ajouter à la liste des lois mémorielles après le vote au Sénat.

Ces nouvelles pratiques parle-mentaires ont pourtant suscité de vives polémiques depuis 2005. A l’occasion de l’adoption de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, dont l’ali-néa 2 de l’article 4 disposait que « les programmes scolaires recon-naissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer en Afrique du Nord », un collectif de dix-neuf historiens réunis au sein de l’association Li-berté pour l’histoire, présidée par René Rémond, a dénoncé l’im-mixtion du législateur dans le do-maine de la mémoire. Le collectif arguait que « dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique ». Fallait-il pro-céder, comme les pétitionnaires le demandaient, à l’abrogation des lois mémorielles, pour motif que les lois n’ont pas à dire l’his-

toire ?

Retour sur la « querelle des lois mémorielles »

L’alinéa 2 de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 a été l’élément déclencheur du vif débat autour des lois mémorielles, suscitant de la part des historiens un foi-sonnement d’arguments à l’en-contre de ces lois. Les historiens réunis au sein de l’association « Liberté pour l’Histoire » dénon-çaient tout d’abord la confusion entre histoire et mémoire intro-duite par ces lois mémorielles : le législateur, selon eux, n’a aucune légitimité pour instrumentaliser l’histoire pour « des considéra-tions essentiellement électorales » (René Rémond). Le législateur risque en effet de s’engager dans une dangereuse voie de concur-rence des mémoires en accordant à un groupe en particulier, une reconnaissance officielle dans la loi. L’écrivain Françoise Chan-dernagor déplorait ainsi que « chaque fraction de la population [ait] voulu la « loi mémorielle » qui sacralisait son propre mal-heur ».

Par ailleurs, en qualifiant des évè-nements historiques lointains dans le temps ou dans l’espace, grâce à des termes juridiques ré-cents, le législateur risque d’ins-crire dans le droit des vérités officielles qui ne font pourtant pas l’unanimité, même parmi les historiens. Cet argument a sur-tout été utilisé à l’encontre de la loi dite « Taubira » reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité et de la loi du 29 janvier 2001 disposant

que la France reconnaissait le gé-nocide arménien. Pour certains historiens, voire certains juristes, les termes de « génocide » et de « crimes contre l’humanité », défi-nis dans les statuts du Tribunal de Nuremberg en 1945, ne doivent être appliqués de manière ana-chronique, comme l’explique l’historien Henri Rousso : « la mémoire de la Shoah est devenue un modèle jalousé, donc à la fois récusé et imitable : d’où l’urgence de recourir à la notion anachro-nique de crime contre l’humanité pour des faits vieux de trois ou quatre cents ans ».

Liberté de l’historien vs lois mémorielles : l’affaire Pétré-Grenouilleau

Les plus vives contestations des historiens quant aux lois mémo-rielles ont éclaté à propos de l’affaire « Pétré-Grenouilleau ». L’historien reconnu Olivier Pé-tré-Grenouilleau avait déclaré dans une interview à propos de son livre sur la traite négrière que, si la traite était assurément un crime contre l’humanité, le terme de « génocide » était inap-proprié, car le critère de « l’inten-tionnalité d’extermination systé-matique » - tel que le génocide est défini par le Tribunal de Nurem-berg - n’était pas flagrant. Son intervention suscita l’ire d’un collectif de Guyanais et d’Antil-lais, qui l’accusa, sur les disposi-tions de la loi Gayssot – qui crée le délit de négationnisme de la Shoah – et de la loi Taubira, de négationnisme. Les historiens se réunirent immédiatement au sein de l’association « Liberté pour l’Histoire » pour dénoncer

Les lois mémorielles : retour sur des législations controversées

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le danger de l’instrumentalisa-tion des lois mémorielles comme entrave à la liberté d’expression et de recherche des historiens.

L’apaisement relatif

Cette vive polémique à propos de l’affaire Pétré-Grenouilleau, conjuguée à celle provoquée par l’article 4 de la loi du 23 février 2005 dans lequel le législateur recommandait d’enseigner ce qui n’était rien de moins qu’un jugement de valeur – la recon-naissance du « rôle positif de la présence française outre-mer en Afrique du Nord » - donna naissance, en 2008, à une mis-sion parlementaire chargée de dénouer l’imbroglio créé par ces lois.

La commission renonça à la de-mande d’abrogation de toutes les lois mémorielles : il aurait été en effet imprudent d’abroger une loi mémorielle telle que la loi Gays-sot tendant à réprimer, dans son article 9, « tout acte raciste, anti-sémite ou xénophobe ». Le risque de raviver d’autres querelles mémorielles incita également à cette décision : la reconnais-sance officielle de l’Etat pour les victimes du génocide arménien ou les descendants d’esclaves ne pouvait être retirée a posteriori.

La commission prit cependant le parti d’exclure l’ingérence du législateur dans l’établisse-ment de programmes scolaires, comme cela avait été le cas pour l’article 4 de la loi du 23 février 2005, et l’alinéa litigieux fut d’ail-leurs supprimé par le Conseil constitutionnel, permettant à son président Jean-Louis Debré d’affirmer que « ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire ». La com-mission parlementaire recom-manda d’ailleurs vivement de ne

plus adopter de lois mémorielles à l’avenir – recommandation que le Parlement a respecté jusqu’à aujourd’hui.

Le renouveau du débat : les lois mémorielles, éternel su-jet de controverse ?

Alors que les interventions du Conseil constitutionnel et de la commission parlementaire avaient permis d’apaiser les ten-sions, et devaient permettre d’éviter à l’avenir l’ingérence du législateur dans le champ de l’his-toire, la loi adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale, le 22 décembre 2011, a ravivé la polémique sur les lois mémo-rielles. La proposition de loi vise en effet à sanctionner d’une peine de prison et de fortes amendes la négation de tout génocide – à l’origine, la proposition de loi portait exclusivement sur la condamnation de la négation du génocide arménien.

La colère des historiens à l’en-contre de cette nouvelle loi mé-morielle a été relayée par Ber-nard Accoyer, qui regrette que l’Assemblée nationale n’ait pas suivi les recommandations de la commission qu’il avait lui-même présidée quelques années aupara-vant. Cette loi, qui devra préala-blement être adoptée par le Sénat pour entrer en vigueur, a d’ores et déjà provoqué de vives tensions diplomatiques entre la France et la Turquie, qui a toujours nié la qualification de « génocide » à propos du massacre des Armé-niens perpétré par les Turcs en 1915-1916. Dès le lendemain du vote de l’Assemblée, le Premier ministre turc Recep Tayyip Er-dogan a rappelé l’ambassadeur de Turquie à Paris, tandis qu’il an-nonçait également la suspension des visites et consultations bila-

térales. Par ailleurs, en guise de provocation, le Premier ministre turc a accusé en retour la France d’avoir commis un « génocide » en Algérie. Le ministre des Affaires étrangères et européennes, Alain Juppé, a invité le gouvernement turc à « ne pas surréagir » à la loi votée au Palais Bourbon, mais les relations diplomatiques entre les deux nations s’en trouvent au-jourd’hui fortement affectées. Il reste à espérer que les revendi-cations des historiens quant aux lois mémorielles soient considé-rées par le Sénat, afin que cette loi à visée majoritairement élec-toraliste ne voie pas le jour. Car, après tout, « l’histoire est scien-tifique, la mémoire est politique » (E. Hoog) : ce n’est pas le rôle du Parlement que de proclamer l’histoire, en utilisant à dessein la mémoire.

Capucine Capon et Amélie Roux

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La QPC, une promesse inachevée

«Une voie qui consolide l’Etat de droit» : Du bilan que dresse le Président Stirn de la section du contentieux du Conseil d’Etat de la question priori-taire de constitutionnalité, un an après son entrée en vigueur, transparaît le réel engouement qu’elle a suscité chez les membres de la Haute juri-diction administrative, et plus largement, chez l’ensemble desacteurs du droit. La loi organique du 10 décembre 2009 précise en effet les modalités d’application de l’article 61-1 de la Constitution adopté par le Parlement réuni en Congrès dans le cadre de la révision du 23 juillet 2008. Entré en vigueur le 1er mars 2010, le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité permet ainsi à toute partie à un litige de soulever une exception d’inconstitutionnalité contestant la conformité aux libertés et droits fondamentaux reconnus par la Constitution d’une disposition applicable au litige ou qui constitue le fondement des pour-suites.Si ce nouveau mécanisme laisse entrevoir de réelles promesses pour l’Etat de droit, il demeure encore à bien des égards inachevé.

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Le Conseil constitutionnel à l’heure du procès équitable

Anticipant l’entrée en vigueur de la loi organique, le Conseil constitutionnel a révisé son règlement intérieur le 4 fé-vrier 2010 pour y intégrer les exigences qui dérivent de la notion de «procès équitable» , prévenant par là même une potentielle et fâcheuse condamnation de la Cour européenne de Strasbourg.

Le président du Conseil garantit en effet le caractère contradictoire de la procédure et les représentants des par-ties sont invités à présenter des obser-vations orales sur la base du mémoire transmis par la partie adverse. Le Conseil peut encore, pour les besoins de l’instruction, recourir à une audi-tion, à laquelle les parties sont invitées à assister.

Les audiences sont, elles, publiques et retransmises en direct dans une salle ouverte au public dans l’enceinte du Conseil constitutionnel .

De réelles difficultés sont néanmoins apparues dès les premiers mois de l’application de la nouvelle procédure du fait de l’ajout, par la loi organique, de l’épithète «prioritaire», à la dénomi-nation de «question de constitutionna-lité». La Cour de cassation a en effet in-terrogé la Cour de Luxembourg à titre préjudiciel au sujet de la conformité de cette priorité d’examen au principe de primauté du droit européen, qui peut notamment impliquer la transmission d’une question préjudicielle en validité ou en interprétation d’une norme euro-péenne . Reprenant pour une large part les arguments du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel en faveur d’une conciliation des deux mécanismes, la Cour de justice de l’Union européenne a posé pour conditions à cette confor-mité que le juge national demeure libre de lui transmettre une question préju-dicielle à tout moment de la procédure, que, dans l’hypothèse où il poserait une question prioritaire de constitutionnali-té, il puisse ordonner des mesures pro-visoires visant à préserver la préémi-nence du droit européen, et qu’il puisse enfin écarter la loi nationale en contra-riété avec le droit européen, indifférem-

ment de l’issue donnée à l’exception d’inconstitutionnalité. Le dialogue entre juges européens et français aura ici pleinement joué.

Un approfondissement des garan-ties de l’Etat de droit

En dépit de ces réticences initiales exprimées par la formation de la Cour de cassation spécialement chargée de l’examen des questions de constitution-nalité, le nouveau mécanisme a permis l’abrogation saluée de dispositions lé-gislatives en contrariété manifeste avec des principes tirés du bloc de constitu-tionnalité.

Dans une décision de juillet 2010, le Conseil constitutionnel déclarait ainsi inconstitutionnel le régime de droit commun de la garde à vue, en égard à son atteinte disproportionnée aux droits de la défense et à la présomp-tion d’innocence, ainsi qu’à sa bana-lisation. Le réexamen, par le Conseil, de ces dispositions, déjà validées avant leur promulgation, était en effet motivé par un changement de circonstances, le recours à la garde à vue ayant été «bana-lisé […] y compris pour des infractions mineures» (cons. 18).

Le Conseil constitutionnel a néan-moins pris garde de ne pas engager un conflit avec le Parlement en lui laissant pour charge de se prononcer sur cer-taines questions de société. Les sages ont ainsi refusé de déclarer contraires au principe d’égalité l’interdiction du mariage homosexuel et de l’adoption au sein d’un couple non marié. Ils ont encore attribué un brevet de constitu-tionnalité au dispositif «anti-Perruche», relatif aux conséquences des erreurs de diagnostic prénatal.

Un autre aspect de la réforme a cepen-dant suscité de réelles interrogations. Usant de la faculté ouverte par l’article 62 de la Constitution, les juges de la rue de Montpensier ont en effet déclaré inconstitutionnelles, dans leur décision précitée du 30 juillet 2010, les disposi-tions relatives au régime de droit com-mun de la garde à vue, mais unique-ment à compter du 1er juillet 2011. De cette position dérivent deux difficultés juridiques.

Il avait premièrement pu apparaître troublant, sur le plan des principes, de continuer à faire appliquer des dispo-sitions déclarées inconstitutionnelles, dans l’attente que le Parlement n’en vote de nouvelles.

La seconde difficulté concerne enfin le requérant, victorieux devant le Conseil constitutionnel, mais qui ne bénéficie pas de la mise à l’écart de la disposition au cours de son litige.

Pour répondre à ces difficultés, la Cour de cassation a imposé, dans un arrêt d’avril 2011, la présence, sans délai, d’un avocat lors des gardes à vue, avant même le vote de la nouvelle loi. Les réactions médiatiques furent alors excessives, le député et ancien magis-trat Jean-Paul Garrand y voyant «des contradictions gravissimes entre nos cours suprêmes», car le Conseil d’Etat avait déjà ouvert la voie en affirmant, dès une décision de novembre 2010, «qu’en principe, une déclaration d’in-constitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question priori-taire de constitutionnalité» .

Mais cette question de la modulation dans le temps de l’abrogation de dis-positions déclarées inconstitutionnelles interroge plus largement quant à la constitutionnalisation, jusqu’ici refusée par le Conseil, du principe de sécurité juridique, principe général du droit au sens des juges du Palais-Royal .

Le filtrage des questions par les cours suprêmes, un nouveau rap-port entre le juge et la loi

Un autre aspect de la réforme, qui dé-rive de la fonction de filtre des ques-tions attribuée aux cours suprêmes, mérite attention.Si plus de cent décisions ont en effet été renvoyées par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation durant la première année, soit un quart des questions soulevées devant les cours suprêmes, la révision n’a pas semblé engorger le contentieux devant le Conseil. L’en-semble des commentateurs a ainsi salué la modération dont ont fait preuve les cours suprêmes dans leur transmission des questions. Mais peu ont néanmoins relevé le nouveau rapport qui s’instau-

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rait alors entre le juge et la loi.

Pour être susceptibles d’être transmises au juge constitutionnel, les questions de constitutionnalité doivent en effet pré-senter, au sens de la loi organique, un caractère sérieux et nouveau. La Haute juridiction administrative a interprété cette disposition de manière alterna-tive, une question nouvelle devant être transmise au Conseil, même dépourvue de tout caractère sérieux.

Exerçant cette fonction de filtre, les cours suprêmes se muent en «juges constitutionnels négatifs», notamment lorsqu’elles refusent de transmettre une disposition législative et ne sauraient, par conséquent, la regarder comme inconstitutionnelle.

Le poids de ce contrôle ne doit cepen-dant pas être surévalué puisqu’il se borne, en principe, à un contrôle de l’évidence, comparable à l’office du juge des référés qui manie la condition du «doute sérieux». Ceci expliquerait qu’aucune QPC n’ait été traitée par des formations supérieures de jugement et, qu’à l’inverse, la plupart l’aient été en sous-section jugeant seule.Des évolutions peuvent toutefois être envisagées, le rapporteur Jean-Luc

Warsmann auprès de la commission des lois de l’Assemblée nationale ayant notamment proposé en octobre 2010 la suppression du filtre et l’instauration d’un mécanisme d’appel des décisions de non-renvoi rendues par les cours suprêmes.La plus large question de la réforme du Conseil constitutionnel, et notamment de sa mue en réelle cour constitution-nelle, sera ainsi amenée à se reposer.

Vers une réforme d’ampleur de la composition du Conseil constitu-tionnel ?

Si le nouveau règlement du Conseil ouvre la possibilité aux parties de de-mander la récusation de ses membres, le seul fait que l’un d’eux ait participé à l’élaboration ou au vote de la dis-position contestée ne constitue éton-namment pas, à lui seul, un chef de récusation. Le Professeur Yves Gau-demet relevait déjà cette contradiction : «Lorsque le Conseil constitutionnel sera saisi de lois votées et promulguées, qui siégera ? Des présidents de la Ré-publique, signataires de la loi, l’ancien président de l’Assemblée nationale, le président de commission qui a pris parti dans le débat législatif, le rappor-teur, les parlementaires, des membres

du Conseil d’Etat qui étaient dans les formations administratives qui ont exa-miné le projet de loi ?» .

Il ne serait pas irréaliste d’imaginer que la Cour européenne de Strasbourg, fi-dèle à sa jurisprudence, puisse à l’ave-nir déclarer la composition du Conseil contraire au principe d’impartialité de la formation de jugement.

Enfin et plus largement, le mode de no-mination des membres du Conseil et le siège de droit accordé aux anciens pré-sidents de la République apparaissent comme un anachronisme alors même que s’est singulièrement amplifié le rôle du Conseil depuis 1971.

Gageons que de nouvelles réformes seront engagées dans les années qui viennent, lorsqu’un plus large bilan pourra être tiré des évolutions au-jourd’hui à l’œuvre. Mais pour l’heure, la QPC demeure une promesse inache-vée.

Rayan Nezzar

Pour approfondir :

Bernard Stirn, « Un an de QPC du point de vue de la juridiction administrative : des objectifs atteints, des doutes dissipés », AJDA 2011 p. 1240. Alexandre Lallet, Xavier Domino, « An I ap. QPC », AJDA 2011, n° 7, p. 375-387.Yves Gaudemet et Hugues Portelli, « La question prioritaire de constitutionnalité », RDA n° 2, oct. 2010, p. 11 s. CEDH, arrêt Ruiz Matteos c/ Espagne du 23 juin 1993 : les exigences de l’article 6§1 de la Convention trouvaient application dès lors qu’une décision rendue par une cour constitutionnelle était déterminante pour la résolution d’un litige.Cass, 16 avril 2010, Aziz Melki et Sélim Abdeli, n° 10-40.002.CC, n° 2010-605 DC, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, 12 mai 2010 et CE, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305.CJUE, 22 juin 2010, C-188/10 et C-189/10, Aziz Melki et Sélim Abdeli.CC, n° 2010-14/22 QPC, M. Daniel W., 30 juillet 2010.CC, n° 2010-92 QPC, Mme Corinne C. et autres, 28 janvier 2011.CC, n° 2010-39 QPC, Mmes Isabelle D. et Isabelle B., 6 octobre 2010.CC, n° 2010-2 QPC, Mme Lazare, 11 juin 2010.Cass. Plén., n° 589 du 15 avril 2011 (10-17.049), Mme X : « Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » (attendu 1).CC, n° 2010-71 QPC Mlle Danielle S., 26 novembre 2010.CE, Société KPMG et autres, 26 mars 2006, n° 288460 et s.CE, M. Daoudi, 8 octobre 2010, n° 338505.CEDH, 8 février 2000, McGonnell c/ Royaume-Uni, n° 8488/95.

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Se dédouaner de l’Europe : la stratégie de «blame avoidance»

A partir des années 1990, certains Etats comme la France renforcèrent l’impératif européen avec une insistance inattendue pour mener à bien leurs réformes. Or ces réformes, fortement impo-pulaires, n’ont pas pour simple origine la signature du traité européen de Maastricht : leur idée était envisagée voire acceptée dans les décennies précédentes, au niveau national.

«L’Europe de Maastricht», c’est l’Europe libérale. L’Europe libérale, c’est l’Europe des technocrates et des acteurs privés. Armée de ses normes et de ses directives, c’est celle qui détruit les services publics «à la française». C’est à ses règles que les Etats doivent se conformer. Et ce n’est qu’un des différents discours sur l’Europe qui existent en France.

De la révérence à la référence

Cette association d’idées s’explique en grande partie par la stratégie de communi-cation employée par les gouvernements qui ont accompagné et suivi la mise en applica-tion du traité de Maastricht, ratifié au cours de l’année 1992. Les réformes publiques furent en premier lieu justifiées par les engagements pris au niveau européen. Le passage à la monnaie unique, prévu dans le traité, fit de la réduction du déficit bud-gétaire une nécessité impossible à repor-ter. La mise en application de la législation communautaire dans les temps impartis devint un argument valable pour conquérir l’assentiment des opinions publiques, alors même que la France fut longtemps l’un des Etats les plus récalcitrants dans l’applica-tion des directives communautaires et le plus contestataire quant il s’agissait de libé-raliser les marchés.

Pourquoi un tel revirement dans l’orches-tration des réformes ? Les chercheurs ap-pellent cela une stratégie «d’évitement de blâme», en anglais blame avoidance. Dans un tel contexte, les privatisations de 1993 à 1995 étaient bien dans l’air du temps, bien que la pratique fût déjà courante dans les années 1980. Les impératifs européens renforçaient en réalité à point nommé les efforts nationaux d’économies budgé-taires. Dans les communiqués de presse de l’époque, l’équipe gouvernementale soulignait cette contrainte ad nauseam, de manière continue, sans tenter d’aller au-delà du mot-valise Europe. «Maastricht» devint par abus le moyen de justifier le plan retraites du Premier Ministre Alain Juppé,

lancé en septembre 1995. Pourtant, si l’on examine les Livres Verts de la Commission européenne publiés au début des années 1990, la question des retraites reste encore secondaire. Le travail de la Commission eu-ropéenne suivait une approche sectorielle, s’attachant à déceler des potentiels de crois-sance économique dans des secteurs sus-ceptibles de créer de l’emploi : transports, nouvelles technologies de l’information et de la communication, environnement.

Révolution silencieuse

Pourtant, le caractère «libéral» de l’Europe serait plutôt à imputer à l’Acte Unique, si-gné en 1985 et ratifié en 1986, qui, à bien des égards modela nos économies de mar-ché, faisant de cette dernière la «norme» et la «contrainte», d’après les mots de Nicolas Jabko. Ni les Etats ni l’opinion publique, tous deux beaucoup moins méfiants à l’égard des logiques de marché, n’expri-mèrent de désaccord de principe et si-gnèrent avec enthousiasme le traité. On ne pensait pas que les 300 mesures énumérées dans le Livre Blanc de 1985 seraient mises en application aussi promptement. «Per-sonne, sauf peut-être Jacques Delors», se-lon Hubert Védrine, ne s’est attendu à une action de la Commission si revigorée en matière de démantèlement des monopoles nationaux ou dans l’intégration financière.

Car les Etats européens s’étaient pour la plupart déjà engagés d’eux-mêmes dans la libéralisation de leurs économies. Celle-ci s’imposa par la conjoncture internationale. L’abolition du système des changes à parité fixe en 1971 fit du marché le seul arbitre de la valeur des monnaies. La course à la tech-nologie imposait, quant à elle, une circula-tion des capitaux plus fluide dans le cadre d’un marché libre des capitaux, appelant à terme à repenser les politiques industrielles et l’action de l’Etat. Enfin, l’interdépen-dance des économies imposa des politiques d’orthodoxie budgétaire, là où la France tenta avec l’insuccès qu’on lui connait, une politique keynésienne assumée de relance,

en 1981. C’est ainsi que la première grande vague de privatisations de 1986, par ailleurs l’une des plus importantes des pays de l’OCDE, fut déclenchée par le Premier Mi-nistre Jacques Chirac, sans pression impé-rieuse exprimée au niveau supranational. A l’époque déjà pensait-on réformer les struc-tures de certains services gérés par l’Etat, principalement pour des raisons d’efficacité et de compétitivité. La première commis-sion d’enquête parlementaire étudiant par exemple l’opportunité d’une séparation entre le secteur des télécommunications et celui de la poste, autrefois réunis sous un ministère des PTT, se tint en 1974. Les idées de réformes structurelles, qui furent suggérées au niveau européen, étaient en réalité déjà semées dans les esprits des élites dirigeantes des différents Etats européens.

Euroscepticisme

A l’heure des exigences en matière budgé-taire, formulées et reformulées par le milieu de la finance, dans un contexte où les gou-vernements tombent dans l’impopularité et doivent se concerter au niveau européen, il est plus simple, à court terme, d’attribuer l’origine de réformes nationales difficiles à des institutions venant de l’extérieur, en l’occurrence les marchés financiers et l’Europe. L’interdépendance entre les Etats de l’Union Européenne est devenue mani-feste, à l’image des sommets européens qui se succèdent depuis 2010, et celle-ci est utilisée dans le discours eurosceptique. Ce qui devient très dommageable en termes d’image : l’Europe est mystifiée, associée à un libéralisme particulièrement contrai-gnant, par un raccourci rapide mais qu’il est devenu difficile de contredire. Au détriment de la qualité des débats publics sur les insti-tutions actuelles.

Catherine Abou El Khair

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2012 et l’Europe

L’Europe est un sujet sur lequel chaque parti politique est attendu. Elle est pour certains la seule voie d’avenir possible, pour d’autres le péché originel. Les discours sur l’Europe peuvent vite apparaître comme empreints de théologie.

Poser la question de l’Europe à un candidat à l’élection pré-sidentielle en France est un moyen infaillible de se renseigner par exemple sur la profondeur de sa position vis-à-vis du libéralisme économique. C’est là où le bât blesse, alors que l’Europe, paradoxe, est un sujet qui échappe aux électeurs par la division qu’elle crée d’abord à l’intérieur des grands partis politiques.

Que pouvons-nous attendre, nous électeurs, de l’Europe en cette année 2012? Voilà déjà quelques années que le moteur à croissance que fut l’intégration européenne s’est ralenti, faute d’avoir pu réinventer l’économie de marché : l’idée que le répertoire libéral s’est épuisé se défend aujourd’hui aisément, les associations d’idées sont bien rodées, les argu-ments à l’appui. L’espoir de porter les intérêts de la France au niveau européen a aussi perdu de sa superbe, car on sait de moins en moins quels sont les intérêts de la France et des Français par rapport à leurs homologues. La voix risque

d’autant moins de porter que l’on sait à quel point la réali-sation d’un consensus est à la fois nécessaire mais difficile à atteindre à vingt-huit. Celui qui demande par conséquent la révision des traités aurait intérêt à se pourvoir d’une défense solide et d’être excellent pédagogue.

Pour un homme politique, l’Europe n’est pas un des sujets principaux dans une campagne présidentielle. Il est impor-tant de savoir employer son temps de parole à la télévision, et un sujet comme l’Europe risquerait de prendre trop de temps s’il était évoqué dans ses détails. Les débats aux pri-maires socialistes en novembre 2011 ont montré l’absence de diagnostic commun sur l’Europe, chaque candidat à la candidature lançant sa propre vision en quelques mots-clés, parmi lesquels l’Europe comme «confédération d’Etats-Na-tions», «fédérale» et «politique», ou «qui protège». Ces mots renvoient pourtant à des idées très différentes du «vivre-en-semble».

Les partis politiques en campagne ont à de nombreuses re-prises bien compris à quel point l’Europe est un sujet épi-neux, aux gains incertains. Les questions européennes déper-sonnalisent par avance ceux qui prétendent à la monarchie

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républicaine : il n’y a pour l’instant que François Bayrou pour défendre explicitement la méthode communautaire sans crainte d’en être affadi, là où tout parti souverainiste s’appuie sur un puissant porte-voix supposé prendre à bras le corps la question du leadership européen. L’appréciation de l’Europe a également tendance à être en proie au politiquement cor-rect de nos jours : le discours européiste ne perce pas dans des contextes de fortes contestations du «système», même lorsqu’il existe un consensus de fond : on l’a vu en 2005, lorsque le Parti Socialiste n’a pas fait entendre son «oui» au traité constitutionnel, prononcé en décembre 2004 par 58,6% des militants socialistes et approuvé par François Hol-lande (alors Premier Secrétaire du Parti Socialiste). L’écho du «non» lancé par Laurent Fabius eut la plus grande résonance dans les médias, grâce à la polémique sur la directive Bolkes-tein. Le sujet de l’Europe permet en réalité à une personna-lité politique de se démarquer par rapport à ses concurrents et de gagner en termes d’image, au mépris de l’élaboration d’une politique européenne consensuelle.

Dans ce contexte de crise, appelant à une solution de nature européenne, comment parler de l’Europe aux électeurs ? Comment lui donner une juste place dans le débat ? L’Eu-

rope est-elle un angle d’analyse pertinent pour jauger les pré-tendants à la présidence ? Ces questions mériteraient d’être posées et reposées au gré des événements et des déclarations qui seront faites au cours de la présente campagne présiden-tielle.

Catherine Abou El Khair

Pour approfondir : www.vigie.2012.eu

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Rubrique Etudiant(e)s

Portrait de M. Yann AguilaLes modules Career Building de Sciences Po Avenir : quelle utilité?Actualités AMAE/AMAP

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Yann Aguila : PortraitLe pôle étudiant de la Revue APE se renouvelle : nous avons choisi, pour vous aider dans votre orientation professionnelle, de nous intéresser, dans chaque numéro, à la carrière d’un des professeurs de nos masters.

Yann Aguila, professeur de droit public des étudiants de première année du master Affaires publiques, a accepté de se prêter à cet exercice. Retour sur le parcours remarquable de ce conseiller d’Etat, qui a rejoint en septembre 2011 le cabinet d’avocat Bredin-Prat, où il dirige actuellement le départe-ment de droit public.

Capucine Capon- Vous avez été élève à l’IEP d’Aix en Provence : quels souvenirs en gardez-vous ? Que vous a apporté l’expérience de l’IEP par rapport à celle de la faculté ?

Yann Aguila- J’ai d’abord été étudiant en droit à Aix en Provence, dont la faculté de droit, je tiens à le préciser, est excellente. J’ai par exemple pu compter MM. Favo-reu et Atias au nombre de mes professeurs. C’est donc pour compléter ma formation que j’ai rejoint l’IEP d’Aix, où je pensais pouvoir trouver l’ouverture que je recherchais. Je n’ai pas été déçu ! J’ai pu y étudier les questions sociales, internationales et économiques, et même découvrir un peu le journalisme. Je m’y suis beaucoup plu et ce d’autant que j’ai eu la chance d’avoir d’excellents intervenants. Intégrer l’IEP m’a aussi per-mis de rencontrer des étudiants aux profils divers, peut-être plus qu’à la faculté. En un mot, cette expérience fut un appel d’air des plus bénéfiques !

Après l’IEP, j’ai effectué mon service militaire. J’y ai fait de belles rencontres et j’ai croisé des gens qui avaient préparé le concours de l’ENA et m’ont encouragé à faire de même. Les discussions que nous avons pu avoir à ce sujet ont démystifié l’ENA, que je connaissais mal et qui me semblait inatteignable. Je redoutais un concours fondé sur les sciences dures, comme celui de l’école Polytechnique. C’est donc presque par hasard que je suis finalement venu préparer l’ENA à Paris. Je n’y avais jamais trop pensé auparavant... et j’ai réussi le concours. Cette trajectoire personnelle me rend particulièrement attaché à l’idée d’une ENA ouverte, accueillant des étu-diants aux profils variés.

C.C.- Et qu’avez-vous pensé de la formation à l’ENA ?

Y.A.- J’ai trouvé l’expérience très enrichissante tant sur le plan humain que d’un point de vue académique ! Rien

à voir avec la « machine à trier » que certains m’avaient décrite. J’y ai beaucoup appris, y compris des choses très concrètes comme des notions de gestion financière ou comptable, qui me sont aujourd’hui très utiles pour comprendre le monde de l’entreprise. Cela m’a égale-ment permis d’améliorer mon niveau de langue, même si je reste très mauvais ! (rires).

C.C.- Vous avez ensuite choisi le Conseil d’État : qu’est-ce qui vous a attiré dans cette institution ?

Y.A.- Le Conseil d’Etat est une institution qui possède deux atouts majeurs : l’équilibre et la liberté. C’est ce qui m’a attiré dans la fonction de Conseiller d’État, et c’est là la richesse de l’institution.

En tant que juriste, le Conseil d’État permet en effet un équilibre idéal entre réflexion et action juridique. C’est un véritable lieu de réflexion, mais c’est aussi une ins-titution tournée vers l’action, vers la « vraie vie. » Les conseillers d’État sont amenés quotidiennement à se prononcer sur des enjeux de société actuels aussi com-plexes que la laïcité ou la burqa par exemple. A ce pro-pos, la tradition d’allers-retours des membres du Conseil d’ État entre le Conseil, l’administration et le privé est, à mon sens, essentielle pour conserver cette dose de pragmatisme nécessaire à l’office du juge administratif. Comme dirait Portalis, le juge, comme le législateur, « ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ».

En outre, j’ai été attiré par la liberté, tant matérielle qu’intellectuelle, offerte dans cette institution. Par liberté matérielle, je veux dire que le mode de travail est très flexible et laissé au libre choix du Conseiller d’État. Nous sommes tenus d’assister aux séances, bien sûr, mais sinon, je travaillais beaucoup chez moi. La liberté intellectuelle, quant à elle, n’est pas seulement

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une possibilité, c’est un devoir ! Le juge se doit d’être indépendant et le Conseil d’État laisse à ses membres une pleine et entière liberté d’opinion et d’expression, à la condition évidente d’y mettre les formes.

C.C.- Pouvez-vous évoquer rapidement les différentes fonctions que vous y avez exercé ? Secrétaire général adjoint par exemple ?

Y.A.- Le secrétariat général du Conseil d’État s’occupe de la gestion des tribunaux administratifs. En tant que secrétaire général adjoint, j’étais donc l’équivalent d’un directeur de cabinet d’un mini-ministère de la justice administrative. Ce fut encore une fois une expérience très enrichissante : je me suis ainsi rendu physiquement dans la quasi totalité des tribunaux administratifs de France (il y en a une quarantaine). J’y ai rencontré de très nombreux magistrats, greffiers... Cela m’a permis de me rendre compte des réalités du terrain et de mieux comprendre le sens de certaines décisions qui arrivent jusqu’au Conseil d’État. La fonction implique égale-ment des compétences de gestionnaire, puisque c’est le Conseil d’État qui s’occupe du budget des juridictions administratives. J’étais donc engagé dans des négocia-tions avec Bercy, ce qui montre un tout autre aspect de la juridiction administrative !

C.C.- Et commissaire du gouvernement ?

Y.A.- Ah, le Commissaire du Gouvernement ! C’est la plus belle fonction du Conseil d’État. En tant que com-missaire du gouvernement, l’actuel rapporteur public, j’ai été heureux de contribuer à l’élaboration de la doc-trine juridique administrative. C’est la partie « visible » du métier de juge administratif, ce qui lui confère son caractère honorifique.

C.C.- Que pensez-vous des évolutions récentes du Conseil d’État ?

Y.A.- Le Conseil d’État est une institution à deux visages qui reste fortement impliquée dans ses deux missions. Je pense que certaines réformes étaient nécessaires, comme le passage du « commissaire du gouvernement » à celui de « rapporteur public » : cela a permis de mieux faire comprendre la fonction aux justiciables, voire même aux avocats, que le terme de « commissaire du gouvernement » induisait logiquement en erreur. Le commissaire du gouvernement était trop souvent perçu comme une partie, alors que c’est un membre de la juri-diction à part entière. L’appellation « rapporteur public » est plus transparente : le rapporteur est en effet celui qui prend la parole en public.

D’une façon générale, je pense que les évolutions ac-tuelles du Conseil d’État sont nécessaires à son main-tien. Le Conseil d’État est une institution qui a toujours su évoluer dans la continuité. Aujourd’hui, les évolu-

tions se font dans le bon sens, comme le déplacement du centre de gravité vers le Parlement, qui en fait davan-tage le gardien de la qualité de la loi. Il me semble que le Conseil d’État rompt de plus en plus le cordon om-bilical qui le liait à l’administration. C’est à mon sens, la condition de sa permanence. Une autre orientation possible eut été d’adopter une solution à la luxembour-geoise, c’est-à-dire une distinction nette des fonctions de conseiller et de juge (jurisprudence de la CJUE de 1995 Procola c/Luxembourg).

Vous avez été conseiller juridique du Président du Séné-gal : comment cette opportunité s’est-elle présentée ?

L’opportunité ne s’est pas présentée complètement par hasard. Depuis Léopold Sédar Senghor, lui même ancien député français, le Président de la République sénégalaise s’était toujours entouré d’un conseiller juri-dique français, souvent issu du Conseil d’État. Lorsque l’un de mes pairs, Michel Auriac, a terminé sa mission en 1995, il m’a senti intéressé et m’a proposé de lui suc-céder. J’ai évidemment saisi cette opportunité. Je suis resté cinq ans au Sénégal, et je crois bien être le conseil-ler juridique qui y est resté le plus longtemps. Ce fut une expérience formidable qui m’a énormément appris à tout point de vue.

C.C.- Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

Y.A.- Tout d’abord ce fut pour moi une rencontre avec l’Afrique, du moins la découverte d’une des facettes de l’Afrique. Cette rupture complète avec le microcosme parisien, m’a conduit à relativiser ma propre culture. Les structures familiales et la représentation du monde qui m’étaient familières, et me semblaient couler de source, me sont apparues dans toute leur rigidité. Ce fut un dépaysement complet ! Ce fut aussi mon premier contact avec la «vraie» poli-tique, et cet aspect de la mission était très intéressant. Dans le cadre de ma fonction de conseiller juridique, je rencontrais le Président, d’abord Abdou Diouf, puis Ab-doulaye Wade, presque toutes les semaines. Nous nous entretenions surtout de points très techniques bien sûr, mais lui devait ensuite prendre en compte des données culturelles, politiques, ethniques en plus des contraintes techniques que je lui exposais. C’est là que l’exportation d’un régime juridique montre le mieux ses limites. J’ai surtout pu constater un mélange des traditions : d’une part, le modèle politique et juridique du Sénégal est cal-qué sur le modèle occidental (un Président, un Parle-ment…) et d’autre part, toutes ces institutions ont héri-tées des traditions locales. Par exemple, la plupart des anciens chefs traditionnels sont devenus députés… des députés qui tendent à changer de parti à chaque chan-gement de présidence !

Je pense que les Africains ont beaucoup à nous ap-

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prendre, en termes de démocratie participative par exemple. La culture du consensus est beaucoup plus forte. L’opposition manichéenne gagnants/perdants y est très relative : tout est discuté, négocié, renégocié. Mes cinq ans m’ont permis de relativiser mes certitudes. Ce type d’expérience amène à faire preuve d’un peu d’humilité avant de donner des leçons. Comme disait Amadou Hampaté Ba, « il y a ma vérité, il y a ta vérité et il y a La vérité ».

C.C.- Vous enseignez à Sciences Po, à l’Ecole de Forma-tion du Barreau de Paris ainsi qu’à l’université Paris-I : que vous apporte cette activité ?

Y.A.- Et bien, comme beaucoup de juristes, une syner-gie entre la pratique et la théorie : je peux nourrir mon cours d’exemples puisés dans ma vie professionnelle, et je pense que c’est enrichissant pour les étudiants. Par ailleurs, être professeur tout en étant juge, et plus encore en tant qu’avocat, me permet d’avoir une vision globale d’une matière, alors qu’on n’en voit qu’une par-tie infime selon les dossiers que l’on étudie tout au long de sa vie professionnelle. Connaître les grands principes d’où dérivent les règles permet d’avoir des intuitions sur les réponses de droit à apporter. Enfin cela oblige bien sûr de se remettre à jour en permanence : si je n’étais pas enseignant, je ne sais pas si je prendrais le temps de le faire !

C.C.- Percevez-vous une différence entre les étudiants d’aujourd’hui et ceux de votre génération ?

Y.A.- J’ai l’impression qu’il y a en général davantage de pragmatisme parmi les étudiants d’aujourd’hui, qui sont davantage tournés vers la professionnalisation. La de-mande d’ouverture à l’international est également l’un des points forts de la génération actuelle. C’est là une des qualités principales de Sciences-Po, qui a su prendre ce virage, et semble s’ouvrir toujours plus.

C.C.- Pour finir, quelques conseils aux étudiants de Sciences Po ?

Y.A.- Intéressez-vous au droit public ! C’est une niche professionnelle avec des besoins très forts, méconnue des étudiants de Sciences po, et qui pourtant mérite que l’on s’y intéresse. En dehors du Conseil d’État, il y a de plus en plus besoin d’avocats spécialisés en droit public. Outre les masters proposés par l’école de droit, la for-mation générale offerte par le master Affaires Publiques par exemple donnerait une ouverture très appréciable à de futurs avocats.

Plus généralement : Soyez passionnés ! C’est ce qui vous distinguera des autres dans les concours et vous permet-tra ensuite de vous épanouir dans votre vie profession-nelle.

C.C.- Vos références littéraires ?

Y.A.- Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Je me suis amu-sé à le citer dans les conclusions de mes deux arrêts au GAJA (à savoir KPMG et Commune d’Annecy), parce qu’ils s’y prêtaient bien sûr, mais aussi parce que j’aime l’équilibre entre la simplicité du propos et la profondeur de vue.

C.C.- Une figure qui vous inspire en particulier ?

Y.A.- Il y en a beaucoup. Mais au vu de mon parcours, je penche pour Portalis, naturellement. Il offre un parfait équilibre entre l’homme d’action (membre du Conseil d’État, rédaction du Code civil, avocat) et l’homme de réflexion. Ce fut un penseur du droit extraordinaire, dont le propos n’a pas pris une ride. Lisez son discours préliminaire au Code civil. Tout est dit, c’en est presque déprimant pour les juristes actuels ! (rire)

M. Aguila, merci pour cet entretien.

Amélie Roux et Capucine Capon

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Les modules Career Building de Sciences Po Avenir : quelle utilité?

Aussi bien destinés à la majorité des étudiants des masters Affaires Publiques et Eu-ropéennes qu’à ceux souhaitant mieux connaître le secteur privé, les ateliers « Career Building » permettent de clarifier les projets professionnels.

D’abord proposés en deuxième année de master sous la forme d’un module de 4 heures, puis en M1, les ateliers Ca-reer Building ont aujourd’hui pris leur forme définitive : 2 séances de 2 heures reparties sur le premier semestre. Afin de valider les modules Career Building et obtenir les quatre crédits promis, les étudiants doivent assister aux deux séances, réaliser et rédiger des inter-views avec 3 professionnels, de préfé-rence dans des secteurs différents, et enfin résumer l’ensemble de leur expé-rience au sein de ce module, en mettant en évidence l’avancement de leur projet personnel.

Assurés par des professionnels en ressources humaines, ces ateliers ont pour objectif d’amener l’étudiant à entrer dans une démarche active de « construction de carrière » : celui-ci est donc encouragé à se renseigner sur les différents secteurs qui l’intéresse et à rencontrer 3 professionnels dans le ou les domaines l’attirant le plus. Ces interviews, qui doivent être rédigés et transmis à Sciences Po Avenir, sont ain-si l’occasion pour lui d’avoir une vision concrète du métier envisagé et ainsi de dépasser les éventuelles réticences ou au contraire idéalisations. Les ren-contres avec ces professionnels peuvent également, directement ou grâce au «réseautage», permettre aux étudiants de trouver leur stage de deuxième an-née. Solution la plus simple mais pas forcément la moins intéressante, de nombreux étudiants commencent par interroger certains de leurs professeurs. Plusieurs des responsables des confé-rences de méthode ont le statut de vacataires. Ils exercent en plus de leur cours à Sciences Po, une activité pro-

fessionnelle, souvent en lien direct avec les connaissances acquises par les étu-diants. Les professeurs seront proba-blement les mieux à même de connaître le profil des étudiants et pourront donc leur donner de nombreux et précieux conseils.

Les étudiants - 200 inscrits cette année, répartis en 20 groupes - ne sont pas regroupés par Master, ces ateliers ayant vocation à être plus généraux. Les étu-diants en affaires européennes et pu-bliques, traditionnellement plus enclin à embrasser des carrières dans le secteur public, pourront donc être surpris dans un premier temps de se retrouver avec des étudiants qui veulent prendre des directions totalement différentes. Cette diversité peut néanmoins avoir plu-sieurs aspects positifs : les étudiants en APE peuvent être amenés à envisager d’autres types de carrière, voire déni-cher un type de métier qui sera ensuite une deuxième option dans le cas d’un éventuel échec aux concours, et ainsi aborder ceux-ci plus sereinement. De plus, les procédures de sélection de la fonction publique, française ou euro-péenne, tendent à se rapprocher de l’en-tretien d’embauche classique, comme le démontre par exemple la direction prise ces dernières années par l’ENA pour son oral d’admission. Une telle «mixité» pourra aider les étudiants à découvrir le déroulement des embauches dans le secteur privé, qui pourrait autrement leur faire défaut.

En plus des ateliers Career Building, les étudiants qui auraient des demandes plus spécifiques peuvent également solliciter Sciences Po Avenir afin que soient mis en place des ateliers ad hoc.

Ainsi, à la demande d’un professeur, un atelier de préparation au concours de commissaire de police a été ouvert pour un semestre l’année dernière. Ces ouvertures sont ponctuelles, il ne faut donc pas hésiter à entrer en contact avec Sciences Po Avenir.

Puisque le public qui sollicitera les offres de Sciences Po Avenir rajeunit, il a été proposé de mettre en place de tels modules dès le collège universi-taire ainsi que de proposer une semaine d’orientation pour les étudiants de pre-mier cycle dès le mois de janvier, et ce pour contrer le climat d’inquiétude qui peut naître face à la pluridisciplinarité des ces premières années ou lors du choix crucial de master pendant la troi-sième année. D’une manière générale, et exceptés ceux qui s’inscrivent uni-quement pour les crédits, les retours des étudiants sont très positifs : beau-coup d’étudiants insistent sur le fait que ces ateliers leur ont permis de rentrer dans une «dynamique» de recherche et d’affiner leur projet professionnel. Mais ces ateliers ont avant tout, par les mé-thodes de réflexion qu’apportent les in-tervenants, un effet rassurant face à un marché de l’emploi qui est souvent mal connu et apeurant, particulièrement en ces temps de crise.

Térence Serbin

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Actualités AMAE /AMAP

A la fin du semestre dernier a eu lieu la fin du mandat du bureau de l’Association du Master Affaires Européennes 2011 et simultanément l’élection d’une nouvelle équipe, constituée de:

- la Présidente: Anna Sciortino- la Vice-présidente: Kateryna Perepechay- le Secrétaire Général: Clément Bresson- la Trésorière: Mailys Démeaulte- les responsables communication: Gaudérique Traub, Borja Arrue- les responsables événementiel: Maria Fossarello, Laure Pontis, Liga Semane, Dimitar Dermendzhiev

Cette équipe, fortement multiculturelle, s’attèlera à l’animation de la vie du Master Affaires Européennes. L’accent sera mis en particulier sur l’organisation de rencontres professionnelles pendant lesquelles les étudiants du master pourront s’entretenir et obtenir des informations avec des professionnels dans plusieurs secteurs des affaires européennes. La nouvelle équipe de l’AMAE organisera également des événements entre étudiants afin de faciliter l’intégration des nouveaux arrivants et pour contribuer à une atmosphère agréable dans le master. L’AMAE espère non seulement encourager un esprit d’entraide entre étudiants, mais espère également faciliter la liaison entre l’équipe pédagogique du master et les étudiants.

N’hésitez pas à nous contacter à notre adresse mail [email protected] ou sur notre page Facebook pour toute question à propos du master, de l’organisation de ce semestre et des évènements à venir!

Nous souhaitons à tous une bonne année et un bon début de semestre!

L’équipe de l’AMAE

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RemerciementsM. Izraelewicz et l’équipe de «Lire la Société» pour l’organisation de l’entretien lors de la Journée du Livre d’EconomieM. Pierre Legendre pour le long débat fructueux dans les bâtiments de l’ENA rue de l’Observatoire Mme Bechtel pour l’entretien réalisé avec Tristan AnnootM. Aguila, qui a accepté de nous raconter son parcoursAzim Akbaraly et toute l’équipe de la revue APE 2010-2011 pour leur soutienThéophane Demonvallier et Charlotte Norlund-Matthiessen, ainsi qu’Anna Sciortino de l’AMAP et de l’AMAEFlorence Agé, responsable des ateliers Sciences Po Avenir, pour son temps et ses réponses à nos questions.

ImpressumBenoît Carval (rédacteur, responsable relations externes), Thibaut Toffier (responsable relations externes et subventions), Térence Serbin (rédacteur, responsable relations internes), Capucine Capon (rédactrice, responsable de la rubrique étu-diante), Catherine Abou El Khair (rédactrice), Rayan Nezzar (rédacteur, responsable de la rubrique juridique), Marin Schaf-fner (rédacteur), Sophie Ranger (rédactrice), Aurélia Rambaud (rédactrice) Tristan Annoot (rédacteur), Amélie Roux (rédac-trice), Alice Lala (trésorière, rédactrice) , Kimberley Botwright (rédactrice), Sophie Pornschlegel (responsable de la revue)

Crédits Photos : Merkel et Sarkozy 1 : AFP, publié sur http://www.sudouest.fr/2011/10/10/paris-et-berlin-enfin-d-accord-522034-710.php, l’euro allemand : Dennis Skley, http://www.flickr.com/photos/dskley/6033204508/, l’euro de la BCE : Davide Oliva, http://www.flickr.com/photos/davideoliva/4062883717/, l’Euro centrifugeuse : Reuters, publié sur http://www.leblogpatrimoine.com/bourse/leclatement-de-la-zone-euro-par-les-marches-financiers.html, Portrait de M. Izraelewicz : Raphael Labbé, http://www.flickr.com/photos/ulikleafar/3284127605/, «Le Monde» : Reuters, publié sur http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/medias-et-telecoms/201006/25/01-4293228-le-monde-loffre-de-france-telecom-rejetee.php, Sarkozy et Merkel 2 : Reuters, Mitterand et Kohl : Frédéric de la Mure, La Documentation Française, Charle de Gaulle et Adenauer : Ministère des Affaires Etrangères, Sarkozy et Merkel 3 : Chesi Photos CC, http://www.flickr.com/photos/pimkie_fotos/2961678058/Portrait de Mme Bechtel : Chevènement, publié sur http://www.flickr.com/photos/chevenement/4964952645/, Boccioni, «La Bataille de San Romano» publié sur http://www.blogg.org/blog-51671-date-2006-11.html, Portrait de M. Habermas : publié sur http://www.swotti.com/people/opinions_jurgen-habermas_17662.htm, Portrait de M. Legendre : Editions Fayard, publié sur http://alexandretisserand.blogspot.com/2010/11/voix-nue-pierre-legendre-avec-philippe.html, Balance de justice : Le monde, publié sur http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2011/06/30/rendre-la-justice-en-samusant/bu010579/, Flèche : Daniel D. Lsee, http://www.flickr.com/photos/danieldslee/5150511327/, Yann Aguila : publié sur http://www.univ-paris1.fr/recherche/page-perso/page/?tx_oxcspagepersonnel_pi1[uid]=yaguila&cHash=fb79679e0617d4853712f1a180f645d9 , «Ryfold Road», «How Long is Now», «Bâteaux», «Exit», «Rue à Budapest», «Graffiti», «Labo Photo», «Turbo», «Mémorial Berlin», «2012», «27, rue St. Guillaume», «Pont à Paris» : Sophie Pornschlegel

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Le prochain numéro de la revue APE paraîtra au mois d’avril sur le site www.revueape.frEnvoyez-nous vos commentaires à l’adresse suivante : [email protected] sur Facebook : «Revue Affaires Publiques et Euro-péennes» ainsi que sur Twitter «@RevueAPE»