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A.I.M. 124 - 2007 La frigidité est un vilain défaut Nul auteur contemporain ne s’est risqué à faire l’éloge de la froideur féminine, bien au contraire, l’em- prise des dogmes freudiens misogynes sur les sciences humaines a fait de l’indifférence de certaines femmes pour l’érotisme une question de santé mentale. Il faut reconnaître néanmoins que la traduction française des évangiles freudiens n’offre pas la rigueur et la préci- sion de la langue germanique originale : le cafouillage des énoncés théoriques en affaiblit définitivement l’in- térêt. Comment accorder par exemple le moindre cré- dit à la plume de Françoise Dolto affirmant que « la frigidité est l’insensibilité génitale de la femme au cours du coït ; elle ne supprime cependant pas la pos- sibilité des rapports sexuels, mais se caractérise par une absence de désir de la femme pour le coït, l’ab- sence de sécrétions vulvo-vaginales, l’absence de plai- sir et d’orgasme » ? L’amalgame que suggère ici le concept de désir génital crée une ambiguïté illisible aujourd’hui. Il n’est plus possible de confondre l’in- tentionnalité et l’anorgasmie, la mélancolie et le si- lence des organes, l’aversion du passage à l’acte et les aléas de la physiologie… Jouir, n’est pas de même nature que d’exprimer le désir de jouir. Le voca- bulaire sexologique (voir AIM n° 119 d’octobre 2006) demeure l’otage du langage populaire et le mot « fri- gidité » en est ici le parfait exemple. Importer dans le lexique savant un terme aussi chargé d’histoires à l’eau de rose implique d’en limiter la signification à une problématique plus restrictive, d’en réduire la portée à la seule démotivation érotique. Une fois circonscrite à des valeurs opportunistes d’option de vie privée, l’inaction sexuelle ne se pose plus en termes de culpabilité et d’opprobre, mais de libre choix : si le désir de faire l’amour fait relâche ce n’est pas un péché et encore moins une maladie, c’est que « quelque part » dans l’histoire de cette femme, la transaction érotique n’a plus sa place. Le corps, le corps féminin tout particulièrement, est le matériau central du travail du désir, parce qu’il n’est jamais soustrait dans un couple à la surveillance du partenaire. Désinvesti, le corps devient donc l’enjeu d’un chantage, d’une rupture de contrat de sous-loca- tion de son sexe, un refus d’assistance à virilité en pé- ril… Pour une femme, faire corps à son désir, c’est se livrer, se donner à la convoitise de l’autre, que ce soit par amour, par habitude ou par dépit. La féminité, in- lassablement, se déploie dans un univers non-eucli- dien, hermétique, où le secret et la surabondance de chair font voir et entendre sa singularité… Si les thé- rapeutes nourrissent l’espoir de clarifier ses dysfonc- tionnements, c’est parce qu’ils imaginent que le désir peut s’instrumentaliser en appétence coïtale, que l’in- dicible peut s’incarner en besoins de jouir. C’est igno- rer les rapports que la frigidité entretient avec le nar- cissisme. S’il existe mille et une façons de se refuser, toutes convergent vers un unique objet qui est l’au- todéfense du Moi. La « migraine » n’a plus autant qu’autrefois droit de cité dans les mésententes conju- gales, mais d’autres subterfuges ont pris la relève pour signifier une fin de non recevoir à de vaines tentatives d’exercer une sexualité fourbue et dérisoire. En somme nul ne sait jamais, du dégoût ou de la détresse, quel est le primum movens d’une telle démission, mais en s’affranchissant du carcan du « devoir conjugal » la femme frigide fait l’éloge de son droit de réserve. Le blues de la « génération mai 68 » La révolution sexuelle n’a pas eu lieu. Le nou- veau contrat social mis en place pour libérer les corps et délier l’imaginaire n’a pas survécu au reflux des va- leurs cardinales de la société française. A terme, l’es- sor du féminisme n’a pas fait renaître le dispositif li- bertin du XVIIIe siècle, mais renforcé au contraire le droit des femmes de dire non au label d’un « éternel féminin » cupide et docile. Vénus désobéit. Il ne faut Sexologie * Médecin, psychothérapeute, juriste et écrivain. Directeur de l'Institut de sexologie et du Diplôme Universitaire "Sexologie et santé publique" à l'Université de Paris 7. Institut de sexologie - 57, rue Charlot - 75003 Paris. Tel. 01 42 71 10 30. [email protected] Le mot désir est trop célèbre pour être propice à la réflexion. Il est le blason des expressions fourre-tout qui balisent les conversations et les articles de vulgarisation. D’emblée, s’agissant de la fonction érotique féminine la controverse renvoie à Shakespeare: to be, or not to be, en avoir, ou pas… Or, depuis que la sexologie est sollicitée par les éclopées de la libido, l’interprétation de cette étape cruciale de la vie intime bute de façon occulte sur la question de la norme. Récusant cette simplification préconçue, cet article propose de placer la discussion sous l’angle de la généalogie de la féminité, et non plus sous la tutelle des seules valeurs sociales politiquement correctes, ou des arbitrages thérapeutiques hasardeux. « Peu m’importe de vivre dans un monde d’hommes tant que je peux y être une femme. » Marilyn Monroe (1926-1962). Articles déjà parus : Sexologie et médecine : un mariage de raison ? (AIM 118) Embûches et périls du premier entretien en sexologie (AIM 119) Le vaginisme n’est plus ce qu'il était (AIM 120) Faut-il soigner l’éjaculation prématurée ? (AIM 121) Les chiffres de l’amour : compter ou com- prendre ? (AIM 122) À paraître : La contraception est-elle sexuellement bénéfique ? Conduites addictives et sexualité Les dysfonctions érectiles de la cinquantaine Ménopause et dyspareunies Malformations, déformations, blessures gé- nitales et coït Maladies sexuellement transmises et fonction érotique 50 Femmes frigides et femmes comblées : la tyrannie du désir Dr Jacques Waynberg*

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  • A.I.M. 124 - 2007

    La frigiditest un vilain dfaut

    l Nul auteur contemporain ne sest risqu fairelloge de la froideur fminine, bien au contraire, lem-prise des dogmes freudiens misogynes sur les scienceshumaines a fait de lindiffrence de certaines femmespour lrotisme une question de sant mentale. Il fautreconnatre nanmoins que la traduction franaise desvangiles freudiens noffre pas la rigueur et la prci-sion de la langue germanique originale : le cafouillagedes noncs thoriques en affaiblit dfinitivement lin-trt. Comment accorder par exemple le moindre cr-dit la plume de Franoise Dolto affirmant que lafrigidit est linsensibilit gnitale de la femme aucours du cot ; elle ne supprime cependant pas la pos-sibilit des rapports sexuels, mais se caractrise parune absence de dsir de la femme pour le cot, lab-sence de scrtions vulvo-vaginales, labsence de plai-sir et dorgasme ? Lamalgame que suggre ici leconcept de dsir gnital cre une ambigut illisibleaujourdhui. Il nest plus possible de confondre lin-tentionnalit et lanorgasmie, la mlancolie et le si-lence des organes, laversion du passage lacte et lesalas de la physiologie Jouir, nest pas de mmenature que dexprimer le dsir de jouir. Le voca-bulaire sexologique (voir AIM n 119 doctobre 2006)demeure lotage du langage populaire et le mot fri-gidit en est ici le parfait exemple. Importer dans lelexique savant un terme aussi charg dhistoires leaude rose implique den limiter la signification uneproblmatique plus restrictive, den rduire la porte la seule dmotivation rotique.

    Une fois circonscrite des valeurs opportunistesdoption de vie prive, linaction sexuelle ne se poseplus en termes de culpabilit et dopprobre, mais delibre choix : si le dsir de faire lamour fait relchece nest pas un pch et encore moins une maladie,cest que quelque part dans lhistoire de cettefemme, la transaction rotique na plus sa place.

    Le corps, le corps fminin tout particulirement, estle matriau central du travail du dsir, parce quil nestjamais soustrait dans un couple la surveillance dupartenaire. Dsinvesti, le corps devient donc lenjeudun chantage, dune rupture de contrat de sous-loca-tion de son sexe, un refus dassistance virilit en p-ril Pour une femme, faire corps son dsir, cest selivrer, se donner la convoitise de lautre, que ce soitpar amour, par habitude ou par dpit. La fminit, in-lassablement, se dploie dans un univers non-eucli-dien, hermtique, o le secret et la surabondance dechair font voir et entendre sa singularit Si les th-rapeutes nourrissent lespoir de clarifier ses dysfonc-tionnements, cest parce quils imaginent que le dsirpeut sinstrumentaliser en apptence cotale, que lin-dicible peut sincarner en besoins de jouir. Cest igno-rer les rapports que la frigidit entretient avec le nar-cissisme. Sil existe mille et une faons de se refuser,toutes convergent vers un unique objet qui est lau-todfense du Moi. La migraine na plus autantquautrefois droit de cit dans les msententes conju-gales, mais dautres subterfuges ont pris la relve poursignifier une fin de non recevoir de vaines tentativesdexercer une sexualit fourbue et drisoire. En sommenul ne sait jamais, du dgot ou de la dtresse, quelest le primum movens dune telle dmission, mais ensaffranchissant du carcan du devoir conjugal la femme frigide fait lloge de son droit de rserve.

    Le blues de la gnration mai 68

    l La rvolution sexuelle na pas eu lieu. Le nou-veau contrat social mis en place pour librer les corpset dlier limaginaire na pas survcu au reflux des va-leurs cardinales de la socit franaise. A terme, les-sor du fminisme na pas fait renatre le dispositif li-bertin du XVIIIe sicle, mais renforc au contraire ledroit des femmes de dire non au label dun ternelfminin cupide et docile. Vnus dsobit. Il ne faut

    Sexologie

    * Mdecin, psychothrapeute, juriste et crivain.Directeur de l'Institut de sexologie et du DiplmeUniversitaire "Sexologie et sant publique" l'Universit de Paris 7.Institut de sexologie - 57, rue Charlot -75003 Paris. Tel. [email protected]

    Le mot dsir est trop clbre pour tre propice la rflexion. Il est le blason des expressions fourre-toutqui balisent les conversations et les articles de vulgarisation. Demble, sagissant de la fonctionrotique fminine la controverse renvoie Shakespeare : to be, or not to be, en avoir, ou pas

    Or, depuis que la sexologie est sollicite par les clopes de la libido, linterprtation de cette tapecruciale de la vie intime bute de faon occulte sur la question de la norme.

    Rcusant cette simplification prconue, cet article propose de placer la discussion sous langlede la gnalogie de la fminit, et non plus sous la tutelle des seules valeurs sociales politiquement

    correctes, ou des arbitrages thrapeutiques hasardeux.

    Peu mimporte de vivredans un monde dhommestant que je peux y tre unefemme.

    Marilyn Monroe(1926-1962).

    Articles dj parus :

    Sexologie et mdecine : un mariagede raison? (AIM 118)

    Embches et prils du premier entretien en sexologie (AIM 119)

    Le vaginisme nest plus ce qu'il tait (AIM 120) Faut-il soigner ljaculation prmature ?

    (AIM 121)

    Les chiffres de lamour : compter ou com-prendre? (AIM 122)

    paratre :

    La contraception est-elle sexuellement bnfique?

    Conduites addictives et sexualit Les dysfonctions rectiles de

    la cinquantaine Mnopause et dyspareunies Malformations, dformations, blessures g-

    nitales et cot Maladies sexuellement transmises

    et fonction rotique

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    Femmes frigides et femmescombles: la tyrannie du dsir

    Dr Jacques Waynberg*

  • donc pas confondre sous le masque de la temprancela femme vertueuse et la femme blesse. Les mani-festations tangibles de satit et dapathie mettent enscne les mmes mimiques, les mmes rpliques, lesmmes refus du romantisme glamour, mais lenjeumlodramatique est diffrent : labstinence est pourlinnocente un art de vivre la sexualit en miniaturi-sant la fminit ; le jene sexuel de la cabosse m-tamorphose la dpression en punition. Dans les coursquil professe dans les annes 1930 sur Les conceptsfondamentaux de la mtaphysique, Martin Heidegger(1889-1976) fait de lennui la tonalit fondamen-tale de ltre. Or, si lennui fait le lit de la mlanco-lie, il peut induire chez les femmes intelligentes la vo-lont de remblayer le foss qui se creuse entre un idaldaffirmation de soi et un vcu quotidien grincheux.Se sur-passer. Sur-vivre. Autrement dit, ce nest peut-tre pas le dsir qui trace la ligne de dpart de lafonction rotique fminine, mais la morosit et la

    fadeur initiale dun corps embellir. Lenvie delAutre, lattrait pour son pnis en rection, lardeurdes tentations, seraient alors une conqute, un dpas-sement du stade zro de magie du sexe biologique.

    Cest ladolescence, ou plutt lors de son re-quiem au lendemain des premiers cots, que la filledevient femme en comprenant que son destin sexuelnest pas gagn davance et que les hommes ne vontlaccompagner, mme par amour, parce quils ne vontpas comprendre que son besoin naturel de fusion descorps nest quun pralable sa sexualit, et non unefin en soi. Les vnements que lon qualifie pompeu-sement de vie sexuelle sont donc bass ds loriginesur un malentendu. Alors que la verge est perptuel-lement euphorique, le vagin dbute le plus souvent sacarrire de lieu de transit dans la fadeur et lindif-frence. Rien, absolument rien, ne lgitime a priorila pression qui sexerce sur les femmes pour quellesdclarent que le remplissage de leur vagin les comble

    de joie et quelles en ont envie. A ce stade minima-liste, pour la majorit dentre elles, il nest pas ques-tion de crner. Les dbutantes finaudes par contre,souscrivent sans tarder aux attentes masculines de

    Dcliner le thme du dsir pose avanttout un problme de dfinition et de critiquedes ides reues. Faut-il que le dsir fmi-nin croise celui dun partenaire exalt pourvaloriser pleinement sa fonction rogne ?Non, rappelle Jean-Nol Vuarnet, historiendes saintes extases fminines , la femmeaccde parfois de tels tats modifis deconscience rotique que leur potentiel visebien au-del de la sphre gnitale et des st-rotypes masculins La biographie intimedune femme se conjugue linfini autourdes verbes auxiliaires tre et avoir : lexpres-sion tre dsire se pose ainsi en rivale decelle davoir du dsir. Ce duel montre com-bien dans le couple damants lattirance etles besoins circulent en boucle rtroactive,pouvant ainsi se potentialiser, mais aussisannuler. Le dsir fminin nest donc paslunique responsable des succs de linti-mit conjugale, lenvie se mrite : il nexistepas de fringale rogne sans des corps quien assurent convenablement le scnario. Cli-niquement, lanaphrodisie primaire et irr-vocable est rarement dnonce en consul-tation, les demandes dassistance portentsur le constat dun dclin des motivations,la perte de repres familiers, la baisse anormale du dsir, dun affadissementdes rituels, que le motif soit li lusure dutemps ou la maladie. Mais quelle prise encharge proposer puisque les troubles all-gus nengagent pas denjeu vital et ne re-lvent que dentraves subjectives la satis-faction de dmangeaisons gnitalesalatoires ? Soigner la luxure ? Dbaucherdes pulsions futiles ? Finalement, le droit devisite dans le jardin secret des patientes nestlgitime que sil leur offre un moyen de cla-rifier leurs frustrations, dentamer une r-conciliation avec elles-mmes et leur fmi-nit, si tant est cependant que le jeu en vaillela chandelle

    512007 A.I.M. 124

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    Le dos est le blason de la beaut fmininele plus nigmatique, le plus redoutable...donc le plus rotique.

    La baigneuse Valpinon, dite La grande baigneuse de 1808, Jean Auguste Ingres (1780-1867)

  • signes extrieurs de zle rotique et apprennent tri-cher : la simulation nest pas un vilain dfaut, maislexpression dun dsir par procuration. Lexp-rience clinique prouve dailleurs que les hommes nyvoient que du feu. La mtaphore calorifique nest-elle pas la sexualit ce que limagination est la po-sie, une manire de fconder linconscient ? Le feusexualis, crit Gaston Bachelard en 1938, est par ex-cellence le trait dunion de tous les symboles. Il unitla matire et lesprit, le vice et la vertu [] il est leprincipe dune ambigut essentielle quil faut sanscesse avouer .

    Objet et limitesde la prise en charge

    l Le bonheur, prdit Pascal Bruckner, peut trevcu comme une maldiction, sil nest convoit quepour satisfaire la routine. Une existence insipide peuttre heureuse nanmoins lorsque la banalit du vcune fomente aucune frustration sexuelle : une vie af-fective comble suffit alors servir dantidote lagrisaille quotidienne. Gnralement cependant, siune plainte pour baisse du dsir sexuel est d-pose en consultation, cest que lquilibre estrompu, quentre loffre et la demande de plaisir lundes protagoniste capitule.

    Pourquoi ?

    En pratique, le diagnostic dorganicit est unetape prliminaire. Les investigations gyncolo-giques, endocriniennes et mtaboliques relvent, cette phase initiale de lenqute somatique, de pro-tocoles connus et standardiss. Sauf exception (ma-ladie volutive, handicap, traumatisme, chirurgie)les liens de causalit avec les alas du dsir nesont jamais formels. Deux ples dintrt smio-logique majeur interpellent le praticien. Le premierconcerne comme laccoutume la biographiesexuelle et rotique de la plaignante, artificielle-ment dtache de son contexte relationnel. Linter-rogatoire tend recueillir en amont de la criseactuelle, les faits marquants de son destin defemme, de sa prhistoire infantile au vcu de lafcondit. Cet inventaire repre son attachementpass des prjugs hostiles, value ses motiva-tions prsentes leffort de changement Mais la

    squence la plus forte, qui fait basculer lentretiendans un travail dtayage vritablement sexologique,vise en second lieu clarifier la question de la p-nibilit du consentement. Un cot fastidieux nestpas seulement fatiguant, il est surtout pnible Ilny a pas de dpistage crdible dune privation dudsir sans soulever la question de lemployabilitdu sexe dans lentreprise rotique . Une femmequi chme disqualifie en ralit la sexualit quonlui propose sans panache.

    Comment rhabiliterle bnvolat conjugal ?

    Tout travail mrite salaire, et la rtribution ici,cest lorgasme. Jouir solde la peine faire jouirlautre. A ce stade, le volet masculin de la prise encharge devient essentiel. Si le dsir fminin se d-robe cest souvent parce que le cot est barbant.A tout ge, les femmes mal aimes conglent leurlibido. Que faire ? Tant que lhorizon des chimio-thrapies de la volupt demeure lointain, lentre-tien motivationnel est ltalon or de lengagementthrapeutique : informer, expliquer, inciter, encou-rager, rapprocher des partenaires prompts dmis-sionner, cest travailler la sexualit pour quellecesse dtre vcue comme une souillure, mais aucontraire comme lexpression de sa dignit dhommeet de femme libres. n

    Le terme dsir est issu dun emploi raccourci duverbe latin desiderare qui exprime initialement lidede privation, de manque ; cette arrire-pense de p-nurie, de carence, sefface ds 1050 au profit dunsens plus positif, plus effectif, ouvrant la perspectivede sa satisfaction. Le dsir est donc plac sur lachane smantique entre un objet dsirable et lactionqui permet de latteindre. Les psychologues dirontquil ny a de vrai bonheur combler un dsir que sides obstacles de tous ordres rendent son accs pluslaborieux Cest mconnatre la complexit des mo-tivations individuelles agir, composes entre pul-sions instinctives et caprices divers. Empcher lapai-sement dapptits primordiaux tel que la nourritureou la sexualit, par exemple, ne bonifie pas toujoursleur satit. Le dsir est ambivalent, la fois prise deconscience de soi et facteur de passage lacte, intel-ligence et prmditation.

    Les besoins sont, en amont du dsir, lexpressiondes rgulations permanentes qui assurent lquilibrebiologique et psychologique de chaque individu.Entre les exigences dordre viscral et les tentationsfactices des formatages socioculturels, la varit despulsions est infinie. Leur classement dans loptiqueplatonicienne en offre une lecture particulirementbnfique au raisonnement sexologique. Distinguonsles besoins naturels et ncessaires dordre vital imp-rieux, des besoins naturels mais superflus tels que lagourmandise et la luxure des besoins ni naturels,ni ncessaires responsables pourtant des convoitisesles plus pressantes des consommateurs de chimreset de conformisme tribal. Les besoins sont les forcesencore invisibles des tendances dun sujet, en repr-sentent le bouillonnement tellurique, le magma in-conscient : combien de vux parfois contradictoiresseront exhausss dans une seule existence ?

    La demande est lexpression du dsir, sa mise enforme intelligible, son talonnage normatif. En effet,aussi divers quils soient les comportements qui tra-duisent une situation de manque assouvir repo-sent tous sur un unique chssis qui est, le langage.Cette mdiation verbale et gestuelle implique lepassage oblig dune parole sadressant autrui -lAutre de Jacques Lacan- afin dobtenir satisfaction,mais labore aussi une stratgie ritualise, une miseen scne du dsir conformment aux aptitudesdcoute et de comprhension des interlocuteurs.Dans tous les domaines de la vie courante et plusencore dans lunivers intime du couple, le modedexpression de la demande est donc aussi capital identifier que sa sincrit. Tout malentendu nhypo-thque pas seulement lobtention de lobjetconvoit, il instaure un climat dinstabilit relation-nelle et aggrave les frustrations.

    Dsir - besoins - demande

    A.I.M. 124 - 200752

    Limagerie crbrale vaincra-t-elle les obs-tacles du labyrinthe de la libido fminine ? Si larecherche a investi ce continent noir de labiologie de la reproduction cela est d auxprogrs spectaculaires des techniquesdinvestigations des neurosciences, maisils se cantonnent encore, si lon peut dire, lalocalisation de zones crbrales impliquesdans le vcu des motions ; la visualisation dela volition, de la volont ou du refus dagir, ap-partient encore au futur. Chez lanimal - la startant le campagnol des plaines du Middle Westamricain, dont la monogamie indfectiblereste nigmatique - deux peptides, locytocineet la vasopressine, sont maintenant bien d-crits. Ils jouent un rle majeur dans lactivationde la substance grise priaqueducale pour lepremier, du gyrus dent de lhippocampe pourle second. Ce tandem est galement tudichez lhomme, permettant dtablir un pre-mier distinguo entre les aires activeslors dune excitation sexuelle et celles sti-mules par les motions lies lattache-ment. La prudence est nanmoins de misedans un domaine o les variations individuellessont la rgle : les modulations molculaires delaffectivit ne sont pas encore reproductiblesen laboratoire Pulsion, dsir, besoin, dpen-dent sans doute dun travail dintgration glo-bale du cerveau. Lide dun rle privilgi joupar le systme limbique ne semble plus fairelunanimit, du moins dans une version quilidentifiait un tat dans ltat ; sil nestplus aujourdhui le cerveau des motions lecomplexe amygdalien et lhippocampe in-terviennent indirectement dans la pro-grammation comportementale instinctive.Lieu de stockage de la mmoire affective - etde capacitation de traces mnsiques consoli-des au niveau cortical - la zone limbiquejoue un rle majeur dans lorganisation li-bidinale en indexant les incitations ro-gnes un rpertoire dexpriences m-morises de rcompense ou daversion : ledsir passe par la mmoire. Le rappel des grati-fications antrieures et des procdures com-portementales qui les ont obtenues, ordonnentla mise en jeu des rflexes conditionns dap-proche, de consentement et drotisation. Lesstructures associatives corticales prlvent im-mdiatement cette impulsion desinhibitrice etla dploient, soit huis clos sous forme de fic-tion fantasmatique, soit en induisant le pas-sage lacte.

    Et le cerveau,que montre-t-il ?

    Rfrences

    1 - Ccile de Roggendorff : Lettres damour Casanova, Editions Zulma, Paris, 2005.

    2 - Jean-Nol Vuarnet : Extases fminines, Editions Arthaud, Paris, 1980.

    3 - Franoise Dolto : Sexualit fminine, Editions Scarabe & Mtaili, Paris, 1982.

    4 - Joseph Ledoux : Le cerveau des motions, EditionsOdile Jacob, Paris, 2005.

    5 - Jean-Didier Vincent : Biologie des passions,Editions Odile Jacob, Paris, 1986.

    6 - Franois Jullien : Eloge de la fadeur, Editions Philippe Picquier, Paris, 1991.

    7 - Genevive Fraisse : Du consentement, Editionsdu Seuil, Paris, 2007.

    8 - Gaston Bachelard : La psychanalyse du feu, EditionsGallimard, Paris, 1938.

    9 - Pascal Bruckner : Leuphorie perptuelle, EditionsGrasset, Paris, 2000.