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Revue bi-annuelle publiée par l’École Nationale Supérieure de Sécurité

Sociale

27 rue des Docteurs CharcotCS 13132

42031 Saint-Étienne cedex 2Tél : +33(0)4 77 81 15 15

www.en3s.fr

Directeur de la publication :Dominique Libault

Directeur général de l’EN3S

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Comitéde rédaction

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Comitéde rédaction

Président

Dominique LIBAULT Directeur de l’EN3S

Vice-PrésidentduHautConseildufinancementdelaprotectionsociale

Membres (par ordre alphabétique)

Pierre ALBERTINI Directeur de la CPAM de Paris

Gilles ARZEL Directeur des CPAM de Béarn, Soule et Bayonne

Jean-François CHADELAT Inspecteurgénéraldesaffairessociales,Directeurhonorairedufonds definancementCMU

Alain CHAILLAND ConseillerréférendaireàlaCourdescomptes

Julien DAMON ProfesseurassociéàSciences-Po,Conseillerscientifiquedel’EN3S

Marion DELSOL DirectricedulaboratoireIODE(UMRCNRS6262)

Benjamin FERRAS Inspecteurdesaffairessociales,ancienconseiller cabinet de la Ministre des affaires sociales et de la santé

Philippe GEORGES Inspecteurgénéraldesaffairessocialeshonoraire

Jean-Louis HAURIE Directeur de la CAF de Paris

Gilles HUTEAU Professeur en Protection sociale à l’École des Hautes Études deSantéPublique(EHESP)

Albert LAUTMAN-VIDAL DirecteurgénéraldelaFédérationNationaledelaMutualitéFrançaise (FNMF)

Gautier MAIGNE ChefdudépartementSociété,institutionsetpolitiquessociales, Francestratégie

Jérôme MINONZIO RédacteurenchefdelarevueInformationssociales,CNAF

Dominique POLTON Présidente de l’Institut des données de santé, Conseillèrescientifiquedel’EN3S

Xavier PRÉTOT Conseiller à la Cour de cassation, ancienProfesseurassociéàl’UniversitéPanthéon-Assas(ParisII)

Vincent RAVOUX Directeur du réseau des CAF, CNAF

Diane ROMAN Professeurededroitpublicàl’universitéFrançoisRabelais(Tours), membredel’institutuniversitairedeFrance

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Les opinions exprimées et les arguments employés dans les articles sont la responsabilité des auteurs et ne représentent pas nécessairement ceux de leur employeur ou de l’EN3S, éditeur de la revue.

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Sommaire

Édito Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S

Grand témoin Gilles JOHANET, Procureur général près la Cour des comptes

DOSSIER CENTRAL : LA GOUVERNANCE DE LA SÉCURITÉ SOCIALEPermanence et mutations de la solidaritéPar Jean-Pierre LABORDE, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux, membre du Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (UMR CNRS-Université n° 5114)

PARTIE A :LESRACINESDELAGOUVERNANCE

La gouvernance originelle, retour historique sur la gouvernance et ses évolutions au sein de la Sécurité socialePar Gilles NEZOSI, Directeur de la formation continue de l’EN3S

Perspectives historiques sur la gouvernance dans les complémentairesPar François CHARPENTIER, Journaliste AEF

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PARTIE B :LES FORMES ET LES DÉFIS DE LAGOUVERNANCE

La gouvernance financièrePar Benjamin FERRAS, Inspecteur général des affaires sociales, chargé de cours à Sciences-Po Paris et à l’Institut de la gestion publique et du développement économique

Une gouvernance adaptée aux nouveaux enjeux ?Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S et Vice-président du Haut Conseil au financement de la Protection sociale

Le paritarisme : définitions et délimitationsPar Julien DAMON, Professeur associé à Sciences-Po (Paris) et Conseiller scientifique de l’EN3S

Universalité, société civile et gouvernance : quelles évolutions ?Par Jean-Marie SPAETH, ancien président du Conseil d’administration de la CNAMTS, de la CNAV et de l’EN3S

PARTIE C :LA TRANSVERSALITÉ, AVENIR DE LASÉCURITÉSOCIALE ?

Une gouvernance autre : l’exemple de la MSAPar Pascal COMERY, Président et Michel BRAULT, Directeur général de la Caisse centrale de MSA

La gouvernance d’un projet en univers complexe : l’expérience de l’Union RetraitePar Jean-Luc IZARD, Secrétaire général auprès du Haut-commissaire à la réforme des retraites, ancien directeur du GIP Union Retraite

Une expérience originale de gouvernancePar Jean-Marc GEORGE, Directeur de la Caisse locale déléguée pour la Sécurité sociale des travailleurs indépendants

PARTIE D :LA GOUVERNANCE À L’ÉCHELLELOCALE

Les contrats pluriannuels de gestion : vingt ans aprèsPar Philippe RENARD, Directeur de la caisse nationale déléguée pour la Sécurité sociale des travailleurs indépendants

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N°52DÉCEMBRE 2017

Caisse d’allocations familiales et métropoles : une nouvelle donne pour la gouvernance des politiques socialesPar Philippe SIMONNOT, Directeur de la CAF du Rhône

PARTIE E :AU-DELÀDESFRONTIÈRES DELASÉCURITÉSOCIALE

La gouvernance du monde mutualistePar Albert LAUTMAN, Directeur général de la Fédération nationale de la Mutualité française et Camille BROUARD, responsable de l’innovation et de la prospective à la FNMF

La gouvernance de l’Assurance maladie, mise en perspective internationale Par Dominique POLTON, Présidente de l’Institut des données de santé et Conseillère scientifique de l’EN3S

ÉTUDES ET RECHERCHES

Un investissement social de l’assurance maladie : la PFIDASS - Chronique d’une expérimentation en voie de généralisation d’un dispositif d’accès aux soins Par Christian FATOUX, Directeur de la CPAM du Gard

Big data et protection sociale : au-delà de la lutte contre la fraude, des opportunités à saisir pour améliorer l’accès aux droitsPar Ange CHEVALLIER et Géraldine TAUBER, élèves de la 56ème promotion de l’EN3S

BIBLIOGRAPHIE ET NOTES DE LECTURE

Bibliographie

Notes de lecture : Par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po (Paris) et Conseiller scientifique de l’EN3S

Note de lecture : Par Gilles HUTEAU, professeur en protection sociale à l’École des Hautes Études de Santé Publique (EHESP)

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ÉditoPar Dominique Libault

LaSécuritésocialea-t-elleuneidentitéproprequijustifieunegouvernanceàlafoisspécifiqueetcommuneàl’ensembledecettesphèreauseindel’actionpublique?

Telleestlaquestionquiparcourttoutcenuméro.Pourbeaucoupdelecteurs,cetteinterroga-tionpeutparaitresurprenante.

Loi de financement, COG, réseau de caisses nationales/caisses locales apparaissent biendéfinirunchamppropre,uneidentitéàlaSécuritésocialefrançaise(undroit,unfinancement,unservicepublic).

Maisàl’heuredel’universalisationdelaprotectionsocialed’unepart,dunumériqued’autrepart,cetteidentitéva-t-ellerésisteràlavolontécroissanted’aborderlescomptespublicsdansleurensemble?Faut-ilmaintenircetteidentitétellequelle?

Lesréseauxorganiséstoujourssurlabasedesrisquestelsqu’identifiésen1945ettraduitsenorganisationparlesordonnancesde1967dontonfêtele50èmeanniversaire,sont-ilstoujourspertinents?Àquellesconditions?

LaSécuritésocialedoitévoluer.IlnefaudraitpaspourautantquecetteévolutionaboutisseàperdredevuelesfinalitésdelaSécuritésociale,sonsenspournotreorganisationsocialeetpolitique,etlesconditionsdesapérennité.Ilestsansdouteplusquejamaisessentieldepen-serlaSécuritésociale,entantquetelle,ycomprisdanssanécessairetransformation.

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Interview par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S

et par Julien Damon, Conseiller scientifique de l’EN3S

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Source, Cour des comptes

GillesJohanet

M.LIBAULT

La Sécurité sociale constitue une massefinancière gigantesque au sein des financespubliques, et présente une organisationcomplexehéritéede l’histoire.Quelle réflexionamène chez vous les mots « pilotage » et « gouvernance », et qu’attendre d’un pilotageetd’unegouvernanceadéquatsde laSécuritésociale ?

M.JOHANET

La Sécurité sociale est faite pour protéger, etce, en fonction des risques. Le pilotage ou lagouvernanceconsisteàappuyerlagestionsurunevisiond’ensembledecesrisquesetdeleurévolution. Certains peuvent évoluer, d’autrespeuvent survenir. La dépendance suscite au-jourd’huidespréoccupationsaupointd’ailleursde donner le sentiment qu’il s’agit d’un risquemajeurpourtous,cequin’estpaslecas.

Lagrandedifficultédanscedomainetientaufaitquecetteréflexionsurlesrisquesquiévoluentetlapriseenchargedechacund’entreeuxseré-vèleaujourd’huiextraordinairement inachevée.Elleaétélentemaisproductivesurlesretraites.Etparmoments,elles’avèrequelquepeustupé-fiante.Uneréflexionnécessairemanquesurlafamille,etonestentraindesupprimerdefaçonsubrepticelajusticecommutative,laredistribu-tion horizontale. La réflexion sur les accidentsdu travailetmaladiesdu travailest totalementabsente, y compris à la Cour, alors que cesdeuxrisques,que l’onaréunis,necessentdediverger.Enfin,laréflexionsurlerisquemaladieestàpeineentamée.

Laprouessed’avoirréussi,àtraversl’ANIetlacomplémentairesantéobligatoirepourlessala-riés,àcréerenFrancedeuxrégimestrèsdiffé-rentsdesolidaritéreprésentelesymbolemêmede ce caractère inentamé d’une réflexion ex-traordinairementbalbutiante.Aulieud’amenderlapremièresolidarité,qu’onéchouaitàgérer,on

GillesJohanet, Procureurgénéralprès laCourdescomptes

Gilles Johanet est ancien élève de l’ENA (promotion André Malraux).Procureur général près la Cour des comptes depuis 2012, il a également exercé les fonctions de Président du Comité économique des produits de santé (2011-2012), directeur de la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés (1998-2002), délégué du président des Assurances générales de France – AGF – (2003-2006) et directeur général adjoint des Assurances générales de France (2006-2009).

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GillesJOHANET

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

encréeuneseconde,quirelèved’ailleursd’unepolitiquebeau-couppluslargequelaSécuritésociale,quisedéveloppeactuel-lementetvoitlestâchessegmentées.Larègledebaseveutqueleprivésegmenteetl’Étatrassemble.Or,celui-cisegmentedansunnombrecroissantdepolitiques.

Jeciteraisdeuxexemplescaricaturauxàcetégard,celuide lacomplémentairesantédessalariésetpireencore,celuidesmé-tropoles.UndesmembresdelaCour,nommérécemmentetquiavaitparticipéà toutes les réunions internesàMatignonsur lacréationdesmétropoles,yarelevéunevolontédeconcentrerlesinvestissementsdanscesstructures.Maisonnepeuttoutfairealorspourleshabitantshorsmétropole?...Plutôtquedechoisirlespolitiquesdesrisquesàcouvrir,ondisperseetonsegmentediscrètement,sanscréerdepopulisme.

M.LIBAULT

J’auraisdenombreusesquestionsàvousposeràproposdeceque vous percevez comme une défaillance, à l’heure actuelle,de lavisionstratégiquesur laSécuritésocialeou laprotectionsociale.Enpremierlieu,au-delàdelaSécuritésociale,nes’agit-ilpasd’unphénomènegénéraldanslefonctionnementdel’État,avecdesadministrationscentralesprisesdeplusenplusparlagestionetl’urgence,rendantdifficilecettevisionstratégique?

Parailleurs,jeportefortementl’idéequelepérimètredelaSé-curitésocialeetdelaprotectionsocialeestadéquatpourportercettevisionstratégique.Néanmoins,jesuisfrappéparlefaitquel’idée de les faire apparaître commeayant une identité et uneunité, est complètement absentede la visionpolitiqueet de laconstructiondesgouvernements,cequin’aidepasàlaconcep-tiond’unevisionstratégique.

D’autrepart,j’aiétépromoteurdesHautsConseilspourtenterdecréerunlieuderéflexionàfroidetunedialectiqueavecletravaildesadministrations.Pensez-vousqu’ilsreprésententunprogrèsintéressantqu’ilfaudraitpoursuivre,oupeut-êtreréformer?

M.JOHANET

En répondant à la troisième question, je dirais que le Conseild’orientationdesretraites(COR)constitueunemagnifiqueréus-site, qui doit beaucoup à des personnalités comme Yannick MOREAU, mais pas seulement. Cette instance a permis deprendreconsciencedescontraintes.

LaFrance,quiaétédurantunsiècleetdemilepaysleplusrichedumonde,enaretirél’idéequ’ellepouvaittoutfaire.Or,danslapériodequenousvivonsactuellement,etdanstouslesdomaines,

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ECOLE DES DIRIGEANT SDE LA PROTECTION SOCIAL E

nousdevonsprendreconsciencequenousnepouvonspastoutfaire,cequiestterriblementdouloureux.Ainsi,lorsdesréunionsmixtesenprovinceaveclesparquetsjudiciaires,j’engagemesprocureursfinanciersàsélection-nerlesaffairesqu’ilspoursuivront.Leursdossiersnesontpasprioritaires,contrai-rement à ceux du terrorisme et les parquets judiciaires ne disposeront, pour cesdossiers,quedemoyensd’enquêterésiduels.S’ilssouhaitentqueleuraffairesoittraitéeparlesparquetsjudiciaires,lasolutionestsimple:le«platPicard».Siledossierestcom-plètementprêtetqu’ilsuffitdelemettredanslemicro-ondejudiciaire,celafonctionnera.S’ilymanquelamoitiédeséléments,ils’exposeauclassement.Ils’agitd’unchangementradicaldelaphilosophie,quitouchetouslesdomaines.

Decepointdevue,ilfauts’interrogersurlacapacité,àlaCourdescomptes,deréfléchiretd’émettredespropositionssurlesmissions,plusuniquementsurlesmoyens,cequis’avèrebeaucoupplusdifficile.UneenquêtesetermineactuellementàlaCour,confiéeàunepersonnetoutàfaitéminentesurl’organisationterritorialedel’État,centréeautourdesmissions.Ils’agitd’examineràlafindesmissions,lesquellesdoiventêtrerevuesetadaptéesauxmoyensquileurrestent.Àcetégard,laquestionseposeaussidesprioritésdeschambresrégionalesdescomptes,entrelesgrandesenquêtespassionnantesetlesavisbudgétaires,demandésparlespréfetssurlesbudgetsdescommunesetdesdépartements.Lesprioritéssontconcentréessurcesderniers,quisontledernierélémentquiresteducontrôledelalégalité.

LeHautConseilpour l’avenirde l’assurancemaladie(HCAAM)n’a,hélas,paseu lemêmeeffet que leCOR, et ce n’est pas faute d’y avoir désigné des personnalités commeDenis PIVETEAU.Sonchampest considérablementplus complexedupoint devuede l’analyse,doncdutraitementdessolutionsetdelanécessairedifficultéd’avancerdumêmepasdanstouslesdomaines.Ainsi,iln’apasl’influenceduCORdanslestravauxdelaCour.

Jevousavouequejen’aipaspu,lorsd’unentretiensurl’assurancemaladieen2012,répondreàlaquestiond’AlainMINC,surcequipouvaitêtreledétonateurqui luipermettraitdesaisirl’opinionpublique.Lasituationestplussimpleencequiconcernelaretraite,quin’aquequatreparamètres.CelanesignifiepasqueleHCAAMdoitêtremisencause,maisquelaréussiteseralongueàvenir.Celaillustreaussilefaitqu’ilpâtitd’uneabsenced’implicationdespouvoirspublics,trèslibérauxdanscertainsdomaines.

Celarejointvotredeuxièmequestion:laSécuritésocialen’estpasunsujetpolitique.LaCourapubliéenautomne2017unrapportpublicd’ensemblesurl’assurancemaladie.

AntoineDURRLEMAN,quileprésentaitenCRPP,l’aqualifiéed’économiederente.Ilaraison.Tantquevousnelaconcevrezpasdecettemanièreetquepours’ensortir,l’Étatsegmente,vousnecomprendrezrien.

J’insistebeaucoupsurlefaitquedansl’audit,cetteidéequel’onpeuttoutfairenousaamenéàdeuxpolitiquesdésastreuses,carextraordinairementcoûteusesmaisaussitrompeuses,quesontcellesdespetitshôpitauxetdespetitslycées,prochesdetoutlemondeetprochesdechezsoi.Selonl’article1erdelaloiJospinde1989,l’écoles’organiseautourdel’élève.L’élèvenes’organisepasenfonctiondel’école.Pouravoir300possibilitésaubaccalauréat,ilfautalleràLouis-le-Grand,pasdanslespetitslycées.Etonnecréeratoutdemêmepasdessallesdecathétérismedanslespetitshôpitaux !

Onn’amêmepasconsciencequ’aunomdel’égalitédesterritoires,onsupprimedefaitl’égalitéd’accèsàl’offre,cequiestterrible.L’Étatn’apasconsciemmentcrééundoublerégimedeso-

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GillesJOHANET

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

lidaritésurlesassurancescollectivesdessalariés,sinonill’auraitcamouflé. Cette absence de la Sécurité sociale du débat poli-tiqueestcapitaleetdramatique.Cependant,lesHautsConseilssonttrèsutiles.L’onn’arientrouvédemieuxpourl’instant,etl’und’eux a très bien fonctionné.

D’autrepart,cetteinconsciencedel’évolutiondel’actionpubliquetoucheeffectivementundomainebeaucoupplusgénéralquelaSécuritésociale,maisc’estpeut-êtredansceluide laSécuritésocialequ’elles’avèrelaplusgrave.

M.LIBAULT

Jerevienssurlesujetdelasegmentation.Onnepeutpastoutfaire,maisonpourraitcertainementfairedavantageetmieuxensegmentantmoins,notammentdansl’undesgrandsaxesdelaprotectionsocialequ’estlapréventiondurisque,enintervenantenamont,enadoptantdeslogiquesdeparcours,etc.Ilestdiffi-ciled’agirseuldanscedomaine,etilestnécessairedelefaireenpartenariat.

Je cite souvent un exemple, pour lequel les caisses sont peuefficaces, qui est la prévention de l’obésité chez l’enfant, dontonsaitqu’ils’agitd’unmarqueursocialtrèsimportant.Onrelèveaujourd’hui encore très peu de partenariats entre lesCAF, quicouvrent le domaine de la parentalité et l’assurance maladie,responsable de la prévention. De nombreux autres exemplesexistentdecequipeutêtreperçucommedesinconvénientsdecettesegmentation.

Ils’agit icid’unvraisujetdegouvernance.Cettevisionsurl’im-possibilité de tout faire, l’évolution des risques et la nécessitéd’arbitreretdedéciderdemieuxtravaillerensembledevrait-elleinduiredes réflexionssur laconstructionet l’organisationde laSécurité sociale ?

M.JOHANET

C’est exact et cela ne constitue pourtant pas, pour l’heure, unchampderéflexiondelaCourdescomptes,maispeut-êtrecelaviendra-t-il? Ilestvraiqu’iln’existepasde réflexioncommuneauxbranchessurlessujetsd’intérêtcommun.

M.LIBAULT

Ilconviendraaussidetenircomptedel’influencedunumériqueavec,detouteévidence,unetendanceverslacréationdeportailsdedroitssociaux,permettantàchacund’avoiraccèsfacilementà l’ensemble de ses droits. Toutefois, les organisations ne s’yprêtentpastrèsbien.

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ECOLE DES DIRIGEANT SDE LA PROTECTION SOCIAL E

M.JOHANET

Jenesuispasextrêmement inquietàcesujet.Ladifficultéenmatièred’ir-ruptiondunumériqueetd’intelligenceartificielleestdouble.Lenumériqueen-traînerad’abordunedépensesupplémentaire, lespersonnesutilisantdavantageleursdroits.Parailleurs,mêmes’ilpeutaideràsimplifier,celan’irapasdesoi,etilserapar ailleurs le révélateur de complications extraordinaires injustifiées. Jusqu’à présent,lesmoyensinformatiquesontétéutiliséspourorganiserlacomplication,paspoursimplifier.

L’intelligenceartificiellereprésenteunchangementbeaucoupplusconsidérable,entoutcasdanslamédecine.100000donnéesgénétiquessontdécouverteschaquejouretellesserontaunombrede20milliardsen2020.Or,ladernièrepuced’Intelpeutcontenir1000milliardsdedonnées.Lemédecinliralesrésultatsquedonneralamachineetcelachangeraungrandnombredechoses,àtelpointqu’onneparvientpasàsavoirjusqu’où.Ilnes’agitpasd’unevariablemaisd’unedonnée:celaadviendra.Ilenvaainsiaussidelatélémédecine,oùl’onnepeutappliquer lepaiementà l’acte, faisantainsi lapreuvequecelui-ciestcontraireà lacontinuité des soins.

M.LIBAULT

Celam’amèneausujetdesdonnéesetdespossibilitésoffertesparlesdataetl’intelligencear-tificielle,quisemblenttrèsimportantes,mêmesiuncertainnombredechampsresteàconcré-tiser.Deschercheursprétendentquelesdatadeviendrontleschampspétrolifèresdedemain,etl’assurancemaladieendétientunemasseabsolumentconsidérable.

Danscetteperspective,uneréflexionseranécessairesurlepérimètredecequedoitêtrel’as-surancemaladiededemain,leslimitesjusqu’auxquellesleservicepublicdoitalleretlacapa-citédecelui-ciàprendreenchargecesévolutions.Nesera-t-ilpasdépasséparlesopérateursprivés?EtcommentinstaurerunegouvernancequipréservelesvaleursfondantlaSécuritésociale,toutengérantlescontraintesfinancièresetencontinuantàapporterleprogrèssani-taire ?

M.JOHANET

Ilest frappantquelestermesdudébatsurcesujet,concernantnotamment lesystèmedesdonnées de santé, le système national d’information interrégimes de l’assurance maladie(SNIIRAM), l’accèsau traitement, etc., n’aient absolument pasévoluédepuis vingt ans. Jemesouviensavoirfreinédesquatreferslorsdel’introductionduvoletmédicaldelaVitale2appeléensuite«dossiermédical»,carilétaitévidentquenousengagerionsdesdépensesinutilement,cequifutavéré.Aujourd’hui,l’étatdemaréflexionmefaitdirequeplusonouvreSESAM-Vitale,mieux c’est. Le risque d’utilisation des données est infinimentmoins grave,etmoinssurvenantentermesd’assurance,quelerisqueliéaucoffrageconstruitautourdesdonnéesparlaCNAMTS,aveclacomplicitédebeaucoup.Decepointdevue,lanouvelleloiMarisolTOURAINEserreencorelavis.

Danscedomaine,jesuistrèsadmiratifdel’évolutiondeChristianBABUSIAUX,quiamenédesexpérimentationsetémisdesrapportsvisantessentiellementàfermerlaporte.Ilaopéréunvirageà180°,ayantparfaitementperçul’importancedel’utilisationdesdonnées.Oui,lerisquedemésusagedesdonnéesexiste.Non,onnepeut lesprévenirtous.Oui,ondoits’efforcerdelesprévenir.Non,cettepréventionnedoitpaspasserparunerestrictiondesaccèsdirects.

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GillesJOHANET

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

Savez-vousquelaCournedisposepasencoredel’accèsdirectauSNIIRAM,pasplusquelaHauteAutoritédeSanté(HAS)d’ail-leurs ?

Sommes-nous prêts à passer d’un régime archaïque, danslemonde entier, de contrôlea priori à un régimemoderne decontrôlea posteriori?JevousrappellequelesAnglaisn’ontja-maisbaissé letauxd’alcoolémieautoriséauvolantendeçàde0,8g/l. Ilsenregistrentmoinsdemortssur lesroutesquecheznous.Enrevanche,lasanctionestextrêmementélevéelorsquel’onestpriseninfractionavec0,8g/l.Uncaspratiquepeutêtrementionnédanscedomaine:lemédicament.

M.LIBAULT

Lemédicamentestunexempleoùuncontrôlea posteriori devraitêtreappliqué,maischacunsaitquelesétudesa posteriori consti-tuentlemaillonfaibledenotresystème.Onn’apasréussiàenimplanterunreposantsurl’exploitationdesdonnées.

M.JOHANET

Vousabordezunpointabsolumentcapital.Lemarchédumédi-camentestleseulmarchémondialisédelasanté.Noussommestousd’accordpourconstaterquel’évaluationdel’efficienced’unmédicamentpasseparlesétudespost-autorisationdemisesurlemarché (AMM).Elles peuvent êtremenéesdedeux façons.L’actuelledemeuresansrésultats.Desintentionsdeconduirecesétudesdemanièreplussérieusesontaffirmées.Cependant,silesprémissessontmauvaises,lerésultatnepeutêtrebon.Toutse trouveauxmainsdu laboratoireet iln’aqu’une interdiction,celletouchantl’accèsauxdonnées.Il fabriqueradonccesdon-nées lui-mêmeenpayant cher lesmédecins pour les recueillirpendanttroissemaines.

Siunefoislecontenudel’étudepost-AMMformaliséparcontrat,vous donnez accès au système national d’information inter-ré-gimesdel’assurancemaladie(SNIIRAM),vouspourrezdisposerd’unhistorique,d’unesûretédesdonnées,decoûtsdivisésparquatre.Quandva-t-onl’accepter?

Si vous engagez une étude post-AMM, réclamée par leComité économique des produits de santé (CEPS) ou laHAS, il serait bien plus productif d’avoir accès au SNIIRAMque de mener une étude avec une vingtaine de « scottish widows».Parconséquent,jesuisabsolumentformelsurlané-cessitédeprendre le risquede l’accèsauxdonnées.Laseulefaçond’agirpositivementconsisteàdéfinirdesactionsconcrètesdansl’intérêtgénéral,carlemonopoledesdonnéespourl’ÉtatoulaCNAMestcondamné.

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ECOLE DES DIRIGEANT SDE LA PROTECTION SOCIAL E

M.LIBAULT

Lestrentedernièresannéesontétémarquéesparlefaitquel’Étatintervientbiendavantagedanslepilotagedusystème.Ceciestliéàsonimportancepourlesfinancespubliques,maisaussiàl’universalisationdelaprotectionsociale.Lesloisdefinancementde laprotectionsocialesontdevenuesunélémentessentieldupilotagedesfinancespubliques.

M.JOHANET

Onnepeutpasregretterl’apparitiondesloisdefinancement,nil’implicationduParlement,nilerôledelaDirectiondelaSécuritésociale.Onpeutregrettercequin’existepas,noncequiexiste.Lepilotagefinanciers’avèreabsolumentprépondérantenraisondel’absencedepilo-tagestratégiquedelasantépublique.L’existencedesloisdefinancementreprésentedéjàunprogrès,etqueleParlements’impliquepeuouprouenestégalementun.

Ilestpossibled’allerplusloin,enintroduisantdesloisdefinancementrectificatives.Laquestionseposedel’intégrationdanslechampdecesloisd’élémentsconcernantl’AGIRCetl’ARRCO,quelaCoursouhaiterait,s’agissantderégimesobligatoires.Onpeutassimiler lasituationàlamaréebasse,oùl’onvoitapparaîtresurlaplagelesvieillescarcassesvides,uneabsenced’approcheentermesdesantépubliqueetdesconsidérantsstratégiquesd’implicationplusoumoinsfortedel’intérêtgénéraldanstelrisqueplutôtquetelautre,l’absencecomplètederé-flexionsurlesmaladiesprofessionnelles,etc.Laréflexionpermetdeconstaterquelepilotageestuniquementfinancier,cequiestdommageable.

M.LIBAULT

Jesuis totalementd’accordavecvouset jepensequ’il s’agitd’unedesgrandes limitesdudébatactuelauParlement,provoquéparlaloidefinancementdelaSécuritésociale.Enétanttotalementconscient,j’aifaitunetentativeen2005aveclaréformedelaloiorganiqueintégrantdesprogrammesdequalitéetd’efficience,avec l’idéededonnerunedimensionautrequefinancièreetunevisibilitéauxobjectifsdechacunedespolitiques,afinquelesparlementairespuissents’ensaisiretdébattredecesobjectifsetdeleurpertinence.Ilsn’yontpasprocédé,peut-êtreenraisondel’organisationdelaloidefinancementquinelepermetpas.IlconvientsansdoutederéfléchiràlamanièrederéinvestirleParlementsurcesvisionsstratégiques.

M.JOHANET

Peut-on affirmer que le Parlement a été impliqué par l’exécutif ou s’est impliqué spontanément?Jepensequ’ill’afaitspontanémentsurlesréformesdesretraites.

M.LIBAULT

Iln’apasétémoteursurlesréformesdesretraites.J’aiétéfrappéparlefaitqu’onn’évoquepeulesujetdelaretraiteentredeuxréformes,jusqu’àcequ’ilseréveilleànouveau.C’estl’unedesraisonspourlaquellej’aimilitépourlacréationducomitédepilotagedesretraites,au-delàduCOR,pours’intéresserdefaçonplusrégulièreàcettequestion.Enrevanche,leParlements’estimpliquélorsdechaquediscussionduprojetdeloi.

M.JOHANET

Sans être leader, il s’est tout de même impliqué beaucoup plus, et cela montre que

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c’est possible. Le problème tient au trou d’air par rap-port à la période d’il y a quinze ans en ce qui concerne lenombre extraordinairement faible des élus spécialistes de la Sécuritésociale,cequireflèteuneffetd’éviction.Àcetégard,jemeposelaquestionsurlafaçondontonconsidèrel’évolutionde-puis1991etlesarticlesd’Anne-MarieCASTERET.Laré-implica-tiontechnocratiquedel’Étatetladésertificationdesélusconsti-tuentdeuxmouvementscontradictoires.Onpeutpenserquelesélusprennentdel’âgeetnes’impliquentplus,cequiestnormal. Cependant,ilsnesontpasremplacés.Ceuxquipensentlefaireàunmoment,battentenretraite,tantcelapeutêtredangereux.

M.LIBAULT

Jefaisl’hypothèsequecerééquilibrageverslatechnocratie,quimaîtrisedavantagelesoutilsettechniques,n’estpascomplète-mentsanslienavecl’évolutiondespolitiquesdueauxcontraintesfinancières,auxarbitragesetchoixd’économieparrapportauxpolitiques antérieures de générosité, et qui génère peut-êtremoinsd’enthousiasmedelapartdesélus.Pourêtrefranc,unetelleimplicationsemblepeugratifiantedevantl’opinionpublique.

M.JOHANET

Vousn’avezpas tort,mais j’aienviedevouscontrediresurunpointenremarquantquelecombatcontrelesinégalitésesttoutdemêmeunbeaucombat,maispasnécessairementgratifiant.Intervenant à la radio en 1983, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT affirmaitquel’onnepouvaitengagerdesréformes,carceuxquiy sont opposés s’en affolent et ceux qui y sont favorables ne réagissentpas.Beaucoup resteà faire,mêmedans lecombatcontrelesinégalités.

M. DAMON

Onn’utilisaitpaslemot«gouvernance»ilyavingtoutrenteans.Faites-vousunedifférenceentreadministration,gestion,pilotageetgouvernance?

M.JOHANET

Jefaisunedifférencecapitaleentrepilotageetgestion.

Lepilotagesedistinguede lagestionau jour le jouretprévoitladéfinitiond’objectifsetd’unplanpouryparvenir.Leproblèmetient au fait que l’État s’est complètement impliqué dans la gestion, mais pas autant dans le pilotage, à l’exception de la retraite,maispasparfaitement.

Lagouvernanceestun termeanglo-saxon.Elle recouvreaussibienleniveaupolitiquequeleniveaumanager.Lemélangedes

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deuxniveauxpermetdemoinsmesurerlaresponsabilitédechacun.Est-ceunprogrès?

M.LIBAULT

VousévoquiezladirectiondelaSécuritésociale(DSS).Pourriez-vousnousdireunmotsurlesconventionsd’objectifsetlarelationentrel’Étatetlesorganismes?

M.JOHANET

LaDSSest devenue LAdirectionmajeure reconnue de tous, certains avec enthousiasme,d’autresavec résignation.Ladirectiongénéralede l’offredesoins (DGOS)n’existeplusetn’estmêmeplus investiepar le lobbyhospitalier,quin’enaplusbesoin,cardisposantdéjàdetantdepouvoir local.D’autrepart, laDirectionGénéraledelaSanté(DGS)estdevenue extraordinairementfaible.Aucuncontrepoidsn’existedoncfaceàlaDSS,quiremplitsamis-sion.Lorsquej’exerçaisauCEPS,toutlemondeécoutaitdansunsilencereligieuxlejugementdelaDSSsurunmédicament.

Je reprendrai l’exemple dumédicament, intéressant car complètement asymptomatique decequ’est lesystèmedesanté,dufaitdelamondialisationdumarchéetdel’évaluation, lesdeuxétantcomplètement liées.LaDSSnepeutpasetn’apasunevisiondesalternativesthérapeutiques,carcelanerelèvepasdesonrôle.Parailleurs,ellen’apasnonplusdevisiondesévolutions.Ilestcommodedeconsidérerquetelanti-cancéreuxdonnetroismoisdeviesupplémentaires,maiscoûte30000€.Cependant,ils’agitdetroismoisdevie,quisuccèdentàtroisautresmoisdevie,etc.Onprendalorsconsciencequecemédicamentestunchaînon,encorefaut-ilavoirunevisionduchaînage.

M.DELFRAISSYm’avaitexpliquécequiestarrivéavec l’hépatiteB,où l’onavaitconstatéunebaissedelaconsommationdesmédicaments,quineguérissaientpasavantleSovaldi.Et l’État jouait lesstupéfaits.Lesalternativesthérapeutiqueset lesprospectivesnerelèventpasdelaDSS,maisdelaDGS.EncequiconcernelaDGOS,serons-nousenfincapablesde récupérer leséconomies introduitespar lesproduitsmédicamenteux,cequin’apasétélecasjusqu’àprésent,niencequiconcernelesantiulcéreux,nipourlestrithérapies,nipourleSovaldi,etc.?L’hôpitalconservesystématiquementsarente.Si je ledéplore, jenepeuxcritiquerlaDSS.Danssonraisonnement,unnouveaumédicamentreprésenteunedépensesupplémentaire,mêmelorsqu’ilguérit.C’estterrible,maisvrai.

M.LIBAULT

Cela constitue également une conséquence d’un principe que je comprends bien, qui est l’annualitébudgétaire. Ils’agitdansunpremier tempsd’unedépenseavantd’être récupérédanslesystème.

M.JOHANET

Eneffet,maissiunsystèmederécupérationn’estpasmisenplace,celaneserapasdutoutle cas.

M.LIBAULT

Jepenseque laDSS,quiacertainementdes limites,possède lavertuessentielled’être laseuledansl’Étatàreleverdesfinancespubliquestoutens’efforçantdeconduiredespolitiques

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sociales,notammentenmatièrederetraite,demaladie,etc.Celal’obligeàinternalisersesarbitragesetàconstruiredesproposi-tionsquitententdeconsidéreraussibienlesaspectsfinanciersque lesobjectifsdepolitiquepublique.Si l’onvoulaitque l’Étatfonctionnemieux,etunpeumoinspararbitrage,ilfaudraitconce-voirdesorganisationsinternesplusprochesdelaDSS.

Ainsi,jecaricatureunpeu,maisladirectiondubudgetopèredesarbitragessanstenircomptenidesacteurs,nidesconséquencespolitiques,nidelafaisabilité,etc.Ils’agitàmonsensdeprocesspeuintelligents,etsouventpeuproductifs,enréalité,pourl’État.

M.JOHANET

Votresuggestioninduiraitdemettreenplaceunschémadifférentduclassique,auquelonpense:uneDSSpuissanteetuneDGSpuissante,laDGOSn’étantpasdutoutdelamêmenature.VousproposezenrevanchequelaDSScouvrelesdeuxdomaines.

M.LIBAULT

Cen’estpasmonpropos.LaDSSabesoind’uneexpertiseetd’unemiseenœuvre,notammentpar laDGS,carellenepeutdétenir tous les savoirs et connaissances.Cependant, dans lefonctionnementdel’État,onpeutavoirunseulministèreetunedirectionquis’efforcedepenserlescontraintesfinancièresetlesobjectifssociaux.

M.JOHANET

Danscecas,ilseraitnécessairedemenerunecontradictionré-gulièreaveccequej’appellelesdirectionsdechamp.Malheureu-sement,leproblèmetientaufaitquecesdernièressontextraor-dinairementfaibles.Ellesn’ontjamaissudigérerlacréationdesagences,delaHAS,etc.Danscecontexte,laDSSreprésenteunpackhomogène,doncbeaucouppluspuissant.Elleestd’ailleurs homogène y compris dans ses résignations, car je ne pensepasqu’elleespèrefairebeaucoupd’économiesur leshôpitaux.La DSS s’efforce d’avoir la vision la plus large. Cet ensemble homogènedanssamission,rejointexactementl’outiletlavolontédespouvoirspublicsdemaîtriserledérapagedeladépense.

Je voudrais mentionner l’exemple de la dépendance. À un moment,ilyaunedizained’années,beaucoupdecolloquessesonttenussurl’assurancedépendance,lerôledesmutuellesetdesassureurs. Ilestprobablequ’il failleuneassurancedépen-dance.Lemeilleurmoyendelapayerseraitd’yconsacrertroiseu-rosparmoisdèsquel’ontravaille,àpartirde22ou25ans,etcelan’auraitriend’excessif.Seposeunequestiontrèspratique,issue

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de notrehistoire,etquenousconnaissons:commentprocéderpourles générations intermédiaires ? Si l’on met en place cette assurance au 1er septembre,elleseradisponible,ycomprispour lesgénérationsquin’ontpascotiséetiln’yauradoncd’autrechoixqueceluidusystèmeparrépartition.Cettequestionn’ajamaisétéposéedansuncolloque,cequimontrelalimitedela réflexion.

M.LIBAULT

Vousindiquiezquelepilotagedelaretraiteestrelativementsatisfaisant,maisrestenonabouti.

M.JOHANET

Eneffet,etj’aibeaucoupimportunélesrapporteursdurapportsurlaretraitedelaCourdescomptesenraisondesfacilitésprésentesàl’origine.Jen’ysuisparvenuqu’àmoitié.J’auraisvouluquelaCoursoitplusnettedanssesconclusionsetsesrecommandations.Enl’occur-rence, laréflexionn’étaitpaspleinementaboutie.Leproblèmemajeurdesretraitesne tientpasauxinégalitésentrelepublicetleprivé,ilestprésentauseindupublic,entrelesagentscotisantsurlesprimes,etceuxquinel’ontpasfait,entrelesactifsetlessédentaires.Contrai-rementàcequel’onlaissecroiresouvent,etquelaCourindiquetrèsdiscrètement,lesurcoûtdesfonctionnairesactifsestpayéparlessédentairesfonctionnaires,pasparleprivé,pasparle contribuable.

Financerlesretraitespubliquesetprivéesn’estpasseulementinutile.Celanousmettraitenprésencedeproblèmestechniquesdevenusinsurmontablesetfaireunsiffletsurquaranteansrevientàpayerdeuxfois.Devraiesquestionsseposentàcetégard.Ilauraitnotammentété intéressantdesavoircomments’esteffectué lebasculementvers le régimesédentairedesinfirmièresetdespoliciersdecatégorieC.

Parailleurs,l’onévoquetoujoursl’âgemaispasleminimumdepension.CeluidelaSNCFestsupérieurd’untiersàceluidurégimegénéraletcesurplusestpayéparlerégimegénéral.Jedoutequecesoitaunomdel’égalité.D’autrepart,quelquesoitl’âge,aumomentdudépartenretraite,38%desretraitésduprivésontcotisants,contre82%desretraitésdupublic.Siunnombreaussiconsidérabledesretraitésduprivénecotiseplusdepuisdeuxans,celacréeuneinégalitéabsolumentconsidérable.

M.LIBAULT

Ilestvraiquelesujetdesinégalitésinternesaupublicesttrèspeutraité.LeCORnes’yestpasdutoutintéressé.LesrapportsdelaCourévoquentquelquesélémentsmaisbeaucoupresteàdire.Jesuisd’accordavecvoussurlanécessitédeposerleproblèmedupointdevuedesinégalités,maispasdel’oppositionpublic/privé.

M.JOHANET

J’aurais souhaité que le gouvernement demande à la Cour de lui proposer cinq mesures partiellesconcernantlaretraiteetpermettantd’instaurerunpeuplusd’égalitécarnousavonsdesdifficultésàlefairenous-mêmes.Jeplaceraisentêteles«décisionschapeaux»,àsavoirlespromotionsdanslessixderniersmoisdevieactive,quiconstituentunscandalepur.L’ar-gumentavancépourlesjustifierestqu’ellesprofitentàdespersonnesquin’ontpasbénéficiéderécentespromotions.Etalors?

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Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

M.LIBAULT

Que pensez-vous de la crédibilité et de la faisabilité de la ré-formeglobaleannoncéedelaretraite,concernantnotammentle systèmedepoints?

M.JOHANET

Je pense qu’il y a lieu d’expliquer le système aux Français etquelesgarantiestrèsfortesdansunsystèmedepointsreposentsur le nombre de ceux-ci, mais cela s’arrête là. Aussi, il mesemblequeleprésentercommelenirvanademandebeaucoupd’audace. Ilenestdemêmedunotionnel,qui tientcomptedel’espérancedevieetquiimpliqueraitquelesfemmespartiraientseptansaprèsleshommes.Lemiraged’unrégimeparfaitementégalitaire-autrementditlareprise,étonnante,dumythedugrandsoir-poseunequestiontrèsimportante,quel’onnesoulèveplusaujourd’hui, en raisonausside l’affaissementde la réflexion. Ils’agit de celle concernant les éléments du système contributifqu’ilseraitsouhaitabledeconserver.

Jesuisd’accordavecPierre-LouisBRAS,quidéclaraitdansuneinterview,le20juin2017,quel’importantestdesavoirquelpour-centageduPIBl’onconsacreàlaretraite,pourquellescatégoriesdepersonnes,àpartirdequelâge,etc.Jenoteparailleursqueledébatsurlaretraiteaconsidérablementgagnéenclarté.Lesparamètresn’ensontpassorciers.

Enoutre,nousavionsdémontédans le rapportsur laSécurité sociale l’idéed’AlainJUPPÉd’aligner lepublicet leprivé,maisnousnesommespasalléstrèsloinsurlerégimeparpoints.Unchangementjuridiquenecréerapasderessourcesfinancières.

M.LIBAULT

Il me semble opportun qu’à unmoment donné, la retraite soit traitéeàlaCourparuneseulechambre.

M.JOHANET

Nousnousposonscettequestion.

M. DAMON

S’agissantdelagouvernance,vousn’avezpasencoreprononcélesmotscélèbresde«partenairessociaux».

M.LIBAULT

On tend actuellement vers un système universel, avec un pilotagebeaucoupplusfortdel’État.Néanmoins,sansalleraussiloinqued’autrespaysoùlespartenairessociauxsontquasiment

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ECOLE DES DIRIGEANT SDE LA PROTECTION SOCIAL E

absents, ceux-ci restent dans des conseils d’administration, etc. Parta-gez-vouslanostalgiequ’ontcertainsd’unsystèmeantérieurquevousavezconnu ?

M.JOHANET

Jesuisnostalgiquenonpasduparitarisme,mais trèsnostalgiqueetdemandeurpourl’avenird’undispositifd’exercicedupouvoiroùdescontrepoidsexistent.Jetrouvel’articledeGuySORMANsurledespotismeéclairétrèsjustesurcepoint.LaFranceneconnaîtpaslescontrepoids.Deuxdomainesenprésentaienttoutdemêmepeuouprou:l’assurancemaladieetlesCAF.Ilsn’existentplusetl’Étatgèreletropismepourconcentrer,mêmelorsqu’ilaannon-céqu’ildéconcentrait.Jetrouvefabuleuxd’avoircréélesARS,puisleComitéinterministérieldelaperformanceetdelamodernisationdel’offredesoinshospitaliers(COPERMO)quifaitremonterauministèrelesdécisionsqu’ellesdevraientprendre.

L’État ne s’est jamais posé la question de savoir avec qui il doit gérer. Non seulement il piloteseul,mais ilgèreseul.Pour l’assurancemaladie,dans tous lespaysd’Europeayantengagédesréformes,l’États’estsouciéd’avoirdescontrepoids.Ils’agitdesgénéralistesenGrande-Bretagne,descomtésenSuède,descaissesenAllemagne.L’Étatfrançaisestleseulnesouhaitantpasdecontrepoids.

M.LIBAULT

Le systèmede la conventionmédicale représente unpoids nonnul desmédecins dans lesystème.

M.JOHANET

Ils’agitd’unsystèmededistributionderente,pasd’undispositifdegestion.Onl’amêmeportéaupinacle,enplaçantlanégociationconventionnelleavantlesélections.Jenediraispasqu’ils’agitd’uncontrepoids,carlanégociationestponctuelle.Laconventionneprévoitpasdesanction,selonleprincipemêmedelapolitiqueconventionnelle.Enoutre,aucuneréflexionn’estengagée devant l’opinion publique sur le suivi. D’ailleurs, je pense qu’il s’agit d’un instrumentmort,mêmesijenepeuxpasaffirmerqu’ilseraenterré.

Cependant, la situation n’est pas aussi simple que je vous la décris. Certaines caisses détiennent toutdemêmeunpouvoir.J’aiété fascinépar lacapacitéde laCNAVàbloquerl’adossementRATP,obligeantl’Étatàcéder.

Les syndicats ne constituent plus un contrepoids à l’heure actuelle, étant partis avec leur accord.

M.LIBAULT

Pensez-vousnécessairedecréerdenouveauxcontrepoids?

M.JOHANET

J’en suis totalement convaincu. L’allocation de ressources en matière de retraite selon laduréeoulemontantrelèvedechoixtrèspolitiques.L’Étatpourraitégalementorganiserdes procédureslivrevert,livreblanc.Enmatièredesanté,deschoiximportantsdoiventêtrefaits,oùl’Étatdevraitavoirdescontrepoids.

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Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

M.LIBAULT

L’Accord national interprofessionnel (ANI) est précisémentun exemple où le dialogue social s’est saisi d’un sujet sur la protection sociale et a recréé inconsciemment une forme d’inégalité. En effet, le dialogue social est souvent circonscrità une certaine catégorie de la population, en l’occurrence les salariés.

M.JOHANET

Jerejoins toutà faitvosproposmais je les interprètedifférem-ment.Lanatureahorreurduvide.Lessyndicatsontvocationàprotégerlessalariésetilssegmentent.Ilsn’ontjamaisprétendurassemblertoutlemonde.

M.LIBAULT

Jeneleurenfaisnullementgrief,maiscelamontrebienquecelaposeraitdesproblèmesdegouvernance,s’iln’yavaitqu’eux.Lesujetdel’égalitédevantlamaladieestcomplexeetdélicat,etledialoguesocial,quandonleluiconfie,letraitecommeillepeut,notammentenrecréantdesinégalités.

M.JOHANET

Celasignifiequ’ilnepeutêtreseuletenêtrelepilote.Detoutefaçon, lavieillequestion«Quiest lepilotedans l’avion?»est apparue stupide, lorsque l’on s’est aperçu qu’une dimension santépubliquedevaitêtreprésente.Et lasantépublique,c’estl’État.Cejour-là,lepiloteadisparu.Lespartenairessociauxnepeuventpilotereteuxaussisegmentent.

Onl’évoquetrèspeu,maislerapportdelaCoursurl’assurancemaladie,quiparaîtraenautomne,lemontrera:nousallonsversuneassurancemaladieobligatoiredans ses cotisationset trèssélectivedanssesprestationsetcettetendanceestparfaitementaccompagnéepartouteslesréformesdepuisvingtans.

Decepointdevue,lasuccessionderéformesesttoutdemêmeépoustouflante.Uneréformede faitsurvient lorsque lebarragedesgénéralistessurlesaffectionslonguedurée(ALD)cèdeetl’on passera en cinq ou six ans de quatre millions à huit millions,puis à dix millions. Par ailleurs, on affirme que la couverture maladieuniverselle(CMU)estungrandprogrèssocialmaisonpeut aussilaconsidérerdifféremment:puisqu’onnepeutprotégertoutlemonde,onprotègelespauvres.D’autrepart,oncréel’aideàlacomplémentairesantépourlespopulationsinterstitielles.

Ce dispositif fait quemaintenant, la tendance de plus en plus préoccupanteàmalcouvrir lespersonnesquinerelèventnide

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ECOLE DES DIRIGEANT SDE LA PROTECTION SOCIAL E

laCMU,nidesALD,etc.,peutsedéveloppersanstropdedifficulté.Nousnousorientonsde fait versuneassurancemaladiequin’estplusdu toutuniverselledanssesprestations,cequiconstitueunélémentdefragilisationconsidérabledudispositif.Pourcetteraison,leboucliermédicalnesortirapas,carilrévèleracettetendance.

M. DAMON

Avez-vousunereligionsurl’assurancechômage,quidevraitsetransformer?

M.JOHANET

Jeneconstatequedesprojetsdenationalisation.DenisKESSLERaffirmaitilyaquinzeansquel’Étatnepouvantpluss’occuperd’économie,etl’Europeluienlevantnombrededomainesd’action,ilinvestitledomainesocial.Jedoisdirequejenecomprendspasréellementl’intérêtd’exclurelespartenairessociauxdelagestiondel’assurancechômage.LeprocessusadéjàétélargemententaméavecPôleEmploi,maisonnepeutaffirmerqu’ils’agissed’unsuccès,àmoinsquecelui-cinesoitendevenir.

M.LIBAULT

Si l’ons’oriente,à tortouà raison,versunsystèmeplusuniverselenmatièred’assurance chômage, les partenaires sociaux sont légitimes à se concentrer sur les domaines professionnels.Commentalorsrecréerlescontre-pouvoirs?Jepensequel’onn’apasencoretrouvélabonnesolutionpourunpilotageuniversel.

M.JOHANET

Onnel’apasréellementrecherchéenonplus.Encequiconcernel’assurancechômage,jenevoispastrèsbiencequipourraitremplacerlessyndicats,alorsquedansl’assurancemaladie,ilestpossibled’impliquer,hormislessyndicats,desreprésentantsélusnotamment.

M.LIBAULT

LerôledelaCourdescomptesaconsidérablementévolué,ainsiquesesrapportsautourdelaloidefinancementnotamment.Ellebénéficieparailleursd’unemédiatisationbeaucoupplusmarquéedesesrapports.Onpeutparfoissedemanderquelleestlaciblefinale,entrelamé-diatisationetlesadministrations.Commevoyez-vouslerôledelaCourdescomptesdanslagouvernancedusystème?

M.JOHANET

Jeme réjouis de la technicité croissantemais fragile de la 6ème chambre, avec la questionquenousnousposonsactuellementde larépartitiondecertainsrisques,ycomprisavec la1èrechambre,s’agissantdesdonnéesfinancières.EllerencontrelamêmedifficultéquedanslestouslesautresdomainesdecontrôledelaCour,encequiconcernelaréflexionsur les missions. Je pense d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle nous n’avons que peu travaillésurlesmaladiesprofessionnellesdepuisuncertaintemps,alorsquenousavonseffec-tuéquelquespetitscontrôlesassezexplosifs.

J’espèreque la6èmechambrepoursuivra ledéveloppementdesonniveaudeprofessionna-lisme.Jenesuispaschoquéàl’idéequ’ellesepolarisedavantagesurlamaladiequesurlesretraites,carlesproblèmess’yrévèlentbeaucouppluslourdsetmoinstraités.Àcetégard,il

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Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

existe un véritable trou noir, qui est l’hôpital.Pour cette raisond’ailleurs,la6èmechambrel’alaisséauxchambresrégionales,carnousnedisposonspasdevéritablecompétencesurlesystèmehospitalier.Unrapportsurlecontrôlehospitalierdevraitêtreplusapprofondiqu’actuellement.LaCournepourralefairequ’enliai-sonforteavecleschambresrégionales.Celaviendra.

S’agissantdelacertification,jemesouviensdesproposprofon-démentjustesduDirecteurdelaSécuritésocialeadressésàlaCour:«Lescomptes,vouscherchezàlescertifier,nouscherchonsàleséquilibrer».Lacertificationdescomptesdansnotreunivers«État»dansl’ensemble,Courcomprise,aunefonctionvotive,voirepieuse.Ellen’estpasunegarantie,n’aaucunrapportaveclecontrôledegestionetnoussommesleseulpaysd’Europeàeffectueruncontrôlejuridictionneletunecertification.Nousnousy sommes plongés avec délice, mais nous déchantons à pré-sent,victimesdelaloidesrendementsdécroissants.IIconvient d’envisagerunecertificationtouslestroisans,si l’onconsidèreque la1èrechambreyconsacre lamoitiédesesraresmoyens.Cela étant dit, le plus intéressant dans la certification est l’analyse,notammentdescomptescertifiésdeshôpitauxparlescommissairesauxcomptes(CAC).

M.LIBAULT

Jevousremercie.

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1Dossier central :LA GOUVERNANCE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

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PermanenceetmutationsdelasolidaritéPar Jean-Pierre Laborde, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux, membre du Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (UMR CNRS-Université n° 5114)

Jean-Pierre Laborde est Professeur émérite de l’Université de Bordeaux depuis 2015, après avoir été notamment Président de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV de 2006 à 2011 et Directeur du Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (Comptrasec, UMR CNRS-Université n° 5114) de 1988 à 1998.Il est l’auteur de contributions, chroniques et commentaires, en droit de la Sécurité sociale, en droit du travail, en droit de l’aide et de l’action sociales, en droit social comparé et en droit international privé. Il est co-auteur de

deux ouvrages qui viennent d’être mis à jour :

Co-auteur, avec le professeur Jacques Rojot, d’une monographie en anglais de droit du travail, Labour Law in France, éd. Wolters Kluwer, deuxième édition, 2017 ;

Co-auteur, avec le Professeur Sandrine Sana-Chaillé de Néré, d’un Mémento Dalloz de droit international privé, 19ème édition, 2017.

LasolidaritéestcommelasignaturedelaSécuritésociale1,mieux,elleestsonêtremême,sonâme.LetoutpremierarticleduCodedelaSécuritésocialeénonceainsi,danssonpremieralinéa,que«laSécuritésocialeestfondéesurleprincipedesolidariténationale»2.Etpourtantcombienelleestdifficileàapprocher,nonseulementdansl’immédiatetletempsprésent,maisplusencoredanslasuitedestemps,quandelleoscilleentrepermanenceetmutations!

Delasolidarité,«sidifficileàdéfinir,encoreplusdifficileàmettreenœuvre»3,quiatouteslesapparencesdel’évidenceettouteslesréalitésdelacomplexitésicen’estdel’ambiguïté,ilesttoujours,quelquesoitlepointdevueadopté,deuxapprochespossibles.Ainsil’incontestablepermanencedelasolidaritédansl’organisationd’unsystèmedeSécuritésocialeappelle-t-elleuneréflexioncomplémentaire,sicen’estconcurrente,surdesmutationsquipeuventparaître,

1 C’estd’ailleursellequidistingue lesorganismesdeSécuritésocialedesimplesentrepriseset les faitéchapperàjustetitreauxlogiquesdudroitdelaconcurrence,commel’onténoncéaussibienlaCourdejusticedel’UnioneuropéennequelaCourdecassation.

2 Danssaformulationactuelle,quiremonteàlaloidu21décembre2015,l’alinéa1del’articleL.111-1estd’ailleursplusénergiqueencorequedanssaformulationprécédentepuisqu’ilénonçaitauparavantque«l’organisationdelaSécuritésocialeestfondésurleprincipedesolidariténationale».C’estdésormaislaSécuritésocialeelle-mêmeettoutentièrequiestainsicaractérisée.

3 Cette observation si exacte et si éclairante est de Jean-JacquesDupeyroux,Dr. soc. 1995, p. 716, cité parP.Rodière,«Actualitédessolidaritéssocialesendroiteuropéen»,inLa Solidarité, Enquête sur un principe juridique, CollègedeFrance,(sous la direction deAlainSupiot),OdileJacob,2015,p.311.PierreRodièreécritquantàluique,dansunsenslarge,«lasolidaritéestcequisoude,réunitoumetencommun,solidifie»-ibidem,p.312.

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parcertainsaspects, inéluctables4.Commentpourrait-ilenêtreautrementquandlemêmephénomènededualitédesenspossiblesaffectel’idéemêmeetl’imaged’unesolidaritéeffectivementaucœurde laSécuritésocialeet,plus largement,delaprotectionsociale.Ilfautdonctenterd’approcherducœurmêmedelasoli-darité(1),descerclesdesolidairesqu’ellemetenœuvre(2)etdespratiquesquiconcourentàsamiseenœuvre(3).

I-AucœurdelasolidaritéI-1/ Lasolidaritéaeneffetuneformepropre,danslesprestationsditescontribu-tives,c’est-à-direcellesdont lesbénéficiairesparticipentdirectementaufinance-ment.Onsaitque lefinancementprécisémentdecesprestationsestassuré,aumoins classiquement, par des cotisations, assises sur le salaire dans le régimegénéraldessalariés.Cescotisationssontcalculéesnonpasdutoutenfonctiondesrisquesquecourentlespersonnesconcernéesmaisdeleursrevenus.Ainsi,etc’esticiqu’apparaîtleprincipedesolidarité,lapersonnedefaiblesrevenusetderisquesélevéspeutêtreaussicomplètementcouvertequelapersonnederevenusélevésetderisquesfaibles5.LaCourdeJusticedel’Unioneuropéenneelle-mêmen’apasmanquéderelevercetteparticularitécommetypiqued’unrégimedesolidarité. Ileniraitbiensûrtoutàfaitautrementsilescotisationsétaientcalculées,commelesprimesd’assurance,enfonctiondurisque,puisquelespersonnesàrevenusfaiblesetàrisquesélevésnepourraientespéreraucunecouverture.Biensûraussi,ledis-positifdesolidaritéainsimisenplacesupposequel’affiliationàlaSécuritésocialesoitobligatoirecarsinonlespersonnesàrisquesfaiblesetàrevenusélevésiraients’assurerdansl’assuranceprivée,privantainsilesystèmedeSécuritésocialederessourcesessentielles.Il fautajouterque,dansundispositifdetypesolidaire, ilestassezclairquelaredistributiondesressources,quandelleexiste,vaplutôtdesactifsverslesinactifs,cequieststatistiquementlecasdelacouverturemaladieetencoreplusnettementetenquelquesorteorganiquementlecasdelacouverturevieillesse,danslecadredufinancementparrépartitiondelacouverturevieillesse6.

Évoquer en tout cas une solidarité obligatoire n’est d’ailleurs pas l’assimiler né-cessairementàunesolidaritéimposéepuisqueledispositifdeSécuritésocialere-lèvedanssesprincipesdelacompétenceduParlementqui,lui-même,représentel’ensembledelapopulationenâgeetétatdevoter.Cettesolidaritéest-ellepourautanttoujoursbienaccueillieetsurtoutest-elleseulementressentieouperçueparlesintéressés?Laquestionestdifficileetellen’apasderéponsebienclaire.Silasolidaritéspontanéeestsouventmiseenlumièreetressentiecomegratifiante

4 Cesmutations peuvent amener à tenter de repenser la solidarité – cf. S. Paugam,Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales,Paris,PUF,Leliensocial,2007.VoiraussiRobertCasteletNicolasDuvoux,L’avenir de la solidarité,PUF,Laviedesidées.fr,Paris,2013.

5 Surcette thématiqueessentielle,voirnotammentJ.-P.Laborde,Droit de la Sécurité sociale,PUF,ThémisDroitpublic,2005,n°53etsv.,pp.30et31.

6 S’agissantdelacouverturemaladie,lamontéedelafiscalisationdanssonfinancementneremetpasencauseleraisonnementicitenu,puisquel’impôtdirect,commelescotisations,estbiensûrcalculésurlesrevenusetnonpasenfonctiondurisque.

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nonseulementparceuxquienbénéficientmaisaussipourceuxquilapratiquent,lasolidaritéorganiséeestplutôtspontanémentperçue,mêmesicen’estpastoutàfaitju-ridiquementexact,commerelevantdelamachined’Etat,peuapteàsusciterl’émotionetencoremoinsl’enthousiasme.Etilfautajouterqu’ilapparaîtassezsouventdanslesétudesd’opinionqueleconsentementàlasolidaritéestd’autantplusfortquelasituationéconomiqueetde l’emploiestbonneetque,à l’inverse, il faiblitenpériodedecrise. Ilestvraiquecesmouvementsdebalanceetd’oscillationvalentaussietplusencorepourlesprestationsnoncontributives7.

Lasolidaritéprend,ilestvrai,uneautreformequandils’agitdetoutelapartienoncontributivedelaprotectionsociale.Lesbénéficiairesdesprestationsn’ensontpasalors,parhypothèse,lesfinanceurspuisque,précisément, leurdroitauxprestations tientà laconsidérationqu’ilsn’ontpaslesressourcesnécessairespourrépondreàleursbesoinsessentiels.Onsongebiensûriciàlatraditiontrèsancienneetquiparcourttouteslescivilisationsetlesreligionsduse-coursauxindigents.Formeenquelquesortepremièredelasolidarité,duricheaupauvre.Pourautantcettefiguredelasolidaritéabeaucoupévoluéaufildutempsetelleapparaîtaujourd’huiaussibiencommeundevoirpourceluiquiaufondn’enapasbesoinquecommeundroit,auxconditionsdéfinies,pourceluiqui,précisément,estdanslebesoin.Solidaritéenquelquesorteasymétrique, serait-on tentédedire, quand la solidarité contributiveestaucontraire symé-trique.Ilfautcependantseméfierdetaxinomiesetdeterminologiesvenanttroprapidementàl’esprit,danslamesureoùl’uneetl’autredessolidaritésconcernent,àdestitresdivers,lescitoyensdansleurensembleetaussilecerclepluslargeencoredetouslesrésidents.

II-2/ Les grandes distinctions binaires, ici la distinction du contributif et du non contributif,peuvent, ilestvrai,donnerunsentimentexagérédepermanence,ennelaissantpasentre-voir desmutations significatives.C’est bien le cas ici avec ce que l’on pourrait appeler unrapprochementdesdeuxgrandescatégoriesdenotrechampetdoncdesdeuxformesdelasolidaritéqu’ellesmettentenœuvre.Lephénomèneaététrèsremarquépourlesprestationsnoncontributives,quiconstituentaujourd’huidevéritablesdroitssubjectifspourleursbénéfi-ciaires,opposablesàtous,soumiscommetelsàdesconditionsobjectivesetquinesontpluslaisséesàl’appréciationplusoumoinsarbitrairedesdispensateursdesecours.Durestel’évo-lutioncontemporaine tendàarticulerplusqu’àdistinguer l’assurancesocialeet l’assistancesociale,enévitantdestigmatiserlaseconde,quirelèved’unesolidaritétoutaussinécessaireetappréciablequelapremière.Àl’inversemaisaufonddanslemêmeesprit,lesprestationsdeSécuritésocialeontintégrépourcertainesd’entreellesdesconditionsderessources8–lephénomèneestparticulièrementnetenmatièredeprestationsfamiliales-,etleurfinancementfaitdésormaisunassezlargeappelàl’impôt,dontleproduittalonneceluidescotisations.Celanesignifiecertesaucunementquelasolidaritéfaibliraitmaisplutôtquesesformestendentàdevenirpluscomplexesetpeut-êtreplussubtiles.

7 Cf.S.Paugam,«Lescyclesdelasolidaritéenverslespauvres»,inL’avenir de la solidarité,RobertCasteletNicolasDuvoux,précité,pp.23à41.VoiraussiCe que les riches pensent des pauvres,B.Cousin,C.Giorgetti,J.Naudet,S.Paugam,éd.DuSeuil,2017.VoirencoreS.Paugam,«Lespauvressontjugésvictimesd’injusticesocialeoubienparesseux»,ASH2017,n°3027,29septembre2017,pp.32et33.

8 Lesconditionsderessourcespeuventaussibientoucherl’existencemêmedelaprestation–c’est lecasleplusfréquent-qu’affectersonmontant–c’estdésormaislecasdesallocationsfamiliales–voirparexempleP.Morvan,Droit de la protection sociale, LexisNexis, 8èmeédition,2017,n°,448,p.428.

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Nousvenonsdefaireallusionàuneautregrandedistinction,celledufinancementparlescotisationsetdufinancementparl’impôt.Cettedistinctionapartieliéeavecuneautre,trèsfameuse,celledessystèmessocioprofessionnelsetdessystèmesuniversels.C’estalorslaquestioncrucialedescerclesdelasolidaritéquiestposée.

II- Les cercles de la solidaritéII-1/Lamiseenœuvreeffectived’unsystèmeoud’undispositifdesolidaritésup-posetoujoursquesoitdéfini,c’est-à-dire,ausensétymologique,délimitélecercledespersonnesconcernées,c’est-à-dire lecercledespersonnesentrantdanscerapportdesolidarité.Encesensetaumoinssurleterraindelaprotectionsociale,iln’yapasdesolidaritéuniversaliste,c’est-à-direqu’iln’yapasdesolidaritéquiregrouperaitenunseulcercle l’ensembledeshumainsdans l’universentier9. La solidaritédontilestquestioniciatoujoursdespersonnesextérieuresàsoncercle.

Enrevanchemaiscettefois-cidansunsensbiendifférentettechniqueilpeutyavoirdessystèmesdeSécuritésocialedetypeuniverseletd’autresdetypesocioprofes-sionnel,selonquelasolidaritémiseenœuvreselimiteounonauxtravailleursouàunecatégoried’entreeux.Ainsi,danslessystèmesdetypesocioprofessionnel,ceux qui exercent une activité professionnelle sont réunis en régimes différentsselonlatypologiedescatégoriessocioprofessionnellesretenueparlesystèmedeSécuritésocialetandisquedanslessystèmesdetypeuniverselsontassurésso-ciaux,quellequesoitleuractivitéprofessionnelleetmêmeenl’absencedetouteactivitédecetype, tousceuxquiontunerésidencerégulièresur le territoire.Ladistinctiondecesdeuxtypesdesystèmesentraînetoutessortesdeconséquences,surleterraindeladéfinitiondesassuréssociaux,surceluideséventuelsayantsdroit,surlefinancement,parl’impôtouparlescotisations,delaSécuritésociale,surl’organisationducontentieuxetsonrattachementàl’ordrejudiciaireouàl’ordreadministratifetainsidesuitemaisonvoitbienquelecœurmêmedeladistinctionestdansletypedesolidaritéretenuparcequec’estdecechoixquetoutdécoule.

II-2/ Encorefaut-il, iciautantqu’ailleurs,segarderdeverserdanstoutschéma-tismeetdeperdrelediscernementdesmutationsàl’œuvre.

Enpremierlieu,ilfautbiendirequesansdouteaucunsystèmen’estpurementso-cioprofessionneloupurementuniversel.Lesystèmefrançaisn’estpasplushomo-gènequ’unautremêmesisansdouteilaétéassezfortementsocioprofessionnelàl’origine.Ilestaujourd’huiplusmélangéqu’ilnel’était.C’estdireaussiquelesdeuxtypesdesolidaritépeuvententrerdansdesavantsdosages.

Ensecondlieu,lescontourssocioprofessionnelsdelasolidaritén’ontaucunemententravénilacouverturedesayantsdroitdesassuréssociaux,parhypothèseéloi-

9 End’autrestermes,laréférenceàlasolidaritépeutcertesêtreuniverselle,parexempledansdesdéclarations universelles de droits,mais samise enœuvre et son organisation passent par descerclesspécifiquesetlimités.Iln’yaévidemmentpasdesystèmemondialdeSécuritésocialeetdeprotectionsocialemêmes’ilestassezvraisemblablequel’additiondessystèmespluslimitésactuelsconcerneouaaumoinsvocationàconcernerunegrandepartiedelapopulationduglobe.

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gnésdetouteactivitéprofessionnelle,nilescompensationsdémographiquesentrerégimessocioprofessionnelsdifférents.C’estdirequ’unesolidaritéàportéenationaleouuniverselle existe toujours plus oumoinsenpuissancedans le sein des systèmessocioprofessionnels.

Ilestvraique lapériodeactuellenousplace faceàunproblèmerelativementnouveau,quiestceluidel’émergenceetdel’affirmationdedispositifsdetypeuniverselàl’intérieurmêmedesystèmestraditionnellementsocioprofessionnels.C’est lecasdusystèmefrançais,aussibiendupointdevuedelamontéegrandissantedelaplacedel’impôtquedupassagedelacouverturesantéàunecouverturedetypeasseznettementuniversel10.Ilestbienpossiblequecelasoitlesigned’unemontéedelasolidaritédetypeuniverseletilconvientalorsdetenterdeporteruneappréciationsurcephénomène.

L’universalitédelacouverturesocialeauncôtéradicalquipeutséduire.Ilfaudracependantveilleràcequecetypedesolidariténes’imposepasaudétrimentdesolidaritésplustradi-tionnellesouplusclassiquesmaispeut-êtretoutaussiutiles.Durestesil’onconsidèrelapro-tectionsocialedanssonensemble,prestationsnoncontributivesetprestationscontributives,onestfrappéparlelientrèssouventfaitetpourautantpeudiscutéentrel’universalitédelacouvertureetsoncaractèrebasiqueouminimal.Onmesurealorsceque,parexemple,unesolidaritéquines’exprimeraitplusqueparlagarantied’unrevenuuniverseldemontantné-cessairementlimitépourraitavoirdedangereuxpourdesdispositifscertespluscomplexesetbeaucouppluscatégorielsmaisendéfinitivepeut-êtreplusprotecteurs.Et,surunautreterrain,onmesureaussiledangerqu’ilpeutyavoirpourlestravailleursàcequelesprestationsso-cialesn’apparaissentpluscommeunsalaireindirectlégitiméparleurtravailmaiscommeuneressourcepubliqueabstraitementfinancéeparl’impôt.

Certeslesscénarioslesplussombresnesontpasnécessairementlesplusprobablesmaisilfauttoutdemêmesavoirlesprendreencompte,dansuneanalyseaussiprécisequepossiblenonseulementdesnormesmaisaussidespratiquesdelasolidarité.

III-LespratiquesdelasolidaritéParcetteexpressionassezgénérale,nousentendronssurtout lesattentesque lasolidaritésusciteetpeutsusciteretlescomportementsauxquelsellepeutêtreconfrontée.Cesattentessonttoutàfaitsusceptiblesdevariervoiredeconnaîtreelles-mêmesd’importantesmutations.

III-1/ L’unedesgrandesquestionsqueposel’exercicedelasolidaritédansledomainedesprestationsnoncontributivesestcelledesavoirs’ilconvientounondelessoumettreàdesconditionsou,plusexactement,delesassortirounondel’exigenced’unecontrepartie.C’estlaquestiondel’inconditionnalité,ounon,decesprestations.Onsaitquecettequestionabeau-coupagitél’opinionaumomentdelacréationduRevenuminimumd’insertion(RMI)en1988,dans lamesureoù lagarantied’unminimumde ressourcesapuapparaîtrecommecondi-

10 AinsilaloidefinancementdelaSécuritésocialepour2016du21décembre2015substitue-t-elle,pourcequiestdelapriseenchargedesfraisdesanté,aveceffetcompletau1erjanvier2020,desdroitspropresauxanciensdroitsseulementdérivésdesayantsdroitmajeursdel’assurésocial.Danscecadreprécis,lanotiond’ayantdroitdisparaîtdoncpourlesmajeursetmêmepourlesmineursdeseizeàdix-huitquisouhaiterontbénéficierplusrapidementdetelsdroitspropres.Surcequecependantils’agitbiendavantaged’universalisationqued’universalitépureetsimple,voirM.Badel,«LaSécuritésocialeasoixante-dixans.Vivel’universalisation»,Dr.soc.2016,pp.263à271.

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tionnéeàlaconclusionetplusencoreàlaréalisationd’uncontratd’insertion.As-seznombreuxontétélesauteursquiontfaitremarquerqu’unetelleexigenceleurparaissaitcontraireaucaractèrefondamentaldecettegarantieetfinalementàlasolidaritéelle-mêmequi,danslenoncontributif,n’apasnécessairementàattendrederetour.Illeuraétéparfoisrétorquéquel’opérationd’insertionétaitdansl’intérêtmêmedubénéficiaireetqu’ellenedevaitpasapparaîtrecommeunecontrepartieetl’onpeutpenseraussiquelasolidarité,fût-ellenon,contributive,nerelèvepasdelaseulecharitéouduseulsecoursetqu’ellepeuts’inscriredansdespratiquesbilaté-rales.Quoiqu’ilensoit,l’évolutionultérieureamontrétoutàlafoisquelespouvoirspublicsn’étaientpasprêtsàrenonceràassortirlesgarantiesderessourcesd’unprocessusderetouràl’emploietaussi,etenpartiecontradictoirement,quecepro-cessuslui-mêmerestait,dansbiendescas,fortaléatoire11.

Laproblématiquen’estévidemmentpaslamêmedanslesprestationscontributivesmaisellen’estpaspourautanttotalementdifférente,danslamesureoù,làencore,descomportementsparticulierspourraientêtreattendusdesbénéficiaires,quise-raientenquelquesorteincitésàgéreraumieuxlerisquecouvertpourendiminuerlafréquenceoulagravité.

Telest,biensûr, lecasavecl’indemnisationassurantielleduchômage,etmêmeaveclacouvertureduchômagedetypestrictementassistantiel,danslamesureoùlarechercheeffectivepeutêtrevérifiéeetsonabsencesanctionnée.Etsi,certes,lasolidaritéestbienprésentedanslacouvertureduchômage,ellenevapasjusqu’àgarantirauchômeurquiacotiséunecomplètetranquillitédanslaperceptiondesonindemnisation.Toutaucontraireest-ilattendudesapartunerechercheactiveeteffectived’emploi,danslecadredecequel’onappelle,defaçonassezambiguë,l’activationdesprestationsoudelacouverturesociale.End’autrestermesetdansunespritquel’onappelleaussideresponsabilisation,lespersonnesnedevraientplusêtreperçuesseulementenbénéficiairesdeprestationsmaisenactricesdela gestion de leurs propres risques.Autrement dit, le service des droits sociauxappelleraitdescomportementsspécifiquesdesesbénéficiaires,dansunsoucienquelquesortedebénéficecommun.

Assurément,nousn’ensommespasencoretoutàfaitlàdanslacouverturemaladiemaisl’onnepeutpasexclurequ’unjouroul’autrelesassuréssociauxbénéficientd’avantagesouaucontrairesubissentdespénalitésenraisondel’éloignementoudelapratiquedecertainscomportementsàrisques.Pourl’heure,avecnotammentl’institutiondumédecin référent, il s’agit surtoutdediscipliner la tendance jugéedépensièreàsaisirdirectementlesmédecinsspécialistes.

III-2/ Ilresteàsedemandersilatendanceainsiàl’œuvren’entraînepaslaso-lidaritédansunenouvelledialectiquedescomportements,lescomportements

11 Sanscomptercertainseffetsde«décentrement»,assezinattendus–cf.NicolasDuvoux,«LeRMIàLaRéunion:leçonsd’undécentrement»,inR.CasteletN.Duvoux,L’avenirdelasolidarité,op.cit.,pp.77à82–Ils’agitdelarecensiondel’ouvragedeNicolasRoinsard,Sociologie d’une société intégrée. La Réunion face au chômage de masse,Rennes,PUR,2007.

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attendusdesbénéficiairesrépondantauxdispositifsetcomportementsdesolidarité.Permanenceetmutationsdelasolidarité,encoreunefois.

Resteàespérerque la solidarité conserve voiredéveloppesapart d’adhésionet d’élancollectifetqu’elleneselimitepasàsapartd’affiliationetd’impérativité12.Etpourquoinepour-rait-onpasespéreraussiqu’elledébouchesurunespritetdespratiquesdecoopération13 ?

12 Cf.J.-P.Laborde,«Lasolidarité,entreadhésionetaffiliation»,inLa Solidarité, Enquête sur un principe juridique, (sous la direction deAlainSupiot),Collège deFrance,Odile Jacob, 2015, pp. 109 à 123.Nous entendons iciaffiliationdansunsensstrictementjuridiqueetnonpasdanslesenssociologiquequ’ila,commeduresteletermededésaffiliation,dansl’œuvredeRobertCastel.

13 Comp.C.Paternotte,Agir ensemble, Fondements de la coopération,Vrin,Philosophieconcrère,Paris,2017.

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ALESRACINESDELAGOUVERNANCE

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QuellegouvernanceauseindelaSécuritésociale?Par Gilles Nezosi, Directeur de la formation continue de l’EN3S

Gilles Nezosi, Directeur de la formation continue de l’EN3S est docteur en sciences politiques et auteur, aux éditions de la documentation française de « La protection sociale, Découverte de la vie publique » publié en 2016 et de « La gouvernance de la Sécurité sociale, une institution en quête de régulation » publié en 2010.

Leterme«gouvernance»estaujourd’huiomniprésent.Duclubdefootàl’entrepriseenpas-santparl’État,aucunsecteurneluiéchappe.LaSécuritésocialesemblepourtantfaireexcep-tion.Alorsmêmequ’ellefigureparmilesinstitutionslesplusinclusives,touchantlescitoyensàtouslesmomentsdeleurvie,lamanièredontelleestgouvernéeestméconnue.Certes,lesrésultatsdesonactionoul’ampleurdesesdéficitssontlargementcommentésetfontréguliè-rementlaunedelapresse.Cependant,lamanièredontlesdifférentesbranchesdelaSécuritésocialesontorganiséesetadministréesetlafaçondontlespolitiquespubliquesdeSécuritésocialesontdéfiniesdemeurentdansl’ombre.Or,mêmesicesaspectsprennenttrèsrapide-mentuntourtechnique,objetdedébatspourquelquesspécialistes,laméconnaissancequilesentoureestpréjudiciablepourlejeudémocratiqueetlaprisecollectivededécisionssurl’avenirde laprotectionsociale.Eneffet,au-delàde lacomplexitédesonmodedegouvernement,sesévolutionssontrévélatricesdesmodificationsdenotresystèmedeprotectionsociale,delaplacedesesacteurset,finalement,dusensetdesorientationsqu’onsouhaiteluidonner.

L’opacitéoùsembleplongée laSécuritésocialeet sonmodedegouvernement repose,enpartie,suruneséried’ambiguïtésquantauxobjectifsquiluisontfixésetsurtoutauxacteursquidoiventlesmettreenœuvre(lespartenairessociaux,l’Étatetlesdirectionssalariéesdesorganismes).Pourrenforcerencorelesdifficultésdecompréhension,lerôleetl’influencedecesacteursvont,augrédesréformes,évolueraucoursdestroispériodesqu’aconnulesys-tèmedepuissacréation:lapériodeinitialededémocratiesociale,celleduparitarismeetcelle,actuelle,d’émergenced’une«gouvernance»auseindelaSécuritésociale.

LesambiguïtésdeladémocratiesocialeL’Étatsocialcréeen1945 fondesa légitimitésur« l’arithmétiquede ladette»,c’estàdiresurunecontrepartieofferteparlacommunauténationaleauxsacrificesconsentisparlesci-toyensdurantletempsdeguerre1.Cependant,sileprojetestambitieux–protégercollective-mentlesindividuscontrelesprincipauxrisquesdel’existence(santé,famille,vieillesseimpé-cunieuse)–,lesmoyenspouryparvenirsontpeuclairs.Eneffet,ils’agitderéaliser,grâceàlaSécuritésociale,unsystèmesolidaire,couvrantàtermetoutelapopulationfrançaise.Lemodechoisipouryparvenirreposesurunelogiqueassurantielleassisecependantsurlesseulssa-lariésetgarantieparlaperceptiondecotisationssociales2.1 Surcetaspectplusphilosophiquedesfondementsdelaprotectionsociale,onsereporteraàPierreRosanvallon,

La nouvelle question sociale. Repenser l’État-providence,Paris,EditionsduSeuil,1995.2 Surladéfinitionàcettesolidaritéetàsesévolutions,onpourrasereporteràl’articledeJean-PierreLabordepublié

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La voie d’accès à cette solidarité est donc relativement étroite et surtout exclu-sive.Eneffet,endehorsdustatutdesalarié,lebénéficedelaSécuritésocialeestdéléguévialacatégoried’ayant-droit,dontsontdotéslesfemmesetlesenfants.L’accèsàlaSécuritésocialesefaitdonc,pourunepartimportantedelapopulation,parprocuration3.

Cependant, le choix de privilégier Bismarck plutôt que Beveridge répond à desmotifsobjectifsetconcrets.L’obligationd’affiliationàlaSécuritésocialepourlessa-lariésdusecteurprivérendpossiblelalevéedecotisationssocialesassisessurletravail.Ilpermetainsiausystèmedecouvrirtrèsrapidementlesrisquesmaladies,familleetvieillesseenmobilisantdesressourcesabondantestiréesdel’essorsansprécédent du salariat après-guerre. LaSécurité sociale devient dès lors un desacteursmajeursdelareconstructionsanitaireetsocialedupays.

Lechoixdel’assuranceaégalementpourconséquencel’entréedessalariésdanslegouvernementdes caissesdeSécurité sociale. L’assise salarialedu systèmerendlaclasseouvrière–les«intéressés»–membrededroitdelacommunautépolitiqueen lui conférantun rôledegestionnaireetdoncde responsablede faitdelaSécuritésociale.Onparled’ailleurspourqualifiercettepériodepionnièrede«démocratiesociale».

Parlebiaisdecette«œuvrecollective»4qu’ilfinanceparsescotisations,lemondeouvriersetrouvepourlapremièrefoisréellementintégréàunrégimepolitiquequin’estpas fondamentalementmodifié,maisqui reconnaît,dans laConstitutionde1946,ledroitàlaSécuritésociale.Ildevientainsicomptable(via sonfinancementetsaresponsabilitépolitique)d’unpanparticulièrementimportantdelasociété:laprotectionsociale.Ainsi,pourP.Laroque,«leplandeSécuritésocialenetendpasuniquementàl’améliorationdelasituationmatérielledestravailleurs,maissurtoutàlacréationd’unordresocialnouveaudanslequellestravailleursaientleurspleinesresponsabilités»5.

Cependant,cettegestiondescaissesestindirecte.C’estlàuneautreambiguïtédusystèmedeSécuritésociale.Lessalariésdélèguentleurpouvoirdereprésentationauxorganisationssyndicales.Cechoixd’unedélégationdegestionest,àl’époque,légitiméenotammentparlareprésentativitédessyndicats.CGTetCFTCpeuventeneffetcomptersurprèsdesixmillionsd’adhérents–soitlamoitiédessalariés–,laCGTenrevendiquantàelleseuleprèsdecinqmillions6.

danscenuméroREGARDSpage29etsuivantes..3 Cettesituationdemeurerajusqu’àl’instaurationdelaProtectionuniversellemaladie(PUMA)en2016

quigarantitàtoutepersonnequitravailleourésideenFrancedemanièrestableetrégulière,undroitàlapriseenchargedesesfraisdesantéàtitrepersonneletdemanièrecontinuetoutaulongdelavie.Cetteprotectionestsurtoutlamanièredontelleestpenséefaittomberdefaitlanotiond’ayant-droit.

4 Pourreprendreletitredun°spéciald’Espace social européen consacré aux 50 ans de la Sécurité sociale(sept.-oct.1995).

5 P.Laroque,«LeplanfrançaisdeSécuritésociale»,Revuefrançaisedutravail,n°1,1946,p.13.6 Pourl’audiencedelaCGT,onpourrasereporteràD.AndolfattoetD.Labbé,LaCGT.Organisation

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La légitimitédessyndicatsdesalariésà représenter lessalariéscotisantssembleincontestable. C’est d’ailleurs durant cette période d’après-guerre que se constituetoutel’ossaturedespolitiquessocialesfrançaises.Certes,l’actiondescaissesdeSécuritésocialeneseconstruitpasex nihilo,laTroisièmeRépubliqueayantdéjàébauchédenom-breusespolitiquessocialestantenmatièredemaladie,deretraiteoudefamille.Cependant,àladifférencedeleursprécurseurs,cesdernièresprennentuncaractèreobligatoirepourlessalariés7 et systématique. Elles sont égalementmises enœuvre, défendues puis générali-séessouventàl’initiativedemilitantssyndicauxquis’investissentfortementdanslescaissesnaissantes8.Ilsincarnentalorsladirectionpolitiquemaispasuniquementtantleuractionestprochedesassurésmaiségalementdessalariésdesorganismesenchargedelesappliquer.Ilexistealorsunecontinuitéd’actionentrelesdécideurs,lesexécutantsetlesbénéficiairesdespolitiquessocialesmisesenœuvre9.

Cependant,l’Étatn’estenrienabsent,mêmes’ilpeutapparaîtreenretrait.Eneffet,laSécu-ritésocialeestcertesconfiéeauxpartenairessociauxmaisc’estl’Étatquienestlevéritableinstigateur10.Deplus,unepartnonnégligeabledesmodalitésdefonctionnementdunouveausystèmerestedesacompétenceréglementaireetlégislative.

Pourtant,malgrécesambiguïtésdedépart,lessyndicatsprésententlagestiondesorganismesdeSécuritésocialecommeuneconquêteetune reconnaissancede laclasseouvrière.Oncomprendalorsl’énormechargesymboliquedelaSécuritésociale.Ellesignelanormalisationdelaclasseouvrière–«quicamp(ait)danslasociétésansyêtrecasée»,selonl’expressiond’AugusteComte11–et,parvoiedeconséquence,lareconnaissanceofficielledessyndicatscommedespartenairesincontournablesdanslechampsocial.

LeparitarismeAufuretàmesurequelaSécuritésocialemonteenpuissance–tantparlenombredeper-sonnescouvertesqueparl’ampleurdesesprestations–ladémocratiesociales’effacepour

etaudiencedepuis1945,Paris,Ladécouverte,1997ainsiqueD.AndolfattoetD.Labbé,Histoiredessyndicats(1906-2006),Seuil,2006.

7 Onparle des salariés du secteur privé, les autres actifs (fonctionnaires, cheminots, agriculteurs, indépendants,etc.)maintenantsoitleurappartenanceàdescaissespréexistantesàlaSécuritésocialeouconstituantleurproprerégime.

8 Surcetaspectassezméconnudelamiseenplacedespolitiquessocialesd’après-guerre,onpourrasereporterlelivreconsacréparJean-MarieMoineaumilitantsyndicallorrainRenéBoudot,fortementinvestidanslesconseilsdecaissesdeSécuritésocialeetdesCaissesd’AllocationsfamilialesdunorddelaMeurtheetMoselle.Jean-MarieMoine,RenéBoudot,Lefeusacré,unouvrierchrétienduPaysHaut,1907-1990,Metz,ÉditionsSerpenoise,1997.

9 Cetteproximitéentrelepersonnelet lesadministrateurspeutêtreefficacepourl’applicationdesmesuresprisesparleconseil,maisellepeutégalementêtreunhandicappourlabonnemarchedescaisseslorsquelesappareilssyndicauxetpolitiquesl’utilisentpourinstaurerunclientélismeauseindesorganismes(C.Bonifay,Lesproblèmesd’autoritéetdepersonneldanslastructuredelaSécuritésociale,Dynamiqueadministrativeetstratégiesociale,Paris,1961,Unionnationaledescaissesd’allocationsfamiliales.

10 Ainsi, à titre d’illustration, c’est Pierre Laroque, Haut Fonctionnaire, qui est considéré comme l’un des pèresfondateurs de la Sécurité sociale.

11 CitéparJ.Rigaudiat,«Àproposd’unfaitsocialmajeur:lamontéedesprécaritésetdesinsécuritéssocialesetéconomiques»,DroitSocial.,2005,p.243.

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être peu à peu remplacée par le paritarisme12.Ce changement d’appellation dusystèmen’estpasuniquementsémantique.

OncommenceàparlerdeparitarismeàpartirdesannéessoixanteàunmomentoùlaSécuritésocialeachèvesonessor.Les«pionniers»,incarnésdansdenom-breuses caisses par les militants syndicaux, laissent place à des « administra-teurs»quivonts’éloignerdeladirectionquotidiennedescaissespourjouerunrôlepluspolitiqueetinstitutionnel.

Letravaildespartenairessociauxs’éloignepeuàpeudelaconduitedesaffairescourantesdescaissesdeSécuritésociale.Ils’organisealorsencommissions(fi-nance,actionsociale,etc.)etlesadministrateurssevoientconfier,deparleurstatutpolitique,unrôleimportantdereprésentationetdedéfensedesintérêtsdescaissesdanslesnombreusesinstancesoùellesdoiventsiéger(parexemple,lescommis-sionsdiversesd’actionsocialeoudedéveloppementsociallocalpourlescaissesd’Allocations familiales, les commissions de recours amiables dans lesCaissesPrimairesd’Assurancemaladie).Àcesressourcespolitiquesetsymboliquesfortes(priseencomptede lavoixdesorganisationssyndicalesdans l’élaborationet lesuividespolitiquessociales),ilfautajouterlesressourcesmatériellesimportantes(heuresdedélégations,créditsdeformation)dontdisposentlesorganisationssyn-dicalespourmeneràbienleuraction13.

Cependant,cetteactivitéestdeplusenplusdépendantedesservicesadministra-tifsdescaissesquipréparentenamonttouslesdossiersexaminésparlesadminis-trateurs.Ainsi,aumomentmêmeoùl’actiondessyndicatsdevientprincipalementpolitiqueetinstitutionnelle,onassisteàl’émergencedes«techniciens»,gestion-nairessalariésdesorganismesdeSécuritésocialequivontconstituerpeuàpeuunevéritable«éliteduwelfare ».

Cettedernièreestconstituéeàlafoisparlesdirectionssalariées,directementis-suesdelaSécuritésocialeetparcertainshautsfonctionnairesd’État.Lespremierssontpassésparuneécoled’application fondéeen1960(leCentred’Étudessu-périeuresdelaSécuritésociale–CESSS14). Ilsmaîtrisentà lafois lescodesdel’institutionmaiségalementsesrouages. Ilsvont fairepetitàpetitde laSécuritésocialeune«entreprisecommelesautres»eny transposantdesméthodesdemanagement,degestionouderessourceshumainesquasiabsentesjusque-là.

Encela,ilssontappuyésetsurtoutencadrésparlesgrandscorpsdel’Étatquiin-vestissentdirectementlaSécuritésocialeousapériphérie.Ainsi,depuislaréforme12 AppliquéàlaSécuritésociale,cetermerenvoiàlacréationetàlagestiond’unorganismesocialde

droitprivéparunnombreégald’administrateursreprésentantsdessalariésetdesemployeurs.13 Surcetaspectdel’actionauquotidiendesadministrateurs,onnedisposequedetrèspeud’étudesà

partcelleréaliséeen1998parLaurentDuclos,«Leparitarismeauquotidien.Lamédiationduconseild’administrationdanslaproductionduservicepublic»,Recherches et Prévisions,n°54,décembre1998.

14 DevenuCentrenationald’étudessupérieuresde laSécuritésociale(CNESS)en1977puisÉcoleNationaledeSécuritéSociale(EN3S)àl’occasiondelaloidu13août2004relativeàl’AssuranceMaladie.

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Jeanneneyde1967portantcréationdescaissesnationalesdeSécuritésociale,cescaissessontdirigéespardeshautsfonctionnairesissusdesgrandscorpsd’État.

Parailleurs, l’actionquotidiennedesorganismesestdeplusenplussuperviséepardeshautsfonctionnaires,notammentceuxdelaDirectiondelaSécuritésocialeetdel’InspectiongénéraledesAffairessociales.

Cesnouvellesfigures,quis’érigentpeuàpeuentechnocratie,vontgagneràlafoisenautono-mievis-à-visdesadministrateursmaiségalementenpoidsaufuretàmesurequel’institutionsecomplexifieetquelanécessitéd’uneefficacitémanagérialeetgestionnaireprendlepassurleprojetpolitiquedelaSécuritésociale.Dèslesannéessoixanteeneffet,laSécuritésocialeestdevenueuneinstitutionreconnueet légitime.Ladéfensedeceprojetdevientmoinsné-cessairetoutcommeleprosélytismeautourdesonobjet,réduisantd’autantlerôleinitialdespartenairessociaux.

Cesderniersvontainsipasserd’unrôlede«dirigeantsactifs»prenantauquotidiendesdéci-sionssurl’activitédesdifférentesbranches,àunesituationde«dirigeantspolitiques»certesgarantsdufonctionnementetdesgrandsprincipesde laSécuritésocialemaisprogressive-mentdessaisisdeleursprérogatives.Laconséquenceestleuréloignementdufonctionnementquotidiendescaissesaufuretàmesurequ’ellesdeviennentdesorganismesdeplusenplussollicitésparlapopulationetdeplusenpluscomplexesàgérer.Leparitarismeestdoncunepériodedetransitionentrelapériodepionnièredeconstructiondusystèmeetlapériodeac-tuellequimetenavantunenouvellenotion,celledegouvernance,plusdifficileàdéfinircarenconstanteévolution.

L’émergencedelagouvernanceàlaSécuritésocialeDepuistrenteansenviron,l’affaiblissementdurôleetdelaplacedespartenairessociauxvaencores’accentueraveclesdéficitschroniquesqueconnaîtlaSécuritésociale.

LemodedegouvernementambigudelaSécuritésociale,caractériséparunpartagedesrôlesassezflouentrelesacteurs,peutfonctionnersanstropdeheurtsdèslorsquelasituationéco-nomiqueestbonneetquelesrentréesdecotisationssocialesluipermettentd’assurersafonc-tionsociale.Lasituationdevientdifficilelorsquelacriseéconomiques’installe.Nonseulementlahausseimportanteduchômageàpartirdelafindesannéessoixante-dixprivelaSécuritésocialed’unepartie conséquentedeses ressourcesde fonctionnementmaiselle l’obligeàjoueràpleinsonrôleredistributif.

Lesdéficitssecreusentetsurtouts’accumulent,obligeantlaSécuritésocialeàseréformer.LesystèmeetprincipalementsabrancheMaladieconnaissent,enmoyenne,uneréformetousles18moisàpartirde1975.Or,lespartenairessociauxn’ensontjamaisàl’originealorsmêmequelaréformede196715lesrendgarantsdel’équilibrefinancierdesdifférentesbranches.Enfait,l’Étatéchafaudedesréformesquelesdirectionsdecaissesmettentenoeuvre.Lessyndi-catspourtantgestionnairessemblentcourt-circuitésou,entoutcas,n’assumentpasleurrôledegarantspuisqu’ilsnesontjamaisàl’originedesmesurescorrectrices.Desoncôté,l’État

15 Ordonnancesdu21août1967,ditesordonnancesJeanneney.

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décidedesmesuresàprendresanspourautantassumersapositiondedécideur16.

Unesortede«videpolitique»s’installeainsijusqu’àlafindesannéesquatre-vingtdixcontribuantà l’absencede lisibilitédumodedegouvernementde laSécuritésociale.

Quelques réformes,marquantesdupoint de vuedugouvernementdu système,vont cependant le faire évoluer en bougeant les lignes de force. La redéfinitiondesrôlesetdespouvoirsdesdifférentsacteursfaitentrerlesystèmedeSécuritésocialedansl’èredelagouvernance17.

Deuxd’entreellessontainsiparticulièrementmarquantes.Cellede1996introduitleParlementdanslaconduitepolitiquedesaffairesdelaSécuritésociale;laréformedel’AssuranceMaladiede2004instaureunDirecteurgénéralautonomevis-à-visdespartenairessociaux.

Si le gouvernement de laSécurité sociale n’est guère plus lisible après ces ré-formes,ellessontautantd’étapesmarquantesdanslalentepertedepouvoirdessyndicats.Elles interviennenttantdans« legouvernementquotidien»desorga-nismesquedansladéfinitionplusglobaleetstratégiquedeleurpolitique.

Enenlevantnotammentauxconseilsleursattributions«d’administration»et,plusconcrètement, leur pouvoir de nomination des directeurs de caisses, la réformeDouste-Blazy de 2004met fin aux dernières prérogatives d’importance laisséesauparitarisme.Elleconsacredesurcroîtunenouvellefigure:leDirecteurgénéral.C’estàcedernierquerevientdésormaislanominationauxemploisdedirecteurdecaissesprimairesmaiségalementlepouvoirdenégocieretdesignerlesnouvellesconventionsaveclesprofessionnelsdesanté18.Ilofficialisede facto l’indépendancedesresponsablesd’organismesvis-à-visdespartenairessociaux.Déjàeffective,elleestreconnuedanslestextes.Lesdirecteursd’organismesontdorénavantdiri-gésparunDirecteurgénéralnomméenconseildesministresàlatêtedecaissesnationalesmaisnonrévocableparlui.La«filièretechnocratique»estdoncconsa-crée.

Laréformede2004dessineunmodeparticulierdegouvernementquis’éloignedusystèmeparitaire–qu’ellecondamneenréduisantdrastiquementsesattributions–

16 Ainsi, pour Rémi Pellet, « […] les représentants des syndicats de salariés s’opposaient à toutebaissedesremboursementstandisquelesreprésentantsdupatronatrefusaienteuxtoutehaussede cotisation. Les partenaires sociaux ont ainsi toujours laissé au gouvernement l’initiative et lachargedeprendredirectementlesmesuresimpopulairesderétablissementfinancierdelabranchemaladie.»,RémiPellet,Lesrelationsentrel’assurancemaladieetl’État,in ÉdouardCouty,CamilleKouchner,AnneLaude,DidierTabuteau (sous ladir.de),La loi HPST, regards sur la réforme du système de santé,Rennes,Pressesdel’EHESP,2009,p.373.

17 Définie par Jean-Pierre Gaudin comme une « coopération entre différents acteurs étatiques ounonet,plus largement,publicsouprivés ; l’organisationderelationspar interactionscontinuesetréseauxmultipolaires;l’élaborationderèglesdujeunégociées,horsdeshiérarchiesinstitutionnellesclassiques»(Jean-PierreGaudin,Gouverner par contrat,Paris,PressesdeSciencesPo,1999,p.122).

18 Surlecontenudecetteréformeetpourunedescriptionprécisedesattributionsdudirecteurgénéral,onpourrasereporteràl’articledeP.-L.Bras(2004).

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sanspourautantquel’onpuisseparlerd’uneétatisationquel’Étatnepeutpolitique-mentassumer19.Lamontéeenpuissanced’unenouvellefigure(leDirecteurgénéral)àquil’onconfiedescompétencesélargiescorrespondpeut-êtreàcettetroisièmevoie.

Cettenouvellefigure,entérinantlamontéeenpuissancedepuislesannéessoixantedesdirec-tionssalariéeset,plusglobalement,del’expertiseauseindelaSécuritésocialeetuntournantmajeurdanslegouvernementdescaisses.Ilserajouteàunautreacteur,leParlement,légiti-méparlesordonnancesJuppéde199620.

Cedernieradésormaispourresponsabilitéd’élaborerlaloidefinancementdelaSécuritéso-ciale,privantdumêmecouplespartenairessociauxd’unepartsupplémentaireetimportantedeleursprérogatives.LeretourenforceduParlementpeutêtreanalysécommeunedéfaitesupplémentairedusystèmeparitaire.Outrelevotedel’Objectifdedépensesd’assurancema-ladie(ONDAM)quipermet,pourlapremièrefois,defixerdesrèglesdedépensesdiscutéesenséancepublique,lesassembléessedotentégalementd’outilsd’évaluationvia les Missions d’évaluationetdecontrôledesloisdelaSécuritésociale(MECSS).

Onpeutgoûtertoutleparadoxed’unesituationoùl’Étatajouécontreuntypedereprésenta-tionpolitiquenovateur,– laDémocratiesociale,assuréepar lespartenairessociaux–,pourleremplacerparcelui,plustraditionnel,delareprésentationparlementaire.Resteàsavoirsicechangementétaitévitableetsi,finalement,l’effacementdelacitoyennetésocialeauprofitdelacitoyennetépolitiquen’estpaslasanctiondel’impuissancedespartenairessociauxetprincipalementdessyndicats.

Eneffet,duranttoutescesannéesdecrise,lespartenairessociaux–etprincipalementlessyn-dicats–ontsembléimpuissants.Certes,ilsontétédépouilléspetitàpetitdeleursprincipalesprérogativesjusqu’àlareformede2004quivideleparitarismedesasubstance.

Cependant,lessyndicatsontsembléincapablesdepesersurlesgrandesorientationsdusys-tèmemalgrélaréformeJeanneneyde1967quileleurpermettaitet,lorsqu’ilsontessayédelefaire,c’étaitcommeforced’oppositionetdedénonciationàunmomentoùcesorientationsétaientdéjàfixéesparl’État21.Outreleurpeudeprisessurlagestiondesorganismes,c’estlacapacitéd’initiativeetlaforcedepropositiondessyndicatsquisont,ici,prisendéfaut.

L’État,quantàlui,renforcesapositioncentraleetcontourneleurinfluence22.Pourcela,ilmul-tiplie lesmodesd’intervention indirects tantdans lagestiondesorganismesquedans leurssphèresd’intervention.

Ainsi,en interne, ilfixeauxdifférentesbranchesdesobjectifspluriannuels (via lesConven-

19 Ainsi, la Convention collective des personnels de la Sécurité sociale est maintenue, leur statut de droit privédemeurantinchangé.

20 Ils’agitdel’Ordonnancen°96-51du24janvier1996relativeauxmesuresurgentestendantaurétablissementdel’équilibrefinancierdelaSécuritésocialeetdel’Ordonnancen°96-344du24avril1996portantmesuresrelativesàl’organisationdelaSécuritésociale.

21 Nousenavonsuneillustrationlorsdesdifférentesréformesdusystèmederetraitede2005etde2010.22 Et semble par la même donner raison à la thèse développée par Antoinette Catrice-Lorey qui parle de la

Sécuritésocialecommed’uneinstitutionanti-paritaire,notammentenraisondurôledel’Étatquisepositionnerasystématiquementencontrepouvoirdessyndicats.AntoinetteCatrice-Lorey,LaSécuritésocialeenFrance,uneinstitutionanti-paritaire?,Larevuedel’IRES,n°24,printemps-été1997.

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tions d’objectifs et de gestion – COG) qui sont ensuite déclinés dans lescaissessous formedeContratspluriannuelsdegestion (CPG).Cettedémarche« contractuelle »23, liedésormais lesdifférentesbranchesde laSécurité socialeà l’Étatpourunepériodedequatreans,autourd’unedémarchecentréesur l’at-teinte « d’objectifs et de résultats ». L’ensemble de l’activité est ainsi passé enrevue et évalué. Lesmarges de progression autour d’objectifs précis et quanti-fiés (parexemple l’améliorationde laqualitédeservicedéclinéepardes tempsd’accueils maximaux dans les guichets ou lors d’appels aux plateformes té-léphoniques) sont définis et soumis à une évaluation en fin de convention.

Cettecontractualisation,dontlecontenu,signéentrel’Étatetlesbranchesetvotéenconseild’administration,estunmoyencertesmoinsunilatéraldecontrôlerlesorganismesmaislerésultatdemeureidentique:lapuissancepublique,devenueun«partenaire»,esttoujoursaussiprésenteetdeplusenplusencapacitéàsuivreetorienterlefonctionnementdelaSécuritésociale.

En périphérie de l’action des caisses, l’État institue une nouvelle gouvernanceenmultipliant lesagencesou lesétablissementspublics intervenantdirectementou indirectementdans lesdomainesdecompétencesde laSécuritésociale.Onpeutciter,parexemples, lesétablissementschargésde rembourser ladetteso-ciale (Caisse d’amortissement de la dette sociale créée en 1996), d’indemniserlesvictimesdemaladiesprofessionnelles(Fondsd’indemnisationdesvictimesdel’amianteconstituéen2001)oudeprendreenchargelesprestationsnoncontri-butivesdeSécurité socialeenmatièrede retraite (Fondsdesolidarité vieillesseopérationneldepuis1993).

Cettenouvelleformed’administration«paraétatique»nefaittoutefoispasillusion.Ils’agitd’unnouveaumoded’interventiondel’Étatdanslaprotectionsocialemoinsvisiblecarindirectemaistrèsprégnante.Ellecomplèted’ailleurslesautresformesd’interventionnéescesdernièresannéescommelesgroupementsd’intérêtpublic(GIP)ouéconomiques(GIE)-quel’onretrouvedansdiversdomaines:l’assurancemaladieavecleGIEVitale,l’assurancevieillesseavecleGIPinforetraite,etc.–oulesdiverscomités(comitéd’alertesur lesdépensesdesanté),conseils(Conseild’orientation des retraites,Haut conseil pour l’avenir de l’assurancemaladie) etautorités (Haute autorité de santé) qui alertent ou éclairent les pouvoirs publicsoubienélaborentdesdispositifsquiaurontune incidencesur le fonctionnementquotidiendescaisses.

Certes,lamajoritédecesinstancessontautonomesparrapportàl’État,maisilenesttoujoursl’initiateuretlessyndicatsysonttoujoursréduitsàlaportioncongrue24.

La Sécurité sociale a donc connu plusieurs types de gouvernement qui corres-23 Onpourrad’ailleurstoujourss’interrogersurlavaliditémêmedutermedanslamesureoùlesdeux

partiesquicontractualisentn’ontnilesmêmesprérogativesnilesmêmespouvoirs.24 Sur lacaractérisationdumodede fonctionnementenagences,onpourrase référerà l’articlede

DanielBenamouzigetJulienBesançon,«Lesagences,alternativesadministrativesounouvellesbureaucratiestechniques?Lecasdesagencessanitaires»,Horizons stratégiques, Centre d’analyse stratégique,n°3,janvier2007.

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pondentàautantdephasesdesonhistoire:laDémocratiesocialequiaccompagnel’installationde laSécuritésociale, leparitarismequivadepairavecsamontéeenpuissanceet lacomplexificationdesonactionet lagouvernancequivoitune tentativedeclarificationdesrôlesentrelapuissancepubliqueetlesacteursdesorganismesdeSé-curité sociale.Toutes ces phases conduisent cependant à l’affaiblissement des partenairessociauxauseindescaissesdeSécuritésociale.Aujourd’hui,marginalisés, leurrôleauseindesconseilsestdevenusymbolique.Transformésen«magistraturemorale», ilsrappellentparleurprésencelesvaleursfondatricesdelaSécuritésociale:lasolidarité,laluttecontrelapauvreté,laproximitéaveclepublic,etc.quelesdirecteursdecaissespeuventéventuellementmobiliserlorsquelesintérêtsdeleursorganismesoudeleursbranchessontmenacés25.

Restentlesautresacteursquesontlesgestionnairesdesorganismesetl’État.Pourlespre-miers,leurrôleestaujourd’huiincontournabletantl’actiondescaissesestdevenuetechniqueetcomplexe.LesCOGetlesCPGquiintroduisentunefortedosedemanagementparobjectifsetd’évaluation,coupléeàuneplusgrandeexigencedel’État(iedesMinistèresdetutellemaiségalementdesParlements)rendentleuractionindispensableetmodifiedefaitleurplaceauseindusystème.D’unstatutdedépendancevis-à-visdespartenairessociaux,ilssontdevenusdépendantsdel’ÉtatdanslapoursuitedesgrandsobjectifspolitiquesdelaSécuritésociale.Parcontre,ilsontgagnéenlégitimitétechniquecequilesrendautonomesdanslaconduiteauquotidiendesaffairesdescaisses.

Lerôledel’Étatestlui,pluscomplexe.Politiquement,ilestrevenuofficiellementsurledevantde la scène via desParlementsquivotent les loisdefinancementde laSécuritésocialeetfixent, plus spécifiquement, les objectifs de dépenses de l’Assurancemaladie. La substitu-tiondeladémocratiepolitiqueàladémocratiesocialeestaujourd’huiconsommée.Parallèle-ment,ilsefaitplusprésentdanslaconduitedel’activitéquotidiennedescaissesenfixantauxbranchesleurs«feuillesderoute»parl’intermédiairedesCOG.Parailleurs,sonactionenmatièredeprotectionsocialeet,plusspécifiquementdeSécuritésociale,semodifieparlamiseenœuvredesagencesetautresétablissements.Sonactionsefaitmoinsdirectemais,souscouvertde«NouveauManagementPublic»,onassisteàunereconfigurationdespouvoirsauseindelaSécuritésocialeoùl’Étatestplusprésentsanspourautantquel’onpuisseparlerdecomplèteétatisationdusystème.

25 Ainsi,leConseildelaCNAMTSarefuséenjuillet2010d’entérinerlesorientationsproposéesparl’ÉtatpourlaCOG2010-2013surlestauxderemplacementdesdépartsenretraite.LeConseilestimequelabrancheadéjàconsentideseffortsconsidérableslorsdelaCOGprécédente.

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Lagouvernancedescomplémentairesreste,aujourd’huicommehier,unthèmededébatPar François Charpentier, journaliste AEF

Journaliste spécialisé. Auteur de l’encyclopédie de la protection sociale en 2000 (Economica), François Charpentier a publié chez le même édi-teur « Retraites complémentaires » en juillet 2014. Il a publié aux PUF, dans la collection Que sais-je ? « Les régimes de retraite complémen-taires AGIRC et ARRCO » en 2016.

IntroductionHistoriquementenFrance,laquestiondelagouvernancedesrégimesdeprotectionsocialeneseprésentepasdutoutdelamêmefaçonselonqu’ils’agitdes’organiserpourfairefaceàunrisquedansledomainelasantéoudeseprocurerdesrevenuspoursesvieuxjours.Aufildesanscependant,desregroupementsquisesontopéréschezlesprincipauxintervenantsdusecteur–mutuelles, sociétésanonymesd’assurances, institutionsde retraiteet depré-voyance–,maisaussid’événementsextérieurs– laconstructioneuropéenne–uneharmo-nisationdespratiquesetdesmodesdegestions’observe.Envued’uneplusgrandelisibilitédesmécanismesenplace,d’uneoptimisationdescoûtsetd’unemeilleurequalitédeservice.C’estl’objectifaffiché.

De l’entraide à la « prévoyancelibre »Enmatièredesanté,lapréoccupationd’unecouverturecontrelamaladied’abord,puislesac-cidentsdutravail,atoujoursexisté.L’Église,vialescongrégationsetsonsoutienauxindigents,alongtempsassuréseulelapriseenchargedesmalades.LesHôtels-DieuencoreprésentsàParisetdansplusieursgrandesvillessontautantdetracesdecelointainhéritage. ÀpartirduXVIIIesiècle,lessociétésdesecoursmutuelpratiquantl’entraideentrelesadhérentsper-mettrontunecertainepriseenchargedelamaladie,desaccidentsdutravailetduchômage.

A contrario,laprotectiondurisquevieillesseestextrêmementrécenteauregarddel’histoiresociale.Deuxsièclesetdemi toutauplus.L’idéede retraitenes’est imposéequesous lapressiond’unepart,del’émergencedel’Étatnationquiaeubesoinpourexisterdedégagerdutravaildelaterredesfonctionnairesetdesmilitaires,d’autrepartdelarévolutionindustriellequiaconduitàunphénomèned’urbanisationetd’éloignementdescampagnesdepopulations

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toujoursplusnombreuses.

Certes,ilyeutColbertetlaCaissesdesinvalidesdelamarineroyale(éditsdu16avril1670etdeNancydu23septembre1673)présentéeàtortcommelepremierrégimederetraite.Danscesystèmeforfaitaireetindemnitaire,onétaitéluaurangd’allocataireparvolontéroyale.Lesystèmen’étaitdoncpasassurantieldansunpayscatholiqueoù leprincipemêmed›assuranceétaitprohibé, l’individudevants’enremettreàlaprovidencedivine.Iln’étaitpasuniverselpuisqu’ilfallaitunactepositifdel’exécutifpourouvrirdesdroits.

Danslesfaits,ilfaudradoncattendreplusd’unsiècleplustardetLouisXVIpourqu’apparaisseenFrancelepremierrégimederetraitedignedecenom,autrementditunsystèmeouvrantdroitàunrevenuderemplacement.Pourbriser letabou,lesouverain,manifestementinspirépardesbanquiersprotestantsgenevois,maisquis’appuyaitaussisur les travauxdesLumièressur lescalculsdeprobabilités(Condorcet,d’Alembert,Diderot,Deparcieux,Lavoisieretquelquesautres)créadefaitlascienceactuarielle.Ainsinaquiten1787uneCompagnie royale d’assurance sur la viedontunepartiedesroyaltiesrevenaitàlaCouronnepourfairefaceàd’im-périeuxbesoinsd’argent.Concrètement,lemontantdelapensionétaitcalculéenfonctiondecotisationsverséespendantlavieactiveetdeladuréedeviesupposéedel’individu.Ilrestequecemécanismed’épargneretraiten’étaitaccessiblequ’auxindividusdisposantd’unecertainecapacitéfinancière.

UnsièclesansnégociationcollectiveLaloiLeChapelier,votéeen1791,valaissersubsistercetteformedeprotectionconnuesous lenomde« prévoyance libre »,mais,sousprétextedesauvegar-der lesdroitsde l’individuetpouréviter leretourdesprivilèges,elle interdira les« corporations ».Danslesfaits,cetermerecouvretouteslesformesassociatives : mutuelles,syndicats,organisationsd’employeursetpartispolitiques.Cettelégisla-tionextrêmementrestrictiveaboutiraaufaitquependantprèsd’unsiècle,de1791à1884,datedereconnaissanceofficielledessyndicats,aucunenégociationcol-lectiveneserapossibleenFrance.Enpleinerévolutionindustrielle,ils’agitd’unesituationinéditeenEuropequifaçonneraunpaysagesocialtrèsparticulier.D’uncôté,uneprévoyancelibreréservéeàuneinfimeminoritédeprivilégiés.Del’autre,uneassistanceminimumassuréeparl’État-providenceforcémentplusenvahissantqu’ailleurs.

Lanatureayanthorreurduvide,lescirconstancesconduirontàdesaménagementsàlamargedecetordresocial.C’estainsiqu’autoutdébutduXIXe siècle se refor-merontplusoumoinsclandestinementdescorporationspatronales.Lesmutuelleselles-mêmesretrouverontun rôleen1832à la faveurde lagrandeépidémiedecholéra(19 000mortsàParis).Incapabledefaireface,l’Étatleurdemanderadeprendrelerelais.Enfin,aulendemainde1830,denouveauxpenseursseréclamantduDucdeSaint-Simon(1675-1755),théoriciendel’inégalité,del’utopisteCharlesFourier(1772-1837),maisaussideFloraTristan(1803-1844)etdeleursdisciples,

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envahissent ledébatsocial.Féministe,grand-mèredupeintrePaulGauguin,Flo-raTristanestdeceux-là.Ellevoudrapromouvoir« l’unitéouvrière »etentreprendrapourcefaire« Le Tour de France »1aucoursduquelelleseheurteraauscepticismedetravailleurstellementprécarisésqu’ilsredoutentlemoindreincidentavecleuremployeurquilesplongeraitdanslaspiraledel’exclusion.Lerésultatestlà:en1851,ledéputéVictorHugo(1802-1885),envisiteavecAdolpheBlanqui (1798-1854),dans lequartierSaint-SauveuràLille,confirmelesobservationsfaitesquinzeansplustôtparlemédecindutravail,LouisRenéVillermé(1782-1863),surlesconditionsdevieeffroyablesdesouvriersduNord.Là-mêmeoùfutcomposéeL’Internationale,lepoètedénonce2 à son tour lesconditionsdevieinacceptablesduprolétariaturbaindansdescavesinsalubres.

Globalement,ilfautdoncretenirdecettepériodequelatrèsgrandemajoritédestravailleursnebénéficierontd’aucuneprotectionsocialetoutaulongduXIXesiècle.Etsi,aprèsleurrecon-naissanceparlaloidejuillet1850parLouisNapoléonBonaparte,oncompte,en1862,4 582 sociétésdesecoursmutuel,ellessontsurtoututiliséescommeoutildepolicecontrelesvelléi-tésderévoltedesouvriers.Laréalité,eneffet,cesontdesrelationssocialesquiserèglentparl’appelàlatroupeetàcoupdeChassepotsetuneclasseouvrièretellementpréoccupéeparsasurvieauquotidienqu’ellenesongemêmeplusàrevendiquerdesdroitsnouveaux.

Lesouvriersn’espèrentriendel’ÉtatetsedéfientdesmutuellesDans ce contexte, les mutuelles assurent un service minimum pour la couverture santé.L’adoptiondelachartedelaMutualité,en1898,quimetfinàl’interdictionposéeparlaloiLeChapelier, leurassureraunessorconsidérable.S’agissantde laretraite, le fossésecreuseentre,d’unepartlesfonctionnaires,dontlerégimedepensions’inscritdansleurstatut,quibé-néficierontdès1853d’unrégimeunifiéetlestitulairesdequelquesrégimesspéciaux,d’autrepartlessalariésduprivé.Pourcesderniers,lethèmedelaretraiten’estprésentdansledébatqu’à traversuneapprochepaternalistevisantàattacher lamaind’œuvreà l’entrepriseetàrécompenserlafidélitédevieuxouvriersetemployés.Dèslors,quanddescaissesderetraiteoudepensionsemettentenplace,ellessontleplussouventd’initiativepatronaleetsecréentauniveaudesentreprises,voiresurunebasestrictementprofessionnelle.Ceseranotammentlecasdanslesmines,lescheminsdeferetlamétallurgie.Enpareilcas,lagestionestleplussouventtripartite–État,Compagnie,salarié–lefinancementétantassuréparunecotisationpartagéeentrelesalariéetsaCompagnie.

Prévoyance libre,assurancemutuelleet caissespatronalesnecréant« aucundroit acquispourlessalariés »3,cestroisapprochesassurantielle,mutualisteetpaternaliste,quicohabitentauXIXesiècle,nepermettentdecouvrir–etencoretrèsmal !–qu’uneinfimefractiondela

1 LaDécouverte19802 LesChâtiments: Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !

J’ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière, Râler l’aïeul flétri, La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue, Et l’enfant spectre au sein de la mère statue ! Ô Dante Alighieri !

3 Comptoird’escompte,Courd’appeldeParis,9juin1892

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populationdestravailleurs.Etcettesituationvaperdurerenfaitjusqu’en1930enraisond’unequestionqui divise lemondeouvrier : la cotisationouvrière.D’unefaçon générale, à la fin du XIXe siècle les ouvriers qui se regroupent dans leschambressyndicalesn’attendentplusriendel’Étatquilesacombattusetpasgrandchosedesmutuelles.Ainsi,FernandPelloutierdénoncedès1880leurpratiquede« sélectiondurisque »,alorsqueJulesGuesdeassèneque« lamutualitéentreceuxquin’ontrienparcequ’onleuratoutprisestlederniermotdeladuperie ».

LemêmeJulesGuesderejetteleprinciped’unecaissealimentéeparlesouvriers,« unvolimpudentdesdeniersprélevéssurlesalairedesouvriers »4 !Cetteques-tionempoisonneraencorele« VIIecongrèsnationalcorporatistedeschambressyn-dicales,groupescorporatifs,fédérationsdemétiers,unionsetBoursesdutravail », pourfairecourt,lecongrèsfondateurdelaCGT,àLimoges,en1895.S’opposentalorsceuxquipréconisentuneaugmentationdessalairespourprendreenchargeeux-mêmes lesmaladeset lespersonnesâgées,ceuxquipréféreraients’en re-mettreauxemployeurspour faire fonctionner les caissesde retraiteet ceuxquiconfieraientvolontiersauParlementlesoindetrouverdesfinancementscomplé-mentairesàlacontributiondesemployeurs5.

TroisgroséchecsetunpremiersuccèsCettequestiondufinancementneserapasrégléedanslaloisurlesretraitesou-vrièresetpaysannes(ROP)de1910.Onaurabienunecotisationsalarialeverséesuruncompteindividuel,àlaquelles’ajouteuneallocationviagèredel’État. Mais cemécanismenesatisfaitpasgrandmonde,enparticulierJeanJaurèsquiplaidedéjàpourunsystèmeenrépartitionetpourcequ’ilappellele« tripleversement », autrementditunfinancementreposantsurdescontributionsdesemployeurs,dessalariésetdel’État.LesROPattribuéesà65ansdansunpaysoùl’espérancedevienedépassepas48ansdanslapopulationouvrière6 déboucheront sur un échec. Certes lesminoritairesavecJaurès l’avaientemportésur lesguesdistesauPar-lement,maislesemployeursnejouerontpaslejeuenneconvertissantpasleurscaissespatronalesencaissesouvrièresetpaysannesetenprofitantdela loide1901surlesassociationspourtournerlanouvelleréglementationsurlesretraitesetcréerdessociétéscivilesnegarantissantpaslesdroitsdeleurpersonnel.QuantàlaCGTquiredoutaitquel’Étatnepuisedanslesfondsaccumuléspourd’autresusages que les retraites, elle pilonnait sous tous les angles« l’escroquerie desretraitesouvrières »7.Résultat,6,7millionsdecotisantsen1912ettroisfoismoinsl’annéesuivante.Laguerreallaitdéfairelereste...

4 «Laquestiondes retraitesvuepar lessocialistes français (1880-1956)»,BrunoDemonsetGillesPolletinCahierd’histoiredelaSécuritésociale,n°1.2005p.197-224.

5 LesCahiersd’histoiresocialeontpubliéen1995,chezAlbinMichellesactesducongrèsdeLimoges.Ontrouveraenpages167etsuivanteslecompte-rendudétaillédesrapportsetdébatsautourdelaquestiondelagestiondescaissesderetraite.

6 «Laretraitedesmorts»disaitlaCGT.7 CongrèsCGTduHavre,1912

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Unsecondéchecsurvienten1920.LesdépartementsalsaciensetlaMoselleétaienttrèsattachésàlalégislationallemande,enparticulierauxloissocialesdeBismarckde1985-1989(accidentsdutravail,maladieetvieillesse)quiavaientintroduitunsystèmedeSécurité sociale a minimacertes,maisuniversel.Legouvernement français leurconsentitlemaintiendanslesystèmeallemandsansjamaisenvisagerd’étendrelalégislationdupaysvaincuàl’ensembledelapopulationduvainqueur.Encoreuneoccasionmanquéealorsque, dès1920,desdiscussionslonguesetdifficiless’engagentauParlementpourlamiseenplaced’unsystèmeuniverseld’assurancessociales.

Dixansplustardonyserapresque.Laloidu30avril1930poselesprincipesd’undispositifobligatoire d’assurances sociales, d’unegestion centralisée, d’un fonctionnementmutualiséetd’uneégalitédeparticipationouvrièreetpatronaleaveclimitationdel’interventiondel’État.Maispatatras,l’introductiond’unplafondderessourcesfaitvolerenéclatsleprinciped’univer-salité. Les « collaborateurs »,autrementditlescadres,setrouventexclusdelaSécuritésocialeetrenvoyésàlaprévoyancelibre,voireauxassurancesmutuelles.Secondeerreur,alorsquelacrisede1929estpasséeparlàruinantlespetitsrentiers,lesparlementairesvotentlemain-tiendelaretraiteencapitalisation.

D’unmalpeutsortirunbien.Paradoxalement,lescadrestirerontavantagedelagénéralisa-tiondesconventionscollectivesen1936pournégocieravecleursemployeurs,auniveaudesbranchesprofessionnellesetdesentreprisesdesaccordsleurassurantdescouverturesma-ladieetvieillessespécifiques8.Onassisteàcetteoccasionauxpremierspasd’unparitarismequirencontreunvifsuccèsauprèsdespopulationsconcernéesetquideviendraparlasuitecomme« lamarquedefabrique »dumodèlefrançaisdeprotectionsociale.

Leparitarismedanstoussesétats...De lapériode1939-1945,on retiendra troisdonnées.D’abord, leministreduTravail,RenéBelin,ancienresponsabledelafédérationCGTdesPTT,préparelebasculementdesretraitesdelacapitalisationverslarépartition.CetteréformeserarepriseàsoncompteparleMaré-chal Pétain9etpersonnenereviendrasurl’introductiondeceprincipequifaitsuiteàplusd’unsiècleetdemidecapitalisation.Ensuite,àpartirde1943,leConseilnationaldelaRésistance(CNR)travaillesurunprojetd’organisationdelaSécuritésocialefondantuneentreprisederéconciliationnationale.Enfin,ce« planBeveridgefrançais »quiprévoitlamiseenplaced’unrégimeuniqueetuniverselenvisageaitaudépartdeconfierlagestiondescaissesauxassuréseux-mêmes.

Ceprincipeserafinalementécartéaumotifquelesgroupementssyndicaux« sontqualifiéspourdésignerlesdirigeantsdesinstitutionsnouvelles,demêmequepourfairel’éducationdesintéressésdansledomainesocial ».Lechoixseradoncfaitd’uneadministrationdescaissespardesconseilscomposésenmajoritédereprésentantsdessyndicatsouvriers10. La tentation futforted’écarterlesmutuellesquiavaientcollaboréavecl’occupant.LaCFTCs’yopposa.Of-8 Onpeutconsidérerquel’accorddu14mai1937danslamétallurgiesignel’actedenaissancedelagestionparitaire.

9 « Jetienslespromesses,mêmecellesdesautres ».Allocutionradiodiffuséedu13mars1941,veilledelapublicationdelaloiauJO

10 Ilfaudraattendelesordonnancesde1967etlacréationdestroisbranchespourenreveniràunparitarismeà50-50,leprincipedel’électiondesadministrateursétantmaintenu.

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ficiellementparcequelesmutuellesfaisaientpartiedunotrepatrimoinesocial.Of-ficieusement,ils’agissaitd’éviterl’étatisationdesassurancessocialesqueredou-taient certains.

Onleurconfiadoncunedélégationdegestionpourl’assurancemaladiedesfonc-tionnaires.

UnparitarismedéséquilibréauprofitdessyndicatsàlaSécuritésocialesanctionnaunpatronatquiavait luiaussicollaboré.Dès1944, lescadress’organisent.Nonseulement ilsneveulentpascotiserdans le régimegénéraldesouvriersetdesemployés,maisencore ilsveulent ressusciter lessystèmesparitairesprivésmisenplaceàpartirde1937.Labatailleserarudeentre,d’unepart,uneConfédéra-tiongénéraledescadresquineseraofficiellementreconnuequ’en1948,d’autrepartlegouvernementprovisoiredugénéraldeGaulledanslequelAmbroiseCroi-zat,ministrecommunisteduTravail,vientdesuccéderàAlexandreParodi.Grèves générales,manifestationssalleWagrametàlaMutualité,suspensionsdeséanceetclaquementsdeportes,aprèsunanetdemidecombat,lescadresperdrontlabatailledelagénéralisation.Autermede18séancesdenégociations11 une solution decompromisfuttrouvéele14mars1947.Lescadrescotisentaurégimegénéral,maisilsbénéficientdanslalimitedeplusieursfoisleplafonddelaSécuritésocialed’unrégimecomplémentairespécifiqueparpoints–unenouveautédanslepay-sagedesretraites–géréparitairement.

UnparitarismedenégociationetdegestionIlfautlediretoutnetàunmomentoùlegouvernementenvisageunegénéralisationde la techniquedespointsà l’ensembledes régimesde retraite : la création de l’AGIRC(Associationgénéraledes institutionsderetraitedescadres) futune in-contestableréussite.Alorsquel’assurancevieillesseétendueàtouslessalariésnepouvaitleurassurerqu’unrevenuderemplacementassezmodeste,lerégimedescadres,quivalidaitgénéreusementlesservicespassés,apparuttrèsvitecommeuncomplémentessentiel.Signedecesuccès,lepérimètredel’AGIRCnevapascesserdes’élargir.Parailleurs,c’estbiensurlemodèledel’AGIRCquelessala-riésnoncadres,encommençantparl’AGRRen1951,vontbâtirunemultitudederégimesquicomplèteronttoutaussiavantageusementleurrégimedebase.Bienévidemment ils’agira, là encore,de régimesgérésparitairement.Aveccettedif-ficultécette foisqu’ilnes’agitplusd’un régimeunique,maisd’unemultitudederégimesayantchacunleursparamètresdefonctionnement.Etquedefédérationsenfédérations,l’UNIRSle15mai1957etl’ARRCOle8décembre1961,ilfaudraprèsd’undemi-sièclepouraboutiraurégimeuniquedesnoncadres.Etenvisagerd’allerplusloin.

Partantdelà,laviededesrégimescomplémentairesnefutpasunlongfleuvetran-quille.ParcequelaSécuritésociale,notammentlabranchemaladie,étaitconstam-mentdanslerouge,latentationétaitforte–ettouslesgouvernementsyontcédé

11 AmbroiseCroizatfutphysiquementprésentàlapremièreetàladernièreséancedenégociation.

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–dereleverrégulièrementleplafonddelaSécuritésocialeavecpourconséquencederéduirelesrecettesdesrégimescomplémentairesetdefairebasculerunepartiedeleursadhérentsdanslapositionde« figurants »àcesrégimes.Parailleurs,alorsquelespartenairessociauxfixentlesparamètresdefonctionnementdesrégimes(valeurdupointparexemple)enfonctiondesengagementsprisparlerégime,l’habitudes’estprisedemettreàlachargedesrégimesdespopulations« sensibles » :rapatriésd’AfriqueduNord,mineurs,personnelsdesorganismesdeSécuritésociale,desrégimesbancaires,del’assurance,d’AirFrance...Enfin,lesrégimescomplémentaires,commelesrégimesdebase,ontétépercutésdepleinfouetparl’abaissementdel’âgedelaretraiteà60ansen1983.Bref,lesengagementsdesrégimesAGIRC-ARRCOsesontconsidérablementaccrus,lespartenairessociauxfaisantensortequelesintégrationssefassentdanslecadred’une« neutralité actuarielle » ne faisant supporteraucunechargesupplémentaireauxanciensadhérents.S’agissantdel’abaissementdel’âgedelaretraite, ilaétéfinancéàpartirde1983parunecotisationadditionnelle,ASF(Associationpourlastructurefinancière)appeléeàdevenirAGFF(Associationdegestiondufondsdefinancement).

UnestratégiedegroupesUnedémographiefavorable,unecroissanceéconomiqueautopautempsbénides« Trente Glorieuses »etunelentemontéeenchargedesrégimesavaientpermisauxpartenairesso-ciauxdegérerlesdifficultésenrespectantlesengagementspris.Plusieursévénementsvontcependantobliger lesgestionnairesàenvisagerdesadaptationsplusstructurelles.En1973d’abord,laprotectionsocialeàlafrançaiseestpercutéedepleinfouetparlechocpétrolier.Lachutebrutaledelacroissanceéconomiqueetlaprogressioncontinueduchômageconduisentlesadministrateursdecaissesàpréparerlesadhérentsàdeslendemainsmoinsglorieux.Aumêmemoment,s’observeunebaissedelafécondité(findubaby-boom)etunallongementdeladuréedeviebeaucoupplusmarquéqueprévu.

Dès1993,quelquesmoisavantl’assurancevieillesse,lesgestionnairesdel’ARRCO décident d’undoublementdutauxdecotisation,d’un train d’économiesetd’unrecentragedesopérationsdesrégimessurl’obligatoire.Unanplustard,l’AGIRCsuivralemêmechemin.En1996,unenégociationcommuneAGIRC-ARRCOdécideradenouvellesmesuresd’ajustement.Enréa-lité,alorsquelerégimedescadresestébranléparlanouvelledonneéconomiqueetsociale(nombre croissant de cadres gagnantmoins que le plafond de laSécurité sociale, liquida-tionsdepensionscalculéessurdesannéesdefortecroissancesalariale, raccourcissementdesligneshiérarchiquesdanslesentreprises),lespartenairessociauxs’engagentsurlavoied’un rapprochementdes régimesderetraitecomplémentaire.Lesétapesprincipalesense-rontlamiseenplaced’unrégimeuniqueàl’ARRCOle1erjanvier1999,lacréationd’unGIEAGIRC-ARRCOen2002,enfinlasignaturedel’accordd’octobre2015prévoyantlamiseenplaced’unrégimeunifiéle1erjanvier2019.

Parallèlementauxactivitésderetraite,lesinstitutionsvontdévelopperdesopérationsdepré-voyance.Avec labaissed’activité lespolitiquessalarialesdeviennentmoinsgénéreusesetl’habitudeseprenddanslesentreprisesd’octroyerdesavantagesprévoyanceàleurssalariésetàleurfamille.Lesinstitutionsderetraiteserontlesvecteursdecettepolitiquequileurpermetdesortirdusecteurnon-lucratifetdemettreunpieddanslasanté.Elleslefontd’autantplus

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naturellementd’abordqu’ellessontbienimplantéesdanslesentreprisesdontellesgèrent les retraites.Parailleurs,àpartirde1996, les institutionssontengagéesdansdespolitiquesderegroupementquilesconduisentàintégrerdansunmêmeensembledesactivitésderetraiteobligatoirerelevantducodedelaSécuritéso-ciale,desactivitésdeprévoyancerelevantducodedesassurancesetdesactivitésmutualistesrelevantducodedelaMutualité.CertainsGPS(groupesdeprotectionsociale)intègrentmêmedansleurpérimètredessociétésd’assurancesetdesins-titutionsspécialiséesdansl’épargnesalariale.

Des solidarités de branche et de territoireCetteévolutionconduitepar lespartenairessociauxestd’autantpluscohérentequ’elle correspondauxorientationsprisesàBruxellesoù l’onneconnaît depuistoujoursquedeuxtypesd’opérateursenmatièredeprotectionsociale :lesrégimespublics deSécurité sociale qui échappent à la libre concurrenceet les sociétésd’assurancesencompétitionaveclesmutuellesetlesinstitutionsdeprévoyance.Surtout,cesgrandesmanœuvresencoursactuellementpermettentlaconstitutiondegrandsgroupesdisposantdecapacitésfinancièressuffisantespour répondreauxexigencesdeSolvabilité2.

Enfin,alorsquelaCourdescomptess’alarmedanssondernierrapport12 d’un dé-ficitquiperduredepuis2001àlaSécuritésocialeetquidevraitencoreseprolon-gerjusqu’en2020,principalementdufaitdudérapagedelabranchemaladie,onnepeutquepenserque lescomplémentairessanté,qu’il s’agissedemutuelles,d’institutionsdeprévoyanceoudesociétésd’assurancesdevrontprendreunepartcroissantedufardeau.Lespartenairessociaux,quiontprouvédepuis70ansqu’enretraite ils pouvaient gérer leurs régimes et équilibrer leurs comptes sans l’aided’uneCADES(Caissed’amortissementdeladettesociale),sont-ilsmieuxarmés pourréussirlàoùl’Étatsemblepourlemomentavoiréchoué ?

Dansune telleperspectivequelpeutêtrealors l’avenirduparitarismesur lequelrestefondéunepartnonnégligeabledenotresystèmesocial ?D’abord,lesorga-nismescollectifsàbutnon lucratif restentmieuxplacésqued’autresopérateurspourcréerdessolidaritésautourdesaccordsdebranche.Avectroisavantagesàlaclé :unemutualisationvertueuseauprofitdespluspetitesentreprises,lapossibilitédemenerdesactionsdepréventionadaptéesàdesrisquesprofessionnelsspéci-fiquesetledéveloppementd’unepolitiqued’actionsocialeambitieusequirestelamarquedefabriquedesIP :hierlesvillagesvacances,aujourd’huilesstructuresderépitpourlesaidantsetlesaidées.Bienévidemment,cesobjectifsnepourrontêtreatteintsqu’avecdesbranchesfortesreprésentantunecommunautédeprofessionsunies autour de risques communs, une légitimité des partenaires sociaux de labrancheetunelégitimitédel’objetdudialoguedebranche.

Ensuite,lesorganismesàbutnonlucratifpeuventcréerdessolidaritésautourdes

12 Financesetcomptespublics.LaSécuritésociale.Rapportsurl’applicationdesloisdefinancementdelaSécuritésociale.Septembre2017

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territoires.Entoutcasc’estbienàpartirdel’offreexistantequel’onpourrarépondreauxquestionsdesantéetdedépendance.Àcetégard,lesmutuellesquionttoujoursintégrécettedimensionsontbienplacéespourencourageretaccompagnerlesacteurslo-caux.Mais,c’étaitlaconvictionexpriméeparAndréRenaudin,lePDGd’AG2RLaMondiale,auSénat,le14septembre201713 : «Àl’avenir,nulnepourraagirseul.Nousdevonsfonction-nerenfaisantappelàl’intelligencecollective,guidésparuncadrecommunetanimésparuneculturedudialoguesocialquiestaucœurduparitarisme ».

13 50e anniversaire de l’AJIS (Association des journalistes de l’information sociale)

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BLESFORMESETLESDÉFIS DE LAGOUVERNANCE

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Le financement de la Sécurité sociale et de laprotectionsociale:entreautonomieetindépendance,unegouvernanceparticulière,desinnovationsconstantesPar Benjamin Ferras, Inspecteur général des affaires sociales, chargé de cours à Sciences-Po Paris et à l’Institut de gestion publique et du développement économique

Benjamin Ferras est un ancien élève de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (CNESSS, 39e promotion). Il a occupé différentes fonctions à la Direction de la Sécurité sociale, à la Haute Autorité de santé et à l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale. Il a ensuite intégré l’Inspection générale des affaires sociales. De 2016 à 2017, il a fait partie du cabinet de la Ministre des Affaires sociales et de la Santé (Conseiller prestations sociales puis Directeur-adjoint). Parallèlement à son activité professionnelle, il enseigne et conduit des recherches dans les domaines des finances publiques et de la protection sociale. Il a publié notamment, avec Julien Damon, un Que sais-je ? intitulé La Sécurité sociale (PUF, septembre 2015). Il est également, depuis mai 2017, membre du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO)1.

Résumé

La gouvernance financière de la protection sociale a fortement évolué au cours des dernières décennies. Ces évolutions ont largement été portées par celles des finances de la Sécurité sociale. Le modèle de gouvernance mis en œuvre a été marqué par la recherche d’une plus grande efficacité et d’un renforcement du débat démocratique, via la reconnaissance du rôle du Parlement. Ces évolutions ont été conduites dans le respect de l’autonomie de la protection sociale et des principes la régissant. Elles ont produit des effets importants : les déficits ont été très largement réduits, le système de protection sociale a globalement renoué avec une trajectoire d’équilibre financier. De nouvelles évolutions ne manqueront pas d’intervenir : elles devraient respecter les spécificités actuelles des finances sociales et pourraient procéder d’une approche plus articulée de l’ensemble du financement de la protection sociale. Plusieurs pistes d’évolution sont avancées dans ce cadre.

Lesfinancessocialessontlepremiersecteurdesfinancespubliques:en2016,lesadministra-tionsdeSécuritésociale(ASSO)ausensdelacomptabiliténationalereprésentent46%desdépensespubliquesetbénéficientdeplusde44%desrecettespubliques2.

1 Lespropostenusci-aprèsn’engagentqueleurauteuretenaucuncaslesadministrationsouinstitutionsqu’ilsert.Lelecteurvoudraenoutreexcuserlarapiditédecertainsraisonnementsci-aprèsetpourrasereporterauxélémentsdebibliographiecitésdansl’articleenvued’approfondissementséventuels.

2 VoirNicolasBoudrot,PierreCheloudko,CamilleSutter,MatthieuBourasseau,AlexandreFischman,EmmanuellePicoulet, Blandine Vachon, Tristan Paloc, Yohann Vaslin, Harouna Traoré et Anne Uteza, Les comptes des administrations publiques en 2016, INSEEpremière,mai 2017, n°1651etDirectionduBudget,L’évolution des

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Compte-tenudecetteimportance,lanatureetlaqualitédelagouvernancefinan-cièredelaprotectionsocialeetenparticulierdelaSécuritésocialeconstituentunenjeumajeur.Issud’unehistoireparticulière,lepilotagedesfinancessocialesestmarquéparlaspécificitédesprincipesfinancierslesrégissantetduprinciped’auto-nomiequilescaractérisent(I).Cepilotagefinancierarégulièrementévoluéetaétésourced’innovationsconstantes(II).Denouvellesévolutionspeuventêtreenvisa-géespourpréserverlaspécificitédesfinancessocialesetrenforcerlagouvernancefinancièredusystème(III).

I- Les finances sociales, un secteur financier autonome etspécifiquemaisdontl’importancejustifieunpilotageparl’ÉtatI-1/ La protection sociale et la sécurité sociale : des entités auto-nomes aux plans politique, juridique et donc financierLesystèmefrançaisdeprotectionsocialeaétéconstruitsurlemodèlebismarckien.Cetidéal-typeconduitàaffirmerl’autonomiedelasphèresocialeparrapportauxautresinterventionspubliques.Cetteautonomiesedéclineàplusieursniveaux.Auplanpolitiquetoutd’abord:avec lacréationdessystèmesdeprotectionsociale,c’estlareconnaissanced’unepossibilitéd’organiserlasociétéendehorsdel’inter-ventiondel’Étatetdescollectivitéslocales3.DanslapremièremoitiéduXXe siècle, lespartenairessociauxsontconsidéréscommelégitimesàgérerunsystèmesocia-lisédeprotectioncontrelesrisquesdel’existence.Pourêtreréelle,cetteautonomienécessiteégalementlareconnaissancedel’indépendancejuridique,degestionetfinancièredusystèmedeprotectionsociale.Ainsi,auplan juridique, lesnormessontélaboréesparlespartenairessociauxouenprenantencompteleurspropo-sitionsetavis4.S’agissantdelagestion,lesystèmedeprotectionsocialeestmisenœuvrepardesentitésautonomesdedroitprivé.Cesdifférentsvoletsdel’auto-nomietrouventégalementunprolongement–essentiel–enmatièrefinancière.Laprotectionsocialerelèved’unfinancementpardesrecettesspécifiques,propresetaffectéesaufinancementdesdifférentsrisquesqu’ellecouvre.Lacréationdesco-tisationssocialesapermisl’affirmationd’unesphèresocialedontlefinancementnedépendpasdel’ouverturedecréditsparl’État.Parlasuite,lesbesoinscroissantsdefinancementdelaprotectionsocialecombinésàlapréoccupationdediversifiersesrecettes(afin,enparticulier,deneplusreposerexclusivementsur le facteur

finances publiques,Rapportannuel2016,août2017.3 Iln’estàcetégardpasanodinquelejugeadministratifaitreconnulapossibilitépourdesentitésprivé

d’exercerdesmissionsdeservicepublicàproposdel’actiondesorganismessociaux.VoirConseild’État,13mai1938,Caisse primaire « Aide et protection »,Rec.Lebonp.417.CommentairedansXavierPrétot,Les grands arrêts du droit de la Sécurité sociale,Dalloz,2èmeédition,1998.

4 LecodedelaSécuritésocialereflètepourpartiecettepréoccupation:l’essentieldesesdispositionsrelèvedudomaineréglementaire.Eneffet,l’article34delaConstitutiondelaVèmeRépubliquedisposeque«La loidétermine lesprincipes fondamentaux(…)dudroit (…)de laSécuritésociale.».LechampdévoluparlaConstitutionaupouvoirréglementaireestainsilarge.C’estlerefletdelavolontéinitialedepermettreaugouvernementd’élaborerl’essentieldesrèglesenlienaveclespartenairessociauxetsansinterventionconstantedupouvoirlégislatif.

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travail)ontconduitàcréerdesrecettesnouvellessouslaformed’impositionsaffec-tées(tellesquelacontributionsocialegénéralisée)ouàaffectertoutoupartiedupro-duitderecettesfiscalesàlasphèresociale(fiscalitécomportementaleoucompensationdesexonérationsdecotisationssocialesnotamment).Surunautreplan,lasphèresocialeestfinancièrementpleinementautonomedufaitqu’ellenerelèvepasdu«circuituniquedutrésor»,qu’ellerelève–enrecettesetendépenses–d’uncorpusderèglesspécifiquestantentermesd’engagementquederecouvrementqu’enmatièrecomptableetenfin,qu’elleestmiseenœuvrepardesagentsquinerelèventpasdirectementduministèredesfinancescontraire-mentauxautrescomptables(lesagents-comptablesdesorganismesdeSécuritésocialeoulesdirecteurscomptablesetfinanciersdesautresorganismesdeprotectionsociale).

I-2/ Les finances sociales sont régies selon des règles spécifiques, diffé-rentes de celles régissant les autres secteurs financiers publicsLaprotectionsocialeetlaSécuritésocialenerelèventpas,pourunelargepart,desprincipescanoniquesrégissantlesautresrecettesetdépensespubliques5.Iln’existeainsipasd’autori-sationannuellederecouvrementdescotisationssociales:lesloisdefinancementdelaSécu-ritésociale,contrairementauxloisdefinances,necomportentpasdedispositionsdecetype6. Demême,lesdépensesdeprotectionsocialenerelèventpasd’uneautorisationannuelle:lesprestationssontverséescomptetenudes«droits-créances»reconnusparlaréglementation.Tant laprotectionsocialeque laSécuritésocialene relèventpasd’uneapproche«budgé-taire»dansunsensdelimitationdeladépense7.Schématiquement,lesprincipesclefsdesfinancespubliques–unité,universalité,annualité,nonaffectation…–nesontpasdirectementapplicablesaux finances sociales : là encore, il s’agit d’unemarquede reconnaissancedelaparticularitéfinancièrede lasphèresocialepar rapportauxautressphèresd’interventionpublique8.

I-3/ Une protection sociale victime de son succès ? Une évolution de la gouvernance justifiée par son rôle déterminant dans les interventions et les équilibres financiers publicsLedébatsurlaSécuritésocialeetlaprotectionsocialeestsouventmarquéparleregretd’un«âged’or»,dontlaréalitédemeurepourpartieàdémontrer,âged’orcaractériséparuneto-taleautonomiepolitique,juridique,financièreetdegestion.Lesdernièresdécenniesauraient

5 Sur ces principes, voir Michel Bouvier, Marie-Christine Esclassan et Jean-Pierre Lassale,Finances publiques, LGDJ,16èmeédition,2017;RémiPellet,Droit financier public - Monnaies, Banques centrales, Dettes publiques, PUF,2014etRémiPelletetArnaudSkzryerbak,Droit de la protection sociale,PUF,2017.

6 Ainsi,si lesrecettesfiscalesaffectéesrelèventdecetteautorisationannuelle, lescotisationsnerelèventpasduchampd’applicationduconsentementannuelàl’impôtposéparl’article14delaDéclarationdesdroitsdel’hommeetducitoyendu17juin1789.

7 Pourautant,cetencadrementpardescréditsbudgétairesayantuncaractèrelimitatifexistepourcertainssecteursde dépenses telles que celles de gestion administrative, d’action social ou encore certains sous-secteurs dedépenses(enparticuliers’agissantdesdépensesd’assurancemaladieoudescréditsdévolusàlacaissenationaledesolidaritépourl’autonomie).

8 La non application de ces principes des finances publiques aux finances sociales donnera lieu à un articleprochainementdanslaRevue française des finances publiques.

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marquéunecertainedégénérescencedecet idéal initialparuneprésenceetuncontrôleaccrusdel’État:l’«étatisation»delaSécuritésociale,la«fiscalisation»desesrecettesauraientainsiremisencauselesfondementsmêmedusystème.Cesaffirmationsdoivent,sinonêtrecritiquées,a minimaêtrelargementnuancées.

Laprotectionsocialeapparaîtpourpartie«victimedesonsuccès».Elleestau-jourd’huilepremieroutilderedistributionenrecettescommeendépenses9.Lapartdesdépensesdeprotectionsocialeestpasséede13,2%à32,3%duproduitinté-rieurbrutentre1949et201310.Deplus,leschoixeuropéensontconduitlesautori-téspubliquesnationalesàneplusrecourirdirectementàlapolitiquemonétaire:lespouvoirspublicsmobilisentdoncdésormaisuniquementlesrecettesetdépensespubliquespourservirleursobjectifspolitiques.Aussilesresponsablespolitiquesnepeuvent-ilspassedésintéresserdelaprotectionsocialequiestundesprincipauxleviersd’interventiondont ilsdisposent.Deplus, lacomplémentaritédesactionsentrelesdifférentessphèrespubliquesestévidente:lapolitiquefamilialeestainsiconduiteparlaSécuritésociale(branchefamille)maisaussiparl’État(avantagesfiscaux,politiqueéducative…)et lescollectivités locales (accueildes jeunesen-fants,infrastructuresscolairesettempspériscolaires…).Lamiseencohérencedesdifférentsregistresd’interventionestnécessaire:seull’Étatdisposedelalégitimitédenatureàpermettrecetterecherchedecomplémentarité.

Lasituationfinancièrede laprotectionsocialeretientparailleurs l’attentiondansuncontextedemaîtriseaccrudesfinancespubliques.La«surveillancemultila-térale »11dessituationsfinancièrespubliquesdechaqueÉtatpar les institutionsinternationalesetlesmarchésfinanciers(auxquelss’ajoutentlesinstitutionseuro-péennespourlesétats–membresdel’Unionéconomiqueetmonétaire)conduitde factoàrenforcerlepilotageparl’Étatdechaquesecteurdesfinancespubliquesetnotammentdesfinancessociales.

Enfin,lesbesoinsdefinancementcroissantsdelasphèresociale,combinésàlaconstitutionprogressived’une«dettesociale»,ontjustifiéuneattentioncroissantedespouvoirspublicsauxfinancessociales.

Aufinal, lagouvernancefinancièrede laprotectionsocialeest l’objetdedébatsconstants.Ilsportentlargementsurlefaitqu’elleaitétéprofondémentdénaturéepar le renforcement du rôle de l’État dans lesprocessusdedécision.Cetteap-proche doit largement être tempérée.Si le rôle de l’État s’est affirmé, cette dy-

9 CettedimensionestparticulièrementmiseenlumièreparlesdifférentsrapportsduHautconseilaufinancementdelaprotectionsocialequis’estmêmeattachéàapprécierlesimpactsdeladistributionterritorialeassuréeparlesystème,voirHCFiPS,Rapport sur l’impact de la protection sociale et de son financement sur la distribution territoriale des revenus,novembre2015.

10 Voir Antoine Math, Les mutations de dépenses de protection sociale sur longue période inJean-MarieMonnier (dir), Finances publiques,Lesnotices,laDocumentationfrançaise,4ème édition, 2015.

11 Surceconcept,voirMichelBouvier,Surveillance multilatérale internationale des finances publiques et pouvoir politique, inRevuefrançaisedesfinancespubliques,2001,n°74,LGDJetMichelBouvier,«Surveillancemultilatéraledesfinancespubliquesetpouvoirpolitique»,inActesducolloqueOCDE/Sénat, Processus budgétaire : vers un nouveau rôle du Parlement, éditions du Sénat, 2002.

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namiquen’estpaspropreauxfinancessociales,commeentémoignentlesdébatsrégulierssurl’autonomieetlaresponsabilisationdesacteurspublics(administrations,collectivitéslocalesetopérateurs).Certes,lagouvernancefinancièredelaprotectionso-cialea largementévoluémaissesspécificitésdemeurent : laprotectionsocialedemeureuneentitétrèslargementautonome.Lesévolutionsconduitesaucoursdesdernièresannéesontprisencomptecetteautonomie:dessolutionsparticulièresetinnovantesontétémisesenœuvrepour,d’unepart,tenircomptedececontexted’interdépendancesrenforcéeset,d’autrepart,préserverl’autonomiefinancièredelasphèresociale.

II- Une gouvernance financière de la Sécurité sociale en évolutionconstanteetsourced’innovationsfortesLaSécuritésocialereprésenteprèsdesdeuxtiersdesdépensesdeprotectionsociale12. Elle aconcentré,aucoursdesdernièresdécennies,l’essentieldesenjeuxfinanciersdelasphèresociale,àlafoiscomptetenudesonpoids,maisaussidufaitdudynamismedesesdépenses,appelantdesajustements réguliersdeses recettes.Elle constitueaussi, historiquement, lesecteurdesfinancessocialesaveclequell’Étatalesrelationslesplusfortesetlesplusstruc-turées:lagénéralisationdansl’après-guerreduservicepublicdelaSécuritésociales’estainsiaccompagnéedelamiseenplaced’unetutelledel’Étatportantàlafoissurlesactesetsurlespersonnes,tutellequiaétéconfiéeàunedirectiondédiéeetspécialisée,ladirectiondelaSécurité sociale13.Deplus,laSécuritésocialeconstitue,àdenombreuxégards,laréférenceauseindelaprotectionsocialeenmatièred’organisationfinancièreoudegestion.

LaSécuritésocialeestaussilecadreprivilégiédanslequelsedéploientlesprincipesfinanciersparticuliersrégissantlaprotectionsociale.Auplanhistorique,silaSécuritésocialeaétécrééecommeuneentitéautonome,lesprincipesfinancierslarégissantsontaussilerefletd’unevo-lontéd’encadrercetteautonomie.Àtitred’exemple,lesrecettessocialeset,aupremierchef,lescotisations,sontrégiesparleprinciped’affectation,contrairementauxrecettesdel’Étatoudescollectivitésquisontrégiesparunprincipegénéraldenonaffectation(«l’ensembledesrecettesfinancel’ensembledesdépenses»).Ceprinciped’affectationadeuxeffets.Combinéàlaspécialisationdel’activitédesorganismessociaux,ilassurequelesrecettesnepeuventêtreemployéesàd’autresfinsouobjetsquecelles relevantde lacouverturedesrisques14. Parailleurs,ceprinciped’affectationserévèleunoutilpuissantdepilotagede l’équilibrefi-nancier : il permetdeconstater lesdécalagesexistantsentre recettesetdépensesnonau

12 Lesrégimesdesassurancessocialesreprésentent,en2015,63%desdépensesdeprotectionsociale,lesditesdépensesdeprotectionsocialeétantlefaità91%d’entitéspubliques.CechampdelacomptabiliténationalenerecouvrenéanmoinspasintégralementceluicouvertparlescomptesdelaSécuritésocialeettraduitsdanslesloisdefinancementde laSécuritésociale.Pouruneapprochedétaillée,voirDirectionde la recherche,desétudes,del’évaluationetdesstatistiques(DREES),La protection sociale en France et en Europe en 2015 – résultats des comptes de la protection sociale,PanoramasdelaDREES–social,2017.

13 Cette préoccupation de contrôle par l’État d’entité autonome est indissociable de lamontée en puissance desassurancessociales.Lespremièresloissurlesassurancessociales(1928et1930)ontcrééunpremiercorpsdecorpsdecommissairecontrôleurs,chargédecontrôlerleurbonnemiseenœuvre.Cecorpsdeviendraparlasuitel’inspectiongénéraledelaSécuritésocialequiserafusionnéeaveclesautrescorpsd’inspectionen1967pourcréerl’actuelleInspectiongénéraledesaffairessociales(IGAS).

14 L’articleL.253-1ducodedelaSécuritésocialerappelleceprincipe«Lesressourcesrecouvréesenexécutionduprésentcodenepeuventêtreaffectéesàuneinstitutionautrequecelleautitredelaquelleellessontperçues.»

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niveau d’une entité (une caisse ou un régime)mais à celui d’un risque (toutescaissesettousrégimesconfondus).L’affectationdesrecettesestungagedevisi-bilitédeséventuelsdéficitsouexcédentsparnaturederisquedoncpartypededé-penses.Encela,laSécuritésocialesedistinguetrèsnettementdesautrescollec-tivitéspubliquesdontl’équilibrefinancierestappréciéglobalementetnonfonctionparfonction.Lesévolutionsdelagouvernancefinancièreontdonc,aupremierchef,concernélaSécuritésocialetantducôtédesesdépenses15quedesesrecettes.

II-1/ Des évolutions profondes conduites par les organismes sous l’égide de l’ÉtatUnpremierfacteurd’évolutionatraitàlaspécialisationdeplusenplusprononcéedu recouvrementdes recettessocialesetde lagestionfinancièrede laSécuritésociale.Detrèsnombreuxchangementssontintervenusdepuis1945.Aupremierchef,lerecouvrementdesrecettesetlagestiondelatrésoreriedelaSécuritéso-ciale,fonctionsinitialementprisesenchargeparlescaissesprestataires,sesontspécialisés.Auseindurégimegénéral,lesunionsderecouvrementdescotisationsdeSécuritésocialeetd’allocations familiales (URSSAF)ontétégénéraliséesen196016 et l’Agence centrale des organismesdeSécurité sociale (ACOSS) a étécrééeen1967danslecadredelaréforme«Jeanneney»17.Laspécialisationdela fonctionapermisdemettreenœuvreconcrètement l’autonomiefinancièredurégimegénéralparunegestiondeplusenplusaboutiedesatrésorerie:àcôtéducircuitfinancieruniqueduTrésors’estprogressivementconstituéuncircuitau-tonome,propreaurégimegénéral,permettantd’optimiserlagestionfinancière18.

Au-delà, les techniquesde recouvrementetdecollecteontétéprogressivementaméliorées,cequiapermisderenforcerl’efficiencedelagestionfinancière.Parexemple, la retenueà la source des cotisations et contributions sociales est ungagede performance. Il a été renforcé par les actions conduites (réactivité desprocéduresàl’échéance,recouvrementamiableetforcé…)setraduisantpardestauxderestesàrecouvrerparticulièrementbas.Cettetechniqueaenoutreconduitlesacteursàmettreenœuvre,vialatechniquedelarépartitionàlasourcedesen caissements,lagestioncommunedelatrésorerieetsonsuiviséparéparbranche19.

15 Soit les dépensesmaladie, invalidité,maternité, décès, famille, vieillesse, accidents du travail etmaladiesprofessionnelles.

16 LesURSSAF,crééesinitialementparlescaissesdebasedansunedémarchedespécialisationdelafonctionderecouvrementontétépleinementgénéraliséesparledécretn°60-452du12mai1960relatifàl’organisationetaufonctionnementdelaSécuritéSociale.

17 Surlacréationdel’ACOSS,voirlesarticles47etsuivantsdel’ordonnancen°67-706du21août1967relativeàl’organisationadministrativeetfinancièredelaSécuritésociale.

18 Pouruneapprocheplusdétailléesurcesquestions,voirMichelLaroque(dir), Contribution à l’histoire financière de la Sécurité sociale, Comitéd’histoiredelaSécuritésociale,Ladocumentationfrançaise,1999ainsiquelesouvragescollectifsduComitéd’histoiredelaSécuritésociale,La Sécurité sociale : sonhistoireàtraverslestextes,enparticulierlestomesIII(période1945-1981)etVI(période1981-2005).

19 Surcesquestions,outre lesouvragesévoquéssupranote17,voir lesdifférentescontributions in La Sécurité sociale et les finances publiques,Revuefrançaisedesfinancespubliques,2011,n°115,

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Parailleurs,lacomptabilitédesorganismesdeSécuritésocialeaprofondémentévo-lué:unmouvementprogressifdeconvergenceapermisl’adoptiondestandardscomp-tablescommunsàl’ensembledesorganismesdanslecadreduplancomptableuniquedesorganismesdeSécuritésociale(PCUOSS)généraliséàcompterde200120. Ces efforts pourrenforcerlasincérité,lafiabilitéetlafidélitédescomptesontétéparachevésparlamiseenplace,depuis2006,desprocéduresdecertificationdescomptesqui,auseindurégimegé-néral,fontinterveniràlafoislesagents-comptablesnationaux(rôledevalidationdescompteslocauxnotamment)etlaCourdescomptes21.

II-2/ Une recherche progressive de maîtrise se heurtant à la question de la complémentarité des interventions entre le Gouvernement, le Parlement et les partenaires sociauxLe premier enjeu a été de disposer de comptes réguliers et fiables des différents risques,régimesetbranchesdeSécuritésociale.Cettedémarcheaétémiseenœuvresuiteàlacréa-tiondelaCommissiondescomptesdelaSécuritésocialeàcompterde197922dontlechampd’interventionaétéprogressivementélargiàdenouveauxsecteursde laprotectionsocialeobligatoire(enparticulierauxrégimescomplémentairesderetraite).

Àcôtédecetteévolution,unedemandecroissanted’unrôleaccruduParlementsurlaSécu-ritésocialeamarquélesannéessoixante-dixetquatre-vingts.Eneffet,leprincipalargumentjustifiantl’absenced’interventionparlementaireétaitceluidurôledespartenairessociauxdanslagestiondesbranchesetrégimes.Cetargumentaprogressivementperdudesavigueur.Paroppositionauxdomainesdelaretraitecomplémentaireetdel’assurancechômage,lesparte-nairessociauxontrarementproposédesréformes,sinonconsensuelles,a minimamajoritairesenmatièredeSécuritésociale.Lesprincipalesévolutionsontétéconduitessous l’égidedel’Étatetsouventdansdesmodalitésassurantuneprimautéde l’interventionde l’exécutif,àl’instarduchoixdesordonnancesen1967pourmettreenœuvrelaréforme«Jeanneney».Cettemoindreinterventiondespartenairessociauxaconduitde factolesadministrationscom-pétentesdel’Étatà«reprendrelamain»enfaisantévoluerlestextesrégissantlaSécuritésociale,textesquirelèventlargementdupouvoirréglementaire.Nombresd’évolutionsontétéconduitesdelasorte.Maisdesinterventionsdulégislateurdemeuraientnécessairesenma-tièredeSécuritésociales’agissantdes«principesfondamentauxdudroitdelaSécuritéso-ciale».Cesévolutionslégislativessefaisaientdanslecadredeprojetsdeloiauchamplargeportantclassiquement«diversesmesures»d’ordresocial.Ilenrésultaitunefrustrationdelapartdeparlementairesamenésàsesaisirponctuellementd’unsecteurd’interventiondevenumajeuretdont lepoidsfinancierétait incontestableetsupplantaitprogressivementceluidel’État.Plusqu’unevolontéd’«étatisation», l’absencedeprocédureparlementaireposait la

LGDJ et égalementAlainGubian etGwenaëlle LeBohec,Les circuits financiers de la fiscalité sociale, Revuefrançaisedesfinancespubliques,2016,n°136,LGDJ.

20 Article56delaloin°2000-1257du23décembre2000definancementdelaSécuritésocialepour2001.21 ArticleL0132-2-1ducodedesjuridictionsfinancièresissudel’article12delaloiorganiquen°2005-881du2août

2005relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.22 Ledécretn°79-237du22mars1979acréécettecommission,dontlerôleaétédéfinitivementconsacréparl’article

15delaloin°94-637du25juillet1994relativeàlaSécuritésociale.

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questionde l’équilibreentre les interventions,d’unepart, dupouvoir exécutif et,d’autrepart,dupouvoirlégislatif.ElleposaitenoutrelaquestiondelapublicitédesdébatsrelatifsàlaSécuritésociale, ledébatparlementaireétantundesmoyensprivilégiéspermettantundébatlarge,ouvertetdémocratique.

Pour remédieràcettesituation,plusieurspropositionsontété formuléesdans lesensd’unrenforcementdespouvoirsduParlement.Onpeutnotammentciterl’ini-tiativedeMicheld’Ornanoen1987d’unepropositiondeloiorganiquerelativeaucontrôleduParlement sur lesfinancesdes régimesobligatoiresdeSécuritéso-ciale:cettepropositionconsistaitenl’organisationd’undébatannuelauParlementpermettantl’approbationd’unrapportprésentantlescomptesdesrégimes.Elleanéanmoins,comptetenudesanature,étécensuréeparleConseilconstitutionnel23.

L’interventionduParlementdanslepilotagefinancierdelaSécuritésocialen’aétépossiblequ’à compterde1996suiteàune réformeconstitutionnelle24. Les nou-vellesloisdefinancementdelaSécuritésociale(LFSS)25 interviennentdansdesmatièreslimitéespuisque,outreles«principesfondamentauxdudroitdelaSécu-ritésociale»relevantdela loienapplicationdel’article34delaConstitutiondela VèmeRépublique, leParlements’estvureconnaître,via lesnouvellesLFSS, lepouvoirde«détermin(er) lesconditionsgénéralesde(l’)équilibrefinancier(delaSécuritésociale)et,comptetenu(des)prévisionsderecettes,fix(er)lesobjectifsdedépenses(delaSécuritésociale)».LacréationdesLFSSamarquéuntournant.Elle a permis l’intégration des finances sociales dans les dispositifs globaux depilotagedesfinancespubliques.

II-3/ La montée en puissance des lois de financement de la Sé-curité sociale ou l’intégration des finances sociales dans le pilo-tage global des finances publiquesLesLFSSsontfréquemmentcritiquéesencequ’ellesconstitueraientune«étatisa-tion»dusystèmeetremettraientencauselerôledévoluauxpartenairessociaux.Cetteapproche,làencore,doitêtrelargementtempérée.LacréationdesLFSSamarquéuntournantmajeurencequeledébatsurlesfinancesetlespolitiquesdeSécuritésocialen’étaitpasstructuréparunévènementpermettantrégulièrementdequestionnerlesorientationsretenues,leslimitesrencontrées,lesévolutionssou-haitablesetlesobjectifsdevantêtrepoursuivis.Ainsi,alorsmêmequelespolitiquesdel’éducationetdeladéfensedisposaientd’untel«temps»,notammentdanslecadredesdébatsbudgétaires;laSécuritésociale,principalsecteurd’intervention

23 Cette censure a été prononcéedu fait que cette proposition de loi organiqueétait afférente à laprocédurelégislativeetn’avaitpaspourdomaineladéterminationdematièresrelevantdelaloiselonl’article 34 de la Constitution de la VèmeRépubliqueDécisionn°87-234DCdu7 janvier1988,Loi organique relative au contrôle du Parlement sur les finances des régimes obligatoires de Sécurité sociale.

24 Loiconstitutionnellen°96-138du22 février1996 instituant les loisdefinancementde laSécuritésociale.

25 Loiorganiquen°96-646du22juillet1996relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.

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publique,enétaitdépourvue.L’apportessentieldesLFSSrésidesansnuldoutedanslastructurationdudébatqu’ellesontpermis,acquisqu’ilestdifficiledemesurermaisquiestréel:désormais,ledébatestlargementissudesconstatsdelacommissiondescomptesdanssesrapportsdejuinetdeseptembrepuisdel’examenenoctobreduPLFSS.

Au-delà,lesLFSSconstituentunoutildepilotaged’untypenouveauetquiparaîtpleinementadapté : suite à la première approche de 1996, elles ont été profondément réformées en200526.Loinderemettreencausel’autonomiedelaSécuritésociale,lesLFSSontveilléàlespréserver.LaLOLFSSde2005aainsiélevéauniveauorganiquetroisdimensionsmajeures:leprincipedelacompensationsystématiquedetoutepertederecettepourlaSécuritésocialeetlemonopoledesLFSSpourmettre–lecaséchéant-enécheccetteobligationdecompen-sation27,lemonopoledesLFSSsurl’affectationdesrecettespropresdelaSécuritésociale28, lanécessitéd’accompagner toutnouveau transfertdedetteà lacaissed’amortissementdeladettesocialederecettesdansl’objectifdegarantirl’amortissementdecettedettedansdesdélaiséquivalentsàceuxapplicablesavantcetransfert29.Ainsi,lesLFSSontpermisdeclarifierleséchangesconstantssurles«chargesindues»existantentrel’ÉtatetlaSécuritésociale:ledébatannuelpermetdésormaisd’objectiverlesmouvementsfinanciersintervenantentrelaSécuritésocialeetlesautrescollectivitéspubliqueset,aupremierchef,l’État.

LesLFSSconstituentunoutilintégrédepilotage.Ellessontpluriannuelles:laLFSSdébattuelorsdel’annéeNetrelativeàl’exerciceN+1comprendainsidesdispositionsrelativesauder-nierexerciceclos(N-1,premièrepartie),àl’exerciceencours(N,deuxièmepartie)etàl’exer-ciceàvenir(N+1,troisièmeetquatrièmeparties).Cettepluriannualitéestd’autantpluspré-gnantequelesparlementairesvotentégalementdesprojectionsquadriennales:chaqueLFSSpermetainsidedéterminerlessoldespluriannuelsdelaSécuritésocialesurquatreannées,deN+1àN+4.Lefaitd’embrasserl’évolutionfinancièredelaSécuritésocialesursixannéesestdesplusadaptés:outreleséventuellesévolutionsconjoncturellespouvantaffectercessoldes,leschangementsconduitsenmatièredeSécuritésocialen’ontleplussouventdeseffetsqu’autermedeplusieursannées.Lapluriannualitéestdonccohérenteavecla logiquemêmedespolitiquessociales.LesLFSSconstituentenoutreunmoyenderassemblerdesdimensionsprécédemmentéparses:depuis2005,ellessontpleinementuniversellespuisque,enrecettescommeendépenses,ellesembrassentl’ensembledesrégimes;ellescomprennentenoutredesdispositionsrelativesàl’amortissementdeladettesociale,àlamiseenréservederecettes(fondsde réservepour les retraites)ouencoreconcernantdesorganismesfinancéspar laSécuritésociale(caissenationaledesolidaritépourl’autonomie).Lesloisdefinancementontenfinpermisd’affirmerleprincipedegestionparlaperformanceduservicepublicdelaSécu-ritésociale: lesprogrammesdequalitéetd’efficiencedéterminentainsilesgrandsobjectifsdespolitiquesdeSécuritésocialeetmesurent leurseffets ; ilssontcomplétéspar l’annexe

26 Loiorganiquen°2005-881du2août2005relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.27 ArticleLO111-3-IVducodedelaSécuritésocialeintroduitparl’article1erdelaloiorganiquen°2005-881du2août

2005relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.28 ArticleLO111-3-IIIducodedelaSécuritésocialeintroduitparl’article1erdelaloiorganiquen°2005-881du2août

2005relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.29 Article 4 bisdel’ordonnancen°96-50du24janvier1996relativeauremboursementdeladettesocialeintroduitpar

l’article20delaloiorganiquen°2005-881du2août2005relativeauxloisdefinancementdelaSécuritésociale.

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recensantlesactionsinternesconduitesdanslecadredesconventionsd’objectifsetdegestion.

Cetterapidedescriptiondesdispositionsfigurantenloidefinancementsoulignelapertinencedecetoutil.Làoù,ducôtédel’État,troisloisfinancièressontnéces-saires(loidefinancesinitialepuisloidefinancesrectificativeet,enfin,loiderègle-ment)lefinancementdelaSécuritésocialeproposeunoutilunique.Lesévolutionsultérieuresdupilotagedesfinancespubliquesontconfirmélapertinencedel’outilLFSS:lesnouvellesloisdeprogrammationdesfinancespubliquesintroduitesen2012prévoientainsilesévolutionspouraumoinslestroisannéesàvenirdesoldesdesdifférentssecteursfinanciers(État,collectivitéslocalesetprotectionsociale).Cesloisassignentenoutredesobjectifsdedépensesàcesdifférentssecteurset,notamment,auxcollectivitéslocales30,secteurdontcertainsacteursontdemandépendantplusieursannéesàreleverd’uneapprochedecetype,surlemodèledesLFSS.

UnautreapportdesLFSSrésidedansladéterminationdeprévisionsderecettesetl’assignationd’objectifsdedépensesàchaquebranchesoitàchaquesecteurdedépenses.Lestableauxd’équilibrepermettentàchaquebranchedeconnaîtresasituationetlesévolutionsprojetéeslaconcernant,comptetenudesdispositionsfi-gurantdanschaqueLFSS.LesLFSSontainsipermis,aprèslemouvementderes-ponsabilisationinternemisenœuvreparlesconventionsd’objectifsetdegestionintroduitesen1996,d’affirmerlaresponsabilitédechaquebrancheetdoncchaquerégimesurlerespectdesobjectifsdedépensesquiluisontassignés.

Unecritiquerécurrenteformuléeàl’encontredesLFSSestqu’ellesseraientunoutildédiéexclusivementàlarégulationfinancièreetqu’ellesnepermettraientqu’une«maîtrisecomptable».LoindefragiliserlaSécuritésociale,l’affirmation–auni-veauconstitutionnel–delanécessitédegarantirl’équilibrepluriannueldusystèmedesocialisationdesrisquesapparaîtaucontrairecommeundesélémentsdena-tureàgarantirsapérennité.Au-delà,plusdevingtansaprèsleurcréation,forceestdeconstaterquelesLFSS,loindeconfisquerledébatsurlaSécuritésocialeontpermisdelestructurer.Ainsi,lespartenairessociauxrendentunavissurlePLFSSdanslecadredesconseilsd’administrationdescaissesnationalesdirigeantchaquebranche.Ilspeuventproposerdesmesuresd’adaptation,d’améliorationouderatio-nalisationdesdépensesàl’instardurapport«chargesetproduits»réaliséparlaCaissenationaled’assurancemaladie.Chaqueorganisationsyndicaleetpatronaledisposeainsi,commelesparlementaires,desmoyensdenatureàluipermettredesepositionnersurlapolitiqueconduite.Au-delà,l’examenannueldesLFSSpermetégalementdeconduireundébatpluslargeassociantlesprofessionnelsconcernésmaisaussilegrandpublic.LesLFSSpermettentenoutredeprendredesmesuresannuelles.Pourautant,ellesneconfisquentpasledébat:chaqueréformed’am-

30 Loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème Républiqueetloiorganiquen°2012-1403du17décembre2012relativeàlaprogrammationetàlagouvernancedesfinancespubliques.

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pleurconcernant l’assurancemaladieou les retraitesdonneégalement lieuàdesloisspécifiques.

III-UnegouvernancefinancièrequiaproduitdesrésultatsavérésmaisquidemeureperfectibleàdenombreuxégardsIII-1/ Le pilotage renforcé des finances sociales a permis la maîtrise des déficits : la trajectoire actuelle est celle du retour à l’équilibre des comptes sociauxL’imagedu«troudelaSécuritésociale»astructuréledébatpublicdesdernièresdécennies.Lagouvernancefinancièrerénovéedelaprotectionsocialeacependantpermisdetempérercequidemeure,volens nolens,uneréférenceobligéedesdébatssurlespolitiquessociales.SilaSécuritésocialedemeureendéficit,celui-cis’esttrèslargementamoindri:danssonrapportdeseptembre2017,lacommissiondescomptesaainsiconstatéqueledéficitdurégimegénérals’élevaità800millionsd’eurosetà4,4milliardsenintégrantlefondsdesolidaritévieillesse.Cedéficit,considérableenvaleur,apparaîtnettementmoindresionlerapprochedesdépenses:iln’enreprésenterespectivementque0,2et1,2%.Danslamêmelogique,lerapportécono-miquesocialetfinancier jointauprojetdeloidefinancespour2018soulignequelechampde laprotectionsociale(administrationsdeSécuritésociale–ASSO)présente,phénomèneinéditaucoursdesdernièresdécennies,unesituationexcédentaire(+4,2milliardsd’eurosen2017et+12,9en2018).En2017,pourlahuitièmeannéeconsécutive,l’objectifnationaldesdépensesd’assurancemaladievotéparleParlementseraégalementrespecté.

Le rétablissement est notable : alors que les finances sociales présentaient une situationconstammentdéficitaire,ellesrenouentprogressivementavecl’équilibre.Uneautreillustrationatraitàladettesociale:elledevraitintégralementêtreamortieparlacaissed’amortissementdeladettesocialeen2024conformémentàl’objectifassignédepuisplusieursannées31. Les réformesrégulièresdescouverturesapportées,notammentenmatièredemaladieetdevieil-lesse,onteuuneffetmajeurpourpermettredepasserd’unetrajectoirestructurellementdé-ficitaireàunedynamiquederetouràl’équilibre.Maislagouvernancefinancièreetlamiseenœuvred’unoutilannuelpermettantdegarantirl’atteinted’objectifspluriannuelsontégalementeuunrôleindéniable.

L’assainissementdelasituationfinancièredelaprotectionsocialeestunenouvelledontonnepeutqueseréjouirsanspourautantpenserqueletempsdelavigilanceestpassé.L’équilibrefinancierdelaprotectionsociale,s’ilestunobjectifpremierdepuislacréationdessystèmesdesocialisationdesrisques32,neconstitueenaucuncasunefin.Ildemeurefragileàplusieurségards. La protection sociale est particulièrement exposée aux évolutions conjoncturelles

31 Cetteapprochedoitnéanmoinsêtretempéréepar lerecoursrégulierà l’empruntdetrésoreriepar lesdifférentsrégimes,recoursquiconduitàminorerleniveaueffectifdel’endettement.

32 Onrappellequelespremièresloisrelativesauxassurancessocialescomportaientuneobligationpourlescaisseset les régimesdedemeurerenéquilibre,cettedispositionayantétéconservéedans lecadredesordonnancesde1945…VoirMichelLaroque(dir),Contribution à l’histoire financière de la Sécurité sociale… op. cit.etComitéd’histoire de la Sécurité sociale, La Sécurité sociale:sonhistoireàtraverslestextes…op.cit.

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quipeuventaffectertantsesrecettesquesesdépenses.Laprotectionsocialeestenoutreconfrontéeàdesdéfissansprécédentdufaitduvieillissement,ducoûtduprogrèsmédical…Enfin,laprotectionsocialeentantquesphèreautonomedoitde-meurerprotégéedeséventuels«transfertsdecharges»ou«pertesderecettes»du fait des autres secteurs.

Le retourà l’équilibrefinancierpermetcependantdeclarifier ledébats’agissantdelaresponsabilitédelaprotectionsocialedanslamaîtrisedeséquilibresdesfi-nancespubliques.LesadministrationsdeSécuritésocialereprésententaujourd’huiprèsde10%deladettepubliquealorsmêmequ’ellesassumentprèsde50%desdépensespubliques.Tantlastructuredel’endettementpublic(l’Étatporte80%deladettepubliqueetlescollectivitéslocalesprèsde10%)quelatrajectoireactuellederetouràl’équilibresoulignentleseffortsimportantsréalisésparlasphèresociale.Lesperspectivesfinancièresrendentnéanmoinsincontournablesdenouvellesré-formes,voireunmouvementderéformeencontinudelaprotectionsociale.Pourautant,forceestdeconstaterquelesréformesàvenirnepourrontêtreconduitesavecpourprincipalemotivationleretouràl’équilibredescomptessociaux:celui-ciestàl’œuvreetlaréformeserad’autantplusaiséequedesmargesprécédemmentinexistantessedégagentautitredesannéesàvenir.

Cesévolutionssontd’autantplusmarquantesqu’ellesnesontpasexclusivementfinancières:lesystèmedeprotectionsocialeaprofondémentévoluéaucoursdesdernièresdécennies,tantenrecettesqu’endépenses.Ducôtédesrecettes,celles-cisesontprogressivementdiversifiéesdufaitde lamontéeenpuissancedere-cettesfiscales liéesàunevolontédemettreàcontributiond’autresrevenusquelesrevenusd’activité(contributionsocialegénéraliséeetcontributionaurembour-sementdeladettesocialenotamment),decompenserlesexonérations(«panier»derecettesaffectéeaufinancementdesmesuresfavorablesàl’emploi),demettreàcontributioncertainsacteurs(taxessurlesecteurpharmaceutique)ouencoredepesersurlescomportements(droitsalcoolsettabacsetautresfiscalitéscomporte-mentales).Cesévolutionsontmodifiélastructuredufinancementdelaprotectionsociale:lescotisationssocialesreprésentaient77%desressourcessocialesen1959,ellesdemeurentlaprincipalesourcedefinancementen2015maisleurpoidsanettementdiminué(61,1%)notammentdufaitdelamontéeenpuissancedesim-pôtsettaxesaffectésfinançantlesrégimesdeprotectionsociale(24,6%desres-sourcesen2015).S’agissantdesdépenses,lesévolutionspropresàchaquerisqueontététrèsprofondes.Onnotenotammentunmouvementderapprochementdesprestationsserviesparlesdifférentsrégimesetlerenforcementdesdépensesdesolidarité.Lesystème,initialementbismarckienetprofessionnel,aévoluédeplusenplusversunmodèlebévéridgienetuniversel.Lamiseenœuvredelaprotectionuniversellemaladieen2016enestladernièreillustration33,toutcommelafinpro-gramméedurégimesocialdesindépendantsàcompterde201834.33 Article59delaloin°2015-1702du21décembre2015definancementdelaSécuritésocialepour

2016.34 TellequeprévueparleprojetdeloidefinancementdelaSécuritésocialepour2018,encoursde

discussionparleParlement.

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III-2/ La gouvernance financière, un champ d’évolution constant au service de la pérennité et de l’évolution du système de protec-tion socialeLesévolutionsdelagouvernancefinancièreontétérespectueusesdesprincipespropresàlaprotectionsocialeet,notamment,durôledespartenairessociaux.Cependant,parallèlementauxréformespropresàchaquerisquesocial,cettegouvernanceserasansnuldouteamenéeàévolueraucoursdesprochainesannées.Sidesévolutionssontincontournables,plusieursprincipessemblentdevoirêtrepréservés.Toutd’abord,latentationdela«régulationbudgé-taire»doitêtrepleinementécartée.Lesdépensesdeprotectionsocialenesont,parnature,paslimitativesetdoncnonsusceptiblesd’êtreencadréesdansdesenveloppesferméesetlimi-tatives:imagine-t-ondecesserlepaiementdespensionsderetraiteouleremboursementdesoinsdufaitdudépassementdel’enveloppe?LàestlagrandevertudesLFSS,enpermettantuneapprochepluriannuelledel’équilibre,ellesprennentencomptelefaitquelaSécuritéso-cialen’estpasconstruitepourprésenterunéquilibreannuelet«budgétaire».Elleestsoumiseàdepuissantsaléasconjoncturelsenparticulierducôtédesrecettes.Deplus,lepilotagedesdépensesreposesurdeschangementsdecomportementsdesbénéficiairesquis’inscriventdansdesperspectivesnondecourtmaisdemoyenetlongtermes.Loindeconstituerunoutilcomptable,lesLFSSontpermisdecréerlesconditionsdelapérennitéfinancièredelaSécu-ritésociale.Lamêmeapprocheestpleinementapplicableauxautressecteursdelaprotectionsociale.Lapréservationdecettespécificitéconstitueunenjeudepremierplan:lesapprochesbudgétairesapplicablesàl’Étatetauxcollectivitéslocales,dontlesdépensesde«guichet»revêtentunpoidsmodéréparrapportauxautresdépenses,nesontpastransposablesà laprotectionsociale.

Latentationdupilotageglobaletintégrédesfinancespubliquesdoitégalementêtreécartée.Unevisionconsolidéeetd’ensembleestnaturellementnécessaire.Maiscelle-cinedoitpasconduireàopérerdestransfertsréguliersderecettesetdedépensesentrelesdifférentssec-teurs.Lapréservationderecettespropresetaffectéesexclusivementàlaprotectionsocialetoutcommel’identificationclairedeseschampsd’interventionconstituentégalementdesim-pératifs.Cetterecherchedeclartéestnécessairepourgarantirlaresponsabilisationdechaquesecteursurlarecherchedel’équilibrefinancier.

Enfin,laspécificitédelasphèresocialenepeutêtrediluéedanslepilotageglobaldesfinancespubliques.Cettesphèrerelèved’unegouvernancepolitiqueparticulièrereposantnotammentsur le rôle dévolu aux partenaires sociaux. Cette spécificité a été préservée au cours desdernières décennies : certes, les pouvoirs des organes délibérants ont été revusmais lespartenairessociauxdemeurentdesintervenantsclefsenmatièresociale;sileurrôledemeurerégulièrementinterrogé,lesanalystesconviennentdeleurrôleclefetdelanécessitépolitiquedeleurparticipationauxprisesdedécisionetauxdébats35.

Lesévolutionsàvenirdoiventpermettred’affirmerlerôleclefdelaprotectionsocialetantenmatièred’interventionspubliquesqu’encequiconcernesonpoidsfinancier.Lesengagementseuropéensde laFranceet ledéveloppementde la«surveillancemultilatéraledesfinances35 Surcepoint,voirnotamment,ThomasAudigéetPierreRamain,Gouverner l’assurance-chômage : entre étatisation

et tripartisme de façade, quel chemin de réforme ?,FondationTerraNova,octobre2017.

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publiques»conduisentàaccroître lescontraintesfinancièressupportéespar lesdifférentes collectivités publiques. La protection sociale joue un rôle majeur enmatièrederedistributionetsupérieuràcelleopéréeparlesautressphères36. Elle représenteprèsdelamoitiédesrecettesetdépensespubliques.Or,cetteimpor-tancedemeurepeuconnueetreconnue.Lestravauxacadémiquesetlesdébatspublicsdemeurentlargementcentréssurlessituationsdel’Étatetdescollectivitéslocales.Malgrésonpoids,laprotectionsocialen’estpas,auplanfinancier,lepivotdusystème:ilpeutdoncluiarriverdejouerunrôled’ajustementafind’améliorerlasituationfinancièredel’Étatetdescollectivitéslocales.Lesannéesàvenirdoiventsansnul doutepermettrede (ré)affirmer lepoidset l’importancedusystèmedeprotectionsocialeparrapportauxautresinterventionspubliquesetdepréserversasingularitéetsonautonomie.

Plusieurspistespourraientutilementêtreexplorées.Unepremièreatraitàlacla-rificationdudébats’agissantdescomparaisonsinternationales:lesdéfinitionsre-tenues en comptabilité nationale, européenne et au sein de l’OCDE conduisentà considérer la plupart des interventions sociales commedes actions publiquesfinancéespardesprélèvementsobligatoiresqui, lato sensu,nedonnentpaslieuàcontrepartie.Or,nombredepaysdontlasituationestrapprochéedecelledelaFranceontdessystèmesprivésauxquelslescitoyenssontincitésàadhérervoireauxquels ils sont tenus d’adhérer (USAetRFApar exemple). Il n’existe pas derapprochement systématiqueentre les interventionspubliquesenFranceet desinterventionsdemêmenatureconduitesparlesautrespays.Undébatclarifiésurleniveaudedépensespubliquesetdeprélèvementsobligatoiresseraitfacilitéparlagénéralisationdetellesapprochescomparatives37.

Unesecondepisteatraitàlanécessitéd’étendrelesdispositifsdegouvernancefinancièreàl’ensembledelaprotectionsocialeetdenepaslimiterlesévolutionsà laseuleSécuritésociale.Plusieursapprochespourraientêtremobiliséesdanscecadre.Les référentiels comptablespourraientêtreharmonisésetgénéralisésentre les différents gestionnaires : lamise enœuvre du plan comptable uniquedes organismes deSécurité sociale a constitué une première avancée, il seraitutile d’étendre cette approche à l’assurance chômage, à l’ensemble des institu-tionsderetraiteetauxautresacteursdelaprotectionsociale.Cetteharmonisationdescomptesseraitdenatureàpermettreunsuiviglobaletcontinudesfinancesdelaprotectionsociale.LacommissiondescomptesdelaSécuritésocialepour-raitainsiutilementvoirsonrôleétenduàl’ensembledelaprotectionsociale.Unetelledynamiquepermettraitenoutredecréerdesloisdefinancementdelaprotec-tionsociale:lesactuellesLFSSpourraientutilementêtreélargiesauchampdelaprotectionsocialeobligatoirevoiremêmefacultativeencomportantdesprévisionsderecettesetdesobjectifsdedépensespropresàchaquesecteurd’intervention.Au-delà,lapréservationdel’équilibrefinancierdelaprotectionsocialepourraitêtre36 VoirDREES,LaprotectionsocialeenFranceetenEuropeen2015…op.cit.37 On ne peut, à cet égard, que saluer la contribution à cette approche constituée par une note

récente:SecrétariatgénéralduHautConseilauFinancementdelaprotectionsociale(HCFiPS),Lespérimètresdesdépensesdeprotectionsocialeencomparaisoninternationale,décembre2017.

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renforcéedanslecadredelaprogrammationpluriannuelledesfinancespubliques:les lois de programmation pourraient utilement comporter une présentation détail-léedes transfertsentre laprotectionsocialeet lescollectivitéspubliquesetprévoir lesmoyensdepréserverlesrecettespropresdesrégimessociaux.

Laconditionpremièreàde tellesévolutionsn’estnaturellementpas techniquemaisessen-tiellement politique. Si des pistes de cette nature peuvent heurter, ellesmériteraient d’êtredébattuesetanticipéesparlesacteursdelaprotectionsociale.Ellesnécessitentnéanmoinsdesortirdesfauxdébatssurl’«étatisation»dusystème.Lesévolutionsdesdernièresdécen-niesontpermisderenforcerledébatdémocratiquesurlesfinancessociales,enréaffirmantlerôleduParlementparrapportàceluidel’exécutif,encréantlesconditionsd’undébatrégulieretéclairésurlespolitiquessociales.Commelemontrelaconstructionhistoriquedel’Étatmo-derne,lamiseenplacededémocratiesalargementreposésurledéveloppementd’uncontrôleparlementairesurlesfinancespubliques.Or,alorsquelesfinancessocialesenFrancesesontdémocratisées,unmouvementinverseestintervenuglobalement:lamiseenplacedel’UnionéconomiqueetmonétaireenEuropeaconduitàencouragerdeséchangesdirectsentrelesgouvernementsnationauxetlaCommission.Lesdébatsautourdesprogrammesdestabiliténationaux associent encore demanière imparfaite les parlements nationaux et européens.Leprincipalenjeudémocratiqueactuelsembledoncplusceluidudébatsur l’ensembledesfinancespubliquesqueleseuldébatsur lesfinancessociales.Pourautant, lagouvernancefinancièredecelles-cidevraévoluer. Il estdoncnécessaireque l’ensembledesacteurssesaisissentdecesquestionspoursepositionneretproposerdessolutions.Lesinstancesdedébatsassociantlesreprésentantsdespartenairessociaux,duParlement,dugouvernementetdesexpertsontfaitleurspreuvesenmatièresocialeaucoursdesdernièresannées.LesrapportsdesHautsconseils(HCAAM,HCFiPS,CORetHCFEA)sontdésormaisdesélémentsessentielsdesdébatsenmatièredeprotectionsociale.Uneavancéenouvellepourraitconsis-terenlacréationd’uneinstancededialogueglobalautourdelaprotectionsociale,fédérantlestravauxactuels,tantducôtédesdépensesquedesrecettes,permettantde(ré)concilierlesapprochessectoriellesconduitesetdecouvrirl’ensembledesrisquesdeprotectionsociale.Cetteinstancepourraitutilementassocierdesreprésentantsdescollectivitéslocaleseuégardaurôlequ’ellesassurentenmatièred’aidesociale.Ellepourraitêtremiseenœuvredanslecadredesdébatsactuelssur l’évolutionduConseiléconomique,socialetenvironnemental.Qu’uneinstanceouuneapprochedecetypevoitlejourounon,ledébatsurlagouvernancefinancièredelaprotectionsocialedemeureunsujetd’importance.Iln’estpastechniquemaiséminemmentpolitique.Ilestdoncnécessairedecréerlesconditionsd’undébatpourquelesévolutionsconduitesdemainrecueillentl’accordetl’adhésionlespluslargesetcontribuentàunobjectifdepremièreimportance: lapréservationdelaspécificitéetdel’autonomiedelaprotectionsociale.

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Unegouvernanceadaptéeauxnouveauxenjeux?Par Dominique Libault, Directeur de l’EN3S

Ancien élève de l’ENA, diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et titulaire d’une licence en droit, Dominique Libault a occupé, à partir de 1993, la fonction de conseiller technique au cabinet de Simone Veil, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville.Dominique Libault a exercé l’essentiel de sa carrière au sein de la direction de la Sécurité sociale. Il a notamment été sous-directeur de l’accès aux soins avant d’être nommé, en décembre 1995, sous-directeur du financement et de la gestion de la Sécurité sociale. En 2000, il devient adjoint du directeur, Pierre-Louis Bras, à qui il succède en 2002.

Depuis 2012, Dominique Libault est directeur de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale et vice-président du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS).

LagouvernancedelaSécuritésocialeafortementévoluédepuisunevingtained’annéesavecl’irruptiondesloisdefinancementetdesCOGquiontintroduitunmodèlenouveauetoriginalauregarddel’expériencefrançaiseetdespaysvoisins :passageàl’universalitéetàunpilo-tagefinancierbeaucoupplusserrésansrenierpourautantlasingularitédelaSécuritésocialedanslesfinancespubliquesetl’actionpublique.

Ilestlégitime,vingtansaprèssacréation,des’interrogersurcetteconstruction : est-elle tou-joursenphaseaveclesenjeuxactuels,notammentlestransformationsquiaffectentlemondedu travail et le contenumêmede la protection sociale ?Que faut-il conserver ?Que faireévoluer?

I–Del’importancedelagouvernanceenmatièredeprotectionsociale:pérennité,réformeetcohérenceLessujetsdelagouvernanceetdupilotagesontextrêmementimportantspourl’ensembledelasphèrepubliquedanslamesureoùilsassurent,au-delàdesconjoncturesdesgouvernementsetdesactualitéspolitiques,lacontinuitéd’unestratégieetd’unepolitiquepourl’ensembledelaNation.Ilssonttoutaussidéterminantspourgarantirlapossibilitéd’entreprendredesréformes.

Cecouplecontinuité-réformeestfondamentalenmatièredeSécuritésociale,plusencorequedansd’autresdomaines.L’undesdevoirsenmatièredeprotectionsocialeconsisteàdonnerconfianceàl’ensembledelapopulationsurlapérennitéd’unsystème,etplusencoredanslecasderisquess’inscrivantsurlelongtermecommelaretraite.Lorsqu’unjeunedébutedanslavieactiveàvingtans,qu’ilestrémunéréàhauteurduSMICetqu’ilcommenceàverserunecotisationretraite,lasociétéengageunecréancevis-à-visdelui,créancequ’ellecommencera

©Fabrice

DimierpourINR

S

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àhonorerplusdequaranteansplustardetqu’ellecontinueraàleservirpendantvingtàvingt-cinqans,voireplus,s’ilauneveuveplusjeunequelui.

La confiance dans la pérennité du système est donc un élément fondamentaldu « pacte société » retraites.Ainsi l’un des avantages prêtés au système des«comptesnotionnels»seraitsacapacitéàétablircettepérennitéendehorsdesaléas économiques et politiques. La question des conditions de cette confiancedoncparunpilotageetunegouvernancepermettantd’assurerlapérennitédusys-tèmeestentoutétatdecauseessentielle.

Lagouvernanceimpliqueunecapacitédeprojectionsurl’avenir,cequirelèveparexempledu rôle duConseil d’orientationdes retraites. L’unedes spécificitésdelaFrance résidedans l’organisationdupilotagefinancier,à traversdesoutils fi-nanciers ad hocpourl’ensembledesonsystèmedeSécuritésociale,etdanssavolontédetravaillersurlatransparence,lavisibilitéetlacontinuitédecepilotage.

LedeuxièmeaspectdelagouvernanceportesurlaréformesujetquitraverselesréflexionssurlaFrance,avec,entoiledefond,laquestionrécurrente,laquestiondelacapacitédenotrepaysàseréformer.Elleseposeparticulièrementpourcequiconcernelaprotectionsociale.D’unecertainemanière,laSécuritésocialeviseàdonnerdelavisibilitéauxcitoyenssurleursdroitsfutursenmatièrederetraite,delogement,d’assurancemaladie,etc.C’estpourquoilaréformedecesdroitspeutêtreperçuecommeunfacteurd’insécurité socialedanslamesureoùellemodifiele droit existant.

Pourautant, lesévolutionsdémographiquesetéconomiquesainsiquecelledesrisquessociauxposent lanécessitéde la réformedans lepilotageet lagouver-nancedelaSécuritésociale.Decefait,lacapacitéàréformersansgénérerd’insé-curité socialeconstituel’undessujetsextrêmementimportantsdelagouvernance.Comment peut-on réformer tout en restant fidèleauxprincipesmêmesqui gou-vernentunesociétédeSécuritésociale ?

Sansépuiserlesujet,lesquestionsdetransparence,deprogressivité,d’anticipa-tionetd’affichaged’objectifsd’équitéintergénérationnellesontfondamentales.

Lagouvernances’entendparl’ensembledesprocessusallantdelaréflexionstra-tégiquesur lesdomainesdeprotectionsocialeàlamiseenœuvreconcrètedesactionsavec,commeenjeu fondamental,d’assurer lacohérenceàcourtet longterme.

Decepointdevue,lesconventionsd’objectifsetdegestion(COG)représententunexempleemblématiquedecesoucidecohérence.LaCOGapourbutdepenserlarelationd’unopérateurdepolitiquepubliqueavecl’Étatetencohérenceaveccelle-ci,avecunevisibilitésurcettecohérence,cequiconstitueendépit,des«injonctionscontradictoires » susceptibledevenirdesdiversessphèresdel’État.

UneCOGréussieestuneCOGquisaitarticulerdansletempslaréalisationd’ob-jectifspartagésetlesmoyensquipermettentd’atteindrecesobjectifs.

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II–Lesgrandesévolutionsde lagouvernance :universalitéetsoutenabilité,engardantuneunicitéetuneautonomieauchampSécurité socialeIlfautavoiràl’espritdeuxfacteursdéterminantsdanslesévolutionsdelagouvernancedanslestrentedernièresannées.Ils’agitdupassageàl’universalitéparrapportàunevisionanté-rieureplusprofessionnelledelaSécuritésocialed’unepart,etdelamontéeenpuissancedesquestionsfinancièresetdesoutenabilitédusystèmed’autrepart.

La loidefinancementde laSécuritésociale,évolutionmajeurecrééepar leplanJuppéen1995,sesitueàlacroiséedecesdeuxchemins.

Ils’agit,enpremier lieu,de l’universalité,encesensqu’ellesubstituede façonclaire la lé-gitimité de la démocratie politique à la démocratie sociale dans le pilotage de la Sécurité sociale,s’agissantderisquesconcernantl’ensembledelanation,etpluslesseulstravailleurs,maisaussidufaitdel’interactioncroissantedelapolitiquedeSécuritésocialeavecd’autrespolitiquesde l’État (emploi, croissance,etc.)etde lanécessitédepensercette interaction.L’universalitéimpliqueunrôleaccrudel’ÉtatetduParlement,àtraverslaloidefinancement.

Parailleurs,cetteresponsabilités’incarneàtraversuneloifinancière.Onvoitbienleprismed’interventiondévoluaujourd’huiauParlement,peut-êtreaujourd’huiréducteurparrapportàcequepourraitêtresonrôle.LeParlementadoptedesobjectifsfinanciers,desrecettes,desdépenses,dessoldesetdesmesuresfinancièrespourpermettrelaréalisationdecesobjectifssans toujoursprendreouavoir le tempsdes’interrogersur l’adéquationdesmassesfinan-cièresenjeuavecdesobjectifsdepolitiquepublique,cemalgrélaréformeorganiquede2005quiacréél’annexe«programmedequalitéetd’efficience».

Parmicesobjectifsdedépenses,ilfautciterl’Objectifnationaldedépensesd’assurancemala-die(ONDAM),quiconstitueunenjeumajeurdanslepilotagedeladépensepubliqueetdelapolitiquedesantéelle-même.Ilfauttoutefoissoulignerquecesobjectifsrestent«évaluatifs» : ilnes’agitpasdebudgetslimitatifscommec’estlecasenloidefinances,bienquecesobjectifssoientpeuàpeudevenusune«ardenteobligation»etqu’ilssoientaufinalmieuxrespectésquedessoi-disantbudgetslimitatifssurlesdomainessociauxdanslesloisdefinancesdon-nantaudemeurantsouventlieuàdesbudgetsrectificatifs(AME,AAH…).

Cepilotagefinancieraétérenforcéetmodifiéensuitepar l’interventiondel’Europeet l’obli-gationfaiteàlaFrancederendrecompte,àtraversle« semestreeuropéen »,desatrajec-toire sur l’ensembledesdépensespubliques, y compris sur les finances sociales. La crisefinancière,quis’esttraduiteenFranceparunecrisedesdépensespubliques,aencoreaccrul’importancedurecoursàcesélémentsdegouvernancefinancière.

Ceséléments,universalitéetfinancement,ontététoutàfaitmajeurs,sansquel’ondécèletou-joursleplusoriginaldanscequiaétécréé.Certes,onsouligneàjustetitrelerôleduParlementet l’importancedonnéeauprimatfinancier,maisonremarquemoinsquecetteévolutionestintervenueaveclacréationd’outilsspécifiquesaupérimètreSécurité sociale.

Or, ils’agit làdelavéritableoriginalitéquicaractérisel’évolutiondelaFranceparrapportà

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d’autrespays.Ceprocessusversl’universalitéestconstatéailleurs,maislaFranceachoisidelesuivreenmaintenantl’identitédelaSécuritésociale,avecsapropreloidefinancement,distinctedecelledubudgetdel’Étatmaisaussiavecdesre-cettesspécifiques,commelaCSG.

Eneffet,lacréationdelaCSGconstitueunautreélémentd’importancecarilaper-misdetendreversunfinancementplusuniversel,sanstomberdanslefinancement«potcommun»desimpôtsdel’État.Lemaintiendesoutilsetdel’identité« Sécu-rité sociale »auseindel’universalitéfaitlavéritableoriginalitédelagouvernancefrançaise.

Plusieursraisonsmajeuresontprésidéàcechoix:

lesouhaitdemaintenirla«tension»dusolde,àcôtédesobjectifsdedépense,pourlagouvernancefinancière.

Certes, les objectifs de dépense sont utiles, mais ils ont besoin des’appuyersurunevisionpartagéedu«déficit».C’estbienlacapacitéàpayerlesdépensesd’aujourd’huiaveclesrecettesd’aujourd’hui(donclesoldeentre lesdeux)qui faitsensauprèsdetous lesacteursde laprotectionsociale,etquipermetderendresinonconsensuel,dumoinsacceptable,l’objectifdedépenses ;

lesouhaitdelatransparencesurlessommesquel’individuoul’entreprisetransfère à l’Étatsousformede«prélèvementsobligatoires».Dansuneépoquedesoupçonoudedésintérêtsurlagestionpublique,lecollectif,laquestiondeservice«oùvamacontribution?àquoiellesert? » ne peutêtrenégligée.

Laprotectionsocialeestgouvernéeparl’idéederessourcesaffectées,donclisiblespourle«cotisant»:jecontribueàl’assurancemaladie,àl’assurancevieillesse…« Encontribuant,jemeprotègeetjeprotègelesautres » ;

lagarantiedepérennitédespolitiques,grâceauxressourcesaffectées,qui est unedes conditionsnécessaires–maispas suffisante–de laconfianceetdel’équitéintergénérationnelle ;

lanaturedifférentedeladépensepublique«sociale»parrapportàladépense«État ».

Au sein de l’État,lamaitrisedeladépensepubliquepassesurtoutparl’efficience de la sphère publique. Il s’agit de rendre le service public(éducation,justice,police…)leplusperformantetefficacepossibleauregarddesobjectifsquiluisontdévolus.

Dans lasphèresociale, ils’agitessentiellementderedistributionentreménages.Lamaitrisedeladépensepubliqueestdoncavanttoutcellede la redistribution :elleaffectedirectement–nonlasphèrepublique–maislesressourcesdesassurés,descitoyensetdesélecteurs.

Toutefois, lamaitrise des prestations en naturemaladie peut prendre

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enautrecheminqueceluide la redistribution :cellede lamaitrisedesdépenses de santé elle-même. À l’exception – notable – des hôpitauxpublics cette économie est elle-même organisée autour d’acteurs privés ;professionsdesantélibérales,cliniques,privées,laboratoirespharmaceutiques…

D’où le faitque lamaitrisede ladépensepubliquesociale impacteavant toutetdirectementdesacteursprivés:ménagesetentitéséconomiquesetnonlasphèrepublique.

Celan’estnullementuneraisonpournepasmaitrisercettedépense,maislesoutilspouryparvenirontpeudechosesencommunetdoiventprendreencomptecetimpactdelamaitrisedeladépensepubliquesurlesacteursprivés.Paradoxalement,l’Étatn’apparaîtjamaisplus«dirigiste»quelorsqu’ils’attaqueàlamaitrisedeladépensesanitaireetsociale.

III–LesévolutionsencoursoupossiblesdelagouvernanceQuelssontlesenjeuxactuels?

1. Spécificité et champ de la gouvernance protection socialeÀl’heureoùlaSécuritésocialeserapproche–onl’espère!–del’équilibre,oùlaperspectived’extinctiondeladettesocialedevientcrédiblealorsquelebudgetdel’Étatresteprofondémentdéficitaire,àl’heureaussioùs’amplifielemouvementversuneSécuritésocialeuniverselle,laquestiondesgouvernancesfinancièresspécifiquesÉtat/Sécuritésocialepourraitêtreredis-cutée.

CertainsévoquentparexempleunrapprochementvoireunefusiondelapartierecettedelaloidefinancesetdelaloidefinancementdelaSécuritésociale.

Àmesyeux,ceseraitunelourdeerreurderenonceràcequiafaitlesuccèsdelastratégied’assainissement des comptes sociaux et à la responsabilisation dans un cadre autonome mêmesilaplusgrandecohérenceentrelesdifférentssegmentsdesfinancespubliquesdoitêtrerecherchée.

A contrario, le pilotagedubudget de l’État pourrait utilement s’intéresser à certains leviersutiliséspourlesfinancessociales:desobjectifsdedépensesquin’oublientpaslaquestiondusolde,laresponsabilisationdesacteurs,lerecoursàdes«agence»dansunecontractua-lisationpluriannuelleintelligenteavecl’État,lesoucidumoyentermeparrapportàl’affichageimmédiat,desdirectionsd’administrationcentraleportanttoutàlafoislesobjectifsbudgétairesetlesobjectifsdespolitiquespubliques.DecepointdevueladirectiondelaSécuritésocialequiassume toutà la fois lepilotagefinancierde laSécuritésociale (dépenseset recettes,alorsqueducôtédel’État,c’estséparéentredirectiondubudgetetdirectiondelalégislationfiscale)etlepilotagedespolitiquespubliquesassurance-maladie,vieillesse,famille,accidentdutravail…estunestructureoriginaleauseindel’État,ettrèséconomedemoyenshumains.Ellenécessitemoinsqued’autresstructureslaremontéepermanenteàdes«arbitrages»ausommetentre«budgétaires»et«nonbudgétaires».

Deplus,desenjeuxdepérimètrenouveauxémergent,commelesujetduchômage.Lechô-

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magen’apasétérattachéàlaSécuritésocialeenFrancecariln’apasétéconsi-déré commeun risquemajeur en 1945.Au-delà des questions particulières quiseposentaujourd’huisurcettenouvelleassurancechômage,notammentsursonfinancementousagestion,lavolontéduprésidentMACRONd’instaurerunrégimedechômageplusuniversel conduit toutnaturellementàs’interroger sur le ratta-chement-ounon–decerisqueaupérimètredegestiondelaprotectionsociale.Pourassurerunemeilleurecohérencedel’appréhensiondel’ensembledessujetsdecedomaine,desnovationsserontpeut-êtreàimaginer,enretravaillantsurunenouvellearticulationaveclepérimètrededécisiondel’Étatetdespartenairesso-ciaux,cesdernierspouvantdemeurergestionnairesdesdroitsauchômage touten reconnaissant à l’Étatlesoind’élaborerunevisionstratégiqueglobale.Entoutétatdecause,sil’onsouhaitefavoriserl’inclusionsocialeetprofessionnelle,ilfautremédieràunemeilleurearticulationdesCAFetdePôleEmploi.

L’universalisationdelaSécuritésocialen’apasconduitàéliminerlerôledesparte-nairessociaux,quiaétérepensé.Ilsrestentprésentsdanslesconseilsnationauxetlocauxavecunrôleincontestableetpositif,notammentdanslescommissionsderecoursamiable(CRA)oudescommissionsd’actionsociale.Ilpourraitêtremêmeutile,faceàl’engorgementdestribunaux,d’accroîtreencorelerôledesCRApouressayerderésoudrelemaximumdelitigessansallerdevantceux-ci.

Parailleurs,lacréationdehautsconseilssurl’ensembledesrisquesdeSécuritésocialeoùtouslespartenairessociauxsontreprésentésmajoritairement,apermisde créer des lieux de réflexion« à froid », des lieux de production de connais-sancesetd’échangesfacilitantledialogueetpermettantdefaireavancercertainsdossierssansenjeux immédiatsdeprisededécision.Lespartenairessociauxysontmoins gestionnaires du système,mais ils sont, en revanche associés à laconceptionstratégiquedesonévolution.Lesdifférentshautsconseilsontlivrédestravauxdegrandequalité,mêmesileuraccessibilitépeutencorefairel’objetd’uneamélioration.

Il serait peut-êtreopportunaujourd’hui de les faire davantageparticiper lespar-tenaires sociaux àcertainesdécisionsdel’État.Auvudel’imbricationdessujetsetdossiers, la responsabilitéglobalede l’État françaiss’étendsur l’ensembleduchampsocial.Cependant,dansuncertainnombrededomaines,uneconcertationsystématiqueenamontaveclespartenairessociaux,avantd’arriverauprocessusdedécisiondel’Étatlui-mêmeseraitbienvenue.

2. Réflexion stratégiqueLes administrations et, pour partie, les caisses nationales, sont de plus en plusprisesdans lessujetsdegestion immédiatededossiersd’unecomplexitécrois-sante,avecdesmoyensqui,danscertainscas,sontendiminutiondu faitde lavolontédemaîtriserlesdépensespubliques.Deleuraveumême,ellesconsacrentmoinsdetempsàlavisionstratégiqueetàlaconceptiond’ensemble.

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Leshautsconseils,certes,jouentunrôleutilepouressayerd’aiguillerlesréflexions,maisilfautsansdouteencoreapporterdesaméliorations.

Cequimanqueleplusaujourd’huiestpeut-êtreladémarchetendantàrepensercequ’estlaprotectionsociale.Pourutilesqu’ilssoient, lesconceptsforgésen1945surlaprotectiondestravailleursfaceauxincertitudesdulendemain,centrésconsidérablementsurlaréparationmonétaire,sontinsuffisantspourpenserlaprotectionsocialededemain.Celle-cinepeutêtreexclusivementréparatrice,maisaussi«émancipatrice».Delasolidarité,ils’agitdegarantirourétablirl’autonomiedechacuntoutaulongdesavie.

Des réflexionssontaussimenéesà l’extérieurde l’État,enparticulierpar lesuniversitaires mêmesi,àquelquesexceptionsprès–jepensenotammentàcelleengagéesurl’investisse-mentsocialparBrunoPalier–onnepeutquedéplorerlatropfaibleplacepriseaujourd’huiparlessujetsdeprotectionsocialedanslesuniversitésetnotammentlepeud’approchepluridisci-plinaire.LaFrancesouffred’unedéconnexiontropimportanteentrelesréflexionsuniversitairesdeschercheurset lasphèrepublique,quis’explique,certespar l’histoiredesrapportsentrel’universitéetl’actionpubliqueenFrance,maisaussi,parunesortededéclindelaprotectionsocialedanslesétudesetlarechercheuniversitaires.L’EN3Sorganisedepuisplusieursan-néesdesréflexionssurcetteproblématique,lorsdejournéesàlaSorbonne.

3. Transversalité et territorialitéS’agissantdesCOGet,plusglobalement,duservicepublicdelaSécuritésociale,l’enjeudelatransversalitéestdeplusenpluscentral,d’unepartparl’évolutiondesrisqueseux-mêmes,et,d’autrepart,parcelledestechnologies,notammentnumérique,avecsesapportsenmatièred’accèsaudroit,deluttecontrelafraude,deproductivitédescaisses,d’échangededonnées,defrontofficecommunpoursimplifier laviedesallocataires,etc. Ilestregrettablequen’aitpasétémisenplacelaCOGglobaledel’ensembleduservicepublicdelaSécurité sociale voulueparlelégislateur.Entoutétatdecause,ildevientindispensabledemettreenplaceuneorganisationpérenned’échangedesdonnéesde lasphèresocialepermettantaumaximumd’échangerlesdonnéesentreorganismessansavoiràleredemanderàl’intéressé,etcepasseulementpourlesalaire,pourlequellaDSNdevraitjouercerôle.

À cet égard, il conviendrait de penser l’évolution globale du service public, notammentsur cet aspect système d’information, pour la décliner par branche. Par ailleurs, il faudraitaussi travaillerdavantagesur ladimension territoriale.Eneffet, laSécurité sociale induit la redistributionmonétaire,maispasseulement.Elles’étenddeplusenplusauxservicesouàl’organisationdeservicesquisejouentdanslaproximité:garded’enfants,santédeproximité,maintienàdomiciledepersonnesâgées,préventionetaccompagnementdeparcoursdevie,etc. Sil’approcheCOGestuniquementdescendante,nationale,sansprendreencomptelesréalitésterritoriales,elleatteindraseslimitesdanslesannéesàvenir.

4. Faire vivre la démocratieLagouvernanced’unsystèmeaussistructurantpourlasociétéfrançaisequelaSécuritéso-cialeinterpellenaturellementlefonctionnementdémocratiquedenotresociété.

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Onnereviendrapassurl’évènementfondateurquefutlacréationdesloisdefinan-cementdelaSécuritésocialedanslareconnaissancedurôleduParlementpouruneSécuritésocialedevenueuniverselle.

Troispropositionspouraméliorercefonctionnement:

1/ Revisiter le rôle du Parlement.Aujourd’hui centré sur le vote annueld’objectifsfinanciersdelaSécuritésocialevialaloidefinancement,lerôleduParlementdevraitêtreélargi:examendesfinalitésdespolitiquespoursuivies, adéquation des masses financières affectées, contrôlede l’exécution des orientations. L’examen desPQE pourrait servir desupportàcetélargissement.

2/ Réexaminer l’association des partenaires sociaux à l’élaboration despolitiquesdeprotectionsociale.Leshautsconseilssontunlientrèsutiledeconcertation«àfroid»surlesgrandesorientations.Ilconviendraitenrevanchedeseréinterrogersurlesformesd’associationauxprojetsderéforme,laconsultationdesconseilsd’administrationsurlesprojetsdeloitouchantàleurdomaine,étanttrèsformelle.

3/ Fairelapédagogie,notammentauprèsdesjeunes,pourfaireconnaîtrece système de solidarité nationale au cœur du pacte républicain. LaSécurité sociale incarne des valeurs exprimées par des droits et des devoirsquifondentlacitoyennetésociale.Celle-ciestfortpeuexpliquée,notamment aux jeunes générations, qui reçoivent leur carte vitale àseize ans, sans véritable explication. Seule une pédagogie intensive,en partenariat notamment avec l’Éducation nationale, peut permettrequechacundesrésidentsenFrancesesente«acteur»delaSécurité sociale,conditionessentielledesapérennité.

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Leparitarisme:définitionsetdélimitationsPar Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po (Paris) et Conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S)

Julien Damon est sociologue et fondateur de la société de conseil Éclairs. Ancien Chef de département questions sociales au Centre d’Analyse Stratégique, il a par ailleurs été directeur des études à la caisse nationales des allocations familiales (CNAF). Il publie dans de très nombreuses revues et journaux et est l’auteur de plus de vingt livres sur des questions aussi variées que les conditions de vie en ville, les politiques familiales, les questions SDF… Par ailleurs direc-teur d’études à Futuribles, Julien Damon a vu ses travaux consacrés

par de nombreux prix (IBM, Philipps, …). Diplômé de l’ESCP, il est docteur en sociologie, pro-fesseur associé à Sciences Po (Paris) et conseiller scientifique de l’EN3S.

L’expression « paritarisme » désignerait une modalité particulière de gouvernance, à lafrançaise,delaprotectionsociale.C’estplutôt,sousunmêmemot,dediversesgouvernancesqu’ils’agit.Desblocsdepolitiquesauxenjeuxetopérateurssensiblementdifférentssont,eneffet,rassembléssouslegrandchapeauparitaire.Sontainsirecensées,entreautresetselondesacceptionstoujoursdiscutées,laSécuritésociale, laprotectionsocialecomplémentaire,la formationprofessionnelle,ouencoreunepartiede lapolitiquedu logement.Alorsque lesujetrevientdefaçonrécurrente,maisaussideplusenpluspressante,dansledébatpublic,ilimportedeclarifiercequiestentendupar«paritarisme».Ladoctrinesuggèreplusieurstypesdeparitarismeetmêmeplusieurstypologies,cequiretentitnécessairementsurplusieursmo-dalitésd’organisation,definancement,d’évaluation.Duparitarismedereprésentationaupari-tarismedegestion,onrepèreaisémentdiversesfonctionsetdiversesinstitutions.L’essentielrelèvetoutdemêmed’unlienhistoriqueassuréavecl’activitéprofessionnelle.D’oùleprincipaldéfipourleparitarisme :s’adapteràladynamiquetoujoursàl’œuvred’universalisationdelaprotectionsociale.

Lesplusattachésauparitarisme,parconvictionouparintérêt,sontprobablementlesparte-nairessociaux.Certainsvontparfoisjusqu’àproposerd’introduireleparitarismedanslaconsti-tution.D’autresn’yvoientplusqu’unensemblederituelsinutiles,assemblésdansuneliturgied’unautreâge,oubienencoreunecanonisationquines’imposevraimentpas.Alternative-ment,onendéploreainsil’extinctionoubienonencélèbrelavitalité.

Leparitarismeprésentedesdéfautsmaissubitaussidescritiquesexcessivesetpropositionsde réformes inaudibles lorsqu’il s’agit, d’un coup de baguettemagique volontariste de toutremettreenordre.Considéréchroniquementcommeencrise,ilvitaujourd’huiunmomentdepuissantesinterrogationssursasituationetsesévolutionspossibles.Leparitarismefaitainsil’objetd’attentions,d’interrogations,derapportsquitousappellentàdesclarificationsetdesaménagements,plusoumoinsradicaux.

©Source:Francestratégie

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Lespartenairessociauxeux-mêmesontsus’emparerdudossier.Ilsaffirment,dansunaccordnationalinterprofessionnel(ANI)du17février2012titré« modernisationetfonctionnementduparitarisme »,lesoucipartagéd’unegestionparitaireirrépro-chable,estimantque«lagestionparitaireapporteunecontributionsignificativeàlacohésionsocialeetauprogrèssocial».Ilestégalementprécisé,danscetexte,que«undesprincipauxenjeuxdelamodernisationduparitarismeetdesonfonc-tionnementestl’exemplaritédegestion».Laplusgranderigueuretlaplusgrandetransparences’imposent.Entre2015et2016,une«missiond’informationsur leparitarisme»del’Assembléenationaleacherchéà«cartographier»leparitarisme,àenmesurerlesavantagesetleslimites1.Soulignantl’importancecapitaledupa-ritarisme,leprésidentdelamissiond’informationdébutesonavant-proposparuneaffirmationclé« Leparitarismeestl’undespiliersdeladémocratiefrançaise,quelatectoniquedenotreviecollectivenousinvitaitàréexaminer ».Leparitarismeestdoncparticulièrementàl’ordredujour.Cetordredujours’enrichissantdestravauxmenéspardesthink tanksquiontprisledossierenmain,danslaperspectivedel’électionprésidentiellede20172.

Dequelleparitéleparitarismeest-illenom?Maisqu’est-cedoncqueleparitarisme?Ils’agit,enpremièreinstance,d’unrégimed’organisationquireposesurlaparité.Cetteparitésignifiequedeuxpartiessontre-présentéesàégalité.Lesujetn’estpas,historiquement,celuidugenreetdel’éga-litéentrelesfemmesetleshommes.Enarithmétique,étudierlaparitéd’unentier,c’estdéterminersicetentierestounonunmultiplededeux.Estparitaire,endroit(cf. le Vocabulaire juridiquedeGérardCornu)cequiestdiviséenpartségalesoucomposéàégalitéd’élémentsdivers.Seditégalementd’unorganismedanslequeldiversescatégoriesdepersonnesayantdesintérêtsdistinctsontunnombreégaldereprésentants(onditalors,d’ailleurs,qu’ilssontleurspairs).Letermeparitairedésigneégalementdes juridictionsparticulières instituéespour tranchercertainslitigesopposantdespersonnesappartenantàdescatégoriesprofessionnellesdif-férentes.Danscesjuridictionssiègentunnombreégal(parfoissouslaprésidence

1 Voir le Rapport d’information de Jean-MarcGermain fait au nomde lamission d’information surle paritarisme (juin 2016), www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/paritarisme.asp. Ce document,vasteetcopieux,estassurément lamine laplus intéressantepourouvriretcreuser laquestionduparitarisme.

2 Voir « Sortir de la mauvaise gestion paritaire »,Société civile (mensuel de la Fondation Ifrap),n°167,2016et, dans la continuitédeplansd’actionprésentéspourprivilégier lanégociationauseindesentrepriseset refonder la formationprofessionnelle, InstitutMontaigne,Dernière chance pour le paritarisme de gestion,février2017.Voirégalementlerapport,aussicritiquequedocumentéetvolontaristedeJean-CharlesSimon,Faut-il en finir avec le paritarisme ?,Institutdel’Entreprise,2016. Pour une approche synthétique de ce document important et clivant, voir, dans la revueannuelledel’Institut,Jean-CharlesSimon,«Faut-ilenfiniravecleparitarisme?»,Sociétal, 2017, pp. 122-130.Du côté de l’institut de l’entreprise, voir, pour les changements et permanences dusujet, le rapportParitarisme : conditions et enjeux, datantde1995,quimettait déjà fortementenquestionlesdéfaillancesdelagestionparitaireetendoutesalégitimitéetsonefficacité.Enfin,ducôtédelaFondationpourl’innovationpolitique(Fondapol),voirJulienDamon,Parfaire le paritarisme par l’indépendance financière, Fondapol, 2017, dont cet article reprend les analyses de la partiedescriptive.

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d’unmagistratdel’État)dejugesappartenantàlamêmecatégoriequechacundesadversaires.Onrangedanscettecatégorielesconseilsdeprud’hommesmaisaussilestribunauxparitairesdesbauxruraux.

Leparitarismeestainsiunsystèmeouuneorganisationimpliquantdesmécanismesparitaires.Dansledomainedelaprotectionsociale,ils’agitdesystèmesetorganisationsfonctionnantsouslaresponsabilité,pleine,partielleoutrèsrelative,des«partenairessociaux».Laparitéduparitarismeestdonccelledespartenairessociaux.Elleaété,untemps,celledesniveauxdecotisationsentrelesdeuxpartiesdespartenairessociaux.Ainsi,danslaloidu5avril1910surlesretraitesouvrièresetpaysannes(dite« ROP »)lesversementsobligatoiresdessalariésetlescontributionsdesemployeurssontdemêmehauteur,forfaitaires.Aveclesdeuxloissurlesassurancessociales,des5avril1928et30avril1930,lacotisationàverseràl’organismeassu-reur,quel’assurépeutchoisir,semonteà4 %dusalairepourlesalarié,4 %pourl’employeur.Cestextesfixent,ouplutôtcherchentàfixer,auplanfinancierunprincipedepartageégaldescotisationsentrelesalariéetl’employeur.Aujourd’hui,lesniveauxdecotisationssonttrèsdis-persésselonlesrisques.Lapariténeprocèdeplusduprélèvement.Elletient,enthéorie,delarépartitiondupouvoir.EnmatièredeSécuritésociale,iln’yavaitpas,àl’origine,en1945,paritarismecariln’yavaitpasparité.Lesreprésentantsélusdescotisantssalariésétaientma-joritairesdanslesconseilsd’administrationdesorganismes.Laréformede1967(ordonnanceJeanneney)instituevéritablement,nonsansconflit,lerégimeduparitarismedanslaSécuritésocialefrançais,enimpliquant,àparité,lepatronat.Depuislors,ledébatfaitragesurlaportée,lalégitimitéetl’efficacitéduparitarisme.Celui-cis’étendetsetransforme,toujoursdanslaSé-curitésociale,aveclaprésencegrandissanted’autresmembresdesconseilsd’administration : représentantsdesmutuelles,desassociationsfamiliales,ouencorepersonnalitésqualifiées(«PQ»).Aujourd’hui,leparitarismestrict,enmatièredeSécuritésociale,seretrouvedansdescommissionsparticulièresdesconseilsd’administrationdescaisseslocales,lescommissionsde recours amiables.Dans cesCRA, la parité entre représentants des employeurs et desemployésdemeure stricte.Ni représentant desmutuelles, ni représentant desassociationsfamiliales,nipersonnalitésqualifiées.Certainsvoientlàunpurparitarisme,réminiscenced’uncertainpasséouannonciateurd’unfutursouhaitable.

Le recoursà lasémantiqueetà l’historiquede laprotectionsocialeamèneraitunordrede définition assez simple.Paritarismeet paritaire désignent et qualifient une assemblée, uneinstitution,uneactivitéimpliquant,ennombreégal,desreprésentantsdedeuxpartiesEnma-tière de droit social et d’évolutions institutionnelles à la française, l’évidence s’érode.Sansdéfinitionnidélimitationabsoluesdansledroit,cesontladoctrineetl’activitéinstitutionnellequ’il faut consulter. Différentes approches, voiremême différentes écoles, sont repérables.Sansfaired’exégèse,onpeutprésenterlesprincipalespartitionsd’undomainequiapparaîtàgéométrievariable3. 3 Pourdavantagedeprofondeurd’analysehistorique,voirl’articledevenuclassiquedeGillesPolletetDidierRenard,

«Genèsesetusagesdel’idéeparitairedanslesystèmedeprotectionsocialefrançais.Fin19e-milieudu20e siècle », Revue française de science politique, vol. 45, n° 4, 1995, pp. 545-569.Voir, plusprécisément, dans le casdel’évolutiondelaSécuritésociale,l’étudedupassageau«véritable»paritarisme,en1967,avecstricteparitéentrepatronatetsyndicatsd’employésauxconseilsdescaissesdeSécuritésociale,dansBrunoValat,MichelLaroque,«LadémocratiesocialedanslagestiondelaSécuritésocialede1945à1994»,Vie sociale,n°10,2015,pp.89-107.Rappelonsquelesordonnancesétablissant,entreautres,ceparitarisme,furentconspuéescomme«ordonnancesscélérates»notammentencequ’ellesconfiaienttropderesponsabilitéaupatronat.Ilfautrappelerqu’en1945,pour

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Lamissiond’informationdel’Assembléenationale,pourprendrel’undesrapportsrécentsmarquants,évoqueune«mosaïque»,avecdescentainesdemilliersdemandatsdereprésentationencours,exercésparenviron600 000personnes,750branchesprofessionnelles,prèsde100 000salariésdansdes«organismespa-ritaires».Ce«grouillementparitaire»,noteencorel’Assemblée,posésur«unetête d’épingle » – avec un taux de syndicalisation de 8 %– aboutit au résultatremarquabled’untauxdecouvertureconventionnelledeprèsde93 %4, l’un des plusélevésdespaysoccidentaux.Autrementdit, leparitarismen’estpas impro-ductif,maisilestnébuleux.Ilfautdirequecertainsenfontunquasi-synonymedelagouvernancedelaprotectionsociale,quandd’autrescantonnentl’usagedumotàcertainspans,plusoumoinsnombreux,decetteprotectionsociale.EnmatièredeSécuritésociale,leparitarisme,érigéensymboleouenbastiondespartenairessociauxquisontmembresdesconseilsetconseilsd’administration,neseraitpasun«vrai»paritarisme.Ilyauraitdoncduvraietdufaux,del’utopieoudel’impasse,delaréussiteetdel’échec,del’intégraletdupartiel5.

Commentdoncdémêlercetécheveaudontlesfilsproviennentdudroit,del’écono-mieetdeshabitudesprisesdepuisdesdécennies?L’exerciceestmalaisé.Lapré-sence,partoutgrandissantedel’État,interdiraitmêmel’emploid’unmotdésignantdesréalitésdépassées.Présenthistoriquementdanslesdeuxdomainesdudroitsocial(droitdelaprotectionsociale,droitdutravail),leparitarismepourraitn’êtreplusprésentqu’endroitdutravail,notammentsoussaformeditede«paritarismedenégociation»(enoppositionau«paritarismedegestion»),oubientoutsimple-mentparcequ’ilparticipedirectementausystèmejudiciaireaveclesconseilsdesprud’hommes.

Faceàcesdifférentesacceptions,faussementpartagées,etàcebrouillard,unpeudelumières’impose.Lanébuleuseneselaissepassaisiraisément6. Tout raisonne-mentglobalsurleparitarismeacertainementseslimites.Afindesaisirceslimites,

laSécuritésociale, lesconseilsd’administrationn’étaientpasparitaires,età largeprépondérancesyndicale. Cf. Antoinette Catrice-Lorey, « La Sécurité sociale en France, une institution anti-paritaire?»,La Revue de l’IRES,n°24,1997,pp.81-105.Surlesambiguïtésgénérales,avecunplurielàparitarisme,onconsulteraDominiqueDamamme,BrunoJobert,«Lesparitarismescontreladémocratiesociale»,Pouvoirs,n°94,2000,pp.87-102.Enfin,pourunpanoramadepositions,onlirale«problèmespolitiquesetsociaux»(n°844)deGillesNezosi,La crise du paritarisme, La documentationfrançaise,2000.

4 Surceparadoxe relatif,cf.«LasyndicalisationenFrance :paradoxes,enjeuxetperspectives»,Trésor Éco,n°129,mai2014.

5 Voir,lechapitre«gestionparitaire»,dansJean-JacquesDupeyroux,MichelBorgetto,RobertLafore,Droit de la Sécurité sociale,Dalloz,18èmeédition,2015,291s.

6 Lebrouillarddevientmêmeàcouperauxcouteauxquandlesquestionsdegenreetdeparitéentrefemmes et hommes viennent s’enmêler.Ainsi, en 2006 un avis de la Commission générale determinologieetdenéologiedéfinissait lanotionde«paritarisme»commeune«actionenfaveurdel’égalitéentrelesfemmesetleshommes»etcommeunéquivalentdugender mainstreaming. VoirRéjane Sénac-Slawinski, «Dugender mainstreaming au paritarisme : genèse d’un conceptcontroversé»,Cahiers du Genre,n°44,2008,pp.27-47.VoirégalementlerapportdeAnicetLePorsetFrançoiseMilewski,Promouvoir la logique paritaire. Deuxième rapport du Comité de pilotage pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, Paris, LaDocumentationfrançaise,2003.

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il fautmettreau jour lesdiversesdéfinitionsetpartitionspossiblesduparitarisme.L’exercicedetypologieestunesortedefigureimposéedel’analyseduparitarisme7.

Leparitarisme:uneapprocheenquatrecerclesconcentriquesLadistinctionlapluscommunémentadmiseaujourd’hui,maissansquelepartagedesdeuxcôtésdeladistinctionsoitvéritablementclair,inviteàdifférencierunparitarisme«degestion»d’unparitarisme«denégociation».Danslepremiercas,lespartenairessociauxontlarespon-sabilitédegestion.Danslesecond,ilsnefontqueparticiperàdesnégociations,lesdécisionsfinalesleuréchappant,etlagestionn’étantpasdeleurressort.Cettedistinction,ancréedansuneréalitéfaitedenégociationetdegestion,nerendtoutefoispaspleinementcomptedelaréalitéduparitarisme,danssonensemble.

Déterminers’ilyaounonparitarisme,puishiérarchiserlesformesdeparitarismesontdeuxexercicesdélicats.Lesexperts8raisonnentàpartirdetroisouquatrecritères:

Originecontractuelledusystème,tiréedelanégociationcollective.Lespartenairessociauxsontàl’initiativeduserviceoudel’organismeconcernédontilsontprévu,paraccord,lacréationetlesprincipauxaspectsdefonctionnement.

Provenance exclusive (ou très majoritaire) des ressources tirées de cotisationsassisessurletravailsupportéesparlessalariésoulesemployeursplutôtquedeprélèvementsobligatoires.

Liberté,plusoumoinssouscontraintes,d’usagedecesressourcesetdegestiondesactivités.

Interventiondesservicesetorganismesparitairesendirectiondesseulscotisantsoudespersonnesdirectementreprésentéesparlespartenairessociaux.

Defait,lessphèresdelaprotectionsocialeetdudroitdutravailrépondantàcesquatrecritèressont trèsrestreintes,siellesexistentencore.Alors,pouraborder leparitarisme,quiestuneconstructionpragmatique,sanscopyrightnidélimitationjuridiqueformelle,ilfautraisonnerdemanièreconventionnelle.Dansunsensrestreint,quiestaussiceluidelarelationparitaireauquotidien,leparitarismerelèvedudialoguesocial.Dansunsenspluslarge–etonapprochealorsleparitarismedegestion–leparitarismecomprendlespansdelaprotectionsocialedanslesquelslespartenairessociauxjouentunrôledéterminant.Maisleparitarisme,danslaprotec-tionsociale,neselimitepasceparitarismedegestion.LesadministrateursdescaissesdeSé-curitésocialesont,eux-aussi,attachésauparitarismequel’organisationdeleursconseilsestcenséeégalementincarner.Defait,dansuneacceptionlarge,leparitarismepeuts’entendre,qu’ilsoitdegestion,denégociation,d’élaboration(dansdessphèresexpertes)ouderepré-sentation(parexempleauConseilÉconomique,SocialetEnvironnemental–CESE-ainsiquedanslesConseilséconomiques,sociauxetenvironnementauxrégionaux–CESER),comme

7 Parmi de premiers essais systématiques, signalons André Tardy, « Paritarisme et institutions de formationprofessionnellecontinue»,Droit social,n°11,1995,pp.913-920quidistinguait,endehorsduchampprud’homal,quatretypesdeparitarisme:denégociation,deconciliation,dereprésentation,degestion.

8 Voirlesrapportsrécentsdel’Institutdel’Entreprise,del’InstitutMontaigneetdel’Assembléenationale,notammentlecompte-rendudesmultiplesauditionsd’opérateursetuniversitaires.

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l’ensembledesmandatstenusparlespartenairessociaux.Aucuneacceptionnes’imposeparrapportauxautres.Pour certains, le paritarisme n’est qu’une des composantes du dialogue social.Pourd’autres,ledialoguesocialestl’unedescomposantesduparitarisme.Enfin,quelquespraticiensetobservateursestimentqu’ilnefautpasconfondrelesdeuxdomaines…En tout état de cause et de vocabulaire, le paritarisme se trouve bien dans unspectre qui va d’une définition très large (lato sensu), emportant toutes les ins-tancesoùseretrouventensemblelesreprésentantsdesemployeursetdestravail-leurs,àunedéfinitionrestreinte(stricto sensu)oùl’oncondenselesinstancesnéesdelanégociationcollectiveetdontlespartenairessociauxsontpresqueentière-mentresponsables.Onpréféreraunevisionlargeetunifiéeplutôtqu’unevisiondualeaveccequiseraitparitarismeditdegestionetcequineleseraitpas.Aprèstout,l’ensemblerelèvedeprélèvementsobligatoires.Avecuneassurancechômageetdesretraitescom-plémentairesprisesencomptedanslepérimètredesdépensespubliquescompta-biliséesausenseuropéendeMaastricht,ilyabiendavantageunitéquediversité.Cetteprésentationenquatrecerclesconcentriquesviseunpeudeclartésanspro-bablementmettrefinauconsensusmououàlacomplicitétacitequientourecettegrandecatégorieduparitarisme.Lesujet,s’ilsenichedansunvocabulairepeuri-goureuxetdansdesmécanismesd’uneextrêmecomplexité,anéanmoinstoujoursétéassezconflictuel.Ducôtédessyndicatsd’employés,l’investissementdanslagestionoumêmelacogestionaveclepatronataétécontestécommeundétourne-mentabsorbantinutilementlesmilitants.Ducôtédessyndicatsd’employeurs,cesontlesrigiditésetlespertesdetempsquisontsouventmisesenavant.

Leparitarisme«degestion»,combiendedivisions?Dansl’ensembledesappréciationssurlanatureetlaportéeduparitarisme,ladis-tinctionlapluscommunetraiteduparitarismedenégociation(leparitarismerevientalorsà lanégociationcollective)etduparitarismedegestion (leparitarismeestalorsunemodalitédegouvernance,enparticulierdanslasphèresociale).Certainsexpertsetopérateursajoutent,danscettepartition,leparitarismed’élaboration(parexempledansdessphèrescommeFranceStratégie,oubienleCESE).D’autres,ironiques,aimentamener,danslesdiscussions,leparitarismede«soumission»(encequ’ilverraitdespartenairessociauxtoujoursdavantageinféodés à l’État) ou leparitarismede«figuration»(pourrappelersoncaractère,souvent,uniquementprotocolaire).D’autresencore,moins ironiquesmaispluscritiques,opposentunparitarisme « bureaucratique », issu de décisions d’après-guerre pour tempérerlecaractèrerévolutionnairedusyndicalisme,àunparitarisme«stratégique»qu’ilfaut construire9.

9 Voir,encesens,lebilletdeEricVerhaeghe«Contreleparitarismedegestion,pourleparitarismedestratégie»(7février2017).www.entreprise.news/contre-paritarisme-de-gestion-paritarisme-de-strategie/

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Lesdéputésretiennent,dansleurmissiond’information,unpérimètreparticulier,es-timantquelequartdelaprotectionsociale,soit,selonl’Assemblée(cequienl’espècepeutêtrediscuté),150milliardsd’euros,enrelève.Etlerapportliste:lesretraitescom-plémentaires,lechômage,laprévoyance,lasantéautravail,laformationprofessionnelle,lelogement,l’insertiondespersonneshandicapées.Encesmatières,nousdisentlesdéputés,ils’agitde«l’affairedespartenairessociauxaumoinsautantquedel’État ».

Graphique 1. Unerépartitiondesdépensesdeprestationssociales(en2014)Source : rapport d’information de l’Assemblée nationale (2016)

Selonl’InstitutMontaigne,danslemêmeordred’idées,ilenvabiendel’ordrede150 milliardsd’eurosgérésdanslecadreduparitarismedegestion10.Pourlesplusgrandesmasses,lesexpertsdel’Institutidentifient :58,6milliardsd’eurospourlesretraitescomplémentairesAGIRC-ARRCO (16,6 milliards pour l’AGIRC et 42 milliards pour l’ARRCO) ; 35 milliards pour l’assu-rance-chômage ; 13,75 milliards d’euros pour la formation professionnelle (unique-ment le financement par les entreprises) ; 13,1 milliards d’euros pour la prévoyance ; 4milliardspourlelogement.

10 InstitutMontaigne,Dernière chance pour le paritarisme de gestion,février2017.Lesexpertsdel’Institutévaluent,parailleurs,lenombredesalariésdanslesorganismesparitairesà100000.

Source : rapport d’information de l’Assemblée nationale (2016)

149 029

346 000

474 000

688 900

100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 700 000 800 000

Paritarisme

Sécurité sociale

Régimes obligatoires

Protection sociale

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Graphique 2. Répartitionparsecteurdesdépensessocialesgéréesparitairement

Source : rapport d’information de l’Assemblée nationale (2016)

Leparitarismedegestionest,habituellement,rapportéàdeuxprincipalescompo-santes,quisontbiendifférentes:

Les retraites complémentaires, pilotées à long terme, dépendentgrandement de l’évolution des régimes de base, avec uneproblématiquedesoutenabilitédesrégimesquiestfonctiond’évolutionsmacroéconomiques.Elles représentent,grossomodo, lamoitiédecequirelèveduparitarismestrictosensu.

L’assurancechômage,autonomedurestedelaprotectionsociale,estentièrement soumise à la logique des cycles économique. Conçue àl’origine comme un régime de transition entre deux emplois stables,avecuneindemnisationdebonniveaumaissuruntempslimité,elleachangépeuàpeudenature,pourdevenirdésormaispour l’essentiel,un régime de gestion socialisée de la précarité de l’emploi. Cetteassurancechômagereprésente,grossomodo,lequartdecequirelèveduparitarismestrictosensu.

À ces deux principales composantes s’ajoutent, pour un total d’un quart duparitarismestricto sensu,despolitiquesetdépenses relevantde laprévoyance,du logement (l’effortdesemployeurspour laconstruction,c’est-à-dire le fameux« 1 %»)etdelasantéautravail.

LeConseild’AnalyseÉconomique(CAE)dansunenote,début2016,cantonnele

Handicap0,31%

Logement2,59%

Formation professionnelle5,90%

Santé au travail8,10%

Prévoyance8,26%

Emploi / Chômage25,10%

Retraites complémentaires49,75%

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paritarismedegestionà l’assurancechômageetaux retraitescomplémentaires11. L’ensemble,secaractérisantpardescotisationsetprestationsdéfinies,avanttout,parlespartenairessociaux,représente17 %desdépensesdeprotectionsociale.Letotalnereprésentequ’unpeuplusde100 milliardsd’euros,lacirconférenceduparitarisme,selonleséconomistesduCAE,estdoncplusrestreintequecelledélimitéeparlesdéputésdurapportd’information.

Graphique 3. Lagouvernance des dépenses de protection sociale, en%du total des dé-penses,2013

Source : CAE, 2016

Desapprochessurlesquelless’accordentlespartenairessociauxDansl’ANIdu17février2012«modernisationetfonctionnementduparitarisme»,ontrouvecettediversitéd’acceptionsetcettevolontédesecentrersurle«paritarismedegestion»quitrouverait– lit-on–sa justification«dans lavaleurduservicequ’ilestappeléàrendreauxbénéficiairesfinauxquesontlessalariésetlesentreprises,notammentauregarddesonutilitésociale».Cettephraseestrépétéedeuxfoisdansl’accord.Lessignatairesestiment,égale-ment,qu’« ilimportedes’assurerdel’efficiencesocialeetéconomiqueduservicerenduparlesorganismesparitairesdegestion».

11 AntoineBozio,BrigitteDormont,«Gouvernerlaprotectionsociale:transparenceetefficacité»,Note du CAE,n°28,janvier2016.www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note028.pdf

Partenaires sociaux (UNÉDIC et régimes complémentaires de

retraite17%

Collectivités locales

5%

Hors administrations

publiques (complémentaires

santé, régies d'entreprise)

9%

PLF5%

PLFSS64%

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Selon la rédactiondecetANI, lechampduparitarismedegestion intègredeuxformesdeparitarisme(issudesaccords, issud’unedélégationde l’État)et troismodesd’interventiondespartenairessociaux:gestionparlespartenairessociauxseuls,gestiontripartiteavecl’État,gestionpartagéeavecd’autresacteurs.Danslepremiercas,ils’agitdelamiseenœuvrederèglesfixéesparlesseulspartenairessociaux:c’estleparitarismedegestionausensleplusstrict,quivisedesorga-nismescréésetgérésuniquementparlespartenairessociaux.Onretrouvecettegestion,enthéorieexclusivementparitaire,danstroisdomaines:1/ laformationprofessionnelle;2/lesretraitescomplémentaires;3/l’assurancechômage(UNE-DIC et APEC).

En cesmatières, les partenaires sociaux ne gèrent pas à proprement parler lequotidiend’organismes,maisilssont,plusfondamentalement,enchargedeladé-finitiondesrèglesquis’appliquentauxrégimesqu’ilsgèrent,desavantagesetga-rantiesqu’ilspeuventaccorderauxsalariésetdesservicesqu’ilspeuventapporterauxentreprises.Encoreunefois,ladélimitationn’estpasclairementfournie.Lespartenairessociauxdétiennent descompétencesdanslaprotectionsocialeobliga-toire,maisilsinterviennentaussienprévoyance,domainedévoluàlaconcurrence

Au-delà du texte de l’ANI, le paritarisme, parfois qualifié de « pur », se trouve-raitdanslesmécanismesetinstancesoùnesontrassemblésquelespartenairessociaux.Untemps,l’assurancechômage,avantlacréationdePôleEmploi,étaitérigée en exemple de ce paritarisme pur. C’est aujourd’hui le cas des retraitescomplémentaires, en tant que domaine où les partenaires sociaux ont à la foislepouvoirdedécisionet laresponsabilitédegestion,ceciétantmisenquestionparleurrécentdéficittechniqueetleursproblèmesfinanciers.Pourlamissiondel’Assembléenationale, leparitarisme«pur»comprend lesdeuxsecteursde laprévoyanceetdesretraitescomplémentaires.Danssalogique,ils’agitd’uneparttrèsimportantesdesdépensesgéréesparitairementpuisqu’ils’agitde86 milliardsd’euros,soitplusdelamoitiédessommesgéréesparitairement.Àdéfautd’être« chimiquementpur »,leparitarismeexisteraitencoredefaçonrelativementabou-tiedanslesdomainesdesretraitescomplémentairesetdelaprévoyance12.

LeparitarismefaceautripartismeetautresmultipartismesÀ côté du vocable « paritarisme », celui de « tripartisme » prend de l’ampleur.Danslesdébatssurleparitarismeilveutrendrecomptedelaplacetoutdemêmeéminente, et de plus en plus prégnante, de l’État13. Fonctionnellement et juridi-quementmême, ildésignedesmodalitésdefonctionnementdansdesinstancesinternationalescommel’OrganisationInternationaleduTravail(OIT),dontl’actionsefondesurlacoopérationdetroisparties:lesgouvernements,lesorganisations12 LesrégimesAGIRCetARRCOincarnentincontestablementuneformemajeuredeparitarisme.Voir

FrançoisCharpentier,Retraites complémentaires. 75 ans de paritarisme,Economica,2014;FrançoisCharpentier,Les retraites complémentaires AGIRC – ARRCO,PUF,2016.

13 Pourunesynthèseetdespositionsàcesujet,voirlesanalysestrèsprécisesdeJacquesFreyssinet,quiavancel’expressionde«tripartismeasymétriquemasqué,danssonauditiondevantlamissiond’informationsurleparitarisme,www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/paritarisme.asp

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d’employeurs,lesorganisationsdetravailleurs14.Surtout,l’expression«tripartisme»rendcompte,enFrance,delaprésentecroissante,souhaitéeouredoutée,del’État.

Onparlede«tripartisme»àpartirdumomentoùl’Étatestdavantageprésent,parexempledanslescaissesdeSécuritésocialeoubienencoredanslescommissionsmixtesparitaires(CMP).Certainssoutiennent,avecdesargumentssolides,quecetripartismeest,defait, larègle.Incarnéparlaprésencedel’État,iln’estpasexplicitemaisilreposesurunconsensustacite.Cen’estpaslarègledetrois,maislejeuàtroisestlarègle.Dessolutionstripartitessonttrouvées,sansavoiràaccepteruntripartismeofficiel.MêmepourlesANI,l’Étatestprésent,dans l’orientationdesnégociationspuis la transcriptiondesaccords.Contrôlede légalitéetprocédured’agrémentconfèrenttoujoursuneplacecapitale,décisiveentoutcas,àl’État.

Onparleparfoismêmede«quadripartisme»quandd’autresopérateurssontprésentsà latabledesresponsabilitésetdelagouvernance15.C’estparexemplelecas,enmatièredefor-mationprofessionnelle,aveclesrégions.Onutiliseaussil’expression«quadripartisme»ausujetduconseild’administrationdePôleEmploioudelaCaisseNationaledeSolidaritépourl’Autonomie(CNSA).Ainsicertainesquestionsappelleraient-elles,aumoinshistoriquement,leparitarisme,d’autresletripartisme,d’autresenfinlequadripartisme.

Aufinal,ilapparaîtuneclarificationtrèsmalaiséeettrèsimparfaite.Lesévolutionsdusystèmedeprotectionsocialeetlacomplexitéqu’ellesamènentembrouillentcequ’aété,cequ’estetcequepourraitdevenirceparitarisme,termedoté,dansledébatpublicd’uneimagesacro-sainte.

Eneffet,siclarificationdesdéfinitionsetdesdomainesilya,toutcecin’empêchepasuncer-tainmytheduparitarisme,parantdetouteslesvertusledialoguesocial,lanégociationcollec-tiveet,finalement,leparitarismecommeréalisationd’uneœuvrede«démocratiesociale»16.

C’estassurémentcette«démocratiesociale»quevalorisent laplupartdespartenairesso-ciauxet quevalorisaient, dans leurprojet, certainspères fondateursde laSécurité socialeelle-même,PierreLaroqueentête17.Ilsetrouvenéanmoinsquelemondeagrandementchan-gé,souventd’ailleursdansunsensfavorableauxprotectionscollectives,cequiinviteàdesréformesetrévisionsdanscequeviseleparitarisme18.

14 Surl’histoiredutripartismeàl’OIT,voirMariekeLouis,«Unparlementmondialdutravail ?Enquêtesurunsiècledereprésentationtripartiteàl’Organisationinternationaledutravail»,Revue française de science politique,vol.66,n°1,2016,pp.27-48.

15 VoirOlivierMériaux,ÉricVerdier,« Gouvernancesterritorialesetémergenced’unepolitiquedurapportsalarial », Espaces et sociétés,n°136-137,2009,pp.17-31.

16 Lemythe se retrouve également sous une forme inversée lorsqu’il s’agit de dénoncer inefficacité, gabegie etopacité…En tout cas, sur les liaisonset déliaisonsentredémocratie sociale et paritarisme, voir Jean-JacquesDupeyroux,MichelBorgetto,RobertLafore,Droit de la Sécurité sociale,Dalloz,18èmeédition,2015;MichelBorgetto,«Sécuritésocialeetdémocratiesociale:étatdeslieux»,Revue française de finances publiques,n°64,1998,pp.7-37.

17 Àcesujet,voirJulienDamon,BenjaminFerras,La Sécurité sociale,Paris,PUF,«Quesais-je?»,2015.18 Onsepermetaussidesignalerl’importancedupassageduparitarismeàautreformedegouvernance,plusfloue

encore,quiestcelledupartenariat.VoirJulienDamon,«Ladictaturedupartenariat.Versdenouveauxmodesdemanagementpublic?»,Futuribles,n°273,2002,pp.27-41;JulienDamon,«Partenariatetpolitiquessociales»,Revue de droit sanitaire et social,vol.45,n°1,2009,pp.149-162.

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S’adapteràl’universalité:desévolutionsnécessairesLaborieuxàsaisir,leparitarismecampeen,toutcas,aucœurdessystèmesfran-çaisderelationsprofessionnellesetdeprotectionsociale.Ilsesitueàl’articulationentrelessolidaritésprofessionnellesetlasolidariténationale.Traditionnellement,ilestvucommeuninstrumentdepilotagedessolidaritésprofessionnelles,alorsquel’Étatetlareprésentationnationalepossèdentlalégitimitéenmatièredesolidariténationale19.

Lemouvementdegénéralisation(onparleaussid’universalisation)delaprotectionsociale,dansplusieursdesessecteurs,estassurémentceluiquialeplusd’impactsurleparitarisme.Passantdesolidaritésprofessionnelles(légitimantpleinementleparitarisme),àunesolidariténationale(appelantuneprésenceaccruedel’État), un mouvementfondamentaldelaprotectionsocialeamène,depuisdesannées,àdesappelsàdesrévisionsconsistantes.

Dansbiendesdomaines,leparitarisme–àcomprendrecommelagestionparlespartenairessociaux–secomprenaitpleinementquandlaprotectionsocialen’étaitpasuniverselle.Orsagénéralisationprogressiveacommandédenouveauxoutils(pourlefinancement–CSG,pourlesprestations–CMUetmaintenantPUMA,pourlagouvernance–LFSS)impliquanttoujoursdavantagel’État.

Cestroismouvementsderéforme–financement,prestations,gouvernance–sontliés.Ilsnourrissentunenouvelleconceptiondelaprotectionsocialefrançaisefon-déenonplus,d’abord,surdessolidaritésprofessionnelles,maissurunesolidariténationale.Leparitarismes’esthistoriquementcomposéàpartirdesolidaritéspro-fessionnellesqu’ilfallaitorganiser.Quandlasolidariténationaleprévaut,lesparte-nairessociauxnesauraientplusjouerlemêmerôle.

Leparitarismeestvucommeuninstrumentdepilotagedessolidaritésprofession-nelles, alors que l’État et la représentation nationale possèdent la légitimité enmatièredesolidariténationale.Leparitarismepeutpleinementetprofitablementcontinueràs’incarnerdans lagestionderisquessociauxà fortedimensionpro-fessionnelle.Dansd’autresdomaines,oùl’universalisationdesprestationsestenplaceet lafiscalisationdufinancementestencours, leparitarismedoit jouerunautrerôle.D’autresformesdegouvernances’imposent.

Dansunecertainemesure,lesystèmedeprotectionsocialefrançaisdevientuni-verseletbeveridgien(solidariténationale)pourlesrégimesdebase,toutens’af-firmantprofessionneletbisckmarkien(solidaritéprofessionnelle)pourlesrégimescomplémentaires20.Cecipourdirequeleparitarisme,adapté,atoutesaplacedanslesystème.Leparitarismes’incarnenaturellementlàoùlesrisquessontplutôtde

19 Sur ce point capital voir l’audition deDominique Libault, Directeur de l’EN3S, devant lamissiond’informationsurleparitarisme,www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/paritarisme.asp

20 Pouruneanalysemesuréeencesens,voirRomainMarié,«LerôledelaprofessiondanslamiseenœuvredelanormeendroitdelaSécuritésociale », Droit social,2016,p.126,et,pourunemiseenperspective,dumêmeauteur,«VersunbasculementdusystèmefrançaisdeSécuritésocialedanslemodèlebeveridgien ? » Revue de droit sanitaire et social,2011,p.727

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natureprofessionnelle,oùledialoguesocialpermetl’améliorationdesprotections:revenuderemplacementencasd’accidentsdutravailoudemaladieprofessionnelle,retraites.Lesdiscussions,dès lors,portent sur les lignesdepartageentrecequidoitreleverdelasolidaritéetdel’impôt,cequidoitreleverdel’assuranceetdelacotisation,cequiestuniverseletcequiestpersonnel.Bref,leparitarismenesauraitêtreappréciéetréforméd’unbloc.C’estbriqueparbriquequ’ilconvientdel’aborderpour,c’estselon,s’endéfaireouleparfaire.

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Universalité, sociétécivileetgouvernance :quellesévolutions?Par Jean-Marie Spaeth, ancien président du Conseil d’administration de la CNAMTS, de la CNAV et de l’EN3S

Syndicaliste français, Jean-Marie Spaeth est ancien secrétaire national de la CFDT et ancien président de la CNAMTS (1996-2004). Il a également présidé le Conseil d’administration de la CNAV et de l’EN3S, tout comme celui du GIP Santé et protection sociale internationale.Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment « la Sécu, une idée neuve » parue aux éditions La découverte en 1999.

Danslechampdusocialcommedanstouteconstructionhumaine,lagouvernanceestconsubs-tantielleàl’objectifquel’ons’estfixé.Créeretvendreunproduit,géreretdévelopperdesser-vicesd’intérêtgénéral,etc.,appellentàchaquefoisuneorganisation,etdoncunegouvernanceadaptée.Danslechampdusocial,fairefaceauxaléasdelaviec’estparexemplecréerlesconditionssolidairespourdisposerd’unrevenuderemplacement lorsque la forcede travailnepermetplusd’assurersonautonomieéconomique,assurerun revenude remplacementlorsqu’onesttouchépar lechômageoulamaladie,accéderàdessoins,etc.Commedanslesdomaines industriels,commerciaux,humanitairesetenvironnementaux,ceuxquisontàl’initiativedesprojetsexigentd’êtrenaturellementpartieprenantedeleurpilotagelorsqu’ilslesfinancent.Celuiquicommande,c’estceluiquipaye.Ildésirenaturellementmesurerl’avancéedel’objectif,procéderàdescorrectifsdetrajectoiresicelas’avèrenécessaire,amplifierl’ambi-tionduprojetou,aucontraire,enréduirelaportée.

UnnécessairechangementAveclesévolutionsqueconnaissentlesréponsesauxbesoinssociaux,unchangementpro-fonddelagouvernancedenotresystèmedeprotectionsocialeestindispensable.Ilestimpor-tant,àlaveillederéformesconcernantl’assurancevieillesseetchômage,quimarquerontunerévolutionparrapportauxprincipesquiontsous-tendujusque-lànotresystèmedeprotectionsociale,d’insistersurlacohérenceentreobjectifspolitiques,organisationetgouvernancequiest tropsouventoubliée.Je limiteraimonproposà lagouvernance,sanssous-estimer l’or-ganisationtechnique,carnotresystèmedeprotectionsocialeaétéaussi,aprèslasecondeguerremondiale,unélémentimportantdelamanièredontnotrepaysaexprimésafaçondevivreladémocratie,devivreensemble.Rappelons-nousquesilesPèresfondateursdel’Eu-ropeontchoisilacoordinationdessystèmesdeprotectionsocialeetnonleurharmonisation,ils l’ont faitnonparparesse,maisparcequecessystèmes leurapparaissaientcommedesélémentsfondamentauxdel’identiténationaledechaquepaysmembreetdevaientresterdeleurcompétence.Oublierlelienentredémocratieetgouvernancedelaprotectionsocialefaceauxchangementsinéluctablesquevaconnaitrenotresystème,constitueunrisque.Parconsé-

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quent,ilyauneopportunitéàdonneràlasociétécivileetauxcorpsintermédiairesdenouvellesformesd’expression,alorsquel’épuisementdesmodalitésanciennesetlevideéventuel,déjàbienprésent,risquentdefairesuccomberdeplusenplusdecitoyens,dépossédésd’expressioncollective,àlaséductiondupopulisme.

Jereviendrairapidementsurl’évolutiondelagouvernancepourproposerensuitedespistesd’évolution.

LesévolutionsdelagouvernanceL’Étatdécideaujourd’huidetoutavecdescache-misèresquiépuisentlesreprésen-tantsdelasociétécivile,commelesgestionnaires,provoquantunrisquecroissantdedéconnexionaveclaréalité.Alorsqu’unpartagedesrôlesplusréaliste,asso-ciantdemanièreélargielasociétécivile,luipermettraitd’êtrepluspertinentdanslepilotaged’unsystèmedeprotectionsocialedevenuuniversel.Maislasituationn’apastoujoursétécelle-ci.

Enmatière sociale, l’ambitiondeprotection collective s’est, pendant desdécen-nies, limitéeàdescatégoriesprofessionnellesclairement identifiées (lesmarins,lesmineurs,lescheminots,lesindépendantsetc.)ouàdesdomainesparticuliers(la retraite complémentairedessalariésdusecteurprivé, le régimed’assurancechômagedessalariésdel’industrieetducommerce,ouencorelerégimederetraiteadditionnelledelafonctionpubliqueetc.)ouàdessituationsparticulièrespouryfaireface,commecontinueràavoirunrevenulorsqu’onestmaladeouinvalide,ouàs’assurerenmutualisantlerisquepoursesoignerlorsquelamaladiefrappe,etc.

En1945,lespromoteursdelaSécuritésocialedansl’euphoriedelaLibérationetladynamiqueduConseilNationaldelaRésistance,avaientunevisionambitieusepourlaprotectionsociale.Garantirtoutelapopulationcontretouslesaléasdelavie.Cecienruptureaveclesorganisationsetgarantiesprécédentes,catégoriellesparnature,maisaussiafindepromouvoirladémocratiesocialecommealternativeàlaluttedesclasses.UneSécuritésocialefondéesurleprinciped’assuranceso-ciale(toutlemondepayeselonsesrevenusetreçoitselonsesbesoins).Financéeetgéréeparlesacteurseux-mêmes,employeursetsalariés,ellecorrespondaitàunevisionambitieusedecouverturedesdifférentsrisquesinhérentsàlavieetdetransformationsociale.Cetteambitions’esttrèsrapidementheurtéeauxcorpora-tismes,auxégoïsmesfinanciers,etauxidéologiesdominantes.

Aussi,nombredeprofessionsetdecatégoriessociales(professionslibérales,agri-culteurs,cheminots,marins,etc.)ont refuséd’intégrer le régimegénéral,aidéesencelaparlefaitquelescotisationsetlesprestationsdecerégimegénéralontététrèsrapidementplafonnées.Dès1947,dufaitdeceplafonnement,ilestainsicréépourlescadresunecaissederetraitecomplémentaire,l’associationgénéraledes institutions de retraite des cadres « AGIRC »,organismeàgestionstrictementparitaireentresalariésetemployeurs.Lepatronatacontestésaplaceminoritaireauseindesconseilsd’administrationdescaissesdeSécuritésocialecrééespourgérerlesdifférentsrisques,etlessyndicatsreprésentantsdessalariésétaienteux-

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mêmesdivisés.N’ayantpaspucréerl’assurancechômagedanslecadredelaSé-curitésociale(alorsquec’estlecasdansnombredepaysdel’Unioneuropéenne)lespartenairessociauxfondenten1958l’UNEDIC (Unionnationaleinterprofessionnellepourl’emploidansl’industrieetlecommerce),organismeoùlesdécisionssontprisesparlespar-tenairessociauxetmisesenœuvrepareux-mêmes.Aveclesordonnancesde1967quicréenttroisbranchesdelaSécuritésociale–famille,vieillesseetmaladie–et,ensuite,lasuppres-siondel’électiondesadministrateursetleurremplacementpardesconseilsd’administrationdontlesmembressontdésignésàparitéparlesorganisationssyndicalesd’employeursetdesalariés,lespouvoirspublicsrenoncentàunedesambitionsd’origine,celledeladémocratiesociale.Cenouveaumodedegestion,contestéparlesdeuxorganisationssyndicalesdesala-riésmajoritairesCGTetCFDT,conduiraàunegestiondesdifférentesbranchesdelaSécuritésocialeparleseulCNPF,etplusparticulièrementsesbranchesmines,métallurgie,textileetbâtiment.Ducôtésyndical,seulesFOetlaCFTCaccepterontdes’engageretdeprendredesresponsabilités.Cette situation perdurera pendant plus d’un quart de siècle.Onpeut noterégalementquelepouvoirdonnéauconseild’administrationdelacaissenationaled’assurancemaladiedestravailleurssalariés(CNAMTS)demodifierletauxdecotisationsn’ajamaisétéutilisé.Depuislaloide2004,c’estledirecteurdecettecaissequiassumel’intégralitédel’ad-ministrationdecettebranche.Lerôled’administrationaétéretirédesprérogativesduconseil,ainsiqueceluiduprésidentdenégocierlesconventionsmédicalesaveclesprofessionnelsdesantéexerçantenville.

Aufildesdécennies,lescotisationssalarialesontétédéplafonnées,saufpourlesretraites.EtlesressourcesdelaprotectionsocialeontétéprogressivementassisessurtouslesrevenusaveclaCSG(contributionsocialegénéralisée).Parétapessuccessives, l’essentieldescoti-sationspatronalesaétéprisenchargeparl’Étatvial’impôt.Àcompterdu1erjanvier2018,lescotisationschômagesdessalariésseronttransféréessurlaCSG.

LatransformationduCNPFenMEDEFn’apasété qu’unchangementdesigle.Enmatièredeprotectionsociale, lesdirigeantsduMEDEFontclairementannoncé lacouleur : « il faut mettrefinà la SécuritésocialeissueduConseilNationaldelaRésistance ». D’autantplusque,comptetenudel’évolutiondel’économie,lepouvoirauseinduMEDEFestpassédesbrancheshistoriquesindustriellesdetraditionbismarckienneenmatièresociale,voirepaternaliste,verslesentreprisesdusecteurtertiaireplusorientéessurunelogiqueassurantielleindividuelle.LaconséquenceaétélenonrenouvellementdesadministrateursdescaissesdeSécuritésocialeen2001,etundésengagementdesdirigeantsexécutifsdelagouvernancedesorganismesdeSécuritésocialeetdeprotectionsociale.Ducotésalarié,enparticulierdepuisunequinzained’années,aufildesrenouvellementsdesadministrateursdescaissesdeSécuritésociale,lesmembresdesexécutifsdesconfédérationsn’assurentainsipluslesprésidencesd’organismes.

Auniveaudel’État,lesdécisionsenmatièredecotisationssontpasséesofficiellement(c’étaitdéjàlecasdanslapratique)augouvernementetauParlement,dontlerôles’estaccruéga-lementenmatièredeprestations.AveclaloiannuelledefinancementdelaSécuritésociale,lespouvoirspublics(parlementetgouvernement)sontles décideursenmatièredeprotectionsociale.

LagestiondesorganismesdeSécuritésociales’estégalement transformée.Dès1962, les

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conseilsd’administrationcomposésàmajoritéde salariésontétédépossédésdelagestiondupersonneldescaissesauprofitdesdirecteursdesorganismes.Lanominationdesdirecteursdescaissesprimairesd’assurance-maladie,descaissesd’allocationsfamiliales,descaissesd’assurancevieillesseetdesURSSAFnesontplusaujourd’huidelacompétencedesconseilsd’administrationdesorganismes,maisdudirecteurnationaldechaquebranche.Lacapacitédegestionestdeplusenplusencadréeparl’administration.Àlaprésencedecommissairesdugouver-nementetd’uncontrôleurgénéraléconomiqueetfinancierdanslesconseilsd’ad-ministrationdescaissesnationales,s’ajoutelefaitquetoutedécisiond’unconseild’administrationestsoumiseàagrémentdel’administration,quiin fine est la seule quidécideenquelquesorteencatimini.Lesconventionsd’objectifsetdegestionpourlesorganismesnationaux,lescontratsd’objectifsetdeperformancepourlescaisseslocales,dontonauraitpupenserqu’ilsauraientpudonnerlieuàunené-gociationconstructive,particulièrementpourlabrancheassurancemaladie,inter-viennentassezsouventdanslemicromanagementdescaissesetontperduleurvocationinitialevoulueparlelégislateur.Sansfaireunerevueexhaustivedetouteslesévolutions,forceestdereconnaitrequelechampdesdécisionss’estégalementrestreint. L’administration, et plus particulièrement leministère des finances, ontreprislepouvoir.

L’élargissementdel’assiettedufinancementdelaSécuritésociale,passéedure-venudutravailàtouslesrevenus,aaussiaccompagnéunautrechangementfon-damental.Leversementdesprestationsaétéélargiàtouslescitoyensquelsquesoientleurssituationsoustatuts.Aufildutemps,lesprestationsontétéverséesau-delà des seuls salariés et de « leurs ayants droits ». Ce fut d’abord la branche famille et ensuite celle de lamaladie. Pour ces deux branches, c’est le lieu derésidence qui définit le droit et non plus le statut social. Enmatière de retraite,malgrél’existenceencoredeplusieursrégimes,unecompensationfinancièreentrelesdifférentsrégimesaétémiseenplace.Pour lessalariésduprivé,unrégimecomplémentaire–l’associationpourlerégimederetraitedessalariés(ARRCO)–aéténégociéaufildutempsparlespartenairessociaux,puisgénéraliséparuneloide1972.Unrégimeuniqued’assurancevieillessecomplémentairepourlessalariéscadresetnoncadresdusecteurprivéaétédécidé.Enmatièredechômage, lacréationdePôleEmploiconduitàcantonnerl’UNEDIC,géréeparlespartenairessociaux,àlaseulefonctiondefinanceuretdedécideurdesconditionsd’attributiondes allocations chômages et de leurmontant après agrément de l’État. Ànoterégalementquelacaissenationaled’assurancevieillessedestravailleurssalariésdeviendraàcompterdu1erjanvier2018lacaissenationaled’assurancevieillesse.Cechangementdenomn’estpasneutreàl’aunedesréformesàvenir.

S’agissantducontrôledesorganismesdeSécuritésociale,laCourdesComptesatoujoursjouéunrôle.Maisdepuisplusd’unedizained’années,elleaélargisesprérogatives.Elle faitun rapport tous lesansauparlementsur l’exécutionde laloidefinancementdelaSécuritésociale.ElleestchargéeégalementdecertifierlescomptesdesdifférentesbranchesdelaSécuritésociale.Ellenecontrôleplus

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seulementlalégalitédelagestioncomptabledesorganismes,maisporteégalementunjugementsurl’opportunitédesdécisionsprises,etfaitdesrecommandationsauxgestionnairescommeaugouvernementetauparlement.ToutsepassecommesilaCourdesComptess’étaitsubstituéeprogressivementàl’appréciationdescitoyensetdeleursre-présentantssurlapolitiquedeprotectionsociale.LaCourdesComptes,certesindépendante,estunmaillonessentieldel’administrationfrançaise.Maissonjugement,malgrétoutessesqualités,nesauraitremplacerl’expressiondelasociétécivilequiestlaclefdevoutedeladé-mocratietantsocialequepolitique.

Enrésumé,onpeutdiresanssetromperquenoussommesenFranceà lafindel’èredesassurancessocialesdébutéeentrelesdeuxguerresmondiales,prolongéeetamplifiéeparleConseilNationaldelaRésistancequiluiavaitégalementassignéunrôlesociétal.Lapromotiondeladémocratiesocialeavécu.Noussommesclairementpassés de l’ère des assurances so-cialesàl’èredel’universalité.OnpeutexprimercelaaussiendisantquelaFranceestpasséed’unevisionbismarckiennedelaprotectionsocialeàunevisionbéveridgienne.

Aujourd’hui:untripartismedéséquilibréIlfautdésormaisentirerlesconséquencesdanslagouvernancedenotresystèmeetinventerlesmoyensd’aider l’Étatàconcevoir,évalueretcontrôlerdans ledomainede laprotectionsociale.EnmatièredegouvernancedelaSécuritésociale,onadoncidentifiétroisgrandesétapes:

Lagouvernanceparlesacteurseuxmêmeautraversdeconseilsd’administrationcomposésàmajoritédereprésentantsdessalariésélusausuffrageuniverselparles assurés sociaux.

La gouvernance par des conseils d’administration composés à parité par desreprésentantsdésignésparlesorganisationssyndicalesd’employeursetdesalariés.

Le tripartismeenraisondu faitqu’ilyaaujourd’hui,avec l’État, troiscollègesauseindesconseilsdesorganismesdeSécuritésociale.Maissurtoutparcequel’État,gouvernement et administration incluant le Parlement, s’est accaparé au fil desannéesdel’essentieldespouvoirs.NoussommesclairementdansuntripartismedéséquilibréentreÉtat,organisationssyndicalesdesalariésetd’employeurs.

Letripartismedefaitoudedroitconduitàceque l’Étatoccupetrèsrapidementtouteslescasesduprocessusdedécisiondans lagouvernance,car ildisposepourcelade tous les leviers(loidefinancementdelaSécuritésociale,élaborationdesloisetdesrèglements,nominationdesdirigeantsetc.)etcelaquelquesoitlestatutjuridiquedescaissesdeSécuritésocialeoudes établissementspublics.Depuisplusd’unedécennie, il fautconstaterqueparallèlementauprocessusd’universalité, l’États’estarrogétouslespouvoirs.Lesconventionsd’objectifset degestionentre l’État et les organismesouencore les contrats d’objectifs et deperfor-manceauseind’unebranchen’ontdecontratquelenom.L’Étatexigemaisnes’engagepasà grand-chose,notammentauprétextedel’annualitébudgétaire.Danstouslesorganismes,l’Étatvalideouinvalidetoutedécisiond’unconseilet,quandtoutcelanesuffitpas,l’adminis-trationrecourtauxcirculaires,prenddesarrêtésoudesdécrets,qu’ilsoumetéventuellementà

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uneconsultationplusoumoinsformelle.Sansoublierlaformelapluspernicieusedupouvoir,« lepouvoirdusilence ».À toutes lesquestionsetpropositionsdesConseilsconsidéréescommegênantesparl’État,cederniernerépondpasoufaitsavoir« qu’ilétudielaquestion ».Lagouvernancedelaprotectionsocialeestdoncopaquepourl’immensemajoritédenosconcitoyens,déresponsabilisante,peueffi-cienteetautotalfrustrantepourtouslesacteurs.

PropositionspourdemainOfficialiserletripartisme,lerendretransparentetmieuxleréglementernechange-raient rien sur le fond. En effet,dèslorsquelaprotectionsocialeestuniverselle à traversdesfinancementsparl’impôtoulestaxes,celaconduitlégitimementàfairevoterlesprestationsetcontributionsparl’AssembléenationaleetleSénatàpartirde propositions du gouvernement. Il est normal, dans ces conditions, que l’Étatassume la responsabilitédupilotagede lamiseenœuvredesdécisionsprises.Faut-il en conclureque la société civile et les corps intermédiairesdoivent tota-lement être exclusde la gouvernancedenotre systèmedeprotection sociale ? La réponseestbienévidemmentnégative.Unedémocratievivante,participativeimplique l’interventiondescitoyensetdesacteurs,organisationssyndicales,as-sociationsdéfendantbiensûr l’intérêtde leursmandants,maisayantchevilléaucorpsl’intérêtgénéral.Danscesconditions,onnepeutconcevoirqu’iln’yaitrien,particulièrementdans lechampde laprotectionsociale,entre l’Étatet l’individu,saufàconduireaupopulisme.

Lemondeanciens’enestallé,unnouveaumondeestdéjàné,maissansquel’onaitdéfinilaplacedelasociétécivileetdescorpsintermédiaires.

Lepilotagede lamiseenœuvredesprestationssociales décidéespar leParle-mentdoitêtresansfaux-semblantsdelaresponsabilitédel’Étatquidisposedelalégitimité.Illuiappartientsansambiguïtédedésignerledirecteurdesorganismesspécifiquesàchaqueblocdeprestations.Cesdifférentsorganismesnesontplusenquelquesortedescaissesd’assurancemaladie,chômage,famille,etc.maisdesagencesmaladie,chômage,famille,etc.Ilfautclairementprendreactequenoussommespassésdesassurancessocialesà l’universalitédesdroits.Ledirecteurd’unecaissenationaleestclairementresponsabledevantleministreetlegouver-nementdelamiseenœuvredesobjectifstantentermesdeservicesauxcitoyensquederespectducadrebudgétairearrêtéparl’État.Illuiappartientdenommersoncomitédedirectionainsiquelesdirecteursdesagenceslocalesetdeprocéderàtouslesactesdegestionetd’organisationdel’agencequ’ildirige.L’étatisationdelaprotectionsociales’estaccompagnéedemultiplescontrôlestatillonspermettantàl’administrationdes’autocontrôlermaisquin’apportentaucunevaleurajoutée.Ilssclérosentl’actiondesdirecteursetentraventl’efficacitédeleursactions.Ilfautlesalléger.Celapasseparuneconfiancea priori,etdescontrôlesa posteriori et des sanctionsplusexigeantesexercésparexemplepar laCourdesComptesetseschambresrégionales.

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Plutôtquedelaissercommeaujourd’huiauprèsdescaisses,desconseilsdontlerôleestaumieuxectoplasmique,maissurtoutquinedisposentd’aucunpouvoirpropre,hormislesmembresdel’administrationquis’autocontrôlent,ilseraitsurementplusper-tinent de placer une toute nouvelle instanceauprès de chaqueorganismenational et lo-cal.Baptisons-laconseildesurveillance.Cetteinstanceseraitdotéedepouvoirspropres.Ceconseildesurveillance,composédemembresissusdelasociétécivile« organisée » et des corpsintermédiaires, indépendants,pourraitavoirunecompositiondifférenteselonlerisquegéré par chaque agence. Par exemple, pour le risquemaladie, les partenaires sociaux enchargedelasantéautravailonttouteleurplaceainsiquelesassociationsdepatients,commepour le risque famille, les associations familiales, etc. Pour la retraite, par contre, la placedes partenaires sociaux doit rester centralemalgré l’universalité des droits car un lien fortsubsisteraentrecotisationsetretraite.Cesconseilsdesurveillanceauraientpourmissions : d’effectuer des étudesd’impactsoudecontrôlercellesfourniespar l’administrationavant lamiseenœuvredetoutenouvellemesure ;decontrôler l’effectivitédesdroitsdescitoyens ; decontrôlerlamiseenœuvredesobjectifsassignésetaffichésparl’agencetantauniveaunationalquelocal ;etenfin,d’évaluerlesprestationsetservicesréalisésparl’agence.PourquoinepasemprunterauvocabulairedelaLOLF,carsilamesuredeladépensebudgétaireestaujourd’huiparfaitementpilotée, l’efficience,l’efficacité, lapertinenceet laqualitédeservicesonttoujoursdansl’anglemortdel’évaluation.CettemissionnedoitpasreleverdelaCourdesComptesuniquementmaisbiendescitoyensetdeleursreprésentants.Leconseildesurveil-lancedechaqueagenceseraitdotédemoyensproprespourréalisersamission.Ildevraitfaireun rapport régulieraudirecteursursesobservationset recommandationsetégalement,unrapportannueldesesobservationsetrecommandationsàtouteslesinstancesayantàtraiteretdéciderduchampd’interventiondel’agenceauniveaunational–ministresenchargedelaprotectionsociale,présidentsdescommissionsconcernéesduParlement,Conseilécono-miquesocialetenvironnementaletc.

Tirerlesconséquencesdel’universalisationetdel’étatisationCespistesontpourbutdetirerlesconséquencesdel’étatisationdelaprotectionsociale,entrelafonctiondepilotagedévolueàl’Étatetlafonctiond’évaluationtoujoursencoreaussipauvreetpeupriseencomptedansnotresystèmedeprotectionsociale.Cetteclarification,quis’expri-meraitavecdesmodalitésdifférentesselonlesrisques,nedoitpasêtreréduiteàuneréponsetechnique.Ils’agitdetrouverunecohérenceetunéquilibreentreunÉtatquiestomnipotentmaispasomniscient,etunesociétécivileetdescorpsintermédiaires,àquicetteévaluationferaitplaceetdontellepermettraitl’expressiondansundomainequilestouche.

Cetteréformedelagouvernancedesorganismesdeprotectionsocialeetplusglobalementdusystèmedeprotectionsocialeestdoncunexercicedélicat,commeceluidufunambulesurunfil.Lasociétécivileetlescorpsintermédiairesveulentêtreconsultés,êtreassurésqueleursavissontprisencompte,participeràl’élaborationdesdécisions,êtrepartieprenantedel’éva-luationdesrésultats.Ilnes’agitpasseulementd’organiserleurexpressioncollectiveefficace,voirede leurdonnerdesstrapontinsafinqu’ilsnesoientpasquedesgroupesdepressionréduitsauxdiscoursouàl’opposition,maisbiendeleurpermettredejouerunrôleactifsanssesubstituernisesoumettreaupolitique,danslerespectdeleurindépendance,pourparticiperàlaconstructiondel’intérêtgénéral.

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Pourlasociétécivileetlescorpsintermédiaires,l’enjeuestaussid’occuperd’autresespaces,notoirement désertés:celuideladéfenseetdelapromotiondel’intérêtgénéralfaceàladérivetechnocratique;celuiduchampdelaprotectionsocialequineselimitepasà laSécuritésocialeobligatoireetuniversel.Devastesespacessont aujourd’hui peu oumal couverts dans le domaine de la prévoyance, de laprévention,delaqualitédevieautravailetdubien-êtretoutaulongdelavieno-tamment.Ilya làmatièrepourlespartenairessociauxànégocieretà gérerdanslesbranchesdesaccordsenvuedefaireévolueretadapterlaprotectionsociale.

Cela conduit, in fine, à revaloriseret re-légitimer lepolitique.Car l’art deschoixcollectifs,dansunevisiondémocratique,estbiend’associerlasociétécivileetlescorpsintermédiaires,quisontlaclefdevoutedeladémocratietantsocialequepo-litique.Cequinepourraitquerenforcerlelienentrenosconcitoyensetlepolitique,etcomblerenpartielafrustrationdel’électorat.

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CLATRANSVERSALITÉ,AVENIRDELASÉCURITÉSOCIALE ?

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Unegouvernanceautre:l’exempledelaMSAPar Pascal Cormery, président et Michel Brault, directeur général de la Caisse centrale de MSA

Après une première partie de carrière en tant qu’enseignant agricole, Pascal Cormery s’est installé en 1990 sur une exploitation en polyculture/élevage. Ses nombreux engagements dans la vie du monde agricole l’ont conduit en 2009 à la présidence de la caisse de MSA de Touraine, devenue caisse Berry-Touraine en 2010. Il a été élu à la présidence de la caisse centrale le 28 mai 2015.

© FranckBeloncle/ CCMSA

Ancien élève de l’EN3S avec un parcours professionnel qui l’a notamment conduit à assumer la direction générale de deux caisses de MSA et le poste d’agent comptable national, Michel Brault a été nommé directeur général de la caisse centrale le 1er septembre 2011.

© FranckBeloncle/ CCMSA

LaMSAresteunorganismesingulierdanslepaysagedelaprotectionsocialeetsedistingueparunancrageprofessionneltrèsfort,associantsalariésetnon-salariés,unvéritableguichetuniqueetunegouvernanceoriginale.

Cestroiscaractéristiquessontaudemeuranttrèsliées.L’ancrageprofessionnelexpliqueunegouvernancequi,depuisl’origine,acontinûmentœuvrépourgarderlamainsurlesévolutions de laprotectionsocialeagricoleet,ainsi,progressivementconstitué leguichetuniquede laprotectionsocialeagricole.

LagouvernancedelaMSAplongeainsisesracinesdansl’histoiredusyndicalismeagricoleetdesonexpressionsociale,lemutualisme.Elleasufaireprogresserlacouverturesocialedessalariésetdesnon-salariésagricoles,etréaliserlescompromisnécessairespourrépondreauxexigencesdespouvoirspublics.Ellen’endemeurepasmoinsencoreprofondémentoriginaleettémoignetoujoursd’unexemplededémocratiesocialeparticipative,dynamiqueetinnovante.

I-DesracineshistoriquesI-1/ De l’essor du syndicalisme agricole…Laloidu21mars1884relativeàlacréationdessyndicatsprofessionnels,socledelalibertésyndicale,estàl’originedusyndicalismeagricolequis’estappropriéundispositifinitialement

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pensépourlesouvriers.Sondéploiementestsirapidequ’en1893lesagriculteursreprésententles2/5del’effectifsyndiquénationaletqu’en1908ondénombreplusde 5 000syndicatsagricolesregroupantprèsde870 000adhérents.Cetessor,quis’appuiesurlatraditiond’entraideetdesolidaritéexistantedanslemonderural,estaussiuneréponseéconomiqueàlacrisequiadurementfrappé,entrelesannées1875et1890,desagriculteursprisenétauentrebaissecontinueduprixdespro-duitsetcoûtdesprogrèstechniques.C’estainsiquelespremiersgroupementsseconstituentpourl’achatdesengraischimiquesquisegénéralisentmaisrestenttrèsonéreuxetsujetsàdenombreusesfraudesdansleurcomposition.

Cesyndicalismevas’organiserautourdedeuxpôles,

unpôleconservateuretdominantautourdelaSociétédesagriculteursdeFrance(SAF), fondéeen1867,quimetenplacedès1886 l’UnioncentraledessyndicatsagricolesdeFrance(UCSAF)regroupanttouslessyndicatscommunaux,cantonauxetdépartementauxaffiliésàlaSAF,

un pôle plus proche des pouvoirs publics et républicain autour de laSociété nationale d’encouragement à l’agriculture (SNEA) créée en1880quiregroupeen1910sonréseauautourdelaFédérationnationaledelamutualitéetdelacoopérationagricole(FNMCA).

Mais,au-delàdesdifférencesdesensibilitéidéologique,cesdeuxcomposantesdusyndicalismeserassemblentautourdetroisidéesfédératrices :

l’idéequel’identitédumondeagricoleetruralestmenacée,enlienavecun phénomène continu de dépeuplement dû à l’attractivité des villes(danslesannées1850,plusde55 %desactifssontdesagriculteurs,44 %en1911,33 %en1939) ;

l’idée que l’agriculture est un secteur à part, et qu’en particulier lesdistinctions sociales communément admises pour d’autres secteursd’activité,commeentresalariésetemployeurs,n’ysontpasaussinettes(àl’aubeduXXesiècle,prèsdelamoitiédesjournalierssontégalementpropriétairesd’unlopindeterre) ;

l’idée,enfin,quecettesituationjustifiedessolutionsadaptéesaumondeagricoleetquelaprofessiondoitobteniruneautonomiedegestiondansleur déclinaison.

C’estlemutualismequivaservirdevecteuràcettevolontédedifférenciationetàcetterecherchepermanented’autonomie.

I-2/ …au développement du mutualisme social agricoleL’article6de la loidu21mars1884,quidonnaitauxsyndicats lapossibilitédecréerdessociétésdesecoursmutuelsetde retraites,a fourni lepremier cadrejuridiqueaudéveloppementdesstructuresmutualistes.Aprèslaloidu1eravril1898quiétendlechampd’applicationdessociétésdesecoursmutuels,laloidu4juillet

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1900confirmel’assisejuridiquedelaMutualitéAgricoleetposelesprincipesdesonorganisation– solidarité, représentationprofessionnelle, décentralisation,gratuitéetgestionpardesresponsablesélus–principesdontlapertinenceesttoujoursd’actualité.

Cinqansaprèslevotedelaloiinstitutionnalisantles«mutuelles1900»ondénombredéjàplusde6 000mutuelles,tousrisquesconfondus.Cetteextensiondumouvementmutualistea,certes,portéprioritairementsurlaprotectioncontrelesrisqueséconomiques,notammentlaprotectiondesbiensetlessinistresdetoutenature(incendie,grêle,pertedubétail…).Maisrapidement,levoletsocialintègrelechampdelaréflexion,parcequ’ilestperçucommeunfac-teurd’attractivitédel’emploiagricoleetcommeunmoyendeluttercontrel’exoderuralverslesvillesmaiségalementparcequ’enorganisantlasolidaritédansuncadreprofessionnelilper-metàlafoisdelimiterl’interventiondel’Étatetdecontrerlapropagationd’idéescollectivistes.

Lesmembresdu5eCongrèsnationaldessyndicatsagricolestiennentàaffirmer,dèsledébutdeleurstravaux,quelessyndicatsagricolesn’ontpaspouruniqueobjetderendredesservicesmatériels,maisqueleurbutestaussietsurtoutd’améliorerlasituationsocialedesagriculteursparlamutualitésociale(compte-rendudestravaux–mai1905).Lespremièrescaissesagri-colesd’allocationsfamilialesverrontainsilejouraudébutdesannées1920.

Maislesinitiativesdel’Étatenfaveurdelaprotectionsocialedessalariésdel’industrieetducommercevontaccélérercetteévolution:loidu9avril1898surlesaccidentsdutravailquiinstitueleprincipedurisqueprofessionnel,loidu30avril1928surlesassurancessociales,loidu11mars1932surlesallocationsfamiliales.Laquestionposéeestàchaquefoisidentique– lesconditionsd’applicationaumondeagricole –etlesréactionssyndicalessimilaires –accordsurleprincipemaisdésaccordsurdesmodalitésd’applicationincompatiblesaveclesspécifici-tésdumondeagricoleetexigenced’uneautonomiedegestionpourlesnouveauxdroitsdanslecadredesstructuresmutualistesagricoles.

C’estpourquoicetteextensions’estétaléedansletemps,d’autantqu’au-delàdesinévitablesdébatssuscitésparlesdemandesd’aménagementdelaprofession,notammentsurlechampd’applicationobligatoire (questiondesmembresde la famille,desmétayers,dusalairepla-fond...),seposaitinévitablementlaquestiondufinancementdesmesuresdansuncontextedefaiblessedesrevenusagricolesetdebaisseconstantedelapopulationactiveagricole.

Au-delàdesdispositifstransitoires,lesloisdu15décembre1922pourlesaccidentsdutravailetdu30avril1930(avecledécret-loidu30octobre1935)pourlesassurancessociales,ainsiqueledécretdu5août1936pourlesallocationsfamiliales(étenduesen1939auxnon-salariésagricoles)sontvenussanctionnercetteévolution.

Laprotectiondesrisquessociauxvaparallèlemententraînerunimportantmouvementdedé-veloppementdecaissesmutualistesdédiéesàl’applicationdelalégislationsociale,quivontconstituer lepôlesocialdelaMutualitéagricole.Leurorganisationrestetoutefoisstructuréeautourdesdeuxréseauxconcurrents,celuid’obédienceSAFrassemblantlescaissesaffiliéesaugroupementdesCaissescentralesdela« rue d’Athènes » et celui d’obédience SNEA ras-semblantlescaissesrelevantdesCaissesnationalesdu« boulevardSaint-Germain ».

C’est le régimedeVichy qui impose, en décembre 1940, l’unification des deux réseauxetconfieen1941,souslaresponsabilitéduministredel’Agricultureenchargedelapolitiqueso-

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cialeagricole,l’applicationdesloissocialesauxseulescaissesmutuellesagricolesprofessionnelles.

CetteunificationestconfirméeàlaLibérationetlaspécificitédurégimeagricole,etdesonorganisation,reconnueparlerétablissementdesélectionsauseindescaissessocialesdelaMutualitéagricoleparlaloidu8juin1949.Ceprincipeélec-tif :

sedéclineselonunelogiqueascendanteauxdifférentséchelons– com-munal,cantonal,départementaletnational –del’activitédescaisses,

s’organiseen troiscollèges,petitsexploitants familiaux (1/2desdélé-gués),salariés(1/4)etemployeurs(1/4),

conduità l’électiondesconseilsd’administrationdescaissesdéparte-mentalesetcentralesdontlacompositionrespectel’équilibreentrecol-lègesdéfinipourlesdélégués.

Ceprincipeélectif,quifondelalégitimitédémocratiquedesélus,restetoujoursaucœurdelacultured’entreprisedelaMSA,mêmesilesévolutionsdelaprotectionsocialeetdesenjeuxquis’yattachentontconduitàlimiterleprinciped’autonomiedegestionquicaractérisenormalementceprincipeélectifdanslecadremutualiste.

II-UnegouvernanceenphaseavecsontempsLesannéesd’après-guerrevoientémergeruneautreagriculture,soucieusedemo-dernitéetrapidementregroupéesouslabannièreunitairedelaFNSEA(Fédération nationaledessyndicatsd’exploitantsagricoles)crééedès1946etprofondémentinfluencéeparlesidéesréformistesdelaJAC(Jeunesseagricolecatholique),dontserontissuslaplupartdesresponsablesagricolesfrançais.

II-1/ Une gouvernance MSA à la pointe des combats pour la pa-rité des droitsLamutationéconomiquequiaconduitàmultiplierparplusdecinqlaproductionagricole entre 1950 et 1980 nécessitait d’être accompagnée par des évolutionssocialesdanslesquelleslaMSAajoué,auxcôtésdusyndicalisme,unrôlemoteur.

Pour lesnon-salariésagricoles,c’est lacréationde l’assurancevieillesseobliga-toiredesexploitantsagricolesen1952,périodiquementréforméejusqu’ànosjoursetcomplétéeen2003paruneretraitecomplémentaireobligatoire.C’estlaloidu25janvier1961quimetenplaceuneassurancemaladie,maternité,invalidité(AME-XA),lesagriculteursétantlespremiersindépendantsàbénéficierdecettecouver-tureobligatoire.En1966, c’est l’assurancecontre lesaccidentsdu travail et lesmaladiesprofessionnellesquiestinstaurée,couvertureprofondémentréforméeetamélioréeen2001(ATEXA).

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Cesavancéessemblentaujourd’huiévidentesetonadumalàimaginerlaforcedeconvictionqu’ontdûdéployer,parfoisdurantdesannées,lesélusdeMSAetlesper-sonnalitésquiprésidaientleconseilcentral,afind’imposerdesévolutionsquireposaientsurunelogiquedesolidaritécollectivequin’allaitpasdesoi.Aussicomprend-onmieuxlescompromisdel’époque,commelaplaceréservéeauxassureursquiavaientdéveloppédesdispositifsfacultatifs,lorsdelamiseenplacedel’AMEXAetdel’ATEXA.

Ceprogrèssocialaégalementconcernélessalariésdel’agriculture,notammentceuxdelaproductionetdescoopérativeset,parfois,aprèsdevivesetlonguesdiscussionsauseinmêmedesdifférentescomposantesdumondeagricole.

Ilfautrappeler,qu’ausortirdelaguerre,l’agriculturereprésentaitunsecteuràpart,avecno-tammentunSMAGnettementinférieurauSMIG,descotisationssocialesmaladieetretraitecalculéessurunebase forfaitaireet l’absencede retraitecomplémentairepour lesouvriersagricoles.Leschosesvontprogressivementévoluer,notammentenmatièrederetraitecom-plémentaireetlaMSAcréeralaCAMARCAen1964pourlessalariésnoncadresd’exploitation(CPCEAmisenplacedès1952pourlescadres).Indiscutablement,lesévénementsde1968vontaccélérerlaprisedeconsciencequedesprogrèssontnécessaires.Ilsconduirontàrele-verl’effortcontributifdesemployeurspourrejoindrelasolidaritéARRCO/AGIRCaudébutdesannées1970.Au-delàd’autresavancées(suppressionduSMAG,assurancechômage,forma-tionprofessionnelle),ilsvontaussifavoriserlevotedelaloidu25octobre1972quireconnaîtlecaractèrederisquesocialauxaccidentsdutravailagricoles,dontlagestionestconfiéeàlaMutualitésocialeagricolequimetenplaceunepolitiquetrèsactivedepréventionconduisantàunebaissesensibledunombredesaccidents.

Plusrécemment,l’année2014fûtmarquéepartroisévénementsimportants:

lamiseenplaced’unrégimed’indemnitésjournalièrespourlesnon-salariés,

l’abaissementduseuild’acquisitiond’untrimestrederetraitepourlessalariésde200à150SMIC,mesureparticulièrementimportantepourlestravailleurssaisonniers,

larécupérationparlaMSAdelatotalitédelagestiondel’AMEXAetdel’ATEXA,et donc la sortie définitive des assureurs mutualistes agricoles du champ de laprotectionsocialeagricole,totalementconfiéeàlaMSA.

Maistouscesprogrèsqui,pourbeaucoup,impliquaientlerecoursàdesfinancementscom-plémentairesàl’effortcontributifprofessionnel,sesontaussiaccompagnésdechangementsimportantsdanslagouvernanceMSA.

II-2/ Une gouvernance qui a dû composer avec les évolutions de son en-vironnementDepuis1945,laprotectionsocialen’acesséd’étendresonchampd’actionetelleoccupeau-jourd’huiuneplacemajeuredansledébatpublic.Quecesoitenraisondel’importancedesenjeuxfinanciersquiysont liés,de laplacecroissantedesmécanismesdesolidarité inter-professionnelleetnationaledanslefinancement,delamontéeenchargedesdroitsouverts

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sousseuleconditionderésidence,toutaconduitàuneinterventioncroissantedespouvoirspublicsdanslagestiondesorganismesdeprotectionsocialeetlaMSAn’abienentendupaséchappéàcettevaguedefond.

Leschosesonteneffetbeaucoupévoluédepuisledécretdu27janvier1961por-tantadaptationauxorganismesdeMSAdesdispositionsdudécretdu12mai1960relatifàl’organisationetaufonctionnementdelaSécuritésociale,quireconnaissaitlaspécificitéde laprotectionsocialeagricoleetune largeautonomiede laMSAdanssagestionetlapolitiqued’actionsanitaireetsociale.

Lecontrôledel’autoritédetutelle,leministrechargédel’Agriculture,restaitlimitéaucontrôledelalégalitéetauxdécisionssusceptiblesdecompromettrel’équilibrefinancierde lacaisseoudurégime.La loid’orientationagricoledu9 juillet1999etsestextesd’application,enéchoaucontrôledelaCourdesComptesde1996sur la caisse centrale et àsessuites,ontmarquéunepremièrerupture,enélargis-santlechampdesorganismesetdesdécisionssoumisesàcontrôle,eninstituantuncommissairedugouvernementauprèsdelacaissecentraleetenétendantlespouvoirsducontrôleurd’État.Parallèlement,lecontrôledesorganismeslocauxasuivilemouvementdecentralisationengagépourtouslesrégimesetrelève,de-puis2012,delaMissionnationaledecontrôleetd’audit(MNC).Paradoxalement,laMSAestsansdouteaujourd’huil’organismeleplussoumisàenquêtes,auditsetévaluationsentoutgenredetoutlechampdelaprotectionsociale.Nonpasenraisond’unquelconqueacharnementmaisensaqualitédeguichetunique,pourlessalariésetlesnon-salariésagricoles,quilaconduitnaturellementàêtreimpliquédanstouslessujets.

Cettepériodeestégalementmarquéepar lamontéeenpuissancedesconven-tionsd’objectifsetdegestion(COG)instituéesparl’ordonnancedu24avril1996.Cemécanisme – qui permet aux pouvoirs publics, en contrepartie de garantiessur lesmoyensdefinancement,d’imposersesprioritésauxcaissesdeSécuritésociale–s’est révélédeplusenpluscontraignant, tantsur lesobjectifsquesurl’usagemêmedesmoyens,etaimposéderenforcertrèssensiblementlespouvoirsde la caisse centrale sur le réseau.

Plusieurs textessont intervenus,notamment lesLFSS2007,2008et2009,pourrenforcerlesoutilsdepilotageetdecontrôledelacaissecentrale(approbationdesbudgets,validationdescomptes,pouvoird’injonction,voiredesubstitution...).

CetteévolutionirrésistibleversledroitcommundesorganismesdeSécuritésocialeatteintsonpointd’orgueaveclaLFSS2013quialignelesrèglesdefinancementdesdépensesdegestionadministrativeetd’actionsocialedelaMSA–précédem-mentassuréesparunfléchaged’unepartduproduitdescotisations–surcellesdesautresrégimesdeSécuritésocialeavecunfinancementpardotationdegestion.Cetteréformes’estlogiquementaccompagnéeparuneremontéedesréservesdescaissesverslacaissecentraleetlamiseenplaced’unfinancementà« trésorerie zéro »,c’est-à-direaujourlejour.Unobservateurextérieurpeutdonclégitimement

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s’interrogersurcequidistinguevéritablementlaMSAdesautresrégimesets’éton-nerdel’attractivitéqu’elleexercetoujours,enparticuliersurlesélèvesdel’EN3Setlesagentsdedirectiondesautresrégimes.

III-UnegouvernancequiresteprofondémentoriginaleMalgrélesnombreusesatteintesauprinciped’autonomiedegestionquiamarquésalonguehistoire,laMSAagardésonidentitédanslepaysagedelaprotectionsociale.

III-1/ Une gouvernance qui a su préserver ses fondamentauxLescaissesdeMSA,commelacaissecentrale,sontgéréespardesconseilsd’administrationdontlesmembresontunedoublecaractéristique:

ils sont issus de trois collèges, non-salariés (1er collège), salariés (2e collège) etemployeursdemain-d’œuvre (3ecollège),et représententainsi tous lessecteursd’activitéettouteslescomposantesdumondeagricole.Cettereprésentations’estadaptéeauxévolutionsdémographiquesetdeuxréformes,en1994puisen2002,ontgarantiuneplaceplusimportanteauxsalariés,notammentauseindesconseilsd’administration(4/9despostesd’administrateurséluscontre3/9auxnon-salariéset2/9auxemployeursdemain-d’œuvre);

ils trouvent tous leur légitimité dans un processus électif (à l’exception d’unadministrateurpardépartementdésignépar lesUDAF),qui débutepar l’électiontouslescinqansde24000déléguéscantonauxparlesressortissantsdelaMSA,lesquelsdésignentles1 071administrateursdes35caisses.Leprocessuss’achèveavecl’électionduconseilcentralparlesdéléguésdecaisse(476administrateurs)àl’assembléegénéraledelacaissecentrale.Letauxdeparticipationauxélectionsqui,depuis1949,aoscilléentre50 % et 30 %,esttoujoursrestétrèssignificatifettoujours trèssensiblementsupérieurauxélectionsprofessionnelleséquivalentes.Cettelégitimitédémocratiquedesélus,renforcéeparleurancrageterritorial,esttoutàfaitatypiquedanslepaysagedelaprotectionsocialeetresteunecaractéristiquefortedumodedegouvernancede laMSA.L’institutiondisposed’unmaillageduterritoire qui fait sa force, avec des élus à l’écoute des besoins, en capacité derelayersesmessagesetdemobiliserautourdesactionsqu’elleconduit.D’autantque ces élus exercent souvent d’autres responsabilités, que ce soit au sein descollectivitésterritoriales,dutissuassociatifoudanslesorganismesprofessionnelsagricolesetlemondesyndical.Cesélusnesontdoncpasdesanonymesmaisdesresponsablesconnusdansleurmilieuprofessionneletfacilementaccessiblesauxressortissantsdurégime.

Ceréseaud’élussalariésetnon-salariésestparticulièrementengagédanslesdispositifsd’ac-compagnementdescrisesagricoles,autantparsonrôledeveilleetd’alertesurlesdifficultésdesexploitationsetdesentreprises,qued’informationetd’orientationvers lesactionsdelaMSA(vérificationdel’accèsàtouteslesprestations,légalesetextra-légales;préventiondesrisquespsychosociaux;suivisocial)etlesdispositifsmisenplaceaveclespartenaireslocaux.

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Cetteproximitééclaireégalementlechoixdesélusenmatièredesanté-sécuritéautravailetd’actionsanitaireetsociale,domainesdanslesquelsleursresponsabili-téssontétendues.Cetteconnaissanceduterrainetdumilieuprofessionnelatou-joursconduitlesélusàêtreforcedepropositionsurlesévolutionsdelaprotectionsocialeagricole,commerappeléprécédemment,etcesontcesmêmesélusqui,parexemple,sontaujourd’huiàl’originedudéveloppementduTESA(titreemploiserviceagricole)quipermettradès2018desimplifierlaviedespetitesentreprisesquin’ontpasdelogicieldepaieetquinerecourentpasàuntiersdéclarant,etderépondreàleursformalitésd’embauchecommeauxobligationsdelaDSN.

Maisau-delàdestextes,cettelégitimitédémocratiqueconforteleconseild’admi-nistrationdanssesattributions,notammentdansladéfinitiondesorientationspo-litiques.Certes,commeleurshomologuesdesautresrégimes, lesdirecteursontdespouvoirspropresimportantsetdisposentdesmoyensdefonctionnementdanslecadredubudgetadoptéparleconseil.Mais,àtitred’exemple,aucundirecteurnesauraitmodifierlapolitiqued’accueildesusagers(modesd’entréeencontact,implantationdesagences,horaires,…),sansévoquerpréalablementenconseilunsujetaussisensiblepourlesélus.

D’autantquelesconseilsd’administrationdelaMSAontconservéuneattributionimportante,lepouvoirdenommer(etdoncdelicencier)ledirecteur,l’agentcomp-tableetledirecteuradjoint,sousréservebienentendudel’agrément,etdenom-mer, sur proposition du directeur, les autres emplois de direction.De sa propreinitiative,laMSAadécidéd’encadrercepouvoir,enconfiantaudirecteurgénéraldelacaissecentralelepouvoirderecevoiretd’émettreunavissurlescandidatsauxpostesdedirecteursdecaisses.Enoutre,lacaissecentralen’estjamaislaisséedansl’ignorancedesituationspotentiellementconflictuellesquipeuventexception-nellement survenir entre conseil et direction, et sait imposer son arbitrage pourtrouverdessolutions«àl’amiable».LaMSArestetrèsattachéeàcepouvoirdenominationdesdirecteursquivautégalementpourl’écheloncentraletquipermetderecruterdesdirecteursgénérauxayantuneforteexpériencedescaisseslocaleset,lecaséchéant,d’éviterdesdésignationspourconvenancespolitiques.

IlconvientenfindesoulignerquelaMSAresteunebrancheausensdelanégo-ciation sociale et qu’elle garde donc lamaîtrise du dialogue social avec les or-ganisationssyndicales,dialoguemenéparlaFNEMSA(Fédération nationale des employeursde laMSA).Cettemaîtrise, assuréedans lerespectdescontraintesdelaCOG,estimportantedansuncontextederestrictionsbudgétairesquiimposedes évolutionslourdesduréseau,dontlaréussitereposeaussisurlaqualitédelaconcertationetlarecherched’accordsadaptésaveclespartenairessociaux.

Laconcertationesteneffet la cléde la réussitede lagouvernancede laMSA.Enamontdudialoguesocial,leschoixstratégiquesreposentsurdeuxconditions,d’unepart,l’assentimenttrèsmajoritairedesconseilsquisupposedescompromisentrenon-salariésetsalariéspourasseoirunemajoritédegestion,d’autrepart,l’adhésionduréseaupourlamiseenœuvre.

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C’estpourquoilaMSAaamplifiéen2010laplacedesinstancesdedialogue:

encréant,danslacontinuitédesréformesde1984etde2002quiontinstituélepostede1ervice-présidentissudelacomposante(salariéeounon-salariée)différentedecelleduprésident,quatregrandescommissionsinstitutionnelles.Ellesontlacharged’étayerlaréflexionsurlesgrandesorientationsinstitutionnellesetdepréparerlesdécisionsduconseilcentral.Ellesassocient,àcôtédesadministrateurscentraux, tous les présidents et 1ers vice-présidents des caisses, ainsi qu’unedélégationdesdirecteurs :

enréunissantaumoinsunefoispartrimestretouslesdirecteursduréseauautourdudirecteurgénéraldelacaissecentrale,

enmettantenplacedesJournéesprésidents/1ersvice-présidents/directeursquiassocientaumoinsdeuxfoisparanetplus,dèsquel’urgencelejustifie,touslesresponsablesduréseau.

Bienentendu,cetteconcertationsedéclineégalementauseindescaisses localesetde lacaisse centrale, et aucune décisionimportanten’estévoquéeenconseild’administrationsansavoirfaitl’objetd’unéchangepréalableentreprésident,1ervice-présidentetdirecteurdansunpremiertemps,auseindubureauduconseil,quiréunitleschefsdefiledestroiscollègesdansundeuxièmetemps.Ceprocessuscontinud’échangeetdedialogueestaucœurdel’efficacitédelagouvernanceMSA.

III-2/ Une gouvernance qui assume ses responsabilitésLesdifférentesCOGontimposéuncadredeplusenpluscontraignantàlaMSAet,enpar-ticulier,en lienavec l’évolutiondémographiquedu régime,unediminutiondrastiquedesesmoyensd’actiontanteneffectifsqu’enfraisdefonctionnement.

Lesobjectifsontjusqu’àprésenttoujoursétérespectésmaisauprixdedécisionsdifficilesàas-sumerpourdesélus.C’estparticulièrementlecaspourlarestructurationduréseauquiaréduitlenombredecaissesde78à35en2010.Malgrélesdifficultés–etilfautbiencomprendrequepour laMSAcemouvementdefusionsimpliquaitunespécialisationdessitesdeproductionetdoncunchangementdelégislationpourunepartieimportantedupersonneldeproductionnécessitant un gros investissement en formation et en ressources d’accompagnement – larestructurationaétémenéeàbiensanssoubresautmajeuretl’intérêtcollectifaprévalusurlesintérêtsparticuliers.Ilfautpréciserquelesélus,soucieuxdepréserverlaproximité,avaientdemandé et obtenu lamise en place de comités départementaux pour préserver un relaisd’expressiondépartementalentreleséchelonslocauxd’élusetleconseild’administrationdelacaisse,etavaientconditionnéleuraccordaumaintiendessitesdeproduction,souventvitauxpourl’économielocaledanslesdépartementsruraux.

Cemêmesoucideproximitéaprévalupourimposerlechoixdesmutualisationsdeproximitéplutôtqu’unedeuxièmevaguedefusionsouhaitéeparlespouvoirspublics,pourrépondreauxobjectifsdeproductivitéfixéspar laCOG2015-2020etàunenouvellediminutiond’effectifsprochede10 %.Lavolontédepréserverlarelationadhérent,etdonclefrontoffice,ainsiqueladensité du réseau d’élus ont conduit le conseil central àfairelechoixaudacieuxdemutualiser

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lesfonctionsdeproductionetlesfonctionssupportsentrecaissesvoisines(consti-tutionde16 binômesoutrinômes)pourobtenirlesgainsdeproductivitédemandéssansdénaturerlesfondamentauxdelagouvernanceMSA.

CetteoriginalitéfaitéchoàuneautrecaractéristiquedelaMSAetdesagouver-nance,l’espritentrepreneurialquiplongesesracinesdanssonhistoiremutualisteassociantautonomiedegestionetprisederesponsabilités.

LaMSAaainsi développéune forteactivitédegestionpour le compted’autresopérateursdeprotectionsociale,obligatoireoucomplémentaire.Ellegère,confor-mémentauxdécisionsARRCO/AGIRC,lerecouvrementdescotisationsderetraitecomplémentairepourlesgroupesprésentsdanslasphèreagricole(AGRICA,HU-MANIS,AG2R,…).Dansledomainedelasanté/prévoyancecomplémentaire,ellegèreplusde200contratscollectifsdebrancheet individuelspour lecomptedenombreuxopérateurs(AGRICA,PACIFICA,MUTUALIA,…),cequipermetàsesadhérents debénéficierdutierspayantintégral.Elleestégalementrégulièrementsollicitéepourlamiseenœuvredansledomaineagricoledesaccordsprofession-nels(exempleduFMSE,fondsnationalagricoledemutualisationdurisquesani-taireetenvironnemental)ouconventionnels(exempledelaformation:FAFSEA,VIVEA),enparticuliersurlevoletrecouvrementdescotisations.Elleapporteégale-mentsonsavoir-faireauxrégimesspéciaux,enmaladiepourlaSNCFetlaRATP,enretraitepourlaCIPAV.

Mais laMSA intervientaussidans leprolongementduservicepublic,enconfor-mitéaveclesdispositionsdelaloid’orientationagricoledu5janvier2006quiluidonnentmission«decontribueraudéveloppementsanitaireetsocialdesterritoiresruraux »(articleL.723-11duCoderural).Elleaainsisuorganiseret fédérerunréseauassociatifquipermetnotammentdesauvegarderenmilieururall’accèsàdesservicesessentielsdelaviecourantedespersonnesâgées(aidesménagères,portage de repas, téléassistance, aide à lamobilité) et d’accompagner les per-sonnesendifficultéoufragilisées(structuresd’insertionparl’activitééconomique,établissementspourhandicapés,formationprofessionnelle,servicesdetutelle…).Organiséautourdecinqassociationsnationalesetd’unefédérationnationaledel’offredeservices(FNOS)regroupantplusde200structuresdeservices,cetissuassociatif,quicontribuepuissammentaumaintienduliensocialsurlesterritoiresruraux,emploieprèsde5 000ETP.C’est,bienentendu,unchampprivilégiédel’actiondesélus,directementparlesresponsabilitésqu’ilsassumentauseindesassociations,indirectementparladétectiondesnouveauxbesoinsetcommerelaisauprèsdespartenaires, lescollectivités territorialesnotamment.C’estégalementundomainequipermetsansdouteàl’espritd’innovationdelaMSAdes’exprimerplusfacilementquedanslechampstrictdelaprotectionsociale,mêmesielleyainitiéplusieursdesconceptsquifontaujourd’huiconsensuspourlemilieurural(lesmicro-crèches;lesMARPA,maisonsd’accueiletderésidencepourl’autonomie;lesmaisonsdesanté; lesréseauxdesoins).L’expérimentation,réussieetquiavocationàêtregénéralisée,parlacaissedesAlpesduNordd’unservicederépitpour lesaidantsàdomicile témoignedecettedynamiquequivade l’écoutedes

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besoinsàl’identificationduterritoirepertinententermesdepotentieletdeciblespouraboutiràlacréationdelastructureadaptéeàlapriseencharge.CequisurprendsansdouteleplusuncadrededirectionquirejointlaMSAest,au-delàduguichetunique,cettediversitéd’activitésetd’interlocuteursquirythmelequotidiendelavied’unecaissedeMSA.

CettegouvernanceMSA,quiasureleverlesdéfisauxquelselleaétéconfrontéeetqui,faceauxcrisesrécurrentesquifrappentlemondeagricole,atoujoursassumésonrôled’amortis-seursocial,estlefruitd’unealchimiecomplexe,mariantracineshistoriques,ancrageprofes-sionnel,valeursmutualistes,quiluidonneuneidentitéuniquedanslepaysagedelaprotectionsociale.Sonéquilibrereposesurlaqualitédudialogueetlarechercheduconsensusquionttoujoursanimélestroiscollèges,exploitantsindividuels,employeursdemain-d’œuvreetsa-lariésreprésentésdanslesconseilsd’administration,etquionttoujourspermisd’asseoirlesdécisionssurunelargemajoritédegestion.Cetéquilibren’estdoncpasunacquismaislefruitd’un travailpermanentpour trouver lesbonscompromis.Onnepeutpasexclurequedansl’avenirunemodificationdupaysagesyndical,tantducôtédessalariésquedesnon-salariés,nelefragilise.MaislaprincipalemenacededéstabilisationdelaMSAresteliéeàlabaissestructurelled’activitéliéeaudéclindémographiquedelapopulationnon-salariéeetà la baisse desmoyensimposéeparallèlementparlespouvoirspublicspourrépondreauxexigencesdeproductivité.

Lesélus,qu’ilssoientsalariésounon-salariés,nepeuventpaseneffetassumerindéfinimentl’effortpermanentetsansfinderestructurationquienestlaconséquencedirecteetquifinirainévitablement par remettre en cause l’essencemêmede laMSA, c’est-à-dire sa politiquedeproximitéetd’engagementsocialsur les territoiresruraux.LaMSAest leseulopérateuruniverseldeprotectionsocialesusceptibledegérer tous lesrisquespour lessalariéset lesnon-salariés.

C’estunecompétencequelaMSAvalorisedéjà(SNCF,RATP,CIPAV,Départementsd’Outre-Mer…)maisquinepeutêtrepleinementexploitéesansuneimpulsionfortedespouvoirspu-blics.C’estlaconditionpourluiconférerl’assisenécessaireàsagouvernanceetdonnerà ses milliersd’élusbénévoleslesmoyensderesterlesanimateursetlescréateursd’unliensocialvitalsurdesterritoiresruraux,dontchacunsouligneaujourd’hui la fragilitéet lesrisquesdedécrochage.

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Pilotage et gouvernance d’un projet en universcomplexe:l’expériencedel’UnionRetraitePar Jean-Luc Izard, Secrétaire général auprès du Haut-commissaire à la réforme des retraites, ancien directeur du GIP Union Retraite

Jean-Luc IZARD, administrateur général, est secrétaire général auprès du Haut-commissaire à la réforme des retraites depuis le 1er octobre 2017. Il était auparavant directeur du GIP Union Retraite depuis 2014.

Il a également exercé les fonctions de directeur de la CRPCEN, la caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires de 2012 à 2014, de sous-directeur des retraites et des institutions de la protection sociale complémentaire à la direction de la Sécurité sociale (2008-2012) et de sous-directeur de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail dans la même direction (2007- 2008).

CrééespécifiquementpoursurmonterlacomplexitédelaretraiteenFrance,l’UnionRetraitepeut,auboutd’unpeuplusdetroisannéesd’existence,tirerquelquesenseignementsdesonexpérience.ConstituéesousformedeGIPentretouslesrégimesobligatoiresderetraite, lamissioncentraledel’UnionRetraiteestunemissiondesimplificationaubénéficedesassurés.

Lacomplexité,enl’espèce,s’organiseendetrèsnombreuxchamps,dontonpeutciter,pourleplaisirdel’illustration:

La complexité des règles afférentes à la retraite, qui supposent un haut niveaud’expertiseparlesgestionnairesetquirestentdoncpeuaccessiblesauxnon-initiéset a fortioriaugrandpublic,pourtantpremierintéresséàleurapplication.

Lacomplexitédesobjectifsassignésàlaretraite,quidoitàlafoisêtrereprésentativede l’effort contributif de l’assuré mais aussi garantir, grâce à de très puissantsmécanismesdesolidarité,unniveaudeviedécentauretraitéetquidoit,auregardde son poids considérable dans la vie économique de notre pays,maîtriser sesprestationspournepasalourdirlachargedesgénérationsactives.Lesystèmedoittendreàl’équilibreafind’éviterlerecoursàladettedontleremboursementpèseraitsurlesgénérationsfutures.

La complexité institutionnelle, puisque l’Union Retraite regroupe 35 régimesdifférentsderetraite(soit laquasi-totalitédesrégimesfrançais),régimesdebasecomme le régime général, régimes complémentaires comme l’AGIRC-ARRCO,régimesassurantcesdeuxétages(etparfoisd’autresrisques)comme leRSI, laMSAoulesrégimesdeprofessionslibérales,ouencorerégimescouvrantparuneseuleprestationcesdeuxétages,telslesrégimesdesfonctionnaires.

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Lacomplexitédans lanaturedesrégimesmisenœuvre: régimesenpoints(complémentairespour l’essentiel),régimesenannuitédont lesprestations sont calculées sur un salaire moyen (régime général etrégimesalignés)ousurunsalairedefindecarrière(fonctionnairesetsecteurpara-public).

Lacomplexitéliéeàlapotentiellehétérogénéitédesobjectifspoursuivisparlesgestionnairesdesrégimes:objectifsdevisibilitéet/oud’image,d’améliorationdelaqualité,deréductiondescoûts,duserviceclient…

La complexité liée au développement de processus plus ou moinsautomatisésetintégrésselonlesrégimesetdoncàuneperceptiontrèsdifférenteselonlesrégimesdesobjectifsdequalitédelarelationclients.

Loinderéduirelacomplexité,l’émergencedunumériquelarenforce.Carelleac-cuseencoredavantagelesécartsdesdifférentsrégimesentreeuxetsoulignelesdifférencesquiexistententre les régimes :différencesdemoyensbiensûrmaisaussietsurtout,différencesdansladéfinitionetlapriorisationdesobjectifs,diffé-rencesdanslaréactivitéetl’adaptabilitédesrégimes,différencesdenaturecultu-relleenfin.Lapossibilitéd’envisagerunecoproductionaveclesassurésestunnou-veaulevierpouraméliorerleservicerendumaisellesoulèvededélicatesquestionsd’organisationdesprocessus.Enoutre,lesévolutionstechnologiquesrécentesontconsidérablementmodifié les attentes de nos concitoyens au regard du servicepublic et donc au regard de la retraite. Les enjeux d’accessibilité, de fiabilité etderapiditédel’informationsontainsidevenusessentiels,demêmequeceuxdela simplification des procédures via leur dématérialisation et de la transparencedesrèglesetdesprocédures.Désormaisaffranchisdeleurposturedesujetsdesadministrations,lesassuréssociauxattendentlégitimementqueleursservicespu-blicsintègrentcetteaspirationetrépondentefficacementàleursdemandes,cequiconstitue,avouons-le,undéfidetailleetquimajoreconsidérablementlacomplexitédelaconduitedeprojet.Quoiqueprésentantdesspécificités,lemondedelaretraiten’échappepasauxfon-damentauxdelaconduitedeprojet,mêmesicesfondamentauxpeuventêtre,prisindividuellement,plussensiblesou,aucontraire,moinsdéterminantsdansl’universcomplexequeconstituelaretraiteenFrance.

Del’importancedesfondamentauxLesleviersdepilotaged’unprojetsontcommunémentrépartissurquatreaxes:coûts,délais,qualitéetpérimètreduprojet.Laconduiteduprojetconsistepoursonmana-geràajusterdemanière continueet leplus finementpossible cesquatre leviers.Maisilfautinsisterd’embléesurunpoint:iln’estpasréalistederechercheruneffetmaximumsurcesquatreaxesdepilotage.Ainsi,parexemple,tenirlesdélaisetlesobjectifsdequalitérisquefortdegénérerunprojetcouteuxet/ouaupérimètreréduitalorsqueprivilégiercoûtequecoûte lamaitrisedescoûtset lerespectdesdélaisrisquedeconduireàunproduitdequalitémédiocreauregarddesobjectifsinitiaux.

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Lepointessentieldelaconduitedeprojetestdoncdehiérarchisersoigneusementlesobjectifsenfonctiondeleurrépartitionsurlesaxesdepilotage.Quecherche-t-onprioritairement?Unproduitrapidementdisponible,peucouteux,degrandequalité,évolu-tifouàpérimètreétendu?Etquelestlesecondobjectifrecherché?Quelobjectifpeutêtreabandonné,aumoinspartiellement?Surquoiest-onprêtànégocier?Quellessontlesmargesdemanœuvre?Cepointestd’autantplusessentielquelesacteurssontnombreuxouqueleprojetestambitieux.

Orsi,dansl’universinstitutionneldelaprotectionsociale,touteélaborationdeprojetcomporteunephaseapprofondied’analysedesbesoins,dedéfinitionducalendrieretd’estimationdescoûts(parfoismêmed’approcheduretoursurinvestissement...),ladéfinitiondesobjectifsstra-tégiquesetleurhiérarchisationsontsouventmoinstravaillées,voirecarrémentomises.Etcettesituationconduitimmanquablement,àlapremièretension,àdesdifficultés,desconflits,desincompréhensionsentrelesacteurs.Lemanagerduprojetsetrouverarapidementàdevoirar-bitrerdessujetsayantdesincidencesstratégiquespoursesmandantsetverrainévitablement–dansunecertainemesure,àtrèsjustetitre–salégitimitéàlefairecontestée.Cettecontesta-tionserad’autantplusvéhémentequelapriorisationdesobjectifsauraétélaisséedansleflou.

Pourautant,ilfautseméfierd’unexcèsdeméthodologieenamont,excèsquipeutêtrecontre-productif.Ainsi,attendrequechaqueacteuraitconvenablementétudiélesincidencesstraté-giquespourluid’unprojetdonnépeutconduireàdesdélaisincompatiblesavecl’objectif,d’au-tantquel’appelàlaméthodologiepeutêtreprétexteàretarder,àfaireobstacle.Lesprojets,singulièrementlesplusimportantsetlesplusstructurants,ontaussibesoind’unenthousiasme,d’unmouvementquiprocèdedavantagedel’adhésionspontanéequedel’étudeapprofondie.Mais,àdéfautdedéfinitionpréciseethiérarchiséedesobjectifsenamont,leprojetserasoumisàdesà-coupsdanssondéroulementetaurabesoind’unportagepolitiqueaffirméetd’unma-nageràlalégitimitéforte,capablederendrelesarbitragesdélicats,oudumoinsdelesfaciliter.

Onnesauraitdonctroprecommanderquelesfondamentauxdelaméthodologiedepilotagedeprojetsoitd’autantplusscrupuleusementrespectésquelacomplexitéduprojet,oucelledesonenvironnement,sontavérées.Ainsi:

Lechoixduresponsableopérationnelduprojetdoitfairel’objetd’unsoinparticulier.Ildoitbénéficierd’unepersonnalitéaffirméesansêtretropclivanteetsonniveaud’expertise technique doit être reconnu par ses pairs, qu’il côtoiera au quotidiendanslaréalisationduprojet.

Lesobjectifsduprojetdoiventêtreclairs,partagésetassumés.L’existencedebutscachésoud’intentions«secrètes»neconstituepasungagedesuccès,loindelà,etfaitcroîtredangereusementlesrisquesd’échecs.

Le responsableopérationnelduprojetdoitêtre forméauxméthodesdeconduitedeprojetqu’ildoitd’autantplusmaîtriserqueleniveaudecomplexitéseraélevé.L’appuid’unPMOestindispensabledèslorsquel’onestenuniverscomplexe.

Le responsable opérationnel doit disposer d’un accès facile aux décideurs quiportentlavisionstratégiqueduprojetetquisontenmesurederendrerapidementlesarbitragesdansl’intérêtduprojet,

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Laméthodologie doit être calquée sur desméthodes éprouvées. Lesdécisionsdoiventêtreconsignées,lesdifférentesoptionssoigneusementdocumentées et argumentées, les échanges doivent se faire sur desordres du jour définis en amont, les documents de travail doiventêtrepartagésavecdesdélaisdeprévenancesuffisants, laduréedesréunionsdoitêtrefixéeàl’avance(idéalement,nepasexcéder1h30à2h)etchaqueréuniondoitfairel’objetd’uncompterendupartagéentrelesparticipants.Ils’agitderèglesmaintesfoisrappeléesetquisemblentreleverd’unévidentbonsens;pourtant,toutepersonneayantparticipéàunprojetsaitcombienilestrarequ’ellessoientréellementappliquéesetlesmanagersdeprojetsaventcombienilestdifficiledelesrespecteretdelesfairerespecter.

Lesmissionsdupiloteopérationnel(oudusponsorselonlescas)ainsiquel’étendueetleslimitesdel’autoritéquiluiestconfiéeparl’autoritéstratégiquedoivent être formaliséesdansundocument partagéet nedoiventpasêtreremisesencauseàlapremière(etinévitable)tension.

Lagouvernanceduprojet,gageessentieldesuccèsSilamiseenœuvred’uneméthodologierobusteconstitueunélémentfondamentalde réussite, lesmodalités de gouvernance sont également d’une grande impor-tance. Il n’y agénéralementpasdedifficultéàcomposerdes instancesdegou-vernance,maisleursattributionsrespectivessontparfoisflouesetl’existenceetlepositionnementd’unéchelondepilotagesontsouventdélicats:or,c’estunélémentessentiel qui doit garantir « l’alignement » entre lemanagement stratégique duprojetetsonmanagementopérationnel. Il s’agitde faire remonter lesdifficultés,dedonnerde lavisibilitéauprojet.Garantdupérimètreduprojet,dubonavan-cementdesréalisations, ilassurelarégularitédupilotage,pilotagequiassurelesuividescoûts,lavérificationdurespectdesdélaisetdesjalonspréfixésetcelledelaqualitédeslivrablesattendus.Larégularitéetlatransparencedecepilotagesontessentielles.Enuniverscomplexeparticulièrement, lesà-coupsdepilotagepeuvents’avérerdestructeurset,a minima,freinentetfontglisserlesprojets.Forceestpourtantdeconstaterqu’ilssontfréquentsdansl’environnementinstitutionnelpublic.

Bienentendu,unprojetnepourraaboutirquesi l’ensembledesmoyensnéces-sairesàsa réalisation,notamment lesbudgetscorrespondants, lui sontalloués.Maissurtout, lesujetdumanagementdesressourceshumainesestvitalpour laréussited’unprojet.Onparleicidesressourcestechniquespourlaréalisationduprojet,biensûr,maisaussidesressourcesnécessairesàsonpilotageetdescom-pétencesnécessairesponctuellementpourrésoudrelesproblèmesquivontinévita-blementsurvenir.Or,sil’onrevientaumondedelaretraiteetàl’activitédel’UnionRetraite, cemanagement des ressourcesaffectéesauxprojets est lui-mêmeunprocessusd’unediaboliquecomplexitési l’onveutbiensesouvenirquecesont35organismesquisontencause,quipeuventavoirdesenjeuxstratégiquesde

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GRHfortdifférentsetquiontdestempsdedécisionetuneinégalesensibilitéauxprojetsinterrégimes.Danscesconditions,lemaintiendelamotivationdeséquipes–déterminantessentieldelaréussiteoudel’échecduprojet–estunobjectifpermanentdudirecteurdeprojet.

LeGIP«unionretraite»estunprojetcomplexeensoiLacomplexitéduprojetdeconstitutiond’unopérateurqui« assurelepilotagestratégiquedel’ensembledesprojetsdecoordination,desimplificationetdemutualisationayantpourobjetd’améliorerlesrelationsdesrégimesavecleursusagersdanslesquelstoutoupartiedesesmembressontengagésetveilleàleurmiseenœuvre » est indéniable1.Lagouvernancedel’Unionestfixéeparsaconventionconstitutive2quil’organiseautourdecinqautorités:

L’assembléegénéralequiréunitles35régimesmembresetquiarrêtelaconventionconstitutiveetlesmodalitésderépartitiondufinancemententrelesmembres.

LeConseild’administration, formationplusrestreinte3,dontrelèvent lesdécisionsrelativesauxprincipalesorientationsdel’actioncollective.

LeComitédesUsagers,instanceconsultativequiportelavoixdu«client»auseindestravaux.

LeComitédecoordinationstratégique,instanceconsultativedanslaquellesiègentles directeurs des régimes représentés au Conseil, qui prépare les travaux duConseil.

Ledirecteur,enchargedufonctionnementduGroupementetdelabonnemarchedesprojetscommunautaires.

La gouvernance de ce projet «UnionRetraite » est-elle conformeaux principes que nousénoncions supra ?

Incontestablement, lesobjectifsassignéspar laLoisontclairs,mêmes’ilspeuventsemblerexcessivementambitieux.LeContratd’objectifsprioritairesestvenuprécisercesobjectifsquisontdéclinés,surunepériodedonnée (2015-2018)en21projetsconcrets.Les répartitionsdecompétencesentrelesinstancesetlesprincipesdefonctionnement4sontprécisesetpu-bliques. Ilsneposentpasdedifficultésparticulières.Leseulbémol tientà l’associationdespluspetitsrégimes : soumisàdesinjonctionscontradictoiresentrelebesoindetransparence,lesoucid’efficacité,desressourceslimitéesetlesréellescapacitésdesrégimes,lefonctionne-mentcollectifestprobablementperfectiblesurcepoint.

Maissil’onconfrontelesobjectifsassignésparlelégislateuretlaformejuridiquequ’ilachoisie,unepremièredifficultéapparait.Construitesouslaformed’unGIP,l’UnionRetraiteestenthéo-

1 Codedelasécuritésociale–art.L161-17-12 https://www.info-retraite.fr/portail-info/sites/PortailInformationnel/home/qui-sommes-nous.html3 Ysiègentlesneufprincipauxrégimesderetraite,lesautresétantreprésentésparl’intermédiaired’uncollègedes

professionslibéralesetd’uncollègedesrégimesspéciaux4 Transparence–Rechercheduconsensus–Respectdetouslesrégimesetdeleursspécificitésquellequesoitleur

taille.

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riel’expressiondelamiseencommundemoyensconsentieparsesmembrespourl’atteinted’objectifsqu’ilspartagent.Or,laLoileurimposecetteassociation,quiapoureuxuncaractèreobligatoire,et lesobjectifssontenréalitédéfinisautermed’unenégociationavecl’État.LeGIPapparaitainsienthéoriecommel’expressiond’unepolitiquepubliquedeserviceauxusagersetdemutualisationtrèslargementdéfinie par l’État.Cette contradiction n’est pas qu’apparentemême si elle restelargementthéorique.C’estauGIPqu’ilrevientdelarésoudredanslapratiqueetnotammentdanslepilotageauquotidiendesprojets,cequis’avèreconsommateurde ressources.

Ausurplus,l’Étatdisposed’autresoutilspourconduirelespolitiquespubliquesdontilalachargeetdenombreuxprojetsconcernantdirectementouaffectantlemondede la retraitevoient le jourdansdescadresdifférentsdeceuxqui s’imposentàl’UnionRetraite.Lesimpleénoncédequelques-unsdecessujetspermetd’enap-préhenderl’impactsurl’actioncollectivedesrégimesderetraite:Déclarationso-cialenominative(DSN),Liquidationuniquedesrégimesalignés(LURA),disparitionduRSI...Toussujetsdontl’articulationaveclesautresprojetsest,forceestdeleconstater,assezpeuanticipée.Cequinemanquepasdeposerdedifficilesques-tionsd’arbitragedespriorités(etsubséquemmentd’allocationsderessources),ar-bitragesdontiln’estpascertainqu’ilssoiententièrementmaitrisésparlapuissancepublique.Cettesituationn’estd’ailleurspasl’apanagedel’État : elle concerne les partenairessociauxdontlapolitiqueauseindel’Agirc-Arrco(nouvellesrèglesdeliquidation, fusiondes régimes...etc.)n’estqu’assez faiblement inclusedansunedémarcheglobale.

Cettehiérarchisationassezlimitéedesobjectifsetdesprojetsdécouleengrandepartiedel’organisationdelaretraiteenFranceetdupoidsvariabledel’État dans les différentesinstitutions.Auseinmêmedel’État, si la direction de la sécurité sociale estunacteurmajeur,sonrôleestdespluslimitésencequiconcernelesrégimesdefonctionnairesetsingulièrementceluidesfonctionnairesdel’État. Partant, des hiatussontinévitablementconstatésentrelesobjectifspoursuivis.Lechantierderecentralisationdupilotagedesretraitesautourdeladirectiondelasécuritésocialen’estpasalléàsontermeetc’estuninconvénientmajeurquecedéfautd’unicitédupilotage.L’articulationdesCOGentreelles,quecertainsappellentdeleursvœux,neseraitprobablementqued’uneffetlimitétantquedesobjectifsclairsethiérar-chisésnesontpasfixésetsuivisparuneautorité investiepour lefairedefaçontransversaleàtoutelaretraite.

CeshésitationsseretrouventdanslepilotagebudgétaireduGIP.Plusde90 % des dépensesduGroupement sont constituésde remboursements,à sesmembres,desmoyensmutualisés, ce qui signifie concrètement que le budget duGIP necontribuequ’àhauteurde10 %àladépensepublique.Soitmoinsde2M€.Etpour-tant, ledébatbudgétaireestsouventdifficileet, iciaussi,consommateurderes-sourcesquiseraientemployéesplusefficacementausuivideprojetsdontlescoûtssontincomparablementplusélevés.CettesituationtientaumodedefinancementduGroupement.Eneffet lescontributionsdesrégimessontcomptabiliséesdans

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lesdépensesdefonctionnementdesrégimes,groupededépensessurlesquelleslescontraintessontlesplusélevées.Lesrégimesseretrouventainsiàgérerunesituationparadoxaleparticulièrementcontraignantepoureux:alorsquelacommunautéréaliseauseinduGIPunfinancementmutualiséd’investissementsdestinésàsimplifierlarelationavecl’usageretàgénérerdeséconomies,laquotepartdecesdépensesincombantaurégimeestconsidéréecommeunedépensedefonctionnementduditrégime.Ilestsouhaitablequecettesituationévolueàcourt termesi l’onsouhaiteconserver toutesonefficacitéà ladémarcheengagée.Lesprojetsdel’UnionRetraitedoiventnonseulementêtredécritsavecprécisionethiérarchisés(cequiestd’oresetdéjàpeuouproufaitauseinduContratd’objectifsprioritaires)mais leur financement doit également être assuméet sanctuarisé, ce qui implique que lescontributionsdesrégimessoientgaranties.

Auplanopérationnel,lepositionnementdel’UnionRetraiteaégalementposédesdifficultésdanslamiseenœuvredecertainsprojets.LestermesutilisésparlaLoiconduisentlelecteuràlesinterprétercommeunefonctiondemaîtrised’ouvragetantstratégiquequ’opérationnelle.Or, l’UnionRetraite n’a pasaujourd’hui la légitimité dedéfinir des orientations stratégiquesdepilotagequi relèventde l’Étatetquine luiontpasétédéléguées.Enmêmetemps,sesmoyens humains volontairement limités ne lui permettent pas toujours d’assurer uneMOAopérationnelleefficace.Sicettesituationn’estquepeugênantedanslaconduitedelaplupartdesprojets,elleapugénérerdespointscritiquesdélicatssurcertainsprojetsstratégiquementstructurants(voirinfraàproposduRGCU).

Lesprojetsdel’unionretraiteà l’épreuvedesfaitsL’UnionRetraiteestporteusedeprojetsquis’articulentautourdequatrethèmes:ledroitàl’in-formation,lecompteuniquederetraite,lerépertoiredegestiondescarrièresunique(RGCU)etdiversservicesdigitauxouservicesstructurantspourlesassurés.

Depuissacréation,l‘Unionaconnudevraissuccèsetasusurmonter,danssoncadrecollectif,lesdifficultésquisontapparuesetdontcertainesprésentaientunniveauélevédegravité.Ob-servonsd’unpeuplusprèsdeuxchantiersquisontrichesd’enseignements.

Le compte personnel de retraite et la demande unique en lignePartant d’un projet largement attendumais très peu défini (le « compte unique »), l’UnionRetraiteasuconstruireuncomptepersonneldontlafinalité,au-delàdelamissiond’informa-tion,seradepermettreàtouslesassurésdefaireenuneseulefoisleurdemandederetraiteenligne,pourtouslesrégimes,àcompterdejanvier2019.Enmoinsd’unand’existenceduservice,cesontplusde1,5millionsdecomptesquiontétéouvertsettoutindiqueàcejour(septembre2017)quelecalendrierinitialseratenu.LeparifaitparleConseild’administrationestceluid’unemiseenligneprogressivedeservicesquiconcourenttousàl’efficacitédelade-mandeuniqueenligne.Lerythmedelivraisonretenuestgrossièrementsemestrieletleprojetglobalaétédécoupéenlotsdontchacunconstitueunprojetensoietrendunserviceàl’assu-ré.Leslotssontopéréspardesopérateursdifférents(essentiellementlaCNAV,l’AGIRC-AR-RCOetlaCDC).Cetteorganisationapermisdetenirbudgetsetcalendriers.Desproblèmessontapparusencoursdeconstruction,commeparexemplel’existencededoublonsentrelesservicesprévusparlesopérateursoudessujetsd’articulationavecleRGCU.Cesproblèmes

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ontpuêtrerégléssansimpactsurlecalendrierinitialetl’objectifprincipald’unser-viceintégréàl’assuréluipermettantdefaireunedémarcheenuneseulefoisetenun seul lieu (« Dites-le nous une fois »).

Le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU)Issudelaloide2010,ceprojetétaitquasimentenpanneen2014lorsdelaconsti-tutiondunouveauGroupement.Cettesituationétaithéritéed’unedéfinitioninsuffi-sante,auplanstratégique,desfinalitésdeceprojet.Chantiercolossal,ildoitabou-tiràlaconstitutiond’unréférentieldecarrièreuniqueetcommunàtouslesrégimes,référentieldontlagestionestconfiéeparlaLoiàlaCNAV.Deuxcraintesprincipalesontsemblémajeuresdanslefaibleenthousiasmedesrégimesàselancerdanscechantier,quitouchedeprèsàleurcœurdemétierstratégique,àsavoirlaliquidationdespensions.Enpremier lieu lacraintedevoir l’opérateurduréférentielêtreencapacitéde«s’emparer»rapidementdel’ensembledesopérationscœurdemétieraudétrimentdesautresrégimes.Ensecondlieu,lapeurde«l’accidentindustriel»portantsurdesdonnéesdontlerecueil,laconservation,l’intégritéetlasécuritésonttrèshautementstratégiquespoureux.Dansunpremiertemps,fondantsonactionsur ses valeurs, leGIPa réussi à faire redémarrer leprojet, en reprécisant sesfinalitésetenprécisantdesconditionsdemigrationdanslenouveausystèmequipouvaientêtreprogressives.Maisrapidement,denouvellesdifficultéssontappa-rues,plusparticulièrementavecl’opérateurcettefois-ci.Fauted’unedéfinitionplusprécisedesonrôle,leGIPs’estconsidérécommechargédelaMOAstratégiqueetopérationnelleduprojet.Or,ilnedisposaitpasdesressourcesnécessairespourassumerce rôleet iln’apassucréer lesconditionspourpartager laMOAavecl’opérateurouavec l’État sur leversantstratégique.Cettesituationagénérédefortestensionsquiontconduit,à lademandedesacteurs,àunemissiond’auditquiapermisderelancerleprojetenenredéfinissantlesfinalités,enprécisantlesrôlesetenrefondantlagouvernanceavecladésignationd’unsponsorpositionnéaucœurduprocessus.LeprojetavancedésormaisdefaçonsatisfaisantemaisilestintéressantdesoulignerquelesponsoretledirecteurduGIPontrécemmentdécidéencommundeconstituerdesateliersde réflexionsur les impactsdeceprojetsurlesmétiers,lesprocessus,lescompétences.....

Faut-il être«agile»?Ledébatexisteencoredansnos institutionsentreméthodedite«classique»etméthodedite«agile».Souventprésentécommeundébatdegénérations–unequerelledesanciensetdesmodernesà lasauce informatique–oucommeunedisputeentretenantsdelasécuritéetdelasoliditéetpartisansdurapideetjetable,cedébatn’aenréalitéplusguèrelieud’être.

Schématiquement, la méthode dite classique repose sur un enchaînement dephasesarticuléeslesunesaprèslesautres:

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Recueildesbesoins Analyse détaillée Conceptiondétaillée Développement Tests et recette Livraison,miseenproduction.

Cetteméthode a pour avantage de reposer sur unmécanisme très rationnel, dans lequelchaquephaseestdécrite,comportedesjalonsdedébutetdefin,unbudgetassociéetfaitl’ob-jetd’unevalidationavantl’ouverturedelaphasesuivante.Elleoffrel’apparenced’unegrandesécurité et d’une grandemaîtrise. Son principal inconvénient est de rechercher à détecterlesrisquesà un stade tardifduprojet,lorsquelesdéveloppementssonttrèsavancés(phasetests-recette);coupléauxvalidationssuccessivesdesphases,cedispositifconduitàuncoûtélevédescorrectionspuisqu’ilfaudrarevenirenarrière,surdesphasesdéjàvalidées.Surtout,ilconduitànecorriger,euégardàcescoûts,quelesrisquesquiapparaitrontcommecritiquespourleprojet.Née aux États-Unisautoutdébutdecesiècle,laméthodediteagile5estissued’uneréflexionvisantàrésoudrelesdifficultésdelaméthodeclassique,suiteàl’échecdeprojetsimportants.Elleprenddoncasseznaturellementlecontrepieddecertainspostulatsdecetteméthodeetfixedansun«Manifeste agile » lesfondementsdudéveloppementagileenquatrevaleurs6 etdouzeprincipes.Ledéveloppementagileestunmodedeconduitedeprojet itératifet in-crémental,reposantsuruneautonomierenforcéedesacteursetdeslivraisonsfréquentesdeproduitsdéveloppéssurdescyclescourtset testésencontinu.L’intérêtessentielde lamé-thodeestd’assumerquetoutnepeutêtreanticipéetquel’organisationduprojetdoits’adapterpourintégrercequiaétémalanticipéoucequisurvientdenouveaudansl’environnement.Leprojetpeutainsiévolueraurythmed’exigencesnouvellesdesoncommanditaireoupours’adapteràdesmodifications,notammenttechnologiques,del’environnement.Lescoûtssonta prioridavantagesécuriséspuisqueledécoupageduprojetenitérationspermetdel’arrêteraisément.Enfin, le découpageduprojet permet des livraisons fréquentes qui évitent l’effettunneldecertainsprojetsdemoyen-longtermeetlerisqued’essoufflementdeséquipesquil’accompagnent.Quelquesélémentsdecomparaisonsontprésentés,defaçontrèssommaire,dansletableausuivant:

Méthode « classique » Méthode « agile »

Déroulement Enentonnoir,étapesenchai-nées,rétroactiondifficile Itératifetincrémental

OrganisationPlanlinéaire,périmètrepré-défini, objectifs prédétermi-nés et stables

En itérations, périmètre etobjectifs ajustables à chaquephase

5 Lesingulierestabusifcarilexisteplusieursméthodesagiles:ASD,SCRUM,DSDM,Crystal,RAD...6 LeManifeste:http://agilemanifesto.org/iso/fr/manifesto.html

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Méthode « classique » Méthode « agile »

Gestiondesrisques

Faible pendant une grandepartie du projet. Fait l’objetd’unprocessusrigoureuxetdocumentéenphasedere-cette-qualification.

À chaque itération, de façonprivilégiant la réactivité etl’adaptation à la rigueur del’analyse

Modede suivi etdepilotage

Analyse des écarts. Privilé-gie un des leviers de pilo-tage(quipeutvarierdansletemps)

Analyse du reste à faire. Le dé-coupage en itérations permetdesdécisionsplussouplesetmultifactorielles

Documentation

Très détaillée et précise. Vécue comme essentielleaux échanges et à ladéfinition du projet, ainsiqu’àsaconduite

Réduite.Ajustéeaufildel’eauauxbesoinsnouveaux

Laprésentationdecesdifférencespeut,àjustetitre,semblerunpeucaricaturale.Defait,lapratiqueestrarementaussicaractériséequecettetentativedeformalisa-tionquipermettoutefoisdebienreprésenterlesécartsdesdeuxtypesdeméthodes.

Lathéorieaujourd’huisoutientquelaméthodeagileestplusappropriéeàlagestiondesgrosprojetscarelleintègremieuxlesimpondérablesquisurviendrontaucoursduprojet.Ellepermetdes’adapteràdesbesoinsmaldéfinisounouveaux,etoffreunemeilleurevisibilitétoutaulongduchantier.Cetteapprochedonnelapossibilitéd’expérimenter,demettreenœuvreunserviceréduitutilisablequiapportede lavaleurpourl’usagerplusrapidement,puisdelefaireévoluerauvuderetoursd’ex-périence.Onpeutaborderlacomplexitéenexpérimentantsurunmodèlesimplifiéutilisablemaisquiavocationàêtrecomplété.

Enuniverscomplexe,laméthodeclassiquecomportedesrisquesimportantspourleporteurduprojet.Outrequ’ellesupposeenamontunfastidieuxtravailderecueildesbesoins,d’élaborationdecahiersdeschargesetdespécifications,dedéfinitionprécisedeslivrablesetducalendrier,etlavalidationdechacundecesélémentspartouslesacteurs.Parconstruction,lesimpactsmétiersserontdifficilementévaluésavecexactitude,a fortioridansunprojetlong.Lesbesoinsnouveauxquiapparai-trontinéluctablementserontdoncluscommeundéfautd’anticipationparl’opéra-teuret/oucommeundéfautd’analyse initialedesbesoinspar lecommanditaire.Ceci constitue une source de tensions, voire de conflits, dont la résolution peuts’avérerhautementconsommatricederessources.

Enguisedeconclusion...provisoire...Uneintégrationplusimportanteetplusrapidedestechniquesdudéveloppementagiledanslaconduitedesprojetsstructurantsdelaretraiteestprobablementunenécessité. Elle est aujourd’hui encore insuffisante, par des effets de génération

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maisaussipourdesraisonsdeconformisme.Or,l’expériencevécuedel’UnionRe-traitemontrequecestechniquesapportentdesréponsesintéressantesentermesdefluiditédelagestiondesprojetscomplexes.

Ainsi,deladescriptionmêmedelagenèseetdudéroulementduprojet«comptepersonnel–demandeunique»ilressortasseznettementqueceprojetestconduitselondesprincipesdeméthodeagileetqu’ilsedéroulesansgravesà-coups,nisansretardsoucoûtssupplémen-tairessignificatifs.Dupointdevuede lagouvernance«politique»duprojet, ilspermettentd’éviter«l’effettunnel»quimarqued’autresprojetsetquiestfacilementdémotivantpourleséquipesetsourcedescepticismepourlesassurés-clients.

Toutefois,mêmesicetteévolutionestnécessaireetimportante,elleneconstituepasunere-cettemagiquequigarantitlebondéroulementetlebonachèvementd’unprojet.Lesquestionsdegouvernancesontégalementessentielles,commelemontrentdenombreuxexempleset,pourcequiconcernelaretraiteetleGIP,commelemontrel’expérienceduRGCU.Ilnepeutyavoirnisolutionsimplenirecettemiracleassurantlabonnegouvernanced’unprojetcomplexemaistout letalentdesresponsablesduprojetseraderecherchersystématiquement laplusgrandesimplicité,quiconstitueungaged’efficacité.

Surtout,lepilotagedesprojetscomplexesdanslemondedelaretraitesupposeuneambitionetunevolontépolitiquesfortes.Ils’agitnotammentdecréerlesconditionsd’unecoopérationentrelesrégimesetdefaciliterautantquepossibledesconvergencesetdesconsensusquire-quièrentdeseffortsimportantsdesrégimes.L’engagementdel’État dans le cadre d’une straté-gieclaireetcoordonnéeestainsiabsolumentindispensableaubonaboutissementdesprojets.

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UneexpérienceoriginaledegouvernancePar Jean-Marc GEORGE, Directeur de la Caisse locale déléguée pour la Sécurité sociale des travailleurs indépendants (CLDSSTI) Auvergne Rhône-Alpes

Titulaire d’une maîtrise en Droit public (1984), Jean-Marc George débute sa carrière à la CAF de Montpellier en 1988 au poste de Responsable des services généraux. Pendant cette période, il intègre en 1994 le CNESSS (concours interne), dont il sort pour rejoindre l’URSSAF de Montpellier où il est nommé sous-directeur. Il rejoint alors les caisses de Lozère (Directeur de l’URSSAF de Mende, de la CPAM, de la CAF et de l’UIOSS) puis devient Directeur de la CCSS de la Lozère en 2009. Il est nommé Directeur de la caisse RSI Provence-Alpes en juillet 2010 puis Directeur de la Caisse RSI Rhône au 1er décembre 2015. Dans le cadre du projet Trajectoire, depuis septembre 2016, il cumule ces fonctions avec celles de Directeur de la caisse des

Alpes, de la caisse d’Auvergne et de Directeur du centre national du RCT.

Lehasarddesparcoursprofessionnelsm’aconduitàdirigerdescaissesmulti-branches : la CaisseCommunedeSécurité SocialedelaLozère(CCSSL)etauseinduRSI.C’estdanscecontextequej’aiétéamenéàparticiperetàanimerdesconseilsd’administrationoriginaux,danslamesureoùilsdébattentlorsdeleursséancesdequestionsrelevantdudo-mainedelasanté,durecouvrement,delavieillesseoudelafamille.Forceestdeconstaterque,rapidementilsfinissentparjongleravectouslesconceptsdelaprotectionsocialeaveclebonsensetl’intelligenceducœurdesgensdeterrain.EtjevoudraistémoignerparcetarticlequetantàlaCCSSLqu’auRSI,lagouvernanced’unorganismemultibrancheestvéritablementlelieud’unedémocratiesocialevivanteetactive(1).Soulignonségalementlefaitquecetteapprocheplustransversaleconduitàavoirunegestionpluscentréesurl’accompagnementdel’usager(2),peut-êtremoinsproductivemaissansnuldouteplusqualitative.

I-Lesconseilsmulti-branchessontlelieud’unedémocratiesocialeetactiveI-1/ En interneTantenLozèrequ’auRSI,cesconseils«élus»pourleRSIet«nommés»pourlaLozèreontuneidentitéforte.Lesadministrateursfont«corps»avecleterraindesindépendantsouceluid’uneruralitéoubliéedesgrandscentresurbains,ilsreprésententvéritablementlapopulationet sontdoncàcetitremoinsanonymesetplusimpliqués.Les débats, parce qu’ils couvrent l’ensemble des problématiques d’une population : santé, socialeetéconomique,s’adressentmoinsàdesexpertsetsontplusprochesdelaréalitéetdeleurcompréhensionentantquenoninitié.Lesélussonttraitésparlesusagerscommedevéritablesrelaisdeleursdifficultésàcontacterl’organisme, ilssont identifiéspar lapopulationquis’adresseàeuxcommeà leurspairs,àchargepoureuxdefairetraiterleurs«dossiers»parlesadministratifs,experts,techniciensde la « sécu ».

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Lemaillageterritorialenestainsifacilité.

Le traitementdecesdossiersempêcheunevision technocratiqueetbureaucra-tique.Ainsi,n’imaginezpasprésenterdesstatistiquesélogieuses lors d’un conseil si,parallèlement,vousn’avezpastraitélesderniersdossiersremisparcesadmi-nistrateurs.

Il s’agit donc pour un dirigeant de faire preuve de pédagogie et d’inclusion desréalitésdeceterrainqu’ilsreprésententdans lapolitiquesociale,économiqueetsanitairedéfinieettransmiseparlacaissenationale.

Les orientations de cette politique de gestion sont éclairées par cette politiquedeproximité, lesdébatss’entrouventenrichiset l’attentiondesgestionnairesdeces caisses est imprégnéede ces problématiques, et de la compréhension desévènementsparcesadministrateursquireflètentlesculturesnontechniciennesdecespopulations,ruralesenLozère,entrepreneurialesauseinduRSI.

Pourledirigeantetsescollaborateurs,c’estbiend’uneimmersiondanslaréalitéduquotidiendontils’agit.

L’écueiletlalimitedel’exerciceestbienévidemmentlepasse-droitouleclienté-lismeauquelilestprimordialderésister.L’artdecetéquilibreentreancragedanslaréalitéetégalitédetraitementdesusagersestunedescompétencesattenduesdecesagentsdedirectiondesorganismesdeSécuritésociale.

I-2/ En externeConseils,CRA,CASS,commissionsdesusagers,commissionsdeluttecontrelafraudeuniquesvontamenercesadministrateursàintégrerlacomplexitédelapo-litiquesociale,économiqueetsanitaire,jusqu’àcequ’ilsendeviennentlesdéfen-seurs.

Trèsprésentsdanslesdifférentescommissionsinstitutionnellesauxquellesilspar-ticipentbienvolontiers,ilsvontdéfendrelesvaleursdenosinstitutionsfaceàdescollectivitéslocalesoudesservicesdel’Étatdeplusenplusinterventionnistessurtousleschampsdelaprotectionsociale.

Auprèsdesmédecins,desexpertscomptables,desconseils,despréfets,desCCI,deschambresdemétiersetordresprofessionnels,combiendefoisont-ilspuex-primercequ’undirecteurd’unorganismedeSécuritésocialen’auraitpaspusepermettre ?

Trèsprésentsparailleurs,deparleurmandatélectif ou associatif, ils sont également unesourced’informationetd’associationàdesinitiativesquenosorganismesau-raientpuignorer.

Bienentendu,cesavoir-faire,cetteconnaissancenes’acquiertqu’aprèsquelquesannéesdeprésenceauseindenosorganismesetneconcernequecertainsd’entreeux,lesplusinvestis.

Lacompétencemultibranchedecesadministrateurs,commedeséquipesdedi-rectionaparailleursunautreavantagequis’exprimedansl’omniprésencesurtous

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lessujetsdecesorganismesen faced’acteursdecollectivités localeségalementcompétents sur tous les sujetsde la sphèreéconomique, socialeet sanitairede lacirconscriptionterritoriale.

AutrespécificitédanslagouvernanceduRSI,c’estlelienquiaétéétablientrelenationaletlesconseilsrégionaux.

Chaquecaisserégionaledésigneensonseinunoudeuxadministrateursélusquicomposaientleconseilnational.Cemodededésignationavaitpour intérêtdecréerun liendeproximitéentreleterrainopérationneletledécisionnelnational.

Leretourd’expériencededirecteurd’unorganismedeSécuritésocialemulti-branche,permetdedireque l’élémentconstitutif decettegouvernanceoriginaleest leguichetunique, cetteapprochepopulationnelleetnonplusparrisqueapermis laconstitutiond’unegouvernancedequalité.

Leguichetuniqueconduitaussiàuneapprocheplusqualitativedel’usager.

II-Uneapprocheplusqualitativede l’usager induitepar lagestionduguichetuniqueII-1/ En terme de gestion des files d’attenteTrèsrapidementàlaCCSSLcommeauRSIlagestiond’unguichetuniqueconduitàmettreenplaceunniveau1polyvalent,unaccueilcommunoùdesagentssontformésàrenseignersurlerecouvrement,lasanté,lafamille,lesprestationsvieillesse.

ÀlaCCSSL,cetaccueildepremierniveauconduitàgérerjusqu’à40%desdemandeseffec-tuéesauguichet.L’usagerestadresséàunboxderéceptionoùilestreçuparunagentdelabranchemétierdontilrelèvepourlesautresdemandes.

AuRSI,làencore,lapolyvalencemétiers’impose,notammentaveclagénéralisationdesren-dez-vousmaiségalementdufaitdelaspécialisationdesmétiersdufront office.

Lemoderendez-vouspermetàl’agentpolyvalentdel’accueildepréparerledossieravecsoncollèguetechnicienduback office.

Sa généralisation crée l’opportunité de développer un niveau supplémentaire de prise enchargeoùlaréponseestencoreassuréeparunagentpolyvalentdel’accueil.Lerenseigne-mentparl’expertmétierduback officeseraréfieetsefait,nonàl’occasiond’uncontactphy-siqueoutéléphonique,maisparlecanald’uneréponseécrite.

Au-delàdecettepriseenchargedurenseignementparlesagentspolyvalentsaffectésàl’ac-cueildemanièrepermanente,leguichetuniqueprocurelasatisfaction,pourleservicepublic,depouvoirfourniràl’usagerdesrenseignementsdeplusenplusnombreuxsurlesdomainesdelasanté,delafamille,delaretraite,durecouvrementenprésenced’administratifs,d’assis-tantessocialesoudepersonnelduservicemédical.

II-2/ La réception dans le cadre d’un guichet unique conduit à l’approche globale et populationnelle de la gestion des risquesTrès concrètement, comment ne pas proposer à un travailleur indépendant en difficulté de

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contactersoncollèguedel’ASSquiestenmesuredeprendreenchargeundéfautdepaiement ?Commentnepas,à l’occasiond’unerencontresurrendez-vous,proposerunbilandesantédanslecadredelamiseenœuvred’unparcoursdepréventionpro-fessionnelle ?Pourquoinepasprofiterd’unecampagned’accompagnementdestra-vailleursendifficultéséconomiquesetderéinsertionprofessionnellepouruncotisantquivientdemanderunéchelonnementdecotisationsuiteàunproblèmedesanté?

Leguichetuniquevousmetfaceauxdifficultésprotéiformesquerencontrel’entrepre-neuretempêched’avoirunevisionparcellaireetspécialiséedesondossier.Larencontreaveccetteréalitéquotidienneinciteaudéveloppementdeparcoursetàunaccompagnementplussocialetglobaldel’usagerau-delàdesademandeinitiale.C’esttrèsspontanément,lorsquel’onestconfrontéauxdifficultésglobalesd’unepo-pulation,qu’onestamenéàimpulserdesprisesenchargespluscomplexesquiper-mettentdemieuxenvisagercesdifficultés.C’est une évidence que les incidents de parcours en entrainent d’autres et qu’unincidentdesantépeutgénérerunedifficultééconomiquepouruntravailleurindépen-dantnotamment.CeconstatnepeutlaisserindifférentslesdirigeantsdecaissedeSécuritésocialemulti-branchescommelesagentsd’accueil.Desinitiativesdeterrainvontalorsémergerpourprendreenchargeglobalementcesréalitésquotidiennes.Lorsquel’ons’intéresseàlapriseenchargeglobaleetàl’accompagnementdesusa-gersoudestravailleursindépendants,onserendcompteégalementdelarichessedesdonnéesd’unecaissemultibranches.Cesinformationsstatistiquessurlapopu-lationpeuventalimenterlacréationd’unobservatoiresanitaireetsocialquipermetd’agirenamontsurlesbesoinsd’unepopulationspécifiqueetfragile.MalheureusementpourleRSI,empêtrédanslesdifficultésdel’ISU,cetaspectn’apaspuêtresuffisammentexploité.QuantàlaLozère,l’intérêtdecetteexpérimentationacédérapidementlepasàunevision plus gestionnaire et centrée sur l’expertisemétier des branches du régimegénéral.Il arrivera bien un jour où la richesse de cette approche transversale sera géréedemanièrecomplémentaireàuneapprocheplusopérationnellede lagestiondesrisquesdelaSécuritésocialeetdelasolidariténationale.OnpeutespérerquelesdifficultésdegestionquotidiennesdescaissesdeSécuritésocialepourfairefaceàl’accroissementdeschargesdetravail,dûnotammentàlararéfactiondupersonneletàl’insuffisancedesoutilsdegestion,cèdentlepas,peuàpeu,àuneapprocheplussolidaireetqualitativedelagestiondesrégimes.Parcours attentionnés, démarche de recherche des droits non ouverts, accompa-gnementdespersonnes fragiliséesouentrepreneursendifficultéssont lessignesdelapriseencomptedecetteévolutiondontleguichetuniqueestlaformulelaplusaboutie.

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DLAGOUVERNANCEÀL’ÉCHELLE LOCALE

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Lescontratspluriannuelsdegestion:vingtansaprèsPar Philippe Renard, Directeur de la caisse nationale déléguée pour la Sécurité sociale des travailleurs indépendants

L’ordonnance n°96-344du24avril1996portantdiversesmesuresrelativesàl’organisationde laSécuritésocialeaprofondémentmodifié le fonctionnementdenotre institution.Parmilesmesuresphares,l’apparitiondesconventionsd’objectifsetdegestion(COG)etlamiseenplacedecontratspluriannuelsdegestion(CPG).

Dès1997,lespremièresCOGontétésignéesetlespremiersCPGélaborés.Lesdispositifsissusdesordonnancesnesontpaspourautantarrivéssansquedesévolutionsmarquanteslesaientprécédés.

Nousexaminerons,enpremierlieu,lesdémarchesetautresexpérimentationsdéveloppéesaudébut des années 1990quiontfortementmarquélagestiondesdifférentesbranches.Nousverronsenquoilaloidu25juillet1994estimportanteetmarqueelleaussiunephasenotabledesévolutionsdanslagouvernancedelaSécurité sociale.

Dansundeuxièmetemps,nousesquisseronsunbilanàl’aunedessixièmesgénérationsdeCOG.Nousétudieronsainsicomment lesCPGontprofondémentfaitévoluer lepilotagein-ternedesorganismesnotammentparl’importancedonnéeauxindicateurs.

Enfin,nousdresseronsquelquespistesd’améliorationsdelaprocédurecontractuellepourenfairedevéritablesoutilsdepilotageetdemanagementdesorganisations.

LaSécuritésocialeatoujoursétéméconnue.Alorsqu’elleestlecimentdenotresociété,sagouvernance,sonfonctionnementnesontpasconnusdugrandpublic.Plusétonnant,lama-joritédesélusnesaventpasquelleestl’organisationdelaSécuritésocialeousonfonction-nement.Uneétudemenéepourl’UCANSSparSéancepubliqueen2012révèle,eneffet,quelesCOGsontplutôtconnuesdesélusmaisqu’enrevanche,leurefficacitéentantqu’outildegestionestmoyennementperçue.

Etpourtant,danslesannées1990,noussommeslégitimesàpenserque,auregarddesautresorganisationspubliquesouparapubliques,lesorganismesdeSécuritésocialereprésententunmodèledegestionquecertainsnousenvient.

Lesordonnancesde1996vontconfirmeretconforterceconstat.

I-DesmodalitésdegouvernancedesorganismesdeSécuritésocialequiannonçaientlesordonnancesde1996I-1/ Première avancée notable : la pluri annualité budgétaire (PAB)Dèsledébutdesannées1990,laCNAFavecl’accorddestutellesmetenplaceuneapprochetriennaledesbudgets.LesCAFconnaissent leursorientationsbudgétairessur troisannées

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évitantainsile«stopandgo»liéàl’annualisationbudgétaire.Lagarantiededispo-serd’uneassurancesurlesbudgetsconduitàdévelopperdespolitiquesàmoyentermepluspertinentes.Ellesconfortentlesgestionnairesdanslamiseenplacedeprojetsquidépassentleplussouventl’annuitébudgétaire.

Accompagnées de souplesse comme le report de crédits, ces évolutions vontconsidérablementchanger laculturedegestion.L’idéepremièredéjàà l’époqueconsisteàsefocaliserdavantagesurlespolitiquespubliquesàmettreenœuvrequesurlanégociationdesbudgetsquirevenaittouslesans.Eneffet,lesréunionsaveclacaissenationaleportaientprincipalementsurlesquestionsbudgétairesaudétrimentdumétier.Lesystèmesevoulaitaussiplustransparent:desrèglesiden-tiquespourtoutlemonde,ladéterminationd’enveloppesàpartirdescoûtsetdupo-sitionnementdechaqueorganismedansleréseau(notiondecréditderéférence)etobjectifaffichéderéductiondesécartsdecoûtsentrelesorganismes.

Trèsvite,cetteapprocheavecquelquesdifférencespratiquesestgénéraliséedanslesbranchesdurégimegénéral.

En ce début des années 1990, d’autres marges de manœuvres apparaissentcommenotamment, le faitd’encadrer lesfondsdegestionadministratifs(FNGA)autourdesgrandescomposantes:massesalariale,autresdépensesdefonction-nement,investissement.Ladisparitiondel’encadrementdeseffectifsauprofitd’unencadrementplusserrédelamassesalarialedonnaitunesouplessesupplémen-taire aux gestionnaires des branches. Bien évidement, un suivia posteriori des effectifsétaitréalisémaispasa priori.

Aveclaquestiondelacompensationenéquivalentstempspleinsdes35 heures, trèsvitel’encadrementa posteriorideseffectifsafaitsaréapparitionpourarriveraujourd‘huiàunsuivimensueldeséquivalent tempspleinenmoyenne annuelle (ETPMA)pourlesCDIetuneenveloppeenmoispourlesCDDànepasdépasser.

La dynamique créée avec la PAB, le transfert de l’approbation budgétaire auxcaissesnationalesdanslecadredelaloin°94-637du25juillet1994apermisauxorganismesdemenerdesprojetsinnovants(souventlescréditséconomisésser-vaientpourrénoverlesaccueils,acheterdesmobiliersdebureaux,desmatérielsinformatiques),bref,fairedesorganismessociauxdesorganismesquis’adaptentauxattentesde leursusagersaumême rythmequed’autresgrandsopérateursparapublicsouprivés.Lecorollairedecettesouplessedegestionlaisséeauplanlocalest lerenforcementdespouvoirsdescaissesnationalessur lescaisses lo-cales. Àcetégard, la loiprécisait : « qu’en cas de carence, l’organisme national peut se substituer à l’organismedebaseetordonner lamiseenapplicationdesmesuresqu’ilestimenécessairespourrétablir la situation de cet organisme ».

L’article23de la loi renforceégalement lepouvoirdescaissesnationalesetdel’ACOSSdansledomainedel’informatique:«Ellesétablissentetmettentenœuvredesschémasdirecteursinformatiquesenvued’assurerune coordination au sein des branches qu’elles gèrent … ». Ellescontrôlentlacompatibilitédel’informatiquelocaleaveclesschémasdirecteursnationaux.

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I-2/ La valeur ajoutée d’organismes privés chargés de la gestion d’une mission de service publicÀcetteépoque,lesmodalitésdegestiondesorganismesdeSécuritésocialeparrapportauxservicesdéconcentrésdel’Étatpouvaientêtrequalifiéesdebeaucoupplusmodernesetres-ponsabilisantespourlesopérateursdeterrain.LesdifférentesinterventionsquenousavonspueffectuerauprèsdesdirecteurslocauxdesservicesdéconcentrésdeBercymontraientàl’évi-denceunegestionoùlesmargesdemanœuvresauniveaulocalétaientdesplusrestreintessansquelesdéclinaisonsdespolitiquespubliquessurleterrainsoientplusefficaces.

Maisc’estsurtoutsur leplandes ressourceshumainesetde lagestionbudgétaireque lesdifférencesétaient lesplusmarquées.L’organisationde laSécuritésocialeconstruitesur labased’organismesprivéschargésdelagestiond’unemissiondeservicepublicapportaitunevraievaleurajoutée.

Lespouvoirspropresauxdirecteursprécisésparle«célèbre»décretdu12mai1960nesontpasétrangersàunecultureprofondecommuneauxDirecteursdeconsidérerqu’ilssontbienles«patrons »deleurorganisme(ensevivantquelquefoisenmargedel’intérêtcollectifdespolitiquesdebranches).

Lesdémarchespluriannuellesdeladécennie1990comportaientnéanmoinsunelimiteimpor-tante.Lesobjectifsmétiersn’étaientpasclairementidentifiésetn’étaientpasnégociésentrel’ÉtatetlesBranchesdansuncadreformaliséetpluriannuel.L’interventiondel’Étatselimitaitprincipalementàl’élaborationdestexteslégauxetréglementairesetlesuivideleurmiseenplace.Leprincipalinconvénientprovenaitd’uneséparationnetteentre,d’unepart,lesobjectifsàatteindre,etd’autrepart, lesmoyensobtenusauprèsdelaTutellesansvisionstratégiqued’ensemble.

Afinderépondreàcesmanques,desinitiativesanticipatricesdesfutursCPGontétédévelop-péesdanstouteslesbranchesparlescaissesnationalesauseindeleursréseaux : Contrats Pluriannuelsd’ActionsConcertées (COPAC)dans labrancheMaladie,expérimentationsdecontractualisationsobjectifs/moyensaveccertainesUrssafdès1994….

I-3/ Les ordonnances du 24 avril 1996 relatives à l’organisation de la Sécu-rité sociale : un tournant majeur qui place la Sécurité sociale comme pré-curseur dans l’action de l’État en vue de moderniser la fonction publiqueDans lapoursuitedesévolutionsconstatéesprécédemment, lamiseenplacedescontratspluriannuelsdegestion(CPG)s’esteffectuéerapidementdèsquelapremièregénérationdeCOGaétésignéeentrelescaissesnationalesetl’État(1997ou1998selonlesbranches).Unegrandemajoritédesacteursdirectementconcernéss’estviteappropriélaréforme(àl’excep-tiondecertainescomposantesdespartenairessociaux).

CommelesoulignaitXavierPrétôtdès1996danslerecueilDalloz : « Le recours au procédé contractuel peut s’autoriser de solides raisons. Il préserve, apparemment au moins, l’autonomie de chacune des deux parties. Il leur ouvre, par ailleurs, une incontestable souplesse quant à la définition des objectifs poursuivis et des moyens dégagés à cette fin ». Ilajouteensuite:

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« Quant aux contrats pluriannuels de gestion, le contenu en est laissé à l’appré-ciation des parties, dès lors que l’accord tend à la mise en œuvre des COG. Seule l’expérience donnera l’exacte mesure des dispositions ainsi édictées ».

II-Quelbilanàl’aunedessixièmesgénérationsdeCOG?Plusdevingtansaprès,etaumomentoùlessixièmesgénérationsdeCOGvontêtrenégociées et donc déclinéesenCPG,quelbilanpouvons-nousproposer?

II-1/ Le lien entre la caisse nationale et son réseauUnpremierconstats’impose: l’existenced’unlienétroitentrelamanièredontlacaissenationalegèresonréseauet lemoded’élaborationdesCPG.Ceconstatétaitd’autantplusfortquenousétionsdanslaphasedemiseenplacedespremierscontrats.Lanaturedesrelationsentrelacaissenationaleetlesorganismeslocauxvadonnerlieuàdesmisesenœuvredifférenciées.Latailledesréseauxvajouer,l’approchecontractuelleétantparessencedifférentedansunréseaud’uneving-tained’organismesoudansdesréseauxàplusde100caisses.

L’effetdelatailleduréseaun’estpaslaseulecomposante.Lacapacitédelacaissenationale à organiser une approche objectifs/moyens transversale en son seinestundéterminantmajeurafindefairede lanégociationduCPGavecchacunedescaisseslocalesunevraieapprochepluridisciplinaire.Or,lefonctionnementen«silo»plusoumoinsprononcédesétablissementspublicsn’apastoujoursfacilitél’exercice.

Quoiqu’ilensoit,commelesoulignaitRolandeRuellanàl’occasiondudeuxièmeforumCOGorganiséparlaDirectiondelaSécuritésocialeen2007,ladélégationdegestionetdonclefaitquel’ÉtatnegèrepasendirectcettemissiondeservicepublicestunedesgrandeschancesdelaSécuritésociale.

Enmêmetemps,lerenforcementdupouvoirdescaissesnationalesapermisdedonnerdelacohérenceausystème,cequiresteparexempleencoredifficiledanslemondehospitaliermêmesidepuis2009,lacréationdesAgencesRégionalesdeSanté(ARS)facilitecettemiseencohérence.

LesCPGsontdonclesvecteursdecettedélégationvialesCOG.Ilsontincontesta-blementrenforcéladynamiquedeprogrèsdesorganismeslocaux.Maislacontrac-tualisationapparaitaussicommeunexercicedetutelleparlescaissesnationalessansdifférenciationentre lesorganismes ; cequinepermetpasdeprendreencomptelestrajectoirespropresàchacund’entreeuxnilesréalitésdesterritoires.Pourlesdirecteurslocaux,leCPGaperdu,enpartie,lesensdupilotaged’unor-ganismequiserévèleplusquejamaisnécessairepourmobiliserlescollaborateurs.

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II-2/ Les risques d’une gestion à l’indicateurLeslimitessontapparuesaufildelaconstructiondesdifférentesgénérations.LesCPGsont tropsouventdescataloguesd’objectifs,mal reliésentreeuxpardesvisionsstraté-giques.Laquestiondesindicateursestdevenuecentrale.Pasassezexigeantscarpratique-mentdéjàatteintsoumalconstruitsetentraînantdeseffetsnonrecherchés;tropnombreux,oupassuffisammenttournésverslamesuredesimpacts.ÀchaquegénérationdeCOG,letravailpouraméliorer leurefficacitéestdensedanschaque réseau.Ledéveloppementdesoutils informatiquesaégalement facilité l’élaborationde tableauxdebord tantauplan localquenationalsansquelquefoiss’arrêtersurl’essentiel.« Lapolitiquedel’indicateur»dominetrop largementau détrimentde l’effet recherché.Sinousconsidéronsque lesoutilsmisenplaceaprèslesannées2000nedoiventpasêtreremisencause(évaluationdesdirecteurs, intéressement…)forceestdeconstaterquelesdirecteurspeuventsetrouverensituationdeprivilégierl’atteintedurésultatattendupourteloutelindicateurplutôtquel’efficacitéd’unepo-litique.Dansuncertainnombredecas,lesindicateurspeuventaussiêtrecontradictoiresentreeux. Àcetégard,ledomaineducontrôleenURSSAFpeutfournirdesexemplesillustratifsdeces contradictions.

Bien évidemment, la démarche objectifs/résultats suppose la mise en place d’indicateursfiablesetpertinentsquenousnesaurionsremettreencause.Nousalertonssimplementsurunrisquededérivequiconsisteàprivilégierlepilotagedesindicateurslesplussensiblesauregarddesrésultatsattendusetaudétrimentd’uneactionplusglobalefondéesurlesensdesobjectifsàatteindreetlesvaleursàporter.

Cepointestd’autantplusimportantquelesCPGnesontévaluésleplussouventqu’àpartird’indicateurs remontés aux caisses nationales qui prennent insuffisamment en compte desaspectsplusqualitatifs.Certainesméthodespermettentdelimitercesbiais,nousproposonsdelesaborderdansunetroisièmepartie.

Sideseffetsnégatifssontapparus, iln’endemeurepasmoinsque lesCPGontpermisdedonnerde lacohérenceauxpolitiquesdeBranche. Ilsontaccentué lapriseencomptedel’intérêtgénéralparchaquecaissed’unréseau.Ilsontévitédespositionscontradictoiresentrelesorganismesetcontribuéàmaitriserlesdépensesdegestionadministrative.LesCOGetlesCPGsontd’excellentsoutilsdegestiond’unréseaupourlescaissesnationales.

Nousavonsrappeléquelesgestionnairesdescaissesonttrèsviteperçulaplusvalued’unelisibilitéàquatreanstantsurlesobjectifspoursuivisquesurlesressourcesàyconsacrer.

L’exempledesorganismesquin’étaientpasrentrésdanslechampdesordonnancesde1996est à cet égard édifiant.En2005, l’UCANSS fonctionnait encore avecdesplans de travailannuelsassociésàunbudgetquidevaitêtrerenégociétouslesans.Lesconséquencesim-médiatessetraduisaientparunmanquedecohérencedanslesactionsmenées,unmanqued’anticipationsurlespolitiquesàconduire,unegestionbudgétairedéfaillante,etd’unemanièregénéraleuntravaildeprospectiveetdeconduitedeprojetpratiquementinexistant.Eninterne,lapériodicitéannuelleestvidedesenspourleséquipesquiontbesoindeseprojetersurdesprojetsdemoyen/longterme.Lamiseenplaced’uneCOGàpartirde2009aconsidérablementcontribuéàrenforcerlaplacedecetorganismeauseinduRégimegénéraletaaccrusonpro-fessionnalisme.Onpourraitaussicitercommeexemple,l’EN3S.

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Laquestionestdoncdesavoirmaintenantquellessontlesévolutionsetpréconi-sationsquenouspourrions recommanderpouraméliorer ledispositif actuelafind’éviter leslimitesdécritesprécédemmentet lesadapteraucontexteactuel.Afindepréserverl’efficiencedumodèledegestiondelaSécuritésociale,nousdevonsabsolumentpréserverlemodèledegouvernancemisenplaceen1996.Unretourde plus de vingt ans en arrière semble inimaginable,même si depuis quelquesannéesonentenddescritiquessurlesengagementsdel’Étatàquatreans,sourcesderigiditéauregarddesmoyensaccordés.

Pourautant,auplanlocal,leCPGtelqu’ilseprésenteaujourd’huin’estpassuffi-santpourfairesensetnepermetpasd’êtreunoutildepilotageglobaldel’orga-nisme,alorsqu’àl’originecetteambitionexistait.

NouspourrionsfaireleparallèleaveclamissionrécentedePierreMayeursurlesconventionsd’objectifsetdegestionquidresse,notamment,lesconstatssuivants:desCOGsouventbavardesettechnocratiquesetducouppeustratégiques,unepluriannualitéimparfaiteetécornée,unedimensionbudgétairequitendàdevenirprépondérante.Ellesseprésententsouventsouslaformed’uncatalogued’actionspassuffisammentprioriséesdonnantbeaucoupd’importanceauxprojetsmaisfina-lementassezpeuaumétier.

Danscesconditionspour(re)devenirunréeloutildepilotageenlocal,leCPGde-vraitnotablements’enrichirdeplusieurscomposantes.

III- Quelques pistes de réflexion pour améliorer le dispositifactuelEn premier lieu, il s’agirait de renforcer les dimensions liées aux territoires locaux. Quellesquesoient lesBranches, lesorganismesdoiventcertesmettreenœuvredespolitiquesnationalesmaisilsdoiventlefaireaveclespartenaireslocaux.Cettedimensionn’estpastoujoursappréciéeàsajustevaleur parlescaissesnationales.Souvent,nouerdesrelationspartenarialesrichesaccen-tuel’efficacitédespolitiquespubliquessurleterrain.Lesexemplessontnombreux,évidentpourlesCAFetlesCPAM,ilssonttoutaussiessentielsdanslesURSSAFquecelasoitaveclaDIRECCTEdanslecadredelaluttecontreletravaildissimu-léouavec l’ordre régionaldesexpertscomptables.Biensouvent,desavancéessontpossibles localementalorsqueleséchelonsnationaux,pluspolitiques,sontréticents.Enfin, toujoursau regardde l’efficacitédespolitiquespubliques, l’organismesursonterritoireaparessenceuneapprocheplustransversalealorsquetropsouventlescaissesnationalesraisonnentplusensilo.Nousavonstoujoursentête–àtitred’illustration–lesinondationsde2016.Deuxrégionsétaientparticulièrementconcernées,larégionCentre/Val-de-Loireetl’Ile-de-France.Trèsvite,l’ACOSSdécidedemettreenplaceunnumérodetélé-phonecommunauxdeuxrégionspourquelesentreprisestouchéesparcesinon-dationspuissentaccéderdirectementauxservicesdesdeuxURSSAFconcernées.

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De son coté, àl’instardelagestiondesattentats,lePréfetdeRégionsollicitel’URS-SAFIDFpourmettreenplaceunnumérouniqueadosséàunpointd’entréecommun,permettantauxentreprisesinstalléesenIle-de-Francedecontacterenmêmetempstouslesservicespublicsconcernés(URSSAF,DIRECCTE,DRFIP,PôleEmploi,BPI…).Dupointdevuedel’efficacitédel’actionpublique,lechoixestrapidementfait.

ChaqueCPGdevraitdonccomportersystématiquementunepartieconsacréeàl’analysedespartenariatslocauxetdeleursdéveloppementsdanslecadred’unplanpluriannuel.Uneéva-luationannuelleseraitàréaliser.Cepointpourraitêtreintégrédanslesobjectifspersonnelsdudirecteur,voirefairepartied’uneévaluationà360degrés.

En deuxième lieu, l’aspect des ressources humaines n’est pas vu dans toutes ses composantes. Nousnereviendronspassurlesschémasdirecteursdesres-sourceshumainesquisedéclinentcommedesannexesdesCOGquelquefoisavecplusieursmoisderetard.

Dansnosorganisations,ilconvientderappelerquenotrerichessepremière,cesontbienlessalariésdenoscaisses.Lerenouvellementdesgénérationschangeprofondémentladonnemanagériale.Beaucoupaétéditetécritsurcesquestions.Maisforceestdeconstaterquenoussommesrelativementdémunispouradapternosmodesmanagériauxdansuncontextedecontraintesdeplusenplusfortestantauniveaudesrésultatsattendusquedeladiminu-tiondeseffectifs.Làencore,leCPGdevraitpartird’undiagnosticdesforcesetfaiblessesauniveaulocal.Danscedomaine,lesindicateurstraditionnelssontinsuffisants.Encomplément,uneanalysequalitativedevraitêtreapportéeetdiscutéeavecl’échelonnational,d’autantquecertainescomposantessontliéesàdescontexteslocaux.Parexemple,lerecrutementenIle-de-Francen’obéitpasauxmêmesrèglesquedansdesrégionsmoinsurbanisées.

Le turn over,notammentpourcertainsmétiers,resteunfacteurdeperted’efficacitéetdoncdeperformance.L’exempledes téléconseillers illustreparfaitementcettesituation.Laprobléma-tiqueenrégionparisienneestidentiqueàtouteslesbranchesmaispourautantiln’yapasdemiseencommunauniveaudelarégion.Lescomparaisonssefontuniquementauniveaudechaquebrancheetdoncàl’intérieurdechacundesréseaux.Danscecasprécis,uneapprocheinterbrancheseraitcertainementpluspertinentepourtrouverdessolutionsadaptées.

Laquestiondes tempsde transportestprééminente,celledu travailàdistances’en trouveaccentuée,autantdecaractéristiquespeuanalyséesdanslespartiesRHdesCPG.L’optimi-sationdestempsdetransportdesinspecteursdurecouvrementpourserendresurleslieuxdecontrôleestunexerciceintéressantcomportantunedimensionRHimportantequin’estjamaisabordéeauregarddessituationsdeterrain.

Laréductiondeseffectifsau-delàd’unnombreoud’untauxestunexercicecomplexeàmettreenœuvreafindetenircompte,d’unepart,delanaturedesdépartsobservésdanslacaisse,d’autrepart,desbesoinsenfonctiondudéveloppementdesmétiersàunhorizonde5/10ans.

Le troisième facteur qui pourrait être davantage intégré concerne l’inno-vation.Nouspensonsquel’innovationvientprincipalementduterrain.Lecontactdirectavec

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l’usagerestsourced’adaptationtantpourlesorganisationsquepourfaireévoluercertainespratiques.AuseindesorganismesdeSécuritésociale,lesexemplessontnombreuxetvariés. Il convientdepréserver,développeretencouragercespra-tiques.

Nousconsidéronsque l’innovationdoit se fairedansuncadreexpérimentalafind’enfairesystématiquementunbilantantquantitatifquequalitatif.L’innovationestsourcedemotivationvoiredefiertépourlessalariésdel’organisme.Elleconcerneparessencedenombreuxdomaines:ledéveloppementd’outils,lamiseenplacedepratiquesRH,toutcequiconcerneleserviceauxusagers,lagestiondurisque,lespartenariatsévoquésprécédemment...Bref,lesdomainessontvastes.LeCPGestl’outiladaptépours’assurerquel’innovations’inscritbiendansunepolitiquedebranche,quelesconditionsdel’expérimentationsontremplies(évaluation,déploie-mentéventuel,compatibilitétechnique,financementdédiésinécessaire).

L’innovationplace l’organismedansunepositionde forcedepropositionauser-vicedelacaissenationaleetdelabrancheplusglobalement(oudespartenaireslocaux).Fairedel’organismelocaluneforcedepropositionlorsdel’élaborationduCPGpermetd’arriveràunexercicemoinstop/downetplusqualitatifetcertaine-mentplusmotivantpourlescollaborateurs.

Enfin, nous reviendrons rapidement sur un point essentiel des CPG à savoir les aspects budgétaires quiserontabordésd’unpointdevuedesfinancespubliques.Lemontantdesdépensesdegestionde laSécuritésocialeest faibleauregarddesmassesgéréesetdesenjeuxquereprésente laSécuritésocialedanslasociétéfrançaise(13milliardsd’euros,3,4 %dessommesgérées,chiffresendiminutiondepuisplusieursannées).Iln’endemeurepasmoinsqu’entantqu’opérateurpublic,lesgainsdeproductivitésontréels(pourl’essentielliésàladématérialisation)etleséconomiesdegestionindispensables.

Deuxquestionsseposentaujourd‘hui:selonquelrythmecesgainsdoivent-ilssefaire?QuellesrèglesdegestiondanslesCPGendéclinaisondesCOG?

Laréponseàlapremièrequestionn’estpasuniforme;elledépendlàencoredesbranches, des contextes nationaux et locaux. La réduction des écarts de coûtsentrelesorganismesamarquélesCPGdeplusieursgénérationsetacontribuéàfairedeséconomiesavecunrythmesoutenu.

Enfonctiondelataille,del’historique,delaprofondeurdelaréductiondeseffectifs,certainsorganismessont,aujourd’hui,dansdessituationsdélicates.Letransfertdelachargedetravailauseind’unréseaupeutàmoyentermerépondreàlasituationdecesorganismes.Enrevanche,celanerèglepaslaquestionplusglobalequiestcellequiconsisteàanalyseràpartirdequelseuil leséconomiestropsoutenuesmettentencauseletravailmêmedescaissesdanscertainsdomainesouvis-à-visdecertainescatégoriesd’usagers.Nousconsidéronsqu’aujourd’huiceseuilpeutêtreatteint.

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S’agissantdesrèglesbudgétaires,noussouhaitonsunesimplificationquiconsisteraitàrevenirauxproblématiquesfinancièresdansuncadrebudgétaireépuré.Troistauxdirecteurssontsuffisantspourlamaîtrisedesfinancespubliques : l’investissement, lesautresdépensesdefonctionnement,lamassesalariale(reconductibleetnonreconductible).LacontrainteenETPquicommenousl’avonsévoquéeprécédemmentestréapparueaveclamiseenplacedes35 heuresn’apporteriens’agissantdelamaîtrisedesdépensespubliques.La liberté ensuite pour chaque branche, voire chaque organisme, de gérer le niveau et lenombredesesemploisreprésenteraitunesouplessedegestionsansremettreencauseleséquilibresfinanciers.Demême, lesuivienmoisdescontratsàduréedéterminéedanscer-tainesbranchesn’apportepaslasouplessesouhaitéeauregarddelafluctuationdelachargedetravail.Surleplanpurementbudgétaire,leseulélémentàsuivreestl’enveloppeglobaledemassesalarialeànepasdépasseretunegestionpluspointuedeseffetsreportspourévitertouteffetde«cavalerie».Nousironsmêmejusqu’àpréconiserunpossiblearbitrageemploi/mesuressalarialesnonautomatiquesdansuncadredéfini(fourchetteminimumetmaximumdeRMPP)en fonctiondespolitiquesde l’emploi.Ce typededispositifpermettrait,à tout lemoins,auxorganismesquimettentlaprioritésurladiminutiondeseffectifsdeproposerunepolitiquesalarialeplusdynamique(horsvaleurdupoint).Dansl’idéal,lanégociationduCPGaveclacaissenationalepourraitfixerlecadrebudgétairedel’organismeàpartird’undiagnosticpartagéetd’unepolitiqueàdévelopperenmatièred’em-ploietenmatièredepolitiquesalariale.NousconsidéronsqueleCPGest l’élément leplusstructurantdelarelationentrelesorga-nismesetlacaissenationale.ChaqueCPGdoitcontribueràl’atteintedesobjectifsnégociésauniveaudesCOG.Lesmodalitésd’élaborationdesCPGsontaussidirectementliéesàlagestiondesréseauxparlescaissesnationales.Ilconvientderappelerqu’unbenchmarkréalisédixansaprèslamiseenplacedesCOGmontraitqu’audessusd’unetrentained’organismesdansunréseau,unegestionadaptéeàchaqueorganismedevenaitdifficile.Autrementdit,certainescaissesnatio-nalesauraientplusdefacilitéqued’autresàutiliser lesCPGcommedevéritablesoutilsdegestionenglobantdesaspectsplusqualitatifsetnotammentceuxrapidementénoncésprécé-demment:caractéristiquesduterritoire,développementdespartenariats,développementdesexpérimentationsdanslecadredeprojetsinnovants,meilleurepriseencomptedelatrajectoiredechaqueorganisme…Commenousl’indiquions,lagestiond’unréseauautraversdesCPG,quineselimiteraitpasauxseulstableauxdeborddesindicateurs,demanderaitlamiseenplaced’uneorganisationtransversalesusceptibledeconduireannuellementunvéritabledialoguedegestionpluridisci-plinaireavecchacundesorganismesdesonréseau.Lesfreinsconstatéssontbienlacapacitédetouteslesdirectionsdel’établissementpublicàrentrerdansledispositif.Àcetégardlamiseenplaced’uneapprochetransversaleauseindelabranchedurecouvre-mentaétéperçuepositivementparlesorganismes.

Plusdevingtansaprès,enrappelantlecaractèreindispensabledesContratspluriannuelsdegestion,nousformulonsl’hypothèsequ’ilssontplusquejamaisunoutilmodernedegestiontantàl’échelonnationalenlienétroitaveclagestiondesréseaux,qu’auplanlocal.Ilsparti-

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cipentgrandementàlaqualitédesrelationsentreleséchelonslocauxetl’échelonnational.

Autrementdit,leCPGnedoitpasêtreuniquementladéclinaisondirectedelaCOGmaisdoitfairelecompromisentrelesimpératifsdel’échelonnationaletlessitua-tionslocalesdeterrain.Imaginerqu’unréseausecomposed’organismesidentiquesestuneerreurquiatrouvéseslimitesdanslesservicesdéconcentrésdel’État à la findesannées1990.Deplus,cetteapprochenegarantitpasunemeilleureéquitéduserviceauxusagersdelaSécuritésocialequ’uneapprocheprenantdavantageencomptelescaractéristiquesdechaqueentité.Parailleurs,ilfautaccepterquedans lecadred’expérimentationsdesservicessupplémentairesoudifférentssurdesaspectsmarginauxsoientproposésauxusagersd’unerégion,sibienentenduin fineleservicepublicdelaSécuritésocialeenprofiteàterme.

Auplanlocal,quandlesCPGontprislaformed’unexercicedescendantimposéquiplusest,bâtiprincipalementsurdesindicateursetsurlerendudeseffectifs,lesdirectionsontutiliséencomplémentd’autresoutilsdepilotageenvuenotammentdedonnerdusensetde lacohérenceauxpolitiquesmenées.Nossalariéssontcertestrèsattachésàleursmissionsmaisdesélémentsdemotivationdoiventêtreapportéstrèsconcrètementsurdesaspectspratiques,prochesdeleurenvironne-mentdetravail.

Lesfeuillesderoutesouautresprojetsd’entreprisesontsouventprislerelaiseninternedesCPGcar ilssontparnatureplusparticipatifsetenglobent toutes lesfacettesdupilotaged’unorganisme.

Commeévoquédanscetarticle,ilseraitsouhaitabled’évoluerversunCPGrichequalitativement laissantà l’échelon localdesmargesdemanœuvresformaliséesetcontractualiséesavecleniveaunational.UnCPGquiseraitconstruitdepartetd’autredanslecadred’échangesapprofondisetentretenusparundialoguedeges-tion.L’exerciceneparaitpasirréalisable.Ilsupposeunevraievisiondegestiondesréseauxparlescaissesnationalesselonunmodèleunpeuenmargedesschémastraditionnelsdel’appareilpublic.

Ledialogueapportelaconfianceetpermetàchaquecaisselocaleduréseaudeprendreunepartplusgrandedansl’évolutiondesabranche.Enparallèle,enin-terneunCPGvéritablementconstruitaveclacaissenationaleàpartird’undialogueapprofondipermetdemieuxcomprendrelescontraintesnationalesetdoncdelesaccepter.

Utopieouvolontéd’yparvenir?Pournous laréponseestclaire.Cesévolutionsserontgarantesdenotremodernitéetdenotreefficacitédegestion.

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Caissesd’allocationsfamilialesetMétropoles: unenouvelledonnepourlagouvernance despolitiquessocialesPar Philippe Simonnot, Directeur de la CAF du Rhône

Lemouvementdedécentralisationengagéàpartirdesannées1980aconduitlescollectivitéslocalesàs’emparerlargementdespolitiquessocialesdeproximité.Dotéesdecompétencespropresetd’unpouvoirdedécisionautonome,ellessontdevenuesdesacteurspublicsma-jeursdelavielocale.Bénéficiantduprincipedelibreadministrationgarantiparl’article72delaConstitution,ellesdisposentd’unecapacitéd’actionrenforcée,mêmesil’exercicedecettelibertédoits’accommoderdescontraintesdéfiniesparl’Étatautitredesacontributionaubud-getdescollectivités1.

Lesrécentesréformesdel’organisationdécentraliséedelaRépubliqueontvouludonneruneimpulsionnouvelleàl’actionpublique:regroupementterritorialdesrégionsetrenforcementdeleursattributions, recentragedescompétencesdesdépartementssur lasolidarité,dévelop-pementdel’intercommunalitéetcréationd’unnouveaustatutpourlesmétropoles.Autitredelapériode2003-2016,denombreuxtextesdeloiontétéadoptéspourréformerl’organisationdécentraliséedelaRépublique.

LacréationdelamétropoledeLyonprocèded’unedémarchespécifique.Dotéed’unstatutpar-ticulier,elleestlaseuledesmétropolesàintégrerdèssacréationl’ensembledescompétencesdel’anciennecommunautéurbaineetdel’ancienconseilgénéral.

L’assemblagedespolitiquespubliquesentresesmainsluidonneunecapacitéd’actionélargie.Au titre de la gouvernance des politiques sociales de proximité, elle associe pleinement lacaissed’allocationsfamilialesdanslecadredesesmissionsdeservicepublic.

1 L’Étatestaujourd’hui lepremiercontributeuraubudgetdescollectivités territoriales : lesconcoursfinanciersdel’Étatenfaveurdescollectivitésterritorialesreprésentaienten2015unmontantde55,9Mdsd’euros.Parmicescontributions,ladotationglobaledefonctionnementde36,6Mdsd’eurosestrépartieentrelescommunes(40%),lesdépartements(29%),lesEPCI(18%)etlesrégions(13%).L’Étatassurelacollectedesimpôtslocauxetjoueunrôledepéréquationbudgétairepourpallierl’inégalitédesressourceslocales(cf.lerapportdel’Observatoiredesfinanceslocalesrelatifàl’étatdeslieuxdesfinancesdescollectivitéslocalesen2015).

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I-LetempsdesmétropolesLesmétropolesreprésentent25millionsd’habitantsetconcentrentlamoitiédupro-duit intérieurbrut.L’idéede renforcer lesmétropolesn’estpassanséveillerdescraintes.Certainsyvoientunrisqued’accentuationdudécrochagedesterritoires:d’un côté, unmondeurbain captant les ressourceséconomiquesdupayset del’autre,unespaceruralcondamnéàêtreundésertéconomique,undésertculturel,undésertmédicalvoireundésertnumérique.D’autresaucontrairesoulignentquelesrichessesproduitesauseindesgrandspôlesurbainsnemanquentpasdepro-fiterauxterritoirespériphériquesetqu’àdéfaut,ceux-ciseraientplusappauvris2. L’essordel’èrenumériqueaccentuecetteanalysedèslorsqueleséchangesetlecommercepeuvents’affranchirdesfrontièresgéographiques.

Lelégislateuratranchécedébatenaffirmantlesmétropolesaucœurdelaréformeterritoriale.L’objectifestderenforcerlesterritoiresdelaRépubliquepourœuvrerauredressementéconomique.Lesannées2008marquéesparlacrisedessubprimessontencoredanslesesprits,avecleurimpactsurlenombredepersonnesprivéesd’unemploietsoncorollaireautitredesbénéficiairesdeminimasociaux.Lesdé-cideurspublicsontintégréqueleréveiléconomiqueespérépasseparl’investisse-mentdanslesinfrastructures,etquec’estbienl’unedesvocations,àcôtédel’État,desmétropoles.Celles-ci concentrent des fonctions économiquesmais aussi lacompétencesur lesréseauxdetransport, ledéveloppementdesressourcesuni-versitairesetderecherche,etsoutiennentl’innovationpourmieuxpréparerl’avenir.Laréformeterritorialeestaussil’occasiond’optimiserl’organisationdel’actionpu-bliquedansuncontextedebaissedesdépensespubliques.

I-1/ Un succès inattendu du désir de métropoleIndépendammentdelamétropoleduGrandParis3,delamétropoledeLyonetdelamétropoled’Aix-Marseille-Provencedotéesd’unstatutparticulier,lanouvellecartedeFrancedevaitcomprendreaudépartdixnouvellesmétropoles:Rennes,Bor-deaux,Toulouse,Nantes,Brest,Lille,Rouen,Grenoble,StrasbourgetMontpellier.

Conçueà l’originepourdonnerauxtrèsgrandesvillesunecohérenceterritorialeetunevisibilitésurleplaneuropéen,l’affirmationdesmétropolesasuscitéunréelengouementincitantlesélusdesgrandesvillesàs’yintéresser.LamétropoleduGrandNancyaouvertlavoie;lesagglomérationsdeDijon,Orléans,Saint-Etienne,Toulon,Clermont-Ferrand,MetzetTourssesontmisessurlesrangs,désireusesd’accéder à un statut désormais convoité par la plupart desmaires de grandesvilles.Laloidu28février2017relativeaustatutdeParisaétémiseàprofitpourapporterlesajustementssouhaités.

2 Cf.lachroniquedeJulienDamon,professeurassociéàSciencesPo,«Lamétropole,unephobiefrançaise»,publiéeaujournalLesEchos,29mars2017

3 LavilledeParisétaitdéjààlafoisunecommuneetundépartement,tousdeuxadministrésparlesmêmesorganesdegouvernance,lamairedeParisétantaussiprésidenteduconseildépartemental.Laloin°2017-257du28février2017relativeaustatutdeParisetàl’aménagementmétropolitainacrééunecollectivitéàstatutparticulierdénommée«VilledeParis»enlieuetplacedelacommuneetdudépartementdeParis.

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Enaccédantàcettedemande,lelégislateuratoutefoisposéuneobligation:parvoiedenégociation,lamétropoledoitabsorberaumoinstroisdescompétencesdéparte-mentalessurunelistededix.Etsicettediscussiondevaits’enlisersansparveniràunaccord,touteslescompétencesdudépartementseraienttransféréesautomatiquementàlamétropole.

Brest

Rennes

Nantes

Bordeaux

Toulouse

Montpellier MarseilleToulon

Tours

Nice

Grenoble

Lyon

Saint-Etienne

Clermont-Ferrand

Dijon

StrasbourgNancy

Metz

Lille

Rouen

Paris

Orléans

Métropole du Grand Paris

Métropoledu Grand Nancy

Metz Métropole

Strasbourgeurométropole

Dijon Métropole

Métropole de Lyon

Grenoble - Alpes Métropole

Métropole NiceCôte d’Azur

Métropole d’Aix-Marseille-Provence

Toulouse Métropole

Bordeaux Métropole

Clermont Auvergne Métropole

Tours Métropole Val de Loire

Nantes Métropole

Brest Métropole

Rennes Métropole

Orléans Métropole

Métropole Rouen Normandie

Métropole européenne de Lille

MontpellierMéditerranéeMétropole

Saint Étienne Métropole

Toulon MétropoleMétropole existante

nouvelleMétropoleen 2018

I-2/ La métropole de Lyon : « l’assemblage de l’humain et de l’urbain »LamétropoledeLyoncrééeparlaloidu27janvier2014diteloiMAPTAM4sedistinguedesautresàundoubletitre:d’unepart,elleestdotéedustatutdecollectivitéterritorialeàpartentièreetnondustatutd’établissementpublicdecoopérationintercommunale.D’autrepart,lamétropoledeLyonestunecollectivitéàstatutparticulierausensdel’article72delaConsti-tution,encequ’elleexerce,surleterritoiredes59communesquilacomposent,àlafoislescompétencesdévoluesauconseildépartementaletcellesdel’anciennecommunautéurbaineduGrandLyon.Cetteoriginalitéadoncvaleurd’expérimentation.

Comptetenudesesnouvellescompétences,lamétropoledeLyonexerceuneresponsabilitédirecte sur lamajeure partie des dispositifs sociaux etmédico-sociaux, regroupés en troisgrandesfamilles: lapolitiqueenfanceet famille, lapolitiquepersonnesâgéesetpersonneshandicapées,etlapolitiquedel’habitatetdulogement.

4 LoiMAPTAM:Loin°2014-58du27janvier2014demodernisationdel’actionpubliqueterritorialeetd’affirmationdesmétropoles

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Lesatoutsdumodèlelyonnaissontàrechercherdanslacapacitéàagirsurplu-sieursfrontsetàmieuxarticulerlespolitiquespubliquesentreelles.C’estl’ambi-tiondurapprochementde«l’humainetdel’urbain» selonladéfinitiondeGérardCollomb,àl’époque,sénateur-mairedeLyon.Ledéveloppementéconomiqueestregroupéaveclapolitiquedel’emploietlapolitiquedel’insertion;ledispositifdesoutienauxentreprisessedéploieavec l’objectifd’insertiondespersonneséloi-gnéesde l’emploi.Lapolitiquede l’habitatn’estpasdissociéede lapolitiquedulogement ; dans le cadrede lapolitiqued’urbanismequ’elle porte, lamétropoledisposedesmeilleurslevierspourcorrigerdansladuréel’implantationdulogementsocial.Cettearchitecturedonneunepuissanced’actionplusvigoureusepourren-forcerlessolidaritésetlescoopérationsintercommunales.

II-LasoutenabilitédesdépensessocialesDepuis la décentralisation duRMI en 2004, la courbe des dépenses sociales aprisuneallure inquiétantepour lesprésidentsdesassembléesdépartementalesau point que plusieurs d’entre eux ont plaidé pour rendre à l’État la gestion duRSA. En 2016, les départements ont versé 36,8milliards d’euros de dépensessociales. La part des dépenses d’action sociale dans le budget de fonc-

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tionnement des départements est en moyenne de 64%5. Si les départe-ments ont bénéficié d’une embellie des droits demutation, ils ont subi une baissedeladotationglobaledefonctionnementverséeparl’État.Lesdépartementssontdoncconfrontésàuneffetciseauentrainantunedégradationdeleurcapacitéd’autofinancement6. L’inquiétude persiste d’autant plus que le défi de la dépendance est encore devant nous.

PourlanouvellemétropoledeLyon,siladépensesocialeresteforteenvaleurabsolue,ellenereprésente«que»31,3%desdépensesdefonctionnementdanslebudgetdelacollectivitéterritoriale.Lasoutenabilitéfinancièredesdépensessocialess’apprécied’autantplussereine-mentquelapartdesdépensessocialesn’affecteenrienlacapacitéd’investissementpropreàengagerdegrandschantiersd’infrastructurepourl’avenir.

Lemodèlelyonnaisprésentebiend’autresintérêts.S’ilexisteunepauvretéetuneprécaritéca-chéeenmilieurural,lesgrandesagglomérationsconcentrentdavantagelesbénéficiairesdesminimasociaux7;lesmétropolessontaucœurdelapolitiquedelaville,confrontéesàdesdé-fisspécifiques.Lespolitiquesd’insertionneseconstruisentpasàl’identiquedansunegrandeagglomérationurbaineetdansunespacerural.Lesservicesdelamétropoleétantnaturelle-mentconfrontésàdesproblématiquesd’unterritoireàdominanteurbainepeuventstructureretpiloterleursdispositifsd’insertionplusefficacementenévitantlesrisquesdedispersion.

Parailleurs, lemodèlede lamétropole lyonnaise favorise lesmutualisationspar le regrou-pementdecompétencesrelevantdeplusieurscollectivités:les« maisons de la métropole » succèdent aux « maisons du Rhône » implantéesdanschaquebassindeviepourêtredeslieuxd’accueildeproximitéouvertsaupublicautitredesmissionsexercéesparlacollectivitéterritoriale.Onvoitdéjàs’esquisserunrapprochemententrelescentrescommunauxd’actionsociale,guichetsocialdescommunesetlesmaisonsdelamétropolesouventconfrontésaumêmepublicetauxmêmesdifficultéssociales.

III-Lescaissesd’allocationsfamilialesacteursdespolitiquespubliqueslocalesLescaissesd’allocations familialesontprogressivementaccru leur champd’influencedansl’actionpublique locale. Indépendammentduversementdesprestations légalesauxalloca-taires,ellessoutiennent ledéveloppementd’équipementsetdedispositifspouraider lesfa-milles:petiteenfance,parentalité,aideautempslibre,centressociaux,accompagnementdesrythmeséducatifs,aideàdomicile,médiationauprèsdes familles,politiquede laville.Plusrécemment,denouvellesmissionsleurontétéconfiéesparlespouvoirspublicsquiconjuguentsoutienindividueldespopulationsetactionpartenariale:lapréventioncontrelesexpulsions,l’accompagnementdessituationssocialesencasd’impayésdeloyers,l’accompagnementdes

5 Lapartdesdépensessocialesdans lebudgetdudépartementduNordreprésenteplusde65%desdépensestotalesdefonctionnementdudépartement.DanslesHautes-Alpes,ellessontinférieuresà51%.Source:DREES-DocumentdetravailSériestatistiquesn°201-septembre2016.

6 Pourl’Observatoirenationaldel’actionsociale(Odas),l’améliorationconjoncturelledesrecettesfiscaleslocalesen2016liéeengrandepartieàl’évolutiondynamiquedesdroitsdemutation,n’annoncepasunerésorptiondelacrisefinancièredesdépartements(CfLettrede l’Odasrelativeauxfinancesdépartementales,mai2017,«Dépensesdépartementalesd’actionsocialeen2016:Desrésultatsentrompe-l’œil»)

7 LamétropoledeLyonreprésente75%delapopulationdelacirconscriptionadministrativeduRhôneet88%desbénéficiairesdeminimasociaux

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personnesconfrontéesàdesimpayésdepensionsalimentaires.

LesdomainesdecompétencedelamétropoledeLyon

LesCAFtirentavantaged’êtreunservicepublicnationalchargédemettreenœuvredespolitiquespubliquessurl’ensembledupays.Auxcôtésdelacaissenationaledesallocationsfamilialeschargéedeporterlavisiond’ensemble,ellesdéclinentlespolitiquespubliquesdansunsouciderespectdel’égalitérépublicaine.Enracinéesdansleurterritoirequineseconfondjamaisavecunautre,ellesajustentlespoli-tiquesd’actionsocialepourapporteruneréponsequitienneleplusgrandcomptedesréalitésdeterrain.Lescaissessaventréaliserdesdiagnosticslocauxdequalitépourouvrirlechampdelaconnaissanceauxélusetsoutenirlesprojetsrelevant

Les compétences de la métropole de Lyon

La vie quotidienne des habitants

Habitat, logement

Transport, mobilité

Insertion

Personnes handicapées

Personnes âgées

Famille

Education, collèges

Enfance

Culture et sport

Gares situées sur le territoire de la Métropole

Prévention de la délinquance et accès au droit

Infrastructures pour les véhicules électriques

Services d’hygiène et de santé

!

!

Le territoire

Aménagement urbain

Développement durable énergie

Planification territoriale

Agriculture

Aménagement du territoire

Logement et développement urbain

Milieux aquatiques et prévention des inondations

L’environnement

Voirie

Propreté

Eau et assainissement

Réseaux de froid et chaud urbain

Distribution électrique et gaz

Réseaux du Très Haut Débit

Le développement de l’agglomération

Développement économique

Relations internationales

Tourisme

Équipements culturels métropolitains Compétence initialement exercée par :

Le Grand Lyon

Le Département du Rhône

Autres compétences issues des communes

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despolitiquesfamilialesetsociales.Ellessaventmobiliserlesleviersfinanciersdontellesdisposent,qu’ils’agissedesfondsnationauxpilotésparlacaissenationaled’allo-cationsfamiliales-etparfoisperçuscommecomplexesparlespartenaires-oudesfondslocauxrelevantd’uneappréciationaucasparcasimpliquantleconseild’administration.

L’expérience du terrainLesCAFsaventdéfricherlesréalitéslocales,déminerlessourcesdetensions,donnerdusensenmontrantlesenjeuxdel’actionsoutenueparlesorientationsdelabrancheFamilleettracerlesperspectivesquipeuventêtreespéréesdansl’intérêtdesfamilles.Leurrôledepremierplanauprèsdupréfetdans l’animationet lepilotageduschémadépartementaldesservicesauxfamillesnedoitrienauhasard8.

Ellessaventdémontrerdesqualitésd’écoute,depédagogie,dedialogueetdeforcedepro-positionsquisesontconstruitesnaturellementdans la relationentre ledirecteurassistédeseséquipesetleconseild’administrationdanslerespectdesesdiversessensibilités.Cetterelationcomplémentaireindispensabledanslecadreduparitarismeestuneécoledevaleursetdediplomatiequiapermisdeforgerunétatd’espritaiguiséauxexigencesdesréalitéspar-tenariales.LesCAFsaventtenirleurrôleauxcôtésdescollectivitésterritorialesdansunespritdeneutralitéindispensablepourrespecterleschoixpolitiqueslocauxquitrouventleurlégitimitédanslesuffrageuniversel.

La connaissance des métiersL’expériencepuiséedansl’histoiredeséquipementsengestiondirecteouengestiondéléguée(crèches,centressociaux…)apermisauxorganismes locauxdebienconnaître lesmétiersdesstructuressocialesdans lesquartiers :animateursdecentresde loisirs,éducateursdejeunesenfants,auxiliairesdepuériculture,directeursdecentressociaux.D’autresmétierssesontdéveloppésavecl’essordescontratsenfancejeunesse:chargésd’études,statisticiens,conseillersterritoriaux,chargésdedéveloppement.

LesCAFontune longuetraditiond’innovationetd’expérimentationsociale9encouragéeparunéquilibrestimulantdesprérogativesentre lenationalet le localquiapporteuneforcederéactivitéetd’agilitéfaceauxurgencesterritoriales10.Cetéquilibregagneraitàêtresoutenuetvalorisé.

Corrélativement,laqualitédevisionnairesdesdirigeantsdelacaissenationaledesallocationsfamilialesaaidéàfranchiruneétapeimportantedansl’outillagedel’actionsociale.Àlafindesannées1990,lacréationdusystèmed’informationdécisionnel(SID)conçucommeunvéritableentrepôtdedonnéesafacilitél’extractionparlesCAFdesinformationsenregistréesautitre

8 Lacirculaireministériellen° DGCS/SD2C/2015/8du22 janvier2015 relativeà lamiseenœuvredesschémasdépartementauxdesservicesauxfamillesprévoitquelaCAFassurelesuivietl’animationdeladémarcheetqu’àcetitre,elleestchargée,lecas-échéantaveclaMSA,destravauxpréparatoiresdediagnostic,d’instructiondeprojetetderédaction,nécessairesàl’adoptionduschémaainsiquelestâchesdesecrétariatliéesauxréunionsdescomitésdepilotage.

9 Cf.n°Informationssociales,n°174denovembreetdécembre2012,Innovationsetexpérimentationssociales.10 LaCAFduRhônes’estimpliquéeauprèsdupréfetetdelamétropoledeLyonpourco-construireunprogramme

d’accueiletd’intégrationde400Romdénomméprogramme«ANDATU»quisignifieenlangueromani«pourtoi».

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desallocatairesenvued’établirdesdiagnosticsterritoriaux.LamatièrepremièredutravaildesCAFpouvaitalorsêtremiseàprofitpouraideràconstruirelespolitiquespubliques.

Des relations de confianceLacréationdelamétropoledeLyons’inscritdansunedynamiquepartenarialepo-sitive.Dèsledépart,laCAFaétéassociéeautitredesmissionsqu’elleporteau-prèsdesfamillesetallocataires,notammentdanslecadredelagestionduRSA.LesrelationsdeconfiancenouéesontamenélamétropoleàconfieràlaCAFdesdélégations supplémentaires dans la gestionde l’allocation, denatureà faciliterleservicerenduauxbénéficiairesetd’améliorerlesperformancesdegestion.LaCAFaparailleursétésollicitéepourpartagerdesélémentsdeconnaissanceetderéflexionindispensablespouréclairerlesdécideurspublicslocaux.

La question du rôle de « chef de file » de l’action socialeLaplacedesCAFdans l’actionpublique localeapuêtre interrogéeaumomentoùlaloidu13août2004aconfiéaudépartementlerôledechefdefiledel’actionsociale11.Uneétudedel’Institutnationaldesétudesterritorialesetdeladirectiongénéraledelacohésionsociale12soulignequesicerôlesecomprendaisémentauregarddesautrescollectivitésterritoriales,lanotiondechefdefilen’apasvraimentconnudecontenuprécisetsaréalitédépenddechaqueterritoireetdelacapacitédelacollectivitéterritorialeàl’exercer.

Danssonrapportrelatifà« l’avenir des politiques sociales des départements » pré-sentéenoctobre2016àl’AssembléedesDépartementsdeFrance,FrédéricBierry,présidentduconseildépartementalduBas-Rhinrevientsurlaquestionduchefdefile :« L’indispensable mutation des politiques sociales ne pourra être opérante sans une profonde transformation de leur gouvernance. Il s’agit de clarifier le rôle de chacun (le « qui fait quoi »), de consolider la notion de chef de file et ses capaci-tés à coordonner et mettre en œuvre une action publique à l’échelle du territoire (le « quoi ») et d’explorer d’autres modalités de mise en œuvre des missions sociales (le « comment »). Si l’échelon départemental est conforté dans son rôle d’ensem-blier de l’action sociale territoriale, cette responsabilité de chef de file nécessite d’être consolidée dans la pratique. La notion de chef de file n’a aujourd’hui pas de réel contenu juridique et souffre d’une quasi-absence de traduction opérationnelle dans la coordination de l’action publique territoriale ».

Cetteanalyseestsuivied’unerecommandationvisantà« donner un contenu ju-

11 Lanotiondechefdefileappliquéeaudépartementenmatièred’actionsocialeaétéconsacréeparlaloiconstitutionnelledu28mars2003.Elles’esttraduitedanslaloidu13août2004relativeauxlibertésetresponsabilitéslocales:« Le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’État, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale ».

12 Étudedel’Institutnationaldesétudesterritorialesetdeladirectiongénéraledelacohésionsociale,Ladécentralisationdespolitiquessocialesà l’aunedesrécentesréformesterritoriales,septembre2015.

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ridique et des moyens prescriptifs à la notion de chef de file ».Toutefois,laquestionn’estpassisimpleausensdel’analysejuridique.SelonGéraldineChavrier,professeurdedroitpublicàl’UniversitéParisI:« Si le chef de file n’a absolument aucun pouvoir de contrainte, c’est en vertu du principe d’interdiction de tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre »13.Onvoitmalpourquoiileniraitautrementàl’égarddesorganismesdeSécuritésocialesaufàremettreencauselesprérogativesdescaissesnationales.

LaloiMAPTAMdu27janvier2014aapportéunenouvellerédactionàcettedisposition.Elledésigneledépartementcommechefdefileenmatière« d’aide sociale, d’autonomie des per-sonnes et de solidarité des territoires ».Cettemodificationdetexten’estpassansimportance.Elleéloignelescraintesquepouvaitfairenaîtrelaterminologie«actionsociale».Elleposi-tionnelechefdefileausensdelacoordinationdepolitiquessocialespluslargescequipostuledesituerl’interventiondespartenairesdanslerespectdeleurautonomiepropre.

Ilfautadmettre,ainsiquel’asoulignéMichelThierry,inspecteurgénéraldesaffairessocialesqu’il« est exceptionnel que des problématiques sociales complexes puissent être traitées dans le cadre d’un seul bloc de compétences. L’important est de travailler sur les articulations entre institutions et collectivités, de faciliter la synergie entre les acteurs 14».

C’estbiencechoixqu’afaitlamétropoledeLyonenouvrantlargementàl’ensembledesespartenaireslatabledetravailpourconstruireleprojetmétropolitaindessolidarités.Cechoixs’estimposéplusnaturellementencoredanslecontextedevenuincontournabledelamaîtrisedesdépensespubliques.Chaquepartenaire est invité à prendrepleinement saplacepouréviterlesrisquesdegaspillagepardesdoublons.

IV-AgirplusloinensembleAvec l’esprit lyonnais,chacuntrouvenaturellementsaplacepouragirensembledans ladi-rection recherchée.Respectueusedusavoir-fairedesespartenaires, lamétropolemobilisenaturellementlesénergiesautourd’unebelleambitionpartagéeauservicedespopulations.

Ladynamiqueengagéeapermisauxpartenairesdemieuxseconnaîtreetdebiencomprendrelechampd’actiondechacun.Enlaissant laplacequandil lefautaupartenaire lorsqu’ilestmieuxàmêmedeprendrelamain,elletisseefficacementdesliensdecoopérationpourallerplusloinensemble.

Associéeà lagouvernancedespolitiquessocialesdeproximité, laCAFestmoinsdans lerôled’unopérateurintervenantautitred’uneprogrammationnationalequel’onsecontenteraitd’appliquer,maisdavantagedansunemissiondeco-constructionfaceàdesenjeuxquisontceux du territoire.

La création de la métropole : l’opportunité d’un nouvel élanLeregroupementdescompétencesdépartementalesaveclesprérogativesmétropolitainesanécessitél’engagementdechantiersd’envergurepourdéfinirlanouvelleorganisation,arbitrer

13 LaGazettedescommunes,ActeIIIdeladécentralisation:laréformepasàpas.14 Michel Thierry, les enjeux de l’Acte III de la décentralisation, Politiques sociales et gouvernance, Informations

socialesn°179,septembre-octobre2013.

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leslignesdepartagefinancièresavecleconseildépartemental,etsituerlaplacedechaqueagentterritorialàl’échelled’unenouvellecollectivitéterritorialede8000agents.

Toutens’engageantdanscetravailtitanesque,lesresponsablesdelamétropoleontvoulurapidementassocierlespartenairesàl’édificationduprojet.Avecdélica-tesse, ladémarches’estouverteaux temps fortsdesorientationsde labrancheFamilleetcetteallianceadonnéenviedepoursuivrel’aventureautitredel’inno-vationsociale.

Le schéma métropolitain des solidarités Ceprojetaétémisenchantieràpartird’unevasteconcertationavec lesparte-nairespouraboutiràunefeuillederoutesurl’ensembledespolitiquessociales:lapriseenchargedesenfantsdanslechampdelaprotectiondel’enfance,lesoutiende la place des parents, la promotion de l’autonomie des jeunes, la préventionprécocedansledomainedelaPMI,lapromotiondelasantépubliqueetdudéve-loppementsocial,l’améliorationdelapriseencomptedespersonnesâgéesetdespersonnesensituationdehandicap(logementadapté,accessibilitéauxtransports,àlacultureouausport).

Ce schémamétropolitain a pleinement intégré les orientationsproposéespar laCAF sur la base des axes institutionnels.

Le schéma départemental et métropolitain des services aux fa-millesL’impulsiondonnéeparlacaissenationaledesallocationsfamilialespourlamiseenœuvredesschémasdépartementauxdesservicesauxfamilles,couvrantlape-titeenfanceetlaparentalité,adûêtreadaptéepourtenircomptedudédoublementdescompétencesentrelamétropoleetledépartement.Silepréfetderégion,pré-fetduRhône,avouluquecettedémarchesetraduiseparunseulschémapourlamétropoledeLyonetlenouveaudépartementduRhône,ilanéanmoinsétéadmisquelesdiagnosticsetplansd’actionsoienttraduitsdistinctementpourchacundesdeux territoires.

Eneffet,lacréationdelamétropoleaeupoureffetdedétacher59communesdelacompétenceduconseildépartementalsansimpactsurlepérimètreglobaldelacirconscriptiondéconcentréedel’État.Seulesleslimitesterritorialesdesarrondis-sementsontétéajustéespourquecellesdel’arrondissementdeLyoncoïncidentaveclagéographiedelamétropole15.

Cettedémarchedeconstructionaaboutiàlasignatured’undocumenttrèsdétailléde180pagespermettantd’identifierlarépartitiondelapopulationenfantine,ain-siquelescaractéristiquesdesmodesdegarde(crèchesetassistantsmaternels)15 L’arrondissement de Lyon correspond désormais aux 59 communes de la métropole de Lyon

et l’arrondissement de Villefranche-sur-Saône comprend 225 communes, dont 101 communesdétachéesdel’ancienarrondissementdeLyon.

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avecunegrilled’analysepartagéeavec lespartenaires.Au titrede laparentalité,s’agissantd’unecompétenceencore«neuve16»,l’optionaétéprisededresserunétatdeslieuxdesdispositifsexistants:accompagnementdescompétencesparentales,ren-forcementdesliensentrel’écoleetlesfamilles,préventiondelarupturefamiliale,informationetorientationdesfamilles.Encomplémentdupland’actionélaboré,unguidepratiquede16fichesactionaétérédigéàl’usagedesnombreuxbénévolesquiœuvrentautitredelaparentalité.OutrelamétropoledeLyonetlenouveaudépartementduRhône,cettedémarcheaassociélaMutualitésocialeagricole,l’associationdesmairesduRhône,l’associationdesmairesrurauxduRhône,l’Éducationnationale,leprésidentdelaCourd’appel,laprésidentedel’UDAFainsiquedesreprésentantsd’associationsd’éducationpopulaire,tousimpliquésdanslepilotageetlesuividecettedémarchepartenariale.

Le schéma départemental et métropolitain de l’animation de la vie socialeDelonguedate,lacaissed’allocationsfamilialesaapportésonsoutienpourl’intégrationso-cialedesfamillesdansleurenvironnementetlacohésionsurlesterritoires.En1970,laCAFdeLyonassuraitlagestiondirectede16centressociauxsuruntotalde36.En2017,lacirconscriptiondelamétropoledeLyonetdudépartementduRhônecomptepasmoinsde78centressociaux,tousengestionassociativeetprincipalementimplantésdansdescommunesenpolitiquedelavilleplutôtsituéesauseindelamétropole.LaCAF est reconnue pour son expertise relative à la dynamique des centres sociaux. Sacompétenceenmatièred’agrémentquirelèveduconseild’administrationyestpourbeaucoup.Maisau-delàdecettemissionpremière,laCAFmobiliseunserviced’ingénieriedontelles’estdotéeconstituéd’anciensdirecteursdecentressociauxexpérimentésetcapablesdeprendrelamainlorsquelatrajectoiredévieauseindesstructuresassociativesquigèrentlescentressociauxparnature fragiles.Encomplémentà l’interventionde la fédérationdépartementaledescentressociaux,laCAFestprésenteauxcôtésdesmairespourstructurerl’analysedessituationsetguiderlesensdelaréflexionetdel’action,enveillantàdiffuserlesbonnespra-tiques.Cesavoir-fairefaitautorité,ycomprisetsurtoutlorsqu’uncentresocialestendifficultéquellequ’ensoitlacause.LamétropoledeLyons’estsaisiedecette implicationde laCAFpoursigneravecelleune« charte de partenariat sur l’apport des centres sociaux à l’expression et à la capacité d’agir des habitants dans la ville ». Cetengagementdansl’animationdelaviesocialeaétérenforcépardifférentsoutilsdepilotage,etnotammentlesystèmed’échangesdescentressociauxenRhône-Alpes(SERACS)co-pilotéparlaCAFetl’Unionrégionaledescentressociaux,etquiainspiréplusrécemmentlesystèmenational(SENACS).Dansleprolongementdecepartenariataveclamétropole,unprotocoled’accordaétésignéaveclaVilledeLyonpourmettreenplacedesconventionsd’objectifsetdemoyensaveclescentressociauxafindeleurdonnerunevisibilitépluriannuellesurlesengagementsattendusetlesfinancementsaccordés.

16 Circulaire interministériellen°2012-63du7février2012relativeà lacoordinationdesdispositifsdesoutienà laparentalité.

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La politique de la villeLaCAFestsignataireducontratdevillemétropolitaindontlafinalitéestdeconcen-treretd’articulerlesmoyenshumainsetfinanciersauprofitde66quartiersrépartisdans24communesdelamétropole.Cecontratdevilleprévoittroisdomainesd’in-tervention:ledéveloppementéconomiqueetl’emploi,lacohésionsociale,l’amé-liorationducadredevieetlerenouvellementurbain.Cettedynamiquecroiseplu-sieurspolitiquespubliquessoutenuesparlabrancheFamille,notammentautitredelapetiteenfanceainsiqu’autitredelajeunesseetdel’implicationdesfamillesetdeshabitantsdanslaviedeleurquartier.LaCAFmetàprofitcettesignaturepourvaloriser lesorientationsde lapolitique institutionnelled’actionsocialeetdonneruneplusgrandevisibilitéauxdispositifsqu’ellemetenœuvre.

Lamétropoleaffirmesonattachementàprendreappuisurles63centressociauxdesonterritoireenmatièred’expressiondeshabitantsdans lesquartiersenpo-litiquede lavilleet renouvellementurbain.Lachartedepartenariatavec laCAFprévoitainsidestravauxdeveillesocialeainsiquedesdiagnosticsactualisésquisontprécieuxdansledialogueavecleshabitantsdesquartiers.

Au titredesescompétencesenmatièrederénovationurbaine, lamétropoleas-socie l’ensembledesmairesdes communesconcernéesdans laprésentationàl’ANRUd’unprogrammed’envergurepourréaliserdesrestructurationsimportantesdes paysages urbains avec le souci du rééquilibrage territorial.Cette démarcheprendappuisurlesdiagnosticssociauxassociantleshabitantsdesquartiersetlescentressociaux.L’assemblagedeslevierséconomiquesetsociauxtrouveainsiunetraductionopérationnellepourl’efficacitédespolitiquespubliques.

Des expérimentations sociales Lesrelationspartenarialestisséesentre lamétropoleet laCAFtrouventdenou-veauxprolongementspourapporterdesréponsesdeproximitéauxbesoinsidenti-fiés.Plusieursexemplesillustrentcettevolontéencommun:

Uneplate-formed’insertionestcrééepourlesmèresisoléesavecunjeuneenfant.Cetteplate-formecomprendunvoletinsertionpardesatelierscollectifsetdessi-mulationsd’entretien.Durantcettephased’accompagnementformation,lesmèresontaccèsàunesolutiond’accueilponctuelpour leurenfantdansunecrèchedequartierassociéeauprojet.Autitredelapetiteenfanceetdelaparentalité,untra-vaild’apprentissageavocationàpréparerlamèrepourqu’elleacceptelestempsde séparationmère/enfant.C’est aussi l’occasiond’aider l’enfant à s’apprivoiseraveclesrepèresdelavieencollectivité.

Uneexpérimentationassociant laFEPEM17endirectiondeplusieurs relaisd’as-sistantsmaternelsimplantésdanslesquartiersenpolitiquedelavilleapporteunréseaud’informationsjuridiquesauxanimateursetproposedesconsultationspourlepublicconfrontéàdessituationscomplexes.

17 FédérationdesparticuliersemployeursdeFrance.

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Uneinitiativebaptisée«ÉveilMâtins»proposeunservicedebabysittingpourdesenfantsde0à12ansensituationdehandicapouatteintsdemaladie,avecleconcoursd’intervenantsrecrutésprincipalementdanslapopulationétudiantedansledomainemé-dico-socialetsoutenuspardesprofessionnelsetunpsychologue.

Pourmieuxaiderlesprofessionnelsdelapetiteenfanceàtraduireenactionetencomporte-mentledéveloppementdurable,unejournéedetravailaétéorganiséeautourdedeuxaxes.D’unepart,ledéveloppementdesactivitéspédagogiquespourlesenfantsetlasensibilisationdesparents:alimentation,activitésphysiques,espacesextérieurs,jeuxetactivitésmanuelles,estimedesoietbientraitance.D’autrepart,l’appropriationdel’éco-responsabilitéauquotidien:fonctionnementdelastructure,approvisionnementetalimentation,gestes,environnementin-térieur(circulationdel’air,régulationthermique,sons,ergonomie,mobilier).

Pourmodestesqu’ellessoient,cesillustrationstémoignentd’uneconstructionpartenarialeso-lideentredesacteursquisefontconfianceetquiserespectentdansleursprérogativesrespec-tives.Àchaquefois,lesoutiendesfamillesestaucœurdeladémarcheconjointe,enparticulierpourcellesquisontconfrontéesàdesdifficultésréelles,dontonsaitqu’ellespeuventrapide-mentfairebasculerdansunsentimentd’abandon.

Un partenariat à conforter au titre de l’évaluation des politiques sociales localesLescaissesd’allocationsfamilialesontsusedoterdecompétencesinternespouranalyserlesdonnéesstatistiquesdontellesdisposentetenfaireprofiterlesdécideurspublics.

« L’évaluation est une dimension de la gestion publique qui s’est particulièrement développée depuis vingt ans. Les politiques familiales sont un terrain fécond pour ce type de démarche qui cherche à mieux comprendre les effets de l’action publique. Elles permettent également d’illustrer la difficulté de la construction d’un jugement rigoureux et accepté par les différents protagonistes. La figure de l’évaluateur émerge dès lors comme un nouveau métier aux spéci-ficités fortes et aux exigences méthodologiques élevées ».CetteanalysedeJérômeMinonzio,maîtredeconférencesassociéàl’UniversitéJeanMoulindeLyon3etrédacteurenchefdelarevueInformationssociales,enintroductiond’unarticlepubliédanslarevueInformationssociales–n°150dejuin2008–estparticulièrementd’actualitédanslecontextedelacréationdelamétropoledeLyon.

Ladynamiqueengagéeincitelacaissed’allocationsfamilialesàcompléterl’expertisequ’elledétient dans le domaine statistique pour la renforcer au titre de l’évaluation des politiquespubliques. Il s’agitd’objectiver l’impactdesactionsmisesenœuvreetde recherchersi lesdispositifsdéfinisproduisentleseffetsattendusparlesdécideurspublics.

Lacréationdesmétropolesconstitueuneopportunitépourrenforcercetaxedéterminantpourl’efficiencecollective.

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EAU-DELÀDESFRONTIÈRESDELASÉCURITÉSOCIALE

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LagouvernancemutualistePar Albert Lautman, directeur général de la Fédération nationale de la Mutualité française et Camille Brouard, responsable de l’innovation et de la prospective à la FNMF

Albert Lautman est diplômé de l’IEP de Grenoble, titulaire d’un DEA d’administration publique et ancien élève de l’EN3S. Après plusieurs postes en organismes locaux, il a rejoint l’ACOSS, en qualité de sous-directeur en charge des entre-prises et du service. En 2010, il rejoint la CNAV où il a été di-recteur national de l’action sociale avant d’intégrer le cabinet de Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée en charge des personnes âgées et de l’autonomie. De 2014 à 2016, il a été directeur général de la CARSAT Nord-Est. Depuis le 1er juillet 2016, il est directeur général de la fédération nationale de la Mutualité française.

Camille Brouard est diplômé de l’IEP de Bordeaux et d’un Mas-ter de Droit et Études européennes de l’IEP de Strasbourg. Après un passage à l’ACOSS où il a notamment occupé la fonction de sous-directeur de la réglementation et de la sécuri-sation juridique, il rejoint le mouvement mutualiste. Conseiller auprès du Président de la mutualité française (FNMF), puis conseiller auprès du Président et de la Directrice générale d’Harmonie mutuelle, il occupe aujourd’hui la fonction de res-ponsable de l’innovation et de la prospective au sein de la FNMF.

Résumé

Le mouvement mutualiste a inventé un modèle de protection sociale s’appuyant sur une gou-vernance démocratique. L’étonnante longévité et la résilience des mutuelles valident un mo-dèle ayant dès l’origine intégré des garde-fous.

Ce modèle doit aujourd’hui faire face à différents défis : réglementaires et sociaux. Aux normes tentant de faire entrer de force les mutuelles dans un droit pensé pour des sociétés capitalis-tiques, s’ajoute une évolution des modes de militantisme. Le mouvement mutualiste doit donc engager sa mue.

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« Ce monde, sous tous les méridiens, est une société anonyme de secours mutuel. »

Herman Melville Moby Dick

Lemutualismeestuneréponsepourfairefaceàdesrupturesdevie,desaléas,qu’unindividuseuladumalàsurmonter.Sansnousattardersurlesexemplesan-tiques,lespremières«traces»demutualismesontanciennes,aumoinsdepuislefermagecollectifdeBabylone.

C’estessentiellementauseindescommunautésouvrièresqu’apparaît lemutua-lismefrançaissouslaformedesociétésdesecoursmutuel.Leurdéveloppementestcontraintparlelégislateurcraignant«lesassembléesd’ouvriersetd’artisans»àtraverslacélèbreloiLeChapelier(1791)qui,imprégnédulibéralismerévolution-naire,entendaitmettreuntermeàtoutes lessurvivancesde l’Ancienrégime,enparticuliersescorporations.D’autresconsidérationslimiterontensuiteledévelop-pementdesmutuelles:sousNapoléonIII,ellesnepeuventdépasser500membreslalogiqueétant,cettefois,d’éviterquelesmutuellesnedeviennentles« fauxnez » desyndicatsquineseront,eux,autorisésqu’en1884.

C’est donc sous la IIIeRépubliquequelemouvementmutualisteprendvéritable-mentsonenvol.

Lorsdel’ExpositionuniverselledeParis,setientlepremierCongrèsinternationaldelaMutualité,du6au10juin1900.Quatreansplustard,la«FêtenationaledelaMutualité»rassemble30000convivessur leChampdeMars.50000serontprésentsaumêmeendroiten1905.

Le mouvement mutualiste est alors à son apogée et constitue, pour reprendrel’expression de FrançoisHollande lors sa venue au congrès de laMutualité deNice en 2012, une véritable « Institution de laRépublique » en charge d’Assu-rancessociales(lesfondementsdenotreSécuritésociale)etderéalisations(des«œuvres ») diverses répondant aux préoccupations hygiénistes de l’époque (àl’instar,parexemple,desbains-douchesmutualistescréésdansl’HéraultaudébutduXXèmesiècle).LaFédérationnationaledelaMutualitéFrançaiseestalorsàlatêted’unmouvementsocialpuissantdontlescongrèsdurentunesemaineetfixentlecapdelapolitiquesocialedelaRépublique.

AveclacréationdelaSécuritésociale,lesmutuellesnesontpas«reléguées»aurangdesimplescomplémentaires.Leurchampd’actiontelquedéfinidansleCodedelaMutualitéestenréalitéextrêmementlarge.LeCodedelaMutualitédisposeeneffetquelesmutuelle« mènent, notamment au moyen des cotisations versées par leurs membres, et dans l’intérêt de ces derniers et de leurs ayants droit, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide, dans les conditions prévues par leurs statuts, afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Les mu-tuelles peuvent avoir pour objet :

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1° De réaliser les opérations d’assurance suivantes :a) Couvrir les risques de dommages corporels liés à des accidents ou à

la maladie ;b) Contracter des engagements dont l’exécution dépend de la durée de la vie

humaine, verser un capital en cas de mariage ou de naissance d’enfants, faire appel à l’épargne en vue de la capitalisation en contractant des engagements déterminés ;

c) Réaliser des opérations de protection juridique et d’assistance aux personnes ;

d) Couvrir le risque de perte de revenus lié au chômage ;e) Apporter leur caution mutualiste aux engagements contractés par leurs

membres participants en vue de l’acquisition, de la construction, de la location ou de l’amélioration de leur habitat ou de celui de leurs ayants droit ;

2° D’assurer la prévention des risques de dommages corporels liés à des accidents ou à la maladie, ainsi que la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées, dépendantes ou handicapées ;

3° De mettre en œuvre une action sociale, de créer et exploiter des établissements ou services et de gérer des activités à caractère social, sanitaire, médico-social, sportif, culturel ou funéraire, et de réaliser des opérations de prévention ;

4° De participer à la gestion d’un régime légal d’assurance maladie et maternité et d’assurer la gestion d’activités et de prestations sociales pour le compte de l’État ou d’autres collectivités publiques. ».

Cechampd’activitétrèsvasteexpliquequelesmutuellesaientlongtempsconservéuneplaceimportanteparmilesactivitésmilitantesorganiséesessentiellementautourdecommunautésprofessionnelles.Auseindumouvementmutualiste,jusqu’àuneépoqueencorerécente,co-habitaienteneffetainsilesmutuellesdefonctionnairesrépartiesparMinistèresvoireparadmi-nistrations(mutuelledesfinances…)oucorps(mutuelledelaGendarmerie…),lesmutuellesd’entreprise (répartie par entreprise voire par établissement), lesmutuelles interprofession-nelleslimitéesaudépartement.Danslecourantdesannées1970lemouvementcompteplusde 10 000mutuelles. Lemouvement de « banalisation » en cours avec une normalisationdesactivitésassurantielles, lescontraintesréglementairesetéconomiquesontaboutiàdesmouvementsdeconcentrationimportants.Cinqcentsmutuellessontaujourd’huimembresdela FNMF. Est-cepourautantlafindumutualisme?Silenombredemutuellesaaujourd’huifortementdiminué,l’ancragemutualistedemeureavecunréseaudemilitantsimportants.Commentex-pliquercettecapacitéàrésisteràl’épreuvedutemps?Lesraisonsdelacapacitédesmutuellesàfairefaceàl’évolutiondeleurenvironnementdé-coulentengrandepartiedesvertusdeleurmodèledegouvernance(I)1.Lesmutuellesdoivent1 Leproposquiseradéveloppé iciaborderaessentiellement lemodèledesmutuellesdites«45»(i.e. issuesdu

CodedelaMutualitéde1945)toutens’intéressantaumodèlecousindesmutuellesd’assuranceoudesbanquescoopératives.

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aujourd’hui faire faceàunesériedechocs,notammentréglementaires,età des évolutionsdesattentesetmodesdemilitantisme(II).

I-Lemutualisme,unmodèlesocialementetéconomiquementresponsablequiafaitpreuved’unesurprenanterésilienceI.1 Non-lucrativité et démocratie au cœur d’un modèle solidaire Leprincipedumutualismeestsimpleetpartd’unconstatàlafoishumanisteet…cyniquesurlemonde.Humaniste,parcequelesmutuellesontdéployédepuisleurcréationdesmécanismesdesolidaritépourrépondreàdessituationsgraves(pro-blème de santé, rupture d’emploi…) ou apporter des services souvent onéreux(soinshospitaliers,priseenchargedanslecadred’obsèques…).Cynique,puisqueles fondateursdumutualismeont fait lepostulatquecessolidaritésnepeuvents’exercersansliendel’individuavecl’ensembledelacommunauté.Dèsl’origine,ils’estdoncagid’évitercequelathéorieéconomiqueappelleaujourd’huilescom-portementsde«passagerclandestin».Celienentretouslesacteursdelacommu-nautémutualisteestdonctrèsfortetsetraduitpardesprincipesdegouvernancequienfontdespointscardinauxdesonmodèle.

Leprincipefondamentalestceluidela«nonlucrativité»desactivitésdelamutuelle.Celle-cine rémunère pas d’actionnairesetseséventuelsexcédentssontaffectésauxobligationslégalesderéservesainsiqu’auxactionsenfaveurdesesmembres.

Poursesactivitésd’assurance,lamutuellesedifférenciedesesconcur-rentsprivéslucratifspuisqu’en cas de dissolution,l’excédentestdévo-luàd’autresmutuellesouàdesentitésnon-lucratives.

L’administrateur mutualisteestéluparmilesadhérentsets’impliquedanslastructureauservicedel’intérêtdetouslesmembres.

Alorsque,dansunesociétédecapitaux,lepouvoirvientdirectementdesdétenteursmajoritairesducapital,dansunemutuellelepouvoirvientdelasommedetouslesadhérentsprisindividuellement,selonleprincipe«unepersonne=unevoix »,véritableclefdevoûtedelagouvernancemutualiste.

L’assemblée généraledemeureleprincipallieud’expressiondeladé-mocratieenmutualitéaucoursdelaquellelesadhérentsfixentlesorien-tationsgénéralesde l’activitéde lamutuelle,élisent lesdirigeantsquiserontchargésdelesmettreenœuvreetsontinformésdelamanièredontcesdernierssesontacquittésdeleursmandats.

L’administrationdelamutuelleestconfiéeàuneinstanceéluepar lesadhérents,leConseild’administration.Chaquemutualisteaainsilapos-sibilité,s’illesouhaite,departiciperdirectementàlagestiondesamu-tuelle.

Cetteorganisationoriginalefaitaujourd’huisubsisterunsentimentquipeutsembler

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étrangepourungrandnombredenosinterlocuteurs:celuiquifaitdireàunprésidentd’unemutuelle,regroupantplusieursmillionsd’adhérentsetgérantquelquesmilliardsd’eurosdecotisations,qu’ilestavanttoutun«militant».

I.2 Un modèle historique résilient et responsable capable de s’adapter aux évolutions économiquesPoursesdétracteurs, lemodèlemutualisteestartisanal(commentunélupeut-ildirigeruneentreprise?)etnécessairementdéviant(« lestatutnefaitpaslavertu »).Lemutualismerésistepourtantbienàl’épreuvedesfaitsetdevientmêmeunobjetd’étudepourdeséconomistesoudes think tanksintriguésparunmodèlequisemontreétonnammentrobusteetrésilient.

C’estunconstatquefaisaitrécemmentl’InstitutMontaigne2.L’Institutnotait,d’abordpourlesbanques,que«Lemodèlemutualistefrançaiss’estrévéléplusrésilientquelesbanquesdedétail européennes (y compris les banques coopératives étrangères).Ainsi, aucun réseaucoopératif français n’a connu les déboires de leurs homologues italiens (Banca Popolare), espagnol (Cajas), néerlandais (Rabobank) ou anglais (Coop bank). En effet, si l’État a été contraint en France d’assurer un soutien transitoire en termes de liquidité et de renforcement des fonds propres, aucun réseau mutualiste n’a fait défaut contraignant les États à élaborer un plan de bail-out ou de protection des déposants. » Si, en assurance, « la performance des acteurs mutualistes se compare de manière légèrement moins favorable avec leurs pairs banques assurances ou assureurs classiques » note l’InstitutMontaigne, c’estprécisémentparce que lemodèle privilégie en grande partie« une modération tarifaire et une faible discrimination des risques conformes aux valeurs du mutualisme alors que les assureurs classiques disposent d’une plus forte latitude pour opérer des repositionnements techniques par des hausses tarifaires et une sélection au sein des portefeuilles ».

Desconclusionssimilairesontétédresséesdanslecadred’uneétudepubliéeaucoursdesdernièresAssisesdumutualismeorganiséesàParisDauphine3.Enl’espèce,l’étudemontreque« la crise récente a révélé les dysfonctionnements d’un système bancaire s’éloignant de ses fondamentaux : l’allocation du capital, la diversification des risques et la provision de liquidités à partir d’une gestion minutieuse de l’information. Alors qu’elles étaient censées diversifier les risques, les activités de titrisation ont contribué à accroître la chaine des intermédiations financières, à réduire les incitations relatives à la gestion de l’information et ainsi à augmenter le risque systémique dû à l’octroi massif de prêts immobiliers. Pourtant, certaines banques ont su rester à l’écart des principes d’intermédiation par « origination et dis-tribution » de créances pour centrer leurs activités autour d’une intermédiation majoritairement relationnelle. C’est le cas de certaines banques coopératives qui, par respect de leurs valeurs, ont privilégié les activités traditionnelles d’intermédiation ».

Enrésumé,c’estceque tendentàmontrercesétudes, lagouvernancemutualisteestbien

2 Institut Montaigne, T. Martel, M. Mathieu (prés), « Concilier démocratie et efficacité économique : l’exemple mutualiste », Rapportdécembre2014

3 4èmeassisesinternationalesdelacoopérationetdumutualisme,G.Bazot,E.Jeffers,O.Ouyahia«Les banques coopératives sont-elles plus résistantes ? L’exemple de la crise financière de 2007-2009) »

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l’architecturequipermetàlamutuelledefairefaceauxcrises.Moinsflamboyantpeut-êtreenpériodedebooméconomiquequesonconcurrentlucratif,l’entreprisemutualisteseprojettedansletempslongetsaitsemontrerrésiliente.CommelenotaientArnaudCHNEIWEISSetStéphaneTISSERAND4 « le temps long dans lequel s’inscrivent les mutuelles est une grande chance. Elles ne dépendent pas des caprices des marchés financiers, n’ont pas à rendre des comptes aux agences de notation et aux analystes financiers (acteurs qui ont révélé les faiblesses de leurs études lors de la crise de 2008), ne surveillent pas le cours de l’action (qui n’existe pas) et ne sont pas obsédées par la publication du résultat trimestriel (ce qui n’a aucun sens dans une industrie de long terme comme l’assurance). Le temps long, c’est la possibilité de travailler dans la sérénité pour construire de meilleures offres pour le sociétaire. L’absence d’actionnaires à rémunérer permet aussi de se fixer des objectifs de profit raisonnables, mesurés, réalistes. L’objectif n’est pas un taux de rendement du capital de 15 % annuel, dont nous savons qu’il n’est pas soutenable dans la durée ».

I-3/ Les valeurs du mutualisme de nouveau « à la mode » ? Dansunmondeparfoisobsédéparlaperformanceetleprofit,lesmutuelles,avecunmodèleancrédansl’histoire,ontpusembleràcertainsunpeudépassées…Ilnoussemblepourtantaujourd’huiquelemodedegouvernanceetlesvaleursincar-nésparlemutualisme,sontdansl’èredutemps.Prenonsquelquesexemplespourillustrercetteconviction.

L’actualité est souvent ponctuée de scandales autour de l’annonce de la rému-nérationde certainsdirigeants. L’opinionpublique, à juste titre, s’enémeut. Lesmutuelleselles-mêmessontsouventsous le feudescritiquess’agissantdefraisde gestion qui seraient trop élevés5. Le modèle mutualiste a pourtant instaurédesgarde-fous.ArnaudCHNEIWEISSetStéphaneTISSERAND6 rappellentain-sique« les fonctions d’administrateur d’une mutuelle sont exercées gratuitement et donnent simplement lieu au versement d’indemnités et au remboursement des frais. Nous sommes loin des jetons de présence des administrateurs du CAC 40, dont le montant moyen en 2013 s’élevait à 67 115 euros 24. Il en va de même pour la rémunération des dirigeants. Ainsi, en 2014, le total des dix plus importantes rémunérations du groupe MATMUT était inférieur à la rémunération globale du seul PDG d’entreprises cotées du secteur de l’assurance ».

Autreexemple,nousvoyonsémergerunetendancetrèsfortedelapartduconsom-mateurd’unevolontéd’êtremieuxprisencompte,d’êtreécouté,ycomprissurleplansociétal7.Leconsommateurseveutdeplusenplus«consomm-acteur»d’une 4 NotedelaFondapoldenovembre2015,«Lemutualisme:répondreauxdéfisassurantiels»5 Sur ce point, lamauvaise foi et les raccourcis sont malheureusement souvent demise…Aussi

renvoyons-nous à la mise au point effectuée par la FNMF https://www.mutualite.fr/content/uploads/2015/03/Argu_frais_gestion_12_2015.pdf

6 Ibid.7 À titred’exemple,dansununivers lucratif, la«marqueduconsommateur» joueàpleindecette

volonté

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transformationdenotremodèleéconomiqueafinde tendre vers une société plusdurable.C’estprécisémentainsiques’estconstruitlemutualisme,enoffrantàchaqueadhérentàlafois,unevoixpourseprononcermaisaussiunepossibilitédeprendredesresponsabilitésdansl’entreprise.Aujourd’hui,cesontplusieursdizainesdemilliersdemili-tantsmutualistesquiœuvrentquotidiennementpourdesactionsdepréventionensanté,danslecadredepartenariatslocaux(sportifs,culturels…),auseindecommissionsd’actionsociale,auseind’établissementsdesoinsetdeservices.Lemodèlemutualisteadoncdesvertusindéniables.Socialementresponsable,économique-mentperformant, ilasus’adapteràdifférentscontexteshistoriques,démographiquesetso-ciaux. Toutefois,la«crisedesvocationsmilitantes»etlemouvementdenormalisationréglementaireetéconomiquenerisquent-ilspasdefragiliserlemodèle?

II- Le mutualisme à l’épreuve de nouveaux chocs : la nécessaireréinventionII-1/ Un modèle de gouvernance à l’épreuve de la crise du militantisme Onl’adit,l’élumutualiste,qu’ilsoitdirigeantdel’entreprisemutualiste,administrateuroudélé-guéportantlesintérêtsdesadhérentslorsdel’Assembléegénéraledelamutuelle,seconsi-dèrecommeunmilitant.

Lesmutuelles,commetouslescorpsintermédiaires,sontaujourd’huifaceàuneévolutionquin’apasencoreétépleinementintégrée.Eneffet,uneenquêteréaliséeen2013danslecadreduprojetstratégiquedelaMutualitéFrançaisemettaitenlumièreplusieursélémentstraduisantladifficultédumondemutualisteàprendreàsoncomptel’évolutiondumilitantisme:

Lespostesd’administrateursdesmutuellesétaientpour76 %d’entreeuxoccupéspardeshommes.Laloiégalitéfemme-hommes’estemparéedecesujetetimpose(àjustetitre)unereprésentationd’aumoins40 %defemmesauseindesConseilsd’administrationdemutuelles.

Plusdelamoitiédesadministrateursétaientâgésdeplusde60ans.

Plusde60 %desadministrateursexerçaientplusieursmandats.

Ceschiffressontlatraductiondeplusieursphénomènes.D’abordladifficultéàattirerauseindesstructuresmutualistesdejeunesmilitantsetce,pourdeuxraisonsaumoins.Lapremièreestque l’exercicedes responsabilitésmutualistess’estconsidérablementcomplexifiéet faitaujourd’hui l’objetd’uneattentionparticulièrede lapartd’organismesprudentiels (cf. infra).Ladeuxièmeraisonprocèdedelamanièremêmedeconcevoirsonengagement.Sid’aucunsdénoncent la«pertedevaleurs»des jeunesgénérations,d’autresvoient tout simplementuneautremanièred’agirpourlebiencommun.Lemilitantismeactuels’organisetrèssouventautourde«coups»etmoinsd’actionsdansletempslong.Alorsquel’activitémilitanteauseind’unemutuelleestsouvent rythméepardescommissionssouvent très techniques,d’autresorganisationsmilitantesn’ont,elles,pasdedifficultéàrecruterplusieursdizainesdemilliersdemilitantssurdesactionsponctuellesenutilisantàpleinlesréseauxsociaux.

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II-2/ Des valeurs mutualistes illisibles ? C’estun test fréquemment réalisépar lesmutualistesdans leurentourage.À laquestion:quelleestvotremutuelle?Laréponsecouvreunchampd’acteursassu-rant,certes,desprestationsdecomplémentairesantémaisétrangersbiensouventaumouvementmutualiste.Lemot«mutuelle»estpassédanslelangagecourantsansquelegrandpublicsachediscernerqu’ilconcerneunecatégoriebienspéci-fiqued’acteurs.

Au-delà,quelques-unsdesesprincipauxrepèrescardinauxsontaujourd’huipeucompris.UneétudedusociologueAlainMERGIERréaliséepourlecomptedelaMutualitéFrançaisesurunfocus groupmettaitainsienlumièrequela«non-lucrati-vité»n’étaitpasperçuepositivement.«Silesmutuellessontnonlucratives,oùval’argent?»questionnaientlespersonnesinterrogées.

Plongéesdansunmondeconcurrentiel, lesmutuellessontdonc faceàunphé-nomènedebanalisationet neparviennent pas toujours àmettre enavant leursprincipesfondateursdefonctionnement.

II-3/ Le modèle mutualiste face à la pression prudentielle Ce phénomène de banalisation découle également de l’uniformisation liée à l’évolutiondel’environnementréglementairedesmutuelles.

Assurantunemissionspécifique,laprotectiondelasantéessentiellement,lesmu-tuellesontlongtempsbénéficiéd’unstatutsui generiscomparableàunesortedereconnaissance,par lespouvoirspublics,d’unemissiondeservicepublic.Cettesituationachangéen raisonde la réglementationeuropéenne.Comme lenotaitHélène VINCENT «dèsl’origine,l’intégrationeuropéennes’estfaitesurdesbasesessentiellementéconomiques,enraisondeconceptionsdominéesparlapenséelibérale. Ainsi, les questions sociales ont-ellesrégulièrementétérelayéesausecondplanen restant l’apanagedesÉtats-membres.Et,malgré l’homogénéisationdespolitiques économiques et l’introduction de la monnaie unique, la constructiondumarché européen ne s’est pas accompagnée d’une plus forte harmonisationdes systèmes de protection sociale (Maurice, 1999). Cependant, contrairementaux organismes de sécurité sociale obligatoire, toutes les formes de protectioncomplémentaire ne sont pas soumises au principe de subsidiarité et participentdoncàlamiseenplaced’unvastemarchéeuropéendel’assurancesanté.Dansce cadre, les organismes de gestion de couverture complémentaire doiventrépondreauxexigencesde l’Unionenmatièredeconcurrenceets’inscriredanslesréglementationsquiluisontconsacrées.Plusieursdirectiveseuropéennessontainsiadoptéesafindeconstruirecemarchédel’assurance»8. Ainsi,àpartirdu1er janvier2003,touteslesmutuellesdoiventappliquerlenouveauCodedelamutuali-tévotéauParlementenavril2001.CenouveauCodedécouleexactementdel’ap-plicationdesdirectives1992/49/CEEassurancesnon-vie(18juin1992)et92/96/8 Hélène VINCENT, «LaMutualitéFrançaisedansl’UnionEuropéenne:nouveaucontexte,nouveaux

défis»,RECMA–RevueInternationaledel’Économiesocialen°300.

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CEEassurance-vie(10novembre1992).Cesdirectivesontunimpactimportant.Enétablissantunprincipedespécialitéempêchantunorganismed’assuranced’exercerd’autresactivités,uneconcentrationdesorganismess’opèreet,avecelle,lafonctiondemilitantse«professionnalise».

Cemouvementde«professionnalisation»dumilitantmutualisteaconnurécemmentunnou-veaudéveloppementaveclatranspositionde«SolvabilitéII»,règledirectementinspiréepourlesecteurassurantieldesrèglesbancaires.Enl’espèce,chaquemutuelledoitdésormaisga-rantirla«compétence»et«l’honorabilité»desesdirigeants.C’estensoiunemesuredebonsensrésultantd’écartsinacceptablesdanslagestiondefondsaucoursdesdernièrescrisesfinancières.Saufque,onl’adit,lesmutuelles,elles,ontmontréqu’ellesavaientsugéreravecresponsabilitél’argentmutualiséetqu’ellesn’avaientpas(oupeu)souffertdesdernièrescrisesfinancières.Parailleurs,cescritèresde«compétence»et«d’honorabilité»n’étaient-ilspasunemanièredéguiséedeconfierauxseulsspécialistesdel’assurance,passésparcertainesécoles,lagestiondesmutuelles?Cescritèresnerisquaient-ilspasdenuireauprincipemêmedel’électionaucœurdelagouvernancemutualistequipermetàdesacteursdetoushorizonsd’exercerdesresponsabilités?Aprèsquelquescraintesetunimportanttravaildesensibilisa-tionauprèsdespouvoirspublics,nousdevonsadmettrequelasolutionretenuedansl’applica-tiondesdirectivesestéquilibréeetquelesmutuellesontsus’yadapter.

II-4/ L’ANI de 2013 un nouveau bouleversement dans la gouvernance mu-tualiste ? L’Accordnationalinterprofessionnelde2013puislaloideSécurisationdel’emploiquis’ensui-vitchangèrentfondamentalementlemodèledelacomplémentairesanté.Eninstaurantpourchaqueemployeur l’obligation de faire bénéficier ses salariés d’une complémentaire santé,celle-cidevenaitunavantagesalarialquand,naguère,elledécoulaitd’unelibreadhésionin-dividuelle.Certes,cemouvementétaitencoursdepuis longtemps,mais l’ANIaaccéléré leprocessus.

Pourlesmutuelles,cechangementétaitimportant,leprincipe«unhomme=unevoix»étantliéàceluid’uneadhésionindividuelle.Aveclamultiplicationdescontratscollectifs,lagouver-nance,pourresterdémocratique,devaitévoluer.

C’estdanscetétatd’espritquelaMutualitéFrançaiseafaitappelauxpouvoirspublicspourob-tenirunemodernisationduCodedelaMutualitéqui,hormissurdessujetstechniques,n’avaitpasfondamentalementévoluédepuislatranspositiondesdirectivesassurances.

CetterefonteduCodedelaMutualités’estaccompagnéed’uneaffirmationdesprincipesmu-tualistes.

L’ordonnancede«refonte»ducodedelaMutualitécomplèteainsil’articleL.114-19.

Ildisposedésormaisquelesmutuellespeuventadmettreentantquemembreshonoraires10, nonseulement lespersonnesmoralessouscrivantdescontratscollectifs,cequiétait lecas9 L’article L. 114-1 duCodede lamutualité définit la notion demembreparticipant d’unemutuelle et introduit la

questiondescontratscollectifs.10 Selonl’articlecitéci-dessus,lesmembreshonorairesseraientdesmembresd’unemutuellenebénéficiantpasde

prestationsmalgréuneparticipation.

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avant l’ordonnance,mais également les représentants des salariés de ces per-sonnesmoralesselondesmodalitésdéfiniespar lesstatuts,cequiestnouveaudepuis l’ordonnance. Cette évolution n’allait pas de soi dans une gouvernancemutualistenéede la« libertéd’adhésion»(alorsque lesalariéd’uneentrepriseproposantuncontratcollectifestpardéfinitioncontraint–saufcasdedispense-desouscrire à ce contrat).

II-5/ Le mutualisme saura-t-il prendre le tournant des nouvelles technologies ? ThierryPECH,Directeurgénéralduthink tankTerraNova,l’affirmaitlorsducongrèsde laMutualitéFrançaiseàNantesen2015 : « la Mutualité peut entrer dans un nouvel âge, à condition de saisir les opportunités du siècle qui s’ouvre. D’abord, les demandes de biens et de services en santé évoluent fortement et rapidement. Les acteurs capitalistiques classiques ne peuvent y répondre seuls. On assiste à une crise de légitimité et d’efficacité des acteurs publics. L’espace naturel d’acteurs comme les organismes mutualistes va être de plus en plus important. En outre, les valeurs de l’économie collaborative, véhiculées par la révolution digitale, sont proches de celles du mouvement mutualiste. »

L’économiecollaborativeou,plusprécisément,certainsdesesacteurs,onteffec-tivement,commeMonsieurJourdain, faitdumutualismesans lesavoir.Ens’en-gageantdansunmodèlesouventnon(oupeu)lucratif,enmisantsurl’interactionentrelesdifférentsacteursd’unecommunautéviadesplates-formesnumériques,certainsacteursdel’économiecollaborativeontdonc,d’unecertainemanièreréin-ventélemutualisme.Pourtant,lesecteurdel’économiecollaborativeetlemutua-lismerestentpourl’instantdeuxnichesautonomesetcommuniquantpeu…

LaMutualitéFrançaisedoitaujourd’huis’inspirerdecemouvementetdesondy-namisme,puiserdanslestechnologiesdescivic tech,pourréinventerunmodèleàlafoisvertueuxetparticipatif.Ilresteencorequelquesmarchesàfranchirmaisles initiativesdecertainesmutuelles laissentpenserquecemouvementestbienenmarche…

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Lagouvernancedessystèmesdesantéetd’assurancemaladie,uneperspectiveinternationalePar Dominique Polton, Présidente de l’Institut des données de santé et conseillère scientifique de l’EN3S

Denombreuxrapportsontdénoncé,danslesdernièresannées,lacomplexitédelagouver-nancedusystèmedesantéetd’assurancemaladiefrançaisetsesdifficultésdepilotage,liéesnotammentàlarépartitiondesresponsabilitésentrel’Étatetl’assurancemaladie.«Lepilotagedenotresystèmed’assurancemaladies’estprogressivementcomplexifiéaupointd’êtreau-jourd’huidual,entrel’Étatd’unepartetl’institutionassurancemaladied’autrepart»,souligneen2013unrapportduCercleSantéInnovationautitreprovocateur:«L’AssuranceMaladieest-elle encore utile ? »1.En2017,l’InstitutMontaigneproposeégalement,pour«réanimerlesystèmedesanté»,uneréformedesagouvernance,estimantque«une grande partie des acteurs du système de santé s’accordent pour considérer qu’un des freins majeurs à la mise en œuvre d’évolutions structurellement significatives est le cloisonnement des différents acteurs et la dispersion des leviers d’action, notamment entre médecine de ville et hôpital. »2

Cesdébatssurlagouvernancenesontpasrécents,mêmesil’aborddecesquestionsaévoluéaufildutempsetdesréformes.En2002,leministredelasantéJean-FrançoisMatteiavaitréuniungroupedetravailayantpourmission«d’établirunétatdeslieuxpartagédesrelationsentre l’Étatet l’assurancemaladieetd’étudier lanaturedesmissionsdesdifférentsacteursdenotresystèmedesantéetd’assurancemaladie,avecl’objectifdefaireapparaîtrelesaxesd’unenouvellegouvernancedel’assurancemaladie»3.LerapportdeRolandeRuellan,char-géed’animercegroupedetravail,faisaitleconstatquelestentativesquis’étaientsuccédéesjusqu’alors pourmieux articuler les responsabilités (plan Juppé, tripartisme dans les négo-ciationsconventionnelles,objectifdedépensesdéléguées)n’avaientpasétécouronnéesdesuccès.Deuxansplustard,leministrealorsenposte,XavierBertrand,présentaitlaloide2004surlaréformedel’assurancemaladieencestermes:«L’enchevêtrement des acteurs concer-nés et des compétences entraîne une déresponsabilisation aux conséquences néfastes. Plus personne ne sait plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi et devant qui. (…) Il nous faut donc réorganiser en profondeur notre système en clarifiant les responsabilités de chacun des acteurs.»Laloide2004aeffectivementinstauréunenouvellegouvernance,renforçant les

1 LeCerclesanté innovation,sous ladirectionscientifiquedeJeandeKervasdoué.L’AssuranceMaladieest-elleencoreutile?Décembre2013.

2 InstitutMontaigne.Réanimerlesystèmedesanté–propositionspour2017.Juin2016.3 RuellanR.Rapportsurlesrelationsentrel’Étatetl’assurancemaladie-GroupedetravaildelaCommissiondes

comptesdelaSécuritésociale.Décembre2002.

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responsabilitésdel’assurancemaladietoutenlimitantlespouvoirsdespartenairessociaux.Elleaététrèsvitesuivied’uneautreloi(Hôpitalsantépatientsterritoires)quia,ànouveau,réorganisé lepaysageinstitutionnel,cettefoisenrenforçant lepouvoirdel’Étatetenconfiantauxagencesrégionalesdesanté(ARS)nouvelle-mentcrééesunpouvoirunifiédepilotagedusystèmedesantédanslesterritoires.

Cettecomplexitédupilotageest-elleunespécificitéfrançaise?Nosvoisinsont-ilsdes gouvernances plus simples, plus lisibles et globalement plus efficaces pourpiloterlesystème?Sansavoirl’ambitionderépondreàcettequestiondemanièreexhaustiveetapprofondie,cetarticleviseàdonnerunaperçud’autresschémasdegouvernanceetàmontrer lesdébatset lesdifficultésqu’ilssoulèventdans leurspaysrespectifs.

I-Unpilotageunifiéetsimpleexiste-t-il?I-1/ Rappel schématique des modèles de gouvernance Lessystèmesdesantédespaysdéveloppéssesontconstruitsavecdesmodèlesd’organisationdifférents,qu’ilestusueldeclasserselontroisgrandesfamilleshis-toriques:

lemodèleduservicenationaldesanté4,universel,financéessentiellementpar l’impôt, avec un accès gratuit des résidents à une offre de soinspublique;

lemodèledesassurancessociales,oumodèlebismarkien5,danslequell’assurancemaladieest liéeaustatutprofessionnel, financéepardescotisationsassisessurlessalairesetgéréepardescaissesadministréespar les partenaires sociaux, qui passent contrat avec des offreurs desoinsindépendants6 ;

lemodèlelibéraloùlaprotectioncontrelamaladiedelapopulationestfacultativeetassuréepardescontratsd’assuranceprivée.

Cesschémasorganisationnelssereflètentdansdesformesdegouvernancediffé-rentes,lessystèmesnationauxdesantéétantgérésparl’État,lessystèmesd’assu-rancessocialesparlespartenairessociauxetlessystèmeslibérauxparlemarché.

Cependant,cettelignedepartagehistoriqueentrelestroisfamillesnesuffitpas,àelleseule,àcaractériserl’organisationdesresponsabilités,etd’autresdimensionsimportantesentrentenjeuquinerecoupentpascettetypologie.Onpeutenciterdeux :

4 Appeléaussisystèmebeveridgien,dunomdelordWilliamBeveridge,pèrefondateurdusystèmebritannique.

5 EnréférenceàOttovonBismarck,chancelierallemandaumomentdelamiseenplacedusystèmeàlafinduXIXe siècle.

6 Dansplusieurspayseuropéenscesassurancessocialesontco-existé, jusqu’àunedate récente,avecdesassurancesprivéesfacultativespourlafractionlaplusrichedelapopulation

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ledegrédedécentralisation:decepointdevuel’AllemagneserapprochedesmodèlesnationauxdespaysscandinavesoudespaysduSud,avecunegestiontrèsdécentraliséedusystèmedesanté;àl’inverselaFranceetl’Angleterre, qui ont des systèmesde santé organisés différemment, partagentuneculturederégulationbeaucouppluscentralisée7 ;

lerôledesorganisationsprofessionnellesetleurimplicationdanslarégulationdusystème:ainsitoutenayantunsystèmed’inspirationbismarkienne,laFranceaunetraditionderégulationadministréeetunefragmentationdessyndicatsmédicauxquicontrastentaveclacultureallemanded’«auto-administration»parlanégociationcollective,allantdepairavecuneorganisationtrèsunifiéedelaprofessionmédicale8.

Mêmesicesélémentsnesontpaspropresausecteurdelasantéetrenvoientplusglobale-mentaufonctionnementdesinstitutionsdanschaquepays,ilsontévidemmentunimpactsurlagestiondessystèmesdesoinsetd’assurancemaladie.

Lapertinencedelatypologietraditionnelleestparailleursmiseàmalparlesprofondestrans-formationsdontcessystèmesontfaitl’objetdanslestroisouquatredécennies.Leurorgani-sationactuelleesteneffetsouventlerésultatd’unelonguetrajectoirederéformes,quilesaéloignésdumodèleinitialetabrouilléleslignesdepartagetraditionnelles.

Ainsicertainssystèmesbismarkiensontévoluéversunmodèlede«concurrenceorganisée»oùunepartiedesresponsabilitésdegestionestdéléguéeàdesassureursencompétition.LaversionlaplusaboutiedecemodèleestcelledesPays-Bas,oùuneréformemajeureaétémiseenœuvreen2006,aprèsplusieursétapesquisesontdéployéessurunepériodedevingtans.L’Allemagneasuiviunevoiesimilaire,maissansalleraussi loindansladélégationdegestionauxassureurs.Àl’inverse,l’Autricheagardélesinstitutionsetrépartitionsdespouvoirsdesonmodèleoriginel:lesgouvernancesdecestroissystèmesdetype«bismarkiendécen-tralisé»ontainsidivergé.

Delamêmefaçon,certainssystèmesnationauxontconsidérablementévolué,àcommencerparl’archétypedusystèmenationaldesantébritannique,quiafaitl’objetderéformessucces-sives,àunrythmesoutenu,depuislesannéesquatre-vingt.Cesréformesonteuencommundedonnerplusd’autonomieetderesponsabilitésàdesoffreursdesoins.Ladernièreendate,en2012,asupprimélesstructureslocalescrééesparlegouvernementtravaillisteprécédem-mentélupourconfierdespouvoirsétendusàdesconsortiumsdegénéralistes.CommepourlesPays-Bas,lagouvernanceesttrèséloignéeaujourd’huidecelledusystèmeoriginel.

I-2/ Des partages de responsabilités plus ou moins complexes dans tous les pays« L’assurance-maladie, un système d’une rare complexité et difficile à piloter»,titraitlejournalLeMondeenavril2004.L’idéeselonlaquelle«ilfautunpiloteunique»esttrèsrépandue:lesagencesrégionalesdesantéontétéd’ailleurscrééesaveccetteidéederassembler les7 MêmesienAngleterre,desresponsabilitésontétédécentraliséesàplusieursreprisesversdesgroupeslocauxde

médecins,etnotammentlorsdeladernièreréformede20128 HassenteufelP.Laprofessionmédicalefaceàl’État:unecomparaisonFrance/Allemagne:institutionnalisationde

lareprésentationetpolitiquedesanté.1994.

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responsabilitéssousunemêmeautorité,commelesouligneDidierTabuteau:« La loi HPST a parachevé le dispositif au niveau régional en confiant aux agences ré-gionales de santé (ARS) qu’elle a créées un pouvoir unifié de pilotage du sys-tème de santé dans les territoires, y compris pour la gestion du risque qui relevait jusqu’alors, par principe, des caisses d’assurance maladie. »9 Sanscontesterlebien-fondédecettevolontéd’unification,ilestintéressantdesedemandersicettenotiond’unpiloteuniqueconcentrantl’ensembledesresponsa-bilitéstrouveàs’appliquerdansd’autrespays.Ilapparaîtquepartout,lesresponsabilitéssontd’unemanièreoud’uneautrepar-tagéesentredifférentsacteurs.Danstouslespays,cetterépartitiondespouvoirsnevad’ailleurspassanssusciterdesdifficultésetdestensions,etleséquilibresévoluentaufildesréformes.AinsidansdesÉtats fédérauxayantmisenplacedesmodèlesassurantiels telsquel’Allemagne,laSuisseoul’Autriche,unecaractéristiquefondamentaledusys-tèmepolitiqueestlepartagedupouvoirdedécisionentrelegouvernementfédéral,lesgouvernementsterritoriaux(Länder, cantons)etlesorganisationsdelasociétécivile«auto-administrées»(notamment,pourlesystèmedesanté,lesassureursmaladieetlesprofessionnelsdesanté).EnAllemagne,laplanificationetlarégulationdesstructureshospitalièresainsiquelefinancementdesinvestissementshospitalierssontdelacompétencedesrégions(Länder)10,tandisquelescoûtsdefonctionnementsontsupportésparlescaissesd’assurancemaladie11.Unpouvoirimportantestdéléguéàcescaissesetauxorga-nisationsprofessionnellesetétablissements,quinégocientetcontractualisent,enapplicationduprincipe«d’auto-administration».Cetteorganisationavecunfinancementdualdeshôpitauxaconduitàune forteexpansiondescapacitésetdesdépenseshospitalières,lescaissesétantobligées,jusqu’auxréformesdesannéesquatre-vingt-dix,definancerlescoûtsdefonction-nementrésultantdesdécisionsd’investissementdesLänder.Elleaaussiinstauréunecoupureentrel’hôpitaletlaville,freinélevirageambulatoire12 et contribué à maintenirunsystèmetrèshospitalo-centré.LafragmentationdusystèmeestplusaccentuéeencoreenAutriche,oùlesLänderfinancentnonseulement les investissementsdeshôpitaux,maisaussi leursdé-pensesdefonctionnement;ilssontalimentéspardescircuitsdefinancementcom-plexes,combinantdesressourcesfiscalesdescollectivitésrégionaleset locales,desfinancementsallouésparleniveaufédéraletdesfinancementsprovenantdesassureurssociaux.Cesderniers,dontleprincipe«d’auto-administration»estga-rantiparlaconstitution,n’ontpasdecompétencessurlessoinshospitaliers,même

9 TabuteauD.« DuplanSeguinàlaloiHPST :lesévolutionsdelapolitiquedesanté », Les Tribunes delasanté,2010/5(n°HS1),p.37-51.

10 Ainsiquelasantépublique.11 Etàunmoindredegréparlesassurancesprivées,souscritesparenviron11 %desallemands.12 Leshôpitauxayantnotammentétélimitéspendantlongtempsàunestricteactivitéd’hospitalisation

complète,sanspossibilitédeprodiguerdestraitementsexternes.

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s’ilsenabondentlefinancement;enrevanche,ilssontresponsablesdessoinsdeville, chacun contractant avec les organisations professionnelles de façon indépen-dante.Desresponsabilitéssechevauchentparailleursentreleniveaufédéraletleniveaudesrégions,notammentdansledomainedessoinsdelongtermeouduhandicap.Lesys-tèmeautrichienapparaîtainsicommeayantunegouvernanceparticulièrementcomplexe,etoùlacoordinationville–hôpitalesttrèsdifficileàaméliorer.Plusieurstentativesderéformepourorganiserdifféremmentlesblocsdecompétenceontéchoué,etlasolutionfinalementadoptéeaétédecréerdesplateformescommunesentrelestroisniveaux,gouvernementfédéral,gou-vernementsrégionauxetassureurssociaux.Mêmesilagouvernanceestmoinscomplexedanslessystèmesnationauxdesanté,iln’yapasnonplusdepiloteuniquedèslorsqu’onestdansuncontextededécentralisationpolitiqueetadministrative,cequiest lecasaussibiendespaysnordiquesquede l’Italieoude l’Es-pagne.Larépartitiondescompétencesentreleniveaunationaletlescollectivitésterritoriales(comtés,communautésautonomes,régions,voiremunicipalités)aévoluédanstouscespays,avecdesmouvementsdedécentralisationmaisaussiderecentralisation.Carcetterépartitiondespouvoirsn’estpastoujourssimpleetposeaussidesproblèmesdecoordinationentrelesniveauxterritoriaux.Lacoordinationdespolitiquesrégionalesapparaît,parexemple,difficileenEspagne,oùladévolutionprogressive(septcommunautésautonomessesontvuesconfierlaresponsabilitédeleursystèmedesantédemanièreéchelonnéeentre1981et1994,puislesdixautresen2002)acréépendantlongtempsunsystèmehybride.LesbataillespolitiquesentrelespartisaupouvoirauniveaunationaletrégionalontfaitobstacleauxtentativesdecoordinationdespolitiquesparleMinistredelasantéetleconseilinterter-ritorialdusystèmenationaldesanté13,l’organedevantassurercettecoordination.L’absenced’interopérabilitéentrelessystèmesd’informationrégionaux,deregistresnationaux,d’harmo-nisationdespolitiquesvaccinalesou lesdifficultésdecirculationdespatientsentre régionssontquelquesillustrationsdesconséquencesdecettedifficultédecoordination14.

I-3/ Même des systèmes qui apparaissaient comme simples se sont complexifiésOnévoquesouventlecasdusystèmenationaldesantébritanniquecommeunexempledesystèmeoùlesprincipesdegouvernancesontsimples,laresponsabilitédel’Étatcentralétantclairementaffirmée.Sil’onselimiteauNationalHealthServiceanglais15,cetteassertionétaitsansdoutevalableilyaquelquesdécennies:unsystèmeadministrativementcentralisé,deshôpitauxnationalisés,sansautonomiejuridique,placéssouslecontrôlederégionssanitaires,unelignehiérarchiqueavecleMinistèrerenforcée,tellesétaientlescaractéristiquesdelagouvernanceduNHSàlafindesannéesquatre-vingt.Depuis,lesystèmeestenperpétuelleévolution,lesréformess’ysuccédantàunrythmerapide.

13 QuirassembleleMinistredelasanténationaletlesMinistresdelasantérégionaux.14 DuranAntonio.HealthsystemdecentralizationinSpain:acomplexbalance.EuroObserver,Volume13,Numéro1,

2011.15 IlesteneffetdevenudifficiledeparlerdusystèmeduRoyaume-Uni,carleprocessusdedécentralisationauniveau

desquatrenationsquilecomposent(l’Angleterre,lePaysdeGalles,l’Ecosseetl’IrlandeduNord)conduit leurssystèmesàdiverger,chacundecesÉtatsayantsapolitiquepropre.

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Unepremièretransformation,portéepar legouvernementconservateur,aviséàintroduiredavantagedeconcurrenceetderesponsabilitééconomiquepourdyna-miserunsystèmejugétropbureaucratique,inefficientetinsuffisammentàl’écoutedesbesoinsdesusagers.Le«purchaser-provider split », laséparationacheteur–offreurdesoins,estdevenueunepierreangulairedesréformes.Souslegouver-nementThatcher,des«généralistesgestionnairesdebudget»sesontvuconfierlaresponsabilitédefinancerlessoinsdespécialistesetlessoinshospitalierspourlecomptedeleurspatients,devenantainsides«acheteursdesoins».Leshôpitaux(qui fournissent lessoinsdespécialistesenAngleterre)sontdevenusdesstruc-turesautonomesetenconcurrenceentreeux.Cetteresponsabilité«d’achatdesoins»(commissioning)estrestéeprésentesousdesformesvariéesdanslesdifférentesréformes.En1997,legouvernementtra-vaillisterevenuaupouvoirlaconfiaàdesréseauxdemédecinsgénéralistesmail-lant le territoire ; ces « primary care trusts »(PCTs)sontdevenus,aufildesannéesetdesfusions,plusprochesd’administrationslocalesquedegroupesdemédecins,mêmesileursinstancesdegouvernancecomprenaientdespraticiensdeterrain.Laréformede2012aopéréunrevirementradical,ensupprimantces150struc-tures locales (PCTs)ainsique lesadministrations régionales,etenaccordant lepouvoird’« acheteur »directementàdesconsortiumsdecabinetsdemédecinegénérale,les«clinical commissioning groups »,àquisontdéléguésdesbudgetsconséquentspourfinancerlessoinssecondaires.L’idée àl’originede laréformeétaitsimple:alléger labureaucratie, lesadminis-trations intermédiaires, confier le pouvoir et le budget directement aux acteursconnaissantlemieuxlesbesoinsdelapopulation,c’est-à-direlesgénéralistes.Lagouvernancemiseenplaceaufinaln’apas,pourautant,lasimplicitédecetteidéedebase.Enparticulier, la réformes’est traduite par la créationdenombred’institutions :

àcôtéduMinistèredelasanté,quin’aplusqu’unrôled’orientationstra-tégiqueetnegèreplusdirectementlesstructuresduNHS,unorganismeindépendantaétémisenplace,leNHSEngland.Penséàl’origineavecunrôleréduit,cetinstitutaeufinalementdesresponsabilitéstrèséten-dues.Notamment il financeet organise l’offre de soins primaires, su-pervise lesClinical Commissioning Groups (CCGs), qui organisent etfinancentlessoinssecondaires,etleuralloueleurbudget.LeNHSEn-glandcomporteunestructurenationale,quatredirectionsrégionalesetenviron25équipeslocales;

confier la gestion de 65 milliards de £ à des groupes de médecinsn’ayantriend’évident,unevingtainede«commissioning support units » ont été créées pourlesaidertechniquementdanscettetâche,entraitantlesdonnées,enaccompagnantlesnégociations,lacontractualisation…Des « clinical senates », groupes d’experts de différentes disciplines médicales,lesconseillentégalement;

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lasantépubliqueaétédétachéeduNHSetconfiéeaux150collectivitéslocalesetàunenouvelleorganisationnationale,Public Health England ; auniveaudechaquecollectivitélocale, a été créé un « Health and wellbeing board»,comitéchargédepromouvoirunemeilleureintégrationentrelesservicesduNHS, lasantépubliqueet lesservicessociaux;cescomitésdoivent travaillerconjointementavec lesclinical commissioning groupspourproduireunestratégiecommune.Parailleurs,152entitésdeveillesanitairereprésentantlesusagersauniveaulocalontétéégalementmisesenplace,lesLocal Healthwatch ;

laréformeaparailleursmaintenudesinstitutionsantérieurementcréées,chargéesdesurveiller laqualité(Care Quality Commission)etderégulerlemarchéinterne(Monitor).Aufinal,lagouvernanceissuedelaréformede2012,quiportelamarqued’uncompromisentredécentralisationprofessionnelleetdécentralisationpolitique,maisaussid’une tensionentredécentralisationetcentralisation (avec lacréationdestructuresnationalespuissantes),apparaîtd’unegrandecomplexitéetplusfrag-mentéequ’auparavant.

II-Difficultésdepilotageettensionsnesontpasl’apanagedelaFranceII-1/ Questionnements et réformes dans les systèmes nationaux décen-tralisésDanslespayscaractérisésparuneorganisationpolitiquedécentralisée,larépartitiondespou-voirsdedécisionentre lesdifférentsniveauxdegouvernementn’estpas immuable,etdesréformesviennentàintervallesrégulierslamodifier.

Latendanceaétéàunedécentralisationcroissantedanslesannées1990.Ainsi,danscettepériode, lesdix-septcommunautésautonomesespagnoleset lesvingtrégionsitaliennessesontvuconfierlaresponsabilitédusystèmedesantédansleurterritoire.Ceprocessus,inscritdansunmouvementpolitiqueglobald’autonomisationdesrégions,s’estdérouléenplusieursétapes,avecunedécentralisationde lagestiond’abord,puisde laresponsabilitéfinancièrecorrélativementàl’accroissementdel’autonomiefiscale.L’Étatcentralaconservéunrôledecadragegénéraletdecoordination,quin’estpastoujoursaisécommeonl’avudanslecasdel’Espagne.

Avantcetteépoque, lespaysscandinavesavaientdéjàderrièreeuxunelonguetraditiondedécentralisation,àuneéchelle territorialebeaucoupplusprochedespopulationsquene lesontlesrégionsitaliennes,espagnolesoufrançaises:lescomtésenSuèdeouauDanemark(populationmoyennede350000à450000habitants),voirelesmunicipalitéspourlessoinsprimaires(enNorvège)oul’ensembledessoins(enFinlande).Aucoursdesannées1990,latendancedécentralisatrices’estrenforcée,notammentauDanemarketenSuède,oùdesblocsdecompétencesimportantsontététransférésdescomtésauxmunicipalités,commelessoinsde long termeauxpersonnesâgées,auxpersonneshandicapéesetauxmaladesmentauxstabilisés.

Maislesévolutionsrécentesdelagouvernanceonteuplutôttendance,àl’inverse,àrenforcerlepouvoirdedécisionduniveaucentral.Cette tendanceestperceptibledans lespaysnor-diques,maisaussienAllemagne,enItalie,enAustralieouenSuisse.

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EnNorvège,laréformede2002atransférélapropriétédeshôpitauxdescomtésaugouvernementcentral,quiestdevenu responsablede la fournituredessoinsspécialisés,etlescomtéssesontvusretirerleurscompétencesauprofitdecinqorganismesdesantérégionauxnouvellementcréés(réduitsàquatreen2007),quin’ontpasd’autonomiepolitiqueetsontsupervisésparleministèredelasanté.L’ob-jectifétaitd’améliorerlecontrôledescoûtsetlaproductivité,maisaussideréduirelesdisparitésterritoriales16.

En2007, leDanemarkamisenœuvreunetrèsimportanteréorganisationadmi-nistrative,avecd’unepartuneconcentrationdescollectivitésterritoriales(lestreizecomtésontétéremplacésparcinqrégionsetlenombredemunicipalitésaétéré-duitde271à98),etd’autrepartdeschangementsnotablesdanslarépartitiondestâchesauseindusecteurpublicdanois.Undesobjectifsétaitdecréerdesunitésadministrativessuffisammentlargespourgérerlessoinshospitaliers,etdemettrefinàunetropgrandedispersiond’établissements,jugéepréjudiciableàlaqualitédessoinsetsourced’inefficience17.Cetteconcentrations’estaccompagnéed’unrenforcementdel’autoritédupouvoircentral:uneloidestabilitéfinancièreencadrel’autonomiefiscaledescollectivitésterritoriales,etlesinvestissementshospitalierssontdésormaisfinancésparleniveaunational,dontl’autorisationconditionnetouteopérationderestructurationhospitalièreprévueparlesrégions18.

Danscesdeuxpays,onobservedoncunmouvementdecentralisationdelages-tiondessoinshospitaliers19.

Des éléments de consolidation nationale apparaissent également présents enSuède, notamment en termesde supervisionet deguidancedespolitiquesdescomtésparlepouvoircentral20.

De lamêmemanière,mêmesi laSuisse resteunsystème trèsdécentraliséauregarddebeaucoupd’autrespays,latendanceestàuneréductiondespouvoirsdescantons.Lapremièreconstitution fédéralede1848 limitait lescompétencesfédéralesauxmesuressanitairesencasd’épidémie.Depuis,presque toutes lesréformessesontde fait traduitesparun transfertdespouvoirsde régulationauniveaufédéral,souventenréponseàdesproblèmesnécessitantunecoordinationaccrue.

AinsilaloiLAMalde1996,quiarendul’assurancemaladieobligatoire,aétéuneétapeimportanteversplusdecentralisationetd’harmonisation,avecunedéfinition

16 OCDE. Examensterritoriauxdel’OCDE:Norvège.2007.17 TerkelChristiansen,KarstenVrangbæk.HospitalcentralizationandperformanceinDenmark–ten

yearson.COHEREdiscussionpaperNo.7/201718 RichardB.Saltman,KarstenVrangbaek, Juhani Lehto andUlrikaWinblad.Consolidating national

authorityinNordichealthsystems.Eurohealth,Vol.18,No.3,2012,pp21-24.19 Enparallèlecependant,descompétencesaccruesontétéconfiéesauxmunicipalitésenmatièrede

préventionetdepromotiondelasanté.20 EnFinlandelagestiondusystèmedesantérestedécentralisée,mêmesiunetendancesimilaireàla

concentrations’observe(suppressiondel’échelonadministratifdesprovincesen2010,réductiondunombredemunicipalités).

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centraliséedescontenusdescontratsd’assurance.En2002,laresponsabilitédelamisesurlemarchédesproduitsdesantéaégalementététransféréeauniveaufédé-ral,ainsiquelastandardisationdesqualificationsdesprofessionnelsen2007.En2009,obligationaétéfaiteauxcantonsdecoordonnerleurplanificationdesserviceshautementspécialisés,pourassureruneconcentrationsuffisante.Depuis2014,lessoinsprimairessontexplicitementmentionnésdans laconstitution fédéralecommeétantundomainedeco-res-ponsabilitéfédéraleetcantonale.C’était lapremièrefoisqueleniveaufédéralétaitreconnuconstitutionnellementcommeayantuneresponsabilitédanslafournituredessoins.Lamêmeannée, lescompétencesduniveau fédéralconcernant lasupervisiondesassureursontétéaccrues,etsespossibilitésd’interventionrenforcées.Ilestégalementdeplusenplusimpliquédanslaqualitédessoins21.

II-2/ Le difficile déplacement de la régulation dans les systèmes gérés par des assureurs en concurrenceUnautremodèledegouvernancequiaémergédanscertainssystèmesd’assurancesocialeconsisteàtransférerunepartiedesresponsabilitésderégulationdusystèmedesoinsàdesassureurssantéquisontenconcurrence.C’est auxPays-Bas que l’on trouve la forme la plus aboutie de cette transformation.C’estmêmeen réalité leseulpaysquiamisenœuvreune réelledélégationdegestionauxas-sureurs:enAllemagne,enSuisse,enBelgique,l’essentieldelarégulationresteauxmainsd’autoritésoudestructurespubliques22. Unteltransfertdecompétencesn’aeneffetriend’évident,et laréformenéerlandaiseaétéd’ailleurstrèsprogressive:elleaétépréparéeparvingtansdedébatsetd’étapespréalablesavantsamiseenœuvreen2006,etmêmesicettedateamarquéeffectivementuneruptureradicale,ellecontinuedepuisàêtreunprocessuspermanentd’évolution.Onest loinde lasolution«clésenmains»que l’onprésenteparfoisdans lesdébatssur lesalternativesaumodèlefrançais.Leproposn’estpasicidefairelebilandecettetransformation,assezuniqueenEurope,surl’efficacité,laqualitéetl’équitédusystème,maisdesecentrersursonimpactentermesdegouvernance.L’argumentmajeurenfaveurd’unmodèledecetypeest l’idéeselon laquelle lesassureurssontencapacitéd’exercerunefonction«d’achatdesoins»demanièreplusefficacequ’unrégulateurensituationdemonopole,avecpourrésultatunmeilleurrapportqualité/prixpourl’usager.Cecisupposequ’ilsaientdeslevierspourcela,etnotammentqu’ilsaientlacapacitédenepascontractualiseraveccertainsprofessionnels,denégocierlesprix,etc.Lacontractualisationsélective23aétéd’embléeautorisée,maiselleresteenpratiquetrèslimi-téeaujourd’hui.Lesassureursonteuégalementassezrapidementlacapacitédenégocier les

21 DePietroC,CamenzindP,Sturny I,CrivelliL,Edwards-GaravogliaS,SprangerA,WittenbecherF,QuentinW.Switzerland:Healthsystemreview.HealthSystemsinTransition,2015;17(4):1–288.

22 ThomsonS,BusseR,CrivelliL,VandeVenW,VandeVoordeC.StatutoryhealthinsurancecompetitioninEurope:afour-countrycomparison.HealthPolicy109(2013)209–225

23 C’est-à-direlapossibilité,pourchaqueassureur,denepaspasserconventionavectouslesmédecinsoutousleshôpitaux.

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prixdesproduitsdesantéetontd’ailleurseu,audébutdelaréforme,desrésultatsassezspectaculairesdanscedomaine(notammentparexempleenmatièredeprixdesgénériques).Lapossibilitédenégocierlibrementlestarifsaveclesproducteursdesoinsaétéplusprogressive;ainsiàl’hôpitalelleaétélimitéeaudébutà10%dubudgethospitalier,puiscepourcentageaétéaugmentéà20%en2008,34%en2009,70%en2012.

Cetteévolutiondelagouvernanceetcetransfertderesponsabilitésàdesopéra-teursprivésrestecependant,dixansaprèslaréforme,trèscontroversés.Ilyad’ail-leursdesmouvementsinverses,l’Étatreprenantparfoislesrênesdelarégulation.Ainsilecontrôledesprixpourlessoinsdentaires,abandonnéen2012pourlaisserlesassureursnégocier librement leurs tarifs, aété réinstauréensuiteauvudesforteshausses tarifairesobservées.Lesassureursnégocient lesprix,mais l’Au-toritédesantéafixéuntarifhorairepourlesspécialistesenpratiquelibérale.Parailleurs,toutenlaissantlesassureursgérerlerisque,l’Étatacontinuéàimposerunplafondannuelglobaldedépenses(macro-budget),etpourrenforcersoncontrôledanscedomaine,laloiluiadonnélapossibilitéd’écrêterlesrevenushospitalierssilebudgetglobalpourl’hôpitalétaitdépassé;pouréviterd’enarriveràcettesolu-tion,leMinistèreasignéaveclesassociationsd’assureursetd’hôpitauxunaccordcollectifdemodérationdesdépenseshospitalières,quiaétéreconduitensuite:onrevientdonc fondamentalementàdesnégociationscollectives, instrumentsclas-siquesderégulationutilisésantérieurement,etquiviennentdoublonnerlesrèglesinstauréesparlaréformefondéesurlaconcurrence.

Cesquelquesexemplesillustrentbienlefaitqu’unteldéplacementdelagouver-nancedusystèmedesanténevapasdesoi:c’estunprocessuscontinu,avecdesmouvementsd’aller-retour,etnonexemptdetensionsentrelesacteurs. L’État est souventtentéd’intervenirau-delàdurôlequelaréformeluiaconférédegarantdesvaleursetducadredanslequels’exercelaconcurrence,d’orientationgénéraleetdesupervision.Illefaitd’autantplusquelescontroversessurcettenouvellegou-vernancerestentvives:l’imagequ’enal’opinionpubliqueestessentiellementcelled’unrapportdeforcesentreassureursetprofessionnelsdesanté,etlaconfiancequ’ontlesassurésdansleuropérateurd’assurance,quienprincipenégociepourleurcompteaveclesproducteursdesoins,s’estbeaucoupérodéeaufildesan-nées24.Certainespropositionsdeloivisantàcompléterlaréformeontd’ailleursétérejetées25.

24 Notammentunepropositionvisant,pouraccroîtrel’incitationdesassureursàsélectionnerlesoffreursdesoinsaveclesquelsilscontractualisent,àabandonnerleurobligationdefinancerà75%lessoinsdes offreurs hors contrat.

25 MaarseH, JeurissenP,RuwaardD.Results of themarket-oriented reform in theNetherlands: areview.HealthEconPolicyLaw.2016Apr;11(2):161-78.

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Decetterevuerapidededifférentsmodèlesetdeleursévolutionsrécentes,onpeutdégagerquelquesréflexions.

D’unepart,iln’existepasdegouvernancesimple;lessystèmessontplusoumoinscom-plexes,maislesacteursquiinterviennentdanslechampdel’assurancemaladieetdelasantésonttoujoursmultiples,etdesdébatsréguliersontlieu,commeenFrance,surlarépartitiondescompétences.

Onnesaitd’ailleurspassiunpilotageunifiéconstituerait,ensoi,unegarantiedemeilleureefficacité dans la régulation du système.Certains pays ont, au contraire, considéré qu’unepluralitéd’acteursayantunedélégationdegestiondusystème (qu’il s’agissed’unedécen-tralisationprofessionnelleenAngleterreoud’opérateursd’assuranceauxPays-Bas)étaitdenatureàaméliorerleservicerenduauxusagers,plusquelarégulationparuneadministrationpubliquemonopolistique.Cedébatnepeutguèreêtretranchéobjectivement,fauted’évidencescientifique,etrestelargementidéologique.

D’autrepart,aucunegouvernancen’apparaîtdenatureàrésoudredefaçonsimplel’ensembledesdéfisauxquelssontconfrontésnossystèmesdesanté,dequalité,d’équité,d’efficience,desoutenabilitéfinancière.Lagouvernanceestdonctoujoursenchantier,toujoursrevue,avecdeséquilibresdepouvoirdynamiques,enfonctiondesalternancespolitiquesmaisaussidesquestionsquiarriventdefaçonprioritaireàl’agendadespolitiquespubliques.

Decepointdevue,silagouvernanceactuelledechaquepaysportelamarquedesatrajec-toirehistorique,desesinstitutionsetdesaculture,onnepeutqu’êtrefrappéparl’importancedestransformationsquionteulieudanscertainsd’entreeuxdanslesdixouvingtdernièresannées.

C’estpeut-être,plusquelarecherched’unegouvernanceidéalequin’existepas,cettecapa-citéàévoluer,àaccepterderéformerprogressivementlesmodèlesderégulationetlesmoda-litésdetravaildesacteursquilamettentenœuvre,quipeutconstituerunchemindeprogrès.

Faut-ilpourautant,pourstimulercettecapacitéd’innovation,changerrégulièrementdegou-vernance,commeleservicenationaldesantébritanniquel’afaitdanslestroisdernièresdé-cennies?LeNHSaétéindéniablementàl’originedenombreusespratiquesinnovantesdanslarégulationdusystème,etpeut-êtreceschangementslesfavorisent-ellesenévitantdefigerlessituations.Maisà l’inverse, lesréorganisations institutionnellesconsommentunegrandeénergiedesacteurs,quipendantcetemps-làn’estpasmisedansl’améliorationdesoutilsetdespratiquesdegestiondusystème.Ledébatrestedoncouvertsurcepoint…

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2ÉTUDES ET RECHERCHE

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Uninvestissementsocialdel’assurancemaladie:laPFIDASS. Chronique d’une expérimentation en voie de généralisation d’un dispositif local d’accès aux soinsPar Christian Fatoux, Directeur de la CPAM du Gard

Christian Fatoux, Directeur de la CPAM du Gard depuis 2007, est en charge du co-pilotage de la généralisation de la PFIDASS.

LebaromètredurenoncementauxsoinsdansleGardatroisans:lenuméro46delarevueRegardss’enétaitfaitl’écho1etavaitrelatécetterechercheaction,menéeavecleschercheursde l’ODENORE2, qui a conduit laCPAMduGard à expérimenter un dispositif de prise enchargedessituationsderenoncementauxsoins,aujourd’huienvoiedegénéralisationauseindu réseau.

Leprésentarticleseproposederevenirsurlecheminparcourudepuisseptembre2014,enanalysant lescaractéristiquesmajeureset ledevenirpossibled’undispositifqui interroge laculture,lespratiquesprofessionnellesetlepositionnementterritorialdel’Institution.

I-Lesgrandesleçonsdudiagnosticd’uneréalitésocialesous-estiméeLaPlateformed’InterventionDépartementalepourl’AccèsauxSoinsetàlaSanté(PFIDASS)ouvrele17novembre2014,àl’issued’undiagnosticapprofondivisantàéclairerlephénomènedurenoncementauxsoinsdansleGard.Lesrésultatsdecediagnostic,résumésdansl’articleprécédemmentcité,sontconfirmés,aucoursdelapériodequisuit,tantdanslesautresdépar-tementsdel’anciennerégionLanguedocRoussillon(avril2015)quedanslesvingt-et-undé-partementsquiexpérimententen2016laPFIDASSetdansceuxquiselancentdansl’aventureenmars2017.Ilsmettentenévidencequelerenoncementauxsoinsn’estpasunphénomènemarginal:plusd’unquartdelapopulationenquêtéedéclareavoirrenoncéàdessoinsaucoursdesdouzederniersmois3.Lesanalysesd’unegranderichesseproduitesparleschercheursdisentlesravages,surlespersonnes,decetteimpossibilitéderecevoirlessoinsnécessaires1 Lerenoncementauxsoins,unenjeupourl’assurancemaladie.Elémentsderéflexionissusd’uneétudemenéepar

laCPAMduGard,revueREGARDS,n° 462 ODENORE:observatoiredesnonrecoursauxdroitsetauxservices3 «65 357assurésdurégimegénéralde43départementsontétéinterrogésàladatedu1erjuillet2017danslecadre

dudiagnosticdénommé«baromètredurenoncementauxsoins»,depuissacréationen2014.17624d’entreeuxontdéclaréavoirrenoncéàunouplusieurssoinsaucoursdesdouzederniersmoiset/ouêtretoujoursensituationderenoncementaumomentoùilsontétéenquêtés.Letauxglobalderenoncementauxsoinsmesuréestainside27%.»HélénaRevil(ODENORE/PACTE/CNRS),Août2017.

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entermesdeconséquencessanitaires,sociales,familiales,professionnelles,psy-chologiques4.

Lematériauainsirecueilliparl’AssuranceMaladie,uniqueparsarichesseetsonampleur,appelleplusieursremarques:

Lesrésultatsquantitatifsdecesdiagnosticsvarientgéographiquement,mais confirment, quel que soit le département concerné, le caractèrenonrésidueldurenoncement:auseind’unemêmerégiontrèsmarquéepar le chômage et la précarité, le Languedoc Roussillon, le taux derenoncement aux soins, légèrement supérieur à30%,est quasimentidentiqueentre lesdépartementsde l’Hérault,duGard,desPyrénéesorientales. Ces données sont conformes aux résultats des enquêtesdes grands instituts nationaux, dont la publication régulière dans lesmédias, comme toutedonnée statistique, senoie rapidement dans leflotquotidiendesinformationsgénérales.Ellesont,ici,unetouteautreportée : les questionnaires ont été réalisés en face-à-face, par lesprofessionnelsdescaisses,auprèsdesassurés,lorsdeleurvisiteàlaCPAM.Dès lors, les résultats,par leurgravité, interpellent l’Institutiondanssonfonctionnement,danssaconnaissancedespublicsqu’elleapourmissiondeservir,danslecontenuduservicequ’ellerend,danssoncœurdemétier.L’ampleurduphénomènedurenoncementmesuréeparlesdiagnosticsa,bienentendu,unimpactdéterminantsur ladécisiond’’apporterdesréponsesetsurleniveaudecesréponses:dessuitesauraient-elles été données si ce taux avait été de l’ordre de5%parexemple?

Ladimensionqualitativedumatériaurecueillirésidedanslesanalysesdeschercheursmaisaussidansleshistoiresdevie,danslesexpressions,les mots des personnes enquêtées, rapportés dans les synthèsesd’entretiens;elleconstitueleterreauquiafécondél’action,enadonnéle sens et dessiné les contours.

Cetapportdeconnaissancesapermisànombred’acteursdel’AssuranceMaladie de faire le cheminement nécessaire pour s’approprier uneréalité sociale que la plupartméconnaissaient, ou sous-estimaient ouconsidéraienthorschampdecompétence;pourd’autres,l’idéemêmed’empruntercecheminn’estpasencorechoseacquise:malgrélarigueurscientifique des travaux de l’ODENORE et les évaluations probantesdes premières expérimentations de la PFIDASS, ils considèrent queles réponses traditionnelles, à savoir les aides d’action sociale, lesinterventions des services sociaux, des CCAS, du secteur associatif,suffisent.Cettepositionaétédominanteauseindel’Institutionjusqu’autournantqueconstitue,enoctobre2015,ladécisionduDirecteurGénéral

4 Cf. lebaromètredu renoncementauxsoinsdans leGard,PhilippeWarin,CatherineChauveaud,septembre2014.

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delaCNAMTSd’expérimenterledispositifgardoisdansunevingtainedeCPAM.

Enfinetsurtout,commentnepasconcluresurlefaitquecediagnostics’achèveaufinalsurunconstatsévère:auxportesdusystèmedesantéleplusenviéaumonde,desmillionsde français rencontrentdesdifficultés,dont lescausessontdiverses,pouraccéderauxsoins,voirereportentourenoncent,malgréunensembledemesureslégislativesetrèglementairesvisantàleverlesfreinsàl’accès,malgréles politiques d’accès aux droits et aux soinsmises enœuvre par les différentsopérateursdontl’AssuranceMaladie.Qu’estdevenunotresystèmedesoinsaufildesannées?A-t-ilfaitdenombredenosconcitoyensdesexclusdelasanté5 ?

II-Enréponseaudiagnostic,l’émergenced’undispositifinnovant.Lebaromètredurenoncementauxsoinsdans leGard,endécrivant lescaractéristiquesdurenoncement aux soins, apermisdedéfinir lesdeuxgrandsprincipesd’action sur la basedesquelss’ouvre,àlaCPAMduGard,le17novembre2014,laPlateformed’interventiondé-partementalepourl’accèsauxsoins:

Repérerlessituationsderenoncement:ilfauteneffet«romprelaloidusilence6», qui masque la réalité du renoncement aux soins : les personnes concernéesn’exprimentpasspontanémentleursdifficultés,niàleurmédecin,niàleurcaissed’assurancemaladie,siellesnesontpasinvitéesexplicitementàlefairelorsd’unentretienaucoursduquelunerelationdeconfianceapus’instaurer.C’estlaraisonpour laquelle l’organisation du repérage fait appel aux professionnels médico-sociaux en contact avec la population, à commencer par ceux de l’AssuranceMaladie. Ces professionnels, formés pour intégrer progressivement le repéragedans leurspratiques,proposentauxpersonnesconcernéesunaccompagnementparlaPFIDASS,danslamesurebiensûroùilsestimentqu’ilestnécessairepourcompléterutilementleurpropreintervention.L’expression«repérage»pourqualifiercettephaseessentielleestd’ailleursréductrice:ilnes’agitpasseulement,pourleprofessionnel, de repérer le renoncementauxsoins,maisaussideprésenteraurenonçantl’offred’accompagnementpersonnalisédelaPFIDASSet,afinderendrepossiblelasaisinedudispositif,d’obtenirsonconsentementexplicite.

Guider de bout en bout la personne, selon sa capacité d’autonomie face auxdémarchesadministratives et la relancer autant quedebesoin pour aboutir à laréalisationeffectivedessoins:l’actionpubliquenecessequelorsquecetobjectifest atteint, ou bien lorsque la personne a décidé d’elle-même de mettre fin àl’accompagnement.Cetteguidance7,quiportesurl’accèsàl’ensembledesdroitset

5 «Lespersonnesquirenoncentàdessoinsvoientleurdroitàlasantéenpartienonréaliséetseretrouventdoncdansunesituationd’exclusionpartielleauregarddeladéfinitionquedonneleConseilNationaldespolitiquesdeluttecontrelapauvretéetl’exclusionsociale»,PhilippeWarin,CatherineChauveaud,op.cit.

6 RevueREGARDSn°46,lerenoncementauxsoins,unenjeupourl’assurancemaladie7 «Lanotiondemanquedeguidancerenvoieaumanquedevigilance,d’incitationetd’accompagnementdelapart

desprofessionnelsdesantécommedesprofessionnelsdel’administratifetdusocial»PhilippeWarin,CatherineChauveaudleBaromètredurenoncementauxsoinsdansleGard,septembre2014.

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services,surleurbonusage,surl’accèsàunecouverturecomplémentaireadaptéeàlasituationdelapersonne,surlefinancementdessoins,surl’orientationdanslesystèmedesoins,estassuréeencontinu,surtouteladuréedel’accompagnement,parl’équipedelaPFIDASS,interlocuteuruniquedurenonçant:c’est laconditiondel’instaurationd’unerelationdeconfiance.

Troisannéesplustard,prèsde4000situationsderenoncementauxsoinsontfaitl’objet,dansleGard,d’unesaisinedudispositifparleréseaudes500profession-nelspotentiellementdétecteurs.Lerésultatleplussignificatifdecetteexpérimen-tationrésidetrèscertainementdansleconstatquelatotalitédessituations8prisesenchargeonteupourissuelaréalisationdessoins,cequiconstituaitl’incertitudemajeurelorsdudémarragedel’expérimentation;ainsileséquipesdelaCPAMontsutrouverdesréponses,quin’étaientpasécritespréalablement,chaquesituationétantsingulière,pourleverlesfreinsdetoutenatureàl’accèsauxsoins,enmobi-lisantlesressourcesinterneset,parfois,ensollicitantlesprofessionnelsdesantépublicsouprivés.

Lapremièreannée,l’année2015,aétécelledelamontéeenchargedelaplate-forme,celledesaco-constructionparl’ensembledesacteursquisesontengagésdans leprojet.Uneannéefaitede« tâtonnements,dedoutes,d’avancéesetderéussites »9.Elleaétél’annéeaucoursdelaquelleuninvestissementconsidérableaétéconsentipourconcevoiretmettresurpiedl’organisation,constitueretformerl’équipe,puisprofessionnaliserlespratiquesd’accompagnementenformalisantlesprocéduresetendéveloppantunlogicieldegestiondessituations10.Grâceàcetinvestissement,leportageultérieurdelaPFIDASSdansd’autresorganismesserafluideetrapide.

Dès la findupremier semestre 2015, unepremière évaluationde l’efficacité dudispositifestconfiéeàl’ODENORE.Ilimportaiteneffetdesedonnerlapossibilitésanstarderd’unregarddistanciésurunedémarcheàl’issueincertaine,pourap-porterlesajustementsnécessairesdansl’organisationetlespratiquesetprouver,scientifiquement,l’utilitésocialeduservicedanslaperspectivedesonextensionàd’autresorganismes,conditiondesasurvie.Entremarsetoctobre,desentretiensauprèsd’assurésaccompagnésparlaPFIDASSmettentenévidencedesimpactsdépassantsouventlesattentes:

Unerelationnouvelles’instaureentrelaCPAM,désormaisàl’initiativedu premier contact, et les personnes, qui apprécient qu’enfin elle

8 Àl’exceptiondessituationsayantdonnélieuàunabandondel’accompagnementdufaitdel’assuré.9 H.Revil,ODENORE,Regardsurundispositifexpérimentaldedétectiondurenoncementauxsoins,

mars201610 L’applicatifOGEDAS(outildegestiondel’accèsauxsoins)tracel’ensembledesinteractionsentreles

accompagnantsetl’assuré;ilestaussiunoutild’assistanceàl’accompagnement.Ilgèreunebasededonnées,uniqueenFrance,particulièrementriched’informationssurlerenoncementauxsoins.OGEDASarendupossiblelatransférabilitédudispositifgardoisdansleréseaudesCPAM;

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s’intéresse à leurs difficultés d’accès aux soins, que leur interlocuteursoitbieninformédeleurdossier,qu’ildisposedepossibilitésdesolutions,etprennetout letempsnécessairepourexpliquer lamarcheàsuivre;alorss’établitprogressivementunclimatdeconfiance.«Globalement, les assurés ont le sentiment d’être entendus, voire reconnus »11.

Une fonction de coordinateur relais voit le jour : l’accompagnant PFIDASS«constitue,dupointdevuedespersonnes,unrelaisefficacepour interpeller lesautresorganismesou lesprofessionnelsde santé en casdebesoin... Làoù lespersonnes peuvent avoir des craintes à frapper à certaines portes ou dumal àobtenirdesréponses,l’accompagnantpeutlesrelayeretfaireenoutreavancerleurdossierplusrapidement»12.

Desgainsobjectifsetsubjectifs ressortentde l’accompagnement :c’estbiensûrd’abord et avant tout la réalisation des soins, fréquemment longtemps attendue,maisaussi l’attributiondesdroitsàunecouverturesocialecomplète, l’explicationdel’usagedecesdroits, l’aideauchoixd’uncontratdecomplémentairesanté,lalevéedesfreinsfinanciers,l’orientationdansleparcoursdesoins.Au-delàdecesgainsobjectifs, lespersonnesexprimentlesconséquencesdel’accompagnementsur leurviequotidienneetcombien,pourcertains, il leurapermisderemettre lepiedàl’étrierpourreprendredesdémarchesadministrativesetdesoins(«çam’afait rebondir », « j’ai eu un coup d’accélérateur »13),pourd’autresl’importantserad’avoiridentifiél’existencedecettepossibilitéderecoursencasdedifficultés,quiles sécurise, d’autresenfindiront avecémotionavoir retrouvé leurhonneur, leurdignité,leurfierté.

Àaucunmoment,latrèsforteutilitésocialedudispositifneferaquestion.

Auseindel’AssuranceMaladieduGard,dèslorsquel’étapeconsensuelledudiagnosticaétéfranchieetqu’estvenuletempsdel’actionaveclacréationdelaPFIDASS,sontapparuesdepremières interrogationssur l’impactdunouveaudispositifsur lesmétiers :agentd’accueil,assistantsocial,médecinconseil,médecinducentred’examensdesanté.Lesfrontièresentrecesmétiers, et donc les coopérations entre les services concernés,CPAM, service social,servicemédical,centred’examensdesantésontquestionnées.Desréservesontpuêtreex-priméestantpardesprofessionnelseux-mêmes,quepardescadresetdesdirigeants;cesréserves,quiseconfirmerontdansd’autresorganismeslorsdelagénéralisation,nontotale-ment levéesà l’heureoùs’écriventceslignes,serésoudrontaufildutemps,confrontéesàl’évidencedesréalitéssocialesmisesenlumièreparleschercheursetàl’ardenteobligationdetrouverdesréponsesquinepeuventêtrequeco-construitesentrelesdifférentescomposantesde l’assurance Maladie.

11 N.Blanchet,ODENORE,évaluationencontinudelaPFIDASSduGard,Novembre2016.12 H.Revil,op.cit.13 N.Blanchet,op.cit.

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Les agents d’accueil sont au cœur de la démarche et les plus affectés par lesimpactsdelaPFIDASSdansl’exercicedeleurmétier.Eneffet,lesaccueilssontleslieuxdeplusfortedétectiondessituationsderenoncement.L’intégrationdeladétectiondansleurspratiquess’estdéployéelentementmaissûrementaucoursdestroisannéessuivantl’ouverturedelaplateformegrâceàlaconjonctiondetroisfacteurs :

Les agents d’accueil gardois avaient une expérience de plusieursannéesd’unepostured’accompagnementdesassurés,dedétectiondesituations sensibles; le repérage des difficultés d’accès aux soins estvenuprolongerlogiquementdesmissionsetposturesconnues.

Des formations approfondies ont été le déclencheur de l’engagementdesagentsdansladémarche:ellesontlevélesréticencesàaborderlaquestionintimedelasantédanslesentretiens,pourlaquellelesagentsnesesentaientpaslégitimes.

Lesmanagersontsoutenuconstammentetefficacementleurséquipeset réussi avec talent le passage du volontariat de quelques-uns àl’ardenteobligationpourtous.

Lemétier du service social est questionné par la création de laPFIDASS et la proximitéapparentedesesinterventionsaveccellesdelaplateforme.Auregarddesinquiétudessoulevéesicietlà,ilfautreleverquemoinsde3%des4000per-sonnesayantsaisilaPFIDASSdansleGardfaisaientl’objetd’unsuiviparunser-vicesocial.Eneffet,dessituationsdeviesusceptiblesdegénérerdurenoncementauxsoinspeuventserencontrerdanslaplupartdescouchesdelapopulation,sanspourautantqu’elles justifient l’interventiond’un travailleur social.L’accompagne-mentdontilesticiquestionrépondàunbesoindeguidanceadministrative,danslebutd’aboutiràunrésultatconcret, la réalisationdessoins ; il faitappelàdescompétencesrèglementaires,uneconnaissancedusystèmedesoins,desinterve-nantsmédico-sociaux,despossibilitésdefinancement,etàunecapacitéd’écoutebienveillanteautantqu’àunsavoir-fairepourmobiliser lesressourcesinternesetexternes.Ilsedéroulesurplusieurssemaines,voireplusieursmois14.Sousréservedeformationsadaptées,ilsetrouveparmilespersonnelsadministratifsdesorga-nismes,desprofessionnelsdisposantdupotentielpourréussirdanscettemission.Poursapart, leservicesociala,austadeactueldelaréflexion,undoublerôle:celuidecontribueraurepéragedessituationsderenoncement,puisdesaisir,lecaséchéant,laPFIDASScommeoutilcomplémentairedesapropreintervention,etdeprendrelerelaisdesaccompagnantsPFIDASSlorsquelasituationdespersonnesaccompagnéesappelleunsuivisocial.Samissionpourraits’élargir,etconsisteràgarantirl’inclusionsanitaire,socialeetadministrativedurabledesbénéficiairesdelaPFIDASS,lafinalitédudispositifconsistantcertesàpermettreauxpersonnesde

14 Laduréemoyenned’unaccompagnementen2016s’établitàunecentainede jours;cettedurées’explique notamment par les délais liés à l’adhésion à un organisme complémentaire, lorsquel’assuré n’a pas de complémentaire santé et surtout par les délais d’obtention de rendez-voussuccessifsauprèsdeprofessionnelsdesantéetderéalisationdessoins.

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fairefaceàuninstantTàleurrenoncement,maisaussiàprévenirlasurvenuedenouvellesdifficultésd’accèsauxdroitsetauxsoins.Decepointdevue,l’évaluationréalisée par l’ODENOREmontre que « l’accompagnement a permis à une partie des personnes de disposer de clefs pour utiliser le système de santé et pour éviter de se trouver à nouveau en difficulté pour accéder aux soins »15.Cependant,aucunsuiviultérieurdesper-sonnesprisesenchargen’aétéàcejourpensé,l’actionrestantcentréesurunrésultatdecourtterme,laréalisationdessoins.Cechampdusuivi,surladurée,dupublicaccompagné,restedoncàinvestir,afinquel’interventiondel’AssuranceMaladieneselimitepasàtraiterdesdiffi-cultésponctuellesd’accèsàdessoins,etméconnaissedessituationspersistantesd’incapacitéàutiliserlesystèmedesanté.LeservicesocialpourraitapporteruneréellevaleurajoutéeàlaPFIDASSens’investissantdansunetellemission.

Desquestionsd’uneautrenaturetraversentleservicemédical:lamissiondecontrôledumé-decinconseilest-ellecompatibleavecunepriseencomptedesdifficultésd’accèsauxsoinsetunesaisinedudispositif,peut-ildonnerunavisd’expertsurlajustificationmédicaledeproposi-tionsthérapeutiques,intervenir,encomplémentaritédesaccompagnantsPFIDASS,auprèsdeconfrèresmédecinstraitantssurdessituationsspécifiques?Danslaphaseexpérimentale,larelationdeproximitéentreacteurslocauxadministratifsetmédicauxafavorisédesavancées,quiontinspiréuneévolutiondela«doctrinenationale»,sanspourautantquesoientlevéestouteslesréserves.

Il faudra du temps pour dépasser les cloisonnements institutionnels, pour que les acteursinternes, dans leurs différences, intériorisent la nouvelle ambition de l’Assurance maladie,prennentlamesuredelaconfiancequ’elleleurtémoigneenaffirmantquelapolitiqued’accèsauxsoinsqu’ellepromeutsejoueaussietsurtoutaulocal,auplusprèsdespersonnes.Ledéfivaconsister,pour lesdirigeants,à intégrerdansl’exercicedesdifférentsmétiersaucontactaveclesassurés,agentsd’accueil,travailleurssociaux,médecins…lerisquederenoncementaux soins, à faireémerger undroit à l’accompagnement, et à réussir unecomplémentaritéefficienteentreprofessionnels.

Ladynamiquedeladémarchegardoisereposeaussisurleslienstissésavecdenombreuxintervenantsdumondemédico-social : leConseil départemental, laMutualitéFrançaise, leCHU, laCAF, l’ARS,certainsCCAS, les représentantsdesprofessionnelsdesanté,…ontcontribuéauprojetdèslaphasedediagnostic,ontpartagélesanalysesavecleschercheurs,sesontengagésdanslaPFIDASSentantqu’acteursdurepérage.Làaussi,untempslongseralaconditiond’unecontributionfructueuseetpérennedespartenairesetilneseraitpasréalisted’attendrede leurpart leniveaud’engagementdesacteursde l’assurancemaladiedansunemissionquin’estpasleurcœurdemétier;néanmoins,progressivement,desparte-nairesfontappelàlaPFIDASScommeoutilcomplémentairedeleurspropresinterventionsetformentunmaillagedeplusenplusdensedesacteurscontributeursdel’accèsauxsoinsduterritoire.CepartenariatestessentielpourforgerlalégitimitédelaPFIDASSetluidonnerunavenir:l’accèsauxsoinsestunenjeudesociétéet,s’ilestpossibled’initierladémarcheaveclesseulsacteursinternes,c’estbienencoopérationavecl’ensembledesintervenantsmédicosociauxsurleterritoirequel’Assurancemaladieprogresseradansuneactiondontilnefautpassous-estimerlagrandecomplexité.15 HélénaRevil,op.cit.

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III-L’élargissementdel’expérimentationàvingt-et-uneCPAM,le tournant d’octobre 2015Les travaux menés dans le Gard s’inscrivent dans les orientations de la COG2014/2017danslesquellesl’AssuranceMaladies’engageàidentifieretprendreenchargelessituationsderenoncementauxsoins; ilsvisentàrendreopérationnelcetengagement.LaCNAMTSs’intéresseparconséquentàladémarcheetparti-cipe,enseptembre2014,àlarestitution,organiséeàl’intentiondel’ensembledespartenairesgardois,desconclusionsdelarecherche,etàl’annoncedel’ouvertureprochainedelaPFIDASS.Ellefinanceenjanvier2015l’extensiondudiagnosticdurenoncementauxsoinsàlarégionLanguedocRoussillon.Auvudesrésultats,etens’appuyantsurdepremiersélémentsd’évaluationdelaPFIDASSproduitsparle cabinet M.B.C.16,leDirecteurgénéraldelaCNAMTSdécidedelanceruneexpé-rimentationsurunevingtainedeCPAMetd’enconfierleco-pilotageàlaCPAMduGardetauxéquipesdelaCaissenationale.Il s’agit là d’un tournantmajeur, reconnaissance nationale de l’intérêt de la dé-marche,desalégitimité,desavaleurajoutéesociale,desacohérenceaveclesengagementsprisdanslaCOG.LaPFIDASSs’inscriteneffettantdansl’axeaccèsauxsoinsquedansl’axerégulationdelaconventionavecl’État; leDirecteurdelaCNAMTSsouligne«sa contribution à la soutenabilité du système de santé… la sous-médicalisation étant à exclure autant que la surmédicalisation, au vu de son coût pour le système de santé et, à ce titre, travailler sur l’accès aux soins est un levier d’atteinte de cet objectif »17. Cettedécisionmetfinaustatutd’expérimentationlocalequ’avaitjusqu’alorslaPFI-DASS,qui,sielleavaitdûselimiterauterritoiregardois,n’auraiteunilalégitimiténi lesoutieninstitutionnel indispensablespourêtreconduiteàsonterme;elleenfaituneexpérimentationnationaleco-pilotéeparlaCNAMTSetlaCPAMduGard,véritablecasd’écoled’une interaction fécondeentreacteurs locauxetdécideursnationaux,etdémonstration,sibesoinétait,delavastitudeduchampquel’Institu-tionentendlaisseràsonréseaupourinnoveretdémontrerainsilavaleurajoutéequ’apporte l’action de proximité : «Longtemps, nous avons eu la certitude que la question de l’accès aux droits trouvait sa solution dans la mise en œuvre de dispositifs nationaux. À cet égard, les réformes successives et dispositifs législa-tifs et conventionnels (CMUC, ACS, dispense d’avance de frais, avenant 8 à la convention médicale de 2012, PUMA, etc.) ont assuré une progression certaine sur la voie de l’accès aux droits et à la santé mais ne sont pas les garants sans faille d’un accès effectif et systématique à ces droits. Ces dispositifs nationaux de qualité nécessitent ainsi d’être appuyés par un travail de terrain visant à repérer, détecter, expliquer et ensuite accompagner.»17

Trente directeurs de CPAM font connaître leur souhait de se lancer dans l’ex-périmentation à la suite de la publication de l’appel à candidatures lancépar la

16 M.B.C. (MichelBauerConsultant) :évaluationdes impactspotentielsde laPFIDASS,septembre2015

17 InterventiondeM.Revel,DirecteurgénéraldelaCNAMTS,enséminairedesDirecteurs

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CNAMTS:prèsd’untiers,maisseulementuntiers,desdirigeantsduréseaumani-festeainsisavolontédes’engagerdansunedémarchequivalorisetrèsfortementlamissionsocialedel’Institution:«l’accès aux droits et aux soins est le ciment de ce qui fonde le pacte social en France. »17

Unecertainevisiondesmissions,uneéthiqueducare,unelogiqueentrepreneurialeconsti-tuent les principaux ingrédients du choix de se porter candidat pour nombre de dirigeantslocaux ; à l’inverse, un contexte interne peu propice, un cumul de projets à conduire, uneprisedefonctionsrécente,uneadhésionlimitéeauxfinalitésdelaPFIDASS…expliquentunepositiond’attente.Laméthodedel’appelàcandidaturessurlabased’uncahierdeschargesfixantlecadreprécisdel’expérimentation,insistantsurl’indispensableimplicationdel’équipedeDirection,apermisderéunirlesconditionsdelaréussiteenfavorisantlasélectiond’orga-nismesconvaincusdubien-fondéduprojet,disposantd’unniveausatisfaisantdemaîtrisedelaproductionetdesfluxd’accueil,acceptantlescontraintesinhérentesàuneexpérimentationnationale;silechoixdelabonneorganisationpouraccueillirlaPFIDASSestlaisséàladéci-sionlocale,afind’identifierultérieurementlesorganisationslesplusefficaces,lesdifférentesphasesdurepérageetdel’accompagnementdurenoncementauxsoins,laméthodologiedudiagnostic, le logicieldegestiondessituationsindividuelles,quistructurent les interventionsdesopérateurs,lereporting,sontdesfiguresimposées.

Dèslemoisdemars2016,lesvingt-et-uneCPAMretenuesàl’issuedel’appelàcandidaturessontforméesàlaméthodologieetauxoutilsmisaupointdansleGardetselancentdanslediagnostic,dontlesrésultatssonttrèsattendus:vont-ilssedifférencierdeceuxdelarégionLanguedoc-Roussillon,trèsmarquéeparlesdifficultéssociales?Lerenoncementauxsoinsn’est-ilpascirconscritenFranceàdespochesdeprécarité localiséesne justifiantpasunemobilisationdel’ensembleduréseau?

Enjuindelamêmeannée,lesrésultatsdecenouveaudiagnosticeffectuésurunéchantillondedépartementsdésormaisreprésentatifdel’ensembleduterritoirenationaltombent,lever-dictestsansappel:letauxmoyenderenoncementparmilesvisiteursdesaccueilsdel’assu-rancemaladies’établità26%,ledouten’estpluspermis,lesdifficultésd’accèsauxsoinssontmassives.

Danslessemainesquisuivent,plusieursmilliersdesituationsderenoncementsontaccompa-gnées;trèsrapidement,l’expérimentationapportelapreuvequelaméthodologieestrobuste,que l’appropriationtechniquepar lesCPAMestrelativementaisée18,que l’adhésiondessa-lariésauxvaleursquesous-tendladémarcheestforte,quesonutilitésocialenefaitpasdedoute.

Lerapportd’évaluation19réaliséàpartirde151entretiensconduitsauprèsd’assurésaccom-pagnésparlesvingt-et-uneCPAMsouligneque«les PFIDASS répondent globalement à un besoin et que, s’ils n’avaient pas été pris en charge par les plateformes, nombre d’assurés 18 Ilconvientd’entendrepar«appropriationtechnique»labonnecompréhensionetmiseenœuvredesprincipesde

fonctionnementdelaPFIDASS,lerespectducahierdescharges,l’usageconformedulogiciel;elleneditriensur«l’appropriationmanagériale»,quiinterpellelalignehiérarchiquesursacapacitéàgarantir ladynamiquedeladémarchedansladurée,etdesrésultatsqualitatifsetquantitatifssatisfaisants.

19 LesPFIDASS,uneévaluationauprismedeleursbénéficiairesetdesacteursquilesmettentenœuvre,H.Revil–mars2017.

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auraient vu leur renoncement persister… la configuration générale du dispositif – articulation d’une détection par différents professionnels, services ou structures et mise en œuvre d’accompagnements individualisés – permet de « capter » des dif-ficultés d’accès aux soins sur les territoires, d’apporter une réponse satisfaisante aux besoins de guidance de bon nombre des personnes prises en charge et de les amener à se soigner à un moment T, voire à moyen terme ».

Lesentretiensontpermisdesouligner«les effets multiples des plateformes pour leurs bénéficiaires : amélioration de l’accès aux soins, réalisation des soins renon-cés, possibilité de « rattraper des soins » pour les renonçants et leur famille, sou-lagement physique et moral, amélioration de la qualité de la vie et du bien-être physique, stimulation pour avancer dans leur parcours de vie, perspectives profes-sionnelles et sociales. »19

Dans lesentretiens, lesassurésdeValenciennes,Angoulême,Marseille,Nancy,Amiens…ontlesmêmesmotsforts,émouvantsqueceuxduGardpourexprimerleurperceptiondel’accompagnement:«Je revis vraiment, je me sens mieux dans ma peau, je reprends contact avec les gens, alors qu’avant, je ne sortais plus. Je me vois comme avant, je me disais que j’étais un monstre, c’est les mots que j’utili-sais. Alors là, forcément, ça change la vie. »19

Sil’évaluationqualitativedel’expérimentationnationaleestprobante,lesrésultatsquantitatifs, c’est-à-dire le nombre de situations repérées et accompagnées parchaqueorganisme,sonttrèshétérogènes.Unemajoritéd’organismesaatteintauboutdequelquesmoisunrythmehebdomadairesignificatifdesituationsderenon-cementdétectées,d’autressontconfrontésàundémarragedifficile,quelques-unssemblents’enliser…Desraisonsconjoncturelles(équipesincomplètes,projetssi-multanésàconduire…)oustructurelles(niveaudematuritédel’organisme,culture,organisationsinadaptées…)interviennent;leniveauvariabled’investissementdeséquipesdedirectionconstitueaussiunfacteurexplicatif.Tandisquedes«caisses ont choisi de faire de la PFIDASS un axe de leur (ou leur) projet d’entreprise, signa-lant ainsi le caractère intégré et pérenne du dispositif et leur volonté qu’il devienne, avec les objectifs qui le traverse, un élément pleinement (re)structurant de l’orga-nisme »20,d’autresontconsidéréqu’il s’agissaitsimplementd’unenouvelleoffredeservice,pouvant s’ajouterauxactivitésd’unecelluledéjàexistanteetenontdéléguélepilotageàl’encadrementintermédiaire.

Certes,ilseraitprématuré,austadedel’expérimentation,detirerdesconclusionssur la productivité du dispositif en termes de nombre de situations de renonce-mentaccompagnées.Néanmoins,laCaissenationaledevrajustifierlapertinencedel’investissementréaliséetrendrecompteautantdelavaleurajoutéequ’apportelaPFIDASSauregarddesinterventionsd’autresopérateurs,qued’unnombredesituationsprisesenchargeenrapportaveclesmoyenshumainsettechniquesmisenœuvre.

Aumoisd’octobre2016, leDirecteurgénéralde laCNAMTS,s’appuyantsur les20 HélénaRevil,op.cit.

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retourstrèspositifsduterrain,surlesanalysesdeschercheurs,etconsidérantquelaPFIDASS était « un élément potentiellement très structurant dans la mise en œuvre de nos politiques d’accès aux droits et aux soins »21décidelagénéralisationdelaPFIDASSàl’ensembleduréseau.

IV- Face au défi de la généralisation, un pilotage renforcé, unehomogénéisationdespratiquesetlelancementdedispositifsnationauxdeformationetd’évaluationLaCaisseNationaleoptepourunegénéralisationentroisphasessurlesannées2017et2018,afindedonnerdutempsauxorganismesquilesouhaitentpoursepréparer;chacunedecesphasesembarqueunevingtained’organismesdansl’aventuredelaPFIDASS.

Dèslemoisdemars2017,unepremièrevaguede21caisses,issued’unnouvelappelàcan-didatures,démarreledispositif;lesdeuxdernièresvagues,dontledémarrageestplanifiésuroctobre2017etmars2018sontcomposéesparlaCaissenationale.

Lagénéralisationà l’ensembleduréseau,pourqu’elleréussisse,appelle lamiseenœuvredemoyensetd’unpilotageàlahauteurdel’ambition.Cepilotage,confiéconjointementàlaDirectiondesopérationsdelaCNAMTSetàlaCPAMduGard,s’estprogressivementstructuréautourdesquatreaxessuivants:

L’accompagnementaudémarragedesorganismess’appuiedésormaissurungroupede CPAM22,quis’estparticulièrementinvestidansl’expérimentationde2016,etquiagitencoordinationaveclaCNAMTSetlaCPAMduGard;chaqueCPAMd’appuiestinterlocuteurdepremierniveaudequatreàcinqcaissesdelavagueconcernéeselondescritèresgéographiquesetdetaille.Cetteorganisationgarantitlacontinuitédudéploiementàl’ensembleduréseau,lasoliditéduprocessusdetransmissiondusavoir-faire, desméthodes et des outils et contribue à lamobilisation collective.Elle favorise les interactions entre les organismes, développe les échanges auxdifférentsniveauxetparconséquentagitfavorablementsurl’enrichissementdelavieduréseau.

Quatre séminaires ponctuent la première année de démarrage : ils réunissent,selonleurcontenu,leséquipesdedirection,leschefsdeprojet,l’encadrementdeproximitédesPFIDASS,lesservicesmédicauxetsociaux.Cesrencontresontpourbutde former lesdifférentsacteurs,deconfronter lesexpériences,deprendre lamesuredesrésultats,etdevérifiercollectivementlajustesseducheminemprunté.Lesinterventionsdeschercheurs,lestémoignagesvidéod’assurés,leséchangesentre acteurs locaux et acteurs nationaux contribuent à alimenter en sens unedémarche qui l’exige de façon continue. L’accompagnement des organismes sepoursuit lasecondeannéeparune«visiteconseil»auseindechaqueCaisse,assuréeparunbinômeCNAMTS/CPAMduGard,afindeproposerauxDirectionslocalesunregardcroisésurleursrésultats,leurschoixd’organisation,leurspratiques

21 InterventionM.Revelprécédemmentcitée22 OutrecelleduGard, lesCPAMdesFlandres,desBouches-du-Rhône,desAlpes-Maritimes,de laDrôme,de la

Somme,delaCharentesontCPAMd’appuiàlagénéralisation.

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et pour permettre à l’organisme national de disposer d’une vision deterraindeladémarche.Àréceptiondurapportdevisite,l’organismeestinvitéàproduireunpland’actions visant àprocéderauxajustementsnécessaires.Unséminairederestitutioncollectivedeceséchangessursitevientclore,deuxansaprès ledémarrage, l’accompagnementdesCaisses.

LescoopérationsCPAM/Servicessocialetmédical/Centresd’examendesantéfontl’objet,dèsledébutdel’année2017,dedirectivesnationalesprécises s’appuyant sur les enseignements des expérimentations. Ils’agitdepassereneffetd’unpartenariatreposantprincipalementsurdesrelationsinterpersonnelleslocalesàdescoopérationsformaliséesdansune circulaire CNAMTS définissant la contribution de chaque acteurinternedans laconstructiondunouveauserviceoffertà lapopulation.Cette circulaire est donc une conséquence positive de la démarche,même si elle ne lèvera pas toutes les résistances que soulève unchangement qui devrait, à terme, être porteur de synergie entre lesmétiersdel’AssuranceMaladie.

Une offre nationale de formation au repérage des situations et àl’accompagnementdesrenonçantsestdéployéeparlaCaissenationaleàpartirdel’automne2017;elleapourobjectifdepréparerleséquipesdeterrainauxnouvellespratiquesinduitesparlaPFIDASS:commentcréerunerelationdeconfiancedanslaquellelespersonnesrenonçantàdessoinsvontoserexprimer,sanshonte, leursdifficultés,commentinterpréter des mots, des attitudes, comment se sentir légitime àaborder desquestionspouvant paraître deprimeabord intimes tellesque la santé ? L’expérimentation a montré que, sans une formationcapable « d’équiper » les acteurs de terrain et de leur apporter lesoutils utiles, l’intégration du repérage du renoncement aux soins auxpratiquesprofessionnellesestvouéeàl’échec.Cedispositifaétéconçupour accueillir un millier d’agents, en charge du repérage et/ou del’accompagnement,aucoursdesannées2017à201923.

L’accompagnement scientifique de la généralisation est confié àl’ODENOREsurlapériode2017/2019.L’importancedeladémarchedansla politique d’accès aux soins de l’Assurancemaladie, lamobilisationhumaine qu’elle requiert, les moyens qu’elle nécessite imposent eneffet uneévaluation rigoureusede seseffets à court etmoyen termesurlesassurésaccompagnés,surlesprofessionnelsdesCPAM,etuneanalyse de son inscription territoriale et de son articulation avec desactionsetdispositifspréexistants.Pourlapremièrefoisdesonhistoire,

23 Sur la base d’un cahier des charges précis élaboré par la CNAMTS, l’Institut 4.10 a en chargela gestion de cette formation, qu’anime leCabinetPlénitudes, prestataire ayant accompagné leséquipesdeplusieursorganismesdelavagueexpérimentalede2016danslechangementdepostureinduitparLaPFIDASS.

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l’Assurancemaladiefaitappelàuneéquipedechercheurspourobserveretanalyser,surlalonguedurée24,unprocessusinnovantdecréationd’unservice,pourdéfinirdesméthodologies,évaluerleseffetsdel’action,proposerdesajustements,apporteruncapitaldeconnaissancesutilespouralimenter lesensdel’action.Labranchemaladie,contrairementàlabranchefamille,n’apaslaculturedelarecherche;lacoopérationavecleschercheursdel’ODENOREdansceprojetconstitueparconséquentunedémarcheinédite.Laquestionresteposéede la valorisation et de la diffusion de la production intellectuelle issue de cettecoopération,ainsiquedesenseignementsqu’en tirera legrandservicepublicdel’AssuranceMaladiequantàlapérennisationd’uneactivitéderechercheauseindelaCaisseNationaleetaudéveloppementdeliensaveclemondedelarecherche.

Le28mars2017,leDirecteurGénéraldelaCNAMTSannonceàlapresselagénéralisationdelaPFIDASSenFrance.L’informationestlargementreprisedanslesquotidiensnationaux,par-milesquelscertainseffectuent(Alternativeséconomiques,l’Obs…)desreportagesdansdesCaisses.PlusieursorganismescommuniquentdanslapresserégionalesurlacréationdelaPFIDASS.Cettepremièrecommunicationdanslesmédiasofficialise,àl’intentiondesacteursdusecteurmédicosocial,lavolontépolitiquedel’AssuranceMaladiedes’investirfortementsurlerenoncementauxsoins.Pourautant,ellenegénèrepasunaffluxdedemandesdesassurés,quin’ontpas,ainsiquelemontrentlestravauxdeschercheurs,identifiéleurCPAMcommeunestructureenmesuredelesaiderencasdedifficultés.Quelquesarticlesdepressenepeuventmodifierdesreprésentationsintégréesdepuisdesdécennies.

V- Un avenir encore fragile pour la PFIDASS, étroitement lié auxorientationsstratégiquesdel’AssuranceMaladieetàlaCOG2018/2021etàlaforcedel’engagementdesesdirigeantsnationauxetlocauxdansl’accès aux soinsPlusieursmilliersdefrançaisontd’oresetdéjàbénéficiéd’unaccompagnementparl’unedesPFIDASSdel’Assurancemaladieetontputrouverainsiuneissueàunesituationderenonce-mentauxsoinsquiperduraitparfoisdepuisunelonguepériode.Onpeutestimerqu’autermede lagénéralisation,enextrapolant laproductivitéde laplateformegardoise, lenombredesituationssusceptiblesd’êtreprisesenchargeparleréseausesitueraitentre50et100000paran.BiensûruntelrésultatneserapossiblequesilaCaisseNationale,dansuncontextedecontraintesbudgétairesrenforcéesdelaCOG2018/2021,fixeauréseauunniveaud’exi-gences élevé en termes de résultats25 et si les dirigeants locaux prennent conscience quel’accèsauxsoins,dontlaPFIDASSestunélémentstructurant,estaucœurdeleurmétieretpourrait,dansl’avenir,constituerunedesmissionsjustifiantlemaintiend’unréseaudéparte-mentaldeCaisses.

Lecheminsera longavantque laPFIDASSn’acquière lescaractéristiquesd’uneprestation

24 Lacoopérationavecleschercheursdel’ODENOREadébutéen2013(lebaromètredurenoncementauxsoinsdansleGard)etsepoursuivrajusqu’en2019avecledéploiementdelaPFIDASSàl’ensembleduréseau.

25 DesobjectifspersonnelsentermesdenombredesaisinesdelaPFIDASSontétéfixésauxDirecteursparlaCaissenationaleàcompterdel’année2017.

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légale,à l’instar,parexemple,de l’examenpériodiquedesantédesCentresdeSantédel’AssuranceMaladie.Prestation«d’accompagnement»,laPFIDASSde-viendraitundroitouvertàtouteslespersonnesrencontrantdesdifficultésd’accèsaux soins26.Danscettereconnaissanceparlepouvoirlégislatifourèglementaire,résidevraisemblablementl’unedesconditionsdesapérennité:laPFIDASS,néede l’analyse scientifique d’une réalité sociale et de convictions partagées sur lanécessitéd’agirnepourraprospérerdurablementdelaseuleimpulsionémanantdelavolontémilitantedequelquesacteurslocauxetnationaux.SonavenirestenpartieliéàunedécisiondesPouvoirsPublicsdeluiconférerlestatutdedispositifreconnupar la loi ;cescénariopourraitnepasserévélertotalementutopiquesisepoursuitl’effortd’évaluationjamaisconsentijusqu’alorssurdesdémarchessi-milaires:troisévaluationsdel’efficacitédelaPFIDASSgardoisesontintervenuesouplanifiées(2015,2016,début2018),lapremièrevagueexpérimentaledevingt-et-uneCPAMaétéévaluéefin2016et lapremièrevaguede l’année2017seraévaluéedébut2018.Lesrésultatsdecespremièresévaluationsréaliséesparleschercheursdel’ODENOREconcordentetconfirmentlafortevaleurajoutéesocialedesPFIDASS.Pourautant,cesévaluationsgardentuncaractèrepartieletprovi-soireliéaucontextededémarragedel’action.Laprudences’imposedonc,tantquelagénéralisationneserapaseffectiveetqu’uneévaluationd’ensemble,enfindeCOG2018/2021,neserapasvenueapporterlesargumentsdel’opportunitéd’unedécisionpolitiqued’institutionnalisationdudispositif.

Dansunpaysoùlasantéconstituelapréoccupationmajeuredescitoyens,laques-tiondel’accèsauxsoinsseraunenjeudeplusenplusprégnant,quiinterpellera,au-delàde l’État, l’ensembledesacteurs, patients, offreursde soins, assurancemaladieetorganismescomplémentaires,associationscaritatives…etcelad’autantplus que notre pays estmarqué par de fortes inégalités sociales de santé, quel’accèsauxsoinspeutserévélerêtreunparcoursducombattant lorsquel’onnedisposepasd’uncapitalinformationneletrelationneletquesemultiplientlesfreinsfinanciers. Iln’estpascertainque la tendance lourded’évolutiondusystèmedesoinsfrançais,confrontéàdemultiplestensionsinternesetàdesévolutionstech-niquesettechnologiquesrapides,penche,surlemoyen/longterme,versunemeil-leure accessibilitépar lespatients.Cetteévolutiontendanciellenepeutmanquerd’interrogerlepositionnementdel’AssuranceMaladieentantqu’acteurmajeurdel’accèsauxsoins,sastratégiedanscedomaine, l’organisationqu’ellemettraauservicedecettestratégieetsesmodalitésd’action.Quelautreacteurnationalquel’AssuranceMaladiepeutporterunregardéclairé sur l’accessibilitédusystèmeetconduireuneactioncohérente,globalesur l’ensembledes facteurssusceptiblesdecontrarierleparcoursdesoinsdesassurés?Elletirecettelégitimitéd’êtrela

26 Ilconvientdenepasseméprendresurletermede«prestationlégale»,quineprendpasicilesensdeprestationfinancière.Unenouvelleprestationfinancière,qued’aucunsimaginentrésulterd’unedécisionpolitiquefuturevisantàsupprimerlesrestesàchargesurlessoinsdentairesetd’optique,nerésoudraitpasleproblèmedurenoncementauxsoins.Lagrandecomplexitédecephénomène,lesmultiplesfacteursquiensontàl’origineexpliquentlefaitque,danslagrandemajoritédessituations,l’issuerésidedansunaccompagnementadaptédespersonnesquivabienau-delàdel’octroid’unesimpleaidefinancière.

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seuleInstitutiondansledomainedelasantéencontactquotidienaveclapopulation,d’êtreunpassageobligépouraccéderauxsoins,dedisposerd’uncapitaluniquedeconnaissances,desavoir-faire,etdeshommesetdesoutilspouragir.Enfin,l’AssuranceMaladiedisposed’unautrecapitalsanspareil:lecapitalconfiancequelesfrançaisluiac-cordentetleurattachementàlapérennitédel’Institution.S’ilsn’ontpasidentifiéparmilesmis-sionsinstitutionnellescelleconsistantàoffrirunrecoursencasdedifficultéd’accèsauxsoins,l’expériencedelaPFIDASSfaitapparaîtrequ’ilfaudraitpeudetempspourqueleréseaudesCPAMsoitreconnucommeacteurderéférencedel’accessibilité.

Dèslors,sicetteorientationstratégiquevenaitàs’imposer,l’avenirdelaPFIDASSseraittouttracé:delapriseenchargedurenoncementauxsoinspourdesraisonsessentiellementfinan-cières,ledispositifavocationàdevenirl’instrumentmajeurdelapolitiqued’accèsauxsoinsdel’AssuranceMaladie,cequiimpliqueraitlapriseenchargedetoutedifficultéd’accès,quellequesoitsanature,etl’évolutionversunePFIDASSuniversaliste.

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Big data et protection sociale : au-delà de la luttecontrelafraude,desopportunitésàsaisirpouraméliorerl’accès aux droits1

Par Ange CHEVALLIER et Géraldine TAUBER, élèves de la 56ème promotion de l’EN3S

IntroductionEn2016,lesCaissesd’allocationsfamiliales(CAF)ontdétectéprèsde43000fraudes,soit8%de plus que l’année précédente, pour unmontant de 275millions d’euros. LaCaissenationale (CNAF)a expliqué cette haussepar l’accroissement de l’efficacité desdispositifsdecontrôleetnonparl’augmentationdelafraudeelle-même.Cesrésultats,ajoutésàceuxdesannéesprécédentessontnotammentliésaudéveloppementdudata mining,unprocédéquireposesurlebig data.Àl’instardesadministrationsfiscales,lesorganismesdeprotectionsocialeonteneffetunusagedeplusenpluspoussédecesnouvellesméthodesd’analyse.

Lanotionde«bigdata»renvoieauxdonnéesdemasseproduitespar lesadministrations,lesentreprises,lesutilisateursettouteautreentitéencapacitéd’encréer.C’estlevolumeenprésence,laquantitéd’informationquienfaitsaparticularité.Unefoistraitées,cesdonnéespeuventeneffetrévélerdescorrélationsquin’avaientpuêtrejusqu’alorsappréhendéesparlesoutilstraditionnelsdutraitementstatistique.L’èredubig datatraduitainsiunenouvellefaçond’appréhenderlesdonnées,nonplusuniquementcommedesélémentspassifspermettantletraitementdedossiers,maiscommedesoutilsactifspouvantavoiruneinfluencesurlafaçondont on traite les situations.

Pendant longtemps en effet, les entreprises et administrations ont stocké des informationssurleursclientsetadministrés,sanspourautantentirertoutleurpotentiel.C’estnotammentl’arrivéedenouveauxservices internet fondéssur lagratuité (Facebook,Twitter,Google…)quiapoussécesentreprisesàdonnerdelavaleuràleursdonnéespours’assurerdesreve-nus.Enanalysantlescomportementsdesinternautes,lespagesconsultées,lesinformationspersonnellesetd’autresvariables, lesentreprisesontainsipupersonnaliser lescampagnespublicitairesenciblantdavantagelespotentielsclients.

Lesservicespublics,notammentlesorganismesdeSécuritésociale,sesontplusrécemmentlancés dans l’analyse de leurs données demasse. LaCNAF a par exemple été pionnièredansledéveloppementd’outilsdedata miningdanslecadredelaluttecontrelafraudepours’adapteràdescircuitsdecontournementdesrèglesdeplusenpluscomplexesetinnovants(I). Les technologiesbig data offrent toutefois d’autres champs d’action, pour simplifier lesdémarchesdesassurésetréduirelerisquedenon-recoursauxdroitsmaisaussirenforcerlesoutilsd’évaluationetd’élaborationdespolitiquespubliques(II).Toutefois,pourêtreàlahauteur

1 Cet article s’appuie notamment sur des entretiens réalisés auprès de Stéphane DONNÉ, responsable dudépartementdesstatistiques,systèmed’informationetBigDatadelaCNAFetdeFabienTARISSAN,chargéderecherchesauCNRS.

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decesambitions,desprérequissontnécessaires:l’évolutiondessystèmesd’infor-mationspourfluidifierleséchangesd’informationsinter-organismesetl’adaptationdumanagementetde lagestiondesressourceshumainesdesorganismes(III).D’autres applications dubig data, comme la personnalisation de la gestion desrisquespeuventégalementêtreenvisagées.

I-Concept renvoyantàdes réalitésdiverses, lebig data est aujourd’huiprincipalementutilisédanslecadredelaluttecontrela fraudeI-1/ Comprendre et appréhender la notion de big data : un concept vaste offrant des opportunités pour la sphère des services pu-blicsA/ Le big data est un concept qui se caractérise moins par une définition stricte que par le périmètre qu’il embrasse

Leconceptdebig datanepeutêtredéfiniprécisément.Onretrouvetoutefoisgéné-ralementtroisdimensions,outrois«V»,proposésparDouglaneyaudébutdesan-nées2000,etquipermettentdelecaractériser :levolume,lavélocitéetlavariété.Levolumerenvoieàlaquantitédedonnées,quiesttellequelesoutilsstatistiquesetinformatiquestraditionnelsnepeuventpaslestraiterenl’état.Lavélocitédécritquantàelle lebesoind’adaptationrapidedestraitementsauxdonnées,aufildeleurarrivée.Enfin,lavariétéestliéeaufaitquel’onvatraitertouttypededonnéesansnécessairement lesprésélectionner,toutedonnéedevenantpotentiellementutilisable.Dansundomaineoùlespotentialitéssontenpleineexpansion,ladéfini-tionduconceptimportefinalementpeu,etc’estsonpérimètrequ’ils’agitdoncdebiensaisirpouréviterd’apposerunlabel«bigdata»àdesméthodesstatistiquestraditionnelles.

L’undesgrandsapportsdes technologiesbig data par rapport auxoutils statis-tiquesclassiquesestleurdimensionprédictive.Defait,lestraitementsstatistiquestraditionnelsempruntaientuneméthoded’analysedite«hypothético-déductive»quiconsistaitàréfléchirenamontauxdonnéesàutiliseretauxvariablesquiper-mettraientdelesexploiter,enproposantdeshypothèsesdetravailàvérifier.Lebig datatendàlimiterlesanalysespréalablesetàlaisserlesalgorithmesextrairedesrégularitésetdes incongruitésde lamassededonnéesenprésence,diminuantainsilebiaishumaindestraitementsstatistiquestraditionnels.Toutefois,selonlesoutils utilisés (data mining, machine learningetc.)ladimensionprédictiveestplusoumoinsimportanteetlebiaisplusoumoinsréduit.Àl’inverse,plusl’analyseestdépourvuedecadred’analysea priori,plusl’interprétationdesrésultatsestdifficilepourl’humain.Lebig dataenglobedoncdesoutilsàgéométrievariableetlaposi-tiondescurseursatoutesonimportancedansleursusages.

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Petit lexique du big data

Data mining : le data mining renvoieauxméthodespermettantde traiterun trèsgrandvolumededonnéesetd’entirerdescorrélationssignificativesafin,parlasuite,d’analyserdesdonnéessimilairesàtraverscesmodèles.

Machine learning : contrairement aux algorithmes classiques, la logique du machine learningseveutauto-apprenante:c’estàpartirdesdonnéesquel’algorithmevaseconcevoir,permettantuneadaptationrapideàleurévolution,particulièrementutileparexempledansdesprocessusdeluttecontrelafraude.Leproblèmeestquel’humainn’apluslamainsurletraitementetladifficultérésidedanslacompréhensiondel’analysea posteriori.

Smart data :leconceptdesmart datasetraduitparunusageplusrationalisédesdonnéesdemasse,avecunesélectionrigoureusedesdonnéesetdeleursusagesprincipalementenamontdeleurcollecte,pouréviterladéperditiond’énergie.

B/ Les organismes gérant des services publics se sont engagé progressivement dans les technologies du big data

Lesadministrations,organismesetentreprisesgérantdesservicespublicsdisposentdebasesdedonnéespléthoriquesquipermettentd’envisagerdes traitementssurdesvolumessuffi-sants,avecunevariétéd’informationsparticulièrementimportante(donnéessociales,donnéesfiscales,étatcivil,donnéesdesanté,donnéesrelativesà l’énergie,auxtransportsetc.).Cegisementdedonnéesfaitapparaitrelesservicespublicscommedesacteursincontournablesdans ledéveloppementdes technologiesbig data. LePremierministreÉdouardPhilippead’ailleursrappelé,le8septembre2017lesatoutsdesentreprisesetadministrationsfrançaisesen lamatière,alorsqu’ilmissionnaitCédricVillanipourconcevoirunestratégiesur l’intelli-genceartificielle,intitulée#missionIA.

Lesadministrationspubliquessont toutefoisrentréesprogressivementdans lebig data,parlecadredelaluttecontrelafraude.Évoluantrapidement,lespratiquesdefraudeauximpôtsouauxprestationsnécessitentuneréactivitéprécocedeséquipeschargéesdelespréveniretdeleslimiter.Deplus,leciblagedescontrôlesfavorisantunerationalisationdeceux-ci,lesgainsréaliséspermettaientdejustifierl’investissementdanscestechnologies.SileréseaudesCAFaétélepremieràdéployercesoutilsen2012,d’autresentitésontexploitéleursdonnéesavecdesméthodesenparticulierbaséessurledata mining,commelaDirectiongénéraledesFinancespubliquesàpartirde2014,l’administrationdesdouanesdepuis2015ouencorePôleemploietl’AgencecentraledesorganismesdeSécuritésociale(ACOSS)en2014.2

2 Délégationnationaleàlaluttecontrelafraude,2017,Bilan2015–Luttecontrelafraude,Ministèredel’ÉconomieetdesFinances,pp.28-30

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I-2/ Lutter contre la fraude et verser le juste droit : l’exemple de la détection des anomalies grâce au data mining dans la branche FamilleA/ Depuis 2010, les CAF ont fait un usage de plus en plus performant du big data dans les dispositifs de contrôle au travers du data mining

Entre2011et2013,lerendementdescontrôlessurplaceeffectuésparlaCAFs’estaccrude46%grâceauxméthodesdeciblages fondéessur ledata mining. En 2011,lescontrôlessurplacepermettaientdedétecter150millionsd’eurosd’ano-maliescontre263millionsen20133.Cettehaussespectaculaires’expliqueparl’in-troductionpuisledéploiementd’outilsdedata miningdepuis2004dansleréseau.

Dès2004eneffet,laCAFdeDijonpuiscelledeBordeauxsesontintéresséesauxméthodesdedata miningautraversdeleuragencecomptable,afindecomblerunelacuneenmatièrede luttecontre la fraude.Lescontrôlesvisésportaientsur lesfraudesenréseauauxaidesaulogement.Ellesdevaientdoncêtrecontrecarréespar desméthodes efficaces et réactives. S’appuyant sur une base de donnéesramasséedequelquesmilliersdedossiers,lesmodèlesinitiauxontpermisdedé-gagerdepremiersprofilsfrauduleux,affinésensuitegrâceàl’appuid’autresbasesdedonnéesetdelaCNAF.C’estàpartirde2010queledispositifdedata mining a étégénéralisédansl’ensembleduréseaudesCafautraversdesplansdecontrôle,avantd’êtreconsacréparunelettrecirculaireen2011puisparlaConventiond’ob-jectifsetdegestion(COG)2013-2017signéeentrelaCNAFetl’État.

B/ Avec un objectif plus large de réduction des anomalies, le périmètre du big data ne s’arrête toutefois pas au data mining

Participant de la logique d’assurance raisonnable qui irrigue la comptabilité pu-blique,ledata miningpermetderationaliserlesopérationsdecontrôleenlesciblantmieux,àtraversuneapprocheentroisétapes4:dansunpremiertempsunebasededonnéesdédiéeàl’étudedesrisquesd’indusestcréée.Ensecondlieuils’agitdeprocéderàl’analyseinductivedecettebasededonnées,pourfaireressortirdesrégularitésetcréerdesmodèles.Enfin,dansunetroisièmeétapelesmodèlessontintégrésdanslesplansdecontrôleafindelesappliqueràl’ensembledesdonnéesetdescorerlesdossiersselonleurdegréd’expositionauxrisques.

Outre l’augmentationde la rentabilitédesopérationsdecontrôle, cetteméthodepermetégalementderéduire lenombred’opérationsmalcibléesetdonc lesen-timentdesallocatairesd’êtrecontrôlésàtortoupourdesraisonsinjustifiées.Defait,onnecibleplusa prioridespopulationsàrisquemaisdesprofilsdedossiersàrisque,surdescritèresplusobjectifs,endiminuantlebiaishumainquiprévalait

3 DUBOIS, Vincent, PARIS, Morgane,WEILL, Pierre-Édouard, 2016,Politique de contrôle et lutte contre la fraude dans la branche Famille,Dossierd’étudedelaCNAFn°183,CNAF,p.79

4 PierreCollinet,«Focus–Ledata mining danslesCAF:uneréalité,desperspectives»,Informations sociales 2013/4(n°178),p.129-132.

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danslescontrôlestraditionnels.Pourautant,leDéfenseurdesdroitsarécemmentsouligné les risquesposéspar lesméthodesdedata miningen termesdediscrimi-nation,lorsquecesoutilsviennentrenforcer,voirelégitimerlastigmatisationdeprofilsà«risque».5Ilsoulèveicilaquestiondelaméthoderetenuedansl’utilisationdestechnologiesd’analysedesdonnéesdemasse.

L’objectifn’esttoutefoispaslaseuleaugmentationdurendementdescontrôlesmaislaréduc-tiondesrisquesd’anomaliesdemanièregénérale.Lespremiersgroupesdetravailmontésen2004visaientainsinonseulementàprévenirlesrisquesdefraudes,maisaussiàdiminuerlesrisques«métier»,reposantsurleserreursdestechniciensliésàunelégislationdeplusenpluscomplexeetmouvante.Au-delàdel’aspectquantitatif,ilyadoncégalementunobjectifdequalité,qualitéducontrôleetqualitédutraitementdesdossiers:lalogiquedeversementdu«justedroit»opèredanslesdeuxsens,quel’anomaliecibléesoitendéfaveurouenfaveurde l’assuré.

Pour autant, d’autres technologies dubig data, notamment lemachine learning, pourraientrenforcerlalogiqueprédictive.Eneffet,plusl’identificationdurisqued’anomaliearrivetôtdansleprocessusdecontrôle,pluslerisqued’avènementdel’erreuroudelafraudepeutêtreévité.Lesopportunitésoffertesparlebig datadépassentainsilargementlecasdel’utilisationdudata miningdanslecadredelaluttecontrelafraude.D’autrestechnologiesetd’autresobjectifssontà rappeler : leciblagede lacommunicationsortante, lescampagnesdeprévention, l’actionsociale.Etparmieuxlependantdelaluttecontrelafraude:laluttecontrelenon-recoursauxdroits sociaux.

II- L’utilisation du big data contre le non-recours aux droits pourraitdavantageoutillerlespolitiquespubliquesfaceàcephénomèneII-1/ Lutter contre le non-recours : une préoccupation des pouvoirs pu-blics insuffisamment outilléeA/ L’accès aux droits a été progressivement identifié comme un enjeu majeur des poli-tiques publiques

Laluttecontrelenon-recoursémergedanslesannées1970,souslapressiondedeuxphé-nomènes:unpoidscroissantdesprestationsdanslesressourcesallocatairesetlacomplexi-ficationdesdroitsdufaitnotammentdelamisesousconditionsderessources.Cettepréoc-cupationaétérelancéelorsdelamiseenplaceduRMIpuisduRSA.Eneffet,leRSAetsesvariantes, leRSA«activité»et leRSA« jeunes»présententouontprésentédes tauxdenon-recoursparticulièrementélevés,estimésà50%enmoyenneen2011,letauxleplusfortétantceluiduRSA«activité»quis’élevaità68%.6

5 DéfenseurdesDroits,2017,Rapport«Luttecontrelafraudeauxprestationssociales:àquelprixpourlesdroitsdesusagers?»,Septembre2017,pp.19-20

6 WARIN,Philippe,2011,Documentdetravailn°13–«Lenon-recoursauRSA:desélémentsdecomparaison»,ODENORE,décembre2011,p.2

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Lespremièresanalysesdesmotifsdenon-recoursontpermisdedistinguerdeuxlogiques.D’abordunelogiquedunon-recoursinvolontaire:danscecas,iln’estpaslefruitd’unchoixcarl’usagern’apasconnaissancedesesdroitsounes’estimepaséligible.Àl’inverse,danslalogiquedenon-recoursvolontaire,lebénéficiairepotentielsaitqu’ilpourraitêtredestinataired’uneprestationsociale.Sonnon-re-coursvientalorsd’unressentinégatifvis-à-visdecetteprestation:ilpeutcraindreunestigmatisation,ilpeutestimerquelatropgrandecomplexitéadministrativen’envautpasl’enjeu,ouencoreilpeutcraindreunrisqued’induliéàuneerreurdeges-tiondesorganismesdeprotectionsociale.7

Dansuneétudede2014,leSecrétariatGénéralpourlaModernisationdel’ActionPublique(SGMAP)aquantàluiidentifiéunesériedefacteursexplicatifsdunon-re-cours.Figurentparmi ceux-ci unemauvaise imagede laprestation,unmanqued’information,l’absencedeproactivitédelapartdel’usager,lanon-connaissancede l’éligibilité, le déficit demédiation et d’accompagnement, la complexité de laprestation, la ruptureduprocessusd’instructionouencore laconcurrenced’uneautreprestation.8

Cependant,bienquelesmotifsdenon-recourssoientdemieuxenmieuxidentifiés,lespolitiquesd’accèsauxdroitspeinentàaugmentersignificativementlaplénitudedesdroitsenparticulierpourlespublicslesplusprécaires.

B/ Les outils restent encore insuffisants pour lutter contre le non-recours aux droits sociaux

Malgré les nombreuses études et actions9, le phénomène de non-recours resteuneréalitéinsuffisammentoutillée.Pourautant,despistesémergent.Lespréconi-sationsdurapportdel’Assembléenationaled’octobre201610surl’évaluationdespolitiquespubliquesenfaveurdel’accèsauxdroitssociauxportentainsisurunemeilleure identificationdesbénéficiaires potentiels au travers dudata mining, la détectiondunon-recoursparéchangesdedonnéesentreorganismesetdesac-tionsproposantnotammentdes rendez-vous lorsd’évènementsmarquantspourles assurés.

DanslaBrancheFamille,l’accèsauxdroitss’esttraduit,entreautresactions,parlamiseenplacedes«Rendez-vousdesdroits»sur lapériodeconventionnelle2013-2017.Ledispositifconsisteàproposeràunallocataire,suiteàunévénement

7 Pourunetypologieplusdétailléedesmotifsdenon-recours,sereporteràWARIN,Philippe,2017,Le non-recours aux politiques sociales,PUG

8 KESTEMAN,Nadia,«Le fondementdespolitiquesd’accèsauxdroitsdans labranchefamilledurégimegénéral :lenon-recoursauxprestations»,Regardsn°46,septembre2014,EN3S.

9 Notammentlevoletd’accèsauxdroitsduPlanpluriannueldeluttecontrelapauvreté,quis’articulaitautourde troisaxes :mieuxconnaitre lesphénomènesdenon-recours,mieuxdétecteretmieuxinformer (au travers des « Rendez-vous des droits » pour la branche Famille et du dispositif«PLANIR»pourlabrancheMaladie.

10 BIÉMOURET, Gisèle, COSTES, Jean-Louis, 2016, Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux,n°4158,26octobre2016,Assembléenationale,pp.116-134,notammentpropositionn°8p.134.

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de la vie,ou la survenued’un« risque» (premièresdemandesdeRSA, rupture,grossesse…),unentretienpourfaireunétatdeslieuxdesasituationetdesesdroitspotentielsauxprestationssociales.Àtitred’exemple,danslecasd’unprimo-demandeurdeRSA,leconseillerl’informesurlaprestationmaispeutégalementeffectuerunepréouver-turedudroitàlaCMU-C.

Les premières opérations de ciblage et les parcours attentionnés ont porté leurs fruits. En2016,lamoitiédesrendez-vousavaientdonnélieuàuneouverturededroitsnouveaux11. Pour autant,onpeutimagineràl’avenirunrenforcementdecesdispositifspardavantagedeproacti-vitédescaissespourallerchercherlesbénéficiairespotentiels,unesegmentationplusfinedespublics,unesimplificationdel’accèsauxdroits(etpasforcémentunesimplificationdudroit)voireuneaugmentationdespré-liquidationsoudesliquidationsautomatiques.Àcetégard,lestechnologiesdubig dataontuneplacedechoixdansl’avenirdespolitiquesd’accèsauxdroits.

II-2/ Aller au plus près des situations : l’exploitation des données du big data permet un ciblage plus précis tout en interrogeant les orientations des politiques socialesA/ L’analyse plus fine des situations individuelles est rendue possible grâce à la mi-cro-segmentation

Le big datapourraitenpremierlieuaméliorerlerecoursauxdroitsparunemeilleureconnais-sancedescomportementsdesusagers.L’intérêtdecettedémarcheseraitd’avoirunevisionexhaustive,uneanalyseglobaledessituations,quineseraitpasnécessairementorientéepardeschoixpolitiques.Laphased’analyseetd’étudesedétacheraitainsid’unelecturepolitiqueduphénomènedunon-recoursetpermettraitdel’objectiver.Cen’estqu’ensuitequel’exploita-tiondecesanalysesetsurtoutleurtransformationenactionsdeluttecontrelenon-recoursauxdroitslaisseraitlaplaceauxchoixpolitiques.

Àpartird’uneexplorationlargedesbasesdedonnées,ildevientainsipossibled’étudierplusprécisémentdessegmentsdepopulationetdedroits.Unedesméthodesd’analysebig data consisteainsienl’étudedemicro-segmentsdepopulation:l’exploitationdebasesdedonnéesdemassepermetd’analyserdespopulationsàdesniveauxplusfinsencequesiellesavaientétéétudiéesautraversd’unéchantillonnageclassique,parexempleavecdesméthodesderégressionlogistique,ellesauraientétéexcluesduchampcarnon-représentatives.Cettemé-thodepermettraitdèslorsd’accroitreencorelapersonnalisationdudroit.

Unefoislaconnaissancedessegmentsdepopulationaffinée,plusieursactionspeuventêtremisesenœuvre.Celavadecampagnesd’informationscollectivesoupersonnaliséesjusqu’àdesliquidationsautomatiques,cequicorrespondraitàuneformed’internalisationdelacom-plexité.Des études parlementaires12 défendaient cette option en demandant la création deliensautomatiquesentreprestations :parexemple,un lienautomatiqueentredemandedeprimed’activitéetl’obtentionduRSAsocle;uneautomaticitédurenouvellementdel’ACSpour

11 CNAF,2017,«Lerendez-vousdesdroitsdescaissesd’Allocationsfamiliales»,L’e-ssentieln°168–2017,CNAF12 BIÉMOURET,Gisèle,COSTES,Jean-Louis,2016,Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques

en faveur de l’accès aux droits sociaux,n°4158,26octobre2016,Assembléenationale,propositionn°14p.160.

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lesbénéficiairesduRSA;ouencorel’octroiautomatiquedel’ASPApourlesbéné-ficiairesduRSA,del’ASSoudel’AAHquiatteignentl’âgerequis.

Encequ’ellestouchentàcertainsprincipesdenotresystèmedeprotectionsocialebasé sur la démarche de l’usager, ces différentes propositions de simplificationamènenttoutefoisdesinterrogations.

B/ Cette évolution questionne certains principes de notre système de protec-tion sociale et l’élaboration des politiques publiques en général

Cettevoie,quiimpliqueuneproactivitéplusimportantedesorganismesetnonplusdesbénéficiairespotentiels, remetencause leprincipeactueldedroitquérable.Àcetégard,enparallèledesréflexionssurl’exploitationdesdonnées,labrancheFamilles’estdotéed’uncomitééthiquepourgarantir lapriseencomptedecettedimensiondanslesdémarchesbig data.Lamontéeenpuissancedestechniquesprédictives vient ainsi réinterroger ces problématiques qui renvoient à l’équilibreentrelaresponsabilisationdesassurésetlesactionsd’accèsauxdroits.Unesolu-tionintermédiaire,quis’inscriraitdanslacontinuitédesactionsd’accèsauxdroitsdéjà utilisées, pourrait être envisagée. Il s’agirait de cibler les rendez-vous desdroits en fonction du scoring issus d’un data mining d’accès aux droits.

L’analysedecesopportunitésdoitparailleurss’accompagnerd’uneréflexionsurlesrisquesqueposelapersonnalisationcroissantedesprestations,notammentlerenforcementdes inégalitésou l’augmentationde lacomplexitéadministrative,ycomprispourlestechniciensenchargedetraiterlesdossiers,danslamesureoùcelapeutaugmenterlerisqued’erreurs.

Plusglobalement, l’améliorationdel’accèsauxdroits impliqueunarbitrageentrel’abondementdefinancementsupplémentaire, ladiminutiondesaidesouencorelerenforcementduciblagedesprestations.CesquestionnementsrenvoientàundesparadoxesdesorganismesdeSécurité sociale où l’équilibre budgétaire estpossiblepourcertainesprestationsgrâceàdestauxderecoursfaibles.

Au-delàdecesenjeux,uneutilisationdubig datadanslespolitiquesd’accèsauxdroits nécessite également desprérequis, enparticulier euégardaux systèmesd’informationdesorganismes,maisaussiconcernantlescompétencesnécessairespourlesfaireévoluer.

III- Les modèles statistiques du big data nécessitent des prérequisenmatièred’interopérabilitédesbasesetdegestiondescompétencesIII-1/ Exploiter les données de la protection sociale : une base de connaissance des publics et de l’usage des prestations partiel-lement exploitable en l’état

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A/ Plusieurs niveaux d’analyse sont envisageables selon le périmètre des bases de données que l’on mobilise

Cequ’offrentprincipalementlestechniquesd’analysedubig data est une recherche exhaus-tiveetnonpluscibléedanslesdonnéesdisponibles.Or,pourleseuldomainedelaprotectionsociale,celapeutrecouvrirunchamptrèsvaste.Eneffet,l’ensembledesbranchesetrégimesdelaSécuritésociale(régimegénéral,régimesalignésetrégimesspéciaux),maisaussiPôleemploi,lesorganismesdeformation,lesorganismescomplémentaires,etc.disposentdedon-néespouvantfairel’objetderequêtesinformatiques.Ilapparaîtdèslorssouhaitabled’exploiterlemaximumdedonnéesdisponiblessil’onsouhaiteaffinerlesanalyseseffectuées.

Onpeut toutefoisenvisagerplusieursobjectifsd’étudesen fonctionde l’étenduedesbasesconsultées :

Enpremierlieul’identificationdelacomplétudedesdroitsappeléspourunrisquesebaseraitsurlesdonnéesdéclaréesparlesassurésdanslesbasesnationalesdesorganismesdeSécuritésociale,auniveaudechaquebranche.

Dansunchampplusétendu,onpeutenvisagerd’étudierlesmodalitésderecoursàl’ensembledesdroitsauxprestationsdelaSécuritésociale,grâceaucroisementde plusieurs bases de données des différents risques : cette lecture pourrait serapprocherdesdynamiquesactuellementà l’œuvreautournotammentduPortailnumériquedesdroitssociaux(PNDS).

Enfin, dans un périmètre plus large, il s’agirait d’être capables de décrire lesphénomènesderenoncementauxdroitssociauxdemanièreglobale:àpartirdedonnéesdisponiblesauprèsd’autresservicespublicsvoiredes réseauxsociaux,d’identifierlesusagersnerecourantpasàleursdroitsetcomprendrelesmotifsderenoncement.

B/ Un niveau fin d’analyse implique des prérequis en termes d’interopérabilité des sys-tèmes voire de fusion des bases de données

Actuellement les recherchessontcentréessur lesfichierspar risque.Plusieurs raisonsex-pliquentcechoixstratégique.D’unepart,touteslesdonnéesprésentesdanslessystèmesdeliquidationnesontpasforcémentrequêtables,du faitdudéveloppementpartieldusystèmed’informationdécisionneloude lamultiplicitédesapplicationssur lesquelles les technicienstraitentlesdemandesdeprestations.D’unpointdevuetechnique,lastandardisationdessys-tèmesd’informationentrelesorganismesdeSécuritésocialeetlesadministrationsn’estpasencoreeffective.Aucunenormecommunen’estétablie;cesontdessystèmesquin’identifientpaslespersonnesdelamêmemanière(lenuméroallocatairedufoyerpourlesCAF,leNIRindividuelpourleRNCPS,l’INEpourleministèredel’Éducationnationale,lenumérofiscaldesimpôtsetc.).

D’autrepart,l’ouverturedesbasesdedonnéeseninterbranchesn’estpastotalementétablieàl’heureactuellemêmesidesprojetssontencours(parexempleleRNCPS).Surcepoint,letravailmenésurlanormalisationetl’harmonisationdesdonnéeseninterbranchelorsdelamiseenœuvredeladéclarationsocialenominative(DSN)resteprécurseurdeparsonimpact.

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L’ensembledesentreprisesdusecteurprivéest,à terme,concernéet laplupartd’entreellestransmetdéjàaujourd’huidesdonnéesexploitablespourl’ensembledespartenairesdelaprotectionsociale.Cetenjeumajeurd’interconnexionentrelesfichiersdesorganismesdeprotectionsocialeétaitparailleurs inscritdans leschémastratégiquedessystèmesd’informationpilotéparlaDirectiondelaSécu-ritésociale(DSS).Ilserasûrementreprissurlaprochainepériodeconventionnelletantlesavancéessurcedomainesontencorefortementattendues.

Pour aller plus loin, l’horizon d’une base de données multilatérale de Sécuritésociale,àl’instardelaBanquecarrefourdelaSécuritésocialebelge,nedoitpasêtretotalementéludé.Quoiqu’ilensoit,l’évolutionàvenirdessystèmesd’informationetl’utilisationaccruedetechnologiescommecellesdubig datanécessiterontunpland’actioncohérentetenglobantl’ensembledesfonctionssupportdesorganismes,desdirectionsdessystèmesd’informationsàcellesdelamaîtrisedesrisques,enpassantparlesressourceshumainesoul’agencecomptable.

III-2/ Accompagner le big data : les problématiques en matière de sécurité et d’accompagnement des équipes doivent être inves-ties en profondeurA/ Un usage massif des données nécessite de solides garanties vis-à-vis de leur sécurité et de leur finalité

L’usageaccrudesdonnéessocialesva toutd’abordnécessiterunaccompagne-ment en termes de sécurisation. De fait, plus les systèmes d’informations sontinterconnectés, plusuneattaque informatiqueà leurégardest dangereuse. Lesrécentscasdecybercriminalitéquiontparalysédenombreuxsecteursd’activité,etnotammentlesystèmedesantébritanniqueenmai2017,ontmontrélavulnérabilitédesystèmesd’informationetdeparcsinformatiquesinsuffisammententretenusetmisàjour.

Deplus,l’utilisationdecetypededonnéesensiblepeutêtredétournée.Aujourd’hui,touteutilisationdesdonnéesàdesfinsdecontrôleparexempledoitêtreaupréa-lablenotifiéeàlaCommissionNationaledel’InformatiqueetdesLibertés.Deso-lidesgarantiesdoiventêtreconservéesenlamatière,d’autantplusque,commelesoulignaitPierreColineten201313,cetteutilisationsoulèvedesenjeuxéthiquesentermesderespectdelavieprivéeetdelalibertédesallocataires.

B/ L’introduction de ces outils amène d’importants enjeux en termes de res-sources humaines et de gestion des compétences

Outre la question de la sécurité des données, les enjeux financiers et humainsrestentconséquents.Defait,lesméthodesactuellesdedata miningimpliquentdescoûtsd’entrée importants,enparticuliersi l’onchercheà lesappliquerà l’accèsauxdroits.Ilfauteneffetcréerdesdonnéesd’apprentissagepouvantêtreconsti-13 COLLINET, Pierre, 2013,«Focus–Ledata mining dans les CAF :uneréalité,desperspectives»,

Informations sociales 2013/4(n°178),p.129-132.

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tuéesàpartird’enquêtesauprèsd’allocataires,ceafindefaireuneévaluationdesdroitspotentielsparrapportauxdroitsdemandés.L’enjeuestderecueillirdesdonnéessuffisammentimportantespourfaireunebased’apprentissageperformante.Ilfautdoncaccepterd’investir,demobiliserdesressourcessupplémentairesfinancières,humainesettechniques,afindeconstruiredesmodèlespourl’avenir,cealorsqu’ilexisteunrisquedenonatteintedesobjectifs:iln’estpaspossibledeprédirelaqualitéoulapertinencedesrésultatsobtenus.

Àpluslongueéchéance,etau-delàdudata mining,lesméthodesditesde«deeplearning»permettraientdebrasser l’ensemblede labasededonnées.Pour labrancheFamille, celareprésenteraitl’analysed’informationspour32millionsd’ayantsdroit.Outrelecoûtdemiseenœuvredecesoutils, lesrésultatsobtenusgrâceaudeep learningrestentdifficilement inter-prétables,lesalgorithmesétantcomplexesàreconstitueretàtraduirepourleséquipesetlesusagers.Pourunemiseenœuvre,ilconviendradoncd’aborddedévelopperlescompétencespourêtreenmesured’interpréterlesdonnéespuisdevoircommentlesrestituerdemanièrelisibleauprèsdesusagers«ciblés».

Jusqu’àprésent,lescompétencesstatistiquesetinformatiquesorientéesbig dataétaientpeurecherchéesdanslesorganismes.Unemontéeenchargedeséquipesgérant lessystèmesd’informationestdoncàprévoir,voirel’appelàdescompétencesextérieures.Parailleurs,unbesoind’acculturationde l’ensembledescollaborateurspourcomprendre laméthodeet lesgains pouvant en découler apparaît nécessaire à terme.Ces approches étant nouvelles, ils’agitainsidelesexpliciter,dedémontrerleursintérêts,présenterleurplus-value.Pourexploi-teraumaximumlesopportunitésoffertesparlebig data,ilconvientparailleursquetouteslesdirections(statistiques,informatiquesetmétiers)semobilisent.

Cesbesoinshumainsneconstituentpasseulementdesfreins,maisaussidesopportunités:l’exploitationdubig dataoffreparexemplelapossibilitédemobiliserdeséquipespluridiscipli-nairesàtraversuneapprochetransversale.Demême,unemutualisationdesmoyenstech-niquesethumainsàunniveauinterbrancheetinter-régime,voireinter-organismesdeprotec-tionsocialeapparaîtsouhaitable,sicen’estprimordial.

ConclusionLe big datan’enestqu’àsesdébutsdansledomainedelaprotectionsociale.Toutefois,faceàl’ampleurdeschantiersàvenir,ilsembleurgentd’investirdèsaujourd’huiuneréflexionpous-séesurcettequestionetsurl’avenirdenossystèmesd’informationenrèglegénérale.Lesen-jeuxquiaccompagnentledéploiementdecestechnologiesimpliquentunemobilisationforteetcoordonnéedesorganismespouréviterladéperditiondesénergies.Silaluttecontrelafraudeaétéunpointd’entréepourcesnouveauxoutils, lenon-recoursaudroitpermettraitdeleurdonnerunelégitimiténouvelle.D’autreschampsrestentégalementàexplorer.

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3BIBLIOGRAPHIEET NOTES DE LECTURE

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Bibliographie

L’ensembledesréférencesdesnouveautésducentrededocumentationetlalistedestravauxdesélèvesetstagiairessontconsultablesenlignesurleportaildocumentairedel’École:http://www.en3s.fr/portail-documentaire

Protection socialeComplémentaires santé, le scandale !/FrédéricBizard.-Paris:Dunod,2016.-198p.ISBN:978-2-10-074380-3

Droit de la protection sociale/FrancisKessler,....-Paris:Dalloz,2017.-916p.ISBN:978-2-247-16996-2

L’étranger et la protection sociale/LolaIsidro.-Paris:DallozSirey,2017.-578p.ISBN:978-2-247-16890-3

La protection sociale au XXe siècle : quel héritage : des défis d’hier aux chantiers de demain /Comitéd’histoiredelaSécuritésociale.-Paris:Comitéd’histoireSécuritéSociale,2017.-213p.ISBN:978-2-905882-92-9

La protection sociale en 170 questions : droits prestations bénéficiaires/Jean-PhilippeCavaillé.-LeMans:Gereso(éditions),2017.-217p.ISBN:978-2-35953-450-4

La Sécurité Sociale : luttes d’hier, mensonges d’aujourd’hui et défis de demain/MichelEtcheverry.-Orthez:Gascogne(Editions),2016ISBN:978-2-36666-085-2

Nouveau monde, nouvelle protection sociale ! : 2017-2022/ClubdeRéflexionsurl’AvenirdelaProtectionSociale.-Paris:CRAPS,2017.-233p.ISBN:978-2955109472

Penser la protection sociale/Comitéd’histoiredelasécuritésociale.-Paris:Comitéd’his-toiredelaSécuritéSoc,2017.-213p.ISBN:978-2-905882-91-2

Protection sociale : le savant et la politique/sousladirectiondeJean-ClaudeBarbieretMariellePoussou-Plesse.-Paris:ÉditionsLaDécouverte,2017.-294p.ISBN:978-2-7071-8940-0

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Quelle assurance maladie voulez-vous ? : essai/MichelHuguier.-Paris:L’Har-mattan,2017.-247p.ISBN:978-2-343-11759-1

Santé et protection sociale solidaires pour tous en 2017/CoordonnéparMichelLimousin.-Montreuil:LeTempsdesCerises,2017.-288p.ISBN:978-2-37071-119-9

SolidaritéDire les inégalités : représentations figures, savoirs/RaphaëlleGuidée,PatrickSavidan.-Rennes:PURennes,2017.-150p.ISBN:978-2-7535-5257-9

En finir avec les idées fausses sur les pauvres /Jean-ChristopheSarrot,Ma-rie-FranceZimmer,ClaireHédon,ATDQuartmonde.-Paris:Editionsde l’Atelier,2017.-222p.ISBN:978-2-7082-4503-7

Reconstruire la solidarité/CatherineAndré,FlorentGuéguen.-Alternativeséco-nomiques,2017.-98p.ISBN:978-2-35240-180-3

Revenu universel : pourquoi ? Comment ?/JulienDourgnon.-Paris:lesPetitsmatins,InstitutVeblenpourlesréformeséconomiques,2017.-125p.ISBN:978-2-36383-220-7

SantéEncadrer les parcours de soins : vers des alliances thérapeutiques élargies ? /FrederikMispelblomBeyer.-Paris:Dunod,2016.-226p.ISBN:978-2-10-072851-0

La démocratie sanitaire : patients et usagers dans le système de santé /AlexandreBiosseDuplan,Préfaced’AgnèsBuzyn.-Paris:Dunod,2017.-465p.ISBN:978-2-10-071018-8

La politique de santé en France/BernardBonnici.-Paris:PressesUniversitairesdeFrance,2016.-123p.ISBN:978-2-13-073240-2

La réforme des systèmes de santé/BrunoPalier.-Paris:PressesuniversitairesdeFrance,2017.-127p.ISBN:978-2-13-078706-8

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Les maladies chroniques : vers la troisième médecine/DidierTabuteau,FrédéricPierru,YvanieCaillé,AndréGrimaldi.-Paris:OdileJacob(Editions),2017.-772p.ISBN:978-2-7381-3526-1

Mieux soignés demain !/EtienneCaniard.-Paris:Cherche-Midi(Le),2016.-237p.ISBN:978-2-7491-4940-0

Prévenir plutôt que guérir : la révolution de la e-santé/AlexisNormand.-Paris:Eyrolles,2017.-198p.ISBN:978-2-212-67415-6

Santé, le trésor menacé/AntoineVial.-Nantes:L’Atalante,2017.-218p.ISBN:978-2-84172-793-3

Système de santé : aux grands mots les grands remèdes/CercleVivienne.-Paris:Publi-cationsduCercleVivienne,2017.-165p.ISBN:978-2-322-13767-1

RetraiteConstruire sa retraite : quand on est salarié et qu’on a 50 ans/PhilippeCaré.-Paris:Ey-rolles,2017.-212p.ISBN:978-2-212-56616-1

Du vieillard au retraité : la construction de la vieillesse dans la France du XXe siècle/EliseFeller.-2017:L’Harmattan,2017.-415p.ISBN:978-2-343-10317-4

La guerre des générations aura-t-elle lieu ? /SergeGuérin,Pierre-HenriTavoillot.-Paris:CalmannLévy,2017.-237p.ISBN:978-2-7021-6089-3

La retraite en liberté/JacquesBichot.-Paris:Cherche-Midi(Le),2017.-126p.ISBN:978-2-7491-5436-7

Les retraités : un état des lieux de leur situation en France : Treizième rapport adopté le 16 décembre 2015/FRANCE.Conseild’orientationdesretraites.-Paris:LaDocumentationfrançaise,2016.-287p.ISBN:978-2-11-010269-0

ServicepublicL’État providence face aux opinions publiques / Frédéric Gonthier.- Fontaine: PressesuniversitairesdeGrenoble,2017.-262p.ISBN:978-2-7061-2662-8

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Notes de lecture

BrunoCoquet,Un avenir pour l’emploi. Sortir de l’économie admi-nistrée,OdileJacob,2017,153pages,19,9€

Unificationdesstatutspublicsetprivés,refontedel’assurancechô-mage,findesemploissubventionnésetd’uneformationprofession-nelledésajustée.Tellessontlesrecettes,bienau-delàdelaréformeduCodedutravail,pourremettrel’emploisurlesrails.

Le livredeBrunoCoquet tombeàpoint.Cettechargecontre lespolitiquesfrançaisesdeluttecontrelechômagevientalimenteretrelativiser lesdébatsautourde lanouvelle réformeannoncéeduCodedutravail.Alimenter,carlesignatairecompteparmileséco-

nomistesthink-tankerssérieux.Relativiser,carilsoulignelesinsuffisancesdemesureslimitéesauxseulssalariésduprivé.Àuncocktaild’analysesbiensentiess’ajoutentquelquespréconi-sations fortes.

Laplumebientrempée,quifustigele«soviétisme»d’uneéconomieadministrée,signalequelespolitiquespubliquesconsacréesàl’emploiabsorbentaumoins6%duPIB.Avecuntauxdechômagequin’ajamaisétéinférieurà7,3%depuisplusdetrenteans,environ2millionsdetravailleurspauvresetunsous-emploimassif.Peutmieuxfaire…Cescopieusesdépensescorrespondent à l’assurance chômage (40 milliards d’euros), aux allégements de charges(33milliards),laformationprofessionnelle(32milliards),lesdépensessocio-fiscalesdetypeemploisaidés(20milliards),lebudgettravailetemploi(13milliards).Onpourraitaugmenterl’addition,jusqu’à8%duPIB,enintégrantCICE,Pactederesponsabilitéetlessoutiensauxservicesàlapersonne.Dansuneacceptionpluslargeencore,lapolitiquedulogementetses40milliardsd’euros,quientretiennentdepuissantsliensaveclemarchédutravail,pourraientvenirgrossirlanote,pouraboutirà10%dePIBaffectés,dedifférentesmanières,àlaluttecontrelechômageetausoutienàl’emploi.Cesdispositifsbigarrés,reprenantlemotdeFran-çoisMitterrand,sontles«onatoutessayé».Coquetdécritunsystèmedirigiste,maissansréelledirectionstratégique.Ilplaidepourladésescalade,l’équitéetlaclarté.Ils’agitd’assainirl’économieenréorientantdrastiquementlespolitiques.

D’abord,lemarchédutravailcen’estpasuniquementleCodedutravail.60à70%desactifsenrelèvent.10%sontindépendants.20à30%,selonlescomptages,relèventdesdifférentesfonctionspubliquesetconventionscollectivesassimilables.Letoutdansuneinégalitédestatutetd’expositionaurisquechômage.Coquetenfonceleclou:«les 2 642 pages du Code de la fonction publique n’ont rien à envier aux 3 280 pages du Code du travail si souvent moquées ». Une réformevéritablementstructurelleconsisteraità fondre lecodede la fonctionpubliquedansceluidutravail.

Autre thème : lesallègementsdecharges. Ilsn’atteignentpas leursobjectifs,alorsque10millionsd’emploissontmaintenantsubventionnés.Afinderendredelaclartéauxpolitiqueset

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delaresponsabilitéauxindividus,Coquetveutfusionnerlescotisationspatronalesdanslescotisationssalariales.Enclair: lessalariésdevraientpayerdirectementleurprotectionsociale.Iln’yapasiciunepropositionoutrageusementultra-libérale,maisunenouvellelogiquecomptable.Àpartquelqueschargesrestantdirectementàl’entreprise(pourlesaccidentsdutravailnotamment),lesalairebrutseraitcom-posédunetetdel’ensembledescotisationsàlachargedusalarié.Celui-civerraitbienquecen’estpasletravailquiestcoûteuxmaislaprotectionsociale.

Finconnaisseurdel’assurancechômage,quin’estpassigénéreusequecela,Co-quetsoutientunargumentpuissant.S’ilestaujourd’huisurendetté(àprèsde100%de sesdépensesannuelles), le régime, pour sa seule fonctiond’assurance, estenréalitéexcédentaire.MaissescontributionsàPôleEmploietdesponctionsquidevraientpesersurleministèredelaculture(lesintermittents)creusentsondéficit.Plutôtquelerationnementetladégressivitédesallocations,cesontlescotisationsqu’il faut revoir, taxant lesemployeursen fonctionde leurscomportements.Plusgénéralement,l’assurancechômageseraitappeléeàunredéploiementetuneuni-versalisation(cequesouhaiteaussiEmmanuelMacron).Surleplandelaformationprofessionnelle,dontl’inefficacitéetl’iniquitésontrégulièrementdécriées,Coquetinviteàunmoratoiresurcinqans (horsapprentissage)demanièreàengrangerquelques dizaines demilliards et revoir des politiques totalement inappropriées.L’expertfaitfort.Sanstechnicitéexcessive,ilbalisedespistesquinesontpasfor-cémentàsuivre.Maisquisecouentlecocotierdepolitiquespubliquesassurémentinefficientes.

Julien Damon

Tyler Cowen, The Complacent Class. The Self-De-feating Quest for the American Dream, St Martin’s Press,2017,241pages.

À rebours de certaines idées reçues, le dernierouvragedeTylerCowensoulignel’étourdissementdel’économieetdelapopulationaméricainesdansun statu quosatisfait.Leréveilpourraitêtrebrutal.Et,de l’autrecôtéde l’Atlantique, ilpourraitdansunecertainemesureenallerdemême.

Économistederenom,animateurducélèbreblog« marginalrevolution.com », Tyler Cowenproduit unnouveau livre important. L’Amérique, dont la classemoyennecontinueàs’effilocherpourcausedemutationsdigitales,sepolariseentrebéné-ficiairesetvictimesdesnouvellesréalitéséconomiques.Elles’unifie,cependant,dansunefortecomplaisanceàl’égarddeséquilibresactuels.

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Parmi lespremiersàdessiner laperspectived’une«grandestagnation»,Cowenmetcettefois-cil’accentsuruneAmériquesatisfaited’elle-même.Lathèse,originale,porte sur l’aversion croissanteau risqueet au changement desAméricains. Ils démé-nagentmoins: lesmigrationsinter-Étatsontbaissédemoitiédepuis lesannées1960.Ilsentreprennentmoinssiquelquesstart-upssontcélébrées,lenombredechefsd’entreprisedemoinsdetrenteansabaissédesdeuxtiersdepuislesannées1980.Qu’ilsvotentpourDonaldTrumpouBernieSanders, lesélecteursrecherchentdavantagedegarantiesetprotections.La révolution numérique n’apporte pas un souffle d’énergiemais des outils en faveur d’unquotidienpaisible.Algorithmesetréseauxsociauxfavorisentl’homogamieetlaquêtedetran-quillité.AvecleslivreursdepizzaetAmazon,lesAméricainsnesontjamaisaussipeusortisdechezeux.Onabeauparler,àlongueurdepitch,dedisruptionetd’écosystèmesinnovants,leshabitants,dansdesquartierstoujoursplusspécialiséssocialement,aspirentd’abordàduconfort.Lesclassessupérieures,s’affichantlibérales,neveulentrienbouleverser.Lesclassesmoyennes,écraséespar leurspréoccupationsfinancières,neveulentpass’émancipermaisprogresser.Lespauvresneserévoltentplus.L’accélérationdel’informationestmiseauser-vicedeladécélérationduchangementsocial,etl’innovationauservicedudivertissement.Leralentissementdelavitessededéplacementdansdesvillescongestionnéessedoubled’unralentissementgénéraldelamobilitésociale.Gentrificationetségrégationserenforcent.L’en-semblenourritune«économieossifiée»faited’aborddedésirsdestabilité.

Cowenanalysedeschiffresetdestendances.Ilfaitaussipartdesesétonnements.Enparticu-lierdecesaisissantcontrasteentrel’effervescencechinoiseetl’engourdissementaméricain.Diminutiondesmobilisationsetdesémeutes,effacementdesidéologiesradicales,retenuedel’effervescencesurlescampus:lesÉtats-Unisvieillissantsneconnaissentaucunmouvementvolontariste.Lesjeunes,passésduLSDauProzac,sontgavésdetranquillisantsdèsl’enfance.MêmelesLGBT,selonCowen,semblentrangés,nesedressantpluscontrel’ordrebourgeois.

Laviequotidienneaméricainen’ajamaisétéaussiconfortable,maislasituationnesauraitêtredurable.Àforcederepousser lechangement, lesÉtats-Unisseprendront leschangementsdumondeenpleinvisage.Ilsnesauraientresterenfermésdansunebullesatisfaiteàl’écartrelatifd’unmondebouillonnant.Leproposestplusdomestiquequegéopolitique.PourreveniràcettedémocratievivanteetinnovantevantéeparTocqueville,lesAméricains,devenuspas-sifs,doiventredevenirrisquophiles.AurisquedecequeTocquevilleavaitvu:unetyranniedelamédiocrité.Passésd’uneculturecollectivedeliberté, incarnéepar lavoiturepersonnelle,àunecultureindividuelled’aliénationdanslesmartphone,ilss’abrutissent.Lemotn’estpasdeCowen,maissastatistique,70heuresd’écransdiversparadolescentchaquesemaine,estéloquente.

Cemondeapaisés’avèredéfavorableauxhommespeuqualifiés.Unecertainedévirilisationdupaysdescow-boyspèsesurlesattentesetlesattitudes.Ceshommesmalmenéséconomique-mentdansununiversquiamoinsbesoindebraspourraientsetrouveràlabasedecertainesrébellions queCowen, sans appeler de ses vœux, perçoit. L’avenir risque d’être bousculé.LesémeutesdeFerguson,en2015,pourraientêtreunavant-goûtdu retourde laviolencepolitiquefaceàladualisationsocialeetracialedupays.Surunautreplan,lacrisefinancièrede2007-2008aétéunpremierchocérodantlemythedelastabilitédusystèmefinancier.Lescyberattaquesn’ensontqu’auxprémicesd’unessor,numérique,ducrime.L’instabilitégou-

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vernementalemettraitenquestiondespolitiquespubliquesaujourd’huienpilotageautomatique.Enunmot,Cowenentrevoit,explicitement,uneformedechaos.Pré-alableàunerégénération…

Julien Damon

M.Borgetto,A.-S.Ginon, F.Guiomard, D.Piveteau (dir.),Travail et protection sociale : de nouvelles articula-tions ?,LGDJ,coll.«Grandscolloques»,2017.

Voiciun titred’actesdecolloqueuniversitaireàmêmed’inspirer le jury d’un prochain concours d’entrée àl’EN3S.Ilseraiteneffetsusceptibledefournirunsujetdedissertationintéressanttantlaquestionsoulevéeap-paraîtcrucialedans ledébatsur lespolitiquesdepro-tectionsociale.L’appréhenderavecpertinencesupposed’effectueruneanalyseenprofondeurdeschangementsquiaffectentleslogiquesdelaprotectionsocialeàl’aunedestransformationsdumondedutravail.C’estprécisé-

mentl’angled’approcheretenudanscetouvrage,afinderendreplusexpliciteslesmétamorphosesdusystèmefrançaisetd’enidentifierlespistesd’évolutionpoten-tielles.

S’engager dans une entreprise aussi ambitieuse nécessite d’envisager les rap-ports entre travail et protection sociale sous ses principales facettes.Aussi, celivrerassemble-t-ilunequinzainedecontributionsenprovenancenonseulementd’enseignants-chercheursmaisaussidereprésentantsd’organisationssyndicalesetpatronales.Issudedeuxjournéesd’étudesorganiséesles17et18novembre2016par lesuniversitésdeParisIIetdeParisNanterre,cetouvrageéchappeàuntraverssouventrencontrédanscegenredepublication,celuiden’êtrequ’unesimplecompilationde«papiers»épars.Sesquatreco-directeursontveilléavecunsointoutparticulieràstructurerdefaçoncohérente,autourd’unfilconducteur,lesdifférentescontributionscommelereflètefortbienlatabledesmatières.Unepremièrepartieestdévolueàladésarticulationdesrapportsentretravailetprotec-tionsocialetandisquelasecondeviseàs’inscriredansuneapprocheprospectivepourrecherchersietdequellemanièreleDroitpourraitconsacrerlamiseenplacedenouveauxmodèlesd’articulation.Cesoucideconstructionestperceptibledèsl’introductionlaquelle,ilfautlesouligner,jouepleinementsonrôleenpermettantaulecteurdedisposerdetouteslesclésdecompréhensiondel’évolutiondesrapportsentretravailetprotectionsociale.Comprenantunequinzainedepagessolidementdocumentées,ellemetenexerguelaproblématiquedusujet : longtempspenséeàtraversl’organisationd’uneprotectioncentréesurlestravailleurs,mêmesielles’en

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estenpartieémancipéeauprixd’unecomplexitécroissante,lapriseenchargedesrisquessociauxestaujourd’huiconfrontéeauxdifficultésdécoulantdecettesituation,cequi invite à réfléchir à la recompositiondenotremodèledeprotection sociale.Par ailleurs,enconclusionde l’ouvrage, le rapportdesynthèseélaboréparRolandeRuellan,ancienDirecteurdelaSécuritésocialeetancienPrésidentdela6eChambre(Sécurité sociale, santé)delaCourdescomptes,offreunpanoramaàlafoisclairetconcisducontenudel’ou-vrage.

Parmilescontributionsrecensées,quelques-unesattirentplusparticulièrementl’attention.OnpeutciterentoutpremierlieucelleduprofesseurJean-PierreChauchardrelativeà« L’appari-tiondenouvellesformesd’emploi:l’exempledel’ubérisation ».SpécialistedudroitdelaSécu-rité sociale etayantproduitparlepasséunrapportsurlasubordinationdansletravailetplu-sieursarticlessurlesformesparticulièresd’emploi,ilnousproposeunéclairageprécieuxsurlephénomènedel’ubérisation.Dansuneautreveine,leprofesseurPierre-YvesVerkindtparvientànoussurprendreavecsacontribution« Faut-ilrepenserlanotionderisquesocial?».Alorsmêmequetoutsemblaitdéjàditoupresquesurcethème,ilnousentraînedansuneréflexiondoctrinaleaussirigoureusequepassionnantemêmes’ilentirelaconclusionselonlaquelle« il n’est pas aussi certain que la notion de risque social (en elle-même) doive être reconsidérée. C’est sans doute bien plutôt la protection sociale qui mériterait de l’être à partir des transfor-mations sociales et sociétale ».Intéressédepuisdenombreusesannéesparlesquestionsderesponsabilitéetderesponsabilisation,l’auteurdeceslignesnesaurait,bienentendu,passersoussilencelatrèsbellecontributiond’Anne-SoplieGinonetdeFrédéricGuiomardintitulée«Quelleslimitesàlaresponsabilisationdessalariésetdesentreprises? » laquellenousfaitpartageraufinaluneinterrogationparticulièrementstimulante : « La protection sociale peut-elle devenir plus protectrice en focalisant son intervention sur les comportements individuels ? ».En l’occurrence,ilyauraitsansdoutematièreàl’organisationd’unnouveaucolloque…

Sansremettrecauselagrandequalitédecetouvrage,ilestnéanmoinspermisderegretterunmanquedanssoncontenu.Plusprécisément,ilauraitétéjudicieuxdeconsacrerunecontribu-tionàl’indemnisationdel’incapacitédetravail,enparticulieràl’incapacitétemporairedetravail,tantcesujetintéresselerapportentretravailetprotectionsociale.Onétablitcertesparfoisunecorrélationentrel’évolutiondesarrêtsdetravailmaladieetladégradationdesconditionsdetravailmaislaquestionainsiévoquéevabienau-delà.Ellerenvoieàunequestionfondamen-tale,celledeladualitédelacouverturedel’incapacitétemporairedetravailquirésulted’unmo-dèled’articulationentreletravailetlaprotectionsocialehéritéd’unepériodedepleinemploi : lessalariéslesmieuxprotégésenvertududroitdutravailsontaussiceuxquisontlemieuxindemnisésdesarrêtsdetravailmaladieparlejeuàlafoisdelacouverturedebasedelaSé-curitésocialeetdelacouverturecomplémentaire;enrevanche,etàquelquesexceptionsprès,lessalariéslesmoinsprotégés(titulairesdecontratsàduréedéterminéecourtsentrecoupésdepériodesdechômageindemniséesounon)sontaussilesmoinsindemnisés,notammentencasd’arrêtdesixmoisetplus,mêmesicertainesmesuresontétéadoptéesenleurfaveurde-puiscesdernièresannées.Cettesituationdéfavorablen’estd’ailleurspaspropreauxsalariésmaisconcerneaussilestravailleursindépendantsetnotamment,ceuxayantuneactivitéexclu-sivedemicro-entrepreneur(autoentrepreneur).Or,auregarddececonstat,etdel’objetmêmedelaSécuritésocialequiconsisteà«préserverlestravailleursdel’incertitudedulendemain»,

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neconviendrait-ilpasderéfléchiràunnouveaumodèled’articulationentretravailetprotectionsocialeencequiconcerned’indemnisationdel’incapacitédetravail?Entoutétatdecause,cesquelquesdéveloppementsviennentcorroborerladécla-rationintroductivedesco-directeursdel’ouvrageselonlaquelle« les contributions présentées (…) dessinent des figures ou des hypothèses sans chercher à clore le propos, ni prétendre à sa complétude».Qu’ilsoitdoncégalementrenduhommageàleurclairvoyanceetàleurmodestie!

Gilles Huteau

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