richta, radovan la civilisation au carrefour paris, Éditions anthropos, 1969

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    la civilisation

    au carrefour

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    RADOVAN RICHTA

    au carrefour

    OUVRAGE REALISE AVEC

    L'EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

    DE L'INSTITUT DE PHILOSOPHIE

    DE L'ACADEMIE DES SCIENCES DE TCHECOSLOVAQUIE

    Traduction de Ludmila Klimova et de Jean-Louis Glory

    ditions anthropos paris15, rue Racine,PARIS6'

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    Tous droits rservs pour la langue franaise

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    ,j _ _

    Cet ouvrage a t ralis sous la direction

    de Radovan RICHTA

    Docteur en Sciences philosophiques, correspondant del'Acadmie des Sciences, responsable de l'quipe inter-disciplinaire de recherches sur les aspects sociaux ethumains de la rvolution scientifique et technique prsl'Institut de Philosophie de l'Acadmie Tchcoslovaque des

    Sciences (Z;SAV).

    avec la collaboration de

    AUERHAN JanDocteur en Economie politique, Institut Economique prs la

    CSAV.. 'BARES Gustav

    Docteur s Lettres, Professeur la Facult d'ducation desadultes et dejournalisme de l'Universit Charles.

    BARTA DrahomirProfesseur associ, Docteur s Lettres, Institut d'Histoire duSocialisme.

    BRENNER Vladimir

    Professeur associ, ingnieur, Facult de physique techniqueet nuclaire de l'Universit Charles.CVEKL Jiri

    Professeur associ, Docteur s Lettres, Institut de Philoso-phie prs la CSAV.

    DRB ZdenkProfesseur associ, Docteur en Economie Politique, Centred'automatisation et de la technique des calculs.

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    DUBSK Irena z

    Docteur s Lettres, Institut de Philosophie prs la CSAV.DUDA EmilDocteur s Sciences, Facult d'lectrotechnique de l'Ecolesuprieure technique slovaque.

    FILIPCOV BlankaProfesseur associ, Docteur s Lettres, Institut de Socio-logie prs la CSAV.

    '

    FILIPEC JindrichProfesseur associ, Docteur s Lettres, Institut de Philoso-phie prs la CSAV.

    '

    FISCHER JiriDocteur en Droit, Centre d'information scientifique, techniqueet conomique.

    GOTTLIEB MiroslavDocteur s Lettres, Centre de thorie de l'architecture et

    , de cration du milieu de vie prs la CSAV.HAJEK Mojmir

    Licenci en Economie politique, Institut Economique prs lasav.HAVELKA Jaroslav

    Docteur s Lettres, Ministre de l'ducation nationale.HERMACH Jri

    Professeur associ, Docteur s Lettres, Institut de Philoso-

    phie prs la CSAV.HORAK Robert

    Institut de recherche de l'conomie, de l'industrie et dubtiment. , ,

    HORVATHOV-HAVLINOV Miluse "Docteur s Lettres, Institut de Philosophie prs la CSAV.

    HROUDA MilanDocteur s Sciences, Facult de physique technique etnuclaire de l'Universit Charles.

    JANOU?EK Jaromir vDocteur s Lettres, Institut de Psychologie prs la CSAV.

    JAVREK Zdenk ,Docteur s Lettres, Institut de Philosophie prs la CSAV.KLAUCO Jaromir

    Professeur associ, Docteur s Sciences, Facult d'lectro-technique de l'Ecole suprieure technique slovaque.

    KLEIN OtaDocteur s Lettres, co-responsable de l'quipe interdisci-plinaire de recherches, Institut de Philosophie prs la CSAV.

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    KOSTA JriDocteur en Economie politique, Iristitut Economique prs la

    CSAV.KOTSEK Jiri

    Professeur associ, Institut d'tudes par correspondance prsl'Universit Charles.

    KRAL MiroslavProfesseur associ, Docteur s Sciences, Haute Ecole poli-tique.

    KUTTA Frantisek

    Docteur en Economie politique, Institut Economique prs laCSAV.LAKOM1' Zdenk

    Architecte, Centre de thorie de l'architecture et de crationdu milieu de vie prs la CSAV.

    LEVCIK BedrichDocteur en Economie politique, co-responsable de l'quipeinterdisciplinaire de recherches, Institut Economique prs laCSAV.

    MAGDOLEN ErnestDiplm en Economie politique, Institut d'tude du niveau devie.

    MEDONOS SavaIngnieur, Commission d'Etat pour la technique.

    NEKOLA JiriDocteur s Sciences, Centre d'tude de la fonction socialede la science prs la CSAV.

    NOVY OtakarArchitecte, ingnieur civil de la construction, Centre de tho-rie de l'architecture et de cration du milieu de vie prs laCSAV.

    PARZEK VlastimilProfesseur associ, Docteur s Lettres, Universit du 17Novembre.o

    PRCHA Milan v

    Docteur s Lettres, Institut de Philosophie prs la CSAV.PRIKRYL VladimirDocteur s Lettres, Ecole suprieure conomique.

    SLMA JiriProfesseur associ, Docteur en Economie politique, Institutde recherche de l'conomie de l'industrie et du btiment.

    SVOBODA MilosDocteur s Lettres. Institut de Philosophie prs la CSAV.

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    SINDELR JanDocteur s Lettres, Haute cole politique.

    TEICH Mikul'asDocteur s Lettres, Institut d'histoire prs la CSAV.

    TOMS MiroslavDiplm en Economie politique, Institut Economique prsla CSAV.

    TONDL LadislavProfesseur, Docteur en Sciences philosophiques, Centred'tude de la fonction sociale de la science prs la CSAV.

    VALENTA FrantisekProfesseur associ, Docteur en Economie politique, Ecolesuprieure conomique.

    VRBA JiriProfesseur associ, Docteur en Mdecine, Docteur s Scien-ces, Institut d'hygine de la Facult de mdecine gnralede l'Universit Charles.

    ZELENY Jindrich

    Professeur, Docteur s Lettres, Ecole suprieure conomique.

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    A OTA KLEIN

    Nous ddions cette dition franaise denotre ouvrage collectif la mmoire del'un de ses auteurs mort tragiquement,notre ami et collaborateur Ota KLEIN quia tant fait pour la parution de ce livre en

    France, dans l'excellente traduction deLudmila Klimova et de Jean-Louis Glory.

    Radovan RICHTA

    Octobre 1968.

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    PREFACE

    Il m'est impossible d'crire cette prface sans parler de

    mon camarade, Ota Klein, l'un des auteurs de ce livre collectifOta, je l'ai vu pour la premire fois en dcembre 1966 laHavane, sous le soleil et dans le bruit de la fte cubaine . Jel'ai vu pour la deuxime et pour la dernire fois en septembre1968, dans un parc de Normandie empli de beaut, d'quilibreet de mlancolie. Quelques jours aprs, la fin de ce colloquenormand qui nous avait runis, Ota se tuait dans un accident devoiture.

    Nous subissions plein, en ce mois de septembre, letraumatisme engendr par les vnements survenus en Tchcos-lovaquie... la patrie d'Ota. Les vnements de mai et dejuin enFrance s'agitaient encore en sarabande dans nos cerveaux etdans nos nerfs. Et voil qu'Ota trouvait la mort. Lui et moiavions vcu quelques heures ensemble, parl peut-tre quelquesquarts d'heure, mais j'prouvais pour lui de l'amiti et durespect : peut-tre cause de la clart de mtal, sans complai-

    sance, avec laquelle il discutait, jointe une sorte de tensionpermanente qu'on sentait en lui, sous le soleil cubain commedans la mlancolie normande, et qui pourtant s'accompagnaientd'une telle chaleur humaine... A tous, il nous arrive derapprocher ce qui nous est intime, de ce qui se passe dans lemonde : pour moi, Ota personnifiait un peu le Printemps dePrague tel que je me l'imagine, et sa mort s'associe dans monesprit aux craintes que l'on prouve pour l'avenir de ce

    Prin temps.

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    XIV LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    Ota Klein eut une vie douloureuse et riche. A la suite de

    l'occupation de son pays parles nazis en

    1939,Klein dut

    interrompre ses tudes, l'age de 18 ans. Il travailla dans uneferme puis l'usine, et connut partir de 1941 l'horreur des

    camps de la mort : Terezin, Auschwitz, Buchenwald. Il repritses tudes de philosophie et de psychologie sa libration 24ans. Puis il devint journaliste et publiciste, traduisant en

    particulier de nombreux auteurs trangers. Son activit profes-sionnelle et son activit de militant du P.C. T ne lui suffisant pas,Klein se tourna vers la recherche

    scientifique partir de 1960,

    et devint chercheur l'Institut de Philosophie de l Acadmiedes Sciences Prague .

    A ce titre, il fut non seulement l'un des rdacteursprincipaux de La civilisation au carrefour . mais encore unorganisateur et un animateur hors pair au sein du collectif dirigpar Radovan Richta.

    Le livre maintenant. Il a une histoire intressante :

    Surtout souligne bien, m'avait dit Ota, que l'inspirateur, lepre, le coeur de ce livre, c'est Radovan Richta. Richta arflchi, pendant des annes de maladie, sur l'oeuvre de Marx,sur la faon dont il fallait la continuer pour aborder nosproblmes d'aujourd'hui et de demain. Il songeait, en particu-lier, aux germes thoriques contenus dans les Fondement de lacritique de l'conomie politique qui ne demandaient qu'grandir.

    A sa sortie du sanatorium, Richta possdait ses idesmatresses, ses hypothses de travail, mais il lui manquaitl'opinion des spcialistes des diffrentes disciplines, il lui fallaitconfronter ses ides avec le monde d'empirisme, commencer latche de synthse thorique de toutes ces matires particulires.

    C'est ainsi que commena l'oeuvre collective. Richta, Kleinet d'autres rdigrent de courts textes, soumis aux spcialistes.Ils furent bientt des dizaines collaborer 1'oeuvre(70 environ

    aujourd'hui) : philosophes, conomistes, sociologues,psychologues, ducateurs, politicologues, historiens, architectes,mdecins, spcialistes des sciences naturelles et des techniques,etc... Ce travail interdisciplinaire donna naissance de nom-breux rapports qui furent fondus et publis en tchque en 1966sous le titre la civilisation au carrefour (1 J. Cette premireversion de 1'oeuvre fut ensuite soumise une discussion plus

    (1) A 50.000 ex. dition aujourd'hui puise... Le tirage d'un bon roman enFrance.

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    PREFACE D'YVES BAREL XV

    large, y compris dans les instances politiques suprieures dupays, et au cours d'changes de vues avec des

    scientifiquesdu

    monde entier (URSS, RDA, Etats-Unis, France, Hollande,Japon ... ). Cette discussion aboutit une deuxime version quifut le texte de base de la confrence de Marianke Lazne d'avril1968, et qui est aujourd'hui prsente en traduction au lecteurfranais.

    Encore tout ceci ne reprsentait-il, aux yeux du collectifde travail dirig par Richta, que la premire tape du travail.Elle a t suivie d'une deuxime tape, qui comportaitnotamment, outre d'autres activits scientifiques, la partici-pation du collectif Richta la prparation du 14me congrs duPCT, et du programme long terme du dveloppement de lasocit tchcoslovaque.

    Alors devait s'ouvrir la troisime tape, qui devait repr-senter la synthse de la premire et de la deuxime tape, etmontrer la voie de l'intgration de la science conomique et desautres sciences sociales et humaines avec comme objectif final la

    construction d'un modle de socit socialiste dans sa variantehumaine, c'est dire contemporaine, dans la terminologie ducollectif Richta, du plein panouissement de la rvolutionscientifique et technique.

    La faon dont ce livre a t labor, indpendamment deson contenu, mrite d'tre souligne. D'abord parce qu'ilreprsente un exemple russi de collaboration interdisci-plinaire : pour qui connat les difficults trs grandes de ce type

    de collaboration, il y a l un fait marquant. Mais plus frappantencore est la manire dont ce livre s'articule la vie politique etsociale de la Tchcoslovaquie. L'analyse des problmes tchcos-lovaques, les proccupations qui naissent de ces problmes,tiennent une place importante dans le livre, sans pour autantqu'on puisse le considrer comme une oeuvre usage interne : ilest, en effet, largement ouvert aux problmes et la littraturedu monde entier. Ce serait surtout une erreur de lire cette

    oeuvre, comme une simple interrogation - respectable en soi,mais finalement peu opratoire - d'intellectuels tchcoslovaquessur : que sera-ce de nous demain ? Le livre a t crit lademande des autorits politiques tchcoslovaques ouvertes auchangement, et les diverses phases de son laboration ont tcontr6les et discutes par elles. Il est donc au plein sens duterme, un acte politique. Je connais peu d'exemples, s'il enexiste, de collaboration ce niveau de dtail entre une partie de

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    xvi LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    la direction politique et d'intelligentzia d'un pays, c'est dire

    de pntration du pouvoir politique par la rflexion scienti-fique, et vice-versa.Je ne chercherai pas prsenter, mme sous une forme trs

    rsume, le contenu de la civilisation au carrefour . Il rpond une proccupation qui est fort bien dfinie par le texte (2) :

    La propre mission du socialisme est de rechercher unevariante humaine de la civilisation technique, de stimuler ledveloppement de la spre de l'homme. Cet humanisme lui est

    essentiel : si un certain niveau le dveloppement de l'hommene s'avrait pas tre rellement la source la plus puissante duprogrs de la civilisation, le communisme demeurerait un rvelointain. Seul le dgagement des ressources des forces cratriceshumaines au-del de la mesure ordinaire au systme industrieldans le cadre du capitalisme peut dfinir le seuil au-del duquelil s'empare de l'initiative dans la comptition ; c'est par cedgagement que se distinguera-du point de vue des possibi-

    lits - le cours de la rvolution scientifique et technique sous lesocialisme .Un marxiste et un communiste franais ont crit rcem-

    ment peu prs la mme chose : L'essence du socialisme c'est prcisment d'tre le rgime

    capable de faire de chaque homme un homme, c'est dire uncrateur, un moment dcisif de l'initiative, de l'histoire de lacration continue de l'homme par l'homme. .

    Il s'est alors trouv un autre marxiste et communistefranais pour rpondre :

    Belle formule littraire, mais qui n'a - mes yeux dumoins (3) - gure de valeur scientifique et qui, entre autres,obscurcit totalement la notion de classe sociale .

    De quoi s'agit-il, dans le livre que vous allez lire ?Prcisment de la valeur scientifique de cette belle formule .Ce dont il est question n'est pas d'obscurcir ou d'clairer lanotion de classe sociale - le reproche n'est gure srieux et n'aqu'une sorte de valeur incantatoire - c'est de se demander quels

    (2) Voir l'introduction cet ouvrage. _(3) Cette restriction, a mes yeux du moins , est intressante. Le marxiste n. 2

    reproche au marxiste n. 1 d'exposer - nous citons - en toute libert (soulign par lemarxiste n. 2 un certain nombre d'ides n'ayant que d'assez lointains rapports avecle programme, les thses et les rsolutions du Parti communiste franais l'laborlltion et l'adoption desquels il a cependant particip. On peut donc esprerque le jugement du marxiste n. 2 sur la belle formule , est, elle aussi, l'expositionen toute libert, d'un certain nombre d'ides n'ayant que d'assez lointains rapportsavec le programme, etc..., l'laboration et l'adoption desquels il a cependant

    particip.

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    PREFACE D'YVES BAREL XVII

    sont les problmes qui se poseront au socialisme et au

    communisme aprs quela lutte des classes et l'existence mme

    des classes sociales l'intrieur d'un pays auront cess de peserd'un poids dcisif dans son histoire, et c'est aussi d'exposerpourquoi il est important de se proccuper de ces problmes dsaujourd'hui.

    Si la belle formule en question n'tait que l'expressiond'un humanisme un peu bbte parce que coup de l'histoire, lacause serait vite entendue, en effet. Mais il s'agit de tout autrechose. Il

    s'agitde dmontrer

    qu'une certaine

    tapedu

    dveloppement des forces productives, celle qui concide avecl'actuelle rvolution scientifique et technique et qui coincideraencore plus avec son panouissement, le plein dveloppement del'homme devient et deviendra la condition ncessaire du progrsde la civilisation. Que ce plein dveloppement soit unecondition ncessaire, ne signifie pas qu'il interviendra ncessaire-ment.t.

    Jusqu' nos jours, la civilisation a pu progresser avec deshommes mutils, triqus, exploits. alins. Nous entrevoyonsmaintenant le moment o des progrs pourront continuer sil'homme conquiert toutes ses dimensions, ou seront bloqus s'ilne les conquiert pas. C'est l'homme de choisir. Et le choixdoit commencer aujourd'hui parce que la rvolution scientifiqueet technique est dj commence, mme si elle est encoreembryonnaire, et parce que si l'on attend trop, il se trouveratoujours un groupe d'hommes pour choisir et dcider la placede l'humanit.

    Les rponses que nous prparons pour demain ont uneimportance pratique, et politique, pour notre vie d'aujourd'hui.En veut-on un exemple ? Nous voici devant un fait:l'intervention extrieure dans les affaires du socialisme tchcos-lovaque. Comment vont voluer court terme les affaires dusocialisme, si on ne se dcide pas srieusement voquer lesproblmes suivants : 1) l'analyse des conditions internes pro-pres une ou plusieurs socits socialistes et qui ont rendupossible une dformation du socialisme de ce type. Il est videntque le socialisme ne s'en portera gure mieux si, tout encondamnant, sur un plan moral, pour ainsi dire, cette dforma-tion, on n'en recherche pas l'explication scientifique, afin depouvoir dire clairement ce qui est socialiste et ce qui ne l'estpas, et pourquoi cela ne l'est pas ; 2) l'examen des mesures qui,dans le cadre du mouvement socialiste mondial, doivent rendre

    impossible ou au moins, gner fortement, une dformation de

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    XVIII LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    ce type ; 3) tout cela ne constitue encore que le minimum quel'on doit pouvoir obtenir d'une analyse du socialisme. Il reste

    tudier, outre ce que le socialisme doit tre capable d'assurer oude respecter aujourd'hui, les potentialits futures du socialismeet les conditions dans lesquelles ces potentialits pourrontdevenir ralits.

    La civilisation au carrefour apporte sa contribution l'analyse des dformations subies par le socialisme, et despossibilits de dveloppement d'un socialisme capable d'offrirune relle solution de rechange au capitalisme contemporain. Le

    point de vue socialiste partag par tous les auteurs de Lacivilisation au carrefour est, de par son caractre scientifique(c'est dire critique) beaucoup plus convaincant et beaucoupplus efficace sur le plan de la popularisation du socialisme, queles phrases optimistes grce auxquelles certains auteurs enten-dent prouver leur orthodoxie. Le caractre socialiste de < Lacivilisation au carrefour est le reflet du caractre socialiste del'exprience tente par le pays o ce livre a t crit, et c'est le

    socialisme seul qui ptit des entraves apportes cetteexprience.Ce sont ces thmes qui constituent la trame de fond de La

    civilisation au carrefour . Ce livre est, ma connaissance, lapremire exploration systmatique des avenirs possibles (futuri-bles, dit-on en France) du socialisme utilisant la mthodemarxiste. Cela ne veut pas dire que le collectif Richta prtend prdire , dans les dtails, ce qui se passera en l'an 2000,

    2050, ou 2100 (4). Comment le pourait-il, puisque, comme ledisait Marx, l'anatomie de l'homme est la cl de l'anatomie dusinge, et que nous vivons encore dans un monde assourdi par lescris, et dconcert par les grimaces, des singes ? Le but dulivre n'est pas de prophtiser, mais de dfinir le plus exactement tqu'il est possible, les conditions de choiw ouverts aux hommes,et les consquences de ces choix.

    Ce livre marque donc l'apparition, mon avis, d'une

    vritable prospective marxiste. Ce n'est pas que la littraturemarxiste et socialiste n'ait pas dj beaucoup crit sur l'avenir.On peut classer cette littrature en deux groupes. Dans lepremier groupe, figure une srie d'analyses intressantes

    (4) Ce n'est pas le cas de Mme Lebachova, directrice de l'Atelier de crationartistique au Ministre de l'Industrie lgre de la RSFSR, qui pense que les jupeslongues redeviendront populaires en l'an 2000, parce que le cycle de la mode courteest en train d'puiser son dynamisme, et que les talons hauts rapparaitront avant lafin du sicle, tant que l'humanit n'aura pas atteint une hauteur moyenne de 2 mtres

    (Les Izvestia.du

    1 er septembre 1967).

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    PREFACED'YVESBAREL XIX

    publies dans les pays socialistes (notamment en URSS et en

    RDA), et partiellement disponibles en franais, sur les perspec-

    tives de dveloppement long terme des sciences et destechniques. Dans le second groupe, on peut classer les nom-breux crits sur les traits principaux du communisme futur,depuis les phrases que Staline y consacrait jusqu' par exemple,le livre de V. Afanassiev sur le communisme scientifique (5).

    Ce qui diffrencie La civilisation au carrefour du

    premier groupe d'crits, c'est la diffrence des domainescouverts. La civilisation au carrefour a pour ambition de

    couvrir toute la problmatique sociale et les connexions internesdu processus historique, tandis que le premier groupe d'crits selimite un aspect particulier de cette problmatique. Quant la

    diffrence avec la plupart des crits sur le communisme futur,elle repose sur une hypothse, implicite dans les crits sur lecommunisme futur, et explicite dans La civilisation au

    carrefour . L'hypothse implicite de nombreux crits sur le

    communisme est que, ma foi, pourvu que nous ayions l'infras-

    tructure (l'abondance des biens, le temps libre...), la supers-tructure suivra. Il est frappant d'observer que ces crits se

    polarisent littralement sur la description des bases du commu-

    nisme, et n'ont que fort peu de choses dire, ou rien sur les

    superstructures, c'est dire, en dfinitive, sur la manire dont les

    gens vivront Le communisme et comment ils s'y sentiront (6).Encore une fois, personne ne demande personne de dire

    ce que sera la littrature communiste de l'an 2000 ou plus, ou

    de dfinir ce qui fera le bonheur deshommes la mme date.

    Mais le mrite de La civilisation au carrefour est d'abandon-ner l'hypothse implicite des crits habituels sur le commu-

    nisme, hypothse qui n'est que la longue survivance, dans unmarxisme appauvri, de la thorie du reflet, et d'adopterl'hypothse explicite que l'infrastructure et la superstructure dusocialisme et du communisme doivent se construire ensemble et

    (5) Essaiset documents,Ed. du Progrs,Moscou,1967.Il faut qu'endehorsde

    publicationsde ce genre,dont l'intrtscientifiqueparait limit,il existedestravauxde prospectiveissusde diversorganismesscientifiquescrsrcemmenten URSSeten Pologne,notamment.Mais ces travauxne sont pas encoreaccessiblesau lecteurfranais.

    (6) 11 arrive que ces crits -le livre dafanassiey, par exemple - s'tendentlonguementsur les superstructuresdu communisme(lamorale,l'art...).n seraitdoncplus exact de dire que le problmen'est pasngligen appuence,maisqu'il l'est, enfait, parce qu'on nous prsente toujourscommedonnes ces superstructures,sansqu'on nous expliquecommentellesnatront de l'infrastructure,quelles difficultselles rencontreront,quels obstacleselles auront surmonter. De l, l'impressiond'irralismeet d'optimismede commandeque l'on ressentsouvent la lectureet cescrits.

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    xx LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    dans le mme mouvement. En d'autres termes, le collectifRichta se fixe pour objectif de montrer comment l'infras-tructure et les superstructures finissent par se rejoindre traversla mdiation de l'homme. Mais cette mdiation n'est pas donneautomatiquement par l'infrastructure, elle se construit parl'homme lui-mme, travers ses choix dont il faut faire en sortequ'ils soient les plus ambitieux possibles (qu'ils reposent aumaximum sur le plein dveloppement des facults de tous leshommes), et nanmoins qu'ils cotent le moins d'erreurspossibles.

    On pourrait prsenter la mme ralit d'une autre faon, endisant que dans la rvolution scientifique et technique, onobserve une avance considrable des sciences de la nature, et unretard considrable des sciences sociales et des sciences humai-nes, retard qui, s'il se prolonge, peut mettre en cause lapossibilit d'utiliser la rvolution scientifique et technique, dansl'intrt du progrs humain.

    Sij'avais donc rsumer en une phrase La civilisation aucarrefour ,je dirais que ce livre s'efforce de dmontrer qu'il nesuffit pas que l'volution des sciences et des techniques favorisel'essor du socialisme et du communisme, mais qu'il faut aussique les hommes apprennent se mettre la hauteur de leursinstruments matriels. Exigence que l'on pourrait prsenterdiffremment en disant qu'il nous faut savoir que la socit del'avenir sera aussi diffrente de la socit d'aujourd'hui que lestechniques qu'elle emploiera le seront des techniques d'aujour-d'hui.

    Le second point ne fait doute pour personne, et lefuturisme technique est si bien admis et si bien assimil qu'il estdevenu un article de consommation courante. Il n'en est pas demme du futurisme social, sauf peut-tre dans le domaine duroman et de la science-fiction. C'est en matire de futurismesocial, considr comme objet d'tude scientifique, que Lacivilisation au carrefour se distingue avec le

    plusde bonheur

    des nombreux crits occidentaux consacrs l'avenir, dontcertains, par ailleurs ne manquent pas d'intrt.

    Prenons, par exemple, un rapport collectif amricain, dontla traduction franaise est parue rcemment (7). Ce qui frappedans ce livre, c'est la facilit avec laquelle les auteurs acceptentla perspective de changements considrables dans les sciences etles techniques, et, au contraire, la difficult avec laquelle ils

    (7) Herman Kahn, Anthony J. Wiener et divers, If l'an 2000 , R. Laffont, Paris.

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    PREFACED'YVESBAREL )M

    envisagent que la socit doit, elle aussi, changer. Si bien qu'en

    lisant leurs descriptions du futur, on a souvent l'impressiondconcertante que ce futur ne se droule pas toujours lamme poque, et qu'il est plein de ce qu'on pourrait appeler des anachronismes anticips (8). En ralit, leur futur n'estqu'un prsent projet, sauf en sa dimension scientifique ettechnique. Il est une ternisation des problmes politiques,militaires, psychologiques, et des rapports sociaux de notretemps. Cette ternisation provient sans doute de l'impossibilitou de la

    difficult, querencontrent

    beaucoupd'intellectuels

    occidentaux, de raisonner hors du cadre social du capitalisme,mais il est probable qu'intervient galement un autre phno-mne.

    On sait que Marcuse, dans L'homme unidimensionnel (9), dcrit avec une grande finese la capacit d'intgration ducapi f.21ismecontemporain, c'est dire le pouvoir qu'il possde,dans certaines limites, d'obliger mme les forces sociales qui luisont hostiles s'intgrer, plus ou moins compltement, au

    rgime. Marcuse soutient implicitement la thse que les contra-dictions du rgime entranent des phnomnes ngatifs nonseulement pour les classes dominantes, mais aussi pour la luttedes couches et classes sociales exploites et alines. En d'autrestermes, le capitalisme contemporain serait parvenu, selonMarcuse, une sorte de pouvoir de contrle sur la socit. Il estprobable que cette analyse, tout en comportant une partimportante de vrit, devient inexacte dans la mesure o

    Marcuse lui donne une porte trop absolue et trop systma-tique. Fr. Bon observe avec beaucoup de justesse (10) que lecontrle social, dans le capitalisme contemporain, est plusprcaire qu'on ne pourrait le penser. C'est l probablement unedes leons de mai 1968 en France. Par un paradoxe qui n'estqu'apparent, ce sont la fois les forces et les faiblesses ducapitalisme contemporain qui rendent si difficiles nombre descientifiques occidentaux, de faire de la vritable prospective

    sociale.(8) Dont les symtriquessont, dans la littraturesur le

    communisme,les If anticipationsanachroniques,tellesque la descriptionde17tommenouveausocialiste,prsentecommeune ralitmassived'aujourd'huiparAfanassiev(op.cit,p. 249-250).Detellesdescriptionsnepeuvent gureconvaincrequeceuxquitiennentvraiment l'tre.

    (9) LesEditionsdeMinuit,Paris,1968.(10) il'Pourquoiles tudiantsN tableronde, l'Hommeet la Socit n. 8,

    avril-mai-juin1968,p. 17.Peut-tre, sontour,Fr. Bonprsente-t-ilunethsetrosystmatiquelorsqu'ilaffirmeque Kdans le no-capitalismeil y a contrlee

    conomique,mais

    qu 11 JIpasde contrlesocialr me

    parait,quant

    moi,queont, conomiqueest moinspoussquene le penseFr. Bon,et le contrlesocialmoinsinexistant.t.

    2

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    XXII LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    les forces et les faiblesses du capitalisme contemporain qui

    rendent si difficiles nombre de scientifiques occidentaux, defaire de la vritable prospective sociale.

    Sur ce plan, il me semble que la prospective de Lacivilisation au carrefour manifeste la supriorit mthodo-logique du marxisme sur un double plan : 1 ) il permet deraisonner dans le cadre de vritables volutions ou rrzutations derapports sociaux ; 2) il ne considre pas ces volutions oumutations comme le reflet passif de l'infrastructure, mais au

    contraire comme une srie d'alternatives ou un champ despossibles, entre lesquels seules les luttes et l'action des hommestrancheront.t.

    La prospective de La civilisation au carrefour est donc optimiste si on la compare son homologue occidentale,mais cet optimiste est d'une toute autre nature, d'une autrequalit, que celui des prsentations habituelles du communisme,par un certain marxisme. Il me parat important que cette

    prospective marxiste soit dbarrasse de toute trace d'cono-misme et notamment de cette forme particulirement simplisted'conomisme marxiste, qui postule que la socit et lacivilisation pourront voluer sans heurts et sans conflits, unefois close l're ou les con.flits de classes sont le ressort moteurdes mouvements internes de la socite.

    La prospective de La civilisation au carrefour o admetque d'autres situations conflictuelles continueront ou natront,t,

    mme si c'est sous des formes et avec une intensit aujourd'lauiencore largement t imprvisibles :conflits de gnrations, probl-mes poss par la bureaucratie, conflits entre voies diverses versle socialisme et le communisme, divergences entre pays ingale-ment dvelopps, etc...

    Au fond, il parat important de porter au niveau mondiall'ide que les contradictions internes du capitalisme affectent,certes de manire diffrencie, toutes les classes ou couches

    sociales du rgime. En d'autres termes, sur une plante ocohabitent decrx rgimes sociaux dont chacun connat d'ailleursplusieurs variantes, il serait naf de penser que les contradictionsdu capitalisme n'ont d'effets ngatifs que pour lui. Ils enengendrent, et de srieux, pour le socialisme lui-mme. On peutdire, je crois sans exagration que le socialisme a du mal trele socialisme, non seulement tant qu'il n'a pas atteint un niveau

    dtermin de dveloppement conomique et social, mais encore,

    mme ce niveau atteint, tant qu'il existe un systme mondial

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    PREFACED'YVESBAREL XXIII

    capitaliste. C'est une difficult et une contradiction actuelles dusocialisme. Mais elles engagent, jusqu' un certain point, l'avenir

    parce qu'elles entranent l'apparition et le renforcement dedformation du socialisme, dont l'exprience nous prouvemaintenant qu'elles ne se laisseront pas facilement draciner, et

    qu'elles crent l'intrieur mme du socialisme, une forced'inertie dont les effets se feront sentir longtemps, et peut-treau del de la priode de l'existence de deux systmes sociauxmondiaux.

    Ces observations mettent sur la voie de ce qu'on pourraitappeler la principale faiblesse de la problmatique de o Lacivilisation au carrefour ou, pour dire les choses de manire

    plus juste (car reprocher une faiblesse une oeuvre revient,d'une certaine manire partager la croyance qu'il existe desoeuvres dfinitives et parfaites), de ce que l'on pourraitconsidrer comme le prolongement logique de cette problma-tique. Il faut lui demander de se mondialiser davantagequ'elle ne le fait pour l'instant.Ce n'est pas que le collectif

    Richta se soit enferm dans un univers socialiste limit laTchcoslovaquie, et j'ai exprim plus haut l'opinion qu'ildbordait largement ce cadre. Mais il parat manquer unedimension au caractre mondial o de l'analyse du collectifRichta : c'est la dimention des rapports entre pays situs des de-grs trs diffrents de dveloppement conomique et social (11 ).

    Le problme, trs complexe, de ces relations, parat se

    poser notamment (car il faudrait multiplier les approches pour

    prendre une conscience suffsante de cette complexit), dans lestermes suivants: mme dans un univers suppos dbarrass du

    capitalisme, nous aurons affaire des pays et des rgions trs

    ingalement dvelopps. Or, la construction d'un socialismehumain et du communisme ne peuvent se concevoir qu' unniveau trs lev de dveloppement conomique et social. Il estvraisemblable de penser qu'au dpart, seule une minorit de

    pays pourra accder cette phase. Nous avons l le signalement

    d'une contradiction dont on peroit les germes, ds aujourd'hui,dans les relations entre pays socialistes, et dans les relations des

    pays socialistesavec ce qu'il est convenu d'appeler le Tiers-

    Nlonde.

    (Il) En dpit du fait que le livrecomprendun chapitreconsacrauproblmedusous-dveloppement,et que ce chapitreaborde -mais,me semble-t-il,de faon trop

    embryonnaire - ,certainsaspectsdu problmeauxquelsonpeut songer.

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    XXIV LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    La contradiction peut etre dfinie ainsi (nous raisonnons

    dans le cadre d'un systme mondial socialiste unique) : ou bien,l'on dcide d'abolir la loi de dveloppement ingal et demettre su pied un systme d'entraide permettant tous les paysde se rapprocher, la mme vitesse, du socialisme humain et ducommunisme. Le principal reproche que l'on puisse adresser cette hypothse est son impossibilit ou son invraisemblance,dans les conditions actuelles du dveloppement : l'aide que les

    pays socialistes les plus dvelopps pourraient apporter au reste

    du mondeserait

    insuffisante, quelle quesoit la richesse de ces

    pays, pour permettre au reste du monde de rattraper son retard.D'une part, ces pays dvelopps seraient une minorit, d'autre

    part, l'importance ncessaire de l'aide accorde l'trangerentraverait le progrs dans les pays aidants, enfin l'expriencemontre qu'il y a des limites la capacit d'absorption d'uneaide trangre par les pays retards. Un pays ne peut pascompter se dvelopper partir de moteurs principalementexternes.

    Il nous faut donc admettre comme beaucoup plus plausiblel'hypothse du dveloppement ingal, y compris dans le cadre

    d'un systme socialiste mondial unique. Mais le fait d'admettrecette hypothse entrane un certain nombre de consquencessrieuses. La plus srieuse est probablement le fait que cedveloppement ingal entranera! (on pourrait dire, entranedj) l'apparition d'occasions de ressentiments et de conflitsentre pays socialistes. On peut mme se demander jusqu' quelpoint il est concevable, pour un pays ou un petit nombre depays, de progresser trs avant dans la voie du socialisme humainet du communisme, s'il est plong dans un milieu qui, pour ainsidire, le tire en arrire. On pourrait vraisemblablement transposerl'adage de Marx disant qu'un peuple qui en opprime un autre nepeut etre un peuple libre. Aujourd'hui, un peuple, si grandsoit-il, ne peut vraisemblablement pas aller trs loin seul dans lavoie du communisme. Il faut ajouter cet ensemble de

    remarques le fait que, ds aujourd'hui, les peuples conomi-quement et socialement retards, acceptent de moins en moinsde considrer ce retard comme un motif valable pour patienterdans la marche en avant vers le socialisme humain et lecommunisme. Ils cherchent des raccourcis, et il y a un risquerel que si ces raccourcis ne sont pas trouvs, une partie duTiers-Monde en rejette la faute sur les pays socialistes les plusdvelopps, en utilisant des analyses qui, en l'occurence seraientt

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    PREFACE D'YVES BAREL XXV

    la fois fondes et pourtant inexactes. Il se produit donc unesorte d'norme tlescopage des phases historiques, qui fait quede nombreux peuples commencent connatre simultanmentles problmes du sous-dveloppement et ceux qui apparaissentdans la portion du monde la plus dveloppe. Il serait tropsimple de supposer que cette conjonction des problmes est lersultat d'une impatience objectiverrrent sans fondement, oul'expression de dsirs utopiques. Elle traduit partiellement lancessit objective du tlescopage des phases historiques.

    En d'autres termes, la contradiction consiste en ce que des

    conqutes dcisives sur la route du socialisme humain et ducommunisme, ne paraissent possibles que sur un plan mondial,et ne paraissent pas possibles sur ce plan. Y-a-t-il des moyens dedpasser cette contradiction ? Il y a l une srie de questionsqui restent explorer dans une prospectivemarxiste.Deux pointspourraient tre intressants examiner dans cette optique.

    Le premier est de savoir si la contradiction ne peut tre enpartie surmonte (ou en tout cas rendue moins aigu), dans un

    monde o le cadre national cesserait d'tre le cadre unique ouprincipal du dveloppement conomique et social.

    On peut en effet se demander si les conflits qui naissent partir des ingalits de dveloppement ne sont pas exacerbs etports un niveau suprieur par le manteau national qu'ilsrevtent, qu'il s'agisse du chauvinisme de grande nation, ou dusentiment d hunailiation des petites nations. Autrement dit, onpeut se demander si le conflit ne nat pas ici d'une sur-dter-

    mination, rsultat de la conjonction de l'ingalit de dvelop-pement et du sentiment national. Un aspect intressant del'analyse, dans le cadre de la prospective marxiste, consisteraitalors se demarider jusqu'o, quelle vitesse, et dans quellesconditions, on peut concevoir, en perspective, un dvelop-pement mondial du socialisme et du communisme affranchi ducadre'national. Dans cette analyse, on ne devra pas oublier quele cadre national apparat, jusqu' nos jours, comme un

    instrument politique puissant d'acclration du dveloppementconomique et social. Mais il est possible qu'il en soit ainsi,partiellement, en raison de la nature des moyens qui doiventtre employs pour assurer le dveloppement.t.

    Nous rejoignons ainsi, en dehors du problme de nature

    politique (12) qui vient d'tre voqu, le second point de la

    (12) Mais qui fait aussi intervenir la psychologie sociale, les traditions,

    l'histoire...

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    XXVI LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    prospective marxiste qui pourrait etre dvelopp sur la base de

    l'analyse conomiqueet de l'analyse du contenu

    scientifiqueet

    technique des progrs futures. Dans les conditions de l'industria-lisation telle que la dfinit le collectif Richta - c'est dire laphase historique pendant laquelle le travail humain, vivant oumort, reste la mesure de la production et le coeur du processusde production en dpit de sa mcanisation - il est hors dedoute que le dveloppement ingal s'accompagne presque nces-sairement de tensions politico-conomiques entre les diffrentspays. On se meut en effet dans le cadre d'un modle decroissance conomique dont le dynamisme rside encore pourl'essentiel, dans la double possibilit de raliser aussi loin etaussi vite que possible l'accumulation du capital (ce quiimplique, toutes choses gales par ailleurs, un freinage de longuedure de la consommation), et de mettre au travail le maximumde la population active disponible : ces deux possibilits tant la fois - ce qui ne simplifie pas le problme - contradictoires et

    complmentaires.Ce type de croissance est un processus

    relativement lent, coteux, incapable de dpasser l'horizon del'homme parcellaire et d'assurer son plein dveloppementet supposerait, pour que les ingalits de dveloppementn'atteignent pas des disproportions dangereuses, un systmeinternational d'entraide hors de proportion avec les ressourcesdisponibles.

    On peut en effet se demander si, dans le cadre d'unmodle de croissance d'un nouveau type, correspondant laplnitude de la rvolution scientifique et technique et danslequel le travail humain cesse d'tre la mesure et le coeur de laproduction, la loi de dveloppement ingal nejouerait pas dansdes conditions radicalement diffrentes qui permettraient desurmonter la contradiction voque plus haut. Dans un modlede ce type, en effet, la croissance conomique devient, dans unelarge mesure, indpendante de l'accumulation du capital et dunombre d'actifs dont on dispose, pour dpendre dsormais de lafacult d'auto-dveloppement de systmes pleinement automa-tiss, et de la qualit humaine des travailleurs prparant,imaginant, contrlant, planifiant, ex ante et de l'extrieur, laproduction. Dans ces conditions, le facteur limitatif de lacroissance n'est plus la quantit de capital ou de travaildisponibles, mais le degr de dveloppement atteint par l'hom-

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    PREFACED'YVESBAREL XXVII

    me dans toutes ses dimensions (13). On comprend que, dans untel contexte, le dveloppement puisse tre plus rapide, moins

    coteux, et le systme d'entraide plus efficient, que dans lecadre de l'industrialisation. Toutes choses gales par ailleurs, ilen rsulte que les ingalits de dveloppement, tout ensubstituant, peuvent tre attnues et, de toutes faons, moinsdouloureusement ressenties par les peuples relativement enretard. Le problme est alors de savoir dans quelle mesure leretard pris par la majorit des peuples du monde dans le cadrede l'industrialisation classique constitue un handicap de dpartlorsqu'il s'agit de mettre en place un mcanisme de dvelop-pement fond sur la rvolution scientifique et technique. Leproblme est srieux, et il ne saurait tre question de rpondrepar avance ngativement ou affirmativement. Mais ce serait uneerreur de penser priori que, dans un contexte conomique ettechnique totalement diffrent de celui de l'industrialisation, lesretards historiques ont ncessairement la mme importancerelative que dans le contexte de l'industrialisation. Il se peut, au

    contraire, qu'en permettant jusqu' un certain point (c'est cepoint qu'il faut dterminer), de sauter l'tape de l'accumulationet du travail parcellaire, la rvolution scientifique et techniqueoffre une base objective justifiant certaines des impatiences et des utopies du Tiers-Monde, et permettant le tlescopagedes phases historiquement vcues du dveloppement. Il faut lerpter, il ne s'agit l que d'hypothses dont le contenuscientifique reste tout entier vrifier.

    C'est dans cette direction, me semble-t-,il que l'on peutrechercher un prolongement de la problmatique de .Lacivilisation au carrefour , ainsi que dans celle d'un approfon-dissement de l'analyse critique des performances actuelles etpotentielles du capitalisme contemporain, dans le cadre de larvolution scientifique et technique : il est, en effet, tout aussidifficile un collectif de chercheurs travaillant dans un rgimesocialiste d'analyser de l'intrieur les possibilits et les limites du

    capitalisme, qu'il serait difficile pour nous de nous livrer l'analyse symtrique pour le socialisme.

    Yves BAREL

    (13) Onle comprend,if s'agitnon seulementde laqualificationprofessionnelledes travailleurs,maisaussidu degrde dmocratisationde la viepolitiqueetconomique,dudegrde leurintgration la viecollective,de l'attnuationetdeladisparitionde la distinctionentreceuxquicommandentet ceuxquiexcutent,et,finalement,du niveaudebonheurindividuelet

    collectifauquelon

    peutatteindre ce

    stadehistorique.

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    AVANT-PROPOS

    Le rapide dveloppement de la connaissance scienti-fique, qui caractrise les dernires dcennies, ainsi quel'essor de la base matrielle de la vie de l'homme, consti-tuent des mutations qualitatives rvolutionnaires, suscep-tibles de transformer en perspective le caractre de lacivilisation et d'ouvrir un champ immense ceux quis'efforcent de crer une socit nouvelle. Nous devons donc

    appro f ondir de f aon scienti f ique l'essence de la rvolutionscientifique et technique de notre poque, ses conditions etses incidences sociales et humaines.

    En 1965, nos instituts de recherches ont entrepris unetude systmatique, multidisciplinaire, de ces problmes.Cette tche a t confie un s'rupe de recherche, com-pos de spcialistes de diffrentes disciplines. Ce groupe,rattach l'Institut de Philosophie de l'Acadmie Tchco-

    slovaque des Sciences, a t plac sous la direction dudr. R. Richta qui, depuis plusieurs annes, se penche surces problmes. Au dpart, on pensait que ces travauxaboutiraient un examen sommaire des questions ido-logiques et thoriques immdiatement lies l'essor de lascience et de la technique. Une analyse appro f ondie afait apparatre une conception plus ambitieuse et plushardie. Les auteurs ont donc voulu brosser un tableau aussi

    synthtique que possible de la rvolution scientifique ettechnique, au moment o s'affrontent les deux systmessociaux mondiaux, et dgager galement divers modes desolution des problmes sociaux et humains qui en dcoulent.La tche tait difficile : en effet, de nombreux aspectsde ces problmes avaient t jusqu'alors ngligs. Nan-moins, le groupe de recherche a f ait honneur sa mission.Les rsultats de ses travaux qui sont aujourd'hui prsentsau

    publicsous

    f ormed'une tude

    d'ensemble,constituent

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    XXX LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    non seulement un nonc dtaill de ces problmes com-plexes, mais of frent aussi une vision nouvelle, optimiste,

    des perspectives d'volution de la socit. Il va sans direque l'ouvrage laisse certains problmes en suspens. Parailleurs, cette tude est l'a3uvre d'un collectif. Ce n'estqu'une preuve supplmentaire de l'utilit particulire dutravail en quipe dans le domaine des sciences sociales.Nous pensons que cet exemple devrait tre suivi dansl'tude d'autres questions con2plexes.

    Cet ouvrage a t tudi au sein des instituts scienti-

    tiques de l'Acadmie Tchcoslovaque des Sciences et desorganismes politiques directeurs du pays. Il a t finale-ment dcid de le mettre pro f it pour d f inir les effortsthoriques et pratiques de la socit, pour dterminer lesperspectives d'volution de la Tchcoslovaquie qui s'estengage dans la voie difficile, sous plusieurs aspects encoreinexplore, de l'di f ication du socialisme et du communismeet qui participe activement la recherche d'une forme

    nouvelle, humaine, de la civilisation technique volue.La conception novatrice prsente dans cet ouvrage

    et les ides originales qu'il dveloppe, fraient le chemin auxrecherches qui sans aucun doute se poursuivrnt avecsuccs en ce domaine dans les annes venir.

    F. SORM,Prsident

    de l'Acadyn.ie Tchcoslovaque des Sciences.

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    INTRODUCTION

    LE SENS DES BOULEVERSEMENTS

    Nous confions aux lecteurs un ouvrage insolite qu'il

    conviendrait de qualifier d'hypothse scientifique, de projetd'analyse thorique des aspects sociaux et humains de larvolution scientifique et technique. Il a t labor parune quipe de chercheurs de diffrentes disciplines scien-tifiques (philosophie, conomie, sociologie, psychologie,pdagogie, sciences politiques, histoire, mdecine, thoriede l'architecture et du milieu de vie, disciplines techniques,biologiques, etc.) travaillant dans diffrents instituts rat-tachs l'Acadmie Tchcoslovaque des Sciences, des ta-

    blissements d'enseignement suprieur et d'autres institu-tions tchcoslovaques.

    Les difficults fondamentales auxquelles s'est heurtnotre groupe dcoulaient de l'ampleur et de l'intricationdes bouleversements actuels s'oprant dans les bases dela civilisation et la place occupe par l'homme dans lemonde de ses propres crations fantastiques. A l'heureactuelle, il n'existe pas d'tude thorique satisfaisante,gnralement accepte, des bouleversements qui survien-nent dans les forces productives et moins encore de leursaspects sociaux et humains.

    Le flot d'ouvrages sur la technique et le facteurhumain , etc., qui, partir des sciences humaines, est

    apparu aux Etats-Unis et en Europe occidentale, apporte,il est vrai, quantit de matriaux, sans pourtant tre mme de saisir l'essence des processus profonds de la civi-

    lisation contemporaine. D'autre part, certains auteurs euro-

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    XXXII LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    pens considrent que le concept thorique ne devrait

    pas outrepasser les limites d'une socit industrielle bien que modifie (1) ; d'autres, refltant certaines idesde Marx, envisagent l'volution actuelle des forces pro-ductives dans le cadre de la seconde ou, ventuellement,de la troisime rvolution industrielle (2). Cette solu-tion, certes plus heureuse, ne permet pourtant pas dupoint de vue analytique de faire une distinction assez netteentre les caractres des deux poques avec leurs structures

    spcifiqueset leurs lois diffrentes :

    l'poquede la rvo-

    lution industrielle inaugure par l'essor du capitalisme aucours des XVIII. et XIX. sicles, et l'poque contempo-raine de la rvolution scientifique et technique lie, noussemble-t-il, par sa logique interne, par son insertion histo-rique, l'apparition du communisme. Certains de cesauteurs arrivent distinguer un tournant la lumire dela structure du travail selon les diverses branches, ce quitrouve son reflet dans des termes tels que civilisation

    post-industrielle , tertiaire , etc. (3). Or, l'ampleurdes problmes abords par eux se traduit d'habitude sousforme de questions restes sans rponse sur la place etl'avenir de l'homme l'poque souvent juste titre asso-cie avec la science et la technique. Par contre, les auteursamricains, fidles une exprience technique qui est rela-tivement plus avance, manquent souvent de fondementpour une synthse thorique qui leur permettrait de saisir

    l'essence des bouleversements de la structure des forcesproductives et leurs dimensions sociales et anthropologi-ques. C'est ainsi que leurs tudes revtent le caractred'intressantes analyses des processus d'automatisation

    (1) Cf. H. Schelsky, Die sozialen Folgen der Automatisierung,Dusseldorf-Cologne,1957 ; R. Aron, Dix-huit Leons sur la SocitIndustrielle, Paris, 1962.

    (2) Cf. F. Pollock, Automation. Materialien zur Beurteilungihrer konomi8chen und sozialen Folgen, Francfort-sur-le-Main,1957 et 1964 ;ou les travaux de G. Friedmann, La Crise du Progrs,Esquisse d'Histoire des Ides, Paris, 1963, Le Travail en Miettes,Paris, 1956 ; ou encore R.W.F.W. Crossman, Automation, Skill andManpower Predictroons,rapport prsent au sminaire de l'InstitutBrookings en 1965,etc.

    (3) J. Fourasti, Le Grand Espoir du XX Sicle. ProgrsTechnique, Progrs conomique, Progrs Social, Paris, 1958 ;

    C. Clark, Conditionsof EconoynicProgress, Londres, 1941 ;J. Duma-zedier, Vers une Civilisation du Loisir f, Paris, 1962,etc.

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    LE SENS DES BOULEVERSEMENTS XXXIII

    long terme (4), de longues numrations des nouveauts

    techniques (5),d'tudes

    approfondiesde la croissance

    conomique (6), des relations sociales (7) ou encore desrflexions sur l'avenir de la civilisation cyberntique (8).Mais ces travaux tmoignent toujours plus clairement dela prise de conscience des transformations rvolutionnaires,dj annonces par N. Wiener (9), et qui apparat trsnettement dans la thse bien connue, formule dans lemanifeste The Triple Revolution (10), selon laquelleles changements qui se produisent l'heure actuelle dans

    la base matrielle de la vie de l'homme (rvolutioncyberntique ) acquirent une qualit nouvelle qui lesarrache au cadre de la civilisation industrielle actuelle etaux possibilits du systme industriel du capitalisme. Nan-moins, dans la politique qui s'est engage entre lemanifeste The Triple Revolution et le rapport officielde la Commission Nationale pour la technique, l'automa-tisation et le progrs conomique de 1966 (11), les points

    d'interrogation juxtaposs l'affirmation

    que le monde

    traverse actuellement une rvolution scientifique et tech-

    (4) Cf. J. Diebold, Automation. The Advent of the Automatic

    Factory, Princeton, 1952, et d'autres travaux de ce pionnier desrecherches scientifiques sur l'automatisation.

    (5) Cf. J.R. Bright, Opportunity and Threat in Technological

    Change,voir Harvard Business Review N

    6,1963.

    (6) Cf. les travaux de R.M. Solow, etc.

    (7) Cf. les tudes de Mills, Reisman, Galbraith, Harrington,etc.

    (8) P.F. Drucker, America's Next Twenty Years, New York,1955. De nombreuses donnes concrtes sont recueillies par des

    quipes d'experts amricains comme la Commission pour l'An2000 cre par l'Acadmie des Sciences et des Arts U.S. et dirigepar D. Bell, ou par des groupes comme Resources for the Future,

    Tempo, Rand-Corporation, etc.

    (9) N. Wiener, The Human Use of Human Beings. Cyberne-tics and Society, Boston, 1950.

    (10) The Triple Revolution. Complete Text of the Ad HocCommittee's Controversial Manifesto, New York, 1954, manifestesign par de nombreux spcialistes, dont L. Pauling, H.S. Hughes,G. Myrdal, B.B. Seligman, R. Theobald, J.W. Ward, etc.

    (11) Technology and the American Economy, Washington,

    1966.

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    XXXIV LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    nique , indiquent que toute thorie qui ignore la notionde forces

    productives,face aux transformations de leur

    structure et de leur dynamique, se heurte ncessairement des difficults conceptuelles.

    On voit se multiplier dans les Etats capitalistes destentatives fbriles pour saisir, sur le plan thorique, lanature de la rvolution scientifique et technique ainsi quecelle de ses aspects sociaux et humains. De nombreusesconfrences ont t organises, le nombre de recueils

    publissur ces

    problmes dpassemme celui des disci-

    plines scientifiques les plus fcondes ; ces questions sontinscrites l'ordre du jour de dbats de parlements, degouvernements, de commissions spciales. Elles intressentles socits scientifiques, les universits, des milliers despcialistes. De nombreux pays ont tabli des programmesde recherche long terme (de 5 10 ans), largement dotsd2 moyens financiers et recourant aux ressources intellec-tuelles d'universits entires et de groupes de recher-

    che (12). Les instituts de planification ou de prvisionslaborent de remarquables conceptions d'ensemble des con-squences du dveloppement de la science et de la techni-que dans les vingt ou trente annes venir (13). Ons'efforce de fonder les rflexions sur l'avenir, dans le cadrede la rvolution scientifique et technique, sur une vastebase scientifique (14). Il n'en reste pas moins que l'obser-vateur de cette effervescence thorique finit par avoir

    l'impression que l'essence des bouleversements auxquelsnous assistons dans la civilisation contemporaine, n'appa-rat que partiellement, d'une faon trouble, travers lesreflets les plus bizarres, au-dessus de l'horizon intellectuelde notre poque.

    (12) Voir, par exemple, le programme dcennal de Harvard

    La Technique et la Socit, lanc en 1964, sur l'initiative del'I.B.M. ; ou le colloque de l'Universit Columbia Technology andSocial Change, d. Ginzberg, New York-Londres, 1964.

    (13) Les publications les plus labores et les plus importan-tes dans ce domaine manent sans aucun doute du groupe 1985en France (Rflexions pour 1985, d. P. Mass, Documentationfranaise, Levallois-Perret, 1964).

    (14) Cf. la srie de la revue New Scientist, The World in1984, d. N. Calder, et Wege ins nene Jahrtwusend, d. R. Jungk etH.J. Mundt, etc.

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    LE SEP1S DES BOULEVERSEMENTS XXXV

    Les sciences humaines dans les pays socialistes ontt, pendant un certain temps, en retard, tant en ce qui

    concerne les recherches pratiques que les synthses tho-riques. Cela n'aide videmment pas dfinir une orienta-tion progressiste au milieu des processus qui s'bauchentdans la civilisation moderne. Mais depuis les annes cin-quante, marques par les efforts de plusieurs penseursmarxistes (15) pour dterminer le sens des changementsdans la civilisation la lumire du concept de rvolutionscientifique et technique , le marxisme intervient rso-lument dans ces recherches. Notre groupe multidiscipli-naire a eu l'avantage de pouvoir s'appuyer sur les pre-mires esquisses de la thorie marxiste de la rvolutionscientifique et technique, prsentes par le Programme duP.C.U.S. Il a mis profit certaines tudes remarquablesde avants sovitiques (16), la confrence de 1961 del'Acadmie des Sciences de l'U.R.S.S. sur les problmessocio-conomiques du progrs technique (17), celle de1964 sur les problmes de la rvolution scientifique et

    technique contemporaine (18) et les travaux de nombreuxautres auteurs sovitiques (19). Notre collectif a gale-ment puis dans les contributions de spcialistes alle-mands (20) et dans la conception de la rvolution techni-que qui s'est bauche au congrs philosophique de Berlin,

    (15) Cf. J. Bernal, V. Perlo, S.G. Stroumiline, etc.

    (16) Notamment M.V. Keldyche, Sovetska.ja nauka i stro-telstvo komunisma, dans Pravda du 13 juin 1961 ; V.A. Trapeznikov,Avtomatika i Celovetcestvo, dans Ekonomiceskaja gazeta du 20

    juin 1960 ; les tudes de l'Acadmicien Kapitsa, Millionscikov,Berg, etc.

    (17) Socialno-ekonomieske problemy techniceskovo progre-sa, Moscou, 1961.

    (18) Problemy sovremenno naucno-technitcesko re,voluts

    (Materialy konferencii), Voprosy istor jestestvoznanija i techniki

    N 19, 1965.

    (19) Cf. Kedrov, Dobrov, Melescenko, Zvorykin, Ossipov,Maysel, Suchardin, etc.

    (20) G. Kosel, Produktivkraft Wissenschaft, Berlin 1957 ;K. Tessmann, Probleme der technisch-wis.q?nschaftlichen Revolution,Berlin, 1962, etc. ; E. Sachse, Aictomatisierung und Arbeitskmft,Berlin, 1959 ; E. Herlitius, Historischer Materialismus und tech-nische Revolution. Probleme und Aufgaben in WissenschaftlicheZeitschrif t der TV Dresden, N 4/1966, etc.

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    XXXVI LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    en 1965 (21), ainsi que dans les travaux des thoricienspolonais de la croissance conomique (22), de philosophes

    et sociologues yougoslaves (23), hongrois, roumains,etc. (24).Les ouvrages de nombreux marxistes du monde entier

    offrent une base solide pour l'tude de la rvolutionscientifique et technique. En premier lieu, il convient deciter J.D. Bernal qui a introduit l'expression de rvolu-tion scientifique et technique (25) et qui est l'un desfondateurs de la science de la science . Nous avons

    ensuite trouv des ides remarquables chez des conomistesitaliens, franais et anglais (26). Ce n'est pas un hasardsi la dmarche consistant lier la rvolution scientifiqueet technique aux problmes de l'homme, a plac l'originede notre tude la philosophie marxiste de l'homme toutentire (27), ainsi que les travaux de ceux qui s'en rcla-ment d'une faon ou d'une autre ou qui s'efforcent del'appliquer dans la critique de la civilisation contem-poraine (28).

    Sur cette base, on a pu tenter d'laborer une concep-tion originale de l'essence de la rvolution scientifique et

    (21) Die marxistisch-leitinische Philosophie und die technischeRevolution in Deutsche Zeitschrift fr Philosophie, Sonderheft 1965.

    (22) Notamment les travaux de Kaletski, Flakierski, Chrou-

    pek, etc. (voir Teorie wzrostu ekonomicznego a wspoczesny kapi-talizm, Varsovie, 1962).

    (23) Soupek, Markovitch, Vranitski, Petrovitch, etc.

    (24) Agoston, Jnossy, Suchodolski, Roman, etc.

    (25) J.D. Bernal, Science in History, Londres, 1955, et Worldwithout War, Londres, 1958 ; la rvolution scientifique et techniqueest dj annonce dans son ouvrage Social Function of Science,Londres, 1939 ; c'est ainsi que dans son tude After Twenty-fiveYears, J.D. Bernal pouvait affirmer : Alors que dans l'ouvrage

    Social Function of Science, la rvolution scientifique et techniquede nos jours n'tait qu'une prvision, elle est aujourd'hui une ralitreconnue par tout le monde (The Science of Science, d. Gold-

    smith-Mackay, Londres, 1966, p. 265).

    (26) Cf. Vincent, Grossin, Barjonet, Labini, Longo, Dobb,Lilley, Dickinson, etc.

    (27) R. Garaudy, Perspectives de homme, Paris, 1959 ;A. Schaff, Marxis7n. a jednotka, lud ska, Varsovie, 11965 ; etc.

    (28) Cf. E. Fromm, H. Marcuse, etc.

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    LE SENS DES BOULEVERSEMENTS XXXVII

    technique et de ses aspects sociaux et humains (29). Laconception prsente dans cet ouvrage se fonde sur la

    critique que fait Marx du capitalisme et de la civilisationindustrielle. Marx n'a jamais restreint les objectifs rvo-lutionnaires aux seuls changements des rapports de pro-duction. Il considrait au contraire que l'tape historiquede la civilisation industrielle, engendre par le capitalisme,ne serait dfinitivement dpasse que par la runion deschangements structurels dans les rapports de production(abolition de l'antagonisme de classe et instauration derapports de

    cooprationmutuelle, puis de dveloppement

    mutuel des hommes) et des changements structurels dansles forces productives (nouvelle place de l'homme dans lemonde des forces productives). Ainsi, a priori, les chan-gements que nous appelons aujourd'hui rvolution scien-tifique et technique , taient intgrs aux transformationscommunistes.

    Les diverses expriences du socialisme ont montr quele niveau des forces productives dans une socit donneavait des rpercussions sociales et humaines plus profondesqu'on ne pouvait l'envisager l'tape initiale de la rvo-lution et dans les conditions de l'industrialisation socia-liste. En ce sens, il semble que la mission lmentaire detoute l'tape socialiste est de dgager et de dvelopper lesconditions conomiques, sociales, psychologiques, humai-nes, permettant l'closion des forces productives les plusprogressistes et les bouleversements rvolutionnaires de

    la base matrielle de la civilisation humaine.On ne saurait toutefois comprendre l'expression for-

    ces productives dans le sens triqu, non historique, fig,que la priode d'industrialisation a pu lui donner (et qui

    - ---

    (29) Divers aspects de la rvolution scientifique et techniqueont t tudis dans plusieurs domaines depuis les annes cin-

    quante en Tchcoslovaquie. Notre travail s'en est trouv grande-ment facilit. Cf. J. Auerhan : Automatizace ez jej2 ekonomickvyznctm, Prague, 1959 ; Ekonomick ci sockilni podminky a d/lsledkyautomatiz(tce v kapitalismu a socialismu (E. Vopicka et un col.),Prague, 1958 ; F. Kutta, Ulolza automatizace v technickm rozvojia jeji Ekonomick a socicclni dsledky (1959), etc. En ce quiconcerne la conception gnrale de la rvolution scientifique ettechnique, cf. R. Richta, Clovk a technika v revoluci nasich dnit,Prague, 1963, ainsi que son expos des problmes thoriques fonda-mentaux du socialisme et du communisme prsent la confrencede Liblice en 1961.

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    XXXVIII LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    rpondait plus ou moins ,ses conditions), c'est--dire seu-lement comme un ensemble de moyens et de forces de

    travail, mais bien dans le sens large que lui donnait Marx,c'est--dire un vaste ensemble variable des forces pro-ductives de la vie humaine, comprenant la combinaisonsociale et la science, les capacits cratrices de l'homme etla matrise des forces naturelles. Toute intgration ration-nelle, toute application de la science dans la vie sociale,tout pas en avant dans le dveloppement de l'homme qui-vaut, dans la civilisation moderne, l'introduction d'unenouvelle force

    productivedans la vie de l'homme. Le

    socialisme ne saurait triompher, si les avantages queprsente sa structure sociale, dbarrasse de l'antagonismede classe, ne se manifestaient pas dans une ouverture etune sensibilit particulires l'gard des nouvelles dimen-sions du progrs de la civilisation : attitudes, motivationset forces qui concourent 'la rvolution scientifique et tech.nique.

    Onpeut

    s'tonner de ceque

    lalogique

    mme del'oeuvre humaine objective n'est ni sans quivoque, niimmuable au regard de l'homme. Bien au contraire : dansle processus de transformation du monde et d'engendre-ment de l'homme par lui-mme, qui constitue l'essencede l'histoire, on enregistre en ce domaine des changementssurprenants. L'tude des aspects sociaux et humains deschangements qui surviennent dans les forces productivesconduit de toutes parts conclure qu'il existe, au trfond

    de la civilisation moderne, un seuil de croissance au-delduquel les relations structurelles et les proportions fonda-mentales de l'volution de la civilisation se renversent,notamment en ce qui concerne la place de l'homme. Ce qui,en de de ce seuil, semblait impossible, apparat au-delimprieusement ncessaire, et inversement. Se confinerdans les sentiers battus et rebattus entrane souvent len-teur et retard. Cela ne manque pas d'avoir des incidences

    sociales importantes.La conception prsente ci-aprs tudie ces change-ments dans le souci de les assimiler sous une forme pure-ment thorique, faisant abstraction de nombreuses circons-tances transitoires ; elle les rsume en opposant de faonanalytique la rvolution industrielle et la rvolution scien-tifique et technique qu'elle considre comme deux proces-sus fondamentaux de la civilisation, lis aux diffrentesconditions de vie sociale et humaine. Sur le

    plan pratique,

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    LE SENS DES BOULEVERSEMENTS XXXIX

    cependant, le passage de la rvolution industrielle larvolution scientifique et technique se prsente comme

    un mouvement lent et continu, assorti de mouvementsbrusques partiels. Dans la ralit empirique, la surfacede la vie, nous trouvons aujourd'hui confondues les pro-

    jections de deux types de transformation du monde etd'engendrement de l'homme par lui-mme : la rvolutionindustrielle a dtermin et dtermine encore, dans unemesure considrable, le profil de la vie dans les paysconomiquement volus ; nanmoins, la rvolution scien-

    tifique et technique commence pntrer sa suite lesaspects les plus varis de la vie, en les dpassant et en lestransformant.

    Bien que ces deux processus historiques de la civili-sation s'enchanent et s'entremlent, ils se distinguentl'un de l'autre par leur essence et sont mme souventopposs, notamment par leurs aspects sociaux et humains.Ainsi, l'volution actuelle de la civilisation est compose

    de processus qui s'entrecroisent, se recouvrent ou se com-pensent mutuellement. En outre, elle est soumise auxdisparits entre le degr de la science et de la technique,d'une part, et la nature des systmes sociaux, d'autre part.De l, son opacit et son caractre nigmatique. Dansces conditions, il nous semble que la seule voie permettantde saisir, sur le plan conceptuel, les changements dansla base de la civilisation, est de mettre au point des modles

    thoriques reprsentantles

    types

    purs p de la structureet de la dynamique des forces productives et d'en tudiersparment les aspects sociaux et humains. Il est probableque c'est prcisment l'incapacit de classer et de saisir, surle plan conceptuel, les deux processus fondamentaux diff-rents qui forment le cadre de notre exprience contem-poraine, qui entrane un certain flottement des sciencessociales face la civilisation moderne et ses perspectives.

    Le dpassement du seuil de la civilisation contem-poraine qui est notre ralit quotidienne, exige des effortsextraordinaires pour adopter des mthodes nouvelles etdes conceptions inhabituelles sans lesquelles on ne sauraitcomprendre les dimensions, les lois et les formes queprend le mouvement historique l'poque de la rvolutionscientifique et technique : le socialisme offre dans cedomaine des possibilits imprvisibles tout en traversant sa

    plus grande preuve historique.

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    XL LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    Tout indique que la comprhension de ces questionsporte en elle les rponses de nombreux problmes urgents,fondamentaux, de l'volution socialiste, qui ont parfoispris au dpourvu. Cela montre la ncessit vitale de pro-fondes rformes en vue de mettre en application de nou-veaux modes de gestion conomique. Une orientation nou-velle, originale, du dveloppement des forces productivess'impose. Il s'avre que les transformations communistessont conditionnes par les changements structurels conti-nus, profonds et long terme, des forces productives.

    C'est sur ce fond que se dtache la place nouvelle de lascience dans la vie sociale et le dplacement dj amorcde l'lan rvolutionnaire d'autres plans. L'utilisation descapacits de l'homme revt des significations nouvelles.Des conditions originales de cration du mode de vie socia-liste se font jour et le besoin de rsoudre les problmescomplexes de la participation la civilisation, du dve-loppement des formes dmocratiques de la vie sociale, etc.,s'impose de plus en plus imprieusement.

    La conviction qui nous a anims tout au long de notretravail et que nous aimerions faire partager nos lecteurspourrait se rsumer ainsi : seul celui qui sait comprendrele sens des changements grandioses et inhabituels,;compren?dra notre poque.

    Notre collectif s'est fait un devoir de s'attaquer fran-chement et sans ambages aux problmes nouveaux et de

    mettre en vidence la ncessit de trouver des solutionsnouvelles face la rvolution scientifique et technique.Pourtant, dans le court laps du temps qui lui a t imparti,il n'a pu dvelopper fond et sous tous les aspects laconception prsente ci-aprs. Il n'a pu qu'entamer untravail qui demandera des tudes multidisciplinaires longterme et auxquelles notre ouvrage ne saurait tre qu'unesorte d'introduction. A ce niveau de la connaissance, il estvidemment

    impossibled'aboutir des conclusions dtail-

    les et dfinitives quant aux problmes pratiques et enparticulier spcifiques ; c'est l un champ largement ouvert la recherche et la dcision pratique. Ainsi, nous n'ap-portons dans notre tude que quelques lments synthti-ques pouvant servir de matire rflexion pour la pra-tique.

    Le travail a t conu en application d'une dcisiondu Comit Central du Parti Communiste de Tchcoslo-

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    LE SENS DES BOULEVERSEMENTS XU

    vaquie et du Prsidium de l'Acadmie Tchcoslovaque desSciences, et l'initiative de F. Sorm, Prsident de l'Aca-

    dmie. Notre groupe a consult de nombreux spcialistes,notamment des collaborateurs de l'Acadmie Tchcoslova-que des Sciences et de l'Acadmie Slovaque des Sciences,de l'Universit Charles, de l'Ecole Suprieure TechniqueTchque, de l'Ecole Suprieure Technique Slovaque, del'Ecole Suprieure des Sciences Economiques, de l'EcoleSuprieure des Sciences Politiques, du dpartement pourl'ducation et la science, du dpartement idologique et du

    dpartement conomique du Comit Central du Parti Com-muniste de Tchcoslovaquie, de la Commission d'Etat pourla Technique, de la Commission d'Etat de Planification, dela Commission d'Etat de Gestion et d'Organisation, duMinistre de l'Education et de la Culture, du Ministre dela Sant Publique, du Bureau des Statistiques, du Bureaudes Brevets et Inventions, de l'Institut d'Histoire du PartiCommuniste de Tchcoslovaquie, de la Socit Scientifiqueet Technique, du Bureau Central des Informations Scienti-

    fiques et Techniques, de l'Institut de Recherches sur leTravail, de l'Institut d'Etude du Niveau de Vie, de l'Institutde Recherches sur la Planification de l'Economie Nationaleainsi que de nombreux autres instituts de recherche, entre-prises, etc.

    Sur des problmes particuliers, notre collectif multi-disciplinaire a reu des matriaux de M. Dma, docteurs Lettres, du dr. J. Kublek, du professeur V. Tlust, de

    l'ingnieur M. Zahrdka, etc. Pour l'tablissement des sta-tistiques, nous avons reu l'aide de J. Coufalikov et deA. Verner, diplms en Economie politique, etc. La biblio-graphie a t dresse par J. Orlick, docteur s Lettres.Nous leur sommes tous reconnaissants de leurs sugges-tions, de leurs conseils et de leur aide.

    Les auteurs

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    INTRODUCTIONAUX EDITIONS ETRANGERES

    Le lecteur tranger, peu familier du climat dans lequelest ne cette tude, sera sans doute surpris par le styleparticulier de La civilisation au carrefour . C'est eneffet une ambiance de profonde rflexion critique, de dis-cussion acharne sur les voies de dveloppement d'unesocit parvenue sa maturit industrielle aprs une

    priode de transformations socialistes radicales, qui a pr-sid la rdaction de cet ouvrage. Nous avons soumis letableau d'ensemble de la civilisation moderne, sous saforme cristallise, une rflexion thorique pour dter-miner son futur profil d'volution. Les conclusions aux-quelles notre hypothse conduit, posent un problme trsconcret. C'est pourquoi nous nous sommes efforcs defamiliariser avec elles un grand nombre de lecteurs. Le

    tirage des ditions tchque et slovaque a dj dpass50.000 exemplaires. Nous avons opt pour un style denseet conome. Tout mot jug superflu a t limin. Nousnous sommes permis ces amputations, car des dizainesd'tudes de dtail,constituant les matriaux de notre recher-che, ont dj t publies dans nos revues scientifiques.

    Nanmoins, l'intention du lecteur tranger, nousavons complt le texte par des rfrences et des explica-tions initiales. En deux endroits o la concision aurait punuire l'intelligence du texte ou encore o le programmede recherch es de notre quipe a progress depuis la parutiondes ditions tchque et slovaque, nous avons dvelopp letexte, en courtant en revanche l'exposition des pointsimmdiatement lis nos conditions nationales.

    Il se peut toutefois que le langage et la terminologieinsolite que nous utilisons, dcontenancent le lecteur. Dansce cas, il ne reste qu' faire appel sa patience : qu'il

    laisse de ct ce qui peut tre omis et qu'il tourne sonesprit vers l'essentiel qui s'est d'ailleurs trouv au centrede nos proccupations. Car c'est la comprhension de ce

    qui est la dimension de l'humain que nous avons voulu saisirdans ces pages.

    Prague, printemps 1968Les auteurs

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    Chapitre 1

    LA NATURE DE LA REVOLUTIONSCIENTIFIQUEET TECHNIQUE

    L'ampleur, la porte et la cadence des bouleversementssurvenus dans la production, des techniques nouvelles etdes dcouvertes scientifiques tmoignent de l'irruption dansle monde d'aujourd'hui de processus appels transformerde fond en comble la structure traditionnelle des forcesproductives sociales, la base matrielle de la vie humaine,et dpasser de loin le cadre des ralisations de la civi-lisation actuelle en gnral. L'acquis de la science grossit vue d'oeil. C'est dj par seconde que l'on compte lafrquence des inventions. Au dbut de ce sicle, les nou-veauts techniques n'entranaient qu'un accroissement res-treint de la productivit, se traduisant par de faibles pour-centages ; aujourd'hui, elles sont de plus en plus souventd'ordre modifier des procds de production tout entiers.L'homme pntrant l'intrieur de la matire, inaugureson poque cosmique. On voit se transformer le caractre

    de l'activit et les contours de la vie de l'homme, seraccourcir les distances, se condenser le temps, le milieuartificiel se substituer partout au milieu naturel ; la sciencefait son entre dans l'ensemble de la vie sociale, ouvrantcontinuellement de nouvelles dimensions au mouvement.L'homme devient progressivement maitre de sa propreexistence. Si jusqu'ici chaque gnration recevait en hri-tage les conditions de ses activits et de sa vie commeun donn achev qui, en principe, prdterminait toute son

    existence, il faudra dsormais s'attendre ce que chaque

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    2 LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    gnration connaisse plusieurs bouleversements successifsdes conditions de la civilisation et de toute la structure dela vie humaine.

    Les processus que nous voyons s'baucher ouvrentpour les dcennies venir une perspective exaltante auprocessus historique de transformation du monde et d'en-gendrement de l'homme par lui-mme : nous nous trouvonsincontestablement au seuil de la rvolution scientifique ettechnique.

    I. CHANGEMENTS DANS LA STRUCTUREET LA DYNAMIQUE DES FORCES PRODUCTIVES

    DE LA VIE HUMAINE

    Quelle est l'essence de ces bouleversements et en quoidiffrent-ils des progrs actuels de la civilisation ?

    1. Au dpart : la rvolution industrielle.

    Nous nous trouvons aujourd'hui au terme d'une civi-lisation ne au cours des deux derniers sicles. Cette civi-lisation repose sur la grande production industrielle de7nasse en usines qui, prvalant dans l'ensemble de l'cono-mie, a imprim son cachet la vie humaine. Les machines,les machines en ligne, les chaines mcaniques - et, ct d'elles, les armes d'ouvriers qui les servent, chacund'eux n'accomplissant qu'une tche trs parcellaire dans

    l'activit combine globale - constituent l'lment fonda-mental de la production dans une socit industrielle vo-lue. Le capitalisme a impos, aux dpens de plusieursgnrations de proltaires, le dveloppement d'une base deproduction qui s'appuie de toutes parts - la diffrencede la petite production - non sur les facteurs de pro-duction individuels (les outils et l'habilet de l'artisan),mais sur les forces productives sociales : l'utilisation desmachines et la combinaison des ouvriers qui lui corres-pond.

    La rvolution industrielle a revtu diffrentes formesconcrtes sans que son essence en ft pour autant change :Marx et Engels l'ont dfinie dj dans le ManifesteCommuniste (1) comme un continuel bouleversement t

    (1) K. Marx - F. Engels, Manifeste du Purti Communiste,

    Paris, Editions Sociales, 1966, p. 34.

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    LA NATUREDE LA RVOLUTIONSCIENTIFIQUE 3

    des instruments de travail (lment de base des moyensde production). La machine en constant

    dveloppementconstituait le facteur intermdiaire fondamental, l'lmentmoteur des forces productives dans l'industrie. Elle arelgu au second plan l'objet de travail (qui, lui, nesubissait pour l'essentiel que des changements peu signi-ficatifs), en exigeant et imposant la force de travailsimple (en principe toujours la mme) des masses ouvri-res comme son pendant ncessaire.

    La machine de travail qui a dcompos et assum lesoprations de la main de l'homme, la machine motrice quia affranchi l'homme de l'entranement, la transmissionmcanique - voil essentiellement les lments et lesdegrs de la naissance du principe mcanique : le morcel-lement des travaux complexes, originalement artisanaux,en lments simples, abstraits, dans lesquels les oprationsd'excution dcisives taient imparties un mcanisme quel'homme se bornait servir.

    Il s'ensuivit un systn2e de machines remplissant toutl'atelier ou toute l'entreprise et employant une masse demain-d'oeuvre : soit sous forme d'une chane des machi-nes universelles ou spcialises et, ct d'elle, d'unechane d'ouvriers-oprateurs (industrie traditionnelle euro-penne), soit sous celle d'un tapis roulant, de part etd'autre duquel se succdent, de faon plus ou moins conti-

    nue,toutes les

    oprations mcaniques dterminant l'cou-lement des matriaux et l'activit humaine (type amri-cain). Aux extrmits et dans les espaces laisss librespar l'ensemble des machines, un simple rle oprationnelou rgulateur complmentaire est dvolu la masse desouvriers.

    A la source de la rvolution industrielle se trouvaitla machine de travail (2) (premire rvolution indus-

    trielle). Son utilisation massive n'a cependant t possiblequ'avec l'invention de la machine motrice : la machine

    (2) ... la rvolution industrielle ne part pas de la force7notrice, mais de cette partie de la machine que les Anglais appel-lent la working machine (Marx dans sa lettre Engels du28 janvier 1963, Lettres sxcr le Capital, Paris, Editions Sociales,

    1964, pp. 133 et 134).

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    4 LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    vapeur (deuxime rvolution industrielle) (3). Le dve-

    loppementdes lments de

    transmission,des

    courroies,des

    moyens de transport et, notamment, de la transmissionlectrique (que nous pourrions dfinir comme troisimervolution industrielle) achve en principe l'volution dela base de la civilisation industrielle.

    La rvolution industrielle a affranchi le processus deproduction des conditions et des cadences du travail indi-viduel. L'unit subjective initiale de la production qui taitfonde sur le producteur (artisanat) ou un ensemble d'op-rations fragmentaires (manufacture), fut dissoute pourrapparatre sous la forme de l'unit objective du systmedes machines qui est soumis l' ouvrier collectif .

    L'industrialisation qui a cr la base de la productioncapitaliste, a gnralis cette structure des forces produc-tives dans l'usine : son aspect matriel a pu varier, maiselle est reste stable quant la sparation interne desmachines et de la main-d'oeuvre.

    2. L'essence de la rvolution sci.entifique et technique.

    Au cours des dernires dcennies, l'essor imptueuxde la science et de la technique a commenc briser lecadre de la rvolution industrielle, donnant jour unestructure et une dynamique nouvelles des forces producti-ves de la vie de l'homme.

    a) Les moyens de travail dpassent dornavant, parleur dveloppement, les limites des machines mcaniqueset assument des fonctions qui en font en principe descomplexes autonomes de production ; les changementsactuels dans la technique moderne vont ainsi au-del desbouleversement survenus jadis dans les instruments deproduction.

    b) Le progrs se manifeste aussi avec force dans lesobjets de travail: choix millnaire de matriaux dans

    lequel la rvolution industrielle n'a fait que modifier toutau plus les proportions (fer, bois, matires premires agri-coles, etc.).

    (3) ... aprs cette premire grande rvolution industrielle,l'utilisation de la machine vapeur, en tant que machine produisantdu mouvement, a t la seconde... (rvolution industrielle).(Cahiers de Marx sur kc Tec/tK:qMe, d'aprs la revue Bolchevik

    N 1-2/1932).

  • 7/25/2019 RICHTA, Radovan La Civilisation Au Carrefour Paris, ditions Anthropos, 1969

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    LA NATUREDE LA RVOLUTIONSCIENTIFIQUE 5

    c) L' aspect subjectif de la production, immuablependant des sicles, se modifie ; toutes les fonctions de la

    production directe, remplies par la force de travail simple,disparaissent progressivement ; au sein de la productiondirecte, la technique vince l'homme de ses fonctionsdirectes d'excution, de manutention et de manipulation et,finalement, de rgulation.

    d) De nouvelles forces productives sociales, notam-ment la science et ses applications techniques - et, avecelle, sa base : l'intgration sociale et, en fin de compte, le

    dveloppement des forces humaines qui se trouve l'ar-rire-plan de toute activit cratrice - pntrent deplain-pied dans le processus de production.

    Ce qui fait l'originalit du mouvement amorc, luiconfre une dimension nouvelle et le transforme en unervolution scientifique et technique, c'est avant tout qu'ildbouche sur une trans f ormation universelle de toutes lesforces productives, qu'il met en branle toute leur structure

    lmentaire c'est--dire qu'il modifie radicalement la placede l'homme. Tout indique qu'il ne s'agit plus l du dve-loppement continuel d'un des facteurs objectifs des forcesproductives (moyen de travail) - comme ce fut le casde l'industrialisation -, ni de l'apparition de telle outelle production nouvelle. Il ne s'agit pas d'une agitationde surface, d'une boursouflure isole de la civilisationqui sera suivie d'un retour au calme, mais d'un brassage

    acclr et permanent de toutesles forces

    productives,de tous les facteurs objectifs et subjectifs de productionde la vie humaine.

    La pousse des techniques limine les forces physiqueset mentales limites de l'homme de la production directeet donne dsormais la production une unit techniqueinterne, base du dveloppement spontan de la production.La rvolution scientifique et technique commence juste-

    ment l o s'est termine l'analyse du travail en lments .simples (en ce sens, elle parachve la mcanisation com-plexe). Son originalit est de faire la synthse du processusnaturel technicis, impos, assimil - et de ce fait rgla-ble - par l'homme, d'assurer le triomphe du principeautomatique, dans le sens large du mot (quelle que soit labase technologique concrte). Ce n'est plus seulement l'ins-trument ou moyen de travail qui s'interpose entre l'hommeet la nature, mais toute une technique autonome de pro-

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    6 LA CIVILISATION AU CARREFOUR

    duction dans laquelle se trouve synthtise, d'une faon oud'une autre, l'interaction du moyen et de l'objet, sous

    forme d'une structure et d'une dynamique interne demodle.Le point de dpart de la production automatique n'est

    plus une machine isole, mais un processus de productionmcanis, ininterrompu (4). C'est dans les productionscontinues de l'nergtique, de la chimie, de la mtallurgie,de la cimenterie, dans la production massive de srie dansl'industrie de transformation et dans les procds de ges-

    tion standardiss, que le principe autom