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  • Sociologie des pratiques d'criture: Contribution l'analyse du lien entre le social et lelangagierAuthor(s): Bernard LahireSource: Ethnologie franaise, nouvelle serie, T. 20, No. 3, Entre l'oral et l'crit (Juillet-Septembre 1990), pp. 262-273Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40989206 .Accessed: 20/10/2014 16:42

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  • Sociologie des pratiques d'criture Contribution l'analyse du lien entre le social et le langagier Bernard Lahire

    CNRS, Universit Lyon 2

    I Les enjeux d'une recherche

    Connexion de domaines de recherches spars Les rflexions livres ici ' trouvent leur origine

    dans un courant de recherches sur le langage, sur les classes sociales, sur l'cole et, du mme coup, sur ce que l'on appelle communment 1' chec scolaire (B. Bernstein, P. Bourdieu, W. Labov), mais renvoient aussi des rflexions et des recherches anthropolo- giques ou historiques concernant 1' criture , les pratiques crites et graphiques (J. Goody, E. A. Havelock). La connexion de ces deux domaines de recherche, apparemment totalement loigns, sans points communs vidents, nous a paru rapidement tout la fois ncessaire et fconde.

    De mme que J. Goody se demande, par exemple, si ce que les anthropologues appellent mentalit pri- mitive, savoir pratique pense magique, etc., ne se comprendrait pas mieux ds lors que l'on tien- drait compte du fait que ces ralits apparaissent au sein d'univers sociaux organiss hors de toute pra- tique d'criture, nous nous sommes demands si les savoirs scolaires, la pdagogie, la matrise symbolique (P. Bourdieu), le code labor (B. Bernstein), notions travers lesquelles on apprhendait les ralits sco- laires (entre autres) ne s'claireraient pas mieux par- tir d'une rflexion sur 1' criture, les pratiques d'criture.

    A travers ce travail, nous avons cherch com- prendre l'cole, le rapport des groupes sociaux ou des classes sociales l'cole, 1' chec scolaire, en liai- son avec les rflexions sur les pratiques d'criture, les cultures crites ; de faon plus prcise encore, nous nous sommes demand si ce qui apparaissait un moment historique dtermin comme un problme social particulier, 1' chec scolaire, n'tait pas le produit social complexe d'une contradiction entre un mode de socialisation scolaire, impensable hors de ses rapports multiples avec les pratiques de l'criture, et des tres sociaux issus des groupes sociaux les plus d-possds (ceci dit de faon toute ngative pour aller trs vite sur des questions qui demandent de longs dveloppements) du point de vue des pratiques d'cri-

    ture en gnral (plutt que d'une culture lettre en particulier).

    Poser ainsi le problme de 1' chec scolaire, i.e. faire fonctionner ensemble des domaines de recherche cloisonns et des acquis scientifiques sans points com- muns apparents, n'est cependant pas une tche facile, et ce, pour de multiples raisons.

    Dpasser les fantasmes sociaux sur V oral et V crit Tout d'abord, mis part le travail rigoureux de J.

    Goody (qui pose lui-mme un certain nombre de pro- blmes thoriques concernant le statut donn aux pra- tiques d'criture en particulier, aux pratiques langa- gires en gnral), la rflexion sur l'oral et r crit, les cultures orales et les cultures crites, a donn lieu, dans l'histoire des recherches historiques, anthropologiques, linguistiques, etc. , des dvelop- pements tout fait contestables d'un point de vue scientifique. Ainsi, les coupes oral/crit, oralit/cri- ture ont souvent fonctionn comme des substances, et en complmentarit avec des couples tels que primi- tif/civilis, nature/culture, sauvagerie/civilisation etc. On n'aurait pas fini de citer les auteurs dont les uvres participent de cette matrice discursive : de Platon dans Les Lois, Rousseau dans son Discours sur l'origine de l'ingalit, jusqu'aux folkloristes, ethnologues, socio- logues et historiens.

    Tout discours scientifique qui parle de 1' criture risque donc d'tre lu partir des grilles automatiques de lectures auxquelles nous a habitu la grande majo- rit des discours qui l'ont prise pour objet. Or, ces grilles do lecture sont elles-mmes expliquer (elles font partie de l'objet de recherche) tant elles doivent au fantasme social et au fantasme politique : le popu- laire, la voix, la nature, la parole, l'oralit, la sauva- gerie, le primitif, l'enfance, associs, selon les points de vue, l'innocence anglique (le bon sauvage) ou la perversit diabolique (le rustre superstitieux). C'est dire tout le travail particulirement complexe de d-construction de tous les objets imposs (i. e. pr- construits), de toutes les problmatiques, de toutes les associations automatiques d'ides, de tous les piges thoriques hantant la rflexion sur 1 oral et 1' crit

    Ethnologie franaise, XX, 1990, 3, Entre l'oral et l'crit

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  • Sociologie des pratiques d'criture 263

    qu'il faut raliser pour faire apparatre rcriture, les pratiques d'criture comme des objets scientifique- ment lgitimes.

    Pour sortir de cette quation oralit = sauvagerie, il ne suffit pas de tenir la position d'un relativisme gn- reux (autre forme de l'ethnocentrisme) qui dirait que 1' oralit permet tout autant que l'criture, la scien- ce, le droit, la spculation philosophique ou religieu- se. S'il faut remettre en cause tout volutionnisme, toute partition entre simple et complexe, primitif et civilis, etc. , il ne s'agit pas pour autant d'effacer les diffrences relles qui existent entre formations sociales (et, plus prcisment, entre des types de pra- tiques sociales, des modes de connaissance, des rap- ports au monde, etc. ). Ainsi, lorsque, dans une inten- tion critique contre les conceptions volutionnistes, Cl. Lvi-Strauss parle de pense magique et de scien- ce comme de deux modes distincts de pense scien- tifique (1962, pp. 3-47), il reste non seulement vic- time de ce binarisme ethnocentrique que reclent nos catgories, de ce partage grossier de V ensemble des socits en primitives et en civilises, europennes et extra-europennes, simples et complexes (Goody, 1979, p. 45), mais il vite aussi et surtout l'explication sur le (s) principe (s) de diffrenciation (s) de ces deux sciences.

    Penser V criture autrement que comme moyen de communication

    Mais la tche consistant penser 1' chec scolai- re (et plus gnralement le rapport des diffrents groupes sociaux l'cole) partir d'une rflexion sur les pratiques d'criture rencontre une autre difficult, encore plus radicale et plus fondamentale, d'ordre thorique.

    Lorsque philosophes, linguistes, anthropologues ou sociologues ont trait de 1' criture, ils en ont sou- vent fait quelque chose de second et de secondaire par rapport la parole, une sorte de copie, d'imi- tation plus ou moins fidle ; de l l'impossibilit de penser la spcificit de 1' criture. Or, c'est parce que l'on considre 1' criture comme une simple transcription de la parole mais aussi parce que l'on considre le langage comme un supplment par rap- port aux pratiques sociales, qu'on peut parler du droit, des religions, de la science, de l'conomie, de l'cole, de la politique, etc. , sans analyser la spcificit des contrats crits, des archives crites, des savoirs crits, des pratiques scolaires de l'criture, des critures ban- caires ou simplement comptables, de la codification crite des lois, de la rdaction de manuels scolaires, de l'criture mathmatique, de la construction de textes religieux, etc.

    Ds lors que l'on fait de 1' criture (comme du langage en gnral) un moyen ou une technique de communication, on peut rduire sa spcificit des aspects techniques (et surtout techniquement penss) : la possibilit de communiquer distance (la lettre qu'on envoie), la durabilit de l'crit et donc la possi- bilit de lire des choses du pass et de constituer un patrimoine, etc. L' criture est alors pense comme un progrs de la communication. La position instru- mentaliste-idaliste qui pose que le geste, la parole, les diffrentes critures, etc. ne sont que des vhicules, des supports, des porteurs de sens, fait comme si le langage tait quelque chose de secondaire (sorte d'instrument permettant de faire circuler du sens) et limite la recherche des questions d'efficacit ou d'conomie (en temps, en espace), de puissance ou de faiblesse des diffrentes technologies de la communication. Le sens serait alors comme un fluide qui viendrait se couler dans les diffrents circuits ou conduits de sa trans- mission.

    Pour ne penser 1' criture ni comme un double de la parole ni comme une technologie de la commu- nication, i. e. , pour tre en mesure de penser la trans- formation de la logique sociale des univers sociaux auxquels elle participe, une rflexion sur le langage s'impose: qu'est-ce que le langage pour le socio- logue ? Quels rapports peut-on penser entre le langa- ge (des pratiques langagires spcifiques) et le social (les formes que prennent les relations sociales) ?

    Un dfi thorique gnral Des hommes vivant dj dans une certaine inter-

    dpendance sociale (en raison du langage, c'est l un pralable indispensable) (Marx, 1977, p. 466).

    Immdiatement, le langage est donn avec la socit. Ainsi chacune de ces deux entits, langage et socit, implique Vautre. Il semblerait que Von puis- se et mme qu'on doive les tudier ensemble, les dcouvrir ensemble, puisque ensemble elles sont nes. Il semblerait aussi qu 'on puisse et mme qu 'on doive trouver de l'une l'autre, de la langue la socit, des corrlations prcises et constantes, puisque l'une et l'autre sont nes de la mme ncessit. (Benveniste, 1983, p. 91).

    Les problmes soulevs par cette recherche parti- culire nous renvoient d'autres travaux ouvrant d'intressantes perspectives thoriques. En effet, si l'on considre par exemple les travaux des historiens de l'art (qu'on pense E. Panofsky, ou plus rcemment aux travaux de C. Ginzburg), on peroit l'avance thorique que reprsente, dans ce domaine de recherche, la comprhension des uvres iconiques, architecturales, textuelles, etc. , la fois comme des uvres prises dans un contexte socio-historique, pro-

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  • 264 Bernard Lahire

    duites dans des conditions sociales de production et comme des ralits spcifiques qui ont un style, une logique interne propres. On retrouve dans ces notions (qu'il faudrait justement s'efforcer de ne plus opposer) les dbats qui agitent et opposent lectures externes et lectures internes, sociologismes et formalismes, et malheureusement trop souvent, sociologues et smio- logues ou sociologues de l'art et historiens de l'art.

    Loin d'tre une spcificit des recherches en socio- logie ou en histoire de l'art, ce dfi thorique (qui a des consquences pratiques dans l'organisation des pra- tiques de recherche, dans la constitution et l'interpr- tation du matriau de la recherche 2) est relever dans l'ensemble des domaines de la recherche et dans l'ensemble des sciences sociales o l'on retrouve, sous des formes diffrentes, une mme opposition : ide/conomie ; uvre d'art/contexte socio-historique ; systme de signes/conditions sociales d'utilisation des signes ; verbal/contexte extra- verbal ; discours/condi- tions sociales de production des discours, etc.

    Or, les oppositions que l'on peut tablir entre dis- ciplines (ex. : sociologie vs linguistique) ou entre cou- rants thoriques au sein d'une mme discipline (socio- linguistique/linguistique structurale ; histoire politique/histoire conomique. . . ) contribuent faire exister des couples thoriques qui n'ont pas de sens d'un point de vue scientifique. Et si le chercheur en sciences humaines se trouve un moment donn confront au problme d'articuler le social et le lin- guistique, le social et l'art, le contexte et l'uvre, les conditions sociales de production d'un discours et le discours, c'est qu'existent dans le monde social lui- mme des oppositions entre disciplines scientifiques qui, parlant toutes de la mme ralit sans le savoir et continuant ainsi faire perdurer des oppositions qui sont leur condition d'existence en tant que disciplines spares, n'organisent pas leurs pratiques scientifiques de faon ce que ces oppositions deviennent insigni- fiantes (dpourvues de sens). La logique du dpasse- ment des oppositions conceptuelles est donc avant tout une logique de dpassement disciplinaire.

    Pratiques langagires et formes de relations sociales

    Un problme incontournable : le langage

    Pour poser vritablement la question du langage, il faut paradoxalement se dfinir la fois contre les dmarches qui l'ignorent et contre les dmarches qui la prennent en compte. Il faut, en effet, la fois mon- trer que l'on peut traiter du langage sans ncessaire-

    ment reprendre les positions thoriques adoptes par ceux qui l'ont tudi (par exemple, dire que pour trai- ter cette question on ne doit pas ncessairement adop- ter une dmarche micro-sociologique, penser les pra- tiques langagires comme des actes intentionnels, penser que la socit n'est qu'un lieu d'changes sym- boliques, d'changes de signes ou que le langage est un simple moyen de communication) et montrer que ceux qui font comme s'il n'y avait pas de langage (renforcs dans leur position par le sentiment que trai- ter du langage entrane ncessairement vers les erreurs ou les rductions cites et qui jettent ainsi le bb avec Veau du bain : le langage avec la microsocio- logie et/ou l'intentionnalit et/ou la smiologie et/ou les discours modernes sur la communication) ne peu- vent chapper la question langagire.

    La sociologie a constamment affaire au langagier quels que soient ses mthodes et ses domaines de recherche : la sociologie conomique comme la socio- logie de l'ducation et de la culture, la sociologie quantitativiste comme la sociologie qualitativiste, la macrosociologie comme la microsociologie. Le lan- gage tant prsent dans toute pratique sociale (autant dans les pratiques conomiques que dans les pratiques religieuses ou culturelles), cela n'a donc aucun sens de prendre le langage comme un objet d'investigation sociologique particulier. Il est, par contre, un probl- me de l'investigation sociologique en gnral. La prise en compte systmatique des pratiques langagires invi- te une rflexion sociologique, anthropologique gn- rale et fondamentale. Mme la sociologie qui pense chapper cette rflexion la retrouve, en fait, l o elle ne l'attendait pas : la sociologie la plus objecti viste (i. e. qui ne se pose pas la question du langage des tres sociaux dont elle tudie les pratiques) doit, si elle ne veut pas les naturaliser, se poser la question de ses propres pratiques langagires. Que signifie mesurer, compter, coder, ficher, classer, mettre en relation ? Que sont, notamment, les oprations langagires des statisticiens ?

    Il ne s'agit pas de lire le social dans les discours, les textes, etc. , comme le font nombre d'analystes du discours, mais d'incorporer le plus mthodiquement possible dans la dfinition du social le discursif, le tex- tuel, le verbal, bref le langagier. Il ne s'agit ni d'auto- nomiser le langage, ni de lui confrer un quelconque primat. De mme, notre position n'est pas une autre forme du projet thorique smiologique. Si la recon- naissance de la ncessit de prendre en compte le lan- gage nous semble commune, il ne s'agit pas de pen- ser le social comme un systme d'changes symboliques ou comme un texte. Cette conception participe d'une erreur pistmologique analyse par P. Bourdieu (Bourdieu, 1980; Bourdieu, 1987, pp. 132-

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  • Sociologie des pratiques d'criture 265

    143) et qui consiste glisser du modle de la ralit la ralit du modle en prenant les effets des mthodes de construction de la ralit pour la ralit elle-mme.

    Le langage n'est pas un relais, une mdiation ou un niveau

    Une faon d'luder le problme du langage tout en le prenant en considration consiste faire de lui une mdiation, un relais, un niveau qui s'ajoute ou s'inter- cale comme un tage supplmentaire dans le schma d'explication sociologique. Ainsi, par exemple, tout le travail du sociologue de l'ducation anglais B. Bernstein (sur lequel nous trouvons nos appuis) repo- se sur l'ide plus ou moins explicite que le langage (apprhend en termes de codes socio-linguistiques) est un relais, un niveau. Il y a, chez cet auteur, une sorte d'empilement de niveaux qui sont en relation de cause effet, d'engendreur engendr : La structure socia- le engendre des formes linguistiques ou des codes dis- tincts et ces codes ont pour fonction essentielle de transmettre la culture et, par l, de conditionner le comportement des sujets. (Bernstein, 1975, p. 125). Le processus linguistique est pens comme un inter- mdiaire dans l'intriorisation de la structure socia- le.

    Si B. Bernstein saisit le langage comme un relais, c'est qu'il reprend la dfinition durkheimienne du lan- gage comme institution sociale (Bernstein, 1975, p. 120; Durkheim, 1975, p. 191). Il regrette que les sociologues n'aient pas tudi le langage en tant qu'institution sociale comme cela a t fait, par exemple, pour la famille, la religion, etc. (Bernstein, 1975, p. 120). Or, on ne peut penser le langage comme on pense la famille ou la religion, i. e. comme un domaine particulier de la culture ou des pratiques sociales. Et pourtant, l'ide d'institution sociale y conduit directement.

    Placer le langage en position de relais ou de mdia- tion c'est, de plus, viter de poser la question des termes qui 1' entourent. Il en va ainsi du terme sou- vent non discut de structure sociale : lorsqu'on prend en compte la question des pratiques langagires il s'agit de se demander ce que l'on entend par struc- tures sociales et non d'tudier une pice d'un ensemble (structure socio-conomique - cultures -* codes - sociolinguistiques - Attitudes, opinions, comportements). Une sociologie qui prend au srieux la question langagire n'est donc pas une contribution l'analyse de la fonction symbolique ou de la cultu- re. Elle n'est pas le moyen de complter l'analyse de la ralit sociale. Elle doit, par contre, revenir de faon critique sur les catgories sociologiques labores

    avant que ne soit pos de faon centrale le problme du langage.

    Le social toujours-dj tram par des pratiques langagires Les pratiques langagires (multiples) ne constituent

    donc pas un champ particulier d'analyse (Bourdieu, 1979, p. 230), elles sont indissociables de toute pra- tique sociale, elles sont immanentes aux liens sociaux, aux relations sociales, aux modes de co-existence des tres sociaux : le langage en vrit ne reste pas V cart de l'exprience immdiate, ni ne se dveloppe paralllement elle, mais l'interpntr complte- ment . (E. Sapir cit par B. Bernstein, 1975, pp. 124- 125). Cela signifie qu'il n'existe pas de pratique socia- le hors pratiques langagires. On ne parlera donc pas, pour viter les ambiguts thoriques, de champs de pratiques non discursives (Foucault, 1979, p. 90), dsignant par l diversement des institutions, des pra- tiques et processus conomiques et sociaux, la pratique pdagogique ou les vnements politiques (Foucault, 1979, p. 212). En utilisant le terme de pratiques lan- gagires, qui englobe le champ foucaldien des grands discours thoriques, on entend indiquer que les pro- cessus conomiques comme la pratique pdagogique, s'effectuent travers de multiples pratiques langa- gires (qu'on peut subsumer, par exemple, sous les noms d' exercice et de leon en ce qui concer- ne la pratique pdagogique). On comprend, du mme coup, ce que M. Foucault dsigne sous le terme de pratiques discursives : des pratiques langagires particulires qui s'appuient, s'articulent sur des champs de pratiques toujours dj trams par des pra- tiques langagires ; discours sur des pratiques qui ne s'effectuent pas elles-mmes hors du langage (sortes de mta-discours).

    De mme, de nombreuses analyses sociologiques ou anthropologiques qui prennent pour objet le langage (les pratiques discursives, les interactions verbales etc.) sont souvent amenes poser que le langagier doit tre compris par rapport ce qui n'est pas langagier (ex. : les positions dans la structure sociale). Ds lors que l'on reste conscient du fait que les positions dans la structure sociale dont on parle sont des produits de la construction du sociologue ( partir d'indicateurs dtermins), on se rend compte qu'il y a ici une confu- sion de deux problmes bien diffrents. Au lieu de par- ler d'une mise en relation entre le langagier et le non- langagier (formulation qui entrane des confusions thoriques), il nous apparat prfrable de parler d'une mise en relation entre, par exemple, l'interaction ver- bale prsente tudie, et un ensemble d'autres don- nes, construites par d'autres voies, concernant des ralits passes ou prsentes non visibles au moment

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  • 266 Bernard Lahire

    de l'interaction verbale, qui ne se donnent pas voir dans le moment de l'observation hic et nunc. Cela signifie sans doute que, comme dit P. Bourdieu, la vrit de V interaction n'est jamais toute entire dans V interaction telle qu'elle se livre l'observation. (Bourdieu, 1987, p. 151), mais non qu'il faille oprer un dcoupage entre langagier et non langagier.

    noncer que l' intersubjectivit (les relations sociales toujours particulires) opre travers des pratiques lan- gagires ne signifie pas qu'elle est communication ou jeux intentionnels de langage. L'intersubjecti- vit opre travers des pratiques langagires et non ncessairement avec pour finalit la production de ces pratiques. Dire que l'intersubjectivit est toujours lan- gagire n'quivaut pas non plus dire que le social n'est qu'un ensemble de commentaires {accounts), que les tres sociaux feraient sur leurs pratiques, sur les pratiques d' autrui, sur les commentaires d' autrui (on s'aperoit ici, comme le faisait remarquer Marx, que les thoriciens ont souvent tendance lorsqu'ils parlent des hommes-en-gnral parler des hommes- de-culture), tout cela conu comme un grand concert d'changes de signes.

    Pour ne pas faire comme tous les manuels dont parle B. Bernstein, qui exaltent les facults symbo- liques de l'homme puis en ignorent systmatiquement les consquences (Bernstein, 1975, p. 119), il faut souligner que les pratiques langagires ne sont ni au- dessus, ni ct du social mais en son sein. Elles sont d'emble dans toute activit humaine, dans toute forme de vie sociale.

    Contexte, condition sociale de production : noms d'un problme rsoudre Depuis le coup de force inaugural de F. de

    Saussure, selon l'expression de P. Bourdieu, l'histoi- re des courants linguistiques est l'histoire de la rin- tgration progressive du problme de l'usage de la langue par des sujets parlants dans des contextes par- ticuliers. Un ensemble de courants thoriques lin- guistiques post-saussuriens vont ainsi fonder leurs cri- tiques sur une interrogation de la construction saussurienne de l'objet de la linguistique comme sys- tme clos de signes, posant ( partir de multiples angles d'attaque) la question de l'usage de la langue par les sujets parlants (Labov, 1976 ; Benveniste, 1983 ; Ducrot, 1984; Goffman, 1987; Gumperz, 1989). Sont introduites les notions de situation de communica- tion, de condition de production, de circonstance de communication, de contexte par lesquelles on tente de faire le lien entre les analyses linguistiques et les descriptions socio-historiques.

    On assiste en fait une sorte de chass-crois entre linguistique et sociologie. La linguistique, travers les

    notions de contextes d'usage, de condition de pro- duction, etc. , touche logiquement les limites de sa lec- ture interne et dbouche sur des problmes sociolo- giques. La sociologie, par l'analyse du discours, l'ethnomthodologie, la micro-sociologie, l'ethno- graphie de la communication, etc. , pose la question langagire.

    Cependant, il y a de multiples faons de concevoir le contexte, et le rapport du langage au contexte de son utilisation. A un autre niveau, le rapport entre le social (contexte social, situation d'nonciation, etc. ) et le symbolique (le verbal, le linguistique, etc. ) continue donc se poser. Le contexte est-il extrieur au langa- ge, le dtermine-t-il de l'extrieur ? N'est-il qu'un l- ment secondaire de la constitution du sens de l'non- c (qui serait essentiellement inscrit dans les signes linguistiques) ?

    Contextes et forme de relations sociales 3

    Si l'on peut parler, d'un point de vue thorique gnral (ce qui est un postulat sociolinguistique fon- damental), du renouvellement illimit du sens dans tout contexte nouveau (Bakhtine, 1984, p. 392), le sociologue ne peut cependant tudier les multiples productions effectives circonstancielles de sens. C'est d'ailleurs ce qu'entend Bakhtine en insistant sur le fait que ce qu'il nomme situation, n'est nulle autre chose que la ralisation effective dans la vie concr- te de telle ou telle varit du rapport de communica- tion sociale (Bakhtine in Todorov, 1981, p. 290). Il traite donc de l'interaction verbale (par exemple) par- ticulire comme d'une ralisation effective, d'un rapport de communication sociale ; recherche d'invariance dans les multiples variations. Ce que peut donc rechercher le sociologue, c'est la classe de contextes, en quelque sorte, laquelle appartient tel contexte particulier '

    Reste le problme du rapport du langage au contex- te: le contexte ne dtermine pas de l'extrieur l'nonc, il n'en est pas la cause, il ne s'y reflte pas non plus. Ce qui a t nomm contexte extra-verbal, circonstance de communication, condition socia- le de production etc. et qui remettait en cause l'auto- nomie du langage, n'est en fait que ce que doit recons- truire le chercheur pour comprendre que telles ou telles pratiques langagires aient pu avoir lieu et avoir donn lieu telle production de sens. Une fois qu'on a construit ce contexte, voulant expliquer le type de pra- tique langagire particulire qu'on a observ (et qui a ses caractristiques particulires : avec ses thmes, ses formes syntaxiques, son vocabulaire, ses formes de prsentation particuliers) on ne peut le placer en posi- tion de cause, de dterminant extrieur par rapport ces pratiques langagires. Il faut, au contraire, saisir

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  • Sociologie des pratiques d'criture 267

    l'unit fondamentale des pratiques langagires et des contextes qu'on a reconstruit, en n'oubliant jamais que les relations sociales qu'on tudie n'ont jamais exist, ne se sont jamais effectues hors de ces pra- tiques langagires et, par consquent, que ces pra- tiques langagires sont une dimension constitutive des relations sociales.

    Pour reprendre un exemple donn par B. Bernstein, Le langage des membres d'une unit de combat en manuvre qui se caractrise par des choix syn- taxiques et lexicaux donns (Bernstein, 1975, p. 192) est indissociable de la manuvre elle-mme, qui n'existe socialement, i. e. qui ne peut se drouler, s'organiser qu' travers ce type de langage dtermin. La pratique sociale qu'on appelle manuvre est tra- me par des pratiques langagires spcifiques faites de gestes, de cris, d'noncs la syntaxe et au vocabu- laire dtermins (on ne peut, par exemple, raliser une manuvre travers les formes spcifiques du langa- ge potique).

    A la place du terme de contexte, nous parlerons donc de relations sociales ; la place de ce qu'on peut appeler classe de contextes, nous parlerons de forme de relations sociales (forme sociale en abr- g), pour bien marquer que les pratiques langagires sont constitutives des relations sociales, que pratiques langagires et formes sociales se forment et se trans- forment ensemble, selon une mme logique.

    Cela ne signifie pas que tout (le social) est dans les pratiques langagires puisque, contre le formalis- me et l'analyse interne (qui nous fournissent des moyens mthodologiques de description d'une pra- tique langagire quelconque : sa structure d'ensemble, ses articulations internes, la spcificit de ses l- ments, etc. ), il faut reconstruire les formes de relations sociales qui permettent de comprendre ces pratiques langagires. Cependant, une fois qu'on a mis en vi- dence ces formes de relations sociales 5, il faut, de manire apparemment paradoxale, dire que celles-ci n'existaient que par des pratiques langagires spci- fiques. Il s'agit donc de saisir l'unit de ce que l'ana- lyse scientifique a fatalement distingu au cours de la recherche, rtablir l'unit que les procdures scienti- fiques ont dcoupe. On ne peut faire de ce que l'on a construit ( l'aide de moyens mthodologiques varis et, notamment, grce aux mesures statistiques de la ralit sociale ralises partir de procdures langa- gires et de critres dtermins), un en-soi qui viendrait se reflter dans les pratiques langagires. Il faut donc viter d'oprer une rification en prenant deux modes de construction de la ralit (l'analyse des contextes sociaux et/ou des positions dans une structure socia- le, et l'analyse des pratiques langagires) pour deux

    types de phnomnes distincts, existant dans la rali- t.

    M. Bakhtine crivait que nous ne parlons qu' tra- vers certains genres discursifs, c'est--dire, que tous nos noncs possdent certaines formes relativement stables et typiques pour se constituer en totalits (Bakhtine in Todorov, 1981, p.129-130) et qu1 on ne peut parler de genres constitus propres au discours quotidien que si l'on est en prsence de formes de communication qui soient, dans la vie quotidienne, quelque peu stables et fixes par le mode de vie et les circonstances (Bakhtine in Todorov, 1981, p. 291). Il n'y a de genres discursifs, ou de formes de relations sociales (terme qui intgre les notions de genre dis- cursif et de classe de contextes) que s'il y a une cer- taine rcurrence dans les relations sociales, une cer- taine invariance dans les multiples variations sociales.

    Avec la perdurance, la rcurrence de relations sociales, qui peuvent mme assurer encore plus effi- cacement - socialement - leur propre perptuation travers des processus d'institutionnalisation 6, on voit apparatre indissociablement des genres stables et fixes de discours et, plus gnralement, de pratiques langa- gires (en situation d'interaction de face--face ou non, crites ou orales, etc. ) : les chroniques, les contrats, les textes de lois, les certificats, les livres de compte comme les traits scientifiques ou philoso- phiques, les genres littraires, les formules mathma- tiques, les confrences, les dissertations, les tracts syn- dicaux, les changes pistolaires, les exercices scolaires, comme les conversations plus ou moins informelles mais rptes de la vie quotidienne.

    On comprend qu'en fin de compte tous les forma- lismes philologiques, grammaticaux, linguistiques ou smiologiques ne font qu'abstraire (au sens de tirer, d'extraire) des diffrents types de pratiques langa- gires, des lments pour les reconstituer, les re-com- poser en systme (type particulier de pratique langa- gire rendu possible grce aux pratiques crites et graphiques), i. e. selon leur logique propre de fonc- tionnement (on saisit alors plus les mthodes de construction de l'objet que la logique sociale spci- fique des fonctionnements langagiers tudis). Si l'on ne reconstruit pas les formes de relations sociales dont sont constitutives ces pratiques langagires, on risque alors de leur appliquer sans contrle des modes de traitement qui sont ceux de formes de relations sociales totalement diffrentes, comme ce fut et comme c'est encore le cas des mythes qui l'on fait subir un mode de traitement (commentaire de texte, interprtation, exgse, etc. ) qui est en tout point oppos celui qui prsidait leur production sociale d'origine dans des univers sociaux dpourvus d'criture 7.

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  • 268 Bernard Lahire

    En posant que les relations sociales sont indisso- ciables des pratiques langagires, on ne peut donc faire des caractristiques linguistiques et des caract- ristiques sociales deux ordres spars, qu'ils soient conus comme des ordres tudier sparment (conception saussurienne de la langue) ou qu'ils soient conus comme des ordres spars dont on peut tudier les relations (position socio-linguistique). Si la mise en relation systmatique de caractristiques sociologi- quement construites (ex. : catgories socio-profes- sionnelles de la personne, des parents, des grands- parents, niveau de formation scolaire, niveau de revenu, classe d'ge, sexe, lieu d'habitation. . . ) et des caractristiques linguistiquement construites (phono- logiques, lexicales, syntaxiques, stylistiques. . . ) est une faon de remettre en cause l'autonomie de la langue, elle accepte toutefois le dcoupage entre langue et socit, linguistique et sociologique (Bourdieu, 1982, p. 41). Dans cette construction des faits langagiers, les situations dnonciations ne ser- vent qu' banaliser, en quelque sorte, l'intersection gomtrique entre acteurs qui parlent et acteurs qui offrent certains indices sociaux particuliers. (Goffman, 1988, p. 146). En considrant le langage (les pratiques langagires : les genres discursifs, les types d'interaction, etc. ) comme ce qui permet aux liens sociaux d'exister comme tels et ce par quoi les tres sociaux forment leurs rapports au monde (leurs consciences, leurs structures mentales, cognitives) on ne peut dissocier les diffrences sociales et les diff- rences linguistiques et on peut traiter les pratiques lan- gagires la fois comme des produits classs, valus, qui ont des valeurs plus ou moins grandes sur des marchs linguistiques dtermins (Bourdieu, 1982) et comme des produits formateurs des rapports au monde et autrui (des structures mentales, cognitives, etc. : position des anthropologues, sociologues, psycho- logues de la connaissance).

    Etre social, rapport au monde, pratique langagire, formes de relations sociales

    Assurment, le langage n'est pas un simple moyen, un instrument analogue au marteau ou la lime. Il ne sert pas seulement mettre en communication des consciences d'abord constitues sparment. Il est aussi constitutif (Lefebvre, 1961, p. 279).

    Tout individu est social, tout individu est d'emble langagier : ces deux propositions sont profondment lies. Le rapport au monde de tout tre social se consti- tue, s'effectue dans le langage (gestuel, parl, crit, graphique, etc. ) : nous nous trouvons toujours-dj pris dans le langage (dans des pratiques langagires spcifiques). Si M. Foucault avait raison de dire, contre

    la phnomnologie, que le monde n'est pas lisible en lui-mme, ne murmure rien qu'un langage, se conten- terait de traduire, d'exprimer, il n'avait cependant pas en tte en mettant cette critique qu' l'intrieur de la phnomnologie M. Merleau-Ponty dcouvrait qu'il n'y a pas de sensible, de perceptible hors du langage -ce dernier n'tant pas forcment synonyme d'activit reflexive- et dissociait ainsi la question du langage des conceptions intellectualistes. M. Merleau-Ponty est amen penser que l'tre brut, pr-rflexif, qu'il essaie de mettre jour contre le matrialisme et l'intellec- tualisme, est indissociable du langage.

    La conscience de tout tre social ne se forme et ne prend existence que dans et par le langage, travers les multiples relations qu'il noue avec le monde et avec autrui. La conscience d'un individu est donc sociale par nature et non parce qu'elle serait influen- ce par un milieu social (conception d'un social priphrique, environnant). Tout d'abord, il n'exis- te pas d'activit mentale sans expression smiotique. (Bakhtine, 1977, p. 122). Il faut rejeter radicalement toutes les conceptions idalistes, inscrites dans l'usage le plus banal du langage, qui confrent la pense, au psychisme, 1' activit mentale, la conscience une autonomie, une antriorit ou une primordialit. La conscience intrieure n'a de ralit que parce qu'elle est la conscience d'un tre en rela- tion et par consquent d'un tre qui a une activit lan- gagire dtermine. Ainsi, il n'existe pas de foss entre l'activit psychique intrieure et son expression, il n'y a pas de rupture qualitative d'une sphre de la ralit une autre (Bakhtine, 1977, p. 50). Il faut donc viter l'emploi de toutes les formules, de tous les termes de vocabulaire qui donnent penser que l'acti- vit langagire n'est que Y expression de quelque chose qui s'est dj form dans la conscience hors de tous signes, expression qui serait une simple publi- cisation d'une activit intrieure, prive, inti- me (le caractre langagier et social de la pense ne viendrait que dans un deuxime temps : celui de 1' expression [cf. Benveniste, 1982]).

    Il faut donc poser, de manire radicale, qu'en dehors de sa ralisation, de son objectivation dans un mat- riau langagier (qu'il s'agisse du cri, du geste, de la parole, etc. ) la conscience est une fiction (Bakhtine, 1977, p. 129). Or, comme les signes sont sociaux par nature, l'activit mentale ne l'est pas moins. La conscience individuelle est sociale parce qu'elle n'a pas d'existence hors d'une pratique langagire parti- culire et que cette pratique langagire est le signe d'une forme particulire de commerce avec d'autres hommes. En posant ainsi le problme, nous ne faisons, d'une certaine faon, qu'expliciter et formaliser ce que supposent les travaux de J. Goody sur la modifi-

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  • Sociologie des pratiques d'criture 269

    cation du rapport la ralit lie l'apparition histo- rique des pratiques crites et graphiques.

    Le type de rapport au monde et autrui caractris- tique d'un tre social particulier est donc le produit, un moment donn, des formes de relations sociales dans lesquelles il a t et est pris et qu'il contribue maintenir ou modifier. Parce que le lien social est d'emble langagier et que la conscience individuel- le n'existe que par le langage, le type de conscien- ce, de rapport au monde et autrui d'un individu varie avec les formes que prennent les liens sociaux ; la logique cognitive n'est autre que la logique des formes de relations sociales.

    problme social particulier: V chec scolaire

    Formes sociales orales et formes sociales scripturales En utilisant les termes de formes sociales orales et

    de formes sociales scripturales, on se place tout d'abord dans une position telle que l'on peut saisir la fois les aspects cognitifs, les aspects linguistiques et les aspects organisationnels (organisation de l'acti- vit sociale) attachs certains types de pratiques de l'criture. Comme le note J. Derrida propos de Cl. Lvi-Strauss : En distinguant ainsi la fin sociolo- gique et la fin intellectuelle , en attribuant celle- l et non celle-ci V criture on fait crdit une dif- frence fort problmatique entre le rapport intersubjectif et le savoir. (Derrida, 1966, p. 36).

    En effet, suivant ainsi des frontires disciplinaires, les travaux portant sur les pratiques d'criture se sont souvent occups d'aspects particuliers de ralits sociales qui ne prennent leur sens que si l'on en saisit la logique d'ensemble 8. C'est aussi parce qu'il y a carence du point de vue thorique que des recherches ultrieures celles de J. Goody, ou se rfrant direc- tement ses travaux, peuvent ne retenir simplement que l'aspect technologique de ces analyses ou bien faire un usage tout fait empiriste des couples oral/crit, oralit/criture (couples sur lesquels Goody ne s'attarde pas suffisamment pour dnouer un certain nombre de problmes et viter les malentendus).

    On trouve souvent Yoralit dfinie par la voix (Zumthor, 1983) : dfinition toute physique de l'ora- lit prsente dans de multiples travaux. Or, lorsqu'un citoyen athnien nonce oralement devant une assemble un discours qui prend appui sur un texte rdig par un logographe, a-t-on affaire une culture orale ? De mme, si l'on prononce une formule math-

    matique, un discours philosophique, ou si l'on dmontre oralement une proposition gomtrique, peut-on parler de culture orale ? En fait, des choses dites peuvent trs bien tre des produits de formes sociales scripturales dans les objets qu'elles contrui- sent, les modes de raisonnements qu'elles mettent en uvre, le type d'nonciation qu'elles impliquent, le rapport ce qui est dit, le rapport au monde et autrui qui les caractrisent.

    On voit donc bien ici la srie d'ambiguts qui est corrlative d'une position thorique trop faible sur la question de l'oral et de 1' crit. Ces ambiguts lies des dfinitions empiristes-positivistes consti- tuent - malheureusement - des arguments pour tous ceux qui voient dans les rflexions sur 1' crit des variantes d'un dterminisme technologique, simplis- te, unilatral, relevant d'un matrialisme mcaniste. Cependant, il ne faudrait pas jeter le bb avec l'eau du bain et, en l'occurrence, le problme (complexe) des cultures crites et orales avec l' empirisme-positi- visme et les nombreux fantasmes sociaux qui ont caractris et caractrisent encore l'approche de cette question. En posant le problme en terme de formes sociales scripturales, non seulement on vite toute conception instrumentaliste-idaliste (rduisant le lan- gage un porteur de sens), toute position dterminis- te (1' crit comme cause d'un certain nombre de phnomnes sociaux ou au contraire comme reflet, effet ou consquence de certaines conditions conomiques, politiques. . . ) mais surtout, on vite tout empirisme (l'oral et 1' crit comme deux domaines clos qui correspondraient d'une part ce qui se dit, ce qui se prononce, la Voix et d'autre part ce qui s'crit, ce qui se marque, la Trace).

    Enfin, en prenant le problme sous cet angle, on comprend du mme coup la rduction qu'oprent les travaux qui limitent l'tude du couple culture orale/cul- ture crite la comparaison entre littrature orale (dictons, proverbes, mythes, contes oraux, posie orale...) et littrature crite : ils ne permettent pas notamment de penser que les pratiques scripturales (diverses et analyser dans leurs particularits) sont constitutives, dans des champs de pratiques extrme- ment divers, de nouveaux types de liens sociaux, de nouvelles formes de relations sociales et, par cons- quent, de nouveaux types de rapport au monde et autrui.

    U chec scolaire dans le procs de scripturalisation Parce que les pratiques d'criture ne se donnent pas

    d'emble voir et ne donnent pas d'emble voir les transformations sociales (politiques, conomiques,

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  • 270 Bernard Lahire

    cognitives, etc. ) qu'elles rendent possible et parce que l'histoire nous a lgu des institutions, des logiques sociales, des diffrenciations, des lignes de partages, etc. , dont les liens avec les pratiques de l'criture sont devenus invisibles l'il contemporain, ou trop vidents pour pouvoir tre correctement appr- hends (qu'on pense au lien entre les bureaucraties et l'usage de l'criture qui est la fois vident et conu du mme coup comme un lien technique), penser les liens entre cole et criture et, plus particulirement, rendre compte de 1' chec scolaire l'cole primaire partir d'une rflexion sur les formes sociales scrip- turales et les formes sociales orales ncessite une dmarche socio-historique et une srie de comparai- sons mthodiques entre des logiques sociales d'ensemble, diffrencies du point de vue des formes sociales orales et des formes sociales scripturales, que nous livrent les recherches historiques et anthropolo- giques.

    C'est ce que nous avons fait dans le cadre de ce que nous avons appel le procs de scripturalisation. Ce terme n'est pas un mot plus savant pour dsigner ce qu'on entend habituellement par histoire de l'cri- ture mais tente de dsigner l'apprhension plus gn- rale des transformations sociales (politiques, cono- miques, ducatives, cognitives. . . ) auxquelles les pratiques d'criture sent lies dans l'histoire 9. Nous avons notamment tent de rendre compte de la logique d'ensemble des formations sociales structures en classes sociales, dans lesquelles ces classes partici- pent plus ou moins des formes sociales scripturales, formations sociales qu'on qualifie habituellement de socits alphabtisation gnralise ( socit cole , tat , champs de pratiques diffren- cis, etc.).

    Par hypothse nous avons essay de mettre en vi- dence le fait que le rapport au langage et au monde (constitu au sein de formes sociales) tait fonda- mentalement en jeu dans le processus d' chec , savoir que l'cole dveloppe un rapport spcifique au langage supposant que celui-ci soit mis distance, considr comme un objet tudiable en lui-mme de multiples points de vue (phonologique, lexical, gram- matical, textuel, etc. ), pris comme l'objet d'une atten- tion et d'un travail spcifiques, d'une manipulation consciente, volontaire, intentionnelle, etc. (rapport scriptural-scolaire au langage et au monde) et que les lves qui chouent s'obstinent, malgr les mul- tiples incitations et injonctions scolaires, ne pas vou- loir considrer le langage comme quelque chose de dissociable de ce qu'il permet d'voquer, de faire, de dire, de construire comme situations possibles, i. e. de dissociable des situations d'nonciation et des situa-

    tions construites par les noncs (rapport oral-pratique au langage et au monde).

    Un des acquis de la recherche d'ordre socio-histo- rique et de l'analyse contemporaine dtaille (combi- nant l'observation ethnographique des pratiques sco- laires quotidiennes, l'entretien avec les enseignants, le recueil de documents et produits scolaires divers) de 1' chec scolaire effectif l'cole primaire, mene partir d'une rflexion sur les pratiques d'criture est le suivant: il apparat que la matrise sociale d' autrui passe par la matrise de certains types de pratiques langagires (et notamment par la matrise symbolique reflexive caractristique des formes sociales scriptu- rales). Les pratiques du langage ne sont pas des reflets ou expressions des rapports sociaux mais sont au fondement de la comprhension des relations sociales en gnral et des relations de pouvoir en par- ticulier.

    Ainsi, 1' chec scolaire peut tre saisi aussi bien d'un point de vue cognitif (la non-matrise par les lves - essentiellement des classes populaires -, dans un rapport de domination socio-historique, des formes sociales scripturales-scolaires, du rapport scriptural- scolaire au langage) et du point de vue des relations de pouvoir (la forme scolaire de relations sociales tant indissociable historiquement de la gnralisation des formes sociales scripturales et des formes d'exercice du pouvoir qui se construisent en liaison avec cette gnralisation). La lecture cognitive (au sens de lec- ture faite du point de vue d'une sociologie ou d'une anthropologie de la connaissance ) doit se doubler d'une lecture politique (au sens de lecture faite du point de vue d'une sociologie ou d'une anthropologie politique). Tout se passe comme si, en apprenant raisonner leurs pratiques langagires (par l'apprentis- sage de la lecture et de l'criture, l'apprentissage de la grammaire, de l'orthographe, du vocabulaire, de I' expression orale ou de 1' expression crite), les lves qui russissent scolairement se rendaient objectivement matres du langage des autres , savoir ceux qui le pratiquent sans le raisonner. Matriser certains types de pratiques langagires c'est se rendre matre de certaines formes sociales et donc, du mme coup, se rendre matre, dans des rapports de domination historiques dtermins, de ceux qui ne matrisent pas ces formes sociales.

    Par exemple, si l'on considre le travail scolaire d' expression crite, les lves qui, selon les juge- ments scolaires, savent matriser leur langage, mettre de l'ordre dans leurs ides, classer leurs ides organiser ou structurer leur texte, doivent tre syst- matiquement penss par le sociologue (suivant ainsi les exigences de l'analyse relationnelle qui s'oppose l'analyse de type substantialiste) par rapport ceux qui

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  • Sociologie des pratiques d'criture 271

    cole. La matrise consciente, reflexive du langage, la pratique raisonne, par principes qui sont au centre de la socialisation scripturale scolaire, consti- tuent, en effet, une condition ncessaire d'entre dans de nombreux univers sociaux. La relation, statistique- ment mesurable, entre la possession de ce que P. Bourdieu appelle le capital scolaire et les positions dominantes dans un grand nombre de champs sociaux, i. e. le fait, statistiquement saisissable, que, dans de nombreux univers sociaux plus on possde de capital scolaire et plus on a une chance d'occuper une posi- tion dominante, fournit l'aspect extrieur-objectif du phnomne social. Tout un apprentissage du pouvoir - de nos formes d'exercice du pouvoir - s'opre, ds lors qu'on apprend matriser rflexivement le lan- gage. Et l'cole n'est devenue un lieu de socialisation central que parce qu'elle permet certains lves de matriser certaines formes de relations sociales et d'accder adultes des univers sociaux trams par des formes de relations semblables ou identiques. En ne dissociant pas l'aspect langagier/cognitif et l'aspect politique (les formes d'exercice du pouvoir) on saisit l'importance de la question langagire. Dominer le langage, dominer certains instruments de langage et certains modes d'utilisation du langage, pour reprendre les termes de L. Wittgenstein, i. e. prcis- ment les instruments de la matrise symbolique de la pratique (Bourdieu, 1979, p. 491) que permet la socialisation scripturale scolaire, ce n'est pas un aspect secondaire (symbolique donc secondaire pense-t-on parfois), mais tout au contraire un point central des relations sociales en gnral et des relations de pou- voir en particulier. En oprant une telle interprtation sociologique, on dpasse, du mme coup, les trois positions selon lesquelles on est souvent amen pen- ser l'cole : celle qui consiste penser l'cole exclu- sivement comme un lieu de transmission de savoirs, celle qui la conoit exclusivement comme un lieu de lgitimation de diffrences sociales pralables et, enfin, celle qui consiste penser l'cole exclusivement comme un lieu de discipline.

    B. L. , Lyon

    ont une expression confuse , calamiteuse , qui sont incohrents et ne livrent que du charabia, qui produisent des textes sans queue ni tte ou incomprhensibles (autant de termes employs par les enseignants de l'cole primaire propos des textes d'lves de milieux populaires). Ils ont toutes les chances de devenir socialement ceux qui matrisent ceux qui sont penss comme ne se matrisant pas . Etre le lgislateur de ses penses, de ses ides (de ses propres pratiques langagires) comme on est le grammairien ou le correcteur de son expres- sion, c'est en fait se gouverner pour gouverner les autres ou, plus exactement, tre amen se gouver- ner dans le gouvernement des autres. Ce rapport entre matrise de soi et matrise d' autrui a t peru, selon des modalits diffrentes, aussi bien par M. Foucault que par P. Bourdieu. Comme le rappelle G. Deleuze, M. Foucault parlait, propos des Grecs, de la matrise de soi comme pouvoir qu'on exerce sur soi-mme dans le pouvoir qu 'on exerce sur les autres (comment pourrait-on prtendre gouverner les autres si l'on ne se gouvernait soi-mme ?) (Deleuze, 1986, p. 107). De mme, P. Bourdieu crit que dominer sa nature c'est affirmer sa matrise sur ceux qui ne savent pas matriser leur nature et que les preuves (...), en tant qu 'affirmations publiques de la matri- se de soi, sont autant d'affirmations du droit la ma- trise des autres (Bourdieu, 1989, p. 154). Il nous semble que la matrise de soi (et notamment la matrise de son langage) est profondment lie la matrise d' autrui (aux formes que prennent les relations de pouvoir). C'est dire combien l'conomie mentale est indissociable des formes d'exercice du pouvoir, des modes de domination 10.

    L'opposition cognitive entre matrise pratique et matrise symbolique, pr-rflexif et rflexif, rapport oral-pratique au monde et rapport scriptural au monde a un sens sociopolitique dans le sens o, qui matrise le langage consciemment, rflexivement est objecti- vement en position de dominer celui qui ne le matri- se que pratiquement, et ce, dans de multiples univers sociaux qui composent nos formations sociales

    1990 l'Universit Lumire Lyon2 devant Rgis Bernard, Roger Chartier, Daniel Fabre et Guy Vincent. Qu'ils soient tous remercis pour leurs remarques critiques dont la rdaction de ce texte a pu tirer profit. Je remercie aussi Marc Soriano ainsi que Grard Collomb pour leurs lec- tures attentives de ce texte qui m'ont per- mis d'apporter une srie de corrections.

    1. Ce travail de recherche a donn lieu une thse de doctorat de sociologie inti- tule, Formes sociales scripturales et formes sociales orales: une analyse socio- logique de V chec scolaire l'cole primaire, (1016p.) soutenue le 26 mars

    2. C'est ce que montre l'article fonda- mental de C. Ginzburg, De A. Warburg E.H. Gombrich. Notes sur un problme de mthode (Ginzburg, 1989, pp.39-96). 3. En utilisant le terme de forme de rela- tions sociales, notre seul souci a t d'attacher un nom une manire sociolo- gique de poser la question des pratiques langagires et non de nous rfrer une

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  • 272 Bernard Latre

    tradition (inexistante). Le terme forme faisant, de plus, souvent l'objet d'usages multiples, qui s'accompagnent souvent de piges thoriques, de faux problmes divers (forme/contenu; forme/fond; forme/matire; etc.), nous ne nous rfre- rons par consquent aucun de ces usages.

    4. C'est seulement lorsque l'on pose le problme de la rcurrence des contextes sociaux, ou encore de l'invariance dans les multiples variations, que l'on peut chap- per la vision romantique (comme inven- tion, aventure, processus cratif ininter- rompu de construction (energeia). (Bakhtine, 1977, p.75)) de ceux qui, vou- lant s'opposer aux approches structurales, ne saisissent la ralit sociale que comme une multitude de contextes particuliers au sein desquels se formeraient une multitu- de de sens contextuels. En dissminant la ralit sociale dans une constellation de contextes particuliers, ils oublient que les contextes peuvent historiquement se rp- ter, perdurer, se re-produire, etc., autant que se modifier ou se transformer.

    5. L'apprhension des formes de relations sociales permet seule de comprendre le sens des signes utiliss: les pratiques lan- gagires sont ce qui rend possible et par- ticipe l'organisation des formes de vie sociale mais ne sont pas tournes vers ce qui les rendent possibles et/ou vers ce qu'elles rendent possible, elles ne nous disent pas: Voil les rapports sociaux qu'entretiennent les hommes.

    6. Pour nous, une institution est un produit de formes de relations sociales, une objec- tivation, une cristallisation de formes de relations sociales qui suppose un espace, une architecture, des instruments divers, des genres discursifs spcifiques et, par

    consquent, des tres sociaux ayant des comptences spcifiques. L'institution (incomprhensible si on ne reconstruit pas les formes de relations sociales - variables historiquement - qui la font vivre) permet tout la fois de donner de la stabilit aux formes de relations sociales (en leur confrant, d'une certaine faon, la force des choses) qui courent toujours le risque (social) d'tre phmres, occasionnelles, de dpasser les limites anthropologiques (la mort physique) et de produire des effets durables sur les tres sociaux agis- sant en son sein (tant bien entendu que ce sont les tres sociaux qui produisent ces effets sur eux-mmes par l'institutionna- lisation de leurs formes de relations sociales). 7. Dire cela n'invalide pas, selon nous, l'usage scientifique des pratiques crites et graphiques. En effet, ces dernires ont t dans l'histoire et continuent tre une condition fondamentale de la production d'une connaissance de type scientifique. Ce que nous voulons souligner ici, c'est que le chercheur doit toujours s'efforcer d'assumer scientifiquement le fait qu'il analyse des situations socio-historiques parfois radicalement diffrentes (surtout dans le cas des socits culture orale) avec des procdures, des oprations, des catgories (qu'on peut indistinctement qualifier de sociales, mentales ou langa- gires) propres des logiques sociales spcifiques. Les instruments de la connaissance scientifique, produits d'une histoire lie aux formes sociales scriptu- rales, doivent toujours tre perus comme tels si l'on ne veut pas les appliquer non- consciemment et, de ce fait, inadquate- ment. Le travail de Jack Goody constitue, en ce sens, un vritable travail d' episte- mologie pratique permettant au chercheur d'tre plus conscient du fonctionnement

    de ses oprations scientifiques les plus pratiques et de faire de la diffrence expli- cite, problmatise (entre univers du chercheur et univers des tres sociaux qu'il tudie) un levier fondamental de la connaissance. Je dois ces prcisions aux remarques stimulantes de Daniel Fabre.

    8. Ces travaux se rpartissent en trois grands thmes: histoire des critures (Cohen, 1958; Gelb, 1973), analyse des effets cognitifs de la pratique de l'cri- ture, des transformations dans les modes de connaissance (Goody, 1979; Scribner et Cole, 1981; Vygotski, 1985) et analy- se des effets des pratiques de l'criture sur l'organisation des activits sociales en gnral (Havelock, 1963; Goody, 1986).

    9. Notre travail de recherche nous a amen, peu peu, rejoindre en pratique la conception du fait social total labore par Marcel Mauss. Ceci est li non seule- ment au fait que nous avons pens ensemble diffrentes modalits du social, mais aussi et surtout la logique inter- disciplinaire inscrite dans notre construc- tion thorique de l'objet. Les distinctions entre ce qui relve de la linguistique, de l'histoire, de l'anthropologie, de la psy- chologie ou de la sociologie ont progres- sivement perdu de leur pertinence au cours de la recherche. Plus qu'une interdiscipli- narit intentionnelle, vitant rarement l'clectisme thorique, notre construction de l'objet, qui intgre des questions, schemes d'interrogations, problmes tho- riques et mthodologiques multiples pui- ss dans diffrentes disciplines, implique un effacement effectif de certaines fron- tires disciplinaires.

    10. Nous rejoijgnons ici les travaux de Norbert Elias (Elias, 1975) ainsi que ceux de Roger Charrier (Charrier, 1989).

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    Issue Table of ContentsEthnologie franaise, nouvelle serie, T. 20, No. 3, Entre l'oral et l'crit (Juillet-Septembre 1990), pp. 250-354Front MatterEntre l'oral et l'crit [pp. 253-255]Oral/Ecrit : Prliminaires linguistiques [pp. 256-261]Sociologie des pratiques d'criture: Contribution l'analyse du lien entre le social et le langagier [pp. 262-273]Du stade oral l'oralit [pp. 274-283]Tel sur le papier qu' la bouche...: Montaigne entre l'crit et l'oral [pp. 284-289]Le Crchois [pp. 290-292]La voix de Mre-grand [pp. 293-300]Le tlphone [pp. 301-307]Tout raccorder et tomber juste: L'art du "bertsulari" basque [pp. 308-318]crire le son au Moyen Age [pp. 319-328]Le droit symbolique ou les piges de l'altrit: Sur le viol d'un moulin au XIXe sicle [pp. 329-333]Quand les paroles s'envolent et qu' terre l'crit reste [pp. 334-340]Mesurer le non-mesurable: le cas des proverbes [pp. 341-349]RSUMS/ABSTRACTS [pp. 350-354]Back Matter