systÉmatique des valeurs de bien (adverbe)en …
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Université de Franche-Comté. Besançon
Faculté des Lettres et Sciences humaines
UFR Sciences du Langage de l'Homme et de la Société
SYSTÉMATIQUE DES VALEURS DE BIEN (ADVERBE)EN
FRANCAIS CONTEMPORAIN
Pierre PÉROZ
Thèse de doctorat de linguistique (arrêté du 23/11/88)
Sous la direction de M. Denis PAILLARD
Jury:
M. Jacques BOURQUIN
Professeur à l'Université de Franche-Comté
M. Antoine CULIOLI
Professeur à l'Université de Paris VII
M. Jean-Jacques FRANCKEL
Maître de conférences à l'Université de Franche-Comté
M. Georges KLEIBER
Professeur à l'Université de Strasbourg II
M. Denis PAILLARD
Chargé de recherche au C.N.R.S.
18 mars 1991
1
2
àmesparents
3
REMERCIEMENTS
Je tiens a remercier Denis Paillard qui a accepté de diriger
cette thèse. J'ai apprécié, tout au long d'une recherche qui a eu
ses aléas, la grande valeur de ses remarques et le tact amical de
ses silences.
Ma reconnaissance va également à Jean-Jacques Franckel. Ses
critiques et ses conseils ont joué un rôle essentiel dans la
maturation de ce travail.
Je dois aussi beaucoup à César Akuetey. Les nombreuses
discussions, parfois passionnées, que j'ai pu avoir avec lui
m'ont permis de dépasser bien des obstacles.
Je veux remercier enfin les membres du "groupe du mercredi"
et les membres du Centre Lucien Tesnière de l'Université de
Besançon. C'est lors des séances de travail de ces deux groupes
que nombre des hypothèses qui ont été finalement retenues ont été
formulées pour la première fois.
Besançon, Mars 91.
4
SOMMAIRE.
INTRODUCTION:Lesvaleursdebien................p: 5
CHAPITREI:L'"appréciatif"........................p: 37
CHAPITREII:L'"intensif"...........................p: 73
CHAPITREIII: Lasuite"bien+dét+nom"...........p: 101
CHAPITREIV:Le"confirmatif".......................p: 127
CHAPITREV:Le"confirmatif.t".....................p: 149
CHAPITREVI:La"prophétie" et la "sollicitation"...p: 178
CHAPITREVII:L'"optatif"etle"concessif"..........p: 204
CONCLUSION:Systématiquedesvaleursdebien.....p: 232
BIBLIOGRAPHIE....................................p: 260
TABLEDESMATIERES
5
INTRODUCTION
LES VALEURS DE BIEN
Le sens de l'adverbe bien varie selon le contexte
dans lequel on le trouve. La constatation est banale, "tout
dépend du contexte, n'est-ce pas?". Il n'y a qu'à consulter un
dictionnaire, on verra que "La description des valeurs de (fort)
bien telle qu'elle apparaît dans le Littré, le TLF, le Robert,
Lexis ou le Grand Larousse de la langue française est plus ou
moins ordonnée, plus ou moins complète, mais est, pour
l'essentiel acceptable".(A. Culioli, 1978, p300) (1).
Mais où est l'essentiel?
Selon que l'on consulte un dictionnaire (critères sé-
mantiques) une grammaire (critères grammaticaux) ou certains
articles de linguistique (critères syntaxiques) l'"essentiel"
varie considérablement.
Doit-on considérer, à la suite d' E. Littré (éd de 1963)
(2), que bien peut prendre huit valeurs différentes (sans compter
les locutions) ou bien quatre comme le propose P. Robert (éd de
1966) (3)? Faut-il faire une moyenne, n'en retenir que cinq comme
l'ont fait les auteurs du Lexis (1975) (4)? Ou faut-il ici
6
abandonner tout espoir? On peut le penser après avoir parcouru
les treize types d'exemples différents retenus par les auteurs du
Dictionnairedel'Académiefrançaise (éd de 1877) (5)!
C'est sans aucun doute l'idée de D. Duprey (1979) (6) qui a
consacré une thèse au "problème de bien". A son avis (p45), la
question du nombre des valeurs de bien est "une impasse:
l'impasse de la liste et de la classification des sens, liste
infinie, classification désopilante".
Admettons que la question du nombre des valeurs soit une
mauvaise question. Mais par où doit-on commencer? Là, les
dictionnaires sont unanimes, bien est d'abord un adverbe de
manière qu'on peut gloser par "comme il convient", "d'une manière
satisfaisante" (P. Robert, éd de 1966) ou par "de la bonne
manière", "à merveille" (E. Littré, éd de 1963) etc... C'est la
première valeur de bien. Voilà quelque chose d'établi (elle
correspond pour une bonne part à ce que nous nommerons
l'"appréciatif"). Qu'en est-il de la seconde?
Las, déjà les avis divergent. S'agit-il de l'adverbe de
quantité glosable par "très" ou "beaucoup" (E. Littré) ou de
l'emploi adjectival de bien: "Suis-je bien ainsi?", "Il est
difficile aux hommes de ne pas outrer ce qui est bien" (P.
Robert).
Les grammairiens rejoignent les lexicographes sur le premier
point: bien est d'abord un "adverbe de manière" (ainsi M.
Grevisse, §833, p876) (7). La plupart distinguent aussi deux
7
autres valeurs, l'"intensité" (parfois nommée "quantité") comme
dans "Il est bien malade" (R.L. Wagner et J. Pinchon, 1962, §489,
p413) (8), et l'"opinion" (que nous nommons "confirmatif") comme
dans: "C'est bien lui que j'ai vu hier" (M. Grevisse, §870, p924)
(nous verrons des exemples de "confirmatif" au chapitre IV).
Les problèmes commencent quand on aborde d'autres valeurs de
bien. Comment doit-on analyser un exemple comme: "Vous entrerez
bien cinq minutes?" ("sollicitation") ou encore, en contexte
polémique, un exemple comme "Et vous, vous mangez bien des
grenouilles!" ("confirmatif.t"). Les grammairiens que nous citons
n'en disent pas un mot (nous verrons des exemples de
"sollicitation" au chapitre VI et des exemples de "confirmatif.t"
au chapitre V; les appellations comme "appréciatif", "intensif"
ou "confirmatif.t" seront justifiées au cours de l'étude (9).
On nous dira que pour les grammairiens, comme pour les
lexicographes, c'est l'usage qui préside au choix des valeurs
retenues, oui mais selon les auteurs, l'usage est bien changeant.
Nous devons peut-être nous tourner vers des analyses dont
les critères sont moins sémantiques, en un mot nous tourner vers
des études de type syntaxique. Sur bien à proprement parler, il
n'en existe pas. On peut cependant consulter des ouvrages qui
dans l'optique de l'analyse syntaxique traitent des adverbes en
général. Ces ouvrages sont fort nombreux, nous n'en citerons que
quelques uns dont les auteurs ont inclus bien dans leur corpus
d'étude.
8
Nous rappellerons brièvement les conclusions de B. Combettes
et R. Tomassone (1978) (10) et celles de J-Ph. Dalbera (1980)
(11). En simplifiant, on peut dire que ces auteurs ont le même
objectif, ils veulent constituer des classes d'adverbes homogènes
sur la base de leurs propriétés syntaxiques.
Voyons d'abord brièvement comment ils traitent de la
définition des adverbes. C'est un problème depuis longtemps
débattu (12). La plupart des auteurs, dont ceux que nous citons
donnent l'invariabilité comme un critère essentiel de définition
mais ils s'accordent à dire qu'il s'agit d'une catégorie très
hétérogène (13) donc difficile à définir. Dans la mesure où nous
ne travaillons que sur un seul adverbe nous pourrions nous
contenter de ces remarques. Mais nous ne voulons pas revenir à
bien sans en donner une définition qui quoiqu'elle fût ancienne
nous a paru plus satisfaisante.
Il s'agit de celle établie par James Harris (1751) (14). De
son point de vue, les parties du discours peuvent être ramenées à
deux types de mots, ceux qui sont "significatifs par eux-mêmes"
et ceux qui sont "significatifs par relation" (p31). Dans la
première catégorie il place les noms et les pronoms personnels
qu'il nomme tous ensemble "substantifs" (p73) ainsi que les
verbes, les adjectifs, les participes et les adverbes qu'il
regroupe sous le terme d'"attributifs" (p30). Ces derniers
n'existent pas isolément, ils sont joints à un à un autre mot, en
particulier à un substantif pour former une phrase correcte. J.
9
Harris écrit (p179): "Quand nous disons: Cicéron et Pline furent
tous deux éloquents, ou, Stace et Virgile ont tous deux écrit,
dans ces exemples les attributifs, éloquents et ont écrit, ont un
rapport immédiat aux substantifs Cicéron, Virgile etc... et comme
ils expriment des attributs de substances, on les appelle
attributifs du premier ordre". Les adverbes eux vont se rapporter
à d'autres attributs, "et comme ils expriment des attributs
d'attributs, nous (J. Harris) les appelons attributifs du second
ordre" (15).
Lorsqu'il détermine un syntagme nominal, comme dans "Il n'y
a pas que vous, bien des gens ont lu ce livre, vous savez!", bien
ne satisfait pas immédiatement à cette définition. Nous
étudierons des exemples de la suite "bien + dét + nom" au
chapitre III.
Mais revenons à B. Combettes et à R. Tomassone, le titre de
leur article est: "L'adverbe comme constituant du groupe de
l'adjectif". Les auteurs distinguent quatre sous-classes
d'adverbes parfaitement homogènes sur la base de sept propriétés
syntaxiques. Voici ces quatre sous-classes telles qu'elles
apparaissent dans le tableau final, résumé de leurs observations
(p67):
1- aussisitouttrès (il n'y a pas d'autres adverbes dans
cette classe)
2- assezbigrementfichtrementfoutrementmoinspeuplus..
10
3- diaboliquementpaternellementrigoureusementatrocement..
4- linguistiquementsexuellementphysiquement...
Selon eux (p60) les "adverbes de manière" vérifient généralement
la propriété dite de "détachement de l'adjectif avec
pronominalisation"; en effet on peut dire:
"Amoureux, il l'est ardemment.
Cruel, il l'est atrocement. etc.."
Ils en distinguent les quatre adverbes de type 1 qui ne la
vérifient pas, en effet il paraît beaucoup plus difficile de
dire:
"* Rapide, il l'est très.
* Rapide, il l'est si.
* Etonné, il l'est tant."
Ils ajoutent en note (p60, n9): "On peut se demander si l'adverbe
bien n'appartient pas aussi à cette catégorie (le type 1); les
phrases obtenues dans cette transformation sont en effet plus ou
moins acceptables":
"-Il est bien tranquille ---> ? Tranquille, il l'est bien.
-Il est bien attentif ---> ? Attentif, il l'est bien.
-Il est bien gentil ---> ? Gentil, il l'est bien."
L'hésitation des auteurs tient sans doute à la possibilité de
considérer ces phrases comme acceptables si bien prend une valeur
de "confirmation":
11
Tranquille, il l'est bien, mais un peu trop si
tu veux mon avis!
Attentif, il l'est bien, aujourd'hui, mais est-
ce que ça va durer?
Malheureusement les auteurs ne nous donnent pas les moyens de
trancher car ils ont omis d'insérer bien dans le tableau final
qui regroupe pourtant 27 adverbes. Si malgré tout on l'y
inscrivait, il faudrait, eu égard aux propriétés syntaxiques
retenues, le faire entrer dans deux sous-classes du tableau qui
perdraient alors leur caractère homogène. Bien appartiendrait au
"type 1" avec très ainsi qu'au "type 2" avec assez, bigrement,
follement, ou trop. Mais comme nous le disions plus haut B.
Combettes et R. Tomassone ne font pas état de cette possibilité
qui découle pourtant des exemples qu'ils donnent eux-mêmes aux
pages 56, 60 et 63.
J-Ph Dalbera intitule son article: "Esquisse d'une
classification syntaxique des adverbes français". Les critères
choisis par l'auteur sont les différentes possibilités qu'ont les
adverbes d'apparaître à telle ou telle place dans une chaîne
d'adverbes comme: "Il travaille beaucoup (1°) trop (2°) peu (3°)
régulièrement (4°)". L'auteur précise (p43) que d'une part "Dans
la classe 4 peuvent figurer un très grand nombre d'adverbes tels
que volontiers, assidûment, longtemps, souvent, vite,
correctement, etc... et d'autre part que "Les classes 1, 2 et 3
semblent devoir se limiter aux éléments figurant dans son exemple
ou à leur absence".
12
Nous ne discuterons pas l'argumentation de l'auteur. Par
contre nous constatons qu'il conclut à l'existence de "deux bien"
qu'il propose de noter (p47) "bien 1" et "bien 2". Pour cela, il
s'appuie sur les constatations suivantes: "Il existe un adverbe
bien qui signifie "de belle ou de bonne manière" qui appartient
d'après son comportement distributionnel à la classe 4:
il chante bien
il chante très bien
il chante beaucoup trop bien
etc...
Il existe également un adverbe bien "intensif" qui se comporte
comme les adverbes en "-ment" (qui peuvent prendre une valeur
intensive):
il chante bien mal
il chante bien trop mal
il chante bien peu.
J-Ph Dalbera (p46) part du postulat que les adverbes ont "un
sens spécifique" qu'ils perdent lorsqu'ils prennent une valeur
intensive; si bien peut prendre deux valeurs différentes dans la
même position syntaxique on peut postuler l'existence de deux
bien. On sait que cela revient à expliquer l'ambiguïté du
marqueur par une cause d'origine diachronique. J-Ph Dalbera ne
manque pas de souscrire à cette thèse. Il l'évoque d'abord pour
les adverbes en -ment (p46): "Notons que cette série d'adverbes
en -ment2 (comprenez "intensifs") est ouverte et que le mécanisme
13
de création d'adverbes "intensifs" nouveaux par déplacement dans
la chaîne est bien vivant". Puis il la reprend à propos de bien
(p47): "A considérer le mécanisme de création d'intensifs par
déplacement des adverbes tel qu'il est utilisé dans le français
d'aujourd'hui (...)".
Pour notre part, nous ne voyons aucun argument qui
justifierait l'idée de la nouveauté des valeurs intensives
relativement à d'autres valeurs considérées comme "spécifiques"
des marqueurs étudiés. Cette idée laisse à penser qu'il a pu
exister un état de la langue sans ambiguïté, sorte d'âge "d'or"
où les malentendus étaient imposssibles... tandis qu'à notre
époque, ainsi que l'écrit J-Ph. Dalbéra (p47): "il semble que
l'ambiguïté soit devenue la règle (...)"...
L'argument strictement étymologique nous paraît (lui aussi)
très fragile, surtout pour bien dont l'origine n'est pas douteuse
(16) (adverbe bene en latin).
Nous soutenons une autre thèse qui est celle de l'unicité du
marqueur. Nous essaierons d'en (re)démontrer la pertinence comme
cela été fait pour si par S. de Vogüé (1987) (17). Nous faisons
nôtre la règle méthodologique qu'elle énonce au début de son
article (p110): "la thèse de l'homonymie ne doit pas être une
solution pour laquelle on opte; c'est une solution à laquelle on
se résout lorsque les autres tentatives ont échoué".
Les deux études que nous venons de commenter mettent en
14
évidence l'existence de deux valeurs déjà identifiées par les
grammairiens, bien: "adverbe de manière" et bien: "adverbe de
quantité". Il y a une régularité, une permanence des résultats
que nous ne saurions négliger. A cet égard précisons que les
valeurs d'"appréciatif" et d'"intensif" feront l'objet des deux
premiers chapitres.
Mais quel serait le statut des autres valeurs? Il ne faut
pas s'attendre à trouver de réponse à cette question dans les
études syntaxiques citées car il faut bien le dire, leurs
résultats sont moins intéressants que ce que pouvaient offrir les
dictionnaires ou les grammaires. On peut s'interroger sur cette
relative pauvreté. Le projet classificatoire qui est le fondement
même de ces études en est la véritable cause. La comparaison
entre plusieurs marqueurs, assez nombreux le plus souvent,
entraîne une réduction du nombre de contextes étudiés d'où une
déperdition en termes de valeurs pour des marqueurs comme bien.
L'approche syntaxique n'est pas satisfaisante. Non pas, en
soi, (pour notre part nous y reviendrons pour chacune des valeurs
que nous étudions) mais telle qu'elle est pratiquée: dans une
optique classificatoire, en refoulant vers une étape ultérieure
(18) la prise en compte des variations sémantiques dont le
marqueur est le lieu.
Cette manière de procéder présuppose qu'il n'y ait pas
d'interaction entre les différents plans sur lesquels se
15
construit une relation (notionnel, syntaxique, énonciatif). On
voit l'intérêt de ce postulat, il permet de constituer les
valeurs sémantiques des marqueurs comme une sorte de "contrôle"
(a posteriori) de ce qui aura été fondé sur le plan syntaxique.
Mais faute de les avoir considérées le moment venu (lors de
l'analyse des exemples) les auteurs sont amenés en fin de
parcours à les réduire à une seule, sorte de valeur de base dont
la primauté (hors-contexte) ne peut qu'être suspecte. Nous ne
reviendrons pas sur les conséquences de cette option mais cela
nous amène à redire (19) "que toute relation est a priori une
relation complexe". Voyons cela sur deux exemples:
1- Si on néglige la prise en compte du plan notionnel, il
sera difficile d'expliquer pourquoi "Il est bien orthographié"
donnera normalement lieu à un "appréciatif" tandis que "Elle est
bien cabossée" sera tendanciellement interprété comme un
"intensif".
2- Si on ne tient compte que de la syntaxe on gommera la
différence entre deux valeurs que l'on peut distinguer en tenant
compte de la relation à l'énonciateur dans un exemple comme: "Il
est bien raccourci ce pantalon". On obtiendra un "intensif" dans
un contexte de surprise et un "appréciatif" dans un contexte de
comparaison (ne parlons pas du "confirmatif" qui est aussi
possible, dans un autre contexte).
Au contraire des auteurs que nous venons de citer, A.
16
Culioli (1978) passe en revue la plupart des valeurs de bien car
le meilleur argument de sa thèse est la diversité des valeurs
prises en compte. Le postulat est qu'à une unité morphologique
donnée correspond une seule (poly)opération linguistique.
L'auteur résume ainsi son programme (p300): "Est-il possible de
ramener les valeurs de bien à une opération fondamentale dont
bien serait le marqueur?".
Il commence par une valeur généralement négligée par les
ouvrages cités précédemment, il s'agit de la valeur prise par
bien dans "On achève bien les chevaux!". Il montre, à partir de
cet exemple, qu'on peut décrire bien (p303) comme la trace de
"(1) la construction d'une classe d'occurrences équivalentes à
partir d'une occurrence e1, (2) le parcours sur la classe et (3),
au terme du parcours, la sélection d'une seconde occurrence e2,
qui est posée comme appartenant au voisinage de e1." Ajoutons que
le terme "voisinage" peut être interprété comme une
identification. Les termes employés ont évidemment un statut
théorique précis, nous y reviendrons. Le plus important est sans
doute celui de "parcours" qu'on définira intuitivement (mais cela
est suffisant ici) comme une hésitation entre plusieurs valeurs.
A. Culioli va montrer qu'on retrouve cette (poly)opération
("parcours" et "sélection") dans d'autres valeurs, celles que
peut prendre bien dans des exemples sur lesquels nous reviendrons
tout au long de notre étude:
17
(p306) Il a bien expédié une lettre.
("confirmatif": chapitre IV)
(p309) Il postera bien la lettre (un jour ou l'autre).
("prophétie": chapitre VI)
(p309) Vous prendrez bien un petit quelque chose.
("sollicitation": chapitre VI)
(p312) Je boirais bien un verre de bière, moi.
("optatif": chapitre VII)
NB: la pagination est celle de l'article
d'A. Culioli.
Au contraire des auteurs que nous venons de citer, A.
Culioli (1978) passe en revue la plupart des valeurs de bien car
le meilleur argument de sa thèse est la diversité des valeurs
prises en compte. Le postulat est qu'à une unité morphologique
donnée correspond une seule (poly)opération linguistique.
L'auteur résume ainsi son programme (p300): "Est-il possible de
ramener les valeurs de bien à une opération fondamentale dont
bien serait le marqueur?".
Il commence par une valeur généralement négligée par les
ouvrages cités précédemment, il s'agit de la valeur prise par
bien dans "On achève bien les chevaux!". Il montre, à partir de
cet exemple, qu'on peut décrire bien (p303) comme la trace de
"(1) la construction d'une classe d'occurrences équivalentes à
partir d'une occurrence e1, (2) le parcours sur la classe et (3),
au terme du parcours, la sélection d'une seconde occurrence e2,
qui est posée comme appartenant au voisinage de e1." Ajoutons que
le terme "voisinage" peut être interprété comme une
identification. Les termes employés ont évidemment un statut
18
théorique précis, nous y reviendrons. Le plus important est sans
doute celui de "parcours" qu'on définira intuitivement (mais cela
est suffisant ici) comme une hésitation entre plusieurs valeurs.
A. Culioli va montrer qu'on retrouve cette (poly)opération
("parcours" et "sélection") dans d'autres valeurs, celles que
peut prendre bien dans des exemples sur lesquels nous reviendrons
tout au long de notre étude:
(p306) Il a bien expédié une lettre.
("confirmatif": chapitre IV)
(p309) Il postera bien la lettre (un jour ou l'autre).
("prophétie": chapitre VI)
(p309) Vous prendrez bien un petit quelque chose.
("sollicitation": chapitre VI)
(p312) Je boirais bien un verre de bière, moi.
("optatif": chapitre VII)
NB: la pagination est celle de l'article
d'A. Culioli.
Puis il vérifie que bien peut toujours être décrit de la
même manière lorsqu'il est combiné avec les modaux, "savoir" et
"pouvoir".
Sans nul doute, A. Culioli atteint son objectif et chacun
des exemples qu'il analyse posait des problèmes qu'il dénoue au
passage (en particulier les définitions du conditionnel et du
futur); sans doute est-il largement préférable de se référer à
une seule opération pour chacune des valeurs de bien plutôt que
19
de postuler l'existence de deux (ou trois, quatre etc) bien
comme le fait J-Ph Dalbera (1980); mais pourquoi s'arrête-t-on à
ces valeurs-là? Ne doit-on pas craindre de trouver un exemple qui
remette en cause ce qui a été établi?
Cette question a été posée, de manière moins naïve, en 1987
par S. de Vogüé (à propos de si); voici comment (p112): "(...) il
ne suffit pas de montrer (...) que les valeurs observées
obéissent au même schéma général de construction (la même
opération). (...) Pour que l'on soit en droit de parler
d'unicité, il faudrait que l'on puisse ramener non seulement la
variabilité de si (pour nous de bien) à un principe général, mais
aussi la distribution exacte des valeurs attestées. Cela suppose
que cette distribution obéisse elle aussi à un système, et en
particulier qu'elle puisse être conçue comme saturée par rapport
à ce système". La question du nombre ou de la diversité des
valeurs de bien mérite d'être posée. Si pour l'essentiel nous ne
revenons pas sur ce qui a été établi en 1978, l'affaire cependant
suppose un complément d'enquête. C'est l'étude que nous voulons
engager. La voie à suivre est clairement tracée par S. de Vogüé:
La "première condition est par conséquent que chaque valeur
puisse être opposée aux autres (...)" et que pour chacune d'entre
elles on distingue ce qui appartient au marqueur et ce qui relève
du contexte.
Une telle recherche suppose une théorie qui nous fournisse
les outils d'investigation nécessaires. Nous voulons parler des
20
concepts définis par A. Culioli et les linguistes qui souscrivent
à sa démarche.
Il n'est pas possible d'exposer ici l'ensemble de ces
concepts. Nous rappellerons seulement ceux auxquels nous aurons
le plus fréquemment recours, ceux de "situation d'énonciation",
de "domaine notionnel", d'"occurrence", de "classe d'occurrences"
et de "repérage".
C'est dans la mesure où l'énoncé comporte les traces de sa
mise en relation à une situation d'énonciation qu'il est
interprétable. Dans le cas contraire on a affaire à une phrase,
un agencement de termes grammaticalement recevable mais
ininterprétable à proprement parler: "Un chien aboie" (quel
chien?, à quel moment? etc).
La situation d'énonciation doit être clairement distinguée
de ce qu'on appelle, dans l'apprentissage des langues étrangères,
la "situation de communication" dont on trouvera une description
approfondie dans le premier chapitre du Niveau-Seuil (20). Sa
définition ne suppose pas moins de dix-neuf critères. On tend
vers une adéquation aussi parfaite que possible à la réalité
extra-linguistique.
Au contraire la situation d'énonciation est une abstraction.
Elle articule deux instances, une instance subjective,
l'énonciateur (So) et une instance temporelle, l'instant
21
d'énonciation (To). Elle constitue le lieu origine de toutes les
déterminations; quantitatives (construction) et qualitatives
(spécification) des différents termes de l'énoncé.
La valeur de vérité d'un énoncé dépend de sa prise en charge
par So. Si d'un côté "p est vrai pour So" il est possible que "p
ne soit pas vrai" pour le coénonciateur So'. So' constitue donc
un pôle d'altérité pour p, mais il est possible aussi que So'
rejoigne la position de So: "Tu as raison...".
L'idée que la "situation d'énonciation" constitue un repère
fondateur s'inscrit dans la ligne des travaux d'E. Benveniste
(1974, p82) (21) qu'on nous permettra de rappeler ici: "L'acte
individuel d'appropriation de la langue introduit celui qui parle
dans sa parole. C'est là une donnée constitutive de
l'énonciation. La présence du locuteur à son énonciation fait que
chaque instance de discours constitue un centre de référence
interne".
A partir du sujet énonciateur s'organise la catégorie de la
personne (S) (je/tu/il...). A partir de l'instant de
l'énonciation s'organise la catégorie du temps (T) (présent,
passé...). Le rôle distinctif de ces deux catégories est aisément
repérable dans toutes les langues. Nous voulons montrer qu'elles
jouent un rôle essentiel dans l'organisation des différentes
valeurs de bien. Prenons le commentaire d'A. Culioli (1978, p311)
sur deux exemples qu'il donne comme "assez proches" l'un de
22
l'autre. On verra que l'opposition S/T permet de les distinguer
formellement:
(s): Tu achèteras bien un petit souvenir, non? Juste
pour le geste ("sollicitation": même si tu n'y es guère
disposé, fais cet effort, ça ne te tuera pas...).
(p): Tu achèteras bien un de ces horribles souvenirs,
genre Tour Eiffel! Les marchands sont si forts...
("prophétie": tu auras beau faire, tu finiras bien
par...)"
Sans entrer dans les détails (ce qui sera fait au chapitre VI),
on peut remarquer que la "sollicitation" (s) renvoie à une
validation subjective: A. Culioli écrit: "On presse autrui de
prendre même le minimum (...), on le prie de ne pas se faire
prier. L'énoncé a une force conative (je cherche à vous faire
prendre) (...); d'où le sentiment qu'on a affaire à une invite
pressante. Tandis que la "prophétie" (p) renvoie à une validation
temporelle indépendante des instances subjectives qui sont en
jeu; A. Culioli écrit: "On ne sait rien sur la valeur du
paramètre ti dans Siti, repère (visé) de <lui poster la lettre>
(pour nous <toi acheter un souvenir>, d'où un jour ou l'autre."
Nous allons revenir sur ces deux instances (S/T) mais
auparavant nous voulons évoquer les concepts de "notion" et de
"domaine notionnel".
La notion est un système de relations. Les relations
s'ordonnent aussi bien à partir de propriétés physiques "animé vs
23
non-animé", "cassable vs friable", que de propriétés culturelles
"mangeable vs non-mangeable" par exemple. A. Culioli (1981, p65)
(22) définit la notion comme: "un système complexe de
représentation de propriétés physico-culturelles". Elle est à la
fois relativement stable et sans limites. On conçoit qu'on n'ait
pas accès directement à la notion et que celle-ci ne puisse pas
se réduire à une seule propriété. Parlant par exemple de la
lecture, A.Culioli (1981, p68) écrit que cette notion renvoie à
un ensemble de termes parmi lesquels "lire; lecture; livre;
lecteur; bibliothèque; etc et (il ajoute) c'est dire qu'on ne
peut pas ramener les choses à une unité lexicale" (mais c'est ce
que nous avons fait! pour les besoins de notre explication). Même
si on peut considérer qu'une propriété, comme 'être livre', est
en elle-même un faisceau de propriétés, la propriété ne recouvre
pas le champ de la notion toujours plus large que celui d'une
propriété donnée.
Pour représenter les occurrences d'une propriété P comme
'être livre' on aura recours au concept de "domaine notionnel"
introduit par A.Culioli. On définira le domaine comme la zone sur
laquelle toute valeur est identifiable à toute autre en tant
qu'elle est une valeur de P. A priori toute occurrence de livre
vérifie la propriété 'être livre'. Tendanciellement toute valeur
sera ramenée au centre du domaine; "centre organisateur" ou
"Type" en tant qu'il est l'exemple le plus parfait de la
propriété, par exemple ce que j'appelle 'être livre'; "centre
attracteur" en tant qu'il représente la propriété à un haut
24
degré, à un degré d'excellence, par exemple "Ca, c'est ce que
j'appelle un livre!". A. Culioli (1981, p74) écrit: "On voit
alors qu'un domaine se définit comme ayant un attracteur,
signifiant par là que quelle que soit sa position, toute
occurrence y est ramenée, (...).
Une valeur (notée p) pourra être ramenée au centre mais elle
pourra aussi s'en écarter, être "autre-que-p" (notée p'). Cette
possibilité est envisagée dans une question comme: "C'est un
livre ça?". Il s'agit d'une opération qui est d'une nature
différente de la propriété "primitive" qui fait que les valeurs
de P constituent un ensemble organisé autour d'un centre, un
ensemble qui "se tient". Au contraire l'opération qui consiste à
envisager "autre-que-p" est une opération de détermination dont
on trouvera les traces dans l'énoncé (ne serait-ce que par une
négation).
Dans notre étude nous verrons deux types de rapports entre p
et son complémentaire p'.
1) p' est le complémentaire de p en étant "plus ou moins p", par
exemple: "c'est encore un livre, à la limite on peut le dire".
Les valeurs de ce type constituent la "Frontière" du domaine. Les
valeurs de p considérées comme étant "vraiment des livres"
constituent l'Intérieur du domaine. Dans un exemple comme "Ce
devoir est bien orthographié", le locuteur peut conclure cela
parce qu'auparavant on a envisagé les deux zones I et F
(construites, nous verrons comment au chapitre I) du domaine de
25
'être orthographié'.
2) On peut aussi métaphoriquement "fermer" la frontière,
considérer qu'il n'y a pas de valeurs intermédiaires mais
seulement p et ce qui n'est pas p, par exemple: "Il y a un livre
sur la table mais là il n'y en a pas". Dans ce cas l'Intérieur du
domaine s'oppose directement à l'Extérieur du domaine. Dans un
exemple comme "Tu as raison, c'est bien lui!", le locuteur peut
conclure cela parce qu'auparavant on a envisagé les deux zones I
et E auxquelles correspondent les valeurs p 'être lui' et p' 'ne
pas être lui'.
Un domaine notionnel n'est appréhendable qu'à travers les
occurrences qui le constituent. Qu'est-ce qu'une occurrence?
Pour répondre à cette question nous nous appuierons sur
l'article de D. Paillard (199.) "Indéfinition et altérité" (23).
"Occurrence doit être pris dans "son sens premier d'événement".
Un exemple comme "Ce devoir est bien écrit" suppose la
construction d'une occurrence repérée par rapport au t de mon
énonciation et que je pourrais gloser comme "Il y a de l'écrit".
Une propriété n'est pas appréhendable directement, il est donc
nécessaire de passer par une "forme" construite temporellement
(comme on vient de le voir) ou subjectivement comme dans "Avez-
vous écrit votre lettre?" L'opérateur Qnt correspond à la
construction de cette forme. Le terme de "construction" renvoie à
l'idée de l'existence de l'occurrence, indépendamment de ses
propriétés singulières. D. Paillard écrit: "la construction d'une
26
occurrence est étroitement dépendante de l'ancrage situationnel
de la relation prédicative à laquelle elle participe: selon la
nature des coordonnées en jeu, on pourra définir plusieurs modes
de construction d'une occurrence". Nous serons ainsi amenés à
opposer des occurrences construites sur le plan factuel,
indépendamment de toute prise en charge subjective, à des
occurrences construites comme "validables" sur le plan subjectif,
ainsi dans "Vous entrerez bien cinq minutes!". Ces deux modes de
construction de l'occurrence trouvent leur origine dans les deux
instances (T/S) que nous évoquions plus haut.
La "classe d'occurrences" nous permettra d'envisager les
opérations de construction (quantification) des occurrences (Qnt)
que nous venons d'évoquer, et les opérations de qualification
(Qlt) qu'il était possible de décrire en termes topologiques avec
le domaine notionnel. Comment cela?
L'occurrence est le terme à partir duquel on peut ap-
préhender, et la classe d'occurrences, et la propriété qui la
fonde. Considérons l'exemple: "Ce devoir est bien écrit"; à
travers la relation <le devoir / être écrit> nous avons la
construction d'une occurrence qui vérifie la propriété P 'être
écrit'. Mais dans l'énoncé cette occurrence fait l'objet d'une
détermination à travers l'emploi de bien. Cela signifie qu'à un
moment donné on ne savait pas quel était le rapport de
l'occurrence à la propriété. Il existe un grand nombre de
rapports possibles à la propriété P; ils peuvent recevoir une
27
définition sémantique dans des syntagmes comme: "écrire vite",
"mal écrire", "écrire comme un cochon" etc, etc... Après D.
Paillard nous définirons "la classe d'occurrences comme
l'ensemble des rapports possibles à la propriété fondatrice de la
classe, et une occurrence (donnée) comme un des rapports
possibles" (p6). Ainsi lorsque nous notons l'ensemble des valeurs
p,p' nous signifions qu'il existe plusieurs rapports possibles et
qu'on ne s'est pas arrêté sur l'un d'entre eux. En posant que ce
rapport n'est pas un rapport défini on dit aussi que ce rapport
doit être calculé. Nous avons le résultat de ce calcul quand nous
disons: "Aucun doute, il écrit comme un cochon!" ou bien "Voilà
ce que j'appelle un devoir bien écrit!".
On voit immédiatement que certaines occurrences n'ap-
partiendront pas à la classe d'occurrences, celle-ci peut être
pourvue d'une limite. La singularité peut déboucher sur la
négation d'appartenance à la classe, ainsi dans une négation
comme "Il n'écrit pas, il dessine!". La détermination (le calcul)
de la singularité d'une occurrence passe par sa mise en relation
avec les autres occurrences relativement à un troisième terme, la
propriété fondatrice de la classe.
Pour décrire cette opération on fera appel à l'opérateur de
repérage introduit par A. Culioli, avec deux de ses principales
valeurs. L'identification (notée =) à laquelle "on peut rattacher
les relations de ressemblance, d'équivalence, d'égalité et
d'identité" (A.Culioli et J-P. Desclés, 1981, p72) (24). La
28
différenciation (notée par nous # (9) à laquelle "on peut
rattacher les valeurs d'inclusion, d'appartenance, de
localisation et de partie au tout".
Il faut insister sur le fait que ces relations (= et #) sont
orientées. Dans une relation de repérage il y a toujours un terme
qui est repère et l'autre qui est repéré. Quand je dis "Ce
travail n'est pas bien écrit", on peut dire qu'une relation de
différenciation est mise en jeu, mais il est tout aussi important
de préciser qu'elle se fait relativement à un repère, quelque
chose comme ce à quoi j'aurais pu m'attendreentermesd'écriture.
Les opérations que nous avons décrites en termes de domaines
notionnels peuvent dès lors être mieux définies. Antérieurement à
toute détermination les occurrences sont identifiables au centre
(altérité primitive) c'est le centre qui est le repère de cette
opération (=).
Dans le cas de bien, une opération de délimitation distingue
(#) deux zones sur le domaine, par exemple I et F et c'est I qui
est le repère de la relation. Ce sont ces deux zones qui sont
prises en compte dans le cas de l'"appréciatif": "Ce devoir est
bien orthographié". La délimitation du domaine de P peut aussi
"fermer" la Frontière, on distinguera (#) alors I et E (I restant
le repère de la relation. Ces deux zones sont prises en compte
dans le cas du "confirmatif": "C'est bien la femme que j'ai vue
hier".
29
Nous allons maintenant définir nos objectifs. Nous en
profiterons pour nous situer par rapport aux travaux de D. Duprey
(1979) et par la même occasion nous donnerons quelques uns des
principes méthodologiques que nous avons voulu respecter dans
notre propre étude.
L'article "Valeurs modales et opérations énonciatives" d'A.
Culioli et la thèse de D. Duprey: Quelques remarques polémiques
sur "bon" et "bien" montrent à l'évidence qu'on peut associer
plusieurs valeurs à bien. Combien y en a-t-il? Une infinité comme
l'écrit D. Duprey? Nous ne le pensons pas. Lui-même, n'écrit-il
pas (p11): "Et pourtant, si on observe ce qui se passe dans
plusieurs langues non apparentées, on s'aperçoit qu'elles se
ressemblent dans une large mesure. Dans toutes ces langues, bon
et bien ont, à peu de choses près, le même noyau de valeurs:
concession, vérité, appréciation, existence, acceptation,
possession, actuel, identité, égalité, augmentation, diminution,
conformité... etc ...etc... On a là une (deuxième) contradiction:
le français est différent des autres langues et il est identique
aux autres langues".
Notre objectif est (pour le dire simplement) de supprimer
les points de suspension à la suite de la liste des valeurs de
bien. C'est en sachant comment se construisent les valeurs en
français que nous pourrons interroger les autres langues non plus
en termes de signification a priori ("Est-ce que se marque une
30
valeur "d'existence" en Akan?") mais en termes de "construction"
de valeurs ("Que se passe-t-il si l'on place se en contexte de
surprise?"). Il nous semble que c'est le point de passage obligé
si l'on veut savoir en quoi "le français est différent" et en
quoi "il est identique aux autres langues". La comparaison, sans
précautions, de deux marqueurs de deux langues différentes sur la
base de leurs significations respectives a de fortes chances de
déboucher sur la projection de ce qui revient à une seule langue
sur l'autre. D. Duprey (1979), nous semble-t-il, n'échappe pas à
cette critique, on trouve ainsi (p11): "A l'unité morphologique
bon,bien s'oppose une diversité de valeurs. Parmi celles-ci, on
peut signaler les valeurs appréciatives (il travaille bien), les
augmentatives (bien des gens sont venus), les diminutives (it's
as good as done)..." ou (p28): "En français, anglais, allemand,
italien, latin, swahili etc... bien peut signifier possession,
propriété", ou encore (p42): "Dans certaines langues bien va
signifier 'oui'. C'est le cas en Swahili. En effet vema, racine
pour bon,bien peut être employé pour 'oui'" etc... On a compris
que pour notre part nous bornerons notre étude au français.
Mais revenons au travail de D. Duprey. L'auteur montre sur
un grand nombre d'exemples que "bien est la trace de
l'identification d'un particulier à son concept". A peu de choses
près nous proposerons le même genre de formulation. Mais le terme
"concept" fait problème, il paraît fort bien adapté à des
exemples comme: "Ce devoir est bien orthographié" ("orthographié
comme ce que j'appelle "'être orthographié'") ou "Cette pièce est
31
bien tapissée" ("tapissée comme ce que j'appelle 'être
tapissé'"). En revanche l'idée d'un concept comme repère de
l'opération d'identification est mal adaptée à des exemples comme
"Il est bien ridé, cet homme!" (? "ridé comme ce que j'appelle
être ridé") de même qu'avec des exemples de "prophétie" comme
"Laisse-le, il y arrivera bien tout seul!". Prenons par exemple
l'analyse qu'il fait d'une "confirmation": "C'est bien Paul qui
est malade: le frère de Jacques". Son commentaire est le suivant
(p276): "Il est légitime d'appeler ce particulier malade Paul
(...) parce que le particulier ainsi désigné est identique au
concept de Paul, c'est-à-dire x, tel que x est le frère de
Jacques. (...) ". Il nous semble que, dans ce cas précis, le
terme repère de l'identification ne se définit pas comme étant
"Paul, le frère de Jacques" (par sa place dans la famille) mais
par le fait qu'il a déjà été mis en relation avec la propriété
'être malade'. On définira difficilement cette première mise en
relation <Paul / être malade> comme étant "le concept de Paul".
Le mode de construction du terme repère de l'identification
(le "concept" de D. Duprey) est un élément capital de l'analyse.
Voyons comment nous l'avons conduite.
Bien sûr nous avons d'abord collecté des exemples et pour
cela nous avons emprunté largement à nos prédécesseurs, puis nous
avons tenté de les classer, sur la base de différents critères,
sémantiques, grammaticaux, syntaxiques et énonciatifs; on
retrouvera la trace de ces travaux pour chacune des valeurs que
32
nous avons étudiées. Nous avons considéré que l'analyse était
cohérente chaque fois que nous avons pu caractériser la valeur
par des critères formels (discrets) de telle sorte que nous
étions à même d'expliquer comment on pouvait passer de cette
valeur à une autre déjà étudiée.
Le problème n'était donc plus celui du nombre (stricto
sensu) des valeurs de bien car celui-ci dépend en définitive du
nombre de critères utilisés pour caractériser chaque valeur.
Notre problème était d'établir la liste des critères fondamentaux
à partir desquels s'organisent les différentes valeurs de bien.
Ces critères distribuent les valeurs de bien autour de deux axes
que nous avons déjà évoqués. Le premier, à tous égards, est
l'opposition S/T (nous en avons donné un exemple en distinguant
la "sollicitation" de la "prophétie"), le second renvoie au type
d'altérité mise en jeu (par exemple I/F pour l'"appréciatif" et
I/E pour le "confirmatif"). Bien sûr une vision synthétique
complète ne peut être donnée qu'en fin de parcours.
Nous n'avons pas visé à l'exhaustivité au niveau des données
(25) et nous ne rendons pas compte de toutes les variations
sémantiques possibles du marqueur. Chacun pourra trouver des
exemples que nous n'avons pas traités et qui pourront poser
problèmes, notre projet n'étant pas de décrire le système des
valeurs de bien mais d'établir une systématique des valeurs de ce
marqueur.
33
NOTES DE L'INTRODUCTION
(1): A. CULIOLI., (1978), "Valeurs modales et opérations
énonciatives", in Le Français moderne T46-4, pp 300-317
(2): E. LITTRE., (1873), Dictionnairedelalanguefrançaise, en six
volumes, Gallimard/Hachette, éd de 1963, T1.
(3): P. ROBERT., (1966),
Dictionnairealphabétiqueetanalogiquedelalanguefrançaise, en six
volumes, S.N.L éd, T1, 1071p.
(4): LEXIS., (sous la direction de J. Dubois), (1975),
"dictionnaire de la langue française", Larousse éd, 1950p.
(5): ACADEMIE FRANCAISE., (1844),
Dictionnairedel'Académiefrançaise, 7è éd 1877, Firmin-Didot éd,
2vol, 903p et 967p.
(6): D. DUPREY., (1979),
Quelquesremarquespolémiquessur"bon"et"bien": pédagogieetthéorie,
Thèse de 3ème cycle, Université de Besançon, 452p.
(7): M. GREVISSE., (1975), Lebonusage, Duculot (10ème édition),
1322p.
(8): R.L. WAGNER et J. PINCHON., (1962),
Grammairedufrançaisclassiqueetmoderne, Hachette éd, 648 p.
(9): Remarques orthographiques et typographiques:
-Nous avons considéré que parmi les noms attribués aux
différentes valeurs de bien, l'"appréciatif", l'"intensif", le
"confirmatif", l'"optatif", le "concessif" étaient du masculin,
tandis que la "sollicitation" et la "prophétie" étaient du
féminin. Pour ce qui est des notations, les abréviations p, p' et
p,p' sont toujours du masculin sauf quand on précise "la valeur p
(ou p').
-"cnqs" est l'abréviation de "c'est nous qui soulignons".
-Les séries d'exemples sont données en simple interligne, afin
d'en faciliter la lecture
-Pour noter la différenciation on utilise habituellement le signe
égal traversé d'une barre oblique, pour des raisons matérielles
liées au matériel d'impression nous utilisons le # avec la même
signification.
(10): B. COMBETTES et R. TOMASSONE., (1978), "L'adverbe comme
34
constituant du groupe de l'adjectif", in Verbum n°I-2, pp 53-68.
(11): J-Ph. DALBERA., (1980), "Esquisse d'une classification
syntaxique des adverbes", in TravauxducerclelinguistiquedeNice
n°2, Université de Nice, pp 39-60.
(12): S.O. SHIN., (1988),
LacatégorieadverbialedanslesgrammairesdesXVIIèetXVIIIèsiècles,
thèse de 3ème cycle, Université de Montpellier III, 395p.
(13): J. TAMINE-GARDES (1986) écrit: "L'adverbe est sur le plan
morphologique une catégorie qui n'est pas aisée à définir:
1° c'est une forme invariable, qui ne peut donc pas être carac-
térisée par sa flexion; 2° c'est une catégorie hétérogène en ce
qui concerne sa formation..." (voir: "Initiation à la syntaxe:
l'adverbe" in L'informationgrammaticale n°28, Heck, pp 43-45). On
note au passage que le critère de l'invariabilité est aussi
"pertinent" pour les prépositions.
(14): J. HARRIS., (1796), Hermesourecherchesphilo-
sophiquessurlagrammaireuniverselle, 1ère éd en anglais en 1751,
traduction et remarques par F. Thurot, édition, introduction et
notes par A. Joly, 1972, Droz, 469p.
(15): André Joly (1972, p80) fait remarquer que cette description
trouve un écho très contemporain dans le concept de "rang"
proposé par un linguiste comme Jespersen. Il écrit (p80) dans son
introduction à la réédition de l'ouvrage de J. Harris: "Ces trois
"rangs" -celui des mots primaires, celui des secondaires
également appelés "adjoints" (adjuncts), et celui des tertiaires
ou "subjoints" (subjuncts)- coïncident en tous points avec les
trois niveaux de Harris: substantifs, attributifs de substantifs,
attributifs d'attributifs. Jespersen remarque en effet qu'au
premier rang correspondent "habituellement" les substantifs, au
second rang les adjectifs, au troisième les adverbes. De plus, le
même type de subordination existe dans une phrase verbale comme
the dog barksfuriously (le chien aboie furieusement), où dog est
le mot primaire, barks le secondaire, furiously le tertiaire, si
bien qu'au résultat l'adjectif et le verbe, chez Jespersen comme
chez Harris, se trouvent appartenir au même rang, entre le
substantif (1er rang) et l'adverbe (3è rang).
(16): O. BLOCH et W. VON WARTBURG., (1932),
Dictionnaireétymologiquedelalanguefrançaise, PUF éd, septième
édition 1986, 682p.
(17): S. de VOGÜE (1987) écrit (p110): "La thèse de l'unicité ne
35
définit rien de plus qu'un programme, au sens où elle doit être,
pour chaque cas particulier, redémontrée" (voir "La conjonction
si et la question de l'homonymie", in BULAG n°13, Université de
Besançon, pp 105-190).
(18): Voici l'introduction d'un article intitulé "Les adverbes et
la modalisation de l'assertion" sous la plume d'A. Borillo
(1976): "Lorsqu'on définit une classe grammaticale en termes de
propriétés syntaxiques, l'étude systématique de structures
simples permet de dégager des familles d'éléments lexicaux sur la
base d'un ensemble de propriétés que ces éléments possèdent en
commun. Cette classification qui constitue une assise pour la
description, prend un réel intérêt lorsque cette homogénéité
syntaxique peut être mise en corrélation avec des intuitions
concernant des propriétés sémantiques que ces éléments
posséderaient également en commun".
On constate que la mise en "corrélation" n'intervient qu'à
la fin de l'article (p86) et encore pour des classes d'adverbes
constituées, ce qui revient à gommer les spécificités éventuelles
de tel ou tel adverbe. voirLanguefrançaise, n°30, pp 74-89.
(19): C. AKUETEY., (1989),
Etudedesénoncéséquatifs,locatifsetpossessifsenEwe (Problèmes du
verbe "être"), Thèse nouveau régime, Université de Besançon,
503p.
(20): D. COSTE et alii, (1976), Unniveau-seuil, (Conseil de
l'Europe: "Projet langues vivantes"), Hatier éd, 663p.
(21): E. BENVENISTE., (1966 et 1974),
Problèmesdelinguistiquegénérale, T.I et II, Gallimard éd, 356p et
286p.
(22): A. CULIOLI., (1981), "Sur le concept de notion", in BULAG
n°8, Université de Besançon, pp 62-79.
(23): D. PAILLARD., (199.), Indéfinition et altérité, in
FestschriftfürS.Karolak, Krakow, (à paraître).
(24): A. CULIOLI.et J-P. DESCLES, (1981), Systèmesderepré-
sentationslinguistiquesetmétalinguistiques: "Les catégories
grammaticales et le problème de la description de langues peu
étudiées", Collection ERA 642, Université de Paris VII.
(25): Nous n'avons pas traité les problèmes qui à notre avis
n'interféraient pas directement dans cette problématique. Il
s'agit en particulier de la combinaison de bien avec les verbes
36
modaux ("pouvoir, "savoir", "vouloir", "devoir" ou "falloir"),
des suites "bien + adverbe" (bien autrement, bien trop etc...) ou
"adverbe + bien" (fort bien, très bien, assez bien, trop bien
etc...) et toutes les locutions dans lesquelles bien peut entrer
(bel et bien, bien sûr, bien que etc...
Sur "pouvoir + bien" on pourra se reporter à l'article d'A.
Culioli (1988): "Autres commentaires sur bien", in
HommageàlamémoiredeJeanStéfanini, Publications de l'Université de
Provence, pp 169-180 qui traite tout particulièrement de cette
question.
37
CHAPITRE I
L'"APPRECIATIF"
L'"appréciatif" correspond à des emplois très
courants de bien comme: "Elle cuisine bien" ou "C'est bien
dessiné, ça!". Dans un premier temps, nous essaierons
d'identifier cette valeur (§ 1.1) selon différents critères
(sémantiques, grammaticaux et syntaxiques) puis nous en
proposerons une caractérisation (§ 1.2) avant d'étudier quelques
exemples (§ 1.3).
1.1. Identification de la valeur
1.1.1. Critères sémantiques
Voyons d'abord comment on peut, intuitivement, distinguer
l'"appréciatif" des valeurs qui en sont proches. Un énoncé comme
"Paul a bien joué cet après-midi" est ambigu. On peut
l'interpréter soit comme "Paul a effectivement joué cet après-
midi", soit comme "Paul a correctement joué cet après-midi". La
première interprétation correspond à la valeur de "confirmation"
tandis que la seconde correspond à l'"appréciatif". La portée
38
humoristique de l'exemple suivant tient au rapprochement de ces
deux valeurs (nous les signalons (c) pour "confirmation" et (a)
pour "appréciatif"):
Le Bûcheron s'impatienta à la fin, car elle redit plus de
vingt fois qu'ils s'en repentiraient et qu'elle l'avait bien
dit (c). Il la menaça de la battre si elle ne se taisait. Ce
n'est pas que le Bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché
que sa femme mais c'est qu'elle lui rompait la tête, et
qu'il était de l'humeur de beaucoup d'autres gens, qui
aiment fort les femmes qui disent bien (a), mais qui
trouvent très importunes celles qui ont toujours bien dit
(c). (Contesdemamèrel'Oye, "Le petit poucet", C. Perrault,
Gallimard (Collection "Folio junior" n°28), p108.)
L'"appréciatif" ne doit pas être confondu avec une autre
valeur, l'"intensif". L'énoncé: "Ce pantalon est bien raccourci"
peut recevoir deux interprétations, soit l'"appréciatif" (dans un
contexte de comparaison): "Ce pantalon est correctement
raccourci", soit l'"intensif" (dans un contexte de surprise): "Ce
pantalon est très, voire trop, raccourci".
Ces distinctions n'ont pas échappé aux lexicographes.
L'"appréciatif" est la valeur la mieux représentée dans les
dictionnaires. P. Robert (éd de 1966, p467) propose les exemples
suivants: "Bien pensé, bien jugé. Des personnes bien pensantes.
Qui aime bien, châtie bien... Faire bien. Bien agir. Agir, se
conduire bien. Bien faire et laisser dire." avec comme
définition: "Comme il convient, comme il faut, d'une manière
satisfaisante ou parfaite".
E. Littré (éd de 1963, p1011) propose: "Voyageur bien vêtu.
39
Il a bien employé son temps." avec comme définition: "De la bonne
manière".
Le Dictionnairedel'Académie (éd de 1877 p178) propose les
exemples suivants: "Il se conduit bien. Il se porte bien." et
précise: "Bien sert alors à marquer un certain degré de
perfection ou un certain état heureux, agréable, avantageux,
convenable". etc..
On retiendra donc les gloses "de la bonne manière", "de
manière satisfaisante" pour l'"appréciatif". Elles permettent de
l'opposer à la valeur d'"intensif" qui reçoit des gloses comme
"beaucoup de" (J. Girodet, 1986, p108) (1), "très" ou "beaucoup"
(P. Robert, éd de 1966, p468).
L'"intensif" est en général assez bien représenté. P. Robert
donne quelques exemples de ce dernier comme "se donner bien de la
peine", "bien avancé pour son âge", ou encore "un amour bien
fort", avec comme définition: "très, trop, beaucoup".
E. Littré (éd de 1966) propose: "Une lettre bien longue",
"Encore bien jeune", "Il a parlé bien sévèrement".
Le Dictionnairedel'Académie (éd de 1877, p179) donne: "Il
est déjà bien loin" ou "Bien de la peine", "Bien du monde".
Le "confirmatif" est plus difficile à identifier. Les
auteurs hésitent généralement entre une définition grammaticale:
"adverbe d'affirmation" (P. Dupré, 1972, T1, 280p) (2) et une
définition fonctionnelle comme "bien renforce l'idée exprimée ou
s'emploie par redondance, explétivement" (P. Robert). A ce stade,
40
le plus simple est de retenir une glose du type "effectivement";
sémantiquement, elle suffit à distinguer le "confirmatif" de
l'"appréciatif" et de l'"intensif".
1.1.2. Critères grammaticaux
M. Grevisse (éd de 1975, §832, p875) écrit qu'"On peut
distinguer selonlesens (cnqs), sept espèces d'adverbes" et un peu
plus loin qu'"il n'y a pas entre les catégories citées de
limites bien fixes. (...) Certains adverbes peuvent même, dans
une phrase donnée, appartenir à deux catégories à la fois. (...)
'Etre bien traité' (manière), 'Ils étaient bien deux cents'
(opinion) et 'Il est bien malheureux' (intensité)". On hésite
donc parfois pour distinguer un emploi d'un autre en particulier
dans le cas de la suite "bien + verbe". Lorsque bien détermine un
nom, un adjectif ou un autre adverbe, il ne s'agit pas
(généralement) de l'"appréciatif" mais de l'"intensif".
L'"appréciatif" correspond aux emplois de bien que la grammaire
désigne généralement comme le bien "adverbe de manière" (3). On
pourrait citer tout aussi bien M. Grevisse (§833, p876), R.L.
Wagner et J. Pinchon (1962, §491, p416) que J-C. Chevalier et
alii (1964, §613, p421) (4). Mais comment identifier l'"adverbe
de manière"?
Si l'on veut s'en tenir à des critères grammaticaux (donc
sémantiques), on a un changement d'étiquettes sans plus de
justification. Pour lever les ambiguïtés évoquées plus haut, nous
41
devons faire appel à d'autres critères, en premier lieu
syntaxiques.
1.1.3. Critères syntaxiques
Quand l'adverbe bien détermine un verbe, il le suit si c'est
une forme simple: "Il dessine bien"; il est intercalé entre
l'auxiliaire et le participe passé quand il s'agit d'une forme
composée: "Ce devoir est bien orthographié".
On peut identifier l'"appréciatif" à partir de trois tests
syntaxiques: "la négation", "le questionnement", "la
commutation". Soit l'exemple:
Ce poisson est bien cuisiné.
-Il est possible de le mettre à la forme négative:
Ce poisson n'est pas bien cuisiné.
-Il est possible de s'interroger sur la qualité du procès:
Est-ce que ce poisson est bien cuisiné?.
-Bien commute avec très bien et avec mal:
+ Ce poisson est très bien cuisiné. ou
+ Ce poisson est mal cuisiné.
-Bien ne commute pas facilement avec très:
? Ce poisson est très cuisiné.
En revanche si l'on choisit un "intensif" comme:
42
Il est bien ridé, cet homme!
les tests nous donnent des résultats inverses:
-La forme négative n'est guère possible (5):
? Il n'est pas bien ridé, cet homme!
-Le questionnement" donne lieu à une formulation bizarre:
? Est-ce qu'il est bien ridé, cet homme?
-Bien ne commute pas facilement avec très bien et avec mal:
? Il est très bien ridé, cet homme!
? Il est mal ridé, cet homme!
-Bien commute facilement avec très:
+ Il est très ridé, cet homme!"
Si l'on prend un exemple de "confirmatif", on aura des résultats
négatifs à tous les tests sauf au "questionnement". Dans ce cas,
pour que l'énoncé soit acceptable il faut qu'il soit
interprétable comme une demande de confirmation:
? Est-ce qu'il y a bien du pétrole ici?
+ Il y a bien du pétrole ici, n'est ce pas?
Le "confirmatif" a un comportement syntaxique très différent des
deux autres valeurs. Sur cette base, il ne peut pas être confondu
avec elles. Il est donc possible de renvoyer son étude à un autre
chapitre (le IV).
Revenons donc aux deux premières. Prenons l'exemple déjà
43
utilisé: "Ce pantalon est bien raccourci". On aura deux types de
réponses selon le contexte choisi.
En contexte de surprise les tests seront négatifs (sauf la
commutation avec très): bien est alors un "intensif".
En contexte de comparaison les tests seront positifs (sauf la
commutation avec très): bien est un "appréciatif".
Les tests syntaxiques nous permettent une première approche
(discriminer le "confirmatif") mais ils nous renvoient au
contexte pour une réponse définitive en ce qui concerne les deux
autres valeurs.
1.2. Caractérisation de la valeur
Nous avons vu que le choix des contextes permet de filtrer
l'une ou l'autre des valeurs qui nous intéressent. Mais quels
sont, dans ces contextes, les paramètres déterminants que nous
devons nous attacher à décrire? Nous allons essayer de le savoir
en revenant sur un exemple, qui nous servira d'exemple-type (6)
parce qu'il autorise les deux valeurs, il s'agit de:
(1) Il est bien ridé, cet homme!
L'interprétation a priori la plus naturelle est que le locuteur
exprime son étonnement à la vue d'un vieillissement auquel il ne
44
s'attendait pas. Ce qui correspond à la valeur d'"intensif". Une
glose de cet énoncé serait peut-être: "Cet homme est plus ridé
que ce à quoi j'auraispum'attendre".
NB: Le terme "glose" correspond à l'interprétation sur
laquelle chacun pourrait s'accorder relativement à un
énoncé. On tente de donner une formulation qui rejoigne,
autant que faire se peut, l'intuition générale. L'idéal
étant d'arriver à une seule formulation (alors qu'il existe
de nombreuses "paraphrases" possibles de l'énoncé). Comme
pour l'acceptabilité des énoncés la question n'est pas
traitée dans l'absolu, c'est relativement à une autre glose
possible qu'une glose pourra être considérée comme une
"bonne" glose.
On peut penser que la glose de (1) s'appuie effectivement sur des
éléments contextuels puisqu'on en trouve une assez semblable pour
l'exemple (2) qui est aussi un "intensif" mais qui,
sémantiquement, en est assez éloigné:
(2) C'est bien improvisé, tout ça!
Ce serait: "Il y a vraiment de l'improvisation là où
j'auraispum'attendre" à autre chose".
Mais comment passe-t-on à l'"appréciatif"? Il est nécessaire
de changer de contexte. Ainsi pour le premier:
(1a) (Sur un plateau de cinéma, un acteur sort pour la
deuxième fois des mains du maquilleur chargé de le
vieillir; le metteur en scène peut alors déclarer:)
Voilà, là, il est bien ridé. Maintenant on peut tourner
45
Avec la glose suivante: "Il est ridé comme ilfaut qu'il le soit".
Et pour le second (2):
(2a) (Au cours d'une répétition, après la prestation
d'un acteur, le metteur en scène peut déclarer:) Au
début, vos pas sur le côté, c'est bien improvisé, rien
à dire, mais après...
Avec la glose suivante: "L'improvisation est telle qu'on pouvait
le souhaiter".
Il suffit de rapprocher les gloses de l'"appréciatif" de
celles de l'"intensif" pour voir ce qui les oppose. Dans le cas
de l'"appréciatif", (1a) et (2a), la valeur spécifiée est
considérée comme souhaitable du point de vue de l'énonciateur,
éventuellement comme une valeur attendue. Dans le cas de
l'"intensif", (1) et (2), la valeur spécifiée s'inscrit dans un
contexte de surprise qui interdit la modalité du souhaitable au
profit d'un (simplement) possible, reconstruit a posteriori.
On peut, sans entrer dans le détail, différencier les deux
valeurs en tenant compte de la position de l'énonciateur par
rapport à la relation qu'il construit. Soit pour le premier
exemple:
"appréciatif": la relation <acteur / être ridé> est vérifiée
commel'énonciateurpouvaitlesouhaiter. L'"appréciatif" est
une valeur de "conformité".
46
"intensif": on constate (la surprise est une forme typique
de constat) que la relation est vérifiée "comme elle est
vérifiée", c'est-à-dire
indépendammentdetouteconstructionsubjectivepréalable.
L'"intensif" est une valeur de "constat" (les termes
"constat" et "conformité" recevront plus loin une définition
formelle, au chapitre II pour le "constat").
Ces formulations sont un peu abruptes mais elles ont
l'avantage de poser qu'il y a bien deux valeurs, qui se
distinguent sur un point essentiel: l'existence (ou l'absence)
d'une "construction subjective préalable"
1.2.1. La valeur d'"appréciatif"
Revenons à notre exemple de départ. Quand il prend la valeur
d'"appréciatif" (1a), le contexte est le suivant:
1) le metteur en scène voit sortir l'acteur de la cabine de
maquillage où il l'avait renvoyé une première fois parce qu'il ne
le trouvait pas correctement grimé. Il y a un instant
d'incertitude pendant lequel il est est clair que l'acteur est
maquillé (ce n'est pas l'existence du maquillage qui est en
question) mais il est tout aussi évident qu'on ne peut pas encore
se prononcer sur la qualité de ce maquillage.
2) Puis, après examen, le metteur en scène ayant jugé que le
nouveau maquillage était conforme à ce qu'il attendait ("Voilà,
là, il est bien ridé..."), on passe à la suite...
47
Ces deux étapes correspondent à des opérations fondamentales
que nous allons maintenant détailler; au passage nous
introduirons les concepts indispensables à l'analyse. Ce
développement théorique s'appuie en particulier sur l'article de
D. Paillard (199.): "Indéfinition et altérité" et sur celui d'A.
Culioli (1989) (7): "La négation, marqueurs et opérations".
1.2.1.1. "L'altérité est de fondation"
Dans notre exemple, le metteur en scène évalue une
occurrence de 'être ridé' (il a déjà rejeté une première
occurrence comme n'étant pas ce qu'il attendait).
A. Construction d'une occurrence pi de P.
1.
UneoccurrencepidePestl'événementàtraverslequeljepeuxappréhenderla
propriétéP. Dans l'exemple, la notation "P" désigne la propriété
fondatrice de la classe des occurrences de 'être ridé'. On a
construit une occurrence, ce qu'on peut gloser par: "il y a du p"
ou "du p existe".
2.
L'occurrencepin'estpasdistinguableaprioridesautresoccurrencesdela
mêmeclasse. En (1), toutes les occurrences de la classe vérifient
la propriété 'être ridé'.
48
3. Mais l'existence d'une occurrence est liée à une
situation énonciative qui par définition est unique. Dans
l'exemple, pi est repérée par rapport à Sito ("Voilà, là, il
est...").
UneoccurrencedePestdonctoujours,parconstruction,susceptibled'être
différentedesautres. "L'altérité est de fondation" (A. Culioli,
1989, p190).
B. p,p' a fait l'objet d'une délimitation subjective.
1. Plusieurs possibilités de traitement de cette
(éventuelle) singularité existent. Par exemple la négliger, mais
ce n'est pas celle qui retiendra notre attention (dans notre
exemple le metteur en scène s'intéresse précisément à la
singularité de cette occurrence). On peut aussi la mesurer et
pourcelacomparerl'occurrenceauxautresoccurrencesdelaclasse.
2. A nouveau plusieurs possibilités existent, selon les
termes choisis pour la comparaison. On peut comparer l'occurrence
à une autre occurrence pj prise comme repère. On peut la comparer
à elle-même.
Onpeutsituerl'occurrenceparrapportàunenormeprécédemmentfixée (la
"construction subjective préalable" évoquée plus haut). C'est le
cas dans notre exemple, le metteur en scène a une "attente
précise" en ce qui concerne le maquillage de l'acteur.
49
Lesopérationsquiontconduitàlafixationdecettenormesontlessuiv
antes:onacomparélesoccurrencesdelaclasseparrapportàlapropriétéPet
onaconstruitdeuxzones. On définit ces deux zones en termes
d'homogénéité vs hétérogénéité. On a une zone dans laquelle les
occurrences peuvent être considérées comme homogènes relativement
à P (c'est la valeur p). En termes de domaine notionnel, il
s'agit de l'Intérieur du domaine (8). Dans l'exemple, la valeur p
correspond à ce que l'énonciateur peut désigner comme "étant
vraiment du 'être ridé'". Et il y a une zone dans laquelle les
occurrences ont des propriétés singulières telles qu'elles sont
considérées comme hétérogènes par rapport à la première zone
(c'est la valeur p'). En termes de domaine notionnel c'est la
Frontière du domaine. On a fixé une limite entre ce qui est le
'vraiment p' et ce qui est le 'plus ou moins p'. Par cette
opération on a structuré la classe des occurrences de P, en
distinguant une valeur p et son complémentaire p' <autre-que-p>.
Cela signifie que les deux termes p et p' ne sont pas strictement
équivalents, ils constituent un couple "pondéré" dans lequel p
est considéré comme la "bonne valeur" (cf § 1.2.1.4.).
3.
Etantdonnéel'existencedecettelimite,pourtouteoccurrencedePconstru
iteseposelaquestiondesonrapportàp,p'.L'incertitudequalitativeanno
ncéeenA.3.trouveiciunstatut,onsetrouveenhors(p,p'),unepositiond'o
ùl'onpeutconstruirel'identificationàpoul'identificationàautre-
que-p(c'estàdireàp')" (A. Culioli, 1989, p194).
50
Nous pouvons passer à la deuxième étape. Il s'agit d'établir
le statut qualitatif de pi relativement à p.
1.2.1.2. "Tout terme entrant dans une relation doit être
nécessairement situé"
On a deux plans qui sont définis par leur repère d'origine S
ou T. Sur le plan temporel on a construit pi. Sur le plan
subjectif on a construit p. Nous disons que p est un terme
préconstruit d'origine subjective.
NB: "Préconstruit" recouvre un grand nombre de possibilités;
il signifie "qui a une forme", (qui a fait l'objet d'une
délimitation, qui a fait l'objet d'une mise en relation ) et
que cette forme existe indépendamment du repère de
construction du terme par rapport auquel il apparaît comme
un préconstruit. L'indépendance prend généralement la forme
de l'antériorité. Mais dans le cas de l'"appréciatif", il
s'agit plutôt de hiérarchie des instances de construction.
pi est localisée tandis que p est d'origine subjective et
tire de cette origine un statut atemporel qui la fait
apparaître comme un préconstruit relativement à pi.
1) Danslarelationpi--
pc'estpquifonctionnecommeletermerepère;pconstitueun"termederéfére
nce"parrapportauquelpivaêtresitué (9). Dans notre exemple, ce
qu'attend le metteur en scène constitue sa référence pour juger
de l'occurrence de 'être ridé'.
2)
Onvadonccomparerpiàp,p';onvaparcourirlesoccurrencespossiblesdep'e
tdeppoursavoiràquellevaleurondoitramenerpi;c'est"l'opérationdepar
51
cours". "Elle consiste, selon A. Culioli (1975, p14) (10), à
parcourir toutes les valeurs assignables à l'intérieur d'un
domaine (...)". Dans notre exemple, le parcours comprend la
valeur p (ce qui est attendu par le metteur en scène) mais aussi
en p', l'occurrence précédente qui avait été rejetée.
NB: Il est difficile de mettre en évidence, simplement, la
nécessité de cette opération (11). Mais on constate toujours
que si le parcours est impossible parce qu'on ne peut pas
envisager plus d'une valeur (si on ne travaille que sur p,
au lieu de travailler sur p ET p') alors l'emploi de bien
est bloqué (voir par exemple l'incompatibilité de bien avec
le "nécessaire exclusif au chapitre VI).
3) Plusieurs possibilités existent théoriquement. Le
parcours peut ne pas avoir de "sortie" (par exemple lors d'une
question). S'il en a une, ce peut être le choix de p' (on aura un
marqueur de sens négatif) mais ce peut être le choix de p: c'est
le cas de bien. Avecbien,larelationderepéragepi--
pesttoujoursuneidentification. Dans notre exemple, le metteur en
scène se déclare satisfait, c'est dire que l'occurrence de 'être
ridé' localisée en Sito correspond à ce qui était attendu.
L'identification "situe" pi qui est alors pourvu d'un statut
qualitatif stabilisé ("Là, voilà, il est bien ridé").
Voilà pour le rôle de bien mais quel était celui du
contexte?
1.2.1.3. La question des catégories de procès
52
Quel est le rôle du contexte notionnel dans l'apparition de
l'"appréciatif"? L'apparition de cette valeur est-elle liée aux
propriétés du procès sur lequel porte bien?
Il est un fait que l'"appréciatif" apparaît plus facilement
avec des verbes ayant un sens positif et qu'on le rencontre moins
avec des verbes de sens opposé. Comparez:
Ce tableau est bien peint.
? Ce mur est bien peinturluré!
Cette voiture est bien réparée.
? Cette voiture est bien cabossée!
Ce livre est bien écrit.
? Ce cahier est bien griffonné!
NB: Le point d'interrogation signale un énoncé
dans lequel on n'a pas d'"appréciatif".
Mais un grand nombre de verbes ne se laissent pas si facilement
ranger dans l'une ou l'autre de ces deux catégories. Que faut-il
penser d'un verbe comme "déterminer" (ou "endormir") relativement
à cette opposition? La question est mal posée. Si certains procès
sont d'emblée compatibles avec l'"appréciatif" ce n'est pas tant
qu'ils aient un sens positif que parce qu'ils autorisent plus
facilement que d'autres la délimitation subjective de la classe
d'occurrences dont nous avons parlé au § 1.2.1.1, en particulier
au point B.2. Nous y reviendrons, de manière approfondie, au
chapitre II en comparant les fonctionnements de l"appréciatif" et
de l'"intensif". Aussi n'irons nous pas plus loin ici sur ce
53
sujet. Nous donnerons simplement un exemple où l'on voit comment
la délimitation préalable de p,p' permet, pour un procès qui a
priori n'était pas vraiment compatible avec l'"appréciatif",
d'obtenir aisément cette valeur.
(Le contexte est celui de la remise d'une rançon à un malfaiteur
nommé Gly).
"Eh bien, messieurs, dit Gly, je crois que je vais vous
quitter."
Sarveux fit signe à Finn. Le commissaire de la Police montée
posa deux grandes valises sur l'établi et les ouvrit.
"Trente millions de dollars canadiens, en billets bien
usagés, dit-il impassible".
Gly tira de sa poche une loupe de joaillier et examina
quelques billets au hasard. Au bout de dix minutes, il
rempocha la loupe et ferma les valises.
"Vous ne plaisantiez pas, en disant "bien usagés". La
plupart de ces billets le sont tellement qu'on peut à peine
lire les chiffres.
"Vos instructions, répliqua sèchement Finn. Ca n'a pas été
simple d'en rassembler un tel nombre en si peu de temps."
(L'incroyablesecret. , Clive Cussler, Le livre de Poche
(Grasset), 1983, p393)
Nous avons retenu cet exemple car il met en jeu un changement de
catégorie du procès "usager". Avec un tel procès on s'attendrait
plutôt à un "intensif": "Ils sont bien (très) usagés, ces
billets!", mais dans l'exemple, le malfaiteur a demandé à ce que
les billets soient usagés. Cette demande est à l'origine de la
délimitation subjective de p,p' pour constituer une valeur p qui
est le 'être vraiment usagé' par opposition à son complémentaire
p' ('être plus ou moins usagé').
Le contexte notionnel est donc important mais il ne peut pas
54
jouer relativement aux valeurs de bien un rôle discriminant (nous
reviendrons sur le sens de ce terme au chapitre II, voir la note
2 du C.II).
1.2.1.4. Bien et l'"appréciatif"
Notre propos distinguait deux étapes:
1) La construction d'une occurrence pi localisée mais
qualitativement instable par rapport à un terme de référence p
d'origine subjective.
2) La résolution de cette instabilité par l'identification de pi
à p après parcours des différentes occurrences possibles sur
p,p'.
Ce découpage, simplificateur, délimite la part de ce qui
revient au contexte (en 1) et la part de ce qui revient au
marqueur (en 2). Nous proposons de le reformuler ainsi:
EtantdonnéuneoccurrencepideP.
Etantdonnélecouplepondérédevaleursp,p'deP. ("pondéré"
signifie que p est le terme de référence)
"Bien"estlatracededeuxopérations:
le"parcours"desdifférentesoccurrencesdep,p'etl'"identificati
on"depiàp.
Notre caractérisation, assez générale, s'adapte à l'ensemble
55
des valeurs de bien. On pouvait s'y attendre, nous avons retrouvé
(à peu de choses près) non seulement la caractérisation proposée
par A. Culioli (1978) (12) mais aussi celle de D. Duprey (1979).
Mais elle ne rend nullement compte de l'"appréciatif" pas
plus que qu'elle ne rendrait compte d'autres valeurs. Pour ce
faire, il faut dégager les caractéristiques des contextes dans
lequelsbien était inséré et que laissent dans l'ombre les
"attendus" de notre caractérisation.
A. Deux critères pour distinguer l'"appréciatif".
Le rappel de la comparaison faite avec l'"intensif" d'une
part (§ A.1.) et le "confirmatif" d'autre part (§ A.2.) va nous
permettre de les mettre en évidence. La validité des critères que
nous allons dégager ne sera véritablement établie qu'après
l'analyse des autres valeurs, mais dans un souci de clarté nous
préférons les souligner dès à présent dans notre étude.
Nous avons comparé l'"intensif" et l'"appréciatif". On se
rappelle qu'avec l'"appréciatif", la valeur spécifiée était aussi
une valeur "attendue" contrairement à l'"intensif" qui
s'inscrivait dans un contexte de surprise. Aussi lorsque nous
écrivons que p apparaît comme "un terme de référence
préconstruit" cela est valable pour l'"appréciatif" et ne
s'adapte pas à l'"intensif". Ce premier critère (noté C.1)
distingue l'"appréciatif" de l'"intensif" (ainsi que d'autres
56
valeurs). Nous le formulerons ainsi:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
On trouvera sans peine de nombreux exemples qui illustrent
l'importance de ce critère pour l'"appréciatif". Tout ce qui
tourne autour de l'idée de "norme" (par exemple, les assez bien,
bien, très bien de l'école) doit évidemment y être associé.
Si on compare l'"appréciatif" au "confirmatif" pour un
exemple comme "Il est bien ridé", on constate que dans un cas on
s'intéresse à la quantité de rides, ou à la manière d'être ridé
(cf le contexte (1a) du maquillage) tandis que dans l'autre (le
"confirmatif") on vérifie que le sujet est effectivement ridé (ou
pas). Dans le cas de l'"appréciatif", il s'agit d'altérité
"faible". Nous avons dit que p' renvoyait à 'être plus ou moins
ridé' (la Frontière en termes de domaine notionnel) tandis que p
renvoyait à 'être vraiment ridé' (l'Intérieur en termes de
domaine notionnel). Avec l'"appréciatif", les occurrences
parcourues sont des occurrences qui vérifient toutes d'une
manière ou d'une autre la propriété fondatrice de la classe. Il
s'agit de notre deuxième critère pour l'"appréciatif":
C.2. L'altérité est de type I/F.
Un critère que ne saurait vérifier le "confirmatif". Quand je dis
"En effet, vous avez raison, il est bien "ridé", ce n'est pas une
57
maladie de peau", ce qui a été parcouru, p,p', n'est pas du même
ordre. On a une forme d'altérité "forte": p <être ridé> vs p' <ne
pas être ridé>.
Ces critères nous permettent de distinguer l'"appréciatif"
des autres valeurs de bien, mais il nous manque encore une
définition "en plein" de la valeur. Pour la donner nous allons
étudier les propriétés de l'"appréciatif" qui sont liées à
l'existence de ces deux critères.
B. Deux propriétés pour définir l'"appréciatif".
1. L'"appréciatif" est une valeur de "conformité".
La première propriété est liée au mode de construction du
terme de référence. Dans la relation pi--p, nous avons affaire à
deux occurrences dont les instances d'origine sont différentes.
pi fait l'objet d'un ancrage temporel tandis que p est relève
d'une instance strictement subjective. Ces deux instances peuvent
fonctionner indépendamment l'une de l'autre mais avec bien elles
sont articulées. J-J. Franckel (1987, p71) (13) a montré que ces
deux instances sont susceptibles de formes complexes
d'articulation". L'une d'entre elles est particulièrement
intéressante pour nous. Il s'agit du cas où l'occurrence
d'origine subjective est "construite comme validable
antérieurement à sa localisation effective" (p77). Dans ce cas,
on peut parler de conformité entre les deux constructions.
58
Ceci se traduit sémantiquement de manière tout à fait nette
dans un exemple comme:
(...) l'individu s'essaie à contrôler l'exactitude de
ses évocations auditives en développant une réitération
verbo-motrice. N'étant pas sûr d'avoir bien enregistré
le dit, le sujet est porté à se réexprimer à lui-même
ce qu'il vient d'entendre. (A. De La Garanderie,
Lesprofilspédagogiques, Le Centurion éd, p 90)
Ou encore dans les exemples de "déontique" (voir au § 1.3) qui
sont à cet égard très significatifs, en voici un parmi d'autres:
Vous savez, l'acteur est un accessoire au bout de la
chaîne de tous les métiers du cinéma. Quand on a un
grand rôle dans une grande production avec de grands
techniciens, la moindre des choses c'est d'être bien.
Ce n'est pas une question de talent: ça ne peut pas
être autrement. (Télérama, n°2076, 25/10/89, p 31,
"Entretien avec J-F Balmer")
2. L'"appréciatif" est une valeur de "valuation".
Nous emprunterons à nouveau à A. Culioli (1989, p187)
l'essentiel de notre argumentation. A. Culioli écrit qu'on peut
considérer qu'il existe "une opération primitive de négation"
Cette opération peut prendre deux formes selon qu'il s'agit
"d'une représentation spécifique de ce qui est mauvais,
défavorable ou inadéquat (donc à rejeter), ou de ce qui comporte
un vide un hiatus, une absence." On a donc deux types d'altérité.
"En d'autres termes, on a d'un côté une opération par laquelle on
59
signifie qu'un état de chose n'est pas bon (pour nous 'est bon')
de l'autre une opération par laquelle on signifie qu'on a
absence, vide, ou de façon plus large hiatus (discontinuité)". On
voit que le premier type correspond à une altérité de type I/F.
"Dans le premier cas, on renvoie à une valuation subjective, dans
le second cas, on renvoie à un mode d'existence (occurrence
localisée / pas d'occurrence pour une localisation donnée.(...)".
Cette distinction sera pour nous essentielle. On se souvient que
le "confirmatif" marque la validation d'une relation sur la base
d'une altérité différente de l'"appréciatif". Ainsi quand je dis:
"Tu vois, j'avais raison, il est bien là, il nous attendait". Je
ne dis pas qu'il est agréablement installé ("valuation") mais
qu'il est effectivement là.
On peut donc développer le critère deux ("L'altérité est de
type I/F") en disant que l'"appréciatif" est une valeur de
"valuation".
A titre d'illustration nous allons étudier quelques exemples
de la suite "être + bien".
1.3. Un exemple d'"appréciatif": "être + bien"
La suite "être + bien" peut paraître hétérogène relativement
à ce qui a déjà été fait qui portait sur des suites du type "bien
+ participe passé". Inséré dans la suite "être + bien", bien
60
commute avec des adjectifs. On dit "Il est bien" comme "Il est
gentil", "Il est poli" ou "Il est sympathique" ou encore "Il est
égoïste". Doit-on penser qu'il existe, à côté de l'adverbe, un
bien adjectif dans lequel bien prendrait son sens "plein" qui
apparaîtrait vraiment dans ces emplois? Ou s'agit-il de
spécifications locales de l'"appréciatif", et dans ce cas qu'est-
ce que cela signifie? Pour le savoir nous allons tenter de
définir les valeurs de bien dans cette suite selon des critères
déjà utilisés.
1.3.1. Critères sémantiques
On trouvera essentiellement deux types d'énoncés:
-le "déontique", (comme l'écrit D. Duprey, 1979, p262) pour des
exemples comme:
Il est bien, ce type, je crois que tu peux lui faire
confiance.
-le "bien-être", pour des exemples comme:
Ah! On est bien là, c'est quoi ce fauteuil?
Pour le "déontique" nous proposons la glose "comme il faut"
et pour le "bien-être" nous proposons la glose "comme il
voudrait". Une fois posée cette différence d'ordre sémantique on
61
peut observer que ce n'est pas cette ambiguïté qu'a retenue la
classification grammaticale.
1.3.2. Critères grammaticaux
Grammaticalement, le problème est celui de la nature de
bien. Certains auteurs préfèrent dire que bien reste un adverbe
mais qu'il "est employé adjectivement". C'est le cas de J.
Girodet (p108), de J-C. Chevalier et alii( §613, p422) et aussi
de M. Grevisse (§833, p877). P. Robert lui (p181), considère
qu'il s'agit alors d'un "adjectif invariable". Pour notre part
nous pensons que même dans les emplois "adjectivaux", bien reste
un adverbe. Nous essaierons de montrer que c'est à cette seule
condition qu'on peut expliquer l'existence des deux valeurs liées
à cet emploi où bien est d'ailleurs toujours invariable. A
l'appui de cette hypothèse nous apporterons d'abord des arguments
d'ordre syntaxique.
1.3.3. Critères syntaxiques
Ne pas tenir compte de cette hypothèse reviendrait à nier
les différences entre le "déontique" et le "bien être" et la
confusion entre les deux valeurs masquerait les régularités
suivantes:
-Le "déontique" se trouve plutôt à la troisième personne:
62
+ Il est bien ce type.
? Je suis bien.
-Le "bien être" se trouve plutôt à la première personne:
+ Là, je suis bien, il peut commencer.
? Là, tu es bien, il peut commencer.
-Dans le cas du "bien-être" on ne peut pas prédiquer la propriété
'être bien' comme s'il s'agissait d'une propriété caractéristique
du sujet. On ne peut pas dire "Je suis bien" au même titre que
"Je suis brun". Ou alors si on accepte l'énoncé (et le manque de
modestie du locuteur) il s'agit d'un "déontique".
-Dans le "déontique" on associe généralement la troisième
personne à une propriété prédiquée hors d'une localisation
temporelle déterminée. Dans le "bien-être", on associerait plutôt
la première personne à une propriété localisée temporellement.
A côté de ces différences, les deux valeurs donnent les
mêmes résultats aux tests qu'on a pu associer à l'"appréciatif":
"déontique", on a sans difficultés:
la négation: "Il n'est pas bien, ne l'engagez pas"
la question: "Il est bien ou non?"
la commutation avec "très bien": "Il est très bien, engagez-le"
"bien-être", on a aussi:
la négation: "Je ne suis pas bien là"
la question: "Vous êtes bien, on peut commencer?"
la commutation avec "très bien": " Là, je suis très bien, on peut
63
commencer".
Que faut-il conclure? Notre hypothèse, est que le
"déontique" et le "bien-être" sont deux spécifications locales de
l'"appréciatif". Nous allons tenter de l'étayer en comparant
quelques exemples de ces deux valeurs.
1.3.4. Caractérisation des deux valeurs
Soit l'exemple suivant:
QUICK (les "fast-food") est cruel, même avec son élite.
L'homme que Suker (le mauvais nouveau patron) a
remplacé fut remercié parce qu'il était "bien" disent
les équipiers qui ont connu son époque. Ils ont du mal
à définir ce "bien": "juste" parce que "neutre",
"d'humeur égale". Ils cherchent encore et s'accordent:
"le contraire du nouveau boss". (B. Grosjean in
L'événementdujeudi, n°259, du 19/10/89, p106)
-"il est bien" peut s'interpréter: "il dirige bien, il parle
bien, il paye bien, il conseille bien etc ...". Notre difficulté
est liée à la structure syntaxique "être + bien".
Pourrendrecomptedel'existencedecetteinterprétationnousdevonsécrir
ecettestructure: "être+bien+(Y)",(Y)étantl'image (14)
detouslestermesquipeuventinstanciercetteplace.
On peut dire que "quelle que soit" la valeur envisagée (opération
de parcours sur une classe) la relation sera validée "comme" on
peut attendre qu'elle le soit (opération d'identification). Il
64
faut souligner que le terme de référence se définira toujours
comme un "êtrecommeilfautêtre" en raison de sa nature "d'image"
d'une classe de valeurs. Il s'agit donc d'un terme préconstruit
(critère C.1).
Voyons maintenant un exemple de "bien-être":
Là, je suis bien, il peut commencer.
-"je suis bien" peut s'interpréter: "je me trouve bien comme je
suis, ,je suis bien assis, je me sens bien dans ce fauteuil, je
suis bien là, je suis bien à t'écouter etc...". Tous les
prédicats ne sont pas envisageables, il est impératif qu'il
s'agisse d'un procès spécifiable (possible) dans la relation <je
/ être ( )> telle qu'elle est repérée en Sito. Autrement dit
ilfautqueleprocèscorrespondeàlasituationdanslaquellesetrouvel'éno
nciateur (auquel renvoie je). Ce procès pi est évalué par rapport
à un terme de référence préconstruit qu'on peut gloser comme
étant "cequeSosouhaitequesoitpenSito". On peut le vérifier aux
contraintes qui pèsent sur les exemples suivants:
+ Là, je suis bien tu peux commencer.
? Je suis bien, tu peux commencer.
+ Ah! On est bien chez toi, dis donc!
? On est bien tous les jours, depuis une semaine.
? C'est un homme qui est bien.
+ Aucun doute, le corps est détendu, la position
n'est pas rigide, c'est un homme qui est bien.
65
Dans les deux cas le calcul est fait relativement à un terme
de référence déjà construit (premier critère) et il s'agit de
valeurs de valuation (deuxième critère), il s'agit donc bien
d'"appréciatif" mais qu'est-ce qui les différencie?
La variation sur la nature du terme (classe de procès ou
procès spécifiable) sur lequel porte la détermination n'est
possible qu'à une seule condition: qu'il s'agisse d'une place
vide. Alors deux possibilités et seulement deux sont ouvertes:
-"déontique": on envisage la classe des procès pouvant instancier
la place.
-"bien-être": on envisage le procès (spécifiable) localisé en to
comme instanciant cette place.
Toute autre possibilité suppose une spécification effective du
procès qui nous ferait retomber dans le cas d'un "appréciatif"
ordinaire.
L'existencemêmededeuxvaleurs (telles que nous venons de les
décrire)
aulieud'uneseuleestl'indicationtangibleque"bien"doitêtreencoreici
considérécommeunadverbe; avec un adjectif ce type d'ambiguïté est
peu plausible.
Nous avons mis en évidence l'importance de la nature du
procès qui doit instancier la place (Y) (classe de procès vs
66
procès spécifiable). C'est le critère essentiel de différen-
ciation. Le second met en jeu le sujet de l'énoncé, nous allons
voir qu'il s'agit en fait d'une conséquence du premier.
La relation S1 (sujet de l'énoncé) / So (énonciateur)
distingue clairement le "déontique" du "bien-être". Quand S1 est
différent de So on a le "déontique", mais quand S1 renvoie à So
on a le "bien-être". Ainsi:
Ah! je suis bien là! Tu peux commencer.
Dans le cas du "bien-être" pour que So puisse trancher le rapport
entre le terme de référence et l'occurrence localisée sur le plan
factuel, il est indispensable que S1 = So puisque S1 est le seul
repère à partir duquel on puisse connaître la valeur de (Y). Si,
a contrario, on voulait attribuer aux propriétés primitives de
bien l'origine de cette valeur, il faudrait expliquer pourquoi ce
type d'interprétation n'apparaît pas ailleurs, et cela semble
impossible. La question complémentaire est: "Pourquoi ne
retrouve-t-on pas le même effet de sens avec le "déontique"
puisque, malgré tout, la structure syntaxique est la même?
Avec le "déontique", le sujet de relation est normalement à
la troisième personne: "Il est bien, lui, tu peux l'engager". A
la première personne, soit l'énoncé est bizarre ("Je suis bien"),
soit on a établit contextuellement une forme d'altérité entre So
et S1 (à la première personne) de telle sorte que l'énoncé est
67
acceptable:
Je serai bien, ne vous en faites pas.
Là, je suis bien, mais alors sur cette photo!
J'étais bien, autrefois...
Si So est dans une relation d'identification stricte avec S1 (cas
de l'énoncé bizarre "Je suis bien"), il ne peut se prononcer que
sur To, or le "déontique" suppose qu'on envisage tout Sit, il est
donc nécessaire que So se différencie de S1 pour pouvoir valider
la relation pour tout Sit.
Pour spécifier ce qu'ont de caractéristique ces deux formes
d'"appréciatif (15) nous écrirons:
"déontique": S1 # So et (Y) est une classe de procès.
"bien-être": S1 = So et (Y) est un procès spécifiable.
tout en sachant qu'elles vérifient les critères généraux de
construction de la valeur .
En résumé
L'"appréciatif" est une valeur de bien qu'on peut
caractériser à partir des critères suivants:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
C.2. L'altérité est du type I/F.
68
69
NOTES DU CHAPITRE I
(1): J. GIRODET., (1981), Piègesetdifficultésdelalanguefrançaise,
Bordas, éd de 1986, 896p.
(2): P. DUPRE., (1972),
Encyclopédiedubonfrançaisdansl'usagecontemporain, 3vol, Ed de
Trévise, T1, 890p.
(3): A propos d'exemples comme "Balzac écrit bien" ou encore "Il
a bien réussi (son examen)", Denis Slakta, dans LeMonde du
2/2/90, écrit "qu'il n'est pas douteux (...) qu'il s'agisse d'un
adverbe de manière". voir "La vie du langage: 'L'horrible bien'",
in LeMonde, n°14002, p30.
(4): J-Cl. CHEVALIER et alii, (1964),
GrammaireLaroussedufrançaiscontemporain, Larousse éd, 495p.
(5): Un énoncé n'est pas "acceptable" ou "peu acceptable" de
manière absolue mais relativement à un autre énoncé auquel on le
compare pour un contexte donné. Pour noter leur acceptabilité
relative nous utilisons les symboles suivants:
? -L'énoncé paraît peu naturel dans le contexte où il se trouve
(pour une valeur donnée de bien). Il existe un autre
contexte dans lequel il serait acceptable.
+ -L'énoncé paraît plus naturel que l'énoncé auquel on le
compare et qui est doté d'un "?".
* -L'énoncé nous paraît inacceptable quel que soit le contexte.
(6): Les "exemples-types" sont les exemples qui servent de base à
notre démonstration. En général nous leur attribuons un numéro
qu'ils conservent tout au long du chapitre où ils sont utilisés.
Les exemples qui sont utilisés ponctuellement ou bien qui sont
donnés à titre d'illustration ne sont généralement pas numérotés
mais désignés par des lettres.
(7): A. CULIOLI., (1989), "La négation: marqueurs et opérations",
in Lanotiondeprédicat, collection ERA 642, Université de Paris
VII, pp 185-206.
(8): Le développement consacré à la structuration de la classe
d'occurrences peut être décrit en termes de "domaine notionnel".
Nous ne l'avons que modérément exploité pour ne pas alourdir une
description déjà pesante mais voici brièvement ce qui pouvait
être dit, dont nous empruntons l'essentiel à A. Culioli (1989):
70
"On construit ainsi un agrégat d'occurrences, qui sont iden-
tifiées à un type, centre organisateur du domaine notionnel par
rapport auquel le sujet établit cette indiscernabilité des
occurrences. Ainsi par voisinage, toute occurrence est identifia-
ble à toute autre occurrence, ce qui assure cette équivalence
minimale sans laquelle il ne pourrait y avoir production-
reconnaissance de formes" (p 189). A priori le domaine se
présente comme un ouvert. Ce qui correspond à un stade où les
occurrences sont individuables (Qnt) mais non-distinguables sur
le plan qualitatif. Le domaine se présente comme faiblement
hétérogène, il n'a fait l'objet d'aucune opération de
détermination.
Ensuite, situer une occurrence pi sur le domaine suppose une
structuration du domaine en zones. On construira le domaine de la
propriété P qui contient "toutes les occurrences jusqu'à la der-
nière imaginaire qui quelles que soient les altérations, sont
identifiables par la conservation de la propriété constitutive du
domaine" (p 191). Sur ce domaine on construira deux zones l'Inté-
rieur et la Frontière. La Frontière est une "zone de diffé-
renciation", elle contient toutes les occurrences, dès la
première (imaginaire), dont on peut dire qu'elles manifestent une
altération, même infime, de la propriété constitutive du
domaine". C'est la zone de ce qui est "plus ou moins p".
L'Intérieur du domaine, est la zone de ce qui est "vraiment p"
pour moi.
La mise en place de ces deux zones I/F correspond à ce que
nous avons appelé une "construction subjective préalable". Une
occurrence instable sur le plan qualitatif est une occurrence
qu'on ne peut pas situer sur le domaine, on hésite entre I et F
(voire entre I/F et E "l'Extérieur qui est vide la propriété
constitutive, soit par altérité radicale, soit par inexistence"
(p 191).
(9): La primauté de la construction subjective de p a pour
conséquence l'instabilité qualitative de toute occurrence pi de
P. Or "tout terme entrant dans (une) relation doit être
nécessairement situé", voir A. CULIOLI., (1987), p10, "Formes
schématiques et domaine" in Bulag, n°13, Université de Besançon,
pp 7-15.
(10): A. CULIOLI., (1975), "Notes sur 'détermination' et
'quantification': définition des opérations d''extraction' et de
'fléchage'", in
Projetinterdisciplinairedetraitementformeletautomatiquedulangage,
Université de Paris VII, 14p.
(11): L'opération de parcours est difficile à mettre en évidence
71
autrement qu'indirectement, elle a cependant des correspondances
pragmatiques et sémantiques tout à fait sensibles. Ainsi D.
Slakta (1990, p30) dans un article où il cite A. Culioli (1978)
n'hésite pas établir le parallèle suivant: "On utilisera
plusieurs exemples, (...) et le concept de parcours: un locuteur
peut en effet construire une classe de valeurs, les parcourir et
sélectionner une des valeurs comme appropriée. D'emblée, on
mettra en place un premier ensemble que la tradition grammaticale
n'a pas entièrement méconnu. Hypothèse d'école: si un critique
d'antan avance: "Balzac écrit bien", c'est qu'il a d'abord repéré
une classe d'évaluation qui se développe de très bien à très mal
en passant par bien, médiocrement et mal. Il parcourt cet
ensemble d'où découle la sélection d'un degré: "Balzac écrit
bien". (...) Dans tous les cas, l'évaluation ne vise pas un
instant la quantité mais la qualité." (voir note 3).
A titre d'illustration nous voudrions donner l'exemple d'une
phrase entendue à la radio (France-Inter, le 16/09/89) au cours
de l'interview d'un célèbre metteur en scène d'opéras: "Oui, je
gagne beaucoup d'argent, enfin, beaucoup, non mais je peux dire
qu'avec mon métier je gagne bien ma vie". Nous avions été frappés
par la mise en évidence contextuelle de l'indétermination de la
relation <moi / gagner de l'argent> à travers les hésitations du
locuteur.
(12): Les différences qu'on a pu relever entre notre ca-
ractérisation et celle proposée par A. Culioli (1978) seront
analysées au chapitre V au moment où nous abordons les exemples
(type: "On achève bien les chevaux") qui servent de point de
départ à la caractérisation d'A. Culioli.
(13): J-J. FRANCKEL., (1989),
Etudedequelquesmarqueursaspectuelsdufrançais, Droz éd, 472p.
(14): Nous employons "image", avec le sens que lui attribue A.
Culioli (1974) qui réserve ce terme au "représentant dans
l'énoncé d'une classe de valeurs imaginaires" par exemple Qui
dans "Qui a ouvert la fenêtre?", "A propos des exclamatifs", p9,
in Languefrançaise, 22, Larousse éd.
(15): Le "déontique" et le "bien-être" vérifient les critères de
l'"appréciatif". Ce sont des spécifications locales de
l'"appréciatif" et nous en avons donné les caractéristiques
(relation S1--So et nature du procès) qui tiennent toutes deux à
la structure syntaxique particulière de la suite "être + bien".
On peut concevoir une troisième valeur ainsi définie: S1 #
So et (Y) est un procès spécifiable. Cette valeur existe. Elle
apparaît lorsque (Y) fait l'objet d'une détermination
72
contextuelle, comme dans: "Il est bien en cour". Les
dictionnaires de même que M. Grevisse (§834, p877) ne manquent
pas de citer quelques exemples de ce type comme: "Il est bien
auprès de ses chefs".
Dans ces énoncés le terme qui instancie la place (Y) fait
l'objet d'une détermination dans l'énoncé: "(en) cour" ou
"(pour) ses chefs". Du coup, même si on envisage une classe de
valeurs celle-ci fait l'objet de la détermination en question et
on perd la connotation morale propre au "déontique" ('être
homogène en tout Sit'). Nous attribuerons à cette troisième
valeur des énoncés ayant une connotation ironique comme: "Il est
bien lui!".
La détermination n'étant alors interprétable qu'en contexte.
73
CHAPITRE II
L'"INTENSIF"
Nous avons déjà évoqué l'"intensif" au chapitre
précédent. Nous essaierons d'abord de l'identifier avant d'en
donner une caractérisation. Nous aborderons ensuite la question
du caractère (éventuellement) "détrimental" de cette valeur; nous
voulons parler des connotations négatives qui peuvent
l'accompagner.
2.1. Identification de la valeur
Dans cette section, nous allons voir ce qui différencie et
ce qui rapproche l'"intensif" de l'"appréciatif" selon des
critères sémantiques, grammaticaux et syntaxiques.
2.1.1. Critères sémantiques
L'"intensif" ne peut pas être glosé par "d'une manière
satisfaisante". Ainsi dans l'exemple qui servira d'exemple-type
pour notre analyse:
74
Il est bien ridé, cet homme!
En revanche, il peut être glosé par "très", voire "trop", comme
dans les exemples suivants:
Ce pays est bien arriéré, je ne sais pas si notre
mission aura beaucoup de résultats.
Bernanos est bien surfait.
Tout cela est bien morcelé, que voulez-vous que nous
fassions?
Ils sont de notre cru car les dictionnaires ne proposent pas
d'exemples de cette suite syntaxique. Pour en trouver dans les
dictionnaires il faut prendre en compte la suite "bien +
adjectif". E. Littré (éd de 1963, p1011) donne "Une lettre bien
longue", "Encore bien jeune", "Je suis bien malheureux"; on
trouvera aussi "C'est bien simple", "Je suis bien aise" donnés
par P.Robert (éd de 1966, p468).
Ces exemples de la suite "bien + adjectif" sont glosables
par "très". Le rapprochement entre adjectifs et participes passés
est donc sémantiquement justifié par la permanence de la glose
"très" que l'on peut associer à bien dans les deux types
d'exemples. Nous ne sommes évidemment pas les premiers à
l'effectuer. A cet égard on peut citer P. Robert qui donne un
exemple de participe passé "bien avancé" au milieu d'une série
d'adjectifs. Plus récemment D. Slakta (1990) donne "bien fatigué"
à côté de "bien content" et en général, les grammairiens se
75
rangent à cet avis.
2.1.2. Critères grammaticaux
Les grammairiens s'accordent pour considérer que bien est un
"adverbe d'intensité" lorsqu'il est suivi d'un adjectif ou
parfois d'un participe passé. Mais la terminologie n'est pas
stabilisée, M. Grevisse considère que l'"intensité" est une
variante de la "quantité" qu'il oppose à la "manière". En
revanche R.L. Wagner et J. Pinchon considèrent qu'il s'agit de
trois classes de statut équivalent. Ces derniers s'appuient sur
des critères syntaxiques:
1) bien est "adverbe de quantité" dans la suite "bien + nom"
(§489, p412), comme dans: "Il a bien de la patience!", ou encore
"J'ai déjà lu bien des livres mais jamais d'aussi stupide".
2) bien est "adverbe d'intensité" dans la suite "bien +
adjectif", ou "bien + adverbe" (ou certains emplois de la suite
"bien + verbe", §490, p413) comme dans "Vous êtes bien bon!", "Il
est bien trop tôt pour se lever!" ou encore "Il est bien ridé,
cet homme!".
3) bien est "adverbe de manière" dans certains emplois de la
suite "bien + verbe" (§491, p416) comme "Aller bien".
Nous nous rangerons à leur avis en distinguant nettement la
suite "bien + nom" que nous étudierons au chapitre III. La
question sera alors de savoir si bien a les mêmes valeurs que
76
dans la suite "bien + verbe" à laquelle nous allons d'abord nous
intéresser (1).
2.1.3. Critères syntaxiques
Nous avons déjà évoqué les résultats négatifs de
l'"intensif" aux tests syntaxiques de la question et de la
négation. On acceptera moins bien:
? Est-ce qu'il est bien ridé?
? Il n'est pas bien ridé, dis-donc!
que:
+ Est-ce que c'est bien dessiné?
+ Ce n'est pas bien orthographié.
En revanche bien commute toujours avec très mais pas avec très
bien quand il s'agit d'un "intensif", et inversement quand il
s'agit d'un "appréciatif":
à partir de la valeur d'"intensif" on acceptera plus facilement:
+ Bernanos est très surfait.
+ Il est très ridé, cet homme!
que:
* Bernanos est très bien surfait.
? Il est très bien ridé, cet homme!
inversement à partir de la valeur d'"appréciatif" on acceptera
plus facilement:
+ Ce devoir est très bien orthographié.
que:
77
? Ce devoir est très orthographié.
Que nous apprennent ces tests? Avec l'"intensif", on n'est
pas en mesure de distinguer différentes occurrences
(qualitativement différenciées) de la propriété considérée. Par
contre on est à même de distinguer différents degrés de cette
propriété. L'exemple-type ("Il est bien ridé, cet homme!") peut
s'interpréter comme:
-un "intensif": en contexte de surprise, on ne considère qu'une
seule occurrence et pour cette occurrence on envisage différents
degrés de la propriété.
-un "appréciatif": en contexte de comparaison (cf le contexte du
maquillage de l'acteur) on considère plusieurs occurrences de la
propriété.
Comme on le voit, les tests ne sont pas directement
pertinents, il est nécessaire pour trancher (distinguer
l'"intensif" de l'"appréciatif") de revenir aux contextes. En
quoi peuvent-ils être déterminants? (2).
2.2. Caractérisation de la valeur
Revenons à l'exemple "Il est bien ridé, cet homme". Le
locuteur est surpris; la syntaxe est un indice certain, le terme
sujet est renvoyé à la fin de l'énoncé. Si on déplace le sujet:
78
"Cet homme est bien ridé" l'énoncé paraît moins naturel parce que
c'est un ordre qui suppose plutôt l'assertion que la surprise. On
vérifie cela sur un tout autre exemple:
Cette maison est belle.
n'implique pas forcément la surprise, en revanche:..
Elle est belle, cette maison.
s'interprétera plutôt comme une exclamation.
Ceci est confirmé par A. Culioli (1981, p70), il montre que "si
l'on prend l'exemple:
Il est gentil, ton chien!
il est perçu en français comme un exclamatif (...mais que) Si
l'on permute les termes:
Ton chien, il est gentil.
on perd la valeur exclamative". Comment doit-on interpréter ces
variations?
2.2.1. La valeur d'"intensif"
Ces variations peuvent être ramenées à un changement
d'organisation thématique de l'énoncé. Pour simplifier
considérons que la relation sera toujours du type <a / rb>. Dans
les exemples qui nous occupent, le choix du terme thématisé donne
lieu à trois possibilités:
1) "a" est le terme thématisé: "Ton chien, il est gentil".
2) "rb" est le terme thématisé: "Qui est-ce qui est gentil? Ton
chien, il est gentil".
79
3) Il n'y a pas de terme thématisé la relation <a/rb> est repérée
en bloc par rapport au repère situationnel: "Il est gentil, ton
chien"!
L'"appréciatif" correspond au cas 1).
L'"intensif" correspond au cas 3).
Ce mode d'organisation de l'énoncé (cas 3) permet
d'expliquer pourquoi la surprise est le contexte privilégié
d'apparition de l'"intensif". Revenons à l'étude de l'exemple-
type: "Il est bien ridé, cet homme!".
2.2.1.1. Primauté de la construction temporelle
A. Construction d'une occurrence pi de P.
1) L'énonciateur n'a pas d'attente particulière en ce qui
concerne le vieillissement ou pour quoi que ce soit d'autre,
d'ailleurs. Il constate qu'une relation <lui / être ridé> est
vérifiée indépendamment de toute attente ou de tout calcul de sa
part. Celas'imposeàlui. La relation <lui/ être ridé> est repérée
en bloc, indépendamment de toute prise en charge subjective, par
rapport au pôle temporel To.
Dansl'"intensif",la"nécessité"descontextesde"surprise"correspondà
laprimautédurepéragetemporeldel'occurrencepi (de 'être ridé')
parrapportàtouteconstructionsubjective.
80
2)
Maisiln'yariensurleplansubjectifquipermetted'évaluercequiestconst
ruitsurleplantemporel.L'occurrencepiestdoncqualitative-
mentinstable. Les opérations dont bien est la trace (§B.1 et
§B.2) et que nous allons décrire débouchent sur l'ajustement de
ces deux plans à partir du plan temporel.
3)
L'énonciateurreconstruitaposteriorisurleplansubjectiflavaleurptel
lequ'elleestvérifiéesurleplantemporelparl'occurrencepi. Le
complémentaire p' de p se définit comme autre-que-p,
rétrospectivement il peut apparaître comme ce à quoi on pouvait
"normalement" s'attendre dans le contexte de l'énoncé. Le
complémentaire p' correspond à une zone qui est la Frontière du
domaine de P. Ce mouvement, déjà décrit par J-J Franckel (1986,
p53) (3) comme la "construction rétrospective du validable" est
tout à fait différent de celui qui consiste à délimiter p dans
l'"appréciatif". Ici p n'est que le transfert sur un autre plan
d'une valeur (pi) déjà construite indépendamment du sujet. p
apparaît comme une valeur délimitée "objectivement" contrairement
au statut de p dans l'"appréciatif".
B. Il s'agit d'une altérité par défaut.
1) Dansundeuxièmetemps,
l'énonciateurvacomparer(opérationdeparcours) pi avec p. Ce que
nous proposons de gloser ainsi: "Etant donné une occurrence
81
localisée pi de P, je reconstruis cette valeur sur le plan
subjectif telle que je la perçois et je vérifie que je ne me
trompe pas" (4).
Cette opération peut paraître illogique, elle est pourtant
très "perceptible" dans des énoncés comme les suivants:
Je ne rêve pas!
Pince-moi!
Il s'en va! Mais c'est pas vrai!
Tu vois ce que je vois?
L'opération de parcours va consister à rechercher une éventuelle
différence entre pi et p. Le résultat est qu'en partant de pi on
n'arrive pas à stabiliser du p'. Il n'y a pas de différence (du
autre-que-p) entre pi et p. La relation pi--p est profondément
différente dans l'"appréciatif" et dans l'"intensif". Dans l'un,
il s'agissait de prendre en compte une altérité qui préexistait
par construction au parcours. Dans l'autre, c'est d'une altérité
supposée qu'il s'agit ("altérité par défaut").
2)
Etantdansl'impossibilitédestabiliserdup',onenconclutquefinalement
pi seramèneà p. L'identification à p fournit à pi le statut
qualitatif stabilisé qui lui faisait défaut. Et comme p a été
construit à partir de pi, il ne s'agit pas d'une appréciation
subjective mais d'un "constat".
82
Cette description nous permet d'ores et déjà de distinguer
formellement l'"intensif" de l'"appréciatif".
2.2.1.2. Bien et l'"intensif"
Les valeurs p et p' correspondent à des zones dans les-
quelles on trouvera des degrés de "vraiment p" et des degrés de
"plus ou moins p". Il s'agit d'altérité faible. Sur ce point
l'"intensif" ne se distingue pas de l'"appréciatif". Il vérifie
comme lui le deuxième critère:
C.2. L'altérité est de type I/F.
La différence est ailleurs. Elle tient à la primauté de la
construction temporelle de pi par rapport à toute autre
construction subjective sur p,p'. Cette primauté a comme
conséquence que l'"intensif" ne vérifie pas le critère 1 ("Le
terme de référence est préconstruit"). Il est nécessaire pour
rendre compte de cette valeur de mettre en place un nouveau
critère (le troisième) que nous écrirons ainsi:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
Si on veut la définir "en plein" on peut toujours dire que
l'"intensif" (comme l'"appréciatif") est une valeur de
"valuation". C'est vrai parce qu'avec l'"intensif" la question de
la validation est déjà réglée et tout simplement parce qu'elle
83
vérifie le deuxième critère. Mais l'"intensif" ne peut pas être
considéré comme une valeur de "conformité" puisque le terme de
référence n'est pas préconstruit. Il s'agit de décrire le
mouvement qui identifie pi à p. On sait qu'il n'y a pas de
différence entre ces deux termes (sinon par l'origine des plans
sur lesquels ils sont construits) et que la délimitation de p
n'est pas attribuable à So. L'identification est un "constat".
L'"intensif" est une valeur de "constat".
On nous dira que tout ceci distingue peut-être les deux
valeurs mais n'explique pas pourquoi l'"intensif" s'accompagne
souvent de connotations négatives (par exemple la glose "trop"
(5). Doit-on les rapporter au contexte notionnel, à certaines
catégories de procès, ou sont-elles inhérentes à la construction
même de la valeur?
2.3. Le "constat" et les connotations négatives
Ces connotations sont-elles liées à certains types de procès
toujours associés à l'"intensif"? On peut le penser quand on
considère les exemples suivants qui s'interprètent généralement
comme des "intensifs":
Il est bien guindé!
Bernanos est bien surfait!
Elle est bien cabossée, ta voiture!
84
2.3.1. La question des catégories de procès
Quand on a la valeur d'"intensif", bien commute avec très.
Il nous suffit donc de regrouper les verbes compatibles avec cet
adverbe pour trouver ceux qui sont susceptibles de donner lieu à
l'"intensif"; on obtient une liste de verbes comme: "arriérer,
guinder, rajeunir, ramifier, peinturlurer, méconnaître,
morceler". Inversement on peut constituer une liste des verbes
compatibles avec très bien et donc susceptibles de donner lieu à
l'"appréciatif", des verbes comme "répliquer, indiquer, ranger,
sculpter, situer, remorquer, tricoter, illustrer, gouverner,
aménager, orthographier". On peut vérifier qu'on a l'une ou
l'autre des deux valeurs selon le verbe retenu:
"intensif": Il est bien guindé!
? Il est très bien guindé!
+ Il est très guindé!
"appréciatif": C'est bien orthographié.
+ C'est très bien orthographié.
? C'est très orthographié.
Le plus évident serait de classer l'ensemble des verbes en
fonction des contraintes ainsi repérées mais nous ne sommes pas
en mesure de le faire parce que, pour de nombreux verbes, comme
"organiser", les énoncés sont d'emblée acceptables, avec très
bien comme avec très.
Il est bien organisé.
Il est très bien organisé.
85
Il est très organisé.
La compatibilité avec très ou avec bien (très bien) pour des
verbes comme "improviser" ou "rider" dépend nous l'avons vu, du
contexte. Alors faut-il revenir au contexte? Oui, mais nous
savons ce qui est pertinent (primauté de la construction T ou S).
Maintenant, il nous faut savoir comment cette variation
contextuelle peut se "traduire" pour un verbe donné par un
changement de "catégorie".
2.3.1.1. Deux formes de catégorisation des procès
Pour l'expliquer il nous faut revenir au concept de "domaine
notionnel" introduit par A. Culioli (1981) pour donner une
représentation topologique des diverses opérations pouvant porter
sur une classe d'occurrences (construction, délimitation). A
priori, les occurrences d'une propriété P sont ramenables à un
centre qui est àlafois une représentation typique de la propriété
fondatrice (centre organisateur ou Type) et le degré le plus
élevé possible de la propriété fondatrice (centre attracteur ou
Ca). On utilise le concept de "centre" généralement sans spéci-
fication supplémentaire. Nous voulons, pour le cas présent,
opérer le distinguo. Nous faisons l'hypothèse suivante: pour
avoir la valeur d'"appréciatif" il est nécessaire que le Type
soit privilégié (ce qui n'exclut pas la composante Ca) mais pour
avoir l'"intensif" il faut que le domaine soit organisé à partir
du Ca.
86
A. Le domaine est organisé autour du Type.
Le centre organisateur constitue l'expression la plus
achevée, la plus parfaite de la propriété P. Elle forme le Type
le plus homogène de la propriété P. Antérieurement à toute
détermination la classe se présente comme faiblement hétérogène.
Les occurrences de P sont à la fois individuables et
identifiables les unes aux autres en tant qu'elles vérifient la
propriété P. On a vu que le "fonctionnement" de l"appréciatif"
repose sur une délimitation subjective préalable du domaine en
deux zones I et F. La zone I correspond à la valeur p, "le
vraiment p" qui est la valeur de référence du point de vue
subjectif. Or cette délimitation se fait par rapport au Type de
P. Revenons à notre exemple (contexte du maquillage d'un acteur):
étant donné la propriété 'être ridé' il existe un Type idéal et
inatteignable du 'être ridé' et à partir de ce Type le metteur en
scène est à même, compte tenu des contraintes du moment, de fixer
ce que lui attend comme 'être ridé' (pour nous la valeur p). Il
ne faut donc pas confondre la valeur p avec le Type qui a rendu
possible sa délimitation.
Le point essentiel est que la délimitation subjective du
domaine entraîne nécessairement l'organisation du domaine de P
autour du Type. Comment cela? Envisager et délimiter ce qu'est
une "bonne valeur" pour soi suppose qu'on puisse prendre comme
référence l'idéal (inatteignable) de cette valeur. Il y a un
87
rapport direct entre la préconstruction du terme de référence
(C.1.) et l'organisation du domaine notionnel autour du Type dans
le cas de l'"appréciatif".
Venons-nous d'évacuer les problèmes de "catégories de
procès"? Non, nous nous sommes donné les moyens de les aborder.
Les termes dont le domaine notionnel est (a priori) organisé à
partir d'un Type se prêtent mieux que d'autres à une délimitation
I/F. Ce sont les termes "discrets".
NB: La catégorisation en termes "dense", "discret",
"compact") a été introduite, pour les substantifs, par A.
Culioli (1982) (6). (Il distingue trois catégories:) "d'un
côté, la catégorie qui possède la propriété du "discret" (on
peut dans ce cas individuer les occurrences, les désigner
sous une forme ordinale); d'un autre côté la catégorie du
"compact" (on a ici affaire à l'insécable, à du prédicatif
nominalisé, sur lequel on ne peut effectuer aucun
prélèvement); enfin il existe une catégorie composite, le
"dense", qui possède certaines propriétés du "compact", mais
où un prélèvement est possible par l'intermédiaire d'un
dénombreur". S. de Vogüé (1989) (7).a montré comment cette
catégorisation pouvait être étendue aux procès.
Selon S. de Vogüé (1989) les procès discrets (ex: "tomber",
"réparer), au contraire des procès compacts ou denses,
"fonctionnent" relativement à un "format-type" qui permet de
fonder ce qu'est une "vraie" occurrence de la propriété. Ce qui
signifie que lorsqu'on a affaire à un procès discret, le domaine
notionnel qui lui est associable est nécessairement organisé
autour d'un Type. D'où la compatibilité régulière des procès
discrets avec l"appréciatif".
88
Avec les procès qui ne sont pas discrets et ne sont donc pas
pourvus de ce "format-type", on aura une réorganisation du
domaine pour que l'"appréciatif" soit acceptable. Soit un procès
comme "lire" qui a priori est dense (S. de Vogüé, p26), il peut
fournir un "appréciatif" tout à fait acceptable, par exemple en
contexte scolaire. Mais dans ce contexte, l'attente de
l'enseignant ( relative à la lecture en général et à celle de son
élève en particulier) est à l'origine de la réorganisation du
domaine autour du Type: "Là, c'était bien lu!...". Il y aura
évidemment des blocages, certains procès ne donneront jamais lieu
à un "appréciatif". Il est par exemple très difficile d'imaginer
un contexte dans lequel "Il est (très) bien surfait" serait
acceptable. La question sera alors de savoir pourquoi "surfaire"
ne supporte pas une organisation du domaine notionnel à partir
d'un Type (voir au § 2.3.1.2. C.).
B. Le domaine est organisé autour du centre attracteur.
Lorsque le domaine est organisé autour du Ca les occurrences
de la propriété s'ordonnent sur un gradient comme différents
degrés de la propriété. On a cela chaque fois que l'on utilise
l'adverbe très. Par exemple: "Le rugby est un sport très pratiqué
en Angleterre" ou "Cet homme est très déprimé". Cette
configuration permet l'"intensif" mais elle interdit
l'"appréciatif". Notre propos a pu laisser supposer qu'on
envisage plusieurs occurrences de la propriété. En réalité on ne
89
considère ici qu'une seule occurrence (un seul ancrage
situationnel); la variation porte sur les différents degrés
possibles de la propriété pour cette occurrence; et la variation
se définit nécessairement sur un gradient, du degré le plus fort
possible (Ca) vers les degrés les plus faibles. La suite "être +
adjectif" en donne de bons exemples. Quand je dis "Il est très
grand", je n'envisage pas plusieurs "manières d'être grand"
(comme "grand homme", "grand pour son âge" etc) je n'envisage que
la taille du sujet et je compare différents degrés possibles de
taille pour décider qu'"Il est très grand". Revenons à notre
exemple, en contexte de surprise: "Il est bien ridé, cet homme!".
Encore une fois c'est la primauté d'un plan (T) par rapport à
l'autre (S) qui règle la question. Le plan factuel est premier
donc "Le terme de référence est reconstruit a posteriori" (C.3.)
à partir de l'occurrence localisée pi. p n'est que le transfert
de pi sur le plan subjectif. J'envisage une variation qualitative
(des degrés variés de 'être ridé') mais pour une seule occurrence
celle qui est à la base de l'"intensif".
Nous pouvons aborder la question des catégories de procès.
Les procès qui sont a priori compatibles avec l'"intensif" sont
ceux dont le domaine notionnel est d'emblée organisé autour du
Ca. Il s'agit des termes "compacts". Ils ont pour caractéristique
(définitoire) d'être insécables, ils se présentent comme des
propriétés. A propos des substantifs compacts A. Culioli (1982)
écrit qu'on a affaire à du "prédicatif nominalisé". S. de Vogüé
le confirme en donnant les précisions suivantes à propos des
90
déterminants possibles des substantifs compacts (p9): les
quantifieurs avec lesquels ils sont compatibles comme: un peu,
beaucoup de, des tonnes de "s'interprètent essentiellement comme
des degrés d'intensité et surtout ils ne déterminent aucun format
(beaucoup n'est pas un format mais un degré)".
Et pour ceux qui ne sont pas des procès compacts, la
primauté du plan temporel entraînera automatiquement une
organisation du domaine notionnel autour du Ca.
Sur la question de la catégorie des procès, disons, si cela
est encore nécessaire, que les verbes ne se rangent pas de
manière permanente (mais seulement a priori) dans l'une ou
l'autre des catégories ainsi définies. Il faut toujours envisager
la catégorie comme une catégorisation puisqu'un domaine notionnel
est (presque) toujours susceptible de l'une ou l'autre des
structurations envisagées (voir le verbe "organiser" cité plus
haut). C'est ce que nous allons voir en étudiant quelques
changements de "catégories".
2.3.1.2. Passages d'une "catégorie" à une autre
On peut distinguer trois possibilités. 1) Termes a priori
discrets, on a plusieurs occurrences et elles sont difficilement
réductibles à une seule: l'"intensif" sera très contraint. 2) On
a plusieurs occurrences mais il est possible de travailler sur
une seule: l'"intensif" est possible. 3) A priori on a une seule
91
occurrence: l'"intensif" est toujours acceptable.
A. Termes a priori discrets.
La variation qualitative est privilégiée (classe
d'occurrences discrètes). L'emploi de très (donc l'"intensif")
sera contraint:
* Ce travail est très orthographié.
Normalement, on envisage une variation qualitative, avec en
particulier une "bonne" et une "mauvaise" orthographe. Avec cette
classe d'occurrences discrètes l'emploi de bien ("appréciatif")
sera tout à fait naturel:
Ce travail est bien orthographié.
De la même manière on imagine différentes manières de gouverner
(c'est pour cela qu'on vote) mais on admet moins bien différents
degrés d'intensité de cette même propriété:
Ce pays est bien gouverné.
? Ce pays est très gouverné.
A moins bien sûr qu'on ne réussisse, ironiquement, à intégrer au
format de l'occurrence un tel support quantifiable:
-le nombre de gouvernements dans un pays où les révolutions
92
succèdent les unes aux autres,
-le nombre des interventions du gouvernement jusque dans des
domaines laissés normalement hors de sa compétence.
B. Organisation autour du Ca.
Un verbe comme "maquiller", a priori discret ("Elle est très
bien maquillée"), peut donner lieu à un "intensif" comme dans
l'exemple suivant:
Elle est bien maquillée, à son âge elle devrait éviter
ça.
On voit qu'il est nécessaire d'avoir les éléments (à son âge) à
partir desquels on peut dire que pi est construit sur le plan
temporel indépendamment de toute construction subjective
préalable. La primauté du plan factuel fait qu'on ne travaille
que sur une seule occurrence; du coup les variations ne sauraient
être autre chose que des variations sur un gradient. On observera
un mécanisme semblable, dans les exemples de la troisième série.
C. Une seule occurrence.
Bernanos est bien surfait.
On a pu remarquer que les verbes qui se prêtaient aisément à une
détermination par très (qui autorisaient l'"intensif") avaient
souvent une valeur "détrimentale", ou encore que sur le plan
93
morphologique ils apparaissaient comme dérivés d'un premier verbe
à valeur "bénéfactive" (ou neutre). D'une manière générale cela
signifie qu'ils renvoient à une valeur distinguée sur le domaine.
Ils fonctionnent comme le terme marqué dans des oppositions dont
le deuxième terme non marqué, permet lui, l'emploi de bien
"appréciatif". Ce statut particulier fait qu'il est très
difficile d'avoir avec ces verbes la construction subjective
préalable qui les rendrait compatible avec l'"appréciatif". Mais
en tant que termes marqués, ils donnent facilement lieu à des
"intensifs", puisqu'ils ne renvoient qu'à une seule valeur. On
n'a donc qu'une possibilité de variation, la variation sur un
gradient, donc l'"intensif", avec des verbes comme:
"méconnaître" ("connaître" est non marqué).
"surfaire" ("faire" est non marqué)
En conclusion, les catégories des procès ne peuvent
constituer un critère stable pour distinguer les valeurs qui nous
occupent ici. Le critère déterminant reste celui de la primauté
d'un plan (T) ou d'un autre (S). Car c'est du choix de l'un ou de
l'autre que dépend l'organisation du domaine notionnel auquel le
procès est associable. Organisation autour d'un Type pour
l'"appréciatif" avec parcours d'une classe d'occurrences
discrètes. Organisation autour du Ca pour l'"intensif" avec
parcours sur les différents degrés de la propriété ordonnés sur
un gradient depuis le Ca.
Nous avons parlé des connotations négatives associables à
94
certains énoncés, s'agit-il d'une constante sémantique, ou d'une
connotation occasionnelle? Ou autrement dit, y a-t-il quelque
justice à rapprocher le bénéfactif de l'"appréciatif" et le
détrimental de l'"intensif"?
2.3.2. L'"intensif" suppose l'absence de téléonomie
2.3.2.1. A-téléonomie
On peut lier le bénéfactif à ce qui est attendu. On ne vise
que ce qui est "positif". Et si on vise ce qui pourrait
apparaître comme négatif on lui attribue (par la visée) une
certaine forme de positivité. Cette règle ne nous semble pas
pouvoir être transgressée. Dans l'"appréciatif" la valeur p qui
fait l'objet d'une construction subjective préalable apparaît
nécessairement comme une "bonne valeur".
Nous désignerons comme "téléonomie" toute forme de
construction d'une valeur par anticipation, visée, attente,
prévision etc... On attend, on vise, on prévoit l'actualisation
d'une valeur préférablement à d'autres qui restent possibles.
Le caractère bénéfactif d'une occurrence est donc liée au
fait qu'elle est identifiée, après comparaison, à ce terme de
référence préconstruit.
Au contraire...
Ce qui n'est pas attendu, ce qui s'impose, apparaît comme
95
une occurrence isolée. Celle-ci n'est pas en relation avec
d'autres occurrences possibles puisqu'il n'y a pas d'attente
subjective relativement à son actualisation. Ici la règle qui
s'applique est la suivante: en un instant t on n'a qu'une
occurrence de procès. Contrairement à ce que dit l'adage, en
réalité: "Un malheur arrive toujours seul". Dans l'"intensif", la
primauté de la construction temporelle fait qu'on va comparer
l'occurrence à elle-même (transposée sur le plan subjectif).
Une occurrence localisée indépendamment de toute attente
subjective ne peut donc pas être considérée comme bénéfactive
(avoir des "connotations positives") pour deux raisons: d'une
part il n'y a de "bonne valeur" que dans le cadre d'une
construction subjective préalable et d'autre part il n'y a de
"bonne valeur" que par comparaison avec d'autres valeurs
présentes en même temps. L'"intensif" ne s'accompagne pas de
"connotations positives".
Il y a deux conséquences possibles à l'absence de
construction téléonomique, l'une est la simple absence de
positivité (c'est l'"a-téléonomie") l'autre est une polarisation
négative marquée (c'est l'"anti-téléonomie") (8).
Voilà pourquoi avec les énoncés où l'on a un "intensif" on
n'a jamais de connotation positive tandis qu'on peut avoir une
connotation négative. Nous pouvons donc distinguer entre ce qui
n'est pas positif (sans plus) et ce qui est clairement négatif.
Soit l'exemple: "Tu l'as bien dépassé". On l'interprétera comme
un "appréciatif". Mais si on le réécrit: "Il est bien dépassé,
96
maintenant" on l'interprétera comme un "intensif". Maintenant
marque l'instant à partir duquel il est possible de distinguer
sur le validable, une valeur particulière qui est le 'vraiment p'
("ce qui s'appelle être dépassé") alors que du point de vue de So
c'est l'indifférenciation p,p' à laquelle on pouvait s'attendre.
Ce qui s'impose (fait l'objet d'un "constat") n'a pas de
caractère "bénéfactif" mais peut avoir une valeur franchement
détrimentale; c'est ce que nous allons voir.
2.3.2.2. Antitéléonomie: la valeur "trop"
Un exemple comme: "Vous verrez, tout cela est bien bâti
maintenant", dit sur un ton de regret (à propos d'un quartier),
peut s'interpréter: "Tout cela est trop bâti maintenant". A notre
sens, l'interprétation "trop" apparaîtra si p' peut être
interprété comme une valeur attendue par So (ou si p est une
valeur attendue par So').
Il est bien incliné ce pot de fleurs, tu ne crains pas
qu'il ne tombe par terre?.
C'est bien éclairé tout ça, tu ne crois pas qu'il
faudrait éteindre quelque chose?
On retrouvera aisément la définition de J-J. Franckel (1986,
p53): "il y a une distorsion entre ce qui est construit sur le
plan des t et ce qui correspond à une bonne valeur pour So. Cette
distorsion fonde ce que l'on pourrait appeler une "anti-
97
téléonomie". Le passage de l'a-téléonomie à l'anti-téléonomie
correspond à une détermination supplémentaire. Dans le cas de
l'a-téléonomie on peut s'attendre à p' qui n'a pas été
sélectionné. Dans le cas de l'antitéléonomie, la valeur non-
sélectionnée est aussi une valeur attendue par So (ou p est une
valeur sélectionnée par So').
Quelle que soit la détermination qui porte sur p,p' le
caractère détrimental (ou "non bénéfactif") de l'"intensif"
trouve son origine dans la primauté de la construction temporelle
de pi. Ce que J-J. Franckel (1989, p166) (9) formule ainsi: "Un
procès ne présente une valeur dommageable pour le sujet que
lorsque sa construction lui échappe".
En résumé
L'"intensif" nous a permis de montrer le rôle essentiel joué
par l'ordre de construction de l'occurrence localisée pi sur le
plan factuel d'une part et de la valeur p (le terme de référence
construit sur le plan subjectif d'autre part. La primauté de la
construction temporelle pour cette valeur nous a amenés à
concevoir un nouveau critère pour la caractérisation de
l'"intensif", il s'agit du troisième:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
98
Il reste que l'"intensif" est pourtant proche de
l'"appréciatif" en ce qu'il porte sur des valeurs qui vérifient
toujours la propriété P. Le parcours porte sur deux zones du
domaine l'Intérieur et la Frontière.
C.2. L'altérité est de type I/F.
Si l'on veut caractériser "en plein" la valeur, on dira que
l'"intensif" est une valeur de "valuation" (C.2) et une valeur de
"constat" (C.3).
99
NOTES DU CHAPITRE II
(1): Les problèmes posés par l'analyse des exemples de la suite
"bien + adjectif" tiennent essentiellement à la position de
l'adjectif par rapport au nom. Cette question ne nous concerne
pas directement ici; comme par ailleurs la suite "bien +
adjectif" donne lieu aux mêmes valeurs que la suite "bien +
participe passé" ("appréciatif" et "intensif") on ne s'y
intéressera pas davantage. Sur ce point on pourra se reporter à
notre thèse (1991) et plus particulièrement au chapitre III qui
est y consacré.
(2): Nous reprenons ici une distinction établie par S. de Vogüé
(1987, p115) entre les facteurs "déterminants" et des facteurs
"discriminants" pour la distinction des valeurs de si. Son propos
vise à montrer que le matériel lexical "établit pour certaines
valeurs les conditions de leur obtention, (rôle "discriminant")
mais que son rôle s'arrête là: la valeur obtenue est déterminée
par d'autres facteurs, (...) la valeur est construite (et non pas
donnée par le lexique". L'argument étant que pour un même
matériel lexical "bon nombre d'énoncés restent de toutes façons
ambigus entre plusieurs des valeurs qui sont possibles". voir "La
conjonction si et la question de l'homonymie" in BULAG n°13,
Université de Besançon, pp 105-189.
(3): J-J. FRANCKEL., (1986), "Modes de construction de l'accompli
en français", in
Aspects,modalités:Problèmesdecatégorisationgrammaticale,
Collection ERA 642, Université de Paris VII, pp 41-69.
(4): Le fonctionnement général de l'"intensif" s'apparente à une
vérification . C'est l'origine d'une parenté sémantique assez
sensible entre le "confirmatif" et l'"intensif".
(5) La glose "trop" est proposée par E. Littré (éd de 1963,
p1011) pour des exemples comme "Une lettre bien longue" ou
"Encore bien jeune". A. Culioli (1978, p308, n16) la donne pour:
"Votre rôti est bien cuit!". D. Duprey (1979, p76) donne cette
même valeur à "Ca commence à bien faire", enfin A. Culioli, la
reprend dans son article de (1988): "Autres commentaires sur
bien", dans lequel il écrit (p169): "on constate que bien peut
être approximativement glosé comme "trop" ("elle est bien longue,
cette planche")".
(6): A. CULIOLI., (1982), "A propos de quelque" in S. Fischer et
J-J. Franckel (éds),
100
Linguistique,énonciation.Aspect,détermination, E.H.S.S. Mouton,
pp 21-29.
(7): S. de VOGÜE., (1989), "Discret, dense, compact: Les enjeux
énonciatifs d'une typologie lexicale", in Lanotiondeprédicat, ERA
642, Université de Paris VII, pp 1-38.
(8): Ce qui n'est pas espéré recèle toujours un aspect négatif.
Voir par exemple la définition du mot "fatal" donnée par J-
Bellemin-Noël (1979, p140): "fatal, aux deux sens du mot:
unenécessité (cnqs), un malheur", in Versl'inconscientdutexte,
PUF.
(9): J-J. FRANCKEL., (1989), "Du dommage engendré par les
marqueurs grammaticaux", in Lanotiondeprédicat, Collection ERA
642, Université de Paris VII, pp 161-184.
101
CHAPITRE III
LA SUITE "BIEN + Dét + NOM"
La suite "bien + déterminant + nom" (désormais "bien + nom")
donne lieu à trois types d'énoncés:
(i) Il a bien de la patience!
(ii) J'ai déjà lu bien des livres mais jamais d'aussi
stupide.
(a) Il a bien bu deux litres de vin.
S'agit-il de valeurs que nous avons déjà étudiées
("appréciatif" et "intensif") ou de nouvelles valeurs? (1)
3.1 Identification des valeurs
Nous essaierons de montrer que les valeurs de bien en (i) et
(ii) correspondent à un "intensif" tandis que la valeur de bien
en (a) correspond à un "appréciatif".
3.1.1. Critères sémantiques
Toutes ces distinctions sont pour l'instant superflues si
102
l'on se réfère aux ouvrages que nous avons l'habitude de
consulter car ils ne font guère de différences entre les diverses
actualisations possibles de la suite "bien + nom". Tous les
auteurs sont d'accord: les exemples de la suite "bien + nom" sont
glosables par "beaucoup de" (ou "nombre de"). Ceux du
Dictionnairedel'Académie (éd de 1877, p179) donnent des exemples
comme "bien de l'argent, bien de la peine, bien du monde, bien
des hommes". E. Littré (éd de 1963, p1013) donne des exemples
comme: "Avec bien du travail. Avec bien de l'esprit. Achever
quelque chose avec bien de la peine (...)".
P. Robert (éd de 1966, p468) fait deux propositions qui
confortent notre analyse. Il distingue entre des exemples comme
(i) et (ii) d'une part et des exemples comme (a) d'autre part.
Pour le premier (i), il propose une glose en "beaucoupde" et pour
le second (ii), il propose une glose en "nombrede". A la suite de
ces deux exemples et sous la même entrée ("4°. Adverbe de
quantité") il donne: "Il y a bien une heure qu'il est sorti" un
exemple de type (a) avec comme glose
"approximativement,environ,àpeuprès".
3.1.2. Critères grammaticaux
La suite "bien + nom" ne répond pas à la définition
traditionnelle de l'adverbe. Prenons par exemple celle de M.
Grevisse (éd de 1975, §821, p862): "L'adverbe est un mot
invariable que l'on joint à un verbe, à un adjectif ou à un autre
adverbe pour en modifier le sens" (les noms n'apparaissent pas
103
dans la définition). Selon Sik. O Shin (1988, p129) Ramus (1572),
un grammairien du XVIè, avait proposé une définition qui mettait
les substantifs à égalité avec les autres termes (adjectifs,
verbes..) sur lesquels l'adverbe pouvait porter: "L'adverbe est
un mot sans nombre qui est adjoint à un autre". Mais
"Malheureusement, écrit Sik. O Shin, aucun grammairien du XVIIè
siècle n'a reconnu le mérite d'une telle définition". Les
grammairiens n'ont donc jamais fait une large place à la suite
"adverbe + nom". Lorsqu'il est suivi d'un nom, le statut de
bien mais aussi d'autres adverbes devient incertain. M. Grevisse
(§844, p891) pense que "Beaucoup et bien suivis d'un nom, ont la
valeur de déterminatifs indéfinis numéraux et quantitatifs" mais
il note, en bas de page, que "Certains grammairiens estiment que
beaucoup et bien restent alors des adverbes". On s'en tient
généralement à l'idée qu'ils "évoquent une quantité indéterminée,
une quantité qu'on évalue globalement" (R.L. Wagner et J.
Pinchon, 1962, p412). M. Grevisse précise à la suite d'E. Littré
que "bien ajoute à l'idée de quantité ou de nombre, l'idée de
surprise, d'intérêt, de satisfaction ..." ce qui reste à
expliquer.
3.1.3. Critères syntaxiques
Les tests que nous avons déjà utilisés (négation,
interrogation, commutation) sont généralement négatifs et ne
permettent pas de vraiment distinguer entre les trois types
d'exemples.
104
3.1.3.1. Les tests syntaxiques
Lanégation s'applique mal aux trois types d'exemples:
(i)* Il n'a pas bien de la patience!
(i)* Il n'a pas bien de la chance!
(ii)? Je n'ai pas lu bien des livres mais jamais
d'aussi stupide.
(ii)? Je n'ai pas vu bien des gens entrer ici mais
aucun n'en est ressorti...
(a)* Il n'a pas bien vingt ans.
L'interrogation ne semble jamais possible:
(i)? A-t-il bien de la patience?
(i)? Y a-t-il bien du monde?
(ii)? Ai-je déjà lu bien des livres?
(ii)? Je l'ai revu, mais est-ce que c'était bien
des années après?
(a)? A-t-il bien la cinquantaine?
En revanche il est possible de distinguer le type (a) des deux
autres dans la mesure où il est le seul à pouvoir constituer
assez naturellement une réponse à une question:
(i)? So': Il est vraiment patient?
So : Il a bien de la patience!
(ii)?So': Il a beaucoup lu?
So : Il a lu bien des livres!
(a)+ So': Quel âge a-t-il?
105
So : Il a bien vingt-cinq ans.
Lacommutation n'est pas possible avec les termes que nous avons
déjà utilisés comme très bien, mal ou très.
Les résultats de ces tests confirment le point de vue des
lexicographes sur deux points. Il est licite de faire un sort
particulier aux énoncés de type (a) qui peuvent constituer une
réponse à une question préalable. Il est tout aussi logique de
rapprocher les énoncés de type (i) et (ii) qui répondent de
manière très homogène aux différents tests. Il existe bien une
différence syntaxique permanente entre (i) et (ii) mais quoique
parfaitement observable elle n'est pas immédiatement
interprétable. Si le nom est au singulier on a affaire à un
exemple (i) et s'il est au pluriel on a affaire à un exemple
(ii). Mais on ne passe pas de l'un à l'autre en changeant
simplement de nombre! On ne peut pas dire:
(ii)? Il a bien des chances!
(i)* J'ai déjà lu bien un livre ....
3.1.3.2. La question de l'article
M. Grevisse (éd de 1975, §328, p296) définit ainsi l'article
partitif: "(il) s'emploie devant les noms de choses qui ne se
comptent pas, pour marquer une quantité indéterminée: 'Boire de
la bière. Verser de l'huile sur le feu. Vendre du drap. Montrer
du courage. Manger des épinards'". On définira le déterminant du
106
nom comme un article partitif dans des exemples de type "i" comme
les suivants:
(i) Il a bien de la patience!
(i) Il y a bien du monde!
(i) Tu as bien de la chance!
(i) Tu as bien du courage!
Qu'en est-il des exemples de type "ii"? Des peut être la
forme contractée de de les (article défini), comme dans les
exemples suivants:
J'ai mangé quelques unes des pommes que tu m'as
données.
J'ai vu un grand nombre des personnes dont tu me
parles.
Pour les exemples de type "ii", il semble qu'on ne puisse pas
retenir l'hypothèse de l'article défini car on constate que ces
exemples deviennent peu acceptables quand on détermine le nom de
la suite "bien + nom" par une relative:
(ii)? Vous lui direz bien des choses que je vous ai
dites.
(ii)+ Vous lui direz bien des choses de ma part.
(ii)? Vous en verrez bien d'autres qui arriveront
sans crier gare
(ii)+ Vous en verrez bien d'autres.
Nous retiendrons donc l'idée qu'il s'agit encore de l'article
partitif. C'est d'ailleurs l'opinion de M. Grevisse (§329, p297),
qui donne "Bien des gens" comme un exemple de partitif. On pourra
107
considérer aussi qu'il s'agit de l'indéfini pluriel mais nous
entrons ici dans un débat (2) qui n'est pas essentiel
relativement à notre étude. Plus important est de noter que ces
deux types d'exemples peuvent être rapprochés sur la base du
déterminant du nom si on les oppose aux exemples du troisième
type qui mettent toujours en jeu un quantificateur comme "vingt",
"trois", etc.
A quoi doit-on ramener l'opposition entre (i), (ii) et (a)?
Deux pistes s'offrent à nous:
1) Celle qui se dessinait à l'issue des tests syntaxiques:
la question serait celle de la primauté de la construction
temporelle (ou subjective) de l'occurrence à laquelle on a
affaire (seul (a) peut constituer une réponse naturelle à une
première question).
2) Celle qui est envisageable à l'issue de nos remarques sur
la détermination du nom: la question serait celle d'une
catégorisation des noms selon qu'ils sont compatibles ou non avec
l'une ou l'autre des déterminations
3.2. Caractérisation des valeurs
L'hypothèse selon laquelle les catégories nominales
joueraient un rôle déterminant dans la différenciation des trois
108
valeurs s'appuie sur des faits observables.
NB: Nous avons déjà abordé cette question au chapitre II.
Rappelons pour mémoire qu'une catégorisation en termes
"dense", "discret", "compact" a été introduite pour les
substantifs, par A. Culioli (1982). Il y a: "d'un côté, la
catégorie qui possède la propriété du "discret" (on peut
dans ce cas individuer les occurrences, les désigner sous
une forme ordinale); d'un autre côté la catégorie du
"compact" (on a ici affaire à l'insécable, à du prédicatif
nominalisé, sur lequel on ne peut effectuer aucun
prélèvement); enfin il existe une catégorie composite, le
"dense", qui possède certaines propriétés du "compact", mais
où un prélèvement est possible par l'intermédiaire d'un
dénombreur".
Voyons ce qu'il en est sur quelques exemples:
(i) Il a bien de la patience!
(ii) J'ai déjà lu bien des livres mais jamais d'aussi
stupide.
Patience est un terme compact. Il supporte mal les
opérations de quantification, on dit difficilement "Il a eu deux
patiences". Mais une discrétisation est possible par
l'intermédiaire d'une propriété différentielle: "une patience
d'ange" qui s'oppose à d'autres formes de patience.
En revanche, livre est un terme discret. Il supporte fort
bien les opérations de quantification, "Il y a cinq livres sur la
table". On vérifie aisément cela sur l'ensemble de nos exemples,
et d'abord sur ceux de la valeur "ii" où l'on a toujours des
termes discrets:
(ii) Voilà bien des histoires pour rien!
109
(ii) Voilà bien des paroles pour ne rien dire!
(ii) Vous lui direz bien des choses de ma part.
Tandis que les noms dans les exemples de valeur "i" sont toujours
des termes compacts:
(i) Il a bien du courage!
(i) Il a bien de la chance!
(i) Il a bien de la peine!
Alors la question se résoudrait-elle par l'établissement des
listes des noms compacts et des noms discrets, celles-ci
fournissant les éléments nécessaires à la mise en place des deux
valeurs?
Une liste des compacts serait utile mais un autre critère
nous ferait défaut. Pourquoi les termes suivants, donnés comme
des exemples de compact par A. Culioli (1982), ne donnent-ils pas
lieu à des exemples acceptables?
(i)? Il a bien de la dureté!
(i)? Il a bien de l'espoir!
(i)? Il a bien de la tristesse!
(i)? Il a bien de l'intelligence!
Une liste des discrets serait utile car la plupart d'entre
eux peuvent donner lieu à des énoncés de valeur "ii" acceptables.
Mais elle aussi serait insuffisante. Car elle ne nous dirait pas
pourquoi les termes "les moins discrets" (3) de la liste sont
ceux qui qui sont les plus compatibles avec la valeur "ii"! Des
110
"hyperonymes" comme gens, choses, paroles, forment des énoncés
plus naturels que:
(ii) Il y avait bien des invités à cette soirée.
(ii) Tu lui diras bien des gentillesses de ma part.
(ii) Voilà bien des déclarations pour ne rien dire.
Comme pour les termes compacts, un autre critère est nécessaire
pour comprendre comment s'opère cette partition sur les termes
discrets.
Encore une fois on constate que les catégories nominales
constituent un critère discriminant (elles assurent certaines
conditions de mise en place des valeurs) mais non déterminant. Ce
critère est à chercher ailleurs en particulier au niveau de la
construction de l'occurrence.
3.2.1. La valeur "i"
Les termes compacts ne sont pas intrinsèquement délimités,
du coup ils ne sont pas aptes à former directement des
occurrences. On dira difficilement:
? Il a du courage.
? Il a de l'intelligence.
? Il a de l'espoir.
La simple prédication d'existence n'est pas possible. Il est
nécessaire de leur attribuer un support externe pour fonder une
111
occurrence. On trouvera:
+ Il a du courage de repartir là-bas.
+ Il a de l'intelligence à revendre.
+ Il a de l'espoir pour la semaine prochaine.
On peut représenter une "occurrence" de compact (occurrence de P)
comme l'assemblage d'un support (quantifiable et qualifiable)
repéré par rapport aux coordonnées énonciatives et de la
propriété P qui reste par définition insécable. La structure un
peu particulière de l'occurrence de compact nous amène à
distinguer deux formes de détermination selon qu'elle porte sur
la propriété ou sur le support.
La première passe par une propriété différentielle ("une
patience d'ange", "une intelligence brillante") qui débouche sur
une forme de "discrétisation" du terme: on peut comparer
l'occurrence à d'autres occurrences de la propriété ("une
patience limitée, une intelligence sans envergure"); elle
interdit la valeur "i" au profit du "confirmatif".
La seconde est la singularisation de son support ("le
courage de faire ça", "Lui, il a du courage!"). C'est ce qu'on
observe dans les exemples suivants:
Il a (bien) du courage, de faire ça!
Il a (bien) de la patience de s'occuper d'elle!
Il a (bien) du malheur depuis deux ans!
Il y a (bien) du monde, ce soir!
112
Voilà l'origine de la partition que nous évoquions précédemment
sur l'ensemble des termes compacts: si l'énoncé ne donne pas lieu
à une singularisation du support ou bien si le terme choisi n'est
pas compatible avec la singularisation de son support l'énoncé
paraîtra bizarre.
* Il y a de la blancheur depuis plusieurs heures.
Mais il suffit singulariser l'ancrage temporel de l'occurrence de
compact pour obtenir des énoncés acceptables:
(i)? Il a bien de la dureté!
(i)+ Voilà bien de la dureté!
(i)? Il a bien de la tristesse!
(i)+ Voilà bien de la tristesse pour pas grand chose,
allons arrêtez de pleurer...
3.2.1.1. Primauté du plan temporel
La singularisation du support de l'occurrence de P marque la
primauté de la construction temporelle de l'occurrence. Les
termes qui pouvaient nous apparaître comme des "termes
d'actualité": chance, peine, patience, malheur, sont en fait des
termes actualisés. Voyons cela sur les exemples:
Il a bien du courage, de faire ça!
Il a bien de la patience de s'occuper d'elle!
Il y a bien du monde, ce soir!
A chaque fois le locuteur est surpris, il est confronté à la
construction d'une occurrence indépendamment de toute attente de
113
sa part (une occurrence de 'courage', une occurrence de
'patience', une occurrence de 'monde'); occurrence dont le statut
qualitatif n'est pas stabilisé. Pour l'évaluer la procédure
consistera à la reconstruire sur le plan subjectif pour comparer
l'occurrence localisée avec ce qu'elle pourrait être sur ce plan.
La valeur (i) vérifie le troisième critère:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
3.2.1.2. Il s'agit d'une altérité par défaut
On a vu que la propriété P dans l'occurrence pi n'avait fait
l'objet d'aucune détermination (c'est son support qui était
singularisé). C'est l'ensemble des degrés de la propriété P qui
est reconstruit sur le plan subjectif. On va comparer
l'occurrence localisée pi à cet ensemble.
Du coup on compare (opération de parcours) une occurrence de
la propriété avec la propriété elle-même. On retrouve l'analyse
d'A. Culioli (1974, p11) sur les énoncés exclamatifs: "(ils)
comportent toujours un terme qui est repéré par rapport à lui-
même. Cet auto-repérage permet à l'énonciateur de formuler une
appréciation sur le prédicat (la propriété) soumis au jugement
sans avoir à assigner de valeur spécifique, c'est-à-dire
singulière et individualisée". En comparant l'occurrence avec
elle-même on est à la recherche d'une différence qu'on ne saurait
trouver. Pour l'exemple (i), ce parcours pourait se gloser par
114
quelque chose comme: "La patience qu'il a est comme la patience".
L'opération de parcours ne se poursuit pas indéfiniment. On
sait que le domaine notionnel associable à un terme compact est
organisé autour du centre attracteur. Comme ce domaine n'a fait
l'objet d'aucune détermination l'occurrence pi est nécessairement
ramenée au centre (opération d'identification), d'où l'effet de
haut-degré qui accompagne toujours ces exemples.
Dans cette suite syntaxique, la valeur "i" est toujours
définissable comme une valeur de valuation puisque le parcours ne
porte que sur des valeurs du domaine de P. Mais ce parcours ne
repose pas sur une altérité définie (il s'agit d'une altérité par
défaut qui, encore une fois, tient au mode de construction de
l'occurrence.
C.2. L'altérité est de type I/F.
La valeur "i" vérifie les critères C.2 et C.3 nous pensons
donc qu'elle se ramène à l'"intensif".
3.2.2. La valeur "ii"
La valeur "ii" donne souvent lieu à des exemples à
connotation négative comme:
(ii) J'ai déjà lu bien des livres mais jamais d'aussi
115
stupide!
(ii) Voilà bien des paroles pour ne rien dire!
(ii) Vous faites bien des histoires pour rien!
Il faut faire une autre remarque, les occurrences qu'on évoque
paraissent semblables les unes aux autres, on a un effet
d'"uniformisation" ("bien des paroles", "bien des livres").
Ces deux phénomènes (connotation négative et uniformisation)
sont liés. Nous allons essayer de le montrer.
3.2.2.1. pi fait l'objet d'une construction temporelle
Soit l'exemple:
(ii) J'ai déjà lu bien des livres mais jamais d'aussi
stupide".
On peut penser que celui qui s'exprime ainsi émet un
jugement (pour le moins négatif) sur un ouvrage qu'il vient de
lire. Mais comment procède-t-il pour se prononcer? L'ouvrage
étant, à son avis, plutôt mauvais, il a essayé de mesurer
l'intérêt des livres qu'il a déjà lus à cette aune; sa conclusion
est qu'aucun des livres qu'il a déjà lus n'est aussi mauvais que
celui-là.
L'occurrence pi sur laquelle porte la détermination a un
statut un peu particulier, c'est la classe "des livres déjà lus".
Elle est en quelque sorte convoquée par l'actualisation d'une
116
occurrence de livre dont le rapport à la propriété 'être stupide'
est tout à fait exceptionnel; à un point tel que c'est l'ensemble
des occurrences de livres déjà lus qui dans leur rapport à cette
même propriété se trouve remis en cause (primauté du plan
factuel). La question, simplement posée, est: "Est-ce que j'ai
déjà lu des livres (pi) aussi stupides? C'est impossible! et
pourtant l'existence de ce livre semble prouver le contraire..."
La conséquence est facile à tirer: "Il suffit de vérifier".
Pour cela, il faut reconstruire la classe des livres déjà
lus sur le plan subjectif (soit p) telle qu'elle devrait être
dans son rapport à la propriété 'être stupide': c'est-à-dire
qu'aucun des livres de la classe ne vérifie cette propriété au
degré exceptionnel déjà évoqué (soit p'). L'ensemble des livres
déjà lus, reconstruit sur le plan subjectif constitue le terme de
référence (critère C.3).
Et puis l'on va comparer chacun des livres déjà lus tels
qu'on peut les concevoir sur le plan factuel avec le terme de
référence ainsi construit (opération de parcours). On va vérifier
qu'il n'y a pas lieu de constituer une partition de la classe sur
la base de cette propriété p' (recherche d'altérité). On
s'apercevra finalement, que chacun des livres lus déjà (pi)
appartient à la classe des livres telle qu'elle a été construite
sur le plan subjectif (p).
Supprimons tout ce qui peut apparaître comme une
117
détermination et on verra que les exemples paraissent moins
acceptables que ceux dont ils sont dérivés:
(a)+ Voilà bien des paroles pour ne rien dire.
(a)? Voilà bien des paroles.
(a)+ Vous faites bien des histoires pour rien.
(a)? Vous faites bien des histoires.
(a)+ Vous lui direz bien des choses de ma part.
(a)? Vous lui direz bien des choses.
On est donc en présence d'un calcul sur la base d'une
propriété différentielle. Les deux points essentiels de notre
description sont contradictoires: comment peut-on avoir dans le
même temps comme terme de référence une classe d'occurrences en
deçà de toute détermination (on ne distingue pas de zones sur la
classe des livres lus) et opérer dessus un calcul sur la base
d'une différence qualitative? La réponse tient à la structure de
la classe d'occurrences discrètes. Le calcul ne porte pas sur une
occurrence, il est effectué pour chaque occurrence de la classe.
Les différentes connotations que nous évoquions plus haut
apparaissent dès lors tout à fait logiques et forment un ensemble
cohérent. La valeur négative des énoncés est liée à la nécessaire
présence d'une propriété différentielle. L'idée de "nombre" (la
glose en "nombre de") est liée à la prise en compte de chacune
des occurrences de la classe comme terme 'à comparer'.
L'impression d'"uniformisation" des occurrences est liée
l'indifférenciation des occurrences de la classe relativement au
118
critère du calcul.
Dans notre exemple, l'opération, dans sa complexité,
pourrait être ainsi glosée:
"Etantdonnélamultiplicitéetladiversitédeslivreslusiln'yapasd'alté
ritéquiseconstituesijeprendscommecritèrelastupiditédecelivre".
Dans la mesure où aucune altérité n'a pu se constituer sur
la classe des livres déjà lus (pi) (altérité par défaut) on peut
dire que la valeur (ii) qui vérifie aussi le critère C.3 se
ramène à l'"intensif", comme la précédente
3.2.2.2. Deux exemples
(1) L'hermétisme de la poésie de Char a paralysé bien des
exégètes. Avec la foi de l'amitié, l'historien Paul
Veyne a, lui, pris tous les risques en décryptant les
poèmes du maître de L'Isle-sur-La-Sorgue. Résultat? Un
chef-d'oeuvre d'intelligence et d'amour. (C.Roy, "Quand
P. Veyne traduit R. Char.", LeNouvelObservateur,
20/6/90, p133.)
La question est de savoir qui a été (ou non) "paralysé" par
l'hermétisme de la poésie de R. Char. La propriété 'être
paralysé' joue le rôle de propriété différentielle relativement à
la classe des critiques littéraires (les "exégètes"). Du point de
vue de l'auteur de l'article, après calcul, ils sont tous
identifiables les uns aux autres relativement à cette propriété.
C'est seulement après qu'on apprendra qu'un seul, P. Veyne,
échappe à cette "uniformisation" celui qui n'a pas été
119
"paralysé": celui qui a pris le risque de "décrypter" les textes
du poète.
(2) Vous lui direz bien des choses de ma part.
Il nous permet de revenir à la question de la catégorie des
noms. On peut considérer "chose" comme un hyperonyme (3). On a vu
que ces termes étaient plus compatibles que d'autres avec la
valeur "ii". On comprend maintenant pourquoi. Ces termes sont les
plus compatibles avec une indifférenciation (chaque occurrence
est identifiable à une autre relativement à un repère). Cette
opération achève le parcours par rapport à une propriété
différentielle. Mais revenons à notre exemple. C'est la
détermination demapart qui joue le rôle de propriété
différentielle. Elle sépare deux zones pour les occurrences de
choses 'à dire'. Celles qui sont 'de ma part' (p) et celles qui
'ne sont pas de ma part' (p'). Pour l'énonciateur, par rapport à
la propriété 'être de ma part' il n'y a pas de différences
qualitatives entre les occurrences de choses 'à dire'. Ce qui
signifie: dis-lui tout ce que tu veux mais dis-lui de ma part.
3.2.3. Les termes denses dans la suite "bien + nom"
On sait (S. de Vogüé, 1989, p6) qu'on peut obtenir des
occurrences de dense de deux manières différentes: soit avec un
partitif ("il mange du riz"), soit par l'intermédiaire d'un
dénombreur ("cuillère, bouteille"). Les noms denses comme riz,
120
vin, farine, eau peuvent s'inscrire dans la suite "bien + nom"
mais la première solution (celle du partitif) est incompatible
avec bien comme on peut le voir sur les exemples suivants:
Il a mangé du riz.
(a)? Il a bien mangé du riz.
(a)+ Il a bien mangé deux bols de riz.
Il a bu du vin.
(a)? Il a bien bu du vin.
(a)+ Il a bien bu deux litres de vin.
Il reste à comprendre comment la deuxième (celle d'un dénombreur)
débouche sur des énoncés acceptables.
3.2.3.1. La glose "au moins"
On a vu que la valeur "a" peut être glosée par "à peu près",
"environ" etc...On en trouve fréquemment une autre qui rend
compte d'une connotation qui est propre à cet emploi et que D.
Duprey (1979, p76) propose assez justement de gloser par "au
moins" (4): "La valeur au moins va se retrouver dans de
nombreuses langues: une bonne demi-heure, ça coûte bien 3000
francs (...)".
Le problème est qu'on ne sait pas vraiment à quoi associer
cet effet de sens. Sur le plan syntaxique, cet emploi, comme les
autres exemples de la suite "bien + nom" s'accommode mal des
critères auxquels on reconnaissait l'"appréciatif" et
l'"intensif". Sur le plan énonciatif, on a noté cependant qu'il
est tout à fait exclu qu'il apparaisse en contexte de surprise.
121
Et au contraire, le contexte le plus naturel est celui de la
réponse à une question portant justement sur la quantité:
(a)So': Est-ce qu'il a bu beaucoup?
So : Il a bien bu deux litres de vin.
On rapprochera donc "a" de l'"appréciatif". Ne donne-t-elle pas
lieu à une évaluation subjective? Il s'agit comme l'écrit A.
Culioli (1978) d'une "approximation"
3.2.3.2. L'énoncé ne répond pas à la question posée
Voilà sans doute le point essentiel. La question portait sur
la "quantité" (bue, mangée, etc). La réponse porte sur une
propriété. Comment cela?
La question débouche sur la construction d'une occurrence
d'un type particulier. Il s'agit d'un terme dense. Les termes
discrets et compacts trouvent leur équilibre par référence à un
centre. Rien de tel avec les termes denses. Prenons l'exemple de:
"Il a bien bu deux litres de vin". Le point de départ est une
occurrence pi qui est délimitée de manière extrinsèque ("deux
litres) mais qui sur le plan qualitatif est simplement stable.
Cette "simple stabilité" correspond à un rapport particulier au
qualitatif, différent de celui qu'entretiennent les discrets et
les compacts. S. de Vogüé (1989, p13) l'explique à propos du
terme 'eau':
122
"(...) cela signifie (...) que la détermination de ce qui pourra
constituer la classe d'occurrences d''eau' ne passe pas par
l'identification à un type, puisqu'une liste (finie) de
propriétés caractéristiques y suffit: sur ce plan aussi (un plan
qui est autant celui du cognitif que celui du linguistique à
proprement parler) 'eau' et 'chien' se distinguent puisque
'chien' n'est pas quant à lui factorisable en une liste finie de
propriétés déterminées."
Cette citation un peu longue explique pourquoi bien est peu
compatible avec les termes denses (voir les exemples avec le
syntagme "bien du N (dense)"). Le domaine associable à un terme
dense se présente sans aucune variation qualitative (tous les
points vérifient la liste finie des propriétés caractéristiques
du terme dense en question). Or l'emploi de bien suppose une
altérité qualitative.
La délimitation par un dénombreur est une détermination
quantitative (il ne s'agit pas d'une variation qualitative).
Normalement bien devrait être totalement incompatible avec les
termes denses. On va donc réinterpréter la détermination comme
une propriété ('être deux litres' par exemple) qui sera elle-même
susceptible de donner lieu à plusieurs valeurs (la zone de p:
'être vraiment deux litres' / la zone de p': 'être plus ou moins
deux litres'). Cette réinterprétation correspond à la
construction d'un terme de référence par rapport auquel on pourra
évaluer l'occurrence pi.
Un énoncé de la suite "bien + N (dense)" ne répond pas à la
question posée en contexte. Elle portait sur la quantité on
répond par une appréciation qui est (avec bien) nécessairement
123
qualitative.
La réinterprétation qualitative de la détermination par un
dénombreur est à l'origine de l'idée de seuil qui accompagne ces
énoncés. On a dans le même temps confirmation d'une certaine
quantité, l'occurrence pi appartient à la zone de ce qui 'est
vraiment deux litres' (zone de p) et possibilité d'une certaine
variation qualitative vers le centre de cette zone le haut degré
de 'être deux litres'.
En conclusion sur cet emploi on constate qu'il vérifie les
critères de l'"appréciatif" (C.1 et C.2) auquel nous le
ramenons.
En résumé
La suite "bien + nom" donne lieu à trois types d'énoncés
selon que le nom est catégorisé en compact, discret ou dense. Les
propriétés primitives des termes font que certains d'entre eux
n'apparaîtront généralement que dans une seule catégorie (par ex:
blancheur) mais d'autres peuvent passer d'une catégorie à
l'autre:
(c) du malheur / (discret) des malheurs
(c) du tracas / (discret) des tracas
(c) du bonheur / (discret) des bonheurs
(dense) une tasse de thé / (discret) des thés
124
(dense) une tasse de café / (discret) des cafés
Dans la suite "bien + nom", lorsque le nom est compact il
n'est susceptible que d'une construction temporelle bien a la
valeur d'"intensif".
Lorsque le nom est discret, bien a aussi la valeur
d'"intensif". On identifie les occurrences de la classe les unes
aux autres relativement à une propriété différentielle qu'elles
ne vérifient pas.
Lorsque le nom est dense, bien a la valeur d'"appréciatif".
L'occurrence qui est en jeu appartient à l'Intérieur de la zone
où se trouvent toutes les occurrences qui vérifient la propriété
que constitue le dénombreur qui détermine le nom.
125
NOTES DU CHAPITRE III
(1): A. Culioli (1978) ne donne qu'un exemple de cette suite; il
faut recourir à un autre article de l'auteur (1974) "A propos des
énoncés exclamatifs" pour trouver l'analyse d'un exemple comme:
"Il a bien de la patience!".
D. Duprey (1981) n'en donne pas; il faut revenir à sa thèse
(1979) pour en trouver mention pp 55-57. Il ne s'y attarde pas
considérant que "la valeur très ou beaucoup est une valeur
seconde, dérivée, peut-être même récente historiquement, et en
tous cas peu stable. Il confirme un peu plus loin: "bien n'est
augmentatif que secondairement. C'est plutôt une adjonction. Sa
valeur fondamentale doit être autre. Nous avons là affaire à une
valeur dérivée (tant synchroniquement que diachroniquement)". D.
Duprey s'appuie sur les résultats négatifs aux tests syntaxiques
(commutation, négation, questionnement) des énoncés comme "Il est
bien malade" pour justifier l'opinion selon laquelle cette valeur
aurait un caractère superficiel.
Nous nous inscrivons en faux contre cette thèse. La valeur
d'"intensif" (valeur "très" chez D. Duprey) est une valeur
fondamentale de bien au même titre que l'"appréciatif" quelle que
soit la suite syntaxique considérée: "bien + nom", "bien +
adjectif" ou "bien + verbe". L'analyse faite dans les premiers
chapitres de notre étude peut ne pas paraître suffisante eu égard
à la nature diachronique des arguments de D. Duprey: l'"intensif"
serait une valeur "récente historiquement". D'autant plus qu'un
autre linguiste, J-Ph. Dalbera (1980, p47), donne un argument du
même type pour expliquer l'ambiguïté de certains adverbes (dont
bien): "Mais là commence l'ambiguïté. (...) A considérer le méca-
nisme de création d'intensifs par déplacement des adverbes tel
qu'il est utilisé dans le français d'aujourd'hui, il semble que
l'ambiguïté soit (devenue) la règle...".
Sans revenir sur le fait que ces recours à la diachronie
paraissent bien isolés dans les travaux de D. Duprey (1979) et de
J-Ph. Dalbera (1980) qui mettent en oeuvre une argumentation
strictement synchronique nous ferons remarquer que bene en latin
possédait déjà ces deux valeurs ("appréciatif": "bene
manehaecscripsi" (Ciceron, Lettre à Atticus, 4,9,2) ET
"intensif": "habetissermonem bene longum" (Ciceron, de oratore,
2, 361) (voir ArchivfürlateinischeLexicographie, T.1, 1884, p95).
On ne peut pas considérer qu'il s'agit là d'une période récente
de l'évolution de la langue.
(2): M. Grevisse (éd de 1975, §328, n1, p296) cite cette ré-
flexion de Brunot et Bruneau
(PrécisdeGrammairehistoriquedelalanguefrançaise): "L'article
126
partitif n'a pas de pluriel. Pour un Français, 'DES croissants,
DES radis' est le pluriel de 'UN croissant, UN radis'. Sur cette
question on pourra consulter L. Kupferman (1979), "L'article
partitif existe-t-il?", in LeFrançaismoderne T47-1, pp 1-16.
(3): G. KLEIBER, (1987) se demande si chose est véritablement à
classer dans les termes discrets, voir "Mais à quoi sert donc le
mot chose? Une situation paradoxale", in Languefrançaise n°73,
Larousse éd, pp 109-127.
(4): A. Culioli (1978, p307) fait le même constat: "bien (...)
peut signifier l'approximation à partir d'un minimum ("il a bien
la cinquantaine: "la cinquantaine et plus")".
127
CHAPITRE IV
LE "CONFIRMATIF"
4.1. Identification de la valeur
Qu'entendons-nous par bien "confirmatif"? Une
définition intuitive de la valeur pourrait être: "il y a
"confirmation" lorsqu'à la suite d'une remise en cause, on
affirme ce que l'on avait déjà dit". Une glose de bien est alors
"effectivement". Prenons un exemple:
So : Il y a du pétrole ici, j'en suis sûr.
So': Ca m'étonnerait beaucoup, les sondages n'ont
jamais rien donné.
(on découvre du pétrole quelques temps après)
So : Tu vois, j'avais raison, il y a bien du
pétrole ici.
-A la première réplique correspond la construction d'une valeur p
<y avoir du pétrole ici>.
-A la deuxième réplique correspond la remise en cause de p. C'est
la construction, pour un localisateur donné, d'une autre valeur
p' <ne pas y avoir de pétrole ici> à côté de la première p. Dans
notre exemple, So' n'est pas en mesure de choisir entre p et p'.
-A la troisième réplique ("Tu vois, j'avais raison...")
128
correspond la "confirmation" proprement dite. So identifie
l'occurrence situationnelle pi à p qui est une valeur déjà posée;
ce faisant il écarte l'autre valeur p'.
4.1.1. Critères sémantiques
Le "confirmatif" correspond rarement à une rubrique
distincte du bien "intensif" dans les dictionnaires que nous
avons consultés.
P. Robert (éd de 1966, p468) le donne comme une des in-
terprétations possibles de bien quand il exprime "l'intensité ou
le haut-degré". Selon lui, "il renforce l'idée exprimée ou
s'emploie par redondance" dans des exemples comme: "Vous savez
bien que mon plus grand plaisir est de sortir avec vous", ou
"vouloir bien" et "tu penses bien que...".
E. Littré (éd de 1963, p1012) donne cette valeur comme une
simple variante des emplois où bien signifie "beaucoup, très,
entièrement, tout à fait", avec un exemple comme: "C'est bien
lui" ("c'est lui en effet, véritablement").
Cette confusion nous semble regrettable et nous préférerons
retenir le propos des grammairiens sur cette valeur.
4.1.2. Critères grammaticaux
R.L. Wagner et J. Pinchon (1962, §496, p422) pensent que
bien peut être un "adverbe d'opinion", ils le donnent, dans ce
129
cas, comme synonyme de "soit" ou "volontiers" dans la mesure où
il permet de formuler "un acquiescement".
M. Grevisse (éd de 1975, p922, §867) le donne comme un
"adverbe d'affirmation" au sein d'une classe qui comporterait
entre autres: "exactement, assurément, aussi, absolument, certes,
oui etc...". Mais les exemples qu'il donne (voir ci-dessous (a)
et (b) ne sont pas du type de ceux que nous étudierons dans ce
chapitre.
Définir bien comme un adverbe d'"affirmation" (ou
d'"opinion") est donc tout à fait acceptable, à condition de
distinguer entre les différents environnements syntaxiques.
4.1.3. Critères syntaxiques
Comme "adverbe d'affirmation", bien peut apparaître dans
trois types d'environnement:
(a) rejeté au début de l'énoncé, comme suite à une réponse perçue
comme satisfaisante pour le locuteur (1):
(a) So : Vous êtes passé chez Paul?
So': A huit heures.
So : Bien, on peut partir.
(b): inscrit dans une structure assez rigide, à la suite d'une
négation: "pas X mais bien Y". Bien n'est pas vraiment glosable
par "effectivement", on préférera "en fait" plus proche de l'idée
130
de surprise ou d'étonnement qui accompagne toujours ce type
d'exemples.
(b) Sa vie telle qu'il la raconte, n'a pas été gouvernée ni
par le cinéma, ni par le théâtre, ni par la politique,
mais bien par la passion des femmes. (l'auteur de
l'article vient d'étudier les trois thèmes dont il nie
la primauté dans la vie du cinéaste E. Kazan, voir R.
Louit, in LeMagazinelittéraire, n°271, Nov 1989,
"Kazan, la bonne tension", p76.).
Il ne s'agit pas d'un "confirmatif" mais d'une autre valeur, le
"confirmatif.t" ("t" pour temporel) que nous étudierons au
chapitre V.
(c): bien est inséré dans l'énoncé, il suit le verbe (ou il est
placé entre l'auxiliaire et le participe passé). Si l'énoncé
s'inscrit dans un dialogue, bien apparaîtra dans une réponse
positive à la question posée (et non pas à la suite de la réponse
positive:
(c) So': Vous êtes passé chez Paul?
So : Nous y sommes bien passés, ne t'inquiète pas.
Dans ce chapitre nous essaierons de rendre compte de
l'association de cette distribution et de cette valeur sémantique
("effectivement") que nous nommons "confirmatif".
4.2. Caractérisation de la valeur
131
Pour comprendre l'existence de cette valeur, il faut revenir
à la question du statut d'une occurrence.
A. L'altérité est de fondation.
1- A priori une occurrence (pi) n'est pas nécessairement
stabilisée. Ainsi que l'écrit A. Culioli (1989, p190):
"L'altérité est de fondation". En même temps cette altérité, pour
être définie, doit être calculée. D'où la nécessité d'un autre
terme (terme de référence), par rapport auquel ce calcul pourra
être effectué (on pourra avoir par exemple des rapports
d'identité = ou de différence #).
2- Deux cas peuvent être envisagés, le terme de référence existe
déjà (il est premier par rapport à l'occurrence) ou il n'existe
pas (l'occurrence est première), il faudra alors le construire a
posteriori. Ces deux cas correspondent respectivement aux
chapitres IV (le "confirmatif") et V (le "confirmatif.t"). Pour
le "confirmatif" on pouvait s'en douter, si on "confirme" c'est
qu'on a déjà "affirmé". Mais si l'on s'en tenait là on ne serait
pas en mesure de distinguer le "confirmatif" de l'"appréciatif"
puisque tous deux vérifient le critère 1:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
B. "Valuation" vs "Validation".
132
L'opposition ("validation" vs "valuation") correspond à deux
types principaux d'altérité au niveau du terme de référence (dire
qu'il y a deux types principaux, c'est dire qu'à notre niveau
d'analyse on ne devrait pas trouver de troisième type de
valeurs). On aura l'un ou l'autre selon le mode de définition du
terme de référence:
-valuation: le terme de référence correspond à la valeur p sur le
domaine de p,p'. La zone de p comprend les valeurs de P qu'on
considère comme identifiables au Type de P, c'est la zone
d'identification au Type ou Intérieur du domaine. La zone de p'
comprend les valeurs qu'on ne peut pas identifier au Type. C'est
la zone de différenciation par rapport au Type ou Frontière du
domaine.
LadélimitationdelavaleurpestfaiterelativementauTypequi,pardéfinit
ionn'estpasuntermelocalisé.Danslecasdesvaleursdevaluationladélimi
tationdutermederéférenceestunedélimitationsubjective. Nous
rendons compte de ce mode particulier de délimitation grâce au
critère 2:
C.2. "L'altérité est de type I/F".
-validation: Dans l'exemple que nous utilisons ("Il y a bien du
pétrole..."), la délimitation de p a été faite lors de la
première assertion de p ("Il y a du pétrole ici, j'en suis sûr")
relativement à une autre Sit que Sito. Autrement dit lapropriétép
'y avoir du pétrole'
133
afaitl'objetd'unepremièremiseenrelationavecunterme 'ici'
quiétaitlui-mêmelocaliséparrapportàunSitdifférentdeSito. Nous
dirons que, danslecasdesvaleursdevalidation,ladélimitationdep
(terme de référence) correspondàunepremièrelocalisationdep (2).
Cette délimitation permet de distinguer deux zones homogènes (I)
<y avoir du pétrole ici> et (E) <ne pas y avoir de pétrole ici>.
pi est identifiable à p ou pas. Il n'y a pas de zone
intermédiaire comme F qui permettrait de dire que pi se ramène à
p "dans une certaine mesure". C'est oui ou non. Là où on avait
une problématique de la "valuation" on a maintenant
uneproblématiquedel'existence. Le "confirmatif", comme les autres
valeurs de "validation", vérifie le critère 4 qui rend compte de
ce nouveau mode de délimitation du terme de référence:
C.4. "L'altérité est de type I/E".
NB: La différence entre les deux problématiques sera
développée tout au long du chapitre; notons qu'on peut avoir une
problématique de l'existence sans que p fasse l'objet d'une
préconstruction. p est alors construit retrospectivement, il
s'agit d'autres valeurs de "validation" que nous étudierons au
chapitre V avec des exemples comme:
Ah, c'est bien le moment!
On achève bien les chevaux!
Ce n'est pas un orage mais bien un cyclone qui s'est abattu
sur la Guadeloupe.
C. La définition de p'.
p' peut être conçu comme le complémentaire de p sans autre
134
spécification. Il peut aussi être spécifié, comme dans l'exemple
que nous donnions, par la prise de position de So' ("Il n'y a pas
de pétrole ici"). Nous distinguerons trois cas qui forment
l'articulation générale du chapitre:
4.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective.
ex: J'avais raison, il est bien sept heures.
4.2.2. L'altérité p,p' est relayée sur le plan intersubjectif.
ex: Nous avons bien reçu votre lettre du 18
courant.
4.2.3. L'altérité p,p' n'est pas relayée sur le plan
intersubjectif.
ex: Il vérifia que Paul était bien parti avant
d'entrer.
4.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective
Une fois que p a été préconstruit la remise en cause de p
est, soit effective, soit possible. Si elle est effective il
s'agit d'une opposition frontale entre les deux locuteurs, chacun
tenant pour une des deux valeurs. On peut dire que p' est
spécifié (par exemple: "il n'y a pas de pétrole ici"). Au niveau
des énoncés l'opposition stricte est repérable à des expressions
comme "Tu vois, j'avais raison". Si la remise en cause est
simplement possible, l'énonciateur "prévient" une éventuelle
135
contestation de son coénonciateur. Dans ce cas p' n'est pas
spécifié (voir § 4.2.2.).
En contexte dialogique, on a pu noter que, très souvent,
l'énoncé comporte l'évocation d'une assertion préalable qui fait
l'objet de la confirmation. Nous pensons au "J'avais raison" du
premier exemple, ou a une expression comme "Je l'avais bien
dit!". Nous définirons l'assertion comme l'affirmation de la
vérité de p. Ce qui signifie que l'énonciateur So prend en charge
le fait que p est vrai. La relation étroite existant entre la
vérité et la forme assertive est largement établie par S. De
Vogüé (1985, p62) (3). Nous nous bornons à reprendre ses propos:
"Toute assertion, quel que soit son contenu, va, en tant
qu'assertion, renvoyer au vrai. C'est même là ce qui va définir
la forme assertive". Le préconstruit p est délimité à travers
l'assertion dont il fait l'objet. A l'assertion préalable de p
par So répond la construction de p' par So'. Celle-ci est
nécessairement interprétée comme la négation de p: si p est vrai
alors p' est faux. On ne travaille que sur deux valeurs. Les
prises de positions des deux énonciateurs reviennent à constituer
deux zones homogènes I et E de telle sorte qu'on doit être dans
l'une ou (exclusif) dans l'autre.
4.2.1.1. Caractérisation du "confirmatif"
A ce stade nous avons mis en place les deux critères (C.1.
et C.4.) à partir desquels on peut définir le "confirmatif" par
136
opposition aux valeurs déjà connues:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
C.4. L'altérité est de type I/E.
On peut s'étonner de ce que nous ne reprenions pas la notion de
localisation du préconstruit dans la formulation des critères.
Elle est impliquée par le type d'altérité, si l'altérité est de
type I/E, p a fait l'objet d'une première mise en relation, il
n'est donc pas nécessaire ni de reformuler le critère 1 ni
d'ajouter un troisième critère à ce propos.
4.2.1.2. Un exemple de "confirmatif"
Nous pouvons appliquer ces conclusions à un exemple assez
particulier cité par D. Duprey (1979, p50) (4):
"Au fait, le Charles, il est bien pas venu avec
sa mobylette, hier, non?"
Il nous semble que le seul moyen de le comprendre est
d'admettre que le locuteur avait préalablement affirmé (parié
serait pragmatiquement plus adéquat) que "le Charles ne viendrait
pas à mobylette". Les faits lui ayant donné raison, il rappelle
ainsi qu'il avait vu juste (contrairement à son interlocuteur qui
avait dit que p' <Charles venir> était la bonne valeur).
137
L'exemple paraît bizarre parce que la négation n'est pas la
forme normale de p préconstruit. Dans le schéma de la
"confirmation" on a vu que p était premier par rapport à p', il
serait donc normal que p' soit la négation (syntaxique) de p et
pas l'inverse. Un terme négatif est linguistiquement second par
rapport au terme dont il est la négation. Or dans cet exemple, p
est en même temps un terme premier (préconstruit par So) et un
terme (syntaxiquement) négatif. Pour que l'énoncé soit acceptable
il est nécessaire que les positions respectives des
coénonciateurs soient parfaitement opposées à propos de la
validation de p. Le contexte du pari rend possible cet équilibre
de la forme négative (pour p) et de la forme positive (pour p').
Dans un pari, chacun constitue l'autre comme le repère de la
"mauvaise valeur", tandis qu'il se constitue lui-même comme celui
de la "bonne valeur". Du point de vue de So la bonne valeur c'est
p <Charles ne pas venir> et la mauvaise valeur (celle qui en
dépend) c'est p' <Charles venir>, inversement pour So' la bonne
valeur c'est p' <Charles venir> et la mauvaise valeur (celle qui
en dépend) c'est p <Charles ne pas venir>. On peut définir la
"mauvaise valeur" comme la valeur dépendante de la valeur
construite par l'énonciateur. Du coup une forme (syntaxique)
négative p <Charles ne pas venir> peut apparaître comme une
valeur première par rapport à sa correspondante positive p'
<Charles venir> et rendre l'énoncé attestable. On voit ici
comment l'énonciatif "déforme" le syntaxique pour construire un
énoncé qui sans être académique est néanmoins attestable.
138
4.2.1.3. Le point sur les derniers exemples
Pour qu'il y ait "confirmation" il faut qu'on ait une
problématique de l'altérité (est-on en p ou en p'?). Pour pouvoir
se poser une telle question, ilfautêtredansunepositionhors(p,p'),
d'où l'on puisse construire l'identification à p ou à "autre-que-
p". Deux cas se présentent:
(1) Soit p' est construit par une autre instance (So') (ex: <il
n'y a pas de pétrole ici>) alors que p est déjà préconstruit (<il
y a du pétrole ici>, du fait que p' est spécifié on est ni en p
ni en p' mais en position de choisir: en hors(p,p').
(2) Soit p' est simplement possible parce qu'on se situe en
hors(p,p') (ce sont les exemples que nous étudierons ensuite aux
§ 4.2.2 et 4.2.3).
Mais revenons à (1). On "confirme" en revenant à p préconstruit,
ce qui revient à exclure p'. Ce sont les cas où l'altérité p,p'
est relayée par une opposition intersubjective. Nous les
schématiserons ainsi:
So p pp' So'
! !
! !
! !
'
hors (p,p')
NB: on passe de p (préconstruit) à une position hors
(p,p'), parce que l'autre valeur p' a été construite
(elle n'est pas notée entre parenthèses). Finalement p
139
est confirmé (noté en gras).
4.2.2. L'altérité p,p' est relayée sur le plan intersubjectif
En "contexte dialogique" p' ne fait pas l'objet d'une
préconstruction localisée. Deux cas se présentent selon que p est
attribuable à So ou à So'.
4.2.2.1. p est attribuable à So
Soit l'exemple suivant:
Nous avons bien reçu votre lettre du 18 courant.
Du point de vue de So l'existence de sa réponse signifie
qu'il a déjà reçu la lettre de son destinataire. C'est donc de
son point de vue que p <So avoir reçu la lettre> est préconstruit
et validé. Mais cela n'est pas certain du point de vue du
destinataire So'. C'est donc pour prévenir une éventuelle
inquiétude de son destinataire que le premier confirme "Nous
avons bien reçu...". So' se trouve en hors(p,p') relativement à
la validation de p. Pour prendre en compte cette incertitude,
l'énonciateur met en place une problématique de l'existence de p
qui justifie ensuite la confirmation de p.
Prenons un autre exemple:
140
(Un livre commandé ayant été reçu, on fait parvenir la
facture du livre au service financier chargé
normalement de la régler avec le mot d'accompagnement
suivant:)
Nous avons bien reçu le livre.
On pourrait gloser cet énoncé de la manière suivante: "nous
avons reçu le livre que nous attendions". Il nous semble qu'il
n'y a pas de difficultés ici à attribuer à So la préconstruction
de p. L'exemple signifie: "nous attendions un livre, le fait que
la facture vous parvienne ne prouve pas qu'il ait été
effectivement reçu par le service qui l'avait commandé, mais
rassurez-vous, il a été reçu (donc vous pouvez payer la
facture)". Dans cet exemple, So' se trouve en hors(p,p')
relativement à la validation de p, l'énonciateur prend en compte
cette incertitude, et il confirme p comme la bonne valeur.
4.2.2.2. p est attribuable à So'
Soit l'exemple suivant.
"La psychanalyse est bien née à Vienne. Mais elle n'est
pas un produit représentatif, voire typique.(...) Il
est indubitable qu'elle est née à Vienne, mais elle
n'est pas engendrée par Vienne: quelque chose manque
pour que le produit fasse sens dans son origine. (P-L
Assoun, in Magazinelittéraire, n°271, Nov 1989, "Freud:
l'oubli de Vienne", p44.).
Les exemples comme celui-ci sont sémantiquement proches
d'une concession mais il n'est pas nécessaire de proposer de
141
nouveaux éléments pour les analyser, nous réserverons ce terme
aux énoncés au conditionnel (voir au chapitre VII). Ici, les deux
propositions ont même statut; grammaticalement, il s'agit d'une
"opposition simple" (R.L. Wagner et J. Pinchon, 1962, §712. a.b,
p 608). L'énonciateur attribue à So' la construction de p <La
psychanalyse est née à Vienne> et il confirme ("... bien née à
Vienne") mais dans un deuxième temps il se situe en p' ("mais
elle n'est pas un produit représentatif"). Une différence assez
sensible entre "concession" et "opposition" est que dans
l'"opposition" p a un statut sur le plan factuel tandis qu'il
n'en a pas dans la "concession":
(c) Il irait bien à la chasse, mais son docteur le lui
interdit.
(o) Il va bien à la chasse, mais son docteur le lui
interdit.
Nous interprétons de la même manière ("confirmatif", la
préconstruction de p est attribuée à So') l'exemple suivant:
Ils parlent bien de sujet, de complément direct et
indirect, mais ils en restent là. (A. Chervel, cité par
M.A. Morel, 1980, p695) (5).
ou: L'inflation qui atteignait 16% en 1974, a bien été
ramenée à 11,5% en 1975 et un peu au-dessous de 8% l'an
dernier; mais de nouvelles inquiétudes se font jour, et
les indices relevés pour les trois premiers mois de
1977 invitent au pessimisme. (LeMonde, cité par M.A.
Morel, 1980, p694).
4.2.2.3. Le point sur les derniers exemples
142
Si l'on se remémore les exemples dans lesquels p faisait
l'objet d'une assertion en contexte, on constate que, si le
rapport p,p' n'a pas changé (il s'agit toujours d'une altérité de
type I/E), le rapport So/So' ne se conçoit plus de la même
manière.
-Avec un exemple comme: "Nous avons bien reçu votre lettre." So
postule que So' est à l'origine d'une éventuelle remise en cause
de p. Nous résumerons cela de la manière suivante:
La valeur p ayant fait l'objet d'une première localisation,
So envisage une éventuelle construction de p' par So', du coup il
se situe en hors(p,p'). Puis il confirme en passant de la
position hors(p,p') à la position p. Ce sont les cas de "remise
en cause possible". Nous les schématiserons ainsi:
So p p (p') So'
! !
! !
! !
'
hors (p,p')
NB: on passe de p (préconstruit) à une position hors
(p,p'), l'autre valeur p' est simplement possible (elle
est notée entre parenthèses). Finalement p est confirmé
(noté en gras).
-Avec un exemple comme: "Il est bien arrivé, mais il est en
retard". So confirme une valeur p dont il n'est pas le
constructeur et se situe finalement en p', ce sont les cas
143
d'"opposition":
So' p pp' So
! !
! !
! !
'
hors (p,p')
NB: on passe de p (préconstruit) à une position hors
(p,p'), finalement p est confirmé (noté en gras) mais
ensuite So se situe en p'.
4.2.3. L'altérité p,p' n'est pas relayée sur le plan
intersubjectif
Nous parlons d'altérité d'origine contextuelle lorsque la
délimitation de p n'est attribuable ni à So ni à So'. Voyons cela
sur un exemple:
Watergate: La découverte d'un micro dissimulé dans les
dossiers (...) du grand Rabinat de Jérusalem a mis en
émoi (...) la plus haute instance religieuse d'Israël.
Le micro transmettait les délibérations de la
commission de la "cachrouth" chargée de certifier que
les viandes importées sont bien "kascher" (conformes
aux interdits alimentaires de la religion juive).
(L'EstRépublicain, 4/11/89, p10)
Le verbe "certifier" nous donne la première indication. On
pourrait le remplacer par "vérifier" ou "confirmer". La viande a
déjà fait l'objet d'une première déclaration comme étant
"kascher" (préconstruction de p). Le contexte est suffisament
clair: p <être Kascher> est la "bonne valeur". Elle apparaît
144
comme un préconstruit relativement à la viande importée
(l'occurrence situationnelle pi). La nécessité de la vérification
prouve qu'il existe des risques, liés à l'origine de la viande,
pour qu'elle ne soit pas vraiment "kascher". L'existence même de
la commission, constitue le point de vue à partir duquel toutes
les possibilités sont envisagées (pour nous un point hors(p,p').
Et enfin après examen (parcours des valeurs possibles p,p') la
commission certifiera la viande comme "kascher" (pour nous:
identifiera pi à p préconstruit).
Le point de vue de la commission fonctionne comme un repère
à partir duquel il est possible de distinguer entre p et p'. Le
fait que ce repère échappe au champ intersubjectif nous fait
ranger cet exemple dans les cas d'altérité d'origine
contextuelle.
Forts de cette première analyse du "confirmatif" nous allons
en vérifier la généralité sur d'autres exemples qui sont des
actualisations de la suite "impératif + bien".
4.3. Un exemple: la suite "impératif + bien"
Ecris-lui bien, surtout n'oublie pas.
(donné par A.Culioli 1988, p170)
Le contexte est assez clair, on comprend que le locuteur
145
réitère une demande déjà faite. La relation <toi / écrire> p a
fait l'objet d'une première construction en contexte. On peut la
décrire comme une relation "à valider", construite en rupture
avec Sito. La remise en cause est explicitement évoquée par le
deuxième impératif: "surtout, n'oublie pas".
En quoi cet énoncé est-il un exemple de "confirmatif"? C'est
la construction même de p qui est en cause. Une glose de l'énoncé
pourrait être: "quand tu seras au moment d'écrire alors écris-
lui". C'est très exactement "ce moment d'écrire" qui constitue
lalocalisationdupréconstruit p. Elle a pour conséquence que Sit2p
(le moment de validation de p) est normalement différent de Sito.
On peut pour le vérifier comparer l'exemple avec le même énoncé
sans bien:
Ecris-lui, surtout n'oublie pas.
Sans bien, la zone de validation du procès 'écrire' commence en
To. Il ne serait pas incongru que l'interlocuteur se mette à
écrire tout de suite. En revanche dans l'énoncé avec bien, on
conçoit mal que la zone de validation commence en To. On nous
dira que cette interprétation est liée au contexte "épistolaire"
de l'énoncé. Pas seulement. Comment peut-on interpréter l'exemple
suivant:
Ouvre-moi bien la porte.
146
Soit comme un "appréciatif" ("Ouvre-moi correctement la porte"),
soit comme un "confirmatif" ("A ce moment-là, comme je te l'ai
dit, ouvre-moi la porte"). Si p a fait l'objet d'une première
localisation, Sit2p est a priori différent de Sito dans le cas
contraire p est à valider à partir de Sito.
Nous pouvons conclure qu'avec la suite "impératif + bien"
deux valeurs sont possibles dans les conditions suivantes:
.--------------.--------------------------------------.
! ! p n'est pas localisé !
! p ! !
! ! "APPRECIATIF" ! Mange bien! !
! est ! ! Porte-toi bien! !
! !--------------------------------------!
! pré- ! p est localisé !
! ! !
! construit ! "CONFIRMATIF" ! Ecris-lui bien, sur- !
! ! ! tout n'oublie pas! !
'--------------'--------------------------------------'
En résumé
Le terme de référence p peut être attribuable à différentes
origines énonciatives, p' peut être spécifié ou non. Ces
variations permettent de distinguer entre différentes formes de
"confirmatif" qui toutes vérifient deux critères:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
C.4. L'altérité est de type I/E.
147
Dans tous les exemples que nous avons donnés p était
préconstruit, et apparaissait comme premier relativement à pi.
Mais que penser d'un énoncé comme:
Ah, c'est bien le moment!
Il ne s'agit évidemment pas d'un "appréciatif", mais s'il s'agit
d'un "confirmatif" ce qui est confirmé n'était pas préconstruit
du point de vue de l'énonciateur. Au contraire on peut dire que
pour lui "maintenant" vérifiait 'autre-que-le-moment'. En un mot
p n'était pas préconstruit et c'est pourtant p qui est confirmé.
Ce schéma très général se vérifie sur un grand nombre d'exemples.
Nous allons l'étudier au chapitre suivant.
148
NOTES DU CHAPITRE IV
(1): Dans un énoncé comme "Bien, nous pouvons partir", il s'agit
d'une nouvelle valeur de bien qui appartient à la classe des
valeurs de "liaison" et à la catégorie des valeurs subjectives.
La valeur temporelle correspondante est la locution "Eh bien".
Dans ces emplois bien (Eh bien) articule deux énoncés c'est la
raison pour laquelle nous les désignons comme des valeurs de
"liaison". Leur étude confirme nos hypothèse mais n'est pas
nécessaire à notre démonstration, nous ne l'aborderons donc pas
dans le cadre de cet ouvrage.
(2): Nous disons que p préconstruit a fait l'objet d'une première
localisation. Il n'y a rien d'original à cette description. C'est
à peu de choses près celle d' A. Culioli (1978, p306) à propos de
l'exemple "Il a bien expédié la lettre". Il écrit: que
l'interprétation "Il a effectivement expédié une lettre" (qui
correspond pour nous au "confirmatif") "marque une relation (de
confirmation) entre un préconstruit (explicite ou non) e1 et
l'énoncé e2".
(3): S. de VOGÜE., (1985), Référence,prédication,homonymie: Le
concept de validation et ses conséquences sur une théorie des
conjonctions, Thèse de doctorat d'état, Université de Paris VII,
2vol .
(4): Cet exemple est donné par D. Duprey (1979) dans le premier
chapitre de sa thèse p50. Il évoque les contraintes qui pèsent
dessus, il semble les attribuer à bien mais il ne les explique
pas. Il écrit (p46): "Nous ne tenterons pas non plus d'expliquer
ces contraintes. (...) Notre but est simplement de mettre en
évidence l'extraordinaire diversité des contraintes qui pèsent
sur bien, (...)".
(5): M-A. MOREL., (1980),
Etudesurlesmoyensgrammaticauxetlexicauxpropresàexprimeruneconcess
ionenfrançaiscontemporain, Thèse de doctorat d'état, Université
de Paris III, 2vol, 915p.
149
CHAPITRE V
LE "CONFIRMATIF.T"
5.1. Identification de la valeur
Certains énoncés sont assez proches de la valeur de
"confirmatif" mais ne peuvent pas être classés comme tels; il
s'agit d'énoncés comme:
(1) Ah, c'est bien le moment!
(2) Une fois faite la part de la mythologie, voire du
romantisme du fondateur, il y a bien là un rendez-vous
manqué à penser. (P-L Assoun, in Magazinelittéraire,
n°271, Nov 1989, "Freud: l'oubli de Vienne", p47.).
(3) On achève bien les chevaux.
(4) Ce n'est pas un orage mais bien un cyclone qui a
ravagé la Guadeloupe.
Nous les rapprochons du "confirmatif" parce qu'on y trouve l'idée
d'une confirmation. Nous les en distinguons cependant parce que
le terme confirmé constitue une sorte d'état de fait indépendant
de l'énonciateur au contraire du "confirmatif". La glose
"effectivement" n'est plus adaptée (? "Ah, c'est effectivement le
moment!"). La meilleure glose de bien serait son absence (+ "Ah,
c'est () le moment!")! Tout terme (par exemple:
"Malheureusement") mis à la place de bien tendrait à être
150
interprété comme une appréciation rapportable à l'énonciateur, du
coup on perdrait ce qui fait la spécificité de la valeur (l'idée
d'état de fait).
On peut considérer cela comme l'indice d'une construction
indépendante de l'énonciateur. Si la relation qui est en jeu (par
exemple <maintenant être le moment> n'est pas construite
subjectivement, elle est construite à partir d'une autre
instance, susceptible d'être à l'origine de ce que nous avons
décrit comme "un état de fait": l'instance temporelle T. Nous
postulons donc l'existence d'une autre valeur de confirmation que
nous nommons le "confirmatif.t" ("t" pour temporel). Nous allons
tenter de la définir plus précisément, en même temps que nous
essaierons de définir ce qui distingue les différents énoncés qui
nous serviront d'exemples-types.
5.1.1. Critères sémantiques
Les dictionnaires que nous avons consultés font rarement
état de ces emplois. J. Girodet (1986, p109) donne Mais bien
comme une "expression" au même titre que Bien entendu ou "Il s'en
faut bien" avec l'exemple suivant (type 4): "Il ne s'agit pas de
cas isolés, mais bien d'une véritable épidémie" mais il ne donne
aucun exemple des autres types.
E. Littré (éd de 1963, p1012) donne, dans la même rubrique
que celle des exemples de concession et de confirmation
(ordinaire) des exemples de type 1 en soulignant leur valeur
151
"ironique": "Le ciel a bien ce souci!, Le peuple s'inquiète bien
de cela! C'était bien à moi de venir les trouver!". P. Robert (éd
de 1966, p467) donne le même type d'exemple: "C'est bien à vous
à..." et il précise que dans ce cas "bien peut exprimer la
négation" mais il ne dit rien des autres types.
On retiendra d'une part que ces emplois appartiennent
surtout à l'ordre de l'oral (cf la construction temporelle) d'où
leur absence presque totale des dictionnaires et on retiendra
d'autre part l'idée que bien est apte à exprimer la négation,
même si c'est un peu (trop) fort.
5.1.2. Critères grammaticaux
On ne peut pas davantage s'appuyer sur les grammaires pour
définir ces emplois. R.L. Wagner et J. Pinchon (1962) n'en
parlent pas. M. Grevisse (éd de 1975, p924, §870) donne deux
exemples de bien "marquant une affirmation à la suite d'une
négation" dont celui-ci: "Pas des rochers, mais bien des masses
architecturales" et il ne dit rien des autres emplois (1). On
peut penser que grammaticalement ces exemples doivent être
interprétés comme des cas où bien est un adverbe "d'affirmation";
ce qui là encore nous paraît relativement juste mais insuffisant.
5.1.3. Critères syntaxiques
On peut rapprocher les exemples (1) et (3) à cause de leur
caractère dialogique mais
152
-les exemples (2) et (4) ne présentent pas ce caractère et
-il faudrait mettre à part le (4) en raison de sa syntaxe
particulière ( pas X mais bien Y) et
Pour comprendre ce qu'ils ont de commun, transformons les en
"confirmatifs":
(1a) Tu as raison, c'est bien le moment!
(2a) Il y a bien là un rendez-vous manqué à penser, à
condition d'avoir fait la part de la mythologie, et du
romantisme du fondateur.
(3a) En effet, on achève bien les chevaux.
(4a) Ce n'est pas un orage, tu as raison c'est bien un
cyclone qui a ravagé la Guadeloupe.
Pour les transformer, il a fallu "préconstruire" ce qui allait
être confirmé. On peut donc en conclure que les énoncés originaux
(1,2,3 et 4) supposent l'absence d'un préconstruit. Pour savoir
comment on peut avoir une confirmation sans préconstruit nous
allons passer à l'étude détaillée de ces exemples.
5.2. Caractérisation de la valeur
Nous distinguerons deux cas qui forment l'articulation
générale du chapitre.
Soit on ne considère qu'une seule occurrence de P, p' est le
complémentaire qualitatif de p. C'est ce qu'on observe dans des
énoncés comme (1) et (2):
153
5.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective.
(1) Ah, c'est bien le moment!
5.2.2. L'altérité p,p' n'est pas relayée par une opposition
intersubjective.
(2) Une fois faite la part de la mythologie, voire du
romantisme du fondateur, il y a bien là un rendez-vous
manqué à penser.
Soit p' correspond à une autre occurrence (pj) de P, la question
étant alors de savoir si c'est pj ou pi qu'il faut confirmer
comme en (3) et (4). Nous étudierons alors (§5.3), à quelles
conditions il est possible de tenir l'hypothèse temporelle (p
n'est pas préconstruit) pour rendre compte de ces exemples.
5.3.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective.
(3) On achève bien les chevaux.
5.3.2. L'altérité n'est pas relayée par une opposition
intersubjective.
(4) Ce n'est pas un orage mais bien un cyclone qui
s'est abattu sur la Guadeloupe.
5.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective
(1) Ah, c'est bien le moment!
Le locuteur est surpris, sa réflexion est censée faire
154
comprendre à son interlocuteur que le moment est mal choisi pour
ce qu'il est en train de lui proposer ou de lui demander. Pour
comprendre cet exemple il nous faut analyser ce qui se présente
comme deux données pragmatiques, "la demande de l'un" et "la
surprise de l'autre".
-La "demande": construit une occurrence de P sur le plan
factuel, nous la noterons pi <To est le moment>.
-L'idée de "surprise" recouvre un ensemble d'opérations que
nous allons essayer de définir:
(a) L'actualisation de la propriété P 'être le moment' à
travers la construction de pi se fait indépendamment de toute
attente de la part de So. p n'est donc pas préconstruit (critère
3.).
(b) La construction (inattendue) de pi en Sito entraîne la
construction rétrospective par So de ce qui était validable en To
soit p,p'. L'occurrence pi (ce qui arrive) existe (Qnt) mais
n'est pas stabilisée sur le plan qualitatif (Qlt). D'où le
recours aux valeurs possibles en To pour déterminer le rapport de
l'occurrence à la propriété qu'elle vérifie. On a donc
comparaison (opération de parcours) de pi avec les valeurs
possibles p,p'. Les valeurs parcourues s'opposent de manière
stricte: en p <To/être le moment> et p' <To/ne pas être le
moment>. Nous dirons donc qu'il s'agit d'une altérité de type I/E
155
(critère 4.).
(c) So constate que pi se ramène à p, mais l'identification
n'a pas besoin d'être prise en charge par So. Elle se fait à
partir d'un point de vue qui échappe au champ intersubjectif. Il
s'agit du point du point de vue de "ce-qui-est", un point de vue
"objectif" Le "confirmatif.t" est une valeur de "constat".
(d) Pour So (rétrospectivement) ce qui était "à valider" sur
p,p' n'était pas forcément p. Sans dire que So se situe en p' (il
ne dit pas expressément que "ce n'est pas le moment") on peut
dire que Sosemaintientenhors(p,p'). L'idée (un peu forte) que
"bien peut exprimer la négation, ou (plus juste) que bien peut
s'employer ironiquement" (P. Robert, éd de 1966, p467) trouve là
sa justification (2).
Caractérisation de la valeur.
La construction temporelle de pi fait qu'on se situe en
hors(p,p') ce qui signifie que p et p' sont envisageables. Elle a
pour autre conséquence que quelle soit la volonté de So de
construire p' à partir de hors(p,p'), pi se ramène à p. Nous le
schématiserons ainsi:
156
p p (p')
! !
! !
! !
'
hors (p,p')
NB: On confirme en passant de la position hors (p,p') à
la position p (noté en gras) et la position p' n'est
pas retenue (elle est notée entre parenthèses).
Nous sommes dès à présent en mesure de définir la valeur de
"confirmatif.t" .
C.3. Le terme de référence n'est pas préconstruit
C.4. L'altérité est de type I/E.
5.2.2. L'altérité p,p' n'est pas relayée par une
oppositionintersubjective.
(2) Une fois faite la part de la mythologie, voire du
romantisme du fondateur, il y a bien là un rendez-vous
manqué à penser.
Pour comprendre cette remarque de P-L. Assoun il faut
revenir au début de son article. "Vienne n'a reconnu ni Freud, ni
la psychanalyse". Il y a là comme un échec, un raté historique
sur lequel s'interroge l'auteur de l'article.
L'explication envisageable, P-L. Assoun l'évoque en ces
termes: "Une fois faite la part de la mythologie, voire du
romantisme du fondateur"; elle correspond à "ce à quoi on
157
attribue généralement l'échec en question". Cette solution ne
sera finalement pas retenue ("Une fois faite la part du..").
L'auteur est en quelque sorte "contraint" de donner une autre
solution: "c'est un rendez-vous manqué". p en tant que <rendez-
vous manqué> ne fait l'objet d'aucune préconstruction. Il est
construit à partir de pi, le point de départ de l'article, le
constat d'un raté historique "Vienne n'a reconnu ni Freud, ni la
psychanalyse".
Nous allons revoir ce fonctionnement sur un autre exemple,
extrait du compte-rendu du vernissage de l'exposition d'un
photographe de mode à Paris.
(...) on comprend soudain pourquoi la mode est de
Paris. Et pourquoi celle des années 5O est plus
représentative qu'aucune autre: elle fut l'expression
des grandes stars contemporaines. Au-delà des Ava
Gardner, Edwige Feuillère, Lauren Bacall ou de la
princesse Margaret, c'est bien la Femme star, mondaine
et triomphante qui se trouve sculptée (...). (J-J
Chaix, LeNouvelObservateur, n°1151, du 28/11/86, p19)
Rappelons que dans une classe d'occurrences toutes les
occurrences (ici, les "stars" citées) vérifient la propriété
fondatrice de la classe (ici, 'être femme et être star') mais
qu'elles peuvent se distinguer les unes des autres par des
propriétés particulières.
Le "confirmatif.t" peut s'interpréter comme une alternance
de points de vue. Etant donné l'actualisation d'une occurrence pi
158
de P, on reconstruit le domaine du validablep,p'. Sur le domaine,
p' est "ce à quoi on pourrait normalement s'attendre" pour pi
(c'est le premier point de vue). On est amené à constater que pi
ne se ramène pas à p' mais à p (c'est le second point de vue).
-Le premier correspond à l'observation suivante: la mode
parisienne des années cinquante fut l'expression des grandes
stars, L. Bacall, E. Feuillère etc... L'auteur attribue à cette
mode la fonction de magnifier les "stars" de l'époque, d'où
l'énumération de diverses occurrences vérifiant cette propriété.
-Le second permet le constat suivant qui dépasse l'anecdote: "Au-
delà des.. "c'est la Femme Star" qui se trouve magnifiée par
cette mode. 'La Femme Star' est le Type même de la propriété P.
L'emploi du présent: "c'est bien la femme-star qui se trouve
sculptée...", la démarche de l'auteur (des occurrences de P au
Type même de P), en même temps que l'idée de découverte qui
l'accompagne ("On comprend soudain pourquoi...") sont
caractéristiques de la valeur de constat qu'est le
"confirmatif.t".
Nous pouvons résumer l'analyse de ces deux exemples de la
manière suivante: l'actualisation de la propriété P à travers
l'occurrence pi, amène So à se situer en hors(p,p'). A partir de
là p et p' sont envisageables. On a une opération de parcours sur
les valeurs p et p'. La valeur p' correspond à ce qui était
normalement envisageable pour pi (premier point de vue) mais elle
159
n'est pas retenue (cf le "Une fois faite la part de..." et le
"Au-delà des..." des exemples cités) car "à l'évidence" (deuxième
point de vue) pi se ramène à p. Ce que nous schématiserons ainsi:
p p (p')
! !
! !
! !
'
hors (p,p')
NB: On confirme en passant de la position hors (p,p') à
la position p (noté en gras) et la position p' n'est
pas retenue (elle est notée entre parenthèses).
5.3. p' correspond à une autre occurrence pj de P
Il y a une contradiction entre l'idée de construction
temporelle et celle d'une construction préalable d'une occurrence
de P. C'est pourtant l'idée que nous allons défendre pour rendre
compte des exemples suivants.
5.3.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition
intersubjective
Notre exemple du troisième type: "On achève bien les
chevaux" est le premier exemple analysé par A. Culioli (1978).
Nous ne pouvions donc pas nous dispenser de l'étudier. Mais notre
intérêt a une autre raison que la référence théorique, c'est le
côté "dernier mot" (au sens "avoir le dernier mot") des énoncés
160
de ce type. Malheureusement leur aspect "percutant" n'a d'égal
que la complexité des opérations sur lesquelles ils reposent,
notre analyse s'en trouve singulièrement allongée, on voudra bien
nous en excuser.
A. Culioli propose la glose: "Puisqu'on achève les chevaux,
pourquoi n'achèverait-on pas les humains?", avec pour
commentaire: "(...) la relation est construite à partir d'un
terme, noté e1: (...) ("puisqu'on achève les chevaux"), par
rapport auquel on construit un énoncé e2 ("alors, pourquoi pas
les humains"). Et il pose la question suivante: "Mais comment se
fait-il que bien me permette de construire cet ajout énonciatif
que j'ai fait affleurer par la glose?". Nous retiendrons et la
glose et la question mais pas à l'initiale de notre étude. Le
commentaire d'A. Culioli peut laisser penser que "On achève bien
les chevaux!" est un énoncé premier. Il semble que ce soit
impossible; on verra que e1 suppose l'existence d'un précédent
énoncé (qu'on pourrait noter e0) et on montrera que c'est à
travers une symétrie entre e1 et e0 que peut se mettre en place
e2.
Nous allons étudier un exemple moins "chargé" (histo-
riquement) dont la contextualisation est peut être plus facile,
nous reviendrons ensuite au titre du film d'A. Pakula.
5.3.1.1. "Et vous, vous mangez bien des grenouilles!"
161
Soit donc les répliques suivantes :
(e0) So': Quoi, vous mangez du chien, pouah!
(e1) So : Et vous, vous mangez bien des grenouilles!
(e2) So': Ah, mais ce n'est pas la même chose!
Les rapports intersubjectifs en contexte.
On peut interpréter les conditions d'apparition de (e0) de
la manière suivante: en voyant ou en apprenant que son
interlocuteur peut manger (ou mange) du chien, le locuteur est
surpris à un point tel qu'il conteste les qualités de "mangeable"
(Pouah!) à ce "mangé" (chien).
(e0) montre que du point de vue de So', la position de So
était (a priori) la même que la sienne relativement à ce qui
était mangeable ou non. Nous nommerons p,p' l'ensemble des
relations auquel il était susceptible d'être confronté (soit 'le
mangeable').
Ce que nous proposons de schématiser ainsi:
So-----------(( = ))-----------So'
><
><
((*)) ((*))
><
><
p,p'
NB: Le schéma signifie que quels que soient les rapports de
So à p,p' (notés ((*)) ce seraient les mêmes ((=)) que les
rapports de So' à p,p' (notés ((*)). Il s'agit de rapports
162
conçus a priori du point de vue de So'. Dans le schéma, les
doubles parenthèses (()) autour des signes opératoires = et
* signifient qu'il ne s'agit pas d'opérations au sens
propre. Le rapport désigné par une étoile * correspond à un
ensemble de rapports possibles entre So'/p,p' et So/p,p').
A. Le point de vue de So'.
So se distingue de So' qui est bien obligé de constater que
le rapport de So à p,p' n'est pas le même que le sien. La
position de So' est liée à une différence d'interprétation de la
relation <chien / être mangeable>.
So' construit une relation instable entre du "mangé" et la
propriété 'être mangeable'. On peut développer ainsi cette
question: étant donné ce qui est de l'ordre du factuel, le
'mangé', comment peut-on le considérer comme du 'mangeable' alors
qu'il relève du 'non mangeable'? (3).
Un point de vue possible de So.
On pourrait s'attendre à ce que l'interlocuteur réponde
"Effectivement, je mange du chien, et alors ?", c'est-à-dire
prenne en charge (sémantiquement: "assume") la relation
(contradictoire) du 'mangé' au 'mangeable' telle qu'elle a été
posée par So'. Il aurait donc implicitement accepté l'exclusion
préalable du 'chien' de la classe du 'mangeable' que suppose la
question. En refusant de répondre à cette question So refuse, non
pas la question mais le point de vue à partir duquel elle est
163
posée.
B. Le point de vue de So.
On voit l'"intérêt pragmatique" de la réponse de So: "Et
vous, vous mangez bien des grenouilles!". Il est de ne jamais
laisser le point de vue de So' devenir le point de vue de
référence. So inverse les rôles. So construit une relation toute
aussi contradictoire entre du 'mangé' (mais cette fois par So')
et le domaine du 'être mangeable'. Mais il ne demande pas à So'
de la justifier. On remarquera dans le même temps la vérification
du critère 4, les termes de l'opposition sont dans une relation
d'altérité de type I/E ('mangeable' vs 'non mangeable').
C'est précisémment dans ce mouvement, qui a pi <So' / manger
des grenouilles> comme point de départ que cet emploi est
définissable comme un "confirmatif.t". A partir de là sont
reconstruites les valeurs possibles de la propriété 'être
mangeable'. On vérifie ici le critère 3: "Le terme de référence
est construit a posteriori". La priorité de pi relativement à
p,p' a des conséquences syntaxiques et pragmatiques observables:
-les énoncés de ce type ont très souvent une valeur
générique, ce qui signifie qu'ils sont vrais quel que soit t. La
valeur générique permet de poser la relation de e1 comme
construite indépendamment de toute intervention subjective.
-lorsqu'ils sont au passé composé, le verbe prend très
difficilement une valeur d'aoriste. Il est généralement
interprétable comme ayant une valeur d'accompli (cf E.
164
Benveniste, 1966) (4). Le fait qu'il soit vérifié est
"perceptible" en To, du coup cette vérification ne peut prêter à
discussion. Ainsi dans:
Tu as bien fait du bricolage, hier, toi!
Si au contraire on veut lui attribuer une valeur d'aoriste, on
aura une demande de confirmation, donc un "confirmatif":
Hier, tu as bien fait du bricolage?
-il nous semble qu'il y a dans l'apostrophe initiale "Et
vous, (...)", la trace de cet ancrage temporel. On peut réécrire
la relation comme: "So' ( ) ?". La place vide correspondant à ce
qui est fait, ce qui existe, qui est temporellement vérifié
(Qnt), mais qui n'a pas reçu encore de statut qualitatif (Qlt) et
qui va le recevoir à travers la construction rétrospective de
p,p'.
Il n'est plus nécessaire que le coénonciateur réponde "Oui,
je mange.." (voir §A.) pour que la relation soit stabilisée.
C'est bien qui est la trace de cette espèce de "verrouillage" du
rapport. Comment cela?
La réplique (e1) n'appelle pas de réponse en retour, bien
marque qu'il y a finalement identification des occurrences de
'grenouilles mangées' à des occurrences de 'mangeable'. On peut
vérifier, indirectement, l'existence de cette identification en
comparant notre énoncé à un exemple assez proche, dans lequel
l'identification en question reste à faire: "Et vous, vous ne
mangez pas des grenouilles?"
En (e1), So rétorque "ce qui de mon point de vue n'est pas
mangeable il est un fait que finalement cela vérifie la propriété
165
'être mangeable'. Il ne fait que répéter ce qui est connu des
deux sujets. Non seulement la relation est fermée (par
l'identification), elle n'appelle pas de réponse, mais de plus
elle est incontestable.
C. Une variation de points de vue.
La réplique de So est le pendant de la désobligeante
remarque de So'. Les deux coénonciateurs se trouvent dans une
position de stricte égalité vis à vis des occurrences du 'être
mangeable'. Dans le schéma qui suit les signes (=) et (w)
indiquent les points de vue possibles relativement à p,p'
(acceptation ou rejet).
So-----------( = )-----------So'
><
><
(=/w) (w/=)
><
><
p,p'
On retrouve des positions très proches de celles que nous avions
initialement (schéma du § A.) à ceci près qu'il ne s'agit plus de
rapports posés mais construits (d'où la disparition des
parenthèses doubles). Nous sommes maintenant mieux à même
d'expliquer la dernière réplique (e2) du dialogue: "Ah mais, nous
c'est pas pareil". Elle vise à "faire sauter le verrou de
l'objectivité" imposé par So. Elle vise à maintenir
l'actualisation de p sous le contrôle de la subjectivité c'est-à-
166
dire à revenir aux conditions initiales de l'échange.
Forts de cette première analyse nous pouvons maintenant
revenir à l'exemple de départ.
5.3.1.2. "On achève bien les chevaux!"
Cet énoncé s'inscrit normalement dans un dialogue, comme une
réponse à (e0):
(e0) So': Pourquoi achève-t-on les hommes?
ou encore:
(e0) So': Pourquoi achevez-vous les hommes?
Remarque: Si cette première réplique n'existe pas, alors bien
prendra une valeur d'"appréciatif": il s'agira d'un énoncé
prononcé, par exemple lors de la visite d'un abattoir, avec une
autre intonation:
On achève bien les chevaux, ici.
(le travail est fait correctement)
Les rapports intersubjectifs en contexte.
En (e0) la surprise manifestée par le locuteur montre qu'il
ne s'attendait pas à cela. Nous sommes donc en droit de reprendre
le schéma que nous avons utilisé pour l'exemple précédent:
167
So-----------(( = ))-----------So'
><
><
((*)) ((*))
><
><
p,p'
Dans ce contexte vient s'inscrire la remarque de So'.
A. Le point de vue de So'.
Comme dans le premier exemple, (e0) pose comme référence le
point de vue de So'. On pourrait la gloser: "Vous achevez les
hommes, mais pour moi c'est inacceptable!" (ils ne vérifient pas
la propriété 'être achevables').
B. Le point de vue de So.
La réplique de So "On achève bien les chevaux!" pourrait
être glosée ainsi: "Parmi ceux qui sont achevés, si je prends les
chevaux, en ce qui concerne le rapport à 'être achevable' on ne
peut que constater qu'il est vérifié". Ici encore le point de
départ est une occurrence situationnelle. La valeur générique de
l'énoncé en témoigne.
C. Une variation des points de vue.
Il existe une différence sensible entre cet exemple et le
premier que nous avions choisi de traiter. Dans le premier il
168
s'agissait par l'échange de répliques d'établir l'équivalence de
deux points de vue différents à propos de la propriété 'être
mangeable'. Dans le second les deux énonciateurs sont d'une
certaine manière d'accord. Il suffit pour s'en rendre compte de
remplacer on par vous dans les répliques du deuxième exemple. On
se retrouve alors dans un contexte polémique:
So': Quoi, vous achevez les hommes!
So: Et vous, vous achevez bien les chevaux!
Dans l'exemple "en on" là où So' supposait une opposition
intersubjective, la réponse de So met en place un consensus entre
les deux sujets sur ce qui est achevable ou pas. Sur le plan
pragmatique la réponse "On achève bien les chevaux!", peut
correspondre à une sorte de résignation du locuteur à un état de
fait qui le dépasse comme il dépasse son interlocuteur. En
répondant cela So refuse de se laisser enfermer dans une
problématique intersubjective. A la remarque de So' il ne renvoie
pas "en miroir" une remarque qui aurait pour origine son propre
point de vue (celui de So). D'emblée il part d'une autre origine
que ni lui (So) ni son coénonciateur (So') ne peuvent remettre en
cause, même si pour l'un comme pour l'autre (So, So'), d'un point
de vue subjectif, les chevaux ne sont pas "achevables".
Dans l'exemple précédent la réponse de So imposait "la
réciprocité (ou l'équivalence) des points de vue". Dans le
deuxième exemple, la réponse de So impose la non pertinence, ou
169
l'indifférenciation des points de vue. Nous proposons de le
représenter de la manière suivante:
So-----------( = )-----------So'
><
><
(*) (*)
><
><
p,p'
NB: Le schéma signifie que quels que soient (*) les
points de vue adoptés par l'un ou l'autre (So et So')
ils sont identifiables (=) car sans importance.
Autrement dit, So' est amené à conclure que "pour ce qui est
d'achever quelque chose, des chevaux ou des hommes, un point de
vue subjectif n'est pas pertinent. On note à l'appui de cette
remarque que l'exemple précédent autorisait deux types de
rectifications par So':
-l'une portant sur les sujets: "Mais nous, c'est pas pareil"
-l'autre portant sur les prédicats: "Ah mais, grenouille et chien
ce n'est quand même pas la même chose".
En revanche le présent exemple n'autorise que des
rectifications sur les prédicats: "Ah mais, tu ne peux pas
comparer les chevaux et les hommes!". Autrement dit les points de
vue des sujets ne sont pas pertinents.
Nous avons montré que le "confirmatif.t" pouvait apparaître
en contexte dialogique même après la construction d'une première
occurrence de P, qu'en est-il dans un autre contexte?
170
5.3.2. L'altérité n'est pas relayée par une opposition
intersubjective
Les exemples qui nous intéressent ici se distinguent par une
structure syntaxique rigide du type: "Ce n'est pas X mais bien Y
qui..." comme dans l'exemple (4):
(4) Ce n'est pas un orage mais bien un cyclone qui s'est
abattu sur la Guadeloupe.
On dit qu'il s'agit (p) d'"un cyclone" et pas d'autre chose en
l'occurrence p': "un orage". On note la différence annoncée
d'avec les exemples du § 5.2. La valeur p' fait l'objet d'une
négation (ce n'est pas X) et on peut dire que le locuteur ne
s'attendait pas à l'actualisation de pi, ce qu'il est contraint
de confirmer.
Le caractère "fabriqué" de l'exemple n'a rien à voir avec
cela. On retrouve l'idée de surprise dans le suivant qui ne
souffre certainement pas du même handicap.
5.3.2.1. "La Puertadel Sol n'est pas une porte..."
La "Puertadel Sol" n'est pas une porte, comme on
pourrait se l'imaginer mais bien une façade d'église.
(Th. Gautier, VoyageenEspagne, cité par M. Grevisse, éd
de 1975, p924, §870)
En contexte on ne s'attendait pas à l'actualisation de pi,
171
on n'avait pas de raisons de s'y attendre, au contraire on
s'attendait à une autre valeur (p') sur laquelle porte la
négation. C'est très clairement ce que dit Th. Gautier que l'on
pourrait gloser: "on s'imagine normalement que la "Puertadel Sol"
est une porte (p' valeur attendue) comme son nom l'indique mais
en réalité ce n'est pas une porte. Mais quelle est la raison de
ce changement?
A. p est construit a posteriori
Les deux termes X et Y appartiennent à la même classe
d'occurrences. On trouvera toujours une relation notionnelle
entre les deux termes. Dans le (4) l'"orage" et le "cyclone" sont
des occurrences de 'ce qui est possible en météorologie' et dans
le suivant, la "porte" et la "façade" sont des occurrences de 'ce
qu'on peut trouver à l'avant d'un bâtiment'. Mais cette classe
d'occurrences n'existe pas a priori, on s'attend à p' et ce qui
est actualisé pi ne vérifie pas p'. C'est donc rétrospectivement
qu'on est amené à revenir à ce qui était validable (soit p,p') la
classe d'occurrences qui vérifie la propriété P. Ces exemples
vérifient donc le critère 3 ("Le terme de référence est construit
a posteriori").
So s'attendait à p' et non à p. Du coup So ne saurait
confirmer p sans nier (ce qu'il fait d'ailleurs nécessairement)
le choix préalable de p'. Comment peut-on décrire la construction
de p'?
172
B. La construction de p'
Dans l'exemple de "La Puertadel sol", Th. Gautier fait
remarquer que "ce n'est pas une porte
commeonpourraitsel'imaginer...". Il s'agit bien d'une première
construction mais qui n'est rapportable ni à So ni à So'. Il
s'agit d'une construction d'origine contextuelle qui échappe au
champ intersubjectif et que pourtant So tenait pour
incontestable. Nous nommerons, à la suite de S. De Vogüé (1985,
p274) cette forme de construction une "pré-assertion" qu'elle
décrit de la manière suivante: "sauf cas particulier où p est en
fait la reprise d'une assertion préalable, (on peut) admettre
qu'un valideur puisse avoir pour référent la simple réalité.
(...) Il n'est du coup pas du tout inconcevable qu'un valideur
soit construit qui serve de garant de ce que l'on appelle la
réalité; (...)". On vérifiera aussi, dans l'exemple suivant, le
statut assertif particulier de p':
Morale de cette histoire: les Allemands ont retrouvé
des héros auxquels ils peuvent s'identifier. Ce ne sont
pas les détenus des camps de la mort mais bien les
soldats de la Wehrmacht, toutes unités confondues, qui
ont opposé une résistance héroïque à la terrifiante
marée de l'Armée rouge. (F. Schlosser, "Hitler en
appel" in LeNouvelObservateur, n°1153 du 12/12/86 p81)
Il ne serait pas incongru d'ajouter après "les détenus des camps
de la mort" la remarque de Th. Gautier "comme on pourrait se
l'imaginer", la suite ayant un caractère clairement paradoxal.
173
Reprenons les différentes étapes de la mise en place de la
valeur. p' fait l'objet d'une pré-assertion, p est actualisé à
travers une occurrence situationnelle pi. So est amené de ce fait
à se placer en hors(p,p'), situation à partir de laquelle il est
à même de calculer le rapport de pi aux valeurs p,p'.
L'identification qui suit le parcours des valeurs p,p' prend
toujours le caractère d'une évidence ou d'un état de fait que So
n'a pas besoin de justifier. Le "confirmatif.t" est une valeur de
constat.
On peut revenir à des exemples de "confirmatif" en modifiant
le statut énonciatif de p et p'.
5.3.2.2. Le passage au "confirmatif"
Nous allons le voir sur les exemples précédents:
(4a) Tu n'avais pas tort, pourtant ce n'est pas un orage
mais bien un cyclone qui s'est abattu sur nous.
Avec le marqueur concessif au début de l'énoncé p' ne peut plus
apparaître comme incontestable pour So, c'est au contraire p qui
apparaît comme la bonne valeur du point de vue de l'énonciateur.
Une modification de ce type est possible sur les deux autres
exemples:
Tu vois la "Puertadel Sol" n'est pas une porte, mais
174
bien une façade d'église.
Tu n'avais pas tort: les Allemands ont retrouvé des
héros auxquels ils peuvent s'identifier. Mais il ne
s'agit pas des détenus des camps de la mort; ce sont
bien les soldats de la Wehrmacht, toutes unités
confondues, qui ont opposé une résistance héroïque à la
terrifiante marée de l'Armée rouge.
On constate, comme nous l'avions déjà vu pour les valeurs de
valuation, que l'opposition "subjectif" vs "temporel" permet de
clarifier à peu de frais le passage d'une valeur à une autre.
Nous conclurons donc sur ces exemples comme pour ceux qui ont
précédé.
En résumé
La valeur de "confirmatif.t" est une valeur de "validation"
qui se caractérise par la primauté de la construction temporelle
sur la construction du terme de référence. On la définira à
partir des deux critères suivants:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
C.4. L'altérité est de type I/E.
175
NOTES DU CHAPITRE V
(1): La classification des adverbes par M. Grevisse (éd de 1975)
repose sur des critères sémantiques, "adverbes de manière (p876),
de quantité (p883), de temps (p911), de lieu (p919),
d'affirmation (p922), de négation (p926), de doute (p953)". Si on
accepte cette classification, et après tout pourquoi pas, on ne
comprend pas pourquoi bien apparaît seulement comme "adverbe de
manière" (p875 et p876), "adverbe d'opinion" (p875), "adverbe de
quantité ou d'intensité" (p875, p883 et p890), "adverbe
d'affirmation" (p922), mais n'apparaît pas comme "adverbe de
négation" ou "adverbe de doute" pour un emploi comme "Ah, c'est
bien le moment!".
(2): Les dictionnaires donnent un autre exemple à valeur
"ironique", il s'agit de "C'est bien fait (pour toi)!". La portée
pragmatique de cet énoncé tient, à notre avis, au fait qu'il
s'agit tout à la fois d'un "confirmatif".t" et d'un "confirmatif"
(ordinaire). Nous ne connaissons pas d'autre exemple autorisant
cette ambiguïté.
L'emploi de cette expression signifie: "Ce qui devait
t'arriver et auquel tu ne t'attendais pas vient de se produire".
Il faut considérer deux points:
-d'une part, il s'agit d'une construction temporelle, "ce qui
vient de se produire" (pi) n'était pas prévu, surtout si on se
place du point de vue de So'.
-d'autre part, le mouvement rétrospectif qui va de pi à la
construction de p,p' débouche sur le rappel d'une première
localisation de p à travers une relation avec ce que So considère
comme une faute justifiant "ce qui devait se produire".
L'occurrence pi est donc identifiable avec ce qu'on peut
considérer comme une valeur préconstruite, du moins d'un point de
vue que So pose comme "objectif": "ce qui devait t'arriver...".
(3): So' construit ce que J-J Franckel (1986, p53) appelle une
relation "anti-téléonomique". A propos d'un exemple comme "Il a
réussi à me casser toute ma vaisselle" il écrit: "Dans le cas où
la "réussite" sanctionne une mauvaise valeur, le validable est
construit retrospectivement , à partir de I validé. (..) On a
bienconformitéentreconstruction de I validable et I localisé,
mais cette conformité n'est pas liée à une intentionnalité du
fait qu'elle ne renvoie pas à une "bonne valeur". Le validable se
construit rétrospectivement, à partir de P validé, et non
prospectivement. Il relève d'une intention maligne (de la part du
sujet de l'énoncé), de l'ironie (de la part du sujet
énonciateur), de la fatalité. Dans ce type de cas, il y a une
176
distorsion entre ce qui est construit sur le plan de t et ce qui
correspond à une bonne valeur pour So (pour nous ici So'). Cette
distorsion fonde ce que l'on pourrait appeler une anti-
téléonomie".
(4): E. Benveniste (1966, T1, p244) écrit à propos du passé-
composé (valeur d'accompli): "Le parfait établit un lien vivant
entre l'événement passé et le présent où son évocation trouve
place. C'est le temps de celui qui relate les faits en témoin, en
participant; c'est donc aussi le temps que choisira quiconque
veut faire retentir jusqu'à nous l'événement rapporté et le
rattacher à notre présent. Comme le présent, le parfait
appartient au système linguistique du discours, car le repère
temporel du parfait est le moment du discours, alors que le
repère temporel de l'aoriste est le moment de l'événement (c'est
nous qui soulignons)". Du fait de ce repérage à Sito, le parfait
(valeur d'accompli du passé-composé) sera plus adapté au
"confirmatif.t" que l'aoriste.
177
CHAPITRE VI
LA "PROPHETIE" ET LA "SOLLICITATION"
6.1. Identification des valeurs
Les valeurs de "prophétie" et de "sollicitation"
correspondent aux emplois de bien dans des énoncés comme:
(1) Ne t'en fais pas, il partira bien un jour.
(2) Vous entrerez bien cinq minutes!
La valeur de "prophétie" s'accompagne toujours de l'idée de
certitude tandis que la "sollicitation" s'interprète généralement
comme une "invite pressante" pour reprendre les termes d'A.
Culioli (1978) (1). Nous essaierons de montrer pourquoi. Mais
voyons d'abord si l'on peut trouver quelque soutien dans la
lecture de nos ouvrages de référence.
6.1.1. Critères sémantiques
Les dictionnaires ne nous aideront pas beaucoup. P. Dupré
(1972), J. Girodet (1986), E. Littré (éd de 1963) et P. Robert
(1966) ne donnent aucun exemple de ces valeurs. Le Dictionnaire
178
de l'Académie (éd de 1877) donne un exemple de "prophétie": "Nous
verrons bien" avec le même commentaire que celui qui accompagne
les exemples de "confirmatif": "bien s'emploie souvent par
redondance pour donner plus de force à ce qu'on dit. Le
commentaire est peu convaincant: d'une part bien n'est pas
vraiment redondant dans "Nous verrons bien" et d'autre part la
présence de bien ne nous semble pas "donner plus de force" à
l'énoncé, au contraire; sans bien, "Nous verrons" est nettement
plus assertif.
L'absence de ces deux valeurs qui s'inscrivent toujours dans
des contextes dialogiques et donc dans l'ordre oral s'explique,
encore une fois, par les critères retenus pour la sélection des
exemples, dans les dictionnaires classiques.
6.1.2. Critères grammaticaux
R.L. Wagner et J. Pinchon (1962), J-C Chevalier et alii (1964) et
M. Grevisse (éd de 1975) ne donnent aucun exemple de ces deux
valeurs. S'agit-il d'un oubli? Il est probable que non.
Grammaticalement, bien est un "adverbe d'opinion" (ou
"d'affirmation") comme dans un "confirmatif". La "sollicitation"
et la "prophétie" ne seraient-elles que des variantes
notionnelles du "confirmatif"? Non. On peut passer d'une valeur à
l'autre dans le même environnement syntaxique et notionnel. A
partir de l'exemple: "Tu partiras bien cinq minutes", il est
possible d'obtenir:
179
-une "sollicitation": "Tu partiras bien cinq minutes,
j'ai besoin de lui parler."
-une "prophétie": "Je n'ai pas en m'en faire, à un moment ou
à un autre, tu partiras bien cinq minu-
tes, et alors là..."
-une "confirmation": "Tout est arrangé, tu partiras bien
cinq minutes".
Pour l'expliquer, on évoquera nécessairement des variations
contextuelles. Il ne nous reste plus qu'à les définir, c'est
finalement l'objet de ce chapitre.
6.1.3. Critères syntaxiques
On peut avoir un "confirmatif" au passé mais ni la
"sollicitation" ni la "prophétie". Qu'est-ce donc qui est
caractéristique du futur et qui est "exploité" dans ces deux
valeurs? On peut dire qu'avec le futur on quitte le domaine du
factuel. Avec le futur, nous sommes maintenant dans le domaine du
validable (sur le "validable" voir § 6.3.). De quoi s'agit-il?
6.1.3.1. Le futur implique une visée à partir de Sito
Une fois encore nous nous appuierons sur une caractérisation
d'A. Culioli (1978, p310); il écrit: le futur "implique une
visée. On entend par là que du repère énonciatif, Sito, on vise
une relation prédicative non encore validée <r>. (...) dire que
180
l'on vise <r> signifie que l'énonciateur distingue une des
valeurs de (p,p'), p pour fixer les idées (...). Nous noterons la
visée (p/p'), où la barre oblique marque que la visée de p dans
(p/p') n'entraîne pas nécessairement la réalisation de p. On est
donc d'un point de vue modal, dans le non-certain puisque le
certain se caractérise par une probabilité 1: il s'ensuit que,
seuls le révolu ou l'actuel sont du certain".
La "visée" doit être comprise essentiellement comme une
opération de construction. La visée est ce qui fait "exister" p
sans que pour autant p soit validé. A. Culioli précise: "Le futur
est un aoristique. De façon schématique cela signifie qu'il y a
rupture entre l'énonciation de la visée (en Sito) et sa
validation visée par le biais de l'énoncé (idem, p310)". Nous
définirons le validable comme un plan (ici construit par la
visée) dans lequel p ET p' peuvent coexister en un même point. On
voit l'intérêt de cette propriété pour la "prophétie" et la
"sollicitation". Je peux toujours "prophétiser" la validation
future de p, sans pour autant prendre l'énoncé en charge
(l'asserter) puisque d'un autre côté p' reste validable. Je peux
toujours "solliciter" mon interlocuteur sans qu'il s'agisse d'une
injonction puisque j'envisage un refus de sa part comme possible
(dans une injonction à l'impératif, je n'envisage qu'une seule
attitude de la part de mon interlocuteur).
Le futur serait-il une condition suffisante? Malheureusement
non. Les exemples suivants ne sont guère acceptables, ils sont
181
pourtant au futur:
* Je serai bien Chateaubriand ou rien.
(la version d'origine de ce "mot" est
attribuée à V. Hugo)
? Je vous demanderai bien une grande attention.
La visée est une opération de construction qui consiste à
poser p privilégié par rapport à p', mais rien de plus. Le
"privilège" est variable, et selon les contextes, le rapport de p
à p' ne sera pas le même. C'est ce que nous allons voir en
essayant de déterminer le type de relation qui est associé aux
valeurs de "prophétie" et de "sollicitation".
6.1.3.2. Le type de relation au futur
Selon J-J. Franckel (1981a, p114) (2), "le futur correspond
à une relation de type entre autresconstruit: le futur introduit
intrinsèquement et de façon synthétique la construction du
domaine de la sélection p,p'." C'est vrai a priori, mais il est
possible de passer, au futur, à d'autres types de relation
incompatibles avec bien. Pour définir ces différentes relations
nous nous appuierons sur les travaux de D. Paillard (1984) (3).
A. La relation est de type "nécessaire exclusif"
D. Paillard définit une relation de type "nécessaire" comme
"renvoyant à une valeur unique" (p134). On peut la spécifier
182
comme étant du "nécessaire exclusif" lorsqu'une autre (ou
d'autres) valeur a été envisagée et exclue. On trouve ce type de
relation dans les exemples suivants:
Je serai Chateaubriand ourien.
Quevousnesoyezpasd'accordn'apasd'importance, je
partirai demain.
So': Je crois que Paul devrait plutôt essayer l'Asie...
So : Cequetucrois,jem'enmoque, Paul partira pour l'Afrique.
NB: on a souligné les termes qui évoquent la prise en compte
et l'exclusion de p'):
On sait que les opérations dont bien est la trace supposent
la présence d'au moins deux valeurs. Il n'est donc pas compatible
avec le "nécessaire exclusif" qui met en place une seule et
unique valeur.
B. La relation est de type "nécessaire faible"
Une relation est de type "nécessaire faible" lorsqu'elle
renvoie à une seule valeur simplement parce qu'on n'en a pas
envisagé d'autres ou encore parce qu'on a envisagé "de l'autre"
mais sans pouvoir le stabiliser comme tel. On peut trouver cette
relation dans des exemples comme:
So': Et pour Dupont, chef?
So : Dupont mourra.
Et au printemps les hirondelles reviendront et avec
elles la fonte des neiges et nous pourrons sortir à
nouveau.
183
C'est décidé, ils me l'ont dit, je partirai demain.
(en contexte de "voyance:) Le matin, vous rencontrerez
un homme brun...
Avec le "nécessaire faible" on ne construit explicitement qu'une
seule valeur; les énoncés sont peu compatibles avec bien. Ou
alors, il faut construire contextuellement la prise en compte de
p' comme nous allons le voir avec des exemples de type "entre
autres".
C. La relation est de type "entre autres"
So': Et pour Dupont, chef, ça va durer longtemps?
So : Dupont mourra un jour.
Ne t'inquiète pas, au printemps les hirondelles
reviendront et avec elles la fonte des neiges et nous
pourrons sortir à nouveau.
C'est décidé, ils me l'ont dit, contrairement à ce que
tu disais, je partirai demain.
(contexte: agence matrimoniale:) Ecoutez, nous n'avons
pas de blond, mais vous rencontrerez un homme brun...
La prise en compte de p' qui est à l'origine de l'"entre autres"
a rendu tous ces exemples acceptables (4). Le futur construit a
priori de l'"entre-autres"; on ne sera donc pas surpris de voir
que la "sollicitation" de même que la "prophétie" apparaissent au
futur. Encore que ce soit de manières différentes c'est ce que
nous allons montrer.
184
6.2. Caractérisation des valeurs
Le futur implique une visée à partir de Sito. La visée
signifie que sur le domaine p,p' on privilégie une valeur p,
l'autre valeur p' restant validable. On nommera valideur ce qui
nous fait passer de p,p' à p. L'insertion de bien dans un énoncé
au futur permet d'envisager la validation de p de deux manières
différentes: 1) à partir d'un valideur temporel (T), comme dans
l'exemple: "Il arrivera bien un jour", 2) à partir d'un valideur
subjectif (S), comme dans l'exemple: "Tu prendras bien quelque
chose?". Ces deux formes de validation donnent lieu aux deux
valeurs que nous étudions ici: la "sollicitation" (pôle S) et la
"prophétie" (pôle T).
6.2.1. La "prophétie"
Ne t'en fais pas, il mangera un jour.
Ne t'en fais pas, il mangera bien un jour.
Le passage du premier énoncé au deuxième dans lequel le
futur se combine avec bien se marque sur le plan sémantique par
l'apparition d'une connotation particulière: l'évidence de la
validation à venir. Cette connotation est liée à la
caractéristique "temporelle" de la "prophétie".
La valeur de "prophétie" apparaît dans des contextes où So'
attendait p <lui / manger> et où de son point de vue pour une
185
occurrence pi de P on se trouve en hors(p,p'). On en trouve la
trace (p attendu et non validé) dans les amorces des exemples
comme "Ne t'en fais pas...", "Ne t'inquiète pas..." etc... A
partir de là, So reconstruit le domaine du validable pour pi. Et
il montre que si on prend comme valideur un instant ti (sans
autre propriété que d'appartenir à la classe des t) pi ne se
ramène pas à p' mais à p .
Notre raisonnement tend à montrer que la "prophétie" est une
"valeur temporelle". Comment cela? Nous avons montré qu'en Sito p
n'était pas validé. Nous sommes en hors(p,p'), mais So peut fort
bien affirmer qu'il existe toujours un t de validation qui nous
fera passer de p,p' à p. Il suffit d'attendre assez longtemps ou,
plus linguistiquement, il suffit de dire que cet instant est dans
une relation de rupture par rapport à Sito. Notre raisonnement
n'est fondé que si cet instant est non spécifié (voir § 6.2.1.2).
6.2.1.1. ti est la seule différence entre p' et p
L'occurrence de P validée (telle qu'elle est construite par
la "prophétie") ne saurait avoir d'autre singularité que celle de
son existence (par rapport à d'autres occurrences de p validé). A
l'appui de cette affirmation on notera que si on introduit des
déterminations sur le procès, dans une "prophétie", il faut que
ces déterminations apparaissent comme le maintien des propriétés
présentes en Sito plutôt que comme des spécifications de
l'occurrence à venir:
186
(a)+ Laisse-le, il s'habillera bien tout seul (sans l'aide
que tu veux lui apporter).
(b)? Laisse-le, il s'habillera bien avec son frère (sans
l'aide que tu veux lui apporter).
Si on accepte (b) comme une "prophétie" (pour nous (a) est
relativement meilleur que (b)), il faut considérer que "son
frère" est déjà présent au moment où on parle, et donc qu'il
s'agit d'une détermination qui ne saurait distinguer pi sur le
plan qualitatif. Vérifions cela sur un autre exemple:
(c) Ne t'inquiète pas pour lui, il y arrivera bien avec sa
voiture (c'est-à-dire comme il est au moment où on
parle).
Nous sommes à même d'observer ici une constante des "valeurs
temporelles". Comme le terme de référence est construit a
posteriori à partir de l'occurrence pi, le calcul de l'altérité
de pi se constitue d'emblée comme une recherche d'altérité, et
non pas comme la prise en compte d'une altérité déjà constituée,
c'est ce qu'on a pu nommer une altérité par défaut. Cela signifie
que la "prophétie" vérifie le troisième critère:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
Une conséquence directe de cette règle s'applique à la
classe des t.
187
6.2.1.2. Par rapport aux autres instants, ti n'a d'autre
singularité que celle d'être l'instant de validation de p
Toute spécification de l'instant de validation entraînerait
automatiquement une variation qualitative de pi par rapport à p',
or nous avons vu qu'elle était impossible. C'est la raison pour
laquelle la détermination temporelle dans les énoncés est
généralement indéfinie ou même absente. Soit l'exemple: "Nous
verrons bien". On l'interprètera ainsi: "Le moment où il nous
faudra voir est le moment où nous verrons quelque chose (la
spécificité du t de validation de 'voir' est d'être le t de
validation de 'voir').
La (règle de la) non spécificité du t de validation de p
nous permet d'expliquer une contrainte assez particulière et qui
a été négligée par A. Culioli (1978). Si on spécifie le valideur
du procès dans une "prophétie" alors l'instant ti n'est plus
l'instant de validation mais le dernier t d'une zone de t qui
sont tous susceptibles de valider p. Ainsi dans les exemples
suivants:
On arrivera bien le 26.
On mangera bien à 14 heures.
La spécification revient à la limiter contextuellement la classe
des t sans pour autant modifier le fonctionnement général de la
valeur. La non spécificité du t de validation nous permet
188
d'expliquer aussi pourquoi on ne peut pas avoir de "prophétie" au
présent. Le présent donne lieu, entre autres valeurs, à deux
valeurs modales dites "prospective" et "injonctive" (cf D.
Paillard, 1988, p105) (5). C'est la première qui nous intéresse
ici. Prenons les exemples donnés par D. Paillard:
Je suis à vous dans deux minutes.
Je pars dans deux minutes.
Je travaille demain.
Je suis chez Paul demain.
On constate que le t de validation envisagé n'est pas un instant
quelconque de la classe des t. Pour qu'une "prophétie" soit
possible, il faudrait qu'on puisse considérer cet instant comme
la limite d'une classe de t commençant en To. Dans chacun des
exemples considérés, l'instant de validation se trouve dans une
relation de (simple) différence par rapport à To, il ne peut pas
y avoir d'autres instants possibles entre cet instant et Sito, la
valeur de "prophétie" est donc impossible au présent.
6.2.2. La "sollicitation"
Nous allons d'abord voir comment se fait le passage d'un
valideur à un autre sur un énoncé ambigu:
(a) Tu achèteras bien quelque chose! (exemple inspiré d'un
exemple d'A. Culioli 1978, p311)
Il suffit de construire le rapport intersubjectif:
189
(b) Tu m'achèteras bien quelque chose!
pour qu'en (b) l'énoncé soit principalement interprétable comme
une "sollicitation". Bien sûr, la valeur de prophétie est
toujours récupérable, comme dans l'exemple (c):
(c) Tu m'achèteras bien quelque chose demain!
Sur le plan intonatif, en (c), on a tendance dans le cas de la
"sollicitation" à faire une pause avant demain. La pause avant
demain correspond au schéma montant (jusqu'à demain) / descendant
(sur demain) d'une question dans laquelle demain à un rôle
thématique; on met l'accent sur la désignation du valideur So'.
Au contraire, dans le cas de la "prophétie" l'énoncé (c) sera
prononcé sans pause jusqu'à la fin car l'accent porte sur demain.
Demain est le valideur désigné de la relation, il ne peut pas,
dans ce cas, avoir un rôle thématique dans l'énoncé.
6.2.2.1. So' est le valideur désigné de p
Comme on le voit la différence (la plus apparente) entre
"prophétie" et "sollicitation" repose sur la différence de nature
des valideurs envisagés (S et T). Cette caractéristique de la
"sollicitation" permet d'expliquer les contraintes qui pèsent sur
l'interprétation des énoncés suivants et que nous avons résumées
dans le tableau ci-dessous:
190
(a) La voiture s'arrêtera bien pour prendre de l'essence.
(b) Tu prendras bien une bière?
(c) Toi, tu prendras bien une bière?
(d) Et toi, tu prendras bien une bière?
.--------------------------------------------------------.
!(a) La voiture s'arrêtera bien pour.. ! + PROPHETIE !
! ! * SOLLICITATION !
!--------------------------------------------------------!
!(b) Tu prendras bien une bière. ! ? PROPHETIE !
! ! + SOLLICITATION !
!--------------------------------------------------------!
!(c) Toi, tu prendras bien une bière. !*+ PROPHETIE !
! !+* SOLLICITATION !
!--------------------------------------------------------!
!(d) Et toi, tu prendras bien une bière! * PROPHETIE !
! ! + SOLLICITATION !
'--------------------------------------------------------'
NB:Dans le (c), les signes * et + sont couplés: les deux
valeurs sont possibles mais elles sont exclusives l'une de
l'autre. Nous nommons sujet énonciatif (S) une instance à
laquelle on peut attribuer la prise en charge des
déterminations qualitatives dans un énoncé (6).
-Dans le premier énoncé on ne peut pas considérer "la voiture"
comme un sujet énonciatif c'est la raison pour laquelle la
"sollicitation" est impossible.
-Dans le deuxième la "prophétie" est possible mais peu probable,
tu renvoie à So' qui est le valideur normal de p, il s'agit donc
a priori d'une "sollicitation".
-Dans le troisième énoncé, les deux interprétations sont
possibles mais exclusives l'une de l'autre. Soit la reprise Toi,
tu a pour conséquence que le passage de p' à p ('ne pas boire' à
'boire') ne passe plus par un choix du sujet mais par la
construction contextuelle d'une relation inférentielle entre
191
l'occurrence Toi et le procès p. Il s'agit alors de "prophétie".
Soit, comme dans le quatrième énoncé, Toi s'inscrit dans une
suite d'interpellations et il s'agit d'une "sollicitation".
-Dans le quatrième énoncé, l'adjonction de Et (toi) inscrit
l'énoncé dans une série de demandes. Elle "découple" ainsi les
termes Toi, tu ce qui a pour effet de rendre son autonomie au
sujet énonciatif et de permettre la valeur de "sollicitation."
Pour résumer nos observations nous allons distinguer, les
deux étapes du fonctionnement de la valeur.
1) So construit p, terme de référence, comme valeur "à valider",
à travers la visée à partir de Sito, p peut s'écrire <toi /
procès> est "à valider". La première étape inscrit la
"sollicitation" dans le domaine du validable. Cela exclut, par
exemple, l'emploi de temps du passé.
2) So demande ensuite à So' si <toi / procès> (soit pi) se ramène
pour lui à p (est "à valider") ou à p' (n'est pas "à valider").
La deuxième étape inscrit la "sollicitation" dans le champ
intersubjectif. La question de So n'est pas une question ouverte,
So demande à So' de confirmer que pi se ramène à p qu'il désigne
à So' comme la "bonne valeur" à valider.
Iln'yade"sollicitation"queparcequeletermederéférenceestpremier.Et
c'estparcequ'ilestpremierqu'onpeutdemanderàSo'desesituerparrappor
tàlui.
Le premier critère permet d'opposer nettement la "sollicitation"
192
à la "prophétie".
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
Il reste à savoir pourquoi la première personne est
impossible dans la "sollicitation", même en imaginant un cas de
dialogue intérieur.
6.2.2.2. So' est le seul valideur possible de p
Peut-on envisager une "sollicitation" à la première ou à la
troisième personne? Soit l'exemple suivant:
? Je prendrai bien une bière.
NB: Il ne serait pas bizarre au conditionnel,
voir au chapitre suivant.
1) Reprenons les étapes du fonctionnement de cette valeur et
essayons de les appliquer à cet énoncé bizarre. So construit p à
travers une visée à partir de Sito, ici ce serait <moi / prendre
une bière> est "à valider". Dans un deuxième temps il se demande
si p est pour lui une bonne valeur tout en se donnant la réponse!
On aurait quelque chose qui pourrait se gloser ainsi: ? "Etant
donné que pour moi <moi / prendre une bière> est "à valider", je
me demande ce que je confirme, à savoir que pour moi <moi /
prendre une bière> est "à valider". On verra au paragraphe
suivant (§ 6.2.3) que si on rétablit une source d'altérité, on
193
peut rendre l'énoncé accceptable mais qu'alors on change de va-
leur. L'énoncé qui nous occupe manque de naturel parce que le
terme de référence p et l'occurrence pi ont la même origine (So)
et le même statut ("à valider" pour So).
Onpeutdoncdirequedansla"sollicitation",c'estlaprimautédutermederé
férence (cequirevientàattribuersonorigineàSo)
quibloquel'emploidelapremièrepersonne.
2) La "sollicitation" n'apparaît qu'en contexte dialogique à
la deuxième personne ou naturellement dans des emplois
hypocoristiques de la troisième personne. Dans tous les cas, le
pronom sujet renvoie au coénonciateur So':
Tu prendras bien quelque chose?
On prendra bien un petit bonbon?
6.2.3. Comparaison avec les autres valeurs
Le futur autorise d'autres valeurs parmi lesquelles
l'"appréciatif", le "confirmatif" et le "confirmatif.t".
6.2.3.1. Comparaison avec l'"appréciatif"
Il mangera bien quand il sera grand, pour l'instant ce
que je veux c'est qu'il mange.
La question est ici celle de la valuation du procès
'manger'. Mais quand je demande "Vous entrerez bien cinq
194
minutes?", je veux savoir si mon interlocuteur est susceptible
d'être le valideur du procès 'entrer'. De même que lorsque je
dis: "Ne t'en fais pas, il mangera bien un jour", je dis que quoi
qu'il arrive, il arrivera un moment où on passera de 'ne pas
manger' à 'manger'. La "sollicitation" et la "prophétie"
vérifient le critère 4:
C.4. L'altérité est de type I/E
Nous les rangeons dans les valeurs de validation aux côtés
des valeurs de confirmation dont elles sont pourtant distinctes
comme nous allons le voir. Reprenons notre exemple bizarre (? "Je
prendrai bien une bière."), mais cette fois, essayons de le
rendre acceptable. Pour cela, il faut introduire une forme
d'altérité entre les deux constructions (p et pi). On passera
alors à une autre valeur.
6.2.3.2. Comparaison avec le "confirmatif"
So': Tu es sûr, ce sera une bière?
So : Oui, je prendrai bien une bière.
Le terme de référence a été préconstruit et localisé par
rapport à un repère situationnel antérieur à Sito. La question de
So' correspond à une hésitation entre <So / prendre une bière>
et, par exemple, <So / prendre autre chose>. La réponse de So
vient confirmer le terme préconstruit <So / prendre une bière>
195
comme étant la bonne valeur pour lui. On débouche sur un
"confirmatif". Ce simple exemple nous oblige à souligner un point
demeuré dans l'ombre jusqu'ici.
Letermederéférencedesvaleursdeconfirmationestlocalisésur le plan
factuel
tandisqu'ilnel'estpasavecla"sollicitation"etla"prophétie". On
conçoit que ces valeurs apparaissent plutôt au futur. En même
temps on peut dire qu'au futur un "confirmatif" est un peu
paradoxal, nous y reviendrons plus loin (§ 6.3.2.).
Il est possible de formuler deux nouveaux critères relatifs
à la localisation du terme de référence. Pour les "valeurs de
confirmation", ce sera:
C.5. Le terme de référence est construit sur
le plan factuel.
Pour les valeurs qui nous occupent dans ce chapitre et qu'on peut
désigner dès lors comme des "valeurs du validable" (par
opposition aux "valeurs de confirmation") ce sera:
C.6. Le terme de référence est construit sur
le plan du validable.
6.2.3.3. Comparaison avec le "confirmatif.t"
Si, entre 'ne pas prendre de bière' en Sito et 'prendre une
196
bière' il n'existe que la différence d'un t de validation (à
venir), nous retrouvons la valeur de "prophétie": "Je me connais,
j'ai beau ne pas le souhaiter, à un moment donné ou à un autre je
prendrai bien une bière...". Il suffit alors de localiser le
terme de référence (passer du critère 6 au critère 5) pour
obtenir la valeur temporelle correspondante en l'occurrence un
"confirmatif.t". Le plus simple étant d'inscrire l'énoncé dans un
contexte polémique comme le suivant:
Je prendrai bien une bière, moi! Tu peux bien prendre
quelque chose non?
En cours de route nous avons dégagé un certain nombre de
caractéristiques des valeurs de "sollicitation" et de
"prophétie". Celles qui nous intéressent le plus, comme la
"visée" ou la non localisation du terme de référence sont liées
aux propriétés particulières du plan du validable.
6.3. Les plans du "factuel" et du "validable"
A détailler l'ordonnancement des opérations pour chacune des
valeurs de bien, on en oublie de spécifier les termes sur
lesquels on travaille. Lorsqu'il s'agit de validation, la
distinction principale est de nature aspectuelle, elle oppose le
plan du factuel ("confirmatif" et "confirmatif.t") au plan du
validable ("sollicitation" et "prophétie"...et autres valeurs à
197
venir).
6.3.1. Le factuel
Sur le plan factuel, quand on travaille sur deux valeurs, la
sélection de l'une entraîne l'exclusion de l'autre (en français
courant: "c'est ça ou c'est pas ça mais c'est pas les deux à la
fois"). Cette propriété, fondamentale puisqu'elle distingue deux
groupes de valeurs de bien tient à une propriété de la classe des
t (sur ce plan): "unins-
tanttlocaliseaprioriuneseuleoccurrencedeprocès" (ou alors les
procès ont lieu en même temps, mais cela ne se fait pas "comme
ça", la concomitance laisse des traces). Les occurrences sur
lesquelles on travaille sur le plan du factuel sont soumises à la
"règle" qu'on vient de donner. Si on sélectionne p (pour un
instant t) alors p' est exclu (pour le même instant). Au
contraire lorsque les occurrences sont "en attente d'une
localisation", c'est-à-dire qu'elles ne sont pas repérées de
manière stable par rapport à Sito, on passe sur le plan du
validable.
6.3.2. Le validable
Sur le plan du validable, la classe des t (telle qu'elle est
toujours concevable) possède une autre propriété qui est que
"uninstanttlocaliseapriorideuxoccurrencesdeprocès". Lorsqu'on
travaille sur deux valeurs et qu'on en sélectionne une l'autre
198
n'est pas pour autant exclue, elle reste éventuellement
validable. On peut par exemple dire: "Il arrivera demain ou pas"
tandis qu'il n'est pas possible de dire: "Il est arrivé hier ou
pas" (sans qu'il s'agisse d'une question). La construction d'une
occurrence sur ce plan passera nécessairement par une visée au
sens où nous l'avons définie (viser c'est privilégier une valeur
sur le validable).
L'opposition "factuel" / "validable" nous permet de rendre
compte d'une contrainte que nous avons déjà évoquée. De quoi
s'agit-il? Pour avoir un "confirmatif" au futur il est nécessaire
que le terme de référence fasse l'objet d'une assertion ainsi que
l'avait noté A. Culioli (1978, p313, n1): "bien confirmatif fait
difficulté quand on opère sur la classe des possibles et est
acceptable quand il y a assertion d'une seule valeur". Revenons
sur le paradoxe que constitue un "confirmatif" au futur. Cette
valeur repose sur l'existence d'un préconstruit localisé.
Localisé signifie repéré par un instant t qui ne repère que ce
terme. Au contraire, au futur, la construction d'un terme à
travers une visée n'exclut pas que d'autres termes soient
possibles. Pour que le "confirmatif" soit acceptable au futur, il
est nécessaire de ne retenir qu'une seule valeur. On ne peut pas
s'attendre à ce que ce terme préconstruit soit localisé comme sur
le plan factuel (une occurrence pour un t) et il faut pourtant
écarter p' du champ du validable. Seule une instance subjective
est à même de le faire. L'opération qui consiste pour un sujet à
prendre en charge la validation d'une occurrence, et une seule,
199
c'est l'assertion. Notre règle générale (C.5) ne s'en trouve pas
modifiée pour autant, la localisation du terme de référence
prend, ici (sur le plan du validable), la forme particulière
d'une identification par So.
6.3.3. Deux manières de concevoir le validable
Sur le plan du validable, il est possible de distinguer deux
manières de concevoir p:
1) p est attendu, il fait l'objet d'une visée à partir de Sito, p
est conçu comme "à valider". "Entrez donc, il fait un froid de
canard sur ce palier".
2) p est conçu comme pouvant survenir: "Il peut pleuvoir, c'est
tout ce qu'on peut dire".
A ces deux manières de concevoir p comme validable
correspondent deux groupes de valeurs de bien. Avec les valeurs
de "prophétie" et de "sollicitation", p est conçu comme "à
valider". Il fait l'objet d'une visée à partir de Sito et il ne
s'agit donc pas de ce qui peut advenir (le "pouvant être
validé") mais de ce qui est attendu (le "à valider"). Les valeurs
qui nous intéresseront au chapitre suivant appartiennent au
deuxième groupe (le "pouvant être validé"). Mais avant d'en
arriver là rappelons brièvement les résultats de notre analyse.
200
En résumé
La "sollicitation" vérifie les critères suivants:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
C.4. L'altérité est de type I/E.
C.6. Le terme de référence est construit sur
le plan du validable.
La "prophétie" vérifie les critères suivants:
C.2. Le terme de référence est construit a posteriori.
C.4. L'altérité est de type I/E.
C.6. Le terme de référence est construit sur
le plan du validable.
201
NOTES DU CHAPITRE VI
(1): Nous empruntons à A. Culioli (1978, p311) les appellations
de "sollicitation" et de "prophétie". Nous lui empruntons aussi
la glose de la "sollicitation" comme une "invite pressante". Il
l'emploie à propos de l'exemple "Vous prendrez bien un petit
quelque chose!" et la justifie de la manière suivante: "On presse
autrui de prendre même le minimum (ajustement au seuil le plus
bas), on le prie de ne pas se faire prier. L'énoncé a une force
conative (je cherche à vous faire prendre) liée au parcours sur
l'ouvert des occurrences possibles de validation de la relation
prédicative associée à la visée (p/p') d'où le sentiment qu'on a
affaire à une invite pressante."
(2): J-J. FRANCKEL., (1981,a), "Modalités et opérations de
détermination", in BULAG n°8, Université de Besançon, pp 108-134.
(3): Dans les chapitres VI et VII nous faisons plusieurs fois
appel à un article de 1984 de D. Paillard sur les différents
types de relation X--Y. Pour plus de renseignements on se
reportera à l'article lui-même: "Mise en évidence du Possible et
du Nécessaire comme détermination d'une relation à travers
l'étude de l'opposition est'/o en russe contemporain", in
Opérationsdedétermination, Vol II, Université de Paris VII, pp
115-142.
(4): La nécessité d'avoir une relation de type "entre autres"
permet d'expliquer la présence de la locution quandmême dans
l'exemple suivant:
Il fera bien un geste en ta faveur... (Quand même! il
peut bien faire cet effort, non?!")
A. Culioli (1978, p311) qui propose cet exemple écrit que la
locution quandmême "est un ajout naturel car il est la trace de
l'opération de parcours" (sur la "classe des probabilités"). Nous
préférons préciser que la locution concessive est la trace de la
prise en compte de p' (ce qui inscrit la relation comme une
relation de type "entre autres") tandis que bien reste la trace
de l'opération de parcours sur la classe des probabilités.
(5): D. PAILLARD., (1988), "Temps, Aspect, types de procès: A
propos du présent simple", in Recherchesnouvellessurlelangage,
Université de Paris VII, pp 92-108.
(6): Dire qu'un sujet possède le trait animé c'est dire qu'il est
202
susceptible d'être à l'origine d'une visée. Dire d'un sujet qu'il
possède le trait "humain" c'est dire qu'il est susceptible de
prendre en charge (asserter) un énoncé. On notera, à l'appui de
cette thèse, que C. Blanche-Benveniste (1978, p15) associe le
trait "+ humain" aux termes qui ont déjà ceux de "+ individuel"
et "+ locuteur", voir "A propos des traits sémantiques utilisés
en syntaxe: critique du trait "+/- humain", in
Lescahiersdelinguistique n°8: "Syntaxe et sémantique du
français", Université du Québec, pp 1-15.
203
CHAPITRE VII
L' "OPTATIF" ET LE "CONCESSIF"
7.1. Identification des valeurs
Nous nommons "optatif" et "concessif" les valeurs
prises par bien dans les énoncés suivants:
(1) S'il y avait du vent, je partirais bien à la voile,
moi. ("optatif")
(2) S'il y avait du vent je partirais bien à la voile, mais
arriverais-je à temps? ("concessif")
L'"optatif" correspond à l'expression d'un souhait. Ce qui
est envisagé possède une connotation positive.
Le "concessif" articule la confirmation d'une proposition
déjà faite à sa remise en cause. On le trouve généralement en
contexte dialogique.
7.1.1. Quelques critères
Voyons ce qu'en disent les auteurs que nous consultons
habituellement (1).
204
7.1.1.1. Critères sémantiques
P. Robert (éd de 1966, p468), E. Littré (éd de 1963, p
1012), de même que J. Girodet (1986, p108). placent sous la même
entrée, "concessif" et "confirmatif" et ils ne donnent aucun
exemple d'"optatif".
7.1.1.2. Critères grammaticaux
M. Grevisse (éd de 1975) en donne un (§739, 4°, p735): "Je
voudrais bien que vous me pussiez dire d'où cela vient". Il écrit
qu'on utilise le conditionnel "pour marquer l'atténuation,
notamment quand l'idée est présentée comme un simple souhait ou
une volonté affaiblie".
R.L. Wagner et J. Pinchon (1962, §447, p371) donnent: "Je
voudrais bien, dit Colomba, que vous en eussiez un semblable"
comme un exemple d'"atténuation polie". Curieusement, dans ces
deux ouvrages, on attribue la nuance "d'atténuation polie" au
seul conditionnel sans justifier d'aucune manière la présence de
bien dans les exemples.
Les grammaires sont donc discrètes sur ces valeurs de bien.
On retiendra cependant que pour certains énoncés, actualisations
de la suite "vouloir (conditionnel) + bien", l'"optatif" peut
être interprété comme une forme d'"atténuation polie".
7.1.1.3. Critères syntaxiques
205
L'"optatif" n'est possible qu'au conditionnel; à d'autres
temps (présent ou futur), l'énoncé manque de naturel, au mieux on
l'interprète comme un "confirmatif":
(cond)+ S'il y avait du vent, je partirais bien cet après-
midi.
(prés)? S'il y a du vent, je pars bien cet après- midi.
(fut)? Il y aura du vent, je partirai bien cet après-
midi.
Mais le "concessif"? Prenons un exemple donné par A. Culioli
(1978, p312):
(cond)+ Lui, il déménagerait bien, mais sa femme ne veut
pas.
(fut)? Lui, il déménagera bien mais sa femme ne voudra
pas.
(prés)? Lui, il déménage bien mais sa femme ne veut pas.
On voit que le futur et le présent permettent de construire
une opposition entre deux faits qui sont sur le même plan. Il
s'agit d'une forme de "confirmatif". Avec le conditionnel on peut
concéder une valeur envisageable sur le plan fictif, tout en
maintenant une autre valeur sur le plan factuel... Et cela ne
peut pas être dit sur un autre mode car seul le conditionnel,
contrairement au présent et au futur, articule ces deux plans. Si
le conditionnel est le mode privilégié de ces deux valeurs, il
nous faut mieux le connaître.
206
7.1.2. Le conditionnel
Notre analyse prend comme point de départ la caractérisation
du conditionnel établie par A. Culioli (1978, p 312): "Le
conditionnel marque la construction, à partir de Sito, d'un
repère origine fictif Sito1, d'où l'on vise une relation
prédicative. De ce repère fictif, on effectue des visées
fictives; ceci signifie que, en construisant Sito1, So pose la
relation prédicative comme validable, sans que cela implique que
cette relation sera nécessairement validée ou (disjonctif) non
validée".
Le terme "visée" signifie que sur p,p' on privilégie une
valeur, p tandis que l'autre, p' reste possible. Au futur par
exemple, la visée sur p,p' a Sito pour origine. Au conditionnel,
la visée est "fictive" parce que son repère est construit hors du
champ intersubjectif (So/So'), ce repère est donc indiscutable et
en même temps dans un rapport indécidable à Sito (rapport noté
*).
7.1.2.1. Présentation générale
Leconditionnelarticuledeuxplans:lefactueletlefictif.
Prenons un exemple:
J'ai envie de partir à Tahiti. Malheureusement je n'ai
207
pas d'argent. Ah, si j'avais de l'argent, je partirais
à Tahiti... tiens, tout de suite, là, sans plus
attendre!
-L'originedescoordonnéessurleplanfactuelestSito:
Le locuteur désire partir à Tahiti, il est en mesure d'envisager
ce départ; par rapport à 'partir' on est en hors(p,p'). Cela
suffit pour que "du" p existe. Nous noterons cette existence pi
(en précisant qu'il s'agit d'une occurrence qualitativement
instable et quantitativement non localisée). Cependant si le
locuteur est à même d'envisager son départ il n'est pas à même de
partir faute de moyens (q 'avoir de l'argent' n'est pas validé en
Sito).
-L'originedescoordonnéessurleplanfictifestSito1:
sur le plan fictif: on construit un repère: Sitq (q repéré par
Sito1), et à partir de Sitq il est possible d'envisager le départ
à Tahiti (p/p') le terme approprié est "visée".
Soit l'approximation suivante:
plan fictif: Sitq-----------------p/p'
!
(*)
!
plan factuel: Sito(q,q')----------------(pi)
NB: La parenthèse en Sito(q,q') correspond au retour à un
premier terme depuis pi. L'impossibilité de constituer ce
terme comme repère de pi en Sito conduit à la mise en place
de Sitq (le statut de q,q' en Sito varie selon les
catégories d'énoncés au conditionnel).
208
Leconditionnelcorrespondàuneopérationcomplexedeconstruction/
qualification (Qnt/Qlt) surleplanfictifd'uneoccurrence (p/p')
dontl'existencepi n'estpasstabi-
liséesurleplanfactuel(parcequ'onnedisposepasenSitod'untermeqquipu
isseluiservirderepère).
7.1.2.2. Construction et qualification de p
La "construction" se compose de la mise en place de Sitq et
de la construction de p/p' visé à partir de Sitq.
La "qualification" correspond à la définition du rapport
entre p et p', elle débouche sur la stabilisation du rapport
entre les deux plans factuel (pi) et fictif (p). C'est ce que
nous verrons au cours de l'analyse proprement dite de l'"optatif"
et du "concessif".
Le mode de "construction" de p dépend de la nature de la
relation q--p. Nous distinguons deux types de relation.
1) Il s'agit d'une relation subjective.
p estcequ'onpeutdireàpartirde q
maisn'estpas"normalemententraîné"par q. Il s'agit d'exemples
comme:
Il fait un temps! On se croirait en été.
209
On fait un jeu, moi je serais un gendarme, toi tu
serais un voleur.
Il a dit qu'il viendrait.
Selon la BBC, Mitterand serait à Londres.
Cettecatégorieregroupeles"conditionnelsàconstructionsubjecti
ve".DanscesexemplesqestunedonnéecontextuellelocaliséeenSito. Son
statut qualitatif fait problème relativement à ce qui doit être
dit (soit pi). L'instabilité qualitative de q entraîne la
construction de q sur le plan fictif (q validé en Sito1 soit
Sitq) et c'est à partir de ce repère que p/p' est construit.
Ainsi dans le premier exemple: il fait beau (q localisé en Sito)
mais à un moment de l'année (par exemple en hiver) qui nous
interdit normalement de dire qu'on se croit en été (pi).
2) Il s'agit d'une relation inférentielle
p estuntermenormalemententraînépar q
dontildépendpoursavalidation (éventuelle). Comme dans:
S'il y avait du vent, il pleuvrait maintenant.
Si Paul était là, il nous aiderait, va voir s'il n'est
pas dans les parages.
J'aurais une échelle, je te la donnerais!
Elle aurait des ailes, elle volerait!
Dans cette catégorie des "conditionnels inférentiels" la
localisation de q en Sito est problématique.
210
3) pi est le point de départ de la construction.
Revenons sur ce point. C'est parce que le statut de pi n'est
pas satisfaisant qu'on est amené à le reconstruire sur le plan
fictif. Ceci est vrai mais de différentes manières dans les
exemples que nous étudions.
Dans les premiers, "conditionnels à construction
subjective", pi a été construit au sens où en Sito on est
horsp,p'maispin'étaitpaslocalisable. Prenons l'exemple du
conditionnel "ludique". Il n'est pas possible d'attribuer les
rôles de gendarme et voleur (pi validable) sur le plan factuel.
Il faut faire admettre qu'il s'agit d'un jeu (retour à q en Sito)
et faire comme si cela était admis (mise en place de Sitq) on
peut alors dire: "tu serais un gendarme..." (construction de
p/p').
Dans les seconds, "conditionnels inférentiels", il faut
distinguer selon la forme de la protase.
- Dans un exemple comme: "Si j'avais de l'argent, je partirais à
Tahiti". L'impossibilitédelocaliser pi ('partir à Tahiti")
entraîne la mise en place de Sitq ("Si j'avais de l'argent") et
la construction de p/p' ("je partirais...").
-Dans les exemples dont la protase est au conditionnel:
211
So': Luc m'a dit qu'il avait de l'argent
So : Il aurait de l'argent, il ne serait pas là.
p a
faitl'objetd'unepremièreconstructionlorsd'unemiseenrelationavecq.
DupointdevuedeSocetteconstructionestinstable. Il le montre en
reprenant q et en le mettant en relation avec le complémentaire
de p.
Autrement dit, le conditionnel a une histoire et elle
commence par la construction (instable) de pi sur le plan
factuel.
7.2. Caractérisation des valeurs
L'"appréciatif" est possible au conditionnel:
S'il savait utiliser sa fourchette, il mangerait bien
mais là c'est un véritable cochon.
Précisons que pour l'"optatif" et le "concessif" le problème
n'est pas celui de la valuation d'une occurrence (altérité I/F)
mais celui de son (éventuelle) "validation". Lorsque je dis: "Si
j'avais de l'argent, je partirais à Tahiti" la question qui se
pose est celle de mon (éventuel) départ (soit 'partir' vs 'ne pas
partir') et non pas celle d'un départ dont on évaluerait les
212
propriétés relativement au Type du 'être parti'. Nous dirons que
ces deux valeurs vérifient le quatrième critère:
C.4. L'altérité est de type I/E.
La présence du conditionnel nous permet de définir d'autres
critères pour caractériser les valeurs en cause. Soit les
exemples:
(1) S'il y avait du vent, je partirais bien à la voile.
("optatif")
(2) S'il y avait du vent je partirais bien à la voile, mais
est-ce que j'arriverais à temps? ("concessif")
Dans les deux énoncés le terme de référence (p) est
construit sur le plan du validable lui même repéré par rapport au
repère origine du plan fictif soit Sito1. On peut donc formuler
ainsi le 6ème critère:
C.6. Le terme de référence est construit sur le
plan du validable.
Il faut y adjoindre un autre critère (C.7.) si on veut les
distinguer des valeurs étudiées au chapitre précédent:
C.7. Sito1 est l'origine du plan du validable.
La construction du terme de référence sur le plan du
validable est un critère commun à l'"optatif" et au "concessif".
213
Mais au delà? Qu'est-ce qui les distingue? Prenons un exemple:
Si j'avais une voiture, je partirais à 5 h.
(o) Si j'avais une voiture, je partirais bien à 5h.
L'insertion de bien, dans l'énoncé, débouche sur un "optatif". La
valeur correspond à l'idée d'un souhait ou plus linguistiquement,
elle correspond à la mise en place d'une visée du sujet sur le
procès 'partir'.
Transformons cet exemple en "concessif":
(c) So': Tu devrais partir vers cinq heures.
So : Si j'avais une voiture je partirais bien vers cinq
heures mais arriverais-je à temps?
Peut-on affirmer que le sujet est à l'origine d'une visée sur le
procès 'partir'? C'est beaucoup plus douteux. Nous proposons de
distinguer l'"optatif" par une visée qu'on ne retrouve pas avec
le "concessif". Il existe d'ailleurs une contrainte spécifique
qui nous permet de le mettre en évidence. Ainsi dans l'exemple
suivant:
(o)? S'il y avait du vent, les feuilles s'envoleraient bien.
(o1)+S'il y avait du vent, on s'envolerait bien!
Le premier est peu acceptable surtout si on le compare à (o1),
beaucoup plus naturel. On nous dira que l'explication en est
simple; "les feuilles" sujet "non-animé" ne sauraient être à
214
l'origine d'une visée. Oui, mais cette contrainte n'existe plus
avec le "concessif". Comparez avec (c), il est tout a fait
acceptable:
(c) S'il y avait du vent les feuilles s'envoleraient bien,
mais qu'est-ce que ça changerait?
Nous voilà donc avec une double question:
1) A qui doit-on attribuer la visée qui apparaît dans
l'"optatif"?
2) A quoi doit-on attribuer la contrainte (animé (2) / non-animé)
qui pèse sur le sujet, dans la valeur d'"optatif" et pas sur
celui du "concessif"?
7.2.1. L'"optatif"
Soit l'exemple suivant sans bien:
S'il y avait du vent, je partirais à la voile.
Hors contexte, on ne sait pas si pi <moi/partir à la voile> est
validable ou non en Sito car le statut de q,q' est indécidable en
Sito. L'insertion de bien dans l'énoncé, si nous faisons le choix
de l'interprétation optative, nous donne une information
supplémentaire:
(1) S'il y avait du vent, je partirais bien à la voile.
215
Le locuteur, veut (souhaite, espère...) partir au moment où il
parle. Le problème n'est plus celui des conditions matérielles
d'un départ; on le construit (fictivement) comme résolu. La
question est celle d'un choix éventuel: "partir ou ne pas
partir?". Bien "nous dit" que c'est la première solution qui est
envisagée par le locuteur.
Ce commentaire de l'exemple (1) n'est possible qu'à une
condition: pi est construit comme validable pour So à partir de
Sito. Les conditions de validation de p ne sont pas réunies en
Sito. On passe sur le plan fictif. Sur ce plan on construit un
repère Sitq à partir duquel la relation So-p/p' est reconstruite
(So vise p).
L'étape suivante est la comparaison de pi avec p. Pour So pi
était au moins validable sur le plan factuel. Laconfirmationde p
commevaleurvalidablesurleplanfictifs'interprètenécessairementcomm
euneviséedusujetsur p.
L'idée de "souhait" (de visée) qui accompagne et caractérise
l'"optatif" est liée: 1), à la nature des occurrences en jeu
(elles sont "validables") et 2), à la nature temporelle de
l'"optatif".
1) Etant donné une relation instable mettant en jeu pi
validable pour So; en confirmant que pi est validable pour So on
définit la relation comme une visée de So sur pi.
216
2) Cela n'est possible que parce qu'on a affaire à une
valeur temporelle. La valeur de référence p/p' est construite a
posteriori à partir de pi. C'est la raison pour laquelle il n'y a
pas d'autre différence entre les deux relations So--pi (factuel)
et So--p/p' (fictif) que celle de leur ancrage situationnel (Sito
vs Sito1). Et ceci ne tient à rien d'autre qu'au conditionnel
lui-même. Par construction, le conditionnel suppose la primauté
d'une construction ancrée en Sito (instable il est vrai).
Le conditionnel est parfois décrit comme renvoyant au "non
actuel", à "un ensemble de mondes possibles mais improbables"
(Vet, 1981) (3). A priori, on pouvait s'attendre à ne pas trouver
de valeur temporelle avec le conditionnel. Nous soutenons la
thèse contraire, l'"optatif" est une valeur temporelle parce
qu'elle apparaît avec le conditionnel. Cette idée peut
surprendre. Nous allons montrer qu'elle permet de rendre compte
d'exemples qui sans cela resteraient particulièrement difficiles
à traiter comme:
(4) Pardon, j'aimerais bien sortir maintenant.
et
(3) Tiens, je boirais bien une bière, moi!
7.2.1.1. Tiens, je boirais bien une bière, moi!
Sans bien l'énoncé est inacceptable. Comparez:
(3)+ Tiens, je boirais bien une bière, moi!
(3a)? Tiens, je boirais une bière, moi!
217
Cette contrainte n'a pas échappé à A. Culioli (1978, p313) qui
donne un moyen de la lever: "(...) si on supprime bien, "je/tu/il
boirais (t) un verre de bière" n'est acceptable que s'il se
trouve dans une succession aoristique de procès envisagés ("Tu
entrerais dans la pièce, tu boirais un verre de bière, (...)") ou
s'il est rattaché à un énonciateur fictif (valeur de type "dit-
on, paraît-il): "Paul prendrait le train à 5 heures; Tu as
entendu la dernière? (...)". Les deux moyens proposés par A.
Culioli ont la même fonction, il s'agit de fournir un repère
(Sitq) au conditionnel. On peut "appliquer cette formule" et
proposer:
(3b)+ Tiens, sij'enavaissouslamain, je boirais un
verre de bière, moi!
On retrouve un énoncé de même type que le (1). La question est la
suivante, comment, bien peut-il dispenser de la présence d'une
protase? La réponse tient à deux caractéristiques essentielles de
l'exemple (3):
1) Il appartient à la catégorie des "conditionnels à
construction subjective" (4).
2) La construction de pi correspond à une visée à partir de
Sito.
1) La définition des "conditionnels à construction
subjective" reposait sur les propriétés suivantes: p est ce qui
218
peut être dit à partir de q et q est localisé en Sito. Les
énoncés n'ont pas besoin d'une protase explicite car il est
possible de rétablir Sitq à partir de Sito. Le (3) vérifie cette
propriété. Lorsque je dis: "Tiens, je prendrais bien une bière,
moi!", c'est qu'au moment où je parle je suis le lieu, en Sito,
d'une visée sur p,p', ou plus simplement, je découvre que j'ai
envie de boire une bière. On a un équivalent sémantique de cette
construction dans une expression comme: "Il me vient une envie
de...".
2) La description de la relation de départ comme la
"construction temporelle d'une visée" nous permet d'expliquer
deux contraintes.
La première pèse sur l'emploi de la troisième et surtout de
la deuxième personne. L'exemple ? "Tu boirais une bière" est peu
naturel parce que l'origine d'une visée est normalement opaque à
celui qui n'est pas le "viseur".
La deuxième pèse sur l'emploi de la première personne. On ne
peut pas dire ? "Je boirais une bière". Fondamentalement, c'est
pour la même raison: en Sito l'origine de la visée échappe à
l'énonciateur; l"optatif" est une valeur temporelle. Il y a
quelque chose de paradoxal pour le sujet dans le fait d'être le
lieu d'actualisation d'une visée dont l'origine lui échappe. La
fonction de bien est alors de désigner S2 (en l'occurrence So)
comme l'origine de la visée sur p. Ce qu'on représenter ainsi:
219
planfictif: Sito1------<So--p/p'>
!
!
planfactuel: Sito--------<S2--pi>
L'opération dont bien est la trace consiste à comparer pi
validable pour S2 avec p/p' validable pour So pour ensuite
identifier le premier au second. Ce
résultats'interprètenécessairementcommeuneviséedeS2surpi. Au
niveau du rapport entre les deux plans, le plan factuel se ramène
au plan fictif.
7.2.1.2. J'aimerais bien sortir maintenant
Soit l'exemple suivant:
(4) "Pardon, j'aimerais bien sortir, maintenant".
Voyons comment il se constitue. On peut avoir une formule
beaucoup plus directe comme:
(4a) "Pardon, j'aimerais sortir".
Mais en quoi (4a) est-il plus direct? Il est constitué sans
protase. Il s'agit d'un "conditionnel à construction subjective".
L'énonciateur est à l'origine d'une visée sur p,p' et la relation
qui unit le sujet au procès visé p/p' est stabilisée, la valeur
sémantique du procès ("aimer", "vouloir" etc...) en est la
220
meilleure preuve. On a un passage sur le plan fictif parce que
p,p' ne paraît pas validable en Sito ("Pardon") mais cela ne
"justifie" pas l'emploi de bien.
Au contraire, en (4), bien va marquer que la relation So--pi
a pu être considérée comme instable mais d'un autre point de vue
que celui de So. Les "conditionnels d'atténuation" apparaisent
toujours en contexte dialogique. L'existence même du
coénonciateur donne à p' un statut qu'il n'avait pas
indépendamment de cette situation intersubjective.
L'interprétation la plus normale de l'énoncé est d'attribuer au
coénonciateur un point de vue opposé à celui de So. Voilà
l'origine de la nuance (justifiée) dite d'"atténuation" attribuée
à ces exemples par la grammaire traditionnelle. Dans l'énoncé
maintenant vient donner une assise temporelle à la prise en
compte de p'. Sa présence correspond au fait qu'on est déjà passé
par p' puisqu'on envisage p pour (au moins) la seconde fois. Nous
faisons la même analyse sur l'exemple suivant:
(5) J'aimerais bien avoir l'Est Républicain.
En (5), l'énonciateur envisage un refus éventuel de son co-
énonciateur, soit p' <ne pas avoir l'Est Républicain>. La remise
en cause de la visée rend possible l'emploi de bien. Ou bien
encore, le vendeur, peut par plaisanterie lui répondre:
"Pourquoi, on vous l'a déjà refusé?". La question vient donner à
cette remise en cause une assise temporelle.
221
On voit que p et p', n'ont pas la même "histoire". En
introduisant bien dans l'énoncé, on pose que p' a été envisagé et
que l'on revient à p comme valeur visée. Mais cette valeur ne
peut tenir lieu de terme de référence que si elle est
reconstruite sur le plan fictif. Ces exemples comme les
précédents vérifient le critère 3 qui fait l'originalité de
l'"optatif":
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
La logique de notre propos interdit normalement l'existence
de valeurs subjectives au conditionnel. Elles existent pourtant,
il s'agit du "concessif" que nous allons étudier.
7.2.2. Le "concessif"
On interprète difficilement le (6o) ou le (7o) comme
relevant de l'"optatif":
(6o)? S'il y avait de l'essence, la voiture roulerait
bien.
(7o)? Il y aurait du vent, les feuilles tomberaient
bien.
En revanche ils peuvent fort bien être des "concessifs" à
condition de changer d'intonation, de supprimer la pause entre
les deux propositions et d'y adjoindre une apodose en "mais...":
222
(6c)+ S'il y en avait la voiture roulerait bien, mais je
n'ai pas le permis.
(7c)+ Il y en aurait les feuilles tomberaient bien,
mais il y aurait toujours les branches ...
Ces changements marquent une réorganisation de l'énoncé par
rapport à l'"optatif". On peut dire qu'ici, le choix de p <la
voiture rouler> est remis en cause par la construction de q' au
niveau de l'apodose <mais je n'ai pas le permis>. Il y a là une
constatation banale, la "concession" est souvent définie comme
"l'introduction de la cause contraire à ce que, par ailleurs, on
concède".
Le terme de référence n'est pas construit par l'énonciateur;
il est déjà construit par une autre source. Le fonctionnement de
la concession est à cet égard suffisamment connu (M-A. Morel,
1980) (5). Le "concessif" vérifie le premier critère:
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
On le constate facilement dans l'échange suivant:
So': Tu devrais partir à Tahiti.
So : Je partirais bien à Tahiti mais je n'ai pas
un sou.
7.2.2.1. La construction de p n'est pas rapportable à So
Prenons un exemple:
223
(8) S'il avait de l'argent il prendrait bien un ticket.
Le (8) est susceptible de deux interprétations ("optatif" ou
"concessif"), voyons à quelles conditions on passe de l'une à
l'autre:
-"optatif":
La proposition p "il prendrait bien un ticket" apparaît
comme une construction de l'énonciateur. On a une trace de
l'origine spécifique de cette construction dans la contrainte
suivante: avec l'"optatif", (8a) et (8b) sont plus acceptables
que (8):
(8a)+ S'il avait de l'argent, je crois qu'il prendrait
bien un ticket.
(8b)+ S'il avait de l'argent, il prendrait bien un
ticket là.
Dans un énoncé à la troisième personne (ou à la seconde)
l'"optatif" implique de gérer deux choses qui sont contra-
dictoires: la construction de p est rapportable à So et p est
visé par un sujet S2 différent de So. Il est donc plus naturel
(comme en a et b) de faire apparaître, dans l'énoncé, les raisons
d'une connaissance qui échappe normalement à l'énonciateur (d'où
la notation "je crois" ou le déictique "là").
224
-"concessif":
La proposition p <lui / prendre un ticket> n'est plus
rapportable à l'énonciateur. On a deux traces de cette nouvelle
organisation.
(8c) S'il avait de l'argent il prendrait bien un ticket,
mais ça ne servirait à rien...
a) La disparition de la pause entre les deux propositions q
et p: "S'il avait de l'argent il prendrait bien un ticket". Elle
correspond à la constitution d'une seule proposition (qu'on peut
noter q-p) dont la construction est rapportable au coénonciateur.
b) L'apparition d'une nouvelle proposition qui met en place
q': l'apodose (explicite ou non, l'intonation peut suffire)
introduite par mais. Celle-ci est en revanche prise en charge par
l'énonciateur.
Dans le "concessif" l'énonciateur reprend la proposition q-p
construite par une autre instance. Contrairement à l'"optatif" un
énoncé "concessif" ne saurait être un énoncé premier (6). Au
moment de la reprise de q-p le problème de la validité de la
relation S2--p ne se pose plus celle-ci étant déjà constituée.
C'est ainsi que nous rendons compte de la levée de la contrainte
évoquée plus haut sur la nature du sujet (animé vs non-animé).
Nous proposons de représenter très schématiquement les effets de
ce découpage de la manière suivante:
225
.-----------.--------------.--------------.
! ! thème ! rhème !
!-----------!--------------!--------------!
!"concessif"! Sitq--S2p !q' !
!-----------!--------------!--------------!
! "optatif" ! Sitq--S2 ! p !
'-----------'--------------'--------------'
NB: Lorsque la relation S2--p fait partie du thème
("concessif") elle n'est pas susceptible de variation, elle
est considérée comme un tout S2p qui est, lui, susceptible
de variation dans sa relation à Sitq.
Dans le "concessif", on confirme la validation de S2p (prise
du ticket) relativement à Sitq (à condition d'avoir de l'argent).
Bien est la trace de cette confirmation. On peut donc avoir une
valeur subjective de bien au conditionnel. Il faut pour cela que
la préconstruction du terme de référence associe à p son repère
de construction Sitq (propriété définitoire du conditionnel) d'où
la disparition de la pause entre les deux propositions q-p.
So est amené à se situer par rapport à une valeur construite
par un autre sujet, on conçoit qu'il ne rejoigne pas la position
de cet autre sujet, c'est le "concessif" (le plan factuel ne se
ramène pas au plan fictif); mais pourquoi ne rejoindrait-il pas
cette position? pourquoi n'aurait-on pas une troisième valeur
proche du "confirmatif"?
7.2.2.2. Il n'y a pas d'autre valeur.
Avec le "concessif", l'énonciateur confirme (fictivement) p
226
mais se situe en réalité en p' puisqu'ensuite il posera q';
pourquoi ne pourrait-on pas avoir une valeur proche du
"confirmatif" (7) et qui se décrirait ainsi: l'énonciateur
confirme p au détriment de p'? Nous connaissons déjà cette
valeur! C'est l'"optatif". Si So fait le choix de p, le découpage
thématique n'est plus le même (la validation de la relation S2--p
constitue alors le rhème): le choix de p "achève" l'énoncé.
7.3. Les domaines du "validable"
Il est possible de distinguer deux manières de concevoir p;
soit p est conçu comme "pouvant être validé", soit p est conçu
comme "à valider". A ces deux manières de concevoir p validable
correspondent deux catégories de valeurs de bien.
Avec les valeurs du futur, ("prophétie" et "sollicitation"),
p est conçu comme "à valider". Il fait l'objet d'une visée à
partir de Sito (propriété définitoire du futur).
Avec les valeurs du conditionnel, p est conçu comme "pouvant
être validé". Le fait par exemple que dans l'"optatif", p fasse
l'objet d'une visée sur le plan factuel n'est pas contradictoire
avec cette définition. La visée n'a de stabilité que sur le plan
fictif. Avec le conditionnel on construit p comme "à valider" sur
le plan fictif, mais sur le plan factuel p reste simplement
possible. C'est bien ce qui est dit, même dans l'"optatif": "Moi,
227
je prendrais bien une bière!". Il suffit de comparer avec le même
genre d'exemple au futur pour voir que le problème de la
validation de p n'est pas envisagé de la même manière:
(f) Vous prendrez bien un petit quelque chose.
(c)? Vous prendriez bien un petit quelque chose.
Si on accepte le second, quoique les deux exemples aient à peu
près le même sens, seul le futur peut donner lieu à une "invite
pressante". Au conditionnel, p sur le plan factuel est toujours
simplement possible. Le (c) sera souvent dit d'"atténuation"
relativement au futur toujours plus direct.
En résumé
Avec les valeurs du conditionnel, les opérations portent sur
le domaine du "validable". p est conçu comme "à valider" sur le
plan fictif mais sur le plan factuel il est conçu comme "pouvant
être validé". Nous n'avons pas besoin d'ajouter un critère
particulier à ceux dont nous disposons, le critère 8 sur
l'origine de la visée suffit à distinguer ces valeurs des valeurs
étudiées au chapitre VI.
"optatif"
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
228
C.4. L'altérité est de type I(/)E.
C.6. Le terme de référence est construit sur le plan du
validable.
C.8. Sito1 est à l'origine du plan du validable.
"concessif".
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
C.4. L'altérité est de type I/E.
C.6. Le terme de référence est construit sur le plan du
validable.
C.8. Sito1 est à l'origine du plan du validable.
229
NOTES DU CHAPITRE VII
(1): A. Culioli (1978) se penche assez longuement sur les
problèmes que pose un "optatif" comme: "Tiens, je prendrais bien
une bière, moi!". Au passage il évoque le "concessif": "Je
posterais bien la lettre à votre place, mais je ne passe par là"
(p314) et l'"optatif": "Je m'achèterais bien une caméra" (p312)
mais il s'agit d'une mise en parallèle destinée à montrer l'unité
de ces exemples plutôt que ce qui les oppose.
(2): On constate qu'un terme a la propriété 'être animé'
lorsqu'il est susceptible d'être à l'origine d'une visée.
(3): C. VET. (1981, p109) considère que le conditionnel et le
futur "impliquent une référence non pas à un monde réel, mais à
un monde que le locuteur croit probable (dans le cas du futur) ou
improbable (conditionnel)". En reprenant nos propres termes nous
dirons que ce type d'analyse ne tient compte que de la
construction sur le plan subjectif et qu'elle fait l'impasse sur
l'origine factuelle de cette opération. (voir "La notion de
"monde possible" et le système temporel et aspectuel du français"
in Langages, n°64, Larousse éd.
(4): On a vu que les "conditionnels à construction subjective" se
mettaient en place sur la base d'un mouvement rétrospectif qui
allait de la mention de p,p' (pi) sur le plan factuel à q
localisé en Sito puis le transfert de la relation q--p sur le
plan fictif. Le "retour" à q à partir de p doit être justifié. On
ne peut revenir à q pour repérer p que s'il existe une raison
normale de revenir à q (plutôt qu'à x, y ou z). Autrement dit le
retour à q suppose l'existence d'une relation entre q et p. Les
différentes formes de cette relation peuvent servir de base à une
classification des "conditionnels à construction subjective":
-q est un repère normal de p parce qu'il existe une relation
primitive entre q et p: "Il fait un temps, on se croirait en
été".
-q est déjà le constructeur de p parce que p a été construit
à partir de q: "Il a dit qu'il viendrait"; "Selon la BBC,
Mitterand serait à Londres actuellement".
-q est un repère de p parce qu'il est l'origine d'une visée
sur p: "Tiens, je prendrais bien une bière moi".
(5): Sur le statut du thème dans les énoncés concessifs on peut
se reporter à la thèse de M-A. Morel (1980). Elle écrit, p155, à
propos de concessives introduites par bien que ("Bien qu'il
pleuve, je sors." ou "Bien que Pierre soit grand, il n'est pas
230
plus grand que moi."): "Le locuteur n'asserte en l'assumant
pleinement qu'une seule des deux propositions du système: la
proposition principale. La subordonnée introduite par bienque
représente une assertion de type très particulier, dont on peut
dire que le locuteur ne la prend pas vraiment à son compte et
qu'il en rejette la responsabilité sur les autres, et plus
particulièrement sur son interlocuteur, tout en reconnaissant
qu'elle est vraie. Ainsi dans les deux énoncés ci-dessus, le
locuteur reconnaît ou "concède" qu'il est vrai qu'"il pleut" ou
que "Pierre est grand", mais la seule proposition dont il assume
pleinement la responsabilité, c'est la principale "je sors" ou
"il n'est pas plus grand que moi". Ce qui importe essentiellement
au locuteur c'est l'assertion de la principale. (...)
(6): Le chapitre consacré aux "Actes sociaux" dans UnNiveau-Seuil
(1976) est divisé en deux parties: "Actes d'ordre 1" et "Actes
d'ordre 2". La masse des éléments qui peuvent être ordonnés de
cette manière montre qu'il y a là une contrainte linguistique sur
laquelle on peut raisonnablement s'appuyer
(7): La contrainte qui pèse sur le conditionnel pour avoir la
valeur de "confirmatif" est signalée par A. Culioli (1978, p313).
Parlant de cette valeur, il écrit en note: "Alors qu'au futur,
cette interprétation ne fait pas difficulté, au conditionnel, il
faut prendre quelques précautions prosodiques exceptionnelles".
En effet il existe une possibilité, assez mince on va le voir, de
construire un "confirmatif" au conditionnel comme dans l'exemple
suivant:
So': Il irait sans doute à Vichy tu sais.
So : Mais non, il a toujours détesté cette ville.
So': S'il était malade, tiens, tu verrais s'il n'y
retourne pas!
So : Ah oui, dans ces conditions, s'il était malade,
il irait bien à Vichy, je te l'accorde.
Pour que l'exemple soit acceptable il est nécessaire d'avoir une
opposition intersubjective qui vienne clairement relayer
l'altérité p,p' sur le plan fictif. Mais ceci ne suffit pas, il
faut aussi que l'énonciateur spécifie les conditions dans
lesquelles il "confirme" p comme bonne valeur. En effet avec le
conditionnel (plus encore qu'avec le futur) la sélection de p ne
saurait véritablement exclure p' d'une éventuelle validation.
Pour ce qui est de la question d'une autre valeur, on peut
conclure que, vu les difficultés pour mettre en place un "vrai"
"confirmatif" (p' ne peut pas être totalement exclu) tout énoncé
de ce type sera tendanciellement interprété comme un "concessif".
231
232
CONCLUSION
SYSTEMATIQUE DES VALEURS DE BIEN
"Toutes les langues ont en commun certaines catégories
d'expression qui semblent répondre à un modèle constant. Les
formes que revêtent ces catégories sont enregistrées et
inventoriées dans les descriptions, mais leurs fonctions
n'apparaissent clairement que si on les étudie dans
l'exercice du langage et dans la production du discours. Ce
sont des catégories élémentaires, qui sont indépendantes de
toute détermination culturelle et où nous voyons
l'expérience subjective des sujets qui se posent et se
situent dans et par le langage. Nous essayons ici d'éclairer
deux catégories fondamentales du discours, d'ailleurs
conjointes nécessairement, celle de la personne et celle du
temps." E. Benveniste, 1974, "Le langage et l'expérience
humaine", in Problèmesdelinguistiquegénérale, T2, p67.
233
SYSTEMATIQUEDESVALEURSDEBIEN
A. Culioli (1978) a montré que les nombreuses valeurs
de bien pouvaient se ramener à une (poly) opération que nous
proposons de décrire ainsi: Etantdonnéuneoccur-
rencepideP;étantdonnélecouplepondérédevaleursp,p'deP(pondérésigni
fiequepestletermederéférence);"bien"estlatracededeuxopérations:le
parcoursdesdifférentesoccurrencesdep,p'etl'identificationdepiàp.
La raison d'être de ces opérations est l'instabilité
première de pi. La question de l'origine de cette instabilité est
fondamentale. En la posant nous nous donnons les moyens d'opérer
la principale partition sur l'ensemble des valeurs de bien. Deux
cas peuvent être envisagés:
1) L'instabilité tient au fait que p, le terme de référence, est
déjà construit sur le plan subjectif. On se trouve dans la
situation où toute occurrence (pi) à venir sera nécessairement
évaluée relativement à cette valeur de référence. C'est ce qui se
passe dans un exemple comme: "Ce devoir est bien orthographié".
2) L'instabilité tient au fait que pi est construit sur le plan
temporel de manière autonome par rapport à l'instance subjective.
L'occurrence pi est pourvue d'un statut quantitatif mais son
234
statut qualitatif n'est pas assuré. Du coup c'est a posteriori et
à partir de pi qu'on va construire p, le terme de référence par
rapport auquel on évaluera pi. C'est ce qui se passe dans un
exemple comme: "Il est bien ridé, cet homme!".
Deux plans sont en jeu: le plan temporel (origine To) et le
plan subjectif (origine So). On peut dire, en simplifiant, que
quelle que soit la valeur considérée les opérations dont bien est
la trace consistent toujours à comparer puis à identifier une
occurrence pi construite sur le plan temporel avec une valeur p
construite sur le plan subjectif. Les deux cas que nous avons
évoqués plus haut se ramènent à une question de primauté d'un
plan par rapport à un autre.
1) Primauté de la construction d'une occurrence de P sur le plan
subjectif: le terme de référence est préconstruit.
2) Primauté de la construction d'une occurrence de P sur le plan
temporel: le terme de référence est construit a posteriori.
Cetteoppositiontrouvesonfondementdanslastructuremêmedel'acte
énonciatif.Elleestleprincipefondamentaldestructurationdusystèmede
svaleursde"bien". Dans le
tableau des valeurs qu'elle divise verticalement, elle nous
permettra de distinguer deux catégories de valeurs:
1) les valeurs subjectives qui vérifient le critère 1:
235
C.1. Le terme de référence est préconstruit.
2) les valeurs temporelles qui vérifient le critère 3:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
Nous avons dit que les différentes valeurs de bien sup-
posaient la comparaison d'une occurrence pi avec une valeur de
référence p. Cela implique qu'on envisage aussi "autre-que-p",
soit p' le complémentaire de p. Le mode de délimitation de p est
à l'origine du deuxième principe de structuration des valeurs de
bien. Il existe essentiellement deux manières d'opérer cette
délimitation. Sur cette distinction nous empruntons à A. Culioli
(1989, p187) l'essentiel de notre propos.
1) On a un point de repère qui est le Type de P, le centre
organisateur du domaine. Par rapport à ce point on peut avoir une
"représentation spécifique de ce qui est mauvais, défavorable ou
inadéquat (donc à rejeter)". Ce qui revient à distinguer p' (la
Frontière du domaine) de p (l'Intérieur du domaine). Il s'agit
d'une construction subjective. L'Intérieur est la zone où l'on
considère que les occurrences sont identifiables au Type alors
qu'on considère que cela n'est plus possible pour les occurrences
de la Frontière du domaine. C'est ce qui se passe dans un énoncé
comme: "Ce devoir est bien orthographié."
On compare une occurrence pi de P aux occurrences de
l'Intérieur du domaine (valeur p) et aux occurrences de la
236
Frontière (valeur p') et on conclut que pi se ramène à p. La
délimitation du terme de référence met en jeu une altérité de
type I/F.
2) La préconstruction de la valeur p est une mise en relation
avec un terme localisé. Pour une occurrence donnée pi on est à
même de distinguer la zone où la propriété est vérifiée de "ce
qui comporte un vide, un hiatus, une absence", en un mot là où
elle n'est pas vérifiée à un degré ou à un autre. On n'a plus de
zone Frontière. On a d'une part, l'Intérieur et d'autre part,
l'Extérieur du domaine. C'est ce qui se passe dans un énoncé
comme: "Tu avais raison, il y a bien du pétrole ici."
On compare pi à deux valeurs strictement opposées p ET p'.
Ici p 'y avoir du pétrole' et p' 'ne pas y avoir de pétrole'. La
délimitation du terme de référence met en jeu une altérité de
type I/E.
L'opposition de ces deux modes de construction de l'altérité
sur le domaine de p,p' constitue le deuxième principe de
structuration des valeurs de bien. Dans le tableau des valeurs
qu'elle divise horizontalement en deux, elle nous permettra de
distinguer:
1) les valeurs de "valuation" qui vérifient le critère 2:
C.2. L'altérité est de type I/F.
237
2) les valeurs de "validation" qui vérifient le critère 4:
C.4. L'altérité est de type I/E.
Voilà donc brièvement exposés les principes essentiels d'une
systématique des valeurs de bien. Nous résumons notre propos sous
forme d'un tableau:
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
! préconstruit. ! construit a posteriori !
! (critère C.1.) ! (critère C.3.) !
! PôleS ! PôleT !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! VALEURSDEVALUATION(C.2:L'altéritéestdetypeI/F) !
! ! !
! "Ce devoir est bien ! "Il est bien ridé cet !
! orthographié." ! homme!" !
!-----------------------------!----------------------------!
! VALEURSDEVALIDATION(C.4:L'altéritéestdetypeI/E) !
! ! !
! "C'est bien la femme que ! "On achève bien les !
! j'ai vue hier." ! chevaux!" !
'----------------------------------------------------------'
Passons à l'étude des différentes classes de valeurs. Nous
verrons que si le cas des valeurs de "valuation" se résume assez
facilement à deux valeurs, l'"appréciatif" et l'"intensif", le
cas des valeurs de "validation" est plus complexe et suppose la
prise en compte de nouveaux critères pour les caractériser.
1. Les valeurs de valuation
238
Dans le cas de l'"appréciatif" la valeur p construite sur le
plan subjectif préexiste à la construction de l'occurrence pi de
P. La primauté du plan subjectif par rapport au plan de
construction de pi autorise des emplois de bien avec l'infinitif
(ou l'impératif) tout à fait impossibles pour l'"intensif":
(a) Bien malaxer la pâte...
(a) Soignez bien ce bobo, sinon...
L'"appréciatif" vérifie le premier critère:
C.1. le terme de référence est préconstruit.
Au contraire, l'"intensif" se distingue par la primauté du
plan temporel sur le plan subjectif, d'où une grande
compatibilité avec les contextes de surprise:
(i) Il est bien ridé, cet homme!
(i) Il a bien de la patience!
Cette primauté du plan temporel interdit que le terme de
référence apparaisse comme un préconstruit. Revenons à notre
exemple: une occurrence pi de la propriété 'être ridé', est
actualisée indépendamment de toute attente d'origine subjective;
le statut qualitatif de cette occurrence est instable. On la
reconstruit sur le plan subjectif à fin de comparaison. Cette
opération trouve un équivalent pragmatique dans une expression
comme: "Tu vois ce que je vois?".
239
La primauté de la construction de pi par rapport à celle du
terme de référence caractérise l'"intensif". Nous en rendons
compte par le critère 3:
C.3. Le terme de référence est construit a posteriori.
Dans le cas de l'"intensif" la primauté du plan factuel à
une conséquence sur le mode de construction de l'altérité qu'il
nous faut rappeler. A ce moment de l'opération on est en présence
de deux termes, une occurrence pi qualitativement instable et un
terme p construit à partir de pi, il n'y a donc pas d'altérité
constituée. On compare (opération de parcours sur l'Intérieur et
la Frontière du domaine) pi à p à la recherche de différences
éventuelles. N'en trouvant pas on identifie pi à p. Il s'agit
d'un cas d'altérité par défaut qui vérifie par ailleurs le
critère 2 spécifique des valeurs de valuation. Nous pouvons
résumer notre propos sur les valeurs de valuation en reprenant
notre tableau:
240
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
! préconstruit. ! construit a posteriori !
! (critère C.1.) ! (critère C.3.) !
! PôleS ! PôleT !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! VALEURSDEVALUATION(C.2:L'altéritéestdetypeI/F) !
! ! !
! Ce devoir est bien ! "Il est bien ridé cet !
! orthographié." ! homme!" !
! "appréciatif" !"intensif" !
'----------------------------' '---------------------------'
2. Les valeurs de validation
L'emploi de bien est d'abord le calcul d'une certaine forme
d'altérité sur p,p'. Il est nécessaire que p' soit envisageable
comme une des valeurs possibles de pi pour que l'énoncé soit
acceptable. Or nous considérons, après A. Culioli (1988, p187)
qu'il n'existe fondamentalement que deux manières de construire
de l'altérité. Soit on distingue ce qui bon de ce qui est moins
bon, mauvais etc... soit on distingue ce qui existe de ce qui
n'existe pas. Au premier cas correspondent les valeurs de
valuation au second cas correspondent les valeurs de validation.
Nous pensons donc qu'il n'y a pas d'autres classes de valeurs.
Dans le cas des valeurs de validation la valeur p (terme de
référence) fait l'objet d'une localisation, c'est dire qu'elle a
un statut quantitatif stabilisé. Ce que nous avons traduit par le
critère 4:
241
C.4. L'altérité est de type I/E.
Ceci posé, nous devons rendre compte de deux types de
valeurs très différents. Comparons les exemples suivants:
C'est bien la femme que j'ai vue hier.
On achève bien les chevaux!
Vous entrerez bien cinq minutes!
Si j'avais de l'argent, je partirais bien à Tahiti.
Dans les deux premiers la valeur confirmée est une valeur
localisée sur le plan factuel. Dans les suivants la valeur
confirmée n'est pas encore validée, comment peut-on confirmer ce
qui n'existe pas encore? Pour répondre à cette question il nous
faut préciser ce que nous entendons par factuel et validable.
Sur le plan factuel, un instant t localise a priori une
seule occurrence de procès. Quand on travaille sur deux valeurs,
la sélection de l'une entraîne l'exclusion de l'autre (en langage
courant: "c'est ça ou c'est pas ça mais c'est pas les deux à la
fois"). Au contraire lorsque les occurrences sont en attente
d'une localisation, on passe sur le plan du validable.
Sur le plan du validable, la classe des t possède une autre
propriété qui est qu' "un instant t localise a priori plus d'une
occurrence de procès". Lorsqu'on travaille sur deux valeurs et
qu'on en sélectionne une l'autre n'est pas forcément exclue, elle
reste éventuellement validable. Sur ce plan, on peut construire
242
une valeur p par une visée, puis confirmer cette visée sans que
cela corresponde à l'exclusion de la valeur complémentaire p'.
Voilà la réponse à la question que nous posions plus haut.
Elle se traduit par deux critères qui permettent de distinguer
les deux types de valeurs selon que le terme de référence est
construit sur le plan factuel ou non. Les unes (valeurs de
confirmation) vérifieront le cinquième critère ainsi formulé:
C.5. Le terme de référence est construit sur
le plan factuel.
Tandis que les autres (valeurs du validable), qu'on trouvera le
plus souvent au futur ou au conditionnel, vérifient le critère
suivant:
C.6. Le terme de référence est construit sur
le plan du validable.
2.1. Les valeurs de confirmation
Nous distinguons deux valeurs: le "confirmatif" et le
"confirmatif.t" selon que le terme de référence fait ou ne fait
pas l'objet d'une préconstruction. Les exemples de "confirmatif"
sont facilement identifiables, nous en avons déjà donné quelques-
uns. Les exemples de "confirmatif.t" sont plus variés. On trouve
des énoncés comme:
243
(t) Ah, c'est bien le moment!"
(t) On achève bien les chevaux!"
Il suffit de préconstruire la valeur confirmée pour obtenir des
"confirmatifs" tout à fait satisfaisants:
(c) Il vient de sortir, c'est bien le moment; tu peux
y aller!"
(c) Vous avez raison, on achève bien les chevaux, est-
ce une raison pour achever les hommes?
Revenons sur les exemples de "confirmatif.t".
Le sens de "Ah! c'est bien le moment!" est "Pour moi ce
n'est pas le moment". Le moyen le plus économique pour expliquer
cette inversion sémantique est de faire appel à la construction
temporelle de pi (critère 3). Dans notre exemple, l'événement ou
la demande qui a suscité l'expression "c'est bien le moment" a
surpris le locuteur. La valeur p ne peut donc pas être
préconstruite. En même temps l'occurrence (pi) ainsi localisée
n'est pas stabilisée. Du point de vue de So l'instant présent ne
possède pas la propriété 'être le moment'. So se situe en
hors(p,p') et compare le statut de pi (l'instant présent) avec
les valeurs de p,p'. Les valeurs parcourues s'opposent de manière
stricte: p <maintenant / être le moment> et p' <maintenant / ne
pas être le moment>. Finalement So constate que pi se ramène à p
mais il ne prend pas en charge cette identification, il se
maintient en hors(p,p'), d'où la variation sémantique évoquée
244
plus haut.
Une réplique comme "On achève bien les chevaux" est la
réponse à un énoncé comme: "Pourquoi achevez-vous les humains?".
Son caractère "indiscutable" fait tout son intérêt. Il ne peut
s'expliquer que par la construction temporelle de pi (critère 3).
L'exemple peut être glosé ainsi: "Parmi ceux qui sont achevés, si
je prends les chevaux, en ce qui concerne le rapport à 'être
achevé' on ne peut que constater qu'il est vérifié". Là où la
remarque de So' supposait une opposition intersubjective ("Vous
achevez les humains!"), celle de So met en place (impose) un
consensus entre les deux sujets sur ce qui est achevable ou pas.
So part d'une construction (pi) dont l'origine (temporelle) lui
échappe comme elle échappe à So', par là on sort d'une
problématique intersubjective: "les chevaux sont achevés", même
si par ailleurs d'un point de vue subjectif ils ne sont pas
"achevables".
Comme on le voit l'intérêt de ces exemples ne s'explique que
parce que bien y a une valeur temporelle contrairement à ce qui
se passe dans un "confirmatif" (ordinaire) qui est une valeur
subjective.
Nous résumons nos propos dans le tableau suivant:
245
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
! préconstruit. ! construit a posteriori !
! (critère C.1.) ! (critère C.3.) !
! PôleS ! PôleT !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! VALEURSDEVALIDATION(C.4:L'altéritéestdetypeI/E) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Letermederéférenceestconstruitsurleplanfactuel. !
! (critère C.5.) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! "C'est bien la femme que ! "On achève bien les !
! j'ai vue hier." ! chevaux!" !
! "confirmatif" ! "confirmatif.t" !
'----------------------------------------------------------'
2.2. Les valeurs du validable
Un terme construit sur le plan du validable peut être
envisagé de deux manières différentes.
Si on considère que la valeur est "à valider" c'est le futur
qui sera employé. On trouvera des exemples comme:
(f) Vous prendrez bien un petit quelque chose.
(c)? Vous prendriez bien un petit quelque chose.
La valeur p est construite par une visée à partir de Sito
(propriété définitoire du futur). Nous caractérisons cette classe
de valeurs au moyen du critère suivant:
246
C.7. Sito est à l'origine du plan du validable.
En revanche si on considère que la valeur "peut être
validée" c'est le conditionnel qui sera employé. Comparez les
exemples suivants:
(f1)? Si j'ai de l'argent, je partirai bien à
Tahiti.
(c1) Si j'avais de l'argent, je partirais bien à
Tahiti.
La valeur p sera construite par une visée, à partir d'un repère
fictif Sito1 (propriété définitoire du conditionnel). La visée
étant faite à partir d'un repère fictif elle ne saurait avoir So
comme origine, elle ne peut donc pas apparaître comme "à
valider". Nous caractérisons cette classe de valeurs au moyen du
critère suivant:
C.8. Sito1 est à l'origine du plan du validable.
Nous nous intéresserons d'abord aux valeurs du premier type.
2.2.1. "sollicitation" vs "prophétie"
Les exemples de "sollicitation" correspondent toujours à des
demandes dirigées vers le coénonciateur:
(s) Vous prendrez bien quelque chose?
(s) Alors, on prendra bien un petit bonbon?
(s) S'il te plaît, tu sortiras bien cinq minutes?
247
La valeur p apparaît comme une valeur attendue par l'énonciateur.
Nous pouvons dire qu'elle a fait l'objet d'une préconstruction ce
qui signifie que la "sollicitation" appartient à la catégorie des
valeurs subjectives.
Les exemples de "prophétie" s'accompagnent toujours d'une
connotation particulière: l'évidence de la validation à venir.
Voyons cela sur quelques exemples:
(p1) Ne t'en fais pas, il mangera bien un jour.
(p2) Laisse-le, il y arrivera bien tout seul.
Une occurrence pi est localisée en Sito mais le statut qualitatif
de cette occurrence est instable. Par exemple en (p1) on ne sait
pas comment le sujet vérifie le procès 'manger' (primauté de la
construction temporelle). A partir de pi, So reconstruit le
domaine du validable soit p et p'. So peut fort bien affirmer
qu'il existe toujours un t de validation qui fera passer du
statut de horsp,p' à p. Il faut prendre comme valideur un instant
ti qui n'a d'autre propriété que celle d'être l'instant de
validation de p. Le terme de référence est reconstruit à partir
de pi, c'est la raison pour laquelle la seule différence entre p
et pi ne peut être que la validation de p. "L'évidence" est à ce
prix.
Ce que nous résumerons dans le tableau suivant:
248
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
! préconstruit. ! construit a posteriori !
! (critère C.1.) PôleS ! (critère C.3.) PôleT !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! VALEURSDEVALIDATION(C.4:L'altéritéestdetypeI/E) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Letermederéférenceestconstruitsurleplandu !
! validable. (critère C.6.) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Sitoestl'origineduplanduvalidable. (critère C.7) !
! !
! "Vous prendrez bien quelque ! "Laisse-le, il y arrivera !
! chose avec nous." ! bien tout seul." !
! "sollicitation" ! "prophétie" !
'----------------------------------------------------------'
2.2.2. "optatif" vs "concessif"
L'emploi du conditionnel avec bien donne lieu à deux sortes
de valeurs. L'"optatif" et le "concessif" comme dans les exemples
suivants:
(o) Tiens, je boirais bien une bière, moi!
(c) Oui bien sûr, si j'en avais une je boirais bien une
bière, mais mon docteur me l'interdit.
La première s'explique par le fonctionnement même du conditionnel
qui trouve son origine dans la construction d'une occurrence
instable pi sur le plan factuel. Le conditionnel suppose donc la
primauté du plan factuel, d'où l'existence d'une valeur
temporelle de bien: l'"optatif". Revenons à notre exemple.
249
En (o) le locuteur découvre qu'il désire boire. "Il y a du p
validable (pi) pour So" mais So n'est pas le constructeur de pi.
D'où l'impression, que le locuteur est pendant un instant
étranger à lui-même.
Si au contraire le sujet "sait" qu'il est à l'origine de la
visée, cette connaissance aura une "traduction" lexicale: on
trouvera des verbes qui renvoient sémantiquement à une visée:
"vouloir, aimer, désirer" et autres. Dans ce cas l'instabilité de
la visée en Sito sera liée à l'incertitude qui pèse sur la
validation de p. On y trouvera des exemples que la tradition
grammaticale désigne comme des "conditionnels d'atténuation":
(atn1) J'aimerais bien l'Est Républicain.
(atn2) Je voudrais bien sortir maintenant.
Mis à part les caractéristiques que nous venons de signaler
(lexique d'une part et incertitude sur le terme visé d'autre
part) ces énoncés s'analysent comme l'exemple (o). La cons-
truction de pi validable à partir de Sito entraîne le retour à un
terme q qui pourrait lui servir de repère. Celui-ci fait
problème; dans l'exemple (o), So n'est pas le constructeur de la
visée et dans les exemples (atn1) ou (atn2) c'est dans la
situation elle-même qu'on trouve la source de l'incertitude sur
pi (prise en compte de l'altérité intersubjective). On passe donc
sur le plan fictif pour y construire un repère Sitq (q ancré en
250
Sito1) à partir duquel on pourra construire une relation stable
entre le sujet So et un terme visé p/p'. L'"optatif" vérifie le
troisième critère (construction a posteriori du terme de
référence). Un terme p a été construit sur le plan fictif à
partir d'un terme pi construit à partir de Sito.
La fonction de bien peut alors se gloser de la manière
suivante: "étant donné une relation instable qui associe pi
validable pour un sujet donné, bien confirme que p est validable
pour ce sujet ce qui revient à désigner le sujet comme étant à
l'origine d'une visée sur p. D'où l'idée de "souhait" qui
accompagne nécessairement ces exemples.
Nous allons montrer que les contraintes qui pèsent sur le
"concessif" ne peuvent s'expliquer que par la préconstruction du
terme de référence (le "concessif" est une valeur subjective).
Prenons deux exemples:
(o1) Tiens, si je pouvais, je partirais bien à la voile!
(c1) Bien sûr, si je pouvais je partirais bien à la voile,
mais avec ce vent je me demande...
(o2)?Il y aurait du vent, les feuilles tomberaient bien.
(c2)+Il y aurait du vent les feuilles tomberaient bien mais
il resterait toujours les branches alors ...
Deux contraintes distinguent le "concessif" de l'"optatif":
1) dans le "concessif" (c1) la pause qui précédait la proposition
p ("je partirais bien à la voile") disparaît;
251
2) L'"optatif" n'apparaît que si le sujet de la relation S2--p
est un sujet animé, d'où la bizarrerie de (o2). Cette contrainte
ne pèse pas sur le "concessif" (c2).
Dans le "concessif" p est préconstruit il a fait l'objet
d'une première mise en relation avec un sujet S2. Dans l'exemple
ce pourrait être une réplique comme: "Dis-donc, tu devrais partir
à la voile non?". Cela signifie que du point de vue de So' les
conditions (q) sont remplies pour que S2--p soit validée. On a
d'un côté une valeur préconstruite qui se présente comme une
relation (complexe) stabilisée q-p (on peut la développer en <q /
S2p> et d'un autre côté une valeur instable pi; instable puisque
du point de vue de So, en Sito, on se situe (au mieux) en hors
q,q' (les conditions climatiques ne sont pas satisfaisantes). En
reconstruisant q--p sur le plan subjectif à partir de Sito1, So
se donne les moyens d'identifier pi à p. Mais l'identification de
pi à p se fait à partir de Sitq ("Si je pouvais") c'est à dire à
partir d'un point de vue que So ne reprend pas à son compte (dans
notre exemple il est attribué à So') d'où la valeur concessive et
l'apodose en "mais...". Les deux contraintes sont maintenant
explicables:
1) La disparition de la pause entre les deux propositions q
et p dans le "concessif" tient au fait que la préconstruction de
p l'a inscrit comme le second terme d'une relation q-p qui fait
l'objet d'une reprise globale sur le plan fictif.
252
2) La relation S2--p déjà construite apparaît comme un bloc
et c'est l'ensemble des valeurs S2p / S2p' qui est en cause
relativement à q. Du coup la confirmation de S2p n'entraîne
aucune contrainte sur la nature du sujet.
Les différences qui séparent le "concessif" de l'"optatif"
tiennent au mode de construction du terme de référence p. Selon
qu'il est préconstruit ou construit a posteriori nous aurons
l'une ou l'autre valeur. Nous proposons de résumer nos
observations dans le tableau suivant:
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
! préconstruit. ! construit a posteriori !
! (critère C.1.) PôleS ! (critère C.3.) PôleT !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! VALEURSDEVALIDATION(C.4:L'altéritéestdetypeI/E) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Letermederéférenceestconstruitsurleplandu !
! validable. (critère C.6.) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Sito1estl'origineduplanduvalidable. (critère C.8) !
! !
! "Si j'avais de l'argent je ! "Tiens, je prendrais bien !
! partirais bien à Tahiti." !une bière moi!" !
! "concessif" ! "optatif" !
'----------------------------------------------------------'
3. Systématique des valeurs de bien
253
3.1. L'opposition S / T
L'ensemble des valeurs de bien est complexe et c'est de
cette complexité que nous avons essayé de rendre compte. Les
bases théoriques de notre analyse sont maintenant connues, elles
supposent la mise en relation de l'énoncé étudié avec l'acte
énonciatif qui l'a produit. Nous avons pu constater que
l'ensemble des valeurs de bien s'organisait autour de deux
attitudes possibles de l'énonciateur relativement à
l'actualisation de l'occurrence (pi) sur laquelle portaient les
opérations dont bien est la trace.
1) L'énonciateur rapporte cette occurrence (pi) à un modèle
(p) qui lui préexiste auquel il la compare. Nous parlons alors de
construction subjective de l'occurrence.
2) Ou bien, l'occurrence est construite en l'absence de tout
modèle préconstruit. A priori l'énonciateur ne dispose pas de
repère subjectif pour évaluer cette occurrence. Nous parlons
alors de construction temporelle de l'occurrence.
Il y a deux attitudes possibles. Elles correspondent au
premier principe de structuration du système des valeurs de bien,
c'est l'opposition S / T. Il nous semble que les problèmes
rencontrés jusqu'à maintenant dans l'analyse de bien tiennent au
refus de considérer également ces deux possibilités. Cela a
conduit généralement les auteurs à réduire les valeurs
254
temporelles au cas des valeurs subjectives (voir
J-P. Dalbéra 1981, D. Duprey 1979).
On a reconnu un enjeu essentiel de l'analyse linguistique,
faut-il ajouter qu'il dépasse largement les frontières de notre
discipline (1)?
3.2. L'altérité est de fondation
Nous avons mis en évidence un deuxième principe. Il s'agit
du type d'altérité attribuable à pi. Cette voie était déjà
largement balisée par les études grammaticales traditionnelles
(adverbe de manière vs adverbe d'opinion).
Plus intéressant peut être est de voir que cette altérité
est à l'initiale des opérations dont le marqueur est la trace. Du
coup définir les différents types d'altérité (travailler sur la
négation) c'est définir des classes de valeurs correspondantes.
A. Culioli (1989, p187) postule une "opération primitive" de
négation pour laquelle il envisage deux formes: valuation et
existence (absence). Rien d'étonnant alors à ce que le deuxième
principe de structuration des valeurs de bien repose sur cette
opposition (altérité I/F et altérité I/E).
Mais le rapprochement de bien avec la négation doit être
poursuivi. Sur les tables de fréquence, pas est le premier
255
adverbe du français et bien occupe justement la deuxième place.
Nous pensons qu'il y a là plus qu'un hasard statistique. Il nous
semble que le fonctionnement d'un adverbe comme bien, dans la
langue, est complémentaire de celui de la négation. Les choses
sont assez simples à dire en termes de domaines notionnels. Avec
la négation on s'éloigne du centre, on franchit une limite, on
sort du domaine; avec bien on est ramené vers le centre on
revient à l'intérieur du domaine. L'altérité peut être stabilisée
c'est le rôle de la négation, l'altérité peut être réduite et
c'est le rôle d'un marqueur comme bien.
Reste que la description de ces deux formes de calcul serait
impossible hors d'un constat (le rôle de l'opposition S/T) que la
grammaire traditionnelle ne semble jamais faire et pour cause,
car il nous ramène une fois encore à l'acte énonciatif origine
des constructions.
Les deux principes que nous venons d'évoquer sont à la base
de la systématique des valeurs de bien que nous présentons dans
le tableau synthétique suivant (si nécessaire, on en trouvera en
notes le développement explicite):
256
.------------------------------.-----------------.
! C.1. ! C.3. !
.------!------------------------------!-----------------!
! ! ! !
! C.2. ! "appréciatif" ! "intensif" !
! ! ! !
!------!-----.------------------------!-----------------!
! ! ! ! !
! ! C.5.! "confirmatif" ! "confirmatif.t" !
! ! ! ! !
! C.4. !-----!------.-----------------!-----------------!
! ! ! C.7 !"sollicitation" ! "prophétie" !
! ! C.6 !------!-----------------!-----------------!
! ! ! C.8. ! "concessif" ! "optatif" !
'------'-----'------'-----------------'-----------------'
E. Benveniste a ouvert cette synthèse, nous demanderons à A.
Culioli (1989, p195) de bien vouloir la conclure: "(...) il n'y a
pas de marqueur sans la trace mémorisée de sa genèse, il n'y a
pas de marqueur (...) qui ne soit issu de l'ajustement de deux
représentations complémentaires appartenant au même domaine d'une
catégorie notionnelle; tout objet (méta)linguistique recèle une
altérité constitutive. C'est le travail énonciatif de repérage
(subjectif et intersubjectif; spatio-temporel; quantitatif et
qualitatif) qui en composant l'ajustement complexe des
représentations et des énonciateurs, supprime, met en relief ou
masque cette altérité".
257
NOTES DE LA CONCLUSION
(1): Dans un autre domaine, ce qu'écrit E. Morin (1982, p136) sur
la notion d'événement nous paraît poser la même problématique que
la nôtre:
"La notion d'événement est relative".
1.a) La notion d'élément relève d'une ontologie spatiale. La
notion d'événement relève d'une ontologie temporelle. Or, tout
élément peut être considéré comme événement dans la mesure où on
le considère situé dans l'irréversibilité temporelle, comme une
manifestation ou actualisation, c'est-à-dire en fonction de son
apparition et de sa disparition, comme en fonction de sa
singularité. Le temps marque d'un coefficient d'événementialité
toute chose.
b) Autrement dit, il y a toujours ambivalence entre
événement et élément. S'il n'y a pas de "pur" élément (c'est-à-
dire si tout élément est lié au temps), il n'y a pas non plus de
pur événement (il s'inscrit dans un système), et la notion
d'événement est relative.
c) Autrement dit encore, la nature accidentelle, aléatoire,
improbable, singulière, concrète, historique de l'événement
dépend du système selon lequel on le considère. Le même phénomène
est événement dans un système, élément dans un autre. Exemple:
les morts du week-end automobile sont des éléments prévisibles
d'avance, probables, d'un système statistico-démographique qui
obéit à des lois strictes. Mais chacune de ces morts, pour les
membres de leur famille, est un accident inattendu, une
malchance, une catastrophe concrète". (voirScienceavecConscience,
Fayard éd, 328p).
(3): Systématique des valeurs de bien (tableau):
258
.----------------------------------------------------------.
!SYSTEMATIQUEDESVALEURSDEBIEN!
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Le terme de référence est ! Le terme de référence est !
!préconstruit. !construit a posteriori !
! (critère C.1.) PôleS! (critère C.3.) PôleT!
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
!VALEURSDEVALUATION(C.2:L'altéritéestdetypeI/F)!
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! "Ce devoir est bien ortho- ! "Il est bien ridé, cet !
! graphié." ! homme!" !
! "appréciatif" !"intensif" !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
!VALEURSDEVALIDATION(C.4:L'altéritéestdetypeI/E)!
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Letermederéférenceestconstruitsurleplanfactuel. !
! (critère C.5.) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! "C'est bien la femme que ! "On achève bien les !
! j'ai vue hier." ! chevaux!" !
! "confirmatif" !"confirmatif.t" !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Letermederéférenceestconstruitsurleplandu !
! validable. (critère C.6.) !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Sitoestl'origineduplanduvalidable. (critère C.7) !
! !
! "Vous prendrez bien ! "Laisse-le, il y arrivera !
! quelque chose avec nous." !bien tout seul." !
! "sollicitation" ! "prophétie" !
'----------------------------------------------------------'
.----------------------------------------------------------.
! Sito1estl'origineduplanduvalidable. (critère C.8) !
! !
! "Si j'avais de l'argent ! "Tiens, je prendrais bien !
! je partirais bien à ! une bière, moi!" !
! Tahiti, mais..." ! !
! "concessif" !"optatif" !
'----------------------------------------------------------'
259
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaires, grammaires et ouvrages de lexicologie consultés.
ACADEMIE FRANCAISE., (1844), Dictionnairedel'Académiefrançaise, Paris,
7ème éd 1877, Firmin-Didot éd, 2vol, 903p et 967p.
BESCHERELLE, M., (1875), Dictionnairenationalou"Diction-
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1319p.
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272
TABLE DES MATIERES
Contenu
SOMMAIRE. ................................................................................................................................................ 4
INTRODUCTION ......................................................................................................................................... 5
LES VALEURS DE BIEN ............................................................................................................................ 5
CHAPITRE I ............................................................................................................................................... 37
L'"APPRECIATIF" ..................................................................................................................................... 37
1.1. Identification de la valeur ................................................................................................................. 37
1.1.1. Critères sémantiques .................................................................................................................. 37
1.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................... 40
1.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................... 41
1.2. Caractérisation de la valeur .............................................................................................................. 43
1.2.1. La valeur d'"appréciatif" ............................................................................................................ 46
1.3. Un exemple d'"appréciatif": "être + bien" ........................................................................................ 59
1.3.1. Critères sémantiques .................................................................................................................. 60
1.3.2. Critères grammaticaux............................................................................................................... 61
1.3.3. Critères syntaxiques................................................................................................................... 61
1.3.4. Caractérisation des deux valeurs ............................................................................................... 63
En résumé ................................................................................................................................................ 67
NOTES DU CHAPITRE I ...................................................................................................................... 69
CHAPITRE II .............................................................................................................................................. 73
L'"INTENSIF" ............................................................................................................................................. 73
2.1. Identification de la valeur ................................................................................................................. 73
2.1.1. Critères sémantiques .................................................................................................................. 73
2.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................... 75
2.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................... 76
2.2. Caractérisation de la valeur .............................................................................................................. 77
2.2.1. La valeur d'"intensif" ................................................................................................................. 78
2.3. Le "constat" et les connotations négatives ....................................................................................... 83
2.3.1. La question des catégories de procès ......................................................................................... 84
273
2.3.2. L'"intensif" suppose l'absence de téléonomie ............................................................................ 94
En résumé ................................................................................................................................................ 97
NOTES DU CHAPITRE II ..................................................................................................................... 99
CHAPITRE III .......................................................................................................................................... 101
LA SUITE "BIEN + Dét + NOM" ........................................................................................................... 101
3.1 Identification des valeurs ................................................................................................................. 101
3.1.1. Critères sémantiques ................................................................................................................ 101
3.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................. 102
3.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................. 103
3.2. Caractérisation des valeurs ............................................................................................................. 107
3.2.1. La valeur "i" ............................................................................................................................ 110
3.2.2. La valeur "ii" ........................................................................................................................... 114
3.2.3. Les termes denses dans la suite "bien + nom" ......................................................................... 119
En résumé .............................................................................................................................................. 123
NOTES DU CHAPITRE III .................................................................................................................. 125
CHAPITRE IV .......................................................................................................................................... 127
LE "CONFIRMATIF" .............................................................................................................................. 127
4.1. Identification de la valeur ............................................................................................................... 127
4.1.1. Critères sémantiques ................................................................................................................ 128
4.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................. 128
4.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................. 129
4.2. Caractérisation de la valeur ............................................................................................................ 130
4.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition intersubjective ................................................... 134
4.2.2. L'altérité p,p' est relayée sur le plan intersubjectif .................................................................. 139
4.2.3. L'altérité p,p' n'est pas relayée sur le plan intersubjectif ......................................................... 143
4.3. Un exemple: la suite "impératif + bien" ......................................................................................... 144
En résumé .............................................................................................................................................. 146
NOTES DU CHAPITRE IV .................................................................................................................. 148
CHAPITRE V............................................................................................................................................ 149
LE "CONFIRMATIF.T" ........................................................................................................................... 149
5.1. Identification de la valeur ............................................................................................................... 149
5.1.1. Critères sémantiques ................................................................................................................ 150
274
5.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................. 151
5.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................. 151
5.2. Caractérisation de la valeur ............................................................................................................ 152
5.2.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition intersubjective ................................................... 153
5.2.2. L'altérité p,p' n'est pas relayée par une opposition intersubjective. ......................................... 156
5.3. p' correspond à une autre occurrence pj de P ................................................................................. 159
5.3.1. L'altérité p,p' est relayée par une opposition intersubjective ................................................... 159
5.3.2. L'altérité n'est pas relayée par une opposition intersubjective ................................................. 170
En résumé .............................................................................................................................................. 174
NOTES DU CHAPITRE V ................................................................................................................... 175
CHAPITRE VI .......................................................................................................................................... 177
LA "PROPHETIE" ET LA "SOLLICITATION" ..................................................................................... 177
6.1. Identification des valeurs ................................................................................................................ 177
6.1.1. Critères sémantiques ................................................................................................................ 177
6.1.2. Critères grammaticaux............................................................................................................. 178
6.1.3. Critères syntaxiques................................................................................................................. 179
6.2. Caractérisation des valeurs ............................................................................................................. 184
6.2.1. La "prophétie" ......................................................................................................................... 184
6.2.2. La "sollicitation" ...................................................................................................................... 188
6.2.3. Comparaison avec les autres valeurs ....................................................................................... 193
6.3. Les plans du "factuel" et du "validable" ......................................................................................... 196
6.3.1. Le factuel ................................................................................................................................. 197
6.3.2. Le validable ............................................................................................................................. 197
6.3.3. Deux manières de concevoir le validable ................................................................................ 199
En résumé .............................................................................................................................................. 200
NOTES DU CHAPITRE VI .................................................................................................................. 201
CHAPITRE VII ......................................................................................................................................... 203
L' "OPTATIF" ET LE "CONCESSIF" .................................................................................................... 203
7.1. Identification des valeurs ................................................................................................................ 203
7.1.1. Quelques critères ..................................................................................................................... 203
7.1.2. Le conditionnel ........................................................................................................................ 206
7.2. Caractérisation des valeurs ............................................................................................................. 211
275
7.2.1. L'"optatif" ................................................................................................................................ 214
7.2.2. Le "concessif" .......................................................................................................................... 221
7.3. Les domaines du "validable" .......................................................................................................... 226
En résumé .............................................................................................................................................. 227
NOTES DU CHAPITRE VII ................................................................................................................ 229
CONCLUSION ......................................................................................................................................... 232
SYSTEMATIQUE DES VALEURS DE BIEN ........................................................................................ 232
1. Les valeurs de valuation .................................................................................................................... 237
2. Les valeurs de validation ................................................................................................................... 240
2.1. Les valeurs de confirmation ....................................................................................................... 242
2.2. Les valeurs du validable ............................................................................................................. 245
3. Systématique des valeurs de bien ...................................................................................................... 252
3.1. L'opposition S / T ....................................................................................................................... 253
3.2. L'altérité est de fondation ........................................................................................................... 254
NOTES DE LA CONCLUSION ........................................................................................................... 257
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................... 259
Dictionnaires, grammaires et ouvrages de lexicologie consultés. ......................................................... 259
Articles et ouvrages de linguistique. ..................................................................................................... 261
TABLE DES MATIERES ......................................................................................................................... 272