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THÉORIES ET MÉTHODOLOGIES THEORIES AND METHODOLOGIES L’ACCEPTABILITÉ DES NOUVELLES TECHNOLOGIES : QUELLES RELATIONS AVEC L’ERGONOMIE, L’UTILISABILITÉ ET L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR ? par J. BARCENILLA* et J.-M.-C. BASTIEN** SUMMARY ROLE OF ERGONOMICS IN STUDIES OF USABILITY AND USER EXPERIENCE Many concepts and methodologies exist today that are based on the idea that products and technical systems used in both work and everyday life need to satisfy a number of criteria if they are to be accepted and used under normal conditions. These new concepts, particularly those related to « user experience », bring into question the role played by human factors and ergonomics in the design of products, as well as the contributions they can make. Also brought into question are the concepts and methods that are borrowed from other disciplines, and the development of methodological tools used. This paper aims to examine such issues, together with any developments. Key words : Usability, Emotion, Pleasure, User experience, User acceptance, Products design. I. INTRODUCTION Par acceptabilité, on entend habituellement le « degré » d’intégration et d’appropriation d’un objet dans un contexte d’usage : L’intégration correspond à la manière dont le produit, ou système tech- nique, s’insère dans la chaîne instrumentale existante et dans les activi- tés de l’utilisateur, et comment il contribue à transformer ces activités. L’appropriation renvoie à la façon dont l’individu investit personnelle- ment l’objet ou le système et dans quelle mesure celui-ci est en adéqua- Le Travail Humain, tome 72, n o 4/2009, 311-331 ** Université Paul-Verlaine, Metz, 2LP (EA 4432), Expériences utilisateurs dans le traite- ment des interactions technologiques et des conduites humaines et sociales, Île du Saulcy, F.57045 Metz Cedex 1. E-mail : [email protected]. ** Université Paul-Verlaine, Metz, 2LP (EA 4432), Expériences utilisateurs dans le traite- ment des interactions technologiques et des conduites humaines et sociales, Île du Saulcy, F.57045 Metz Cedex 1. E-mail : [email protected].

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THÉORIES ET MÉTHODOLOGIESTHEORIES AND METHODOLOGIES

L’ACCEPTABILITÉDES NOUVELLES TECHNOLOGIES :

QUELLES RELATIONSAVEC L’ERGONOMIE, L’UTILISABILITÉ

ET L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR ?

par J. BARCENILLA* et J.-M.-C. BASTIEN**

SUMMARY

ROLE OF ERGONOMICS IN STUDIES OF USABILITY AND USER EXPERIENCE

Many concepts and methodologies exist today that are based on the idea thatproducts and technical systems used in both work and everyday life need tosatisfy a number of criteria if they are to be accepted and used under normalconditions. These new concepts, particularly those related to « user experience »,bring into question the role played by human factors and ergonomics in thedesign of products, as well as the contributions they can make. Also brought intoquestion are the concepts and methods that are borrowed from other disciplines,and the development of methodological tools used. This paper aims to examinesuch issues, together with any developments.

Key words : Usability, Emotion, Pleasure, User experience, User acceptance, Productsdesign.

I. INTRODUCTION

Par acceptabilité, on entend habituellement le « degré » d’intégrationet d’appropriation d’un objet dans un contexte d’usage :• L’intégration correspond à la manière dont le produit, ou système tech-

nique, s’insère dans la chaîne instrumentale existante et dans les activi-tés de l’utilisateur, et comment il contribue à transformer ces activités.

• L’appropriation renvoie à la façon dont l’individu investit personnelle-ment l’objet ou le système et dans quelle mesure celui-ci est en adéqua-

Le Travail Humain, tome 72, no 4/2009, 311-331

** Université Paul-Verlaine, Metz, 2LP (EA 4432), Expériences utilisateurs dans le traite-ment des interactions technologiques et des conduites humaines et sociales, Île du Saulcy,F.57045 Metz Cedex 1. E-mail : [email protected].

** Université Paul-Verlaine, Metz, 2LP (EA 4432), Expériences utilisateurs dans le traite-ment des interactions technologiques et des conduites humaines et sociales, Île du Saulcy,F.57045 Metz Cedex 1. E-mail : [email protected].

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tion avec ses valeurs personnelles et culturelles, lui donnant envie d’agirsur ou avec celui-ci, et pas seulement de subir son usage. Le casextrême de l’appropriation est celui où l’objet devient une composantede l’identité du sujet.

Dans ce numéro portant sur l’acceptabilité de produits et de systèmestechniques, différentes approches ou facettes de celles-ci nous sont pré-sentées. Ces différentes approches visent à montrer, chacune à sa manièreet avec un éclairage particulier, quels peuvent être les facteurs d’intégra-tion et d’appropriation des nouvelles technologies dans le monde du tra-vail et/ou dans la vie quotidienne et comment les sciences humaines peu-vent y participer.

Dans ce chapitre, notre contribution portera plus particulièrement surles relations pouvant exister entre cette notion d’acceptabilité telle qu’ellea pu être présentée par Davis (1989) et développée par la suite (par ex.Venkatesh, Morris, Davis, & Davis, 2003), et les concepts qui gravitentautour des nouvelles technologies telles que : conception centrée utilisa-teur, conception universelle, conception inclusive, conception émotion-nelle ; utilisabilité et amusement (funology). Plus précisément, cet articlevise à montrer comment ces différentes approches visent un objectif com-mun, qui est aussi celui de l’ergonomie : assurer la compatibilité entre lescaractéristiques des utilisateurs et les caractéristiques des produits et sys-tèmes techniques en vue de faciliter leur usage, à la fois sous l’angle deleur intégration technique et sociale et sous l’angle de leur appropriation.

L’idée générale consiste donc à considérer les objectifs de l’ergonomie« classique », portant sur l’amélioration des conditions du travail physiqueet cognitif, comme devant être élargis à l’étude du « ressenti » du sujet. Ils’agira par conséquent de prendre en compte les différentes facettes de lapersonnalité de l’individu, la cognition, mais aussi les affects (attitudes,émotions, etc.), ainsi que les caractéristiques des produits et des systèmestechniques qui influencent ces aspects ; ceci de façon à concevoir non seu-lement un produit adapté, mais plutôt « une relation adaptée au produit »et finalement une « expérience utilisateur ».

Une caractéristique de ces différentes approches de l’utilisabilitéconsiste à étendre le champ d’application de l’ergonomie aux produits etaux technologies interactives de la vie courante (Brangier & Barcenilla,2003 ; Brangier & Bastien, 2009). Non seulement parce que ceci cons-titue un nouveau champ de débouchés, mais surtout parce qu’avec lerenouvellement rapide des produits, il existe une relation étroite entre lesmanières de les consommer et les manières de les produire. À l’expression« comprendre le travail pour le transformer », on pourrait rajouter « com-prendre les modes de relations aux produits pour transformer le travail »et comprendre les relations aux produits pour agir sur l’expérience.

De plus, le sens du mot « travail » a perdu son acception en tant qu’en-tité localisée dans un lieu précis de production. Le travail « nomade », letélétravail, ou simplement l’extension de la journée de travail (permise,entre autres, par les nouvelles technologies) vers d’autres lieux que l’en-treprise, justifient de reconsidérer ce qu’on peut entendre par outil de tra-vail et du coup le domaine d’application de l’ergonomie.

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Dans ce chapitre, nous présenterons d’abord l’approche traditionnellede l’utilisabilité, son émergence et son évolution. Dans la pratique, lespréoccupations de celle-ci ne diffèrent pas significativement de celles del’ergonomie, surtout de l’ergonomie cognitive. Cependant il nous sembleimportant de souligner comment les approches de l’utilisabilité ont contri-bué à la prise en compte de l’utilisateur dans la conception et l’usage desproduits ; prise en compte qui sera élargie aux utilisateurs porteurs dedéficits à travers la notion de conception universelle. Il nous est apparuégalement important de souligner comment le courant de recherche surl’utilisabilité a contribué à la systématisation et normalisation des prati-ques en ergonomie à travers la certification et les normes ISO.

Dans un deuxième temps nous présenterons des approches théoriquesplus récentes qui visent à élargir les champs de la pratique et de larecherche dans le domaine de l’utilisabilité, en prenant en compte descaractéristiques des produits et des utilisateurs qui étaient écartées jusqu’àil y a peu de temps de l’analyse ergonomique (par ex., l’apparence ou lespropriétés esthétiques, entre autres). Ces approches se caractérisent par laprise en compte des réactions affectives ou émotives suscitées par les pro-duits chez l’utilisateur, et par la volonté de saisir l’expérience globale del’interaction produit - utilisateur, qu’on a appelée l’ « expérience utilisa-teur » à travers ses multiples facettes. Ces nouvelles perspectives de l’utili-sabilité posent la question de la place de l’ergonomie dans cette évolution1.

II. L’APPROCHE TRADITIONNELLE DE L’UTILISABILITÉ

Dans les années 1980, on assiste aux premières tentatives de définitionde la notion d’utilisabilité (Shackel, 1981 ; Eason, 1984). L’accroissementdes activités de traitement de l’information dans la vie quotidienne, aumoyen de systèmes techniques, facilitera son essor et son implantationcomme thématique centrale de recherche, aussi bien d’un point de vuethéorique que méthodologique.

Encore aujourd’hui, il est difficile de trouver une définition unique dela notion d’utilisabilité. Nous disposons de multiples définitions, dépen-dantes de la manière d’opérationnaliser (mesurer) cette notion.

Shackel (1991) définira l’utilisabilité d’un système comme « sa capa-cité, en termes fonctionnels humains, à permettre une utilisation facile eteffective par une catégorie donnée d’utilisateurs, avec une formation et unsupport adapté, pour accomplir une catégorie donnée de tâches, à l’inté-rieur d’une catégorie spécifique de contextes » (p. 24). C’est en partie surcette définition que s’appuieront par la suite les rédacteurs des normes ISO

Acceptabilité, ergonomie et expérience utilisateur 313

1. Pour des raisons de place, nous n’aborderons pas les particularités liées à des domainesd’application spécifiques comme les textes électroniques et les logiciels d’apprentissage. Pour cesaspects, le lecteur pourra se référer, entre autres, à l’ouvrage de Sears et Jacko (2009) ou à celui deLazar (2007). De même, nous n’aborderons pas des aspects particuliers de l’utilisabilité, tels quel’usage de métaphores, d’affordances, de critères ergonomiques, etc., qui visent à améliorer lacompatibilité système/utilisateur.

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pour définir l’utilisabilité, et dont l’usage a été plus ou moins standardisé :« Degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs iden-tifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfac-tion, dans un contexte d’utilisation spécifié » (ISO 9241-11, 1998, p. 2).Nous retiendrons surtout les trois composantes initiales de l’utilisabilité(efficacité, efficience, satisfaction), même si le contour de cette notion aévolué, y compris à l’intérieur des normes ISO.

Il nous semble important de souligner trois aspects de cette évolution :la volonté de placer l’utilisateur au centre du processus de conception, lavolonté d’inclure au niveau des objectifs de conception des populations àbesoins spécifiques qui étaient exclues auparavant (conception univer-selle, conception inclusive), et la prise en compte des avancées de larecherche à travers un processus de standardisation et de normalisation.

II .1. LA PRISE EN COMPTE DES UTILISATEURS

À partir des années 1990, se développe l’idée d’une « conceptioncentrée utilisateur » (Norman & Draper, 1986 ; Karat & Bennett, 1991),approche qui préconise la prise en compte de l’ensemble des caractéristi-ques et des besoins des utilisateurs au moment du développement d’unproduit, ainsi que la participation active de l’utilisateur final au processusde conception.

Cette prise en compte de l’utilisateur aura pour impact :• L’élargissement du champ d’application de cette approche aux produits

de consommation courante (cf. Green & Jordan, 1999), autres queceux du domaine du génie logiciel où initialement elle s’est développée.On passe ainsi des applications spécialisées développées pour des activi-tés de travail bien définies pour des utilisateurs connus, à des systèmesinteractifs grand public où les utilisateurs potentiels ne sont pasforcément connus et bien identifiés.

• La reconnaissance de l’utilisabilité comme un champ de recherche etd’application à part entière, à travers la certification et la normalisationdes pratiques dans le monde du travail (par ex. Usability ProfessionalAssociation).

• La prise en compte des utilisateurs présentant des besoins spécifiques.En élargissant la gamme des utilisateurs potentiels des systèmes inter-actifs grand public, de nouvelles demandes apparaissent émanantd’utilisateurs ayant des besoins spécifiques (c’est le cas, par exemple,des utilisateurs ayant des déficits sensoriels, moteurs ou cognitifs àdifférents degrés). Ces demandes vont donner lieu à l’émergenced’une approche dénommée « conception universelle » ou « conceptioninclusive ».

II .2. LA CONCEPTION UNIVERSELLE

Tout en restant dans le paradigme que l’on peut appeler « classique »de l’utilisabilité, l’émergence d’une conception centrée utilisateur a repré-senté une opportunité pour le développement de produits visant à pallier

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les problèmes d’exclusion sociale et cognitive, et à prendre en compte lesdifférentes populations faisant l’objet d’exclusion (handicapés moteurs etcognitifs, personnes âgées, public à faible niveau de qualification, etc.).Cette approche de la conception a reçu plusieurs dénominations : concep-tion universelle, pour tous, inclusive, inclusive holistique, etc. L’objectifd’une démarche « conception pour tous » est de répondre à des questionsd’ordre éthique, face à l’impossibilité de certains individus d’accéder àcertains produits ou services.

Cette approche vise aussi à réunir deux démarches de conception quiétaient séparées auparavant : celle destinée à une population dite « valideet bien portante », et celle destinée aux personnes « à besoins spécifiques »que l’on retrouve dans la littérature avec des dénominations diverses :accessible design (par ex. Erlandson, 2008), assistive technology (par ex.Jacko, Leonard, & Scott, 2009), barrier-free design (par ex. Lazar, 2007),transgenerational design (par ex. Pirkl, 1994), mais dont le point communest la volonté d’inclure, au niveau de la conception de produits et de systè-mes techniques, les populations souffrant de déficits cognitifs ouphysiques.

La notion de conception pour tous est sans doute abusive. Il s’agitplutôt de développer une réflexion et des méthodologies pour simplifierla vie de tout citoyen, en faisant en sorte que les produits, les technolo-gies et les infrastructures soient accessibles et utilisables par le plus grandnombre. Un des arguments de la conception universelle est que malgrél’effort requis au niveau de la conception pour accommoder les produitsaux caractéristiques des usagers à besoins spécifiques, l’ensemble des uti-lisateurs peut en bénéficier (Shneiderman, 2008). Un autre postulat decette approche est qu’il n’existe pas de coupure radicale entre personnesplus ou moins handicapées ou déficitaires et personnes bien portantes,mais plutôt une continuité (Newell & Gregor, 2001). À un moment ou àun autre de notre existence, chacun d’entre nous va se trouver en situa-tion de handicap. Concevoir pour des minorités, c’est aussi concevoirpour tous.

En dehors des populations se caractérisant par un déficit bien ciblé(nous pouvons trouver de nombreux exemples dans l’ouvrage récentpublié sous la direction de Lazar, 2008), on estime généralement entre 10et 15 % la part de la population ayant des difficultés de lecture et d’écri-ture dans nos sociétés occidentales dites « évoluées ». Or, les nouvellestechnologies ne font qu’accentuer ces difficultés car il s’agit d’outils pourtraiter et manipuler de l’information. Par ailleurs, les produits destinésaux personnes âgées commencent à faire l’objet d’une attention particu-lière (Herwig, 2008), due notamment au vieillissement accéléré de lapopulation dans certains pays occidentaux. C’est le cas notamment duJapon, où la moyenne d’âge sera de 50 ans en 2027 (elle était de 41 ansen 2000).

Les chercheurs travaillant dans ce domaine se sont attachés à préciserun certain nombre de principes qui doivent être adoptés lorsqu’on seréclame d’une conception universelle (cf. The Center for Universal Design),mais aussi à rendre compte des problèmes méthodologiques posés lors-qu’on conçoit des produits pour des personnes à besoins spécifiques

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(Vanderheiden, 2000 ; Newell & Gregor, 2001). Vanderheiden (2000) anotamment avancé quatre dimensions à prendre en compte :

• accessibilité vs utilisabilité : le concepteur doit tenir compte des caracté-ristiques du produit qui peuvent poser des problèmes d’utilisabilitépour un groupe d’utilisateurs donnés et notamment ce qui rendrait lesproduits inutilisables pour certains ;

• indépendance vs codépendance : en fonction de l’expertise et des capacitésde l’utilisateur, les concepteurs doivent privilégier un usage individuelet indépendant du produit ou au contraire ils doivent réfléchir à dessolutions de conception qui impliquent une assistance technique etsociale ;

• efficience vs urgence : le concepteur doit privilégier, soit les choix deconception permettant la facilité d’accomplissement de la tâche (effi-cience), soit les choix permettant de satisfaire les contraintes tempo-relles en fonction des utilisateurs et de leurs contextes d’utilisation ;

• facilité d’implémentation : il s’agit ici de prendre en compte les coûts dedéveloppement et d’installation.

Selon Vanderheiden (2000) donc, la conception des produits et dessystèmes techniques requiert la hiérarchisation de ces différents facteursen fonction des caractéristiques des utilisateurs et des contextes d’usage.Les progrès réalisés dans le domaine de la conception universelle, soute-nus et encouragés parfois au niveau politique, semblent indiquer que laprise en compte de l’augmentation des besoins fonctionnels de certainespopulations (notamment les personnes âgées) devrait constituer dans lesannées à venir un des principaux champs d’application et de recherche del’ergonomie des produits.

II .3. STANDARDISATION/NORMALISATION DE L’UTILISABILITÉ

Les nombreuses normes internationales portant explicitement le label« utilisabilité » ou « centrées utilisateur », en plus des normes qui portaientdéjà sur l’ergonomie, attestent du degré de maturité des recherches por-tant sur l’utilisabilité. En voici quelques-unes :

Bien que toutes ces normes aient comme objectif général d’améliorerl’utilisabilité de produits et de systèmes techniques, Bevan (2001) a jugépertinent de regrouper les différentes normes traitant de l’utilisabilité oude la conception centrée utilisateur en quatre catégories, en fonction desaspects spécifiques de conception ou de production sur lesquels portentles normes :

• celles portant sur une analyse organisationnelle visant à diagnostiquer lacapacité de l’entreprise à mettre en place des processus de conceptioncentrés utilisateur (par ex. ISO/TR 18529) ;

• celles visant à mettre en place les processus de conception (par ex.ISO 13407) ;

• celles visant à améliorer la qualité du produit (par ex. ISO 9241-110) ;• celles visant à améliorer la qualité de l’usage (par ex. ISO 20282).

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Les concepts définis dans ces normes et la manière de les préciser, sontaussi révélateurs de l’évolution des recherches et des pratiques.

La définition standard des premières normes (ISO 4941) rendantcompte de l’utilisabilité en termes d’efficacité, efficience, satisfaction,acquiert un autre contour dans la norme ISO/IEC 9126, où l’utilisabilitédevient une caractéristique de la qualité de l’usage, définie à partir de cinqcomposantes : les facilités de compréhension, d’apprentissage, d’utilisa-tion, le pouvoir d’attraction, et la conformité réglementaire. L’apparitionde la composante « pouvoir d’attraction » atteste d’un changement depoint de vue dans l’étude des usages. Ce changement se retrouve aussidans la mesure de la satisfaction, qui n’était pas spécifiée dans les premiè-res normes. La norme ISO/IEC CD 25010.2 introduit la composante hédo-nique de la satisfaction en préconisant la mesure du confort, de laconfiance dans le produit, du plaisir, ainsi que des réponses émotionnellessuscitées par le produit. Enfin, la révision en cours de la norme ISO 13407(ISO/DIS 9241-210) marque clairement un changement de point de vue enproposant de substituer la notion d’utilisabilité par celle d’ « expérienceutilisateur ».

Par ailleurs, une des dernières normes (ISO 20282, 2006, 2007)marque clairement la volonté de systématiser les mesures de l’utilisabilité

Acceptabilité, ergonomie et expérience utilisateur 317

TABLEAU 1

Normes ISO s’intéressant explicitement à l’utilisabilité de systèmes techniqueset à une démarche de conception « centrée utilisateur »

Evolution of ISO Norms pointing out the usabiliy aspects of designand the human centered approach design

ISO 9241-11 (1998) Exigences ergonomiques pour travail de bureau avecterminaux à écrans de visualisation (TEV). Partie 11 :Lignes directrices relatives à l’utilisabilité

ISO 13407 (1999)ISO/DIS 9241-210(en révision)

Processus de conception centrée sur l’opérateur humainpour les systèmes interactifs

ISO/TR 18529 (2000) Ergonomie de l’interaction homme/système. Descrip-tions des processus cycle de vie centrées sur l’opéra-teur humain

ISO/IEC 9126-1 (2001) Génie du logiciel. Qualité des produits. Partie 1 :Modèle de qualité

ISO/TR 16982 (2002) Ergonomie de l’interaction homme-système. Méthodesd’utilisabilité pour la conception centrée sur l’opéra-teur humain

ISO 20282-1 (2006) Ergonomie de l’interaction homme-système. Méthodesd’utilisabilité pour la conception centrée sur l’opéra-teur humain

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en préconisant des méthodologies de recueil de données et d’échantillon-nage de la population cible et des indicateurs quantitatifs de la facilitéd’usage. L’apparition de cette dernière norme montre aussi le champd’application extrêmement large de l’ergonomie de produits.

Quoique les normes présentent toujours un certain décalage entrel’état d’avancement de la recherche et le contenu de celle-ci, on peut sou-ligner un certain nombre d’avantages pour la pratique de l’ergonomie :• l’intégration des résultats et des recommandations issus de la recherche

et leur dissémination pour leur application dans le monde du travail ;• la normalisation/standardisation et généralisation des pratiques de

l’ergonomie en entreprise ;• la prise en compte des difficultés des utilisateurs lorsqu’ils utilisent des

systèmes techniques et l’élargissement des pratiques de l’ergonomie auxproduits de la vie courante.

Il va de soi, que le degré d’acceptabilité d’un produit varie en fonctiondu type de facteur pris en compte pour l’expliquer ; l’utilisabilité n’étantqu’un des prédicteurs de celle-ci. Le degré d’acceptabilité d’un produitvarie aussi en fonction des différents moments de la confrontation dusujet avec l’objet, de l’expérience et la connaissance que l’individu pos-sède de celui-ci, et de la perception subjective, chez l’utilisateur, d’unensemble de facteurs attachés à l’objet : utilité perçue, propriétés esthéti-ques, valeurs culturelles véhiculées, coût économique, etc. L’acceptabilitédépend donc d’un compromis, chez l’utilisateur, parmi un ensemble defacteurs que la recherche essaie de circonscrire. On pourrait aussi ajoutercomme l’indiquait Dourish (2003) que l’utilisateur s’approprie une tech-nologie, c’est-à-dire qu’il l’adopte, l’adapte et l’intègre à son activité.Dans cette appropriation, il peut utiliser les technologies à des fins quin’avaient pas été prévues initialement. Mais ces usages apparaissent aprèsl’adoption. Cette appropriation peut donc jouer un rôle a posteriori impor-tant sur l’acceptabilité d’un produit, ce qui a des conséquences non négli-geables sur la conception. En effet, comment concevoir un produit, àl’aide des approches « traditionnelles » qui permettent cette appropriation(cf. Salovaara & Tamminen, 2009).

D’un autre côté, l’approche traditionnelle de l’utilisabilité peut parfoisêtre perçue comme une approche « boîte à outils », par son ambition derecenser de façon systématique les ressources et les méthodologies dispo-nibles (cf. Hom, 1998), au détriment d’une approche plus analytique etexplicative de la situation de travail et d’utilisation. Mais le vrai défi actuelest de trouver un mode d’intégration dans les nouvelles approches del’utilisabilité qui se développent, et dont la question était déjà évoquée parGreen et Jordan (1999) : « L’ergonomie/facteurs humains se trouve à unmoment crucial de son développement. C’est une discipline qui a toujoursété liée au processus de conception du travail, des systèmes techniques etdes produits... Cependant, la révolution électronique a mis au jour unequantité impressionnante de problèmes qui étaient considérés jusqu’icicomme “ésotériques” dans le domaine de l’ergonomie... apportant denouvelles demandes aux ergonomes et à ceux qui interviennent dans lesprocessus de conception » (p. 249).

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Ces nouveaux problèmes « ésotériques » auxquels Green et Jordan(1999) font référence, sont entre autres, la nécessité de prendre encompte dans l’étude de la relation utilisateur/produit des aspects non ins-trumentaux de l’activité, tels que l’impact des aspects esthétiques, hédoni-ques ou émotionnels de cette relation.

III. DE L’UTILISABILITÉ À L’EXPÉRIENCE UTILISATEUR :III. UNE ÉVOLUTION THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE ?

Nous assistons actuellement à un changement ou à une évolution dansla façon de considérer ce que nous appellerons la qualité « ergonomique »des produits et des systèmes techniques, notamment par la prise encompte de leurs caractéristiques non instrumentales, c’est-à-dire, cellesqui ne sont pas liées directement à l’efficacité et à l’efficience : apparence,esthétique, plaisir, émotion, etc. Ces nouvelles approches ont reçu desdénominations diverses : conception inclusive holistique, émotionnelle,expérience utilisateur.

Même si dans ces nouvelles perspectives, les aspects fonctionnelsdes produits et des systèmes techniques ne sont pas toujours écartés del’analyse, ils jouent un rôle secondaire dans le processus explicatif desusages, comme l’indique Jordan (1999, p. 208) : « Les produits ne sontpas uniquement des outils. Les produits sont des objets vivants avec les-quels les personnes ont des relations. Les produits sont des objets quipeuvent rendre l’individu heureux ou furieux, orgueilleux ou honteux,sécurisé ou anxieux... Ils ont une personnalité. » Il s’agit presque d’uneapproche animiste où le travail de l’ergonome va consister, précisément,à doter les objets avec lesquels nous sommes en interaction d’une per-sonnalité, à travers laquelle les utilisateurs vont pouvoir se projeter etexprimer leurs sensations, leurs émotions, enfin leur vécu (expérience).Un exemple de cette démarche est le « questionnaire d’attribution d’unepersonnalité à un produit » (Product Personality Assignement Questionnaire,Jordan, 2002).

Ces aspects non fonctionnels des produits sont abordés à partir d’ap-proches conceptuelles hétéroclites : ce sont ceux de l’amusement ou fun(Blythe, Overbecke, Monk, & Wright, 2003), d’esthétique (Macdonald,1998 ; Bonapace, 2002), de plaisir (Jordan, 1999, Green & Jordan,2002) ; d’émotion (Norman, 2004) ; de valeur ou qualité hédonique(Hassenzahl, 2004, 2008).

III .1. LA CONCEPTION HOLISTIQUE INCLUSIVE :III .1. LA RECHERCHE DE PLAISIR PAR LA SATISFACTION DES BESOINS

Pratiquement tout le monde peut s’accorder sur le fait que si l’on uti-lise un produit, c’est qu’on en a besoin, qu’il est utile pour quelque chose.Mais le problème de l’utilité, en tant que satisfaction d’un besoin, est dedéfinir ces derniers, ou parfois de les créer : c’est l’objectif de la publicité,

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du marketing. La nature du produit (connu, émergent) et l’expérienceavec des produits similaires sont des facteurs importants pour l’apprécia-tion de leur utilité et de leur acceptabilité.

Certaines approches de l’utilisabilité mettent au cœur de l’analysecette notion de besoin. Un besoin peut être défini comme un manque dequelque chose, dont la présence ou l’obtention est indispensable pour lesujet : utiliser un produit, c’est d’abord satisfaire un certain besoin dontl’assouvissement permet d’atteindre un certain plaisir (Jordan, 1999 ;Green Jordan, 2002 ; Norman, 2004). Ainsi pour Jordan (1999), l’utilisa-tion d’un produit vise à satisfaire trois types de besoins organiséshiérarchiquement (recherche de fonctionnalités, recherche d’utilisabilité,recherche de plaisir). D’autres, comme Foxall et Goldsmith (1994), ontessayé encore de distinguer différents types de besoins : besoins fonction-nels, besoins sociaux, besoins symboliques (succès, statut social, réalisa-tion, etc.), besoins hédoniques (stimulation des cinq sens), besoinsémotionnels, besoins cognitifs.

En fonction de l’aspect particulier qui sera pris en compte dans la rela-tion que le sujet entretient avec le produit, Jordan distingue égalementquatre types de plaisirs qui sont dérivés de quatre types de besoins :• plaisirs physiques (besoin de stimulation de nos organes sensoriels) ;• plaisirs psychologiques (besoins liés à l’accomplissement satisfaisant des

tâches) ;• plaisirs sociaux (besoins d’appartenance sociale et d’entrer en relation

avec les autres individus) ;• plaisirs idéologiques (besoin d’investir ses valeurs, son appartenance

idéologique).

Une approche globale de l’acceptabilité de produits, devrait conduire,selon Jordan, à prendre en compte l’ensemble de ces besoins. Or l’ergo-nomie classique ne s’intéresse qu’aux besoins liés à l’accomplissement detâches.

On peut retrouver chez Hassenzahl (2004) une perspective similairedu rôle de la satisfaction des besoins : « Mon point de vue est que les genspartagent un ensemble général de besoins qui peuvent servir comme pointd’ancrage en matière de conception : besoins de manipulation (réalisationdes objectifs), besoins de stimulation (accomplissement personnel,accroissement de connaissances et d’habilités), besoins d’identification(expression personnelle, interaction avec les autres), et besoins d’évoca-tion (mémoire des événements passés et des souvenirs en relation avec leproduit). L’accomplissement en situation de ces besoins produit desémotions positives » (p. 47).

Dans son modèle explicatif de la relation au produit, celui-ci est perçucomme pouvant satisfaire potentiellement certains de ces besoins.Lorsque le produit permet de répondre au besoin de la situation, celadonne lieu à une attractivité ou attirance envers le produit, qui produit àson tour une réponse émotionnelle.

Le rôle de l’ergonome dans ces nouvelles perspectives, telle que celleprésentée par Jordan (1999), est de rechercher et d’inventorier le type deplaisir que potentiellement un produit peut apporter à l’utilisateur, mesu-

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rer les sensations de plaisir qu’éprouvent les individus pour pouvoir attri-buer aux objets une valeur qualitative ou une « qualité hédonique », etfinalement être capable de reproduire la « plaisirabilité » dans la concep-tion des produits.

Hassenzahl, Platz, Burmester et Lehner (2000) présentent un point devue moins tranché concernant le rôle de la recherche de plaisir dansl’usage des produits. Pour ces auteurs, le jugement d’attractivité d’un pro-duit et les réponses émotionnelles qu’il suscite dépendent à la fois de saqualité hédonique (par exemple, nouveauté, originalité, etc.) et de sa qua-lité ergonomique (simplicité, contrôle de la part de l’utilisateur, etc.) ;cependant, ces deux groupes de facteurs interviennent de manière indé-pendante. Cette façon de concevoir notre relation aux produits plaidepour une démarche de conception pluridisciplinaire où l’ergonomie clas-sique peut apporter ses compétences sans pour autant tomber dans ledesign ou le marketing.

III .2. LA PRISE EN COMPTE DES ÉMOTIONS

D’autres approches qui se démarquent des conceptions classiques del’utilisabilité sont celles qui considèrent que nos réponses émotionnellesvis-à-vis des produits sont un des déterminants principaux de leur usage.

La recherche sur les émotions peut s’intéresser à différents types deréactions affectives : sensations (par ex., agréable, désagréable), humeur(par ex., tristesse) et émotions ; ces dernières pouvant être définiescomme des états limités dans le temps consécutifs à un événement bienidentifié, dont on peut préciser la cause et possédant une certaine inten-sité ; contrairement à l’humeur dont la durée peut s’étaler sur une périodeindéfinie et dont la cause peut être inconnue pour le sujet.

Ce qui pousse la recherche sur l’utilisabilité à s’avancer sur cette voie,est que les émotions donnent lieu à un ensemble de réponses qui pour-raient être utilisées comme critères de l’acceptabilité des produits : expé-riences conscientes verbalisables, réponses comportementales, expressionsfaciales, réponses physiologiques du système périphérique, etc.

Norman (2004) est un des précurseurs de cette approche. L’idée prin-cipale qu’il défend est que les études sur l’utilisabilité se sont préoccupéesprincipalement des aspects cognitifs de l’activité en perdant de vue le faitque les traitements d’ordres cognitif et affectif s’influencent mutuelle-ment. Dans son modèle, il distingue trois niveaux de traitement de l’infor-mation des caractéristiques des produits, se distinguant par le degré decontrôle que l’utilisateur exerce sur ces traitements :

• le niveau viscéral qui agit de manière réflexe, involontaire, et qui porteessentiellement sur l’apparence des objets ;

• le niveau comportemental, lié à la mise en place de procédures et audéclenchement des habilités motrices requises pour accomplir lestâches ;

• le niveau réflexif, lié à la conceptualisation et l’élaboration des informa-tions sur les objets.

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Chacun de ces trois niveaux, tout en s’influençant mutuellement, est àl’origine de réactions physiologiques et psychologiques, plaçant l’utilisa-teur dans des états affectifs ou émotionnels qui, lorsqu’ils ont une valencenégative, sont préjudiciables pour son activité.

Selon Norman, on peut classer les produits, mais aussi les utilisateurs,en fonction du niveau de traitement de l’information mis en œuvre. Dupoint de vue des produits, on peut les classer en fonction de leur attracti-vité (niveau viscéral), leurs fonctionnalité et utilisabilité (niveau compor-temental) ou leur prestige (niveau réflexif). De la même manière, onpourra identifier le type d’utilisateur en fonction de ses réactions : les per-sonnes « viscérales » vont être influencées par l’apparence, les « comporte-mentales » par les fonctions et l’utilisabilité, et les « réflexives » par le pres-tige, les valeurs que le produit véhicule et l’image qu’il renvoie.

Selon cette approche, une conception adaptée du produit consisteraità apparier les caractéristiques du produit à celles de l’utilisateur : uneconception « viscérale » portant principalement sur l’apparence et l’impactinitiaux du produit, une conception comportementaliste visant à amélio-rer les aspects liés à l’utilisabilité (efficacité, efficience, fonctionnalité) etune conception réflexive mettant l’accent sur l’image, les valeurs ou lemessage idéologique véhiculés par le produit.

Le rôle de l’ergonome dans cette perspective serait d’examiner lescaractéristiques du produit et les réactions qu’il provoque à ces différentsniveaux de traitement, afin de déceler et modifier les aspects qui condui-sent à des états affectifs à valence négative, et qui empêchent ou interfè-rent avec les traitements cognitifs ou moteurs nécessaires à la réalisationde la tâche. C’est ce que l’auteur appelle « une conception émotionnelle »visant uniquement à produire des états émotionnels positifs. Des asser-tions de l’auteur du type : « les choses attractives fonctionnent mieux »(Norman, 2004 p. 17) ont eu un impact important sur la manière d’envi-sager la conception des produits, comme le montre la vaste littératurepubliée sur le sujet. Cette influence se manifeste aussi dans une perspec-tive émergente de la conception de systèmes techniques appelée affectivecomputing (Picard, 1997), dont une des hypothèses fortes est que les systè-mes techniques peuvent induire eux-mêmes des états émotionnels chez lessujets mais aussi tenir compte des états affectifs des utilisateurs et modifierleur activité en conséquence (Westerink, Ouwerkerk, Overbeek, Pasveer,& Ruyter, 2008 ; Peter & Beale, 2008).

Plusieurs chercheurs (par ex. Hassenzahl, 2004 ; Mahlke, 2008 ;Paeln & Bodker, 2008) ont critiqué cette approche, la considérant commetrop simpliste pour expliquer les relations que nous entretenons avec lesproduits et les systèmes techniques, ainsi que le rôle joué par les émotions.La première critique tient à l’état actuel de la recherche sur les émotionselles-mêmes, et à la diversité des approches théoriques et méthodologi-ques utilisées pour les identifier et rendre compte de leurs composantes.

La deuxième critique touche les aspects liés à la conception et aux usa-ges à proprement parler. En effet, ces approches qui se sont développées,à la fois comme un effet de mode et comme une réaction à l’approcheclassique de l’utilisabilité ont comme conséquence d’oublier l’étude del’interaction elle-même. L’émotion joue sans doute un rôle important

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dans l’interaction avec les produits et les systèmes techniques, mais on nepeut pas réduire cette interaction aux seuls phénomènes affectifs (Paeln& Bodker, 2008). Par ailleurs, ces derniers auteurs qualifient l’influencequ’a eue la théorisation de Norman comme « la tempête dans unethéière » (pour reprendre une analyse de l’auteur autour de l’esthétique dethéières) pour qualifier cette perspective un peu simpliste visant à considé-rer les aspects émotionnels comme des propriétés intrinsèques des objets,et oubliant le rôle que jouent le contexte et l’expérience de l’individu surles réactions affectives. De même, il est difficile d’envisager de détacherl’émotion des autres qualités des produits comme l’efficience, la sécuritéou la fiabilité. Hassenzahl (2004), pour sa part, estime qu’étant donné lecaractère éphémère des émotions, il n’est pas d’une grande utilité pour larecherche de s’intéresser à celles-ci lors de la conception des produits, sauféventuellement pour les produits destinés exclusivement à un usageludique.

Dans la recherche sur les émotions en lien avec la conception des pro-duits, on peut trouver deux points de vue quant au rôle qu’elles jouent : lepremier que l’on retrouve chez Norman (2004) consiste à considérer lesémotions comme étant un facteur antécédent à l’usage d’un produit etsuscité par ce dernier. Il y aurait par conséquent une relation « directe »entre la manière dont les produits ont été conçus et les émotions qu’ilssuscitent. Le deuxième point de vue que l’on retrouve chez Desmet,Hekkert et Hillen (2004) et Hassenzahl et Tractinsky (2006) considèrentles émotions comme une conséquence de l’interaction avec les produitsapparaissant après un processus évaluatif mettant en rapport certainescaractéristiques des utilisateurs (intérêt, besoins, valeurs) et certainescaractéristiques d’un produit.

Malgré ces critiques, les approches qui envisagent la conception desproduits du point de vue de leurs propriétés esthétiques, du plaisir qu’ilsprocurent ou des réactions émotionnelles qu’ils suscitent, vont introduiredes changements importants dans la manière d’envisager les interactionsutilisateur/produit.

III .3. L’EXPÉRIENCE DE L’UTILISATEUR

La notion d’ « expérience de l’utilisateur » peut être envisagée dans unpremier temps comme un cadre intégrateur, inclusif et holistique des dif-férentes composantes relatives à l’interaction utilisateur/produit qui cons-tituent autant de variables permettant de rendre compte de l’expériencesubjective de l’utilisateur.

Cependant, il n’y a pas une approche « expérience de l’utilisateur »mais des approches, étant donné la diversité de points de vue disciplinai-res, méthodologiques et conceptuels sur le sujet. Il est donc difficile detrouver un consensus permettant d’arriver à une définition unique de cequ’on peut entendre par « expérience de l’utilisateur ». Dans ce sens, undes apports éventuels de ce concept serait de servir de « conceptparapluie » (Instone, 2005) permettant d’intégrer les apports des diffé-

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rents champs disciplinaires et professionnels participant au processus deconception.

Norman et Draper (1986), en se questionnant sur ce qui est essentielpour l’étude des interactions, préfigurent en quelque sorte l’émergence decette perspective de recherche et d’application : « À quoi ressemble l’expé-rience de l’utilisateur ? En fin de compte, celle-ci est la question centralequi sous-tend toute conception centrée utilisateur » (p. 4).

Quels peuvent être les contours conceptuels de cette notion ?On peut trouver une revue de la littérature sur le sujet chez Kankainen

(2002), Hassenzahl et Tractinsky (2006) et Mahlke (2008). Voici quel-ques-unes des définitions qui y sont proposées :

Pour Kankainen (2002), « l’expérience de l’utilisateur est le résultatd’une action motivée dans un certain contexte. L’expérience antérieure del’utilisateur et ses attentes influencent l’expérience actuelle, et celle-ciconduit à des nouvelles expériences et des nouvelles attentes » (p. 30).Pour Arhippainen et Tähti (2003) l’expérience de l’utilisateur est le résul-tat de l’interaction de cinq catégories de facteurs : sociaux, culturels, ceuxliés aux caractéristiques de l’utilisateur, ceux liés au contexte et ceux liésaux caractéristiques du produit. Enfin, Hassenzahl et Tractinsky (2006,p. 95) définissent cette notion comme « la conséquence de l’état interne del’utilisateur (prédispositions, attentes, besoins, motivations, humeur, etc.),des caractéristiques du système (par ex. complexité, objectif, utilisabilité,fonctionnalité, etc.) et du contexte (ou environnement) dans lequel ontlieu les interactions ».

Communément à toutes les définitions, nous retrouvons l’expériencede l’utilisateur comme résultante de l’interaction d’un ensemble defacteurs.

À partir d’une revue de la littérature et de résultats empiriques derecherches, Mahlke (2008) propose un modèle (CUE-Model), ou uncadre d’analyse, qui intègre la plupart des composantes de l’expérience del’utilisateur qu’on retrouve dans les différentes approches.

L’expérience de l’utilisateur comporte trois dimensions : la perceptiondes qualités instrumentales qui correspondent à l’utilité perçue et auxautres composantes du point de vue classique de la notion d’utilisabilité,et la perception des qualités non instrumentales (esthétique, valeurs véhi-culées, facteurs motivationnels, etc.). Ces deux aspects de la qualité duproduit influencent directement nos réactions émotionnelles, la troisièmedimension du modèle, qui peuvent se manifester par l’apparition de diffé-rents indicateurs (sentiments subjectifs, expressions motrices et compor-tementales, réactions physiologiques, évaluation cognitive). Contraire-ment à d’autres modèles, l’auteur n’établit pas de lien direct entre lesréactions émotionnelles et les manifestations comportementales. Les réac-tions émotionnelles seraient influencées par la perception des qualités à lafois instrumentales et non instrumentales.

Par ailleurs, dans ce modèle, les propriétés du système affectent à lafois la perception des qualités instrumentales et non instrumentales desproduits. Les caractéristiques de l’utilisateur et les paramètres du contexteont une influence sur les interactions entre les trois dimensions de l’expé-rience utilisateur évoquées plus haut, ainsi que sur les conséquences de

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l’expérience de l’utilisateur (jugements et comportements). Les qualitésinstrumentales et non instrumentales sont perçues par les utilisateurscomme étant indépendantes, bien que les réactions émotionnelles soientinfluencées par ces deux catégories de facteurs, ce qui va à l’encontre desaffirmations de Norman (2004).

Il nous a semblé pertinent de présenter ce modèle, car à notre connais-sance, c’est un des seuls qui essaie d’intégrer les différents aspects de l’ex-périence de l’utilisateur qu’on retrouve éparpillés dans la littérature, en lesétayant par des données expérimentales. Bien que cela ne soit pas men-tionné de manière explicite, ce modèle intègre également des composan-tes des approches dites de l’ « acceptabilité » qui se sont développées,

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Fig. 1. — Cadre de recherche pour l’étude de l’expérience de l’utilisateur(adapté de Mahlke, 2008)

Framework for user experience research(adapted from Mahlke, 2008)

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indépendamment des approches de l’utilisabilité, plutôt dans uneperspective épistémologique sociocognitiviste (Davis, 1989 ; Venkatesh,Morris, Davis, & Davis, 2003 ; voir aussi les autres articles de ce numérospécial pour les approches d’acceptabilité). Parmi ces caractéristiques,nous pouvons noter principalement l’utilité perçue et les facteursmotivationnels.

Mais un des constats, dans la plupart des approches de l’utilisabilitéou de l’expérience de l’utilisateur est l’oubli de la dimension temporelle del’activité. Le degré d’acceptabilité d’un produit, sa perception subjective,les problèmes liés à l’usage varient en fonction des différents moments dela confrontation du sujet avec l’objet et de l’expérience et la connaissanceque l’individu possède de celui-ci : première impression, premier usage,usage sporadique, usage quotidien. Par conséquent, la prépondérance decertains facteurs comme prédicteurs de l’activité (objective ou subjective)du sujet ne peut pas être dissociée de la dimension temporelle de l’usage.Certains facteurs, comme les propriétés esthétiques, peuvent être détermi-nants pour former les premières impressions et aboutir à l’acte d’achat,mais perdre par la suite de leur force au profit de la facilité d’usage. Cer-tains facteurs peuvent être parfois fortement corrélés, comme les proprié-tés esthétiques et les valeurs culturelles à un moment donné ou, au con-traire, devenir complètement indépendants sous l’effet de changementsdans les normes sociales (effets de mode, par exemple).

III .4. DE NOUVELLES APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES ?

La question principale posée par ces nouvelles approches de la relationaux produits est de savoir de quelle manière on peut accéder à l’expé-rience de l’utilisateur pour rendre compte de celle-ci.

Les mesures typiques en termes de temps requis pour réaliser la tâche,nombre et nature des erreurs, temps d’apprentissage et les méthodologiesde recueil de données qui les accompagnent s’avèrent insuffisantes pourprendre en compte la multiplicité des facettes de l’interaction que ce cou-rant de recherche se propose d’étudier (voir Tullis & Albert, 2008, pourune présentation détaillée de certaines méthodologies).

Le premier signe de ce changement méthodologique a été la multipli-cation des échelles d’appréciation subjectives, soit pour étudier l’utilisabi-lité globale des produits, soit pour étudier le niveau de satisfaction àl’égard des produits (SUMI : Software Usability MeasureMent Inventory ;SUS : System Usability Scale ; QUIS : Questionnaire for User Interface Satisfac-tion ; WAMMI : Website Analysis and Mesurement Inventory, etc.). Dans lemême registre des évaluations subjectives, on retrouve des méthodologiesvisant à évaluer un aspect particulier d’un produit, telles que l’apparenceou l’esthétique, ou à établir un profil qualitatif. Un exemple de cetteméthodologie est l’outil mis au point par Bandini-Butti, Bonapace et Tar-zia (1997) : SEQUAM (Sensorial Quality Assessment Method), ou la méthodeKansei (Nagamachi, 1995).

Du point de vue de l’évaluation subjective des émotions, ou des étatsaffectifs, la construction de la plupart de ces outils obéit à des principes de

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la psychométrie, qui sont censés rendre compte de tel ou tel facteur del’approche théorique qui les sous-tend. Parmi ces outils, on peut souli-gner, de par leur originalité, SAM (Self Assesment Manikin), de Lang(1985), et un instrument similaire PrEmo (Desmet, 2003). Tous les deuxvisent à rendre compte des émotions ou des états émotionnels suscités parles produits utilisés, mais leur particularité réside dans le fait qu’à la placed’une échelle verbale, les items sont représentés par des pictogrammesd’individus schématisés, dont chacun renvoie à un état émotionnel parti-culier. L’objectif de cette méthodologie est de pallier les biais liés au lan-gage dans l’expression des émotions, mais aussi de faciliter la tâche dessujets possédant des compétences langagières limitées (enfants, etc.).

On peut retrouver chez Westerman, Gardner et Shutherland (2006)une analyse critique des principaux instruments psychométriques destinésà évaluer les émotions suscitées lors de l’interaction avec des systèmestechniques. Par ailleurs, étant donné la prolifération de ce type d’outilsdans le domaine de l’utilisabilité et de l’expérience utilisateur, Green,Dunn et Hoonhout (2008), ont élaboré l’outil SAFE (Scale Adoption Fra-mework for Evaluation) qui devrait permettre d’évaluer les qualités métri-ques des instruments proposés, en termes de validité de construction, devalidité prédictive et de fidélité.

Enfin, une dernière catégorie de méthodologies visant à recueillir cettefois-ci des données objectives est celle qui utilise l’enregistrement d’indi-cateurs physiologiques pour rendre compte des émotions ou des étatsaffectifs, avec tous les problèmes d’interprétation que cela comporte. Cer-taines de ces méthodologies ne sont pas nouvelles, puisqu’elles étaientdéjà utilisées en ergonomie physique ou en ergonomie cognitive. Ce quiest nouveau, c’est l’objet sur lequel porte l’analyse : mesure de la dilata-tion pupillaire pour rendre compte de l’attractivité ou de la surprise face àun produit, étude de l’expression faciale ; détection des émotions susci-tées par les produits à partir de l’enregistrement du rythme respiratoire,rythme cardiaque, réponse électrodermale, etc.

IV. CONCLUSION

L’expression « expérience utilisateur » est de plus en plus utilisée dansdes contextes où l’on utilisait il y a peu celle d’ « ergonomie des logiciels »puis celle d’ « utilisabilité ». Ce terme a fait croire à certains qu’un nou-veau domaine de recherche s’ouvrait, que des spécialistes d’un nouveaugenre faisaient leur apparition. Peut-être est-ce effectivement le cas. Tou-tefois, il ne faudrait pas oublier que l’objectif semble toujours être de satis-faire les utilisateurs et qu’à cet égard, l’expérience utilisateur est toujours,nous semble-t-il, directement liée à l’ergonomie bien que ce contexte nousincite à nous interroger sur ses implications. Rappelons que l’ergonomiedes logiciels et le domaine de l’utilisabilité se sont d’abord intéressés àl’adéquation des systèmes interactifs aux besoins des utilisateurs dans descontextes de travail. Les tâches et les activités des utilisateurs devaient êtreétudiées. Les ergonomes se sont par la suite intéressés à des contextes

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domestiques, de loisirs et plus généralement d’information et de commu-nication. De ce fait, ils se sont tournés vers des utilisateurs pouvant ounon avoir des besoins plus ou moins bien définis. Dans certains cas, ils sesont vus impliqués dans des projets où les utilisateurs potentiels n’étaientpas bien définis (voir à ce propos, Brangier & Bastien, 2009, sous presse).Cette évolution des domaines d’applications et l’élargissement desutilisateurs potentiels ne sont sans doute pas étrangers à l’évolution desconcepts.

Le domaine de recherche portant sur l’expérience de l’utilisateur avecdes produits ou des systèmes techniques est en pleine évolution, aussi biend’un point de vue théorique que méthodologique. Si l’ergonomie seretrouvait assez bien dans l’approche classique de l’utilisabilité, puisqu’ils’agissait d’une extension des théories et des pratiques existantes dans ledomaine de l’ergonomie cognitive, le développement des approches ditesde l’ « expérience utilisateur », obligent l’ergonomie à se questionner surses contributions et sa place dans ce nouveau champ de rechercheémergent.

Deux options s’offrent à elle : continuer à s’occuper des aspects pure-ment ergonomiques : analyse des tâches et de l’activité en termes d’activi-tés cognitives, ou envisager de nouvelles collaborations avec les approchesde l’expérience de l’utilisateur. Pragmatiquement, cette dernière optionne devrait pas poser trop de problèmes, car les ergonomes, surtout ceuxqui ont une approche psychologique de l’activité, possèdent les ressourcesthéoriques et méthodologiques pour s’intégrer dans ces nouvellesorientations.

D’un point de vue méthodologique, ces approches ne sont pas nou-velles pour les psychologues, que ce soit les approches relevant de l’éva-luation sensorielle, de la psychométrie ou des mesures physiologiques. Lespsychologues et les ergonomes peuvent dans ce sens contribuer au déve-loppement de ces outils et s’assurer de leur validité et de leur fidélité(Law, Bevan, Christou, Springett, & Lárusdóttir, 2008).

D’un point de vue théorique, nous constatons surtout un éparpille-ment d’approches pluridisciplinaires. Le psychologue ergonome a un rôleà jouer surtout dans le recentrage de la relation au produit autour de l’ac-tivité psychologique des utilisateurs.

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RÉSUMÉ

Nous assistons actuellement à un foisonnement de concepts et de méthodolo-gies, qui gravitent autour de l’idée selon laquelle les produits et les systèmes tech-niques que l’on utilise, aussi bien dans le monde du travail que dans la vie quoti-dienne, doivent satisfaire à un certain nombre de critères pour être acceptés etutilisés dans de bonnes conditions. Ces nouvelles conceptions (notamment cellesqui gravitent autour de la notion d’ « expérience utilisateur ») obligent l’ergo-nomie à se questionner sur la place qu’elle occupe dans la conception de produitset de systèmes techniques, sur ses apports et ses emprunts disciplinaires, et sur lerenouvellement de ses outils méthodologiques. Ce texte vise à rendre compte de cequestionnement et de ces évolutions.

Mots-clés : Utilisabilité, Émotion, Plaisir, Expérience utilisateur, Acceptabilité, Concep-tion de produits.

Manuscrit reçu : avril 2009.Accepté après révision par M.-É. Bobillier-Chaumon

et M. Dubois : septembre 2009.

Acceptabilité, ergonomie et expérience utilisateur 331