thx et surveillance

23
Christopher MARCO Master 1 Recherche – Semestre 2 Paris III – Sorbonne-Nouvelle Cinéma, voyeurisme et surveillance - Teresa Castro - Pour une dialectique de la surveillance dans « THX 1138 » de George Lucas Le DVD utilisé dans le cadre de ce dossier est l'édition française Warner Bros. Home Entertainment présentant la version « director's cut » du film de George Lucas. Lorsqu'il s'agira de faire référence à des plans ou séquences précis, le time-code du DVD sera présenté de la manière suivante : [H:MM:SS]. Il se peut que selon le lecteur de DVD, le time-code soit différent de celui indiqué ; je m'en excuse par avance. 2012

Upload: christopher-chris

Post on 23-Jul-2015

86 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

Page 1: THX Et Surveillance

Christopher MARCOMaster 1 Recherche – Semestre 2Paris III – Sorbonne-Nouvelle

Cinéma, voyeurisme et surveillance - Teresa Castro -

Pour une dialectique de la surveillance dans « THX 1138 » de George Lucas

Le DVD utilisé dans le cadre de ce dossier est l'édition française Warner Bros. Home Entertainment présentant la version « director's cut » du film de George Lucas.

Lorsqu'il s'agira de faire référence à des plans ou séquences précis, le time-code du DVD sera présenté de la manière suivante : [H:MM:SS]. Il se peut que selon le lecteur de DVD, le time-code

soit différent de celui indiqué ; je m'en excuse par avance.

2012

Page 2: THX Et Surveillance

Introduction

C'est au cours de sa formation universitaire que George Lucas imagine l'univers de THX 1138. En

1967, il réalise Electronic Labyrinth THX 1138 4 EB, court-métrage d'anticipation dans lequel il

décrit une société souterraine où l'individu n'est plus que le maillon d'une gigantesque chaîne ; ces

membres sont hautement surveillés par une organisation invisible, omnisciente, administrative et

technologique. THX 1138, un simple ouvrier parmi des milliers, décide de défier les lois de ce

système panoptique en prenant la fuite pour remonter à la surface ; animé par la quête d'une liberté

dont il n'a encore jamais goûté.

Quelques années plus tard, Lucas approfondi avec son co-scénariste et concepteur sonore, Walter

Murch, la dimension orwellienne (en introduisant le thème de l'amour prohibé) et le dispositif de la

surveillance dans un scénario de long-métrage qui sera réalisé en 1971. A cela s'ajoute les thèmes de

l'absence de bonheur, du consumérisme, de la répression, du labyrinthe manifeste et mental que va

chercher à fuir le personnage-titre (interprété par Robert Duvall), devenu figure d'un individualisme

interdit malgré le soutien de ses compagnons de route qui est le vecteur de sa motivation et son élan

de fuite. Produit dans le cadre de la toute jeune société co-fondée par Francis Ford Coppola,

American Zoetrope, THX 1138 parvient à réunir avec peine, malgré la présence du studio Warner

Brother comme co-producteur, un budget dérisoire de 777 000 dollars. Son économie s'avèrera être

une force pour le metteur-en-scène qui développe une esthétique épurée ; de la science-fiction

minimaliste où la force du hors-champ est convoquée et la dimension carcérale radicalisée.

Il s'agira, au cours de cette étude, de réfléchir à la façon dont Lucas joue avec le langage

cinématographique, où dispositif cinématographique et dispositif de surveillance se confondent. On

rapprochera le monde totalitaire dépeint par le réalisateur américain au panoptisme tel que Foucault

le présentait dans son essai1 huit ans après Electronic Labyrinth THX 1138 4 EB. La question de la

surveillance acoustique fera l'objet d'une ultime partie.

I – Téléviser le champ cinématographique : l'étude scalaire.

Dès les premières minutes de son film d'anticipation, Georges Lucas plante le décors de son

histoire [un univers futuriste, des observants et des observés dont l'apparence ne permet pas de les

différencier], construit une esthétique de l'écran et brouille, à de nombreuses reprises, les pistes en

procédant à une inversion inattendue de la grammaire-image diégétique (celle des écrans) avec celle

du langage proprement cinématographique (la façon dont Lucas élabore sa mise-en-scène par les

choix de ses cadres et de ses échelles de plan).

1 Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975

Page 3: THX Et Surveillance

Témoignant d'une société ultra-surveillée, les moniteurs cathodiques apparaissent comme

l'un des motifs les plus répétés et sérialisés ; marquant ainsi l'un des enjeux esthétiques et narratifs

du film : téléviser le champ cinématographique pour restreindre l'espace de liberté des protagonistes

ainsi que le cheminement du regard du spectateur.

Dans le plan situé à [0:04:42], champs de l'écran cathodique et du cadre cinématographique se

confondent. Il suffit que Lucas passe ensuite par un plan demi-ensemble du lieu – une salle de

contrôle dont un début de profondeur de champ à droite du cadre nous laisse imaginer ses

dimensions extravagantes – pour comprendre qu'il était au préalable passé par un très gros plan qui

braquait cette écran à notre regard.

Ces observateurs qui nous font dos dans les plans larges (sorte de mise en abime de la salle de

cinéma, 0:04:46) sont comme des cinéastes voyeurs dans leur façon d'utiliser leurs outils de capture

en temps réel dans le but de s'immiscer dans l'intimité de leur congénère avec un soucis

d'orchestration et de composition. Dans la séquence située à 00:39:26, nous retrouvons ces plans

rapprochés et gros plans sur des moniteurs cathodiques, points de vues optiques d'observateurs

présents dans la diégèse en hors champs, nous présentant THX dans une suite de positions dont il ne

semble pas avoir le contrôle. Ces observateurs zooment et dézooment, manipulent l'image comme

s'ils tiraient les ficelles d'une marionnette à taille humaine. On constate un déplacement du travail

du cinéaste par l'insertion de plans nous glissant directement aux côtés du personnage, en

choisissant de garder une fixité de mouvement et d'échelle quitte à perdre le personnage bord cadre.

On peut voir cette séquence comme une critique de la télévision qui surdécoupe, multiplie les gros

plans, pour démontrer inlassablement que est le médium audiovisuel le plus proche des individus.

Une télévision qui, à force d'imiter le cinéma a fini par la caricaturer. L'alternance entre les plans de

téléviseurs et les cadres dans l'espace scénique où se situe THX éclaire les paroles du cinéaste

David Lynch qui, dans une interview2 disait : “La télévision, c'est du téléobjectif, tandis que le

cinéma, c'est du grand angle”. En menaçant son personnage de sortir du cadre et en gardant ses

distances, Lucas renvoi au cinéaste et son besoin de mysticisme tandis qu'il associe le procédé

télévisuel à celui de la crudité, de l'intrusion et de la révélation. Si le procédé de montage qu'utilise

Lucas dans cette séquence n'est pas aussi radical que certains films des premiers temps qui faisaient

succéder des points de vue différents sur une même scène en rupture avec une certaine conception

linéaire caractéristique du cinéma classique3, l'idée d'ubiquité du spectateur est bien présente.

Désignés comme le spectateur privilégié de la scène, nous sommes projetés successivement, et de

façon répété, au côté du personnage-titre et dans la salle de contrôle. Dans la salle, les « bip-bip »

2 Libération du 5 juin 1992

3 Nöel Burch, « Le Voyage Immobile : constitution du sujet ubiquitaire », in La Lucarne de l'infini. Naissance du langage cinématographique, Paris, Nathan, 1990, p. 197.

Page 4: THX Et Surveillance

sonores s'accélèrent et les passages dans le lieu carcéral de plus en plus bref. Et c'est dans un jeu

d'ilinx, tel que l'a conceptualisé l'anthropologue, Roger Caillois4 (spécialiste des expériences

ludiques) qu'est pris le spectateur ; Lucas faisant de cette séquence une sorte d'attraction

sensationnelle qui vient brouiller la question du « qui regarde ? ».

Le dispositif du grossissement, dans une volonté de voir plus près, ne passe pas uniquement pas le

zoom. Dans la première scène présentant LUH, le personnage féminin, sur son lieu de travail (la

salle de contrôle), les plans rapprochés et gros plans des images télédiffusées sont une sorte de point

de vue optique de cette dernière. Le plan situé à [0:06:10] consiste en un panoramique droite gauche

faisant apparaitre des écrans de plus en plus proches de notre regard. Ce grossissement panoramique

dramatise l'action vue à travers les cathodiques. Ces derniers retransmettent les images de la caméra

de surveillance située dans les pharmacies individuelles de chaque logement ; ici nous découvrons

au fur et à mesure que nous passons d'un écran à un autre que ce qui avait déclenché l'alerte était la

bêtise d'un petit garçon. Sans coupe de montage, en utilisant une continuité dans une logique de

découverte et de surprise (LUH esquisse un sourire dans le plan suivant), Lucas obtient un effet plus

fort que s'il avait utilisé plusieurs plans avec des échelles de plus en plus réduites sur le sujet, en

utilisant des raccords dans l'axe.

En filmant plusieurs écrans proposant des échelles différentes sur une même action [0:06:32], on

observe une fragmentation de l'image. Les plans larges dans la salle de contrôle ne font que

démultiplier la même image comme Lucas le fait pour les figures humaines dans les plans larges

montrant le quotidien de la communauté dans les centres commerciaux et les couloirs de ce monde

souterrain ; tandis que pour les plans rapprochés et gros plans, cela fonctionne comme une sorte de

split screen naturel. L'écran divisé étant une figure stylistique très prisée à la fin des années 60.

Dans Dionysus [1969], Brian De Palma réalisait une captation d'une performance collective en split

screen avec d'un côté du cadre le point de vue du cinéaste au coeur de l'espace scénique et de l'autre

le point de vue des spectateurs situés autour de la scène : c'est un peu ce que l'on retrouve ici

[0:07:00] avec dans l'écran de gauche une scène spectaculaire d'un accident filmé en plan

d'ensemble, et à droite un plan moyen sur des figures passives vues de dos et témoins de la

catastrophe. Cadres dans le cadre, mises en abimes des échelles, le metteur en scène joue avec

4 Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1958. L'ilinx est la sensation de vertige du joueur face à une expérience

ludique intense.

Page 5: THX Et Surveillance

l'espace du filmique et suggère une sorte de point de vue omniscient de cette autorité invisible sur

un monde où chaque geste et expression doit être mesuré.

Démultiplication du motif, confrontations scalaires, split screens : les écrans font leur cinéma

Les écrans, par leur pauvre capacité à reproduire une image bien définie et ses nuances lumineuses,

fonctionnent comme des filtres de censure dans une logique de prohibition. Censure de la violence

[0:06:17 : où la scène de l'accident radioactif ne dévoile ses images les plus violente qu'à travers le

prisme de l'écran], censure de la sexualité [0:06:42, scène réduit à des mouvements, des corps

informent caressés mais masqués par un effet de clearscan, ces bandes noires qui balayent l'écran

de façon régulière]. Réduites à des taches noires, les figures humaines se dévitalisent et deviennent

ectoplasmes.

L'ambiguïté de la mise-en-scène de Lucas adoptant un point de vue identique à celui de l'autorité

supérieur se reflète à travers une curiosité située dans la première séquence du film où le

personnage nommé SEN (interprété par Donald Pleasence) regarde un écran sur lequel est télé-

diffusé un gros plan du visage de LUH. Dans le plan suivant, nous retrouvons cette même échelle

de plan et ce même cadrage en l'absence du prisme de l'écran : les deux grammaires visuelles

[intradiégétique et celle de la réalisation] se confondent en un raccord [0:05:10 ---> 0:05:19]. Ce

dispositif de la surveillance, on le retrouve clairement à travers la scène où l'on voit THX fréquenter

le confessionnal pour la première fois [0:09:11] : le premier plan serré divise la composition du

cadre en trois espaces, disposition dans laquelle le personnage semble s'adresser à un mur (le prêtre

est remplacé par un système robotisé) mais quelque chose le regarde (l'espace du milieu

représentant un portrait quasi-christique). Ce cadre du milieu fonctionne déjà comme un gros plan

qui symbolise et gigantise un regard scrutateur. Située à l'extérieur de l'espace du confessional, la

caméra de Lucas va ainsi pouvoir jouer avec des premiers plans de passages dont on devine qu'il

s'agit de corps humains. Ces corps coupés par le cadre ne sont donc pas désignés comme tels, et

Lucas semble vouloir – à travers cette déréalisation - reproduire les effets de distorsion d'images (le

fameux clearscan) que l'on retrouvait sur ces plans tellement rapprochés sur la surface des écrans

que les défauts prenaient le pas sur la figuration (jusqu'à la défiguration, la déshumanisation, à

l'image du second plan du film présentant un visage brouillon de THX). En l'absence d'une

Page 6: THX Et Surveillance

profondeur de champ, les trois espaces qui devraient être situés dans le lieu à des plans différents

(premier, arrière-plan et intermédiaire) forment une surface planent, simplement séparés par des

cadres dans le cadre formant un drôle de tryptique : le choix de la longue focale poursuit cette

logique de recréation d'une image télévisuelle ; télévision qui a tendance à écraser toute perspective

car l'impression de profondeur à petite échelle perdrait son effet. Le plan suivant est un raccord dans

l'axe ; on s'est approché comme lorsque l'on switch d'un écran à un autre. La symbolique de l'oeil se

renforce, et ce motif semble vouloir se planter dans le cortex du personnage pour tenter d'y lire ses

pensées [“De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il

y en avait un sur le mur d'en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis

que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston”5]. Nous sommes si proche que les corps

qui défilent au premier plan sont réellement devenu effets de distorsion. Et les reflets se déplaçant

sur le visage de THX rappellent les photons tout azimut des écrans à tube : à force de trop

s'approcher on finit par perdre de la visibilité. Le dernier plan de la séquence [0:11:19] ne nous

permet pas d'identifier, dans un premier temps l'échelle de plan auquel nous sommes confronté. Les

éléments de décors ne sont que motifs géométriques verticaux rappelant les barreaux d'une prison.

Un plan large situé à la fin du film [1:20:57] - contre-plongée sur un plafond strié occupant une

grande partie du cadre, fonctionne comme un renversement de ces barreaux de prison que THX a pu

traverser en réussissant à s'échapper.

L'autre effet référentiel à un dispositif de contrôle est l'utilisation de plan demi-ensembles associés à

des télé-objectifs. Dans certains plans où les personnages principaux sont noyés dans la foule [ex :

00:23:56] la caméra fonctionne comme un pointeur : les personnages apparaissent d'abord au loin

mais sont à la bonne distance focale ; tout ce qui se trouve autour d'eux est éliminé par un champ de

focalisation réduit. Si nous ne sommes pas dans l'imagerie militarisée et la verticalité de son

dispositif évoquées par Jordan Crandal dans son article « Vision Armée »6, l'idée d'une fonction de

pistage et de ciblage, d'une image qui n'est plus directement offerte à notre regard (tant elle sous-

tend l'idée d'un observateur intermédiaire) est bien présente. Notons également que le son fait partie

prenante de la scénographie de la surveillance développé par Lucas et Murch par son caractère de

contre-point par rapport à l'échelle image : même lorsque les personnages sont loin du dispositif de

prise de vue, l'échange entre LUH et THX se détache du son de la foule pour apparaître au premier

5 George Orwell, 1984, Londres, Secker & Warburg, 1949.6 Multitudes, n°15, 7 février 2004, p.63.

Page 7: THX Et Surveillance

plan. Dans leurs déplacements, les personnages se déplacent - passant de l'arrière plan au premier

plan - comme s'ils s'offraient de manière consciente au dispositif de surveillance.

Ces corps constamment télévisés sont conscients de l'être et finissent par mettre en scène

leur visage et leurs expressions malgré les interdits. Dans la première scène où le couple formé par

THX et LUH se retrouvent chez eux, un plan montre bien se rapport filmant/filmé (qui sera la base

et l'équilibre de la télé-réalité quelques décennies plus tard) : LUH, filmée en gros plan épaule, a

entendu THX rentrer de sa journée à l'usine ; elle l'appelle mais celui-ci ne la rejoint pas.

L'inquiétude peux se lire sur le visage de LUH, et après un temps, elle esquisse un regard caméra de

quelques secondes avant de s'approcher. Au cours de son mouvement, la manipulation du chef-

opérateur se fait sentir pour retrouver un réglage de la focale satisfaisant. Action, réaction. Mettre en

scène ses sentiments ou au contraire les cachés ? Cela est ambigüe bien que la dernière supposition

est évidente. Une fois découvert le dispositif (elle travaille en salle de contrôle et sait donc

parfaitement sous quels angles elle est surveillée), elle semble vouloir fuir le gros plan qui, lui,

cherche à éclairer ses intentions : n'y parvenant pas vraiment (elle se retrouve bord cadre) elle

réussit toutefois à masquer ses émotions en plongeant son visage dans l'obscurité. Cette valeur de

plan pourrait être une libre adaptation d'un passage du recueil littéraire de George Orwell, 1984,

dans lequel Winston, le personnage principal, profite d'une installation anormale du « télécran »

(dispositif de vidéo-surveillance fictionnel) dans son appartement pour entreprendre son journal

intime : “Quand il s'asseyait dans l'alcôve, bien en arrière, Winston pouvait se maintenir en dehors

du champ de vision du télécran. Il pouvait être entendu, bien sûr, mais aussi longtemps qu'il

demeurait dans sa position actuelle, il ne pouvait être vu”. Comme nous le rappelle Michel

Foucault, « Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu ».

De la même manière que LUH semblait se mettre en scène en s'approchant du dispositif de

surveillance, c'est un corps las, épuisé - celui de THX - que l'on retrouve dans un des couloirs du

centre commercial et qui, en se dirigeant vers nous, devient une expression remplissant le champ :

un corps qui grossit puis disparait pour se substituer à quelque chose d'encore plus fort ; un visage

vide, sans expression, sans fierté, qui a appris pendant toute ses années à se voiler [0:08:40 -->

0:48:50] : dans son chapitre “L'image-affection : visage et gros plan” présent dans L'image-

Page 8: THX Et Surveillance

mouvement7, Deleuze décrit ce phénomène d'un mouvement de personnage qui dans le plan

d'ensemble apparaissait comme translation et qui, part l'intervention d'un gros plan, se mute pour

devenir un affect.

A partir de sa rencontre avec l'hologramme (interprété par Don Pedro Colley), dans la deuxième

moitié du film, il s'agira pour THX d'échapper à sa condition de figure télévisée. C'est ainsi qu'au

sein d'un des plan final précédemment cité [1:20:55], au moment où le personnage a réussi à fuir en

dépassant la “dead zone”, THX semble avoir enfin traversé l'écran cathodique : ce gros plan en

contreplongé fait passer le plafond aux stries horizontales pour un effet de clearscan défilant non-

plus devant lui mais bien derrière.

Et le dernier plan s'offre à nous comme la véritable image cinématographique. On est passé d'

« images-machines » telles que le relève Jordan Crandal8 à une image en voie de disparition : celle

d'une ombre cerclée dans la lumière du grand projecteur du monde, chaud et spectaculaire.

Le dernier plan : des images-machine à l'image-rêve

II – Construction des espaces, cadre carcéral et panoptisme.

1) Espaces géométriques et mathématique

« Espace découpé, immobile, figé. Chacun est arrimé à sa place. Et s'il bouge, il y va de sa vie,

contagion ou punition »9.

Observons une des séquences de la chaîne ouvrière [0:30:00] où travaille le personnage de Robert

Duvall. Les ouvriers sont chargés de construire les androïdes qui, une fois mis en service, auront

pour fonction de faire régner l'ordre. Dans cet extrait, THX est distrait et n'arrive pas à se concentrer

7 Paris, Les Editions de Minuit, 1983.8 Vision armée, 1999.9 Michel Foucault, Le Panoptisme.

Page 9: THX Et Surveillance

sur son activité qui demande de la minutie. Et ce qui devait arriver, arrive : d'un mauvais geste il

manque de provoquer un grave accident. Les personnes chargées de leur surveillance prennent la

décision de couper provisoirement les connexions nerveuses de son cerveau. A partir d'un gros plan

montrant les touches d'un clavier actionnées [0:31:20], Lucas multiplie ces « plans de commandes »

avant d'arriver à ce très gros plan sur le visage de THX, illustrant la conséquence de ces

manipulations. Un gros plan sur un geste entraine toujours une réaction en chaine. Nous évoquons

la chaîne car le phénomène est le même lorsque l'on observe les gros plans sur les gestes de THX

qui, à l'aide de commandes à distances, actionne des bras mécaniques [ex : 0:31:00 ---> 0:31:06].

Les gros plans s'enchainent comme si chacun d'entre eux était une des pièces posées sur le plan de

travail et arrivant vers l'ouvrier. Ce rapport manipulant/manipulé à distance nous renvoie à l'une des

étapes de fabrication d'un film qui est en jeu ici : le montage, consistant en une manipulation

d'images pré-enregistrées - la distance est ici temporelle. Avec le montage numérique, aujourd'hui,

la distance est aussi matériel : plus de contact direct avec la matière. Ce contact indirect, THX doit

s'y soumettre à la fois dans son activité professionnelle mais aussi dans sa vie de couple où la notion

de contact est tout simplement prohibée. La coupe de montage, renforcée par les changements cuts

des ambiances sonores, délimite les espaces entre deux acteurs pris dans un même système.

Un geste et sa conséquence

« Cet espace clos découpé, surveillé en tous ses points, où les individus sont insérés en une place

fixe, où les moindres mouvements sont contrôlés, où tous les évènements sont enregistrés, ou un

travail ininterrompu d'écriture relie le centre et la périphérie, où le pouvoir s'exerce sans partage,

selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est constamment repéré, examiné et

distribués entre les vivants, les malades et les morts – tout cela constitue un modèle compact du

dispositif disciplinaire ».

Le plan moyen et demi-ensemble possède une dimension carcérale. Le plan situé à [0:08:19] est

représentatif d'un système de plans larges qui n'en sont pas, lorsque le réalisateur met en scène la

structure habitée : ici, seul l'espace réduit de l'ascenseur laisse l'oeil s'y enfoncer car il est le seul à

proposer un début de profondeur. L'art d'une échelle-paradoxe (un plan large rétréci) lié à l'art de la

composition. Cet autre plan [0:20:30] traduit expressément, en quelques éléments agencés dans le

plan (un espace scindé en deux – vitre et mur – un personnage coincé dans un des deux espaces, une

étiquette affichant “espace non-assigné”) l'absurdité d'un monde qui enferme ces habitants dans des

sas provisoires, jusqu'à ce que leur “date de péremption” (leurs immatriculations respectives les

Page 10: THX Et Surveillance

rattache à un produit) soit dépassée et qu'on les retrouve dans des bocaux entreposés sur d'immenses

étagères labyrinthiques. D'ailleurs, dans cette séquence où l'on retrouve THX et l'hologramme parmi

ces étagères, Lucas multiplie les encadrements des visages quelque soit l'échelle de plan : il s'agit à

la fois de montrer que les personnages sont cernés car en fuite mais aussi de retrouver un dispositif

de mise en abime du gros plan dans le cadre ; ce que les plan serrés sur les écrans cathodiques

réalisaient. Les corps sont, encore une fois, condamnés à n'être que des images télévisées.

Pour Deleuze10, il faut désormais parler de société de contrôle plutôt que de société disciplinaire

dont le panoptisme formait le modèle idéal. La société de contrôle décrite par Deleuze est davantage

mathématique (code informatique, matricules, argent...). Il faut voir comment les figures humaines

sont parfois, dans THX, réduits à des données numéraires, au même titre que ces informations

chiffrées défilant sur les écrans scientifiques ou de surveillances. Lucas filme un collectif à visage

unique par l'utilisation de plans larges qui réduisent les membres de cette collectivité à une forme

venant se répéter dans l'espace – au même titre que certains éléments du décors [0:20:50].

Lorsqu'on s'approche de ce groupe [le plan suivant], c'est pour saisir un mouvement, une attitude et

un déplacement à l'unison plutôt que des visages qui défilent trop vite pour que l'oeil puisse s'y

attarder. Les scènes de couloirs nous font, par ailleurs, penser à des bus informatiques dans lesquels

circuleraient des flux d'information. En guise de séries de « 0 » et de « 1 », des visages et des corps

non-identifiables défilent les uns derrière les autres. Nous nous approchons enfin de cette foule

lorsque THX, SEN et SRT ouvrent la porte de sortie de l'asile aux murs blancs. Mais ces plans

inédits (de très gros plans de la foule) fonctionnent comme un dérèglement soudain ; comme si

Lucas n'avait plus – l'espace d'un instant le contrôle sur son film. Et ce n'est pas des expression, des

visages et des traits qu'il capte à travers ces échelles resserrées mais un véritable chaos qui,

jusqu'alors, grondait de façon souterraine. Ce dispositif du dérèglement et du désordre fait écho à un

plan présent dans Blue Velvet [1986] de David Lynch où la caméra s'enfonce progressivement dans

une pelouse verdoyante pour pénétrer dans une fourmilière - lieu d'une bataille underground. Ce

microcosme qui était un des éléments de ces jardins calmes, ordonnés et paisibles, devenu

macrocosme sous la caméra-loupe de Lynch, révèle son dérèglement qui va contaminer le reste du

film. Ce côté sous-épidermique, très organique, on le retrouve bien dans cette séquence de THX

1138 : de nouveau, l'outil cinématographique retrouve son caractère scientifique pour venir se

glisser sous la peau d'une société monomorphe devenue objet de son expérience. Le spectateur se

voit attribué le rôle d'un observateur privilégié de ce flux sanguin dans lequel les corps font offices

de globules blancs. Allant à contre-sens, isolé de la foule, le personnage de SEN y est un corps

étranger. L'idée d'un dérèglement par les membres d'une société de contrôle est d'ailleurs présente

dans le texte de Deleuze : « Les sociétés de contrôle opèrent par machines de troisième espèce,

machines informatiques et ordinateurs dont le danger passif est le brouilage, et l'actif, le piratage et

l'introduction de virus ».

10 « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in Pourparlers, Paris : Les Editions de Minuit, 1990, p. 240-247.

Page 11: THX Et Surveillance

Sous la terre ou sous l'épiderme, une lutte organique fait trembler le destin des personnages

« Le lépreux est pris dans une pratique du rejet, de l'exil-clôture ; on le laisse s'y perdre comme

dans un masse qu'il importe peu de différencier ; les pestiférés sont pris dans un quadrillage

tactique méticuleux où les différenciations individuelles sont les effets contraignants d'un pouvoir

qui se multiplie, s'articule et se subdivise. Le grand Renfermement d'une part ; le bon dressement

de l'autre. La lèpre et son partage ; la peste et ses découpages. L'une est marquée ; l'autre, analysée

et répartie. L'exil du lépreux et l'arrêt de la peste ne portent pas avec eux le même rêve politique.

L'un, c'est celui d'une communauté pure, l'autre celui d'une société disciplinée. Deux manières

d'exercer le pouvoir sur les hommes, de contrôler leurs rapports, de dénouer leurs dangereux

mélanges. La ville pestiférée, toute traversée de hiérarchie, de surveillance, de regard, d'écriture, la

ville immobilisée dans le fonctionnement d'un pouvoir extensif qui porte de façon distincte sur tous

les corps individuels – c'est l'utopie de la cité parfaitement gouvernée ».

Dans THX 1138, la pandémie du XIXe siècle est remplacée par la maladie mentale, les idées

anarchistes et de révoltes.

Lucas filme délibérément l'asile dans lequel est interné THX [0:44:14] comme s'il s'agissait d'une

scénographie scénique - un théâtre de l'absurde. En positionnant sa caméra non pas au coeur mais

devant la scène, Lucas adopte le point de vue d'un spectateur devant une représentation. L'utilisation

du téléobjectif permet de s'approcher (comme on utiliserai des jumelles au théâtre) tout en gardant

cette impression de distance : être à la fois loin et proche, être témoin de l'action sans s'y mêler.

Ici, Lucas filme enfin des visages autre que les personnages principaux et les quelques observateurs

qui ont été identifiés. Mais ces visages marginaux ressemblent à des masques de carnaval ; des

figures mono-expressives à la fois comiques et monstrueuses. Inutile de faire des gros plans sur ces

visages, ils en ont la propriété intrinsèque comme nous le rappelle Jacques Aumont dans Du visage

au cinéma11 : “Un visage filmé intensivement est toujours en gros plan, même s'il est très loin. Un

gros plan montre toujours un visage, une physionomie. 'Gros plan' et 'visage' sont donc

interchangeables, et ce qui est à leur commune racine, c'est l'opération qui produit une surface

sensible et lisible à la fois, qui produit, comme dit Deleuze, une Entité”. Ici, Lucas ne se confond

plus avec « l'autorité » et vient, au contraire, affirmer sa position de metteur-en-scène, prenant la

décision de changer son dispositif filmique pour souligner une atmosphère particulière que l'on ne

retrouvera pas après. Cette parenthèse stylistique aux allures de numéro n'est pas très loin d'une

volonté d'attraction telle que Gunning et Gaudrault l'ont théorisé dans leurs travaux de recherche12.

11 Cahiers du cinéma, 1992, p. 85 12 Sélection : Tom Gunning, “The Cinema of Attraction: Early Film, Its Spectator, and the Avant-Garde.” in Film and Theory: An

Anthology. Eds. Robert Stam & Toby Miller. Blackwell, 2000.

André Gaudreault, Fragments d'une Filmographie Analytique du Cinema des Premiers Temps, Paris / Quebec :

Page 12: THX Et Surveillance

Un théâtre de l'absurde

2) Science, primitivité, onirisme : des corps en pleine lumière !

« En somme, on inverse le principe du cachot : ou plutôt de ses trois fonctions – enfermer,

priver de lumière et cacher – on ne garde que la première et on supprime les deux autres. La pleine

lumière et le regard d'un surveillant captent mieux que l'ombre, qui finalement protégeait. La

visibilité est un piège ».

L'univers de THX 1138 est immaculé. La lumière est clinique. Les murs nus et éclatant recréent

artificiellement une lumière du jour depuis longtemps éteinte. Loin de l'imagerie films de science-

fiction flamboyants (on peut citer, entre autre, Planète Interdite [1956] de Fred McLeod Wilcox),

Lucas dépeint un monde lisse, monochrome - en somme non-attractif - empêchant ses occupants de

les détourner de leurs interminables et quotidiens trajets.

A force d'épurer sa mise-en-scène, George Lucas finit par plonger ses personnages dans des “non-

lieux”, aux dimensions et limites inconnues. Privé de repères habituels, il va devoir réapprendre à

filmer, réapprendre à cadrer ses personnages pour le ramener au centre du dispositif, après l'avoir

longtemps placé dans des cellules construites avec les jeux de composition décrits plus haut.

Lorsque THX et SEN s'éloignent du groupe de prisonniers pour tenter de s'évader [à partir de

0:53:09], Lucas multiplie les axes et les échelles. Il semble tâtonner, expérimenter. Il finit par se

caler par rapport à des attitudes, des geste et des déplacements, des paroles prononcés (comme si la

voix était un appendices du corps), des poses : ce plan [0:55:11] a été conçu pour offrir

suffisamment d'espace aux personnages afin qu'ils se mettent dans cette position étrange

(génuflexion) - adoptée qu'une seule fois dans le film - et accentuer la direction de regard vers le

hors-champ. Lucas, revenu à un cinéma primitif où tout restait à expérimenter, semble vouloir

réaliser son exercice d'anthropologie à la manière d'un Léonard de Vinci qui réalisa, entre 1485 et

1490, son fameux Homme de Vitruve, sorte de schéma des échelles de plan avant l'heure comme on

le retrouve dans La Script-Girl13 de Sylvette Baudrot avec l'utilisation d'une photo d'Harrison Ford.

A Philippe Arnaud de poser la question, à propos de la fin de L'Homme qui rétrécit [57, Harnold] :

“Qu'est-ce qu'un corps même devenu imperceptible, si lui succède un morceau de galaxie ?”.

Comment redonner à THX toute sa dimension humaine lorsqu'il a été réduit à l'état de poussière ?

Liberté des échelles, libertée des raccords, nous avons affaire à une cinématographie qui se libère

des conventions pour remettre tout à plat avant de reconstruire quelque chose de gigantesque (pour

Lucas, il s'agit de sa saga Star Wars qui a révolutionné le cinéma de genre). Cette reconquête du

réapprendre à filmer rejoint un des thèmes de THX 1138 : le réapprendre à voir. Dans un monde qui

Presses de la Sorbonne Nouvelle / Presses de l'Université Laval, 1993.13 Voir bibliographie

Page 13: THX Et Surveillance

annihile tout, où plus rien ne peut faire l'objet d'un stimulus chez l'humain, il s'agit pour le

personnage principale de s'évader de ce néant dans le but de pouvoir de nouveau contempler la

véritable face du monde dans ce qu'il a de plus complexe et non-maitrisable. Le lot de sa course est

le plan final du film, plan très large sur ce soleil rouge massif rendu flou par le regard neuf de THX,

tel celui d'un nouveau-né qui contemple pour la première fois le monde.

Réapprendre à cadrer, briser les conventions pour réapprendre à voir

Placé dans un espace d'expérience, les personnages sont les rats de laboratoire scrutés par les outils

cinématographiques renvoyant au caractère scientifique et anatomique des instruments scopiques de

sa préhistoire : « Il n'est pas exagéré d'affirmer que dans l'histoire de la science moderne,

l'introduction de la perspective marqua le début d'une première période ; l'invention du télescope et

du microscope, le début d'une deuxième période ; et la découverte de la photographie, celui d'une

troisième » remarquait Panofsky dans L'oeuvre d'art et ses significations14, et les cinéastes des

premiers temps semblent avoir, dès le début, synthétisés ces différents éléments à travers l'outils

cinématographique. Lucas trouve dans son sujet-même l'occasion de remettre en avant la dimension

scientifique de son outil à travers des scènes comme celle où THX subit des analyses avant d'être

incarcéré pour addiction aux anxiolytiques et rapports sexuels illicites avec sa compagne. Dans cette

séquence située à [0:38:05], le gros plan est une loupe tendue par le cinéaste sur son sujet. Mais ce

n'est finalement pas tant pour en faire un rat de laboratoire mais pour essayer, derrière cette froideur

clinique et mécanique, de mettre à jour des micros expressions chez son personnage lui redonnant

toute son humanité. Mouvements des yeux, rides qui s'animent, le grossissement révèle les affectes

– même les plus primitifs - : “Le visage seul, par les tensions qui agitent la bouche, par le

mouvement des yeux, des sourcils et même des narines, ou par la position de la mâchoire, peut

apporter des nuances infinies à la nuance émotionnelle. […] C'est au paroxysme de l'émotion que

l'amateur de théâtre aime utiliser sa lorgnette pour profiter du subtil bouleversement des lèvres, de la

passion du regard et de la pupille livide”, écrivait déjà Hugo Müsterberg, en 1916, dans Le Cinéma,

une étude psychologique et autres essais15. La lorgnette devenue microscope du cinéaste-chercheur

fait écho à une définition de l'art que Nicole Brenez a apporté dans un de ses cours de Licence

consacré à l'Histoire des formes filmiques, l'année dernière, sous ces termes : “l'art est un

laboratoire collectif d'expériences psychiques”. En recherchant l'affect sur le visage de son

personnage, Lucas n'est déjà plus dans un rapport de distance objective impliqué par l'appareil de

prise de vue, et s'éloigne par là-même du concept de “l'oeil en dehors de l'oeil”, défini par Robert

14 Paris, Gallimard, 1969, pp. 117-118, cité dans La Lucarne de l'infini de Nöel Burch, p. 14.15 Héros-Limite, 2010.

Page 14: THX Et Surveillance

Bresson16 sous ses termes : “Ce qu'aucun oeil humain n'est capable d'attraper, aucun crayon,

pinceau, plume de fixer, ta caméra l'attrape sans savoir ce que c'est et le fixe avec l'indifférence

scrupuleuse d'une machine”.

3) Les rôles du hors-champ

Nous avions vu, dans la première partie, que certains regards et déplacements des acteurs

dans le champ filmique trahissait une perception et un calcul permanents vis-à-vis d'un observateur.

Sur ce principe, nous pouvons citer Michel Foucault dans son évocation de l'impression produite

par le Panoptisme sur ceux qui le subissent : « induire chez le détenu un état conscient et permanent

de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit

permanent dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ». Mais Lucas, lorsqu'il

n'adopte pas le point de vue de cet observateur invisible, semble tendre la clé vers une ouverture

d'un nouveau possible à travers l'installation d'une tension permanente vers le hors-champ. Etudions

les quatre rôles majeurs du hors-champ dans THX 1138. Le dernier, s'il s'éloigne de la question de la

surveillance et du voyeurisme, a au moins le mérite de mettre en avant que la pulsion scopique du

spectateur, que le metteur-en-scène ne cherche pas à satisfaire, entraine un relais de son imaginaire.

● Réintroduire un invisible :

Le grand invisible de l'histoire de THX, c'est la figure autoritaire, ce Big Brother à la fois

partout et nul-part. Nous pouvons citer deux exemples de réintroduction de ce regard haut-

dessus de tout dans l'espace du filmique :

- l'apparition du reflet de ce qui est censé se situer derrière le dispositif de captation ; c'est le

cas dans le plan situé à [0:07:51], plan moyen, resserré sur le devant d'une boutique (on ne

voit pas le magasin dans son entier ni ce qui entoure celui-ci). Le fait que la caméra soit

placé hors de l'espace dans lequel se situe le personnage laisse à penser qu'il s'agit du point

de vue d'un tiers, comme celui du policier-droïde que l'on aperçoit dans le reflet de la

vitrine. Il n'est pas encore rentré physiquement dans la scène pour arrêter le voleur qu'il est

déjà présent, près à ce jeter sur lui. Mais laissons Foucault paraphraser ce que l'on voit dans

16 Notes sur le Cinématographe Paris, Gallimard, 1975.

Page 15: THX Et Surveillance

cette séquence lorsqu'il évoque le principe du Panoptique en reprenant un document issu des

archives militaires de Vincennes datant du XVIIe siècle sur les consignes organisationnelles

qui étaient mises en vigueur en cas d'épidémie de peste : « Le regard partout est en éveil : '

un corps de milice considérable, commandé par de bons officiers et gens de bien ', des corps

de garde aux portes, à l'hôtel de ville, et dans tous les quartiers pour rendre l'obéissance du

peuple plus prompte, et l'autorité des magistrats plus absolue, « comme aussi pour surveiller

à tous les désordres, voleries et pilleries ».

- montage et regard off [exemple avec une séquence débutant à 1:06:28 et se terminant à

1:06:42] : SEN se confesse devant le portrait de l'icône religieuse. Il est en situation

d'illégalité car il s'est échappé de prison. Un moine arrive et lui demande son badge

d'identification que, bien sûr, il n'a pas. Sentant que le moine ne sera pas coopératif, il le

bouscule et ce dernier s'écroule, inerte. Un très gros plan sur l'oeil de l'icône surgit. Puis, le

plan qui suit est un gros plan sur SEN qui regard autour de lui vers le off du cadre. Ce n'est

pas forcément directement cet oeil que SEN regarde mais le très gros plan nous apparaissait

si intense qu'il continue à persister (comme une persistance rétinienne) dans notre esprit.

– certains très gros plan (TGP) sur des écrans dévoilant des informations textuels sont

l'équivalant de cartons du muet qui présentaient un rôle descriptif de certains éléments

scénaristiques dont on avait fait le choix de ne pas mettre en scène. Ainsi l'on peut voir entre

le moment où THX est arrêté et où on le retrouve à son procès, un TGP textuel

(véritablement un carton, 0:33:50) indiquant son placement en cellule de détention : ce plan

réintroduit un hors champ narratif au centre de l'ellipse temporelle.

D'autres plans similaires insérés dans le montage fonctionnent de manière similaires : gros

plans sur des boutons qui clignotent, gros plans sur des horloges, plans sur des panneaux

d'alerte lumineux... Ces plans-signaux, si on peut les catégoriser ainsi, fonctionnent comme

des stimuli pour le regard du spectateur (aussi bien visuels que sonores). Ils introduisent un

autre régime d'image, des « rajouts » que l'on aurait injecté, ou plutôt que l'on aurait extrait

du corps des personnages principaux. L'hétérogénéité soudaine du montage qu'ils

provoquent agit comme si un élément étranger essayait de s'assimiler et prendre corps avec

le tissu vivant que forme la matière filmique (montage, image, son, scénographie).

Contrairement à certains films des premiers temps tel que Grandma's Reading Glass [1900]

de Smith, dont Nöel Burch nous rappelle dans La Lucarne de l'infini que les « gros plans

intercalaires » - par leur dimension ludique et d'ajout - ont fortement à voir avec les

exhibitions de lanternes magiques. Les inserts-écrans de THX 1138 sont davantage présents

pour prolonger l'atmosphère suffocante (des informations textuelles, graphiques et sonores

étouffantes) du film. D'autres inserts viennent opposer deux rapports au regard : « De même

que l’agencement de la base de données signale une image « améliorée », l’ensemble

pistage/identification signale une forme de vision améliorée. (…) La vision armée est

améliorée et sécurisée contre un extérieur incalculable, un dehors dangereux et incertain ».

Page 16: THX Et Surveillance

Ces mots de Jordan Crandal font échos aux deux régimes d'image mis en opposition dans la

scène de la course-poursuite. Les inserts sur l'écran de contrôle schématique montrant la

position du poursuivant et du poursuivi sur un même plan fonctionnent bien comme des

images « améliorées » dans le sens où ils permettent de se rendre compte des distances qui

les séparent, leur vitesse respective. Si ces inserts sont justifiés diégétiquement par le regard

que pose THX sur son tableau de bord, la façon dont ils envahissent l'écran pour se donner à

voir laisse penser qu'ils sont un « cadeau » au spectateur, tout heureux de bénéficier

d'informations qui viennent éclaircir l'action. Tous les autres plans, par le dispositif du

montage alterné permettent à Lucas de brouiller ces informations ; et au spectateur d'être en

alerte devant le côté spectaculaire et dangereux de l'action. L'alternance des deux types de

regard sur la scène créée une dynamique élastique vertigineuse.

Montage et regard off : réintroduire un invisible

● Un appel à l'évasion :

Revenons sur nos plans demi-ensembles où les surfaces murales prennent une place plus

importante que le reste. Prenons, de façon hasardeuse, le plan situé à [1:06:50] : SRT et

THX fuient les policiers-droïdes qui les poursuivent,. Le plan semble encore une fois les

emprisonner par sa composition ; le mur de droite qui occupe une grande partie du champ

est mis en évidence, et c'est vers celui-ci que les personnages se dirigent. Cette surface

opaque, si elle a pour fonction initiale de cloisonner, de cacher, suggère par le même fait

qu'il y a quelque chose derrière – potentiellement un monde meilleur. C'est un peu la même

chose avec l'expérience que nous avons tous, un jour ou l'autre, fait lorsque nous étions

enfants au cinéma : regarder derrière l'écran pour attester ou non de la présence de ce monde

merveilleux qui s'offrait à nous – comme si nous avions été face à une prodigieuse fenêtre. A

de nombreuses reprises [par exemple 0:21:54], Lucas décadre17 ses personnages qui sont

menacés d'être avalés par le hors-champ. On peut voir cela comme une volonté du

réalisateur d'offrir une possibilité d'évasion, un appel à la fuite : c'est la différence que fait

Bazin18 entre un cadre pictural à la propriété centripète et le “cadre” (pour lui la notion de

cadre n'est pas valable au cinéma) cinématographique qui s'étend au-delà du champ optique ;

17 À la manière d'un Mizoguchi des années 30-40 qui, en plaçant ses comédiens à la limite du cadre, tend à dévitaliser les plans, ou encore Fellini dans Satyricon [1969].

18 Qu'est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1975, p. 188.

Page 17: THX Et Surveillance

l'espace du cinéma étant infinie.

Un appel à la fuite, c'est ce qui est, nous semble-t-il déjà suggéré dès le premier plan du

film : un très gros plan sur ce qui pourrait être un décompte mécanique (ou une horloge) ;

cette partie d'un tout contient l'idée d'une course contre la montre. A partir de son étude sur

l'organisation panoptique en cas d'épidémie de peste à Vincennes, Foucault distingue les

conséquences d'une société disciplinaire avec celles issues d'un imaginaire littéraire de cette

époque dont les auteurs aimaient dépeindre, en plus d'une levé des interdits, d'un abondant

par les individus de « leur identité statutaire », une certaine « frénésie du temps ». Si l'acte

de lire et l'objet-livre n'existent plus dans THX 1138, son héros semble courir – comme s'il

se souvenait d'une autre époque – vers cet imaginaire littéraire.

Personnages bord-cadres : un appel à la fuite

● Un cadre-censure :

Bien qu'à partir de la fin des années 60 [notamment grâce à l'émergence d'un cinéma

underground et de la multiplication des séances de minuit - ou Midnight movies] aux

Etats-Unis voyant la naissance de films bis repoussant la limite imposée par le puritanisme

ambiant, les scènes de violence et de sexualité au cinéma ont définitivement mis à terre le

Code Hays, Lucas se refuse à cette exercice en plaçant cette violence hors-champ. Le

réalisateur était-il lui-même puritain ? Nous en doutons. Il s'agit encore une fois d'adopter

une mise-en-scène partageant la morale diégétique de cette autorité totalitaire qui interdit

notamment les pratiques sexuelles [43:00].

● Une économie budgétaire :

Bien que produit par la Warner, THX 1138 est sans doute le film de science-fiction le moins

cher de l'histoire du cinéma (environ 800 000 dollars) jamais produit par un grand studio

hollywoodien. A la manière d'un Eugène Green pour son Monde Vivant [2003], Lucas a très

souvent recourt au gros plan dans une idée de pallier à ce manque de budget pour construire

d'immense décors, machines et robots, bref toute l'imagerie induit par le genre. C'est comme

cela que fonctionne la scène de l'auscultation de THX après son arrestation [qui débute à

0:37:02], série de gros plans “centrés” sur le visage de Duvall. L'ensemble de l'appareillage,

des machines nous est seulement suggéré : nous avons affaire au fameux cadre-cache

développé par Bazin. Il s'agira, par un espèce de contrat de confiance lattant entre le

Page 18: THX Et Surveillance

réalisateur et le spectateur, de faire appel à l'imaginaire de ce dernier ; imaginaire aidé par un

travail fouillé sur le design sonore réalisé par Walter Murch, également co-scénariste du

film.

III – Surveillance sonore

« What's wrong ? » demande une voix expressive à la figure que l'on distingue difficilement sur la

surface de l'écran cathodique dans le deuxième plan du film. Ce dernier répond de façon

monocorde : « Nothing, nothing. Really... ». La voix de ce dernier est distordue, se perd dans la

réverbération de la salle où il se trouve ainsi que celle d'où il est entendu. C'est au tour d'un

personnage féminin d'être interrogé par cette voix si répétitive et décalée qu'on ne doute pas une

seule seconde qu'elle est enregistrée et diffusée automatiquement dès qu'un individu ouvre sa

pharmacie. La supercherie nous est d'ailleurs révélée dans la séquence où THX s'enferme dans le

confessionnal : la caméra pénètre dans les circuits de la cabine et trahit la présence d'un

magnétophone. Le signal de la voix de ces deux individus est traité, codé, soumis à des tests. C'est

ainsi que le « Never mind » de LUH perd totalement le peu d'humanité qu'il comportait lorsqu'il est

relu par une machine, répété et associé aux oscillations lumineuses d'un oscilloscope. Que ce soit

ces voix enregistrées omniscientes qui fonctionnent comme une signalétique des comportements

(« Buy more » indique une voix féminine dans les galeries commerciales, 0:08:00) ou celles des

individus surveillés capturées par les machines électroniques, il y a l'idée d'une distance entre la

production originale et sa rediffusion. Tout ce que l'on fait, dit, (pense ?) fera éternellement trace et

sera potentiellement retenu contre soi. Le cinéma est lui même une affaire de distance physique et

temporelle entre ce qui a été devant les outils de captation sous le contrôle du réalisateur et la trace

audiovisuelle qui se rejouera encore et encore tant que des spectateurs voudront bien y prêter leurs

sens. Tout comme l'acteur sait que ce qu'il fait ou dit sera l'objet de l'attention d'une audience et en

joue délibérément, les personnages du film de George Lucas sont dans le contrôle permanent.

Michel Chion a conceptualisé19 le terme « système d'écoute » qui se prête très bien à l'étude

comportementale des surveillés de THX 1138 : « la conscience (verbalisée ou non) que les

personnages peuvent avoir d'être écoutés, et qui se sent plus ou moins dans leur voix (modulation de

l'écoute par le ton de la voix) ; la façon dont ils en tiennent compte, et dont ils s'en servent

19 Un Art sonore, le cinéma, Paris : Cahiers du cinéma, 2003, p. 434.

Page 19: THX Et Surveillance

éventuellement pour leurrer ; s'ils verbalisent ou non cette écoute ». Interessons-nous à la séquence

de transgression entre LUH et THX de la loi du rapport prohibé [0:18:34]. Dans le premier plan,

Lucas ressert son cadre sur le couple en utilisant un zoom. C'est la première fois qu'il tente

mécaniquement de s'approcher de ses sujets. Les sons de présence, frottements de vêtements

soulignent les caresses qu'ils se donnent. La première réplique lancée par LUH est prononcée dans

ce qui est le plan le plus large de la séquence : elle ne cache pas sa peur (« I was so afraid »)

puisqu'elle est consciemment entretenue, exploitée par ce régime totalitaire sous-terrain (la

télévision holographique diffuse des images de violence, par exemple). Ellipse, le cadre s'est

considérablement resserré ; Lucas brise la barrière de l'intime. Les plans suivants déclinent le

principe de la bouche à l'oreille pour mieux développer un registre du murmure. « I wanted to touch

you... so many times ». Ces mots prennent une dimension haptique, tactile dans leur manière d'être

susurrés, « cocoonés » par l'effet de proximité entre les corps. L'espace d'un instant, on a

complètement oublié le dispositif de surveillance. Le spectateur, bienveillant, à l'impression de

participer à l'embrassade des protagonistes car libéré de ces filtres et écrans qui imposaient une

véritable distance voyeuriste. Leur baiser est sonore [0:19:36] mais davantage nasal que buccal : un

souffle de vie et de passion qu'un instrument de surveillance aurait du mal à restituer. L'utilisation

de la musique extra-diégétique est importante dans sa manière de fonctionner comme un rappel à

l'autre. Une note tenue entre le plan du baiser et le plan suivant [0:19:38] accompagne le

changement de registre de la musique. Les envolés de la flûte traversière laissent place à un

instrument à corde frottée aux tonalités rappelant la sévérité. « They know...They are watchning us

now ». C'est la première et la dernière fois que les personnages évoquent une conscience de leur

statut de surveillés. La verbalisation de l'action du voir est iconogène : elle amène les plans suivants

qui viennent illustrer ces regards scrutateurs redoutés. Ce que l'on croyait être une parenthèse, une

protection momentanée mise en place par le metteur-en-scène contre le dispositif de surveillance

était, en réalité, un leurre destiné à tromper le spectateur au même titre que les personnages qui se

pensaient arrachés de leurs pénibles conditions (les plans serrés déréalisaient le contexte dans lequel

ils se trouvaient en le plaçant hors-champ ou en jouant avec l'absence de texture et de géométrie des

murs blancs).

Au même titre que les personnages, nous nous sentons parfois des spectateurs cloisonnés car THX

1138 nous plonge dans un monde dont la plupart des codes nous échappe. La séquence débutant à

0:39:14 et se terminant à 0:41:41 montre THX en cellule d'isolement. Deux

Page 20: THX Et Surveillance

scientifiques/techniciens postés derrière leurs écrans réalisent d'obscures manipulations à distance

dans l'indifférence totale des réactions incontrôlées du personnage. Au cours de leurs expériences,

les deux scientifiques profèrent un jargon science-fictionnel où la volonté d'exclure un auditeur

externe est explicite. Michel Chion appelle cela l'écoute codale20. Dans les films les plus populaires

du genre, les scénarios jouent de l'écoute codale mais leur caractère ludique vise à tirer le spectateur

vers lui ; ce dernier s'amusant à déchiffrer le verbe crypté qui lui est, en réalité, directement destiné.

Ici, le codage est double. Car en plus de l'utilisation d'un jargon qui n'appartient qu'au monde des

personnages, le spectateur est privé de l'image des deux scientifiques qui se gardent de rentrer dans

le champ.

L' « acousmètre » est le terme développé par Michel Chion, dérivé du principe acousmatique

conceptualisé par Pierre Schaeffer en 195221, qui désigne la voix que l'on entend sans voir l'individu

émetteur. Si la voix des personnages sont caractérisées par leur timbre et la manière dont ils

s'expriment, la frustration du spectateur auquel il lui manque une information visuelle est bien

réelle. Ces voix sans visage se font la métonymie d'une organisation anonyme. Les actions et gestes

de manipulations sont également suggérés plutôt que montrés, et ce sont les sons électroniques des

machines qui viennent souligner, attester cette série de manipulations qui constituent l'intermédiaire

entre la voix débitant ce flux de paroles scientifiques énigmatiques et les résultats variables sur le

personnage de THX comme s'ils matérialisaient le prolongement d'un sort magique proféré et jeté à

distance. La dimension sinusoïdale (micro-variations) des sons électroniques entendus, dans les

plans où les écrans sont présents, viennent signifier un déplacement et d'une traversé d'un milieu à

un autre. Il semble y avoir une confiance absolue du réalisateur dans le pouvoir d'évocation, de

signification du son médiateur entre l'invisible, le hors-champ, et le visible. Les sons électroniques

ne sont ni des sons anthropomorphes ni les sons directes de manipulation (les pressions sur les

boutons, registre que nous entendons également) mais des sons enregistrés, indirectes qui viennent

se superposer à l'action réelle. Ce principe de monstration consistant à rendre conscient le statut de

bruitage des sons nous renvoi au monde réel dans lequel nous vivons infestés de 'bruits ajoutés'. Au

début des années 70, période où le film a été réalisé, des prémices de ce phénomène sont déjà

constatables, à l'image d'un signal sonore électronique annonçant l'ouverture des portes de

l'ascenseur qui a remplacé le « ding » d'une véritable clochette. La monstration du « comment c'est

fait » est de nouveau présente au cours des deux transitions visuelles et sonores lorsque THX se met

à crier de douleur [0:41:01 ---> 0:41:12] nous renvoyant successivement de l'espace où se trouve le

personnage à la salle des machines : diffusé à travers le système de restitution sonore informatique,

le cri se déréalise, perd sa dimension humaine pour devenir à son tour un son électronique ; ce

même son change, se métamorphose instantanément d'un point de vue narratif, signifiant « je

souffre » avant la coupe puis « erreur de manipulation » juste après, et rappelle que le son au

cinéma est doublé du fait même de sa nature (l'expérience sonore finale est le fruit de l'équation :

caractéristiques d'une production sonore + l'enregistrement du son + la restitution du son + la

perception du public, et chaque étape modifie le récit intrinsèque de ce son22). Cette confiance quant

20 Un art sonore, le cinéma, p. 43321 Un art sonore, le cinéma, p. 41122 Cf Rick Altman, « The Material Heterogeneity of Recorded Sound », Sound Theory Sound Practice, NY : AFI Films

Page 21: THX Et Surveillance

au pouvoir de conviction du son cinématographique a toujours existé mais elle s'est déplacée : si

elle passe tout autant aujourd'hui par les effets sonores spécifiques (avec l'avènement du concepteur

sonore dont Walter Murch, monteur son du film en est l'un des plus grands représentants), elle a

longtemps était portée par la musique. Ainsi Bernard Hermann, grâce aux variations des accords

d'une harpe appuie la sensation de vertige du personnage incarné par James Stewart dans Vertigo

[58] d'Alfred Hitchcock. Le pouvoir narratif de la musique était déjà saisissant dans la séquence

précédemment analysée.

Conclusion

Il est intéressant de comparer THX 1138 à la version cinématographique britannique de 1984 par

Michael Radford en 1984. Si nous venons de voir que Lucas plongeait les corps de sa communauté

surveillée dans la pleine lumière et dans des espaces ouverts, sans limites apparentes, ce dernier

choisie, au contraire, de montrer une architecture du Londres futuriste très austère et fermée. Les

lieux de vie sont plongés dans la pénombre où les corps et les visages semblent être taillés au

couteau par l'éclairage en clair-obscure. Loin de l'idée du Panoptisme qui ressurgit dans les années

70, avec les scandales politiques d'espionnage (le Watergate), le film de Radford – derrière le

prisme de la fiction (l'exercice d'adaptation) – est très réaliste, et construit une représentation

totalitariste et concentrationniste où des images « irreprésentables » de corps meurtris, torturés,

cachés de la vue de tous sont suggérés. Le film s'inscrit dans une vague de films européens des

années 80 hantés par des images longtemps enfouies dans le sol. Un an après est sorti Shoah de

Claude Lanzmann, fait surgir ces images interdites dans l'esprit du spectateur en soulignant leur

absence.

Readers, 92.

Page 22: THX Et Surveillance

Bibliographie :

Sur le thème de la surveillance :

• Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris : Gallimard, 1975. Version en ligne (pas de

pagination) :

• Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », in Pourparlers, Paris : Les

Editions de Minuit, 1990, p. 240-247.

• Jordan Crandal, « Vision Armée », in Multitudes, n°15, 7 février 2004.

Sur le cinéma des premiers temps :

• Nöel Burch, « Le Voyage Immobile : constitution du sujet ubiquitaire », in La Lucarne de

l'infini. Naissance du langage cinématographique, Paris, Nathan, 1990.

• Tom Gunning, “The Cinema of Attraction: Early Film, Its Spectator, and the Avant-Garde.”

in Film and Theory: An Anthology. Eds. Robert Stam & Toby Miller. Blackwell, 2000.

• André Gaudreault, Fragments d'une Filmographie Analytique du Cinema des Premiers

Temps, Paris / Quebec : Presses de la Sorbonne Nouvelle / Presses de l'Université Laval, 1993.

Textes théoriques français :

• Gilles Deleuze, “L'image-affection : visage et gros plan”, in L'image-Mouvement, Paris, Les

Editions de Minuit, 1983.

• Hervé Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1975.

• Robert Bresson, Notes sur le Cinématographe Paris, Gallimard, 1975.

• Hugo Müsterberg, Le Cinéma, une étude psychologique et autres essais, Héros-Limite,

2010.

• Michel Chion, Un Art sonore, le cinéma, Paris : Cahiers du cinéma, 2003.

Sources complémentaires :

• George Orwell, 1984, Londres, Secker & Warburg, 1949.

• Roger Caillois, Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1958. Sur l' « ilinx » est la

sensation de vertige du joueur face à une expérience ludique intense.

• Sylvette Baudrot, La Script-Girl, Paris, La fémis, 1995.

Page 23: THX Et Surveillance