texte_doit-on_militer_aux_cotes_des_indiens (antonio de talapazo ou j'ai Été semble Être...
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Texte avant dition publi in Brsil(s). Sciences humaines et sociales, Dilemmes
anthropologiques , 2013, n 4.
Doit-on militer aux cts des Indiens ?
Rcit du non-engagement dune anthropologue sur le terrain
Mait Boullosa Joly1
Cest grce nous et la Pachamama2 que tu as eu ta bourse. Maintenant que tu
reviens, nous allons signer un accord ensemble sur la restitution de tes travaux. Ces propos
mont t tenus en 2002 par un militant de lorganisation indienne de Quilmes, un village
situ dans la prcordillre des Andes du Nord-Ouest argentin o javais fait un premier
terrain deux ans auparavant. Selon Antonio, jtais redevable vis--vis de lorganisation
indienne de la bourse doctorale que javais obtenue et jentendais par son injonction quil
dsirait avoir un droit de regard sur mes travaux. Cette demande allait dans le sens des
rgles morales aujourdhui largement rpandues dans le milieu acadmique, notamment
dans le champ des tudes sur les peuples autochtones en constant dveloppement.
Dans de nombreuses universits anglophones, il existe des comits dthique afin de
veiller la responsabilit du chercheur vis--vis des communauts quil tudie (Bosa 2008 ;
Gagn 2008). Celui-ci est li par un contrat qui protge les populations visites et
lanthropologue lui-mme, de plus en plus souvent mis en question dans un contexte de
dcolonisation de la recherche. Cependant, il y a dix ans, nous tions encore peu sensibiliss
ces questions, surtout en France o lintgrit morale et la rigueur scientifique sont
gnralement considres comme des garanties suffisantes du respect des principes
thiques . (Fassin 2006).
Quilmes, en 2002, il tait encore possible de mener une enqute sans passer par
lorganisation indienne locale. Jaurais pu cependant rpondre favorablement la demande
dAntonio, je ne lai pas fait. Pour quelles raisons ? Quels problmes thiques et scientifiques
cela me posait-il ? Quelles implications cela a-t-il eu sur ma recherche ? Quelles portes se
sont fermes ? Lesquelles se sont ouvertes ? Il est souvent question de lengagement du
1 Mait Boullosa Joly est maitre de Confrences en anthropologie lUniversit de Picardie Jules Verne, chercheur au CURAPP et chercheur associe au CERMA. 2 La Pachamama, la mre terre, est une divinit troitement lie la fertilit dans la cosmologie andine.
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chercheur sur le terrain. Cest pourtant lhistoire de mon non-engagement que je vais relater
ici.
Je reviendrai sur mes expriences en tant quethnographe dans le Nord-Ouest
argentin, une rgion sur laquelle je travaille depuis treize ans. Elle a connu un important
processus d ethnicisation 3 dans les annes 1980 qui sest amplifi depuis. Je dcrirai plus
particulirement mes premires interactions en 2000 et en 2002 en donnant voir les
coulisses de ma recherche et les raisons qui mont pousse ne pas mengager aux cts des
militants. Il ne sagira pas de remettre en cause la lgitimit dun mouvement qui cherche
valoriser les origines indiennes de populations jusque-l rendues invisibles, marginalises et
discrimines. Les groupes engags dans une revendication doivent toutefois souvent passer
par des phases d essentialisme stratgique afin de se construire en collectif identifiable
et dvoluer dans leur combat (Spivak 1987). Ces tapes sinscrivent dans des processus
beaucoup plus longs mais elles peuvent tre inconfortables pour le chercheur qui les
observe. Je dcrirai lune de celles auxquelles jai t confronte en 2002, alors mme
quAntonio me demandait de mengager ses cts. La prise de distance que jai dcid
doprer ma place dans une position dlicate vis--vis de lorganisation indienne. Elle a
engendr de nombreuses remises en questions de ma part mais aussi, parfois, de la part de
mes htes. Je montrerai cependant que ce que jai vcu comme des dboires de
lenqute ma en ralit permis de mieux comprendre les difficults que pouvaient
rencontrer les militants sur la scne locale et, plus largement, dans la socit que jtudiais.
Arrive sur le terrain
En 2000, je me suis rendue dans la partie andine du Nord-Ouest argentin avec
lintention de comparer la tradition orale de ses habitants avec celle que javais observe
lautre extrmit des Andes, au Venezuela. Il y avait t question de sorcires, dours, de
lutins, de lacs, dor cach, de maldictions et de gurisons miraculeuses : des mtaphores
qui renvoyaient la force des anctres et leur pouvoir sur les hommes alors mme qu
cette poque les paysans andins vnzuliens ne se revendiquaient pas comme Indiens4.
3 Le terme ethnicisation se rapporte ici un processus rcent, en partie impuls depuis lextrieur mais pris en main et construit par des reprsentants locaux (Boccara 2010). 4 Cela a peut-tre chang aujourdhui dans le cadre des politiques multiculturelles gnralises en Amrique latine.
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Jen avais conclu que, mme si elles ne parlaient pas deux au prsent, ces histoires
permettaient de leur redonner vie tout en les relguant dans un pass aujourdhui rvolu.
Cest avec cette hypothse que je suis arrive sur mon terrain en 2000. Le statut de
communaut indienne dAmaicha et de Quilmes, deux villages de la rgion, ma de ce fait
beaucoup surprise. Que voulait dire tre Indien aujourdhui ? Il y avait certes des
lments culturels que lon retrouve dans de nombreuses parties des Andes : un mode de
production agro-pastorale combin une exploitation verticale des ressources5, une
alimentation base de mas, des activits artisanales comme le tissage ou la cramique et la
croyance en la Pachamama, la mre terre. Cependant, on y parlait exclusivement lespagnol6
et je ne trouvais pas de diffrences fondamentales avec les autres villages alentours o
aucune identit indienne ntait revendique. voquer les Indiens ailleurs qu Amaicha et
Quilmes renvoyait aux anctres qui avaient vcu sur ces terres, laiss des vestiges
archologiques et qui lon devait des faits tranges relats dans les rcits de tradition orale
comme au Venezuela. Les habitants avaient en effet appris lcole que les Indiens avaient
disparu larrive des Espagnols et quils vivaient dans un pays aujourdhui chrtien
et civilis . Ils semblaient tenir cette ide. Lvanglisation a jou un rle important dans
ce processus de dnigrement, les missionnaires ayant associ la figure de lIndien celle du
barbare dont ils ont diabolis les croyances (Gruzinski 1988). Cet effacement de lIndien est
aussi li un contexte historique particulier lArgentine. La Conquista del desierto
[Conqute du dsert] du XIXe sicle, pendant lesquelles les populations indiennes de la
pampa furent extermines, sont au fondement mme de la construction nationale qui exclut
la composante indienne (Quijada & Bernand 2000). Les vagues de migrations europennes
au XIXe et au XXe sicle ont galement contribu en effacer la prsence. LArgentine sest
ainsi construite sur le modle europen de ltat-Nation avec lide trs ancre que les
5 Malgr la diversit des rares activits conomiques de la rgion (commerciales, artisanales, dans les emplois
communaux, sans oublier les revenus des migrants partis de manire temporaire ou dfinitive), il existe toujours
une activit agro-pastorale et ce que John Murra a nomm une exploitation verticale des ressources (Murra
1975) avec la pratique de la transhumance en haute altitude les mois dt. La rciprocit et lchange, tant de biens que de services, taient des lments essentiels dans lorganisation conomique et sociale des socits andines avant la Conqute, y compris dans notre rgion dtude (Lorandi, De Hoyos 1995). Ils sont toujours en vigueur, accentus par le contexte de crise conomique et montaire qua connu lArgentine en 2002. 6 Le kakano, que lon parlait avant la Conqute dans les valles calchaquies, sest perdu durant les premiers sicles de la colonisation et il nen reste que peu de traces dans les archives coloniales (Giudicelli 2008, 2010). Cela constitue un problme pour les leaders indianistes locaux, le critre de la langue tant souvent retenu dans
la dfinition dune unit culturelle.
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Indiens avaient disparu. Ils ont ds lors t renvoys un pass lointain prcdant le
triomphe de la civilisation.
Cest donc la question de lindianit aujourdhui qui a guid mon enqute Amaicha
et ma conduite vers mes premiers informateurs. Mes interlocuteurs ne semblaient pas
comprendre mon interrogation et il mtait impossible dobtenir une rponse jusqu ce que
je rencontre lorganisation indienne de Quilmes.
Jtais alle visiter lancienne citadelle de Quilmes, clbre dans le pays comme lieu
o la rsistance indienne aux conquistadores a dur le plus longtemps : cent trente ans,
jusquen 1664. Les vaincus ont t dports pied jusque dans la rgion de Buenos Aires
(1500 km) et ils ont t somms de sinstaller la priphrie de la capitale, dans la ville qui
porte aujourdhui leur nom.
En dcouvrant le site archologique, jtais intrigue par le paysage semi-dsertique
et je ne voyais pas o pouvait tre la communaut indienne dont javais entendu parler.
Comme je souhaitais rester sur place, le vieil homme qui maccompagnait ma conduite chez
une de ses comadres7, Doa Rosa, qui habitait une grande maison en briques au bord de la
route. Jy ai t accueillie bras ouverts. Dans le patio se tenaient une quinzaine de
personnes dont la plupart avaient entre dix-huit et quarante-cinq ans. Tous sont venus me
saluer, lair ravi. Ctait la Commission indienne Quilmes (CIQ) et lun des hommes qui me
faisait face tait Pancho, le cacique [chef indien] que je voulais rencontrer.
Les uns et les autres mont demand do jtais. Dans les villages reculs que javais
visits jusque-l, jexpliquais que jhabitais en Europe et faisais une petite carte du monde
avec des pierres pour montrer que javais travers la mer en avion, notamment pour
rpondre la question : Combien de temps met-on cheval pour venir de chez toi ? . Je
mapprtais donc machinalement ramasser des cailloux lorsque jai entendu Oui, mais o
dEurope ? . En apprenant que jtais Franaise, ils se sont exclams Ah ! Paris !
Paris ! . Trois des dirigeants de lorganisation revenaient en effet dun sjour dans cette
ville o ils avaient t invits pour le vernissage dune exposition de photographies de
Quilmes au Muse de lHomme en juin 20008. Cet vnement tait en partie organis par la
ville homonyme (province de Buenos Aires) qui, dans les annes 1980, avait tabli un pacte
de fraternit avec le village andin. Pancho, Luis et Gustavo, les trois militants ayant fait le
7 Lien de parrainage, lien de parent spirituel important dans cette rgion. 8 Muse de lHomme, Paris, La communaut indienne Quilmes , Exposition, 29 juin - 4 septembre 2000.
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voyage, mont montr des photos deux au pied de la tour Eiffel, de lArc de triomphe et
lintrieur du Muse de lHomme. trange exprience que celle de lethnographe partie loin
de chez elle dans une qute daltrit, quelle savait certes relative, mais pas ce point ! Au
milieu de ce dsert, se retrouver chez soi
Les militants en lutte pour les terres
Au sein de la CIQ, jai fait la connaissance de plusieurs jeunes gens dynamiques,
ouverts et trs informs de lhistoire de la Conqute. Ils soulignaient quel point leurs
anctres avaient souffert et insistaient sur les injustices dont les Indiens taient encore
victimes. Dans une petite salle munie dun tlviseur et dun magntoscope, ils mont
montr des vidos, certaines ralises lors de crmonies en lhonneur de la Pachamama et
une autre concernant un procs qui stait tenu dans la ville voisine contre les terratenientes
(propritaires terriens). Jai alors compris que lindianit ntait pas ici mise en valeur dans
une simple volont de valorisation culturelle . Elle avait une dimension minemment
politique avec pour objectif la rcupration des terres.
Chacun des membres de la CIQ voulait mhberger, cela semblait tre un honneur.
Cest Pancho, le cacique, qui a eu le privilge de maccueillir les premiers jours. Il ma
emmene chez lui larrire de sa moto sur des routes chaotiques. Il tait lun des seuls
membres de lorganisation possder un vhicule motoris, trs utile dans cette zone o les
hameaux sont spars par de longues distances9. Nous sommes arrivs chez lui la nuit
tombe et jai dcouvert une petite ferme en torchis sans lectricit ni eau courante. Pancho
y vivait avec sa sur, absente ce soir-l. Nous avons bu du mat et il ma accord un trs
long entretien la lueur dune bougie. Visiblement habitu raconter son histoire et surtout
expliciter la cause quil dfendait, il ma parl sans que jaie besoin de poser beaucoup de
questions. Il a voqu ce que pouvait tre auparavant la vie sous le rgime des
terratenientes, des patrons , auxquels les villageois devaient payer un lourd tribut. Ils
donnaient un tiers de leur production annuelle et travaillaient un mois par an pour le
propritaire, avec la peur dtre chass de chez eux. Cela faisait trente ans que certains
luttaient contre cette domination. De nets progrs avaient t faits mais la question des
terres navait pas encore trouv de solution. Il a aussi beaucoup fait rfrence la culture,
9 Les quatorze hameaux compris dans la Communaut indienne Quilmes (CIQ) sont disperss sur une superficie
de 40 km.
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au rapport harmonieux que les Indiens entretiennent avec la nature et leur histoire en
gnral. Ses propos venaient confirmer lide qutre Indien Quilmes sinscrivait dans un
contexte de luttes agraires et de revendications sociales et politiques. Durant mon sjour,
jai assist des oprations de valorisation du patrimoine culturel local. Diffrents projets de
recherche taient en effet mens par de jeunes tudiants originaires du village sur les
plantes et les pratiques mdicinales. La mmoire collective tait aussi un objet privilgi.
Une jeune militante de la CIQ, qui tudiait lhistoire dans la ville voisine et venait de soutenir
son mmoire de fin dtude sur les Quilmes (Yapura 2002), contestait la version officielle
selon laquelle la prsence amrindienne locale avait cess avec la dportation de 1664, ce
qui a t confirm par dautres travaux ethno-historiques depuis (Rodriguez 2008). partir
de sources orales, elle soutenait que certains Indiens dplacs dans dautres encomiendas10
seraient revenus vivre sur leur lieu dorigine. Elle contredisait ainsi lide trs ancre sur la
scne nationale et chez de nombreux villageois quil ny aurait plus de descendants
dAmrindiens locaux dans la rgion. Au-del de lintrt politique de faire valoir son
autochtonie dans un contexte de politiques multiculturelles, la CIQ participait la
valorisation et la patrimonialisation de la culture locale, un processus important dans un
contexte national o les cultures indignes nont t que peu valorises, voire nies
(Boullosa 2001, Ramirez 2012).
Jai pu mener de nombreux entretiens avec des militants. Javais le sentiment
daccumuler beaucoup de matriel car tous taient daccord pour me parler et partager avec
moi le rcit de leur combat. Je pense qu ce moment de mon enqute si Pancho ou
Gustavo, avec qui je mtais lie damiti, mavaient demand de signer un accord, je laurais
envisag comme allant de soi.
Deux mois plus tard jai d rentrer Paris o jai eu un an et demi pour analyser les
donnes recueillies, prendre du recul et commencer un travail de dconstruction. Je me suis
rendu compte alors que je navais, presque exclusivement, que des entretiens avec des
membres de lorganisation indienne. Jen avais cependant quelques-uns avec Don Jesus et
Doa Rosa qui me logeaient et qui accueillaient les militants pour leurs runions. Je parlais
10 Lencomienda tait un systme appliqu par les colons qui consistait regrouper sur un territoire des centaines
dindignes qui travaillaient sous les ordres dun encomendero, ainsi rcompens de ses services envers la
monarchie espagnole.
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souvent avec eux le soir autour dun mat ou pendant le dner. Javais ainsi pu avoir accs
une parole diffrente.
La distance et le recul pour dconstruire les ides reues
Jai compris progressivement que les conflits agraires dans cette zone taient
anciens. Il y avait de lourds rapports de domination sans aucune loi pour protger les
paysans locaux de lexploitation que pouvaient exercer les patrons . Jai notamment
recueillis des tmoignages sur lpoque du rgime militaire argentin. De 1976 1983, les
propritaires terriens dnonaient les paysans revendicatifs, les accusaient dtre
subversifs et ceux-ci taient torturs : certains mme ont disparu 11. Don Jesus, le vieil
homme chez qui jhabitais Quilmes, tait le hros de cette priode. Il avait t emprisonn
et avait subi des svices pendant sept ans dans lattente dun procs quil avait finalement
gagn. Il tait le seul avoir le titre de proprit de sa maison et de ses terres et cest la
raison pour laquelle son domicile tait devenu le sige de lorganisation indienne en lutte.
Cet extrait dun entretien avec Doa Rosa, la femme de Don Jesus, retrace cette
poque :
Doa Rosa : Nous avons beaucoup souffert quand les patrons taient propritaires. On souffrait car les patrons nous chassaient. Nous, on ntait pas libres de mettre une plante si on ne leur disait pas... On souffrait beaucoup pendant ces annes-l. Plus maintenant, grce Dieu, maintenant non... Parce que les terres sont comme si elles taient nous... Parce que comme on a dsign le cacique qui est Pancho, et on lutte, parce que lon continue lutter pour quils nous donnent les terres... Oui... Mat : Et il y avait un cacique avant Pancho? Doa Rosa : Aprs, quand ils ont ananti les Indiens, l il ny avait plus de cacique. Et aprs, quand nous avons commenc lutter pour les terres, l ils ont nomm Pancho pour quil soit cacique, oui...12
Doa Rosa voque les conditions doppression dans lesquelles les paysans de la
rgion vivaient avant que lorganisation indienne ne soit fonde. Elle fait rfrence aux
anciens Indiens anantis et parle des droits quils ont ensuite acquis grce Pancho, le
nouveau cacique. Jai ainsi ralis que le statut de communaut indienne, loin dtre
11 Les disparus (los desaparecidos) sont les victimes du rgime militaire dont les corps nont pas t retrouvs. 12 Entretien avec Doa Rosa, aot 2000.
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immmorial, tait rcent. Le discours des militants mentionnait rgulirement le cadre
juridique les concernant et limportance de la premire loi en faveur des Indiens de 1985 qui
reconnait des droits fonciers aux populations indignes. Il rappelait aussi larticle 75 de la
constitution de 1994, anne o lArgentine a instaur le statut de pays multiculturel, qui
entrine les acquis de la loi de 1985. Jai alors compris que les conflits agraires staient
ethniciss au cours des annes 1980 travers ce cadre juridique spcifique. Cest en effet
durant cette priode que la CIQ, cre dans les annes 1970 et suspendue durant le rgime
militaire de 1976 1983, a t ractive (Pierini 2011). Cette organisation runit les
quatorze villages et hameaux en lutte contre les trois grands terratenientes du secteur. Le
nom Quilmes dune des localits concernes a t repris en lhonneur des valeureux
guerriers qui avaient dfendu durant cent trente ans leur territoire au moment de la
Conqute.
En mettant en vidence ce processus de construction identitaire, je ne veux en rien
nier lindianit de ces villages. Il sagit dune rgion avec une grande richesse culturelle et de
nombreux hritages dorigine prhispanique. Mais jai dcouvert progressivement que cette
auto-reconnaissance en tant quIndien tait non seulement rcente, mais aussi complexe.
De la difficult de se reconnaitre Indien en-dehors du milieu militant
Lors de mon enqute de terrain en 2000, je navais pas ralis dentretiens avec des
villageois non impliqus dans la CIQ. Les militants rpondaient facilement mes questions
sur ce que signifiait tre Indien aujourdhui et comme ils affirmaient toujours se
prononcer au nom de leur communaut, javais tendance penser que leur point de vue
tait reprsentatif et traduisait les aspirations de lensemble des villageois. Leur
appartenance aux organisations indiennes en faisait des porte-parole et leur confrait un
pouvoir symbolique incontestable : ils recevaient le droit de parler et dagir au nom du
collectif, de se prendre pour le groupe quils incarnaient (Bourdieu 1982).
Ce sont les discussions et les entretiens avec Doa Rosa qui mont ouvert les yeux sur
dautres types de reprsentations.
Dans un premier temps, elle refuse dvoquer des Indiens :
Mat : Pour vous, cest quoi tre Indien? Doa Rosa : Eh bien... Pancho sait beaucoup de choses parce que moi, je ne me rappelle presque plus, je nai pas beaucoup de mmoire... Ils font les runions ici mais moi je ne suis jamais
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avec eux. Moi je suis dans les casseroles, en train de cuisiner et de servir manger...13
Doa Rosa prfre dire quelle a oubli et le justifie par un manque de mmoire. Elle
me renvoie Pancho, le cacique qui, lui, sait . Je souhaitais pourtant connaitre son
opinion sur ce que signifiait, pour elle, tre Indienne. ce moment de mon enqute, je
supposais en effet que les habitants dAmaicha et de Quilmes se reconnaissaient en tant que
tels en raison du statut de communaut indienne des villages mais javais des difficults
avoir des informations sur le sujet en dehors des organisations militantes. Doa Rosa, dans
sa rponse, me signifiait quelle ne matrisait pas assez le thme pour saccorder la lgitimit
de sexprimer ce propos. Elle pointait ainsi implicitement lenjeu politique que cela pouvait
avoir et elle voulait laisser les spcialistes sen charger.
Cest en dtournant la question que jai russi saisir sa reprsentation des Indiens,
en les mettant distance comme je lavais fait prcdemment au Venezuela. Lorsque jai
voqu les sites archologiques, sa parole sest dune certaine faon libre :
Doa Rosa : Les gens disent quune fois, dans les ruines, ils ont dterr une urne Il y avait les restes de lIndien, lIndien tout petit que lIndienne avait mis l quand ils [les conqurants] sont venus faire la guerre pour les tuer Ils disent quil y avait de lalgarrobo [caroubier] lintrieur de lurne, grill. Ils grillaient le mas comme nous. Quand nous tions petits, ma grand-mre et ma maman le grillaient dans une petite urne, elles grillaient le mas et lenvoyaient au moulin pour en faire de la farine afin que nous la mangions. Cest pour a que je dis que je suis indienne, bien sr !...
Et de continuer :
Eux [les villageois], ils croient que si on leur dit quils sont indiens, ils ont limpression quils vont mourir, ils croient quils sont rabaisss... Mais ce nest pas a, moi, au contraire, je suis contente dtre indienne... Mes parents taient pauvres, ils taient indiens, ils nont pas t des personnes de haute catgorie...14
LIndien dont elle parle est donc tu par les conquistadores ds leur arrive. En se
rfrant au site archologique de Quilmes et la tragdie de leur dfaite et de leur
dportation, Doa Rosa reprend lide trs rpandue quils ont disparu au moment de la
conqute. Pourtant, si elle vince lIndien de la rgion, elle se compare eux travers son
13 Ibidem. 14 Ibid.
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propre mode de vie. Le mas grill ainsi que la plante de caroubier trouvs dans une urne la
renvoient aux usages culinaires de son enfance toujours en vigueur dans la valle. Cest ainsi
quelle affirme quelle est elle-mme indienne mais que, au contraire des autres villageois,
elle en est fire. Dans ses propos, tre Indien est synonyme de pauvret. Il est le vaincu de
lHistoire, au plus bas de lchelle sociale. Lorsquelle affirme : Les gens croient que si on
leur dit quils sont Indiens, ils ont limpression quils vont mourir , elle souligne aussi le
danger de sassocier cette figure du pass longtemps diabolise par lEglise. Cette image de
lIndien contrastait avec les reprsentations que je men faisais et qui taient davantage en
accord avec celles qui circulent sur la scne internationale (au sein des institutions
internationales et des ONG) : un Indien valoris, incarnant la sagesse par rapport notre
socit de consommation, une vie en harmonie avec la nature, spirituelle, etc.
Loin de tout cela, Doa Rosa me montrait le caractre discriminant dtre catalogue
comme Indienne. Elle lassumait mais pointait le caractre exceptionnel de cette
identification. Sa position pouvait sexpliquer par ses contacts frquents avec les membres
de la CIQ qui se runissent chaque semaine dans son patio. Elle tait peut-tre aussi lie
son mode de vie. En effet, son mari, Don Jesus, tait propritaire de ses terres et lun et
lautre vivaient dans une prosprit relative par rapport au reste des habitants du village.
Elle a ainsi connu une ascension sociale qui lui permettait de revendiquer ses origines
indiennes linstar des personnes dorigine modeste qui la revendiquent dautant plus
firement quelles ont connu une mobilit ascendante significative.
Photographie : Mait Boullosa Joly
Doa Rosa dans sa cuisine lors dune de nos nombreuses conversations (aout 2000). Elle prpare ici des tamales base de farine de mas et de viande.
Un Indien cologiste pour justifier les luttes agraires
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Les propos de Doa Rosa contrastaient avec les discours des militants qui pour la
plupart reprenaient les reprsentations valorisantes de lIndien que javais moi-mme au
dpart.
Lextrait dun entretien ralis en 2000 avec Pancho, le cacique, en est un bon
exemple:
Pancho : Jai cout parler lhomme daujourdhui, qui avait un discours plus ou moins semblable au ntre, reconnatre que les Indiens ne staient pas tromps quand ils disaient quils ne voulaient pas que lon contamine leau, quils ne voulaient pas exploiter les mines, quils ne voulaient pas une quantit de choses... Les Indiens le savaient, ils le savaient pour lavoir vcu, cest quelque chose que lon devine quand on a de lexprience. Alors aujourdhui, il y a des gens qui nous donnent raison, cest--dire aux Indiens actuels et ceux davant. Quand ils sopposaient quelque chose, ils avaient raison !15
Pancho valorise ici lexprience des Indiens, leur sagesse et leur bon sens enfin
reconnus par la socit. En coutant ses discours et en lisant de nombreux articles dans les
mdias nationaux et internationaux propos des Indiens, je me suis rendu compte que ces
arguments cologistes sont ceux qui peuvent lgitimer aujourdhui les revendications
sociales et territoriales de paysans locaux. Ce sont eux qui donnent de laudience. Les
questions sociales et conomiques sont ainsi mises de ct au profit de proccupations
environnementales dont les Indiens seraient les garants.
Pour sa part, Antonio, le militant qui me demandait de signer un accord avec eux,
mettait laccent sur la spiritualit des Indiens et leur mysticisme, voquant lnergie de la
nature et de la Pachamama. Il reprenait des lments de la littrature chamanique
empreints de croyances new-age, des lments trangers la religiosit de la rgion :
Antonio : Dans chaque communaut nous avons des sites archologiques dans la montagne et tout est l. On y trouve des dessins, des vestiges dhabitations, des sentiers. Tu trouves beaucoup de choses, des constructions faites aux commencements du solstice, des cycles de la lune. Notre grand-mre la lune, parce que la lune est une grand-mre car elle est trs ge, comme nous disons. Le grand-pre arbre parce quil a beaucoup dannes ou le grand-pre sommet ou la grand-mre pierre parce quelle est trs vieille et plus elle est ge, plus elle possde dnergie. Ici, si un jour tu te sens nerveuse, cherche larbre le plus grand et enlace-le. Tu vas voir quau bout dun moment, tu vas te sentir tout fait calme et cest pour cela
15 Entretien avec Pancho, aot 2000.
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quil faut lui donner [allusion aux offrandes faites la Pachamama], parce que ces plantes, ces choses ont beaucoup dnergie, elles ont beaucoup dannes Peut-tre que ce que je suis en train de te dire te semble quelque chose de vide mais, pour nous, cest trs important parce que nous lexprimentons constamment.16
Antonio a eu une longue exprience urbaine Buenos Aires o il a frquent le
milieu universitaire. Est-ce dans ce contexte quil a eu accs cette littrature ? A-t-il t
initi par dautres militants ou par des personnes engages dans une qute spirituelle et
attires par le monde amrindien ? Ces contacts se sont-ils nous dans le village voisin ?
Amaicha est en effet une communaut indienne emblmatique qui attire de nombreux
visiteurs voluant dans le monde intellectuel ou artistique. Beaucoup disaient ressentir
lnergie voque par Antonio et dcrite dans les ouvrages de Carlos Castaeda ou de James
Redfield17. Antonio a t un prcurseur dans ce domaine, car si ces reprsentations se sont
depuis largement propages, elles taient peu connues des habitants locaux au dbut des
annes 2000 :
Antonio : Ce nest pas difficile de rentrer en contact avec un esprit Par exemple, notre ville sacre [le site archologique de Quilmes], disons, le centre nergtique du cur de la valle calchaqu, parce que l o se rassemblaient les peuples taient des lieux nergtiques qui avaient un niveau dnergie, de vibration trs haut. Donc, le cacique, l o il plantait son cach, on appelle a bton aujourdhui, cest l que les peuples se rassemblaient, cest l quils faisaient le village parce que ctait un lieu spcial.18
Au cours de cet entretien, Antonio a utilis douze fois le mot nergie et quatre
fois lexpression trs hautes vibrations , des termes qui taient encore absents du
vocabulaire des autres militants de la CIQ. Il avait pris le rle de chaman au sein de
lorganisation et adoptait une attitude de matre qui essayait de mexpliquer la sagesse.
Antonio tait trs grand et ses yeux bleus fixaient ses interlocuteurs avec beaucoup
dinsistance. Cest certainement cette posture qui ma incite toujours garder mes
distances avec lui.
16 Entretien avec Antonio, aot 2000. 17 James Redfield est lauteur de La Prophtie des Andes, un ouvrage dit au dbut des annes 1990 et diffus trente-cinq millions dexemplaires dans trente-cinq pays. Il tait souvent connu des jeunes tudiants ou artistes qui visitaient la rgion (beaucoup sy sont installs depuis). 18 Ibidem.
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En coutant les enregistrements, jai remarqu aussi que Gustavo, un jeune militant
ayant grandi Buenos Aires, dcrivait pour sa part les Indiens en se rfrant des lments
nord-amricains inspirs des westerns. Voici un exemple o les Indiens incarnent un idal de
paix en opposition avec la faon dagir des hommes politiques quil juge barbare et
meurtrire :
Gustavo : Je pense que leur Pachamama [des politiciens] cest largent. Eux, plus ils ont dargent, plus ils en veulent. Pour largent, ils sont prts tout, jusqu tuer Moi je sais quancestralement nos caciques, nos peuples, se runissaient en rond, ils fumaient une pipe et ils se mettaient discuter afin de se connatre entre eux. Ils discutaient des problmes de leur village, et parlaient de la faon de faire afin que les villages sentendent bien entre eux...19
Ces reprsentations se retrouvent dans un reportage de 2001 sur la commmoration
du partenariat entre la communaut de Quilmes et la ville du mme nom prs de Buenos
Aires. Un article de plusieurs pages est consacr la venue du cacique des Kilmes de
Tucumn20. Sur les photos, Pancho apparat en train de fumer avec le maire de la ville une
grande pipe sculpte orne de nombreuses plumes, semblable un calumet de la paix.
Lintroduction reprend les propos dun Indien cologiste qui auraient t prononcs par le
cacique des Kilmes : Nous sommes le sang neuf parce que nous oxygnons
lAmrique . Cet article a t publi dans une petite revue de quelques feuillets mais qui a
rgulirement paru de 1993 2008 : Los Indios Kilmes. Celle-ci tait dirige par un
journaliste de Quilmes (province de Buenos Aires) qui a beaucoup travaill avec la CIQ
depuis la fin des annes 1980. De nombreux intellectuels, Indiens ou sympathisants, se sont
exprims dans ce journal et ont ainsi aid les militants dans llaboration de leur discours et
dans la consolidation de leur lutte.
Deux choses peuvent tonner dans le titre de la revue Los Indios Kilmes. Tout dabord
le choix du terme dIndio car Indgena lui est prfr sur la scne nationale afin
deuphmiser les connotations insultantes de Indio. Dans les milieux militants ce sont
Aborigen ou Autoctono qui sont utiliss. Gustavo mavait dit ce propos que le terme Indio
ou India dans Communidad India Quilmes (CIQ), ne se rfrait pas, selon lui, lIndio spoli
du pays mais aux Indiens dAmrique du Nord et leur combat pour la sauvegarde de leur
19 Entretien avec Gustavo, aot 2000 20 Somos la sangre nueva porque oxigenamos los pulmones de Amrica ( Reportaje al cacique de la Kilmes
de Tucumn, Pancho Chaile , Los Indios Kilmes, 8e anne, octobre-novembre 2001).
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territoire. Il me montrait en disant cela un poster o un Indien sioux posait firement au-
dessus des ordinateurs dans le petit bureau qui leur tait rserv chez Don Jesus. Cette
interprtation serait vrifier mais elle montre le type de rfrences que peuvent mobiliser
certains militants afin de valoriser leur combat dans un contexte local o limage de lIndien
est dgradante. Dans Los Indios Kilmes, le K de Kilmes peut aussi surprendre. La
substitution de la lettre a t explicite ds 1993 par un professeur de philosophie, Victor
Gullota, dans un article de ce mme journal : Porqu escribemos Kilmes con K y no con
Q - las peripecias y trasfondos de un consonante [Pourquoi crivons-nous Kilmes avec
un K et non avec un Q ? - Les pripties et le sens profond dune consonne]. Selon
lauteur, le K a une origine trs primitive, comme celle de nos Indiens . Il cite comme
preuve le dcret de 1812 qui a fond la ville la priphrie de Buenos Aires en tant que
pueblo de los Kilmes . Il ne sagirait donc pas l dune erreur mais dune faon de lutter
contre la langue latine hrite de la colonisation : Le k est un signe de lorigine
autochtone des naturales de cette terre, de leur langue et de leur phontique . Dans son
argumentation, Gullota se rfre aux temps anciens voquant le quechua parl (sic) dans
une partie du Nord-Ouest argentin au moment de la conqute dans lequel le k est utilis
au lieu du qu . Il fait galement rfrence lalphabet phontique international qui
permet de transcrire des ethnonymes et des langues indignes. Quoiquil en soit de la
justesse de son interprtation, le k tel quil est utilis aujourdhui dans des contextes de
mouvements identitaires a toujours pour effet de valoriser une origine autochtone et de
soutenir la reprsentation romantique dune communaut soude par le collectivisme social
(Fry & Vogt 1996, 270).
Pour en revenir larticle de 2001 mentionn plus haut, tant son contenu que son
titre sont significatifs du processus dessentialisation de lidentit indienne et de la qute
dun Indien originel. Ds lintroduction, le journaliste a la volont de mettre en avant un
Indien mythique, sage, avec un vocabulaire inspir de celui des Peaux-Rouges de
westerns : Le cacique des Kilmes de Tucumn, Pancho Chaile, dont le nom en kakn, la
langue mre des Kilmes, veut dire vaillant, daprs les gens de la valle . En mentionnant
la langue mre des Kilmes, le kakn, une langue pourtant disparue depuis le XVIIe sicle
et dont il nest pas rest de traces (Giudicelli 2008), le journaliste semble vouloir construire
une reprsentation de la valle datant de lpoque prhispanique dont Pancho et les Kilmes
seraient les descendants directs.
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On peut rapprocher cette mise en scne de lindianit des propos de Gustavo sur les
anctres. Jai progressivement compris que le discours des militants et les traditions quils
instauraient pour lextrieur navaient pas toujours la fonction de renseigner sur la ralit de
leur village. Lobjectif tait surtout de poser la lgitimit de la CIQ dans le cadre de la
rhtorique des organisations internationales. Je ralisais alors que la prsentation de soi en
termes ethniques ne dpendait pas dune situation gographique et culturelle, mais quelle
tait troitement lie aux reprsentations que ces militants avaient de lIndien et celles
quils croyaient que les autres sen faisaient. Ils adhraient ainsi au mythe de l'Indien tel quil
est reprsent sur la scne internationale, un Indien originel faonn en opposition un
certain modle de socit occidentale, moderne, urbaine (De lEstoile 2006, Bensa 2007).
Ces remarques vont dans le sens des rflexions de Pierre Bourdieu quand il affirme que les
manifestations identitaires, quelles soient rgionales ou ethniques, sont labores partir
de critres rpondant aux reprsentations mentales que les autres peuvent se faire de leurs
porteurs (Bourdieu 1980, 64).
Photographie Mait Boullosa Joly
Le cacique de Quilmes sur la place centrale de la ville de Tucumn (19 avril 2002)21
Des militants forms dans le monde urbain
En analysant les rcits de vie des militants, je me suis rendu compte que tous avaient
connu une longue exprience urbaine. Cest le cas de Pancho qui a vcu quinze ans Buenos 21 La CIQ est venue ce jour-l sur la place centrale de la ville de Tucumn au rassemblement des communauts
indiennes afin de rclamer des droits territoriaux. Un journaliste tend son micro Pancho, le cacique de Quilmes,
afin quil puisse se faire entendre. Il est accompagn dautres membres de la CIQ, dont Tiofilo qui le suit avec
une lance, une boucle doreille en plume et un tee-shirt nou sur la tte. Ces attributs sont l afin de mettre en
scne lindianit quils revendiquent et les droits qui leur sont lis.
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Aires o il a travaill dans le btiment. Revenu au dbut des annes 1980, il a repris la ferme
de ses parents et sest investi aux cts de son pre dans la lutte contre les propritaires
terriens. Cest aussi le cas dAntonio qui est parti assez jeune pour la capitale o il sest
engag dans la marine quelques annes avant de suivre des tudes de physique
luniversit sans avoir pu les terminer. Lui aussi sest occup de lexploitation familiale son
retour en 1993 et, limage de sa mre trs investie dans le conflit qui les opposait aux
patrons , il a rejoint les rangs de la CIQ22. Gustavo, pour sa part, a grandi Buenos Aires
o ses parents avaient migr avant sa naissance mais il passait ses vacances chez sa grand-
mre Quilmes. Il est revenu vivre auprs delle lge de vingt-cinq ans, aprs avoir t
employ quelques annes dans une raffinerie de la capitale. Dans son tmoignage, il dit ne
pas stre rendu compte, lors de ses courts sjours, des rapports de domination existant
entre les terratenientes et les habitants. Cest en sinstallant au village que son regard a
chang et quil a commenc voir les injustices commises par le terrateniente. Lorsquil
est all lui demander de leau pour ses animaux, il na pas support que celui-ci lui ordonne
de payer dabord les dettes de ses grand-mres parce quelles taient ses
arrenderas [mtayres] . Gustavo dit lavoir insult en lenvoyant au diable. Il dcrit cet
vnement comme le point de dpart de son adhsion aux rseaux indianistes locaux. Il
souligne justement le lien entre lexprience urbaine des militants et leur engagement dans
la CIQ. Selon lui, ceux qui sont partis vivre lextrieur de la communaut sont davantage
touchs par le thme de leurs racines et de poursuivre : Srement parce que de
lextrieur on le voit clairement, je ne sais pas, mais ici il y a peu de gens qui
comprennent... . Il tait intressant pour moi de dcouvrir que ceux qui se revendiquaient
Indiens ntaient pas ceux qui je pensais au dpart. Leurs trajectoires taient loin de celles
des Indiens isols que jimaginais. Comme les leaders autochtones sur lesquels ont crit
dautres chercheurs, ils avaient pour la plupart longtemps vcu dans le monde urbain et leur
niveau scolaire et leur formation politique taient au-dessus de la moyenne villageoise
(Pacheco de Oliveira 1998, Canessa 2007, Bosa & Wittersheim 2009, Guyon 2009). La source
de lethnicit rsidait donc dans la communication culturelle plutt que dans lisolement
culturel (Barth 1995, 204).
22 Un livre a dailleurs t crit sur la vie de sa mre trs engage dans le combat contre les propritaires terriens au moment de la premire cration de la CIQ dans les annes 1970 (Racedo 1998).
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Un processus dethnicisation gnralis
mon retour sur le terrain en 2002, jai t trs surprise de constater que de
nombreux villages voisins rclamaient leur tour le statut de communaut indienne .
Jassistais l un processus dethnicisation gnralis. La convention 169 de lOrganisation
internationale du travail (OIT) qui octroie des droits sur les terres aux peuples autochtones
avait t ratifie par lArgentine Genve en 2001. Cette convention tait alors devenue le
cheval de bataille des communauts indiennes qui mergeaient.
En deux ans, le discours identitaire des militants de la CIQ stait radicalis. Il incluait
prsent la dichotomie Indien / homme blanc peu prsente auparavant. Alors que
Gustavo nutilisait pas le terme blanco en 2000, il lavait employ vingt et une fois dans
un entretien ralis avec lui mon retour. Les propos des militants des organisations
indiennes avec lesquels javais discut Tucumn taient galement empreints dune
rhtorique anti-Blanc, anti-Occidental, anti-chercheur qui me mettait dans une position
inconfortable. Le contexte de grave crise conomique, financire et sociale que connaissait
lArgentine cette anne-l et ses dmls avec le FMI qui avait dclar la banqueroute du
pays devaient contribuer aussi accentuer lexpression dune rancur envers lOccident.
Quand je suis alle rendre visite Antonio pour le saluer et quil ma demand de
signer un accord sur la restitution de mes travaux avec lorganisation indienne, jtais donc
beaucoup moins laise que je ne laurais t deux ans auparavant. Dautant quil tait un de
ceux qui avaient un discours des plus essentialistes et je craignais quil ne veuille mettre ma
rflexion sous contrle. Peut-tre aurai-je pu tenter de trouver un terrain dentente ? Je ne
sais pas. Jtais seule et je navais pas limpression de disposer de lautorit de
lethnographe dont on parle souvent. Je me sentais plutt vulnrable et mal arme pour
affronter ce militant peu enclin au dialogue.
Je ne suis donc jamais alle la runion de la CIQ o Antonio mavait dit de me
rendre pour signer ce fameux document et jai continu mon enqute hors du milieu
militant. Cela fut possible cette poque car lorganisation indienne qui ne reprsentait pas
lensemble du village, navait pas le pouvoir politique officiellement institu quelle a
aujourdhui. Elle tait alors relativement en marge et il ma t possible de garder une
certaine autonomie.
Des discours strotyps aux rcits locaux
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Comme nous lavons vu, mener des entretiens avec les militants fut dune facilit
dconcertante et dans un premier temps, jai eu le sentiment daccumuler trs vite beaucoup
de donnes. Les leaders sont en effet des professionnels de linterview. Ils sont
rgulirement sollicits par les mdias, les ONG, les anthropologues et les touristes dsireux
de sinformer de la ralit locale et du combat pour les droits indiens. Dans ce cadre, ils
doivent faire passer un message, persuader, sduire. Cela fait donc partie intgrante de leur
activit et ils sont gnralement trs entrans. Pour ceux qui ne ltaient pas, ils ont eu
loccasion de se rder avec moi.
Leurs rcits se sont rvls souvent semblables et construits sur une structure
commune. Ils ont pour but de convaincre pour permettre une action politique ou pour rgler
des problmes dordre pratique. Ils sont fonds sur des lments culturels en partie locaux
mais aussi imports afin dtre comprhensibles et efficaces. Aprs avoir eu limpression
davancer rapidement dans mes recherches, jai eu progressivement limpression dcouter
en boucle les mmes rcits et de tourner en rond . Finalement, cest ma prise de distance
avec le milieu militant qui ma permis de renouveler mes interrogations.
Mener des entretiens auprs des paysans locaux non investis dans le militantisme
indianiste sest avr toutefois beaucoup plus difficile. Il a fallu une approche patiente et
dlicate. Lusage du langage, tant dans les mots que lon peut employer que dans les thmes
que lon peut aborder, dpend de la position sociale du locuteur qui commande laccs
quil peut avoir la langue de linstitution, la parole officielle, orthodoxe, lgitime
(Bourdieu 1982:107). Or, la plupart des villageois non-impliqus dans les rseaux
institutionnels ou militants ne considraient pas leur prise de parole comme autorise et me
renvoyaient rgulirement aux spcialistes, cest--dire aux membres de la CIQ. Il a fallu
beaucoup de temps avant quune certaine confiance sinstaure et que je puisse enfin
recueillir des rcits concernant leur propre histoire, leur vision des choses et leurs croyances.
Jai ainsi compris que parler des Indiens relevait du tabou. Lorsque je demandais aux
villageois ce que voulait dire tre Indien pour eux, je me trouvais souvent face un
mutisme total. Jai donc appris poser mes questions diffremment, comme je lavais fait au
Venezuela et avec Dona Rosa en les interrogeant sur les Indiens davant . Jai pu constater
de cette faon que ceux-ci taient trs prsents dans la tradition orale locale et quils taient
reprsents comme des anctres valeureux et redouts dont il ne fallait pas dranger les
mes en sapprochant des vestiges archologiques.
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Les propos des simples villageois taient souvent plus spontans et moins rflexifs
sur leurs pratiques. Ils taient pourtant pour moi de premire importance et me
permettaient de ne pas me cantonner limage idalise et strotype transmise par les
militants aux visiteurs extrieurs.
Des portes se ferment, dautres souvrent
Ne voulant pas mengager officiellement aux cts des militants, je me suis ferme
les portes de la CIQ. Je nosais plus aller aux runions hebdomadaires quelle organisait de
peur quAntonio ne ritre sa demande, mais cette fois en public. Je naurais pas su quoi
rpondre. Il ma donc fallu trouver dautres interlocuteurs puisque jtais l pour un an. Jai
alors pass beaucoup de temps avec les paysans locaux non impliqus dans le mouvement.
Javais pu voir lorganisation indienne de lintrieur. La dcouvrir de lextrieur fut
trs riche denseignements pour mesurer les difficults que pouvaient rencontrer les
militants dans leur combat.
De nombreux villageois se plaignaient lpoque du manque de transparence de la
CIQ. Ils ne comprenaient pas la raison des dplacements frquents des dirigeants et les
accusaient de tirer des profits individuels dune cause collective. Plus les voyages taient
lointains, plus ils taient considrs comme rentables . Le sjour Paris des trois
principaux responsables de la CIQ avait fait natre des rumeurs leur attribuant des richesses
hors du pays. Pancho aurait mme eu un htel en France, ma-t-on dit. Ces accusations
taient tout fait disproportionnes et sans rapport avec la ralit quotidienne de militants
qui consacraient beaucoup de temps et leurs maigres moyens financiers la cause. Elles
montraient cependant le mystre qui entourait des dplacements dont beaucoup de locaux
ne comprenaient pas le sens, ne voyant pas, lpoque, de retombes matrielles directes
pour le village.
La plus grande difficult laquelle taient confronts les membres de la CIQ venait
de ce que les habitants ne se reconnaissaient pas comme Indiens. tre trait comme tel
tait considr pour beaucoup comme une insulte. Il y avait l un conflit de reprsentations.
Les villageois n'ayant pas fait leurs celles, valorisantes, qui avaient cours sur la scne
internationale, ne comprenaient pas la fiert des militants exhiber une identit, leurs
yeux, discriminante. Les raisons principales de ce rejet ntaient pas seulement sociales, elles
taient aussi dordre religieux. Pour la majorit, se dire Indiens revenait sidentifier des
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anctres non vangliss (Pizarro 2010)23 et ils simaginaient tre obligs de renoncer la
religion catholique, ce qui leur paraissait une aberration.
Laccs aux coulisses et aux confidences des militants
Durant mon sjour, jai revu parfois des militants comme Pancho ou Gustavo avec qui
javais gard des relations cordiales, voire amicales. Eux ne mont jamais parl daccord ou
de contrat. Je ne leur en ai pas parl non plus. Ils savaient cependant que je me sentais
solidaire de leur combat et jai eu loccasion, plusieurs reprises, de servir dintermdiaire
entre eux et des personnes qui voulaient les rencontrer pour mettre en uvre des projets
de dveloppement. Pancho navait pas de tlphone lpoque et tait peu joignable. Je
faisais donc parfois vingt kilomtres en auto-stop, pied ou en taxi sur des routes peu
frquentes pour lui transmettre des messages. Je lui servais aussi de contact avec lInstitut
darchologie de Tucumn qui dsirait tablir un partenariat. Pancho et Gustavo savaient
nanmoins que je vivais davantage auprs des paysans qui ntaient pas engags dans la
lutte. Ds lors ils voquaient dans nos conversations les problmes auxquelles ils taient
confronts car ils savaient que javais accs larrire-scne du mouvement. Leurs propos
avaient alors une autre tonalit que celle qui caractrisait nos premiers entretiens. Ils me
parlaient moins de lIndien gnrique sorti des cadres juridiques et des films de notre
enfance et me confiaient leurs difficults, leur sentiment dimpuissance et de tristesse dtre
injustement jugs par les habitants quils dfendaient. Ils voquaient leurs peurs, leurs
doutes, leur envie, parfois, de laisser tomber le combat, de soccuper davantage de leur
ferme et de leur famille. Ils mexpliquaient lnergie quils devaient dployer, les sacrifices
auxquels ils taient contraints et leur sentiment dtre souvent incompris. Les masques
tombaient.
Des mobilisations collectives en situation de conflit : lempowerment de lorganisation
indienne
Jai assist par la suite plusieurs tapes de la croissante mobilisation collective
autour de la CIQ. En effet, elle seule sest montre capable de soutenir les revendications
23 Sur ce thme voir louvrage de Cynthia Alejandra Pizarro (2006) sur la province voisine dont le titre est vocateur: Ahora ya somos civilizados : la invisibilidad de la identidad indigena en un aera rural dela valle
de Catamarca. [ Nous sommes maintenant civiliss : linvisibilit de lidentit indigne dans une aire rurale de la valle de Catamarca].
-
des paysans (sur les terres ou les ressources comme leau) et de les dfendre en cas
doppressions de la part des propritaires terrien. En treize ans, jai vu de nombreux
habitants se rallier lorganisation indienne. Durant toutes ces annes, la CIQ a ainsi acquis
un pouvoir politique et une capacit de reprsentation locale de plus en plus importants. Au-
del de la protection des villageois vis--vis des propritaires terriens, diffrents facteurs ont
amplifi ce processus. Depuis 2002, lorganisation stait charge de grer plusieurs projets
de dveloppement destins la communaut indienne , notamment lun dentre eux un
coordonn par la Banque mondiale dun montant de 75 000 dollars. Ctait donc la CIQ, et
non le dlgu communal, qui tait linterlocutrice de lINAI (Institut national des affaires
indignes) et des organisations internationales. Cette initiative a permis la construction de
puits, essentiels pour lirrigation de cette rgion semi-dsertique. La CIQ a galement vu
croitre sa popularit la suite de sa victoire dans les discussions avec le Secrtariat du
tourisme provincial qui lui a permis dobtenir, en dcembre 2007, le droit de grer
collectivement le site archologique de Quilmes. Ces diffrents vnements lui ont donn
davantage de lgitimit politique locale.
Photographie : Mait Boullosa Joly
La CIQ et les habitants rclament la gestion du site archologique de Quilmes (dcembre 2007).
Les conditions denqute ont ainsi volu pour les chercheurs dsireux de travailler
sur la rgion. Jai rencontr lcole des hautes tudes en sciences sociales, Paris, une
jeune chercheuse argentine qui a commenc un terrain Quilmes en 2009 avec un groupe
danthropologues et darchologues. Elle ma confi avoir eu, comme ses collgues, des
-
problmes avec certains militants qui ont exig la restitution du contenu des entretiens faits
avec les villageois. Ils ont russi collectivement refuser en arguant des problmes thiques
que cela pouvait poser. tre en groupe leur a certainement permis de ngocier et de se
positionner avec plus daplomb que sils avaient t isols comme je lavais t en 2002. Une
autre tudiante franaise travaillant sur le Nord-Ouest argentin a voulu commencer une
recherche Quilmes en 2010. Quand elle a demand lautorisation lun des jeunes
dirigeants de la CIQ, il lui a demand son plan de thse et lui a dit quil choisirait lui-mme
les informateurs qui rpondraient telle ou telle question pose dans telle ou telle partie.
Elle a donc renonc.
Conclusion
Linfluence grandissante de lorganisation indienne Quilmes a permis de mettre en
cause les rapports de domination locaux avec les propritaires terriens. Elle a galement
rendu possible la ralisation de projets de dveloppement financs par des ONG et par la
Banque mondiale. Lexploitation touristique du site archologique par la CIQ et par les
villageois eux-mmes a aussi contribu lempowerment de lorganisation indienne
(Ramirez 2012). Cependant, dans ce contexte de politisation des identits, les conditions
denqute pour les anthropologues voluent et peuvent parfois dboucher sur des impasses.
Les chercheurs sont aujourdhui souvent obligs de se ranger lavis de lorganisation
indienne sur ce que doit tre leur tude. Pour ma part, jai pu garder une certaine
autonomie car jai commenc mon travail dans une priode trs diffrente, treize ans plus
tt. Pour autant, le refus de signer un accord avec Antonio mon retour en 2002 ma mise
mal laise face aux militants et jai vcu sur le moment cette situation comme un chec.
Peut-tre aurait-il t plus confortable de mengager leurs cts ? Je considrais leur
combat pour les terres comme une cause juste et le travail de valorisation culturelle locale
comme important. Toutefois, si nous rpondons leurs demandes, nous pouvons craindre
que notre travail napporte pas plus dlments de comprhension que la lecture ou lcoute
des discours des leaders locaux dj trs labors et souvent strotyps pour sadapter aux
cadres juridiques nationaux et internationaux quils ont besoin de mobiliser. Quand le
chercheur est le seul mdiateur bien inform entre les populations tudies et la puissance
publique, il peut effectivement se sentir investi dune mission dinformation et de prise de
position militante de dfense des populations quil tudie. La situation est diffrente dans
-
les communauts moins isoles, comme Quilmes, qui bnficient de nombreux
intermdiaires (ONG, mdias, organisations internationales, associations de prservation de
lenvironnement, etc.). Dans ce contexte, lanthropologue a moins le sentiment dun devoir
dinformation et de prise de position quil ne peut lavoir quand il est le seul relais entre la
socit daccueil et la socit globale. Ces fonctions sont en effet dj largement prises en
charge par des agents extrieurs et des acteurs locaux. Sil rpond ces demandes,
lethnologue peut se voir transform en reprsentant de communaut et entrer en
comptition avec les leaders de ces mouvements qui, eux-mmes, ont un discours trs
labor propos de leur culture (Agier 1997). Au regard de ces annes denqute, cest
la distance prise avec le milieu militant qui a rendu possible laccs des reprsentations
multiples de lIndien et, paradoxalement, aux confidences des militants eux-mmes qui
pouvaient ainsi chapper au rle quils se devaient dassumer. Lloignement a permis de
mieux comprendre les difficults quils rencontraient sur la scne locale et dapprhender les
crispations que les discours ethnicistes pouvaient susciter. Mme si les reprsentations
voluent, notamment aprs les combats gagns sous la bannire autochtone, les processus
didentification sont complexes (Avanza & Lafert 2005, Cannesa 2007). Cest le recul qui a
permis den prendre la mesure et de comprendre plus finement les enjeux de ce mouvement
en Argentine, un pays qui tente de se rconcilier, non sans mal, avec une prsence
autochtone quil sest si longtemps attach gommer.
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