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VER IGE Simon Favrot Mémoire de fn d’étude Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy 2014

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VER IGE

Simon Favrot Mémoire de f n d’étude Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy 2014

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Mémoire encadré et suivi par Mme Karine Thilleul.

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‘’Il m’a semblé connaître à Buenos Aires un autre vertige que celui que m’avait donné la montagne, les grattes-ciel, un autre vertige que le vertical, le vertige horizontal.»

Drieu LA ROCHELLE, l’Herne, 1982

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Le vide est un élément complexe et intriguant. Pleins et vides sont les éléments qui forment et produi-sent les espaces. Espaces habités ou non, rassurants ou hostiles. Le plein protège, abrite. Le vide quant à lui, effraie et perturbe. Ces questions sur l’espace, le plein et le vide, m’ont amenés à m’in-terroger sur les directions qui engendrent ces espaces. Verticales, horizontales et diagonales. Les espaces et directions qui génèrent ces spacialités provoquent l’émotion. En tous cas, c’est ce que l’architecte s’efforce à faire depuis des siècles, de la plus petite des maisons aux plus majestueux temples. Ces émotions sont multiples et diverses et peuvent être aussi positives que négatives. Ces ambigüités entre pleins, vides, verticales, horizontales créent la spatialité et aboutissent à des émotions fortes. Ces dernières m’ont poussées à m’interroger sur une sensation des plus étranges. Une sensation qui nous a déjà tous frappés de plein fouet à un moment de notre vie. Une sensation qui porte un sens large, une histoire, ou plutôt des histoires. Elle est la pire phobie de certains et un but ultime pour d’autres. En pleine nature, au cœur d’une mégalopole, perché au sommet d’une tour d’un centre d’affaire ou simplement dans un musée face à une oeuvre, verticales et horizontales s’unissent ou s’affrontent et parfois génèrent une sensation quasiment indescriptible. La sensation de «Vertige».

De tous temps le vertige a éprouvé l’homme. Provoquant la peur, certains ont su le dompter, se l’ap-proprier. C’est l’une des qualités fondamentales du genre humain. En repoussant ses limites, en com-battant ses angoisses, en allant voir toujour plus loin, l’homme a su évoluer d’une manière fulgurante. À ce même titre, la verticalité et le vide ont toujours éffrayé mais constamment poussé l’homme à les défer, transformant parfois la peur en sensation d’extase.

Avant-Propos2

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L’analyse suivante va tout d’abord s’établir sur une défnition commune du vertige; elle portera sur l’étude d’une certaine appropriation de ce vertige dans notre société. Par la suite seront décryp-tées les défnitions, étymologiques, philosophiques, et scientifques, dans le but d’attribuer des mots justes à cette sensation diffcile à décrire. Ultérieurement, l’étude sera orientée vers la recherche de ce qui peut nous faire éprouver cette sensation par le biais de divers moyens de représentation. L’analyse de tableaux, photographies ou paysages, permettra de conceptualiser l‘idée du vertige par des systèmes de représentations virtuelles ou graphiques. Dans une visée porté vers l’urbanisme et l‘architecture, l’étude se concentrera sur un vertige manufacturé et assumé d‘éléments singuliers, d’ensembles construits ou imaginés.Ces exemples, divers et variés, toutes plastiques et époques confondues vont permettre de distinguer différentes contextualités et formes que peut refléter le ver-tige. Ils permettront de comprendre quelles composantes donnent naissance au vertige, quels types de sensations peuvent en découler et pourquoi ou comment l‘homme se l’est approprié dans son quotidien. Quels sont ses effets sur le corps et l‘esprit?

Ce mémoire n’a pas pour but de donner une réponse absolue à ce qu’est le vertige aux vues d’un sujet si large et complexe. Beaucoup de travaux abordant le vertige ont été éffectués séparément sur des thèmes précis et bien particuliers comme la philosophie, la psychologie ou encore les sciences. Celui ci se contentera de réunir de multiples informations et documents de divers champs d’appli-cations comme la littérature, l’art, l’architecture ou des pensées personnelles afn de les mettre en scène, les décrypter et enfn les comparer. L’aboutissement de ce travail se résume à un essai sur un intriguant phénomène complexe qui reste encore très flou et se trouve interprété de maintes manières de part le monde.

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Plan

Définition, vertige et société

Des mots, des vertiges

Le vertige représenté

Le vertige édifié

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. Défnition classique du vertige

. Vertige et société

. La démocratisation d’un vertige contemporain

. Science et philosophie, la dialectique du vertige

. L’art du verbe citation du vertige

. Des histoites, des vertiges

. Les sensations de l’art pictural

. Le vertige vu par l’objectif

. Le grand paysage, un vertige infni

. Urbanisme, le vertige horizontal

. Architecture, le vertige vertical

. L’utopie d’Architecture principe, le vertige oblique.

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Définition, vertige et société6

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Définition du dictionnaire Larousse

Définition classique du vertige

Vertige : nom masculin (latin : vertigo, mouvement tournant, de vertere, tourner)

Peur, malaise ressentis au-dessus du vide, se traduisant par la sensation d’être attiré par celui-ci et par des pertes d’équilibre : Avoir le vertige en montagne.

Sensation erronée de déplacement du corps par rapport à l’espace environnant, ou de l’espace par rapport au corps, liée à un déséquilibre entre les deux appareils vestibulaires.

Trouble, exaltation, égarement dû à quelque chose d’intense : Le vertige de la gloire.

Définition personnelle

Vertige

Trouble propre à chacun de la sensation, de la perception, visuel ou ressenti dans un contexte corps/espace ou esprit/environnement à la limite du réel, du normal, du possible.

Limite du contrôle total du corps et de la pensée de chacun face à un élément exceptionnel (dan-ger, échelle, beauté) dont on ne peut appréhender la totalité et dont on se sent submergé.

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Vertige et société

Le vertige est un terme dynamique issu du latin vertigo (élément en rotation, vertere : tourner). Cette dynamique implique la notion de mouvement, de corps et d’esprit dans un espace généré par ses propres dimimensions. Ces trois entités dans certains contextes particuliers, déclenchent une sensa-tion extrême, enivrante et terrifante à la fois. Au même titre que la sensation libérée par l’adrénaline ou encore par l’endorphine, le vertige influe et se répercute sur nos sens. Il peut aussi bien les exalter que les paralyser, à la manière d’une réaction sensitive exacerbée face à un élément nouveau, incom-pris ou impressionnant. L’espace, formé de ses dimensions propres, vertical, horizontal et oblique en-trent alors en confrontation avec l’esprit. Cet esprit lui même généré par des caractéristiques propres comme le désir, la joie, ou la peur. Cette fusion entre le corps et l’espace crée alors des sensations. Contrairement aux sensations classiques, le vertige n’est pas toujours désiré, il est même souvent évi-té ou refusé. C’est l’amalgame avec la notion de peur, ou de pathologie liée à des dysfonctionements de l’oreille interne qui lui donne si mauvaise réputation. Pourtant le vertige a bien d’autres signifca-tions et certains le recherchent quotidiennement, avide de cette impression extrème et inhabituelle. Le vertige a bien des systèmes de représentations et des applications différentes quant aux sociétés humaines. Des premières civilisations jusqu’à aujourd’hui le vertige a toujours été là, apprécié, utilisé, ou décrié. Quelques exemples démontrent qu’il possède une conotation forte et qu’avant d’être un problème il est et restera une sensation sans pareil.

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Dans le contexte occidental, le vertige est une sensation mal appréciée, décriée, désagréable et in-confortable souvent assimilé à un diagnostique médical contraignant ou à une sensation négative à éviter.Sigmund Freud « Le vertige est l’une des manifestations majeures de l’angoisse.»1

Dans la culture tibétaine, le vertige est assimilé à l’envol de l’esprit, la légèreté, le bien être. On re-trouve le vertige dans de multiples exercices de yoga en vue de soulager les tensions musculaires et dissiper le stress. Ici la sensation de vertige correspond à un soin de l’esprit et du corps.

En Amérique, la tribu indienne des Mohawks est réputée pour ne pas être affectée par le vertige et la peur du vide. Cette réputation les a amené à devenir maître dans l’assemblage des éléments mé-talliques des grands buildings américains leur apportant le nom de « travailleur du ciel ». Aucune preuve scientifque n’ayant résolue la cause de cette insensibilité amène à penser qu’ils possèdent un courage extrême et que leur élévation spirituelle leur permet de supplanter la peur du vide.

En Turquie, l’ordre Mevlevi est un ordre musulman dont les membres sont souvent appelés « der-viches tourneurs » en référence à leur danse appelée «sama» dont les mouvements rappellent ceux d’une toupie.Le danseur tourne d’abord lentement puis très rapidement, jusqu’à ce qu’il atteigne une forme de transe, durant laquelle il déploie les bras, la paume de la main droite dirigée vers le ciel dans le but de recueillir la grâce d’Allah, celle de la main gauche dirigée vers la terre pour l’y répandre. On retrouve là une corrélation étroite entre l’origine du mot vertige (Vertere : tourner) et cette danse ou prière qui entraine ces adeptes dans une transe vertigineuse les rapprochant du divin.

Dans l’archipel de Vanuatu sur l’île de pentecôte dans le pacifque, les indigènes pratiquent le saut de liane comme rite ancestral. Attachés par les chevilles avec des lianes, le fait de se jeter de tours précaires en bois élevé de 25m permet aux garçons de devenir adultes. Ce rituel est destiné à montrer que ces enfants sont capables de dépasser leurs limites et de faire abstraction de l’envi-ronnement matériel qui les entoure. Ils prouvent ainsi que leur courage et leur foi sont suffsant pour devenir adulte.

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1 Propos recueilli dans le livre de Quinodoz, Danielle. Le vertige entre angoisse et plaisir. Paris: Presses Universitaires de France - PUF, 1994.

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Fig.1 «Saut du gol» archipel Vanatu, 1998

Fig.2 Giorgia Fiorio Le Don Derviches tourneurs soufs

2009

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En défnitive notre société éprouve un certain malaise face au vertige. Il est trop peu apprécié, car pas assez appréhendé ou en tout cas pas de la bonne manière. Le confort et la sécurité sont les buts ul-times auxquels notre société se raccroche. Dans un monde dicté par la course saccadée de grandes courbes sur de petits écrans, la recherche du stable, de la tranquillité du conventionnel nous rassure et nous conforte. Chacun est libre de créer sa bulle, son champs des possibles, son terrain de jeux, son environnement conventionnel et chacun s’y complait dans un bonheur idéologique. Cette mise en scène des limites rassurantes nous bride et nous restreint dans notre appréhension du monde. On devient étroit d’esprit, on se protège sous des couvertures en tout genre qui s’accumulent avec le temps jusqu’à nous rendre impotents. On se protège, jusqu’à la fn, jusqu’à notre dernier souffle. Pourtant, ce dont on se protège le plus dans notre culture, le passage vers l’au delà se révèle être notre plus grande ascension. Le paradis ou l’enfer, ascension verticale ultime, dans les deux cas c’est par le vertige que notre société se voit prendre fn.

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La démocratisation d’un vertige contemporain

Après avoir constaté une grande différence d’appropriation du vertige dans différentes sociétés, il est intéressant de regarder d’un peu plus près comment, dans la société occidentale la notion de vertige a réussi à prendre sa place et à s’imposer dans certains milieux comme l’alpinisme, l’escalade natu-relle ou encore urbaine. Comment le vertige s’est-il fait apprivoiser et à quelles fns?

Depuis toujours, l’homme à su profter des spectacles des grands paysages en mettant ses sens en alerte face à une nature dangereuse et inhospitalière. Les expéditions réservées aux plus courageux ont appris à l’homme à s’aventurer hors des sentiers battus pour découvrir les limites de la nature en surpassant les leurs. À l’égal de ceux qui ont bravés l’horizontalité extrême des océans à bord de co-quilles de bois poussées par les vents capricieux, l’alpinisme s’est attaqué aux éléments verticaux les plus engagés. La découverte de la momie d’Otzi datant de 3350 av JC dans les Dolomites italiennes à plus de 3200m d’altitude prouve que l’homme s’est toujours aventuré au plus loin. Cette discipline s’est largement développée après la première ascension du Mont Blanc en 1786 par Jacques Balmat et Michel Paccard. Ainsi, Français, Anglais, Italiens, Allemands et Suisses sont partis à l’ascension de sommets de plus en plus dangereux de part le monde. La technique et la technologie ont largement aidé ces précurseurs dans leurs ascensions, leur permettant de franchir des sommets toujours plus hauts et toujours plus dangereux. Les alpinistes et leurs objectifs découlent directement de la pensée romantique. Le chef de fle de la peinture romantique allemande Caspar David Friedrich a su illustrer le besoin de l’homme de s’élever pour mieux comprendre, pour mieux appréhender les choses voir même répondre à certaines questions. On peut relever son œuvre phare, « Le voyageur contemplant une mer de nuages » de 1918. Les alpinistes actuels, toujours plus avides de sensation fortes et ex-trêmes ont commencé l’ascension des faces nord, dans les goulets les plus verticaux aux passages vierges. Le but n’était plus de gravir un sommet pour profter d’une vue et d’un calme incomparable après un effort physique important, mais de franchir une limite, réaliser l’incroyable. Il s’agit de défer peur et angoisse dans un environnement des plus hostiles. À la limite du masochisme, certains des plus ambitieux et expérimentés ont effectué des ascensions libres, en solo intégral, sans assurance ni assistance. Cet acte est le plus pur et le plus digne moyen de franchir un sommet. Ils retrouvent dans l’acte d’évoluer en solo une liberté totale autant physique que psychologique.

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Fig.3 Christophe Proft en solo intégrale dans les Grandes Jorasses, 1986

Fig.4 Eric Escoffer au sommet du K2, 1985

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Ils s’affranchissent à ce moment là de toutes les règles et lois qui régissent le monde. Ces ascen-sions sont un mélange de concentration extrême et de confance totale en leurs corps face à une nature inattendue, rude et dangereuse. Cette confrontation génère des sensations vertigineuses iné-galées de part le vide mais aussi grâce à la sensation de dominer la montagne, d’en devenir maître. Quelques français, guerriers de la verticalité se sont fait remarquer et ont excellé dans la discipline.Eric Escoffer, franchit 3 sommets à plus de 8000 m dans l’Himalaya en moins de 3 semaines. En Eu-rope il réalisera en solo l’ascension des Grandes Jorasses et la face sud des Drus réputées parmi les plus dures et les plus escarpées des sommets du vieux continent. En 1987, un accident de voiture le rendra hémiplégique avec un handicap de 35%. Il continuera l’alpinisme pour disparaître lors de l’ascension du mont Broad Peak (8047 m Pakistan) accompagné de sa compagne Pascale Bessière. Inventif et passionné, il développera également d’autres pratiques extrêmes comme le parapente ou le deltaplane qu’il utilisera lors des redescentes quand ses voiles n’avaient pas gelées. D’autres, comme Christophe Proft ou Jean Marc Boivin, adeptes du solo intégral ont réalisé des performances inédites en développant également de nombreuses pratiques de la montagne comme la redescente à ski dans des pentes jusque là infranchies à plus de 70%. C’est notamment grâce à Patrick Edlinger, grimpeur français spécialiste du solo aux nombreuses réalisations vertigineuses que cette pratique s’est démocratisée. Grâce à une médiatisation de ses ascensions jusque là réservé aux grimpeurs et au flm « La vie au bout des doigts » réalisé par Jean Paul Janssen en 1982, ce sport extrême sera découvert mondialement par le grand public et créera un réel engouement envers la population. C’est par la médiatisation de ces actes téméraires que le vertige à su s’immisser dans notre société. En montrant que le vertige pouvait être dominé, cette sensation s’est démocratisée et pousse ses adeptes de plus en plus nombreux à redoubler d’imagination afn de se retrouver face à face avec le vertige. Ainsi après avoir franchi les montagnes et trouvé des passages audacieux sur les falaises, le phénomène s’est urbanisé. La population des villes a vu naître une nouvelle génération d’alpinisme. Le «Street Climbing» ou escalade urbaine s’est imiscé un peu partout, sous les ponts, dans les édi-fces industriels, ou encore sur les hautes tours des quartiers d’affaires. C’est encore un français qui a développé ce phénomène. En effet, Alain Robert, grand grimpeur falaisiste de renommée et adepte du solo intégral s’attaquera aux plus grandes tours de ce monde. Le plus surprenant vient du fait qu’il ait commencé l’escalade urbaine après une chute en falaise de 15m.

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Après ce traumatisme la sécurité sociale le considère comme invalide à 66% et suite à cela il est victime de vertiges persistants dûs à des problèmes d’oreille interne. Cela ne l’empêchera pas de gravir en solo plus d’une centaine d’édifces publics allant de petits édifces de 20m aux plus hautes tours du monde comme celle de Burj Khalifa au Moyen Orient à plus de 820m. Preuve encore une fois que la quête du vertige peut être au delà des sensations physiques, et peut relever du mental ou du spirituel. Comme les autres, Alain Robert grimpe pour le plaisir, le déf de soi même, la re-cherche de sensations fortes mais également pour ses revendications. A chaque ascension, il porte un message engagé et même s’il a fni plusieurs fois derrières les barreaux, il se prétend homme libre, responsable de ses actes, fer d’aller là où personne ne s’aventure en défant ses émotions et ses problèmes physiques. Ici encore, la médiatisation de ses exploits mondiaux ont une fois de plus débridé les cadenas péjoratifs accrochés au vertige. Les réseaux sociaux ont très vite développé cette culture et les médias amateurs envahi la toile. Des jeunes d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Sud et d’autres continents dévoilent leurs exploits au monde entier en se lançant des défs. Toute surface verticale imaginable devient terrain de jeu. L’homme moderne dans son confort aseptisé a besoin de s’éprouver physiquement ou mentalement. En cela on constate l’explosion des sports extrêmes, jusque là réservés aux professionnels, aujourd’hui ouverts à tous. Ce phénomène montre bien à quel point une sensation dérangeante et ambigüe comme le vertige physique attire aujourd’hui et pousse les personnes à essayer d’y prendre du plaisir en s’appropriant ces étranges sensations. Une redé-couverte des peurs et angoisses ancestrales accessible à tous. Ces nouveaux enjeux, dans le cadre urbain changent considérablement la façon de voir la ville et penser les surfaces qui la défnissent. Qui aurait pu penser que la sous face d’un pont ou la façade de brique d’une mairie puisse devenir de véritables terrains de jeux. C’est en quelque sorte une révolution de l’appropriation de l’espace urbain. À l’égal du «Street Art» le «Street climbing» redécouvre et redéfnit les qualités urbaines des villes en s’appropriant des lieux, des surfaces, des environnements stériles pour les rendre habités, praticables, humanisés. Ces nouvelles pratiques remettent en question l’usage des façades qui peut être aujourd’hui perçu non seulement comme une entité technique ou esthétique mais aussi pratique. Le phénomène se démocratisant, va peut être faire réfléchir quelques architectes et urbanistes quand à l’habilité de leurs façades ou des rues qui composent les villes afn de faire une fois de plus évoluer les codes et dogmes de la profession.

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Fig.6 Alain Robert, Framatome, Paris,

(1998)

Fig.5 Mustang Wanted, Moscou, 2013

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Des mots, des vertiges20

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Science et philosophie, la dialectique du vertige

Dans cette partie consacrée au regard philosophique et scientifque du vertige, deux protagonistes neurologues français du XIXème siècle s’opposent et s’accordent sur la défnition du vertige. Par-tageant une admiration commune par la théorisation des réactions du système cérébral humain, ils rédigerons textes et essais, et compareront souvent leurs travaux dans leurs œuvres, permettant de lier la réflexion de ces deux hommes. Cette étude sera comparée à l’espace et à la dimension perçue par l’homme dans des situations de vertiges données.

Joseph Grasset (1849-1918), est un médecin interniste et neurologue français qui apportera toujour un regard philosophique sur la science. Joseph Grasset a été diplômé en médecine en 1873 à Mont-pellier, ville dans laquelle se déroula sa carrière. Il s’intéressa à la médecine interne et particulière-ment aux maladies du système nerveux. Joseph Grasset a par ailleurs publié de nombreux travaux relatifs à la psychiatrie. Il publiera « Le Vertige» dans Revue Philosophique en 1901

Pierre Bonnier (1861-1918), est un neurologue, psychiatre et otologue2 français, notamment connu pour sa description du syndrome du «noyau Deiters» en 1903, un trouble qui est également dénom-mé par le syndrome de Bonnier. Le syndrome a été décrit par Pierre Bonnier est caractérisé par du vertige avec dérobement partiel ou total de l’appareil de sustentation3. Il résulte un état nauséeux et anxieux. Il publiera «Une défnition du vertige» dans Revue Scientifique en 1901.

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2 Spécialiste des maladies de l’oreil interne3 La sustentation est l’effet d’une force qui maintient un corps à faible distance au-dessus d’une surface et sans contact avec elle

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Pierre Bonnier et Joseph Grasset vont chacun pointer du doigt l’obscure dialectique du vertige. Leur discorde concerne surtout la confusion possible entre le «vertige vrai» et la «sensation vertigineuse», comme s’il était impossible de se représenter de quel état fonctionnel le vertige représentait la sus-pension. Le vertige vrai est une sensation rotatoire parfois accompagnée de nausée et souvent pro-voquée par une perception de mouvement différent entre la vision et le système vestibulaire. La sensation vertigineuse quant à elle est un trouble sans sens de rotation, sans spécifcité nette parmi lesquels les malaises, l’hypertension ou encore la fèvre peuvent être comptés. Ils comparent ainsi le vertige à la faim et à la peur, montrant que ces deux états physiopathologiques sont respectivement la suspension des états de satiété et de sécurité, des «états si normaux et si légitimes qu’on ne s’en occupe pas plus que la vie elle même»4. Le vertige est-il la suspension d’un état de non vertige? La quiétude et le bien être que ces états procurent ne sont fnalement percus que lorsqu’ils font défaut, lorsqu’ils sont suspendus5. On peut alors avancer, sans rentrer dans la complexité scientifque des troubles cliniques, physiologiques, psychiques, ou encore mentaux que dans les cas de l’architecture et de l’urbanisme des métropoles que le vertige est une suspension du «sens de l’espace». Gras-set et Bonnier présentent ce sens comme une orientation objective et une orientation subjective de l’espace. La spacialité est défnit à partir de données objectives qui construisent la topographie de notre environnement et par des données subjectives qui sont la perception de soi même, la position et les mouvements dans l’espace en général. Grasset souligne que «quand un sujet dit avoir un ver-tige, il dit que les objets environnants semblent tourner ou se déplacer autour de lui ou que lui même parait être entraîné, se déplacer par rapport aux objets environnants»; il ajoute en général qu’il se sent menacé de perdre l’équilibre. Son propos suggère surtout que le malade établit une équivalence entre le vertige, le déséquilibre et l’illusion de déplacement, des affects associés indirectement avec la menace de chute. Les patients décrivent également de ce trouble ambiguë à mi chemin entre le symptôme et la phobie des états d’extase ou de transport hors de soi. Bonnier parle alors d’une « suppression de tout ce qui n’est pas milieu pesant». Ainsi le vertige ne se résume pas simplement à la peur de la hauteur (acrophobie) mais aussi en marchant dans la rue, en position assise ou même couché, en plein abandon musculaire et en pleine sécurité d’équilibre. La plupart des défnitions physiologiques du vertige trahissent tout de même son caractère vertical, il peut être question «d’im-pression de chute», comme «d’illusion de suspension» ou encore «de sentiment d’élévation».

4 Bonnier, P. (1904) ‘Le vertige’, Paris: Librairies de l’académie de médecine. p.55 Propos recueilli dans Olivier Jacques, Vertiges métropolitains : Enquète sur les désequilibres dans les mmétropoles modernes, École d’architecture, Université Laval, Québec, 20116 16 Grasset, J. (1901b) ‘Les maladies de l’orientation et de l’équilibre’, Paris: F. Alcan. p.174

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7 Bonnier, P. (1904) ‘Le vertige’, p18 Ibid, p669 Propos recueilli dans Olivier Jacques, Vertiges métropolitains : Enquète sur les désequilibres dans les mmétropoles modernes, École d’architecture, Université Laval, Québec, 2011; extrait de Grasset, Joseph. Du Vertige des ataxiques, 1893 s. d.

Pierre Bonnier argumente dans son livre «Le Vertige» que « Notre attention est plus attirée par le mouvement que par l’immobilité, par les changements d’états que par les états d’équilibres, par la variation que par la fixité. Ceci est une loi classique pour toutes les représentations sensorielles en général et pour la conscience en particulier».7 Peut-être est ce cela qui pousse l’homme à se confron-ter au vertige, le mouvement, le besoin d’instabilité, ou encore de changement d’état. Il suggère ainsi que tout déséquilibre a le potentiel d’éveiller. Le vertige serait il alors un moyen de s’éveiller, de mieux comprendre un état de non vertige, de mieux comprendre une condition dite normale en passant par une étape anormale. Le vertige est alors physiologique si il concerne le corps, mais devient lyrique lorsqu’il concerne la stabilité de l’esprit. Pour fnir Grasset mentionne que le vertige donne l’impres-sion de tomber sans tomber, une fausse sensation de déplacement. Bonnier quant à lui déclare que la personne se divise en deux, l’un physique, réel, ne bouge pas. L’autre, sa projection, entre réellement en mouvement. Cet autre serait créé par une variation de «désorientation subjective»8 venant parfois de la peur, de l’angoisse ou de l’oppression mais aussi des illusions, des hallucinations ou encore des interprétations délirantes. Alors l’équilibre qui a la possibilité d’être rompu contient une énergie potentielle, tendue entre la stabilité et la chute. Le plus souvent l’individu ne tombera pas et la tension se détendra, jusqu’à la réunion des deux individualités somatiques et la fn du vertige.9 Ces deux pro-tagonistes ont tenté de démontrer les réelles causes du vertige et de défnir les complexités que ren-ferment cette étrange sensation. Malgré tout, le plus intéressant dans le contexte de cette recherche ne réside pas dans le résultat de leurs analyses sinon de la capacité de réflexion et de la justesse des expériences entretenues envers certains patients. Il en découle des interprétations majeures entre théorie scientifque et interprétation de la conscience par des raisonnements philosophiques. Leurs études révèlent la distinction avérée entre le vertige vrai qui inclue la sensation de mouvement et la sensation vertigineuse qui ne l’inclue pas due à des causalités différentes. Les notions de mouve-ments réels ou implicites du corps et de l’esprit dans un espace donné par les impressions subjec-tives et objectives ramènent à confronter l’esprit humain à la spatialité environnante physique. Ainsi le vertige ne peut apparaitre que lors de la présence d’un esprit conscient dans un contexte spatial réel. La verticalité est aussi mise en avant par la sensation de chute, de suspension, ou d’élévation. L’horizontale n’est pas à omettre car c’est elle qui sert de repère spatial aux sensations ressenties de la verticalité. Ainsi, verticales et horizontales génèrent l’espace dans lequel l’esprit frappé de vertige évolue de façon consciente sans pouvoir malgré tout le maîtriser. Enfn la comparaison entre la peur, la faim et le vertige fait état d’un état de suspension de sécurité, de satiété, et d’équilibre.

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L’art du verbe, citation du vertige

Quand une phrase ténébreuse, alambiquée vous donne le vertige, souvenez vous que ce qui donne le vertige c’est le vide.

Sacha Guitry, L’esprit de Paris.

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Cette partie va faire état de quelques citations d’auteurs célèbres qui citent ou font allusion à un vertige, à des vertiges. Une interprétation personnelle permettra de défnir quel type de vertige y est associer et quelles émotions transparaissent dans ces brides de textes. Ces citations seront examiné en essayant de préserver ces interprétations dans la contextualité des œuvres dont elles ont été soustraites ainsi que l’état d’esprit de l’auteur au moment de leur rédaction. N’ayant pas forcément de relations communes réelles, ces citations tenteront d’être comparées afn de comprendre ce que pourrait être un vertige littéraire. Est-ce les mots qui traduisent un vertige, l’imagination du lecteur qui se traduit par une impression de vertige ou simplement la virtuosité de l’auteur qui nous transporte?

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«Celui qui veut continuellement «s’élever» doit s’attendre à avoir un jour le vertige. Qu’est-ce que le vertige? La peur de tomber? Mais pourquoi avons-nous le vertige sur un belvédère pourvu d’un so-lide garde-fou? Le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber. C’est la voix du vide au-dessous de nous qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi. »

Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, 1982

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Milan Kundera (1929), est un écrivain français originaire de Tchécoslovaquie. Ayant émigré en France en 1975, obtient la nationalité française en 1981. Il écrit ses premiers livres en tchèque, mais utilise désormais le français. En 1948, il entame des études de littérature et d’esthétique à la Faculté de philosophie Charles de Prague, très vite il se réorientera vers le cinéma. Fervent communiste il sera exclu plusieurs fois du parti pour cause de plaisanterie délictueuse. En 2008 il sera condamné par la République Tchèque à 22 ans de prison pour avoir dénoncé un de ses concitoyens en 1950. Il sera soutenue par la scène internationale des auteurs mais passera tout de même 14 années enfermé.

Cinquième roman de Milan Kundera, «l’Insoutenable légèreté de l’être» relate la vie d’artistes et d’in-tellectuels dans le contexte du Printemps de Prague. Légèreté et pesanteur sont les notions qui fon-dent ce livre. L’occident est un monde de légèreté tel qu’il en devient insupportable, tandis que les soviétiques sont d’une telle gravité que cela en devient ridicule.

Dans cette citation le vertige est considéré comme le syndrome de l’homme qui veut continuellement s’élever, soit grimper les échelons. Sa plus grande peur est alors de tomber, de redescendre dans cette société. Ici, le vertige n’est pas l’élévation mais la chute. La voix du vide. Même protégé de ce vide, il sufft de le regarder pour s’y sentir attiré. La conscience rattrape rapidement la tentation et nous préserve de cette chute. On retrouve ici l’idée du dédoublement, un corps physique immobile qui fxe le vertige. L’autre entame un mouvement, une rotation, une chute, une élévation, vite contrôlée par la conscience qui reforme une unité. On peut facilement comparer cette dialectique entre l’éléva-tion et la chute par l’idée du paradis et de l’enfer. On cherche à s’élever vers le paradis, mais durant ce parcours l’enfer nous guette et nous attire par ses tentations. Comme un homme en situation déli-cate au dessus du vide, il n’a qu’à regarder vers le bas pour s’y sentir happé. Durant une fraction de seconde, se voit tomber jusqu’a ce que la conscience le rattrape et par un élan qui traverse tout le corps comme une décharge électrique le ramène en position de sécurité. La légèreté et la pesanteur sont également ancrées dans ce contexte. L’élévation d’un corps léger cherche sa protection dans l’élévation et la chute d’un corps pesant attiré par le bas comme un retour aux origines. La légèreté paraît une entité beaucoup plus noble, tel le jugement d’Osiris lors du jugement de l’âme par la pesée du cœur face à la plume; seuls les cœurs équivalents à la plume ont droit au passage vers l’au delà. Pourtant la légèreté est également associée à la futilité, à l’indescriptible, à l’éphémère. La pesanteur, la lourdeur qui nous tire vers le bas donnent l’impression de la défaite, de l’abandon, du désespoir. En réalité cette réaction normale nous attire, regarder derrière soi, ressasser le passé, retourner de là ou l’on vient. La stabilité est ici exclue, seul les notions qui engagent le mouvement sont exprimées. Le vertige ne touche que l’idée de mouvement, de déplacement ou de rotation.

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«Je n’ai pas peur. J’ai seulement le vertige. Il me faut réduire la distance entre l’ennemi et moi. L’af-fronter horizontalement.»

René Char, Feuillets d’Hypnos, (1946)

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René Char, (1907-1988) est un poète et résistant français. Interne à partir de 1918 au lycée Mistral d’Avignon, il décide en 1923 de le quitter, après une dispute avec l’un de ses professeurs. Il fait en 1924 un voyage en Tunisie, puis, en 1925, suit les cours de L’école de Commerce de Marseille, qui ne l’intéressent pas vraiment. Il commencera lors de son service militaire à rédiger ses premières cri-tiques. Plus tard à Paris il se liera d’amitié avec Aragon, Desnos, Prévert et Queneau avec lesquels il rejoindra le mouvement surréaliste. Il fréquentera d’autres artistes comme Picasso ou Man Ray.

Les Feuillets d’Hypnos seront rédigés sous l’occupation, comme ses notes du maquis. Sous l’appa-rence d’un journal intime, la composition est cinglante et ne persiste que les parties vives de ses pen-sées. On reconnaitra la dénonciation du nazisme et de la collaboration française, les interrogations aiguës et douloureuses sur son action et ses missions durant la guerre. L’ensemble demeure une des images les moins convenues et les plus approfondies de ce que fut la résistance européenne au nazisme.

Cette citation inspire la bravoure. On reconnait le courage et la témérité de René Char. On s’ima-gine facilement l’homme fort, haut de ses 1,92m, vraie force de la nature devant l’assaillant. Malgré ses allures de brutes épaisses, c’est un esprit fn qui l’habite, une conscience élevée et ouverte, un homme passionné de lettres. Qui l’emporte à ce moment dans le maquis? L’homme fort ou l’esprit fn? L’homme fort n’a pas peur mais l’esprit fn est pris de vertige. L’homme fort décide de réduire la dis-tance entre l’ennemi et lui, l’esprit fn lui recommande d’affronter son ennemi horizontalement, d’égal à égal. C’est un tout autre vertige que ceux exprimé jusque là. C’est le vertige du courage, de l’envie et de l’intrépide. Un vertige virtuose pour sauver sa peau et sa patrie face au nazisme. Après avoir participé aux expériences surréalistes, comment réagir face à la guerre? Pour René Char ce sera par les armes et les lettres. Souvent mis en opposition sa force viendra du fait qu’il saura manier les deux avec une même passion et un même objectif, rester libre. Ce vertige est une transcendance, il l’anime et le pousse à avancer. La peur en suspension, ce n’est pas elle qui l’habite mais un certain vertige. Ce vertige n’a rien de vertical, c’est un vertige horizontal, il ne prendra pas son ennemi de haut sinon face à face. C’est la notion de mouvement que lui transmet ce vertige, l’immobilité laisserait place à la peur et sans doute l’emmènerait à sa perte. La vie, pour lui, c’est avancer dans la seul direction qui le guide. L’horizontale le mènera face à l’ennemi ou là seulement il saura si il peut continuer son chemin sur cette terre ou suivre la direction verticale qui le conduira vers l’au delà.

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«Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.»

Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Délires II,Alchimie du verbe, (1873)

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Arthur Rimbaud (1854-1891) écrit ses premiers poèmes à quinze ans. Lui, pour qui le poète doit être « voyant » et qui proclame qu’il faut « être absolument moderne »10, renonce subitement à l’écriture à l’âge de vingt ans. Des vers comme ceux du «Bateau ivre», du «Dormeur du val», ou de «Voyelles» comptent parmi les plus célèbres de la poésie française. La précocité de son génie, ainsi que sa seconde vie aventureuse au Yémen et au Mali ont contribué à forger la légende du poète. Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d’Arthur Rimbaud une des fgures premières de la litté-rature française.

Alchimie du verbe est le deuxième volet du diptyque poétique intitulé «Délires». Le second Délire, «Alchimie du verbe» se présente comme la confession d’un être tourmenté qui analyse avec ironie et dérision son expérience poétique fnalement tragique. C’est une autocritique envers son parcours au cours du quel il reconnait ses erreurs.

Dans le contexte des «Délires», Arthur Rimbaud réalise une performance littéraire visionnaire. Il veut réinventer l’écriture. Il souhaite faire vivre ses textes, leurs apporter des sensations autres que vi-suelles ou auditives. A la limite de la folie, du délire, ce texte exprime l’ambition créative d’atteindre un monde nouveau. Il pose des mots sur des entités immatérielles et subjectives comme le silence, l’inexprimable, le vertige. Il souhaite défnir l’indéfnissable par l’expérimentation littéraire. Il renouvelle le genre et cherche à se débarrasser des vieilleries poétiques pour ne garder que l’essentiel. A l’égal de l’architecture moderne, il épure son style et rejette toute ornementation. Son travail est une étude, une expérimentation. Le silence parait le plus grand ami de l’écrivain, il facilite la symbiose entre le corps et l’esprit en évitant toute altercation extérieure. La nuit est un réceptacle du silence, le noir, l’abstrait, le vide sont terrains propices à la concentration et à la méditation. Il note l’inexprimable et met des mots sur ce qui ne s’explique pas. A l’égal de ce mémoire sur le vertige, il tente de mettre des mots sur des sensations. C’est une introspection physique et mentale qui le guide jusqu’au plus profond de lui même. A la limite de la méditation c’est la recherche d’un état de transe qui le pousse dans sa quête. Il désire aller plus loin que les autres: comme l’alpiniste, il se défe lui même avant de défer le reste. Il cherche son subconscient qui pourrait lui apporter des réponses. Il fxe des ver-tiges, il cherche à maitriser ce petit instant de flottement où l’inconscient prend le dessus, agripper le mouvement et s’en accaparer pleinement. Fixer des vertiges parait être une contradiction totale avec ce qui le défnit, à savoir, le mouvement réel ou fctif. Tel un photographe de son propre esprit, il est à la recherche d’image qui, jusque, là non jamais existées. C’est en précurseur, en visionnaire, qu’il cherche à prouver le contraire de concepts pré-établi, à mettre le doigt sur des contre-vérités et ramener l’ordre, perverti par des milliers d’années d’évolutions intellectuels.10 Arthur, Rimbaud : Poésies - Une saison en enfer - Illuminations. Paris: Gallimard, 1999.

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« L’attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Il n’y a pas de volupté sans vertige. Le plaisir mêlé de peur enivre. »

Anatole France ,Le jardin d’Épicure, (1894)

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Anatole France (1844-1924), est Élevé dans une famille de bibliothécaire, son avenir d’écrivain pa-raissait tout tracé. Il est considéré comme l’un des plus grands de l’époque de la Troisième Répu-blique, dont il a également été un des plus importants critiques littéraires. Il se liera d’amitié avec Emil Zola qu’il soutiendra dans sa lettre «j’accuse» lors de l’affaire Dreyfus. Il s’engagera en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du XXème siècle et reçevra le prix Nobel de la littérature en 1921.

«Le Jardin d’épicure» est un résumé composite de dialogues, textes courts, lettres réelles ou fctives, parfois complétement surréalistes. Il y exprime sa vision du monde teintée de sagesse et d’ironie. Cet érudit et adorateur de la littérature se révèle dans cet ouvrage un philosophe décomplexé, clair et limpide au style alerte qui encore aujourd’hui n’a pas pris une ride.

Cette citation révèle une fois de plus le besoin de confrontation du genre humain. C’est par l’expé-rience qu’il s’enrichit et s’améliore. Ainsi, l’attrait du danger est ancré au plus profond de nous. Comme une qualité héréditaire léguée par nos ancètres, les hommes confortablement installés sentent un be-soin presque pulsionnel de se confronter au danger. La passion qui anime les coeurs rend plus fort et donne du courage. La recherche d’un idylle ne se fait jamais sans encombre. La réaction instinctive de la peur est nécessaire à l’homme calme et prospère. Sans connaitre la douleur, comment savoir si l’on se bien? Anatole France met en scène le mélange des sensations. La peur et le plaisir sont des états de conscience à part entière, voir opposés. Qu’est-ce que serait alors une sensation de peur mèlée de plaisir? Peut être la sensation la plus profonde qu’il soit. A ceci il assimile le vertige. Le ver-tige terrifant mais tellement agréable tant la sensation est étrange et forte. Les pulsions qui animent l’instinct de l’homme se nourissent de cette diversité. Le vertige mèlé à la volupté repousse ici l’idée de chute ou d’élévation ainsi que le système d’un vertige basé sur la confrontation entre axes verti-caux et horizontaux qui défnissent l’espace. L’idée de volupté inspire un système qui n’est pas basé sur les axes orthogonaux, mais peut être sur un axe oblique en rotation. La volupté apparait sans di-rection propre, c’est l’image d’un mouvement irrationnel qui s’empare de l’espace de façon aléatoire. La direction fgurative la plus similaire pourrait être la spirale qui d’un point central donné va peu à peu s’expanser pour se délier progressivement dans tous l’espace imparti. Le vertige pourait il donc être une sensation gouvernée par un mouvement en spirale. On retrouve ici le mouvement de la rotation à l’origine du mot vertige, vertere, tourner.

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L’étude de ces citations révèle que les vertiges sont toujours associés à une idée de direction plus ou moins formelle. Vertical, horizontal ou oblique. A cette idée de direction y est toujours liée une notion d’espace, intérieur ou extérieur, confné ou infni. Ensuite c’est l’idée du mouvement qui ap-paraît selon les directions dans l’espace donné. Suivent alors la sensation et l’émotion. On relève de grandes divergences quand aux effets du vertige. On distingue aussi bien la peur et le malaise que l’extase et la joie. Parfois même, les sensations aux antipodes sont liées et génèrent des sensations ressenties mais diffcile à décrire tant il n’existe pas de mot précis pour les défnir. Les écrivains utili-sent ce mot pour appuyer un sentiment intérieur, un pic d’émotion positif ou négatif auquel les mots manques. C’est en disséquant le contexte de la phrase dans lesquels ils ont été placés que l’on peut sentir à quelle fn ils ont été utilisés. Pour Milan Kundera, le vertige est vertical et s’accorde à l’idée d’évolution dans la vie ou dans la société. Cette évolution est nourrie par la peur de tomber, malgré tout, elle est attirante et enviable. Les sentiments et sensations sont bouleversés par leurs doubles sens. Le vertige est ascensionnel, mais contradictoire, c’est la confusion. Pour René Char le vertige est une force horizontale, la seule qui puisse le pousser à avancer et lui donner le courage dans une situation complexe. Ici, la peur est supplantée par un vertige qui à la limite de la folie, apporte la bravoure nécessaire au déf de la vie de René Char. Pour Arthur Rimbaud, le vertige est capté dans le mouvement, il cherche à séquencer le vertige pour mieux le comprendre. A l’égal du «nu dans l’escalier» de Marcel Duchamp, le vertige est alors décomposer et fxer dans son mouvement. C’est une démarche presque scientifque sur l’étude de soi même que propose ici Arthur Rimbaud. Enfn pour Anatole France le vertige s’exprime dans la notion d’une oblique en rotation par l’effet de volupté du vertige qui s’empare de tout l’espace donné générant des sensations contradictoires génératrices d’émotions fortes.

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Des histoires, des vertiges

Cette partie transcrit brièvement l’histoire d’un homme anonyme pris d’un certain vertige dans une position précise donné. Par la suite une histoire personnelle sera relatée et comparée à l’histoire pré-cédente. Il s’agira alors de constater comment le vertige peut être différent pour chaque personnes et comment il sévit pour chaque être humain. Les notions, d’habitudes, et de confances vont être en ce sens abordées.

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«Il m’est arrivé de m’asseoir au bord d’une falaise, les pieds ballants dans le vide et de me sentir parfaitement à l’aise. J’ai également, comme par défi de petit coq indigné, escaladé une falaise, suspendu à une corde, sans le moindre problème. Les voyages en avion me font dormir car ma confiance est totale dans les pilotes. L’escalade de montagne ne me rebute absolument pas. J’ai la sensation animale de n’y courir aucun risque en faisant attention. Métempsychose féline ? Peut-être ? Une habitation dans une construction en hauteur, c’est tout autre chose. En pareil lieu, je ne contrôle alors rien et ne puis rien faire pour échapper à la toute bête passivité. C’est un réflexe tout à fait primitif, mais d’autant plus fort, justement ! Une façade absolument lisse et verticale me donne un vertige inouï et je ne puis en aucune manière dormir dans une chambre donnant sur cette façade. J’ai récemment fait rire un ami en lui jurant, de toute bonne foi, que je préférais, et de très loin, une litière de paille dans un coin d’étable, à toutes les suites de tous les Burj El Arab de Dubai, et tous les Ritz Carlton de Hong Kong… Sur la litière de paille, je suis certain de dormir en paix, alors que dans les gratte-ciel, je suis certain de passer la nuit à attendre le matin avec la désagréable sensation d’être pris dans une souricière et d’avoir une chance sur deux de ne point y parvenir…»

Histoire anonyme recueilli sur «wordpress.com»36

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Cette première histoire relate la phobie d’un homme par les architectures de grandes hauteurs. Ces éléments lui donnent le vertige. Au contraire il est à l’aise dans les milieux naturels où il se sent en contrôle. L’escalade, l’alpinisme ou l’avion sont pour lui des éléments familiers qui ne lui procurent aucun gène. Au contraire il y prend du plaisir. Il leur accorde une confance absolue qui lui permet de se déplacer dans ces environnements sans encombre. Il exprime qu’une construction en hauteur lui donne le vertige qu’il soit à l’extérieur, en la contemplant, aussi bien qu’en son intérieur, dans les étages. Il invoque le fait de ne rien pouvoir maitriser dans ce genre de situation. La volumétrie des édifces le dépasse et le submerge. La façade lisse le laisse sans voix et le décompose d’inquiétude. Aux plus beaux hôtels des tours des mégalopoles, il préfèrera une litière de paille dans une étable. Ce phénomène étrange ramène à la question de l’environnement; un environnement qu’il se sent capable de maitriser ou un environnement maîtriser par quelqu’un envers qui il a confance ne lui pose pas de problème. La question est pourquoi aurait-il plus confance au pilote de l’avion qu’à l’architecte qui a édifé un building ? On peut répondre à cette interrogation par le principe du vertige de dimension. Il ne relate plus de la confance envers les autres, mais à un problème d’acceptation de l’espace. Il admet la spatialité confnée de la carlingue d’un avion alors qu’il se trouve à 10000 m d’altitude. Le rapport à l’horizontale et à la verticale est presque nul par le hublot de l’avion. La direction et les dimensions prises par un édifce le perturbe et le trouble. Il parle alors de reflexe primitif. Il se trouve hors de contrôle devant la puissance d’une architecture de verre hors d’échelle. C’est le vertige en contreplongée qui l’afflige face à la verticalité véhémente de ce genre d’édifce. On pourra conclure que ce vertige constitué d’une prise de conscience ou non, d’un espace en corrélation avec la di-mension de cet objet dans l’espace.

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«C’était il y a 6 ans lors d’une sorti dans le Verdon avec le club d’escalade dans lequel j’étais inscrit à l’époque. Après quelques jours d’escalade en voie de 20 à 30m, vint le jour de la grande voie. Dans la voiture le président du club nous explique que c’est une falaise de 250m qui nous attend. Nous arrivons au dessus de la voie. Le bas des gorges du Verdon est inaccessible en voiture. Le site est grandiose et la sensation inhabituelle; arrivés au dessus de la falaise avant d’en avoir réalisé l’ascen-sion renforce cette impression. De là haut, la rivière du Verdon ne paraît pas plus large qu’un cheveu. Il s’agit ensuite de descendre en rappel. Cette étape est impressionnante mais une fois les premiers mètres engagés la peur disparaît derrière la confiance envers le matériel et les assureurs qui gèrent la descente. Un premier groupe de deux descend puis c’est à mon binôme de les suivre 50m plus tard. La descente est douce et le paysage magnifique, l’excitation est extrême et l’envie de remonter cette paroi nous démange les doigts.

Histoire personelle d’une sortie d’escalade dans les gorges du Verdon. (2008)38

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A mi chemin, on entend les voix du premier groupe en contrebas. Nous pensons qu’ils nous informent de leur arrivée à destination. Les cris insistent mais le vent emporte leurs voix. Quelques minutes passent et nous comprenons enfin qu’ils n’ont pas assez de longueur de corde pour descendre. L’aventure se fige, il n’y a plus qu’à rebrousser chemin. On transmet tant bien que mal l’information à l’équipe qui est encore au dessus de nous. Certains ont engagé la descente et d’autres sont encore au sommet. Nous avons du mal à nous entendre. Nous ne voyons personne tant les aspérités et la topographie de la roche sont importantes. Ici débute une longue période d’attente, de transition d’in-formations entre les différents groupes. Il s’agit d’entamer la remonté mais le doute s’installe. N’ayant pas d’expérience en grande voie, la manipulation du matériel nous manque et la confusion s’établit. Cette position et le paysage vertical qui m’enjouait quelques minutes auparavant ont disparus face à la désorientation et à la peur. Trente minutes plus tard, qui m’ont semblé des heures, les informations sont passées et mon compagnon décide de remonter. Il sera assuré par le haut. Prenant son courage à deux mains, il s’élance et entame l’ascension. Hésitant au début, il reprend confiance et disparaît ra-pidement de ma vue. Je me retrouve seul, sans corde, attaché sur un spit dont je commence à mettre en doute la solidité d’ancrage. Le temps se disperse et une foule de pensée éffrayante me guette. Le stress est tel que je tremble de tout mon corps. Enfin, j’entends une voix. Il me faut du temps pour comprendre et j’ai du mal à crier pour me faire entendre. Une corde tombe à coté de moi et j’en dé-duis que c’est à mon tour de remonter. La manipulation est inhabituelle mais je me concentre tant bien que mal pour m’attacher en sécurité. Il est temps d’attaquer l’ascension assurée par la corde. Je me prépare et me détache de la paroi. Je n’ose me reposer sur la corde et suis pris de suées. C’est le vertige. Je m’efforce de ne pas regarder en bas mais rien n’y fait. Je baisse les yeux et les angoisses se multiplient. Ma corde paraît tellement fine dans ce gouffre. Les tremblements reviennent et le stress est à son paroxysme. Il me faudra quelques minutes pour me calmer, me ressaisir, et me rassurer par tous les moyens possibles. J’arrive enfin à bouger, mes muscles sont toujours tendus et chaque mou-vement me crispe. Je refuse de tomber, ma confiance au matériel a disparu. L’ascension est facile mais mon corps est tellement angoissé que je m’épuise vite. Quelques dizaines de mètres plus tard, c’est l’erreur. Mes muscles sont tétanisés et je n’ai d’autres choix que de lâcher prise. Je prie pour que l’assureur soit aux aguets. Je vis la pire minute de ma vie puis me laisse tomber. La chute me propulse deux mètres plus bas et la corde me stoppe sèchement. Le temps s’arrête, je réalise à peine et soudain mon corps se relâche complètement. Quelques minutes de repos et je repars, la confiance est revenue ainsi que le plaisir de la grimpe. Je ris et me hisse jusqu’au sommet. Là je raconte à mes amis que je viens de vivre la meilleure expérience de ma vie. En réalité, j’ai toujours été en sécurité et c’est un vertige habituellement contrôlé qui m’a fait perdre mes moyens, bouleversant complètement mes pensées, mes habitudes, mes reflexes.»

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Cette histoire personnelle qui remonte à quelques années réveille encore en moi de fortes émotions. Dans un contexte que je pensais pouvoir maitrisé, je me suis retrouvé complètement déstabilisé. La capacité de gérer une situation à 20m n’a rien à voir avec une altitude de 100m. Pourtant à partir d’une certaine hauteur l’œil ne fait plus la différence. A ces altitudes il est impossible de défnir si le corps se situe à 100 ou 200m en suspension. C’est le fait qu’on connaisse ses distances préalablement qui bouleverse nos repères. Cette attitude est purement psychologique, c’est une mise en sécurité de sa personne par rapport à des données connues mais non estimables. On peut dire que cela s’ap-parente à un vertige imaginaire, purement fctif dû à une situation qui nous échappe. Malgré tout ce vertige passé a libérer une sorte d’extase intérieure. La sensation incroyable de s’être fait peur jusqu’à ne plus en maitriser son corps. Enfn on dépasse cette situation pour reprendre une totale maitrise de ses moyens. Ici direction et environnement physique spatial n’ont été que prétexte à un vertige de la conscience. Ce fût un substitut à l’affolement et à l’angoisse. Cette allusion rappelle la citation d’Ana-tole France « L’attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Il n’y a pas de volupté sans vertige. Le plaisir mêlé de peur enivre. » À ce moment là, la peur à précédé un grand plaisir, mais peut être ai je mal analysé mes réactions sur le vif. Cette peur qui me paralysait n’était qu’un mélange de discorde entre plaisir et angoisse.

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Pour conclure, ce second volet rend compte de la capacité de traduire le vertige par des mots. Cet exercice quelque peu subjectif permet d’apporter des précisions et de relever des détails sur la nature du vertige. Certaines notions se révèlent clairement, tandis que d’autres restent floues et ne peuvent s’appliquer qu’au cas par cas. La science, la philosophie et la narration sont cependant des témoins cruciaux à la compréhension de ce que peut être cette étrange sensation. Les lettres et les mots ont la double capacité de décrire ou de donner le vertige. L’imagination, le psychologique ou encore le subconscient interviennent dans le décodage de ces lettres qui transcrivent ou donnent le vertige. Des thèmes réapparaissent régulièrement quant à sa défnition. Les notions de dimension, de directions, d’espaces, de mouvements rectilignes ou rotatoires, et d’émotions sont les bases de ce que peut être un vertige vrai ou une sensation vertigineuse. La mise en relation de différents thèmes apporte l’ouverture d’esprit suffsante afn de conceptualiser peu à peu le phénomène.

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Le vertige représenté

Quand une oeuvre d’art vous donne le vertige, souvenez-vous que ce qui donne le mieux encore le vertige, c’est le vide.

Sacha Guitry, L’esprit de Paris

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Les sensations de l’art picturale

Cette partie dédiée à la représentation picturale a pour objectif de dévoiler comment le vertige peut être représenté. Comment l’imaginaire de l’artiste peut transcrire de façon affrmée ou sous entendue une idée de vertige. Ainsi Après le vertige par les mots c’est à travers les arts qu’il est analysé. La force du trait, le symbole, la dynamique d’une œuvre nous permet elle de déceler ou ressentir un vertige? Des comparaisons avec les études précédentes permettront de créer des liens entre les différentes manières d’exposer cette sensation prenante. Le choix des œuvres étudiées est volon-tairement éclectique afn d’avoir un panel le plus large possible d’interprétation par rapport à des mouvements artistiques, des époques ou des styles. La mise en relation avec le contexte de l’œuvre et l’état d’esprit de l’artiste seront bien entendu pris en compte lors de ces descriptions.

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Caspar David Friedrich, (1774-1840), est un peintre et dessinateur allemand, considéré comme l’ar-tiste le plus signifcatif et influent de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. Son enfance sera marquée par la mort prématurée de sa famille. Cela va avoir une influence sur l’un des deux thèmes de sa peinture : la mort et la nature. Après quelques portraits, Friedrich s’oriente vers une car-rière de paysagiste. Influencé par sa foi et la philosophie romantique, il cherche rapidement à donner une dimension spirituelle à ses tableaux.

«Le voyageur contemplant une mer de nuage» est peint en 1918. Un homme, haut fonctionnaire, se dresse sur un rocher et contemple l’horizon. Il fxe au loin une mer de nuages au bout de laquelle se dresse une montagne qui serait en réalité le Mont Rosenberg. Ce tableau représente l’image d’un homme au sommet de son existence, un défunt. A la quête de sa rédemption, il cherche dieu. La mer de nuage hérissée de pics représente le chemin périlleux de son humble quête.

Ce tableau fort de sens présente plusieurs ambigüités. Le réel est symbolisé par l’homme à la posture solide sur un socle de pierre sombre. L’imaginaire est quant à lui représenté par le grand paysage ; floue et voluptueux celui ci semble être animé d’un mouvement perpétuel d’une froideur fgée. La stabilité règne, la couleur et la dynamique des traits respirent le calme et la quiétude, propice à la mé-ditation. Les infractuosités de la roche semblent enrobées par les nuages à la manière des estampes japonaises. Le corps de l’homme, immobile paraît ancré dans ce système à l’égal des pics rocheux. On pourrait croire qu’après l’ascension, il serait resté fgé pour se confondre avec le paysage. La seule caractéristique qui défe ce calme relatif est la tête du personnage. Ces cheveux blonds frisés, au centre de l’œuvre ressortent de l’ensemble de la composition par un contraste fort. En réalité, c’est le seul élément dynamique de la représentation. Dynamique, non pas par le mouvement, mais par la signifcation. Cette tête est en pleine réflexion. L’intensité est telle que le corps de l’homme paraît ancré dans le système du paysage alors que l’intérieur de la tête et submergé de pensées. C’est le vertige de cette toile. Que ce passe t-il dans la tête de cet homme au cœur de ce complexe si puissant qu’est le grand paysage ? La mise en opposition d’échelles est démesurée, presque in-comparable pourtant Friedrich l’a parfaitement orchestré pour qu’on le devine. Cette posture, de dos nous invite à se mettre à la place du fonctionnaire et à contempler le paysage. On ne se met pas à la place de l’homme pour regarder ce même paysage mais pour réfléchir, pour méditer. On se demande quels états d’âmes cette contemplation nous apporterait. La recherche de réponse à des questions jusque là non résolue ; projeter son esprit dans le paysage. Pourquoi, comment, qui, jusque où ? Ces questions sont alors prépondérantes et le seul fait d’y penser inclue un vertige intérieur, une remise à l’échelle de sa propre personne. Cet état nous émeut, nous transporte. C’est un vertige de la réflexion et de la pensée, c’est un choc entre la tête pensante, point fxe dans l’univers et ce grand paysage qui se meut à la manière des limbes, contexte environnant contenant les réponses aux plus grands secrets de la terre.

Fig.7 Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages,(1818), Huile sur toile, 94,4 × 74,8 cm, Kunsthalle de Hambourg

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Fig.8 Fabio Giampietro, Vertigo, (2008), huile sur toile, 150x150 cm

Fabio Giampietro (1974) est un artiste milanais. Ses œuvres sont essentiellement issues d’une tech-nique de soustraction de la matière. D’un fond uniforme noir, il soustraie peu à peu la matière pour révéler les blancs et créer des formes. Il utilise la couleur à des fns symboliques. Son œuvre, ma-joritairement fgurative dépeint un monde imaginaire non palpable. Les prémices de son travail se sont articulées autour du mythe de la «Tour de Babel». L’architecture retranscrit à sa manières selon l’adage « Aux hommes nouveaux, il faut un nouveau monde » Il expérimente le vertige, l’inhabituel et la société dans les artères des plus grandes métropoles. Inspiré de « New York délire »11 de Rem Koolhaas il travaille sur les villes où les limites entre artefacts, réalités et natures sont en train de dis-paraître.

La toile intitulée «vertigo» réalisé en 2008 est un exemple probant du travail de Giampietro réalisé sur les villes modernes. Inspiré du centre ville New Yorkais il va produire une série de toile relatant du même thème : Le vertige. Ces toiles représentent des points de vues en plongé et en contre plongé au cœur des articulations urbaines. Ces toiles relatent, d’un point de vue fctif l’émergence des tours qui, animées d’une croissance fulgurante prennent vie en ne cessant de croître. Ce vertige des villes est inspiré du déséquilibre notable qui s’installe dans ces grandes agglomérations. Il se trouve reflété par une dynamique de la représentation. Les blancs, issus du travail sur fond noir semblent sortir du fond de la toile et donnent un aspect instantané à l’œuvre, à l’égal d’un cliché un peu flou, pris de vitesse. Le travail sur les lignes de fuite qui s’évasent apporte une dynamique sensationnelle à la toile. Le point de fuite est quand à lui souvent placé au centre d’un carrefour cerné de hautes tours. Ici le point de fuite est symbolisé par un homme en contrebas, seule entité de chaire dans ce dédale de béton animé. On peut se demander si le mouvement que génère la toile plonge vers le cœur de la ville ou s’en échappe à une vitesse fulgurante. Dans les deux cas c’est un vertige ascensionnel qui nous frappe et perturbe nos sens. A cela, la grande dimension des toiles donne l’impression remarquable de pouvoir s’immiscer dans celles ci . La verticalité est mise en exergue. Elle est tellement appuyée qu’elle semble se distordre. En pleine perte d’équilibre, la ville, reflet de la société, s’anime de façon délirante et se projette comme une jungle de béton à la croissance infnie et incontrôlable. Au cœur de l’œuvre, l’homme semble dominé. Tel le maître qui se fait dominer par son élève, l’homme semble bien peu de chose face à ces éléments architecturaux incoercibles. L’œil du spectateur est alors tiré dans un tourbillon ascensionnel sans autre choix que de subir cette accélération vertigineuse qui reflète l’état de croissance exponentiel des grandes agglomérations.

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11 Koolhaas, Rem. New-York délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan. Marseille: Parenthèses, 2002.

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Superstudio est un groupe d’architectes fondé en 1966 à Florence par Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo Di Francia. Le groupe réalisa notamment des éléments de mobilier mais surtout fut remarqué pour sa publication de photomontages mettant en scène non pas les édifces d’un projet réellement commandité mais de projets fctifs. Comme leurs contemporains, Yona Friedman, Archizoom, ou les japonais métabolistes, ils partent d’un constat d’échec de la ville moderne à concrétiser l’épanouis-sement social et culturel des individus.

«…si le design est plutôt une incitation à consommer, alors nous devons rejeter le design ; si l’archi-tecture sert plutôt à codifier le modèle bourgeois de société et de propriété, alors nous devons rejeter l’architecture ; si l’architecture et l’urbanisme sont plutôt la formalisation des divisions sociales injustes actuelles, alors nous devons rejeter l’urbanisation et ses villes… jusqu’à ce que tout acte de design ait pour but de rencontrer les besoins primordiaux. D’ici là, le design doit disparaître. Nous pouvons vivre sans architecture.»12

Adolfo Natalini

Les penseurs, utopistes, et critiques du groupe Superstudio proposent dans leurs photomontages l’idée du « Monument Continu ». Une architecture tramée, abstraite, neutre et répétée à l’infni qui s’empare de l’environement comme une méga structure avide d’espace. Dans ce système de prévi-sion ou d’anticipation crédule, l’architecture devient suprême. Ce n’est plus la nature qui sert d’écrin à l’architecture mais la super structure qui embrasse la nature, la domine et n’en laisse subsisté que quelques bribes. Dans cette façon de penser un futur proche, les villes actuelles sont assimilées à la nature. La méga structure enserre aussi bien une montagne qu’un quartier entier de New York. Le vieux monde apparaît alors comme révolu, dépassé, obsolète. C’est un nouveau stade de l’évolution qui est imaginé. Une mondialisation ou globalisation généralisée articulée autour d’une trame régu-lière sans limite. Homme, nature et culture s’effacent derrière cette entité dévoreuse d’espace qui n’a d’inquiétant que sa taille. Son revêtement miroir uniforme ne reflète que ce qu’elle engloutit ou enserre, l’invasion est donc douce, presque imperceptible tant elle est neutre. La dimension infnie relève directement du vertige. Dans toutes les directions la mégastructure laisse sans voix devant son échelle imposante et asservissante. La condition de l’homme est encore une fois pointée du doigt. Ici, ce n’est pas la spiritualité qui est mise en avant mais la vision expansive de l’homme qui se fait rattrapé par ses ambitions. Critique qui applicable à l’homme se retourne facilement sur l’architecture et sa façon d’habiter l’espace. Vertige de la gloire ou vertige d’échelle ce photomontage met à bas les ambitions des alpinistes qui en surpassant les montagnes éprouvaient la sensation de dominer la nature. C’est l’architecture qui domine, qui impressionne, qui donne le vertige, la montagne n’étant plus qu’un réceptacle à la structure, un point d’accroche à la terre, une vulgaire entité technique.

Fig.9 Superstudio, Supersurface, (1971)

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12 Navarra, M. Linea d’ombra. 1978-1984: Adolfo Natalini tra il superstudio e l’architettura. Ediz. italiana e inglese. Siracusa: LetteraVentidue, 2014.

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L’étude de ces trois œuvres aux techniques et plastiques diverses montre combien la représentation et l’interprétation d’un vertige est ambiguë. Le vertige peut se lire aussi bien physiquement qu’impli-citement. En entrant dans la tête du fonctionnaire au dessus de la mer de nuage ce sont les pensées vertigineuses de Caspar David Friedrich qui sont devinées. L’évolution verticale de Giampietro délivre un vertige exacerbé par la dynamique des lignes de l’œuvre d’un point de vue fctif, à la manière d’un rêve. Enfn, Superstudio, à la limite du burlesque décrit un artefact qui dépasse l’homme et sa capa-cité d’envisager les choses. C’est un double vertige, d’une part implicite de la condition humaine, et d’autre part physique de l’échelle de la méga structure avide d’espace, à la propriété infni. La toile ou l’image sont donc des supports à même de refléter une sensation, une pensée ou encore une condition aussi bien par la facture, les médiums, ou les lignes que par la technique.

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Le vertige vue par l’objectif

Suivant le même schéma que les études précédentes cette partie consacrée à la photographie va décrypter quelques clichés pour en soutirer des impressions ou sensations de vertiges. En couleur ou en noir et blanc, ces photographies vont être étudiées selon leur auteur et selon le lieu dans lequel elles ont été prises. Nous verrons ici si il est possible de saisir le vertige par le médium de la photo-graphie et quelles sont les composantes qui en résultent.

- lignes : verticales, horizontales, obliques- dynamiques : mouvements, stabilités- points de vues : plongés, contre plongés- lumières : clairs, obscurs

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Romain Jacquet-Lagrèze (1987) né à Paris émigre vers l’Asie afn de poursuivre ses études dans le milieu des arts visuels. A Hong-Kong ses promenades le surprennent et il s’intéresse rapidement à la photographie constituant ses premières séries. Dans son projet « Horizon Vertical », Romain Jacquet-Lagrèze fge la mégalopole administrative de Chine entre immenses buildings et immeubles tradi-tionnels. En choisissant l’axe vertical, le photographe donne une nouvelle dimension appréhendable de la ville. Alternant entre point de vue en plongé ou en contre-plongé il révèle des espaces édifés et habités sur les thèmes de la verticalité, du gigantisme, de la répétition et de la mise en abime.

Le cliché révèle une face cachée de l’urbanisme Hongkongais. La façade technique, cachée du grand public dévoile une physiologie atypique. Gaines de ventilations et réseaux de fluides s’animent le long de deux façades borgnes qui s’étendent jusqu’aux cieux. On ne saurait dire si l’impression primaire donne à voir un éloignement ou un rapprochement de ces deux entités. La verticalité pro-noncée de ces deux édifces semblent tendre vers un point unique à leurs extrémités favorisant l’im-pression de rapprochement. Cet effet suggère un certain écrasement spatial, comme si le ciel, dans sa globalité uniforme se voyait grignoté peu à peu avant de disparaître derrière deux colosses de bé-tons. Cette situation devient angoissante; elle transpose l’oppression et l’exiguïté immuable de deux éléments physiques séparés par une fne lame d’atmosphère. Le vertige qu’elle relate est étrange. Il est présent de par le facteur vertical prépondérant mais dépassé par la promiscuité de ces deux élé-ments. Vertige de l’écrasement ou du manque d’espace, ce cliché rapporte une nouvelle dimension dans les sensations que provoque le vertige. La notion d’échelle revient clairement dans cette étude. Ce n’est pas le gigantisme des deux éléments qui la forment mais l’espace exiguë résultant qui la créé. A cela on peut ajouter les lignes diagonales qui par leur tension apportent une dynamique de mouvement à l’image. Ces lignes disparaissant peu à peu jusqu’à disparaître et se fondre avec le ciel. Même si sur cette image les produits manufacturés que sont les tours sont prépondérants, elles n’en restent pas moins fragiles face à la nature du ciel et à la lumière. Si le béton grignote le ciel et assombrit l’espace au sol, la puissance de la lumière désagrège complètement le sommet de ces tours et les rend friables, presque impuissante. Une fois de plus le thème du ciel et de ses représen-tations presque divines resurgissent dans l’analyse et renforcent le point de vue que le vertige est une sensation diffcilement maitrisable, de l’ordre de l’incontrôlable, du divin.

Fig.10 Romain Jacquet-Lagrèze, Vertical Horizon, Hong Kong, (2013)

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László Moholy-Nagy, (1895-1946), est un peintre, un photographe et théoricien de la photographie hongrois, naturalisé américain. Après des études de Droit à Budapest il s’engage dans l’armée durant la première guerre mondiale aucours de laquelle il sera blessé en 1917. Après cet incident il décide de se consacrer à la peinture. En 1923 il dirigera le cour préliminaire et l’atelier métal à l’école du Bauhaus dirigé par Walter Gropius.Il s’éxilera plus tard aux États-Unis échapant à la monté du nazisme en Europe.

Ce cliché est issu d’un travail d’expérimentation avec des étudiants du Bauhaus. Homme, architec-ture, et équilibre en sont les principales composantes. Au sein même de l’école, usant de la volumé-trie des bâtiments, des séries de photographies vont être prises où les étudiants se mettent en scène dans des postures non conventionnels recherchant la limite de ce que peut être l’appropriation d’un espace, d’une surface. Le thème de plongé ou contre-plongée animait ces expériences photogra-phiques.

Cette expérience rend compte de différent thème du vertige. Le point de vue en contre-plongée écrase le spectateur devant la masse de l’édifce et donne l’impression d’être dominé. La composition est judicieusement maitrisée; pleins et vides sont mis en contraste en occupant respectivement deux tiers et un tiers de l’image. Les lignes du bâtiment moderne, stable et continu à l’origine se retrouvent accélérées par les lignes dynamiques qu’offrent l’angle de la prise de vue. Les diagonales sont ac-centuées effaçant les directions classiques sur lesquels le bâtiment a été fondé, soit verticales et ho-rizontales. Ces composantes apportent une dynamique certaine à l’image. La qualité expérimentale de ce cliché apporte un regard nouveau sur l’architecture et la façon de la percevoir. La lumière, dans ce contexte noir et blanc révèle la volumétrie de l’édifce. Enfn, le dernier élément de la composition, l’homme se montre comme le pivot de l’articulation entre ciel et terre. Sa position dans l’espace suit les directions diagonales de l’image en renforçant ces lignes tendues. Dans une position risquée, à cheval sur le garde corps, les membres raides et le regard dirigé vers le bas, le personnage défe la gravité et angoisse le spectateur par sa position en relatif déséquilibre. La sensation de vertige n’est pas toujours donnée par un point de vue personnel mais peut être ressentie à la simple vue d’un autre individu en position précaire. On se transpose alors dans le corps de celui qu’on regarde pour subir d’égale sensation. L’effet de sensation de vertige vient donc de la prise de vue qui transforme un édifce calme en un objet dynamique écrasant. La position de l’homme sur le garde corps qui comme dans la citation de Milan Kundera étudié précédemment se sent «attiré par la voix du vide»13 donne un sentiment de vertige partagé par le spectateur.

Fig.11 László Moholy-Nagy, Xanti Schawinsky on a Bauhaus balcony, (1928)

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13 Kundera, Milan. L’insoutenable légèreté de l’être. Édition : Tra. Paris: Gallimard, 1990.

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Fig.12 Umbo, Unheimliche Strasse, [Rue inquiétante], (1928), Épreuve gélatino-argentique, 35,5 x 27,9 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

Umbo (1902-1980) de son vrai nom Otto Maximilian Umbehr est un journaliste photographe allemand. Il est admis en 1921 à l ‘école du Bauhaus ou il rencontrera László Moholy-Nagy et sera influencé esthétiquement par l’enseignement de Johannes Itten jusqu’en 1923. Il symbolise l’avant-garde pho-tographique allemande par ses portraits. Ses derniers travaux reconnus sont des clichés d’après guerre sur le thème de la ruine et des camps de concentration. Professeur d’université il enseignera son art dans plusieurs écoles allemandes et ponctuellement aux Etats-Unis.

Ce cliché fait partie du renouveau de la photographie des années 1920. Le changement de point de vue va révolutionner la photographie et la façon de percevoir le monde qui nous entoure. Le point de vue classique et académique se voit bouleversé par des artistes avant-gardistes comme László Moholy-Nagy, André Kertez, ou encore Alexandre Rodtchenko qui vont apporter la plongée, la contre-plongée, la mise en valeur de l’oblique et de la diagonale. La technique d’après guerre va également faciliter la mise en pratique de ces nouvelles expérimentations.

« Rue Inquiétante » se distingue par son caractère irréel et tourmenté. La plongé bouleverse totale-ment les codes de représentations auxquels l’œil est usuellement habitué. La composition simple et plutôt géométrique rassure l’œil au premier abord. Il lit une verticale, centrée, qui scinde l’espace en deux parties équilibrées par les noirs et les blancs. La forme carré, noire ou blanche, de la charrette, du trou ainsi que du dallage géométrise et compose l’espace. Ce simple cliché d’un instant commun dans une rue banale se transforme en monde étrange et inhabituel. L’œil n’a pas ses repères et se perd avant de s’adapter et de comprendre la logique de l’image. L’hésitation entre vue de face et plongé perturbe l’esprit et amène une confusion sensible. La verticale qui nous apparaît au début n’est en réalité qu’une horizontale qui unife deux partie distinctes de la rue soit la ligne du trottoir. Les ombres remplacent les hommes et se mêlent aux tâches sombres qui jonchent le sol. Le monde commun se transforme en un univers d’esprit. C’est une double image du monde réel, une réalité parallèle qui s’étend sur le sol. Ce qui paraît de face est en fait perçu du dessus révélant une facette inattendue d’un moment anodin. Le vertige est dans ce cas un vertige de confusion et d’hésitation. Le manque de repère ou plutôt les repères faussés perturbe l’œil et l’esprit ainsi que leur capacité a appréhendé l’espace. La confusion, facteur essentiel du vertige est alors mis en scène d’une manière douce mais malgré tout déroutante.

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Fig.13 Filippo Masoero,Vue aérienne et aérodynamique du Forum romain, (1930)

Filippo Masoero est un artiste photographe italien du mouvement futuriste. Mouvement littéraire et artistique européen du XXème siècle, il rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, la machine et la vitesse. Auteurs, peintres, cinéastes et photo-graphes italien relégué plus tard par des artistes russes s’écartent du mouvement cubiste afn de faire interférer formes, rythmes, couleurs et lumières afn d’exprimer une sensation dynamique et énergé-tique. Plus qu’un mouvement, le futurisme deviendra un art de vivre engagé, quasiment révolution-naire. Ce mouvement fera naitre la notion d’activité expérimentale et mettra en place les premières performances.

Cette période va être marqué par de nombreux bouleversements dans le milieu artistique. La photo-graphie est touchée par de nombreuses évolutions et de nouvelles façons d’appréhender le monde. Le développement de l’aviation pendant et après la première guerre mondial va permettre à la pho-tographie d’embrasser la terre selon des points de vues et des surfaces jusque là jamais atteintes. Ce déplacement du regard marque l’émergence de ce que l’on appellera la « Nouvelle Objectivité ». Son souffle traversera l’Europe puis le monde bouleversant les codes du regards jusque là établis. Le paysage devient alors composition abstraite.

Filippo Masoero, utilisant la technique naissante de l’aéroplane, photographie la ville en volant. Au delà de la représentation du mouvement, le flou provoque une mutation de l’image de la ville. Le floue esthétique produit par le procédé technique de la prise de vue apporte une déformation de l’espace et du temps par la vitesse. La démonstration de l’image classique se révèle être une représentation du dynamisme moderne. Ce flou apporte diverses sensations. On peut sentir la plongée, l’élévation ou encore la rotation. L’arc de triomphe au centre de l’image paraît net alors que tout ce qui l’entoure se désagrège et se dilate dans un effet surprenant. Cette image est peut être la plus similaire à ce que l’on peut nommer le vertige vrai. La vision portée vers le bas nous attire, l’œil est fxé sur un point central qui se renforce par le mouvement rotatoire qu’effectue le contexte environnant. Ce n’est pas le corps qui se sent tourné mais l’image en elle même accentuée par le flou artistique. Ce cliché est pour l’époque une véritable révolution et l’on pourra noter que la représentation du vertige est accen-tuée si l’on utilise la technique pour en accentuer la sensation et renforcer l’émotion. La photographie n’est alors plus un constat d’un moment donné dans une situation donnée mais une mise en scène de l’espace et de la dimension en mouvement par rapport à une temporalité en distorsion. L’œil ne voit plus une image fxe mais une animation qui suggère le mouvement et la vitesse à la limite d’un effet psychédélique, de la folie, du vertige.

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La photographie est un médium capable de transposer le vertige. Qu’il soit réel ou suggéré cet outil qui fxe l’instant a permi de «noter l’inexprimable»14 pour reprendre les termes d’Arthur Rimbaud, par sa capacité à fger le monde dans une temporalité très précise. C’est la fusion des échelles du visuel qui représente l’infniment grand et de la temporalité qui représente l’infniment petit qui génère ces résultats. Il aura fallu à la photographie attendre le début du XXème siècle pour exprimer tout son potentiel et s’émanciper des codes qui l’on vu naitre. Contemporain ou moderne, ces clichés utilisent l’espace et la dimension plus que le thème pour transcrire l’émotion. En effet, un mur ne rend compte d’une émotion que s’il est mis en scène de part sa volumétrie dans un espace global à l’aide d’élé-ments dynamiques. Ce sont ces subtilités qui rendent ce mode de représentation presque sans limite .Ils peuvent attirer le regard, amener la réflexion et enfn faire surgir l’émotion.

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14 Richer, Jean. L’alchimie du verbe de Rimbaud : Essai sur l’imagination du langage. Édition : 2. ed. complétée. Paris: Guy Trédaniel Editeur, 1990.

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Le grand paysage, un vertige infini

Qui, lors d’une randonnée ou d’une escapade en pleine nature n’a jamais été submergé par un senti-ment troublant d’être infniment petit face à la grandiose nature, étendue de forêts, champs de pierres infnies, monticule de glace à la volumétrie débridée. Qui, ne s’est jamais retrouvé cramponné à la barrière d’un belvédère, le visage crispé, les cheveux en pleine bataille contre les vents déferlants, un malaise total, une confrontation du corps avec un espace peu hospitalier. Pourtant, c’est dans ces situations que les yeux proftent d’un spectacle extraordinaire, hors d’échelle, presque imaginaire. Ils nous retranscrivent un monde inconnu, non pratiqué et nous amènent à de nombreuses réflexions sur le corps, l’espace et le mouvement. Ces trois éléments, réunis dans certaines circonstances peuvent aboutire à l’effet de vertige. Par le biais du grand paysage, de photos personnelles, et d’interven-tion artistique comme le Land Art, il sera étudié comment le vertige peut émaner de ces instants de contemplation. Cet élément ancestral pour lequel de nombreuses questions restent en suspend crée émotion et attraction depuis toujours. Quels en sont les causes et quelles sont les moyens pour le transcrire ?

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Richard Long (1945) est un sculpteur, photographe et peintre anglais précurseur de se qui devien-dra le Land Art. Après des études artistiques en Allemagne où il travaille déjà à l’échelle du paysage sa formation va prendre du sens lors de ces voyages sur les 5 continents. Artiste mais avant tout marcheur il participera fortement à l’émancipation des œuvres d’art des galeries par ses interven-tions in situ. Usant des éléments qui l’entourent et de sa propre personne il expérimentera la trace de l’homme sur le paysage et mettra en confrontation l’échelle de l’intervention de l’homme face au gigantisme du grand paysage.

La représentation du paysage atteint son apogée avec le mouvement impressionniste qui enfn quitte les ateliers pour peindre en situation, face à ce qu’il représente. Le Land Art renoue avec cette atti-tude de confrontation avec la nature. Suivi par ses contemporains comme Robert Smithson, Walter de Maria ou encore Andy Goldsworthy, il s’approprie de façon éphémère des lieux peu accessibles. Il marque le paysage, mettant en contraste ses interventions à l’échelle humaine face à l’écrin infni qu’est le paysage. La photographie est alors le seul vecteur qui dispersera ces interventions ponc-tuelles à travers le monde.

« Sahara Line » représente parfaitement ce que ce signife le Land Art. Qu’est-ce que l’intervention de l’homme face à la nature? Cette notion d’échelle est primordiale et donne tout le sens à ce genre d’évènement. Richard Long utilise des éléments du paysage pour en faire un artefact. La ligne, élé-ment géométrique pur représente effcacement la conscience de l’homme et son niveau de com-préhension du monde. L’être humain maîtrise un grand nombre de subtilités littéraires, scientifques, artistiques et géométriques mais qu’en est-il de sa véritable compréhension du système dans lequel il évolue ? Ce genre d’intervention en relève la question. Ayant la capacité de mettre en scène le pay-sage peut-il vraiment le comprendre au vue des multiples questions qui l’anime? La ligne au sol paraît minime face au pic qui se dresse et défe l’horizon. La ligne met en scène l’horizon mais en aucun cas ne modife sa composition propre. Un contraste entre l’éphémère et l’intemporel surgit de ce cliché. L’homme a la capacité de mettre en place et de créer des procédés qui animent l’espace mais qui ne modifent pas sa pérennité. A l’égal d’un cycle de vie d’un humain cette ligne de pierres disparaitra bien avant la montagne. Ce contraste saisissant, preuve de la soumission de la condition humaine face à la nature révèle un vertige d’échelle à l’appréhension diffcilement accessible.

Fig.14 Richard Long, Sahara Line, (1988)

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Ce cliché personnel est issu d’un voyage réalisé en Amérique du Sud en 2013. Il fut pris lors d’un coucher de soleil en Bolivie, au Salar de Uyuni. C’est la plus grande étendue de sel au monde. Situé à 3658m d’altitude, ses dimensions représentent approximativement 150x100km. Ce sont trois lacs nées il y a 10000 ans qui se sont rejoint et en s’asséchant ont laissé pour trace ce gigantesque désert de sel. C’est un paysage d’une curiosité majeure où le blanc immaculé laisse l’œil agar et perplexe. Seul l’horizon bordé de montagnes s’élevant à plus de 6000m apporte un repère visible et compré-hensible. Cette nappe blanche qui paraît complètement uniforme, en réalité bouge et se transforme tout au long de la journée. Fissures et craquelures naîssent et disparaissent au fl du temps révélant une certaine matérialité à ce paysage d’apparence lisse et épuré. Par temps humide une pellicule d’eau se dépose à la surface et sert de miroir à l’horizon. L’appréhension usuelle de la vision d’un paysage stable se trouve bouleversée par ses innombrables changements de formes.

Cette image a été choisie par rapport au contraste qu’elle offre avec la réalité. Le soir tombé, la blan-cheur disparaît et s ‘efface pour laisser place à l’obscurité. Cette transformation agit en quelques mi-nutes seulement et transforme le paysage à la pureté indescriptible en un sombre désert noir dénué de vie. L’horizontal qui se confond en journée prend alors forme. Il vient scinder l’espace et laisse percevoir deux mondes distincts. Le sol signife le proche, le sensible, et paraît pourtant incorporel. Le ciel signife le lointain, l’immatériel et pourtant semble le plus appréhensible malgré son éloigne-ment. Quelques minutes plus tard, le soleil disparaît derrière les montagnes et laisse place au noir absolu à la dimension abyssale. Le silence, le calme et le sombre profond entrent alors en action. C’est comme si le paysage était en suspension, un état de non paysage. Jusqu’au petit matin, c’est un monde indescriptible qui s’empare de ce site habituellement pur et clair. Le paysage ne change pas. La perception de l’œil évolue et fait sentir ces variations notoires. C’est un vertige de l’impression de perception qui anime cette image et la rend si particulière. Vertige certes mesuré mais encore une fois issue de la capacité de l’œil à interpréter ce qu’il croit voire. A cela on peut ajouter que ce n’est ici pas la voix du vide qui nous attire mais la voix de l’horizon. Si on la suit, elle nous perdrait dans ce désert qui se transforme au gré de l’humeur du soleil.

Fig.15 Salar d’Uyuni, Bolivie, (2013)

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Cette autre photographie personnelle présente les chutes d’Iguazù. Situé à la frontière du Brésil et de l’Argentine, ce site fut inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO en 1984. Découvert au XVIème siècle, il est aujourd’hui partagé entre le parc naturel Argentin d’une part (80%) et le parc naturel brésilien (20%) d’autre part. Le nom d’Iguazù vient du dialecte indien « Guarani » qui signife « Les Grandes Eaux ». C’est un front de trois kilomètres qui rassemble plus de 275 cascades dont les plus hautes atteignent 90m comme celle de la « Gorge du Diable ». Ces montagnes d’eaux se déversent ensuite dans le fleuve « Paraná » qui termine sa course au « Rio de la Plata » entre Montevideo (Uru-guay) et Buenos Aires (Argentine).

Ce second cliché personnel relate un voyage qui rappelle les ambitions des alpinistes. Partir à la découverte de nouveaux horizons mais aussi partir pour se retrouver soi même. Se confronter à des expériences inhabituelles et à de nouvelles cultures pour s’éprouver, se tester et trouver du plaisir dans l’accomplissement d’un but personnel. Le voyage symbolise en quelque sorte tout ce qui à été étudié précédemment. De la découverte de la montagne par les alpinistes jusqu’aux longues marches de Richard Long en passant par « le voyageur contemplant une mer de nuage » de Caspar David Friedrich, le voyage est toujours un prétexte pour s’isoler et réfléchir sur ces questions qui ne peuvent trouver de réponses cohérentes dans la routine quotidienne.

Cette image m’a inspiré ou plutôt rappeler un vertige de l’intensité. C’est un vertige personnel qui peut être décrit par le souvenir. Le point de vue frontal est pris d’un belvédère qui surplombe les chutes. De là on peut sentir le sol trembler sous l’effet de ces tonnes de liquides. La puissance et l’énergie de ces chutes réveillent le calme et la sérénité de cette partie de la forêt amazonienne. Les éléments se déchainent et s’animent couvert par le bruit assourdissant de l’impact de l’eau sur la roche. D’aucun élément venant de la main de l’homme je ne pourrais comparé cette merveille naturelle. La contem-plation est la seule action que l’homme peut pratiquer ici. Les ambiances changent d’une seconde à l’autre, le soleil et la lumière jouent de nos sens pour révéler ou cacher certaines parties des chutes. Ce lieu hostile et humide pousse à l’émerveillement et à la contemplation silencieuse. Le bruit est tel qu’il en devient diffcile voir impossible de partager ses émotions avec un autre. C’est un plaisir solitaire face à une anomalie naturelle qui surgit d’un contexte calme et plat qui précède les chutes. Cet endroit de la terre paraît mystique et plein de questions que le les visiteurs tentent d’élucider en restant bouche bée quelques minutes devant ce spectacle ahurissant.

Fig.16 Chute d’Iguazù, Brésil, (2013)

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Le grand paysage reste un lieu propice à la contemplation et à la réflexion. De ces merveilles qui nous entourent, il symbolise la puissance créatrice de la mère nature. Avec ou sans l’intervention de l’homme, elle procure toujours des sensations exceptionnelles qui souvent dépassent l’entendement. Lieu de recueil ou d’expérimentation, on comprend le besoin incessant de l’homme de s’y confronter. Il est toujours bien diffcile de décrire ce que ces paysages nous évoquent et face à cela le voca-bulaire et les mots paraîssent souvent bien faibles par rapport aux émotions que l’on peut ressentir au plus profond de nous même. La joie ou la peur, l’extase ou la méfance ne manquent jamais de frapper face à ces entités naturelles surprenantes. Le vertige, sensation ressentie, induite, ou décelé, forte ou faible, paraît un terme bien vague pour décrire ces sentiments devant la nature. Il n’en est pas moins que ce mot est sorti de la bouche de biens des explorateurs, peintres, ou simples promeneurs, surpris à s’être émerveillés face à ces spectacles grandioses du grand paysage.

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«La logique est la géométrie de l’intelligence. Il faut de la logique dans la pensée. Mais on ne fait pas plus de la pensée avec la logique qu’on ne fait un paysage avec la géométrie.»

Victor Hugo Post-Scriptum de Ma Vie. 1901

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Le vertige édifié

Après avoir constaté lors des parties précédentes comment le vertige pouvait être défni ou exprimé dans diverses situations littéraires, artistiques ou paysagères, cet ultime volet porte sur le vertige construit ou imaginé par l’homme. En guise de synthèse les liens qui unissent vertige, espace et direction vont être mis à jour par l’étude d’artefacts édifés, liés avec leurs directions spatiales essen-tielles. Des comparaisons ou analogies avec les thèmes précédemment étudiés vont tenter d’être mis en place afn de déterminer les liens qui les unissent. Ce faisant nous verrons s’il est possible d’ap-porter une défnition à ce que peut être le vertige pensé et/ou édifé.

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Urbanisme, le vertige horizontal

Une avenue de 24 kilomètres, 6000 habitants au kilomètre carré, une tour de 50 étages qui côtoie une maison coloniale, une plaine qui disparaît sous l’asphalte, un océan grignoté par le béton. Voilà ce qui défnit les mégalopoles actuelles de Tokyo à Buenos Aires en passant par New York ou Mexico. Cette partie va tenter de démontrer comment l’urbanisation incessante de ces dernières décennies a produits les grandes villes actuelles à la dimension vertigineuse. A l’échelle du paysage les villes marquent le territoire et dépassent la capacité d’appréhension de l’homme. La ville ne peut être vue dans son ensemble que sur une carte ou autres représentations graphiques. La réalité dépasse la ca-pacité de tous les sens. Quand l’horizon disparaît face au gigantisme des mégalopoles quels affects se répercutent sur l’homme et sa capacité de comprendre le lieu qu’il pratique ou qu’il habite? Drieu la Rochelle l’eut bien exprimé quand il parlait du «vertige horizontal» dans « l’Herne » en 1982 après s’être rendu à Buenos Aires.

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Balthasar BURKHARD, (1944-2010), est un photographe suisse. Il a reçu une reconnaissance inter-nationale pour ses séries photographiques monochromatiques de grand-format. Il fait son apprentis-sage de 1961 à 1964 chez le photographe et réalisateur Kurt Blum. En 1965, il commence un travail documentaire dans le contexte des expositions de la Kunsthalle de Berne. Fondant son travail sur un dialogue de la photographie et de la peinture, revisitant les toiles les plus classiques comme les plus modernes, il apportera une interrogation des formes, de la lumière, et de la matière. Cette inter-rogation est soumise à deux principes : la verticalité et la frontalité. Burkhard visite le plus immense comme le plus infme. Un artiste des dégradés, en somme, comme en témoigne son travail sur le noir et blanc. De ses photographies de villes on retiendra sa capacité à vouloir englober la totalité de ce qu’il voit de l’îlot à l’horizon infni.

Ces deux clichés entrent en total contraste avec les paysages étudiés précédemment. Le vide, sym-bolisé par les grands espaces des paysages n’existe quasiment plus ici. Comme le travail de Richard Long sur « Sahara Line » on relève la capacité de l’homme à créer des entités géométriques dans le paysage. Le plein, représenté par l’alignement de pierres de Richard Long n’est ici autre chose que le vide. Les artères des métropoles sont générées par le vide. La ligne est l’espace de respira-tion mais aussi de circulation, de réseau et de fluide. Cette ligne n’est plus seule, démultipliée, elle forme un réseau complexe, une maille qui unife les constructions. En contradiction totale avec le fait que l’homme soit infme et impuissant face à la nature, ces clichés prouvent bien le contraire. Là où l’homme se regroupe en masse, la nature et les entités paysagères peuvent disparaître sous de mul-tiples couches de béton et d’acier. A sa manière il recrée une ambiance, une topographie, un univers qu’il maitrise ou plutôt croit maîtriser. A partir de quel moment l’homme qui a créé la ville par sa pen-sée puis par ses mains se retrouve-t-il dépassé par sa création ? A partir du moment où il ne distingue plus l’horizon ? C’est peut-être cela qui l’a poussé à construire à la verticale, afn de toujours garder un œil sur la limite de sa création. Malgré tout, même en s’élevant au plus haut, le gigantisme de ces villes grignotent inlassablement l’horizon et le font disparaître. Dans certains cas comme à Tokyo ou Buenos Aires, la terre ne sufft plus, l’espace est gagné sur la mer, repoussé dans ses retranche-ments. Les transformations spatiales se décuplent, c’est la notion de vitesse qui s’exprime. La crois-sance incontrôlable exprime l’idée du flou. L’extension verticale et horizontale des villes représente l’ascension, le déplacement dans l’espace. Les circulations innombrables représentent quand à elles l’idée de rotation. Enfn le désir et l’attrait des populations vers ces villes tentaculaires défnissent clai-rement tous les symptômes d’un vertige d’un point de vue aussi bien scientifque que philosophique. La mégalopole dans son image la plus représentative serait-elle le plus grand vertige de l’humanité ? Un vertige horizontal qui tendrait insatiablement vers l’infni.

Le nom de l’artiste et son prénom, le titre de l’oeuvre, la date de son exécution, la ma-tière, les dimensions et le lieu où elle est conservée.

Ex:

RODIN Auguste (1840-1917), Le Baiser, 1888-89, marbre 181,5 x 112,3 x 117 cm, Paris, Musée Rodin

Fig.17 Balthasar Burkhard, Mexico, (1999), Berne, centre national des arts plastiques, Fig.18 Balthasar Burkhard, Tokyo 3, (2000)

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Sao Paulo, Brésil, (2010)Buenos Aires, Argentine, (2010)

Développement tentaculaire, maillage de l’espace, disparition de la nature, on distingue ici une co-hérence forte avec la vision de Superstudio et de l’idée d’une superstructure globale qui enlacerait la terre. Le Jour où Sao Paulo et Buenos Aires se toucheront ainsi que Paris et Moscou peut-être aurons nous atteint la fn de l’expansion urbaine. Serait ce à ce moment là que le vertige disparaitrait, que les villes ayant atteint une croissance maximale entreraient enfn dans un état de non vertige ? Ces suppositions rêveuses apparentées à un scénario catastrophe naissent malgré tout d’un constat réel et tangible qui ne demandent qu’une ouverture d’esprit à l’échelle du temps. Il sufft de regarder l’évo-lution exponentielle de l’homme ces cent dernières années pour faire un supposable état des lieux de l’avancement de la terre dans quelques siècles. Même si cette idée effraie, rappelons que l’homme a toujours été attiré par la croissance et le danger et qu’il lui est diffcile de croire ou même comprendre tant qu’il n’a pas touché ou vu de ses propres yeux. Le vertige pourrait donc être ce vers quoi l’homme tend depuis toujours sans s’en rendre compte ou sans vouloir se l’avouer. Comme une réponse à ses envies les plus impulsives le vertige serait-il un but avant même d’être un symptôme ?

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Fig.19 Vue satelite de Tokyo, Bing map, (2010)

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Fig.21 Vue satelite de Buenos Aires, Bing map, (2010)

Fig.20 Vue satelite de Sao Paulo, Bing map, (2010)

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Architecture, le vertige vertical76

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Depuis toujours, la quête de l’élévation de l’homme lui a permis de se montrer, de dominer et de mieux surveiller. Le promontoire, le donjon, le clocher de l’église ou encore la tour d’un centre d’affaire sert ce dessein et permet de mettre en valeur, un homme, son pouvoir, sa façon de pensée. Cette sous partie du vertige édifé va se consacrer à l’élancement vertigineux de l ‘architecture dans sa verticalité la plus prononcée. Edifce en construction ou fnalisé, intérieur ou extérieur, réel ou représenté, il sera tenté de discerner les vertiges possibles qui peuvent s’appliquer à ces entités verticales, symbole de pouvoir et d’évolution.

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Andrea Pozzo, (1642-1709) est un frère jésuite et peintre italien particulièrement fameux pour sa maîtrise de la perspective en peinture et en architecture. Ses plus fameuses fresques se discernent à Rome avec la voûte magistrale de l’église Saint-Ignace de Loyola (1686), et à Vienne dans l’église des Jésuites de Vienne où il y réalise notamment une nouvelle coupole en trompe-l’œil (1704).

La voûte de l’église de St Ignace de Loyola à Rome peinte par Andrea Pozzo est un chef d’œuvre de réalisme. Il s’agit d’une réalisation en trompe-l’œil suivant des calculs très précis. Le travail de la perspective, mis en place et développé par Brunelleschi, Alberti, puis Durer va être utilisé par Andrea Pozzo de la façon la plus spectaculaire. Comme une ode à la dimension verticale, il va utiliser tous les procédés techniques jusque là connu afn de peindre un monde en connexion directe avec les cieux et le monde du divin. Cette scène représente l’apothéose selon St Ignace. Reprenant la base de la corniche qui surplombe l’église, il développe une architecture de colonnes, pilastres et voûtes qui à la limite du thème de la ruine se développent verticalement jusqu’à toucher le ciel et le monde céleste du paradis. Toutes les lignes de fuites convergent vers un point unique symbolisé par la tête du christ. De là se déverse une lumière puissante qui irrigue la terre. La voûte est étirée jusqu’aux cieux où elle se transforme en représentation divine. Ce point de vue, tendu à l’extrême jusqu’aux plus haut des cieux révèle une notion d’espace infni, de continuité visuelle sans fn vers l’au-delà. Cette percée illusionniste où corps et architecture s’entremêlent et grandissent, dilate complètement l’espace et joue sur les sens du spectateur jusqu’à lui faire se demander où s’arrête l’architecture et où commence la fresque. La limite est fluide et trompe notre œil jusqu’à nous bouleverser et entrainer une sensation inéducable et enivrante de flottement vertigineux. L’illusion n’étant complète que si on se place à un unique point donné, telle une anamorphose, souligne le rapport entre la position dans un espace donné et ce que cet espace donné rend à voir. C’est une transformation de l’espace née de la fusion entre architecture et peinture sous l’égide de la dimension verticale.

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Fig.22 Andrea Pozzo, voute de l’église Saint-Ignace de Loyola (1686), Rome

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Lewis Hine (1874 -1940) est un photographe américain dont les photographies d’enfants au travail ont sensibilisées l’opinion publique durant l’ère progressiste. Il débutera en photographiant l’arrivée des immigrants à Ellis Island, dans le port de New York. Au cours de la Première Guerre mondiale, il documente les actions humanitaires de la Croix-Rouge américaine en Europe.Dans les années 1920 - 1930, il se consacre principalement à la photographie des travailleurs de l’industrie et à la construction de l’Empire State Building, qui donnera lieu à la publication de son livre «Men at work» en 1931. Ses reportages dans les usines et les manufactures contribuèrent à une meilleure prise de conscience des problèmes sociaux aux États-Unis.

Lewis Hine va immortaliser des scènes qui révèlent la condition de l’homme aux Etats-Unis dans les années 1930. Contemporain de Charlie Chaplin et de son flm « Les Temps Modernes », son œuvre s’articule autour de la technique, du métal et de l’homme. Les confrontations sont fortes et le rapport entre l’humain et la machine industrielle bouleversant. La photographie de la construction de « l’Em-pire State Building » relève l’ingéniosité constructive de l’époque et l’ambition de construire plus haut pour affrmer son pouvoir. Ces entités idéologiques s’entrechoquent avec la présence des ouvriers. Dans le labeur, sans protection, avec des outils rudimentaires Lewis Hine va enfn montrer au grand jour comment un édifce d’une telle envergure sort de terre et se voit monté jusqu’aux cieux. Les ouvriers, tels des fourmis, grouillent dans l’édifce dans des positions improbables et dangereuses. C’est un double vertige, celui de l’ambition insatiable de l’homme de s’élever plus haut que son voi-sin et celui de voir un ouvrier perché sur une poutre en attente à plusieurs centaines de mètres de hauteur. En équilibre précaire, le fait d’imaginer l’accident donne un haut le cœur qui pousse à se rassurer pour refouler le malaise grandissant. Ces architectures, symboles d’ambition de pouvoir et de maîtrise des technologies représentent également un certain vertige social. Un déséquilibre de la société qui s’exprime dans le manque de moyen attribué aux ouvriers face aux dépenses colossales que représente la construction d’un tel édifce.

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Fig.23 Hine, Lewis W. Men at Work: 69 Classic Photographs. Édition : 2nd Revised edition. New York: Dover Publications Inc., 1978.

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Albert Renger-Patzsch (1897-1966) est un photographe allemand représentant de la Nouvelle Objec-tivité. En tant qu’adversaire du pictorialisme il a développé dans les années 1920 un style de prise de vue sans artifce. La vue du spectateur est ainsi guidée vers la surface, la structure et la forme de l’objet photographié. Les photographies fascinent par leur simplicité et leur clarté digne d’illustra-tions scientifques. Les photographies d’architecture de Renger-Patzsch montrent, entre autres, des régions industrielles marquées par le charbon et l’acier, qui ne sont pas encore considérées comme dignes d’être photographiées. Il utilise surtout les verticales et les horizontales des bâtiments alignés, de manière claire et fonctionnelle. L’extrême précision et les détails soulignent les formes architecto-niques.

La révolution industrielle a laissé des traces ineffaçables sur notre territoire. Aujourd’hui réhabilités ces sites manifestent un intérêt particulier alors qu’ils ont été délaissé nombre d’année durant. Albert Ren-ger-Patzsch déjà à son époque s’était rendu compte de la potentialité de ces bâtiments qui n’étaient pas seulement bons à la production de masse. Il voyait déjà en ces sites des qualités esthétiques indéniables. Aujourd’hui, entre grands groupes fnanciers, micros entreprises, ou activités culturelles alternatives, ces sites reprennent vie par la reconnaissance de leurs qualités constructives et histo-riques. Des témoignages, comme cette photographie de cheminée industrielle rappelle à jamais la course à la croissance frénétique de ces années. La cheminée, élément vertical par excellence est ici prise en considération comme un objet plastique, réceptacle de lumière et générateur d’ombre qui vit et s’anime entre ciel et terre. Son profl qui s’affrme lui donne une dynamique certaine. Le vertige est encore une à fois double de sens. De signifcation, il exprime le vertige industriel de ces années de croissances qui ont vu naître des centaines de sites industriels sur notre territoire. Dans sa forme réelle cette entité de briques qui s’élance vers le ciel devient vertigineuse à partir du moment où l’on distingue la fne échelle, ou ligne de vie qui glisse sur la cheminée signifant un accès potentiel. L’ascension de la cheminée révèle un vertige probable dû à sa fnesse qui permet de s’élever vers le néant.

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Fig.24 Albert Renger-Patzsch, smokestack, (1924) issus du catalogue Lampe, Angela. Vues d’en haut. Metz: Centre Pompidou-Metz Editions, 2013.

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Gustave Doré (1832-1883), est un illustrateur, graveur, peintre et sculpteur français. À douze ans un imprimeur local publie ses premières lithographies sur «Les Travaux d’Hercule». Elles amènent l’édi-teur parisien Charles Philipon à lui proposer de s’installer à Paris. À partir de 1851, tout en exposant ses toiles, il réalise quelques sculptures de sujets religieux et collabore à diverses revues dont le «Journal pour tous». En 1854, l’éditeur Joseph Bry publie une édition des œuvres de Rabelais, illus-trée d’une centaine de ses gravures. De 1861 à 1868, il illustre la «Divine Comédie» de Dante.

L’histoire de la tour de Babel est un épisode biblique rapporté dans «la Genèse». La terre ayant été repeuplée après le Déluge, les hommes s’arrêtent dans la vallée de «Sennar» pour édifer une tour dont le sommet atteint les cieux. Dieu interrompt leur projet en brouillant leur langage, uni jusque-là, il les disperse à la surface de la Terre.

Ce mythe de la construction de la « tour de Babel » rappelle la capacité de l’homme à se dépasser pour atteindre ses objectifs les plus ambitieux. Ce n’est pas ici l’ambition d’un homme, mais de tout un peuple qui s’apprête à édifer un pont entre la terre et les cieux par le biais d’une tour à la croissance infni. Le châtiment qui s’abat sur cette communauté et interrompt le projet rappelle que toute ambi-tion est dangereuse et se paye à un moment ou un autre. La « Tour de Babel » reprend dans toutes ses représentations une forme hélicoïdale qui tend vers l’infni. La verticalité qui pousse le monument est en réalité générée par un mouvement rotatoire qui s’enroule autour d’un axe central. Ce bâtiment à l’échelle disproportionné relate plusieurs vertiges. Dans le contexte littéraire, il exprime l’ambition désabusée de l’homme qui souhaite atteindre Dieu par une ascension vers le ciel. Dans le contexte de la représentation, la tour sans fn montre sa capacité à dompter la verticalité et à s’affranchir de la pesanteur. L’effet rotatoire du cheminement ne fait que renforcer ce vertige des grandeurs qui sera vite anéanti par la main de dieu.

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Fig.25 Gustave Doré, Illustation de la «Tour de Babel» issus de La Bible : Traduction de Bourassé et Janvier, appelée aussi Bible de Tours, 1866

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L’architecture verticale sert le dessin du pouvoir, de la puissance et de la gloire. Construit ou ima-giné, l’image de la verticalité est la représentation même de l’élévation. Cette direction qui induit le mouvement vers le haut domine et assouvit les consciences. Si l’horizontale représente le calme alors la verticale symbolise la fougue et l’énergie, le désir d’extension. La course au plus haut buil-ding immortalisé par Lewis Hine ou peinte par Fabio Giampietro est la projection même de l’envie de l’homme de progresser et de dominer. Cet élan démiurge n’est jamais sans conséquence. On aura décelé le danger lors du vertige horizontal symbolisé par la croissance non contrôlée des villes issu es de l’amoncellement d’artefacts verticaux. On le retrouve nettement dans le mythe de la « Tour de Babel » où l’envie de toucher le ciel par la circulation rotatoire autour de l’axe vertical de la tour perdra les hommes. Les photographies d’Albert Renger Patzsch représentent l’essence de la gloire indus-trielle de l’époque et inspirent aujourd’hui la désindustrialisation mais aussi, avec un peu d’espoir, la possibilité de réinvestir ces lieux de mémoires. Enfn « l’Apothéose » peinte par Andrea Pozzo n’est qu’une représentation imaginaire de la verticalité mais paraît la plus réfléchie. Avec justesse, il défe la gravité symboliquement et élève l’architecture sans chercher à envahir le ciel. Il laisse un espace, une distance de sécurité. Cette distance signife le respect et montre le point de vue pieux, contrôlé, et soumis du peintre. Il peint le majestueux mais ne veut point égaler la puissance créatrice de Dieu. C’est cette notion de mesure qui préserve l’architecture verticale de son déclin. Toutes ambitions aussi puissantes soit-elles nécessitent mesure et réflexion. On retrouve ce thème chez Milan Kundera dans « L’insoutenable légèreté de l’être » quand il écrit : «Celui qui veut continuellement «s’élever» doit s’attendre à avoir un jour le vertige ». La verticalité est donc le symbole de la puissance créatrice de l’homme mais représente également sa limite et sa fragilité par rapport à l’espace et au temps. Le vertige est la mesure même de la verticalité. Sans lui cette direction aurait peut-être rendu l’homme fou dans sa conquête inlassable de l’espace vertical.

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L’utopie d’Architecture principe, le vertige oblique

Après avoir tenté d’éclaircir l’idée de vertige vertical et horizontal dans l’architecture et l’urbanisme, la direction oblique va être décrite et analysée. Ce faisant, cette partie va s’appuyer sur l’utopie de l’ar-chitecture oblique dictée par Claude Parent et Paul Virilio dans les années 1970 sur le support d’une revue de neuf tomes intitulée « Architecture Principe ». Nous verrons si cette direction aux connota-tions dynamiques fortes peut s’approprier ou défnir un certain vertige oblique.

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« En fait on a trop oublié l’importance de l’axe vertical dans l’histoire, l’arrogance du donjon féodal, de la tour de guet dans l’aménagement géopolitique, cette mise en place d’un regard domina-teur qui exède sur l’horizon commun, moyen d’information sur le bas peuple à l’ère de la monarchie, puis moyen de surveillance «panoptique» à l’époque moderne. Et pour finir le gratte ciel qui devien-dra un dogme économique destiné à la valorisation foncière des métropoles postmodernes. Mais tout cela n’est rien à coté d’un aspect plus discret et donc plus méconnu de la fameuse verticalité immo-bilière, un aspect renforcé au XIXème siècle par la théorie de l’évolutionnisme darwinien : l’homme qui se redresse, l’homme debout qui se distingue ainsi de l’animal inférieur, du vieux pithécanthrope des origines... Coup de force d’une érection dont la masculinité est évidente, trop évidente pour être vrai-ment convaincante. Quand au standard de la mesure de l’espace, que ce soit un l’homme vitruvien ou le Modulor, c’est toujours un homme debout, un homme écartelé parfois, mais jamais un homme qui marche - comme chez Rodin ou Jules Marey -, un homme qui court, qui saute ou qui escalade des parois. C’est un être foncièrement statique, jamais énergétique. L’homme de l’architectonique n’est jamais un danseur, c’est toujours la statue du Commandeur! Avec la théorie de la fonction oblique, nous étions donc au cœur du rejet de ce fixisme, nous étions des hérétiques qui refusaient le dogme récurent de l’orthogonalité et, puisque «tout ce qui penche va tomber» nous étions également des gens dangereux, une menace pour l’ordre public!

Introduction à la fonction oblique, citation de Paul Virilio :88

Virilio, Paul. Architecture principe, 1966 Édition : Facsimile e. Besancon; Santa Monica, Calif.: Editions de l’Imprimeur, 1996.

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Partir du corps locomoteur, utiliser pleinement l’énergie de la pesanteur dans les trois dimensions du temps du déplacement physique, en utilisant de manière très galiléenne la surface des plans inclinés pour réaliser ainsi une véritable circulation habitable opposée au stationnement habitable de l’im-meuble classique, tel était alors notre projet. A l’origine de la théorie du groupe, il y a donc l’idée du déséquilibre et de l’instabilité motrice. L’idée que la gravité, l’attraction terrestre, est un moteur à utiliser comme le vent dans les voiles d’un navire, d’où la mise en œuvre de supports inclinés et l’utilisation de l’horizontalité comme «seuil de rétablissement» entre deux pentes. Il s’agit donc bien d’un dépas-sement définitif de la fatalité du cloisonnement vertical dont les parois sont inaccessibles à l’homme soumis à la pesanteur, pour tenter de séparer l’espace habitable uniquement par des rampes inté-gralement accessibles, ce qui entre parenthèse augmente d’autant les surfaces utiles de la demeure. Apres l’écran de séparation des cloisons ou des murs verticaux qui génèrent l’opposition classique du devant et du derrière, les planchers obliques et horizontaux n’opposent plus que le dessus et le dessous, autrement dit les sur-faces aux sous-faces. Ainsi le sol artificiel de la demeure de l’homme devient-il un véritable « sol à vivre » un living ground où s’encastrent le mobilier et les équipements nécessaires à la vie domestique. En inclinant les structures architectoniques et en rendant habitables et parcourables l’intégralité des superficies construites ( à l’éxeption évidente des sous-faces ), on démultipliait les surfaces réellement habitables, à l’échelle du logement comme celle de l’immeuble, puisque disparaitrait à leur tour les façades verticales. Apres l’ordre horizontal de l’habitat rural de l’ère agricole et l’ordre vertical de l’habitat urbain de l’ère industrielle, venait ainsi logiquement topo-logiquement , devrait on dire le troisième ordre oblique de la métacité postindustrielle.»

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Claude Parent et Paul Virilio introduisent la fonction oblique comme la remise en cause des dogmes de la construction et principes universel établis jusqu’à présent. Des aspects physiques, sociétales ou politiques ils tentent d’apporter des réponses d’un tout nouveau genre à une société qui est née de l’horizontalité et qui est en train de mourir dans la verticalité. Pour Paul Virilio, New York est le symbole de la fn de l’ère verticale de l’architecture. C’est une remise en question lourde de sens qu’ils tentent d’appliquer et de faire comprendre. Bien que parfois saugrenues, leurs pensées sont générées par un constat sur les villes anxiogènes de l’époque qui ne se développent pas en accord avec les populations qui les habitent. Ils essaient d’y apporter des réponses par l’expérimentation. Leurs exemples, plus ou moins convainquant méritent tout de même la reconnaissance du fait de chercher des solutions aux problèmes d’une autre manière que leurs autres architectes, urbanistes, ou penseurs contemporains. Il est vrai qu’en se débarrassant des idées préconçues qui nous pous-sent à penser par la verticale et par l’horizontale, cette nouvelle vision offre des perspectives bien surprenantes et visionnaires. A l’égal d’Albert Einstein qui dut se débarrasser de fausses vérités is-sues des découvertes sur l’apesanteur d’Isaac Newton afn de développer sa théorie de la relativité, Claude Parent et Paul Virilio se refusent à se soumettre aux lois de l’horizontalité et de la verticalité pour élargir leur champ d’action et de pensée.

Fig.26 Claude Parent, Tentative schématique d’interprétation de la «circulation habitable»

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Fig.27 Claude Parent, La Vague

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La théorisation de la fonction oblique propose de repenser l’architecture et l’urbanisme par la sup-pression du mode de pensé orthogonale qui les ont régies jusqu’à présent. On peut alors supposer que leur recherche symbolise la suppression du vertige horizontal et vertical qui règne dans les métropoles actuelles. Au regard de leurs propositions synthétisées et dessinées par Claude Parent l’urbanisme prendrait alors des allures organiques, tels des vagues de bétons qui s’empareraient de l’espace selon les règles de la diagonale et de l’oblique. Certaines surfaces jusque là impraticables dans le système de pensée orthogonale le deviendraient alors. On peut faire le lien avec la pratique de l’escalade urbaine en perpétuelle recherche d’espace et de surface non pratiqué. La circulation proposée par Claude Parent et Paul Virilio s’apparenterait alors à la synthèse des modes de déplace-ments actuels et ceux recherchés par les pratiquants de l’escalade urbaine. Une circulation oblique. Ces circulations imposeraient alors à toute la société des déplacements sur des surfaces actuelle-ment réservées à la technique et à l’esthétique d’où une reconduite totale de la manière de dessiner une façade. C’est un retour à zéro qui débloquerait complètement la manière de concevoir ce genre d’entité qui donne fgure et impression à nos villes. Cela bouleverserait la façon d’appréhender nos espaces et d’habiter nos citées. Malgré tout l’apparence que relèvent ces nouvelles structures habi-tables présentent des caractères plus vertigineux les uns que les autres. Ces mégastructures incli-nées sont malgré les prétentions de nos deux protagonistes dévoreuses d’espaces et ne règlent pas le vertige horizontal que donne à voir nos villes actuelles. De plus, lever les yeux pour regarder une structure qui s’élance vers le ciel selon un angle bien défni ne fait qu’accentuer la dimension verti-gineuse de ces constructions. La réalité qui induit que ce qui n’est pas droit parait instable renforce l’idée d’un certain déséquilibre. Rappelons que ce sont les déséquilibres de la société ou de la ville qui angoisse et apportent le vertige des villes. Le vertige deviendrait donc oblique. Ce ne serait pas la peur du vide, et la peur de tomber qui le dicterait mais la peur de glisser qui prendrait les gens au ventre. D’une manière philosophique, le fait de glisser, rappelle la descente dans l’échelle sociale comme il a été dit lors de l’interprétation de la citation de Milan Kundera issue de «L’insoutenable légèreté de l’être» ou encore de glisser vers les abysses, vers l’enfer. A contrario le fait de s’élever dans ces mégastructures rappelle la tentation du projet de la «Tour de Babel», s’élever socialement ou tenter de se rapprocher des Dieux, tâches qui souvent aboutissent à l’échec. Ainsi la théorie de l’oblique apporte des avantages certains quand à la libération du dogme de l’orthogonalité mais ne résout pas les problèmes fondamentaux qui d’une manière empirique sont assis sur nos consciences et sur nos villes ainsi représentés par le terme de vertige.

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Fig.28 Claude Parent, Circulation instable

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Synthèse

Cette étude du vertige, selon une nouvelle approche a permis d’une façon plutôt expérimentale de mettre en lien de nombreuses activités et manières de penser ou voir les choses. Recoupant Art, Philosophie, Science et Technique, l’étude d’un vertige se décompose en l’étude des vertiges. Leur mise en relation avec le thème de la spatialité a révélé de nombreuses connivences et différences par rapport à la liste d’objets étudiés. Cette expérimentation est bien entendu incomplète. En effet la liste des thèmes abordés est réfléchie mais bien entendu exhaustive. Les thématiques de la musique ou du cinéma auraient pu être prise en compte mais le sujet étant large et complexe nécessitait certaines limites. Le vertige que je pensais personnellement connaître par des expériences personnelles m’a poussé à le confronter avec différents exemples. Ainsi je me suis rendu compte de la pauvreté de mon jugement quant à ce phénomène. Cette étude m’a permis d’entrevoir un panorama d’idées bien plus large et intéressant que celui que je portais jusqu’à ce jour. Faire le lien entre un mythe ancestral comme celui de la « Tour de Babel » et la théorie de l’oblique « d’Architecture Principe » des années 1970 m’a fait constater à quel point toutes entités, réelles ou subjectives pouvaient être liées selon le regard qu’on leur portait. Le thème du regard ou du savoir regarder, qu’on nous inculque en écoles d’architectures m’a aidé et donné envie d’approfondir cette capacité. C’est ce regard même qui nous donne des sensations et parfois nous porte aux vertiges. C’est le contrôle de ce regard qui nous permet de contrôler ces sensations. Cette approche permet d’éclairer et de défnir dans certains cas particuliers ce que pouvait être à proprement parler une sensation. Il est dit souvent qu’une sensation forte est indescriptible. A présent je ne crois plus à cet entendement. La force des mots comme ont proposés Milan Kundera, René Char, Arthur Rimbaud ou encore Anatole France peut exprimer à elle seule ces sensations dites indescriptibles, inexprimables. Tout dépend, une fois encore de la manière de lire et d’appréhender ces mots. A ce même titre, la manière de lire un tableau peut tout bousculer. Du calme divin du « Voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich se dé-gage après étude un déchainement titanesque de pensées vertigineuses.

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C’est ainsi que les photographes de la nouvelle objectivité on redécouvert le monde. Refu-sant de regarder les choses frontalement ils ont découverts que notre monde n’était pas seulement constitué de lignes orthogonales mais de profondeurs, d’angles et de lumières dynamiques. Ce sont ces changements de perspectives qui ont révolutionné cet art et bouleversé la manière de voir les choses de bien des générations. Enfn l’urbanisme et l’architecture englobent de tous ces faits. Issus de réflexions et d’actions ces entités des plus réelles et concrètes relèvent tout aussi bien de l’imagi-nation. Quel colon aurait pensé en posant les premières pierres de Buenos Aires qui venait de naitre qu’elle deviendrait le labyrinthe orthogonal avide d’espaceque nous connaissons aujourd’hui ? Notre manière de regarder influe sur le devenir des choses. Quel regard portait les précurseurs de l’alpi-nisme Jacques Balmat et Michel Paccard sur le Mont Blanc avant son ascension ? Certainement pas le même qu’après en être descendu. Expérience et expérimentation font avancer les réflexions. C’est un travail permanent qui au delà de certains vertiges se révèle être extase ou désillusion. C’est cette envie qui pousse l’homme à allerde l’avant, à défer les limites apparentes. C’est d’ailleurs grâce à cette envie que malgré les constats alarmants de notre société que l’homme ne se laisse pas abattre et se laisse encore porté par ses rêves et ces incertitudes. Le vertige est donc en tout et pour tout selon la démarche de cette analyse un vecteur. Un vecteur universel qui prend forme sous certaines conditions. Espaces, mouvements, lumières et directions en sont les générateurs. Le récepteur de ces vecteurs est l’homme qui évolue dans un système spatial. Ces vecteurs sont en réalités la syn-thèse de la sensation et de l’émotion. En résumé, selon la supposition suivante, l’homme avance dans un espace grâce à ses émotions. Ainsi le vertige, apprécié ou décrié est une force qui d’une manière imperceptible guide l’homme ou plutôt influe sur ses déplacements dans l’espace quantifable et me-surable qu’est la terre. Philosophie et science se rejoignent à nouveau et permettent d’éclaircir, sans bien sur donner de réponse absolue certaines questions essentiels que peut se poser l’être humain. Le pourquoi et le comment peuvent ainsi prendre du sens et nous aider dans notre conquête inlas-sable du tout ou du rien.

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BibliographieLittérature

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Tacou, Laurence. Les Cahiers de l’Herne : Pierre Drieu La Rochelle. Paris: L’Herne, 1986.

Kundera, Milan. L’insoutenable légèreté de l’être. Édition : Tra. Paris: Gallimard, 1990.

Hugo, Victor. Post-Scriptum de Ma Vie. Nabu Press, 2011.

Fourcade, Dominique, Georges Bataille, Yves Battistini, et Vittorio Sereni. René Char. Paris: Herne, 2007.

Rimbaud, Arthur, Louis Forestier, et René Char. Rimbaud : Poésies - Une saison en enfer - Illumina-tions. Paris: Gallimard, 1999.

Roman

Spilmont, Jean-Pierre, et Jean-Pierre Blatter. Jacques Balmat dit Mont-Blanc. Paris: Editions Albin Michel, 1986.

Ortiz, Alicia Dujovne. Buenos Aires. Seyssel France : [Paris]: Editions Champ Vallon, 1993.

Ortiz, Alicia Dujovne. Bogotá. Seyssel : Paris: Editions Champ Vallon, 1993.

Canal, Richard, et J. P. Andrevon. Villes-vertige : Collection : Futurs. Editions de l’Aurore, 1988.

Livre et revue scientifque et philosophique

Grasset, J. (1901b) ‘Les maladies de l’orientation et de l’équilibre’, Paris: F. Alcan.

Cheroux, Clement. Henri Cartier-Bresson: Here and Now. 1 edition. Thames & Hudson, 2014.

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Science, Philosophie

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Grasset, J. (1901) ‘Le Vertige’, Revue Philosophique, 51(Mars-Avril): 225-251, 385-402

Quinodoz, Danielle. Le vertige entre angoisse et plaisir. Édition : Le fait psychanalytique. Paris: Presses Universitaires de France - PUF, 1994.

Photographie

Renger-Patzsch, Albert. Albert Renger-Patzsch: Meisterwerke. München: Schirmer Mosel, s. d.

Siebenbrodt, Michael. Bauhaus: 1919-1933 Weimar-Dessau-Berlin. Parkstone, 2009.

Hine, Lewis W. Men at Work: 69 Classic Photographs. Édition : 2nd Revised edition. New York: Do-ver Publications Inc., 1978.

Catalogue d’exposition

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Cheroux, Clement. Henri Cartier-Bresson: Here and Now. 1 edition. Thames & Hudson, 2014.

Mémoire

Arlettaz, Damien, flou allié, Mémoire suivi par Marie-Haude Caraës, Ensci - Les Ateliers, 2010

Olivier, Jacques, Vertiges métropolitains,Enquêtes sur les déséquilibres dans les métropoles mo-dernes, Ecole d’architecture, Faculté d’Aménagement, d’Architecture et d’Arts Visuels, Université Laval, Québec, 2011

Peinture

Hofmann, Werner. Caspar David Friedrich. Paris: Hazan, 2005.

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Inoue, Yasushi et al. Le Futurisme, La Peinture Metaphysique et le Dadaisme. Chuokoron-sha, 1973.

René, Passeron. Histoire de la peinture surréaliste. Le Livre de poche edition. Le Livre de poche, 1991.

Dictionaire

Collectif. Grand Larousse illustre 2015. S.l.: Larousse, 2014.

Média video

Jenssen, Jean-Paul. La vie au bout des doigts. Documentary, Short, N/A. 1982

Hickman, David. Théorie des Cordes : Ce qu’Einstein ne Savait pas Encore. Documentaire Arte, 2010

Hitchcock, Alfred, Stewart, James, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore, et Henry Jones. Sueurs froides. Universal Pictures, s. d. 1958

Internet

www.wikipédia.comwww.alainrobert.comwww.géo.frwww.bing.comwww.woldpress.comwww.rjl-art.comwww.buildering.netwww.tempsreel.nouvelobs.com

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Iconographie

Figure.1 «Saut du gol» archipel Vanatu (1998)Figure.2 Giorgia Fiorio Le Don Derviches tourneurs soufs (2009) Figure.3 Christophe Proft en solo intégrale dans les Grandes Jorasses (1986)Figure.4 Eric Escoffer au sommet du K2 (1985)Figure.5 Mustang Wanted, Moscou, ( 2013)Figure.6 Alain Robert, Framatome, Paris, (1998)Figure.7 Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages,(1818), Huile sur toile, 94,4 × 74,8 cm, Kunsthalle de HambourgFigure.8 Fabio Giampietro, Vertigo, (2008), huile sur toile, 150x150 cmFigure.9 Superstudio, Supersurface, (1971)Figure.10 Romain Jacquet-Lagrèze, Vertical Horizon, Hong Kong, (2013)Figure.11 László Moholy-Nagy, Xanti Schawinsky on a Bauhaus balcony, (1928)Figure.12 Umbo, Unheimliche Strasse, [Rue inquiétante], (1928), Épreuve gélatino-argentique, 35,5 x 27,9 cm, Centre Pompidou, Musée national d’art mode rne, ParisFigure.13 Filippo Masoero,Vue aérienne et aérodynamique du Forum romain, (1930)Figure.14 Richard Long, Sahara Line, (1988)Figure.15 Salar d’Uyuni, Bolivie, (2013)Figure.16 Chute d’Iguazù, Brésil, (2013)Figure.17 Balthasar Burkhard, Mexico, (1999), Berne, centre national des arts plastiques, Figure.18 Balthasar Burkhard, Tokyo 3, (2000)Figure.19 Vue satelite de Tokyo, Bing map, (2010)Figure.20 Vue satelite de Sao Paulo, Bing map, (2010)Figure.21 Vue satelite de Buenos Aires, Bing map, (2010)Figure.22 Andrea Pozzo, voute de l’église Saint-Ignace de Loyola (1686), RomeFigure.23 Hine, Lewis W. Men at Work: 69 Classic Photographs. Édition : 2nd Revised edition. New York: Dover Publications Inc., (1978)Figure.24 Albert Renger-Patzsch, smokestack, (1924) issus du catalogue Lampe, Angela. Vues d’en haut. Metz: Centre Pompidou-Metz Editions, (2013).Figure.25 Gustave Doré, Illustation de la «Tour de Babel» issus de La Bible : Traduction de Bourassé et Janvier, appelée aussi Bible de Tours, (1866)Figure.26 Claude Parent, Tentative schématique d’interprétation de la «circulation habitable»Figure.27 Claude Parent, La VagueFigure.28 Claude Parent, Circulation instable

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Remerciement, à Mme Thilleul Karine, Potosky Alain, Marseille Gilles, Humbert Laure, et Garnier Elena pour m’avoir aidé à conceptualiser et développer mes idées sur le thème du vertige.

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