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  • KernosNumro 21 (2008)Varia

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    velyne Scheid-Tissinier

    Jean Rudhardt et la dik................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniquevelyne Scheid-Tissinier, Jean Rudhardt et la dik, Kernos [En ligne],21|2008, mis en ligne le 01 octobre 2011.URL : http://kernos.revues.org/1612DOI : en cours d'attribution

    diteur : Centre International dEtude de la religion grecque antiquehttp://kernos.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://kernos.revues.org/1612Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

  • Kernos21(2008),p.173-184.

    Jean Rudhardt et la dik CestdabordsafiliationdivinequivautDikdoccuperuneplaceprivil-

    giedansledernierouvragedeJeanRudhardt,Thmis et les Horai. Recherche sur les divinits grecques de la justice et de la paix1. Un ouvrage que son auteur dsignemodestementdans ses remerciements comme unpetit livre, ndu soucidamliorer notre comprhension de la pit hellnique, en partant duncertain nombre de divinits cosmiques et morales quil est ncessaire deprendreenconsidrationpourcomprendrecommentlesGrecsontressenti laprsence du divin2. Les divinits ainsi convoques pour tre analyses tantThmiset ses filles, les troisHraiquelleaeuesdeZeus, tellesquHsiode lesvoquedanssaThogonie(901-902),cest--direEunomia,DiketEirn,savoirlaBonneOrganisation,laJusticeetlaPaix.

    Ces divinits ont la particularit de se prsenter comme lincarnation denotions abstraites, pourvues dune porte philosophique etmorale largementreconnue.Lesidesdharmonie,dejusticeetdepaixsattachenteffectivementauxdnominationsdeunomia,dediketdeirn,lorsquellesseprsententsouslaformedenomscommuns.Do ledangerquilyauraitvouloirabordercesfiguresdivinesdunemanirequiseraitchargedunfauxbonsens.Selonunemthode qui les considrerait commede simples allgories, ou qui verrait enelleslersultatdeladivinisationsecondairedenotionsabstraitesquisuscitentlerespectdeshumains.Uneapprochequisetrouvedembleinvalideparlan-ciennetmmedecesdessesquiontleurplacedanslagnalogiehsiodique.Ilfautdoncdfinirunautreangledattaquequipermettederendrecomptedudouble aspect qui caractrise ces entits. Or, poursuit Jean Rudhardt, si lonadmetquedespuissancesabstraitescomme la Justiceou laPaixpeuventtrefiguressous lestraitsdunepersonnehumaine, ilneseraitpasexcluquelesGrecs peroivent aussi une prsence divinedans une situation juste, dansltatdepaix,danslaspirationlajusticeoulapaixtellesquilslesressententordinairement3. Une perspective qui, au-del du problme pos par cesnotions,permetgalementdemieuxpntreruncertainnombredephnom-nesmentaux.Ainsicommentleraisonnementlogiqueetlarflexionmythique

    1 J. RUDHARDT,Thmis et les Horai, Recherches sur les divinits grecques de la justice et de la paix,

    Genve,Droz,1999.2RUDHARDT,o.c.(n.1),p.11.3RUDHARDT,o.c.(n.1),p.13.

  • 174 .SCHEID-TISSINIER

    se coordonnent-ils? Se dveloppent-ils sur des plans diffrents?Y a-t-il unelogiquemythique? Enfin, dans lamesure o lesGrecs ont peru dans cesnotionsdesqualitsdivines,leuranalysefournituneoccasionprivilgiedemieux saisir la relation qui unit la morale la religion dans la consciencehellnique4.

    Un premier fait simpose, qui est que siThemis est individualise la foiscomme divinit et commenotion, cest toujours en groupe que ses filles, lesHrai, sont reprsentes et honores5. Seul le nom spcifique dont ellesbnficient en tant quenotions leur confreunepersonnalit et un rlebiendistincts qui se prtent une analyse plus prcise. Laquelle analyse impliquedonc de laisser de ct laspect cultuel qui englobe les trois surs dans unmmeensemble,pour sattacher cequevhicule lalanguecommunequiconsidrechacunedelles individuellement.Danscetensemble,cest lexplora-tiondeladik, lanotionquipossdelaportelapluslarge,quejaiprivilgieenmettantenlumiretoutlafoislarigueurdelapprochequiatsuivieetloriginalitdesrsultatsquelleaproduits6.

    Les donnes de la tradition

    Diksimposeparlerlequeluiconfrentsesemploislesplusanciens,lesemploishomriquesethsiodiquequi lassocientfrquemment themis,vouecommeelleladsignationdlmentsqui serapportentlordresocial.Cestce qui avait, il y amaintenant plus dun sicle, retenu lattention deGustaveGlotz, qui pensait avoir identifi la nature du lien qui rattachait la dik lathemis7.Uneassociationquilfaisaitremonterunepoqueantrieurecelledescits et qui permettait de reconnatre clairement les rles dont se trouvaitrespectivement investie chacune de ces notions. cette poque, expliquaitlhistorien, lemondegrecsecomposaitdune juxtapositiondeclansfamiliaux,

    4RUDHARDT,o.c.(n.1),p.14.5 RUDHARDT, o.c. (n. 1), p.43-57 pourThemis et p.82-96 pour lesHrai, avec toutes les

    mentionsdediversesstatuesetlieuxdecultequileursontconsacrs.6Ltudede laDik occupedans le livre de JeanRudhardt, unepartie du chapitre III lui-

    mmeintitulTraitsparticuliersdechacunedesHorai.Ladeuximepartiedecechapitre,sousletitredeDik ,couvrelespages104145etabordedeuxpoints:A.LenomdiketB.Delanotionladivinit

    7G.GLOTZ,La solidarit de la famille dans le droit criminel en Grce, Paris, 1904 [rimpr.NewYork,ArnoPress,1973].Unevingtainedannesplustard,danslIntroductionsasynthsesurLa cit grecque. Ledveloppement des institutions,Paris,1928[rimpr.AlbinMichel,1968](Lvolution de lhumanit),p.14-15,Glotzraffirmeencorelerlejou,danslesdbutsdumondegrec,parlegenosquiencetemps-l,avaitseuluneorganisationsolideetdurable.[...]Legroupeainsiformjouit dune indpendance complte et nadmet aucune limite sa souverainet. La ralit dugenosatdepuis,on lesait, svrementcontesteetcompltementrvaluepar lestudesdeF.BOURRIOT,Recherches sur la nature du genos. tude dhistoire sociale athnienne, priode archaque et classique,Lille,1976etdeD.ROUSSEL,Tribu et cit,Paris/Besanon,1976.

  • JeanRudhardtetladik 175

    les gen, qui regroupaient leshommesdemmesanget coexistaient sansquilexisteaucuneautoritsuprieurequisoitenmesuredelescontrler.Chacundecesgroupes,chaquegenossegraitdonclui-mmeetassuraitsapaixintrieureau moyen de la themis, des rgles de droit qui sexeraient lintrieur de lafamilleetsetrouvaientlgitimesparlareligion.Cestenfonctiondecesrglesquelindividuquiportaitatteintelundesmembresdesonclanousesbiens,taitconsidrcommecoupableetpuni.Lacraintede lapunitiongarantissaitainsi lunit et la solidarit indispensables la surviedu genos.Dans lagestiondes rapports entre familles, entre gen, cest en revanche la dik qui prvalait,cest--dire leprincipedesreprsaillesetde lavengeance8.Ladik seprsentepar consquent comme llment qui assure la gestion des mcanismes quirgulentlesrapportsdeshumainsentreeux,paroppositionlathemis,cetteloiimposedenhautetquicommandelerespect.

    Lerledontsest trouveainsidotedikamarquunetape importante.Resteladifficultquilyaconciliercetteintuitionaveclesdonnesdulexiqueet celles de ltymologie. Les textes prtent en effet ce substantif plusieurstypesdemploisentrelesquelsilnestpasaisdedgagerunelogique.Silonserfreauxdictionnaires,enloccurrenceleLiddell-Scott-Jones,ontrouvepourdikunpremiersens,celuidecustom,usage,dodcoulelemploiadverbialclassique de dikn, lamanire de. Le deuxime sens est celui de order,right,cest--direcequirelvedelordre,dujuste.Ilyaenfinuntroisimesens, celui de jugement rendu, dcision judiciaire. Si les contenus desrubriquesdeuxettroissinscriventeffectivementdanslecontextejuridiqueoujudiciairequiestceluidanslequelonrencontreleplussouventletermedik,lecontenudelapremirerubriqueestmoinsaiscerner.

    Ltymologieparailleursnestpasdungrandsecours..Benveniste9restetributairedelathsedeGustaveGlotzetdanssonsoucidesoutenirlathoriedveloppeparlhistorien,ilserfrelaracineindo-europenne*deik-,quiadonnlelatindico,direetlegrec,montrer.Cetteracinepourraitsignifier:montrerparlaparole,cedonttmoignelecomposlatinjudexo*deik-estconjointjuspourdsignerceluiquimontreavecautorit,cest--direlejuge,seulhabilitdicere jus,direledroit.

    Ilyaunebonnetrentainedannes,MichaelGagarindans lesdeuxtudesparticulirement fouilles quil consacre lemploi de dik lpoque archa-que10, stait heurt au mme problme. Sceptique lgard de ltymologieproposeparBenveniste, ilchoisitdeserallierltymologieretenueen1950parPalmerquifaitluiaussiremonterlesusbstantifdiklammeracineindo-

    8GLOTZ,o.c.(n.6),p.67-68.9.BENVENISTE,Le vocabulaire des institutions indo-europennes,Paris,1969,II,p.111.10M.GAGARIN,DikintheWorksandDays,CPh68(1973),p.81-94;DikinArchaic

    Thougth,CPh69(1974),p.186-197.

  • 176 .SCHEID-TISSINIER

    europenne*deik-.11Maisilconsidrequecesubstantifapossddsloriginedeux significations distinctes, qui se sont ensuite dveloppes paralllement.Dikdsigneraitdunepartlesigne,lamarque,lacaractristique,dautrepartla limite, la ligne de division. Do une double filiation. La premire quiconduit au sens de usage, caractristique, atteste dans la premire sriednoncs que retiennent les dictionnaires. La seconde qui conduit lidedun arrangement ou dune dcision, obtenus en crant une ligne desparation, une limite entre deux individus en conflit.Deux significations dedikqui sesontdveloppeschacunede leurctetont finiparnavoirplusrien en commun. Si bien que Michael Gagarin, renonce reconstituer uneimpossible unit de sens et choisit de privilgier la dimension de dik qui luiparat fondamentale, cest--dire celle qui possde une porte tout la foisjuridiqueetjudiciaire12.

    Confront cet tat des lieux, Jean Rudhardt13 commence par constaterlimpossibilitquilyatrouver,ycomprisdanslessourceslesplusanciennes,une base qui conforte la thorie volutive jadis formule par GustaveGlotzconcernantloriginedeladik. Cedonttmoigneparexemplelefaitquechez Hsiodedik sappliquedj auxdcisionsprisespar les rois corrompuspourrgler le diffrend qui oppose le pote son frre Perss14. Do il faudraitconclure qu cette poque dik avait dj perdu sa spcificit et pouvaitsappliquer aux relations intrafamiliales. Le rapprochement opr par Benve-nistepermetnanmoinsderendrecompteducaractrenormatif,frquem-mentvhiculpardikdans lesdiffrents typesdemploisquiensont faits. Ilrestequelexploitationsystmatiquedelensembledesesemplois,fournitseuleunechancederetrouver lunitperduedecesubstantif.Cestsurcetterecen-sion que Jean Rudhardt souhaite sappuyer, fidle sa mthode qui est deconsidrerqueriennepeutnoustreintelligible,quecesoitdansltudedelapenseoudanscelledelareligionhorsdelalangueemployeparleshommesquilesontvcues15.

    11L.RPALMER,TheIndo-EuropeanOriginsofGreekJustice,TPhS(1950),p.149-168.12J.Rudhardtalasagessedenepassattardersurunetymologiequi,enloccurrence,peine

    offrirunebasesolide.IlestpermisdepenserqueL.Gernettaitarrivuneconclusionsimi-laire, lorsquil faisait remarquer dans son tude de 1955, Sur la notion de jugement en droitgrec, Droit et Socit en Grce ancienne, Paris, 1955, p.61-81, p.62, n. 1, que quand unetymologieestencause,onestjustifinepaslaprendrepourpointdedpart.

    13RUDHARDT,o.c.(n.1),p.104-106.14Hsiode,Travaux,34-39.15 RUDHARDT, o.c. (n.1), p.160. Cest sur cette profession de foi mthodologique que se

    terminelelivre.

  • JeanRudhardtetladik 177

    La dik individuelle

    Lexamen des emplois qui relvent de la premire rubrique, celle pourlaquelle le Liddell-Scott-Jones donne le sens de custom, usage, fournit unpremierlment,quiloindtremarginalpourlacomprhensiondedik,offreau contraire un point de vue inattendu qui permet de penser la cohsion delensemble.Dansuncertainnombredecontextesdikdsigneeneffetcequiest le lot convenant un individu ou un groupe dindividus. Ou plusexactementcequirevientdedroitunindividu,sapart,sondroit.Ilsensuitquedikpeutdsigneraussibiencequonattenddunindividuquecequiluiestd. Cest ce qui ressort ainsi des emplois bien connus dans lesquel dik setrouve associ un gnitif pluriel qui dsigne un ensemble dindividus. Il estainsiquestion:

    dulotdesmortels,,unefoisquilssontmorts(Od.XI,218),

    du lotdesdieux, ,possesseursde lOlympe(Od.XIX,43),

    dulotdesvieillards,,quiestdesebaigner,demangeretdedormir(Od.XXIV,255).

    En dfinissant ainsi le type de comportement qui caractrise telle ou tellecatgorie dindividus, ce type dnonc peut servir vhiculer une norme.PnloperappelleainsilecomportementexemplairedUlysse,qui,toutletempsquilatIthaque,najamaisrienditnirienfaitdinjustecontrepersonne,cequiestlepropredesroisdivins:(Od.IV,691).En revanche, la reine stonne, un autre moment, du comportement deshommes qui lentourent: cette dik nest pas celle quavaient autrefois lesprtendants: (Od.XVIII, 275).Unefaondedsapprouver ladik,lamaniredtredecesgens,quinestpas conforme celle que doivent avoir des hommes qui se trouvent engagsdans une comptition pour la main dune femme. Ce qui, comme le relvejustementJeanRudhardt16,signalelatransgressioncommiseparlesprtendantsetlaisseparl-mmeprsagerlechtimentquienseralaconsquence.

    Dikdfinitdelammemanirecequoichacunadroitenfonctiondesapositionetquilpeutdoncrevendiquer.Celot,cettepartquileurrevient,cest prcisment ce que lesmorts qui se pressent autour deMinos dans lesEnferscherchentobtenirdelui.Ulyssevoqueainsilesgensquidemandentauroileursdikai,lesunsdebout,lesautresassis,danslademeuredHadsauxlarges portes17. On ignore de quoi dpend la nature de ces dikai. De laposition qui tait celle des dfunts sur terre?De leur conduite pendant leur

    16RUDHARDT,o.c.(n.1),p.112.17Homre,Od.XIV,59-61.

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    vie?Toutenproclamantundroit, ladikposedes limites.Dans lAthnesdeSolon par exemple, la nature de la dik qui revient chacun dpend de lapositionsocialequiluiestreconnue.Lorsquilvoquesonuvre,lelgislateurproclame ainsi le souci qui fut le sien dcrire des lois, ,pareillementpourlepauvreetpourlenotable,,enadaptant chacun une dikcorrecte, 18.Donnerchacuncequiluirevientnesignifieeffectivementpas,danslAthnesarchaque,offrirtoutlemondelammepartdanslagestiondelacit.

    Les moyens daction de la dik et leur raison dtre

    LaprotectiondecettedikestassureparcequeJeanRudhardtappelleladik objective et la dik subjective19, qui sont intimement lies et quirelventluneetlautredeladeuximerubrique,cellequele Liddell-Scott-Jonesdfinitcommeappartenantaudomainedecequiestorder,right,cest--diredecequirelvedelordre,dujuste.

    Cette dik double visage gre les consquences positives ou ngativesengendres par les actionshumaines. Llectre dEschyle souhaite ainsi quelesmeurtriersmeurentleurtoursousleffetdeladik.Ailleurs,lesChopho-resvoquent ladikquiestvenueenfinfrapper lesPriamides20.IlsagitenloccurrencedelachutedeTroie,destinepunirlafautecommiseparPris,lorsquil a enlevHlne.Dans lesSept contre Thbes (444),Eschyle fait dire toclequeceluiquimpriselesavisdeZeusestdestintreenretourfrappparledieu.Lafoudrechargedefeusabattrasurluiaccompagnantladik.Dans tous les cas, la dik semble incarner une puissance immanente lhistoire.Elle est voque de lammemanire par Solon, lorsque le poteaffirmeque toutendsirantpossderdesrichesses, il refusecependantde lesacqurir injustement, . Cest quensuite il y a la dik qui arrive detoutefaon21.Ladikseprsentedonccommeuneforceautonomequiinter-vientpourpunirlecoupable.Cestencelaqueconsisteladikobjective.Unchtiment,unevengeancequivientfrapperenretourceluiqui,silonserfreau textedeSolon, a attaqu lepremier autrui.Celui qui a agi injustement,, en sen prenant la dik de sa victime. Laquelle sest trouve dunemanireouduneautrelse.Soitparcequelleatprivedelaviedanslecasdes personnes assassines, soit parce quelle a t insulte dans le cas de ladivinitdontlapuissanceestmiseendoute,soitenfinparcequelleatspolie

    18Solon,fr.30,18-20(d.GENTILI-PRATO).19RUDHARDT,o.c.(n.1),p.112.20Eschyle,Chophores,144et935.21Solon,fr.1,7-8(d.GENTILI-PRATO).

  • JeanRudhardtetladik 179

    parceluiquitaitguidparledsirdesrichessesouparlamourdunefemmequiappartenaitunautre.

    Ce qui revient dire que la dik objective vient protger la dik dontbnficiechaque individu,cellequidsignele lotdechacun,cequoi il adroit.Toute agression suscite ainsi invitablement une raction en retour. LemcanismeainsiinvoquparJeanRudhardtrenvoieauschmaautrefoismisenvidenceparLouisGernet.Lequelavaittamen,enexplorantlagensedelanotiondedlit,opreruneanalyseprcisedelensemblelexicalconstitupardik /adikein /adikiaetadikma. Puisreconstituerlalogiquequirendinlucta-blelirruptiondelaripostedestinecompenserlinjusticeouletortquionttdansunpremiertempscommis.Dansceschma,celuiquiporteatteinteladik, , rompt un quilibre et introduit un dsordre dont il porte laresponsabilit.Cequesignalelemploitrsfrquentquiestfaitdelexpression commencer linjustice22.Une expression qui souligne laculpabilit que porte celui qui a pris linitiative du dsordre, de la rupturedquilibre.

    Lhistoriendudroitgrecenavaitdduitquelesubstantifdikpossdaitunedimensionquidpassenotreconceptionjuridiqueoumoraledelajustice.Unedimensiondontonnepeutmesurer laportequen lareplaantdans lespaceplus large etplus ancien dune reprsentation religieusede lquilibre, elle-mme lie la conception dun ordre cosmique dont dpendent la fois leschosesde lanatureet lesaffaireshumaines23.Unevision,conclutde lammemanire JeanRudhardt que lon trouve atteste dans la philosophie dAnaxi-mandreaussibienquedanscelledHraclite.LequelappelleDikunprincipergissanttoutcequiseproduitdanslUnivers,unprincipequiagitparmileshommesetquiagitaussisurlesentitscosmiques24.Cedonttmoignesonprcepte:LeSoleilnedpasserapaslesmesuresquiluisontassignes,sinon,auxiliairesdeDik,lesrinyesledcouvriront25.

    La dik dite subjective est lautre aspect de cette force active. Elle estprsente lesprit des hommes et influence leurs conduites. Elle estancre chez leshumains commeunprincipe innqui leur indique la voiedujuste. JeanRudhardt insiste sur le souci dont tmoignent frquemment leshumains dagir en ayant le droit de leur ct. LOreste dEschyle, rempli dedoutes, demande ainsi anxieusement Apollon sil a bien tu samre avec

    22L.GERNET,Recherches sur le dveloppement de la pense juridique et morale en Grce,Paris,20012

    [1917], p.62-68 et p.64-65 o se trouvent mentionnes un certain nombre doccurrences delexpression:Hrodote,I,2,130;VI,87;Euripide,l.915

    23GERNET,o.c. (n.18),p.62.VoirsurcemmeproposlesdveloppementsdeG.VLASTOS,EqualityandJusticeinearlyGreekCosmology,CPh42(1947),p.156-178,reprisdansStudies in Greek Philosophy,Princeton,1995,I,p.57-88.

    24RUDHARDT,o.c.(n.1),p.142.25Hraclite,22B94(d.DIELS-KRANZ6),citparRUDHARDT,o.c.(n.1),p.142.

  • 180 .SCHEID-TISSINIER

    raison, , 26. Le Noptolme de Sophocle a honte de soncomportement lgard de Philoctte et veut lui restituer les armes que cedernier lui a cdes. Je lespossdepour les avoir acquisesdemanirehon-teuse,, etnonbondroit,,dit-il Ulysse27.Dik fait ainsipartie de ces notions qui habitent lesprit des Grecs et sont antrieures auxspculations philosophiques28. Cette conscience de la dik est propre lespcehumaine.

    Elle est, affirmeHsiode avec force29, ce qui diffrencie les hommes desanimaux,quisedvorententreeuxparcequilsneconnaissentpasladik,cettemaniredevivre, cenomosqueZeusadonnauxhommesetquipermet lasocithumainedeprosprerenvivantdanslapaix.Sansdik,ilnepeutexisterde cohsion sociale. Respecter la dik, si lon suit jusquau bout la pense deRudhardt, cela revient pour lhomme suivre cette parcelle de consciencedivinedontZeus lui a faitprsentetqui luipermetde slever au-dessusdesanimaux. la fois respectable et mystrieuse, touchant ce qui dfinit lacondition humaine, et lui confre un sens, elle simpose la conscience desGrecscommeuneforcedivine30.OnconoitalorsquelaDiksoitreprsen-tecommeunefilledeZeus,commeunemanationdesonpre.Unefillequi,selon lvocation quen fait Hsiode, court se rfugier auprs de Zeus,lorsquelleestoffensepar lesparolesou lesactes injustesdeshommeset luidnoncelescoupables31.Cequiprovoquelacolredudieu,protecteurdeDik.Il faitalorspayer lepeuple32etdvasteavecsespluies les terresdeshommesquimprisentlajustice33.

    CettedimensiondivinedeladikseretrouvedanslemythedeProtagoras34,traverslequelPlatonvoquelesoriginesdelacivilisationenreconnaissantladikjointelaidsunrledcisifdanslamiseenplacedesrglessociales.Ilfutuntempseneffetoleshommesvivaientdanslaconfusionetlaviolence.Ilsnecessaientdesefairedutortlesunsauxautres,adikein alllous,ignorantsdelart politique, jusquau moment o Zeus leur a envoy Herms porteur delaids(lerespectdesoi-mmeetceluidesautres)35etdeladik,afinqueleurs

    26Eschyle,Eumnides,610,612.27Sophocle,Philoctte,1234.28RUDHARDT,o.c.(n.1),p.155.29Hs.,Trav.,274-280.30RUDHARDT, o.c.(n.1),p.133.31Hs.,Trav.,248-260.32Hs.,Trav.,260.33Hom.,Il. XVI,386-388.34RUDHARDT,o.c.(n.1),p.132-133.35Voir ltude de L.CAIRNS,Aids. The Psychology and Ethics of Honour and Shame inAncient

    Greek Literature, Oxford, 1993, et celle de J. RUDHARDT, Quelques remarques sur la notiondaids, in. De la religion la philosophie. Mlanges offerts Andr Motte, Lige, 2001 (Kernos,suppl.11),p.1-21.

  • JeanRudhardtetladik 181

    cits connaissentunebelleordonnanceetdes liensdamitipropres assurerleurcohsion36.

    Cette dik subjective sassocie dans lesprit des Grecs aux qualits queladjectifdikaiosexprime37.Unhommemritedtrequalifidedikaioslorsquilse montre sensible aux exigences de la dik et soucieux den respecter lesobligations. Ce qui signifie notamment quil est attentif ce qui revient chacunenfonctiondesesdroits.Dans lOdysse,sontainsiconsidrscommedikaioi les hommes qui accueillent les trangers en leur donnant lhospitalitquils sont en droit de recevoir38. Dans lIliade, loccasion de la crmoniepubliquequisanctionne la rconciliationentreAchilleetAgamemnon,Ulyssequiaprisencharge lorganisationde laprocdure,numretoutes lesdmar-chesquAgamemnondoitaccomplirpoursatisfaire lhonneurblessduhros.AprsquoileroidIthaqueconclutensadressantdabordAchille.Toutceladoitsefaire,luidit-il,afinqueriennetemanquedecequexigeladik, .Tout ce quAgamemnondoit donner Achille esteffectivementde lordrede la rparation.Dik, dsignealors la compensationrparatricequelavictimeestendroitderecevoirpourquesoitrestaurlqui-librequiatdansunpremiertempscompromissesdpens.Hsiodefaitunemploi trs semblable de dik lorsquil voque la rparation que lagresseurproposedelui-mmesavictime.Danscecas,conseilleHsiodePerss,siunamiquitafaitdutortchercheensuiteteramenersonamitietveut toffrir unesatisfaction, accepte-la,,39.

    Dans la scnede rconciliationde lIliade,Ulyssepoursuit sondiscoursensadressantensuiteAgamemnon:Atride,pourtoi,dsormaissachetreplus juste mme lgard dune autre personne, 40. La recom-mandationainsifaiteauroiestdestinelincitersavoirsemontrerlavenirplus respectueux des droits dautrui en vitant de lser quelquun dautrecommeillafaitpourAchille.Lerespectdeladik, lattentionporteauxdroitsdautrui, exige effectivement une attitude quimet enuvre la vigilance et lerespect.Onpeutpoursuivredanscettedirectionen relevantquil sagitduneconceptiondu juste,dudikaion, quine renvoiepasuneconceptionplatoni-ciennedunepureidedelajustice,maispluttlaconsciencequunquilibredoittremaintenuentrelesmembresdunemmecommunautquipossdentlemmestatut.Cetquilibrequigarantitchacunlerespectdecequiluiestd

    36Platon,Protagoras,322b-d.37 RUDHARDT, o.c. (n.1), p.125 prsente les choses dunemanire qui met laccent sur la

    puissanceagissantededik:Ledikaiosestceluiqueladikprotgeoufavorise.Ilrappelleparailleursquecestsurdikaiosquestforglesubstantifdikaiosun,quidsigne lpoqueclassiquelaqualitpropreauxhommesjustes.

    38Hom.,Od.IX,175.39Hs.,Trav.,712-713.40Hom.,Il.XIX,179-181.

  • 182 .SCHEID-TISSINIER

    estaussilegarantdelapaixsociale.Cestlaconceptionlaplustraditionnelledujuste, celle que formule Polmarque, dans la Rpublique, lorsquil rpond Socratequiluidemandeunedfinitiondelajustice:Cequiestjustecestderendrechacuncequiluiestd,41.

    Silonadmetquelerledeladiksubjectiveestdepermettrelindividudedistingueretderespecterlejuste,ledikaion,42cest--diredefairelapartdece qui lui revient et de ce qui revient aux autres, on saisit la porte de larecommandation quHsiode adresse avec insistance son frre Perssdcouterladik,43.

    La porte judiciaire de la dik

    Danslespriptiesdelaviesocialecependant,ilestfrquentquechacunselaisseguiderparson intrtpersonnel,quilnaitpas toujoursuneperceptionquitabledecequoiiladroit,ouquilneparviennepasfairereconnatrecedroitparlesautres.Cestleproposmmedestragdies.Cestaussilasourcedeconflitsdontlarsolutionestconfieauxarbitresouauxjuges.Cequiconfre dik la dimension judiciaire quon lui connat. La dik et les dikai dsignentalors les dcisions de justice qui sont rendues par les juges ou les arbitresauxquelsleshumainsviennentsoumettreleurdiffrend.

    Ladiksubjective,relveJeanRudhardt,trouvesonaccomplissementdansuneformuleprononce,dansunjugement,dansunverdict44.LadikquiestainsimisersultedeloprationquiestdsigneparleverbedikazeinquenoustraduisonsparjugermaisdontUgoPaolidabordetLouisGernetensuite45ontmontrquilrecouvraitenfaituneoprationquirelevaitmoinsdelanalyseintellectuellequedelaprisededcision.Leoulesjugessontinvitsprendre

    41Platon,RpubliqueI,331d.42RUDHARDT,o.c.(n.1),p.125rappellequeto dikaiondsignechezPlatonlidedejustice,

    delessencedontparticipenttoutesleschosesjustes(Phdon,65d,75c).Cestdjsurlanaturedudikaionquelespythagoricienssinterrogent.

    43 Hs., Trav., 213 puis 275, . Perss est en mme temps, insiste Rudhardt,exhortsabstenirdelhubris.Lerlejouparladikdanslargulationdesrapportshumainsetdanslemaintienducontratsocial,paroppositionlaforcedestructricedelhubris,setrouvemisenvidencedelammemaniredansltudequeJ.-P.VERNANTaconsacreaumythedesraces:Lemythehsiodiquedesraces.Essaidanalysestructurale,Mythe etpense chez les Grecs,Paris,19712(1965),I,p.13-41etLemythehsiodiquedesraces.Surunessaidemiseaupoint,ibid. p. 42-79. ces tudes font pendant les analyses dveloppes par JeanRUDHARDT, LemythehsiodiquedesracesetceluidePromthe.Recherchedesstructuresetdessignifications, Du mythe, de la religion grecque et de la comprhension dautrui, Revue europenne des Sciences Sociales,t.19,n58(1981),p.245-281.

    44RUDHARDT,o.c.(n.1),p.118.45U.E.PAOLI,Studi sul processo attico,Milan,1933,p.67-71;L.GERNET, Sur lanotionde

    jugementendroitgrec,ino.c.(n.12),p.61-81.

  • JeanRudhardtetladik 183

    parti pour lun des deux plaideurs qui sont venus se prsenter devant eux etexposerleurdiffrend.Cequirevientproclamerlavictoiredelunedesdeuxparties en prsence, une fois quelles se sont affrontes dans le cadre duneprocdure judiciaire qui se droule comme une sorte de duel, une eris, disaitPaoli,unagn,disaitGernet,autermeduquelilyaungagnantetunperdant.Ladik mise par le ou par les juges dsigne celui des deux adversaires qui setrouvedanssonbondroit.Cettedcisionqui,danslestribunauxathniensdelpoqueclassique,sobtientparunvotesecret,estdanslemondedHomreetdHsiode, dans ce monde de lpoque gomtrique, publiquement formulepar les juges qui appartiennent llite sociale, la catgorie des rois, desbasileis.

    DanslascnejudiciairequisetrouvefiguresurlebouclierdAchille46,deuxhommes,lemeurtrieretunparentdelavictime,ontainsiacceptdesoumettreleurlitige,quiportesurleversementdelacompensation,delapoindestinecompenserlemeurtre,aujugementdesAnciens.CesGerontessigentpublique-mentaumilieudelagora,entoursdunefoulevenueassisterlaudience.Unefoisquelesdeuxadversairesontparl,lesAnciensselventetchacunleurtour, ils donnent leur avis, . Lavis, la dik, qui seraretenueseracellequiauratconsidrepartoutlemonde,parlensembledesAnciens,parlesadversairesetparlepubliccommelaplusdroite,.

    MmeprocdurelorsdelaquerellequiopposeMnlasaujeuneAntiloquequiausderusepourdpasser leroideSpartedans lacoursedecharset luiprendre la deuximeplace. Lorsquil entendAntiloque revendiquer le secondprix,MnlaslaisseclatersacolreetenappelleaujugementdesAnciens.Puisilseravise,decraintequonailledirequecesAnciensluionttfavorablesenraisondelapositionminentequiloccupe,etdcidedejugerlui-mme,, en promettant que son arrt (avec dik qui est sous-entendue) seradroit,47.LesouciformulparleroideSpartedegarantirlarectitudedujugementquilvaprononcer renvoieuneralitquednonceHsiode,dansdes termes qui sont bien connus. Le pote dAskra sen prend en effet demanirerpteaux jugescorrompus, les, lesroisman-geursdeprsents48quiprononcentdessentencestorses,49.Illeur oppose les rois qui savent prononcer des sentences droites, les quiviennentdeZeus50.Lepouvoirpacificateurdecessentencesvautceux qui savent en user dtre honors comme des dieux51, tant est grande

    46Hom.,Il.XVIII,497-508.47Hom.,Il.XXIII,579-580.48Hs.,Trav.,38-39;221;263-264.49Hs.,Trav.,221, 250,264.50Hs.,Trav.,36;H.h.Dm.,152.51Hs.,Trav.,86;91-92et96.

  • 184 .SCHEID-TISSINIER

    lattente que suscitent parmi les hommes ces juges qui ont la charge dusercorrectementdeladikpourquelejuste,ledikaion,soitrtablietrespect.

    IlsavrequeleparcourseffectuparJeanRudhardtquistaitengagdanslesdiffrentespistesquesuggrait leclassementpropospar lesdictionnaires,sans en ngliger aucune, a fait merger une cohsion dont la notion de diksemblaitaupremieraborddpourvue.Depuislapremiresriedemploisdanslaquelle dik se trouve utilise pour dsigner ce qui revient de droit unindividuouungroupedindividus,enpassantparlesusagesquicaractrisentladik,objectiveousubjective,laquellesertalorsrtablirouprserverunquilibreentreleslmentsdunmmeensemblesocial,jusquauxsentencesmisesparlesjugesquipermettent,encasdeconflit,dedsignerceluidesdeuxadversairesqui estdanssondroit.Onpourrait conclure, sans risquerde tropdpasser la pense du chercheur, qu travers ses mutiples attestations, diksemble en dfinitive remplir un seul etmme rle, celui dtre unmoyen auservice dune fin. Cette fin tant lemaintien ou le rtablissement du dikaion,une ide,unenotiondujustequiconstituecequelesGrecsentendentparjustice.

    Lapriseencomptedesdonneslesplusanciennesdelatraditionclaireparailleurslalogiqueselonlaquellelapensemythiquefonctionne.Lesdonnesdumythe,tellesquellessontnoncesparHsiodefonteneffetdeDiklafilledeZeus.Cefaisant,ellestablissentunlientroitdeparententrelajeunedesseetZeusaupointdefairedecettepuissanceunecollaboratricedesonpre,uneforcequisedgagedudieudont lintelligencedomine tout,unefonctionquidpenddeluietsetrouvesonservice.Dunecertainemanirelanalysedumythedonnedesrsultats semblables ceuxqui manentde lanalyse lexico-logique. Lemythe permet en loccurrence de penser la complexit qui carac-trisesouvent lenchanementdesvnements, lasuccessiondescausesetdesconsquences ainsi que les dysfonctionnements qui affectent les relationshumaines. Lexigence de justice, lesmanifestations de justice dans lhistoiresont lies lactiondudieuquiassure lquilibredumondeetquiengarantitlordonnance52. ct de la conclusion qui est celle de lhistorien des reli-gions,unautrelmentmergecependantetclairecequirelevaitsansaucundoutedelaconvictionprofondedelhomme.Lidequilyamalgrtoutchezles humains une notion inne de la justice qui leur permet de reconnatre laDiketquiconfrecetagentuneefficacitprivilgie.

    velyneSCHEID-TISSINIERUniversitdeParis13DpartementdHistoire99,av.Jean-BaptisteClmentF93430VILLETANEUSECourriel :[email protected]

    52RUDHARDT,o.c.(n.1),p.160.