steve reich de 1965 a 1976, la fin de l’avant...

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STEVE REICH DE 1965 A 1976, LA FIN DE L’AVANT-GARDISME EN MUSIQUE Les pages qui suivent sont extraites du Mémoire de maîtrise de musique et musicologie de Antoine BEZINS, professeur agrégé d’Education Musicale et de Chant Choral. Ce mémoire a été réalisé sous la direction de Monsieur Daniel Durney à l’Université de Rouen durant l’année scolaire 1998-1999.

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STEVE REICH DE 1965 A 1976, LA FIN DE L’AVANT-GARDISME EN

MUSIQUE

Les pages qui suivent sont extraites du Mémoire de maîtrise de musique et musicologie de Antoine BEZINS, professeur agrégé d’Education Musicale et de Chant Choral. Ce mémoire a été réalisé sous la direction de Monsieur Daniel Durney à l’Université de Rouen durant l’année scolaire 1998-1999.

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2.2.ETUDE DE MUSIC FOR EIGHTEEN MUSICIANS Après une description générale de l’œuvre et des procédés d’écriture employés par

Reich, cette analyse se concentrera sur plusieurs points caractéristiques, notamment l’influence de la musique africaine sur Steve Reich, qui, bien que présente dans Drumming et Music for mallet instruments, voices and organ, n’a pas été évoquée jusqu’ici. La manière dont sont conçus l’échelle, le rythme et la pulsation dans Music for eighteen musicians sera aussi largement abordée. Enfin, d’autres procédés caractéristiques seront analysés, et nous permettront de mettre l’accent sur l’inattendu, l’ambigu et tous les éléments dépendant de la subjectivité du compositeur.

2.2.1.DESCRIPTION GENERALE DE MUSIC FOR EIGHTEEN MUSICIANS

Voici la description que donne Steve Reich lui-même de son œuvre : « Music for eighteen musicians dure approximativement cinquante-cinq minutes. Les

premières esquisses datent de mai 1974, et le morceau fut achevé en mars 1976. Sa pulsation constante et son énergie rythmique l’apparentent à nombre de mes œuvres précédentes ; cependant son harmonie et sa structure sont nouvelles.

Les innovations de Music for eighteen musicians concernent le nombre et la

distribution des instruments ; son instrumentation repose sur un violon, un violoncelle, deux clarinettes doublant deux clarinettes-basses, quatre voix de femme, quatre pianos, trois marimbas, deux xylophones et un métallophone (vibraphone sans moteur). Tous les instruments sont acoustiques. Le recours à l’électronique se limite aux micros pour amplifier les voix et le son de quelques instruments. [...]

Sur le plan rythmique, deux sortes de temporalité interviennent simultanément dans

Music for eighteen musicians. La première est celle d’une pulsation rythmique régulière aux pianos et aux instruments à mailloches, qui se maintient tout le long du morceau. La seconde réside dans le rythme de la respiration humaine chez les bois et les voix. La première et la dernière section dans leur intégralité, ainsi que des parties de toutes les autres sections, contiennent des pulsations produites par les voix et les bois. Les interprètes emplissent leurs poumons et chantent ou jouent des notes particulières aussi longtemps qu’ils peuvent tenir leur respiration. C’est la respiration qui sert de mesure à la durée que doit avoir leur pulsation. Les respirations qui, l’une après l’autre, viennent refluer comme des vagues sur le rythme constant des pianos et des instruments à mailloches donnent une combinaison sonore que je n’avais jamais entendue auparavant et que j’aimerais bien explorer plus avant.

La structure de Music for eighteen musicians repose sur un cycle de onze accords qui

sont joués au début du morceau et repris à la fin. Tous les instruments et toutes les voix jouent ou chantent des notes qui vibrent au sein de chaque accord. Des instruments tels que les cordes qui n’ont pas besoin de respirer suivent néanmoins les cycles d’inspiration et d’expiration en observant les mouvements respiratoires de la clarinette-basse. Chaque accord est tenu pendant la durée de deux respirations, puis l’on introduit graduellement l’accord suivant, et ainsi de suite jusqu’à ce que les onze accords soient joués ; l’ensemble retourne alors au premier accord. Ensuite, deux pianos et deux marimbas soutiennent le premier accord

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en le faisant vibrer. Pendant cinq minutes environ, ils construisent une petite section à partir de cet accord. Quand cette section est terminée, un changement brutal amène au second accord, et une seconde petite section est construite de la même façon. Cela veut dire que chaque accord, soutenu sur quinze ou vingt secondes dans l’introduction, s’étire sur une mélodie fondamentale pour former une section de cinq minutes, tout à fait comme une note de cantus firmus (mélodie chantée dans les organa écrits au XIIème siècle par Pérotin) s’étire sur plusieurs minutes pour constituer le foyer harmonique d’une des sections de l’Organum. Les onze accords qui ouvrent (et ferment) Music for eighteen musicians constituent une sorte de cantus vibrant pour le morceau tout entier.

Sur chaque accord en vibration, on bâtit une petite section (deux sur le troisième

accord). Ces sections ont fondamentalement ou une forme en arc (ABCDCBA), ou bien la forme d’un processus musical se déroulant selon sa propre logique du début à la fin, comme celui qui consiste à substituer des battements aux pauses. [...] » 1

La pièce est donc constituée de douze sections, d’une introduction et d’une conclusion

dans lesquelles les onze accords sont exposés. L’intégralité de l’œuvre, sauf les parties extrêmes (en 1/4), celles où sont présentés les onze accords (Reich les appelle les « pulses »), est en 6/4 ou 3/2 ; le compositeur note les deux chiffrages au début de la première section. Trois dièses sont à la clé, à part dans la section V (quatre dièses) ; il semble cependant très abusif d’en conclure que l’œuvre est en la majeur ou en fa dièse mineur, ce point sera développé plus loin.

Le passage d’une section à l’autre est très audible ; les instruments changent

brusquement de section s’en s’arrêter. Aucune transition n’amène ce passage. Seules quelques sections font exception : les passages entre les pulses d’introduction et la première section, entre les quatrième et cinquième sections, entre les neuvième et dixième sections, entre la onzième section et les pulses de conclusion ont lieu sur le mode du « fondu-enchaîné ».

Précisons enfin que l’analyse suivante est volontairement partiale et partielle ; elle a

pour seule fonction de nous orienter vers certaines conclusions et ne prétend pas expliquer l’œuvre dans ses moindres détails (la question de l’orchestration, par exemple, ne sera abordée que très superficiellement, malgré sa grande originalité : un bref coup d’œil à l’instrumentation suffira à nous en convaincre). Une telle description serait d’ailleurs extrêmement laborieuse et n’apporterait que peu de renseignements supplémentaires. Nous nous limiterons donc ici à l’étude de quelques traits caractéristiques ou marquants de l’œuvre.

2.2.2.PROCEDES D’ECRITURE, EMPLOI DES INSTRUMENTS

Deux types d’éléments peuvent être distingués : d’une part des éléments immuables, et d’autre part des éléments structurels. Après avoir étudié ces deux types, nous nous intéresserons aux rôles des différents instruments à travers toute l’œuvre.

2.2.2.1.Eléments immuables Dans chacune des onze sections est joué un et un seul agrégat en croches régulières,

sans aucune variation, aux pianos et/ou aux instruments à mailloches (c’est la « première 1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 125 et suiv., Mayenne, 1981

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temporalité », un continuum ininterrompu...), ainsi qu’une ou plusieurs mélodies répétées, également aux pianos et/ou aux instruments à mailloches. L’exemple 25 présente les parties que les marimbas 1, 2, 3 et les pianos 1, 2, 3 jouent en boucle, du début à la fin de la première section. Sur un tel soubassement immuable est construit, pour chaque section, un développement, à l’aide de divers procédés que nous étudierons ultérieurement (éléments structurels).

Exemple 25 :

2.2.2.2.Eléments structurels

• Les « respirations »

Dans sa description, Reich insiste sur le rôle de la respiration humaine dans toute

l’œuvre ; c’est ce qu’il définit comme la « deuxième temporalité » de Music for eighteen musicians dans le texte ci-dessus. On trouve en effet des « respirations » aux instruments. Un coup d’œil rapide sur l’exemple 26 permettra mieux que toute définition de comprendre ce que sont ces « respirations » (nous emploierons cette terminologie dans toute cette analyse...).

Exemple 26 :

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Elles sont entendues dans les « pulses » (c’est-à-dire l’introduction et la conclusion de l’œuvre, ce que Reich a défini ci-dessus comme le « cantus vibrant » du morceau), mais aussi dans les différentes sections, de manière sporadique.

• La forme en arche : procédé d’extension d’une mélodie

Les formes en arche (A1-A2-A3-B1-B2-B1-A3-A2-A1) sont nombreuses dans Music for eighteen musicians. Elles découlent toutes d’un même procédé d’élongation des mélodies.

L’exemple 27 présente les partitions des clarinettes, voix, violon et violoncelle dans la

partie A de la première section.

Exemple 27 : la partie du haut est celle des clarinettes et des voix 1 et 2, la deuxième est celle du violon et de la voix 3, la dernière, celle du violoncelle.

A1 :

A2 :

A3 :

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Chacun des motifs est joué en boucle, pendant toute la durée de la partie correspondante. Le motif de A2 apparaît clairement comme une élongation de celui de A1 (la deuxième mesure de A2 constitue le motif de A1...) ; le motif de A3 est également une élongation de celui de A2... Une telle méthode est très proche du système de variations par amplification des polyrythmies centrafricaines tel que le décrit Shima Arom : « Le procédé d’amplification, rappelons-le, consiste à développer de façon sporadique le matériel rythmique propre à une figure, sur un nombre de périodes toujours multiple de celle-ci. [...] Afin que l’on puisse se faire une idée de la pusillanimité de cette application, nous avons indiqué à droite de chaque réalisation le nombre de ses occurrences au cours d’une même exécution. Précisons que l’amplification procède à « reculons » : en effet, le contenu de la figure initiale en constitue toujours la terminaison »1. Cette méthode procède aussi à « reculons » chez Reich. L’exemple 28 reprend celui que donne Shima Arom. Exemple 28 : les élongations sont présentées aux lignes e et f.

Ce procédé d’élongation est chez Reich doublé d’un élargissement de l’ambitus à

toutes les parties : les notes restent globalement les mêmes, mais les octaves changent (sauf entre A1 et A2, où une partie est ajoutée aux clarinettes et aux voix...). Ce procédé d’élongation est utilisé dans huit des douze sections de l’œuvre (sections I, IIIA, IIIB, IV, VI, VII, VIII et XI), avec des variantes plus ou moins importantes, ils peuvent par exemple être combinés ou juxtaposés avec certains des autres procédés décrits dans cette partie, précédés d’une introduction ou encore tronqués.

La partie centrale, B, se différencie par les motifs employés : l’exemple 29 présente les

partitions des clarinettes, voix, violon et violoncelle dans B1. Exemple 29 :

1 S.AROM, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale, vol.2, livre VI, éd. SELAF, p.448, Paris, 1985

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Les profils mélodiques des voix 1 et 2 et des clarinettes restent identiques, mais la

doublure change. Par contre, les parties de violon, violoncelle et voix 3 changent aussi bien au

niveau des notes que du rythme, mais conservent le même type d’écriture en notes tenues. La section B2 diffère peu de B1 : les clarinettes arrêtent de jouer la mélodie pour jouer des « respirations » (celles-ci sont exposées dans l’exemple 26, ce cycle de deux « respirations » est joué deux fois intégralement).

Dans les autres sections où ce procédé d’élongation est utilisé, cette partie centrale ne se présente pas toujours de la même manière ; elle se limite par exemple parfois à un ajout de « respirations » sur la section A3, sans aucune autre modification.

Deux éléments se distinguent donc dans ces procédés d’élongation : la mélodie (ici

jouée par les clarinettes et les voix 1 et 2) et les accords (ici joués par le violon, le violoncelle et la voix 3). • Remplacement des silences par des sons en « battements »

Ce procédé a déjà été décrit dans l’analyse de Music for mallet instruments, voices and organs. Il est ici employé de la même manière. On le trouve dans les sections II, III B, V, VIII et IX. • Le canon et les motifs résultants

Le canon est présent dans la section V de Music for eighteen musicians, comme dans toutes les œuvres antérieures de Reich. Il s’agit d’un triple canon sur le motif de l’exemple 30.

Exemple 30 :

Les pianos 1 et 3 jouent d’abord ce motif en boucle, comme il est écrit dans l’exemple 30, les pianos 3 et 4 les rejoignent (selon le procédé de remplacement des silences par des sons) ensuite sur ce même motif mais avec quatre croches d’avance. Enfin, les pianos 1 et 2 abandonnent leurs parties respectives pour reprendre le motif de la même manière, avec deux croches d’avance sur le piano 3, et deux croches de retard sur le piano 4. L’exemple 31 montre l’enchevêtrement des quatre pianos.

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Ce rapport entre les trois motifs est maintenu jusqu’à la fin de la section, Reich en profite alors pour faire entendre quelques motifs résultants de l’enchevêtrement de ces trois instruments.

Exemple 31 :

• Les sections II, IX et X ne sont construites ni sur la base d’un procédé d’élongation ni sur

un canon comme celui de la section V ; ils sont « durchkomponiert », juxtaposant ou superposant les autres procédés énoncés dans cette partie.

2.2.2.3. Rôles des différents instruments Le nombre de procédés d’écriture est peu important dans Music for eighteen musicians. De plus, au sein de chacun de ces procédés, chaque instrument a un rôle bien défini et occupe quelques fonctions seulement. Les lignes suivantes se proposent de les décrire. • Les instruments mélodiques

Ce groupe est constitué des clarinettes, voix (les voix sont considérées comme des instruments ; aucune parole ne leur est attribuée, elles chantent sur des onomatopées), violon et violoncelle. Ces instruments n’interviennent que dans le cadre des éléments structurels : dans les respirations, dans les mélodies étendues des formes en arche ou celles des substitutions des battements aux pauses. Ces instruments sont souvent groupés par paires (les deux clarinettes ensemble, deux voix ensemble...) • Les instruments polyphoniques

Ce groupe est constitué des quatre pianos, des trois marimbas et des deux xylophones ; le métallophone sera traité à part. Comme il a été dit plus haut, ces instruments ont pour tâche de jouer les éléments immuables, mais ils ont aussi parfois des rôles structurels. C’est le cas dans le canon de la section V, entre les pianos (exemple 30, vu précédemment), mais aussi à d’autres reprises. Les xylophones et les pianos imitent parfois les « respirations » (exemple

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32, provenant de la section IX), ou « construisent » des mélodies par substitution des battements aux pauses (section VI). Les pianos peuvent encore participer aux procédés d’élongation, où ils sont amenés à jouer aussi bien la mélodie que les accords en tenues « monnayées » (exemple 33, première partie du procédé d’élongation de la section III A). Les marimbas, enfin ont aussi parfois ce type de fonctions structurelles au sein de l’ensemble. Ils jouent par exemple des motifs résultants dans la section V, mais, le plus souvent, ils se cantonnent à faire entendre des éléments immuables.

Exemple 32 :

Exemple 33 (pianos 1, 3 et 4)

• Le métallophone

Cet instrument a un rôle très particulier dans toute l’œuvre. Reich décrit lui-même la manière dont il l’a utilisé : « Les changements d’une section à l’autre, aussi bien que les changements à l’intérieur d’une section sont signalés par le métallophone (ou vibraphone sans moteur), lequel joue ses motifs une fois seulement afin de rappeler aux autres interprètes qu’ils doivent passer à la mesure suivante ; de même, dans le Gamelan balinais, c’est un des joueurs de tambour et, pour la musique d’Afrique occidentale, le maître tambourineur qui émettent des signaux sonores pour indiquer les changements de motif. Ceci contraste avec la signalisation visuelle constituée par des hochements de tête dans mes compositions précédentes, aussi bien qu’avec la pratique courante, dans la musique occidentale, qui confie la conduite de l’orchestre à un chef distinct des interprètes. Les signaux sonores sont partie intégrante de la musique et permettent aux musiciens de ne pas interrompre leur écoute. »1 Cette citation va nous amener à ce qui constitue un des éléments les plus importants de cette analyse : l’influence des musiques ethniques (indonésiennes et surtout africaines) dans Music for eighteen musicians. Auparavant, nous allons nous intéresser de plus près au métallophone.

Comme le signale Reich, le métallophone indique aux autres instruments le moment

où ils doivent changer de section, ou de partie à l’intérieur d’une section. Ainsi, il fait 1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 127, Mayenne, 1981

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entendre trois ou cinq sons en octaves parallèles (passages des sections I à II, II à IIIA, IIIA à IIIB, V à VI, VI à VII, VII à VIII, VIII à IX), ou trois accords de deux sons (passages des sections IIIB à IV et X à XI) pour annoncer les changements de sections. Il n’intervient pas entre les sections IV et V, ni entre les sections IX et X, celles-ci s’enchaînant en tuilage. Ces différentes interventions du métallophone ont lieu dans un style improvisé, toujours sur un rythme régulier de rondes pointées ; il ne semble pas possible de trouver un autre lien thématique ou de quelque nature que ce soit entre elles.

Le métallophone intervient également à l’intérieur des sections contenant un procédé

d’élongation, entre les différentes parties de ces sections. Quelques rapports entre les interventions se situant dans une même section peuvent parfois être remarqués au niveau des agrégats employés. L’exemple 34 présente les différentes occurrences du métallophone dans la section I.

Exemple 34 :

Entre A1 et A2 :

Entre A2 et A3 :

Entre A3 et B1 :

Entre B1 et A3 :

Entre A3 et A2 :

Entre A2 et A1 :

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Après cette description rapide de l’œuvre et des procédés employés, cette analyse va à présent s’orienter vers certains points spécifiques, notamment l’influence de la musique africaine sub-saharienne dans Music for eighteen musicians. 2.2.3.CONCEPTION DE l’ECHELLE ET DU RYTHME Dans cette partie sera analysée la manière dont Reich conçoit l’échelle musicale, la pulsation, la mesure et d’autres notions à travers leurs rapports avec les musiques africaines sub-sahariennes ; d’autres caractéristiques seront étudiées plus loin. 2.2.3.1.Utilisation des hauteurs L’étude de l’harmonie de Music for eighteen musicians est très problématique. Reich emploie des agrégats sonores complexes, et pourtant dans la majeure partie de l’œuvre, l’auditeur pourra clairement percevoir une note tonique. Comme il a été dit plus haut, chacune des sections est construite sur un seul accord (des nuances importantes seront apportées plus loin à cette affirmation...) ; un accord est joué, maintenu du début à la fin. Ainsi, la note tonique de la première section, dont le soubassement harmonico-mélodico-rythmique a déjà été vu dans l’exemple 25, est le ré ; cela est très sensible à l’audition. Pourtant, cette tonique semble très « brouillée » : les notes ré, mi, fa dièse, la, si, do dièse sont entendues simultanément. Suite à ces observations, les questions suivantes seront posées dans cette partie : de quel(s) procédé(s) naît(ssent) la sensation d’une note fondamentale ? Peut-on parler de modalité, de tonalité, ou d’autre chose dans Music for eighteen musicians ? Et enfin, quels sont les rapports entre la manière dont Reich structure les hauteurs et la musique africaine ? Certains procédés harmoniques et mélodiques de l’œuvre seront étudiés conjointement à ces questions.

2.2.3.1.1.La question de la note tonique

Plusieurs procédés sont employés pour que naisse la sensation d’une tonique : dans la plupart des cas, c’est le continuum de croches régulières des pianos, xylophones et marimbas qui la provoque. L’exemple 25 le montre clairement, les notes ré et la étant doublées et redoublées (le mi n’a qu’une fonction coloristique). L’exemple 35, issu de la section VI en offre une autre illustration ; de plus, la mélodie en ostinato y est construite autour de la note fa dièse, celle-ci est donc clairement perçue comme la note tonique de cette section.

Enfin, les « respirations », quand elles sont jouées dans le grave des clarinettes basses

font elles aussi naître l’impression d’une tonique, c’est le cas au début de la section V (dont la mélodie principale est présentée dans l’exemple 30), où les clarinettes basses jouent des « respirations » sur l’accord do dièse - sol dièse. De manière générale, une note est perçue comme la tonique quand elle est mise en valeur par une répétition régulière ou par l’orchestration. Robert Schwartz remarque que : « la gamme tonale/modale d’une œuvre de

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Reich est établie dès le début, d’habitude par la répétition insistante d’un bref motif mélodique/rythmique, qui, bien que tonal, peut être ou ne pas être lié à une structure tonale explicite. Chez Reich, c’est la répétition qui pose la tonalité, comme c’est le cas chez Stravinsky. »1 Cette citation, non sans faire quelques amalgames dangereux entre tonalité et modalité d’une part et note tonique de l’autre, résume bien les procédés qu’utilise Reich pour faire naître l’impression d’une note tonique. La partie suivante s’attachera donc à résoudre les problèmes de terminologie nous ayant gênés dans les remarques de Schwartz.

Exemple 35 : ostinatos de la section VI (les deux voix du haut sont celles des

xylophones, celle du bas est jouée à l’unisson par les pianos 1 et 2 et par les marimbas 1 et 2) :

2.2.3.1.2.Peut-on parler de mode dans Music for eighteen musicians ?

En vue de répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de donner des définitions précises aux termes « échelle » et « mode ». Shima Arom définit l’échelle de la façon suivante : « Une échelle musicale peut être définie comme un ensemble clos de hauteurs distinctes localisées dans le cadre d’une octave ; chaque hauteur, disposée dans une série ascendante ou descendante, constitue l’un des degrés de l’échelle »2.

Jacques Chailley, dans son ouvrage intitulé justement L’imbroglio des modes, avance

que la conception de mode, dans son acception la plus courante : « comporte implicitement les notions suivantes :

a) choix d’une octave-type, unité fondamentale ; b) tonique, identifiée au premier son de l’octave-type ; c) hiérarchisation des autres degrés sur le plan harmonique par rapport à la

tonique : dominante, etc. ; d) identité de fonction de tous les sons reproduisant à une octave quelconque

un des sons de l’octave-type ;

1 R.SCHWARTZ, mémoire de maîtrise sur Steve Reich, cité par Bérénice Reynaud, in S.REICH, Ecrits et Entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 19, Mayenne, 1981 2 S.AROM, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale, vol.2, livre VI, éd. SELAF, p. 386, Paris, 1985

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e) indifférence à la hauteur absolue, à l’ambitus, à l’octave employée, aux tournures mélodiques utilisées »3

Or, si la manière dont Reich utilise les hauteurs se conforme aux critères a, b, d et peut-être e, aucune hiérarchisation des degrés par rapport à la tonique n’est opérée : comme il a été montré plus haut, la sensation d’une note tonique ne naît d’aucune manière d’enchaînements harmoniques fonctionnels entre les degrés comme c’est le cas, par exemple, dans la musique tonale, mais plutôt d’une insistance, d’une répétition régulière ou d’une mise en valeur de cette note. D’ailleurs, les différents agrégats employés n’ont que peu de valeur fonctionnelle, si ce n’est faire entendre la tonique.

Il ne semble donc pas justifié de parler de mode quant à la manière dont Reich emploie

les hauteurs. Toutefois, la notion d’échelle est insuffisante pour la caractériser, nous parlerons donc de ce que Trân Van Khê a appelé des « échelles modales » : « L’échelle modale constitue un élément nécessaire mais non suffisant pour définir la notion de mode »1.

Ces échelles modales ont, dans le cas de Reich, trois valeurs : au niveau de la

verticalité, elles ont une valeur coloristique (comme l’attestent les agrégats joués en continuum de croches ininterrompues dans chaque section), au niveau de l’horizontalité, elles ont une valeur mélodique (elles définissent les notes employées dans les mélodies, ou plutôt des mélodies employées, il est possible de déduire l’échelle modale !), enfin, elles définissent la tonique. Mais cette musique nous semble avant tout être d’essence mélodique : nous allons donc nous pencher tout d’abord sur l’aspect horizontal, et ensuite sur quelques points de l’aspect vertical (plusieurs d’entre eux ont déjà été vus jusqu’ici).

2.2.3.1.3.Utilisation mélodique des échelles modales

Certains des agrégats (exception faite, entre autres, des agrégats du continuum de

chaque section...) n’ont aucune valeur propre, ils sont le fruit de la rencontre des différentes lignes mélodiques. L’exemple 36 présente les mélodies superposées les unes aux autres aux mesures 579 et 580, dans la section VIII.

Il apparaît avec évidence, à l’étude d’un tel exemple, qu’aucune logique verticale ne

régit les successions d’agrégats ; cette musique est ici uniquement contrapuntique.

Exemple 36 :

3 J.CHAILLEY, L’imbroglio des modes, éd. Alphonse Leduc, 1960, cité par S.AROM, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale, vol.2, livre VI, éd. SELAF, p. 387, Paris, 1985 1 TRÂN VAN KHÊ, Modes musicaux, in Encyclopedia Universalis, vol.11, Paris, 1968

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Une telle conception horizontale se rapproche de celle des pentatonismes centrafricains tels que les définit Shima Arom. Ce dernier y applique également la notion d’échelle modale telle que Trân Van Khê la définit : « Force est de constater que les pentatonismes centrafricains, en ce qu’ils sont plus que de simples échelles mais ne possèdent pas toujours les propriétés du mode, occupent une place intermédiaire entre ces deux concepts. Ils peuvent dès lors être définis comme ce que Trân Van Khê a appelé des « échelles modales ». »

Plus loin, il ajoute, toujours au sujet des polyphonies centrafricaines : « Ce type

particulier de verticalité s’explique aisément dès qu’on replace les sons qui fondent chaque « accord » ou chaque conglomérat sonore sur leurs axes mélodiques respectifs. Il apparaît alors que les configurations verticales sont la conséquence – en partie fortuite – d’une conception horizontale, celle d’un contrepoint mélodique. »1

Cette dernière affirmation pourrait très bien s’appliquer à la musique présentée dans

l’exemple 35. Reich n’utilise cependant pas des échelles pentatoniques anhémitoniques comme c’est le cas dans la plupart des musiques africaines : il utilise ses propres échelles modales de six ou sept sons. L’exemple 37 regroupe quelques-unes des échelles employées dans Music for eighteen musicians.

Exemple 37 :

• échelle de la première partie (A) de la section I :

• échelle de la deuxième partie (B) de la section I :

• échelle de la section IIIB :

• échelle des sections IV et VII :

1 S.AROM, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale, vol.2, livre VI, éd. SELAF, p. 389, Paris, 1985

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Certaines s’apparentent aux échelles de certaines tonalités (ré majeur pour la deuxième) ou de certains modes (mode de la pour la quatrième), d’autres ne comptent que six degrés. Reich n’emprunte donc pas des échelles modales aux musiques africaines, mais plutôt une conception de l’échelle modale : encore une fois, il s’intéresse plus aux structures qu’aux sonorités.

2.2.3.1.4.Quelques procédés « harmoniques coloristiques »

Plusieurs manifestations verticales ont déjà été observées ici : les croches répétées du

début à la fin de chaque section, leur « fonction » étant d’une part de faire entendre la tonique, d’autre part de la « colorer », les « respirations » des instruments monodiques et les interventions du métallophone, desquelles aucune conclusion quant à un quelconque langage harmonique logique, fonctionnel ou systématique n’a pu être tirée. D’autres enchaînements harmoniques doivent cependant encore être étudiés. En effet, comme il a été dit plus haut, les procédés d’élongation utilisés dans de nombreuses sections mettent tous en œuvre deux éléments : la mélodie proprement dite et des enchaînements de deux, trois ou quatre accords (exemple 27). Ce sont ces enchaînements qui vont maintenant être étudiés.

Les enchaînements d’accords de l’exemple 27 semblent contredire tout ce qui a été dit

jusqu’ici au sujet de la non-fonctionnalité de l’harmonie : de ceux-ci naît clairement une impression de si mineur, malgré l’absence de sensible. Mais cette sensation est brouillée à l’audition car ces accords sont joués en même temps que d’autres éléments : la mélodie principale du processus, également présentée à l’exemple 27, ainsi que toutes les parties en ostinato, celles-ci ont été vues dans l’exemple 25. L’étude d’autres exemples ne conduirait pas à des conclusions différentes : certains cas sont similaires à celui-ci, l’harmonie pouvant au premier abord impliquer la sensation d’enchaînements fonctionnels « classiques », d’autres sont différents et n’impliquent aucunement cette sensation (voir l’exemple 29 où sont présentés les accords de la partie B de la première section). Cette brève étude nous ramène donc au même point ; l’harmonie de Reich dans Music for eighteen musicians n’a pas de valeur fonctionnelle, mais uniquement une valeur coloristique, même si l’on peut parler parfois d’une « couleur » de si mineur ou autre... Le compositeur a choisi ces enchaînements car il les appréciait, ils n’ont pas d’autre fonction !

On rencontre dans cette œuvre une autre technique visant à faire varier les couleurs

harmoniques, déjà évoquée au sujet de Music for mallet instruments, voices and organ : faire entendre et mettre en valeur une note n’ayant pas été entendue pendant très longtemps. Pour illustrer cette technique, l’exemple 38 présente les échelles modales de la partie A et de la partie B de la section I. Dans la partie A, le sol bécarre n’est pas entendu une seule fois, au contraire dans la partie B, il est mis en valeur à la partie de violoncelle (l’exemple 39 présente les parties de violon et de violoncelle dans la partie B de la première section) : c’est alors la note la plus grave du passage, ainsi, elle est rendue très audible.

Exemple 38 :

• échelle modale de la section I, partie A :

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• échelle modale de la section I, partie B :

Exemple 39 :

L’utilisation du champ des hauteurs dans cette œuvre se révèle donc très curieuse, elle est double : d’une part elle est purement mélodique, horizontale, les agrégats n’ont alors aucune valeur propre, n’étant que le fruit de rencontres horizontales fortuites, d’autre part elle est verticale et a un rôle non pas fonctionnel, mais coloristique. Ces deux conceptions ne sont pas alternées ou juxtaposées, mais elles sont superposées en permanence dans l’œuvre : l’écriture d’un groupe d’instruments relevant de la conception horizontale et contrapuntique, tandis que celle d’un autre groupe relève de la conception verticale et harmonique. De cela naît une sensation étrange, la confrontation des deux systèmes engendrant des rencontres de notes très riches et très complexes. Cette conception double est également celle qui prévaut dans Music for mallet instruments, voices and organ ; la question du langage harmonique de Reich avait été laissée ouverte lors de l’analyse de ce dernier morceau.

2.2.3.2.Conception du rythme

Shima Arom avance que : « l’écoute attentive d’une formation de percussionnistes d’Afrique centrale permet de saisir d’emblée les caractéristiques fondamentales de la rythmique qui prévaut dans cette région :

- un mouvement stable et régulier, dépourvu d’accelerando, de rallentando, de rubato ; on se trouve en présence d’une musique mesurée, à l’intérieur de laquelle les durées sont strictement proportionnelles ; - la prédominance de formules répétitives ininterrompues, dans lesquelles un matériau semblable réapparaît à intervalles réguliers, atteste une périodicité rigoureuse, - les formules que l’on entend ne sont pas parfaitement identiques ; le système répétitif admet une certaine marge de variabilité, - les diverses parties instrumentales exécutées simultanément ne s’ordonnent pas véritablement à la verticale les unes des autres, mais bien plutôt en diagonale, selon un principe d’entrecroisement des rythmes individuels ;

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- les musiques n’ont pas recours à une matrice de référence temporelle fondée sur l’alternance régulière d’un son accentué avec un ou plusieurs sons non accentués ; elles font donc abstraction de la notion de mesure et du temps fort qui la détermine. »1

La plupart de ces points s’applique à certaines sections, voire à la totalité de Music for eighteen musicians, illustrant encore le lien de parenté entre les musiques africaines et la pièce de Reich. Seul le troisième diffère : aucune variation n’est admise dans les répétitions d’un même motif dans Music for eighteen musicians, si ce n’est les variations par amplification, déjà étudiées plus haut. Certaines de ces caractéristiques ont déjà été abordées, elles seront donc rapidement évoquées ici ; d’autres, au contraire seront développées de manière plus conséquente.

2.2.3.2.1.Le « mouvement stable »

Comme il a déjà été vu, un continuum ininterrompu de croches régulières est entendu du début à la fin de Music for eighteen musicians, sans la moindre variation de tempo. Aucune de ces croches n’est accentuée ; c’est ce qui nous autorise à parler de continuum.

2.2.3.2.2.La « périodicité rigoureuse »

Nous l’avons également signalé, dans chaque section sont entendues des mélodies

répétées du début à la fin, sans aucune variation (cf. 2.2.2.1.Eléments immuables). Celles-ci ont, dans la majorité des cas une durée de une mesure à 6/4. Elles sont répétées toutes les mesures ; leur périodicité est donc de une mesure. De la même manière, tous les éléments constitutifs de Music for eighteen musicians sont répétés plusieurs fois de suite, à l’exception des interventions du métallophone. La notion de périodicité est donc présente dans toute l’œuvre. Ce point sera développé dans le détail un peu plus loin.

2.2.3.2.3.Le « principe d’entrecroisement »

L’idée d’écoute « en diagonale » telle que la définit Shima Arom (« principe

d’entrecroisement des rythmes individuels ») est présente dans les motifs résultants employés par Reich : ces derniers sont, rappelons-le, le fruit de la superposition des différentes lignes mélodiques.

2.2.3.2.4.L’absence de temps fort, la remise en cause de la notion de mesure

Donner une définition arrêtée à la notion de mesure semble relever de la gageure.

Shima Arom s’y est pourtant risqué avec succès en confrontant plusieurs définitions2. Il ressort de cette étude deux traits caractéristiques : la mesure est d’une part un étalon de temps permettant la synchronisation des différents exécutants, et d’autre part « un cadre d’ordonnancement d’accents et de temps faibles à l’intérieur duquel le groupement rythmique prend place. Elle constitue la matrice de laquelle émerge le rythme. »3 De manière générale, les définitions exposées par Shima Arom s’accordent à impliquer dans la notion de mesure, telle qu’elle se présente dans nos musiques occidentales, l’idée d’une hiérarchie accentuelle,

1 S.AROM, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique Centrale, vol.2, livre VI, éd. SELAF, p. 408, Paris, 1985 2 S.AROM, ibid., vol.1, livre V, p. 297 et suiv. 3 COOPER et MEYER, cités par S.AROM, ibid., p. 304

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c’est-à-dire l’alternance de temps forts et de temps faibles. C’est cette alternance même qui est remise en cause dans Music for eighteen musicians.

Nous n’affirmons pas que la musique de Reich est dépourvue d’accentuation

rythmique, mais la position de ces accents est indépendante de la mesure et peut être différente d’un instrument à l’autre, comme l’illustre l’exemple 31 : l’accent naturel de la mélodie se situe sur l’agrégat de deux sons fa dièse - si (rythme noire liée à une croche pointée). Pourtant, celui-ci est joué à trois positions différentes au sein de la même mesure par les quatre pianos. Il n’est par conséquent pas possible de parler de temps forts et de temps faibles dans une telle musique, mais simplement d’accents rythmiques.

Cette hypothèse est confirmée par les propos de Reich lui-même : « Il faut comprendre

que la manière dont s’opèrent les changements et les développements de la plupart des sections de ce morceau repose sur la relation fondamentale entre harmonie et mélodie. Pour être plus spécifique, je dirais qu’on peut répéter plusieurs fois un motif mélodique, mais si l’on y introduit par en dessous une cadence à deux ou quatre accords, en commençant d’abord sur la première mesure du motif, puis sur une mesure différente, on peut alors entendre le changement d’accent de la mélodie. Faire jouer un rythme harmonique changeant contre un motif mélodique constant est une des techniques de base auxquelles j’ai eu recours dans ce morceau et que je n’avais jamais employée auparavant. Son effet est de faire varier, grâce aux changements d’accent, ce qui, en fait, demeure inchangé. »1 Lorsqu’il écrivit ceci, Reich pensait aux formes en arche de Music for eighteen musicians. En effet, c’est au sein de celles-ci qu’il fait entendre ces rythmes harmoniques irréguliers. L’exemple 40 reprend la partie A3 de la première section. Il est assez explicite : un enchaînement de deux accords répété plusieurs fois est superposé à la mélodie principale, mais le rythme de ces deux accords change à chaque répétition de l’enchaînement. Ainsi, l’accentuation de la mélodie principale semble varier, et ce indépendamment de la mesure... De plus, ce procédé n’est pas employé uniquement au sein de chaque section ; il peut aussi s’étendre sur plusieurs d’entre elles ; ce point sera développé par la suite. La mesure n’est donc pas considérée dans cette œuvre comme un agencement de temps forts et de temps faibles ; elle n’a qu’une fonction de synchronisation pour les exécutants. Reich le laisse entendre en indiquant indifféremment 3/2 et 6/4 au début de la première section : ces chiffrages indiquent tous deux que chaque mesure contient douze croches, mais elles n’impliquent pas les mêmes accents... Reich écrit les deux car, justement, les accents sont indépendants de la mesure dans sa pièce. La mesure n’est plus qu’un cadre temporel. La remarque suivante, que Shima Arom applique aux polyrythmies centrafricaines, peut très bien s’appliquer à Music for eighteen musicians : « [...] à l’écoute, l’entrecroisement des accents et des timbres, associé à l’absence d’une référence accentuelle régulière, suscite un sentiment d’incertitude, une ambiguïté à l’égard des modalités d’articulation de la période. Cette sensation est analogue à celle que l’on peut éprouver dans une voiture de chemin de fer alors que, croyant avoir saisi le rythme du roulement sur les rails, on ressent subitement comme un déplacement de la réitération périodique : ce que l’on prenait pour un « temps fort », marquant le retour de la boucle temporelle, devient un temps faible, et inversement. Un phénomène semblable se produit à l’écoute prolongée du cycle binaire que constitue le mouvement régulier d’une horloge, son « tic-tac » : la marque accentuelle, ressentie d’abord sur le « tic » (TIC-tac) se serait soudain comme déplacée sur le « tac », devenant TAC-tic. »2 1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 127, Mayenne, 1981 2 S.AROM, ibid., vol.2, livre VI, p. 409

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L’utilisation du rythme est comparable à celle des hauteurs dans cette œuvre : il existe bien un centre tonal, mais aucune hiérarchie entre les degrés ; de la même manière, il existe bien une pulsation immuable, mais aucune hiérarchie entre les temps, la notion de temps fort y est absente.

Exemple 40 :

L’étude de l’utilisation des hauteurs et du rythme dans Music for eighteen musicians

révèle donc que Reich emploie un matériau qu’il connaît bien, qui lui est familier (ses propres échelles, ses propres harmonies, ses propres motifs mélodiques...), mais d’une manière complètement inédite : il adapte des techniques empruntées aux polyphonies et polyrythmies africaines à son propre vocabulaire, à sa propre culture occidentale de musicien américain de la fin du XXème siècle, mais ne copie d’aucune façon la sonorité d’autres musiques :

« La question se pose [...] de savoir si et comment cette connaissance de la musique

non occidentale influence un compositeur. A mon avis, la forme la moins intéressante que puisse prendre cette influence consisterait en une imitation du son d’une musique non occidentale. Pour cela, on peut soit orchestrer sa musique avec des instruments non occidentaux (c’est le cas des sitars dans les groupes de rock), soit traiter ses propres instruments de manière à ce qu’ils produisent des sons non occidentaux (par exemple chanter en style indien sur des bourdons électroniques). Cette méthode représente la manière la plus simple et la plus superficielle de traiter la musique non occidentale, et on peut assimiler grossièrement la sonorité de ces musiques après quelques minutes d’écoute et sans étude plus approfondie. L’imitation du son de la musique non occidentale conduit à la musique exotique, ce que l’on appelait autrefois une chinoiserie. Un autre choix est ouvert : celui de créer une musique utilisant notre gamme de sons, mais construite à la lumière de notre connaissance des structures non occidentales. Ceci est en fait similaire à l’apprentissage des structures de la musique occidentale. La forme canon, par exemple, manifeste son influence dans les motets, les fugues, puis, entre autres, dans la musique d’Anton Webern et dans mes propres morceaux en phase. La manière précise dont s’exerce cette influence, ou celle de n’importe quelle structuration musicale, est tout à fait subtile et agit souvent de manière imprévue. Il est possible d’étudier la structure rythmique de la musique non occidentale et se laisser influencer par les résultats de cette étude, tout en continuant à utiliser les instruments, les gammes et toutes les espèces de sons qui ont contribué à notre éducation. Ce qui crée une situation intéressante, où l’influence non occidentale se manifeste dans le concept, mais non dans le son. Cette forme d’influence est plus authentique et plus intéressante car elle ne force pas l’auditeur à réaliser qu’il écoute l’imitation de quelque musique non occidentale. Plutôt

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qu’une imitation, l’influence exercée par les structures de la musique non occidentale sur le système de pensée d’un compositeur occidental a toute chance de produire quelque chose d’authentiquement neuf. »

1

2.2.4.QUELQUES PROCEDES... D’autres procédés d’écriture vont être étudiés ici. Ils porteront sur divers domaines (rythme, harmonie, orchestration...), mais peuvent cependant être groupés en deux catégories : d’une part les procédés empruntés, volontairement ou involontairement, aux musiques ethniques, d’autres part les procédés destinés à faire naître l’ambiguïté, à différents niveaux de la conception de l’œuvre. Certaines techniques de composition pouvant relever de l’une ou l’autre de ces catégories ont déjà été analysées plus haut, en vue d’aborder certaines idées importantes ; elles ne seront bien sûr pas évoquées à nouveau. Celles développées ici ne vont pas conduire aux mêmes conclusions ; elles vont confirmer l’existence d’une influence extra-européenne dans Music for eighteen musicians, mais aussi nous pousser à nous interroger sur la manière dont Reich conçoit l’œuvre de musique en ce milieu des années 1970. 2.2.4.1.D’autres points communs avec la musique africaine Jusqu’à présent, les points de comparaison entre Music for eighteen musicians et les musiques africaines tournaient principalement autour de questions très générales (conception de l’échelle, conception de la pulsation...), ceux abordés ici porteront sur des similitudes de facture formelle. Cette étude sera basée sur une analyse comparée d’un très court extrait de Music for eighteen musicians et de Agoa, une pièce du répertoire polyphonique centrafricain. Cette dernière appartient au répertoire chorégraphique des Sabanga, son titre, Agoa, signifie « le buffle ». Shima Arom annonce que les éléments constitutifs de cette pièce « sont les suivants :

• une partie vocale solo ; • la formule du xylophone ; • un dispositif percussif composé de cinq instruments différents :

- deux cloches en fer à battant interne, àmànà kolo, littéralement « la bouche du kolo » (kolo étant l’onomatopée évoquant le son de l’instrument), tenues respectivement chacune dans une main et secouée en alternance ;

- une paire de grelots en fer, ∞ngbi ; - un grand tambour à membrane, ngàsà ; - un petit tambour à membrane aya ngàsà, littéralement « enfant de ngàsà » ; - enfin, des grappes de sonnailles, azàmbà, faites de coques de fruits, qui

entourent les chevilles d’une dizaine de danseurs.

Ces cinq instruments donnent lieu à trois parties, puisque cloches, grelots et petit tambour exécutent systématiquement une même cellule, c’est-à-dire que sous l’angle du rythme, ils se trouvent à l’unisson. »2 1 S.REICH, Postface à une brève étude de la musique balinaise et africaine, in Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 87, Mayenne, 1981 2 S.AROM, ibid., vol.2, livre VI, p. 859

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L’exemple 41 est la transcription en notation occidentale de Agoa. Les dix premières portées sont les variantes de la phrase chantée. Les xylophones, cloches, grelots et petit tambour jouent leur motif en boucle, tandis que la voix chantée fait tour à tour entendre une de ces dix variantes. En même temps, le grand tambour procède à diverses amplifications (ce procédé a déjà été décrit à la partie 2.2.2.2. de ce mémoire) de sa partie rythmique (l’exemple 42 propose quelques-unes de ces variations par amplification), tandis que les sonnailles des danseurs développent un cycle rythmique plus ou moins régulier d’une durée de vingt « noires » (celui-ci est présenté dans l’exemple 43).

Exemple 41 :

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Exemple 42 :

Exemple 43 :

Les cloches, les grelots et le petit tambour jouent du début à la fin, de façon

ininterrompue, une courte cellule rythmique couvrant un temps, sans aucune variation. L’agencement de cette cellule est particulier : chaque temps se divise en cinq valeurs égales (cinq double-croches de quintolet, pour emprunter une terminologie « occidentale »), tandis qu’aux autres parties, chaque temps se divise en quatre parties égales. Cette caractéristique, en dépit de son originalité, présente peu d’intérêt pour l’étude menée ici ; nous ne nous y

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attarderons pas. La figure jouée par le grand tambour s’étend sur deux temps, si l’on fait abstraction des variations par amplification.

« Les pas des danseurs, quant à eux, réalisent un mouvement chorégraphique régulier, que les sonnailles qui entourent leurs chevilles traduisent en rythme. La périodicité de la séquence qu’ils exécutent correspond à vingt pulsations, c’est-à-dire au cycle le plus long de la pièce. La formule du xylophone étant de quatre temps, il faudra cinq réitérations de celle-ci pour que les danseurs et l’instrument se retrouvent au même point. [...] La structure de la pièce comporte donc quatre types de périodicité, correspondant respectivement à

- un temps pour les cloches, les grelots et le petit tambour, - deux temps pour le grand tambour, - quatre temps pour le xylophone et le chant, - vingt temps pour les sonnailles,

que résument les rapports suivants :

- 2 : 1 entre les cloches, grelots, petit tambour et le grand tambour, de même qu’entre ce dernier et le xylophone ;

- 5 : 1 entre xylophone et sonnailles ; - 10 : 1 entre grand tambour et sonnailles ; - 20 : 1 entre cloches, grelots, petit tambour et sonnailles.»1

Le même type d’analyse des rapports entre les périodicités va maintenant être appliqué

à la partie A3 de la section I de Music for eighteen musicians. Cette dernière consiste en un procédé d’extension comme il a été vu dans la partie 2.2.2.2. de ce mémoire. L’exemple 44 présente cette partie A3. Les pianos 1 et 2 et les marimbas 1 et 2 jouent des battements en croches régulières, les motifs du marimba 3 et du piano 3 s’étendent sur une mesure, tandis que ceux des clarinettes, voix 3, violon et violoncelle s’étendent sur quatre mesures. La structure de cette partie de la première section comporte donc trois types de périodicité :

- une noire (les croches sont groupées par deux) pour les pianos 1 et 2 et

pour les marimbas 1 et 2, - une mesure (six noires) pour le piano 3 et le marimba 3, - quatre mesures (vingt-quatre noires) pour les clarinettes, voix, violon et

violoncelle. Les rapports entre les périodicités de ces différents instruments sont les suivants :

- 4 : 1 entre les piano 3, marimba 3 et les clarinettes, voix, violon, violoncelle,

- 6 : 1 entre les pianos 1-2, marimbas 1-2 et les piano 3 et marimba 3, - 24 : 1 entre les pianos 1-2, marimbas 1-2 et les clarinettes, voix, violon et

violoncelle. 1 S.AROM, ibid., vol.2, livre VI, p. 862-863

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Exemple 44 :

Les deux schémas suivants reprennent les périodicités des deux morceaux analysés ici

(exemple 45 et 46).

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Exemple 45 : rapports des périodicités de Agoa.

Le premier trait ( ) représente la période des sonnailles, le second est celle du chant et du xylophone ( ), le troisième, celle du grand tambour ( ), le quatrième, celle des cloches, grelots et petit tambour ( ).

Exemple 46 : rapports des périodicités dans la partie A3 de la première section de Music for eighteen musicians.

Le premier trait ( ) représente la période des clarinettes, voix, violon et violoncelle, le second ( ) celle des piano 3 et marimba 3, le troisième ( ), celle des pianos1-2 et marimbas 1-2.

Cette brève étude révèle que, si ces deux morceaux ne présentent pas les mêmes

rapports de périodicités, ils semblent malgré tout conçus de la même manière : dans chacun d’eux, différentes périodicités se trouvent combinées dans des rapports simples. Plusieurs niveaux d’organisation temporelle y sont superposés. Encore une fois, Reich préfère imiter les structures des musiques exerçant sur lui une influence plutôt que leur sonorité. 2.2.4.2.L’inattendu et l’ambigu : le rôle de la subjectivité du compositeur Pour la première fois, Reich n’écrit pas de manière systématique dans Music for eighteen musicians ; en effet, pour la première fois, il transgresse ses propres règles, créant ainsi des situations inattendues ou ambiguës pour l’auditeur et pour l’analyste. Ces ambiguïtés et éléments inattendus peuvent se manifester à plusieurs niveaux au sein de l’œuvre : au niveau formel, au niveau « harmonique », au niveau mélodique, au niveau rythmique, voire même au niveau du timbre et de l’orchestration. Ces différents domaines seront ici abordés successivement.

2.2.4.2.1.L’inattendu au niveau formel

Des événements imprévus peuvent être relevés au sein des sections comprenant un procédé d’élongation (sections I, III A, III B, IV, VI, VII, VIII et XI). Seulement une de ces sections, la première, celle qui a été décrite plus haut, est tout à fait « régulière » et respecte le procédé de façon quasiment mécanique. Toutes les autres présentent des différences plus ou moins sensibles avec ce modèle. La section III A, par exemple, se distingue par le fait que les mélodies des différentes parties ne se répartissent pas de la même manière que celles de la

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section I (exemple 47). Dans cette dernière, les mélodies principales de A1, A2 et A3, celles qui participent au procédé d’élongation, appartenaient à un même « paradigme » mélodique, dans la section III A, les mélodies de A1 et A3 forment un premier paradigme, celles de A2 et B en forment un deuxième.

Exemple 47 :

Premier paradigme :

A1 :

A3 :

Deuxième paradigme :

A2 :

B :

Les sections III B et VIII se différencient également du modèle de base : elles débutent

toutes deux par une introduction où la mélodie principale est exposée « progressivement », dans un processus de remplacement des pauses par des battements. Dans ces deux sections, la partie centrale B diffère peu des parties A3. En effet, B est identique à A3, seules des « respirations » sont ajoutées, et aucune mélodie ne change entre A3 et B (ce n’était pas le cas dans la partie B de la première section). Cette dernière caractéristique peut aussi être relevée dans la section VII. Les sections IV et XI, quant à elles sont des formes en arche

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« tronquées » : les parties A1, A2 et A3 sont exposées successivement, selon le procédé d’élongation habituel, mais ensuite, au lieu de revenir en sens inverse (A1 A2 A3 B A3 A2 A1) comme dans la première section, les « respirations » envahissent peu à peu les différentes parties instrumentales, tandis que les éléments participant au processus disparaissent les uns après les autres dans une série de decrescendos. Les « anomalies » de la section VI touchent quant à elles plus le domaine du rythme que celui de la forme ; elles seront donc détaillées un peu plus loin.

2.2.4.2.2.Les ambiguïtés harmoniques 2.2.4.2.2.1.Les ambiguïtés au niveau de la note tonique Il a été écrit plus haut que dans chaque section, une note se démarquait des autres pour

s’afficher, et ce de manière très audible, comme la tonique. Le moment est venu de relativiser cette affirmation ; en effet, une partie importante de l’œuvre est placée sous le signe de l’ambiguïté harmonique. Dès les premières mesures de la pièce, l’oreille est perturbée par les procédés employés par Reich : la tonique semble être la note ré, jusqu’à l’arrivée des « respirations » des clarinettes basses, qui, à la mesure 5, jouent un si dans le registre grave. La tonique perçue reste le ré, mais l’introduction de ce si crée un sentiment d’instabilité ; pendant un instant, l’oreille hésite entre le ré et le si (exemple 48)... Ce sentiment d’hésitation entre deux toniques se retrouvent à plusieurs reprises dans Music for eighteen musicians. Reich utilise à chaque fois le même procédé pour le faire naître : lorsqu’une tonique est clairement perceptible, il introduit un élément « perturbateur » à une ou plusieurs autres parties, comme il vient d’être vu dans les toutes premières mesures de l’œuvre. Nous nous contenterons donc ici de donner quelques exemples, sans toutefois les énumérer tous, une telle démarche n’apportant de toutes façons aucune information supplémentaire...

Les éléments « perturbateurs » peuvent être les mélodies ou les séquences d’accords

des procédés d’élongation, ou encore les « respirations ». La section II illustre bien cette dernière possibilité : la tonique perçue au début est ré (l’exemple 49 présente les parties en ostinato de cette section ; remarquons que le si, première note du marimba 3 crée déjà une hésitation entre ré et si comme note fondamentale...), mais les différentes « respirations » intervenant ensuite perturbent considérablement cette sensation, jusqu’à donner l’impression de mouvements harmoniques (non fonctionnels, bien sûr). L’exemple 50 expose les différentes « respirations » entendues dans cette seconde section.

La section VI, quant à elle, est une forme en arche, la tonique perçue est très

clairement la note fa dièse pendant toute la partie A : l’exemple 51 donne les ostinatos de cette section. De plus les accords joués par les pianos au sein du procédé d’élongation introduisent un mouvement mélodique fa dièse – do dièse dans le grave (exemple 52), dont l’effet est de confirmer la position du fa dièse comme tonique. Ce sont ces mêmes pianos qui « brouillent » la tonique fa dièse dans la partie B par l’introduction d’un autre mouvement mélodique dans le grave, dans lequel la note tonique semble être le mi (exemple 53).

Ces deux brefs exemples suffisent à illustrer les procédés utilisés par Reich pour créer

des ambiguïtés « harmoniques ». Ajoutons que, dans chaque section, à un moment ou à un autre, à plus ou moins grande échelle, Reich introduit ce type d’ambiguïtés. Music for eighteen musicians est la première œuvre de Reich où l’harmonie, au sens d’élaboration verticale de la musique, de recherche de couleurs d’accords, occupe une telle place : « Il y a

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plus de mouvement harmonique dans les cinq premières minutes de Music for eighteen musicians que dans n’importe laquelle de mes œuvres précédentes. Bien que le passage d’un accord à l’autre ne soit souvent rien d’autre qu’un changement de disposition, un renversement, ou la reformulation d’un accord en son relatif mineur ou majeur, à l’intérieur de ces limites, cependant, le mouvement harmonique joue un rôle plus important dans cette composition que dans tout ce que j’ai écrit auparavant. »1

Exemple 48 :

1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 125, Mayenne, 1981

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Exemple 49 :

Exemple 50 :

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Exemple 51:

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Exemple 52 :

Exemple 53 :

Cette dernière citation nécessite une petite remarque : Reich parle de reformulation

d’un accord en son relatif majeur ou mineur. Une telle terminologie semble complètement inadaptée dans le contexte d’une musique ni tonale ni modale (ce point a été développé plus haut) ; Reich emploie ces termes par analogie (dans l’introduction, la tonique du premier accord est ré, celle du deuxième est si), mais il nous semble complètement incohérent de prendre cette indication au pied de la lettre (le premier accord n’est pas un accord de ré majeur, le second n’est pas un accord de si mineur).

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2.2.4.2.2.2.Le rapport entre les accords des pulses et ceux des sections Comme nous l’avons vu plus haut, Reich a écrit : « La structure de Music for eighteen

musicians repose sur un cycle de onze accords qui sont joués au début du morceau et repris à la fin. Chaque accord est tenu pendant la durée de deux respirations, puis l’on introduit graduellement l’accord suivant, et ainsi de suite jusqu’à ce que les onze accords soient joués ; l’ensemble retourne alors au premier accord. [...] Ensuite, deux pianos et deux marimbas soutiennent le premier accord en le faisant vibrer. Pendant cinq minutes environ, ils construisent une petite section à partir de cet accord. Quand cette section est terminée, un changement brutal amène au second accord, et une seconde petite section est construite de la même façon. Cela veut dire que chaque accord, soutenu sur quinze ou vingt secondes dans l’introduction, s’étire sur une mélodie fondamentale pour former une section de cinq minutes, tout à fait comme une note de cantus firmus (mélodie chantée dans les organa écrits au XIIème siècle par Pérotin) s’étire sur plusieurs minutes pour constituer le foyer harmonique d’une des sections de l’Organum. Les onze accords qui ouvrent Music for eighteen musicians constituent une sorte de cantus vibrant pour le morceau tout entier. »1

Reich laisse entendre que les accords de l’introduction sont repris tels quels dans

chaque section. Pourtant une écoute attentive révèle que dans certaines sections la tonique n’est pas la même que celle de l’accord correspondant dans l’introduction. Par exemple, la tonique du quatrième accord de l’introduction est fa dièse (exemple 54), tandis que la tonique de la quatrième section est mi (exemple 55). Dans l’accord de l’introduction, c’est la présence du fa dièse dans le grave qui impose cette note comme tonique à la place du mi, pourtant joué en force par les pianos et marimbas. Dans la section IV, ces derniers ne sont pas « gênés » par les clarinettes-basses et le violoncelle ; le mi apparaît alors comme la tonique. Nous essaierons ici de connaître le lien entre les accords de l’introduction et les sections correspondantes.

Les accords de l’introduction et ceux leur correspondant dans les sections ont toujours

au moins un point commun. Ils peuvent avoir la même note tonique (sections I, IIIA, IIIB, VII, VIII, XI), les accords joués par les pianos et/ou les marimbas peuvent être les mêmes, ou presque les mêmes (sections I, II, IIIA, IIIB, IV, V, VIII, IX, X). Le lien entre le sixième accord et la sixième section est beaucoup moins net : en effet, la tonique n’est pas la même (la pour l’accord du début, fa dièse pour la section VI), et les agrégats joués par les pianos et les marimbas sont complètement différents. Le seul point commun réside dans l’échelle employée : les notes jouées dans l’accord sont exactement les mêmes que celles jouées dans la section sans ajout ou suppression d’une note (exemple 56). 1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 126, Mayenne, 1981

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Exemple 54 : Exemple 55 :

Exemple 56 : ces deux échelles sont identiques, seule la note tonique change ; elles sont ici écrites à partir de cette tonique.

• Echelle employée dans l’accord VI de l’introduction :

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• Echelle employée dans la section VI :

2.2.4.2.3.Les ambiguïtés mélodiques Le procédé consistant à faire jouer une mélodie constante sur un rythme harmonique

changeant a déjà été étudié plus haut au sein des sections bâties sur une forme en arche et un procédé d’élongation (2.2.3.2.4.). L’ambiguïté réside dans le fait que, par un tel procédé, l’auditeur ne sait plus où se trouvent les accents de la mélodie, et il perd totalement l’impression d’une hiérarchisation du type temps fort – temps faible. Conserver un motif mélodique mais en changer le contexte harmonique et rythmique est un procédé utilisé à plus grande échelle, d’une section à l’autre dans Music for eighteen musicians. En effet, il arrive plusieurs fois qu’un même motif mélodique soit employé dans plusieurs sections différentes. Les lignes suivantes présentent quelques illustrations de ce procédé. Les sections I, II et III ont toutes trois une même mélodie jouée en ostinato au marimba ; celle-ci est donnée dans l’exemple 57.

Exemple 57 : • Ostinato du marimba aux sections I et IIIA :

• Ostinato du marimba à la section II (une seule note change d’octave):

De la même manière, le dernier motif résultant de la section V devient le seul ostinato

de la section VI (exemple 58) Exemple 58 :

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D’autres exemples pourraient encore être donnés. L’effet produit par un tel procédé est toujours le même : faire varier la perception de quelque chose qui reste constant. Reich cherche à « faire varier [...] ce qui, en fait, demeure inchangé.»1

2.2.4.2.4.Les éléments inattendus aux niveaux rythmique et timbral Les seuls éléments vraiment inattendus dans ces deux domaines peuvent être relevés à la section VI. Le timbre inédit est celui des maracas : c’est la première fois dans l’œuvre qu’ils sont entendus, mais c’est aussi la première fois que l’instrumentation change ; les autres instruments jouant quasiment tout le temps. Les maracas jouent des croches régulières, groupées par deux, de façon ininterrompue jusqu’à la fin de la section VIII. Au niveau rythmique, la partition des xylophones attire particulièrement l’attention : dans le continuum de croches qu’ils jouent, ces dernières ne sont pas groupées par deux comme dans toutes les autres sections, mais sont groupées par trois. L’exemple 59 présente les parties des maracas et des xylophones au début de la section VI. La superposition de ces deux parties crée un rapport de périodes et une polyrythmie nouveaux au sein de l’œuvre.

Exemple 59:

L’étude des différents procédés d’écriture employés par Reich s’est arrêtée sur certains

points très précis, pouvant sembler anodins ou inintéressants. Nous nous sommes ainsi penchés sur des questions de détail pour démontrer que, pour la première fois, le compositeur s’est concentré sur le détail ; il ne s’est pas contenté de trouver un ou plusieurs processus et de le ou les laisser se dérouler dans le temps sans intervenir. Au contraire, l’étude des ambiguïtés et de l’inattendu a prouvé que, pour la première fois, Reich n’a pas composé de manière automatique, il n’a pas respecté ses procédés d’écriture jusqu’à leur fin ultime, il ne les a pas épuisés, mais il s’est permis de s’en éloigner, et a profondément perturbé le déroulement « logique » de son œuvre en faisant intervenir sa propre subjectivité d’artiste... 1 S.REICH, Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p. 127, Mayenne, 1981

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2.2.5.CONCLUSIONS PROVISOIRES DE L’ANALYSE DE MUSIC FOR EIGHTEEN MUSICIANS Avec Music for eighteen musicians, Reich signe sa première œuvre de « conception classique ». Il ne s’agit bien sûr pas d’une œuvre néoclassique, on ne trouve pas de citations comme chez Stravinsky, et Reich n’essaie d’aucune façon de copier ou de recréer le son ou le style d’une musique préexistante. Par « conception classique », nous entendons une œuvre dans laquelle plusieurs procédés de composition sont combinés (écriture harmonique, orchestration, recherches formelles, rythmiques, etc...) de manière intuitive. Pour la première fois également, Reich n’a pas conçu son œuvre de manière automatique ou systématique ; en effet, il s’autorise à rompre avec ses propres techniques quand bon lui semble, à surprendre l’auditeur, à faire naître les ambiguïtés. « Mon objectif avec Music for eighteen musicians était avant toute chose de faire de la belle musique, le son produit devait sonner aussi agréablement que possible à mon oreille »1, écrit Reich. Il n’a pas recherché l’objectivité de l’artiste comme dans ses premières œuvres, au contraire sa subjectivité joue un rôle prépondérant. En cela aussi, la conception de cette œuvre se révèle « classique ». De plus, adopter une telle attitude créatrice, rechercher le joli, l’agréable à entendre, bref le « Beau » au sens le plus rudimentaire du terme, est une démarche extrêmement exceptionnelle pour un compositeur de musique « sérieuse » de la seconde moitié du XXème siècle ! Reich se démarque considérablement de ses pairs en l’adoptant. A présent, il ne justifie son travail par aucun manifeste, aucune doctrine ; le texte auquel nous avons emprunté ici plusieurs citations se limite à donner des informations d’ordre technique ou analytique, mais jamais d’ordre esthétique. Il n’y a rien d’autre à chercher dans Music for eighteen musicians que de la belle musique, agréable... « Il me semble que c’est une composition réussie, ce qui m’intéresse plus que de savoir si elle résume ou non ce que j’ai fait auparavant. En disant qu’elle est réussie, je veux dire qu’elle a des effets positifs au niveau émotionnel et intellectuel ; les gens l’aiment bien. Les musiciens aussi bien que les non-musiciens y réagissent favorablement, et pour moi, de même que, je pense, pour la plupart des musiciens, c’est la réaction qui nous importe le plus. Les subtilités techniques, la place de l’œuvre dans la production globale du compositeur, tout cela est relativement secondaire par rapport au succès ou à l’échec de l’œuvre elle-même, au son qu’elle produit. »2 Suite à cette analyse, un nouveau terme semble émerger de la démarche artistique de Steve Reich : subjectivité ! Nous ne tirerons pas ici d’autres conclusions de cette étude …

1 S.REICH, dans un entretien avec Michael Nyman, cité par W.HASCHER, in Steve Reich, Dissertation zur Erlangung des Doktorgrades der Philosophie, p. 45, Vienne, 1991 2 S.REICH, entretien avec Wayne Alpern, in Ecrits et entretiens sur la musique, Christian Bourgeois éditeur, p.149, Mayenne, 1981