théorie du développement moral chez lawrence kohlberg et ses critiques (gilligan et habermas)

Upload: anthony-ghelfo

Post on 19-Oct-2015

28 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Claudine Leleux, « Théorie du développement moral chez Lawrence Kohlberg et ses critiques (Gilligan et Habermas) » dans Jean-Marc Ferry et Boris Libois (dir.), Pour une éducation postnationale, Bruxelles, 2003, Éditions de l’Université de Bruxelles, coll. “Philosophie et Société”, pp. 111-128.

TRANSCRIPT

  • Pour citer cet article : Claudine Leleux, Thorie du dveloppement moral chez Lawrence Kohlberg et ses critiques (Gilligan et Habermas) dans Jean-Marc Ferry et Boris Libois (dir.), Pour une ducation postnationale, Bruxelles, 2003, ditions de lUniversit de Bruxelles, coll. Philosophie et Socit, pp. 111-128.

    Thorie du dveloppement moral chez Lawrence Kohlberg et ses critiques (Gilligan et Habermas)

    1. Prliminaires Les travaux1 de lamricain Lawrence Kohlberg (19271987) sinscrivent dans la

    perspective, ouverte par Jean Piaget avec Le jugement moral chez lenfant2, que nous a rappele Jean-Louis Genard dans son expos la semaine dernire.

    Je voudrais dabord souligner quelques similitudes et diffrences notables entre Piaget et Kohlberg :

    [1] Tout dabord, alors que les travaux de Jean Piaget porte sur lvolution du jugement moral chez lenfant, ceux de L. Kohlberg portent tout la fois sur celle de lenfant, de ladolescent et de ladulte. Or, une thorie du dveloppement moral chez ladolescent et ladulte pose des problmes pistmologiques particuliers dans la mesure o le sujet de lobservation pourrait tre en mesure de justifier galit avec le psychologue du dveloppement des points de vue moraux diffrents. Comment ds lors dpartager ces points de vue du moins moral au plus moral ? L. Kohlberg estime quil est possible de dfinir une notion universalisable de maturit morale et dadquation morale3 et donc de hirarchiser ces points de vue.

    [2] Lvolution du jugement moral chez lenfant, reconstruite par Piaget, peut tre schmatise comme un processus de dcentration permettant lenfant de passer par trois grands stades du dveloppement : lanomie, lhtronomie et lautonomie. Chez L. Kohlberg, ces trois stades sont respectivement lanalogue des niveaux pr-conventionnel, conventionnel et postconventionnel.

    [3] Bien que Piaget ait intitul son ouvrage, Le jugement moral chez lenfant, lobservation de son quipe porte essentiellement sur le comportement des enfants lgard des rgles du jeu (de billes ou de la marelle). Pour Piaget, en effet, le dveloppement de lenfant sopre partir de laction par abstraction empirique dabord et par abstraction rflchissante ensuite. Laction peut ainsi tre mentalise et le jugement indpendant dun contexte vcu. La coopration constitue ainsi chez Jean Piaget une dimension essentielle au dveloppement de lautonomie morale et du respect mutuel. Kohlberg, en revanche, dcrit lvolution du jugement moral hors dun contexte daction ou dinteraction, ce que lui reprocheront, pour des raisons diffrentes, aussi bien Gilligan que Habermas.

    Cependant, il est important sur le plan pistmologique de diffrencier le jugement moral de laction morale (mme si juger est une activit communicationnelle). Lonard Massaranti,

    1 Voir notamment, pour notre propos, Lawrence KOHLBERG, Essays on Moral Development, Harper

    & Row, San Francisco, 1981 : vol. I, The Philosophy of Moral Development : Moral Stages and the Idea of Justice ; vol. II, The Psychology of Moral Development : Moral Stages and the Life Cycle ; vol. III, Education and Moral Development : Moral Stages and Practice . Dornavant en abrg EMD.

    2 Jean PIAGET, Le Jugement moral chez lenfant, PUF, 1932. 3 Lawrence KOHLBERG, Charles LEVINE, Alexandra HEWER, Moral Stages : A Current Formulation

    and a Response to Critics, Karger, Basel New York, 1983, p. 2. Dornavant en abrg MS.

  • 2

    ancien directeur de lUnit de Recherche sur la formation aux droits de lhomme de lUniversit de Genve, sest, lui, par exemple, attach reconstruire la gense du comportement moral en sinspirant de Lawrence Kohlberg et, dans une moindre mesure, dAlfred Korzybski.

    Idalement, une thorie du dveloppement moral devrait prendre en compte toutes les dimensions de lexprience morale (cognitive, conative et affective). Cependant une thorie de lvolution du jugement moral est dj intressante sur le plan ducatif dans la mesure o des recherches ont permis dtablir une bonne corrlation entre le dveloppement du jugement moral et laction morale, comme, par exemple, la rsistance lobissance, la rsistance la tentation de tricher, et la non-dlinquance4 .

    2. Les prsupposs pistmologiques de L. Kohlberg Comme je lai dit plus haut, la thorie du dveloppement du jugement moral de L.

    Kohlberg se fonde sur des observations empiriques dont le protocole prsuppose une conception de la morale mre et adquate. Il me parat donc important avant de rsumer les points forts de cette thorie de rappeler brivement les prsupposs pistmologiques de L. Kohlberg.

    [1] Lorsque Kohlberg parle de jugement moral, il fait rfrence au point de vue moral de Kant ( the moral point of view ) quil distingue du jugement thique ( personal decision-making )5. Kohlberg distingue les questions dvaluation des questions morales, dune part les jugements de valeur et thiques (conception de la vie bonne et de lpanouissement de soi) qui sont laisss au libre-arbitre de chacun et, dautre part, les normes morales qui ont un caractre dobligation catgorique (celles-ci faisant rfrence une morale universelle laquelle adhre lindividu autonome). Le sujet moral adopte, pour Kohlberg, le point de vue des principes de Justice. La question de son bonheur individuel est, quant elle, laisse son libre-arbitre.

    [2] Lvolution du jugement moral repose chez Kohlberg sur une hirarchie objective du moins moral au plus moral :

    a higher or later stage of moral judgment is objectively preferable to or more adequate than an earlier stage of judgment according to certain moral criteria6 .

    [3] Un jugement est dautant plus moral quil rpond des critres formels de prescriptivit, duniversalit et de primaut :

    These criteria have been elaborated by a tradition of formalist moral philosophy running from Kant to contemporaries such as Hare, Frankena, Brandt, Rawls, and Raphael. These criteria of morality include prescriptivity (a distinct concept of an internal duty), universalizability (a sense that judgments should be those all people can act on), and primacy (of moral over nonmoral considerations). Such formal criteria define judgments and reasoning as involving a moral point of view or as being principled (where moral principles are distinguished from concrete moral rules and laws7 .

    [4] Sur le plan de la psychologie du dveloppement, Kohlberg se rfre Piaget. Il estime, en effet, dune part, que le dveloppement logique et le dveloppement moral soprent selon des stades et que chaque stade est une structure qui, considre formellement, est en meilleur quilibre que le prcdent et, dautre part, que chaque nouveau stade (logique ou moral) est une nouvelle structure qui inclut les lments des structures prcdentes mais qui les transforme de telle manire quelle reprsente un

    4 Michel RAINVILLE, Manuel pratique de formation lapproche de Kohlberg, Universit du Qubec,

    1978, p. 62. 5 Lucille ROY-BUREAU et Ccile GARANT, Une perspective morale mergente : la sollicitude.

    L'ducation morale revoir dans Arrimages, 1991, nos 7-8, p. 50. 6 EMD, vol. I, p. 190. 7 EMD, vol. I, p. 191.

  • 3

    quilibre plus stable et plus vaste . Toutefois, si de nouvelles structures morales prsupposent ncessairement de nouvelles structures logiques, ces dernires ne suffisent pas elles-mmes au dveloppement des structures morales :

    a new logical stage (or substage) is a necessary but not sufficient condition for a new moral stage8 .

    Kohlberg souligne que les jugements moraux impliquent des conditions et des processus absents du domaine logique. Au moins deux :

    First, moral judgments involve role taking, taking the viewpoints of others conceived as subjects and coordinating those viewpoints, whereas logic involves only coordinating viewpoints on objects. Second, equilibrated moral judgments involve principles of justice or fairness9 .

    Comme Piaget, Kohlberg distingue, sur le plan opratoire et moral, la comptence la rciprocit et la comptence la rversibilit :

    A low degree of reversibility characterize early stages of reciprocity10 .

    [5] Sur le plan du statut des sciences exprimentales, L. Kohlberg pensait au dbut dans From Is to Ought que le fonctionnement rel de la morale permettait de valider ou non une conception philosophique de la morale. Il sest ensuite ralli, dans Moral Stages, la thse de complmentarit de Habermas :

    Science then, can test whether a philosophers conception of morality phenomenologically fits the psychological facts. However science cannot go on to justify that conception of morality as what morality ought to be11 .

    3. Dispositif exprimental kohlbergien Venons-en maintenant la thorie kohlbergienne du dveloppement du jugement moral

    et de la manire dont Kohlberg la tablie.

    Pour mettre jour le dveloppement du jugement moral, Kohlberg sest servi de dilemmes moraux (une dissonance cognitive, comme perturbation de lquilibre, peut en soi tre formateur). Un dilemme moral est une situation hypothtique dont lissue pose un problme moral de choix restreint (entre deux possibilits) sous une forme normative. Ce qui va dterminer le stade dvolution morale nest pas lissue choisie pour sortir du dilemme mais le contenu de largumentation morale pour justifier le choix de lune ou lautre des issues au dilemme.

    Prenons, par exemple, le dilemme moral devenu classique de Heinz :

    La femme de Heinz est trs malade. Elle peut mourir dun instant lautre si elle ne prend pas un mdicament X. Celui-ci est hors de prix et Heinz ne peut le payer. Il se rend nanmoins chez le pharmacien et lui demande le mdicament, ne ft-ce qu crdit. Le pharmacien refuse. Que devrait faire Heinz ? Laisser mourir sa femme ou voler le mdicament ?12

    En fonction du contenu du raisonnement moral, Kohlberg tablit trois niveaux et six stades du dveloppement (voir annexe13) que lon peut rsumer comme suit :

    8 EMD, vol. I, p. 194. 9 EMD, vol. I, p. 194. 10 EMD, vol. I, p. 202. 11 MS, p. 15. 12 Ce dilemme sous-tend la prise de position du gouvernement sud-africain de mettre disposition

    des sidens des mdicaments gnriques contre le sida alors que les industries pharmaceutiques voulaient, quant elles, dfendre les droits de proprit de la recherche fondamentale.

    13 Kohlberg, par la suite, a labor un stade Mystique (stade 7), est revenu sur sa conception du stade 6 et a dcrit les caractristiques dun stade 4. Ces modifications successives me semblent tre le produit des limites de la thorie kohlbergienne pointes par J. Habermas.

  • 4

    I. NIVEAU PRECONVENTIONNEL

    1. Obir pour viter la punition (quelle que soit la rgle)

    2. Faire valoir son intrt gocentrique (mme si occasionnellement lautre en profite) II. NIVEAU CONVENTIONNEL

    3. Satisfaire aux attentes du milieu

    4. Rpondre aux rgles sociales (ordre social et lois) III. NIVEAU POSTCONVENTIONNEL

    5. Principes du contrat social (les droits fondamentaux et les contrats lgaux dune socit dmocratique mme sils entrent en conflit avec les rgles dun groupe) et droits la Vie et la Libert

    6. Principes thiques universels de justice (galit des droits et respect des humains) valables pour toute lhumanit.

    Voici, par exemple, les raisons que des enfants ont rellement invoques pour justifier le choix de lune ou lautre issue au dilemme :

    Heinz doit laisser mourir sa femme Stade 1 : Parce que sinon les gendarmes vont le mettre en prison Stade 2 : Parce quainsi il pourra se trouver une autre femme Stade 3 : Parce que ses collgues ne laccepteraient pas en voleur Stade 4 : Parce que le vol est interdit par la loi Stade 5 : Parce que le droit de proprit est la base des lgislations dmocratiques Stade 6 : (Parce que le droit de proprit est un principe universel) Heinz doit voler le pharmacien Stade 1 : Parce que sinon Dieu le punirait de laisser mourir sa femme Stade 2 : Parce quil veut que sa femme puisse encore lui faire manger Stade 3 : Parce que ses collgues naccepteraient pas son manque dgard vis--vis de

    sa femme Stade 4 : Parce que la non-assistance personne en danger est punissable par la loi Stade 5 : Parce que la sant est un principe de bien-tre Stade 6 : (Parce que le droit la vie est un principe universel).

    Pour Kohlberg, si la justification se borne distinguer le point de vue lgal du respect de la loi parce que cest la loi et le point de vue moral de lapprciation du contrevenant la loi sous la forme de principes, ceux-ci restent dpendants des ides de lgalit et de contrat social du stade 5 (en gros le critre utilitariste ou la position de rciprocit du contractualisme). En revanche, le philosophe qui ferait primer le point de vue universel, ladoption de rle rversible, le devoir moral sur la norme lgale se caractriserait par un jugement moral de stade 6 (le devoir de sauver la vie de lpouse incombe aussi bien Heinz, sa femme quau pharmacien)14. Le critre de Justice de Kohlberg quivaut la situation rawlsienne du voile dignorance .

    4. Caractristiques de ce dveloppement a) La squence de dveloppement est invariable15, mme si des facteurs dordre

    socio-culturel peuvent acclrer, stopper ou inflchir le mouvement16 .

    b) chaque stade, il y a rorganisation de lquipement cognitif, lancien savrant dpass dans la confrontation du locuteur avec le monde et les autres : Pour quun changement soit qualifi de structurel ce qui correspond un passage un autre stade ,

    14 Karl-Otto APEL [1988], Discussion et responsabilit. Contribution une thique de la

    responsabilit, trad. R. Rochlitz et Christian Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1998, coll. Passages. 15 MS, p. 5. 16 Michel RAINVILLE, op. cit., p. 14. Une rgression est constate dans seulement 4 % des cas [MS,

    p. 1].

  • 5

    il faut quil y ait un changement dordre qualitatif et non quantitatif, il faut quil y ait restructuration de lancienne structure en un nouveau mode dexpression, cest--dire une nouvelle exprience de vivre qui correspond une nouvelle organisation psychique17 .

    c) Selon Jacques Lalanne18, les personnes sont gnralement cohrentes, cest--dire prennent la moiti de leurs dcisions un stade prcis et un quart chacun des stades adjacents [...]. La population adulte agit en gnral daprs les motifs du niveau conventionnel (troisime et quatrime stades). Et un faible pourcentage (20 25 %) parvient au stade postconventionnel, dont seulement 5 10 % au sixime stade.

    d) Il existe une bonne corrlation entre le jugement moral et le comportement moral. Toutefois, La difficult de la situation, linfluence de lenvironnement, laffectif et les contenus motifs des lments de la situation, peuvent amener lindividu agir moins moralement quil ne le juge. [...] titre dexemple, citons que 25% du stade 6 iront jusqu donner une dcharge lectrique un innocent sous prtexte dobissance un exprimentateur scientifique19 .

    e) Il faut noter un paralllisme entre la maturit morale et lge20. Toutefois, mme si le dveloppement logique doit prcder le dveloppement moral, cela ne signifie pas quun progrs dans la pense logique entrane, ipso facto, un progrs dans le jugement moral21 .

    f) Lchange des justifications morales peut faire progresser un individu dun stade (+1). Mais pas de deux22. Lobservation corrobore celle de Vygotski et sexpliquera pour ce dernier par les zones proches de dveloppement23.

    g) La priode 11-16 ans est une priode de dveloppement moral acclr : Ladolescence (de 11 16 ans) est une priode de dveloppement moral acclr. On observe en particulier une diffrence importante entre les jeunes de 11-12 ans et les adolescents de 14-16 ans. La moralit autonome se dveloppe entre 12 et 16 ans. Aucune diffrence significative ne peut tre retenue entre garons et filles de 10 17 ans. Le passage du niveau pr-conventionnel au stade conventionnel sopre gnralement en Amrique juste avant ladolescence et au niveau post-conventionnel vers la fin de ladolescence, soit de 15 19 ans24 .

    5. Objections de Carol Gilligan la thorie de Kohlberg25 Sur base dune enqute principalement tourne vers les femmes adultes, C. Gilligan et

    les partisans dune morale de la sollicitude26 font valoir deux grandes objections la thorie de Kohlberg :

    5.1. De lattitude des femmes devant les dilemmes hypothtiques (non rels) dcoulerait, pour Gilligan, la ncessit de faire intervenir le contexte du dilemme dans la dcision. Gilligan et Murphy sont ainsi amenes proposer en lieu et place des stades 5 et 6 de Kohlberg, non un niveau postconventionnel formel (PCF) mais un niveau postconventionnel

    17 Ibid., p.11. 18 Jacques LALANNE, Le Dveloppement moral cognitif chez Lawrence Kohlberg dans Entre-vues,

    1990, n 7, p. 17. 19 Michel RAINVILLE, op. cit., p. 61. 20 Ibid., p. 56. 21 Ibid., p. 58. 22 Selon TURIEL (E.), Stage transition in moral development, in R.M.V. TRAVERS (eds), Second

    Handbook of Research on Teaching, Chicago, Rand McNally, 1973, voqu par Christiane VANDENPLAS-HOLPER, ducation et dveloppement social de lenfant, PUF, 1979.

    23 Lev Semenovitch VYGOTSKI [1934], Pense et Langage. Suivi de Jean PIAGET, Commentaire sur les remarques critiques de Vygotski, trad. F. Sve, Paris, La Dispute, 1997.

    24 Jacques LALANNE, op. cit., p.18. 25 Voir, par exemple, Carol GILLIGAN [1982], Une si Grande Diffrence, Flammarion, 1986. 26 Lucille ROY-BUREAU et Ccile GARANT, Une Perspective morale mergente : la sollicitude.

    Lducation morale revoir dans Arrimages, 1991, nos7-8, p. 42-53.

  • 6

    contextuel (PCC)27. C. Gilligan fait remarquer, en effet, que mme lorsque la femme adulte adopte une attitude postconventionnelle, elle ne fonde nullement celle-ci sur des principes et vit toujours le dilemme comme le choix entre deux maux et non comme un jugement sur le bien28.

    Il me parat justifi, comme le fait C. Gilligan, de ne pas mesurer la moralit de quelquun uniquement laune de son jugement moral. Lexprience quotidienne, notamment en classe, nous amne continuellement, en effet, reprer a) des attitudes de sollicitude qui ne se fondent pas ncessairement sur des principes et b) des raisonnements moraux qui ne sont pas suivis deffet pratique.

    Gilligan reproche Kohlberg dvacuer du domaine moral les questions de la vie bonne. Elle considre que le jugement moral doit tre relativis par le contexte :

    Il ny a pas que lgalit. Il faut prendre en considration la faon dont les gens vont pouvoir mener leur vie29 .

    Si C. Gilligan se situe, selon la terminologie kantienne, sur le niveau thique, des rapports soi et aux proches, sur le plan du bonheur personnel et par rapport un idal de vie (normatif) vers lequel on choisit de tendre, lobjection de C. Gilligan me parat probante : ce ne sont pas les principes de justice mais le bien qui guident alors les choix et les actions dune personne ; bien lui-mme relatif au contexte des traditions, de lhistoire et du projet de vie personnel. Si nous demandons sans cesse conseil nos amis ou nos proches sur lducation des enfants, sur la manire de nous comporter en couple ou sur le plan professionnel, cest malgr tout parce que nous nestimons pas avoir la vrit en nous, quil y a des choix plus valides que dautres sur toutes ces questions et que celles-ci dbordent la sphre des jugements de valeur subjectifs. Il me semble donc que les jugements thiques ne peuvent faire lobjet de dcisions purement subjectives comme le pense Kohlberg, mais quelles doivent tre valides intersubjectivement, comme le pense Habermas, dans le sens o elles doivent rester intersubjectivement reffectuables30 .

    Si, en revanche, on se situe au niveau des rapports avec autrui en gnral, the moral point of view de Kohlberg, le niveau moral de Kant ou pratico-moral de Habermas, la dmarche de C. Gilligan me parat totalement inoprante : elle nglige, en effet, la rationalisation du monde et la complexification des mcanismes sociaux en mesure de satisfaire des principes moraux : dans le monde contemporain, comment concevoir aujourdhui la justice et lgalit des droits sans recourir au point de vue moral abstrait : le prochain que reconnat la solidarit de la scurit sociale, par exemple, est un prochain abstrait, reconnu sans tre connu pour autant. La morale de Gilligan perdrait en justice ce quelle prtend gagner en sollicitude. Cest prcisment tenir compte du contexte dvolution des socits modernes que de devoir recourir lide de justice.

    Il faut dailleurs constater que C. Gilligan, dans son enqute sur les femmes et lavortement omet de considrer que les choix des femmes davorter ou non surgissent toujours sur fond dun horizon de normes sociales, fussent-elles provisoires, en loccurrence, ici, sur fond dun monde social qui considre lavortement comme moralement permis. Les perspectives du locuteur ne sont pas indpendantes des perspectives sociales.

    5.2. Gilligan reproche aussi Kohlberg de sparer dveloppement moral et dveloppement du moi ; dans son approche dune morale de la sollicitude, elle fait intervenir des catgories psychologiques comme le besoin de scurit, linclination cder devant la volont de lautre, le sacrifice de soi au bien-tre dautrui, la difficult dexprimer son jugement en public,... :

    27 Carol GILLIGAN, op. cit., p .154-155. 28 Ibid., p. 155. 29 Ibid., p. 252. 30 Jrgen HABERMAS [1991], Lthique de la discussion, trad. M. Hunyadi, Paris, Cerf, 1992, p. 104.

  • 7

    Ainsi, une thique du bien-tre de lautre repose sur une logique psychologique des relations humaines, ce qui contraste avec la logique formelle dquit sur laquelle est fonde la conception de justice31 .

    Si lon devait suivre C. Gilligan sur ce point, il ne serait plus possible de sparer sur un plan thorique les aspects logiques (philosophiques) et les aspects dynamiques (psychologiques), cest--dire les possibilits ouvertes pour un stade n+1 et ce qui peut les entraver ; la comptence au jugement moral (ce que lon devrait faire) de la performance agir en fonction de ce jugement (ce quon est capable de faire).

    De plus, en rduisant la question thique une question psychologique, par dfinition centre sur lindividu, la morale de la sollicitude rend aussi problmatique les questions thiques du droit et de la politique qui se fondent sur des normes valides par une communaut dindividus.

    6. Objections de Jrgen Habermas la thorie de Kohlberg32 Habermas salue le travail des psychologues du dveloppement, complmentaire du

    travail philosophique et considre que la thorie du jugement moral chez Kohlberg offre une corroboration de lthique de la discussion33. Il reconnat aussi les trois niveaux pr-conventionnel, conventionnel et postconventionnel, dailleurs parfaitement reprables empiriquement, mais souligne quatre points problmatiques de la thorie kohlbergienne.

    6.1. La justification des stades 5 et 6 du point de vue du psychopdagogue Tout psychologue du dveloppement mobilise des critres de dveloppement moral et,

    par consquent, une conception de la morale elle-mme. Habermas reproche Kohlberg ses critres de diffrenciation des principes servant justifier au niveau postconventionnel un choix dissue au dilemme. Le principe de lthique de la discussion (le principe D ) interdit, pour Habermas, que lon puisse spcifier des contenus normatifs dtermins (par exemple des principes dtermins de justice distributive), au nom dune autorit philosophique, et les arrter une fois pour toutes au nom dune thorie morale34 .

    6.2. La naturalit des stades 5, 6 et 41/2 Pour les raisons qui lont amen dvelopper sa Thorie de lagir communicationnel,

    Jrgen Habermas estime que les stades 5 et 6 ne sont pas des stades naturels cest--dire des stades par lesquels devrait inluctablement se dvelopper tout tre humain du monde entier. Pour Habermas, ce nest pas la nature qui dtermine la force des principes mais lhomme, historiquement situ et en interaction avec les autres (passage sur le plan phylogntique une vision dcentre du monde, des communauts aux socits)

    Habermas considre juste raison, me semble-t-il, que les principes du stade 5 dfinis par Kohlberg (annexe 1) sont dinspiration anglo-saxonne et renvoie des thiques diffrentes (utilitaristes, jusnaturalistes, kantiennes, sollicitude,...) sans que lune vaille a priori plus quune autre, sans que lune soit a priori plus morale quune autre35. Jrgen Habermas rfute, avec dautres penseurs comme K.O. Apel, luniversalit a priori des principes moraux et dmontre, au contraire, quun principe a tout au plus une prtention la validit universelle : il est susceptible duniversalisation par le mdium de la discussion sans

    31 Carol GILLIGAN, ibid., p. 116. 32 Jrgen HABERMAS [1983], Morale et Communication. Conscience morale et activit

    communicationnelle, trad. Christian Bouchindhomme, Paris, Cerf, 1986. 33 Ibid., p. 133-134. 34 Ibid., p. 137. 35 Ibid., p. 188.

  • 8

    dailleurs que sa validit soit inluctablement universelle larrive. Si, par exemple, on mobilise deux principes de justice qui ont fait couler beaucoup dencre, tels que, dune part, le droit de proprit, considr comme fondamental et naturel dans nos lgislations dmocratiques et, dautre part, le principe proudhonnien selon lequel la proprit, cest le vol , on saperoit que ces deux principes, sils prtendent chacun luniversalit, ne sont pas universels a priori et que seule une discussion de tous les concerns, comme le propose Habermas, permettrait den dterminer luniversalit ventuelle.

    Habermas estime, cet gard, que llaboration par Kohlberg dun stade 41/2 (voir annexe 2) provient de la difficult philosophique inhrente sa thorie qui ne permet pas dapprhender la position thique des sceptiques axiologiques cest--dire de ceux qui, au nom de principes, dfendent nanmoins une indpendance individuelle face toute obligation morale et un relativisme moral (voir 6.4.).

    6.3. Le fait moral ne peut tre isol des perspectives sur le monde Habermas reproche Kohlberg disoler le fait moral des perspectives socio-cognitives : le

    jugement moral rfre non seulement aux comptences du locuteur pouvoir adopter le point de vue du destinataire et de celui dun observateur [adoption idale de rle], mais galement aux perspectives sur le monde, cest--dire aux rfrences ncessaires du locuteur un monde objectif (un savoir propositionnel intersubjectivement partag qui prtend la vrit) ; un monde social (une convergence normative qui prtend la justesse) ; et un monde subjectif (une confiance rciproque qui prtend la sincrit). Si lacteur est un initiateur, il est aussi le produit de lhistoire et agit sur fond dune provision dvidences provisoirement fondes et susceptibles dtre critiques :

    Mme les thiques religieuses ou encore celles qui sont issues de la philosophie classique, qui sont des thiques qui ont fait de ce rapport socio-moral la vie leur thme propre, ne comprennent ni ne justifient le fait moral partir de lui-mme, mais partir de lhorizon dune totalit apprhende du point de vue sotriologique [rdempteur] ou encore du point de vue cosmologique. Les normes ntant plus garanties par les vidences du monde vcu, il faut dsormais les justifier laide de principes. Cest donc ainsi que lorientation en fonction de principes de justice [Kohlberg] et, en dernire instance, en fonction de la mthode de justification des normes par la discussion [Habermas] se dgage de la moralisation inluctable dun monde social, dsormais susceptible dtre remis en question36 .

    Ainsi, comme le faisait remarquer lors de notre discussion Jean-Marc Ferry, lAntiquit grecque, pouvait prendre le point de vue dun Autre gnralis sans tre capable de diffrencier les perspectives sur le monde (la prtention la vrit ou lexactitude dune proposition et le monde objectif ; la prtention la justesse normative dune proposition et le monde social ; la prtention lauthenticit dune proposition et le monde subjectif). Il importe ds lors pour Habermas de ne pas isoler le fait moral des conditions socio-cognitives et de comprendre quune logique du dveloppement ne peut faire lconomie dune thorie communicationnelle. Cest en ce sens quil a soumis aux gens de terrain lhypothse dune thorie de six stades dinteraction (voir annexe 3) qui permet de rendre compte de lintgration des perspectives du locuteur et des perspectives sur le monde.

    6.4. Rationalit stratgique et rationalit morale Ni Piaget ni Kohlberg ne semblent entrevoir que le dveloppement cognitif peut tre

    utilis tant des fins stratgiques que communicationnelles. Lutilisation de la raison peut mener tant instrumentaliser autrui qu sentendre avec lui.

    Ce dficit thorique apparat notamment chez Kohlberg dans llaboration du stade 41/2, intermdiaire entre les niveaux conventionnel et postconventionnel (hsitation entre lhdonisme instrumental du stade 2 et une justification postconventionnelle de la nullit

    36 Ibid., p. 182-183.

  • 9

    axiologique de toute norme), que jai dj mentionn plus haut. Cette action stratgique doit, selon Habermas, tre prise en charge par lapproche philosophique sans quil faille modifier larchitectonique des stades pour autant (cf. annexe 3 Les stades de linteraction, les perspectives sociales et les stades moraux .

    7. Apports pour une ducation la citoyennet Les travaux de Piaget et Kohlberg, comme les objections de C. Gilligan et J. Habermas,

    permettent de rflchir sur la manire dduquer la citoyennet.

    Je ne peux dvelopper ici le programme dducation la citoyennet que jai eu loccasion de proposer37. Il vise, en tout cas, mettre en place des dispositifs pdagogiques qui favorisent le dveloppement socio-cognitif et moral en ciblant lapprentissage de comptences et de performances et en respectant la maturit opratoire, morale et affective des apprenants :

    la dcentration (empathie, jeux de rle, changes des justifications, discussion, mise sous voile dignorance, autorflexion cooprative) ;

    lautonomie intellectuelle (questionnement, conceptualisation, abstraction rflchissante , logique, rsolution de problmes) ;

    lautonomie morale (clarification de valeurs, hirarchie axiologique et exercice du jugement valuatif, exercice du jugement normatif par dissonance cognitive et par discussion sur les raisons de linter-dit) ;

    Lautonomie affective (clarifier le brouillage communicationnel intrapsychique38 , renforcer les ressources personnelles, faire valoir la force motivationnelle des bonnes raisons) ;

    La coopration par une pdagogie approprie (pour dvelopper la dcentration sociale39, permettre la confrontation avec diffrents points de vue et favoriser la comptence prendre la place dun Autrui gnralis) ;

    La participation (prise de parole argumente en public, avec des trangers cest--dire des tres qui ne nous sont pas familiers).

    37 Voir Claudine LELEUX [1997], Repenser lducation civique. Autonomie, coopration,

    participation, Paris, Cerf, coll. Humanits et, pour le manuel dapplication, Claudine LELEUX [2000], ducation la citoyennet. Apprendre des valeurs et des normes de 5 14 ans, Bruxelles, De Boeck, coll. Outils pour enseigner.

    38 Jrgen HABERMAS, Morale et Communication, op. cit., p. 204. 39 Voir les travaux cits par HABERMAS dans Morale et Communication, op. cit., de Robert L.

    SELMAN, The Growth of Interpersonal Understanding, Academic Press Inc., New-York, 1981 qui, en travaillant sur base de dilemmes (cf. le cas de Holly) et dentretiens cliniques, repre trois niveaux et, notamment, trois conceptions des relations interpersonnelles : une conception subjective, puis une conception rciproque et enfin une conception mutuelle (o les relations peuvent tre envisage selon langle dun Autrui gnralis). Diffrence entre la famille et lamiti : dans la premire, les relations ne sont pas symtriques et il existe un diffrentiel dautorit tandis que les relations sont symtriques dans les relations damiti. Exemple dintervention thrapeutique cite par Christiane VANDENPLAS, p. 212.

  • 10

    Annexe 1

    Commentaires de Kohlberg sur les stades moraux40

    NIVEAU A. NIVEAU PRECONVENTIONNEL

    Stade 1. Le stade de la punition et de lobissance Contenu

    Le droit, cest lobissance littrale aux rgles et lautorit, cest viter dtre puni et ne pas crer de dommages physiques.

    1. On fait ce qui est juste lorsque lon vite de transgresser les rgles, lorsquon obit pour obir et lorsquon vite de crer des dommages physiques aux gens et aux proprits.

    2. Les raisons qui motivent faire ce qui est juste sont le souci dviter la punition et le pouvoir suprieur des autorits.

    Perspective sociale

    Ce stade est celui du point de vue gocentrique. Une personne, ce stade, ne prend pas en considration les intrts des autres ou du moins ne reconnat pas quils diffrent de ceux de lacteur. Elle ne fait pas non plus le rapport entre deux points de vue. Les actions sont juges en termes de consquences physiques plutt quen termes dintrts psychologiques propres autrui. Le point de vue de lautorit est confondu avec le sien propre.

    Stade 2. Le stade du projet instrumental individuel et de lchange Contenu

    1. On fait ce qui est juste en respectant des rgles lorsque lintrt immdiat de quelquun en dpend. Le droit, cest agir de sorte satisfaire ses propres intrts et ses propres besoins en laissant les autres faire de mme. Le droit, cest aussi ce qui est loyal, par exemple lorsque lon procde un change quitable, une tractation ou lorsque lon passe une convention.

    2. La raison qui motive faire ce qui est juste, cest le souci de rpondre ses propres besoins ou ses propres intrts dans un monde o lon doit reconnatre que les autres ont aussi leurs intrts.

    Perspective sociale

    Ce stade est celui de la perspective individualiste concrte. Une personne, ce stade, spare ses propres intrts et points de vue de ceux des autorits et de ceux dautrui. Il ou elle est consciente de ce que chacun a des intrts individuels poursuivre, que ces intrts sont divergents, et que, pour cette raison, le droit est relatif (au sens individualiste concret). La personne intgre les uns aux autres ou met en rapport les intrts individuels divergents soit en procdant lchange instrumental de services, soit en manifestant un besoin instrumental dautrui et de sa bonne volont, soit encore en faisant preuve dquit et en donnant chacun des quantits identiques.

    40 Lawrence KOHLBERG, EMD, vol. I, p .409 s. (traduction emprunte Christian Bouchindhomme

    dans Jrgen HABERMAS, Morale et Communication, op. cit., p. 138-140, 143-144).

  • 11

    NIVEAU B. NIVEAU CONVENTIONNEL

    Stade 3. Le stade des attentes interpersonnelles et mutuelles, des relations et de la conformit

    Contenu

    Le droit, cest tre bon (aimable), concern par les autres, par leurs sentiments, cest rester loyal et digne de confiance avec ses partenaires et tre motiv dans le respect des rgles et des attentes.

    1. On fait ce qui est juste lorsque lon vit conformment ce que les proches esprent de soi ou lorsque lon vit conformment ce que les gens esprent dun fils, dune sur, dun ami, etc. Il importe dtre bon, cela signifie que lon a de bonnes intentions et que lon est concern par les autres. Cela signifie aussi que lon prserve les relations mutuelles, que lon entretient la confiance, la loyaut, le respect et la gratitude.

    2. Les raisons qui motivent faire ce qui est juste sont : le besoin dtre bon ses propres yeux et ceux des autres ; et le fait que si lon se mettait la place dune autre personne, on exigerait de soi que lon se comporte bien vis--vis de cette personne (Rgle dOr).

    Perspective sociale

    Ce stade est celui du point de vue de lindividu en relation avec dautres individus. Une personne, ce stade, est consciente des sentiments, des conventions et des attentes partages qui prennent le pas sur les intrts individuels. La personne met en rapport diffrents points de vue en appliquant la Rgle dOr concrte, en se mettant aussi la place dautrui. Il ou elle ne prend pas en considration le point de vue gnralis du systme.

    Stade 4. Le stade du maintien de la conscience et du systme social Contenu

    Le droit, cest accomplir son devoir en socit, soutenir lordre social et entretenir le bien-tre de la socit ou du groupe.

    1. On fait ce qui est juste en accomplissant les devoirs effectifs auxquels on a souscrit. On doit apporter son soutien aux lois sauf dans les cas extrmes ou elles entrent en conflit avec dautres droits ou devoirs sociaux tablis. Le droit, cest aussi apporter sa contribution la socit, au groupe ou linstitution.

    2. Les raisons qui motivent faire ce qui est juste sont : le souci de prserver le fonctionnement des institutions conues comme un tout ; le respect de la conscience comprise comme le souci de rpondre aux obligations que lon sest donnes, ou encore les consquences la question Que se passerait-il si tout le monde en faisait autant ?.

    Perspective sociale Ce stade est celui de la diffrenciation entre le point de vue socital et la convention ou

    les mobiles interpersonnels. Une personne, ce stade, adopte le point de vue du systme dans sa dfinition des rles et des rgles. Elle considre les relations individuelles en termes de place dans le systme.

  • 12

    NIVEAU C. NIVEAU POSTCONVENTIONNEL, REGI PAR DES PRINCIPES

    Les dcisions morales sont le fruit de droits, de valeurs, de principes qui font (ou pourraient faire) lunanimit de tous les individus qui composent ou crent une socit destine des pratiques avantageuses et loyales.

    Stade 5. Le stade des droits premiers, du contrat social ou de lutilit sociale. Contenu

    Le droit, cest soutenir les valeurs, les droits fondamentaux et les contrats lgaux existant dans une socit, mme sils entrent en conflit avec les rgles et les lois concrtes du groupe.

    1. On fait ce qui est juste en tant conscient du fait que les gens dfendent des valeurs et opinions, et du fait que les valeurs et les rgles sont dpendantes du groupe auquel on appartient. Il faut pourtant apporter de manire gnrale son soutien de telles rgles afin de prserver limpartialit, et parce quelles constituent le contrat social. Nanmoins, certains droits et certaines valeurs non relatifs, tels que la vie et la libert, doivent tre soutenus pour toute socit, indpendamment de lopinion majoritaire.

    2. Les raisons qui motivent faire ce qui est juste sont, en gnral, le fait de se sentir oblig dobir aux lois dans la mesure o lon sest engag par un contrat social fixer et respecter des lois pour le bien de tous, afin de protger leurs droits propres et ceux des autres. Les obligations quengendrent les liens familiaux, ceux de lamiti, de la confiance et du travail sont aussi des engagements ou des contrats librement engags qui entranent le respect des droits dautrui. Le fait que les lois et les devoirs soient fonds sur le calcul rationnel de lutilit densemble est laffaire de chacun : le plus grand bien du plus grand nombre.

    Perspective sociale

    Ce stade est celui du point de vue prminent--la-socit. Cest celui de lindividu conscient des valeurs et des droits qui prvalent contre les attachements et les contrats sociaux. La personne combine les diffrentes perspectives en faisant jouer formellement les mcanismes de la convention, du contrat, de limpartialit objective et du procd adquat. Il ou elle prend en considration le point de vue moral et le point de vue lgal, reconnat quils sont divergents, mais estime quil est difficile de les concilier.

    Stade 6. Le stade des principes thiques universels Contenu

    Ce stade suppose la conduite selon des principes thiques universels que toute humanit devrait respecter.

    1. En ce qui concerne ce qui est juste, le stade 6 est rgi par des principes thiques universels. Les lois particulires et les conventions sociales sont habituellement valides parce quelles reposent sur de tels principes. Lorsque les lois violent les principes, on sen remet au principe pour agir. Les principes sont des principes universels de justice : galit des droits de lhomme et respect des tres humains en tant quindividus. Ce ne sont pas l simplement des valeurs que lon reconnat, ce sont aussi des principes que lon utilise pour prendre des dcisions particulires.

    2. La raison qui motive faire ce qui est juste est que lon a peru, en tant que personne rationnelle, la validit des principes et que lon sy est soumis.

  • 13

    Perspective sociale

    Ce stade est celui o lon envisage les choses dun point de vue moral duquel drivent les arrangements sociaux ou sur lesquels ils se fondent. Cest l la perspective de tout individu rationnel qui reconnat la nature de la moralit, cest--dire ce qui fait que la morale se fonde dans le respect dautrui : le fait quon le considre comme une fin et non comme un moyen.

    Annexe 2

    NIVEAU B/C. NIVEAU TRANSITIONNEL41

    Ce niveau est postconventionnel, mais il nest pas encore rgi par des principes. Contenu de la transition

    Au stade 41/2, le choix est personnel et subjectif. Il repose sur des motions ; quant la conscience, elle est perue comme arbitraire et relative comme le sont aussi des ides telles que celles de devoir et de justesse morale.

    Perspective sociale transitionnelle

    ce stade, la perspective est celle dun individu qui se tient en marge de sa propre socit et qui se considre lui-mme comme un individu qui prend des dcisions sans quil y ait de contrat ou dengagement gnraliss avec la socit. On peut choisir son gr des obligations qui sont dfinies par des socits particulires, mais on ne dispose daucun principe qui rgisse un tel choix.

    41 Lawrence KOHLBERG, EMD, vol. I, p .411 (traduction emprunte Christian Bouchindhomme

    dans Jrgen HABERMAS, Morale et Communication, op. cit., p. 201).

  • 14

    Structures cognitives

    Type daction

    Structure

    perspective

    Structure de lattente de

    comportement

    Concept dautorit

    Concept de motivation

    Perspectives sociales Stades du

    jugement moral Perspective Reprsentation de la justice

    Prconventionnel :

    Interaction guide par lautorit

    Conjonction rciproque des perspectives

    daction

    Mode particulier de comportement

    Autorit des

    personnes de rfrence ; arbitraire

    sanctionn de lextrieur

    Loyaut vis--vis des personnes : orientation en fonction de la

    rcompense/de la punition

    Perspective gocentrique

    Complmentarit de lordre et de

    lobissance

    1

    Coopration guide par des intrts

    Symtrie de compensation

    2

    Conventionnel :

    Activit de rle

    Coordination des perspectives de

    lobservateur et du participant

    Modle de comportement socialement gnralis : le rle social

    Autorit intriorise dun arbitraire supra-

    individuel = loyaut

    Obligation Contre

    Inclination

    Perspective du groupe originel

    Conformit au rle

    3

    Interaction rgie par des normes

    Rles socialement

    gnraliss : systme de normes

    Autorit intriorise de la

    volont interpersonnelle

    collective = lgitimit

    Perspective dun collectif (point de vue du systme)

    Conformit au systme

    normatif existant

    4

    Postconventionnel :

    Discussion

    Intgration des perspectives

    du locuteur et des

    perspectives sur le monde

    Rgle pour lexamen des

    normes : principe

    Valeur idale contre valeur

    sociale

    Autonomie Contre

    htronomie

    Perspective adopte en fonction de principes

    ( prminent--la-socit )

    Orientation en fonction des

    principes de justice

    5

    Rgle pour lexamen des

    principes : mthode de justification des

    normes

    Perspective procdurale

    (adoption idale de rle)

    Orientation en fonction de la mthode par

    justification des normes

    6

    Annexe 3 : Les stades dinteraction, les perspectives sociales et les stades moraux de J. HABERMAS, Morale et Communication, pp. 180-181.