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FOU NTAIN Un arbre particulier pousse dans un endroit ca- ché. L’Arbre de vie. On dit que celui qui boira sa sève vivra éternel- UN AR TICUNO UN ARBRE PARTICUL POUSSE DANS UN E DROIT CACHÉ. L’ARB DE VIE. ON DIT QUE CE QUI BOIRA SA SÈVE VRA ÉTERNELLEME Un arbre particulier pousse dans un en- droit caché. L’Arbre de vie. On dit que ce- lui qui boira sa sève vivra éternellement. particu- lier pousse dans un en- droit caché. L’Arbre de vie. On dit que celui qui boira sa sève vivra éter- nellement. Un arbre particulier pousse dans un endroit caché. L’Arbre de vie. On dit que celui qui boira sa sève vivra éternellement. Un arbre particulier pousse dans un en- droit caché. L’Arbre de vie. On dit que ce- lui qui boira sa sève vivra éternellement. VIE HORS - SERIE TELERAMA - AVRIL 2011 THE

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magazine hors série. The fountain. Trvail scolaire

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Un arbre particulier pousse dans un endroit caché. L’Arbre de vie. On dit que celui qui boira sa sève vivra éternellement.

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EDito

Darren Aronofsky n’a pas toujours été le cinéaste reconnu qu’il est devenu. Au-jourd‘hui, il est célébré comme l’un des plus brillants réalisateurs américains au même titre que ses collègues de la géné-ration post-scorsesienne, David Fincher, Christopher Nolan, James Gray ou Paul Thomas Anderson… A la Mostra de Ve-nise, en 2006, The Fountain, film dans le-quel il avait mis tous ses espoirs et toute sa foi artistique, avait été rejeté par la cri-tique et le public, entraînant la majorité à jeter le discrédit sur une œuvre poétique hors norme.Après le coup d’éclat de Requiem for a dream, Aronofsky était en fait très attendu au tournant. Il a consacré cinq ans de sa vie à The Fountain , immense poème sur Eros et Thanatos, aboutissant à un échec lourd le contraignant à repartir sur des bases plus modestes (The Wrestler, le film de la résurrection christique) pour mieux revenir au plus haut niveau (Black Swan, l’un des films-vedette des Oscars 2011). Il faut avouer que The Fountain n’est pas une œuvre très accessible et qu’elle de-meure, contrairement à Inception, une œuvre cryptée et sibylline jusqu’au bout.

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The foutain raconte le combat à travers les âges d’un homme pour sauver la femme qu’il aime.

Espagne, 16ème siècle: Le conquistador Tomas (Hugh JACKMAN) part en quête de la légendaire Fontaine de jouvence, censée offrir l’immortalité.

Aujourd’hui: Un scientifique nommé Tommy Creo cherche désespérement le traitement capable de gué-rir le cancer qui ronge son épouse, Izzy (Ra-chel WEISZ).

Au 26e siècle: Tom, un astronaute, voyage à travers l’espace et prend peu à peu conscience des mystères qui le hantent depuis un millénaire

The Fountain est une odyssée sur le combat millénaire d’un homme pour sauver la femme qu’il aime, mais aussi son voyage initiatique dans l’acceptation de la mort. Il s’agit aussi d’un combat intérieur afin d’atteindre un état pur, de liberté, de plénitude et d’amour.Le film relate trois récits entrelacés qui se déroulent dans le cadre de l’Espagne des conquistadores, le présent et une dimension spirituelle que vit le personnage principal lorsqu’il est en transe méditative.Ces trois récits entrelacés peuvent être per-çus comme un seul récit qui comporte trois réalités. Il s’agirait alors du récit d’un homme à travers le temps et à travers son évolution intérieure et spirituelle.Les trois histoires convergent vers une seule et même vérité, quand les Thomas des trois époques - le guerrier, la scientifique et l’explo-rateur- parviennent enfin à trouver la paix face à la vie, l’amour, la mort et la renaissance. ●

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«La mort est une maladie qui doit être soignée»

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Tomas le conquistadorTommy le scientifique

Tom l’atronaute

Avec The Fountain, Aronofsky efface les der-niers doutes sur son talent. Il est bien un in-croyable formaliste aux idées de mise en scène insensées, puisées dans les comic books et les mangas qu’il dévorait adolescent. Trois sé-quences témoignent de son formidable génie.

temps

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D a v i d S p e r a n s k iCRITIQUESi on regarde les quinze premières minutes du film, le début est in-compréhensible à la première vi-sion : nous avons droit à une bataille entre conquistadors espagnols et combattants mayas puis à un duel entre Tomas, le chef des conquis-tadors, et un Chérubin, gardien de l’arbre de vie. Ensuite, dans une atmosphère futuriste du 26ème siècle, surgit sur une mini-planète en forme de bulle, composée es-sentiellement d’un grand arbre, un homme au crâne rasé en tenue de moine bouddhiste. Cet homme qui ressemble étrangement au chef des conquistadors, semble avoir des visions puisqu’une femme brune en tenue blanche s’adresse à lui pour lui intimer de la rejoindre et de finir quelque chose. On le voit alors, suite à un faux raccord, assis à un bureau et décliner l’invitation de la femme qu’il nomme Izzi. Au troisième refus, il arbore enfin une chevelure normale, nous sommes revenus au présent, l’histoire prin-cipale peut commencer.

Ces quinze premières minutes ne peuvent être comprises du pre-mier coup, c’est évident. Elles ne peuvent être élucidées que grâce à la suite du film et il faut parfois une deuxième vision pour com-prendre les subtilités des chan-gements d’époque du film. Darren Aronofsky en était parfaitement conscient ; néanmoins il a maintenu cette construction sophistiquée pour la beauté mystérieuse de son film, s’aliénant ainsi la plupart des spec-tateurs, potentiels adeptes d’une his-toire prémâchée.

On découvrira donc plus tard que l’épisode du conquistador provient d’un roman qu’Izzi rédige en trans-posant son amour en Espagne et au Mexique, Tommy prenant les traits du conquistador Tomas, fi-

dèle serviteur de la Reine Isabelle la Catholique. Tomas est chargé par la Reine de retrouver au Mexique l’arbre de vie, seul moyen pour la Reine de lutter par le gain de l’im-mortalité contre la volonté d’hégé-monie du Grand Inquisiteur. Izzi se sert de cette légende comme une métaphore pour raconter sa vie et son amour. Cette histoire d’amour n’existe donc pas réellement mais sert d’arrière-plan symbolique et historique au mythe de la fontaine de jouvence. La quête de Tomas est vouée à l’échec tout comme la gué-rison d’Izzi est impossible.Izzi a presque fini ce roman mais, déjà très atteinte par la maladie, il lui manque l’énergie nécessaire pour écrire le dernier chapitre, ce qu’elle demande sur son lit d’hôpital à son mari. Au début du film, les injonc-tions « finish it » concernent donc à l’évidence ce livre et lorsque Tommy avoue avoir terminé de l’écrire, le film peut se clore de manière très émou-vante.

La partie du film se déroulant lors du 16ème siècle n’existe pas réel-lement et ne représente qu’une existence fantasmée par Izzi, en revanche, la partie relative au fu-tur existe mais relève d’une expli-cation bien plus étrange : l’homme chauve est bien Tommy Creo Il a réussi à trouver la solution pour devenir immortel en opérant le singe Donovan, mais malheureusement

trop tard pour espérer sauver sa femme. Néan-moins, il a pu bénéficier du fruit de ses expé-riences et a donc déjà survécu cinq siècles. C’est bien le même homme car Tommy, après l’enterrement de son épouse, se tatoue à l’encre la trace de l’alliance qu’il a perdue au bloc opé-ratoire et cette trace a subsisté à l’annulaire de l’homme du 26e siècle. Il contemple d’ail-leurs toutes les traces de tatouage à l’encre qui ornent ses avant-bras et ses poignets et qui représentent les années, les décennies et les siècles qui se sont passés sans qu’il s’en aper-çoive. Pourquoi Tommy semble-t-il être le seul de tous les hommes à être encore vivant ? Une déflagration nucléaire aurait-elle éradiqué tout le reste de l’humanité ?

Tommy, chauve, a gardé cinq siècles plus tard la plume qu’Izzi lui a offerte en cadeau avant de mourir mais la plume est en état de délabre-ment et il est seul, désespérément seul. Izzi qui lui apparaît, en tenue blanche, n’est qu’un fan-tôme avec qui il dialogue pour tromper sa déré-liction. Il la revoit lui demander de sortir sous la neige avec elle et puis plus tard allongée, les yeux clos, sur son lit de mort. Il a néanmoins gardé un espoir dément : il a planté une graine sur sa tombe, ce qu’on voit à la toute fin du film, car Izzi lui avait expliqué que cela pouvait être une manière de renaître pour la personne dis-parue et de transformer  «la mort en éblouis-sement ». Sa mini-planète en forme de bulle est donc composée d’un arbre gigantesque qui n’est autre que celui qui a poussé sur la tombe d’Izzy. Son projet fou consiste à se rapprocher, avec sa mini-planète, de l’étoile Shibalba. Car Izzy lui avait expliqué que selon les Mayas, Shi-balba était une étoile morte entourée d’une né-buleuse qui lui donnait un aspect doré, que cette étoile était la clé pour un autre monde et qu’elle permettait de faire renaître les personnes dis-parues : la mort comme création. Par consé-quent, depuis cinq siècles, après avoir trouvé le remède absolu contre la mort (la mort n’est qu’une maladie, déclare-t-il après l’enterre-

ment de sa femme) et avoir été le seul apparemment à pouvoir en bé-néficier, Tommy, hanté par le fan-tôme de sa femme, n’a plus qu’une seule obsession, la faire renaître en la faisant passer par Shibalba.

Tom l’astronaute, se rapproche de plus en plus de l’étoile et sous l’ef-fet d’une grande angoisse, déclare

au fantôme de sa femme qu’il a peur de mourir. Ce à quoi Izzi répond en souriant : « tu sais, tu le feras». L’arbre représentant Izzi semble sur le point de mourir avant d’arriver à Shibalba. Tommy prend alors sa décision : il quitte sa pla-nète dans une mini-bulle où dans une position de méditation, il se rapproche de Shibalba pour s’y brûler et y renaître, exactement comme l’a fait dans les mythes Mayas le Père Ori-ginel, le premier homme. Il atteint son but et meurt pour renaître, précédant ainsi de peu sa bien-aimée qui va connaître le même sort sous la forme d’un arbre. Ils seront alors réunis pour toujours. ●

Il atteint son but et meurt pour renaître

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«C’est ainsi que le seigneur Dieu chassa Adam et Eve; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.»

Genèse 3.24

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D a v i d S p e r a n s k iPORTRAITDARREN ARONOFSKY

Né le 12 février 1969 dans une fa-mille juive, diplômé d’Harvard et de l’American Film Institute, Dar-ren Aronofsky apparaît comme l’un des surdoués du jeune ciné-ma américain: cinq films en 13 ans, tous considérés à des titres divers comme des réussites majeures.

Tout commence avec « Pi » en 1998 où il se fait remarquer aux Festi-vals de Sundance et de Deauville. Sorte de descendant éloigné de « Eraserhead », « Pi » se démarque d’une certaine influence lynchienne (personnage solitaire, univers dé-calé et ésotérique), par un aspect résolument intellectuel, le person-nage principal, mathématicien juif s’efforçant de trouver la formule résumant la Torah, l’univers et les cours de la Bourse. Aronofsky y a déjà réuni la plupart de ses colla-borateurs, Matthew Libatique à la photo en noir et blanc , Clint Man-sell à la musique et Eric Watson à la production.Avec « Requiem for a dream », en 2000, Aronofsky passe à la vitesse supérieure. Le style devient vibrant et syncopé, traduisant à merveille l’enfer de la dépendance dans le-quel un quatuor existentiel va des-cendre en spirales de plus en plus angoissantes. Le film est projeté en séance de minuit au Festival de Cannes, hors compétition (malheu-reusement).Aronofsky souhaite mener son pro-jet le plus personnel, un poème d’amour et de mort. « The Foun-tain » représente le summum du style aronofskien dans ses splen-deurs et ses excès. Dépourvu de concessions, le film s’exposera aux attaques des détracteurs du réalisateur et récoltera un échec cinglant, suite à une présentation houleuse à la Mostra de Venise en septembre 2006. « The Fountain » gagnera progressivement une aura de film-culte mais pour les finan-

ciers et le grand public, Aronofsky est presque mort et enterré.En 2008, il revient de l’enfer en dé-crochant le Lion d’or à la Mostra de Venise. Avec « The Wrestler  », l’heure n’est plus à l’excentrici-té et au style baroque. Aronofsky resserre son cadre sur un vieux cat-cheur en perte d’illusions et relance en même temps les bouleversants Mickey Rourke et Marisa Tomei. Sobriété et émotion, tels sont les mots qui caractérisent le film. Dé-pourvu de ses tentations esthéti-santes, le cinéma d’Aronofsky se révélera pourtant rigoureusement le même, dans sa thématique, se concentrant sur les tourments exis-tentiels d’une âme perdue.Le succès de « The Wrestler » qui rapportera bien plus que son budget modeste, va permettre à Aronofsky de mettre en œuvre un projet au-trement plus risqué, « Black swan », drame psychologique sur l’uni-vers du ballet.. L’horreur n’est pas très loin et Natalie Portman y puise le prétexte d’une composition saisis-sante en ballerine en proie aux dé-mons de la jalousie et du sexe.

A chaque film, Aronofsky aura pour l’instant renouvelé son style et pu rebondir au moment où on ne s’y attendait plus. Moins oni-rique que Lynch, moins organique que Cronenberg, plus existentiel que de Palma, Darren Aronofs-ky aura toujours su, au sein d’un système formel parfois très im-pressionnant, privilégier l’essen-tiel, les pensées et les émotions de ses personnages. ●

En découvrant le nouveau Darren Aronofsky, on se dit que c’est du travail d’orfèvre réali-sé par un cinéaste d’exception, qui à travers cette maestria révèle une intelligence de ci-néma unique dans le cinéma américain ac-tuel et dans le cinéma tout court. Mais il suffit de retourner aux racines du projet pour com-prendre que rien n’a été simple (le projet date de 2002 et a été reporté plein de fois). Comme Pi et Requiem for a dream, The Fountain est une expérience de cinéma impressionnante où la rhétorique visuelle est au service d’une histoire aussi simple que bouleversante ten-dant à retranscrire les vertiges métaphy-siques de l’amour.

Le scénario de The Fountain a connu de multiples modifications. Quelles ont été les principales ? Darren Aronofsky: La première version du scénario est disponible dans le roman gra-phique qui existe aujourd’hui en anglais et en français. Elle a été conçue grâce à mes mots et le génie de Kent Williams qui a apporté son langage propre. Lors de l’avant-première du film au festival de Deauville, il y avait Moebius; et, nous avons évoqué lors d’un dîner le fait que ce sont les acteurs qui créent l’image d’un film. Les 90% de la réussite de The Fountain, on les doit à Rachel Weisz et Hugh Jackman. Pour Moebius, ses acteurs sont les couleurs. Selon lui, grâce à Photoshop, il est très facile de changer de couleur: si on a envie de mettre un peu de jaune, de bleu ou de rouge, cela ne pose aucun problème. Pour un metteur en scène, la seule couleur est émotionnelle et vient des acteurs. Pour revenir au scénario, une fois que je l’ai achevé, Eric Watson, mon producteur, l’a lu et m’a dit que j’avais écrit un poème d’amour mortifère.

Pourquoi avez-vous raccourci la bataille entre Tomas et les Mayas par rapport à la bd ? Je n’avais pas envie de faire un film de kung-fu à la Bruce Lee car cela aurait réclamé trop d’ef-forts. Normalement, il aurait dû tuer un nombre impressionnant de mayas mais il n’en tue que cinq ou six dans le film. J’ai privilégié l’aspect

«Un arbre particulier pousse dans un endroit caché.

L’Arbre de vie. On dit que celui qui boira sa

sève vivra éternellement.»

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réaliste à tout ce qui est irréel, peut-être parce que je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais raconter.

Comment avez-vous travaillé avec Clint Mansell sur The Fountain? Il a composé des ébauches de morceaux pour la bande-son en lisant le script mais jamais en ayant vu des passages du film. C’est assez sti-mulant parce que ça nous permet de travailler avec la bande-son directement. C’était pareil pour Requiem for a dream: le thème principal revient pendant tout le film, et il a été composé avant que nous ayons commencé le tournage. Sur The Fountain, il m’a envoyé des morceaux et à chaque fois, je lui disais ce que j’en pen-sais. En travaillant ensemble, on a trouvé ce qui convenait le mieux au résultat final. Par la suite, nous avons voyagé pour travailler avec des musiciens que je trouve géniaux. Nous sommes partis en Ecosse pour collaborer avec Mogwai; après, nous nous sommes rendus à San Francisco pour bosser avec Kronos Quartet qui avait déjà beaucoup donné sur la bande-son de Requiem for a dream. Par la suite, nous sommes reve-nus à New York, c’était exactement pendant Noël l’année dernière. Nous étions épuisés mais nous avons immédiatement commencé à mixer les deux groupes pour le film. La mu-sique est un élément essentiel dans un film pour montrer les contrastes dans les émo-tions, pour les amplifier et les embellir. J’ad-mire par exemple les artistes qui arrivent à décrire des émotions sans musique; ce qui n’est pas mon cas.

Le montage de The Fountain est très différent par rapport à Pi et Requiem for a dream... En ce qui me concerne, la collaboration avec le monteur est très spéciale. J’ai pour habi-tude de travailler avec Jay Rabinowitz, mon monteur attitré; et d’ordinaire, ce qui se passe, c’est qu’il y a une première version du mon-tage qui se fait pendant le tournage du film et, en général, deux semaines après, nous com-mençons à travailler sur des moutures plus abouties. Sur le tournage de The Fountain, ça a été très différent parce que Jay devait travail-ler sur Broken Flowers, de Jim Jarmusch; et son assistant qui a travaillé avec nous sur le montage de Requiem for a dream était pen-dant le tournage à Montréal. Lentement mais sûrement, il a entamé le même processus. Dès que Jay est revenu, nous avons tout re-gardé et ça nous a pris dix semaines. Les jour-nées s’étalaient sur 15 à 16 heures de travail. Après les dix semaines, le budget montage était épuisé, mais je dois reconnaître que Jay et moi collaborions si étroitement que lorsque

par exemple j’allais sur Internet, lui continuait de bosser. Comment avez-vous connu la culture Maya ?Probablement lorsque j’étais au lycée. Je ve-nais de me faire larguer par une fille le jour de mon anniversaire et ça m’a rendu extrême-ment triste. Je suis allé dans un bar avec deux de mes amis pour me remonter le moral. Par-mi eux, il y avait Sean Gullette, l’acteur princi-pal de Pi. On était tellement désabusé qu’on a loué une voiture pour les vacances d’été et nous sommes partis sur la route avec deux caisses de bière et des dollars. Nous nous sommes rendus dans le sud puis nous avons franchi la frontière Mexicaine. On était tous les trois sur les nerfs et notre ambition à ce moment-là se résumait à rencontrer des na-nas. Nous nous sommes rendus à Palenque et j’ai trouvé le lieu magnifique. Si bien que

lorsque je suis revenu en cours, je me suis rensei-gné sur l’Histoire sud-amé-ricaine. Je ne l’ai jamais dit en interview mais c’est to-talement vrai.

Comment vous est venue l’idée d’associer une forme pyramidale à l’immortalité ? Au départ, il y avait une volonté de faire un film sur la quête de jouvence, un mythe très an-cien et peu exploré au cinéma. On a commen-cé à développer cette idée en étant sûr qu’il était possible de la concevoir en une seule et même époque. Il fallait quelque chose qui soit plus large historiquement et de plus complet pour avoir cette notion d’éternité. J’ai étudié l’histoire des Mayas à la faculté, cette culture m’a toujours fasciné. Par ailleurs, j’ai éga-lement lu un livre sur les Conquistadors en particulier et tout ce que j’en avais lu restait dans mon esprit. The Fountain est une histoire d’amour simple dans laquelle une femme va mourir tragiquement avant l’heure et elle es-saye tout simplement de capter l’attention de son mari qui ne l’écoute pas. Elle trouve le moyen d’écrire ce livre qui devient une méta-phore pour l’atteindre et le ramener vers elle. Ainsi, elle le ramène à sa réalité.

Quels étaient les parti-pris de la mise en scène ? Le travail sur le placement de la caméra était une tentative de montrer à quel point on passe de l’obscurité à la lumière en un mouvement d’une progression lente. Le personnage in-carné par Hugh Jackman vit toujours dans l’ombre, ressemble à un vampire qui a peur de la lumière. Sur le tournage, on a décidé de construire un autre mur de lumière do-rée qui rappelle la quête des conquistadors et celle du vaccin. Pendant tout le film, il y

« La seule couleur est émotionnelle et vient des acteurs »

Avril 2011 | Hors série Télérama

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a la lumière dorée de cette nébuleuse qui permet cette transition entre l’ombre et la lumière. Lier ensemble ces trois périodes dans le temps était difficile mais montrer ce passage des forces obscures à la lumière. Quant aux mouvements de caméra, on a fil-mé comme des  «mouvements de croix». Si vous regardez bien, les mouvements de ca-méra vont de l’est à l’ouest, du nord au sud. Ce sont les axes de la crucifixion.

Comment avez-vous travaillé la dimension esthétique ? L’esthétique d’un film est toujours longue à déter-miner. C’est un processus laborieux: nous avons greffé les idées les unes aux autres jusqu’à ce que l’on se retrouve dans l’espace dans un décor en 3D. Certains cinéastes savent où ils vont; sur The Foun-tain, je n’ai fonctionné qu’à l’instinct même si je sa-vais où je voulais arriver. L’image de Hugh Jackman qui boit la sève de l’arbre comme il boit à la fon-taine et qu’après les fleurs apparaissent était déjà dans la première version du script. Là où j’ai eu le plus difficulté pour achever le film, c’était parado-xalement sur Pi.

L’image de l’arbre renvoie d’ailleurs à la fin de Pi. C’est une obsession ? Certainement mais vous savez, il y a une forme de chaos et de beauté dans un arbre.

On pense à Kubrick et à Tarkovski. Vous re-vendiquez ? Je peux être totalement franc ? Je n’ai jamais vu Solaris, de Tarkovski. Mea culpa : dans tous les cinéastes dont je dois découvrir la filmographie, je ne suis pas encore arrivé à la lettre T (il rit). Hier soir, j’ai dîné avec Gas-par Noé qui m’a conseillé de voir ce film à tout prix. Si certains de mes plans évoquent d’autres films, c’est souvent inconscient. A chaque fois que je réalise, j’essaye toujours d’adopter une grammaire filmique unique pour chaque histoire. Et s’il peut exister une relation entre Pi et Requiem for a dream, dans le premier, je voulais utiliser une ca-méra subjective centrée sur le personnage de Max Cohen. Dans Requiem for a dream, il ne s’agissait plus d’un personnage cen-tral mais de quatre destins en simultané et donc quatre expériences subjectives diffé-rentes. C’est pour ça par exemple que j’ai utilisé le split-screen. Je voulais continuer à expérimenter formellement après Pi. Pour Requiem for a dream, le budget était plus confortable. The Fountain a un style totale-ment différent parce que je ne voulais plus des techniques utilisées dans mes deux précédents films même si elles étaient no-vatrices. Vous ne reverrez plus dans mes prochains films les effets visuels que j’ai utilisés dans mes deux premiers longs.

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Avez-vous eu des difficultés en terme de production ? Il suffit d’aller supplier les producteurs, de présenter le script... Accessoirement, dire que vous avez Brad Pitt dans le casting consti-tue un atout sûr. Nous avons fait The Foun-tain avec seulement 30 millions de dollars, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un produit Hollywoo-dien lambda coûte 60 millions de dollars. Un film comme Serial Noceurs a par exemple coûté plus de 80 millions de dollars. Ca vous donne une idée.

Sur Requiem for a dream, vous aviez dit que vous cou-piez toujours les meilleures scènes lors du montage. Est-ce que ce fut le cas sur The Fountain ? Tout à fait. Je venais juste d’en parler à Eric Watson d’ailleurs. Sur The Fountain, on a cou-pé des scènes de méditation dans l’espace qui seront disponibles dans les bonus sur le dvd. Mais les scènes que l’on préfère ne fonctionnent pas forcément avec l’ensemble. D’ailleurs, les scènes qu’on a coupé ne corres-pondent pas à la musicalité de The Fountain. Ce choix ne m’est pas imposé par les studios qui décident de ce qu’il faut couper ou non. J’ai toujours le final cut sur mes films.

Comment réagissez-vous aux critiques ?Stuart Rosenburg, l’un de mes maîtres, qui a mis en scène Le pape de Greenwich vil-lage, m’a toujours conseillé de ne pas lire les critiques car les mauvaises blessent et les bonnes sont pires parce qu’elles montent à la tête. En ce qui concerne The Fountain, je me souviens qu’il y a eu une standing-ovation de dix minutes et que ça a été pour moi une très belle expérience. Je me souviens également de la réaction des spectateurs pendant la projection de Requiem for a dream au festival de Cannes

où j’ai eu une standing-ovation d’environ 13 minutes. Le lendemain, dans les journaux, j’avais des critiques épouvantables. Un cri-tique m’avait même conseillé d’arrêter le ci-néma et d’aller voir un psychiatre. J’y suis habitué et sans doute que The Fountain re-cevra les critiques de tous les cyniques du

monde. Pour moi, le temps est le meilleur des juges, je n’accorde pas trop d’importance aux critiques du lendemain. Le film entre dans la mémoire collective grâce à Internet ou même le bouche à oreille. Lors de sa sortie, Re-quiem for a dream a été massacré par 60% de la presse et aujourd’hui, quand les gens m’en parlent, ils le considèrent comme un grand film. Bizarrement, et j’en discutais il

y a peu avec Eric Wat-son, nous étions sur-pris de découvrir à quel point, plus encore que Requiem for a dream, The Fountain subit des réactions très contras-tées alors que le sujet est a priori plus acces-sible. C’est intéressant

de découvrir quand vous êtes cinéaste les réactions du public, voir ceux qui nous re-jettent et ceux qui nous rejoignent.

Au final, diriez-vous que l’absence de Brad Pitt a constitué un atout ou un inconvénient ? Qui sait ce que le film aurait donné avec Brad Pitt ? Je ne pense pas que son absence soit un inconvénient. Sur Requiem for a dream, je n’avais pas les acteurs que je désirais et ce n’est pas pour cette raison que je peux dire que le film est finalement moins bon que ce qu’il aurait dû être à l’origine.

Est-ce que vous avez conscience du culte que vos films provoquent ? Quand j’étais jeune, j’allais dans un vieux cinéma situé à Manhattan qui diffusait des midnight movie comme Eraserhead, Orange Mécanique... Que des films comme Pi et Re-quiem for a dream appartiennent à cette ca-tégorie de films m’auraient réjoui. Dès qu’on essaye de faire quelque chose de différent, on est immédiatement taxé d’être un peu fou. Pour Pi, mon premier film, les gens avaient peur parce qu’il s’agissait d’un film en noir et blanc avec Dieu et les mathématiques. Pour Requiem for a dream, ils se sont dit que ce serait un énième film sur la drogue. Pour The Fountain, dès le début, les gens n’y ont pas cru. Mais ces phénomènes sont fré-quents dans le milieu. Ce qui est considéré comme fou au début ne sera plus considé-ré comme tel dans deux ans. En réalité, je travaille dur pour être ostracisé par le mi-lieu (ironique). Peut-être pour le prochain. Les studios pensent que The Fountain tou-chera un public plus vieux que Requiem for a dream en raison de sa thématique mais je pense qu’ils ont tort : la construction est trop étrange. Pour entrer dans le film, il faut ap-précier les trajectoires alambiquées et donc avoir l’esprit ouvert. ●

« Pour entrer dans le film, il faut apprécierles trajectoires alambiquées et donc avoir l’esprit ouvert »

MuseRachel Weisz qui prête ses traits

aux personnages de Izzy n’est autre que la fiancée du réalisa-

teur Darren Aronofsky.

The Fountain : la BDL’histoire créée par Darren Aro-

nosky a également permis la création d’une bande dessinée il-

lustrée par Kent Williams.

ImmortalitéC’est un sujet pouvant susci-

ter l’intérêt de chacun : «Il n’y a qu’à voir la popularité d’une série

comme Nip/Tuck, explique-t-il. Les gens prient pour être jeunes

et ils occultent le fait que la mort est une part essentielle de la

vie. Les hôpitaux dépensent des sommes folles pour garder les

gens en vie. Mais nous sommes tellement préoccupés par notre obsession du corps que nous en

négligeons l’esprit. C’est l’un des thèmes centraux que je voulais

aborder dans ce film : la mort nous rend-elle humains ? Si l’on

pouvait vivre éternellement, per-drions-nous notre humanité ?».

RecherchesPour imaginer un personnage ca-

pable d’affronter avec dignité et force d’âme le passage de la vie à

la mort, Aronofsky et son colla-borateur Ari Handel ont interro-gé des infirmières qui travaillent

avec des malades en phase ter-minale: «Elles nous ont fait com-

prendre que la plupart des gens en viennent à accepter leur mort, même si c’est au tout dernier mo-

ment. Elles nous ont dit que, en re-vanche, les familles des malades

ont souvent plus de difficultés à les laisser partir.»

BRèves

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« Il y a une forme de chaos et de beauté dans un arbre. »

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Le cinéma a pris la place centrale du monde des arts parce qu’il donne à voir des images en mou-vement, et que ces images attirent le regard humain comme jamais aucun média auparavant ne l’avait fait. L’image est Reine et le film est son extension spirituelle.Mais parler de l’image en mouve-ment est un exercice difficile ; tour à tour abstraite, fuyante, désin-carnée, l’image de film est d’au-tant plus problématique à décrire qu’elle est sans cesse changeante. Ses métamorphoses sont un défi pour le théoricien de cinéma, qui ne pourra que renvoyer le lecteur à la plus proche salle obscure afin qu’il éprouve par lui-même ces icônes d’un nouveau genre. Le texte de cinéma, de la plus simple critique à la plus complexe exé-gèse, faillit souvent à montrer à son lectorat les images mêmes dont il souhaiterait lui révéler les ressorts et les secrets. ssdo ier

symbolisme et amour

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The Fountain, troisième long métrage du réalisateur amé-ricain Darren Aronofsky, pose le même problème ; ana-lyser l’intertextualité de ses images implique d’abord

de bien les connaître, de les avoir suffisamment en tête, afin que le lecteur ne s’égare pas dans le labyrinthe de ses mul-tiples symboles.

les trois temporalités

Aronofsky a besoin de créer un centre ex nihilo, dans un format d’écran (Panora-mique) qui permette à celui-ci d’irradier à travers toute l’image sans laisser une miette de vide. Il a besoin que ses personnages soient

emportés par le flux de ce centre qui tente, morceau par mor-ceau, de conquérir la totalité de l’écran. C’est le sens, déjà, de la première image du film : à partir d’un cercle de verre cadré de très près, la caméra opère un travelling arrière qui révèle un second cercle, une rosace constituée de pétales dorés, le tout surmonté d’une croix. La caméra s’arrête en plan général ; deux bougies entourent l’objet sacré ; le cercle de verre, tout au mi-lieu, renferme une mèche de cheveux d’Isabel (Rachel Weisz), personnage que nous n’avons pas encore rencontré ; entre ce cercle et les deux bougies, le format Panoramique permet la création d’un triangle parfait, qui ne s’extraie pas des limites

du cadre. Contrechamp : Tomas (Hugh Jackman), en gros plan, lève les yeux vers l’ensemble cercle + croix, devant lequel il priait. Son regard semble inexorablement attiré par le cercle, la mèche de cheveux, la croix et le triangle qui les unit tous. Après seulement quelques secondes de film, il existe déjà un centre et, notons-le bien, il prend la forme parfaite d’un cercle pris dans les mailles d’une figure triangulaire.Comme tout triangle, celui de The Fountain possède trois cô-tés : ce sont les trois temporalités qui rythment la structure du film. Ces trois pôles, que le spectateur croit d’abord distincts dans le temps, sont liés autour d’un centre qui n’est pas une image mais un questionnement spirituel.Les trois sommets de ce triangle symbolisent les trois person-nages du film. Non pas deux seulement car, entre Tommy et Izzi dans le présent – époque la plus représentée – existe un troi-sième protagoniste dont la présence met en perspective l’exis-tence des deux principaux : la mort. Elle est ici personnifiée par Xibalba, la nébuleuse mourante, qui selon la légende Maya peut ressusciter les disparus ; elle s’incarne dans cette étoile en voie d’évanouissement qui, pour les deux amants, et quelle que soit l’époque, augure de la disparition prochaine d’Isabel.

Le triangle

Sous la forme d’une constellation, le triangle d’étoiles étend sa lumière sur le monde. On le voit briller au-dessus de l’an-cienne pyramide Maya découverte par Tomas ; traversé par Tom dans sa « bulle » futuriste, il symbolise le passage définitif vers

‘‘Où est le Graal ?’’

L’encre et la plume tommy et Izzy

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symbolisme et amour

l’outremonde ; il apparaît lorsque Tom médite dans la position du Bouddha, ses deux mains aux extrémités du corps et sa tête formant les trois points de la figure. Le triangle indique aussi une direction à suivre, comme naguère les étoiles pour les marins : gravé sur la garde d’un glaive, c’est lui qui met les conquistadors sur la piste de l’ancienne pyramide en Nouvelle Espagne ; projetée par une lumière précisément pla-cée, son ombre révèle la position de l’édifice sacré. Nécessaire-ment, celui-ci se trouve au centre du plan, au centre du triangle ; car les trois côtés, les trois sommets sont toujours équilibrés par un centre puissant qui empêche la figure de se disloquer, qui réunit les temporalités en une seule, les personnages en une entité unique, et finit par s’exprimer dans un simple question-nement. « Où est le Graal ? »

Le sacré

C’est l’interrogation principale d’un Tommy qui doit, pour son

propre salut et celui de sa femme mourante, accepter l’idée de la mort. C’est la question que ne se pose pas ce docteur trop hyp-notisé par les promesses de la science pour voir que la dispari-tion du corps n’entraîne pas l’évanouissement de l’âme. Dans la première séquence du film, au temps des conquistadors, To-mas et ses deux compagnons font face à une troupe de gardes Mayas; d’abord paralysés par la peur, les deux soldats fuient devant l’ennemi et finissent embrochés par les lances; plein de hardiesse, Tomas court vers ses adversaires en criant: « Je ne mourrai pas ici, pas maintenant, ni jamais ! ». Assuré de mourir pour sa Reine mais refusant de s’y soumettre, Tomas cherche l’Arbre de Vie pour repousser cet instant de compréhension, qui le fait sans cesse s’éloigner spirituellement de la femme qu’il aime. C’est en acceptant l’idée de la mort que Tommy parvient à atteindre l’éblouissement, comme le prophétisait le prêtre Maya gardien de l’Arbre : juste avant l’apothéose finale qui clôt le film, le Tom futuriste verse une larme de bonheur–

Il ne voyaitque la mort.

xibalba

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« Je vais mourir » dit-il en souriant – et s’offre à une mort qu’il sait désormais inéluctable et libératrice.C’est le premier « centre » du film, du triangle, du Monde – le questionnement incessant sur sa propre mort.

Le livre

Izzi Creo s’est lancée dans la rédaction d’un livre. L’histoire est celle du conquistador Tomas qui part à la recherche de l’Arbre de Vie, afin d’offrir l’immortalité à sa Reine traquée par le Grand Inquisiteur. Celui-ci s’apprête à terminer sa campagne de purification sur l’ensemble de l’Espagne, qui ne s’achèvera que par le sacrifice d’Isabel, la souveraine hérétique. C’est « la Croix » contre « la Couronne ». On lui reproche de quêter l’im-mortalité de son vivant, de vouloir restaurer le Paradis sur terre, donc de mettre à mal l’enseignement de l’Église. L’Inquisiteur a presque entièrement envahi le pays, ne restent que quelques régions isolées ; bientôt, il pourra exercer son mal contre la Reine et briser dans l’œuf cette ambition vaine d’échapper à la mort. Inspirée par les anciens mythes Mayas sur la vie éter-nelle et l’étoile Xibalba, Izzi produit surtout une parabole sur sa propre disparition : rongée par la maladie qui lui détruit peu à peu les zones du cerveau, elle sera bientôt vaincue par la tu-meur cancéreuse. « Il ne voyait que la mort ». Ce sont les der-niers mots de son livre, titré The Fountain.

L’arbre

Le conquistador part à la conquête d’un Arbre qui pousse dans le jardin d’Éden ; le docteur Creo utilise des extraits d’écorce d’un mystérieux arbre du Guatemala pour tenter de soigner la tumeur d’un singe de laboratoire ; l’homme du futur voyage dans sa « bulle » en compagnie d’un arbre mourant, dont il re-tire parfois, avec délicatesse, un morceau d’écorce pour s’en nourrir. Qu’il soit objet sacré, curieux produit médicinal ou in-carnation de la femme aimée, l’arbre est, dans le film, au mi-lieu de tous les points de fuite. C’est un « centre », un point de connivence des regards et des espoirs, le nœud Gordien qui promet de changer les hommes en rois et les vivants en immor-tels. L’expression parfaite du « centre » puisqu’il réunit, aussi,

Tommy : Je vais faire du café.Izzy : Attends ! L’éponge … Passe-la sous l’eau chaude.Tommy : Dehors, tu ne sentais pas le froid.Izzy : tommy …Tommy : J’appelle le Dr. Lip-per Izzy : J’ai peur Tommy : Iz, pardon Izzy : Ça fait déjà un moment … Je ne sens ni le chaud ni le froid.Tommy : Pourquoi tu n’as rien dit ?Izzy : Je sens un changement. En moi-même, je sens un changement. À chaque mo-ment, chaque instant …Tommy : Ne t’inquiètes pas. Je suis là, je serai toujours là.

Izzy : Que fais-tu ici ?Tommy : On voit Lipper à 15 heure.Izzy : C’est un authentique livre maya. Il explique leur mythe de la création. Voici le Père originel, le premier hu-main.Tommy : Il est mort ?Izzy : Il s’est sacrifié pour créer le monde. L’arbre de vie lui sort de l’estomac.Tommy : Viens Izzy : Écoute … Son corps s’est changé en racines. En poussant, elles ont donné la terre. Son âme s’est changée en branches, s’élevant pour donner le ciel. Il ne restait que la tête du Père originel. Ses enfants l’ont suspendue dans les cieux, créant Shibal-da.Tommy : Shibalda ?! L’étoile ? Non, la nébuleuse.Izzy : Qu’en dis-tu ?Tommy : De quoi ?Izzy : Cette idée. La mort comme acte de création.Tommy : Je sors la voiture, et je t’attends devant.

Répliques

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les trois temporalités du film autour de sa figure.Lors de deux séquences d’une grande beauté, Isabel révèle à Tom les significations cachées de l’arbre et le sens qu’il apporte à l’existence. En tant que Reine d’Espagne d’abord, elle raconte au conquistador l’histoire de l’Arbre de Vie qui se trouvait, aux côtés de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, dans le jar-din d’Éden ; lorsque Eve et Adam mangèrent le fruit de l’Arbre de la connaissance, Dieu les bannit du Paradis et protégea l’Arbre de Vie d’un « glaive fulgurant » afin d’en interdire l’accès aux hommes (« Il ban-nit l’homme et il posta devant le jardin d’Éden des chérubins et la flamme du glaive fulgu-rant pour garder le chemin de l’arbre de vie. » (Genèse, 3, 24)). Depuis, l’homme déchu est à la poursuite de l’attri-but qui lui manque : le fruit de l’Arbre de Vie qui offre l’immortalité, la seconde qualité, après l’obtention du savoir, pour atteindre la divinité. En tant qu’Izzi, ensuite, elle conte à son mari les croyances du peuple Maya, qui voyait dans l’arbre un symbole de fécondité et un élément fondamental de la construction du monde : le Père originel, premier de tous les hommes, se sacrifia pour créer le monde ; l’Arbre de Vie lui sortit de l’estomac, prenant posses-sion de son corps ; celui-ci se changea en racines qui, en pous-sant, donnèrent la terre ; son âme se transforma en branches qui s’élevèrent pour donner le ciel ; ne resta que sa tête, placée dans les cieux par ses enfants, et qui devint Xibalba.Le croisement des deux croyances, l’une traditionnelle, l’autre archaïque, offre du symbolisme de l’arbre une vision totale : d’abord Nombril du Monde, nécessaire à la création du monde et des hommes grâce à l’être humain qui l’assimile, l’Arbre de Vie trône ensuite au cœur du jardin d’Éden dans l’attente que le candidat à l’immortalité vienne cueillir ses fruits sacrés.Symbole du Centre du Monde, l’Arbre que recherche Tomas au début de The Fountain se situe au sommet d’une pyramide Maya qui semble toucher les cieux – l’escalier que grimpe le

conquistador, filmé en forte contre-plongée, accentue cette im-pression. Puisque c’est lui qui donne la vie et crée le monde, l’Arbre se trouve nécessairement au Centre parfait de l’Uni-vers – dans la tradition Maya l’arbre Ceiba ou Yaxché pousse au centre du monde et porte les couches du ciel –, jouant le rôle d’Axe, de Pilier des cieux ; le Cosmos s’organise autour de lui. Même le Soleil semble lui obéir : alors qu’il fait nuit noire à l’ex-

térieur de la pyramide, Tomas, face au gardien de l’Arbre, est éclairé par la lumière éclatante de l’astre solaire prove-nant du jardin.

L’ascension initiatique

Élévation de l’âme vers le Cosmos, l’Arbre et sa verticalité symbolisent l’ascension initiatique

vers le Ciel : on grimpe à son tronc pour atteindre le niveau supérieur, celui de la spiritualité. Il a pour jumeau le motif de l’escalier, ou celui de l’échelle – parcourir des degrés verticaux pour s’approcher des divinités. Ce n’est sans doute pas un ha-sard si le voyage de Tom dans sa « bulle » l’amène tout droit vers les hauteurs du Cosmos, vers le point le plus haut, situé au milieu et bien au-delà de la constellation des étoiles trian-gulaires : la nébuleuse de Xibalba.Cette « bulle » est une métaphore de la réalité : s’y côtoient

l’Arbre fonctionne comme un Pilier qui relie les trois niveaux spirituels : le Ciel, la Terre et l’Enfer

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la vie et la mort, sans aucune issue, liées ensemble durant ce long voyage qu’est l’existence. Tommy pense que ce parcours stellaire mène à la guérison, donc à la vie retrouvée – celle de sa femme – alors que ce trajet c’est la vie elle-même, et qu’il n’y a rien au-delà. La puissance de réincarnation de Xibal-ba n’est qu’un leurre, puisque l’étoile est mourante ; promise à s’éteindre, à disparaître de la voûte céleste. Il n’y a donc rien à attendre de ce voyage, rien à gagner, sinon de découvrir, trop tard, qu’il était vain de chercher à combattre la mort au lieu de l’af-fronter.

La promesse

Aronofsky prend soin de placer ses personnages à l’intérieur ou près des cercles. Cette figure, qui évoque la perfection des choses, semble contaminer l’espace cinématographique : cercle de verre devant lequel prie Tom (première image), « bulle » futuriste, lavabo où le docteur Creo se nettoie les mains avant d’opérer, forme de la tumeur, cercles dessinés sur le sol de l’hô-pital, etc. Mathématiquement parfait, le cercle peut symboliser un idéal à atteindre, un réel absolu qui deviendrait exemplaire en termes de proportions. C’est également la forme de la bague de mariage, image de l’amour éternel, égarée par Tommy avant une opération délicate ; en face de la mort, le traumatisme lié à cette perte se fait de plus en plus pressant, comme en témoignent ces trois plans du vieillard agonisant dans une chambre joux-tant celle d’Izzi – et au doigt duquel on peut apercevoir un an-neau bien en place.

Les symboles

La bague est centrale dans le mariage en ce qu’elle lie l’homme et la femme par un sacrement. A chaque fois que Tommy retire cet objet afin de se préparer à une opération, il repousse l’ex-périence du sacré au profit d’une science et d’une raison qu’il pense être meilleures ; la perte de l’anneau marque le passage final à la tentative de « raisonner » le mal de sa femme, autant de temps perdu sur la vie qu’il reste à Izzi.S’éloigner du centre – retirer sa bague – a pour conséquence de repousser le sacré, de retourner dans un espace profane où la mort ne peut être vaincue. Toujours, plutôt, rester dans le cercle, au centre – telle est la condition d’une sacralisation de la vie.Au cours de son voyage stellaire, Tom se tatoue sur les bras

autant de cercles que d’années de voyage ; les arbres ont aus-si des marques circulaires symbolisant les années traversées.Tomas et le Père franciscain s’égarent dans une forêt touffue dont les arbres dissimulent les secrets. Seul le glaive et son code triangulaire permettent au franciscain de découvrir l’emplace-ment de la pyramide perdue – dont le sommet est surmonté de

la lumineuse constellation.En plus des deux personnages prin-cipaux, de l’Arbre cosmique et de la symbolique du cercle, le triangle d’étoiles est l’autre figure qui lie en-semble les trois temporalités (fac-tices) du film. Il envoie ses signaux dans chaque époque, guidant les conquistadors et le voyageur inters-tellaire, déviant la raison cartésienne du docteur Creo. Celui-ci découvre en effet les propriétés de l’étrange

arbre séculaire trouvé au Guatemala, en injectant un extrait de son écorce dans le cerveau d’un singe atteint de tumeur maligne ; l’écorce magique produit son effet ; le laboratoire s’emplit des lumières d’une constellation qui contamine l’image, comme si la puissance des étoiles prenait soudain le pas sur elle : nébu-leuse imaginaire au plafond du laboratoire et qui donne à Tom-my l’intuition de ce curieux médicament, lumières projetées sur le sol des bureaux que la caméra cadre en totale plongée, ou encore constellation au niveau atomique observée au micros-cope, au cœur de la réaction chimique provoquée par l’écorce sur la tumeur . Notons que l’existence de la nébuleuse Xibal-ba n’est évoquée par Izzi qu’à la séquence suivante, celle de l’observation nocturne des étoiles ; la réalité de cette constel-lation précède donc un Tommy qui ne la connaît pas encore. Elle s’impose comme guide spirituel suprême promettant de libérer les âmes.

Les Mayas

Les Mayas savaient-ils que l’étoile Xibalba était mourante ? Ils ont choisi, volontairement ou pas, un astre agonisant pour symboliser leur royaume des morts. C’est « là-haut » que se termine le livre d’Izzi, selon ses propres mots ; c’est « là-haut » que se clôt le film, puisque furtivement, dans la dernière image, l’étoile finalement implose et disparaît du triangle. Disparaissent en même temps les deux époques parallèles, celle du passé et celle du futur.Il y a une image qui réunit les deux temporalités factices du film : celle d’un Tom du futur, en pleine méditation qui appa-

A votre retour, je serai votre Eve. Ensemble, nous

vivrons pour toujours.

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symbolisme et amour

raît, un instant, devant le gardien de l’Arbre au XVIe siècle. Cette image est à voir comme la révélation de Tommy au pré-sent ; le moment où il comprend que la question fondamen-tale de l’existence ne concerne pas la meilleure façon de vivre, mais bien de mourir.Le gardien de l’Arbre, équivalent Maya du Minotaure puisqu’il garde la sortie du Labyrinthe qu’est l’existence, ne peut être vaincu qu’une fois acceptée l’idée de la mort. C’est tout le che-minement produit par le personnage de Tommy.Quand un Maya s’éteint, on plante une graine sur sa tombe pour qu’il se réincarne dans l’arbre qui poussera. Tommy, scep-tique, ne veut pas écouter les délires pessimistes de sa femme ; il plantera pourtant, dans l’épilogue, une graine sur sa tombe.Durant tout le film, Izzi cherche à préparer son mari à son iné-luctable disparition. C’est le sens de sa plaisanterie dans la baignoire lorsque, constatant que leur bague de mariage n’est plus au doigt de Tommy, elle le taquine – « Je sais que tu ne peux pas attendre » – et le vexe. Elle n’aura de cesse ensuite d’évoquer sa mort prochaine, depuis son roman qui traite de l’immortalité inacces-sible jusqu’à son his-toire de graine plantée dans la tombe. Elle se dit prête à partir, elle n’a plus peur, elle se sent « soutenue ».

La route de l’arbre

Trouver l’Arbre de Vie n’est pas en soi une finalité ; ce qui compte, c’est d’être parti à sa recherche. L’important, c’est le cheminement qui mène à la route de l’Arbre. Lorsque la Reine fait part à son conquistador de la mission qui l’attend, explici-tée par le Père franciscain, la première réaction de Tomas est de rejet – alors que l’Inquisiteur oppose partout la Croix à la Couronne et menace l’Espagne, quoi de plus ridicule que de se lancer dans une quête spirituelle abstraite ? Mais la notion d’espoir change tout, puisqu’elle implique non seulement de sauver le royaume, mais également d’offrir la vie éternelle à la Reine et de convoler avec elle en justes noces. Encore une fois, c’est l’existence du plan et du triangle d’étoiles sur le glaive qui rend concret ce qui n’était qu’une légende.Reste à accepter l’idée de la mort. « Je mourrai pour l’Espagne » assure Tomas, comprendre : je mourrai pour vous, ma Reine. La peur de la mort, l’angoisse d’un néant indéfini étreint l’homme depuis sa naissance et l’accompagne sa vie durant, le privant du vrai bonheur d’une existence saine, détachée. Les trois Tom ont le devoir d’affronter la mort pour apprendre à accepter son indiscutable présence. Et comment mieux s’y confronter que

de mourir soi-même ?Une mort symbolique attend donc les trois Tom : Tomas, bles-sé gravement au ventre par le gardien de l’Arbre ; Tommy, qui voit s’éteindre celle qu’il aime, épreuve d’autant plus terrible qu’il doit souffrir de cette mort plutôt que la subir lui-même ; et le Tom du futur qui, symboliquement, quitte sa « bulle » protectrice et, dans un sens spirituel, meurt. Ce bref passage par l’au-delà – par Xibalba – même allégorique, est le mal né-cessaire qui permet de renaître en homme nouveau. Afin de favoriser la création de quelque chose de neuf : « La mort est la voie de l’éblouissement » assène le gardien de l’Arbre, fai-sant référence au sacrifice du Père originel pour créer les siens. C’est donc en mourant symboliquement que Tommy peut ac-cueillir l’idée de la mort comme partie intégrante de son exis-tence. Lorsque, revenant de l’enterrement d’Izzi, il ordonne à ses collègues du laboratoire de continuer à travailler pour « vaincre la mort », toutes les lumières s’éteignent soudain et Xibalba apparaît. C’est la fin des Lumières et le commence-ment des passions.

Découvrant l’Arbre de Vie dans le jar-din d’Éden, Tomas le conquistador perce son

écorce pour en boire la sève ; sa couleur est celle du lait ma-ternel. Tomas peut donc redevenir symboliquement fœtus et renaître sous une forme différente : l’arbre s’empare de lui, le végétal lui traverse la poitrine ; son corps « se change en ra-cines qui, en poussant, donnent la terre ; son âme se change en branches qui s’élèvent pour donner le ciel » (Izzi). Ne reste plus rien du corps, pas même sa tête, seulement une vague forme végétale près de l’Arbre.Mourant au Centre du Monde, Tomas laisse derrière lui l’espoir de fleurir dans une existence nouvelle inondée de spiritualité. C’est la question essentielle et c’est, surtout, le « centre » le plus important du film : la préexistence à toutes choses de l’amour éternel. ● Eric Nuevo

une promesse d’amour éternel.

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