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–1– Gilles PERRAUDIN, Chris YOUNES, Manuel GAUSA,Marc BARANI, Bernardo SECCHI & Paola VIGANO Métropoles du Sud SYMPOSIUM2010

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Cycle de conférence organisé par les étudiants en Master Métropoles du Sud à l'Ecole Nationale et Supérieure d'Architecture de Montpellier

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Gil les PERRAUDIN, Chr is YOUNES, Manuel GAUSA,Marc BARANI , Bernardo SECCHI & Paola VIGANO

M é t r o p o l e s d u S u d

SYMPOSIUM2010

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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05_ Métropoles du Sud Jacques Brion, Laurent Duport, Elodie Nourrigat 09_ Introduction Gilles Cusy, Elodie Nourrigat, Philippe Saurel

15_ Gilles Perraudin Répondant : Julie Dieu

23_ Chris Younès Répondant : Ambroise Brunel

33_ Manuel Gausa Répondant : Coline Giardi

41_ Marc Barani Répondant : Nadine Chambon

49_ Bernardo Secchi & Paola Viganò Répondant : Joris Périé

59_ Clôture Laurent Duport

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Page :

Sommaire......................................................................

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Photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Les nouvelles préoccupations environnementales que le terme de « développement durable » est venu incarner tendent à définir un nouveau paradigme à l’œuvre dans la pensée de la ville contemporaine. Le rapport de Brundtland de 1987 définit ainsi originellement le concept de développement durable en tant que « mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs». Il s’agit dès lors de poser les conditions de

nouvelles relations vertueuses à l’environnement et à l’altérité afin de redéfinir les conditions de « l’être ensemble ». Force est de constater cependant que le développement durable tend aujourd’hui à se concevoir au travers de seules préoccupations techniques éprouvées en dehors de toute relation au site, au lieu, au territoire, au paysage ou encore au milieu propre. Retrouver le sens du contact avec l’autre et le sens du lieu sont autant de visées inexorablement dissoutes dans un flot de normes, labels et autres

Métropoles DU SUD

..........................................................Elodie Nourrigat

Laurent DuportJacques Brion

Gilles PerraudinMichel Maraval

Pascal PerrisPierre Soto

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Une pédagogie ouverte et réf lexive

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Photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

aussi, poser la question de ce que notre environnement serait capable de supporter sur le long terme. C’est, enfin, redonner au lieu d’installation et au territoire une place centrale dans le débat sur la soutenabilité. Le Sud se comprend alors en tant que concept transversal invitant à dépasser les échelles de pensée traditionnelles de la ville contemporaine pour travailler simultanément à des échelles diverses, fondées tant sur des considérations spatiales et temporelles que sur des rapports sensibles structurés autour des modes de vie et des pratiques locales de l’espace.

Chaque année, les intervenants du Symposium Métropoles du Sud participent de l’élaboration de ce concept, approfondissant tour à tour des champs d’application spécifiques au regard de leur propre pratique et de leurs sensibilités personnelles. Lors de cette seconde édition, les architectes Gilles Perraudin et Marc Barani ont articulé leur proposition autour de la notion de Méditerranée, berceau des cultures occidentales, en tant que substrat identitaire à même de faire émerger une nouvelle modernité. Manuel Gausa ainsi que Bernardo Secchi et Paola Viganó ont témoigné de la nécessité d’inventer de nouveaux outils conceptuels capables de répondre de façon spécifique à des problématiques situées. La philosophe Chris Younès s’est quant à elle attachée à la définition de la notion « d’éco-métropole » en tant que figure de la ville contemporaine à même de participer à la régénération des milieux tout en opérant à de nouvelles articulations typologiques entre local et global.

Le symposium comme outil pédagogique

Les modalités pédagogiques choisies pour le domaine d’études Métropoles du Sud ont pour base « une année / une thématique ». Structuré sur un cycle de cinq ans, le Master propose d’interroger trois métropoles hors de France (Barcelone en Espagne, 2009, Gênes en Italie, 2010, Valencia en Espagne, 2011 et Istanbul en Turquie, 2012) avant de revenir sur la ville de Montpellier en 2013 avec un regard enrichi des enseignements des années précédentes. Par ce voyage au cœur de Métropoles du Sud, nous entendons élargir notre compréhension des enjeux locaux auxquels font face les pays étudiés au travers de nouveaux paradigmes internationaux alliant rétrécissement et extension, hyerlocal territorial et globalisation.

En tant que posture critique, Métropoles du Sud propose la tenue annuelle d’un Symposium réunissant quatre architectes et une personnalité extérieure reconnue pour la qualité de ses travaux dans le domaine de l’architecture (philosophe, historien, sociologue, critique d’architecture…). Constitué en tant qu’outil pédagogique spécifique, l’organisation du symposium incombe aux étudiants du domaine d’études Métropoles du Sud. Ils ont ainsi en charge de constituer les documents de communication du symposium ainsi que de préparer le débat au regard de la thématique annuelle abordée dans le cadre du projet et des thématiques approchées par chacun des cinq intervenants. Un nombre réduit d’entre eux doit également assurer le difficile rôle de répondant, introduisant l’intervenant et assurant la reprise de parole après sa conférence. Au travers de cette mise en situation, il s’agit bien de confronter l’étudiant à un autre mode de production du savoir, issu de la parole vivante d’architectes et de penseurs de la société contemporaine réunis autour d’une problématique commune. Il s’agit, aussi, de les confronter à une réalité autre que celle de l’Ecole d’Architecture pour leur faire

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certifications qu’une forme de bonne conscience écologique semble avoir imposé. Cette tentation « éco-technologique », largement dominée par des modèles septentrionaux, tend à déposer en tout point du monde un voile unificateur, oubliant par là même que la singularité de chaque lieu doive se constituer en pensée structurante dans la définition du projet. Face à cette réalité, les Métropoles du Sud se posent en tant que concept à même d’ouvrir à un débat réactualisé sur les figures de la ville contemporaine durable.

Métropoles du Sud est un domaine d’étude du cycle de Master de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. Pour la deuxième année consécutive, enseignants, étudiants, architectes et chercheurs ont opté pour un positionnement transversal visant à constituer une pédagogie singulière autour des problématiques de l’habiter contemporain dans les villes du Sud. Le Sud ne saurait se réduire à une donnée géographique. Le Sud qu’il nous importe de considérer est avant tout un concept qui privilégie le sui generis au regard du générique pour exprimer la richesse des potentialités offertes par l’appréhension des problématiques urbaines métropolitaines.

Métropoles du Sud est une pédagogie qui se fonde sur la profonde conviction que la complexité des figures de la ville contemporaine trouve son pendant dans un nécessaire appel à l’interdisciplinarité. Les classifications usuelles éclatent pour laisser libre cours à des hybridations conceptuelles permettant de voir apparaître de nouvelles figures de la modernité. Au travers de cette pédagogie, la position centrale donnée au projet permet d’insister sur les enjeux transdisciplinaires propres à l’architecture aussi bien au niveau des outils que des processus. Le monde est donné à voir au jour d’un nouveau regard, celui qui, empruntant à d’autres champs disciplinaires ses concepts ou ses théories, permet d’interroger la mutation

des stratégies architecturales. Il ne s’agit dès lors plus de comprendre le projet comme simple support d’une quelconque recherche sinon comme processus même de la recherche.

Le local au cœur du débat sur le soutenable

Habiter « ici et maintenant » ne saurait se départir d’une prise en considération accrue du sens d’un héritage afin de poser sur lui un regard réactualisé. Habiter ne saurait non plus se comprendre comme simple état de fait, sinon comme attitude face à un environnement qu’il s’agit d’investir. Face aux inquiétudes liées au phénomène de mondialisation, la question de la métropole constitue déjà une donnée primordiale à interroger. Les dérèglements climatiques et la recherche de nouvelles attitudes dites écologiques (utilisation de matériaux sains tant dans le domaine de la construction, de l’habillement ou de la cosmétique, prise en considération des méfaits de la pollution de l’air, de l’eau et des sols) constituent autant d’arguments participant du profond sentiment de crise à laquelle se confronte la ville contemporaine. Cette situation peut générer l’impression de ne pas disposer des outils et des concepts à même de participer à une compréhension accrue de la ville. Construire une vision prospective sur la ville et les modalités de ses relations vertueuses à l’environnement semble dès lors constituer un enjeu fondamental et participer d’un réel positionnement d’architecte. Il nous faut produire, inventer, innover. C’est en ce sens que le domaine d’études Métropoles du Sud propose d’interroger la notion de développement durable au travers de la notion de localité, voire même d’hyperlocalité. Le local est convoqué en tant que dispositif dynamique, possible réponse à la mondialisation des territoires, trouvant son corollaire dans le déracinement tant géographique que social de ses habitants. Questionner l’hyerplocalité, c’est questionner le rapport spécifique à l’environnement. C’est,

Métropoles du Sud

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prendre la mesure de la nécessité, en tant que futur architecte, de développer une posture critique personnelle. Lors de sa première édition, le Symposium « Métropoles du Sud 00», sous le thème « Patrimoine et Architecture Contemporaine », a réuni Bernard Desmoulin, architecte, Dominique Claudius-Petit, Président de l’Association des Amis de Le Corbusier, Jean-Marc Ibos, architecte, Francis Soler, architecte, et João Luís Carrilho da Graça, architecte. En 2010, la seconde édition du Symposium a proposé un regard transversal sur les modalités de définition du concept des Métropoles du Sud au travers des interventions de Gilles Perraudin, architecte, Chris Younès, philosophe, Manuel Gausa, architecte, Marc Barani, architecte, ainsi que Bernardo Secchi et Paola Viganó, architectes et urbanistes. Cet ouvrage retrace le contenu de leurs positionnements respectifs.

Elodie Nourrigat, Jacques Brion, Laurent Duport, Gilles Perraudin, Michel Maraval, Pascal Perris, Pierre Soto, architectes et enseignants ENSAM assistés de Julie Morel et de Garance Davet, architectes et vacataires ENSAM

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Métropoles du Sud

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Bonjour. Je suis très heureux d’introduire ce Symposium sur la thématique des Métropoles du Sud qui se déroule cette année dans la magnifique salle des Actes de la Faculté de Médecine de Montpellier. Je tiens tout d’abord à remercier tous les illustres architectes, concepteurs ou spécialistes du milieu de l’architecture qui nous honorent de leur présence aujourd’hui : Chris Younès, Marc Barani, Manuel Gausa, Gilles Perraudin, Bernardo Secchi et Paola Vigano. Je tiens également à remercier toute l’équipe

du domaine d’études « Métropoles du Sud » de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier , Elodie Nourrigat, Jacques Brion, Laurent Duport, Michel Maraval, Gilles Perraudin, Pascal Perris et Pierre Soto, pour leur travail et leur engagement commun. Il y a quelques mois, lors de ma récente prise de direction de l’école, nous avons essayé de poser les bases d’une réflexion partagée à même de réorganiser la pédagogie de l’ENSAM autour d’un questionnement spécifique, celui,

Introduction..........................................................

Gil les Cusy

Gilles CUSY architecte & directeur de l’ENSAM

Philippe SAUREL adjoint à l’urbanisme et au développement durable de la ville de Montpellier

Elodie NOURRIGAT architecte & enseignante à l’ENSAM

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Photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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inévitable, du développement durable. Tous ceux qui travaillent sur ce sujet ont pu constater que ce qui fait règle en cette matière s’est construit sur les bases d’expériences déjà anciennes mais qui ont toutes eu lieu dans des secteurs nord-européens. Il s’agit dès lors aujourd’hui de proposer un renversement de regard afin d’opérer à l’étude d’une architecture durable spécifique aux territoires du pourtour méditerranéen. Au travers de Métropoles du Sud, l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier vise à développer des compétences innovantes et spécifiques, et je suis heureux que cette journée témoigne du profond engagement de l’école sur cette problématique.

Elodie Nourrigat

C’est un grand plaisir pour moi aujourd’hui de vous présenter cette journée de Symposium, construite à partir de différentes volontés que je souhaiterais vous exposer. Il s’agit tout d’abord d’une volonté de positionnement. Le choix du thème « Métropoles du Sud » est loin d’être anodin. Derrière ce titre quelque peu accrocheur, nous souhaitons afficher un positionnement d’architecte, celui qui se base sur le constat que nous sommes aujourd’hui amenés, au travers du filtre des nouvelles normes environnementales, à subir le dictat d’un modèle issu de l’ingénierie anglo-saxonne et basé sur un environnement Nord-européen. Ce modèle, bien que parfaitement adapté à certains lieux, environnements ou conditions de vie, s’avère bien souvent totalement inopérant dans le Sud, nous poussant même parfois vers des aberrations architecturales et urbaines. Le Sud n’est pas une simple localisation. Le Sud est un concept, celui qui privilégie la spécificité au regard de la norme, celui qui recherche la localité comme valeur d’ancrage face à la mondialisation. C’est enfin celui qui, au travers de la mise en avant des spécificités, permettra de valoriser la richesse des diversités de l’habiter face aux règles et aux modèles imposés à tous. Ce concept là considère que pour agir sur un environnement global, nous devons travailler à la constitution d’environnements spécifiques respectueux des localités dans lesquelles ils s’insèrent.

Métropoles du Sud affiche également une volonté de rassemblement. Métropoles du Sud est un domaine d’études de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier, sous la responsabilité de Gilles Perraudin, que nous aurons la chance de pouvoir écouter tout à l’heure, et réunissant un groupe d’architectes et d’enseignants : Laurent Duport, Jacques Brion, Michel Maraval, Pascal Perris, Pierre Soto et moi-même. Pour l’enseignement spécifique

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du Séminaire, nous avons également associé deux jeunes architectes enseignantes, Garance Davet et Julie Morel. Se rassembler pour construire une pédagogie commune fondée sur cette même volonté est un grand bien pour l’enseignement de l’architecture. C’est pourquoi nous souhaitons que ce travail s’inscrive dans le temps. La pédagogie que nous proposons amène chaque année les étudiants à travailler sur une Métropole du Sud spécifique. Cette année, les études se portent sur la ville de Gênes en Italie. En 2011, elles porteront sur Valencia en Espagne, puis sur Istanbul en Turquie en 2012, et, forts des connaissances acquises, nous reviendrons sur Montpellier en 2013 afin de travailler sur cette ville que nous connaissons bien avec un regard neuf. Le Symposium que nous allons vous présenter aujourd’hui est issu de cette volonté pédagogique quelque peu en dehors des schémas classiques. Initié l’an passé sous le thème « Patrimoine et architecture contemporaine », le symposium avait permis de réunir Francis Soler, Jean-Marc Ibos, Dominique Claudius-Petit, Bernard Desmoulin et João Luís Carrilho da Graça. L’expérience fut concluante, au point que nous avons voulu la renouveler cette année. Il est important de préciser que nous devons l’organisation de cette journée au travail de soixante-dix étudiants de Master de l’ENSAM, dans le cadre de leur enseignement de séminaire. La construction d’un débat en tant que pédagogie nous semble être un outil essentiel de la formation d’architecte. Ainsi, il leur revenait la charge de l’organisation, de la création de la ligne graphique, des documents de communication, du site Internet, et même la recherche de partenaires et de financements. Je tenais, au nom de tous les enseignants ici présents, à les remercier et les féliciter pour le travail accompli, et plus spécifiquement Julie Dieu, Ambroise Brunel, Coline Giardi, Nadine Chambon et Joris Périé, cinq étudiants qui vont assumer le difficile rôle de répondant face à nos éminents invités.

Enfin, je terminerai en vous expliquant notre présence ici, dans la magnifique salle des Actes de la Faculté de Médecine de Montpellier. L’école d’architecture possède certes un très bel amphithéâtre et nous aurions pu simplement en bénéficier, mais il nous semblait important de sortir de nos murs, de venir au cœur de la cité pour que le débat y prenne place et qu’il s’ouvre ainsi à tous. J’en profite pour remercier la Faculté de Médecine qui à mis à notre disposition ce lieu si spécifique et chargé d’histoire. C’est donc sous le regard des illustres médecins qui ont su positionner la Faculté de Médecine au cœur de l’Europe que nous allons aujourd’hui écouter et dialoguer avec nos intervenants, tous choisis pour la qualité de leurs travaux, la valeur de leurs réflexions et la force de leurs projets, qu’ils soient construits ou théoriques. Je remercie très sincèrement Gilles Perraudin, Chris Younès, Marc Barani, Manuel Gausa, Bernardo Secchi et Paola Vigano d’avoir accepté notre invitation et de nous faire partager avec eux cette journée qui, je le souhaite, sera riche et intense. Je vous souhaite à tous une très belle journée de débats, et vais laisser la parole à Philippe Saurel, adjoint à l’urbanisme et au développement durable de la ville de Montpellier.

Métropoles du Sud

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Phil ippe Saurel

Je voudrais tout d’abord remercier toute l’équipe de Métropoles du Sud, saluer le directeur de l’école, mon ami Gilles Cusy, les architectes et les passionnés d’architecture, ainsi que tous les étudiants qui ont participé à l’organisation de cette journée pour laquelle Elodie Nourrigat m’a convié. Je suis très heureux que ce Symposium prenne place dans le temple créateur de la ville, écrin du discours et de la réflexion qui vont ici se produire. La ville de Montpellier s’est en effet construite autour de son université, et nous avons aujourd’hui la chance extraordinaire d’être en son cœur, dans la Salle des Actes dédiée aux soutenances de thèses de Médecine, salle qui a vu se développer la renommée de Montpellier au travers de la consécration d’illustres médecins : Rabelais, Arnaud de Villeneuve, Guy de Chauliac ou encore François Lapeyronie. Utiliser cette salle symbolique pour développer une pensée architecturale autour de la question des Métropoles du Sud n’est pas chose anodine, et bien que le sommet de Copenhague se soit soldé par un échec, il est primordial que se constitue une véritable réflexion sur la dimension locale du développement durable.

Si vous lisez Vitruve, vous comprendrez alors que le développement durable n’est pas une donnée nouvelle dans l’organisation des villes. Dans son traité d’architecture, Vitruve développe une série de thématiques revenues au goût du

jour sur les qualités énergétiques de bâtiments, l’orientation par rapport au soleil ou aux vents dominants, expliquant par exemple en quoi ces composantes peuvent influer sur l’asthme des enfants… La ville de Montpellier a construit son projet urbain autour de l’architecture, et elle compte aujourd’hui quatorze nouveaux quartiers en cours de construction, huit cents hectares de renouvellement urbain ainsi que des projets de grands équipements publics.

L’école d’architecture de Montpellier dans laquelle j’ai parfois l’honneur d’enseigner travaille désormais avec la ville, et nous comptons poursuivre dans cette voie au travers du soutien que nous portons à diverses manifestations mais également au travers de la mise en place de concours destinés aux jeunes architectes afin de leur permettre de travailler sur nos ZAC. Cette dimension locale est véritablement importante dans une période où le sommet de Copenhague a révélé tant la difficulté des Etats et des gouvernements à prendre conscience des enjeux environnementaux qu’une réelle volonté des spécialistes de repositionner le débat sur le développement durable. C’est à partir d’actions locales, comme en témoigne ce Symposium, que pourra se constituer un socle à même de voir se développer des actions plus globales et généralisées. La responsabilité de tous est aujourd’hui fondamentale. Antoine de Saint-Exupéry disait que chacun posant sa pierre a l’impression de construire le monde… C’est en cela que les architectes engagent leur responsabilité et que la collectivité que je représente entend continuer à travailler avec eux afin de leur donner les moyens de poursuivre leurs actions. L’initiative de Métropoles du Sud se charge d’un écho très pertinent pour la ville de Montpellier, et je vous souhaite à tous une journée de débat fructueuse et tournée vers l’optimisme.

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Photos : 1 // Chai viticole - Vauvert - 1998. 2 // Ecole d’architecture - Lyon - 1982/1987. 3 // Restructuration et extension du Château Guiraud - Sauternes - 2007. 4 // Musée du vin et jardin ampélographique - Patrimonio - 2007. 5 // Logements sociaux collectifs - Comebarrieu - 2007.

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Nous allons débuter ce Symposium avec l’intervention de Gilles Perraudin, professeur titulaire à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier depuis 1996. Il est cependant issu de l’Ecole d’Architecture de Lyon où il devient architecte DPLG en 1977. Il est à la fois membre de l’Académie française d’architecture et Chevalier de l’ordre national du mérite. Il a reçu de nombreuses distinctions dont notamment le prix spécial du jury de l’Equerre d’argent en 1987 pour le bâtiment de l’Ecole

d’architecture de Lyon. Gilles Perraudin a reçu le prix international de l’architecture de pierre en 2001 ainsi que le prix Tessenow en 2004. Son agence, installée à Lyon depuis 1980, s’est toujours intéressée à une architecture soucieuse des problématiques environnementales, et c’est un projet de maison bioclimatique qui lui aura valu en 1980 le premier prix du concours européen de l’énergie solaire passive, sa première reconnaissance internationale. Aujourd’hui, Gilles Perraudin et son équipe poursuivent leurs

Gilles PERRAUDIN

..........................................................Eco-quartier méditerranéen

Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

Répondant : Jul ie Dieu, étudiante à l ’ENSAM

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recherches de solutions pour l’amélioration de l’environnement bâti, au risque de poursuivre des voies singulières comme l’utilisation d’un matériau particulièrement révolutionnaire : la pierre massive.

Je vais à présent laisser la place à Gilles Perraudin qui, dans le cadre de la thématique des Métropoles du Sud, a choisi de porter son intervention sur la question des éco-quartiers méditerranéens.

Gil les Perraudin

Un éco-quartier, ou «quartier écologique», est un néologisme désignant un projet d’aménagement urbain visant à intégrer les enjeux environnementaux et à réduire l’empreinte écologique du projet. Face à l’approche septentrionale qui domine aujourd’hui l’ensemble de la production architecturale du Sud, il est nécessaire de retrouver des valeurs locales. Devant l’urgence de la sauvegarde de la planète, la construction d’éco-quartiers devient donc essentielle. Avant la révolution industrielle, les conditions de production des centres urbains anciens étaient telles que peu d’énergies fossiles étaient utilisées. La définition d’un futur modèle d’éco-quartier du Sud trouverait alors ses bases dans les villes traditionnelles méditerranéennes.

Inspirat ion des vi l les tradit ionnel les

Forte densité des centres-villes anciens.Il est vital aujourd’hui de penser des quartiers qui s’affranchissent de l’héritage du zoning du 20ème siècle. La multifonctionnalité ou construction des habitations sur les zones d’activité constitue une alternative salutaire. La superposition des fonctions participe à la réduction des distances entre lieux de résidence, lieux d’activités et lieux d’éducation et de loisirs, entraînant ainsi une diminution des besoins liés aux transports, lesquels totalisent 40% des dépenses énergétiques dans la ville contemporaine.

Une autre dimension importante à l’appréhension des caractéristiques de la ville préindustrielle tient au fait que les déplacements n’étaient pas aussi aisés qu’aujourd’hui mais que, par bonheur, ils avaient le mérite de ne pas entraîner de dépenses énergétiques. Nos villes souffrant de systèmes de transport totalement inadaptés, pourquoi ne pas revenir aux déplacements doux, tels que la marche à pied, le vélo,

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voire même les animaux ? Très forte densité et multifonctionnalité impliquent dès lors l’élaboration de quartiers caractérisés par une importante population et de courtes distances. La définition d’une échelle de quartier favorable permet d’offrir à tous des distances pouvant être parcourues quotidiennement à pied ou à vélo.

Recherche de la fraîcheur. D’un point de vue énergétique, il faut trois fois plus d’énergie pour produire une frigorie qu’une calorie. Ignorant cette donnée, nos ancêtres avaient pourtant bien compris de façon intuitive qu’il valait mieux construire des bâtiments adaptés au confort d’été qu’au confort d’hiver. Ce principe essentiel semble malheureusement avoir sombré dans l’oubli… La recherche de l’ombre constitue la différence fondamentale entre le Nord et le Sud. La protection solaire dans les villes méditerranéennes peut être assurée par divers dispositifs : •Des ruelles étroites offrant ombrage et fraîcheur.•De grandes toiles ou voiles amovibles tendues entre les bâtiments au-dessus des rues : un système très simple offrant aux piétons des espaces de circulation ombragés et confortables. •Des arcades : elles génèrent des espaces protégés des intempéries et permettent d’établir une séparation entre circulation piétonne et circulation des véhicules, une dimension chère à Le Corbusier. •La régulation des entrées de soleil dans les logements par le biais de volets persiennés permettant la protection des rayons solaires tout en favorisant la circulation de l’air.

Hauteur et profondeur des habitations.L’étroitesse des rues offre en contrepartie d’importantes cours intérieures. Elles suivent la même logique que le modèle du patio que l’on trouve en Méditerranée et en Afrique du Nord jusqu’à devenir un modèle de référence. La cour intérieure devient un lieu de vie apportant de la lumière et assurant la ventilation des logements. A l’image des traditionnelles traboules lyonnaises,

ces cours intérieures pourraient, à l’échelle de la ville, donner lieu à des cheminements urbains végétalisés. Une autre particularité des villes du Sud tient pas ailleurs de la très grande hauteur des appartements, favorisant la densité et répondant à des exigences de confort climatique. En effet, la grande hauteur entraîne une stratification de l’air faisant monter la chaleur vers le plafond et assurant ainsi une climatisation naturelle. La zone de confort se situant vers le sol, l’utilisation de matériaux à forte inertie au plancher, emmagasinant la fraîcheur pendant la nuit, vient compléter le dispositif. Les appartements des villes du Sud sont traversants afin d’assurer une importante ventilation et d’utiliser les variations de température entre les façades tantôt à l’ombre, tantôt au soleil. A la dimension traversante vient s’ajouter celle de l’épaisseur du bâti et de la grande profondeur des logements allant parfois jusqu’à 18 mètres. Les percements verticaux et de grande hauteur, sortes de cheminées intérieures, permettent une bonne ventilation et participent au confort des logements.

Recherche de l ’ inert ie. Habiter la pente, habiter la ville massive, ou encore les habitats troglodytiques constituent différentes manières d’habiter la matière avec pour point commun la recherche d’inertie. L’utilisation de matériaux à très forte inertie permet une régulation de la température dans le temps. La fraîcheur restituée par la température intrinsèque du matériau rafraîchi pendant la nuit évite l’augmentation de la température de l’espace d’habitation. C’est ce que proposent les villes accrochées à flanc de colline ou encore l’habitat troglodyte. Ces deux manières d’habiter la matière trouvent de surcroît leur pendant dans une manière spécifique de cultiver la terre : la première rend compte de la nécessité de ne pas habiter les terres cultivables tandis que la seconde est une réponse à la préservation des sols. Nos ancêtres avaient développé une intelligence des lieux en considérant les valeurs de l’inertie et du rafraîchissement. Une isolation « traditionnelle» serait en contradiction avec l’utilisation de ce type de matériau, coupant la respiration entre l’intérieur et l’extérieur du mur.

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Les villes du Sud ne sont pas faites de vides mais de pleins. Un éco-quartier méditerranéen serait en premier lieu une masse bâtie creusée de trous et de failles. Cette masse extrudée constitue une image extrêmement forte permettant de penser la ville différemment.

Uti l isat ion des ressources locales.

Production de ressources vivrières. L’utilisation et la mise en culture des toitures peut constituer une réponse à l’optimisation de l’espace public. Pourquoi utiliser les toitures en tant que fond de culture pour des jardins, des vergers ou encore des fermes agricoles ? Il s’agit de :•Réduire les dépenses liées aux transports des ressources vivrières.•Protéger les constructions des ardeurs des rayons solaires par l’épaisse couche végétale nécessaire à ces cultures.•Réduire les distances entre production et consommation en cultivant « sur » la ville.•Transformer les toitures paysagées en lieux de promenade pour les citadins.

Ressources environnementales. Utiliser la pierre massive. La pierre est un matériau naturel nécessitant peu de transformation et pas de traitement. Le béton possède une forte capacité d’inertie pour autant qu’on l’utilise dans des épaisseurs identiques à celles de la pierre, mais pour 50 à 60 cm d’épaisseur de pierre, on coule 20 cm de béton. La ventilation nocturne, ou « free cooling », est un phénomène permettant à la pierre d’absorber l’humidité et de la restituer doucement tout au long de la journée. Seul le caractère respirant d’un mur peut assurer cette surventilation nocturne, établissant ainsi une différence fondamentale entre le béton et la pierre.

Bâtir sur la carrière. Utiliser les matériaux du site permet la suppression des transports, la limitation de l’empreinte écologique du matériau ainsi qu’une baisse considérable des coûts.

L’exploitation des matériaux locaux constitue un procédé extraordinairement économique : la matière première étant incluse dans le terrain, seuls des moyens techniques et humains sont nécessaires à sa mise en œuvre. Le trou formé par la prise sur site du matériau peut par ailleurs devenir une cave ou une citerne en sous-sol.

La géométrie des rues. L’organisation des axes a pour objectif la création d’un microclimat. La discontinuité des rues permet en effet de limiter les vents forts en le dispersant dans un réseau de galeries.

Des énergies disponibles : le vent et le soleil. Les sources d’énergies dites «renouvelables» présentent l’avantage d’être disponibles en quantité illimitée. Leur exploitation est un moyen de répondre aux besoins en énergie tout en préservant l’environnement. A titre d’exemple, voici quelques possibles solutions d’utilisation de ces énergies : •Rafraîchissement de l’air par un système d’aspiration au travers de cheminées. La présence d’eau dans les caves augmente la rentabilité de ce système. •Capteur à eau : chauffage de l’eau sanitaire pour les besoins domestiques. •Cellules photovoltaïques : alimentation des véhicules électriques de secours. •Energie éolienne : ne porte pas d’ombre sur les espaces en dessous, préserve la totalité des espaces cultivables. Cette énergie peut permettre de remonter l’eau, ou encore être transformée en électricité.

Récupérer les eaux de pluie dans des citernes sous la ville. L’eau est à la source d’une réflexion cruciale dans les villes méditerranéennes. Sa rareté appelle la capacité des villes à la capter et à la stocker. La récupération et la gestion des eaux pluviales peuvent ainsi comprendre : •La collecte de l’eau directement à l’intérieur du quartier par les toitures et les rues intérieures.

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•Le stockage de l’eau dans des grands bassins situés sous les habitations, chaque maison disposant ainsi de sa citerne individuelle lui assurant de satisfaire les besoins quotidiens en eau de ses occupants. •La conservation de l’eau pour une utilisation domestique et industrielle. •L’infiltration de l’eau dans la nappe phréatique ensuite pompée et restituée aux habitants. •L’utilisation d’éoliennes remontant l’eau traitée pour la stocker dans des bassins sur les toitures. Par gravité, cette eau alimenterait ensuite les habitations. L’ensemble fonde ainsi un système cohérent géré localement.

Gestion « interne » des déchets. Il est nécessaire de mettre fin aux réseaux d’assainissement qui traversent les villes et les campagnes pour se jeter dans d’énormes stations d’épuration qui constituent une terrible menace en terme de pollution. La violence des pluies dans le Sud a déjà conduit à des crues faisant déborder les réseaux et rejetant dans la nature des substances polluantes. Repeser les modes de gestion de l’eau dans les éco-quartiers devient urgent. Une solution possible serait de gérer les affluents et le recyclage sur place, dans l’immeuble d’habitation lui-même pour revenir à une autonomie des constructions. Chaque îlot aurait ainsi sa propre station de recyclage des déchets et les eaux usées serviraient pour l’arrosage des cultures.

L’exploration des villes méditerranéennes nous amène à réfléchir sur la notion d’enchaînement des phases de construction et de disponibilité des matériaux de construction. Très souvent en Méditerranée, les caves des habitations ne sont que la trace des anciennes carrières d’où ont été extraits les matériaux de construction de la ville : nous utilisons la carrière, faisons un trou, ce trou devient cave, la cave produit de la fraîcheur, cette fraîcheur vient climatiser naturellement l’habitation. L’économie de moyens est ici absolue, l’enchaînement parfait.

Jul ie Dieu : Merci beaucoup Gilles Perraudin pour cette intervention au cours de laquelle vous nous avez exposé les valeurs de la ville traditionnelle et un retour au bon sens de la fabrication de la ville. Vous avez développé l’importance de la recherche de l’ombre et de la fraîcheur, notamment au travers de l’utilisation de la pierre. Pensez-vous cependant que nous pourrions envisager l’utilisation d’un autre matériau répondant aux conditions spécifiques des métropoles du Sud, notamment sur les sites qui ne disposent pas de carrière à proximité ?

Gil les Perraudin : Je parle souvent de la pierre parce c’est un matériau que j’affectionne particulièrement et que j’utilise dans mes projets depuis de nombreuses années. J’ai cependant eu l’occasion de construire des logements en pisé, la terre étant effectivement un matériau qui offre des vertus très similaires à celles que j’ai pu exposer avec la pierre, à savoir importante inertie, disponibilité locale… La Méditerranée offre de nombreux exemples d’utilisation de la terre, et je pourrais ici faire référence à ce grand architecte du Sud qu’est Hassan Fathy, avec notamment son village du nouveau Gourna, construit entièrement en briques de terre séchées, magnifique exemple d’adaptation au climat en même temps qu’il est une réponse à des usages et à une culture locale.

Jul ie Dieu : Je vais maintenant laisser la parole à la salle. J’imagine qu’il doit y avoir beaucoup de questions.

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Questions du public

Question : Certains architectes du Sud défendent et affirment le béton comme matériau du développement durable. Qu’en pensez-vous?

Gil les Perraudin : La question est simple mais pourrait être longue à exposer. Le béton est issu de la pierre, mais il n’en demeure pas moins un matériau peu environnemental par l’abondance de l’énergie qu’il nécessite pour être produit. Prenez deux pierres. La première est destinée à devenir du béton : il faut la concasser, cuire les cailloux obtenus, les réduire en poudre, les ensacher, les transporter sur de longues distances, les mélanger… La seconde pierre, vous la prenez, vous la posez, vous avez fini votre bâtiment. Il n’y a pas besoin d’autre discours. Je voudrais tout de même ajouter que contrairement au béton, la pierre respire. Le béton a une forte capacité d’inertie pour autant qu’on l’utilise dans des épaisseurs identiques à celles de la pierre, mais pour 50 à 60 cm d’épaisseur de pierre, on coule 20 cm de béton. La ventilation nocturne ou « free cooling » est un phénomène permettant à la pierre d’absorber l’humidité et de la restituer doucement tout au long de la journée. Seul le caractère respirant d’un mur peut assurer cette surventilation nocturne, établissant ainsi une différence fondamentale entre le béton et la pierre.

Question : Pensez-vous que toutes les conditions administratives et politiques soient réunies pour le développement de tels éco-quartiers ?

Gil les Perraudin : Il me semble que la vraie question réside dans l’analyse des limites de nos capacités. Il est très intéressant que des hommes politiques soient présents aujourd’hui car c’est à eux qu’appartiennent les décisions mises en place dans de tels processus. Nous sommes force de proposition, mais la société doit porter les idées que nous sommes à même de leur fournir. Le processus risque néanmoins

d’être très long, et il est nécessaire que nous puissions regrouper nos forces afin de proposer des solutions aux politiques qui sont en recherche d’innovations. Je crois que nous sommes tous quelque peu démunis aujourd’hui, mais que notre travail permet aux politiques d’engager des processus de mise en œuvre de nos idées. Notre société est poussée par des forces productives. Nous parlions du béton à l’instant, et il faut savoir qu’aujourd’hui les forces de production du béton ou du ciment sont infiniment plus importantes que celles des carrières. Les matériaux qui ont une réelle qualité du point de vue environnemental sont souvent dans des processus industriels qui ne représentent aucun enjeu économique et qui n’ont pas de représentants capables d’assumer les décisions politiques nécessaires à leur utilisation. Ce problème de société est une clé du développement durable.

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Textes : 1 // La ville nature. 2 // La ville nature. 3 // L’âge 2 de l’utopie. 4 // Limites, passages et transformations en jeu dans l’architecture.5 // Limites, passages et transformations en jeu dans l’architecture.

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Chris Younès, dans cette intervention intitulée « Résilience et reliance », va s’attacher à une pensée philosophique alliant nature, urbain et architecture. Chris Younès est Docteur en philosophie, habilitée à diriger les recherches, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette et à l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris. Ses travaux et recherches développent une interface entre architecture et philosophie sur la question des lieux habités au point de rencontre entre

éthique et esthétique. Elle est directrice du laboratoire GERPHAU (Groupe d’Etude et de Recherche sur la Philosophie et l’Architecture Urbaine) qui se positionne dans une dynamique d’interdisciplinarité entre philosophie, architecture et urbanisme permettant d’élargir et de repenser les champs propres de problématisation théorique et pratique. Ce laboratoire articule trois principaux thèmes de recherche : habiter, ville/nature et dynamique urbaine et architecturale.

ChrisYOUNES

..........................................................Résilience et reliance

Chris YoUNES

PhilosopheProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-la-Villette

Répondant : Ambroise Brunel, étudiant à l ’ENSAM

« La nature ne peut être réduite à des métaphores, au verdissement, au végétal, à l’invocation de la campagne ou à des signes sérigraphiés. Avec le mot nature sont désignés l’eau, l’air, la terre, le feu, la faune, la flore… les rythmes des saisons, des jours et des nuits, du cœur et du souffle, de la veille et du sommeil ou de la naissance et de la mort »

« L’invention de dispositifs capables d’articuler différentes échelles problématiques et spatio-temporelles dans une architecture des milieux, correspondant non à des figures territoriales ou à des formes urbaines a priori mais à des interrelations et des équilibres dynamiques mettant en jeu des modalités de gouvernance et des reconfigurations. Les limites et passages entre ville et nature constituent avec le souci du vivre ensemble des chantiers déterminants. Nature, paysages et vides se trouvent désormais au cœur de stratégies urbaines régénératrices, que ce soit dans les territoires périurbains distendus ou dans les villes compactes »

« La perspective critique et heuristique d’un développement soutenable se présente comme une utopie du deuxième type où ce qui est cherché, ce n’est pas de quitter la Terre mais de l’habiter autrement. Formidable espérance une fois encore autour du chantier d’une société humaine plus juste, plus responsable et plus solidaire dans laquelle se jouent les connexions locales, territoriales et insulaires »

« La nature d’une chose est ce principe même qui la met en mouvement ou qui l’arrête, chaque chose naturelle ayant ainsi en elle-même son propre principe de mobilité, à savoir la potentialité de devenir autre, de se déplacer, de s’accroître ou de diminuer »

« Les préoccupations relatives à l’écologie focalisent désormais l’attention sur la précarité des milieux de vie conduisant à explorer les entrelacs de l’artefact avec les dynamiques tectoniques et biologiques plutôt qu’à poursuivre les volontés prométhéennes »

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Chris Younès est également responsable du réseau international PhilAU (Philosophie, Architecture, Urbain) entre les écoles d’architecture et les universités. Elle est, enfin, membre du conseil scientifique de l’Association Européenne pour l’Enseignement de l’Architecture. Chris Younès, merci de votre venue, je vous laisse la parole.

Chris Younès

C’est avec grand plaisir que j’ai reçu cette invitation à participer au Symposium Métropoles du Sud, et, il est vrai que l’échéance approchant, j’ai été confrontée à la difficulté de répondre à ce que pouvait être « le Sud ». Je suis très sensible à ce que l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier se positionne sur cette problématique qui apparaît déterminante. Je souhaiterais, lors de cette intervention, partager avec vous deux questionnements. Le premier s’articulera autour de l’Europe méditerranéenne et prendra appui sur les travaux de Marcel Roncayolo, qui, dans ses recherches, d’une certaine manière, tente de définir ce qui pourrait être spécifique au Sud. Ensuite j’amorcerai quelques pistes conceptuelles sur le nouveau paradigme que constitue désormais l’éco-métropole.

Une certaine modernité, incarnée tant par les métropoles du Nord que par la révolution industrielle et le capitalisme financier, s’est constituée sur les bases d’une économie de la croissance et du profit privilégiant la transformation des milieux habités, des établissements humains, au travers de leur spécialisation ou de leur fonctionnalisation. Cette séparation des fonctions est alors apparue comme clé de l’avenir de l’humanité. Ce que l’on trouvait déjà en germe dans la science et la technique se retrouvait soudain appliqué à la transformation des territoires, conduisant à un épuisement des milieux naturels et humains. La figure de « l’épuisé » de Samuel Beckett incarne tout particulièrement cet urbain planétaire devenu anonyme, uniformisé, soumis à l’errance. Cette image de l’épuisement hante avec force le monde de l’art et de la philosophie contemporaine. Avec le début du 21ème siècle sont marqués de forts déplacements qui engagent l’importance des résistances et des ménagements éthiques et politiques mais aussi le désir de réenchantements poétiques.

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La question des métropoles du Sud est extrêmement vaste. Elle pourrait renvoyer à l’opposition entre Amérique du Sud et Amérique du Nord ou encore à d’autres formes, en Asie ou en Afrique. Le géographe Marcel Roncayolo apporte un éclairage informé, considérant que «d’un point de vue historique c’est d’abord à l’intérieur même de l’Europe méditerranéenne qu’une opposition peut se lire entre un Nord et un Sud, qu’il s’agisse des midis italiens et espagnols, de la Grèce ou de la France méridionale. Il y a alors une sorte d’entre-deux avec, d’un côté, une Europe qui s’est industrialisée et domine financièrement et de l’autre, le Sud en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Du côté européen, c’est l’évolution récente des mezzogiornos. Au Sud, on assiste à un déplacement des tensions entre tradition et modernité à l’intérieur même des pays pris entre les anciennes dominations postcoloniales et leurs propres traditions culturelles. Richesse (…. et émirats) et pauvreté y divisent les sociétés encore plus peut-être que l’espace géographique. Inversement pour le Nord, c’est dans les villes et métropoles que s’établissent en fait des enclaves du Tiers-Monde»1 . Dans ce numéro de la revue Urbanisme (novembre-décembre 2009) consacré aux villes méditerranéennes, l’article sur « le commerce à la valise, face discrète de l’économie » évoque à titre d’exemple une vitalité économique qui serait spécifique à certaines métropoles du Sud. En fait, parler de métropoles du Sud c’est considérer les connexions du géopolitique, du géographique, de l’historique, du culturel et de l’économique. Il n’y a pas unité cependant entre les métropoles du Sud. Qu’il s’agisse de métropoles du Sud ou de métropoles du Nord, le pluriel vaudra tant pour marquer leur singularité que pour signifier leur mise en concurrence. Nous sommes face au double jeu d’un discours qui à la fois unifie et marque la violence des adversités.

1. Dossier « Villes méditerranéennes », Urbanisme n°369, décembre 2009

Mais toutes sont confrontées à un changement de paradigme dans la façon d’envisager les rapports entre culture et nature, opéré sous la pression d’un contexte de mondialisation. Il amorce un nouvel âge d’écologies urbaines.

Cultures et natures

Je souhaiterais poursuivre en faisant un détour par cette antique Europe méditerranéenne. La façon d’y envisager les rapports avec la mer Méditerranée est tout à fait significative des mutations successives de représentation qui se sont opérées et de celles qui sont en cours. Ainsi, dans le monde grec ancien, dont les limites étaient dessinées par les « colonnes d’Hercule», elle était considérée comme une source de dangers militaires (invasions et conquêtes) et un lieu de catastrophes naturelles et surnaturelles (tempêtes et aventures dont l’Odyssée avec Ulysse sont emblématiques). En tant que force naturelle qui échappait à la maîtrise de l’homme, elle représentait le paradigme du désordre et contrastait en cela avec la cité-cosmos, espace d’ordre que les hommes arrachaient au désordre. Toute la philosophie politique consistait alors à déterminer les critères de cet ordre qui ne devait être autre que celui du monde. Aussi bien Platon qu’Aristote cherchaient à identifier et à définir la cité qui, en s’accordant mieux avec la nature, serait donc à l’abri de ses soubresauts. Le postulat sur lequel reposait cette grande thèse était que si les cités humaines étaient aussi mal gouvernées que l’étaient Athènes ou Thèbes, si elles étaient en proie aux guerres et aux rapines, c’est parce qu’elles étaient mal ordonnées, c’est-à-dire instituées contre-nature. La cité juste ou heureuse devait être celle qui correspondait le mieux à ce qu’exigeaient les lois de la nature, fondées sur les quatre éléments connus par les Grecs, terre, eau, feu et air, éléments ordonnés selon les contraires. Toutefois, à propos de la cité méditerranéenne, il est significatif que les philosophes qui ont bâti leurs théories politiques, aient peu traité

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de la mer, notamment le fondateur même de la philosophie politique, Platon. Il a en effet souvent « pris la mer », d’abord au cours de son (ou de ses) voyage(s) en Egypte, ensuite lors de ses péripéties siciliennes. On se serait donc attendu à trouver quelque développement à ce propos, ce qui n’est pas le cas2. C’est que l’opposition entre la ville et la mer relève de cette dialectique, soulignée depuis les Grecs entre nomos et phùsis, entre ordre culturel et ordre naturel. L’urbain est associé à l’orthogonalité d’Hippodamos, à la rectitude qui marque la sortie de la vie, alors que la mer apparaît être tout le contraire. En tant que lieu du règne du vivant et condition même de la vie, toutes les formes s’y déforment et toutes les valeurs s’y confondent, sa vocation est de tout dissoudre et réduire à ses éléments dont une nouvelle vie peut repartir. Par ailleurs, depuis Aristote jusqu’à Al Farabi, la ville est pensée comme le télos de la campagne, ceci s’entendant au moins de deux manières. Elle est le couronnement historique des contrées qui l’entourent dans la mesure où ce sont des hommes et des femmes qui sont venus de la campagne pour constituer progressivement la ville. De plus, la ville est aussi la fin de la campagne, dans la mesure où tout ce qui est produit par les ruraux va finir consommé par les urbains. Ainsi la ville harmonieuse était-elle aussi identifiée comme celle qui vivait en «autarkéa» avec sa campagne; celle qui ne manquait de rien parce que sa campagne lui donnait tout. Marcel Roncayolo reprend cette conception à propos de la ville contemporaine, estimant que «la singularité de la ville méditerranéenne est qu’elle est plus ou

2. Ainsi dans la Lettre VII consacrée à ce sujet, Platon raconte ses mésaventures avec les tyrans de Syracuse, à l’occasion de ses démarches en faveur de son ami et disciple Dion. Mais cette lettre ne mentionne la mer que deux fois, et tout à fait en passant. Lettre VII, 345e : « c’était alors déjà l’été et les navires prenaient la mer » et 346a : « car mon idée, moi, c’était de pren-dre la mer à bord d’un navire en partance… »

moins une ville-campagne». Ce qui met l’accent sur l’importance de ses liens avec le territoire rural ou l’arrière-pays montagnard. Cependant, il était considéré dans l’antiquité qu’une cité encore plus heureuse était celle qui arrivait non seulement à obtenir tout le nécessaire mais même à exporter un surplus de sa production. Car c’était une manière de rayonner sur les autres cités tout en les tenant en dépendance. De source de danger, la mer devenait également moyen d’échange et de communication, source de prospérité et de paix.

Peu à peu, allait naître avec la modernité le droit maritime. Ce dernier signifie le passage de la mer à «l’état de nature» - comme on disait au 18ème siècle - à celui d’ «état civil», à savoir le passage d’un espace où règnent la force et la violence des éléments à la constitution d’un lieu policé. La mer se voit ainsi progressivement intégrée, voire annexée à la ville, à l’ordre humain. Cette manière de voir a subsisté à travers les âges et les changements culturels jusqu’à la moitié du 20ème siècle où s’amorce un revirement d’envergure. Désormais, la Mer Méditerranée est considérée comme un bien commun, un «bouillon de cultures » (Roncayolo) et un milieu fragile qu’il s’agit de ménager afin d’en permettre résiliences et coexistences. Et l’on pourrait dire la même chose à propos des sols cultivables, des rivières, sources ou fleuves, et plus généralement des milieux habités.

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Eco-métropoles

Face à une certaine modernité, qui, avec une économie de la croissance et du profit sans limite, a privilégié la séparation et l’exploitation, épuisant les milieux naturels et humains, c’est à un autre paradigme socio-politique du vivre ensemble et à une autre écologie de l’action que nous sommes conviés. L’enjeu est d’optimiser les rapports de l’anthropisation au milieu naturel et les conditions du vivre ensemble. L’interrogation sur les résiliences comme capacités régénératrices des milieux est particulièrement significative des enjeux de reconfigurations des villes contemporaines. Le terme de résilience appartient au domaine de l’écologie environnementale et humaine puisqu’il définit la capacité d’un milieu ou d’une personne à se métamorphoser et à dépasser les traumatismes ou les chocs. L’inquiétude liée aux dévastations des écosystèmes et à la prise de conscience de la finitude de la planète Terre, de sa vulnérabilité comme de celle des hommes3, conduit fortement à s’interroger sur les rapports soutenables à établir entre nature, technè et société. Si être moderne, avec la charte d’Athènes, c’était privilégier la « tabula rasa » et s’affranchir du milieu, le défi consiste désormais à imaginer d’autres possibles à partir des résistances et des ressources du milieu, tel que par exemple reconstituer la côte méditerranéenne par d’autres modes d’occupation de la terre. Et ce, en ménageant entre terre et mer des corridors biologiques (dont l’urbanisation n’a laissé que 5%), en préservant les terres cultivables ainsi que les réserves d’eau, mais aussi en inversant le mouvement de privatisation du rivage méditerranéen. L’opposition plus ou moins latente entre nature et artefact, installée par la modernité, se

3. Cf. préface de Jean-Luc Nancy, dans l’ouvrage de Benoît Goetz, La Dislocation, éditions de la Passion, 2001

trouve fortement remise en question par des formes alternatives de différents types visant à capter, révéler, ménager par des articulations naturo-culturelles, qui permettent d’associer héritages culturels et substrats physiques, tels les éléments tectoniques, atmosphériques, biologiques. Le potentiel géographique et historique est particulièrement déterminant dans la vie d’une ville. Ainsi les métropoles méditerranéennes que sont Marseille, Beyrouth ou Naples sont indissociables de la Méditerranée et de la montagne, comme de leur histoire. Braudel4 a rendu compte du bouillon de culture qui se métamorphose en permanence, en prise avec le milieu et les déplacements de populations. Les grands mouvements et les conflits de migration venant du continent ou de la mer sont fortement constitutifs des territoires méditerranéens. Comme le sont aussi les limites et les relations entre ville et littoral, ville et campagne, agriculture et urbain, écologie et architecture, ou encore les conditions d’urbanité indissociables des mises en rapport avec la nature domestique et sauvage.

Limites et passages, reliances et déliances se trouvent donc au cœur des transformations urbaines5, que ce soit dans les territoires urbains distendus ou dans les villes compactes, ce qui engage des manières de faire, comme des représentations et des imaginaires partagés. Depuis les Grecs anciens à nos jours, nous sommes passés d’une situation où la nature faisait peur à une ivresse de maîtrise, puis à une prise

4. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II [1949], Paris, LGF, Le livre de poche, 1990

5. Cf. les analyses menées au sein du Laboratoire Gerphau (Philosophie Architecture Urbain), notamment les recherches portant sur Échelles et temporalités – Qualifier le développement durable, PUCA (2003-2006), Architecture de la grande échelle – Vers une architecture des milieux – DAPA-BRAUP (2007-2008), Analyse des projets d’Europan de 1989 à 2004

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de conscience alternative cherchant à établir de nouvelles alliances6. Milieux géographiques et culturels, les villes méditerranéennes en leurs diversités racontent les rencontres millénaires entre la terre et une mer partagée (mare nostrum), protéiforme, nourricière, intérieure. Elles ont organisé l’espace, le temps et les activités de leurs habitants, comme elles ont lié jusqu’à une époque récente l’urbain et le rural. Elles ont sécrété des manières plurielles d’habiter et de cohabiter. L’eau, l’arbre, le patio, la place y sont des valeurs culturelles qui ont traversé les siècles et les différentes cultures. Ce sont aussi leurs particularités - en termes de luminosité, d’ombre et de lumière, de plein et de vide, de circulation de l’air, de sensations odorantes, de voisinages, où le dehors est un dedans, où les échanges, les secrets se trament aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur - qui inspirent les poètes, peuplent les mémoires collectives et façonnent la vie quotidienne.

Dialect ique du local et du global

Dans les accordailles métropolitaines qu’il s’agit de projeter, l’équilibre entre le local et le global est crucial. L’opposition entre ces deux niveaux de réalité, qui est forte, peut se transformer en une complémentarité, voire une synergie7. D’un point de vue conceptuel, le local, dérivé du latin locus (lieu), désigne ce qui est particulier, relatif, déterminé et propre à un lieu, ce qui le distingue des autres, comme un produit agricole ou artisanal, un climat, un relief ou une architecture. Cela suppose une spécificité dont l’espace est forcément circonscrit : telle la chaleur du Sahara,

6. I. Prigogine, I. Stengers, La Nouvelle alliance, Métamorphose de la science, Folio, 1986

7. « J’aime bien le local quand il donne à voir et j’aime bien le global quand on peut le percevoir à partir du local. On ne doit perdre ni l’un ni l’autre. » Virilio, Cybermonde, la politique du pire, Paris, Textuel, 1996

ou le vin du Languedoc. Une pratique locale propre à une aire déterminée spatialement et temporellement relève d’un certain contexte, du village, du quartier, de la commune, de la région. Si l’on supposait l’extension du vignoble du Languedoc sur toute la France (ainsi que le climat qui le rend possible, les pratiques qui se sont greffées là-dessus…), il n’aurait plus de singularité puisqu’il se serait généralisé ou dirait-on globalisé. Le global dépasse en effet les frontières, en s’étendant sur un espace délimité, comme le globe terrestre d’où il est dérivé. Le vocable de globalisation du début des années 60, qui désigne « le fait de se répandre dans le monde entier », s’est précisé dans les années 1980 dans le sens d’un processus économique et financier de déterritorialisation et dérégulation des capitaux, qui s’impose à travers les multinationales sur le marché en négligeant les conséquences sociales et naturelles. S’y ajoutent les flux informationnels et les logiques de réseau souvent coupés de leur territoire environnant. C’est un développement insoutenable, qui a privilégié une économie globale au détriment des ressources locales, conduisant à une déterritorialisation qui sépare les villes des réalités naturelles et historiques régionales.Pourtant le trans-scalaire constitue à la fois une réalité et un enjeu. L’effet de serre ou le réchauffement climatique mais aussi le cohabiter relèvent d’une vision à la fois locale et globale. La « dialectique » entre eux est féconde, dans la mesure où le global tend à empêcher le local de se constituer comme tel, en même temps que le local tend à résister à cet empêchement pour se former et persister. A. Magnaghi insiste sur l’importance du projet local, considérant la « constellation d’initiatives moléculaires qui émergent aujourd’hui sur le territoire et sur la ville et qui, loin de séparer l’idéal et l’action, de renvoyer le projet vers un avenir révolutionnaire, ou de le confiner dans les rapports sociaux de production actuels, s’éloignent de l’Etat et du marché en construisant ici et maintenant une société civile, une société locale, les agrégats

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d’une nouvelle communauté »8. La transaction a, d’une certaine manière, toujours eu plus ou moins lieu. Même si mise en contact et interpénétration se font à des vitesses sans précédent. Dans ses travaux sur l’évolution des paysages ruraux et urbains, J.B. Jackson9 a souligné la tension millénaire entre deux formes de paysage : le paysage vernaculaire ou habité qui tend à s’ajuster au local et le paysage politique qui tend à prendre possession d’un territoire en imposant les découpages et infrastructures d’un système homogène (comme par exemple la grille jeffersonienne qui regroupe les 2/3 des Etats-Unis). Le néologisme de glocalisation, proposé par Roland Robertson, exprime leur indissociabilité plus ou moins transactionnelle et l’importance d’un juste équilibre.

Pour l’exposition « Terre Natale », Raymond

8. A. Magnaghi, Le projet local, [Il progetto locale, Turin, Bollati Boringhieri, 2000], trad. Marilène Raiola et Amélie Petita, Liège, Mardaga, 2003, p.80.

9. J.B. Jackson, A la découverte du paysage vernacu-laire (Discovering the vernacular landscape, Yale Uni-versity, 1984), Arles, Actes Sud, 2003.

Depardon a effectué un certain nombre de reportages sur les terres amazoniennes. Dans l’un d’entre eux, une femme s’exprime sur le fait qu’elle est la dernière à parler sa langue, et qu’avec sa propre disparition, c’est toute une langue, toute une culture qui va disparaître. A l’heure du « tout technique » et du « tout règlementaire », il semble indispensable de réaffirmer la force et la fragilité de la culture. On voit bien dans nombre de pays les efforts faits par les états pour encourager « la vie des régions ». Cela veut dire que l’Etat central devenu fortement menaçant pour tout ce qui est local, déploie des efforts financiers et administratifs pour maintenir et développer cette ressource naturo-culturelle locale. Le risque demeure cependant également d’un repli tribal, clanique ou familial. C’est la raison pour laquelle il importe de favoriser les ouvertures et les reliances. L’importance des liens entre les choses a été soulignée par de nombreux auteurs, notamment par Edgar Morin qui a fait du concept de reliance 10 la cellule souche de la pensée complexe. La reliance, c’est « le travail des liens », « l’acte de relier et de se relier et son résultat ».

10. Morin expose cette pensée de la reliance dans La méthode, qui se présente sous la forme de six tomes, mais elle est plus particulièrement explicitée et reven-diquée dans le dernier, intitulé « Ethique ». Il considère que la notion de reliance inventée par le sociologue Marcel Bolle de Bal, comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement et en donnant un caractère actif à ce substantif. « Relié » est passif, « reliant » est partici-pant, « reliance » est activant. Il écrit : « Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, re-connaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-patrie. » E. Morin, La méthode 6 : Ethique, Seuil, 2004.

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Vers un paradigme de rel iance

Dès que l’attention est portée sur habiter, à savoir sur la façon anthropologique d’être au milieu, c’est en terme d’ « entre », mettant en synergie la partie et le tout, que la question se pose. La limite qui distingue, l’espacement ou écart qui met à distance tout en ménageant une certaine proximité, les mises en relations entre les choses et les êtres, sont des opérateurs architecturaux qui œuvrent à l’entrelacement des échelles, par lequel l’espace et le temps, comme le grand et le petit, participent d’un corythme. Les pratiques et les représentations comme l’art d’assembler et de donner corps aux lieux, en sont les différents constituants. Il faut tout à la fois savoir en hériter et les réinventer.

Ambroise Brunel : Merci beaucoup Chris Younès. Peut-être y a-t-il des questions ou des commentaires ?

Question du public

Question : Bonjour. Puisque nous abordons aujourd’hui la thématique des Métropoles du Sud, j’aurais aimé savoir comment dans la «métropole» opèrent les échelles territoriales qu’elle convoque quant à la relation entre le local et le global.

Chris Younès : La métropole est une entité politique, mais ce découpage correspond aussi à une réalité géographique et culturelle. A l’occasion de la consultation sur le Grand Paris, le laboratoire GERPHAU avait travaillé avec l’équipe de Bernard Reichen autour de l’importance des échelles intermédiaires pour lier le micro et le macro. Ce qui suppose de concevoir de nouvelles figures et dispositifs de limites, espacements et porosités tant au niveau naturel que culturel.

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Photos : 1 // Corridor - Graz - 1999. 2 // Paraloop - World - 2000. 3 // M’House - World - 1997/2000. 4 // Place Picasso - Montomés - 1998/2004

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Nous allons débuter l’après-midi avec la conférence de Manuel Gausa et ainsi établir une transition entre théorie et pratique car Manuel Gausa est architecte, mais aussi enseignant. Il est membre fondateur de l’agence Actar Architectura et de la maison d’édition Actar Editoriale. Au-delà de sa propre pratique, Manuel Gausa est en perpétuelle recherche, comme en témoigne son investissement en tant que rédacteur en chef de la revue « Quadrens d’Arquitectura i urbanism » de 1985 à 1991,

publication du Collège des architectes de Catalogne. Il a également été professeur de projet à l’ETSAB-UPC de Barcelone de 1995 à 1999. En 1998, il fonde le groupe Metapolis dans le but d’élaborer de nouveaux outils de recherche pour l’architecture et le territoire. En 2000, il devient directeur du programme d’études supérieures « Architectures avancées et villes digitales » de la fondation polytechnique de Catalogne, et, en 2003, il devient Président du Conseil scientifique de l’Iaac, Institut

ManuelGAUSA

..........................................................Diagram Cities

Manuel GAUSA

ArchitecteProfesseur à l’Universita degli Studi di Genova

Répondant : Coline Giardi, étudiante à l ’ENSAM

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d’Architecture Avancée de Catalogne. Manuel Gausa est auteur de nombreux ouvrages et publications, et il est depuis 2008 enseignant des doctorants de l’Ecole d’Architecture de l’Université de Gênes. Je lui laisse la parole pour son intervention intitulée «Diagrams Cities».

Manuel Gausa

Merci. Je suis ravi d’être ici aujourd’hui, avec vous et les enseignants de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors d’un voyage d’études à Gênes et avec qui j’ai eu le plaisir d’avoir des échanges très stimulants. Je voudrais commencer cette intervention avec une photographie que j’aime beaucoup : une barrière sur laquelle des enfants sont assis. Certains se sont isolés, d’autres, au contraire, s’intègrent dans un groupe d’amis, tous expriment au travers de leur posture un caractère individuel. Cette image évoque à la fois l’hétérogénéité, la pluridisciplinarité, l’individualité, et, en même temps la capacité à se lier avec d’autres. Tous ces individus semblent capables de créer une règle du jeu, de s’organiser selon un ordre souple laissant place à la diversité. Il me semble que l’agencement perceptible dans cette image a quelque chose à voir avec la ville contemporaine dans son désordre apparent. Cette ville semble avoir exacerbé les caractères individuels jusqu’à en oublier les règles du jeu du collectif. Cette ville peut sembler riche, mais son développement est dangereux. Nous sommes là confrontés à la nécessité de mettre en place un travail de recherche pour définir les modalités de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, notre ville, notre environnement. De nombreuses personnes ont travaillé à la compréhension de la ville diffuse, dispersée, néo libérale, pour tenter d’apporter des pistes de réponses au grand défi que constitue la ville du futur. Nous devons trouver des solutions.

Les villes méditerranéennes formeront dans quelques années une énorme mégapole accueillant une très forte concentration de population. Cette ligne fragile sera peuplée de situations individuelles et autonomes, mais elle pourrait également s’ouvrir à une vision plus collective si plusieurs unités de recherche travaillaient en réseau sur les problématiques qu’elle sous-tend. Nous savons aujourd’hui que la ville n’est plus une ville de figurations mais d’informations, tantôt génériques, tantôt particulières. Ces couches d’information et

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ces réseaux d’interaction se combinent pour donner à chaque instant une ville unique qu’il est cependant possible de systématiser par certains paramètres. Chris Younès parlait ce matin des nouvelles configurations du global et du local, de l’individuel et du collectif, du général et du particulier, et je me retrouve dans cette famille de pensée en m’attachant à définir ce qu’une ville peut détenir de systématique et en même temps, d’unique et d’autonome. La ville n’est plus figée. Elle est composée de couches différentes permettant une multitude de combinaisons. Il est évident que cette condition contemporaine de la ville peut engendrer un certain sentiment de désorientation, notamment au niveau sociopolitique, mais il ne s’agit plus de parler de modèles sinon de critères d’action. Le changement d’échelle des infrastructures, des technologies de déplacement, de la capacité à disperser de l’information sur le territoire a créé un profond bouleversement de notre rapport au territoire. La ville de Barcelone a ainsi subi d’importantes mutations depuis le début des années 1970, tout comme ont évolué la grande majorité des villes d’Europe de manière plus ou moins brutale. Ces changements ont créé une désorientation.

Trois grands modèles ont été explorés ces trois dernières décennies. Le premier de ces modèles est celui de la ville traditionnelle avec ses modèles figuratifs et formels. Ce modèle a connu de longues heures de gloire, et Barcelone constitue l’un des exemples les plus significatifs de ce retour au modèle de la ville traditionnelle, sorte de reconstruction de la tradition domestique. Le second modèle apparaît au début des années 1990. Il s’agit d’un modèle de collectionneur d’objets, sorte de marketing urbain basé sur une accumulation de franchises et d’objets pouvant servir à donner une certaine image de la ville. Non seulement ce modèle me semble dramatique mais il est aussi totalement incontrôlable. L’architecture et l’urbanisme ne sont ici que reliquats. Madrid pourrait constituer un bon exemple de ce modèle de ville, où le passé est oublié et où l’histoire à venir ne

parvient à être écrite. D’autres vont même jusqu’à la caricature, se muant en « ville de Calatrava » ou « ville de Gerhy » pour satisfaire des activités économiques à court terme. Enfin, le troisième modèle, celui de l’investissement dans la recherche, témoigne de la capacité à unir à nouveau la ville avec sa tradition, ses valeurs, et sa situation contemporaine. Nous sommes dans un processus dynamique pour lequel il nous faut trouver des stratégies, des plans de travail, des dispositifs. Personne dans la période classique ou moderne n’aurait compris qu’une forme est dynamique et qu’elle se conçoit dans l’espace en tant que trajectoire complexe…

Je souhaiterais vous parler aujourd’hui de mes recherches personnelles sur la ville dans un territoire commençant à devenir une « ville de villes », une métropole, une métapole, une ville de relations, une ville de croissance. Il me semble nécessaire de fournir à ce territoire une organisation flexible permettant à la fois l’implosion, l’extension et la mise en relation. Les villes doivent faire système, créer des articulations de paysage, tout en étant capables de gérer les infrastructures et les réseaux. Les paysages peuvent devenir des mécanismes flexibles, à même de s’intégrer dans un système collectif. Ce travail de recherche a été mené de façon transversale dans toute l’Europe, mais j’ai essayé de l’adapter à mon propre territoire, la ville de Barcelone et la Catalogne, signifiant ainsi mon appartenance à une ville méditerranéenne, une ville port, une ville historique. Barcelone, tout comme Naples ou Gênes, n’est en ce sens pas « une » ville, mais quantité de villes, ville de villes… La Barcelone que nous connaissons tous est composée de différents quartiers et de petits villages alentour qui forment une aire métropolitaine complexe. Pendant longtemps, les urbanistes se sont attachés aux qualités formelles de cette aire métropolitaine, entre mer, montagnes et fleuves. Cette conception du territoire était logique et correspondait à un état de la ville, mais nous avions pressenti

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dès la fin des années 1990 que ces références géographiques étaient devenues obsolètes : la Barcelone que nous connaissions tous était en train de se disperser au-delà des limites que constituaient autrefois les montagnes. Les nouvelles entités de Barcelone n’élaboraient aucunement de stratégie du territoire, de vision partagée ni même de nouveau contrat entre ces diversités.

Face à cette complexité, nous avons commencé à travailler à l’aide de diagrammes, dispositifs permettant de synthétiser les informations et de mettre en place des plans stratégiques. Au travers des diagrammes que nous avons effectués, nous avons émis l’hypothèse que Barcelone n’était plus à comprendre comme un emboîtement de couronnes mais comme un enchevêtrement de bandeaux d’action. Dans le masterplan que nous avons projeté pour Barcelone, notre stratégie a été de travailler les relations entre les pleins, les vides et les infrastructures au travers d’un système complexe de relations verticales (de la montagne vers la mer, le long des cours d’eau et des couloirs biologiques) et horizontales (développement côtier et le long des montagnes). Les horizontales offraient la possibilité de travailler les connexions à l’international tandis que les verticales privilégiaient les connexions internes. Ce maillage nous permettait d’obtenir un entrelacement de pleins et de vides donnant une nouvelle unité à l’aire métropolitaine de Barcelone composée d’une multitude de villages et de petites villes indépendantes.

L’élaboration de cette stratégie conçue comme une grille paysagée nous a demandé un an et demi de travail. Nous avons constitué des plans généraux du projet, certes moins purs que les précédents diagrammes, mais nécessairement beaucoup plus riches. Entre le grand vide que générait la mer, celui généré par les montagnes et celui laissé par les territoires agricoles se composaient des pleins urbains eux-mêmes infiltrés de vides interstitiels, espaces publics de proximité. Ce travail théorique permettait de poser les bases de réflexions sur les limites de la ville contemporaine. Où finit Barcelone? De même, où finit Montpellier ? Dans quelle mesure les villes intermédiaires peuvent être indépendantes tout en s’intégrant dans un réseau ? Nous avons été confrontés à des problématiques beaucoup plus vastes et complexes que ce que l’on avait pu imaginer. En 2003, nous avons reçu une commande plus officielle nous demandant de réfléchir au futur territorial de la Catalogne. Nous avons divisé cette recherche prospective en plusieurs thématiques, réparties sur plusieurs équipes de recherche. Notre équipe s’est basée sur le plan que nous avions précédemment esquissé pour Barcelone, prenant pour postulat que la Catalogne pouvait se comprendre en tant que grande multi-ville, chaque point de la ville se situant au maximum à deux heures de voiture d’une autre et à 20 minutes de TGV. Chaque point de la Catalogne établit donc avec d’autres une relation de proximité à l’échelle des transports. La Catalogne est entourée de vallées et de plaines, rarement constructibles bien que de plus en plus concernées par le phénomène d’étalement urbain. Se basant sur les rythmes de croissance observés depuis les années 2000, nous avons effectué une extrapolation à 2100, date à laquelle toutes les plaines devraient être construites. Puis, nous avons développé l’idée d’un maillage de paysages protégés, intégrant des infrastructures et des réseaux de transport modalisés. Sur la maille ainsi constituée pouvaient alors prendre place des

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concentrations urbaines articulées avec d’autres concentrations urbaines, des infrastructures et ce que nous avons appelé des paysages de glissement. Cette organisation nous permettait de travailler sur une mosaïque structurée à partir des nœuds d’articulation métropolitains et des paysages.

Dans le projet urbain, il est toujours nécessaire d’opérer des va-et-vient, de travailler le détail pour revenir à une échelle plus large. Je suis toujours inquiet pour la ville de Barcelone qui devrait repenser sa logique territoriale. Lorsque nous avions travaillé sur son plan urbain, nous avions dessiné un grand vide intérieur, non pas en tant que vide minimaliste mais en tant que nature pénétrant dans la ville dense. Nous avions défendu une vision horizontale de la ville alors que Joan Busquets avait préféré, dès les années 1993-1994, défendre l’idée d’aires de centralités. Cette confrontation est très intéressante dans la mesure où elle permet différentes lectures de la ville, divisée en de multiples couches. J’ai avancé l’idée que la ville de Barcelone pourrait être expliquée à l’aide de schémas qui se superposeraient comme ces aires transversales, offrant chacun une lecture de la ville. Il y a la manière traditionnelle de lire la ville, chronologique et géographique, selon ses couronnes concentriques, et puis il y a cette lecture horizontale où Barcelone se divise en bandeaux. La montagne n’est plus liée au fleuve, la ville se déploie autrement. En lecture verticale, la ville peut être comprise en tant que système de relations mer-montagne. En lecture horizontale, il s’agit en revanche de travailler avec les rues, les espaces publics, de retrouver le sens du commun. Il s’agit certes d’un travail de recherche, et la recherche vise une forme d’implication intentionnelle. Elle peut s’effectuer en un jour ou en dix ans, mais ce qui importe tient toujours dans sa capacité à mettre en lumière des zones de conflit, des « courts-circuits » de la ville. Au regard du maillage mis en place sur la ville, il est possible de considérer n’importe quel

quartier comme appartenant au énième bandeau vertical et au énième bandeau horizontal. Ce quartier devient dès lors un noyau de couches de connexions transversales. La maille obtenue par superposition des horizontales et des verticales autorise de nouvelles lectures de la ville du futur. Il s’agirait notamment de structurer le système de circulation routière sur cette maille et de diminuer l’impact de la voiture dans les zones interstitielles. Puis, imposant une nouvelle hiérarchie aux réseaux constitués, il serait possible de déterminer des voies de circulation principales et des voies potentiellement transformables en voies piétonnes. L’image finale obtenue diffère ainsi totalement de l’image traditionnelle de Barcelone, fondée sur sa centralité.

Je vais maintenant vous présenter un autre travail de recherche effectué cette fois-ci sur les Ramblas de Barcelone, grand axe touristique de la ville. Historiquement, à l’époque romaine, en lieu et place des Ramblas prenait place un ruisseau. Elles sont ensuite devenues fossé, chemin de marche, frontière entre la ville historique et sa périphérie, puis, au 19ème siècle, elles sont devenues rue arborée avant de se constituer en axe structurant de la ville. Dans une Barcelone, tantôt ministérielle, tantôt commerciale, les Ramblas jouaient à chaque fois un rôle bien précis dans l’organisation générale de la ville. Aujourd’hui, les Ramblas sont un espace public assurant une dimension tant touristique qu’économique. La première

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tranche horizontale de Barcelone, la ville-mer, pourrait devenir un système de combinaisons de Ramblas, une multi-ramblas, trame de liaisons et d’infrastructures de connexion permettant de ménager une nouvelle structure interne. La connexion des Ramblas à la mer constitue une situation problématique dans la mesure où elles se rattachent à une zone liée au passé maritime de la ville qui aujourd’hui n’offre plus de grandes qualités urbaines. Repenser cette zone autoriserait à structurer les Ramblas comme axe en relation tant avec la mer qu’avec la montagne. Dans la partie centrale des Ramblas prend place une petite construction presque sacralisée qu’il serait pourtant intéressant de démolir. Cette opération offrirait aux Ramblas un axe de pénétration dans la ville.

Barcelone est une ville absolument magnifique qui a la capacité à chaque fois de se réinventer et de devenir ce qu’elle veut, mais il me semble que depuis trop longtemps déjà, elle n’est plus que touristique, et, dans une moindre mesure, économique, oubliant par là-même de se construire une vision du futur. Nous avons travaillé sur des situations existantes de la ville, liées au tourisme, à la culture, à la densité. Il s’agit pour nous de relire la ville et de la réorienter. Parfois, une simple information ajoutée à d’autres données suffit à redéfinir l’orientation d’une situation au regard d’un contexte. Barcelone est une ville dont je suis fier, une ville qui n’a cessé de renaître, une ville toujours belle. Je suis fier de mes ancêtres qui ont participé à son élaboration et à son évolution. Il est vrai cependant que ces précédentes années ont été marquées par une sorte d’inertie collective et que la dynamique de recherche et d’innovation de la ville s’est quelque peu perdue. Une ville qui ne se réinvente pas est condamnée à n’être qu’une passerelle entre d’autres villes. Des villes telles que Londres ou Paris sont certes attractives, mais elles génèrent également une puissante énergie créative. Il me semble que le drame de Barcelone tient au fait qu’elle

commence à devenir une passerelle touristique de premier ordre sans pour autant être reconnue comme productrice de connaissances. La production de connaissances implique une production de l’urbain, et c’est cette production que nous essayons de dynamiser au travers des recherches et des débats que nous menons. L’atout d’une grande ville ne peut se résumer à sa dimension touristique et je suis convaincu de la possibilité de lier tourisme, innovations et connaissances locales. L’intérêt du tourisme ne réside pas tant dans sa dimension économique que dans sa capacité à exporter des connaissances nouvelles héritées de la richesse de ses innovations. Merci

Coline Giardi : Merci à vous Manuel Gausa pour cette intervention.

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Photos : 1 // Pôle multimodal du tramway - Nice - 2007. 2 // Cimetière St-Pancrace - Roquebrune - 1994. 3 // Villa privée - Cannes - 2004. 4 // Centre de congrés - Nancy - 2008/2011. 5 // Passerelle du millénaire - Contes - 2001.

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Nous accueillons maintenant l’architecte niçois Marc Barani pour qui la Méditerranée semble être bien plus qu’une attache, une matière à concevoir. Marc Barani est architecte mais aussi scénographe et anthropologue. Sa recherche se situe dans les affinités que l’architecture possède avec d’autres disciplines, comme en témoigne la composition de son équipe qui réunit architectes, designers, paysagistes et scénographes. Il a reçu en 2008 l’Equerre d’argent pour le pôle multimodal de Nice,

prix qui a mis en lumière l’ensemble d’une œuvre tout à fait remarquable dans le paysage architectural français et que Marc Barani, sous le titre de «Méditerranées» au pluriel, nous fait l’honneur de venir présenter.

MarcBARANI

.......................................................... Méditerranées

Marc BARANI

ArchitecteNice

Répondant : Nadine Chambon, étudiante à l ’ENSAM

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Marc Barani

Merci. Il est vrai que depuis ce matin, une même famille de pensée semble nous réunir autour d’un « quelque chose » qui nous construit, qui nous pétrit. Au regard du titre de ce Symposium, je me suis posé la question de savoir en quoi un territoire était en mesure de nous construire de façon spécifique. Je pensais cette question toute personnelle, mais je me rends compte qu’elle résonne de façon commune dans nos esprits. Les villes littorales du Sud ont une situation commune qu’illustre très bien le logo « Métropoles du Sud » : il y a la montagne, la ville, la mer. Le dessin se ferme sur la montagne et s’ouvre sur la mer, avec la ville qui bute sur le rivage. On peut lire cette rupture comme un inachèvement de la ville. Peut-être le problème de Barcelone réside-t-il dans cette « absence » d’une partie de la ville. La ville de Gênes semble porter la même problématique, d’autant plus que la mer a pendant longtemps été obstruée par les ports. Derrière la modernité qui émane de nos villes, il y a toujours une sorte de substrat qui oriente nos pensées, un code génétique du territoire qui fait de nous le produit du territoire dans lequel nous vivons. Yves Klein n’aurait jamais imaginé son monochrome s’il n’avait pas été méditerranéen, s’il n’avait pas vécu face à l’horizon. Pierre Soulages avoue que toute la profondeur de ses toiles provient de ses souvenirs d’enfance, des images d’arbres noirs contrastant sur la neige. Bernard Pagès, travaille sa sculpture à partir des glissements

sémantiques inspirés de l’organisation rurale du paysage. Les œuvres de ces artistes sont des produits du territoire. Au cours de cette intervention, je vais vous proposer une sorte de relecture du travail que j’ai pu mener pendant 20 ans, en vous présentant des projets d’architecture de différentes échelles mais tous situés sur la bande littorale au bord de la Méditerranée : Côté d’Azur, Beyrouth, Tripoli en Lybie…C’est en ce sens que j’ai tenu à vous parler de « Méditerranées » au pluriel.

Le premier projet, extension du cimetière de Saint-Pancrace à Roquebrune où est inhumé Le Corbusier, date de 1992. Ce lieu où la puissance de la roche contraste avec l’horizon, avec son immatérialité, avec la fluidité du ciel et de la mer, avec le vide, constitue pour moi un archétype de la Méditerranée. Face à la mer, l’esprit peut s’épancher. Cette condition de liberté absolue a façonné, me semble-t-il, beaucoup d’individus et beaucoup de villes. La construction ou l’extension d’un cimetière est une problématique rarement posée en France alors qu’elle est courante en Espagne ou en Italie. Le projet pose néanmoins pour condition la difficile conciliation entre la densité imposée par le programme et la très forte pente du site, à la limite de la constructibilité. Le cimetière s’organise à partir d’un groupement de trois types de sépultures répondant chacune à une condition spécifique du site : les failles, au creux de la montagne, l’enceinte et les chapelles sur l’arrière de la colline. Un cimetière n’est pas un programme que l’on aborde facilement. Nous sommes ici au cœur de tabous puissants, où la mort ne semble plus faire partie du cycle naturel, où elle est vécue comme une chose innommable, impossible à penser. Travailler sur un cimetière revient en ce sens à travailler sur une absence totale de programme. Alors que la première partie du cimetière existant s’organise rigoureusement sur un plan carré, la seconde, que l’on pourrait qualifier de néo-classique, s’organise selon un modèle qui peut rappeler celui des îlots et

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des rues. La partie moderne témoigne quant à elle de densifications successives plus ou moins habiles et désordonnées. La décision de lancer un concours d’architecture pour projeter l’extension a été prise parce qu’il fallait augmenter fortement la densité des sépultures. Un cimetière paysager consomme 30m2 de terrain par sépulture, un cimetière traditionnel en compte 15, alors que celui-ci ne pouvait en offrir qu’1m2 par sépulture…. Nous avons réalisé l’un des seuls cimetières français où il n’y a ni barrières ni portail. Nous avons donc travaillé sur le marquage symbolique des seuils et des passages en leur attribuant des caractéristiques spécifiques et variées prenant appui sur les sensations physiques du visiteur. Le corps est l’unité à partir de laquelle nous ressentons et vivons l’architecture. Le premier niveau est ainsi entièrement dédié à l’eau et à la ligne d’horizon. Lorsque l’on quitte cette situation face à la mer et que le regard se tourne vers la colline, il fait face à une composition de blocs et à une faille qui l’amène jusqu’au ciel. Ces deux directions fondamentales de l’architecture, l’horizontale et la verticale, sont également les directions symboliques de la vie et de la mort. Le niveau supérieur est dédié au creusement de la masse, à la terre, au béton. Le dernier niveau est quant à lui dédié au ciel. Le cimetière peut ainsi se définir comme un dispositif qui décortique les composants essentiels du paysage pour mieux les donner à voir et les mettre en relation avec le thème de la mort. La course du soleil et la lumière mouvante de la Côte d’Azur rendent ces espaces en constante métamorphose, comme pour signifier le rythme des saisons et de la nature, pour susciter chez le visiteur une confrontation sereine avec sa destinée.

Le second projet est d’une toute autre nature. Il s’agit d’une villa pour un couple d’anglais réalisée à Cannes en 2004. La topographie du terrain présente des caractéristiques identiques: une colline, un terrain en pente, la mer. Cette situation implique aujourd’hui des bâtiments très

étirés, permettant de toujours profiter de la vue mais qui s’installent souvent comme un barrage dans le terrain et son usage. Le projet vise à lutter contre cet effet. Le terrain est structuré en trois terrasses sur lesquelles prennent place des boîtes aux fonctions clairement définies: il y a un billard, une bibliothèque, une salle vidéo, puis la cuisine, le séjour, et la circulation verticale permettant d’accéder aux chambres et salles de bain. Le volume des chambres, formant pont, laisse le sol filer sous lui jusqu’à l’horizon. La distribution des espaces s’effectue par un couloir vitré, ouvert sur le paysage. Il s’agit là de répondre à la volonté « d’être » dans le paysage, de permettre à la lumière de pénétrer en tout point de l’ouvrage, de l’envelopper sans effet de contre-jour. La salle de bains du propriétaire fait état d’une petite coquetterie : la jonction des deux matériaux du mur, pierre et plâtre, s’effectue dans la parfaite continuité de la ligne d’horizon perceptible depuis la fenêtre. Chaque détail de la villa atteste de son intimité avec l’environnement dans lequel elle s’insère. Elle se définit comme une stratification de plateaux, série de sols soulevés en écho à l’horizon. Une attention particulière a été portée à la fluidité et à la neutralité des espaces, permettant aux habitants d’habiter le lieu librement et de profiter du terrain dans toute ses dimensions. Le volume accueillant le séjour s’établit comme un socle couvert d’une grande toiture en porte-à-faux. Cette « lame de vide » libre de tout point porteur peut être modulée par rapport au jardin, à la piscine, à la lumière et aux vues. Pour pousser au bout l’idée d’une interaction entre intérieur et extérieur, nous avons mis en place un dispositif permettant aux vitrages de s’encastrer dans le sol. La totale disparition des fenêtres donne lieu à une étrange impression de changement d’échelle, au point que l’espace du séjour semble n’être plus qu’un point dans le paysage. Au début du projet, le client m’avait dit « aimer le ciel de mon cimetière »… J’ai donc travaillé à leur offrir plus qu’une villa luxueuse, un lieu de sérénité face à l’horizon.

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Je vais maintenant vous présenter un projet hautement symbolique situé à Beyrouth au Liban: la tombe de Rafiq Hariri, mort dans un attentat. Beyrouth, dans l’histoire qui la constitue, est pour moi un archétype de la ville méditerranéenne. Il y a des ruines romaines, des églises de diverses confessions, des mosquées, des destructions, des reconstructions… Tout cela forme une ville turbulente, complexe, multiconfessionnelle… Beyrouth est une ville incompréhensible, ce qui fonde en partie son identité si singulière. Au moment du concours, nous avons considéré qu’il était impossible d’enfermer la personne qui avait symbolisé la possible unité du Liban dans un espace privé et clos. Nous avons donc décidé d’ouvrir son mémorial à la ville en le dessinant comme un espace public proposant un parcours en spirale permettant de donner à voir l’ensemble de l’histoire du lieu. Le projet s’est constitué dans l’idée du creusement de strates successives dans un rapport très précis au corps. Dans sa partie haute, au contact de la place des martyrs, un plan virtuel calé sur les pieds du visiteur règle l’altimétrie de toutes les émergences alors que depuis le point bas ces mêmes émergences sont calées sur la hauteur d’œil formant ainsi une horizontale parfaite en rapport direct avec le ciel. Une façon de faire un monument avec seulement 1,60 m de hauteur.En lien direct avec le mémorial, nous avons également projeté une fondation. Le projet assez simple est destiné à accueillir des lieux d’exposition et des résidences

d’artistes. Le bâtiment est conçu à partir de l’idée d’un soulèvement du sol. Les plateaux sont supportés, par des colonnes recueillant tous les fluides et les circulations verticales. Les façades, entièrement vitrées, laissent percevoir depuis l’extérieur la structure du bâtiment. Nous avons mis en place des dispositifs de protection solaire, permettant de moduler les entrées de soleil et de lumière en fonction des usages. La ventilation naturelle est optimisée pour offrir aux occupants un confort maximal. Le tout propose une déclinaison d’espaces riches et complexes librement appropriables par des utilisateurs aux aspirations contrastées. En dessinant ce bâtiment, je me suis rendu compte que la simplicité de sa structure qui ne laissait apparaître qu’un squelette de béton l’inscrivait dans la lignée de ces bâtiments d’après guerre, construits mais jamais achevés. Les dispositifs mouvants de textiles sur les façades pouvaient également laisser entrevoir l’image de l’habitat populaire et de ses protections solaires faites de toiles suspendues devant fenêtres et balcons. C’est en cela qu’il me semble que cette fondation contient en germe un « quelque chose» de Beyrouth.

Le cinquième projet que j’ai choisi de vous présenter est une bibliothèque à Tripoli, en Lybie. Ce projet a pour moi été l’occasion de découvrir un univers très différent et en même temps familier. Où la mer est au Nord… Il prend place sur le site d’une ancienne caserne militaire, entouré de maisons traditionnelles à patio dans une banlieue sans aucun espace public. Nous avons donc pensé la bibliothèque comme dilatation de ce principe traditionnel d’habitat et avons pris le parti de concevoir son rez-de-chaussée et son toit comme de vastes espaces publics. Le principe structurel est très simple, pour ne pas faire appel à des dispositifs techniques complexes peu appropriés à la situation économique du pays mais au contraire pour permettre le développement des entreprises locales. Les plateaux sont

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supportés par un système poteaux-poutres, les circulations verticales, rampes, escaliers, ascenseurs, sont rejetées en périphérie. Le rez-de-chaussée accueille un espace de formation pour les enfants ouvert après l’école tandis que les étages supérieurs sont consacrés aux fonds documentaires et aux nouvelles technologies. En Lybie, l’accès au livre et à l’information est plutôt réservé à une élite. Afin de favoriser les échanges et les interactions sociales, nous avons fait le choix de disposer les espaces consacrés aux livres en cœur de projet et d’installer les nouvelles technologies en périphérie, en lien direct avec la façade, la rue, la ville. Enfin, sur le toit prennent place un restaurant et un auditorium offrant aux visiteurs une vue imprenable sur l’horizon… Cet horizon résonne chez moi telle une obsession, mais il est à comprendre comme un repère fondamental de l’espace méditerranéen, un repère métaphysique. J’ai réalisé là-bas que cet horizon est aussi une charnière, un lien entre des mondes qui se font face et le partagent.

C’est ainsi qu’au-delà de l’horizon Lybien se situe la ville de Nice, lieu du dernier projet que je vais vous présenter. Un projet extraordinaire au sens littéral du terme puisque nous avons pu choisir le site et construire le programme, c’est à dire agir sur les matériaux fondamentaux de l’architecture. La ville a lancé un concours pour définir la première ligne de tramway, partant des quartiers Nord, desservant le centre-ville et remontant en « V » vers les quartiers d’une autre vallée. Le lancement de ce projet s’est caractérisé par son manque criant de préparation : un centre de maintenance était ainsi prévu sur un terrain trop petit pour l’accueillir… Après déjà plusieurs semaines de travail, il nous a fallu chercher un autre terrain disponible, dans une ville de très forte densité clairement délimitée par ses collines et la mer… Même les stades, dans l’extrême hypothèse de leur déplacement, ne pouvaient offrir d’espace suffisamment vaste pour accueillir le centre de maintenance.

Sa position idéale nous semblait néanmoins être à un terminus de ligne. Le premier, comme je vous l’ai dit, ne pouvant accueillir le projet, nous nous sommes intéressés au second. Il se situait à l’endroit précis où la fin de ligne butait sur une énorme infrastructure autoroutière à flanc de colline. Nous avons imaginé pouvoir nous enrouler dans cette infrastructure existante et encastrer le centre de maintenance dans la montagne. Ce faisant, nous parvenions certes à régler une question technique, mais il nous semblait également possible de solutionner un problème urbain, ce nœud autoroutier venant littéralement scinder en deux un quartier de 8 000 habitants. Cette infrastructure avait fortement altéré le quartier, entraînant des problèmes sociaux grandissants. En enroulant la ligne de tramway autour de l’autoroute, nous venions donc desservir les immeubles tout en égrainant le long du parcours les équipements techniques nécessaires : stations de lavage, ateliers, stockage des rames… Tout un quartier oublié de la ville trouvait dès lors une nouvelle connexion au centre, à moins de 15 minutes en tramway. Je voudrais faire une parenthèse sur une notion qui me semble essentielle aux cultures du Sud : le malentendu. Le malentendu produit un espace de liberté fort de toutes les indéterminations et incompréhensions partagées par les multiples intervenants du projet. C’est précisément la force du malentendu qui a permis de passer d’un projet technique à un projet urbain. Nous avons ensuite réfléchi à l’installation d’un parking relais favorisant les connexions directes entre l’autoroute, le tramway et le centre-ville. Puis, nous nous sommes fait confier une étude urbaine, qui nous a conduit à programmer des commerces, et un centre socioculturel… L’ensemble détermine un organisme qui ne se structure pas à partir des règles architecturales habituelles, mais à partir des flux, du déplacement des piétons, du mouvement des automobiles et des tramways. Le projet se construit à partir du mouvement et des relations qu’entretient le bâtiment avec le

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territoire. Ce qui peut sembler complexe en plan se révèle être d’une simplicité déconcertante en coupe : il ne s’agit que de strates horizontales surplombées d’une tour de contrôle. Nous avons voulu en vitrant les ateliers de réparation du tramway et en mettant en exergue la tour de contrôle mettre en contact traminots, passagers et habitants du quartier dans une recherche de transparence architecturale et sociale. Cette mixité et cette complexité ne sont le résultat que d’une étroite imbrication de fonctions, d’espaces et d’échelles très différentes. L’ancienne bretelle d’autoroute, devenue piétonne, donne accès à un parvis en belvédère sur la ville, les collines et la mer... Les villes et les territoires sont têtus, dotés d’une forte capacité de résistance. Au 19ème siècle, l’articulation entre ville et collines étant problématique, le tissu urbain venait tout simplement buter contre le relief. La puissante infrastructure autoroutière venue s’implanter dans les années soixante dix autant que les barres d’immeubles qui ont commencé à grignoter la pente n’ont pu véritablement solutionner ce problème. C’est sans doute parce que ce projet de part sa nature, est à la fois une infrastructure et un bâtiment et qu’il conjugue ces deux échelles, qu’il a pu devenir un lieu d’interconnexions entre colline, quartier, ville et mer. Un nouveau statut a été donné aux habitations alentours, accélérant les procédures de financement destinées à leur réhabilitation. Les habitants de ce quartier oublié de la ville ont en conséquence bénéficié d’immeubles rénovés et d’un terminus à leurs pieds. Ce projet à l’origine essentiellement technique a donc basculé dans un projet d’architecture, dans un projet de paysage et dans un projet urbain qui a profondément amélioré les conditions de vie des habitants du quartier. Je terminerai en évoquant l’image de l’horizontale à partir de laquelle il me plaît de travailler. L’horizontale n’est pas une donnée a priori, elle doit se gagner dans la masse de la pente. Elle est ce qui met à distance mais en même temps ce qui relie. Elle se définit comme dispositif qui autonomise le

projet tout en le connectant à ce qui est au-delà de lui même. L’horizontale se situe dans une dialectique du lien. Je vous remercie.

Nadine Chambon : Merci beaucoup Marc Barani pour votre intervention. Comme il ne nous reste que peu de temps, j’aimerais juste vous questionner sur un point de votre travail. Vous avez travaillé sur le cimetière de Saint-Pancrace et sur le mémorial de Rafiq Hariri. Les projets travaillant sur la mémoire des morts induisent-ils des questionnements similaires à ceux concernant les vivants ?

Marc Barani : Il me semble que oui. D’une certaine manière, j’ai construit la villa à Cannes comme j’ai construit le cimetière, avec bien évidemment d’autres enjeux. Lorsque l’on parle d’un lieu pour la mort on parle évidemment d’un lieu pour les vivants. Dans ces deux situations c’est le paysage et l’envie de le capter, d’en faire la matière première du projet qui a guidé nos réflexions. Parce que dans les deux cas et pour des raisons différentes ce qui importait c’était de tendre le projet vers ce qui est au-delà de lui-même, vers un ordre naturel capable aussi bien d’interroger notre rapport à la mort que notre rapport à la vie. Pour la tombe de Rafic Hariri, les choses étaient quelque peu différentes. Il s’agissait de mettre en relation la mémoire d’un homme et la mémoire de la ville. Le projet en générant un vide où l’on se déplace à la fois autour de la tombe et dans l’histoire urbaine permet de le faire. D’une façon plus générale il me semble important de tirer leçon de tout ce qui bouge dans nos sociétés, mais aussi de ce qui ne bouge pas, de ce qui est invariant. C’est à dire que la mémoire est quelque chose de vivant qui se transforme à partir de lignes de forces qu’il est intéressant d’identifier. C’est ainsi que je me définirais comme un contemporain pour qui la conscience de l’histoire est une des conditions de notre liberté.

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Photos : 1 // Consultation pour le Grand Paris - Paris - 2008/2009. 2 // Aménagement du quartier de La Courrouze - Rennes - 2002-2005. 3 // Aménagement d’un parc habié - Salento - Italie - 2001. 4 // Aménagement du quartier du Petit-Maroc - Saint-Nazaire - 2003. 5 // Aménagement du parc de Spoor Noord - Anvers - Belgique - 2003/2005.

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Nous avons le plaisir de recevoir Bernardo Secchi et Paola Viganò, architectes et urbanistes de renom qui poursuivent une triple carrière, associant à la fois enseignement, recherche et pratique. Tous deux sont professeurs à l’Instituto Universitario di Archittetura di Venezia, et ont fondé l’agence Studio à Milan en 1990. Ils ont réalisé de nombreux plans régulateurs et aménagements urbains en Italie, en Belgique ou encore en France avec le quartier de la Courrouze à Rennes ou le Petit Maroc à Saint

Nazaire. Leur agence a également été consultée pour le Grand Paris où ils ont développé l’idée de « ville poreuse », prônant une accessibilité généralisée ainsi qu’un nouveau rapport homme/nature. Bernardo Secchi a par ailleurs reçu le prix spécial du jury « Grand Prix de l’Urbanisme» en 2004, notamment pour sa réflexion sur la ville diffuse. Il est auteur de nombreux ouvrages traduits dans plusieurs langues qui constituent aujourd’hui autant de références en matière d’urbanisme.

Bernardo SECCHI

& Paola VIGANO

..........................................................Métropoles, territoire de la Méditerranée

Une nouvelle modernité

Bernardo SECCHI & Paola VIGANo

Architectes & urbanistesMilan

Répondant : Joris Périé, étudiant à l ’ENSAM

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Nous sommes ainsi très honorés de recevoir aujourd’hui les professeurs Bernardo Secchi et Paola Viganò pour l’intervention intitulée «Métropoles, territoire de la Méditerranée : une nouvelle modernité ».

Bernardo Secchi

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre invitation. Ce symposium réunit cinq personnalités aux réflexions similaires, et cette proximité de pensée conduit souvent à construire des savoirs commutatifs. Certains de mes propos se situeront donc dans la même lignée que ceux de Manuel Gausa ou de Chris Younès. Nous présenterons deux projets : le premier est situé dans le Salento dans le Sud de l’Italie, le second, dans la région de Venise. Je commencerai par évoquer quelque chose de plus général concernant la thématique générale des métropoles du Sud. L’urbanisation de la Méditerranée est bien antérieure à celle du Nord de l’Europe. Nos villes ont ainsi une histoire plus ancienne, mais encore faut-il être capable de définir en quoi cette histoire peut devenir moteur de projet. Gilles Perraudin nous a proposé ce matin une relecture de la ville traditionnelle, et il me semble indispensable de retrouver le sens des lieux et de l’histoire que nous avons parfois tendance à oublier au profit d’une simple vision esthétisante de la ville.

Une des premières choses qu’il me semble important de considérer pour différencier une ville du Sud d’une autre ville tient de la sensibilité à la notion de « dénivelé ». Les villes méditerranéennes ne sont pas uniquement le résultat d’un travail sur les objets architecturaux et urbains mais également sur le sol. Le cimetière de Roquebrune de Marc Barani tout comme celui de Courtrai que nous avons réalisé à la même époque sont tous deux des projets qui travaillent avec la notion de dénivelé, à tel point que notre projet semble avoir révélé aux habitants de Courtrai le caractère pentu de leur ville. Le dénivelé pourrait en ce sens constituer l’une des premières spécificités des métropoles du Sud. La « porosité » me semble être la deuxième notion à considérer. Marc Barani évoquait tout à l’heure l’impact d’un nœud autoroutier sur un quartier qu’il coupait alors,

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Métropoles du Sud

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appelant à créer des porosités pour réguler les conflits sociaux. Nous avons beaucoup insisté sur cette notion pour le Grand Paris dans la mesure où elle permet de contraster les différences sociales. Des métropoles du Sud telles que Marseille, Barcelone, Naples ou Palerme font apparaître des inégalités très importantes entre leurs centres historiques et leurs énormes périphéries. Les poches de pauvreté à Paris sont localisées différemment, et je crois que la notion de porosité nous invite à définir ce qui pourrait différencier une métropole du Sud d’une autre métropole, considérant par exemple une géographie des inégalités sociales.

Après ces quelques réflexions, je vais laisser la parole à Paola Viganò pour la présentation du premier projet situé dans le Salento, dans la région Sud-Est de l’Italie.

Paola Viganò

Ce projet, mené il y a plus de dix ans, est une recherche spécifique à un territoire. A l’époque se multipliaient les recherches sur les villes du Sud. Le philosophe italien Franco Cassano a ainsi développé une réflexion intéressante sur la Méditerranée, tentant d’y définir une nouvelle modernité, non orthodoxe. Il s’agissait d’analyser les spécificités des villes et de les comprendre comme autant d’opportunités pour constituer une modernité différente. Une deuxième piste de travail a consisté à réfléchir

sur les grandes continuités et discontinuités des cultures du Sud afin de porter un nouveau regard sur les villes méditerranéennes contemporaines. La région du Salento présente de nouvelles zones construites consécutives d’un phénomène d’étalement urbain. Ces formes nous parlent néanmoins d’économie, de société, de manière d’utiliser et d’appréhender le territoire. La confrontation entre la ruralité traditionnelle et les villas individuelles avec jardin génèrent des relations hybrides avec le territoire. Nous avions commencé notre travail de recherche par comparer des carrés de territoire de cinquante kilomètres par cinquante kilomètres de côté. Nous avons avancé l’hypothèse que le territoire urbain du Sud ne se comprenait plus uniquement dans son armature de villes traditionnelles et que de nouvelles données venaient le renforcer. Il était par exemple question de comprendre les nouveaux enjeux que pouvaient représenter les infrastructures, notamment les chemins de fer qui n’étaient plus utilisés pour l’agriculture comme autrefois mais qui pouvaient en revanche répondre à de nouveaux usages du territoire. La région du Salento ne comprenait pas d’autoroutes. Cette absence de grandes infrastructures de mobilité a toujours été vécue comme un manque, une limite au développement du territoire. Notre hypothèse a consisté à inverser ce discours afin de redonner de la valeur à un réseau de voiries secondaires extrêmement riche. La mise en relief de toutes les voies établies pour servir l’agriculture rendait compte d’un territoire irrigué et accessible. Notre recherche nous a ensuite amené à questionner deux représentations de la région du Salento, avec, d’un côté, une carte institutionnelle des « plan régulateurs » des villes et des petits villages de la région, le zoning moderne, révélant une opposition entre rural et urbain, niant l’étalement ; de l’autre, une image qui l’emphatise, où chaque élément bâti est représenté par un pixel, illustrant ainsi une nouvelle forme de géographie urbaine. Ces notions, comprises à une échelle plus

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vaste, mettent en évidence deux tendances majeures en Europe : celle de la « solidification» inspirée par beaucoup de politiques, et celle de la « gazéification », résultat de mouvements moléculaires. A une certaine compréhension du territoire qui voudrait opposer strictement ces deux tendances, nous avons préféré les considérer comme parallèles, issues de deux politiques contradictoires, et avons positionné notre hypothèse de travail en leur milieu. Il s’agissait dès lors de considérer le territoire comme un parc dans lequel une culture, une société, celle du Salento, pourrait trouver sa propre écologie, comprise comme relation spécifique entre une espèce et son territoire. L’idée du parc trouve certes écho dans la notion de paysage, valorisant des éléments tels que les oliviers, les murets de pierre sèche, la mosaïque des espaces agricoles… Mais la notion de parc tend également à signifier la spécificité d’une relation entre l’espace de l’habitat, y compris de la production et celui de l’agriculture. Cette acception est nouvelle. Il nous semble en ce sens nécessaire de développer la capacité de comprendre l’innovation qui est déjà contenue dans les choses. A l’instar de Manuel Gausa, je partage l’idée de donner de l’importance à une approche diagrammatique et que la mise à distance qu’il permet peut aider la conception, mais je défends également la capacité de lire en profondeur les signes d’innovations que l’on trouve déjà in situ. La région du Salento nous livrait ainsi un nouveau type d’implantation, qui ne relevait ni de la ville centrale, ni de la ville industrielle, ni même du village agricole. Cette spécificité du territoire, échappant à toute logique de séparation fonctionnelle apparente, devenait en soi objet de recherche. Il s’agissait de comprendre ce qui avait pu guider le processus de façonnage de ce territoire : la fonction des limites entre les parcelles, le rôle de certaines périodes de rationalisation durant le fascisme, le phénomène des résidences secondaires en bord de mer dans les années 1980…

Ce travail a également été l’occasion d’opérer à un véritable positionnement conceptuel, trouvant son fondement dans la compréhension que ce type de projet nécessitait l’invention de nouveaux outils et de nouveaux concepts capables de fonder des valeurs opérantes. Il a par exemple été question d’aller à l’encontre de l’idée selon laquelle toute nature était à protéger. Nous avons alors considéré la nature comme phénomène dynamique réclamant aux situations urbaines l’espace nécessaire à son évolution. Il s’agissait de reconnaître des mouvements à travers des « corps » capables de réagir de façon différente. La notion de centre-ville a également été interrogée, notamment par la mise en évidence de l’importance des situations marginales qu’il concentrait en terme de population. Il fallait absolument sortir de l’expression d’un certain nombre de lieux communs et essayer de travailler avec des concepts différents. Nous avons alors élaboré une série de scénarios stratégiques. Chaque fois qu’une situation nous semblait problématique, nous établissions des hypothèses différentes de celles que nous connaissions déjà afin d’entrevoir un large panel de futurs possibles. Nous avons concentré nos réflexions sur la question de l’expansion du bâti qui peu à peu construisait une ville diffuse et interprété certaines tendances. Le scénario de construire des logements collectifs en périphérie des villes aurait ainsi un faible impact sur la géographie de la région du Salento, contrairement au scénario qui voudrait qu’une grande majorité de population

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implante sa maison individuelle sur sa parcelle cultivable. Un autre scénario développait l’idée d’une très forte pression foncière sur le littoral. D’autres, beaucoup plus volontaristes, ne s’inscrivaient dans aucune tendance, comme celui par exemple de l’augmentation des forêts. De manière conceptuelle, nous avons superposé tous les scénarios développés afin d’étudier les zones de conflit ou au contraire les coexistences envisageables. Est-il possible de faire coexister le développement urbain et l’expansion de la naturalité ? Peut-on faire coexister le tourisme et l’agriculture ? Certains projets existants sont-ils à même de démontrer de telles capacités de coexistences ? Ce thème est devenu central. Nous avons mis en évidence une zone de conflit entre, d’une part, les ressources en eau, et de l’autre, certains processus d’étalement urbain. Contrairement à un certain nombre d’idées reçues, la région du Salento n’est pas pauvre en eau, mais la multiplicité des puits illégaux pose aujourd’hui des problèmes de salinisation de l’eau lourds de conséquences. Ce territoire, toujours perçu comme unitaire et homogène, faisait soudainement apparaître d’importantes inégalités en terme de ressource en eau. Le scénario d’une forte pression foncière le long du littoral évoqué précédemment devenait dès lors dangereux. Nous avons alors établi une série de schémas conceptuels, proposant quelques noyaux de densité plus élevée le long du littoral afin de répondre à la demande sociale tout en anticipant les réponses aux nouveaux problèmes que cette situation générait.

Il y a dans les métropoles du Sud une richesse incroyable qui tient de leurs conditions climatiques, à tel point que l’on pourrait imaginer que la région du Salento serait à même d’alimenter les régions du Nord, renversant ainsi l’image parfois négative du Sud considéré comme territoire non autonome. La compréhension de cette richesse permet l’émergence de projets alliant l’archaïque et l’hyper-contemporain, signifiant en cela l’absence d’une situation

médiane. Le Salento est un territoire qui semble ne pas avoir connu toutes les phases de l’histoire, un territoire où la modernité orthodoxe n’a pas laissé son empreinte. Cette spécificité semble caractériser bon nombre de territoires méditerranéens, fondant en cela une différence fondamentale avec les pays du Nord de l’Europe. C’est en cela que nous devons commencer à poser les bases de définition d’une nouvelle modernité. Je pense que cette modernité est avant tout située. Non générale, elle doit à chaque fois se trouver des arguments spécifiques pour exister. Cette modernité est également moins hiérarchisée. Elle valorise les relations horizontales aux dépends des relations verticales. Elle est flexible, s’adaptant de façon différenciée à chaque contexte. Enfin, cette modernité nous parle de rationalité écologique et de nouvelles intégrations.

Bernardo Secchi

Je vais maintenant vous présenter le deuxième projet, situé dans la région de Venise. Il s’agit d’une recherche qui s’est soudée par un projet financé par le Ministère de la Recherche Italienne, au regard notamment du travail sur la ville diffuse que nous menons depuis les années 1980. Cette notion est souvent source de malentendus à mon égard, me faisant le défenseur de la ville diffuse. Ce n’est pas que je désire la ville diffuse, mais en tant qu’elle existe, elle devient pour moi un sujet d’étude. Ce phénomène remonte au 16ème siècle quand, Christophe Colomb ayant découvert l’Amérique, la république vénitienne se coupe du trafic maritime et commence à développer l’agriculture. Cette époque signe le début de la construction de riches maisons dans la région du Veneto afin de développer l’exploitation de la terre. La deuxième partie du 19ème siècle marque une importante accélération du phénomène. Il ne s’agit pas tant pour la ville diffuse de caractériser une constellation de petites villes qu’un territoire lui-même conçu comme une ville.

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Si je demande à titre d’exemple à un de mes étudiants de me raconter sa journée, il va me livrer un discours de ce type : « je me réveille ici le matin, prends mon petit-déjeuner, et je pars de chez moi. Mon père travaille dans la petite usine de tel quartier, ma mère est employée dans l’administration de telle ville, ma sœur travaille dans un magasin au bout de telle rue, et moi, je traverse telle et telle ville pour me rendre à mes cours. Ma petite amie habite le quartier X, et ce soir, nous irons dans une pizzeria située dans le quartier Y. Après, nous irons en boîte dans le quartier Z… » Tout un territoire est ici utilisé comme s’il s’agissait d’une ville. Les trajets que l’on effectue dans une ville sont certes moins longs, mais ils ont la même durée. Tous ces déplacements ne durent que quinze à vingt minutes. C’est en cela qu’il est possible de parler « d’une » ville diffuse. Nous avons commencé à décrire cette ville, à analyser ses composantes. Cette ville n’est pas belle, et tout le monde est prêt à s’accorder sur le caractère catastrophique de son organisation. Toutes les villes, aussi belles soient elles, ont cependant connu un stade originel où elles n’étaient que baraquements désordonnés. Puis, au fur et à mesure, s’est constituée une géographie de la ville par la reconnaissance de la valeur et de la prédominance de certains lieux. Aujourd’hui, après trente à quarante ans d’existence, la ville diffuse commence à laisser apparaître certains de ces lieux, et il me semble nécessaire d’apprendre à les identifier afin d’influer sur son processus de développement.

Le projet que nous avons établi se situe dans un territoire construit par l’eau, irrigué de multiples canaux et disposant du plus grand bassin hydraulique d’Europe. La partie Nord est une plaine sèche, tandis que la partie Sud, argileuse, est souvent inondée. Afin de drainer le territoire, les Romains ont défini une maille de canaux orientés par rapport à la pente du sol, influant tant sur les tracés parcellaires que sur ceux des voiries. Nous avons réalisé un travail important afin de répertorier tous les dispositifs utilisés dans l’histoire afin de gérer l’eau sur ce territoire paradoxal où l’eau vient à manquer malgré la fréquence de crues. La république de Venise jonglait à l’époque avec ses canaux, les déplaçant en fonction des besoins et des ressources qu’il était possible de mobiliser, jusqu’à définir un réseau très dense à la fin du 19ème siècle. Sa modification, avec notamment le bétonnage de certains canaux, a alors eu de graves conséquences sur l’agriculture. Cette dernière représente 70% de la superficie de la région, mais son impact économique est très faible. Ce territoire souffre d’une très forte congestion, liée notamment à l’inadaptation actuelle des accès autoroutiers. Nous avons donc posé les bases d’une réflexion sur l’amélioration des réseaux et de la mobilité. Le travail sur l’amélioration des réseaux amène souvent à projeter des infrastructures très lourdes comme des autoroutes ou des lignes TGV, oubliant que l’on dispose déjà d’un réseau qu’il suffirait d’exploiter de façon différenciée. Nous avons pris le parti de travailler d’après le concept de l’éponge plutôt qu’à partir de celui du tuyau. A partir des modèles de simulation du trafic développés par des confrères mathématiciens, nous avons appris que le modèle de l’éponge générait un système isotrope, qui ne privilégiait pas une direction plus qu’une autre. Pour en donner une définition simple, je dirais que l’anisotropie est l’image d’un pouvoir centralisé alors que l’isotropie est l’image du pouvoir démocrate. Je rejoins ce que disais Manuel Gausa en ce début d’après midi,

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et pense qu’il n’est peut-être pas tant besoin de développer les axes principaux que de travailler au tressage des axes secondaires, permettant en cela de construire un territoire poreux. Cette hypothèse favoriserait une accessibilité généralisée et pourrait solutionner certains phénomènes de clôture et d’enclavement à l’origine d’importantes inégalités sociales.

A partir de ces données, nous avons développé des scénarios basés sur l’hypothèse d’une complète élimination du trafic à l’échelle du territoire. Nous avons procédé à des simulations économiques, où tout l’argent utilisé pour la voiture se retrouvait investit dans le développement de transports collectifs. Nous avons également analysé les différentiels en terme de temps de déplacement… Le seul problème auquel nous nous sommes confrontés tient de la relation affective que les gens entretiennent avec la voiture.

Paola Viganò

Je voudrais vous présenter quelques images afin d’éclaircir les propos. Nous sommes partis du concept « d’eau et d’asphalte » et avons essayé de comprendre quelles pourraient être les conditions nouvelles qui permettraient de renforcer le caractère isotropique du territoire. Sa condition est très différente de la région parisienne par exemple, où la dimension isotropique n’est pas présente. L’isotropie est fragile, ce n’est pas un caractère fort du territoire. Il suffirait par exemple de définir un grand axe coupant des dizaines de rues liées entre elles pour perdre ce caractère. Ce projet relève d’un choix : faut-il renforcer l’isotropie, la sauvegarder, ou accepter de perdre ce caractère récessif? Nous avons pris le parti d’affirmer l’isotropie comme potentialité de réponse à des problématiques que nous aurons à affronter dans le futur. Il nous semble ainsi que les inondations par exemple, seront plus faciles à affronter par des systèmes «diffus»

que par des grandes infrastructures. Le réseau hydraulique existant offre en ce sens un potentiel extraordinaire en terme de régulation des inondations. L’isotropie est occasion et figure de la rationalité économique. Ainsi, avec de petits projets qui s’intègrent dans une réflexion plus vaste, il est possible d’imaginer de renforcer le caractère isotropique d’un territoire. Cette dimension a certes une valeur politique, mais tend également à développer une forme de rationalité écologique.

Joris Périé : Merci beaucoup pour cette intervention au travers de laquelle vous nous avez exposé un regard, mais également des outils de fabrication de la ville contemporaine. Selon vous, dans ce processus de projet urbain, quel doit être le rôle des urbanistes vis-à-vis des habitants, des élus et des administrateurs ?

Bernardo Secchi : Je n’approuve pas la distinction entre architecture et urbanisme, trop souvent évoquée dans les écoles d’architecture, et qui, à mon sens, est lourde de conséquences sur le plan professionnel. Pour tout projet, il est nécessaire d’opérer à des allers et retours. Nous réfléchissons à la grande échelle pour définir ce qu’il se passe à la plus petite. Par ailleurs, il me semble que l’urbanisme règlementaire a fait perdre le sens de la communication du projet aux citoyens. Le rôle de l’urbaniste aujourd’hui est de mettre en relief les problèmes urbains et métropolitains, de les expliquer et d’informer les citoyens que ces problématiques ne pourront être

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résolues que sur un plan politique, économique et architectural. Le rôle d’un urbaniste est un rôle politique au sens noble du terme, celui de la construction de la culture d’une ville. Pour ce faire, il est nécessaire de faire évoluer les imaginaires collectifs et de susciter l’envie de voir se développer de nouvelles solutions.

Paola Viganò : J’ajouterais seulement une chose sur le rôle du projet. Je viens de terminer un livre sur « le projet comme producteur de connaissances » qui, je l’espère, sera rapidement publié1. Nous avons en notre possession un élément fondamental de production de connaissance qui ne se situe ni dans les livres ni dans tout autre type de spécialité ou d’expertise. Le projet produit une connaissance originelle. Si nous, architectes et urbanistes, arrivons alors à prendre conscience de la force du projet en tant que producteur de connaissance, alors il me semble que nous serons capables de définir notre rôle dans la société. Merci beaucoup.

1. Paola Viganò, I territori dell’urbanistica, Il progetto come produttore di conoscenza, Officina, Roma, 2010.

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Je voudrais remercier l’ensemble des intervenants pour leurs conférences qui, a mon sens, ont été exceptionnelles, ainsi que les étudiants pour l’énorme travail accompli afin d’organiser et de structurer cette journée. Pour résumer, revenons sur quelques points déterminants qui ont scandé ce symposium avant de terminer en citant François Ascher qui nous a quittés l’année dernière et qui, pour nous tous, était une personnalité extrêmement importante. Gilles Cusy a annoncé ce matin que l’objectif de

l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier était de poursuivre l’action qu’elle mène afin d’être reconnue pour la spécificité de son positionnement au regard des métropoles du Sud. Elodie Nourrigat a indiqué que nous étions plusieurs enseignants à s’être engagés dans cette voie et que nous espérions ainsi rassembler une diversité des points de vue au travers d’une pédagogie ouverte et propice au débat.

Clôture ...........................................................

Laurent Duport

Laurent DUPoRT

Architecte & enseignant à l’ENSAM

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Photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

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Je tiens à remercier tout particulièrement Gilles Perraudin pour son exposé remarquable de clarté, de simplicité et de didactique, s’appuyant avec modestie sur des exemples concrets, soulignant la nécessité de retrouver le sens d’un héritage afin de construire la ville de demain. Cette journée nous a offert un panel extrêmement large d’outils de fabrication de la ville, diagrammes, schémas, scénarios, qui, je l’espère, aideront nos étudiants à imaginer et façonner les métropoles du Sud.

Chris Younès a interrogé les spécificités du Sud et la question des éco-métropoles au travers des propos de Marcel Roncayolo ou encore d’Edgar Morin. Elle a ainsi mis en évidence l’importance du croisement des points de vues, qu’ils soient géopolitiques, économiques ou géographiques, afin de nourrir la réflexion sur les métropoles du Sud. Manuel Gausa nous a quant à lui passionné par un fleuve ininterrompu de principes, de schémas, de paysages, mais également de voyages à la fois physiques et conceptuels autour de la ville de Barcelone. Les diagrammes proposés lors de son intervention ont ainsi permis une efficace communication de ses idées. Marc Barani a lui aussi tenu des propos extrêmement riches sur la notion d’horizon, de masse, de lumière, de creusement ou encore de pente. Je voudrais le remercier d’avoir souligné la justesse du logo « Métropoles du Sud », remarque qui, je suis sûr, aura particulièrement gratifié les étudiants. Enfin, Bernardo Secchi et Paola Vigano nous ont mis en garde contre toute forme de mystification de la métropole tout en proposant un processus de fabrication du projet au service d’un véritable positionnement d’architecte.

Je voudrais en venir à citer François Ascher sur un certain nombre d’idées concernant l’urbanisation, la métropolisation, mais également l’enseignement avant de terminer par quelques propos extrêmement sensibles et sensés de l’architecte Rudy Ricciotti. François

Ascher disait ainsi : « L’urbanisation continue – y compris dans les pays presque totalement urbanisés – sous la forme de la «métropolisation», c’est-à-dire de la concentration des richesses humaines et matérielles dans et autour des grandes agglomérations. La maîtrise du développement urbain, l’urbanisme à grande échelle, mais également les choix urbains de proximité nécessitent donc la prise en compte du fonctionnement des villes à cette nouvelle échelle métropolitaine élargie. Une métropole comme une ville n’est ni une addition de villages, ni une mosaïque de quartiers. Elle est système et doit être pensée comme articulation dynamique entre le tout et les parties. L’urbanisme est donc fait d’actions simultanées à diverses échelles. Aussi nécessite-t-il aujourd’hui à la fois des pouvoirs d’agglomération forts et démocratiques, et une prise en compte des intérêts locaux au plus près des habitants et des usagers. Les métropoles se développent par croissance interne, en se densifiant, en s’étendant à leur immédiate périphérie et en se recomposant, et par croissance externe, en absorbant dans leur aire de fonctionnement des villes et des bourgs, des villages et des zones rurales. Elles forment ainsi un nouveau type de ville, les métapoles, distendues, discontinues, hétérogènes et multipolarisées. La métropolisation, la division du travail et la complexité croissante de la société redéfinissent les échelles de la ville. Le droit à la mobilité devient un droit générique car il conditionne l’effectivité de la plupart des autres droits – au logement, au travail, à l’éducation, à la santé, aux loisirs… L’urbanisme contemporain doit donc attacher une importance accrue aux modes, aux lieux et temps des déplacements ».

Quelques propos également de François Ascher sur l’enseignement de l’urbanisme, qui selon lui « doit apprendre aux divers spécialistes d’économie urbaine, de sociologie urbaine, d’architecture, de géographie, d’écologie urbaine à travailler ensemble sur des thématiques communes (logement, transport, planification,

environnement…) et sur des projets communs, pour développer une connaissance réciproque des modes de raisonnement et des référentiels des uns et des autres. Il doit initier une culture urbaine commune internationale, par des enseignements, par une pratique intense de la lecture, par des visites et des voyages d’étude»1.

« François Ascher était dans les villes, il était des villes. Il appliquait aux villes la curiosité, l’appétit qu’il avait de la vie moderne. En gourmet qu’il était, il en dégustait sans a priori esthétique le fumet, l’avant-goût, toutes les nuances de leur saveur et aussi les arrière-goûts, avec leurs déceptions. François Ascher était un capteur d’urbanité, lecteur des formes comme des pratiques modernes. Jamais à la recherche d’un modèle mais à l’affût des pratiques inédites, des solutions prometteuses. Sans doute pourrait-on inventer une nouvel épithète, des plus aschériens : celui de « métapolitain» ou de « métaurbain » rendant compte de la capacité qu’il avait à détecter dans la substance des villes la palpitation du réel la plus prosaïque, alliée à la promesse de l’utopie»2.

Enfin, je ne résiste pas à citer Rudy Ricciotti en guise de conclusion lorsqu’il proclame : « je suis un architecte inquiet et j’essaie comme tant d’autres de produire du sens, de considérer le contexte désespéré, croyant en la narration et au récit comme de nourritures et espérant encore qu’il y a quelque honneur à faire ce métier. La difficulté d’être de l’architecte se heurte à la pornographie du global. Mais depuis quelques temps, il convient de devenir optimiste : les

1. François Ascher, Organiser la ville hypermoderne, Ed. Parenthèses, Marseille, 2009, p.21 à 24.

2. Jean-Louis Cohen, « Le rat des villes et le rat des champs – François des villes » In Organiser la ville hypermoderne, Ed. Parenthèses, Marseille, 2009, p.90-91.

citoyens ont pris la mesure de notre décadence et de la prédilection bureaucratique. Les jeunes sont très avertis et c’est heureux. Demain je ne sais pas quel architecte je serai, mais je n’aspire pas à la sagesse. Quoi qu’il en soit, les défis de l’architecture concernent aujourd’hui la densité, seule solution si l’on veut laisser du terrain non imperméabilisé à nos enfants ; vous noterez qu’il n’est pas dit « naturel », l’exigence est modeste. Le défi de l’architecture de demain est de continuer à être un récit compris par chacun et porteur d’un projet de société. Le combat complémentaire à mener est de se débarrasser à la fois des scories d’un néo-régionalisme abrutissant et n’une néo-modernité tardive et dégradante. Au-delà du style, c’est l’attitude qui l’emporte. Au-delà de l’attitude, il s’agira de réactiver quelques croyances comme instinct de survie. Travailler, c’est célébrer le contexte et transcender la circonstance »3.

3. Rudy Ricciotti, HQE, les renards du temps, Ed. Al Dante, 2009.

Métropoles du Sud

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Gilles Perraudin choisit ici d’interroger la question des éco-quartiers, fondant son intervention sur un postulat simple : si un modèle d’éco-quartier spécifique aux métropoles du Sud devait être établi, ses bases seraient peut-être à trouver dans nos villes traditionnelles méditerranéennes. Il s’agit dès lors pour l’architecte de poser un regard objectif sur les dispositifs de constitution de ces villes afin d’en extraire des éléments de possible réactualisation. La recherche de l’ombre, de la fraîcheur, l’étroitesse des rues, la grande hauteur sous plafond des appartements,

l’utilisation de matériaux respirants, ou encore les valeurs de l’inertie sont autant de dispositifs que Gilles Perraudin s’attache à explorer afin d’en révéler les caractéristiques les plus élémentaires. Fort de ces observations, l’architecte présente ensuite un projet de simulation, tentant ainsi d’établir une première esquisse formelle de ce que pourrait être un éco-quartier méditerranéen.

RésumésABSTRACT

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteLyon

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Gilles Perraudin chooses here to question the concept of eco-quarters, basing his lecture on a simple postulate: if a specific model of eco-quarter in South metropolises has to be established, its bases would perhaps be to find in our Mediterranean traditional cities. The architect proposes an objective glance on the constitutive devices of these cities in order to extract some possible updating elements. The search for shade, freshness, the narrow-mindedness of streets, the important height under apartments ceiling, the use of breathing materials, or still inertia values are many devices that Gilles Perraudin attempts to investigate to reveal their most elementary characteristics. The architect then presents a simulation project, trying to establish a first sketch of what could be a Mediterranean eco-quarter.

S’attachant à une pensée philosophique alliant nature, urbain et architecture, Chris Younès propose de se positionner sur une définition du Sud en tant que concept. Se référant aux travaux de Marcel Roncayolo, Chris Younès évoque tant l’unité des territoires méditerranéens que la violence des adversités entre ces territoires, exacerbant les tensions entre nature et culture dans un contexte de mondialisation. Poursuivant ses réflexions, la philosophe présente les spécificités de l’Europe antique méditerranéenne, berceau des réflexions contemporaines sur la fragilité des milieux et leur capacité de résilience. Les éléments naturels, eau, air, terre, feu, reviennent ainsi au cœur des problématiques contemporaines, renouant avec une certaine pensée archaïque. Ces observations tendent alors à interroger le concept contemporain d’éco-métropole en tant

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Métropoles du Sud

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qu’enjeu architectural et urbain à même de régénérer les milieux et d’opérer à de nouvelles articulations entre local et global. Chris Younès invite ainsi à une profonde réflexion sur la nécessité de savoir hériter pour mieux inventer.

Proposing a philosophic thought relative to nature, urban and architecture, Chris Younès suggests a definition of the South as a concept. Referring to Marcel Roncayolo’s works, Chris Younès evokes both the unity of the Mediterranean territories and the violence of the adversities between these territories, aggravating the tensions between nature and culture in a context of globalization. Pursuing her reflections, the philosopher presents the specificities of antique Mediterranean Europe, cradle of contemporary thoughts on the natural environment fragility and its resilience capacity. Natural elements as water, air, earth and fire so become contemporary problematics, taking up with a certain archaic thought. These observations tend then to question the concept of eco-metropolis, as an architectural and urban challenge to regenerate natural environments and operate new articulations between local and global. Chris Younès so invites to a profound reflection on the necessity to know how to inherit to innovate.

Au travers de l’intervention « Diagrams Cities », l’architecte Manuel Gausa propose une exploration de la ville contemporaine méditerranéenne au travers du travail de recherche qu’il mène depuis plusieurs années

sur la ville de Barcelone et plus largement, sur la Catalogne. D’un système de figurations, la ville est devenue ville d’informations, invitant à repenser les schèmes traditionnels d’interventions sur les territoires urbanisés pour fonder de nouvelles structurations fondées sur l’articulation, la flexibilité et la mise en réseau. Face à cette complexité de la ville, Manuel Gausa propose de travailler à l’aide de diagrammes, dispositifs permettant de synthétiser les informations et de mettre en place des stratégies de projet. C’est au travers de ces diagrammes que l’architecte émet ainsi l’hypothèse d’une nouvelle lecture de la ville de Barcelone, et pose les bases d’une réflexion sur les modalités vertueuses de son évolution.

Through the intervention titled « Diagrams Cities», the architect Manuel Gausa proposes an exploration of the Mediterranean contemporary city through the research work he leads for several years on the city of Barcelona, and

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SYMPoSIUM2010

Chris YoUNES

PhilosopheParis

Manuel GAUSA

ArchitecteBarcelone

©Michel Maraval

©Michel Maraval

©Michel Maraval

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SYMPoSIUM2010

more widely, on Catalonia. From a figurative system, the city became informational city, inviting to rethink the traditional schemes of interventions on urbanized territories in order to establish new project structuring based on articulation, flexibility and networking. Integrating this complexity, Manuel Gausa proposes a work based on diagrams, devices allowing to synthetize information and to set up project strategies. Through these diagrams, the architect emits the hypothesis of a new reading grid of Barcelona, constituting a background to think its evolution modalities.

Evoquant les « Méditerranées » au pluriel, Marc Barani articule son intervention autour de la relecture de six projets menés sur 20 ans de carrière, tous présentant une réponse spécifique à des problématiques inhérentes à diverses métropoles du Sud. Derrière la modernité qui émane de nos villes méditerranéennes, l’architecte convoque une forme de substrat identitaire, orientant nos pensées et nous façonnant en tant que produit de notre territoire. Qu’il s’agisse de l’extension du cimetière de Saint-Pancrace à Roquebrune, de la construction d’une villa individuelle à Cannes, de la réalisation de la tombe de Rafic Hariri à Tripoli en Lybie ou encore du pôle multimodal du tramway à Nice, le travail de Marc Barani se comprend au travers d’une quête presque obsessionnelle pour l’horizon de la mer Méditerranée, identité singulière qui autonomise autant qu’elle connecte.

Evoking «the Mediterraneans» in plural, Marc Barani articulates his lecture around six projects led over a 20 years career, all presenting a specific answer to inherent problems of diverse South metropolises. Behind the modernity which emanates from our Mediterranean cities, the architect summons a kind of identical substratum, giving direction to our thoughts and shaping us as a product of our territory. With the extension of Saint Pancrace’s cemetery in Roquebrune, France, the construction of an individual villa in Cannes, France, the realization of Rafic Hariri’s grave in Tripoli, Lybie, or still with the multimodal pole of Nice’s tramway, Marc Barani’s work seems to always reveal the same obsessional quest for the Mediterranean sea horizon, as a singular identity which autonomise but also connects.

Au travers de leur intervention, il s’agit avant tout pour Bernardo Secchi et Paola Viganò d’exposer une méthodologie de travail trouvant son fondement dans le projet lui-même, en tant que producteur de connaissances. Refusant toute forme d’a priori sur les sites sur lesquels il leur est donné de se positionner, les deux architectes et urbanistes milanais affirment la nécessité d’inventer de nouveaux outils conceptuels capables de répondre de façon spécifique à des problématiques situées. Considérant ainsi le projet comme objet de recherche, Bernardo Secchi et Paola Viganò appréhendent les problématiques urbaines contemporaines par l’élaboration de scénarios projectuels susceptibles de rendre compte d’un large panel de futurs possibles. Une fois superposés, ces scénarios révèlent des zones de conflit ou au contraire des coexistences permettant d’orienter le projet vers la meilleure solution possible. La diversité des problématiques soulevées par chaque ville est ainsi considérée comme autant d’opportunités pour constituer une autre modernité : une modernité située, qui doit à chaque fois trouver des arguments spécifiques pour exister, une modernité flexible, s’adaptant de façon différenciée à chaque contexte, une modernité, enfin, qui convoque la rationalité écologique et l’intégration.

Through their lecture, Bernardo Secchi and Paola Viganò expose a working methodology finding its foundation in the project as producer of knowledge. Refusing any kind of «a priori» on sites and territories onto which they have to work, both Milanese architects and town

planners assert the necessity to invent new conceptual tools able to give specific answers to located problematics. So considering the project as object of research, Bernardo Secchi and Paola Viganò comprehend contemporary urban problems by elaborating scenarios susceptible to render a wide panel of possible futures. Once stacked, these scenarios reveal conflict zones or coexistences allowing to direct the project to the best possible solution. The variety of problems raised by each city is so considered as many opportunities to establish another modernity: a situated modernity which has every time to find specific arguments to exist, a flexible modernity, adapting itself in a differentiated way in every context, a modernity, finally, which convenes ecological rationality and integration.Marc BARANI

ArchitecteNice

Bernardo SECCHI & Paola VIGANo

Architectes & urbanistesMilan

©Michel Maraval

©Michel Maraval

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Gilles PERRAUDIN

ArchitecteProfesseur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Photos : 1 // Extension du Palais de Belém - 2002 - Lisbonne - Portugal. 2 // Pavillon de la connaissance des mers pour l’exposition 1998 - 1998 - Lisbonne - Portugal. 3 // Théâtre et auditorium - 2008 - Poitiers - France. 4 // Centre d’information - 2004 - Caravelos - Portugal. 5 // Eglise san Antonio - 2008 - Portalegre - Portugal. 6 // Reconversion du monastère de Flor da Rosa - 1995 - Crato - Portugal.

Ecole Nationale Supérieured’ Architecture de Montpellier:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

Enseignants ENSAM

Jacques BRION // Elodie NOURRIGAT // Laurent DUPORT // Pascal PERRIS // Michel MARAVAL // Gilles PERRAUDIN // Pierre SOTOAssistés de : Garance DAVET // Julie MORELDessins : pages 64-65-66-67 © Michel MARAVAL

Etudiants de Master du domaine d’études Métropoles du Sud // 2010

ALIGNOL Olivier // AMOUROUX Laetitia // ANTOUREL Karen // BABAD Julien // BAY Iris // BERRUEE Gwennaelle // BONHOURE Audrey // BORIE Elodie // BORRAS Alexia // BRUNET Sandrine // DESCHAINTRES Cléo // FUENTES Emilie // JELDESS Carlos // KARIMI GOLDPEYEGANI Néguine // LEROY Simon // MESLIN Aurélie // MOREL Marie // MULLER Laura // PASQUIER Aline // PELOUX Benoît // PERIE Joris // POINTU Sophie // ROUBY Romain // ROUX Clément // TACHOIRES Cédric // TEBBAKHA Fatech // TURLAIS Brice // TUSCH Hélène // ANDREAULT Céline // BELAUD Nicolas // BREARD Mylène // CELESTE Nicolas // CHAMBON Nadine // CLAIN Natacha // FANGOUSSE Adeline // GELY Laurianne // GOBIN Marilyn // GOUJON Quentin // MOY DE LACROIX Roxanne // NAIKEN Even // PAGANO Christelle // PIRO Sarah // TOIRON Vivien // WAGENHEIM Nicolas // AH-SING Kenny // ANNE Matthieu // BENAZZOUZ Ali // BERTUCCI Sebastien // BICHO Daniel // BIRAUD Aurélie // BOUGRAINE Fatima Zahra // BRUNEAU Yannick // BRUNEL Ambroise // CHAPUY Marie // COMEAU Anaïs // DALBY Thomas // DIEU Julie // FOLCHER Julien // FRATTI Reinald // GARCIA Pablo // GERVAIS Bérangère // GIARDI Coline // GRENIER Demian // LEMAITRE Mélissa // MAI NGUYEN Nha An // MARCHAL Romain // OSTROWSKI Alexandre // REGNIER Pierre-Marie // SCHULTHESS Alexandre // VALTAT Jonathan // VERGNAULT Vanessa

Editeur : Editions de l’Espérou

Ligne graphique : Federation of ideas

Photographies : leurs auteurs

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L’équipe pédagogique Métropoles du Sud tient à remercier:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

Pour la mise à disposition de la salle :

La Faculté de Médecine de Montpellier

Pour leur soutien :

L’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier Le laboratoire du GERPHAUL’Ordre des ArchitectesArchipelArts Hélio

Gil les PERRAUDIN, Chr is YOUNES, Manuel GAUSA,Marc BARANI , Bernardo SECCHI & Paola VIGANO

M é t r o p o l e s d u S u d

SYMPOSIUM2010

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