tresmontant claude - enseignement de ieschoua de nazareth

160
7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 1/160 PLAT RECTO Claude Tresmontant L'enseignement de Ieschoua de Nazareth aux Éditions du Seuil, Paris

Upload: emiliano-fiore

Post on 03-Apr-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 1/160

P L A T R E C T O

Claude Tresmontant

L'enseignementde Ieschoua de Nazareth

aux Éditions du Seuil, Paris

Page 2: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 2/160

2

PLAT VERSO

L’enseignement de Ieschoua de Nazareth

Ieschoua — tel fut le nom authentique d'un rabbi galiléen qui mourut vers l'an 29 enJudée, et que l'on appelle aujourd'hui Jésus.

Son enseignement a été rapporté par ses disciples sous la forme d'une « heureuseannonce » , ce que l'on a traduit par évangile.

Sous les traductions, sous les paraphrases, sous le poids des siècles, sous l'habitude, est-il possible de re trouver ce tte heureuse annonce ? Rédui t le plus souvent à une certainemorale dite chrétienne, l'enseignement évangélique n'est guère étudié pour lui-même dansla fra îcheur et la rud ess e d e son expression originale.

Ce que tente Claude Tresmontant dans ce livre, c'est d'éclairer ce que fut cetenseignement. Car il s'agit bien ici d'un enseignement, d'une science profonde et pour tant proposée à des hommes simples, et dans leur langage même. Une sc ience portant sur l'êt re de l'homme et sur les condit ions de son développement, de sonachèvement.

Alors peut se poser finalement la question : Qui est cet homme, capable d'enseigner les lois de la genèse de l'être de l'homme ? N'est-il pas, comme l'a pensé l'auteur duquatrième évangile, la Pensée même de l'Absolu? Et quelles en sont les implications, sison enseignement peut se vérifier?

Claude Tresmontant

Après plusieurs ouvrages consacrés à la pensée hébraïque et à la métaphysiquechrétienne, a publié en 1966Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, où

il a étudié à travers les sciences actuelles la possibilité d'une connaissance naturelle de Dieu.Puis dans un ouvrage suivant, en 1969, Le problème de la Révélation, il a examiné laquestion de la manifestation de Dieu dans l'histoire biblique. L'enseignement de Ieschoua de Nazareth prolonge cette recherche : Ieschoua peut-il être considéré comme l'enseignementplénier, la Parole même de Dieu?

A U X É D I T I O N S D U S E U I L

Page 3: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 3/160

3

DU MÊME AUTEUR

AUX MÊMES ÉDITIONS

Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin, 1956

Saint Paul et le Mystère du Christ coll. Maîtres spirituels », 1956

La Doctrine morale des prophètes d'Israël, 1958

La Métaphysique du christianisme et la Naissance de la philosophie chrétienne, 1961

É d i t i o n d e l a Correspondance phi losophique Maurice Blondel — Lucien

Laberthonnière, 1961

Les Idées maîtresses de la métaphysique chrétienne, 1962

Introduction à l a métaphysique de Maurice Blondel, 1963

La Métaphysique du christianisme et la Crise du XIII siècle, 1964

Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, 1966, et coll. « Livrede Vie », n° 108, 1971

Le Problème de la Révélation, 1969

Le Problème de l'âme, 1971

Les Problèmes de l'athéisme, 1972, couronné par l'Institut

Introduction à la théologie chrétienne, 1974, couronné par l'Académie française

Sciences de l'Univers et problèmes métaphysiques, 1976

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Essai sur la pensée hébraïque, Éditions du Cerf, 1953

Études de métaphysique biblique, Éditions Gabalda, 1955

Essai sur la connaissance de Dieu, Éditions du Cerf, 1959

Page 4: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 4/160

4

INTRODUCTION

 Nous nous proposons d'exposer ici le contenu de l'enseignement du dernier des prophètesd'Israël, le rabbi Ieschoua de Nazareth, crucifié à la veille de la Pâque juive de l'an 29 probablement, sur les ordres du procurateur romain Pilate.

L'entreprise peut paraître absurde, et totalement inutile, puisque nous avons le contenu decet enseignement dans trois petits livrets qui tiennent dans la main, les trois Évangilesappelés « synoptiques », et dans un quatrième texte, le quatrième Évangile, attribué à un certainJean.

A quoi bon un livre de plus sur l'enseignement de Jésus ? Qui pourrait prétendreapporter quelque chose de nouveau à ce sujet ? Nous vivons, en Occident, dans un milieuimprégné, sursaturé par l'enseignement évangélique. Tout ce que nous pourrons dire ou

écrire ne fera qu'ajouter au ronron de l'enseignement du catéchisme et de la littérature pieuse. Nous avons cependant décidé de rédiger cet exposé, pour la raison suivante : Il nous

semble que, finalement, et au fond, l'enseignement du rabbi Ieschoua de Nazareth n'est pastellement bien connu, même dans notre Occident en partie christianisé depuis des siècles.On présente très souvent l'enseignement évangélique comme s'il se réduisait à un vaguemoralisme, à un humanitarisme un peu sentimental, un peu efféminé. On estime que tout serésume dans le précepte : « Aimez-vous les uns les autres... » Une philanthropie, en somme,mais moins efficace que la fraternité révolutionnaire. Un rêve un peu mièvre. Une religion pour les femmes et pour les faibles.

Or, en méditant sur l'enseignement du dernier des prophètes d'Israël, il nous a semblé qu'ilcontenait en fait une science, extrêmement riche et profonde. Non pas seulement, ni même

d'abord, une « morale » comme on l'entend aujourd'hui, mais une science authentique, et portantsur l'être, c'est-à-dire une ontologie. Bien plus encore, une science portant sur lesconditions, sur les lois de la genèse de l'être inachevé qu'et l'homme. Une science qui nousdécouvre les lois et les conditions de la création d'une humanité encore inachevée, et en train dese faire, les lois normatives de l'anthropogenèse. Plus encore : les lois et les conditions, pour l'humanité, de son achèvement ultime, c'eSt-à-dire de sa divinisation.

Une science, une gnose, portant sur l'ontogenèse, et nous découvrant comment nous pouvons parvenir à l'achèvement auquel nous sommes destinés.

C'est, on le voit, bien autre chose qu'une « morale »...Si nous avions l'honneur d'enseigner dans une université de la Chine, de l'Inde, ou de

l'Union soviétique, les choses seraient simples : nous exposerions la pensée du rabbi palestinien

exécuté par l'armée d'occupation romaine sous le règne de Tibère, comme on peut exposer, icien France, la doctrine du Bouddha, ou celle de Confucius, ou celle de Plotin. Nous exposerionsde notre mieux sa doctrine, et nous soumettrions à la discussion les articles principaux etconstitutifs de cette doctrine. Nous demanderions aux auditeurs ce qu'ils pensent de cetenseignement, ce qui leur paraît bon, et positif, ce qui leur paraît discutable, et pourquoi. Nousexaminerions cette doctrine comme on peut le faire pour toute autre doctrine.

Mais nous ne sommes pas dans cette situation. Nous vivons, encore une fois, dans un milieusursaturé de christianisme, et si certains éléments nous paraissent incompris et gravementnégligés, il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas exposer cette doctrine comme si elle étaittotalement inconnue.

 Nous rédigeons cet exposé en pensant qu'il atteindra peut-être quelque lueur neuf, en Chine,

Page 5: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 5/160

5

en France ou ailleurs, un lecteur qui n'ait pas été sursaturé par l'enseignement chrétiendepuis son enfance, et qui désire savoir quel est le contenu de l'enseignement de ce prophète juif,que les chrétiens considèrent comme l'Enseignement même de Dieu, la Manifestation

 personnelle de Dieu, tandis que, du côté juif, on estime que c'est un hérétique, ou du moins un prophète juif que ses disciples ont transformé, à tort, en messie.

 Nous prions le lecteur chrétien cultivé, si d'aventure il feuillette ces pages, de ne pas perdreson temps à lire un exposé qui ne lui est pas destiné et qui ne lui apprendra pas grand-chose. Celivre s'adresse à un lecteur non chrétien.

Pour étudier le christianisme, la première chose à faire est d'acheter un NouveauTestament grec. Cela commence mal, dira-t-on. Car enfin, tout le monde n'est pas tenu desavoir le grec, et puis il existe des traductions.

Oui, il existe des traductions, mais elles ne permettent pas encore, dans l'état actuel des choses,à un lecteur neuf, d'atteindre à la connaissance plénière du contenu de l'enseignement du rabbi

 palestinien.On a traduit Christos par Christ, ekklèsia par église, parabolè par parabole, euangellion

 par évangile, apostolos par apôtre, skandalon par scandale, parousia par parousie, et ainsi desuite...

Autant dire que, pour un grand nombre de termes fondamentaux pour l'intelligence duchristianisme, on a laissé le mot grec en français sans le traduire.

Il en résulte que, pour nos contemporains, qui n'ont pas eu la chance ou les loisirsd'étudier le latin, le grec et l'hébreu, quantités de termes fondamentaux, de concepts-clef duchristianisme, sont absolument dépourvus de sens, ou bien, ce qui est pire encore, ont pris un senstout à fait différent, dans le français moderne, du sens qu'ils avaient dans le milieu ethnique palestinien du rabbi juif.

Prenons quelques exemples. Nous avons rendu à « Jésus » son nom authentique, son nom araméen, Ieschoua, d'abord parce

que c'est son nom, et puis pour sortir le lecteur des habitudes, du ronron, des associations affectiveset des sucreries attachées au « doux nom de Jésus ». De plus, en araméen, comme en hébreu, lenom propre du rabbi palestinien, comme tous les noms propres en ce temps-là, a un sens, etun sens intentionnel.

Le mot français « Jésus » est la transcription du grec Iêsous, qui est lui-même la transcription del'hébreu pré-exilique Iehoschoua, plus tard Ieschoua.

Ce nom a en particulier été porté par celui que nos traductions françaises de la Bible appellent "Josué ".

Les traducteurs de la Bible hébraïque en langue grecque, ceux qu'on appelle les Septante, ontadopté la forme hébraïque Ieschoua et ont transcrit en grec Iêsous.

Jusqu'au commencement du IIe siècle après Jésus, le nom Ieschoua était très répandu parmi lesJuifs.

A partir du IIe siècle, Ieschoua disparaît comme nom propre.La forme complète Iehoschoua comporte l'abréviation du tétragramme, YHWH, et une forme

verbale qui provient de Iascha, sauver.Ieschoua signifie donc : Yhwh, c'est le nom propre du Dieu d'Israël — sauve.Le mot français « Christ » est la transcription du mot grec christos, qui signifie « oint », celui qui a

reçu l’onction sainte. Christos vient du verbe chrio qui signifie « oindre ».Le grec christos traduit l'hébreu maschiach, qui se trouve aussi transcrit en grec par messias.

Page 6: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 6/160

6

Maschiach vient du verbe hébreu maschach qui signifie : « oindre ». Le maschiach, c'est celui qui areçu l'onction faite avec l'huile. Les prêtres étaient " oints " (cf. Lév. 4, 3, 5, 16 ; 6, 5).

Le premier livre de Samuel nous raconte l'onction de Saül puis de David par le prophète Samuel :

I Samuel, 10 : « Alors Samuel prit la fiole d'huile et en versa sur sa tête, puis il le baisa et dit N'est-ce pas Yhwh qui t'a oint comme chef sur son peuple, Israël ? Et c'est toi qui gouverneras le peuple deYhwh, toi qui le sauveras de la main de ses ennemis d'alentour...

« Or, dès qu'il eut tourné le dos pour s'en aller d'auprès de Samuel, il arriva que Dieu lui changea lecoeur... L'esprit de Dieu fondit sur lui et il prophétisa... »

I Samuel, 16, I : «Yhwh dit à Samuel : Jusques à quand t'affligeras-tu à cause de Saül, alors quec'est moi qui l'ai rejeté pour qu'il ne soit plus roi sur Israël ! Emplis ta corne d'huile et va ! Je t'envoievers Isaï de Bethléem, car je me suis choisi un roi parmi ses fils... Tu oindras pour moi celui que je tedirai. Samuel fit ce qu'avait dit Yhwh. »

I Samuel, 16, II : « Alors Samuel dit à Isaï : Sont-ce là tous les jeunes gens ? Il dit : Il reste encore le plus petit et voilà qu'il et en train de faire paître le petit bétail ! Samuel dit à Isaï : Envoie-le chercher,

car nous ne nous mettrons pas à table avant qu'il ne vienne ici. Il envoya donc et le fit venir. Celui-ciétait roux, il avait de beaux yeux et bonne apparence. Yhwh dit : lève-toi, oins-le, car c'est lui ! AlorsSamuel prit la corne d'huile et il l'oignit au milieu de ses frères, et l'esprit de Yhwh fondit sur David à partir de ce jour et dans la suite. »

On voit par ces textes que l'onction conférée par Samuel au nom de Dieu est un véritablesacrement : sacrement de consécration royale, qui provoque la communication de l'Espritde Dieu, sacrement du prophétisme.

On appelle « messianisme », l'attente, en Israël, d'un roi " oint " qui viendra sur le trône deDavid :

Isaïe, II, I : " Un rameau sortira du tronc d'Ise,un rejeton issu de ses racines fructifiera.

Sur lui reposera l'esprit de Yhwh,esprit de sagesse et d'intelligence,esprit de conseil et de force,esprit de connaissance et de crainte de Yhwh...Il jugera les petits avec justice,et prononcera selon le droit pour les humbles de la terre,... La justice ceindra ses flancs,et la fidélité sera la ceinture de ses reins.'Le loup habitera avec l'agneau,la panthère reposera avec le chevreau...On ne fera point de mal et on ne détruira plus sur toute ma montagne sainte;le pays sera rempli de la connaissance de Yhwh

comme le fond des mers par les eaux qui le couvrent. " Nous n'allons pas entreprendre ici un exposé des différentes formes de l'attente

messianique en Israël. On se reportera, pour cela, aux ouvrages scientifiques les plus récents1.Comme on le sait, les juifs et les chrétiens se sont disputés depuis les origines

chrétiennes jusqu'aujourd'hui pour savoir si le rabbi Ieschoua de Nazareth enGalilée accomplissait ou n'accomplissait pas l'attente messianique.

La discussion était d'autant plus difficile que, comme nous l'avons noté, il n'y

1 Pour se guider dans l'immense littérature concernant le messianisme, et pour prendre connaissance de l'état actuelde la recherche, on pourra lire : l'Attente du Messie, par L. CERFAUX, J. COPPENS, etc. Paris, Desclée deBrouwer, 1958.

Page 7: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 7/160

7

ava it pas une seu le, mai s p lus ieur s formes d'attente messianique.Une chose semble certaine, c'est que pour l'homme du XX e siècle, sauf s'il appartient à

la communauté juive, l'idée même de messie et de messianisme est à peu près dépourvue

de toute signification. L'hom me du XX e siècle, dans son immense majorité, — qu'ilsoit américain ou chinois, russe ou allemand, anglais ou français, —ne sait à peu près rien dece que signifient ces termes.

Lorsque donc on prononce ces mots :  J ésus Christ Jésus, le nom propre, est bienentendu reçu comme tel, mais sans qu'on en discerne la signification, qui était patente pour une oreil le juive palest inienne au Ier  siècle de notre ère. Quant au termede « Christ », il est purement et simplement hermétiquement fermé pour l'immensemajorité de nos contemporains.

Tout le monde sait que le mot français évangile, traduit le grec euanggelion, qui signifiel'heureuse annonce. Le mot grec euanggelion traduit le mot araméen besôreta, qui signifiel'annonce. Le verbe bassar signifie annoncer. (En hébreu : bissar.)

Mais tout le monde ne sait pas que l'expression française " nouveau testament ", quitraduit le latin novum testamentum, le grec kainê diathêkê,  provient de l'hébreu berithadaschah, qui signifie l'alliance nouvelle. Jérémie, 31, 31 : « Et voici que des joursviennent, oracle de Yhwh, où je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Judaune alliance nouvelle, berit hadaschah...»

Lorsque vous traduisez novum testamentum par « nouveau testament », vous induisezl'oreille française moderne sur une fausse route, car pour un français moderne un «testament » es t autre chose qu'une " alliance ".

On dit parfois que nos contemporains n'ont plus le sens de la rédemption. — Il faut noter toutd'abord qu'ils ne comprennent pas ce que ce mot veut dire, pour des raisons très simples : parceque ce mot appartient à un milieu ethnique qui n'est plus le nôtre.

Le mot français rédemption, est une transcription du latin redemptio, qui vient deredimere : racheter. Le redemptor — qui a donné le français rédempteur — c'est celui quirachète.

Le mot latin redemptio traduit le mot grec apolutrôsis, qui est employé une douzaine de foisdans le N. T. : Luc, 21, 28; Romains, 3,24 : 8, 23 ; I Cor. I, 3o; Éph. I, 7,14; 4,30; Hébr. 9,15; II,35.

Comme on le voit, le mot que l'on traduit en français par " rédemption " n'est employéqu'une seule fois dans les Évangiles...

Le mot grec apolutrôsis signifie : rachat d'un captif. Il provient du verbe apolutroô, quisignifie : délivrer moyennant rançon.

Le mot grec apolutrôsis ou plus exactement le verbe apolutroô traduit deux verbes hébreux :

1. Gaal 2. Padah.Le verbe hébreu gaal signifie « racheter ». Ex. : Lév. 25, 33: « Si quelqu'un rachète (quoi que ce

soit) des Lévites... » (cf. Lév. 27, 13, 15, 19 (« racheter le champ ») etc.En particulier, le Lévitique nous dit :Lévi. 25, 23 : « La terre ne se vendra pas à perpétuité, car la terre est à moi, tandis que vous

êtes des hôtes et des résidants chez moi. Dans toute terre qui sera votre propriété, vousdonnerez droit de rachat sur la terre.

« Quand ton frère sera dans la gêne et aura vendu de sa propriété, alors viendra sonracheteur, le plus proche, et il rachètera la chose vendue par son frère. Mais si un homme n'a pasde racheteur, etc. »

Le « racheteur » (= rédempteur), c'est le goel, participe du verbe gaal.

Page 8: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 8/160

8

Le livre des Nombres, 35, 19, nous parle du « vengeur du sang », littéralement « racheteur » dusang :

 Nomb. 35, 19 : « Le vengeur du sang (goel hadam), c'est lui qui mettra à mort le meurtrier... »

De même, Deut. 19, 6 : « C'est de peur que le vengeur du sang ne poursuive le meurtrier... »Le Lévitique, de nouveau, 25, 47, nous dit :« Quand un hôte, un résidant chez toi a de quoi, tandis que ton frère chez lui est dans la gêne et

s'est vendu à l'hôte, au résidant chez toi, ou au rejeton de la famille d'un hôte, après qu'il s'estvendu il y a pour lui droit de rachat : l'un de ses frères le rachètera. Ou son oncle ou le fils de sononcle le rachètera, ou quelque proche parent, quelqu'un de sa famille le rachètera, ou bien, s'il a  de quoi, il se rachètera. Alors il calculera, avec son acheteur, depuis l'année où il s'est vendu à lui,etc. »

Exode, 6, 2 : « Élohim parla à Moise et lui dit : Je suis Yhwh ! J 'ai moi-même entendu lesoupir des fils d'Israël qu'asservissent les Égyptiens et je me suis souvenu de mon alliance. C'est

 pourquoi dis aux fils d'Israël : Je suis Yhwh, je vous ferai sortir de dessous les charges d'Égypteet je vous délivrerai de sa servitude, je vous rachèterai  par bras tendu et par de grandschâtiments. Je vous adopterai pour mon peuple et je deviendrai votre Dieu, vous saurez que jesuis Yhwh... »

De Dieu, il est dit qu'il " rachète " Israël : Exode, 15, 13; Is. 43, I, etc. Ps. 9, 19.Jér. 31, r : « Car Yhwh a racheté Jacob, et l'a délivré de la main d'un plus fort que lui. »Osée, 13, 14 : « De la main du Sheol je les affranchirais ! De la mort je les rachèterais I »Michée, 4, 10 : « Fille de Sion... tu seras délivrée, et Yhwh te rachètera de la paume de tes

ennemis !»Ps. 103, 4 : « Lui qui rachète ta vie de la fosse... »Ps. 107, 1 : « Rendez grâce à Yhwh, car il est bon... »

« Qu'ils le disent, les rachetés de Yhwh, ceux qu'il a rachetés de la main de l'adversaire et qu'ila rassemblés des pays de l'Orient et du Couchant... »

Le prophète anonyme du temps de l'Exil à Babylone, dont les oracles ont été joints à ceux du prophète Isaïe, écrit :

Is., 41, 13 : « Car moi, Yhwh, je suis ton Dieu, qui saisit ta main droite et qui te dit : necrains pas, je t'aide ! (...) C'est moi qui t 'aide, oracle de Yhwh, celui qui te rachète (goel)c'est le Saint d'Israël...

Jér. 50, 34 : « Mais leur rédempteur est fort, son nom et Yhwh des armées. »Le verbe hébreu padah signifie aussi : « acheter pour libérer », d'où : « délivrer », « sauver ».Exemples :Deut. 9, 26 : " Adonai Yhwh, ne détruis pas ton peuple et ton héritage, que tu as libéré par 

ta grandeur, que tu as fait sortir d'Égypte par une main forte. "Deut. 15, 15 : " Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte et que Yhwh ton

Dieu t'a libéré. "Deut. 21, 8 : " Pardonne à ton peuple Israël, que tu as racheté, ô Yhwh... "Deut. 7, 8 : " Parce que Yhwh vous a aimés... c'est pour cela que Yhwh vous a fait sortir 

d'Égypte par une main forte et qu'il t'a libéré de la maison des esclaves... "Les deux verbes hébreux qui signifient " racheter ", veulent dire, dans le contexte

ethnique palestinien, " libérer ", puisque pour libérer celui qui avait été vendu ou était réduiten esclavage, il fallait le racheter.

Le rachat, la rédemption, c'est la libération. Le rédempteur, c'est le libérateur.Les mots " rédemption ", et " rédempteur " ne disent rien à une oreille du XXe siècle. Tandis

Page 9: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 9/160

9

que " libération " signifie quelque chose.Il faut donc ou bien continuer d'employer les vieux termes bibliques, — mais alors en

expliquant leur sens. Ou bien trouver des mots modernes dont la signification soit équivalente.

Prenons un autre exemple le mot scandale.Comme le fait remarquer Pierre Bonnard dans son commentaire de l'Évangile selon saint

Matthieu (p. 269), " le verbe skandalizein (" scandaliser ") est du mauvais grec qui vientdirectement des textes tardifs de la Septante (Daniel, Siracide). Faisant probablementallusion à cette même parole de Jésus (Mat. 18, 6) que la tradition lui avait transmise, Paul,quelques années plus tôt, jugeait nécessaire d'expliquer le mot grec skandalon par un autreterme plus accessible à ses lecteurs (proskomma, Rom. 14, 13; I Cor. 8, 9); on voit que latransmission des paroles de Jésus bien loin d'être mécanique, obéissait aux nécessités régionalesde la catéchèse2. " 

Si les mots " scandale ", " scandaliser ", étaient déjà obscurs pour les contemporains dePaul, dans les années 5o ou 6o, combien plus pour nous, 19 siècles plus tard, alors que le sensgénuinedu mot grec nous échappe...

Traduire skandalon par " scandale ", et skandalizein par " scandaliser ", c'est en fait ne pastraduire du tout.

Pire, c'est induire en erreur, car aujourd'hui le mot " scandale ", dans le langage courant,signifie tout autre chose que skandalon dans la langue biblique.

Les mots français " scandale ", " scandaliser ", proviennent du latin ecclésiastique scandalum,qui signifie " piège, obstacle contre lequel on bute ".

Le mot latin scandalumtraduit le mot grec skandalon,qui signifie : " piège placé sur le chemin,obstacle pour faire tomber ".

Exemple : Lévitique, 19, 14, dans la traduction des LXX :" Tu ne maudiras pas un sourd et devant un aveugle tu ne mettras pas d'obstacle

(skandalon). "Josué, 23, 13 : " Sachez bien que Yhwh votre Dieu ne continuera pas de déposséder ces nations

 par-devers vous et elles deviendront pour vous un filet et un piège (skandala)..."Le mot grec skandalon est à rapprocher de la racine sanscrite : skandati, sauter, qui a donné le

latin scanda.Juges, 2, 1-3 : " L'Ange de Yhwh (...) dit : Je vous ai fait monter d'Égypte et vous ai fait

entrer dans le pays que j'ai promis par serment à vos pères. J'ai dit : Je ne romprai pas monalliance avec vous à jamais, et vous ne conclurez pas d'alliance avec les habitants de ce pays, vousrenverserez leurs autels ! Mais vous n'avez pas écouté ma voix... Aussi ai-je dit : Je ne les

chasserai pas de devant vous, ils seront sur vos flancs et leurs dieux deviendront un piège (eisskandalon) pour vous. "

Juges, 8, 27 :" Gédéon... fit un éphod et l'érigea dans sa ville... où tous les Israélites se prostituèrent derrière cet éphod, qui devint un piège (eis skandalon)  pour Gédéon et pour samaison. "

Judith, 5, 1 : " On rapporta à Olopherne, général en chef de l'armée d'Assour, que lesfils d'Israël s'étaient préparés pour combattre, qu'ils avaient fermé les chemins de la régionmontagneuse, muni de remparts tous les sommets de la haute montagne et placé des obstacles(skandala) dans les plaines. "

2 P. BONNARD, l'Évangile selon saint Matthieu, Neuchâtel, 1963, p. 269.

Page 10: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 10/160

10

Judith, 5,  20 : " Et maintenant, souverain seigneur, s'il y a quelque faute en ce peuple,s'ils pèchent contre leur Dieu et que nous observions qu'il y a chez eux cette pierred'achoppement (skandalon touto)..."

Judith, 12, 2 : " Judith dit : Je n'en mangerai pas, de peur que ce ne soit une occasion dechute, skandalon. "

Le mot grec skandalon, dans la version des Septante, traduit plusieurs mots hébreuxdifférents, dont les deux principaux sont : 1. Moqeschet 2. Mikeschol.

I. Moqeschvient du verbe iqasch,qui signifie :" tendre un piège ". Exemple : Jér. 50, 24 : " Jet'ai tendu un piège (iaqoscheti) et ainsi tu as été attrapée, Babel. "

Ps. 141, 9 : " Garde-moi du lacet que ceux-là m'ont tendu, (iaqeschu) et des pièges(moqeschot) de ceux qui font le péché. "

Ps. 124, 7 : " Notre âme, comme un passereau, s'est échappée du filet des oiseleurs(ioqeschim)."

A la forme niphal, le verbe iqasch signifie : " être pris dans le filet ".

Exemple : Isaïe, 8, 13 :" C'est Yhwh des armées que vous tiendrez pour saint,c'est lui que vous avez lieu de craindre,c'est lui que vous avez lieu de redouter.Il deviendra un sanctuaire, une pierre que l'on heurteet un roc d'achoppement (tzur mikeschol), pour les deux maisons d'Israël,un filet et un piège (lemoqesch) pour l'habitant de Jérusalem.Beaucoup y trébucheront (kaschelu),ils tomberont et se briseront,ils seront pris au piège (noqeschu) et seront attrapés. "

Le moqesch, Ps. 141, 9, et à l'origine vraisemblablement le bois avec lequel on frappe, puis le piège, qui provoque la perte.

Amos, 3, 5 : " Est-ce qu'un passereau tombe dans le lacet par terre sans qu'il y ait un piège(moqesch) pour lui ? "

Psaume, 69, 23 : " Que leur table devant eux devienne un lacet, et leurs mets sacrés un piège(lemoqesch)."

Ps. 141, 9 : " Garde-moi du lacet que ceux-là m'ont tendu et des pièges (moqeschot) deceux qui font le mal. "

Exode, 24, 33 :  "  Ils n'habiteront plus dans ton pays de peur qu'ils ne te fassent pécher contre moi, quand tu servirais d'autres dieux, et ce serait un piège (moqesch) pour toi. "

Exode, 34, 11-12 : " Voici que, moi, je chasse de devant toi l'Amorrhéen, le

Cananéen, le Hittite, le Périzzien, le Hévéen et le Iebuséen. Garde-toi de conclure unealliance avec l'habitant du pays dans lequel tu entreras, de peur qu'il ne devienne un piège(moqesch) au milieu de toi. "

Les LXX ont traduit dans ces deux cas le mot hébreu moqesch  par le mot grec :proskomma, qui signifie : l'obstacle contre lequel on se heurte, heurt, achoppement.

En somme, proskomma et skandalon sont à peu près synonymes.Deut. 7, 16 : " Tu dévoreras tous les peuples que Yhwh, ton Dieu, te livre, ton oeil ne

s'apitoiera pas sur eux et tu ne serviras pas leurs dieux, car ce serait un piège pour toi. "L'autre mot hébreu, qui a été traduit en grec par les LXX par le mot skandalon, c'est

mikeschol, qui vient du verbe kaschal, qui signifie : buter avec le pied, trébucher, parce qu'on n'yvoit pas.

Page 11: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 11/160

11

Exemples :Is. 59, 10: " Nous tâtonnons comme des aveugles le long d'un mur, nous tâtonnons comme ceux

qui n'ont plus d'yeux; nous trébuchons (kaschalenu) en plein midi comme au crépuscule. "

Lévitique, 26, 37 : " Ils trébucheront l'un contre l'autre comme devant l'épée et ils tomberontmême sans qu'on les poursuive. "

Jér. 46, 12 : " Les nations ont appris ton ignominieet la terre a été remplie de ta clameur,car le héros a trébuché contre le héros,tous deux sont tombés simultanément. "Isaïe, 31, 3 : " L'Égyptien et homme, non dieu;ses chevaux sont chair, non esprit.Yhwh étendra sa main :celui qui secourt trébuchera,celui qui est secouru tombera... "

Jér. 46, 16 : " Il en a fait trébucher beaucoup,chacun tombe sur son compagnon... "Osée, 4, 5 : " Et tu trébucheras en plein jour,même le prophète trébuchera avec toi, la nuit. "Le mikeschol est ce sur quoi l'on bute, trébuche et tombe, l’obstacle.Exemples :Isaïe, 57, 14 : " On dira : Élevez une chaussée ! élevez une chaussée ! frayez une route !Enlevez tout obstacle de la route de mon peuple. "Lévitique, 19, 14 : " Tu ne maudiras pas un sourd et devant un aveugle tu ne mettras pas

d'obstacle..."Ézéchiel, 7, 19 : " Ils jetteront leur argent dans les rues et leur or deviendra une souillure.

Leur argent et leur or ne pourront les sauver au jour de la fureur de Yhwh... Car ce fut la pierred'achoppement (mikeschol), cause de leur faute. "

Ézéchiel, 14, 4 :  "  Ainsi parle Adonai Yhwh : Tout homme de la maison d'Israël qui feramonter la pensée de ses sales idoles en son coeur et qui placera devant sa face l'achoppement..."

Ézéchiel, 18, 30 : " Revenez, détournez-vous de toutes vos transgressions et elles ne seront plus pour vous ce sur quoi l'on tombe (lemikeschol)."

Le mikeschol peut être aussi une pierre d'achoppement située dans le coeur de l'homme :I Samuel, 25, 30-31 : " Ainsi donc, lorsque Yhwh aura réalisé pour mon seigneur tout le

 bien qu'il a prédit à ton sujet et qu'il t'aura institué comme chef sur Israël, ce ne sera pas pour toi un scrupule, et pour mon seigneur un obstacle de coeur (lemikeschol leb) d'avoir sans raisonversé le sang... "

Stählin, dans l'article skandalon du Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament (t. VII, p. 340), fait remarquer qu'il existe un troisième équivalent au grec skandalon. Ce troisièmeéquivalent n'est pas utilisé dans l'A. T. sauf dans le Siracide hébreu, mais souvent dans la Michnaet le Talmud : c'est l'araméen tegal, faire tomber, trébucher. Tegalah signifie le heurt, le piège quifait to m b e r , l a c h u t e .

Dans les LXX, ce verbe n'est pas traduit par skandalizein, mais par proskoptein.Il est vraisemblable, écrit Stählin, que le mot teqal et celui que le rabbi Ieschoua utilisait,

et qui a été traduit par skandalizô.Par cette petite enquête, on voit que les termes skandalon, et skandalizein, qu'on peut

lire dans le Nouveau Testament grec, et qui sont traduits en français par " scandale " et "scandaliser ", ne signifient pas, et de loin, ce qu'on entend communément aujourd'hui par "

Page 12: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 12/160

12

scandale " et " «scandaliser ».Pour une oreille française en cette seconde moitié du XXe siècle, un scandale est soit une

affaire de moeurs, soit une affaire financière louche ou frauduleuse, et encore faut-il qu'elle soit

connue pour telle ! La débauche ou la fraude ne sont scandaleuses que si elles sont connues. Lescandale " éclate " lorsque le public en prend connaissance. Définition de Littré : " Éclat fâcheuxque cause une affaire de mauvais exemple. "

Si donc on se contente de traduire, ou plutôt de transcrire skandalon par " scandale " etskandalizein par " scandaliser ", non seulement on ne traduit pas - on ne fait que reproduire le sondu mot grec - mais de plus on oriente le lecteur moderne dans une direction qui n'est certes pascelle dans laquelle était orienté l'auditeur du rabbi Ieschoua lorsqu'il parlait, en araméen, detaqalah.

Pour retrouver le sens de ce mot araméen traduit en grec par  skandalon, il faut faire lagénéalogie du terme, et voir comment il s'emploie dans les livres saints des Juifs.

On peut lire, dans les traductions françaises du Nouveau Testament (c'est-à-dire des livres dela " nouvelle alliance "...) et plus précisément des Évangiles (dans les livres qui contiennentl'annoncede Ieschoua...) que Jésus " prêchait ", et même qu'il a fait un " sermon " sur lamontagne. Certes, et comme d'habitude, la traduction n'est pas littéralement inexacte, puisque, le lettré le sait, le mot français " prêcher " vient du latin praedicare, qui, en latinclassique, signifie : publier, annoncer. Le verbe latin praedicare traduit le grec kerussô, quisignifie : annoncer. Le keruxest celui qui annonce à haute voix, le crieur public.

Mais, pour une oreille moderne, par suite de l'évolution du terme et à cause du contexteculturel, il se trouve que le verbe " prêcher " a pris une signification spéciale.

Cette signification ne correspond pas au terme grec, qui traduit lui-même un terme araméen,lequel désigne une action du rabbi Ieschoua. Le rabbi Ieschoua ne " prêchait " pas, comme le

fait un " prédicateur " moderne. Il ne faisait pas non plus de " sermons ". Il enseignait, ce qui esttrès différent. Il annonçaitquelque chose, il proclamait.

Il est aussi tout à fait inutile de laisser, comme c'est la mode aujourd'hui, le mot en grec, etde parler de kérygme (kêrugma), car le français non helléniste n'est pas plus avancé.Autant, si l'on veut s'engager dans cette voie pédante, laisser tout le Nouveau Testament engrec...

Dans les traductions françaises, on rend le grec apostolos par " apôtre ". Autant direque, une fois de plus, on ne traduit pas. Apostolos vient du grec apostellein qui signifie :envoyer. Le lettré le sait, mais l'enfant des rues ne le sait pas, ni le docker de Marseille, nimême forcément l'ingénieur qui sort de l'école polytechnique.

Ainsi, un certain nombre de termes techniques fondamentaux, essentiels pour l'intelligence du

christianisme sont complètement fermés à l'intelligence de nos contemporains, toutsimplement parce qu'ils ne sont pas traduits, ni expliqués.

Le rabbi palestinien dont nous proposons d'exposer l'enseignement, à l'intention d'unlecteur idéal supposé ignorant et neuf, ne parlait pas le grec, mais un dialecte araméen. Sonenseignement, exclusivement oral, a été donné en araméen, à des hommes simples qui n'étaient pas des " intellectuels ", ni des lettrés, mais des travailleurs manuels.

Cet enseignement araméen a été transmis d'abord oralement, puis il a été traduit enlangue grecque commune, puis noté par écrit. Ainsi notre texte grec n'est qu'unetraduction d'un enseignement qui a été primitivement araméen.

Pour s'efforcer de comprendre pleinement la pensée du rabbi palestinien, il faudrait doncessayer de retrouver, sous le texte grec qui n'est qu'une traduction, les mots araméens

Page 13: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 13/160

13

qu 'i l a employés. Quantité de textes restent obscurs tant qu'on n'a pas retrouvé l'araméen sous legrec.

Tout le monde sait que, pour comprendre Platon, Aristote ou Plotin, il faut apprendre à

les lire en grec. Pour comprendre Kant, Hegel ou Marx, il faut les lire en allemand. De même pour le rabbi Ieschoua : pour comprendre sa pensée, il faudrait retrouver l'araméen qu i ét ai tsous le grec de la traduction dont nous disposons.

Quelques rares savants, au cours des siècles, et aujourd'hui, se sont efforcés de retrouver  partiellement le substrat araméen des Évangiles.

 Nous avons classé l'enseignement du rabbi en quelques chapitres. On pourra nous reprocher d'avoir ainsi donné une forme systématique à un enseignement qui a été sans doutespontané, et d'avoir tiré les " paraboles " du rabbi palestinien du contexte historique etvivant dans lequel elles étaient insérées.

L'examen scientifique et critique des Évangiles a établi que les propos du rabbi palestinien

avaient été déjà classés, dans les Évangiles synoptiques, selon un ordre systématique, quirépondait aux préoccupations des communautés qui proposaient cet enseignement, mais non àl'ordre historique premier.

" Le mérite durable des travaux sur la " Formgeschichte " est d'avoir démontré que,comme toute tradition orale, la tradition évangélique ne renfermait que des fragments isolés, entrelesquels il n'y avait aucun lien chronologique et géographique. L'oeuvre des évangélistes quiont rassemblé ces fragments de tradition épars a consisté à les classer, chacun à sa manière... On peut montrer qu'ils ont eu chacun leur méthode de classement. Il est particulièrement instructif decomparer à cet égard Matthieu et Luc. Matthieu, pour disposer sa matière, suit un planméthodique, théologique, c'est-à-dire rapproche les récits qui lui semblent aller de pair d'après leur signification théologique : récits de miracles, paroles sur la Loi, paroles sur Jean-

Baptiste (Mat. 11), paraboles (Mat. 13), paroles contre les pharisiens (Mat. 23), etc. Que ceregroupement ne respecte pas toujours l'ordre chronologique, Matthieu ne s'en préoccupe guère,car c'est d'uns autre point de vue qu'il écrit son évangile. Par contre, l’évangéliste Luc,comme il le dit lui-même dans son prologue, s'efforce de relater les événements dans leur ordrechronologique 3. "

Joachim Jérémias, professeur, à l'université de Gôttingen, dans le magistral ouvrage qu'il aconsacré aux " paraboles " de Jésus4, conclut ses savantes analyses en ces termes :

" A l'origine, comme toutes les paroles de Jésus, les paraboles se sont insérées dans sonactivité et correspondent à des situations précises et concrètes de celle-ci. Mais ensuite, ellesont " vécu " dans l'Église primitive, et nous ne connaissons les paraboles que dans la forme queleur a donnée celle-ci. Notre tâche et donc de retrouver dans la mesure du possible, leur visage

originel. Pour ce faire, nous serons aidés par l’observation d'un certain nombre de lois qui ont joué dans leur transformation

1. La traduction des paraboles en grec a inévitablement apporté des glissements de sens.2. Les détails des images utilisé, es sont aussi parfois " traduits ".3.  Nous remarquons la joie que très tôt l'on a pris à embellir les paraboles.4. Des paraboles qui, originellement  ont été dites à des adversaires ou à la foule, l'Église

 primitive les a tournées comme si elles étaient adressées à la communauté chrétienne.

3 O. CULLMANN, Saint Pierre, p. 159.4 J. Jérémias, Die Gleichnisse J esu, Gôttingen, 1956, p. 96. Trad. fr. les Paraboles de Jésus (Livre de Vie),Paris, 1968, p. 158-159.

Page 14: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 14/160

14

5. Le résultat en est très souvent un déplacement de l'accent vers l'enseignement parénétique; on passe en particulier de l'appel eschatologique à l’application morale.

6. L'Église primitive a rattaché les paraboles à sa propre situation dont la mission et le retard

de la Parousie sont les problèmes essentiels; pour cela, elle leur a donné une interprétationnouvelle et les a amplifiées.

7. Pour servir à sa prédication morale, l'Église primitive a, dans une proportion croissante;expliqué allégoriquement les paraboles.

8. Elle a rassemblé des collections de paraboles, ce qui a produit des fusions.9. Elle a donné un cadre aux paraboles, ce qui a souvent provoqué un glissement de sens;

en particulier en dotant beaucoup d'entre elles de conclusions généralisantes...Ces lois de transformation sont autant de moyens pour retrouver la signification originelle

des paraboles de Jésus. "L'enseignement du rabbi Ieschoua que nous trouvons dans les trois Évangiles synoptiques

ne constitue pas le tout de sa pensée, le tout de la doctrine théologique qu'il professait, car 

le rabbi estimait connu et supposait admis ce qui est à l'arrière-fond de son enseignement,ce que son enseignement présuppose : toute la théologie monothéiste enseignée par les patriarches, par Moïse et par les prophètes d'Israël, par les sages et les psalmistes. Tout celaest supposé connu des auditeurs du rabbi, et Ieschoua ne revient pas sur les éléments, lesarticles fondamentaux de la théologie hébraïque : un seul Dieu, créateur du ciel et de later re, l'alliance avec Abraham, la Torah, etc.

 Nous ferons comme lui. Nous ne reviendrons pas sur l'essentiel et les traitscaractéristiques de la pensée théologique d'Israël, que nous avons exposés ailleurs.

Le présent travail est la suite et le complément normal du travail précédent intitulé : Leproblème de la Révélation5.

Dans cette étude, nous avions essayé de voir si, en examinant le fait Israël, avec tout ce

qu'il contient, d'une manière objective, scientifique et rationnelle, on pouvait répondre à laquestion : Oui ou non, en Israël, le Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, s'est-ilmanifesté ?

Ce travail, à son tour, présupposait un travail antérieur : Existe-t-il un être, distinctdu monde, créateur du monde, qu'il soit permis d'appeler Dieu6 ? 

Dans les pages qui suivent, nous nous poserons la question : Cet homme, le rabbiIeschoua de Nazareth, tel qu'il se présente à nous, dans son existence, ses aces, soncomportement, son enseignement, peut-il être considéré, ou non, comme l'Enseignement plénier de Dieu, la manifestation personnelle de Dieu ? C'est donc encore le problème de la révélation quenous essayons d'aborder dans le présent volume.

Il était sans doute arbitraire et artificiel de laisser de côté, en étudiant le fait que constitue le

 prophétisme hébreu, le dernier des prophètes d'Israël , Ieschoua. Car, vu du dehors, et pour quelqu'un qui n'a pas de parti pris ni de préjugé, il semble évident que le rabbi palestiniencrucifié par la police d'occupation romaine se situe dans la grande lignée des prophètesd'Israël, dans la continuité d'Amos, d'Osée, de Jérémie...

 Nous aurions peut-être dû, pour traiter le problème de la révélation, intégrer immédiatementIeschoua dans le champ de notre étude.

 Nous avons préféré commencer d'étudier le problème de la révélation en mettant à part laquestion de Ieschoua, en nous plaçant ainsi dans une perspective qui est commune au judaïsme et

5 Le Problème de la Révélation, Paris, Éditions du Seuil, 1969.6 Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, Paris, Éditions du Seuil, 1966.

Page 15: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 15/160

15

au christianisme, puisque pour les chrétiens comme pour les juifs, il y a une révélationauthentique depuis Abraham jusqu'au dernier des inspirés dont les écrits sont contenus dans laBible hébraïque.

Il nous faut maintenant aborder l'enseignement du dernier des prophètes d'Israël pour lui-même. La richesse extrême de cet enseignement justifie, pensons-nous, qu'on l'examine à part.

Page 16: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 16/160

16

I. LE GUÉRISSEUR

Mat. 4, 23 : " Il circulait dans toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, et annonçantl'heureuse nouvelle du règne (de Dieu) et guérissant toute maladie et toute infirmité dans le peuple. Et elle se répandit, sa renommée, dans toute la Syrie. Et on lui amena tous ceux qui se portaient mal, ceux qui étaient atteints par diverses maladies et tourments, des démoniaques etdes lunatiques et des paralytiques, et il les guérit. Et le suivirent des foules nombreuses, venant dela Galilée et de la Décapole, et de Jérusalem et de la Judée, et du pays qui est au-delà du Jourdain."

Mat. 9, 35 : " Ieschoua parcourait toutes les villes et les bourgs. Il enseignait dans leurssynagogues, proclamant l'heureuse annonce du royaume, et guérissant toute maladie et touteinfirmité. "

C'est ainsi qu'il se présentait aux gens de son pays et de son temps, qui entendaient parler de

lui pour la première fois, ou qui le voyaient pour la première fois : un homme qui guérit, quienseigne, qui parcourt les routes pour guérir et enseigner.

C'est ainsi que nous ferons connaissance avec lui.

Le problème du miracle

Ce qu'on appelle " miracle " (du latin mirari : ce dont on s'étonne, ce qu'on admire), ou " prodige ", ce que le Nouveau Testament grec appelle plus volontiers signe (sêmeion) n'est pas, ence qui concerne le rabbi palestinien Ieschoua, une opération qui viole les " lois naturelles ", ni le "déterminisme " de ces lois. Les seuls " miracles " du rabbi Ieschoua sont des guérisons, et pas

n'importe quelles guérisons. Les miracles du rabbi sont des régénérations. Si ce que les traditionsnombreuses nous rapportent de lui est vrai, alors il avait le pouvoir de régénérer ce qui étaitmalade, de réinformer, du dedans, ce qui était déformé, et de rétablir les " lois naturelles " physiologiques abîmées. En somme, il avait - si les traditions sont exactes - le pouvoir de recréer,de réorganiser ce qui avait été organisé et qui s'était désorganisé.

Des guérisons de ce genre, nul ne peut dire qu'elles sont a priori impossibles. Nous constatons,en étudiant la nature, - la cosmologie, la physique, la biologie, les sciences humaines, - que laréalité objective, le monde et tout ce qu'il contient, la matière, les êtres vivants, les hommes, -comportent une structure et des lois d'existence. Nous constatons, en étudiant un être vivant, qu'ilcomporte une structure complexe, bien définie, et que l'économie de son existence, qui est vie,n'est pas quelconque. La vie et le mode de vie d'un être vivant sont en rapport avec sa structure,

avec son anatomie. Il existe une relation entre la structure et la fonction. N'importe quel organene peut pas exercer n'importe quelle fonction. Il existe des lois physiologiques qui sont en rapportavec les structures biologiques.

Mais nous savons que, lorsqu'il n'existait pas encore de société industrielle, - au temps del'homme de Cro-Magnon par exemple -il n'existait pas non plus de lois économiquescaractéristiques des sociétés industrielles. Les lois naturelles ne préexistent pas aux réalitésqu'elles caractérisent. Lorsqu'il n'y avait pas encore d'êtres vivants sur la terre, il n'y avait pas non plus de lois physiologiques caractéristiques des organismes vivants. Ce que nous appelons, ensciences expérimentales, les " lois naturelles ", c'est la connaissance que nous prenons de lastructure et du fonctionnement des êtres que nous étudions. Les lois naturelles sont connues par indu&ion et par analyse, à partir de la réalité expérimentale.

Page 17: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 17/160

17

Lorsqu'il n'y avait pas encore d'êtres vivants sur la terre, ni dans notre galaxie, - par exemple ily a quatre milliards d'années, - il n'y avait pas non plus, disions-nous, de lois naturelles d'ordre biologique. Supposons un esprit angélique, ou bien un petit démon analogue au " démon "

qu'avait imaginé le physicien Maxwell pour traiter des problèmes de probabilités dans le processus de communication des molécules entre deux récipients; ou encore, ce qui est plus proche de notre problème, le démon imaginé par. Laplace, lorsqu'il écrivait en 1814 : " Uneintelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature et animée, et lasituation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettreces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grandscorps de l'univers et ceux du plus léger atome rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, commele passé, serait présent à ses yeux7. "

Supposons donc une " intelligence " telle que l'imaginait Laplace en 1814, et plaçons-la, dansl'histoire de l'évolution de l'univers, par exemple dix milliards d'années avant nous. A cetteépoque, l'expansion de l'univers était commencée depuis environ trois milliards d'années.

L'univers était composé de protogalaxies, et, du point de vue de la matière, principalementd'hydrogène. Supposons donc une intelligence qui connaisse parfaitement la nature et l'état de lamatière de l'univers en ce temps-là, les corrélations qui existaient entre tous les atomesd'hydrogène, les mouvements des tourbillons qui allaient constituer, vraisemblablement, lesgalaxies. En ce temps-là, il n'y avait pas encore, ou du moins il n'y avait que très peu, de ce qu'en physique on appelle les " noyaux lourds ". Les noyaux lourds, les corps chimiques dont lesnoyaux sont complexes, ont été, nous apprend la physique contemporaine, constitués progressivement, dans les étoiles.

Il n'y avait certainement pas, en ce temps-là, de synthèses moléculaires complexes. Laconstruction, la composition des molécules complexes qui entrent dans la constitution desorganismes vivants, est une oeuvre beaucoup plus tardive, qui ne fut possible que sur des planètes

tièdes, et dans certaines conditions de rayonnement. Il n'y avait en ce temps-là ni acides aminés,ni, encore moins, de protéines, ni bien entendu d'acides nucléiques. Il n'y avait pas d'être vivantdans le monde.

Une intelligence - " l'intelligence de Laplace, - placée en ce temps-là, et supposée connaître' parfaitement et exhaustivement l'état du monde en ce temps-là, pouvait-elle, comme le prétendaitLaplace, connaître l'avenir ? Pouvait-elle connaître, à partir de la connaissance du monde qui luiétait présenté, la synthèse des molécules complexes, puis des molécules géantes, qui allait avoir lieu plusieurs milliards d'années plus tard, sur des planètes qui n'existaient pas encore, dans dessystèmes solaires qui n'existaient pas encore, dans des galaxies qui n'étaient pas encore formées ?Le petit démon très intelligent et très savant de Laplace pouvait-il prévoir la genèse des êtresvivants les plus simples, les microorganismes monocellulaires, qui s'est effectuée, par rapport à

nous, il y a environ trois milliards d'années ? Le petit démon de Laplace pouvait-il, à partir de laconnaissance exhaustive qu'il avait de l'univers en ce temps-là, prévoir l'évolution biologique, quis'est poursuivie pendant près de trois milliards d'années, depuis les premiers vivantsmonocellulaires, jusqu'à Mozart ? Pouvait-il prévoir l'invention des organismes complexes,l'invention des organes spécialisés, l'invention des grandes fonctions, enfin tout ce qui constituel'ordre du monde vivant ?

Si vous dites que oui, que le petit démon de Laplace pouvait, à partir d'une connaissancesupposée exhaustive du monde et de l'état du monde il y a dix milliards d'années, prévoir l'évolution ultérieure du monde, de la matière, l'invention de la vie, l'évolution biologique,

7 LAPLACE, Essai philosophique sur les probabilités, 1814.

Page 18: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 18/160

18

l'invention des grandes fondons et des organes qui leur sont nécessaires, l'invention des êtresvivants et pensants, -alors vous dites que, finalement, tout était contenu, au moins virtuellement,ou " en puissance ", dans l'état de l'univers d'il y a dix milliards d'années. Une intelligence qui

aurait eu une connaissance exhaustive de l'état de l'univers d'il y a dix milliards d'années aurait pu prévoir toute l'évolution ultérieure de l'univers, parce qu'elle aurait pu déduire, du passé, l'avenir.Comme le dit Laplace, pour une telle intelligence, " l'avenir, comme le passé, serait présent à sesyeux ".

Autrement dit, toute l'évolution de l'univers serait, dans cette perspective, pré-contenue dansl'état initial de l'univers.

C'est le point de vue qu'en biologie on appelle " préformationniste ".Reste à savoir s'il est vrai.Si vous dites que le petit démon de Laplace peut prévoir toute l'évolution ultérieure de

l'univers, c'est qu'en fait il n'y a rien de radicalement nouveau dans cette histoire de l'univers.Laplace se situait dans cette perspective. Son essai a été rédigé avant la découverte de l'évolution

 biologique par Lamarck et Darwin, et avant le célèbre mémoire de Sadi Carnot : Réflexions sur la paissance motrice du feu... (1824), dans lequel Sadi Carnot établissait, ce qui a été vérifié etétendu par la suite : dans la nature, il existe un certain sens temporel, qui se manifeste par le faitque les réalités physiques et biologiques, lorsqu'elles cessent d'être informées, tendent par elles-mêmes à se dégrader, à se désagréger, à se décomposer, à retourner à la poussière, qui est l'état de plus grande probabilité.

Dans l'univers, dans l'histoire de l'univers telle que nous la connaissons aujourd'hui, noussavons maintenant qu'il faut distinguer deux processus fondamentaux, tous les deux irréversibles,et de sens contraires : l'un, c'est, au cours du temps, la croissance de l'information. L'évolution biologique, c'est la croissance de l'information génétique. - L'autre, c'est l'accroissement del'entropie, ou tendance à la dégradation.

Les phénomènes purement mécaniques sont parfaitement réversibles et ne sont pashistoriques. Une machine n'évolue pas au cours du temps. Elle n'a pas d'histoire. Il n'y a pas enelle de genèse. A la rigueur, et avec le temps, elle s'use. Mais elle ne se développe pas. On peut parfaitement, connaissant un moment du temps de cette machine, supposée bien huilée, prévoir son état à un moment quelconque du temps à venir, car il ne s'y passe rien de nouveau, il n'y a pas d'invention en elle, pas de création. Il n'y a que des répétitions.

L'erreur fondamentale de Laplace, - ou son ignorance - c'est d'avoir assimilé le monde à unegrande machine, comme l'avait fait Descartes. En effet, si le monde est une machine, alors,comme le dit Laplace, une intelligence connaissant parfaitement la composition, la constitution etl'état du monde à un moment donné, pourra connaître aussi tous les moments ultérieurs dumonde. " L'avenir comme le passé sera présent à ses yeux. " Car, dans cette perspective

mécaniste, et erronée, l'avenir n'apporte rien de nouveau par rapport au passé. Il n'y a pasd'évolution créatrice.

Mais le monde n'est pas une machine. Le monde et un processus physique spatio-temporel aucours duquel constamment, l'information augmente, un processus évolutif au cours duquel dunouveau apparaît constamment. Contrairement à ce qu'imaginait Laplace, dans l'histoire dumonde telle que nous la connaissons maintenant, l'avenir et le passé ne sont jamais symétriques par rapport au présent, en quelque moment que nous nous placions. Il y a toujours plus, où quenous nous placions, dans l'avenir que dans le passé. L'ultérieur est constamment plus riche,objectivement, que le passé. Il y a plus d'être, plus d'information, des structures plus complexes,des organismes plus perfectionnés, dans l'avenir que dans le passé.

S'il et vrai, - et cela est incontestable - que l'univers n'est pas une machine statique et toute

Page 19: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 19/160

19

faite (préformationnisme) mais un processus en train de se faire progressivement (épigenèse) alors il et bien évident qu'on ne peut pas déduire l'avenir du passé, car, dans le passé, l'avenir nes'y trouve pas, il ne s'y trouve aucunement. Il y a plus d'information dans l'avenir que dans le

 passé. On ne peut pas déduire une information nouvelle d'un état antérieur où cette informationne se trouvait pas. On ne peut pas déduire les lois biologiques nouvelles qui allaient apparaîtresur les planètes, plus tard, de l'état du monde physique il y a dix milliards d'années. Déductionimplique préformation. Or, encore une fois, il n'y a pas préformation, mais épigenèse, c'est-à-direcroissance de l'information.

Le lecteur dira certainement : " Je croyais que j'allais lire un travail consacré à l'enseignementdu rabbi palestinien que l'auteur appelle Ieschoua, alors que tout le monde l'appelle Jésus.Passons. Et voilà que je me trouve embarqué dans des considérations sur l'entropie, le principe deCarnot, l'information, et la conception du déterminisme proposée en 1814 par Laplace. Mais quelrapport tout cela a-t-il donc avec notre sujet ? "

- Un rapport étroit, intime. Car tous ceux qui disent que les miracles du rabbi palestinien

Ieschoua sont a priori impossibles, se fondent sur une certaine vision du monde, une certaine philosophie sous-jacente, une conception des lois de la nature et du déterminisme, qui et justement celle de Laplace.

Car si l'on s'imagine que le monde est une vaste machine comme l'imaginait Laplace, alors eneffet les " guérisons " du rabbi palestinien violent les " lois naturelles " fixes et immuables quicaractérisent, dans cette hypothèse, l'univers. C'est un scandale inadmissible. Nous, membres del'Union rationaliste, nous déchirons, non pas notre robe comme le Grand Prêtre lorsqu'il entenditle même rabbi palestinien tenir des propos qu'il jugea scandaleux, - car nous ne portons pas derobe, - mais moralement nous déchirons quelque chose pour protester contre ce scandalerationnel qu'est le miracle, quel qu'il soit...

Des traditions nombreuses, constantes et fort bien attestées prétendent que le rabbi Ieschoua

guérissait. S'il n'avait pas guéri, il n'aurait sans doute pas assemblé autour de lui des foules sinombreuses. Du côté juif, d'ailleurs, on n'a pas nié qu'il ait guéri. On a objecté qu'il guérissait par la puissance de satan, nous le verrons.

Ceci, c'est la question de fait. Personnellement, je n'y étais pas, et ne peux donc pas me prononcer avec certitude sur la question du fait, car je n'ai pas été témoin de ces guérisons.

Mais ce que je dis, c'est qu'il n'est pas permis, du point de vue rationnel où nous nous plaçons,de déclarer a priori impossibles ces guérisons " miraculeuses ", car, au nom de l'état de la natureque nous connaissons aujourd'hui, et au nom des lois naturelles que nous avons dégagéesaujourd'hui par analyse et induction, nous n'avons pas le droit de légiférer sur le possible etl'impossible, et de déclarer que le rabbi ne pouvait pas procéder à ces guérisons qui ont consisté,encore une fois, à ré-informer du dedans ce qui avait perdu l'information, à régénérer ce qui était

malade, à reconstituer en somme les lois physiologiques détériorées.Une intelligence placée par hypothèse il y a dix milliards d'années, ne pouvait certes pas

déduire, de l'état de l'univers qui s'offrait alors à elle, les inventions, les genèses ultérieures, lescréations qui allaient avoir lieu plus tard. Car ces inventions, l'invention de la vie, l'invention queconstitue chaque espèce vivante nouvelle, n'étaient pas pré contenuesdans les nuées d'hydrogènequi constituaient, pour l'essentiel, l'univers il y a dix milliards d'années.

Mais une intelligence située à ce moment du temps, de l'histoire de l'univers, ne pouvait pasnon plus déclarer légitimement que la genèse de la vie était impossible; que l'invention desespèces vivantes, l'invention des organismes, des grandes fonctions, la respiration, la circulationdu sang, la sexualité, etc., que l'invention de la vue et des cerveaux capables de pensée, que toutcela était impossible. Il y a dix milliards d'années, dans l'univers, tout cela n'y était pas. Cela n'y

Page 20: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 20/160

20

était d'aucune façon, ni " en acte ", ni " en puissance ", ni " en germe ". Cela était à faire, àinventer, mais cela n'était pas encore inventé. On ne pouvait donc ni déduire l'avenir de l'universde son passé, ni déclarer que cette évolution créatrice ultérieure était impossible.

Au nom du passé, on ne peut pas poser des limites ni imposer des interdits à une actioncréatrice en train d'opérer.

Ce que je crains, c'est que le démon de Laplace, s'il avait été membre de l'Union rationaliste,aurait déclaré, en considérant avec sérieux et compétence l'état du monde il y a dix milliardsd'années : " Non, rien de nouveau ne peut sortir de là. L'univers est ce qu'il est. Il est défini par des lois physiques précises et constantes. Prétendre que des inventions fantastiques - l'inventionde la vie, l'évolution biologique, les êtres pensants, - vont avoir lieu, ou peuvent avoir lieu dansl'avenir, qui ne sont pas conformes aux lois naturelles existantes aujourd'hui (en effet il y auracréation de lois naturelles nouvelles) cela n'est pas tolérable pour un rationaliste bon teint.Anathème à celui qui prétend que cela est possible. "

Un rationalisme authentique, aujourd'hui, doit être un rationalisme non pas a priori, mais

fondé sur la méthode expérimentale et sur la connaissance expérimentale de l'univers. Or l'univers se présente à nous aujourd'hui comme un processus évolutif, c'est-à-dire un processusdans lequel, au cours du temps, du nouveau apparaît constamment. L'information croît au coursdu temps. Être rationaliste, aujourd'hui, c'est voir cela, le reconnaître et le professer.

Le rabbi Ieschoua a-t-il ou n'a-t-il pas guéri des gens dans la Palestine occupée par l'arméeromaine, au cours des années 30 de notre ère ? C'est une question de fait. Pour établir ce fait, ilfaut examiner critiquement les témoignages, et raisonner sur eux. Mais ce qu'il n'est pas permisde faire, c'est de déclarer a priori que ces guérisons sont impossibles, au nom des " lois naturelles" et au nom du " déterminisme ", car encore une fois, le rabbi Ieschoua ne violait pas les ".loisnaturelles ". Il rétablissait les lois naturelles physiologiques dans leur norme native. Cela n'est pashabituel, certes. Cela ne se voit pas tous les jours. Mais nul ne peut dire que cela est a priori 

impossible. C'est quelque chose de nouveau, pour nous. Le rabbi Ieschoua, s'il a vraiment guérides malades, a manifesté par là un pouvoir sur la nature, la capacité de ré-informer du dedans cequi était détérioré. Mais nous n'avons aucun titre pour déclarer péremptoirement que cela etimpossible. Car, il y a dix milliards d'années, avec le même raisonnement, nous aurions pu toutaussi bien dire que l'apparition de la vie était impossible, et, il y a deux ou trois milliardsd'années, en considérant les microorganismes qui étaient les seuls représentants de la vie sur laterre, nous aurions pu dire que l'invention de Mozart était absolument impossible.

Or Mozart est finalement né dans la nature, et il n'était pas pré-contenu dans les nuéesd'hydrogène d'il y a dix milliards d'années, d'aucune manière, ni dans les gènes desmicroorganismes d'il y a un ou deux milliards d'années. Il résulte d'une création authentique,d'une information qui est allée croissante depuis les origines de la vie.

Renan, dans la préface à la treizième édition de sa Vie de Jésus, touche au problème dumiracle. Il est amusant de s'arrêter un instant sur les gros paralogismes dans lesquels il s'enfonce.Voici le texte :

" Quant aux réfutations de mon livre,… qui ont été faites par des théologiens orthodoxes, soitcatholiques, soit protestants, croyant au surnaturel et au caractère sacré des livres de l'Ancien etdu Nouveau Testament, elles impliquent toutes un malentendu fondamental. Si le miracle aquelque réalité, mon livre n'est qu'un tissu d'erreurs (...).

- Que si, au contraire, le miracle est une chose inadmissible, j'ai eu raison d'envisager les livresqui contiennent des récits miraculeux comme des histoires mêlées de fiions, comme des légendes

Page 21: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 21/160

21

 pleines d'inexactitudes, d'erreurs, de partis systématiques..." Et qu'on ne dise pas qu'une telle manière de poser la question implique une pétition de

 principe, que nous supposons a priori, ce qui est à prouver par le détail, savoir que les miracles

racontés par les Évangiles n'ont pas eu de réalité, que les Évangiles ne sont pas des livres écritsavec la participation de la Divinité. Ces deux négations-là ne sont pas chez nous le résultat del'exégèse ; elles sont antérieures à l'exégèse. Elles sont le fruit d'une expérience qui n'a point étédémentie. Les miracles sont de ces choses qui n'arrivent jamais ; les gens Crédules seuls croienten voir ; on n'en peut citer un seul qui se soit passé devant des témoins capables de le constater ;aucune intervention particulière de la Divinité ni dans la confection d'un livre, ni dans quelqueévénement que ce soit, n'a été prouvée. Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehorsde la science, on admet une explication qui n'a rien de scientifique, une explication dont se passent l'astronome, le physicien, le chimiste, le géologue, le Physiologiste, dont l'historien doitaussi se passer. Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l'existence des centaures et des hippogriffes : cette raison, c'est qu’on n'en a jamais vu. Ce n'est

 pas parce qu'il m'a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritent pas une créanceabsolue, que je rejette les miracles qu'ils racontent. C'est parce qu'ils racontent des miracles que je, dis : " Les Évangiles sont des légendes; ils peuvent contenir de l'histoire, mais certainementtout n'y est pas historique.8 "

 Notons tout d'abord que Renan reconnaît franchement : ce n’est pas la critique du texte, cen'est pas l'exégèse scientifique du texte évangélique qui l'a conduit à rejeter le miracle. Le rejet dumiracle est chez Renan, il nous le dit, antérieur à l'exégèse du texte. Ce rejet a donc un fondement philosophique.

En quoi consiste le raisonnement par lequel Renan croit devoir rejetiez le miracle ?Thèse : " Les miracles sont de ces choses qui n'arrivent jamais. Les gens crédules seuls croient

en voir. On n'en peut citer un seul qui soit passé devant des témoins capables de le constater. La

négation du miracle est " le fruit d'une expérience qui n'a point été démentie.Le raisonnement de Renan serait valable s'il avait une expérience exhaustive, dans l'espace et

dans le temps, de l'histoire humaine. Alors Renan pourrait dire, légitimement : Les miracles sontde ces choses qui n'arrivent jamais. Ou plus précisément : Mon expérience, exhaustive dans letemps et dans l'espace, me permet d'affirmer : Les miracles sont de ces choses qui ne sont jamaisarrivées, jusqu'à présent.

Si Renan avait de l'histoire humaine une expérience exhaustive dans le temps et dans l'espace,il pourrait dire cela. Ce qui réserverait l'avenir. Car une expérience même exhaustive du passé del'humanité ne permettrait pas encore de dire que, dans l'avenir, il n'y aura pas de miracle. Car ceserait déclarer le miracle impossible, ce qui n'et pas légitime, nous l'avons vu. Au nom du passé,nous ne pouvons pas légiférer sur l'avenir, comme si le monde était une machine fixe dans

laquelle rien de nouveau ne se produit.Or il est bien évident que Renan n'avait pas une expérience exhaustive de l'histoire humaine, et

 par conséquent il ne pouvait même pas affirmer que les miracles sont des choses qui ne sont jamais arrivées.

Renan peut dire : Moi, Ernest, je n'ai jamais vu de miracle. Je ne connais personne de sérieuxet de compétent qui en ait vu. Je n'ai jamais lu un auteur sérieux et en qui je puisse me confier quien ait vu de ses yeux. (Pascal est donc éliminé, lui et la sainte Épine.) Par conséquent je doute del'existence des miracles.

Cela serait légitime.

8 Renan, Vie de Jésus, Oeuvres complètes, t. IV, p. 14.

Page 22: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 22/160

22

Mais Renan va plus loin. Il déclare, au nom de son expérience limitée :" Les miracles sont deces choses qui n'arrivent jamais. "

C'est justement ce qu'il ne peut pas assurer, car il n'en sait rien. Si son expérience était

exhaustive, il pourrait à la rigueur dire qu'il n'y a jamais eu de miracle jusqu'à présent. Et c'esttout. Mais comme son expérience est limitée dans l'espace et dans le temps, il ne peut même pasaffirmer cela.

Car justement au moment où Renan écrivait ces lignes, il y avait des gens qui prétendaientqu'il y avait des guérisons miraculeuses dans une grotte à Lourdes. Il suffisait de prendre lacalèche pour aller voir si cela était vrai ou non. Mais, en attendant, on ne pouvait rien affirmer.

Mais, objectera le lecteur solidement rationaliste, attention ! Renan n'a pas besoin d'avoir uneexpérience historique exhaustive pour affirmer que les miracles n'arrivent jamais. Car lesmiracles sont des absurdités, qui, on peut en être sûr sans même se déplacer, ni faire d'enquêtehistorique, n'arrivent jamais, car les miracles sont des événements supposés qui brisent l'ordrenaturel, qui font infraction au déterminisme naturel, qui introduisent dans la nature une rupture,

qui violent, en somme, les lois naturelles. Nous revenons donc à notre point de départ, c'est-à-dire à la thèse selon laquelle le miracle est

a priori impossible et impensable. C'est la thèse défendue par  l'Union rationaliste. - Nous disonsqu'elle n'est pas rationaliste du tout, car elle présuppose que rien de nouveau ne peut survenir dans la nature ni dans l'histoire. Elle présuppose un fixisme draconien, et une manière de préformationnisme.

Précisons que nous ne traitons ici que des guérisons supposées du rabbi palestinien. Nous nesongeons pas à défendre des légendes fantastiques concernant des thaumaturges. Nous nousdemandons seulement si les guérisons qui sont prêtées par la tradition au rabbi Ieschoua sontimpossibles et impensables a priori, ou non. Nous constatons que dans ces traditions, - comme àLourdes d'ailleurs - il n'est pas question de cul-de-jatte à qui Ieschoua aurait fait repousser les

 jambes, ni de manchot à qui il aurait fait repousser les bras. Les guérisons ne sont pasquelconques. Le rabbi guérit des aveugles, des épileptiques, des fous, des mélancoliques, des paralytiques. C'est dire que, si ces traditions disent vrai, le rabbi avait le pouvoir de régénérer destissus, de réinformer le système nerveux, etc.

Ce pouvoir est apparemment, dans l'histoire de l'humanité, quelque chose de nouveau.Je dis que je n'ai pas le droit, pour autant, de déclarer que cela et impossible et impensable.

Car je ne connais le possible qu'à partir du réel, et non pas avant, comme l'a montré Bergson.Assurer que Ieschoua n'avait certainement pas ce pouvoir, c'est affirmer que rien de nouveau ne peut survenir dans l'histoire. Celui que les chrétiens, à tort ou à raison, considèrent comme leVerbe créateur, la Pensée créatrice de Dieu, n'aurait pas le pouvoir de réorganiser et deréinformer, de recréer, ce qu'il a organisé, informé et créé.

A priori, par ailleurs, la guérison par Ieschoua d'un aveugle ou d'un paralytique, d'un lépreux,n'est pas plus étonnante que l'invention de la vie il y a trois milliards d'années. Un peu moinsmême : car le rabbi, si la tradition dit vrai, réinforme et réorganise ce qui avait été déformé etdésorganisé. Mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'une création de quelque chose de nouveau.

L'apparition de la vie, l'apparition de chaque espèce nouvelle, est plus extraordinaire, plusétonnante, plus improbable, que les guérisons, qui consistent à rétablir un ordre qui a été troublémais non pas à inventer un ordre, - une structure organique -, nouveau.

Si l'on veut maintenir que les miracles sont a priori impossibles, c'est que l'on a adopté,secrètement ou consciemment, une conception des lois naturelles qui est fixiste, non évolutive, préformationiste, - celle de Spinoza.

Dans le Traité théologico-politique, Spinoza écrit que la question du miracle, " à savoir si l'on

Page 23: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 23/160

23

 peut accorder que quelque chose arrive dans la nature qui contredise à ses lois ou ne puisse s'endéduire ", est " purement philosophique ". Spinoza estime donc, conformément à sa méthode,qu'il va pouvoir traiter le problème par " la lumière naturelle " de sa raison, a priori9.

Spinoza pose en principe que " la nature ", telle qu'il l'entend, " conserve un ordre éternel, fixeet immuable ". - Ce que nous savons aujourd'hui être faux. La nature est en régime d'évolution,depuis des milliards d'années, et du nouveau, des êtres nouveaux apparaissent constamment dansla nature, au cours du temps. -Spinoza déduit de sa conception fixiste de la nature que le miracleest impossible.

Il n'arrive rien qui soit contre la nature... Elle conserve un ordre éternel, fixe et immuable..." Je montrerai aussi, par quelques exemples tirés de l'Écriture, que l'Écriture elle-même, par 

décrets et volitions de Dieu et conséquemment providence divine, n'entend rien d'autre quel'ordre même de la nature, conséquence nécessaire de ses lois éternelles10. "

Spinoza pose en principe que l'action de Dieu est nécessaire et éternelle. C'est la doctrine del'Éthique : De la nécessité de la nature divine, ex necessitate divinae naturae, doivent suivre en

une infinité de modes une infinité de choses... (I, propos. XVI). De la souveraine puissance deDieu, ou de sa nature infinie, une infinité de choses en une infinité de modes, c'est-à-dire tout, anécessairement découlé ou en suit, toujours avec la même nécessité, A summa Dei potentia, siveinfinita natura, infina infinitif modis, hoc est omnia, necessario effluxisse, vel semper eademnecessitate sequi... De même que toute éternité et pour l'éternité il suit de la nature du triangleque ses trois angles égalent deux droits (Prop. XVII, schol.).

Spinola pose d'autre part que le miracle est ce qui contredit aux lois universelles de la nature. - Nous avons montré que cela n’est pas exact en ce qui concerne les guérisons du rabbi palestinien,qui vont pas contre les lois de la nature, mais consistent au contraire à rétablir les lois biologiquesnormales. Ne pas confondre ce qui est inhabituel et rare, avec ce qui est " contraire " aux lois dela nature.

Spinola déduit de sa conception de la " nature ", fixe, non évolutive, et de sa conception dumiracle, supposé violer les lois supposées éternelles de la nature, que le miracle est impossible etcontradictoire.

En effet, si l'on admet la majeure et la mineure du raisonnement. Mais la majeure est fausse, etla mineure arbitraire.

" Tout ce que Dieu veut ou détermine, enveloppe une nécessité et une 'vérité éternelles. Nousavons conclu en effet de ce que l'entendement de Dieu ne se distingue pas de sa volonté, que c'esttout un de dire que Dieu veut quelque chose et qu'il conçoit quelque chose : la même nécessitéqui fait que Dieu par sa nature et sa perfection conçoit une chose comme elle et, fait aussi qu'il laveut comme elle est. Puis donc que nécessairement rien n'est vrai, sinon par un décret divin, ilsuit de là très clairement que les lois universelles de la nature sont de simples décrets divins

découlant de la nécessité et de la perfection de la nature divine. Si donc quelque chose arrivaitdans la nature qui contredît à ses lois universelle, cela contredirait aussi au décret, àl'entendement et à la de Dieu; ou, si l'on admettait que Dieu agit contrairement aux lois de lanature, on serait obligé d'admettre aussi qu'il agit contrairement à sa propre nature, et rien ne peutêtre plus absurde...

Il n'arrive donc rien dans la nature qui contredise à ses lois universelles; ou même qui nes'accorde avec ses lois ou n'en soit une conséquence. Tout ce qui arrive en effet, arrive par lavolonté et le décret éternel de Dieu; c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà montré, rien n'arrive

9 Op. cit., chap. VI, trad. Ch. Appuhn, p. 145.10 Trait. theol. pol. VI, trad. cit., p. 125.

Page 24: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 24/160

24

que suivant des lois et des règles enveloppant et des règles qui enveloppent, bien qu'elles ne noussoient pas une nécessité éternelle. La nature observe donc toujours des lois toutes connues, unenécessité et une vérité éternelle, et par suite un ordre fixe et immuable...

" De ces principes donc que rien n'arrive dans la nature qui ne suive ses lois; que ses loiss'étendent à tout ce que conçoit l'entendement divin; qu'enfin la nature observe un ordre fixe etimmuable, il suit très clairement que le nom de miracle ne peut s'entendre que par rapport auxopinions des hommes11 "

" Tant s'en faut donc que les miracles, si l'on entend par là des ouvrages contraires à l'ordre dela nature, nous montrent l'existence de Dieu; ils nous en feraient douter, au contraire, alors quesans les miracles nous pourrions en être certains, je veux dire quand nous savons que tout dans lanature suit un ordre fixe et immuable12. "

" Puisque les Lois de la nature (...) s'étendent à une infinité d'objets et sont conçues par nousavec une certaine sorte d'éternité et que la nature procède suivant ces lois dans un ordre fixe etimmuable, ces lois mêmes manifestent, dans la mesure qui leur est propre, l'infinité de Dieu, son

éternité et son immutabilité. Nous concluons donc que, par les miracles, nous ne pouvonsconnaître Dieu, son existence et sa providence et que nous pouvons les connaître bien mieux del'ordre fixe et immuable de la nature13. "

" Le miracle, en effet, se produisant non hors de la nature, mais en elle, alors même qu'on lequalifie seulement de surnaturel, il interrompt encore nécessairement l'ordre de la nature que nousconcevons comme fixe et immuable en vertu des décrets de Dieu. Si donc il arrivait quelquechose dans la nature qui ne suivit pas de ses propres lois, cela contredirait à l'ordre nécessaire queDieu a établi pour l'éternité dans la nature par le moyen des lois universelles de la nature; celaserait donc contraire à la nature et à ses lois et conséquemment la foi au miracle nous feraitdouter de tout et nous conduirait à l'athéisme14 "

" Nous concluons donc absolument que tout ce que l'Écriture raconte vraiment comme étant

arrivé, s'est produit nécessairement suivant les lois de la nature, comme tout ce qui arrive; et s'ilse trouve quelque fait duquel on puisse prouver apodictiquement qu'il contredit aux lois de lanature ou n'a pas été produit par elles, on devra croire pleinement que c'est une addition faite auxLivres sacrés par des hommes sacrilèges. Tout ce qui est contraire à la nature et en effet contraireà la Raison; et ce qui est contraire à la Raison est absurde et doit en conséquence être rejeté 15.»

" Tout cela fait connaître très clairement que la nature observe un ordre fixe et immuable, queDieu a toujours été le même dans tous les siècles connus et inconnus de nous, que les lois de lanature sont parfaites et fertiles à ce point que rien n'y peut être ajouté ni en être retranché, etqu'enfin les miracles ne semblent quelque chose de nouveau qu'à cause de l'ignorance deshommes16. "

Tout le problème du miracle dépend d'une certaine idée que l'on se fait de l'ordre. Si l'ordre de

la nature est, comme le pense Spinoza, quelque chose d'éternel, de fixe et de stable, alors, bienentendu, l'introduction d'un ordre nouveau - par exemple la guérison, par Ieschoua, de maladesqui, autrement, auraient été vraisemblablement incurables - est impossible. •

Mais toute la question est de savoir s'il est vrai que l'ordre de la nature soit quelque chose defixe et d'immuable. Il y a dix milliards d'années, dans l'univers, il y avait un certain ordre. Il y a

11 Spinoza, Tract. theol. pol. VI, trad. Appuhn, 126.12 Spinoza, Tract. Theol. pol. VI, trad. cit., p. 129.13 Spinoza, Tract. Med. pol. VI, trad. cit., 131.14 Spinoza, Tract. theol. pol. VI, trad. cit., 132.15 Spinoza, Tract. Theol. pol. VI, trad. cit. 13916 Spinoza, Tract. theol. pol. VI, trad. cit. 146.

Page 25: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 25/160

25

d'ailleurs toujours un certain ordre, comme l'a montré, là encore, le grand Bergson. Mais l'ordrede la nature il y a dix milliards d'années n'était pas l'ordre de la nature il y a trois milliardsd'années, ni l'ordre de la nature il y a un milliard d'années, ni l'ordre de la nature aujourd'hui. Car 

cet ordre a évolué. Il y a eu création d'ordres nouveaux. C'est ce que Spinoza ne savait pas, et iln'y a pas lieu de le lui reprocher. Mais il était imprudent d'interdire à. la nature de comporter desinnovations. Car nous savons aujourd'hui qu'elle est une histoire qui comporte constamment desinnovations. Interdire a priori au rabbi Ieschoua d'apporter, d'introduire, sur certains points, unordre nouveau dans la nature, en guérissant les malades, c'est interdire à la nature elle-mêmed'évoluer et de comporter des nouveautés. C'est interdire, en fait, la création. C'est justement ceque fait constamment Spinoza, qui estime que l'idée de création est absurde. Nier la possibilité dumiracle, c'est nier la possibilité d'une création nouvelle, ou d'une re-création qui est nouvelleaussi. C'est nier la liberté créatrice de Dieu. C'est poser en principe le fixisme éternel de laSubstance.

Il en va, en ce domaine, comme de ceux qui, en politique, parlent constamment de " l'ordre

établi ", qu'ils défendent, et qui n'admettent pas la création d'un ordre différent, nouveau, peut-être meilleur. Là aussi, c'est le fixisme de l'ordre, -on peut dire : l'idolâtrie de l'ordre existant, -qui paralyse la pensée et l'action. L'action humaine consiste à introduire dans la nature un ordrenouveau en créant de l'information. C'est cela la liberté humaine : la capacité de créer del'information. Il n'est pas étonnant que Spinoza, qui nie la création, qui nie la possibilité dumiracle, lequel est une ré-information, nie aussi la liberté humaine, qui est création d'information.

La polémique de Spinoza contre le miracle repose, comme on le voit, sur les principes de sa philosophie, exposée dans l'Éthique. Le monde procède de Dieu d'une manière éternelle etnécessaire. Il n'y a pas de création libre, d'initiative créatrice. Le monde n'est pas la création deDieu, au sens biblique, mais l'expression de Dieu, sa manifestation éternelle et nécessaire,découlant de l'essence divine, et non d'une initiative de la liberté divine.

Concluons cette digression sur le problème des guérisons opérées par Ieschoua. La question desavoir si cela est vrai ou non est une question de fait, qui relève de l'histoire, et d'une méditationsur l'histoire, mais il n'est pas possible a priori d'en décider, car ce serait prétendre que rien denouveau ne peut arriver dans la nature et dans l’histoire, ce qui est faux. Contrairement à ce que pensaient Spinoza et Renan, la question du miracle ne peut pas être éliminée antérieurement àl'exégèse des textes, par voie philosophique. La question est philosophiquement ouverte, et nonfermée.

Dans une création inachevée, comme c'est le cas, rien n'empêche le créateur de continuer àinventer, comme il le veut, des êtres nouveaux, qui ne préexistaient d'aucune façon. En inventant,en créant les êtres vivants, il y a trois milliards d'années sur notre planète, le créateur ne " violait " pas les lois physiques existantes dans l'univers dépourvu de vie. Il informait du dedans ces lois

 physiques, la réalité physique, la matière, et créait un type nouveau de réalité. Au nom de l'ordreancien, il n'est pas permis d'interdire la genèse d'un ordre nouveau, car l'ordre nouveau ne détruit pas l'ordre ancien, mais l'achève, et l'utilise pour inventer des structures nouvelles.

S'il est vrai que le rabbi Ieschoua a guéri des malades, comme l'assurent des traditions très bien attestées, convergentes, et qu'il est difficile de mettre en doute, car c'est la genèse duchristianisme qui alors devient inexplicable, - s'il est vrai qu'il a guéri des malades, alors cela prouve qu'il avait le pouvoir de ré-informer et de ré-organiser ce qui était désorganisé et ce quiavait perdu l'information normale. Dans ce cas il ne viole ni ne détruit aucune loi naturelle. Aucontraire, il les restaure. Si cela est vrai, cela prouve simplement qu'il avait un pouvoir analogueau pouvoir créateur, car, comme nous l'avons dit, guérir, ré-informer, c'est en somme re-créer cequi était abîmé.

Page 26: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 26/160

26

Les objections de Spinoza et de Renan sont donc nulles et non avenues.

Page 27: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 27/160

27

II. L'ENSEIGNEUR

Par ces premiers textes que nous avons lus, nous avons vu que, dès le début de son activité,Ieschoua exerce deux fon&ions fondamentales, qu'il continuera d'exercer tant qu'il sera vivant sur la terre de Palestine : il guérit et il enseigne.

 Nous avons vu que guérir, c'est ré-informer, ré-organiser, du dedans, des organismes maladeset détériorés.

Mais enseigner, c'est communiquer une information, dans un autre sens.Le terme" information ", nous l'avons rappelé dans notre précédent essai sur le problème de la

Révélation, comporte deux significations fondamentales. Il signifie d'abord : ce qui donne à unemultiplicité d'éléments disparates une unité organique, une structure subsistante. C'est la forme,au sens aristotélicien, le lien, le sundesmos qui fait d'une multiplicité une unité substantielle.Ainsi, dans un organisme vivant, une multiplicité d'atomes et de molécules est intégrée dans

l'unité subsistante d'un organisme qui, dans le cas de l'homme, est sujet. Cette " forme " quisubsiste en intégrant une multiplicité d'éléments dans l'unité d'un corps vivant, Aristote l'appelleaussi " l'âme ", psuchê.

C'est le premier sens du mot information.Mais il existe un second sens du terme information. C'est le sens bien connu : un

enseignement, une connaissance, communiquée, par quelqu'un qui sait, à quelqu'un qui ne sait pas. On communique une information lorsqu'on communique une connaissance, une science.

Eh bien, nous le notions dans notre précédent travail, ce qui est remarquable, et ce que la biologie contemporaine a découvert, c'est que les deux sens du mot information se rejoignent. Unorganisme vivant est une structure, une forme, qui subsiste et vit, se développe et se reproduit, parce qu'il contient, dans ses gènes, un message, une information au sens d'enseignement, qui a

fourni les instructions pour construire cet organisme hautement complexe. Dans les gènes, quisont des structures moléculaires très complexes, il y a un message, un enseignement.

Les deux sens du mot information se sont rejoints, et nous permettent par ailleurs de retrouver ce qui fut sans doute l'intuition génuine d'Aristote, lorsqu'il exposait, lui le naturaliste, que laforme constitutive de l'organisme, c'est une idée, eidos. La biologie contemporaine permet devérifier et de donner un fondement biochimique à la pensée de Claude Bernard : un organisme estinformé par une idée directrice.

Dans le cas du rabbi Ieschoua, nous le verrons, ces deux significations du mot informationvont se retrouver analogiquement. Il et permis d'utiliser pour son oeuvre les analogies biologiques, parce que son oeuvre est en fait oeuvre de vie, et lui-même a utilisé constamment lesanalogies biologiques pour expliquer l'économie de cette œuvre qu'il était en train de réaliser.

Dans le cas de Ieschoua, nous avons noté qu'il réorganise et réinforme des organismesmalades. Mais, en enseignant, en communiquant une information qui est une science, la sciencedu royaume de Dieu en genèse, il crée aussi, il organise aussi, une humanité neuve, et il constitueun corps : l'assemblée des hommes et des femmes qui vont vivre et penser, selon cetEnseignement. Corps non pas au sens métaphorique et atténué, mais au sens fort, dont l'ordre biologique est une analogie déficiente. L'assemblée qu'il va créer par son Enseignement est uncorps réel, c'est-à-dire une multitude de personnes intégrées dans l'unité d'un organisme dont leVerbe incarné et le principe d'information, l'âme même. L'Église n'est pas un corps au sens oùnous parlons du" corps " des avocats ou des médecins : signification seulement juridique,ensemble qui n'est pas un organisme. Dans le cas de l'Église, qui est fondée et constituée par l'enseignement du rabbi, il s'agit d'un organisme en un sens ontologique, une unité substantielle

Page 28: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 28/160

28

dont les personnes sont les éléments libres, a&ifs, créateurs, mais inséparables, sous peine demort, de l'unité du corps. C'est le corps en tant que tel qui a reçu l'information, au double sens duterme dégagé par la science de la vie.

Après Spinoza qui, nous l'avons vu dans notre précédent travail, s'est efforcé avecacharnement de rabaisser la dignité et la valeur des prophètes d'Israël du point de vue de laconnaissance et de l'intelligence, en affirmant qu'ils n'avaient reçu aucune science, aucuneconnaissance, et que le prophétisme ne concernait que l'imagination, mais non l'intelligence, -nombre d'auteurs ont voulu méconnaître ou minimiser la fon&ion d'enseignement du rabbiIeschoua. C'est ainsi que, nous l'avons noté dès le début, on en est venu à réduire l'enseignementde l'Évangile à n'être qu'une " morale " elle-même réduite au précepte : " Aimez-vous les uns lesautres. "

Et c'est pourquoi on n'enseigne pas dans les universités, en France du moins, le contenu de ladoctrine du rabbi juif crucifié sous Tibère. On enseigne, on met au programme des licences de philosophie, la doctrine morale de Platon, l'éthique d'Aristote, Épicure, Sénèque, Épictète, et puis,

après avoir sauté en général quelque seize siècles, la morale de Descartes, l'éthique de Spinoza, lamorale de Kant, et puis Nietzsche. Mais jamais l'enseignement de Ieschoua.

Pour justifier cette manière de faire, on convient de répéter qu'il n'y a pas d'enseignementévangélique, qu'il n'y a pas réellement dans les Évangiles une doctrine, un contenu qu'on puisseenseigner, mais seulement une vague morale philanthropique, des " préoccupations de fraternitéet d'assistance mutuelle " comme l'écrivait É. Bréhier dans son Histoire de la Philosophie.

" Le christianisme ne s'oppose pas à la philosophie grecque comme une doctrine à une autredoctrine. La forme naturelle et spontanée du christianisme n'est pas l'enseignement didactique et par écrit, Dans les communautés chrétiennes de l'âge apostolique, composées d'artisans et de petites gens, dominent les préoccupations de fraternité et d'assistance mutuelle dans l'attented'une proche consommation des choses. Rien que des écrits de circonstances, épîtres, récits de

l'histoire de Jésus, actes des apôtres, pour affermir et propager la foi dans le royaume des cieux;nul exposé doctrinal cohérent et raisonné17. "

" Le christianisme, à ses début, n'est pas du tout spéculatif ; il est un effort d'entraide à la foisspirituelle et matérielle dans les communautés18. "

Après avoir rédigé son Histoire de la Philosophie, É. Bréhier eut l'heureuse idée de demander à un éminent indianiste, auteur d'un remarquable ouvrage sur la Philosophie comparée, d'écrireun tome supplémentaire intitulé : la Philosophie en Orient.

Voici ce qu'on lit au sujet des prophètes d'Israël :" Les nebî’im créent la foi : ils voient et ils font voir, ils éprouvent et font éprouver, ils

imaginent et font imaginer. Ils ne pensent point, mais se donnent pour porte-parole des décretsdivins. Ils agissent par passion, par colère, par indignation19. "

On voit que la doctrine de Spinoza concernant les prophètes d'Israël est fidèlement transmisedans l'université française !

 Nous avons vu, dans notre précédent travail, sur quelques points au moins, quel est le contenu de l'enseignement des prophètes d'Israël. Nous avons noté aussi quelle est leur méthoded'enseignement. Ils ne parlent pas une langue abstraite. Ils ne s'adressent pas à des " lettrés ". Ilss'adressent au peuple d'Israël, et ils parlent une langue compréhensible pour ce peuple composéde paysans, d'artisans, de bergers, de soldats.

17 É. Bréhier, Histoire de la philosophie, t. II, p. 487.18 É. Bréhier, Histoire de la philosophie t. II, p. 494.19 P. Masson-Oursel, la Philosophie en Orient, p. 24.

Page 29: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 29/160

29

Le rabbi Ieschoua, comme les prophètes hébreux d'autrefois, va utiliser, pour enseigner, latechnique du mâschâl. Le mâschâl, que le Nouveau Testament grec désigne par le mot parabolè,rendu dans nos traductions françaises par parabole (ce qui est très éclairant...) et une

comparaison, une analogie, dont l'un des termes et une réalité sensible, expérimentale, offerte àtous, donnée dans l'expérience commune, - et l'autre terme une réalité spirituelle, qu'il s'agit précisément de faire connaître. Pour enseigner les choses spirituelles, les choses mystiques, leslois ontologiques et ontogénétiques du royaume de Dieu qui et en train de se former, c'est-à-direles conditions ontologiques de la création d'une humanité nouvelle, sainte, habitée, pénétrée,informée par la vie divine, les conditions de la divinisation, le rabbi Ieschoua procède à partir desréalités expérimentales données dans la vie quotidienne. Il ne passe pas par l'intermédiaire del'abstrait pour aller au spirituel.

Il part du concret sensible pour aller au concret spirituel et mystique.La différence, très importante, entre le mâschâl hébreu et l'allégorie, c'est que, dans le mâschâl 

hébreu, le point de départ est toujours une donnée sensible concrète, une réalité expérimentale

quotidienne, offerte à la connaissance de tous, et jamais une réalité fantastique. Tandis que, dansl'allégorie, l'un des termes peut être une composition fantastique, sans fondement expérimental.Encore une fois, Ieschoua s'adresse à des paysans et à des ouvriers, qui ont les pieds sur la terre.Il ne fait pas d'allégorie. Il procède à partir de l'expérience commune.

Cette méthode d'enseignement des choses spirituelles se justifie dans l'univers de la pensée biblique, puisque, selon la pensée biblique, la création tout entière est l'oeuvre de Dieu, effectuée par la parole et la sagesse incréée de Dieu. Il n'est donc pas absurde, dans cette perspective,d'utiliser les éléments sensibles, le pain, le vin, l'eau, la terre, l'huile, le sel, le feu, etc., et lesréalités de la vie quotidienne pour enseigner des réalités d'ordre spirituel.

Car les réalités sensibles ne sont pas, par elles-mêmes, privées de signification. Nous sommestrès loin, nous sommes aux antipodes de la conception platonicienne du sensible : le sensible

séparé de l'intelligible, l'intelligible séparé du sensible, le sensible privé par nature designification, d'intelligibilité.

Au contraire, dans l'univers de la pensée hébraïque, le sensible est par nature et par constitution signifiant et porteur d'une substance intelligible.

Lorsque le rabbi Ieschoua utilise les réalités sensibles et les faits de la vie quotidienne pour enseigner les musteria - les secrets que l'on se communique de bouche à oreille - de la genèse du" royaume de Dieu ", c'est-à-dire de l'humanité divinisée, il s'appuie sur une analogie entre lacréation présente, oeuvre de la Parole créatrice et incréée de Dieu, et la création à venir, celle quiest en train de se faire, par l'oeuvre aussi de l'Enseignement qui vient de Dieu.

La première création, celle de la nature, était, selon la tradition hébraïque, l'oeuvre de la Parolecréatrice de Dieu. La seconde création, celle que Ieschoua est en train d'effectuer, est aussi

l'oeuvre de la parole créatrice. Mais, cette fois-ci, la parole s'adresse à des êtres qui peuvent larecevoir ou ne pas la recevoir. C'est la différence entre l'histoire naturelle et l'histoire humaine.

Les philosophes et les " lettrés " de formation gréco-latine s'y sont trompés, et ont considéréavec mépris - le mépris don témoigne Émile Bréhier - ce rabbi juif qui prétendait enseigne desvérités intelligibles en parlant du grain de blé qui tombe terre, du levain qu'une femme met dansla pâte, du mouton qui e égaré, etc. Selon les " lettrés " de formation occidentale, on ne parvientau spirituel qu'en passant par l'abstrait et le conceptuel le sensible étant considéré par lui-mêmecomme privé de contenu intelligible, privé d'information, - c'est la thèse platonicienne qu'onretrouve au fondement de la Critique de la Raison pured'Emmanuel Kant.

Dans la méthode de l'enseignement évangélique, la parole ou pour parler grec, puisque cela se porte, le logos, est communiqué par l'intermédiaire des réalités sensibles et concrètes.

Page 30: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 30/160

30

L'enseignement est communiqué par et dans la réalité sensible, qui selon la pensée biblique, estcréée par la Parole et par l'Intelligence. En somme, on ne va pas de ce qui serait privé par soi designification et d'intelligibilité, à l'intelligible. On va de ce qui est par nature gorgé de

signification, la réalité sensible, à une autre réalité, une réalité ultérieure, que l'on veut désigner,suggérer, enseigner.

 Notons que si le rabbi Ieschoua s'y était pris autrement pour enseigner, d'abord il n'aurait pas pu communiquer le contenu de son enseignement à des hommes et à des femmes qui étaient des paysans, des artisans, des bergers, des soldats, mais non des " lettrés ". - Et de plus, lorsque sonenseignement va être traduit en toutes les langues humaines, s'il avait été exprimé dans unelangue savante, riche, complexe, dans une langue de " mandarin " fruit d'une longue tradition etcivilisation de lettrés, - comment son enseignement aurait-il pu être traduit et communiqué, aucours des siècles, au paysan africain, au paysan chinois, au pêcheur irlandais, au docker américain, au garçon de café de Paris ou de Londres ?

La pauvretéde la langue des Évangiles est la condition de sa capacité d'expansion universelle.

Parce que l'enseignement évangélique n'a pas été exprimé dans une langue prisonnière d'unecivilisation particulière très différenciée et riche, il peut être traduit et communiqué en toutes leslangues des hommes, aux plus pauvres des hommes. Si l'enseignement évangélique avait étéenfermé dans la richesse d'une langue trop évoluée, il serait resté prisonnier de la culture et de lacivilisation dans laquelle il serait né. Il n'aurait pas été communicable à l'universalité deshommes. Il n'aurait pas pu être répandu sur toute la surface de la terre, il n'aurait pas pu devenir "catholique ".

 Nous verrons par ailleurs que cette pauvreté et cette simplicité dans les moyens d'expressionn'enlèvent rien à la richesse inépuisable et inépuisée du contenu intelligible enseigné. En fait, il ya plus de richesse intelligible dans un grain de blé qui tombe en terre que dans tous les discoursabstraits. Et, nous le verrons, il est impossible de rendre, sans perdre de la substance, le contenu

intelligible des parabolesen les traduisant en langage abstrait.

Page 31: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 31/160

31

II I. LE PRIVILÈGE DE LA PAUVRETÉ

Luc nous dit que le rabbi Ieschoua, au début de son activité missionnaire, entra un jour, comme il en avait l'habitude, dans la synagogue de son village, Nazareth, et,comme c'était l'usage, il fit la lecture à voix haute d'un texte de la bibliothèque sacrée.Ieschoua choisit de lire un texte qui se trouve dans le rouleau des oracles du prophèteIsaïe (du VIIIe siècle avant notre ère). Le texte choisi ce jour-là n'est pas, en réalité,d'Isaïe lui-même, mais d'un prophète inconnu postérieur à l'exil sans doute, du VIe siècle avant notre ère. Dans ce texte, on trouve certains thèmes fondamentaux de ce que seral'enseignement évangélique : Ponélion (mâschâch)  par l'Esprit de Dieu, l'annonce(besoreta, euangellion) aux pauvres, aux anawim, la guérison des malades, lalibération des captifs... Ieschoua prend pour lui ces thèmes du prophète anonyme duVIe siècle. Il va les accomplir, les réaliser concrètement :

Luc, 4, 16 : " Il vint à Nazareth, où il avait été élevé, et il entra selon son habitude, le jour du sabbat, dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture. On lui donna le rouleau du prophète Isaïe. Ayant déroulé le rouleau, il trouva l'endroit où il était écrit

Isaïe, 6I, I : " L'Esprit du Seigneur Yhwh et sur moi, parce que Yhwh m'a oint." Pour annoncer une heureuse nouvelle aux pauvres (anawim) il m'a envoyé, pour 

 panser ceux qui ont le coeur brisé, pour proclamer la libération aux déportés et aux captifsl'ouverture des yeux... "

" Ayant roulé le livre, il le rendit à l'employé et s'assit. Et les yeux de tous, dans lasynagogue, étaient fixés sur lui. Il commença à leur dire : Aujourd'hui, cette écritureest accomplie à vos oreilles... "

L'Évangile de Matthieu nous rapporte que le prophète du désert de Juda, Iohannan,

qui baptisait dans le Jourdain, et qui avait été arrêté et incarcéré, envoie à Ieschouaquelques-uns de ses disciples pour l'interroger. Ieschoua leur répond en leur indiquant cequ'il fait : il guérit les malades et il enseigne les pauvres, ceux qui sont d'ordinairenégligés dans le monde. C'est un signe pour Iohannan

Mat. II, 2 : " Iohannan entendit dans sa prison les actes (les oeuvres) du Meschiach. Il luienvoya ses disciples et lui dit par leur intermédiaire : est-ce que toi tu es celui qui doit venir,ou bien devons-nous en attendre un autre ?

" Ieschoua répondit et leur dit : allez et annoncez à Iohannan ce que vous voyez et ce quevous entendez. Les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés de leur lèpre et les sourds entendent, et les morts se lèvent et les pauvresreçoivent l'heureuse annonce. Heureux celui qui ne trouvera pas en moi un obstacle sur 

lequel il butera et tombera. "Ieschoua a donc choisi, dans la tradition hébraïque, le genre de" messianisme " qui va

être le sien. Il va tout droit, directement, et d'abord, à ceux qui, dans le monde, sont aurebut, ceux dont personne ne s'occupe : les pauvres, les malades, les éclopés, les affreux,les parias.

Parmi les doctrines que nous connaissons par d'histoire de l'humanité, le plus souventles " maîtres ", les " sages ", les " philosophes ", ceux qui enseignent, et veulentcommuniquer une doctrine excellente, s'adressent à une élite, à une catie privilégiée, par lafortune et par la culture. Platon a élaboré un système pyramidal de castes, en hautduquel se trouvent les philosophes, et en bas, les travailleurs manuels. Pour Aristoteaussi, la sagesse implique et pré requiert le loisir. Le loisir des uns implique l'esclavage des

Page 32: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 32/160

32

hommes qui travaillent.Voici, dans d'histoire de la pensée humaine, un " docteur " un " enseigneur " qui va

droit aux pauvres, aux parias, aux méprisés et aux humiliés, aux malades, aux éclopés, aux

 prisonniers.Dans l'ontologie hébraïque nous l'avons vu dans des travaux antérieurs, l'existant

 particulier concret a un prix, une valeur. Les existants multiples ne sont pas uneapparence ni une illusion. Toute l'éthique, tout l'humanisme biblique et fondé sur cetteconception de la valeur de l'existant singulier, irremplaçable. C'est pourquoi le crimecontre l'homme, quel qu'il soit, et, selon la tradition hébraïque, le péché le plus grave, aprèsl'idolâtrie. " Tu ne tueras pas... "

Tout le monde connaît ce texte célèbre de la Bhagavad-Gîta dans lequel le dieuexplique à l'un des princes qui va entrer dans la bataille qu'il n'a pas à craindre de tuer, nià s'émouvoir.

" Si le tueur croit qu'il tue, si le tué croit qu'il est tué, ni l'un ni l'autre n'ont la vraie

connaissance : celui-ci n'est pas tué, l'autre ne tue pas... " disait déjà la KathaUpanishad20. La Bhagavad-Gîta développe : " Tu t'apitoies là où la pitié n'a que faire, ettu prétends parler raison. Mais les sages ne s'apitoient ni sur ce qui meurt ni sur ce quivit. Jamais temps où nous n'ayons existé, moi comme toi, comme tous ces princes; jamais dans l'avenir ne viendra le jour où les uns et les autres nous n'existerions pas.L'âme, dans son corps présent, traverse l'enfance, la jeunesse, la vieillesse; après celui-ci elle revêtira de même d'autres corps. Le sage ne s'y trompe pas... Les corps finissent;l'âme qui s'y enveloppe est éternelle, indestructible, infinie. Combats donc, ô Bhârata !Croire que l'un tue, penser que l'autre est tué, c'est également se tromper; ni l'un ne tueni l'autre n'est tué. Jamais de naissance, jamais de mort; personne n'a commencé ni necessera d'être; sans commencement et sans fin, éternel, l'Ancien (= l'Âme) n'est pas frappé

quand le corps est frappé. Celui qui le connaît pour indestructible, éternel, sanscommencement et impérissable, comment cet homme, ô fils de Prithâ, peut-il imaginer qu'il fait tuer, qu'il tue ? Comme un homme dépouille des vêtements usés pour en prendre desneufs, ainsi l'âme, dépouillant ses corps usés, s'unit à d'autres, nouveaux. Le fer ne le blesse pas plus que le feu ne la brûle, ni l'eau ne la mouille, ni le vent ne la dessèche.Elle ne peut être ni blessée, ni brûlée, ni mouillée, ni desséchée21. "  

On voit par ces textes comment une métaphysique, une ontologie, et une anthropologie, peuvent comporter des conséquences du point de vue de l'éthique et de l'humanisme. S'ilest vrai que le monde des existants multiples n'est qu'une apparence, s'il est vrai qu'enréalité seul l'Un, le Brahman, existe; si l'âme humaine et par nature divine, si elle passede corps en corps, et si l'existence dans les corps est un exil, - alors en effet, tuer n'est

 pas quelque chose de fondamentalement mauvais, ni même d' important. C'est un coupd'épée dans une illusion. Dans le tissu des illusions, dans ce songe, dans cette apparencequ'et le monde de l'expérience, je détruis un être ? Mais cet être, en tant que singulier,n'était lui-même qu'apparence. Ce qui existe vraiment en lui, l'âme universelle, ne peut pas être détruit. Il n'y a donc pas en réalité d'acte de tuer, il n'y a pas de mort, si par mort onentend l'annihilation d'un être personnel, pas plus qu'il n'y a de naissance, si l'on entend par naissance un réel commencement d'être. Car la naissance n'est qu'une " émergence ",au niveau des apparences, d'un être qui existait déjà auparavant, qui existait depuis toujours.

20 Katha Upanishad, II, 19, trad. L. RENOU.21 La Bhagavad-Gîta, II, sq., trad. E. SÉNART.

Page 33: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 33/160

33

Il n'y a pas de commencement d'être, il n'y a pas non plus de fin.Dans la tradition de l'ontologie hébraïque au contraire, les êtres particuliers, singuliers,

 personnels ont une existence réelle et non illusoire. Il en résulte que les détruire ou les

dégrader est un acte de portée ontologique. La naissance des êtres constitue un véritablecommencement. Elle n'est pas la chute d'une âme préexistante. Si la mort n'est pas uneannihilation, l'acte de tuer est cependant un crime, car l'existence humaine corporelle dans cemonde est bonne et nécessaire. Elle n'est pas une apparence ni un malheur.

La Bhagavad-Gîta nous dit de ne pas prendre pitié. Nous verrons plus loin que lerabbi juif Ieschoua ense igne au contraire l'excellence de la pitié, qui porte sur le malheur trèsréel, sur la souffrance réelle, d'êtres distincts et personnels qui ne sont pas des illusions.L'absence de pitié repose sur le sentiment que la souffrance des autres n'est qu'uneapparence, un songe.

Le juif Ieschoua commence par soigner les malades. Il attache donc une importance àleurs souffrances et à leurs infirmités. Il ne considère pas que cela soit négligeable ni illusoire.

Il s'occupe d'eux en médecin. Il soigne ce que, dans les anthropologies dualistes, onappelle " le corps ", et ce qui, pour l'anthropologie hébraïque, est tout simplement l'homme.

Il va vers les plus pauvres et il leur enseigne qu'ils ont, sans le savoir, un privilège,un avantage :

Math. 5, I s.: " Voyant les foules, il monta dans la montagne. Il s'assit et ses disciples(ceux qui apprennent de lui, ceux qui reçoivent de lui l'enseignement) s'approchèrent delui. Il ouvrit la bouche et il les enseigna en disant :

« Heureux les pauvres (en esprit)Car à eux appartient le royaume des cieux." Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés." Heureux ceux qui ont faim et soif (de la justice) car ils seront rassasiés22..."

Luc, 6, 20 : " Heureux, les pauvres, car vôtre et le royaume de Dieu." Heureux vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés "Cette affirmation est non seulement paradoxale par rapport au système de valeurs

communément admis parmi les hommes, - ce sont les riches qui sont heureux, et les pauvressont malheureux, mais, bien plus, elle paraîtra scandaleuse à beaucoup, aujourd'huisurtout. Car enfin, dire des hommes qui ont faim, qui souffrent de la misère jusqu'à enmourir, qui sont opprimés, exploités, humiliés, dégradés en leur humanité, qu'ils sontheureux, n'est-ce pas une dérision ? Dire que les pauvres sont heureux, n'est-ce pasapporter sa caution à un ordre d'injustice, d'oppression, d'exploitation de l'homme par l'homme 23  ?  N'est-ce pas justifier, avec légèreté, la misère des victimes de l'état de

choses qui sévit dans l'humanité ? N'est-ce pas fournir aux riches, aux oppresseurs, uneexcuse inespérée ? N'est-ce pas enlever aux pauvres la vigueur de la, colère et de la révoltenécessaire ? N'est-ce pas endormir les pauvres, leur fournir une consolation illusoire, qui leur 

22 Pour l'analyse littéraire, les problèmes critiques et exégétiques que posent les " béatitudes " qui noussont transmises dans les deux versions de ce qu'on appel " le Sermon " sur la montagne (c'est-à-direl'enseignement donné par Ieschoua dan la montagne), on se reportera au grand travail de DOMJACQUES Du PONT, Les Béatitudes; Paris, Gabalda, 1969. Cf. aussi W. DAVIES, le Sermon sur laMontagne, trad. fr., Paris Éd. du Seuil, 1970.23 Pour ce qui concerne les diverses interprétations qui ont été données de parole de Ieschoua, " heureux les

 pauvres ", et pour tout ce qui concerne l'a rrière fond biblique de cette af f irmation, on se reportera au travail déjàcité de Dom Jacques Du Pont.

Page 34: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 34/160

34

ôtera, s'ils s'y laissent prendre, la volonté de sortir de leur état de pauvreté ?La doctrine morale des prophètes d'Israël, ce qu'on peut appeler leur humanisme, est

caractérisé, on le sait, par un mot qui revient constamment dans leur bouche : la tsedaka, la justice.

La justice, dans la langue et dans la pensée des prophètes hébreux, n’est pas seulementd'ordre juridique. Elle comporte une richesse et une plénitude de sens qui débordentlargement le juridique. La justice, chez les prophètes, et, plus généralement dans laBible hébraïque, c'est la vérité ontologique d'un être, c'est-à-dire sa sainteté. Mais elle estaussi exigence de justice humaine, concrète, condamnation des inégalités scandaleusesqui se sont instaurées après que les enfants d'Israël se furent installés en terre de Canaan,condamnation de l'accumulation des terres et des richesses, de l'exploitation des pauvres.Il suffit de relire Amos, prophète du vin e siècle avant notre ère, Osée et Isaïe, au vine siècleaussi, Jérémie au vir e siècle.

Lorsque le rabbi Ieschoua, qui se situe dans la tradition et dans la lignée des prophètes d'Israël , enseigne : " Heureux les pauvres, les anawim», il ne veut certainement

 pas justifier l’ordre d'injustice régnant, ni lui apporter sa caution, ni aucun encouragement.La proposition " heureux les pauvres ", comporte vraisemblablement plusieurs niveaux

de signification et de vérité. Elle s'applique en divers ordres où elle se vérifie .D'abord, dans l'ordre social et politique, les pauvres peuvent sans doute être dits "

heureux ", en ce sens qu'ils sont les vidimes, et non les oppresseurs, les exploiteurs, lesaffameurs, les massacreurs. Lorsqu'on connaît la doctrine biblique concernant la colèrede Dieu, qui s'accumule, nous disent les prophètes, sur ceux qui massacrent, exploitent,oppriment, avilissent l'homme, leur compagnon d'existence, on peut concevoir en quelsens, pour commencer, le rabbi Ieschoua a pu dire que les pauvres, eux, étaient heureux.

Mais ce n'est pas tout.La proposition complémentaire est fournie par Luc :

Malheur à vous, les riches, car vous avez reçu votre consolation." Malheur à vous, qui êtes remplis maintenant, car vous aurez faim... " (Luc, 6, 24.) Nous parvenons ici, semble-t-i l, à un niveau plus profond de significat ion et de

vérité, qui n'est plus seulement social et poli tique, mais existentiel et ontologique. Les richessont dits" malheureux car ils sont remplis, ils sont consolés, ils sont satisfaits, ils sont comblés.

La pauvreté, c'est le manque. La richesse, c'est la saturation,Dans l'ontologie biblique, nous l'avons rappelé dans notre précédent ouvrage, la

thèse fondamentale dont tout le reste dépend — et c'est en cela que l'ontologie bibliquese distingue de l'ontologie de Parménide et de celle d'Aristote, — le monde, et tout ce qu'ilcontient, ne constituent pas l'Être pris absolument, l'Être absolu, éternel, suffisant. Lemonde, et tout ce qu'il contient, sont bien de l'être, de l'être réel et non une apparence.

Mais cet être est radicalement insuffisant, du point de vue ontologique. Il dépend,fondamentalement, d'un autre qui, lui, est l'Être absolu Le monde n'est pas Dieu, et Dieun'est pas le monde. L'ontologie biblique est une ontologie de la dépendance, quis'exprime, on sait, par la notion de création.

C'est cela qui fera tellement horreur à Spinoza et à Fichte : la notion de création, queFichte considère comme" l'erreur philosophique absolue ".

L'idolâtrie, nous l'avons vu aussi dans notre précédent essais, consiste essentiellementà conférer aux êtres du monde des caractères ou des attributs qui ne conviennent qu'àCelui qui est l'Être absolu. L'idolâtrie consiste à conférer une valeur, une dignité uneimportance absolue, à ce qui n'est pas absolu, car unique est l'Absolu. Shema Israël,adonai eloheinou adonaï ehad.

Page 35: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 35/160

35

La richesse est effectivement, chez la plupart des hommes l'objet d'un culte idolâtre,dans le secret de leurs coeurs. L'accumulation de la richesse est un effort pour échapper à l'angoisse de la mort, à l'angoisse de l'instabilité et de l'insécurité, de la dépendance, un

effort pour s'assurer contre le risque, une recherche de la consistance.Dans l'histoire d'Israël, telle qu'elle a été repensée par les prophètes, en particulier 

Osée, la vie nomade des origines a une signification existentielle et spirituelle privilégiée., Lacondition nomade, c'est celle qui précède l'installation en terre de Canaan, etl'accumulation des terres et des richesses. La vie nomade, c'est la condition de l'enfantd'Abraham selon l'esprit : étranger et voyageur sur la terre.

Le riche est celui qui veut échapper à la condition nomade, qui est la conditionhumaine, en construisant des villes, des palais, et en accumulant des richesses. Il perdainsi de vue quelque choses d'inhérent à la destinée humaine : sa condition voyageuse. L'hommeet un être inachevé, qui va quelque part. Il n'est pas bon pour lui qu'il s'installe. Larichesse et une tentative pour s'installer ici. C'est un refus du nomadisme.

Le riche, en s'enfermant dans ses palais, en s'entourant de ses richesses, de sescollections, cesse d'être nomade. Il s'attache à ces richesses qu'il a accumulées. Il en et prisonnier. Il voudrait qu 'elles soient éternelles. Il voudrait ne pas mourir pour continuer d'en jouir éternellement. Il n'est plus disponible pour le voyage.

Le pauvre, au contraire, par la force des choses, à cause de l'avarice des exploiteurs, n'a plus rien à quoi s'attacher. Il est disponible. Il et prêt à voyager. Il reste nomade en son âme. Ilne peut pas vouer un culte idolâtre à des richesses qu 'il n'a pas. Il ne peut pas s'installer,désirer de s'installer pour toujours, au milieu de richesses accumulées. Il et, du point devue existentiel et ontologique, en meilleure condition, eu égard au dessein que Dieu asur l'homme, que le riche. Il et davantage disponible pour s'engager dans ce chemin queDieu propose à l'homme.

Telle et, nous semble-t-il, et en fonction du dessein créateur et divinisateur de Dieu ence qui concerne l'homme, la raison pour laquelle le rabbi Ieschoua enseignait que le pauvre et " heureux ". Le rabbi Ieschoua, lui, n'avait pas une pierre pour reposer sa tête, nousdisent les textes. Il est essentiellement celui qui a renoncé volontairement à toute propriété. Il et le vagabond.

Dans la suite des siècles, on le sait, informés par l'enseignement du rabbi Ieschoua,des hommes et des femmes, par milliers, vont choisir librement et volontairement la pauvreté, afin d'être davantage disponibles au dessein créateur et divinisateur del'Unique, pour eux-mêmes et pour les autres. La pauvreté volontairement élue sera comprisecomme libération. Libération par rapport à quoi ? Par rapport à cette tentation d'idolâtrie,de fétichisme, de fixation et d'installation mortelle - mortellement ennuyeuse -que

constitue l'accumulation des richesses.Celui qui s'enferme dans les richesses accumulées n'est plus disponible pour le grand

dessein de la création. La richesse, selon l’enseignement du rabbi galiléen, constitue undanger réel, un danger de fixation et donc de régression.

Entrer dans le " royaume de Dieu " n'est possible que si l'on est d'abord libéré de cettefixation infantile et secrètement idolâtré à la richesse, qui est une installation dans lemonde présent.

Alors que Luc a sans doute rapporté le propos originel de Ieschoua : " Heureux les pauvres. .. ", L’Évangile de Matthieu a vraisemblablement ajouté : " en esprit ". L'auteur decet Évangile a sans doute voulu marquer par là qu'il ne suffisait pas d'être pauvre en fait pour avoir part à ce bonheur dont parle Ieschoua, mais qu'il faut d'une certaine manière

Page 36: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 36/160

36

consentir librement à cette pauvreté, faute de quoi on serait un homme attaché aux richesses,fixé à elles, mais privé par la force de la jouissance de ces richesses. Ieschoua demandeau jeune homme riche un consentement que celui-ci n'accorde pas. Il s'en va triste.

 Nous donnons la traduction de l'histoire du jeune homme riche dans les trois relationsque nous en ont conservées les trois Évangiles appelés " synoptiques ", pour que lelec teur, - supposé neuf - puisse comparer les trois récits du même événement :

Marc, I0, 17 : " Comme il sortait pour se mettre en route, quelqu'un accourut, se mità genoux devant lui, et lui demanda : Bon rabbi, que ferai-je pour hériter la vie éternelle ?

" Ieschoua lui dit : Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, si ce n'est Dieuseul. Tu connais les commandements : " Tu, ne tueras pas; tu ne commettras pas d'adultère; tune voleras pas; tu ne feras pas de faux témoignage; tu ne feras de tort à personne; honoreton père et ta mère. "

" L'autre lui dit : Rabbi, tous ces commandements, je les ai observés depuis ma

 jeunesse." Ieschoua le regarda et l'aima, et il lui dit : Une seule chose te manque. Va, vends ce

que tu possèdes et donne-le aux pauvres,' et tu auras un trésor dans le ciel, et viens, suis-moi.

" Mais lui devint triste à cette parole et il s'en alla affligé. Car avait de grandesrichesses.

" Ieschoua, regardant autour de lui, dit à ses apprentis : Combien difficilement, ceux qui ont desrichesses, entreront dans le royaume de Dieu !

" Les disciples furent frappés d'étonnement en entendant ses paroles.« Et Ieschoua, de nouveau, insista et leur dit : Enfants, combien il est difficile d'entrer 

dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une

aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu." Eux furent encore davantage stupéfaits. Et ils se disaient les uns aux autres : Mais

alors, qui peut être sauvé ?" Ieschoua, les regardant, leur dit : Aux hommes cela et impossible, mais non pas à

Dieu, car tout est possible à Dieu. "

Mat. 19, 16 : " Quelqu'un s'approcha de lui et lui dit : Rabbi, maître, que ferai-je de bon pour que je possède la vie éternelle ? Il lui répondit : pourquoi m'interroges-tu au sujet de cequi est bon ? Unique est celui qui est bon.

" Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements.

" L'autre lui dit : lesquels ? Ieschoua dit : le " tu ne tueras pas ; tu ne seras pas adultère; tune voleras pas; tu ne rendras pas de faux témoignage; honore ton père et ta mère "; et " tuaimeras ton compagnon comme toi-même. "

" Le jeune homme lui dit : tous ces préceptes, je les ai gardés. Que me manque-t-ilencore?

" Ieschoua lui dit : si tu veux être parfait, va, vends ce qui est à toi et donne aux pauvres,et tu auras un trésor dans le ciel. Et puis viens ici, suis-moi.

" Ayant entendu cette parole, le jeune homme s'en alla attristé. Car il était possesseur de grandes richesses.

" Ieschoua dit à ses disciples : vrai, je vous le dis, un riche entrera difficilement dans leroyaume des cieux. De nouveau je vous le dis : il est plus facile qu'un chameau entre à

Page 37: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 37/160

37

travers le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu." Entendant cela, les disciples furent frappés à l'extrême, et ils disaient : qui donc

 peut être sauvé ?

" Ieschoua les regarda et leur dit : de la part des hommes, cela est impossible, mais de la part de Dieu, tout est possible. "

Luc, 18, 18 : " Un personnage important l'interrogea en disant : Bon Maître, que dois- je faire pour héri ter la vie éternelle ?

" Ieschoua lui dit : Pourquoi m'appelles-tu bon ? Pourquoi dis-tu que je suis bon ?Personne n'est bon si ce n'est Dieu seul - Tu connais les commandements : Tu necommettras pas d'adultère; tu ne tueras pas; tu ne voleras pas; tu ne feras pas de fauxtémoignage; honore ton père et ta mère. "

" Lui il dit : Tout cela, je l'ai observé depuis ma jeunesse." L'ayant entendu, Ieschoua lui dit : Il y a encore une seule chose qui te manque. Tout ce

que tu possèdes, vends-le, distribue le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les deux. Et puis viens suis-moi.

" Lui, ayant entendu ces paroles, devint tout triste. Car il était très riche." Le voyant, Ieschoua dit : Combien difficilement, ceux qui possèdent des richesses,

entrent dans le royaume de Dieu." Car il est plus facile à un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche

d'entrer dans le royaume de Dieu." Ceux qui avaient entendu dirent : Mais alors, qui peut être sauvé ?" Et lui il dit : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu.

On voit, par ces textes, qu'il s'agit ici de bien autre chose que d'un problème social etéconomique. Il s'agit d'un problème d'ontologie, plus précisément d'ontogenèse. Leriche est encombré par la richesse à laquelle il est attaché. Il ne peut pas, dans cet état,entrer dans l'économie de cette aventure déchirante qu'est la genèse d'une humaniténouvelle, capable de prendre part à la vie divine. Il est fixé à sa richesse comme l'enfantest fixé à sa mère. Pour devenir adulte, il faut savoir quitter son père, sa mère, et sesrichesses.

Ayant assisté au dialogue entre le rabbi Ieschoua et le jeune homme riche, Kêphâ,c'est-à-dire " Pierre ", dit à son rabbi :

" Voici, nous, nous avons tout laissé, et nous t'avons suivi. Qu'en sera-t-il donc denous?

" Ieschoua leur répond : Vrai, je vous le dis, à vous qui m'avez suivi : dans le mondede la nouvelle création, lorsque le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire,vous serez assis vous aussi sur les douze trônes et vous jugerez les douze tribus d'Israël.

" Et tout homme qui a laissé des maisons, ou des frères, ou des soeurs, ou son père,ou sa mère, ou des enfants ou des champs (Luc : ou une femme) à cause de mon nom(Marc : et à cause de l'évangile; Luc : à cause du royaume de Dieu) - celui-là recevra bien plus (Marc : le centuple dans la création présente : des, maisons, et des frères etdes sœurs et des mères et des enfants et des champs, avec des persécutions), et dans ladurée qui vient, la vie éternelle. " (Mat. 19, 27; Marc, 10, 28; Luc, 18, 28.)

Le rabbi Ieschoua ne demande pas de renoncer librement à la richesse et à la propriété pour abouti r finalement au vide , et au néant. Il recommande de renoncer 

Page 38: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 38/160

38

aux richesses afin d'atteindre à une richesse multipliée infiniment. Ce qu'il vise, cen'est pas le néant, mais l'être. Ce qu'il enseigne, ce n'est pas le sacrifice pour le plaisir du sacrifice, mais les conditions existentielles et ontologiques pour accéder à une

richesse infiniment plus grande.Et cette multiplication de la richesse et de l'être, de la vie, dont il enseigne les

conditions, n'est pas renvoyée purement et simplement à " l'au-delà ", comme feignentde le penser les caricatures du christianisme qui traînent dans les rues. C'est dès cemonde-ci, dès la création présente, que celui qui a tout quitté pour suivre les appelsde la Parole créatrice, trouve un enrichissement sans commune mesure avec ce qu'il aquitté. C'est dire que l'enseignement du rabbi, sur ce point, est vérifiable, dansl'expérience, et dès maintenant.

C'est dire aussi que le " royaume de Dieu " dont parle le rabbi, n'est pas une réalitéimaginaire promise à des dupes ou des malades pour " l'au-delà " et " l'arrière monde "comme dira Nietzsche. Dans la pensée du rabbi, le royaume de Dieu est en formation,

en genèse, en ce moment, dès ici-bas, dans la durée présente. Car le royaume de Dieuqu'enseigne le rabbi n'est rien d'autre, nous semble-t-il, que l'humanité nouvelle pénétrée par la vie et la Pensée de Dieu au point d'êt re réellement transmutée,assumée, divinisée, sans confusion des natures ni des personnes. Ce royaume est engerme dans l'existence présente. Et le code de ce germe, la norme génétique de ce germe,c'est justement l'enseignement du rabbi galiléen.

Il n'y a pas d'une part, comme le répètent les car icatures, la " vallée de larmes " d'ici- bas, le règne de l'injustice, auquel il faudrait se résigner, - et puis d'autre part, après, lamort, le " paradis ", mythe et opium qui sert à endormir les opprimés et les imbéciles.Cette dichotomie, c'est celle que présente Nietzsche, et aussi celle que présentent ceuxqui se disent eux-mêmes révolutionnaires. Cette représentation en tout cas ne concerne

 pas, ne concerne aucunement, l'enseignement du rabi galiléen. Lui, il enseignait, ce quiest très différent, que la création actuelle, présente, est inachevée, et qu'il est venu achever l'humanité inachevée en introduisant en elle un enseignement qui est une semence. Al'intérieur de l'humanité présente, à l'intérieur de la création présente une autre création,nouvelle, et en train de se former, de se constituer, qu'il appelle " le règne de Dieu ". Non pas dichotomie donc, ni relations extrinsèques, mais au contraire immanence de la parole, de l'enseignement, de la vie de Dieu dans l'humanité, pour l' informer du dedanset la créer nouvelle.

Le rabbi Ieschoua ne demande pas de ne pas thésauriser du tout, il ne demande pas de

renoncer purement et simplement à la passion, au désir de la richesse, de la sécurité. Ilfait remarquer que la recherche des richesses ici, dans la condition présente, estillusoire. La sécurité que l'on cherche, on ne la trouve pas, en fait. Cet absolu que l'onrecherche secrètement dans la richesse et dans le trésor que l'on amasse, on ne le trouve pas dans ce trésor .

Le rabbi ne tente pas d'annihiler, de déraciner purement et simplement le désir derichesse et de sécurité. Il ne cherche pas à tuer le désir d'absolu qui se manifeste dans larecherche du trésor inépuisable et inusable. Il s'efforce d'orienter autrement ce désir, del'orienter vers sa fin normale, de détourner ce désir naturel de la fin anormale vers lequel ils'était orienté, dans lequel il s'était fourvoyé, et de l'orienter autrement. Il ne détruit pas,il régénère, comme un jardinier patient qui redresse délicatement, et sans l'abîmer,

Page 39: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 39/160

39

encore moins la déraciner, une plante tordue. Le rabbi prend le désir de l'homme dudedans, et au lieu de le condamner, il le redresse et l'oriente d'une manière correcte :

Mat. 6, 19 : " Ne thésaurisez pas pour vous des trésors sur la terre, là où le ver et la

rouille détruisent, et là où les voleurs minent et volent." Mais thésaurisez-vous des trésors dans le ciel, là où ni le ver ni la rouille ne détruisent,

là où les voleurs ne minent ni ne volent." Car là où sera ton trésor, là aussi sera ton coeur. "Luc, 12, 33 : " Faites-vous des bourses qui ne vieillissent pas, un trésor perpétuel dans les

cieux, là où le voleur ne s'approche pas, et où la teigne ne ronge pas." Car là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur. "On voit par cet exemple déjà à quel point le rabbi est humain, très humain. Il n'a rien de

cette sévérité inhumaine, de cette dureté, qui caractérise certaines doctrines qui sont pourtant l’oeuvre d'hommes. Jamais il ne détruit. Jamais il n'éteint la mèche qui fume encore.Toujours il cherche à faire revivre ce qui peut encore vivre. Il ne condamne rien de ce

qui est fondamentalement humain. Il veut simplement libérer et guérir, c'est-à-direrendre humain davantage.

Le rabbi fait appel au bon sens paysan, à l'intérêt bien compris. A quoi vous sertd'accumuler des richesses, des trésors, et d'y chercher la sécurité absolue, la consistance,alors que nous vivons dans un monde où il y a des voleurs, où il y a de l'usure, et danslequel, cet absolu de sécurité que vous cherchez, vous ne pouvez pas le trouver ?

Luc, 12, 15 : " Gardez-vous de toute cupidité avaricieuse, " car dans la surabondance,la vie, pour un homme, ne provient pas de ce qu'il possède.

" Il leur dit le mâschâl : D'un homme riche, la terre avait beaucoup rapporté. Et ilraisonnait en lui-même en disant : que ferai-je ? Car je n'ai pas où ramasser les fruits de mesrécoltes. Et alors il dit : Voici ce que je vais faire. Je démolirai mes greniers et j'en

 bâtirai de plus grands, et j'amasserai là tout mon blé et tous mes biens, et je dirai à monâme : Âme, tu possèdes de grands biens déposés pour de nombreuses années; repose-toi,mange, bois, réjouis-toi. - Dieu lui dit : insensé, cette nuit même, ils redemandent tonâme. Ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ? – 

Ainsi en et-il de celui qui thésaurise pour lui-même et qui ne s'enrichit pas pour Dieu."

On peut discuter de la question de savoir si, aux environs de l'année 29 de notre ère, lerabbi palestinien Ieschoua a ou non guéri des aveugles, des paralytiques, des mélancoliques,etc. Mais ce qu'on ne peut contester, si l'on y regarde de près, c'est que l'enseignementévangélique, aujourd'hui, est capable de guérir - et il le fait - ceux qui sont psychiquement malades, parce que fixés d'une manière infantile et angoissée à la

richesse, dont ils ont fait leur dieu, leur absolu. L'enseignement du rabbi est capable deguérir de cette maladie-là. Il exerce de fait, depuis bientôt vingt siècles, une actionthérapeutique à cet égard et sur ce point Ieschoua est aujourd'hui et actuellement, par son enseignement, un psychothérapeute.

Le royaume de Dieu, disait le rabbi, et un trésor. Celui qui le trouve vend tout cequ'il a pour l'acquérir. - On le voit, de nouveau, il ne s'agit pas de prêcher ledésintéressement absolu ce qui serait inhumain. Il s'agit d'enseigner  où se trouvel'intérêt bien compris :

Mat. 13, 44-46 : " Le royaume des cieux est semblable à u trésor caché dans   unchamp.

" Un homme l'a trouvé et l'a caché, et, de joie, il s'en va et vend tout ce qu'il a, et il

Page 40: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 40/160

40

achète ce champ." De nouveau   le royaume des cieux est semblable à un marchand qui recherche de

 belles perles. Il trouve une perle de grand prix, il s 'en va, il a vendu tout ce qu'il avait, et

il a acheté la perle précieuse...La doctrine du rabbi n'a rien d'étroit, d'étriqué, de crispé, de pénible. Le rabbi

recommande la pauvreté consentie, pour là liberté, mais il ne condamne pas les gestesoù le luxe, la surabondance, - ce qu'on appelle en français " faire une folie " – exprimel'élan de la tendresse. Il n'est pas avare. On ne peut même pas dire qu'il soit " économe ": Il et libre à l'égard de l'argent, de toutes manières :

Mat. 26, 6 : Alors que Ieschoua était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux,une femme s'approcha tenant un vase d'albâtre d'un parfum d'un grand prix, et elle leversa sur sa tête, pendant qu'il était à table.

" Ce que voyant, les disciples s'indignèrent et dirent : pourquoi donc un telgaspillage une telle perte ? Car ce parfum pouvait être vendu un grand prix et donné

aux pauvres." Connaissant (leur indignation et leurs propos) Ieschoua leur dit : Pourquoi faites-vous

de la peine à cette femme ? Elle a opéré une oeuvre belle à mon égard. Car toujoursvous aurez les pauvres avec vous. Mais moi, vous ne m'aurez pas toujours. "

Si l'on compare l'enseignement de Ieschoua concernant la pauvreté avec le point devue du révolutionnaire, que trouvons-nous ?

D'abord, des analogies, des ressemblances, une coïncidence sous certains aspe&s.Ieschoua, comme les grands prophètes hébreux du VIII e, VIIe et VIe siècle avant notreère, et comme le révolutionnaire d'aujourd'hui, condamne l'injustice, l'oppression del'homme par l'homme, le crime contre l'homme qui se perpètre chaque jour, par lesconditions de travail, les conditions de vie qui sont imposées aux hommes et aux femmes

victimes d'un ordre social et politique inhumain. Comme les grands prophètes d'Israëlet comme les révolutionnaires d'aujourd'hui, Ieschoua a pris parti pour les pauvres, pour les opprimés, pour les victimes.

Voilà pour les ressemblances. Comme le révolutionnaire, Ieschoua va droit à ceuxqui sont victimes de l'ordre d'injustice régnant. Ieschoua a adopté le mode de vie des pauvres, des plus pauvres, librement.

Mais les différences sont non moins évidentes. Le révolutionnaire d'aujourd'hui commecelui d'hier travaille à organiser effectivement la révolte des opprimés contre leursoppresseurs. Il cherche à libérer le peuple opprimé de sa servitude économique et politique,ou plutôt il s'efforce de lui apprendre à se libérer lui-même. Cela, apparemment, Ieschouane l'a pas fait. Pas plus qu'il n'a pris la tête du front de libération nationale juif pour 

libérer sa patrie du joug de l'occupant romain, Ieschoua n'entreprend d'organiser larévolte des pauvres contre ceux qui sont responsables de cette pauvreté inique. Bien plus,Ieschoua dit aux pauvres qu'ils sont " heureux ". N'est-il pas dangereux de tenir de tels propos ? N'est-ce pas, encore une fois, ôter aux pauvres le nerf de la révolte, amollir leur énergie révolutionnaire, les attirer dans une forme religieuse et mythique derésignation, en somme contribuer à maintenir l'ordre établi de l'injustice ?

 Nous retrouverons plus loin ce même problème, lorsque nous aborderons la doctrinede Ieschoua concernant la paix et la guerre. Ieschoua n'a pas entrepris de faire la guerre,ni contre l'occupant romain ni contre les exploiteurs du peuple. Le révolutionnaire lui,estime qu'il faut faire la guerre aux exploiteurs et aux occupants, qui sont aussi des oppresseurs.Là et la première différence.

Page 41: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 41/160

41

Au jeune homme riche qui vient le questionner, nous l'avons 1u Ieschoua conseille devendre ses biens et de distribuer l'argent aux pauvres, afin de le suivre. C'est cela la perfection. Le jeune homme, nous dit le texte, s'en va tout triste, parce qu'il avait de grands

 biens. Marc nous di t que Ieschoua " le regarda et l'aima ". Ce que Ieschoua propose au jeune homme riche, c'est une méthode, une voie, pour que ce jeune homme réalise ce qui etle meilleur pour lui. Ieschoua vise le bien de cet homme. Il ne lui fait pas violence. Il ne leforce pas. Il n'exige pas, et d'ailleurs, humainement parlant, il n'en a pas les moyens.Ieschoua s'intéresse en somme à la personne, à la destinée, au développement humain de cethomme, et il lui conseille ce qui est le meilleur pour lui.

Le point de vue du révolutionnaire et tout autre. Le révolutionnaire ne se soucie pas,au premier abord tout au moins, du bien, du développement humain, de l' " ontogenèse " duriche et de l'exploiteur, ni de la perfection de l'oppresseur. Le révolutionnaire se souciedes pauvres et des exploités, pour les libérer de servitude à laquelle les soumet le riche.Le révolutionnaire n’a pas l'idée de conseiller au riche de vendre ses biens et de distribuer ses

richesses aux pauvres, pour son bien à lui, le riche. Le révolutionnaire entreprendd'arracher au riche des propriétés, des privilèges, qu'il estime abusifs, injustes. Ce quiintéresse le révolutionnaire, ce n'est d'ailleurs pas d'obtenir de tel riche possédant particulier qu'il distribue ses propriétés à ses ouvriers, comme un don. Ce qui l'intéresse, c'estde transformer radicalement le système économique injuste, dans lequel, qu'il soitindividuellement généreux ou rapace, le possédant exerce forcément un rôle néfaste qu'ille veuille ou non.

Éventuellement, et ultérieurement, le révolutionnaire reconnaîtra volontiers que même pour le riche, le possédant, le " capitaliste " comme on dit, le système économique injustequi règne sur le monde est " aliénant ", néfaste. La révolution sera finalement libératriceaussi pour lui. Mais l'objectif premier du révolutionnaire n'est pas de guérir le riche exploiteur 

de cette maladie qu'est la manie d'accumuler des richesses. Son objectif est de libérer le pauvrede sa misère et de lui rendre sa dignité d'homme.

L'objectif, le but, de Ieschoua, est de communiquer à l'humanité entière, pauvres etriches, exploiteurs et exploités, une information créatrice, libératrice, régénératrice.L'objectif du révolutionnaire est de libérer le pauvre et l'exploité de l'emprise del'esclavagiste. Les deux points de vue, les deux objectifs, ne s'opposent pas l'un à l'autre. Ilssont différents et peuvent éventuellement se compléter. La volonté de libérer un peuple, uneclasse sociale, de la servitude politique et économique, est en soi bonne et juste, puisqu'ellevise à redonner à l'homme la dignité humaine. Spontanément le révolutionnaire parlerale langage de la rédemption, du rachat, de la libération, pour définir son effort. Le problème et la difficulté, du point de vue chrétien, porteront sur les moyens utilisés pour 

libérer un peuple ou une classe sociale de la servitude. Nous retrouverons cette question plus loin.On peut admettre que la révolution, dans la mesure où elle a réellement pour but de libérer l'homme, entre dans le dessein de la rédemption. Elle en et un élément. Mais larévolution par elle-même ne constitue pas toute la rédemption. Car la rédemption, danssa signification théologique, c'est beaucoup plus que la libération économique, politique,sociale. C'est une guérison et un achèvement de l'homme dans une direction qui leconduit au-delà de l'homme.

Ieschoua n'a pas pris lui-même l'initiative d'une action révolutionnaire. Peut-on dire pour autant que, concrètement, matériellement, il n'ait rien fait pour les pauvres ? Nousne le pensons pas. Car ce n'est pas seulement la destruction des structures économiques et politiques régnantes, pour une reconstruction nouvelle, qui est révolutionnaire.

Page 42: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 42/160

42

L'enseignement, la pensée aussi peuvent être révolutionnaires et efficaces, finalement,dans l'ordre de la réalité concrète, et cela le révolutionnaire le sait. Ieschoua a apportéun enseignement qui a été révolutionnaire parce qu'il a transformé du dedans, depuis bientôt

vingt siècles, des multitudes d'hommes et de femmes, lesquels ont, parce qu'ils étaient eux-mêmes intérieurement transformés, transformé chacun à sa place les structures sociales,économiques et politiques. Le révolutionnaire d’aujourd’hui, qu'il le sache ou non, qu'ille veuille ou non, est informé par l'enseignement évangélique. Lorsque le disciple de Ieschoua,Schaoul de Tarse, a déclaré : " Il n'y a plus ni esclave ni homme libre " (Gal. 3, 28), il a opérédans l'ordre de la pensée et au niveau des principes une révolution dans la mentalité antique,révolution qui a porté ses fruits et qui continue d'être opérante aujourd'hui. Même si Schaoul n'a pas pris la tête d'un mouvement insurrectionnel comme Spartacus, il a lancé une idée qui par elle-même a été et reste révolutionnaire, jusqu'à la fin des temps.

Page 43: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 43/160

43

IV. LE SOUCI

Le rabbi Ieschoua enseignait à ne pas être prisonnier du souci :Mat. 6, 24 : " Personne ne peut servir deux maîtres. Ou bien en effet il haïra l'un et

aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez passervir Dieu et Mammon. C'est pourquoi je vous le dis : ne vous faites pas du souci pour votre âme , savoir quoi vous mangerez ou quo i vous bo irez, ni pour votre corps :de quoi vous le vêtirez. Est-ce que l'âme n'et pas plus que la nourriture, et le corps plu s que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel, vous voyez bien qu'ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas et ils n'amassent pas dans les greniers , et votre père qui estdans les cieux les nourrit. Est-ce que vous, vous ne valez pas beaucoup plus qu'eux ? Quid'entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter à sa taille une seule coudée ? Et au sujetdu vêtement, pourquoi vous faites-vous du souci ? Observez les lis des champs,

comment ils poussent; ils ne travaillent pas et ils ne filent pas. Or je vous le dis : pasmême Salomon dans toute sa gloire n'a été vêtu comme l'un d'entre eux. Si doncl'herbe des champs, qui existe aujourd'hui et qui demain sera jetée au four, Dieul'habille ainsi, est-ce qu'il ne fera pas beaucoup plus pour vous, hommes de peu de foi ? Ne vous faites donc pas de souci en disant : que mangerons-nous ? ou bien : que boirons-nous ? ou encore : qu'et-ce que nous allons nous mettre ? (avec quoi allons-nousnous habiller ?). Toutes ces choses-là, les païens les recherchent. Il le sait, votre pèrequi est dans les cieux, que vous avez besoin de toutes ces choses. Recherchez d'abord leroyaume (de Dieu) et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. Ne vous faites donc pas de souci pour le lendemain. Le lendemain prendra soin de lui-même. Suffit, à chaque jour, sa peine. "

Cette doctrine de l'insouciance, l'une des caractéristiques de l'enseignement, del'esprit évangélique, est, comme la doctrine de la pauvreté consentie, paradoxale par rapport au système de valeurs communément admis, et sans doute scandaleuse pour l'homme moderne, qui se soucie pour beaucoup de choses : l'accumulation desrichesses, l'augmentation du confort, la santé et la maladie, la guerre et la paix, etfinalement la mort. Des philosophes, depuis Pascal jusqu'à Heidegger, enseignent, on lesait, que c'est pour échapper au souci de la mort que l'homme bavarde, joue, se divertitet " fait des affaires " : pour oublier.

L'insouciance préconisée par le rabbi Ieschoua apparaîtra certainement commescandaleuse à l'homme moderne qui s'efforce d'accumuler les assurances contre tousles risques, les risques d'accidents, les risques d'incendie, les risques de vol, les

risques de maladie et les risques de mort. L'insouciance évangélique apparaîtra commedangereusement utopique à l'homme moderne qui planifie, prévoit, calcule, fait deséconomies et s 'efforce de ne laisser rien au hasard.

 Nous ne chercherons pas à dissimuler ni à diminuer ce scandale. Nous notons si mplement le fait que l'enseignement du rabbi Ieschoua se trouve sur 

ce point en opposition avec ce qu'on peut appeler " la mentalité " ou " l'état d'esprit "modernes.

Remarquons aussi qu'une ontologie et une théologie se trouvent à l'arrière-fond decette doctrine évangélique de l'insouciance. Cette doctrine et fondée sur unecertai ne conception de Dieu, sur l'idée d'abord que le monde n'et pas seul, que nous nesommes pas, comme l'enseigne Heidegger, des êtres " jetés dans le monde ". Le monde

Page 44: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 44/160

44

n'et pas " en trop ". L'homme n'est pas une " passion inutile ". Dans les philosophiesselon lesquelles l'existence du monde et l'existence de l'homme sont " absurdes "parceque dépourvues de tout fondement rationnel, l'angoisse provient de ce que l'homme

découvre cet être-pour-la-mort. La mort est identifiée, arbitrairement, — c'est une pétition de principe, — avec l'annihila tion. L'êtr e-pour-la -mort et donc un êtr e pour lenéant. L'angoisse, c'est le pressentiment du néant auquel nous sommes condamnés.L'homme se soucie, dans ce monde absurde, parce qu'il se considère comme seul etabandonné.

Selon l'ontologie hébraïque, on le sait, le monde n'et pas le seul être, etl'existence du monde n'est pas absurde. Le monde n'et pas " en trop ". L'homme, dansle monde, n'est pas " jeté ". Et il n'est pas seul. L'insouciance évangélique, on peut leconstater par le texte que nous avons traduit, repose sur la doctrine de Dieu enseignée par les prophètes d'Israël et reprise par Ieschoua. Non seulement Dieu et créateur duciel et de la terre, mais il et, pour l'homme, comme un père. Ce qui fonde la doctrine

évangélique de l'insouciance, c'est la doctrine de la paternité de Dieu24.Si l'on n'admet pas cette ontologie et cette théologie hébraïques, alors il faut en effet

se faire du souci. Si l'homme et un accident fortuit survenu par hasard dans un mondequi existe nul ne sait comment ni pourquoi, et qui devrait ne pas exister, alors il y alieu de se faire du souci et de s'angoisser. On peut d'ailleurs aussi bien soutenir que, à part ir du moment où l'on a découvert l'absurdit é fondamental e du monde et del'existence humaine, ce n'et plus la peine de se faire du souci. Quand on a perdu une part ie , — et dans cette perspective el le étai t perdue d'avance — ce n'est plus la pe inede s'abîmer dans l'angoisse. Mangeons et buvons, car demain nous mourrons.

 Notons encore que le rabbi Ieschoua ne prône pas l'oisiveté ni la paresse, commecertains philosophes cyniques. Il admet le travail, et il vit dans un monde de

travailleurs manuels. Cela n'est pas en question. Un des disciples les plus prestigieuxdu rabbi Ieschoua, le rabbin pharisien converti Schaoul de Tarse, Paul de son surnomromain, écrira pour recommander le travail et rappeler la nécessité humaine du travail.Mais Ieschoua n'attribue pas au travail cette importance première qui souvent lui etconférée dans notre civilisation. Le travail n'est qu'un moyen, il ne saurait être une finen soi. Il ne doit pas devenir une aliénation. Il existe une manière non chrétienne detravailler, dans laquelle le souci, l'angoisse sont profondément investis. Il existe unemanière chrétienne de travailler, qui remet le travail à sa place, qui n'est pas la première, Leschabbat, dont nous aurons à reparler, a pour fonction, nous semble-t-il, dans la Torah du judaïsme, de rappeler que la fin de l'homme, ce n'est pas le travail, et que lavie contemplative et première.

Le rabbi Ieschoua a fait savoir aux hommes qui recevaient son enseignement — ceuxqu'on appelle les « disciples » — qu'ils seraient persécutés, accusés, condamnés,châtiés, à cause de l'enseignement de leur rabbi qu'ils essaieront de communiquer.C'est, nous l'avons vu dans notre précédent essai, une loi de l'existence prophétique : le prophète est persécuté à cause de l'enseignement qu 'il tente de communiquer. Ilrencontre une résistance violente, souvent féroce, de la part des hommes qui neveulent pas recevoir cette information nouvelle.

Le rabbi Ieschoua n'a laissé à cet égard aucune illusion aux hommes qui

24 On lira à ce propos les très beaux travaux de Joachim Jérémias, Abba, Göttingen, 1966. Abba est unmot araméen populaire, familier qui signifie " père ", mais en un sens moins solennel.

Page 45: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 45/160

45

apprenaient de lui. Il leur a fait savoir que lui-même subirait, volontairement etlibrement, cette loi de l'existence prophétique, jusqu'à la mort incluse. Et il leur aannoncé qu'eux-mêmes, s'ils étaient fidèles, et s'ils voulaient faire connaître

l'enseignement de leur rabbi, auraient à subir cette loi du monde humain.Lorsque vous serez accusés et lorsque vous serez interrogés, disait le rabbi aux

hommes qui apprenaient de lui, ne vous faites pas de souci pour savoir ce que vousallez dire. Ne " préparez " pas votre discours. Ayez confiance en l'inspiration dumoment. Encore une doctrine du non-souci :

Mat. 10, 17 : " Ils vous livreront aux tribunaux, et ils vous flagelleront dans leurssynagogues, et devant les gouverneurs et les rois vous serez conduits, à cause de moi, pour être témo in s, à leur égard et à l'égard des nations païennes.

" Lorsqu'ils vous livreront, ne vous faites pas du souci pour savoir comment vous parlerez ou ce que vous direz. Car vous sera donné, à cette heure-là, ce que, vous aurez àdire. Car ce n'est pas vous qui parlerez, mais ce sera l'esprit de votre père qui parlera

en vous. "Marc. 13, 11 : " Lorsqu'ils vous conduiront, vous ayant livrés, ne vous faite s pas du

souci à l'avance pour savoir ce que vous direz. Car ce n'est pas vous qui parlerez, maisl'esprit saint. "

Luc, 12, 11 : " Lorsqu'ils vous conduiront dans les synagogues, ou vers les magistratset vers les autori tés, ne vous faites pas du souci pour savoir comment ou quoi vous direz pour vous défendre. Car l'e sprit saint vous enseignera dans cett e heure-là ce qu'i lfaut dire. "

L'esthétique de l'Éva ngile e st liée, nous s emble-t-il, à cette doctrine du non-souci,à cette insouciance. Parmi d'autres traits de l'enseignement évangélique, c'est cetteinsouciance qui constitue le climat, l'atmosphère proprement évangélique, tellement

différente de l'atmosphère luthérienne et kantienne. Le contraire de la rigidité, de lasévérité, de l'austérité. Une grâce, au contraire, qui tient à la liberté par rapport ausouci:

Luc, 10, 38 : " Il entra dans un village. Une femme, dont le nom était Martha, lereçut dans sa maison. Et elle avait une soeur, appelée Mariam, et celle-ci s'était assiseaux pieds du Seigneur, et elle écoutait sa parole.

" Martha était occupée par les soins multiples du service." Elle s'arrêta, et dit : Seigneur, cela t'est égal que ma soeur me laisse seule pour faire

le service ? Dis lui donc qu'elle vienne m'aider." En réponse le Seigneur lui dit : Martha, Martha, tu te préoccupes, tu te soucies, et

tu te troubles pour beaucoup de choses. Or il n'est besoin que de peu de choses, ou

d'une seule. Mariam a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée. "Plus tard, lorsqu'il traitera du mariage et du célibat, Schaoul, le rabbin pharisien

converti à la doctrine de Ieschoua, mettra encore en avant la doctrine évangélique dusouci et de l'in soucian ce pour recommander de vivre comme lui, Schaoul, non marié :

" Je veux que vous soyez sans souci. Celui qui n'est pas marié se soucie des chosesdu Seigneur, comment il plaira au Seigneur; tandis que celui qui s'est marié se souciedes choses du monde, comment il plaira à sa femme, et il et divisé. Et la femme non mariéeet la vierge se soucie des choses du Seigneur, afin d'être sainte et quant au corps etquant à l'esprit; celle qui s'est mariée se soucie des choses du monde, comment elle plairaà son mari... " (I Cor. 7, 32).

On le voit peut-être, du point de vue psychologique, la doctrine du rabbi Ieschoua de

Page 46: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 46/160

46

 Nazare th ne va pas du tout dans le sens de l'angoisse ni du tourment. L'atmosphèreluthérienne, l'atmosphère kierkegaardienne, n'est pas l'atmosphère évangélique. Ledisciple de Ieschoua, normalement, ne doit pas être un homme de l'angoisse, du

souci, de la crainte et du tremblement. Normalement, comme l'a enseigné Ieschoua, etaprès lui Schaoul-Paul, il doit être en paix. Il ne doit pas être tourmenté. C'est un descaractères, l'une des marques , l'un des critères, de l'esprit évangélique, ce à quoi on lereconnaît.

Page 47: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 47/160

47

V. L A DOUCEUR ET L A PUI SSANCE

Le rabbi Ieschoua enseignait qu'il existe un privilège de la douceur, il enseignaitl'excellence de la douceur. La douceur, enseignait-il, est puissance, car finalement c'estelle qui sera victorieuse et qui dominera sur la terre :

Mat. 5, 5 : " Heureux les doux, car ils possèderont la terre."Là encore, paradoxe, et paradoxe violent, si l'on ose dire, car il est entendu que ce

sont les violents, et non pas les doux, qui ont conquis le monde et qui le dominent. Lesdoux, ce sont les agneaux, les moutons que l'on conduit à la boucherie, et qui bêlent.Le christianisme, nous dit-on, est détestable, car il prône une humanité bêlante, un pacifisme bêlant . La douceur, encore une de ces " vertus " de faibles et de femmelettes.

Il n'est pas facile de parler de la douceur après Nietzsche, et après bien d'autres,qui ont fait l'éloge de la violence.

Sous diverses influences, on est convenu d'identifier la force, la puissance, à laviolence, la douceur à la faiblesse. Le paradoxe évangélique consiste à prétendre qu'aucontraire c'est la douceur qui et puissante, que la puissance véritable est douce, etnon violente.

Qui a raison ?Il conviendrait d'examiner de près la question de savoir s'il est vrai que la force en

elle-même, la puissance, sont identiques à la violence, et si la douceur est faiblesse etimpuissance. Les femmes d'expérience disent parfois que l'homme vraiment puissantest doux, et que l'homme violent n'est pas aussi puissant qu'il prétend, ou qu'il voudrait,l'être. Mais faut-il les croire ?

 No tons que la puis sance consi ste à engendrer et à créer , non pas à détruire.

Identifier l'homme puissant avec le tueur, le massacreur, le destructeurs, c'est, si l'on yréfléchit, une inversion qui ne correspond à rien. Créer est signe et preuve de puissance.Mais en quoi détruire un être vivant, ou des êtres vivants, pourrait-il bien être lesigne et l'expression d'une puissance quelconque ? Nous rappelions dans notre précéden t essai que , pour pa rvenir à inventer l'homme, dans sa complexité et sa richesseanatomique, physiologique, la " vie " ou la " nature " avait mis trois milliards d'années aumoins, — le temps de l'évolution biologique, sinon de la durée de l'évolution cosmique toutentière. Nous ne sommes pas encore capables en laboratoire, malgré toute notre science, de fairela synthèse du moindre des monocellulaires. Quelle science représente la genèse et l'invention del'homme ! L'anatomiste et le physiologiste étudient avec émerveillement cette science réaliséedans un être humain vivant et pensant. Or, le premier imbécile venu, en appuyant sur 

la détente d'une mitraillette, est capable, en un instant, de détruire cette compositionsubsistante, merveilleuse. En quoi cela serait-il signe de puissance ou d’intelligence?

Un thème règne, sévit, dans notre monde moderne, à cet égard. C'est une inversiondes valeurs, qui est purement mythologique, qui ne repose en fait sur rien dansl'expérience, et qui relève, à vrai dire, de la pathologie : l'identification de l'homme puissant à l'homme qui tue ou qui massacre et une de ces inversions qui ne reposentque sur des fantasmes, — et des fantasmes de malade.

Dans le monde moderne, il est entendu, le plus souvent, que le monde appartientaux violents, c'est-à-dire, plus précisément, aux massacreurs, ceux qu'on appelle les "conquérants ". Ce serait, nous dit-on, l'enseignement de l'histoire.

Il faudrait examiner de près l'histoire humaine à cet égard, et faire un bilan. Sans

Page 48: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 48/160

48

remonter au déluge, le bilan des deux dernières guerres mondiales, dix millions decadavres d'une part, quarante millions de cadavres d'autre part, ne constitue pas unrésultat exactement positif. Si la puissance consiste à faire des montagnes de cadavres,

alors, oui, les promoteurs de ces massacres sont des hommes puissants.Il faudrait examiner aussi ce que durent les empires constitués par le massacre. Ce

qu'enseigne le rabbi Ieschoua, ce qu'enseignaient déjà les prophètes d'Israël, nousl'avons vu dans notre précédent travail, c'est que les grands empires, l'Égypte, l'Assyrie,Babylone, et puis, plus tard l'empire d'Alexandre que connaîtra l'auteur du livre deDaniel, plus tard enfin l'empire de Rome sur lequel méditera l'auteur de l'Apocalypse , — tous ces empires ne tiendront pas . Comme le s dip lodo cus et le s dinosaures duSecondaire, ces animaux géants aux petites têtes, ont été relayés par de minusculesmammifères pour ce qui et de l'empire du monde, ainsi, le rabbi Ieschoua, après les prophè tes héb reux qu i l' ont précédé, et avant l' auteur de l'Apocalypse son discip le ,enseigne que finalement l'empire du monde n'appartiendra pas aux massacreurs,

mais à ceux qui auront coopéré à l 'action créatrice de Dieu, laquelle opère puis samment et doucement, sans détruir e. Tel et l' enseignement du rabbi Ieschoua .L'histoire nous dira finalement s'il avait raison ou non.

En enseignant que la puissance et associée en fait à la douceur et non à la destruction, lerabbi se situe dans la tradition continue de la théologie hébraïque. Le dieu des Hébreux n'est pas un dieu qui fait violence. Cela, apparemment, ne l' intéresse pas. Ce qui l'intéresse,c'est de créer, et non de détruire. L'homme qu'il a créé, la liberté humaine qu'il a créée, il netient pas à l'opprimer ni à l'asservir. Cela non plus ne l'intéresse pas. Il ne tient pas à avoir des domestiques, des êtres serviles, à régner sur des libertés serves. Cela ne présenteaucun intérêt à ses yeux. Ce qui l'intéresse, selon les Écritures hébraïques, c'et aucontraire de créer un être libre, autonome, libéré des idolâtries, et capable d'entrer avec lui

dans une relation de type personnel, et même, s'il le faut, de discuter avec lui, comme le fitAbraham, et comme le fit Job. Ce qui l'intéresse, selon les Écritures, ce sont desrelations d'amitié, et non pas des relations de maître à esclave. La relation de maître àesclave, que Hegel prétend avoir vue dans le judaïsme, et une invention pure et simple quine repose sur aucun texte. Tous les textes des prophètes d'Israël enseignent au contraireque la relation entre Dieu et l'homme et celle d'un Être qui crée et qui aime, à l'être aimé,d'un Être qui s'efforce constamment de libérer l'homme de toutes ses servitudes. Nousl'avons vu dans notre introduction : les verbes hébreux que l'on traduit par " racheter "signifient en fait, dans le contexte ethnique hébreu, " libérer ". Dieu et le créateur et lelibérateur d'Israël. Comment et où Hegel a-t-il pu prétendre découvrir dans l'histoired'Israël et de son Dieu, une relation de Maître à esclave ?

Dans l'histoire d'Israël, Dieu ne contraint pas son peuple, il ne lui fait pas violence.Il sollicite, comme un Amant sollicite sa bien-aimée. " Je veux l'amener au désert, et là je parlerai à son coeur... " nous dit , au no m de Dieu, le prophèt e Osée .

Dans cette relation, qu'on et tenté de nommer " d'homme à homme ", le dieu d'Israël, pour ne pas écraser l'être créé, pour ne pas l'éblouir et le dominer trop faci lement, se faitdiscret, éminemment discret. Il voile l'éclat de la lumière qu'il est, il atténue sa puissance. Il n'opère, il n'agit, qu'avec la plus extrême douceur, afin de ne pas briser cetteliberté naissante. Il apprend à marcher à l'humanité enfant. Cela ne se fait pas avecviolence.

Reste, encore une fois, à examiner où et la puissance véritable, l 'efficacité dansles choses de la vie, par exemple en pédagogie, et plus généralement dans

Page 49: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 49/160

49

l'ensemble des activités humaines, si c'est dans la douceur ou dans la répressionviolente, la destruction et le massacre.

En réalité, si, comme nous le pensons, le christianisme consiste à communiquer à

l'humanité entière une information créatrice et divinisatrice, il et bien évident que laviolence, le contraire de la douceur, n'aide pas à communiquer l'information. La violencene sert à rien si l'on veut communiquer une information quelle qu'elle soit. Au contraire,la violence empêche la communication de l'information. Elle la bloque. Elle et nonseulement inefficace, mais elle et, à cet égard, négative. Si la véritable puissance consiste àcommuniquez une information créatrice, la violence sera, en l'occurrence, indiced'impuissance et d'incapacité à réaliser ce qu'on veut réaliser. La communication del'information créatrice ne s'opère que dans et pa r la douceur .

C'est pourquoi Ieschoua, qui et le Puissant par excellence, enseigne que le mondeappartiendra finalement non pas à ceux qui détruisent mais à ceux qui créent, ce qui nese fait pas dans la violence.

Page 50: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 50/160

Page 51: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 51/160

51

VII . L A PAIX

Le rabbi Ieschoua enseignait la valeur, l'excellence de la paix, et la valeur, l'excellencede ceux qui s'appliquent à faire la paix :

Mat. 5, 9. « Heureux ceux qui font (qui réalisent) la paix, car ils seront appelés fils deDieu.»

 Nous avons vu, dans des études antérieures, que la théologie hébraïque est unethéologie de la paix. C'est une originalité au milieu des théologies de l'Égypte ancienne, deSumer et d'Accad, de Canaan, et de la Grèce antique, qui professaient que la guerre etinhérente à la condition des dieux, bien avant la naissance des hommes. La guerre setrouve, depuis l'origine, dans la sphère de la divinité. Les dieux se massacrent entre eux,se châtrent, s'entre-dévorent. La théogonie, — ou genèse des dieux, — s'accompagned'une théomachie, ou guerre entre les divinités. Le monde et l'homme sont le résultat

de ces aventures tragiques, ainsi que l'enseigne par exemple la théogonie orphique, aprèscelle de Babylone et de Canaan.

La théologie hébraïque a connu et rejeté ces thèmes guerriers. Selon le monothéismehébreu, il n'y a pas de guerre, pas de tragédie en Dieu, qui est l'Unique.

Le rabbi Ieschoua reprend sur ce point l'enseignement de la théologie hébraïque etl'applique à l'a&ion humaine : heureux ceux qui font la paix... Ils sont les disciples duDieu d'Israël.

Avec les spéculations gnostiques qui se sont développées dans les premiers siècles denotre ère, nous assistons de nouveau à une efflorescence de théologies et de mythes selonlesquels la tragédie et la guerre se trouvent parmi les dieux, avant d'être parmi leshommes. Le monde est le résultat, la conséquence, d'une tragédie originelle, chez

Valentin, comme chez Marcion et Mani. Sous des formes diverses il y a toujours laguerre à l'origine de la création.

Héraclite, on s'en souvient, enseignait que la guerre — polemos —est le père de toutes choses.Héraclite disait qu'Homère avait eu tort de souhaiter que la discorde s'éteigne entre lesdieux et les hommes. Car, selon Héraclite, en souhaitant ainsi la fin de la guerre, Homèr e pr ia it pour la destruc tion de l' univers, car si sa priè re éta it exaucée, si la guer re venai t àdisparaître, toutes choses périraient.

Hegel reprendra aux gnostiques et à Héraclite l'idée que la guerre est essentielle etnécessaire au processus théogonique. Le mal n'est pas étranger à l'essence divine, et s'iln'y avait la puissance du négatif, la guerre, la vie di vine sera it platitude et ennui.

De ces spéculations antiques et modernes résulte l'idée que la guerre est un processus

sacré, nécessaire à la vie divine, inhérent la vie divine. Transposé en termes nonthéologiques, cela revient dire : l'histoire -de l'humanité, la libération de l'homme, ne peuts'opérer que par une guerre, ou une révolution sanglante.

Lorsque le rabbi Ieschoua enseigne la paix, il enseigne finalement quelque chosed'original dans ce monde, car ils sont assez rares les Maîtres qui professent l'excellence dela paix, et la dignité de lui qui essaie de réaliser la paix.

Bien entendu, ici encore, nous rencontrons les mystiques guerrières selon lesquellesl'excellence de la paix prônée par le rabbi galiléen serait une doctrine de faible, unedoctrine de femme. La virilité serait associée à la guerre. La guerre, ne l'oublions pas,consiste essentiellement à tuer. La virilité se manifesterait donc d'une manière particulièrement remarquable dans l'acte de tuer. S'il est vrai que les dieux — les dieux

Page 52: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 52/160

52

des mythologies assyrobyloniennes, les dieux indo-européens, les dieux de Canaan, ceuxde l'Olympe et ceux des mythologies germaniques, — ont montré l'exemple en pratiquantla guerre entre eux, les hommes ne peuvent pas faire mieux que de les imiter. S'il est vrai

que la guerre et nécessaire pour que l'Absolu se réalise, comme le pense Hegel, alors ilfaudra la tragédie de l'histoire humaine pour que l’Absolu atteigne à la conscience de soi.Celui qui provoque la tragédie travaille à la genèse du divin. C'est là un des mythes quisont à la source du national-socialisme allemand.

Le dieu des Hébreux n'est pas un dieu de guerre ni de destruction. Il est, nous l'avonsvu dans des travaux antérieurs, un dieu de création, et de plus un dieu qui aime lacréation qu'il opère. Il n'est pas étonnant qu'entre le dieu d'Israël et les dieux desreligions égyptiennes, assyro-babyloniennes, cananéennes, grecques, germaniques, — il y ait une antinomie, une opposition radicale. Il n'est pas étonnant que les prêtres et lesthéologiens des religions des nations détestent la théologie hébraïque.L'antisémitisme, plus précisément l'antijudaïsme, a des racines spirituelles profondes. Il est

sûr qu'un religieux des religions germaniques — dont Hegel et Nietzsche sont les héri tiers — ne peut que haïr le dieu des Hébreux, et les prophètes d'Israël, qui expriment sa pensée , et le dernier d'entre eux, le rabbi Ieschoua, qui enseigne la valeur de la paix, car la valeur de la paix est liée, fondamentalement, à la valeur de la création. Si lacréation des êtres est excellente, ce que professe la théologie hébraïque, alors détruire lesêtres est mauvais, — ce que professe l'éthique hébraïque. Au contraire, enseigner l'excellence de la guerre, c'est professer au fond que le monde est mauvais, résultatd'une tragédie, et qu'il n'est pas aimable.

Ceux qui font la paix, comme l'enseigne le rabbi Ieschoua, continuent en sommel'oeuvre de la création. L'option pour la paix, c'est l'option pour la vie des vivants.Ceux qui préfèrent la guerre préfèrent la mort.

A supposer que l'on préfère que les hommes vivants vivent et se développent — ce quin'est pas si fréquen t, l'h istoire de l'humanité jusqu'aujourd'hui le montre, — à supposer donc que l'on préfère la paix, ce qui est rare, quelles sont les conditions pour réaliser effectivement la paix ? C'es t aussi ce qu'enseigne le r abbi Ieschoua.

D. et K. Stanley Jones, dans leur ouvrage : La cybernétique des êtres vivants,consacrent un chapitre au problème de la guerre du point de vue de la cybernétique. Ilsmontrent bien que l'analyse du processus dans lequel les nations sont engagées, conduitforcément, à moins que quelqu'un ne soit capable de renverser ce processus, à la destructionde l'humanité par elle-même :

" La cybernétique d'une nation en guerre est identique à celle d'un individu qui sequerelle. Il y a une mobilisation maximum de l'effort national sous l'emprise desémotions, de la frayeur et de la panique, le tout structuré en rétroaction positive :chaque acte de guerre provoque des actes de représailles qui en retour forcent les passionset amènent à un nouvel effort contre l'ennemi. Les émotions structurées en feed- back au to excit ant fourni ssen t la dy namique de l' effort de guerre, aussi bien qu'e ll escontrôlent sa conduite25.  "  

"  Le schéma cybernétique peut se transférer sans changement sur le plan pol itique .. .

25 D. et K. STANLEY JONES, la Cybernétique des êtres vivants, trad. fr. Paris, 1962. Chap. 37 : Lacybernétique de la guerre, p. 119.

Page 53: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 53/160

53

" Cela est vrai, que la, guerre soit chaude ou froide..." Ces exhibitions d'insanité nationale sont structurées en rétroaction positive; elles

tirent leur dynamique de la frayeur de la guerre qui provoque d'autant mieux la guerre

que tous les hommes ont peur." On peut faire une prédiction certaine grâce à l'extrapolation sur le plan international des

lois cybernétiques relativement simples découvertes à propos des systèmes naturels decontrôle. A moins que les forces stabilisantes du bon sens, basées sur la rétroactionnégative, puissent accroître leur puissance, le monde civilisé n'échappera à soninvraisemblable autodestruction que si les ressources économiques ou monétairesviennent à manquer avant que ses politiciens déments n'aient précipité leur course26.  

"  

Si nous ne nous trompons pas, le rabbi Ieschoua de Nazareth enseignait ce qu'ilestimait être la seule méthode pour sortir de ce cycle infernal : agression, — réaction vengeresse, — rancune et re-agression, haine et de nouveau, représailles, et ainsi

de suite, sans fin. On a vu, pendant des siècles, ce que ce schéma a donné. On devineaussi ce qu'il peut et va donner, avec les moyens de destruction dont l 'humanitédispose aujourd'hui.

A supposer qu'on ait choisi le parti de la paix, c'est-à-dire, pour l'humanité, de lavie, à supposer que l'on préfère que l'humanité vive, — ce qui, encore une fois, n'est pas sifréquent, et s'avère, à la réflexion, quelque chose qui ne va pas de soi, loin de là, —quelmoyen pour sortir de ce cercle infernal ? Le rabbi enseigne une méthode, une technique, quifait certainement partie, dans son enseignement, de ce qu'il y a de plus paradoxal et de plus scanda leux pour la consc ience humaine à travers le s siècle s. En réali té , tr ès peu, parmi se s discip le s, ont pri s à la lett re, et réali sé effectivement cett e méthode.Le rabbi Ieschoua enseignait en effet que, en présence de l'agression, au lieu de

répondre par une autre agression, pour sortir du cercle infernal de destruction mutuelle, ilfaut que l'un des hommes en présence, — celui qui reçoit l 'enseignement du rabbi etqui estime que cet enseignement est vrai, — renonce, librement, volontairement, au droitde réponse, au droit de vengeance, renonce à la contre agress ion, subisse l'agres sion e tinjustice sans répondre à l 'agression et à injustice par une autre agression et uneautre injustice.

Tel est l'enseignement du rabbi Ieschoua, si nous l'avons bien compris.Mat. 5, 38 : " Vous avez entendu qu'il a été dit : oeil pour oeil et dent pour dent (Ex. 21,

24; Lev. 24, 19; Dt. 19, 21). — Et moi je vous dis de ne pas vous dresser pour résister au méchant Mais celui qui te gifle sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre joue. Et àcelui qui veut t'appeler en justice et p rendre ta t unique, laisse- lui encore le manteau; et

celui qui te réquisitionne pour un mille (un km 500 environ), fais avec lui deux milles.A celui qui te demande, donne, et de celui qui veut t'emprunter, ne te détourne pas.

Mat. 5, 43 : " Vous avez entendu qu'il a été dit : tu aimeras ton compagnon 27 et tuhaïras ton ennemi28.  —  Et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous deven iez les fi ls de votre pèr e qui es t dans le s cieux, ca r son soleil, il le fait lever sur les hommes mauvais et sur les bons et il fait pleuvoir sur les ju ste s et su r le s in just es. En effet , si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense

26 D. et K. STANLEY JONES, op. cit., p. 121 . 27 Lévitique, 19, 18.  28 Ne se trouve pas dans la Bible hébraïque.  

Page 54: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 54/160

54

avez-vous ? Est-ce que les publicains ne font pas la même chose ? Et si vous donnezvotre salut à vos frères seulement, que faites-vous de surabondant ? Est-ce que les hommesdes nations païennes ne font pas la même chose ? Soyez donc, vous, parfaits, comme

votre père des cieux est par fait . "Luc, 6, 27 : " Mais à vous je vous le dis, vous qui m'écoutez : aimez vos ennemis,

faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceuxqui vous calomnient.

" A celui qui te frappe sur une joue, tends encore l'autre, et à celui qui te prend tonmanteau, ne l'empêche pas (de prendre) aussi l a tunique.

" A tout homme qui te demande, donne, et à celui qui te prend ce qui est à toi, neredemande pas.

" Et comme vous voulez que vous fassent les hommes, faites leur de même." Si vous aimez ceux qui vous aiment, en quoi est-ce une grâce de votre part ?

Les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.

" Et si vous faites du bien à ceux qui vous font du bien, en quoi est-ce une grâcede votre part ? Les pécheurs aussi font de même.

" Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quelle grâce est-ce de votre part ?Les pécheurs aussi prêtent aux pécheurs afin de recevoir la pareille.

" Mais aimez vos ennemis, et fai tes du bien , et prêtez sans rien espérer en retour. Etvotre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui est bon pour ceux qui sont sans gratitude et mauvais.

" Ayez des entrailles de compassion, comme votre père et un Dieu de pit ié." Et ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés." Et ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. " Libérez (remettez les

dettes) et il vous sera remis.

" Donnez, et il vous sera donné : une bonne mesure, serrée, tassée, débordante,sera versée dans votre sein.

" Car de la mesure dont vous aurez mesuré, on se servira pour vous mesurer àvotre tour. "

C'est là, encore une fois, un des enseignements les plus paradoxaux du rabbigaliléen, un de ceux qui sont les plus durs à " avaler " comme on dit. Durs surtout àréaliser.

Le rabbi Ieschoua ne s'et pas contenté d'enseigner cette méthode, cette technique, quiconsiste à ne pas répondre à l 'agression par une autre agression, et à briser ainsi lecycle infernal de l'agression et de la réaction de vengeance qui provoque unenouvelle agression plus violente, et ainsi de suite. Le rabbi Ieschoua ne s'es t pas contenté

d'enseigner cette méthode, il en a fait la démonstration devant ses apprentis en théologieet en anthropologie, ceux qu'on appelle ses " disciples ". Il a utilisé cette méthode. Il l'aexpérimentée, à ses frais, à ses dépens.

Tout le monde sait que le rabbi Ieschoua le galiléen vivait dans une Palestine occupée par l'arméeromaine. Dans un pays occupé par l'armée ennemie, on le sait, il y a toujours plusieurs partis : Ceuxqui pensent qu'il faut " collaborer " avec l'ennemi, avec l'occupant, pour sauver certains intérêtsnationaux, pour continuer à faire des affaires, ou pour toute autre raison. Ceux au contraire quiestiment qu'il faut " résister " à l'ennemi, et tenter de le chasser de la patrie, par la force des armes.

Dans la Palestine occupée par l'armée romaine, il y avait ces partis, celui des " collaborateurs ",et celui des " résistants ". Les résistants, ceux que, dans le langage de l'occupant on appelle les "terroristes ", chez les Juifs s'appelaient les " zélotes " et les " sicaires ", ceux qui portaient le

Page 55: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 55/160

55

 poignard, sica.Le rabbi Ieschoua n'était certes pas collaborateur, mais, il n'était pas non plus zélote. Il n'est

 pas entré dans le Front de Libération nationale juif. Il a cependant été dénoncé aux autorités de

l'armée d'occupation comme zélote, comme " résinant ", alors qu'il ne l'était pas, et il a été arrêté etcondamné par la pol ice d’occupat ion 29.

Lorsqu'on est venu l'arrêter, il aurait pu résister à cette agression injuste qu'était cette arrestation, quidevait le conduire à la mort. Il ne l'a pas fait. Alors que Kêphâ, le " Rocher ", Pierre ",furieux, sortait son épée et frappait un des hommes qui faisaient partie du groupe qui venait arrêter le rabbi, celui-ci dit à Pierre de rentrer l'épée :

Mat. 26, 50 : " Ils s'avancèrent et mirent la main sur Ieschoua. Et voici que l'un de ceux qui étaientavec Ieschoua étendit la main, tira son épée, et il frappa le serviteur du grand prêtre, il lui enleval'oreille.

" Alors Ieschoua lui dit : Remets ton épée à sa place. Car tous ceux qui prennent l'épée périssent par l'épée. "

Cette dernière proposition ne doit pas être forcément comprise comme une interdiction. Il noussemble qu'elle est plus vraisemblablement l'énoncé d'une loi, non pas physique, mais historique : ceuxqui prennent l'épée, ceux qui déclenchent la guerre, ceux qui amorcent le processus d'agression, périssent par l'agression qui se retourne contre eux. La guerre est finalement un phénomèned'autodestruction. L'histoire des grands empires, jusqu'au Troisième Reich, montresuffisamment que cette loi énoncée par Ieschoua est exacte.

Le rabbi Ieschoua, tout le monde le sait, est mort, finalement, après cette arrestation, cloué sur une croix, qui était le supplice que les Romains réservaient aux esclaves, aux révoltés et auxcriminels de droit commun.

On dira : par conséquent la méthode professée par le rabbi juif n'était pas bonne, puisque, pour lui, elle a conduit à cette fin épouvantable.

Cela reste à examiner.

Du point de vue du nationalisme intégral, le christianisme évangélique, c'est-à-dire lechristianisme authentique, celui du rabbi Ieschoua mort sur une croix, n'est pas et ne peut pas êtresatisfaisant.

Du point de vue du nationalisme intégral, non seulement la légitime défense et un droit etmême un devoir absolu, mais, de plus, la conquête est une expression légitime de l'ambitionnationale. A ces deux égards, la doctrine du rabbi galiléen et détestable. Car, si on l'en croyait, et si l'onfaisait ce qu'il a enseigné, alors on ne résisterait pas à l'agresseur ? On ne ferait pas la guerre ?Évidemment, on n'entreprendrait pas de guerre de conquête.

Bien entendu, le nationalisme s'est trouvé des théologiens qui ont expliqué que, tout d'abord,dans ces propos du prophète juif crucifié, il faut faire la part de l'hyperbole et de l'exagération, de lamentalité " orientale ", du " genre littéraire ", etc. Que de plus et surtout ces propos s'adressent à desindividus : Si un individu vous agresse, alors ne lui résistez pas. Cela est déjà difficile à admettre,et seuls quelques excentriques peuvent suivre le rabbi sur ce point. Mais cette doctrine, nous disentnos théologiens, ne s'applique pas aux communautés nationales. Là, le droit de légitime défense reste parfaitement valable.

Quoi qu'il en soit des travaux de ces théologiens, le texte évangélique et formel,clair comme le jour, et constitue pour un adepte du nationalisme intégral un

29 Sur ce point, lire O. CULLMANN, Dieu et César. 

Page 56: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 56/160

56

scandale permanent, un motif de gêne. Un chrétien qui voudrait adopter pleinementl'enseignement du rabbi galiléen ne peut pas être intégré dans un mouvementnationaliste, pour lequel la valeur absolue, c'est la nation. Le chrétien évangélique

sera toujours suspect, à un moment ou à un autre, de mettre en avant l'objection de laconscience.

Pour un disciple du rabbi Ieschoua, il n'y a qu'une seule valeur absolue, c'est Dieu.Ce n'est pas la Nation. De plus , pour un discip le du der nie r des prophèt es d'I sraël , lavaleur, la dignité de l'homme et telle qu'on ne peut pas tuer si facilement un homme qui etcréé à l'image et à la ressemblance de Dieu, qui et appelé à prendre part à la vie divine.Sur le champ de bataille, normalement, le disciple du rabbi galiléen peut et doit se poser laquestion : cet homme, ces hommes que l'on m'ordonne de tuer, au nom de la Patrie,qui sont-ils ? Pourquoi dois-je les tuer ? Au nom de quoi ? Qu'est-ce qui m'yautorise ? Cette guerre est-elle légitime? L'enseignement de mon rabbi sur la non-résistance à l'agression, et-il vrai qu'il se limite aux relations interindividuelles ? Et pourquoi

ne s'appliquerait-il pas aux relations entre communautés ? Entre peuples ? Entreraces ? Qu'et-ce qui permet de restreindre ainsi l 'enseignement du maître, d'enlimiter la portée ?

On le voit, un disciple du rabbi juif crucifié qui se pose ces questions, estdifficilement utilisable dans le cadre de la mystique du nationalisme intégral. Il etforcément un suspect, un élément de trouble et d'inquiétude. Comme le prophèteJérémie en d'autres temps, il finira par démoraliser l'armée. Il se pose trop de questions. Ladiscipline faisant la force principale des armées, et la discipline absolue n'étant pascompatible avec ce genre de questions, le chrétien évangélique ne sera pas un é lémentassimilable dans un système où la valeur absolue est la nation.

Comme l'écrivait Charles Maurras, " Isaïe et Jésus, David et Jérémie, Ézéchiel et

Salomon... donnaient par leurs exemples et par leurs discours les modèles de la frénésietoute pure " (Action française, t. I, p. 318). " Chez les anciens Israélites, les prophètes élusde Dieu en dehors des personnes sacerdotales furent des sujets de désordre et d'agitation "(Trois idées politiques,  p. 6o). " Le ju if monothéis te et nourri des prophèt es est unagent révolutionnaire " (Ibid.,  p. 60). A propos des " évang il es de quatr e ju ifsobscurs ", Maurras félicite l 'Église catholique romaine d'avoir mis en latin certainstextes subversifs, comme par exemple le Magnificat de Mariam, la mère de Ieschoua,afin que le peuple ne les entende pas, ce qui en " atténue le venin " : " D'intelligentes destinéesont fait que les peuples policés du sud de l'Europe n'ont guère connu ces turbulentesÉcritures orientales que tronquées, refondues, transposées par l'Église dans la merveilledu Missel et de tout le Bréviaire : ce fut un des honneurs philosophiques de l'Église,

comme aussi d'avoir mis au verset du Magnificat une musique qui en atténue le venin. "(Charles Maurras, Le Chemin de Paradis, Préface, p. XXIX et XXX.)

Les théologiens chrétiens au cours des siècles ont été contraints d'élaborer unethéologie de la guerre qui tienne compte non seulement de l'enseignement du rabbi,mais aussi du droit naturel. Les théologiens, pour la plupart, ont estimé qu'il n'était pas possible de demander, — encore moins d'exiger, — à un peuple qui est envahi par un autre,avec tout ce que cela comporte : massacres, asservissement, etc., de se laisser faire passi vement et de ne pas rés ist er. Les théo logiens ont est imé qu'i l n'é tai t pas possib le de condamner ceux qui résistaient les armes à la main aux envahisseu rs. Ils ontdonc élaboré une théorie de la guerre juste, qui est fondée sur le droit naturel.

Il existe donc une difficulté réelle : d'une part, le rabbi Ieschoua enseigne une

Page 57: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 57/160

57

technique, une méthode, qui consiste à ne pas répondre à l'agression par l'agression, àsuspendre le droit de réponse agressive à l 'agression. D'autre part, il est évidentqu'on ne peut demander à la petite Pologne attaquée par l'Allemagne nazie de ne pas

résister à l 'invasion.Le terme de " violence " est en l'occurrence trop vague pour essayer d'entreprendre

l'analyse de ce difficile problème.Ieschoua, nous allons le voir, a usé d'une certaine violence. Il chasse les vendeurs

du temple à coups de fouet, et tout l 'enseignement évangélique est d'une certainemanière violent. Il fait violence à nos préjugés, à nos mentalités, à nos habitudesmorales et à nos conceptions. Il nous fait éminemment violence, par l 'enseignementque nous rappellerons ultérieurement et qui porte sur la croix.

Mais Ieschoua n'a jamais détruit. Il n'a jamais tué. Toute violence dans son enseignementou son action constitue une exigence de recréation, jamais de destruction.

Posé en termes précis, le problème est donc de savoir si le disciple de Ieschoua, qui

veut conformer sa pensée et son existence à l'enseignement de son rabbi, peut, ou ne peut pas, détruire , dé trui re des êtres, c'est-à-dire blesser et tuer, pour obtenir un résultatqu'il estime nécessaire et bon.

Les révolutionnaires, de leur côté, font remarquer très justement qu'un peuple, ou uneclasse sociale, qui sont asservis, exploités, par une minorité possédante, sont dans lamême situation qu'un peuple qui est asservi par un autre. Dans les deux cas, un sous-ensemble humain subit une violence, plus précisément ils sont contraints à des conditionsd'existence, de travail, de nourriture, de logement, qui aboutissent finalement à la mort prématurée d'hommes, de femmes et d'enfants . Il s'agit d'un meurtre massi f.

Les révolutionnaires légitiment donc qu'ils se trouvent dans les conditions définies par les théologiens lorsque ceux-ci ont précisé ce qu'é ta it une gue rre ju st e.

 Nous avons déj à rencontr é, à propos de l'ensei gnement par adoxal de Ieschouaconcernant la pauvreté, le problème des rapports entre le christianisme et larévolution. Nous avons vu que le disciple de Ieschoua, comme le révolutionnaire, prennen t par ti pour l'opprimé. La différence entre le point de vue de Ieschoua et le poin tde vue du révolutionnaire, nous l'avons noté, c'est que Ieschoua semble s'être donné pour tâche de communiquer à l 'humanité tout enti ère, pauvres et riches , explo it és etexploiteurs, esclaves et hommes libres, un enseignement créateur, tandis que le but durévolutionnaire est plus précisément de libérer une part de l'humanité, — l'humanitéexploitée, — de la main de ses exploiteurs — cela dans l'intérêt de l'humanité totale.

Les deux points de vue, les deux objectifs, ne sont pas en contradiction l'un avec l'autre,ils ne s'excluent pas nécessairement. Ils peuvent éventuellement se compléter. Maisils ne se recouvrent pas exactement. La révolution peut être une partie de larédemption, un élément de la rédemption. Mais la révolution politique et sociale n'épuise pas lecontenu de la rédemption, loin de là. La rédemption, au sens chrétien du terme, est unerévolution totale, intégrale, qui est en fait, nous l'avons vu, une recréation et un achèvement del'homme.

Si le révolutionnaire estime que la révolution économique et politique épuise le champ dela révolution qui est à opérer, et s'il connaît, par là même, la dimension humaine naturelle etsurnaturelle qui caractérise le christianisme, s'il ignore la fin surnaturelle que lechristianisme assigne à la création, alors le révolutionnaire se trouve dans une perspective

Page 58: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 58/160

58

que l'histoire de la théologie désigne par le terme de " millénarisme ". C'est uneamputation par en haut de la destination de l'homme, appelé, selon le christianisme, à prendre part à lavie divine.

Si le révolutionnaire reconnaît l'existence de cette dimension qui est enseignée par lechristianisme, il reste une difficulté portant sur les moyens à utiliser pour réaliser larévolution politique, économique et sociale.

 Nous venons de le rappeler : Ieschoua, que ses disciples ont considéré comme étantl'Enseignement créateur même de l'Unique créateur, ne détruit jamais. Il ne tue jamais. Il ne blesse pas. Il guérit , il régénère, il créé et il recrée. Il et médecin et non pas guerrier. Saméthode est essentiellement créatrice. Elle est une doctrine de création.

Si son disciple doit conformer son existence, sa pensée et son action à t enseignement,il lui sera difficile de tuer, de blesser, même pour réaliser un but qui lui semble bon et nécessaire.

Là se trouve la difficulté, en ce qui concerne les rapports entre le christianisme etla révolution, comme en ce qui concerne les relations entre le christianisme et la guerre,

même juste. Détruire des structures économiques et politiques criminelles, pour enreconstruire d'autres, c'est une chose.

Détruire des êtres est tout autre chose.La question et de savoir s'il est absolument nécessaire de passer par la destruction des

êtres pour parvenir à la dest ruction de structures économiques et politiques funestes.L'intérêt de Ieschoua, nous l'avons noté à propos de la pauvreté, se porte apparemment sur 

tous les êtres, même et d'abord sur ceux qui sont criminels. Jamais il n'a entrepris de détruire ni de blesser quiconque. Il a toujours tenté de guérir et de régénérer. Il se situe dans la perspective de celuiqu'il appelle son père, et qui est créateur de tous les êtres. Il continue l'oeuvre du créateur, jamaiscelle du destructeur.

Là se trouve la différence entre Ieschoua et le révolutionnaire. Et c'est pourquoi la doctrine de

Ieschoua ne satisfait pas non plus le révolutionnaire, pas plus qu'elle ne satisfait le général d'armée." Crucifié pour crucifié, le révolutionnaire préfère Spartacus30. " 

C'est dans l'ordre profond de l'ontologie que se situe la différence entre Ieschoua et lerévolutionnaire non chrétien. Ieschoua se soucie de tous les êtres individuels et particuliers, un par un, et chacun pour lui-même. C'est une ontologie de l'individuel singulier. Le révolutionnaire sesoucie de libérer une classe opprimée de la servitude et de l'oppression effectuées par une classedominante et possédante.

De même que le général d'armée, s'il veut vaincre l'ennemi, ne se soucie pas des individussinguliers, des enfants d'Hiroshima ni des enfants tués lors des bombardements de Dresde ou deBerlin, de même, le révolutionnaire, pour parvenir à son but, considère des ensembles, mais ne peut pas tenir compte aussi des individus singuliers, des personnes particulières. En cela au moins,

le révolutionnaire et le militaire ont une perspective commune, une manière de voir analogue,même si leurs buts diffèrent. En cela leur ontologie sous-jacente, inconsciente, est différente de cellede Ieschoua, radicalement.

La révolution, fondamentalement, consiste à ré-informer les structures sociales, politiques et économiques. De plus en plus, les révolutionnaires remarquent que cetteré-information des structures politiques et économiques n'est pas possible sans une

30 C'est une parole d'un philosophe communiste français lors d'une discussion publique entre lui etmoi, à Lille. 

Page 59: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 59/160

59

ré-information des structures mentales. Il n'est pas possible de réformer d'une manièredurable les structures politiques si l 'on ne réforme pas l'homme. La création d'unhomme nouveau apparaît de plus en plus à l'horizon de la pensée révolutionnaire, sans

que soit toujours suffisamment précisé ce en quoi va consister ce renouvellement.Si la réformation des structures politiques, sociales, économiques, requiert en fin

de compte la réformation de l'homme, il reste à trouver quels sont les principes,quelles sont les normes de cette réformation de l'homme. Le christianisme propose unensemble normes. Il reste à examiner si elles sont satisfaisantes. Mais nous sommesrenvoyés, finalement, par les révolutionnaires eux-mêmes, à la recherche d'unensemble de normes permettan t de recons truire homme nouveau. Finalement, c'et cettenormative nouvelle qui sera premièrement révolutionnaire. Seule la communicationd’une normative nouvelle est réellement révolutionnaire.

 Nous le notions dans notre précédent travail : dans tous les domaines , depuis l'ordre biologique jusqu'à l'ordre humain, la création d'une réalité nouvelle se fait toujours par 

communication d’une information, d'une science, d'un enseignement, d'une norme. Lechristianisme est fondamentalement et radicalement révolutionnaire en ce qu'il apporte àl'humanité une nouvelle normative. Mais sa méthode propre ne procède pas par ladestruction des êtres. Le christianisme entend substituer à un état de choses ancien,qui est anormal, une norme nouvelle, informatrice et créatrice. C’est ainsi qu'il procède pour renouvele r l 'humanit é.

En ce qui concerne le christianisme, comme pour toute autre doctrine, deuxquestions fondamen tales doivent êtr e env isagées successivement. La première question estde savoir en quoi consiste cette doctrine. Nous essayons ici d'exposer, le moins mal que nous le

 pouvons, la doctr ine, le contenu de l'enseignement du rabbi juif crucifié sous Tibère. — La seconde question porte sur la vérit é : la doctr ine en ques tion est- el le vraie , ou non? En ce qui concerne notre problème précis, la méthode préconisée, à tort ou à raison, par lerabbi Ieschoua, la question est de savoir si c'est une bonne méthode, ou une mauvaiseméthode, finalement, pour 'humanité. Est-ce que la méthode classique, celle qui consiste à répondreà l'agression, à la guerre, par l'agression et la guerre est bonne, meilleure ? Ou bien est-ce quela méthode du rabbi est bonne et efficace ? Seule l'expérience et l'analyse peuventnous permettre d'en décider. En ce qui concerne la méthode classique, celle qui consiste àrépondre à l'agression par l'agression, elle a déjà fait ses preuves, depuis des siècles.Elle a été largement expérimentée. Il ne reste, semble-t-il, que peu d'expériencesnouvelles à effectuer, avant qu'il ne reste plus d'hommes pour continuer les

expériences. La guerre de 1914-1918 : dix millions de cadavres. La guerre de 1940-1945: quarante millions de cadavres. La prochaine ?

La méthode préconisée par le rabbi Ieschoua a été, au contraire, peu expérimentée. Elle n'aque rarement été prise au sérieux. Elle a été essayée, si nous ne nous trompons, par lemahatma Gandhi. C'est aux historiens, et encore aux psychologues, et aussi, selon StanleyJones, aux cybernéticiens, de nous dire quelle est finalement la méthode la plusefficace, la plus rentable, dans l'hypothèse, toujours, où l'on souhaiterait quel'humanité vive.

Le rabbi juif, quant à lui, est mort cloué sur une croix. C'est, dira-t-on, décisif. Cela

Page 60: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 60/160

60

 prouve que la méthode était mauvaise. Car s'il avait résisté à ceux qui venaient l'arrêter, il s'enserait peut-être tiré, et il n'aurait pas été crucifié.

 Nous verrons plus loin, à propos de ce que nous appelons la lo i ontogénét ique

fondamentale, quel est l'enseignement de Ieschoua en ce qui concerne la fécondité del'action et de l'être. Ieschoua n 'a jamais dit que sa méthode ne coûtait ri en.

Pour ce qui est de l'efficacité, dans ce combat singulier entre le prophète juif sansarme et l 'Empire romain, il est vrai, tout d'abord, que le prophète juif est mortsupplicié. Il avait été condamné comme terroriste alors qu'il ne l'était pas. Il étaitdonc doublement vaincu.

Avant Ieschoua, pendant la vie de Ieschoua, et après sa mort, bien souvent deschefs militaires juifs se sont levés pour libérer la patrie du joug romain. Vers le débutde l'ère chrétienne, un certain Judas le Galiléen avait fondé un parti, un mouvement,celui des Zélotes : ceux qui étaient zélés pour le Dieu d'Israël et sa Torah. Judas leGaliléen ordonne de ne pas se soumettre au recensement général ordonné par Quirinus,

le gouverneur de la Syrie. En 66, à Jérusalem, les Juifs se révoltent contre l'occupantromain. Jean de Gischala, Simon bar Giora, sont les chefs de la révolte. Le 26septembre 70 Jérusalem est conquise par Titus. La ville et les remparts sont rasés. En 132,Siméon bar Koziba est le héros de la seconde grande révolte juive. L'illustre rabbiAqiba disait de lui : " C'est lui le meschiach... " En 135, la d éfai te d e Bar Koziba étaiten même temps une catastrophe nationale. Les cinquante principales forteresses de la résistancetombaient entre les mains des Romains, les morts se comptaient par centaines de milliers, Jérusalem,l'ancienne capitale, était interdite aux Juifs, et l’empereur ordonna de construire sur l'emplacement de la ci té de David une nouvelle ville : Aelia Capitolin31.

La méthode de Ieschoua n'a pas consisté à lever des troupes, ni à préparer la résistance armée àl'occupant. Son enseignement, la finalité de son action n'étaient d'ailleurs pas dirigés contre

Rome. Ieschoua a enseigné. Il est mort. Ses auditeurs ont communiqué sa doctrine. Vers 57 sansdoute son disciple Schaoul de Tarse écrivait aux chrétiens de Corinthe : " Car je crois que Dieunous a exhibés, nous les apôtres, comme les derniers des derniers, comme des condamnésà mort; nous sommes donnés en spectacle au monde... Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim,la soif, la nudité, nous recevons des coups et nous sommes vagabonds... Nous sommes devenuscomme les balayures du monde... " (I Cor. 4, 9,  sq.).Saoul, Kêphâ, et des milliers de disciples deIeschoua sont morts martyrisés par les empereurs de Rome. Ils n'ont pas non plus organiséde révolte armée contre l'empire. Ils se sont contentés de communiquer l'enseignement reçu durabbi.

A partir du IVe siècle, Rome devenait le foyer central de l'Église chrétienne.Tel est, sur ce point, le résultat obtenu par la méthode de Ieschoua. La

communication de son enseignement a été, par elle-même, révolutionnaire.

Il ne faut pas croire que cette technique proposée par le rabbi Ieschoua — (cettetechnique est-elle bonne ? Est-elle mauvaise ? C'est ce qu'il faut vérifier), — il nefaut pas croire en tout cas que cette technique soit par nature ou p ar essence, commel'a pensé Nietzsche, une technique de faible, d'esclave, de femmelette. La questionde savoir si cette technique est efficace ou non reste ouverte, mais en tout cas cettetechnique exige de la part de celui qui veut la mettre en oeuvre une maîtrise de soi,

31 Cf. Pierre PRIGENT, la Fin de J érusalem, Delachaux et Niestlé, 1969. 

Page 61: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 61/160

Page 62: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 62/160

62

dis, mais la division. Car à partir de maintenant cinq dans une maison seront divisés,trois contre deux et deux contre trois; seront divisés le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fi ll e et la fil le contre la mère, la bell e-mère contre sa bell e-

fille et la jeune mariée contre la belle-mère. "Cet enseignement de Ieschoua, concernant la division et la guerre que son

enseignement va provoquer dans les ensembles humains, dans les groupes humains,est vérifié, constamment, dès lors qu'une doctrine évangélique se trouve en conflit — toujours la doctrine évangélique est en conflit — avec l'une des " valeurs " du système quicommande dans l'humanité la vie des groupes, famille, clan, tribu, nation. Dès lors qu'il ya conflit, sur un point ou sur un autre, entre un enseignement évangélique, et l'une des "valeurs " du groupe, il s'opère un partage, à l'intérieur du groupe, entre ceux qui préfèrent les valeurs du clan, de la tribu, de la nation, et celui, ou ceux, qui choisissent lesystème de valeurs proposé par le rabb i Ieschoua.

Un exemple typique de cette division violente, c'et l'opposition dans une nation,

entre les valeurs de vérité et de justice, qui sont des valeurs évangéliques, et les valeursnationalistes, qui peuvent exiger le sacrifice de la vérité ou de la justice. Si lanation est la valeur absolue, suprême, alors la vérité et la justice doivent lui être sacrifiéesdans certains cas. Ainsi, lors de l'affaire Dreyfus, en France, ou, pendant la guerre d'Algérie,lorsque s'est posée la question de la torture, certains estimaient qu'avant tout il nefallait pas affaiblir la nation, toucher à l'honneur de l'armée. D'autres au contraireestimaient que la vérité devait d'abord être connue et dite, et la justice rendue. Deuxsystèmes de valeurs s'affrontaient, irréductibles et hétérogènes. Le partage s'opérait,comme l'avait dit I eschoua , à l'intérieur des familles. ..

La doctrine du pardon, que professe Ieschoua, est en liaison directe avec cetteméthode qui consiste à tenter de briser le cercle : agression — réaction agressive — re-agression :

Mat. 18, 21 : " ... Pierre lui dit : Seigneur, combien de fois mon frère péchera-t-ilcontre moi et lui pardonnerai-je ? Jusqu'à sept fois ? Ieschoua lui dit : je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais ju squ 'à soixan te dix -sept fois .

" C'est pourquoi le royaume de Dieu, c'et comme un roi qui a voulu régler ses comptesavec ses serviteurs. Lorsqu'il commença à régler ses comptes, on lui amena un ministrequi lui devait dix mille talents32. Celui ci n'avait pas de quoi rembourse dette. Le maîtreordonna qu'il fût vendu, lui, et sa femme ' et ses enfants et tout ce qu'il avait, pour que ladette soit payé.

« Le ministre tomba à genoux et se prosterna en disant : sois magnanime et pati ent à mon égard, et je  te rendrai tout

" Il fut pris de pitié, le maître de ce ministre, et il le relâcha, il lui fit cadeau de sadette.

" Ce serviteur sortit et il trouva l'un de ses compagnons de service (l'un de sescollègues) qui lui devait cent deniers33.  Il l'empoigna, et le serrait à la gorge en disant :Rends, si tu me dois quelque chose !

" Son compagnon de service (son collègue) tomba à ses pieds le supplia en disant : sois

32 Environ 60 millions de francs-or 33 Environ 100 francs

Page 63: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 63/160

63

magnanime et patient à mon égard, je te rendrai." Mais l’autre ne voulait pas, et il alla le faire jeter en prison qu'à ce qu'il ait rendu ce

qu'il devait.

" Voyant ce qui était arrivé, ses collègues furent très attristé, et ils allèrent exposer à leur seigneur tout ce qui était advenu, tout ce qui s'était passé.

" Alors le seigneur le fit venir et lui dit : serviteur mauvais, toute cette dette, je t'en aifait cadeau, parce que tu m'as supplié. Ne fallait-il pas que toi aussi tu aies pitié de toncompagnon (collègue), comme moi j'ai eu pitié de toi ?

" Et son seigneur se mit en colère et il le livra aux bourreaux, jusqu'à ce qu'il ait rendutout ce qu'il lui devait.

" Ainsi aussi mon père qui et aux cieux fera à vous, si vous ne remettez pas,chacun, à son frère, du fond du coeur. "

Ce mâschâl illustre l'une des' demandes que le rabbi Ieschoua placées dans la prièrequ'il a composée pour ses apprentis :

" Remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous avons remis à ceux qui nousdoivent."

Ce ne sont pas seulement les paroles du rabbi qui sont enseignement, mais aussises gestes, ses actes. Ses gestes et ses actes aussi peuvent être des meschalim. Ainsi,d'après Marc II, I Matthieu 21, I, Luc, 19, 29, et Jean 12, 12, un jour le rabbi fit sonen trée à Jérusalem monté sur un ânon, -- et non pas, comme le souligne Jérémie 34 sur un chevalde guerre. Ce mâschâl exprimé par une action a une signification concernant le messianisme. Ilsignifie que Ieschoua a choisi une conception du messianisme qui n'et pas militaire. Matthieu etJean citent à ce propos le texte du prophète Zacharie, 9, 9.

En résumé et en conclusion, pour comprendre l'enseignement de Ieschoua en ce qui concernel'agression, il faut se placer comme toujours, clans la perspective qui est la sienne : la perspectivecréatrice et thérapeutique. La méthode qu'enseigne Ieschoua, c'et de répondre à l'agressiondestructrice non pas par une autre agression destructrice, mais par une création. Le refusd'user, en présence de l'agression, d'une autre agression, n'est que l'envers et le point dedépart d'une conduite positive, créatrice et thérapeutique. Pour comprendre cette méthode,on peut se reporter utilement à l'expérience contemporaine des psychologues et des psychiatres quiont affaire à des malades agressifs. Ils savent bien qu'en présence d'une crise d'agressivité d'un malade,cen'et pas une réac tion agressive qui est effi cace et thérapeu tique. Là encore, la douceur 

seule est puissante.Cependant, il ne faut pas se leurrer. Nous sommes en guerre, dans tous les domaines de

l'existence. Au niveau politique et économique, d'abord, bien entendu. Mais aussi guerre dans l'ordredes idées, des doctrines. L'exercice de la philosophie, aussi, et éminemment, est uneguerre. Le christianisme ne veut pas châtrer l'homme, ni lui ôter l'agressivité normale, sans laquelle iln'y a pas de conquête ni de création. Mais le christianisme se propose pour but la vie, et non la mort.La guerre a changé d'ordre. Les vertus guerrières ne sont pas annihilées, ni refoulées, maistransposées. Il reste toujours à mener le combat de David contre Goliath et les philistins. Lechristianisme est en guerre, depuis des siècles, et jusqu'à la fin des temps, et il le sait. Il est en état de

34 J. Jérémias, J ésus et les paiens, trad. fr., p. 46

Page 64: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 64/160

64

guerre perpétuelle. Mais la guerre qu'il mène n'est pas contre les hommes, pour les détruire. Elle est pour eux, et pour les vivifier.

Page 65: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 65/160

65

VIII. LA PERSÉCUTION POUR LA J USTICE

 Nous avons vu, dans notre précédent travail, consacré au problème de la révélation et au prophétisme hébreu, que la communication de l'enseignement qui vient de Dieu, rencontre, dansl'humanité à laquelle cet enseignement s'adresse, une résistance, souvent violente et furieuse. Nous avons essayé de dégager quelques-unes des raisons qui expliquent cette résistance. Nousavons vu que les prophètes hébreux ont fait, à leurs dépens, l'expérience de cette résistance, qui peut aller jusqu'au meurtre.

Le rabbi Ieschoua connaissait fort bien cette loi de l'existence prophétique. Il y fait allusion à plusieurs reprises, et il n'a pas caché à ses apprentis qu'ils rencontreraient eux-mêmes cetterésistance violente, lorsqu'ils entreprendraient de faire connaître à leur tour l'enseignement de leur rabbi. Nous y avons déjà fait allusion à propos des procès et du souci concernant ce qu'il fautrépondre aux accusateurs et aux juges.

Un texte certainement authentique rappelle l'histoire des relations entre les prophètes hébreuxet le peuple auquel ils étaient chargés de communiquer l'enseignement qui vient de Dieu :

Mat. 23, 37 : «Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui ont étéenvoyés vers elle, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassembleses poussins sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu. » (Cf. Luc 13, 34).

Ce texte est étonnant, car le rabbi Ieschoua de Nazareth s'identifie, manifestement, à Celui qui,au cours de l'histoire d'Israël, a voulu rassembler les enfants d'Israël, qui s'éloignaient de lui.

Cette persécution qu'ont connue les prophètes d'Israël est pénible, éminemment pénible. On sesouvient peut-être des plaintes de Jérémie, fatigué, épuisé, par cette guerre perpétuelle qu'il doitsubir à cause de l'enseignement que Dieu le charge de communiquer à son peuple Israël. Jérémiedécide même un moment de ne plus prophétiser :

Jérémie, 20, 7 : « Tu m'as séduit, Yhwh, et j'ai été séduit, tu m'as pris de force et tu l'asemporté. J'ai été tout le jour un objet de risée, eux tous se moquent de moi... La parole de Yhwh aété pour moi un sujet de honte et de raillerie tout le jour. J'ai dit alors : Je n'en ferai plus mention

et je ne parlerai plus en son nom ! — Mais c'était en mon cœur comme un feu brûlant renfermé dansmes os, je m'efforçais de le contenir et je ne le pouvais... »

On se souvient que Jérémie a été non seulement insulté mais battu, jeté dans une basse-fosse,menacé de mort, condamné à mort.

Le rabbi Ieschoua enseigne que ceux qui sont ainsi persécutés parce qu'ils communiquentl'enseignement qui vient de Dieu,

 — c'est cela la fonction prophétique, — sont heureux. Ils sontheureux non parce qu'ils sont persécutés, mais parce que la persécution qu'ils subissent, larésistance violente qu'ils rencontrent, atteste qu'ils enseignent, à contre-courant, l'enseignementde Dieu.

Mat. 5, 10 : « Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car à eux est le royaumedes deux. Heureux êtes-vous lorsqu'ils vous injurieront et vous persécuteront et diront toute sorte

de mal contre vous, en mentant, à cause de moi. Réjouissez-vous et exultez, car votre récompenseest nombreuse dans les cieux. Car c'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui vivaient avantvous. »

 Nous avons vu, dans notre précédent travail, que la résistance rencontrée constitue un signe,un test, un critère. Les faux prophètes ne rencontrent pas de résistance lorsqu'ils enseignent, car ils enseignent dans le sens où va la volonté commune. Ils épousent la volonté dominante. Ils laflattent. Tandis qu'au contraire le prophète authentique, celui qui ne parle pas » de son proprecœur, mais qui a reçu une information, une instruction venant de Dieu, celui-là enseigne à contre-courant. Ce qu'il enseigne n'est pas attendu ni espéré. Ce qu'il enseigne est détesté.

Exactement comme celui qui est pauvre en y consentant, comme celui qui s'efforce de créer la paix, celui qui est persécuté à cause de la justice et à cause de la vérité est heureux, car il coopèreà la création. Malgré les souffrances endurées, l'expérience historique l'atteste, ceux qui

Page 66: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 66/160

66

travaillent dans ce sens connaissent ce que Bergson estime être un signe et un critère de victoire :la joie.

Page 67: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 67/160

67

IX. LE PRIVILÈGE DE L'ENFANCE

 Nous constatons, petit à petit, que constamment, l'enseignement du rabbi Ieschoua est paradoxal, c'est-à-dire qu'il va à contre-courant de toutes les opinions les mieux assises, desvérités admises par tout le monde, des valeurs régnantes. Contrairement à l'opinion de tous lesgens raisonnables, il enseigne le privilège et le bonheur des pauvres, des persécutés.

Contrairement à l'opinion des gens rassis, le rabbi Ieschoua enseigne aussi le privilège del'enfance, du point de vue de la connaissance et du point de vue de l’intelligence, du point de vuede l'être même ! Nouveau paradoxe...

Un jour, le rabbi Ieschoua de Nazareth a exulté de joie, à la pensée de ce paradoxe, voulu par le Créateur : l'intelligence des choses du royaume de Dieu, l'intelligence de ce qui est le plusimportant, le plus riche, l'intelligence de l'essentiel, les enfants l'ont plus facilement que lessavants et que les professeurs. De même qu'il est plus difficile à un riche d'entrer dans l'économiede la genèse de l'humanité sainte et nouvelle qui est le royaume de Dieu, qu'à un chameau de

 passer par le trou d'une aiguille, de même il est difficile à un Herr Doctor Professor d'entrer dansl'intelligence des lois et des merveilles de cette création nouvelle en train de se faire qu'enseignel'Évangile. Un enfant, lui, y entre, sans difficulté, et il comprend.

Le cas n'est d'ailleurs pas exclusivement propre à l'Évangile. Ceux qui s'efforcent d'enseigner les mathématiques dites « modernes » nous disent que les enfants de douze ou treize ans ont plusde facilité pour entrer dans l'intelligence de cette nouvelle manière de penser en mathématiques,que les anciens professeurs de mathématiques, qui ont les plus grandes difficultés à s'y faire. C'estune question de structure mentale.

Luc, 10, 21 : « En cette heure-là, il exulta de joie dans l'esprit saint, et il dit : Je te loue, père,seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, etque tu les as révélées aux enfants. Oui, père, car ainsi il a paru bon devant ta face. »

Mat. II, 25 : « Je te rends grâces, père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ceschoses aux sages et aux intelligents, et que tu les as révélées aux petits. Oui, père, parce qu’ainsi

tu as trouvé bon de faire. »Le fait est que, parmi les philosophes en tout cas, il n'y en a pas beaucoup, parmi les plus sageset les plus savants et les plus célèbres, qui aient connu et compris les secrets de l'enseignementévangélique. Ils sont, le plus souvent, passés à côté. Ils n'ont pas vu. Ils n'ont pas compris. Ilsétaient trop pleins d'eux-mêmes et de leur culture. Ils ont considéré avec mépris cet enseignement pour les enfants et pour les infirmes. Ils n'ont pas vu les merveilles, du point de vue même de laconnaissance, qui étaient cachées dans les meschalimdu rabbi juif crucifié.

 Nous avons remarqué, dans notre précédent travail, que le dieu d'Israël, au cours de l'histoired'Israël, s'amuse — il faut oser s'exprimer ainsi — constamment, si nous en croyons les archivesoù sont consignés les actes de cette histoire, à dérouter les sages et les prudents, à déjouer les plans et les prévisions les plus raisonnables, à renverser les tables des valeurs, en réussissant le paradoxe suivant : vaincre, dans les conditions les plus improbables du point de vue de la sagessehumaine, les plus invraisemblables, en jouant, en misant, la faiblesse contre la puissance. Il fait

triompher une horde épuisée et affamée, d'Hébreux captifs et opprimés, sans armes, contrel'armée du grand Reich égyptien. Il fait triompher David, l'adolescent, avec sa fronde de berger,contre le géant des philistins. C'est sa méthode. C'est à cela qu'on le reconnaît. C'est ainsi qu'il semanifeste dans l'histoire et qu'il se fait connaître.

Le rabbi Ieschoua nous apprend que Dieu s'amuse aussi à déjouer la sagesse des sages et lascience des philosophes en faisant connaître, en faisant comprendre, à des enfants, ce que les philosophes les plus illustres n'ont pas compris. Et le rabbi Ieschoua exulte, il se réjouit, à causede ce paradoxe.

On peut trouver cela drôle. On peut aussi trouver cela de très mauvais goût. On peut se réjouir,comme le rabbi, à cause de ces paradoxes. On peut aussi trouver la plaisanterie détectable. C'estune question de goût. Et à vrai dire, on reconnaît à cela ceux qui aiment l'enseignement du rabbi juif : ils trouvent délicieux, exquis, ils aiment les paradoxes dont se compose l'enseignement durabbi. (Et nous en verrons plus loin quelques autres, qui sont violents.) Ils exultent, eux aussi, à

Page 68: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 68/160

68

cause de ces renversements de la hiérarchie des valeurs admise parmi les nations depuis dessiècles. Cela les amuse. Cela les fait rire.

D'autres, au contraire, trouvent tout cela détestable et, comme Charles Maurras, nous l'avons

vu, félicitent l'Église catholique romaine d'avoir mis ces paradoxes subversifs en latin(Magnificat anima mea Dominum, et exultavit spiritus meus in Deo… Deposuit potentes de sedeet exaltavit humiles, esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes…), afin d'en atténuer,comme il dit, « le venin ».

Quoi qu'il en soit des préférences de chacun à ce sujet, le rabbi Ieschoua enseignait le privilègenon pas seulement moral comme on le croit, mais ontologique,de l'enfance :

Mat. 18, I : « ... Les disciples s'approchèrent de Ieschoua en disant : qui est donc le plus granddans le royaume des cieux ?

« Il appela un petit enfant, il le plaça au milieu d'eux et il dit : vrai, je vous le dis, si vous nevous retournez pas (en vous-mêmes) et si vous ne devenez pas comme les petits enfants vousn'entrerez pas dans le royaume des cieux.

« Celui donc qui se fera humble comme ce petit enfant, c'est celui-là qui est le plus grand dansle royaume des cieux.

« Et celui qui reçoit un seul enfant comme celui-ci en mon nom, c'est moi qu'il reçoit.« Et celui qui crée un obstacle pour faire buter et tomber un seul de ces petits qui croient enmoi, il est avantageux pour lui que soit suspendue à son cou une de ces meules que font tourner les ânes et qu'il soit jeté en pleine mer. »

Mat. 18, 10 : « Voyez à ne pas mépriser un seul de ces petits. Car je vous le dis, leurs « anges» (leurs messagers) dans les cieux continuellement voient la face de mon père qui est dans lescieux. »

Mat. 19, 13 : « Alors on lui amena des petits enfants, pour qu'il pose ses mains sur eux et qu'il prie. Mais les disciples en firent reproche aux gens (qui amenaient les enfants) et grondèrent lesenfants. » Ieschoua, lui, dit : laissez, les enfants, et ne les empêchez pas de venir. Car à ceux quisont tels est le royaume des cieux. Et il leur imposa les mains. »

Luc, 18, 15 : « Ils lui amenaient même les enfants nouveau-nés, afin qu'il les touche. Ce quevoyant, les disciples en faisaient reproche aux gens. Mais Ieschoua les appela en disant : Laissez les

enfants venir vers moi et ne les empêchez pas. Car c'est à ceux qui sont tels qu'est le royaume deDieu. Vrai je vous le dis, celui qui ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant, n'entrera pas dans le royaume. »

Comment comprendre ce privilège ontologique de l'enfance enseigné par le rabbi, et qu'est-ceque cela signifie ? Pour le comprendre, il faut nous reporter, nous semble-t-il, comme toujours, àla perspective biblique de la création. L'enfant est un être qui vient d'être créé par Dieu. Il n'a pasencore vieilli. Il ne s'est pas encore abîmé. Il ne s'est pas encore détérioré. Ses instincts sontencore puissants. Son sens de la vérité, son sens de la justice n'est pas encore adultéré. Il n'a pasencore transigé. Il ne s'est pas encore compromis. Il ne s'est pas encore résigné. Il n'est pas fatigué par la vie. Il n'est pas encore écrasé par cette tristesse invincible qui accable certains adultes. Il estencore près de la source. Il est apte plus qu'un autre, à comprendre cet enseignement qui vient dela source de l'être. Car son « messager » comme dit le rabbi, est encore près du Créateur.

L'enfance, du point de vue hébraïque et donc du point de vue de Ieschoua, c'est la création

neuve. Du point de vue biblique, on le sait, chaque enfant qui est conçu est réellement unenouvelle création, une création originale.Dans les antiques religions de l'Inde, comme dans ce courant religieux qu'on désigne par le

nom d'Orphisme, puis de pythagorisme, et dont nous trouvons l'expression dans certains textesd'Empédocle et de Platon, l'âme de l'enfant qui vient de naître n'est pas neuve. Elle est vieille, aucontraire, vieille comme le monde, plus vieille que le monde, car elle est éternelle, en arrière dansle temps comme en avant. Elle a toujours existé. Par suite d'une catastrophe originaire, par suited'une faute commise avant la production du monde, elle est tombée, elle descend dans un corpsqui est considéré comme mauvais. La naissance est une chute, une dégradation, et même unesouillure. L'âme, d'essence et d'origine divine, descend dans la matrice d'une femme, et là elle prend corps. Lorsque l'enfant naît, nous dit Empédocle, s'il pleure, c'est que l'âme se désole endécouvrant le lieu où elle est tombée. L'âme qui naît dans un corps qui la souille a déjà vécud'innombrables vies antérieures. Elle passe de corps en corps.

Page 69: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 69/160

69

La doctrine biblique de l'homme, nous l'avons vu dans des travaux antérieurs, ignore tout cela.Selon la pensée biblique, la naissance d'un enfant représente et constitue une création nouvelle,originale. L'enfant c'est une création toute fraîche qui sort des mains du Créateur et qui n'a pas

encore eu le temps de s'abîmer.Comme le dira beaucoup plus tard, douze siècles plus tard, un disciple de Ieschoua, un moineitalien nommé Thomas, né dans le comté d'Aquino, dans le royaume de Sicile, « la perfection estdans la jeunesse ». C'est une vérité que confirmeront tous les biologistes et tous les psychologues.La jeunesse, c'est le temps où l'être est capable de créer, de s'adapter, d'inventer, d'évoluer, decomprendre ce qui est nouveau. La vieillesse, c'est le temps où il n'y a plus ni création, niadaptation, ni invention, ni capacité de comprendre le nouveau.

Ah mais ! nous objectera-t-on inévitablement, — et le péché originel ? Que faites-vous du péché originel ? — Il faut en convenir, il faut l'avouer : la doctrine évangélique n'est pasconforme, sur ce point, à la doctrine luthérienne du péché originel. Luther et la théologieluthérienne enseignent en effet que le péché originel est une corruption radicale, ontologique dela nature humaine. " Après le péché originel, il ne subsiste rien de sain, rien qui ne soit corrompu,dans le corps et l'âme de l'homme, dans ses forces intérieures et extérieures. " " Par la chute

d'Adam, la nature et l'essence de l'homme sont totalement corrompues. " " Le péché originel estune effroyable et abominable maladie héréditaire par laquelle toute la nature est corrompue,horrendum atque abominabilem illumhereditariummorbum, per quemtota natura corrupta est...(Solida declaratio, I). "" Dans la nature humaine, le péché originel n'est pas seulement le manquede tout ce qui est bon dans l'ordre des choses spirituelles qui se rapportent à Dieu. Il est en outre, par opposition à l'image de Dieu que l'homme a perdue, la corruption profonde, pernicieuse,effrayante, insondable et inexprimable de toute la nature et de toutes les forces de l'homme, en particulier des facultés de l'âme les plus élevées et les plus nobles, de l'intelligence, du coeur et dela volonté. Depuis la chute, l'homme hérite de ses parents une malignité innée et un cœur impur,des convoitises mauvaises et des penchants pervers... " « La Parole de Dieu atteste que la raison,le cœur et la volonté de l’homme naturel, non régénéré, ne sont pas seulement détournés de Dieu,mais tournés contre Dieu, vers tout ce qui est mal, et foncièrement dépravés. De plus, l'hommen'est pas seulement infirme, faible, inapte et mort au bien, mais encore si lamentablement

 perverti, empoisonné et corrompu par le péché originel, que, par nature, il est entièrementmauvais, rebelle à Dieu, ennemi de Dieu... " (Ibid.) Si l'on en croit un tel tableau de la nature humaine, radicalement corrompue et viciée en toutes

ses puissances depuis la naissance, on voit mal comment le rabbi Ieschoua a pu enseigner le privilège de l'enfance du point de vue de la connaissance des secrets du royaume de Dieu en trainde se faire et même du point de vue de l'être. On voit mal comment le rabbi a pu dire que les "messagers " des petits enfants qui ont été créés récemment sont encore auprès de Dieu leCréateur.

Il faut choisir, nous semble-t-il, entre la conception luthérienne du péché originel, etl'enseignement sur l'enfance que propose Ieschoua. Mais on ne peut pas garder les deuxsimultanément. Le moine italien disciple de Ieschoua qui vivait au XIIIe siècle et qui disait que la perfection est dans la jeunesse, disait, au sujet du péché originel : " Ce qui est naturel à l'homme,(ce qui est créé et qui constitue la nature de l'homme) n'est pas enlevé, ni ajouté, par le péché 35. "

Le péché n'enlève rien à l'excellence fondamentale de la nature humaine. Le péché ne fait pas del'être créé, l'enfant, un monstre dénaturé. L'enfant qui vient d'être créé est excellent justement parce qu'il vient d'être créé et qu'il n'est pas encore vieilli. L'information créatrice donnée par leCréateur est encore fraîche et active. Le péché, viendra, plus tard altérer ce qui avait été donné par création. Il provoquera un vieillissement, et la tristesse.

35 THOMAS d'AQuiN, Summa theol. I, q. 98, a. 2. Ea enimquae sunt naturalia bomini, neqite subtrahuntur nequedantur homini per peccatum. 

Page 70: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 70/160

70

X. LES « LIENS DU SANG »

Le rabbi Ieschoua manifeste, en plusieurs circonstances, une extrême liberté, certains dirontmême une véritable désinvolture, à l'égard de ce que, parmi les peuples, nous appelons les " liensdu sang ", liens auxquels nous attachons une importance parfois sacrée. Le rabbi Ieschoua sembley attacher peu d'importance et par contre beaucoup d'importance aux liens d'ordre spirituel,résultant d'une option personnelle et libre.

Un jour, l'un de ses auditeurs-apprentis lui demande la permission d'aller enterrer son père quivenait de mourir. Le rabbi lui répond par une formule qui étonnera et scandalisera beaucoup degens :

Mat. 8, 21 : Un autre parmi les disciples lui dit :" Seigneur, permets-moi d'abord de m'en aller et d'enterrer mon père ". Ieschoua lui dit : " Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. "

Que signifie cette phrase ? Elle signifie, nous semble-t-il, que ceux qui sont fascinés, absorbés, préoccupés, par les rites d'enterrement, les rites de funérailles, sont déjà spirituellement morts.

Que ces rites, auxquels l'humanité attache en général tant d'importance, n'en ont aucune. Que leDieu d'Abraham est le dieu des vivants et non pas des morts. Que ce qui compte, c'est la vie, etnon pas la mort. Que mettre en terre la matière qui reste lorsqu'un homme a cessé de l'informer,cette matière en régime de décomposition qui est le cadavre, c'est moins important que de suivrele rabbi Ieschoua vivant. Que ceux qui n'ont rien de mieux à faire que de s'intéresser à ce genre dechoses sont des malades, — le rabbi dit : des morts. Et ainsi de suite...

On sait l'importance religieuse, le caractère sacré que l'on attache, dans l'humanité en général,à l'acte qui consiste à enterrer les restes du cher défunt. Le rabbi donne manifestement, si nous nenous trompons, un coup de pied dans cette religion-là.

Un jour, sa propre mère, et ceux que, dans les langues sémitiques, on appelle les " frères " setenaient dehors et voulaient le voir. Là encore, le rabbi manifeste, rudement, une indépendancesouveraine, et il prend vivement ses distances à l'égard de ce genre de liens. Aux liens physiques, biologiques, il substitue des liens d'un ordre différent, qui sont spirituels. Il semble considérer 

comme peu importants les liens d'ordre biologique, et comme beaucoup plus importants ces liensqui résultent d'une filiation librement consentie :Mat. 12, 46 : " Il parlait encore aux foules, et voici que sa mère et ses frères se tenaient dehors

et cherchaient à lui parler. Quelqu'un lui dit : vois, ta mère et tes frères se tiennent dehors etcherchent à te parler. Lui, répondant, dit à celui qui lui parlait : Qui est ma mère, et qui sont mesfrères ? Étendant sa main sur ses disciples, il dit : voici ma mère et mes frères. Car celui qui faitla volonté de mon père qui est dans les deux, c'est celui-là qui est mon frère et ma sœur et mamère. " (Cf. Marc, 3, 31; Luc, 8, 19.)

Un autre jour, pendant qu'il enseignait, une femme dit ce que penserait et dirait n'importequelle femme de n'importe quel peuple. Et là encore, le rabbi réagit d'une manière critique :

Luc, 11, 27 : " Il arriva, pendant qu'il disait ces paroles, qu'une femme éleva la voix dans le peuple, et elle lui dit : Heureux le ventre qui t'a porté et les seins que tu as tétés. Mais lui il dit :Heureux, plutôt, ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent. "

 Nous avons vu, précédemment, comment le rabbi avait enseigné que la vérité, dont lesauditeurs-apprentis du rabbi ont la charge de communiquer la connaissance, susciterait, dans lesfamilles, dans les tribus, dans les nations, dans toutes les unités sociologiques humaines, desdivisions, des déchirements. C'est là en effet une donnée d'expérience. La vérité divise, àl'intérieur de la famille comme à l'intérieur de la patrie.

Pour suivre la vérité, et pour suivre le rabbi qui l'enseigne, il faut savoir, éventuellement, préférer la vérité aux liens humains physiques. Cela est déchirant, mais c'est, nous dit le rabbi,une condition nécessaire pour être son auditeur-apprenti.

Cette crise violente que le rabbi et son enseignement introduisent dans l'humanité, partout eten tous les temps, le rabbi la prévoit, l'annonce, et il enseigne que celui qui ne sait pas s'arracher aux liens humains naturels, avec violence s'il le faut, celui-là ne peut pas être son apprenti-continuateur, puisque l'auditeur-apprenti doit continuer l'œuvre du rabbi, en communiquant à sontour l'information reçue de son maître :

Page 71: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 71/160

71

Luc, 14, 25 : " Des foules nombreuses le suivaient. Il se tourna et leur dit : Si quelqu'un vientvers moi, et ne hait pas et sa mère et ses enfants et ses frères et ses sœurs, et même encore sa propre âme, il ne peut pas être mon disciple. "

" Celui qui ne porte pas sa croix et ne vient pas à ma suite, ne peut pas être mon disciple. " (Cf.Mat. 10, 37.)Le quatrième Évangile contient une scène bien connue — les noces de Cana — dans laquelle

nous relevons une réponse de Ieschoua à sa mère, très rude, et qui peut difficilement avoir étéinventée après coup, justement parce qu'elle est rude et choquante pour la psychologie commune.D'ailleurs, cette réponse, nous l'avons vu, correspond aux propos conservés par ailleurs dans lesSynoptiques :

Jean, 2, 1 : " Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée, et la mère de Ieschouaétait là. Ieschoua aussi fut invité, et ses disciples, au mariage. Et comme le vin venait à manquer,la mère de Ieschoua lui dit : Ils n'ont plus de vin. Et Ieschoua lui dit : Quoi à moi et à toi 36, femme? Mon heure n'est pas encore venue. "

 Nous avons lu, dans notre précédent travail, consacré au problème de la révélation, un texte du prophète Amos (VIIIe siècle avant notre ère) où celui-ci prend position contre une conception,

commune alors, des relations entre le Dieu d'Israël et son peuple. Selon cette conception, il yaurait une relation en quelque sorte nécessaire, physique, ou du moins biologique, entre le dieu etson peuple. Le dieu d'Israël, selon le prophète Amos, s'élève contre cette manière de voir, etaffirme la liberté souveraine, absolue, du lien qui le relie à son peuple Israël. Il ne s'agit pas de biologie, mais d'esprit. L'alliance n'est pas une relation naturelle, mais surnaturelle : " N'êtes-vous pas comme les fils des Coushites, vous pour moi, fils d'Israël ? oracle de Yhwh. N'ai-je pas faitmonter Israël hors du pays d'Égypte, et les Philistins de Caphtor et Aram (les Araméens) de Kir ?" (Amos, 9, 7.)

De même, Iohannan, qui vivait en moine dans le désert de Juda, et qui pratiquait l'immersiondans les eaux du Jourdain, — celui que nous appelons Jean le " baptiste ", prit position contrel'idée que les Juifs du temps de Jésus avaient de la filiation qui les rattachait à Abraham. Làencore, le prophète juif, comme Amos huit siècles plus tôt, enseigne la liberté souveraine de Dieuet la nature spirituelle, et non biologique, du lien réel qui rattache les membres du peuple de Dieu

à Abraham :Mat. 3, 4 : " En ces jours-là survient Iohannan, l'immergeur, proclamant dans le désert deJudée, en disant : Faites-vous un cœur nouveau, car le royaume des deux est proche.

" (...) Lui, Iohannan, il avait son vêtement fait de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Sa nourriture, c'était des sauterelles et du miel sauvage...

" Alors venait auprès de lui Jérusalem et toute la Judée et toute la région du Jourdain et ilsétaient plongés dans le fleuve du Jourdain par lui, avouant leurs péchés.

" Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens venant se faire immerger, il leur dit :« Race de vipères, qui vous a montré à fuir loin de la colère qui vient ? Produisez donc du

fruit digne du renouvellement du cœur, et ne croyez pas pouvoir dire en vous-mêmes : Nousavons pour père Abraham ! — Car je vous dis que Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants àAbraham. "

C'est toute la conception de la nature d'Israël qui est en question, et, nous le verrons, le schisme

entre Israël et laQehila,

l'assemblée, le groupe des disciples du rabbi Ieschoua,(Qehila,

motaraméen traduit en grec par ekklesia, traduit en français par " église "), — ce schisme se produira,entre autres, à propos d'une différence dans la compréhension de ce qu'est, ontologiquement, Israël: race ? peuple ? ou assemblée spirituelle des disciples, appartenant à toutes les nations de la terre,d'Abraham le prophète, des prophètes ultérieurs, jusques et y compris le rabbi Ieschoua.

Si nous comprenons bien ce que c'est qu'Israël, dans la pensée théologique des prophèteshébreux, depuis Amos jusqu'à Iohannan et Ieschoua, on n'appartient pas à Israël, à la " semence "d'Abraham, comme on appartient, par droit de naissance, à la nation française, anglaise ouallemande. Pour être d'Israël, il faut, semble-t-il, bien autre chose. Israël n'est pas,ontologiquement, un peuple comme les autres. C'est un peuple constitué, défini génétiquement, par une alliance de type et d'ordre spirituel, et par une fidélité spirituelle à cette alliance. Autre

36 Nous verrons plus loin le sens de cette formule sémitique. Cf. p. 252 et sq.

Page 72: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 72/160

72

chose est la descendance physique par rapport à un ancêtre qui a communiqué ce que les biologistes appellent une " information génétique " dans l'a&e de la procréation. Autre chose estla descendance spirituelle par rapport à un maître qui a communiqué une information, un

enseignement, qui n'est pas biologique, qui est génétique et créateur sur un autre plan, et dans unautre ordre, celui de l'esprit et de l'intelligence, là où il faut, nécessairement, que le descendantécoute, comprenne, consente, accepte et fasse fructifier la semence reçue, c'est-à-direl'enseignement communiqué. Autre chose est le fils, (le bera, en araméen), selon l'ordre biologique. Autre chose le bera selon l'ordre spirituel et libre. Israël appartient, semble-t-il, selonles prophètes, à l'ordre spirituel. C'est pour cela qu'il est un peuple appelé à l'universalité, à lacatholicité, par-delà les particularités nationales et raciales.

Le rabbi Ieschoua semble avoir enseigné, après le prophète anonyme que la Critique bibliqueappelle le Deutéro-Isaïe, l'universalité de la vocation à entrer dans l'économie de cette humaniténouvelle dont Abraham fut le premier mutant :

Mat. 8, 11 : " Je vous le dis : des foules, depuis l'Orient et l'Occident, viendront et prendront place à table avec Abraham et Isaac et Jacob dans le royaume des cieux,

" mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors

" là sera le pleur (la lamentation) et le grincement des dents. " (Cf. Luc, 13, 28.)

Page 73: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 73/160

Page 74: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 74/160

74

" comme un fils d'homme. " Il s'avança jusqu'à l'Ancien" et fut conduit en sa présence.

" A lui fut conféré empire, honneur et royaume," et tous peuples, nations et langues le servirent." Son empire est empire à jamais," qui ne passera point," et son royaume ne sera pas détruit " (Daniel, 7, 13).

L'attitude de Ieschoua par rapport à l'État, à la nation, aux autorités politiques, manifesteconstamment qu'il se situe lui-même dans un autre ordre et dans une autre perspective. Ieschouane condamne pas ces réalités naturelles. Il n'est pas un théoricien de l'anarchisme. Mais ils'intéresse à autre chose, et il est venu réaliser une œuvre qui dépasse de toutes les manières lecadre national. Il est venu apporter à l'humanité entière un enseignement vivificateur. Lestentatives ultérieures pour intégrer le christianisme, et l'emprisonner, dans le cadre d'une nation,seront toujours mortelles pour le christianisme qui, nous l'avons vu, ne peut pas plus satisfaire lethéoricien du nationalisme intégral que le théoricien de la révolution. Le christianisme est une

doctrine qui porte sur la création de l'humanité et qui s'efforce d'apporter à l'humanité la sciencenécessaire pour s'achever normalement, selon les vues du dessein créateur. Le cadre dunationalisme est trop petit pour pouvoir contenir cette perspective à la fois universelle etsurnaturelle. Aucun nationalisme, qu'il soit juif, français ou allemand, ne peut enserrer dans sesliens le ferment évangélique. Celui-ci fait craquer tous les cadres.

Page 75: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 75/160

75

XII . LA RELIGION ÉTABLIE

De même qu'il manifeste la plus grande liberté à l'égard de ce qu'on appelle les " liens du sang", les relations de parenté biologique, à l'égard de l'État, et même à l'égard du nationalisme,Ieschoua manifeste aussi une liberté, qui a scandalisé les hommes " religieux " de son temps, àl'égard de ce qu'on peut appeler " la religion établie ".

Les anciens prophètes d'Israël, Amos, Osée, Isaïe, Jérémie, avaient aussi et déjà manifesté la plus grande liberté à l'égard de la " religion " établie de leur temps. Il faut même dire qu'ils enavaient critiqué certains aspects, certains rites, certaines représentations. Nous avons vu, dansnotre précédent travail, comment les prophètes du VIIIe et du VIIe siècle font une critique de la pratique des sacrifices sanglants; comment ils font évoluer la notion de circoncision, lasignification de la circoncision, la signification du jeûne. Le prophète Osée, nous nous ensouvenons, disait, au nom de son dieu : " Car c'est la piété (hesed) que je veux, et non le sacrifice, laconnaissance de Dieu, plus que les holocaustes " (Osée, 6, 6).

Ce que les grands prophètes d'Israël du VIIIe

et VIIe

siècle avant notre ère avaient critiqué,c'est, nous semble-t-il, Une conception archaïque de la" religion ". La théologie hébraïque s'estconstituée, nous l'avons vu précédemment, contredes religions, — celles de l'Égypte, de Babylone,de Canaan. On peut discerner, dans le récitatif sacerdotal de la création qui ouvre la Biblehébraïque, et qui date du VIe siècle avant notre ère, un effort de démythisation, ainsi que l'a montréavec précision Paul Humbert39. 

Les prophètes d'Israël continuent, me semble-t-il, l'effort constant de la théologie hébraïque,depuis les origines, pour se libérer des représentations religieuses, et des rites des religionsvoisines. A cet égard ils effectuent, à l'intérieur de la théologie hébraïque, ce que nous avons cru pouvoir et devoir désigner du terme que le cardinal Newman a utilisé pour le dogme chrétien : undéveloppement. 

Le développement ne consiste pas seulement à faire croître l'information, cette informationqu'est la révélation, cette connaissance toujours plus profonde de l'Unique absolu, et de son

dessein créateur et divinisateur. Le développement consiste aussi, — et cela est nécessaire pour que cette information qu'est la révélation croisse, — à faire tomber des écorces mortes, à écarter des obstacles, des scories, à nettoyer. Ces obstacles à la croissance de la révélation dansl'humanité, ce sont d'antiques représentations religieuses qui gênent la prise de conscience par elle-même de la théologie monothéiste : d'archaïques conceptions du sacrifice, des sacrificeshumains d'abord, pratiqués encore en Israël au VIIe siècle avant notre ère, puisque Jérémie etÉzéchiel ont dû encore les combattre violemment; des sacrifices d'animaux ensuite; d'antiquesconceptions du sens accordé à la circoncision, au sabbat, au jeûne, aux tabous alimentaires, etc.

Le rabbi Ieschoua nous semble se situer justement dans cette tradition des grands prophètesd'Israël, qui font évoluer la théologie hébraïque, qui la " développent ". Toute évolution, toutdéveloppement, nous l'avons vu, rencontre une résistance, dans l'ordre des idées, en science,comme en politique et comme en théologie.

 Nous avons noté, dans notre précédent travail, que c'est autour de cette notion de

développement que se situe, à nos yeux, le différend entre le judaïsme et le christianisme. Le judaïsme professe que la plénitude de la révélation a été donnée au commencement à Moïse, sur le Mont Sinaï. Il n'y a pas de développement de la révélation, il n'y a pas croissance d'informationau cours du temps. Selon le christianisme, au contraire, il y a développement. Le rabbi Ieschoua,explicitement, en donne la formule :

Matthieu, 5, 17 : " Ne pensez pas que je sois venu détruire, abolir  (katalusai) la Torah et les prophètes. Je ne suis pas venu détruire, mais achever, accomplir (plerôsai).»

Ce que le christianisme considère comme un développement de la révélation, une meilleureconnaissance de Dieu et de son dessein, une croissance de l'information, — le judaïsme estime quec'est une hérésie, une destruction de la Torah, de l'Instruction, une corruption.

Là se situe le schisme entre l'assemblée (qahal), qu'est Israël, et l'assemblée constituée par les

39 Paul HUMBERT, Études sur le récit du paradis et de la chute dans la Genèse, Neuchâtel, 1940.

Page 76: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 76/160

76

disciples du rabbi Ieschoua, qu'on appelle les " chrétiens ", puisqu'ils pensent que Ieschoua est le "christ ", l'oint de Dieu attendu par les prophètes.

LE SABBAT

A l'égard de l'institution du sabbat, par exemple, Ieschoua manifeste la plus grande liberté. Lasignification du sabbat a changé dans l'histoire de la religion des Hébreux. Primitivement, àl'origine, dans les religions sémitiques anciennes, le sabbat appartenait à un système de joursfastes et néfastes, qui interdisait le travail pendant certaines périodes, liées aux phases de la lune.Avec le Deutéronome, constitué sous l'influence de la pensée des grands prophètes du VIIIe siècleavant notre ère, le sabbat a pris une signification humaniste, et non plus superstitieuse :

Deutéronome, 5, 13 : " Observe le jour du sabbat pour le sanctifier, selon ce que t'a ordonnéYhwh, ton Dieu. Tu travailleras six jours et tu feras tout ton travail, mais le septième jour est le

sabbat pour Yhwh, ton Dieu, tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni tonserviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes de somme, ni ton hôte quiest dans tes portes, afin que se reposent comme toi ton serviteur et ta servante, et tu tesouviendras que tu as été esclave au pays d'Égypte, d'où Yhwh, ton Dieu, t'a fait sortir par unemain forte et à bras tendu; c'est pourquoi Yhwh, ton Dieu, t'a ordonné de pratiquer le jour dusabbat. "

Le fait est — on peut le vérifier aujourd'hui plus que jamais — que le sabbat a unesignification, une portée, une fonction profonde et importante pour l'homme. Dans un monde de plus en plus ravagé par le souci, étouffé par le travail, hanté par la préoccupation de produire desrichesses, le sabbat a pour rôle d'exercer une libération : libération par rapport au métier, autravail, au souci. Il signifie que l'homme ne vit pas seulement de pain, que le travail n'est aprèstout qu'un moyen, et non pas une fin; que la vie contemplative est première; que l'homme a unautre but que d'amasser des richesses pour survivre. Il fournit le loisir nécessaire pour que

l'homme puisse penser, se retrouver, et vivre sans être esclave de sa fonction. Il impose undébrayage. Il est curatif.Aussi bien le rabbi Ieschoua ne veut-il pas abolir le sabbat, mais il manifeste à l'égard du sabbat

une liberté qui le délivre des enveloppements superstitieux dont il pouvait être prisonnier, et celalui rend, finalement, sa signification authentique, qui est humaniste, plus précisémenthumanisante.

Plusieurs textes attestent la liberté que Ieschoua prend par rapport à la pratique du sabbat, etmontrent la genèse des conflits avec les autorités religieuses de son temps :

Mat. 12, 9 : " Ieschoua marchait un jour de sabbat à travers un champ de blé. Ses discipleseurent faim. Ils commencèrent à arracher des épis et à manger.

" Ce que voyant, les pharisiens lui dirent : vois, tes disciples font ce qu'il n'est pas permis defaire un jour de sabbat.

" Alors lui leur répondit : N'avez-vous pas lu ce qu'a fait David (I Samuel 21, 7) lorsqu'il eut

faim, lui et ses compagnons ? Comment il est entré dans la maison de Dieu et comment il mangeales pains consacrés, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ceux qui étaient avec lui, maisseulement aux prêtres ? Ou bien n'avez-vous pas lu dans la Torah que le jour du sabbat les prêtresqui sont dans le temple profanent le sabbat et sont innocents ? Je vous le dis : il y a ici plus grandque le temple. Si vous aviez connu ce que signifie : je veux la piété (hesed : la grâce, lacompassion) et non le sacrifice (Osée, 6, 6) vous n'auriez pas condamné les innocents. Car maîtredu sabbat est le fils de l'homme. " (Cf. Marc, 2, 23; Luc, 6, 1.)

Mat. 12, 9 : " Il vint dans leur synagogue. Et voici un homme qui avait la main sèche. Ilsl'interrogèrent en disant : est-il permis, un jour de sabbat, de guérir ? Cela afin de l'accuser.

" Lui, il leur dit : quel sera l'homme parmi vous qui, ayant une unique brebis, si celle-citombait dans une fosse un jour de sabbat, fie la saisirait et ne la retirerait ? Combien un hommeest piu§ important qu'une brebis ! En sorte qu'il est permis, un jour de sabbat, de faire du bien.

Page 77: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 77/160

Page 78: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 78/160

Page 79: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 79/160

Page 80: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 80/160

Page 81: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 81/160

81

mâschâl, de la comparaison." Il leur dit : Ainsi vous aussi vous êtes sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce

qui, du dehors, pénètre dans l'homme, ne peut pas le souiller, parce que cela n'entre pas dans son

cœur, mais dans le ventre, et puis c'est rejeté dans la fosse. (...)" Il disait : ce qui sort de l'homme, c'est cela qui souille l'homme. Car du dedans, du cœur deshommes, sortent les pensées mauvaises, les débauches, les vols, les crimes, les adultères, lesconvoitises, les méchancetés, la tromperie, l'impudicité, l'œil mauvais, le blasphème, l'orgueil, lafolie. "

Mat. 15, 10 : " Alors il s'adressa à la foule, il invita la foule à l'écouter et il leur dit : Écoutez,et comprenez. Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais c'est ce qui sortde la bouche, c'est cela qui souille l'homme.

" Alors ses disciples s'approchèrent de lui, et lui dirent : sais-tu que les pharisiens qui ontentendu ce que tu viens de dire, se sont achoppes ?

" Pierre lui dit : explique-nous cette parabole, cette comparaison. Ieschoua dit : jusqu'àmaintenant vous aussi vous êtes sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entredans la bouche, cela va dans le ventre et puis est rejeté dans la fosse ? Mais ce qui sort de la

 bouche, cela vient du cœur, et c'est cela qui souille l'homme. Car c'est du cœur que proviennentles pensées mauvaises, les meurtres, les adultères, les débauches, les vols, les faux témoignages,les blasphèmes. C'est cela qui souille l'homme. Mais le fait de manger sans s'être lavé les mains,cela ne souille pas l'homme. "

Outre une critique de la doctrine traditionnelle de la pureté et de l'impureté, le rabbi Ieschoua propose dans cet enseignement une doctrine concernant le cœur de l'homme. Cette doctrine esttraditionnelle dans la Bible hébraïque. Le théologien que la critique biblique appelle " leYahwiste " écrit, Gen. 6, 5 : " Et Yhwh vit qu'il était nombreux le mal de l'homme (haadam) sur la terre, et que toute la fabrication (ietzer) des pensées de son cœur, rien que du mal, tout le jour."

De même, Gen. 8, 21 : " ... à cause de l'homme (haadam), car la fabrication (ietzer) du cœur de l'homme, c'est le mal, depuis sa jeunesse. "

Dans la pensée biblique, le cœur, leb, n'est pas, comme dans notre univers culturel occidental

moderne, l'organe ou le lieu de l'affectivité, du sentiment, — par opposition à la raison. Le cœur,dans la Bible, est l'organe ou le lieu, le centre, le foyer où s'élaborent les options fondamentales,le lieu d'où jaillit la liberté, et où s'origine l'acte de l'intelligence. La liberté et l'intelligence, dansla pensée biblique, sont indissociables, en ce sens que l'acte d'intelligence est un acte dont noussommes responsables, et c'est pourquoi il est méritoire. De l'inintelligence aussi nous sommesresponsables.

Ce que la Bible appelle " le cœur " correspond aussi, pour une part, avec " les reins ", à ce que,dans la psychologie moderne on appelle" l'inconscient ". En effet, dans l'anthropologie biblique,ces options fondamentales qui s'élaborent dans le " cœur " et dans les " reins " sont des options si profondes, si radicales, tellement initiales, qu'elles sont cachées dans l'obscurité de l'être humain.C'est pourquoi seul Dieu peut sonder les secrets du cœur :

" Le cœur est rusé plus que toute chose, et corrompu; qui le connaîtra ? Moi, Yhwh, qui sondeles cœurs et éprouve les reins " (Jér. 17, 9). " Yhwh sonde les reins et les cœurs " (Jér. 11, 20; 20,

12). Le psalmiste demande à Dieu : " Passe au creuset mes reins et mon cœur... " (Ps. 26, 2). Car"Dieu connaît les secrets du cœur " (Ps. 44, 22).Selon le langage hébraïque, les pensées " montent au cœur " (cf. par ex. Éz. 38, 10; Jér. 19, 5;

7, 31; Is. 65, 17).Le cœur est la source responsable, l'origine libre des pensées qui s'élèvent dans la conscience

de l'homme. De nos pensées, nous sommes responsables.Le rabbi Ieschoua développe cet enseignement. C'est dans le secret du cœur de l'homme que

sont élaborés les desseins qu'il va réaliser, les crimes, adultères, etc. De tout cela, bien entendu,nous sommes responsables. Tout cela se fait, se conçoit, naît d'abord dans notre cœur.

L'énumération de Marc se termine par : " l'orgueil, et la folie ". Est-ce que cela signifie que dela folie aussi nous sommes responsables, pour une part au moins ? Quel rapport existe-t-il entreles pensées mauvaises, et les divers crimes énumérés, puis finalement l'orgueil et la folie ? Quelest le rapport entre la folie et le mal que l'homme commet ou qu'il voudrait commettre ? C'est là

Page 82: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 82/160

82

un problème dont nous laissons l'examen aux psychologues, aux psychanalystes et aux psychiatres, qui seront sans doute partagés sur le rapport qui existe entre le mal dans l'homme et lafolie, c'est-à-dire sur le problème de la responsabilité engagée dans la folie elle-même.

Cette responsabilité fondamentale par rapport à nos " productions ", aussi bien nos actes et nos paroles que nos pensées, Ieschoua l'enseigne en comparant l'homme et ses productions, à l'arbre etses fruits :

Mat. 12, 33 : " Ou bien faites l'arbre bon, et son fruit sera bon, ou bien faites l'arbre mauvais etson fruit sera mauvais.

" Car c'est à partir de son fruit que l'arbre sera connu." Race de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, alors que vous êtes mauvais ?" Car c'est de la surabondance du cœur que parle la bouche." L'homme qui est bon, de son trésor qui est bon, tire de bonnes choses." L'homme mauvais, de son mauvais trésor, tire des choses mauvaises." Je vous le dis : toute parole stérile que parleront les hommes, — ils en rendront compte au

 jour du jugement." Car à partir de tes paroles tu seras justifié, et à partir de tes paroles tu seras condamné. "

Luc, 6, 43 : " Car il n'est pas d'arbre bon qui produise du fruit mauvais et il n'y a pas d'arbremauvais qui produise du fruit bon." Car chaque arbre est connu à partir de son propre fruit." Car ce n'est pas dans les buissons d'épines que l'on cueille des figues," Et ce n'est pas dans les ronces que l'on récolte la grappe de raisin." L'homme qui est bon, à partir du bon trésor de son coeur, produit ce qui est bon," Et l'homme mauvais, à partir du mauvais (trésor de son cœur) produit le mauvais." Car c'est de la surabondance du cœur que parle sa bouche. "On voit peut-être mieux ce que Ieschoua veut dire, et de quelle pureté il veut parler, lorsqu'il

enseigne :Mat. 5,8 : « Heureux ceux qui sont purs de cœur, car ce sont eux qui verront Dieu. »

LA CRITIQUE DE L'HOMME RELIGIEUX

On peut lire, dans les Évangiles de Matthieu et de Luc, des tirades, terribles, contre les " pharisiens ", les " scribes ", les " docteurs de la loi ". Nous n'entrerons pas ici dans l'examen du problème critique posé par ces tirades, dont l'Évangile de Marc n'a gardé ou connu qu'un très bref extrait. Dans quelle mesure et de quelle manière ces tirades remontent-elles à Ieschoua lui-même ?Dans quelle mesure et de quelle manière ces tirades, telles que nous les lisons, dans les Évangilesgrecs de Matthieu et de Luc, ont-elles été développées, amplifiées par les communautés chrétiennes primitives, surtout celle dans laquelle s'est élaboré l'Évangile dit de Matthieu ? Ce sont là desquestions qui relèvent de la compétence du critique. Le lecteur trouvera dans les commentairessavants des Évangiles des informations et des discussions sur ces questions40.

Ce qui est certain, c'est que Ieschoua est entré en conflit avec les autorités religieuses du judaïsme de son temps, et que ce conflit a été très violent. Il portait à vrai dire, nous semble-t-il,sur la manière de comprendre la relation de l'homme avec Dieu. Il nous semble trèsvraisemblable que pour l'essentiel ces charges que nous allons lire, du rabbi Ieschoua contre lesthéologiens de son temps, sont authentiques. Cela se reconnaît, encore une fois, à la frappe, à lafermeté de la phrase. On reconnaît la terrible main du rabbi.

Mat. 23 : " Alors Ieschoua parla aux foules et à ses disciples en disant :" Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les pharisiens." Tout ce que, donc, ils vous disent, faites-le et gardez-le, mais ne faites pas selon leurs actes." Car ils disent (ils parlent), mais ils ne font pas.

40 Par exemple les Commentaire du Nouveau Tefîament publié sous la dire&ion de J. J. VON ALLMEN, P. BONNARD, O. CULLMANN, etc. aux Éditions Delachaux et Niestlé.

Page 83: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 83/160

83

" Ils lient de lourds fardeaux, et les posent sur les épaules des hommes," mais eux, du bout du doigt, ils ne veulent pas même les remuer." Toutes leurs œuvres, ils les font pour être regardés par les hommes.

" Car ils élargissent leurs phylactères et ils agrandissent leurs franges." Ils aiment la première place dans les repas, et les premiers sièges dans les synagogues, et lessalutations sur les places publiques, et ils aiment être appelés par les hommes : rabbi, maître !

" Vous, ne Vous faites pas appeler rabbi. Car unique est votre maître, et vous vous êtes tousfrères...

" et n'appelez personne pèresur la terre. Car unique est votre père du ciel... "Mat. 23, 13 : " Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous verrouillez,

vous fermez avec une clef, le royaume des cieux devant les hommes." Vous-mêmes, vous n'entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui voudraient entrer." Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre

sèche pour faire un seul prosélyte, et lorsqu'il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhennedeux fois plus que vous.

(...)

" Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous acquittez la dîme de lamenthe, du fenouil et du cumin, et vous avez laissé tomber les préceptes de la Torahqui ont plusde poids : le jugement, et la compassion et la foi (hemounah : la fidélité).

" C'est cela qu'il fallait faire, et ne pas négliger les préceptes précédents." Guides aveugles, vous prenez un filtre pour retenir le moustique, et vous avalez le chameau !" Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l'extérieur de la

coupe et du plat; mais à l'intérieur, ils sont remplis de rapacité et d'intempérance." Pharisien aveugle, purifie d'abord l'intérieur de la coupe, afin que l'extérieur devienne pur." Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des tombeaux

 blanchis à la chaux, qui, du dehors, paraissent convenables, mais à l'intérieur sont remplis d'os demorts et de toute sorte de pourriture.

" Ainsi vous aussi, du dehors vous paraissez aux hommes être justes, mais à l'intérieur vousêtes pleins d'hypocrisie et d'injustice.

" Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous construisez les tombeauxdes prophètes, et ornez les monuments funéraires des justes, et vous dites : si nous avions vécuaux jours de nos pères, nous n'aurions pas pris part avec eux au (versement du) sang des prophètes... "

Luc, II, 39 : " Vous, les pharisiens, vous purifiez l'extérieur de la coupe et du plat, mais votreintérieur est rempli de rapacité et de méchanceté.

" Insensés, est-ce que celui qui a fait l'extérieur n'a pas fait aussi l'intérieur ?" (Mais) donnez ce qu'il y a dedans en aumône, et voici toutes choses sont pures pour vous." Mais malheur à vous les pharisiens, parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue et

de tous les légumes, et vous négligez le jugement et l'amour de Dieu. C'est cela qu'il fallait faire,et ne pas omettre les préceptes précédents.

" Malheur à vous les pharisiens, parce que vous aimez les premiers sièges dans les synagogueset les salutations sur les places publiques.

" Malheur à vous, parce que vous êtes comme les tombeaux qui ne sont pas visibles, et leshommes qui marchent par-dessus ne le savent pas." Alors un docteur de la Loi répondit en disant : Rabbi, en disant cela, tu nous outrages, nous

aussi." Et lui il dit : A vous aussi, les docteurs de la Loi, malheur ! parce que vous chargez les

hommes de charges dures à porter, mais vous, d'un seul de vos doigts vous ne touchez pas à cesfardeaux.

" Malheur à vous, parce que vous bâtissez les tombeaux des prophètes, mais ce sont vos pèresqui les ont tués...

" Malheur à vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez pris la clef de la connaissance.Vous-mêmes vous n'êtes pas entrés, et vous avez empêché ceux qui entraient... "

Il faut remarquer et souligner, nous semble-t-il, que ces terribles charges adressées auxautorités religieuses du temps de Ieschoua ne sont pas limitées, réservées, aux seuls théologiens

Page 84: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 84/160

Page 85: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 85/160

Page 86: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 86/160

Page 87: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 87/160

Page 88: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 88/160

88

Jean, 4, 3 : " ... Il quitta la Judée et il s'en alla de nouveau en Galilée. Il fallait qu'il passe àtravers la Samarie. Il arrive donc à une ville de la Samarie appelée Sychar, près du champ queJacob avait donné à Joseph son fils. Là se trouvait la source de Jacob.

" Ieschoua donc, fatigué par le voyage, était assis ainsi sur le puits de la source. C'était environla sixième heure (= midi)." Arrive une femme de la Samarie pour puiser de l'eau." Ieschoua lui dit : Donne-moi à boire." Car ses disciples étaient partis à la ville pour acheter à manger." La femme samaritaine lui dit donc : Comment toi qui es Juif me demandes-tu à boire à moi

qui suis une femme samaritaine ?(Car les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.)" Ieschoua répondit et lui dit : Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit :

donne-moi à boire, — c'est toi qui lui aurais demandé et il t'aurait donné de l'eau vivante." Elle lui dit : Seigneur, tu n'as même pas de seau pour puiser, et le puits est profond.

Comment peux-tu donc avoir l'eau vivante ? Est-ce que toi tu es plus grand que notre père Jacob,qui nous a donné le puits, et lui-même a bu de ce puits, et ses fils, et ses troupeaux ?

" Ieschoua répondit et lui dit : Tout homme qui boit de cette eau aura soif de nouveau." Mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai, celui-là n'aura plus soif pour la duréeéternelle.

" Mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante dans la vie éternelle." La femme lui dit : Seigneur, donne-moi de cette eau-là, afin que je n'aie plus soif et que je ne

vienne plus ici pour puiser." Il lui dit : Va, appelle ton homme, et viens ici." La femme répondit et dit : Je n'ai pas d'homme." Ieschoua lui dit : Tu as bien fait de dire : je n'ai pas d'homme. Car tu as eu cinq hommes, et

maintenant, celui que tu as, n'est pas ton homme. En cela tu as dit vrai !" La femme lui dit : Seigneur, je vois que tu es prophète, toi. Nos pères adoraient sur cette

montagne, et vous vous dites que c'est à Jérusalem qu'est l'endroit (le lieu) où il faut adorer." Ieschoua lui dit : Crois-moi, femme, l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à

Jérusalem que vous adorerez le père." Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nousconnaissons, car le salut vient des Juifs.

" Mais l'heure vient, et c'est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le père en esprit eten vérité.

" Car le père recherche ceux-là comme adorateurs." Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité. "

LA PRIÈRE

On sait que, dans de nombreuses religions, les fidèles multiplient les prières, allongent les prières, afin, semble-t-il, d'être mieux entendus. Il est remarquable que, lorsque le rabbi Ieschouaenseigne une prière à ses auditeurs-apprentis, il leur enseigne une prière très brève. Sur ce pointencore, le rabbi exerce une action libératrice :

Mat. 6, 7 : " Lorsque vous priez, ne multipliez pas les paroles inutiles, comme les païens. Ilss'imaginent qu'ils seront entendus à cause de la multiplicité de leurs paroles. Ne leur soyez passemblables. Car Dieu votre père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui ayezdemandé. Vous donc, priez ainsi : Avouna di bischemaiia... 

 Notre Père qui est dans les cieuxQu'il soit sanctifié, ton nom !Qu'il vienne, ton royaume !Qu'elle soit faite, ta volonté,comme dans le ciel ainsi sur la terre.

Page 89: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 89/160

Page 90: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 90/160

90

XII I. LA « MORALE »

 Nous avons vu, jusqu'à présent, les libertés, ou la liberté, que Ieschoua prend, sans hésiter,sans tâtonner, avec une autorité souveraine, par rapport aux idées reçues, aux valeurs régnantes,aux mentalités instituées, en ce qui concerne les liens du sang, les liens de parenté, l'État et lesentiment national, la religion établie. Partout, le paradoxe, une certaine rupture, et, il faut bien ledire, le scandale, pour ceux aux yeux de qui ces normes reçues concernant la patrie, la famille, lareligion, sont des absolus sacrés. Ieschoua en fait la critique, par la parole et par le geste. Il les bouscule. Il les désacralise. Unique est l'Absolu.

En ce qui concerne ce qu'on appelle « la morale «, il en va de même. C'est pourquoi c'était uneerreur de réduire l'enseignement évangélique à une « morale ». D'abord, parce qu'il est bien autrechose que cela : il porte sur les lois ontologiques de la genèse d'une création nouvelle. Ensuite parce que Ieschoua prend ses distances par rapport aux normes de la morale reçue. Il ne se gêne pas pour bouleverser les habitudes et les mentalités à cet égard. Il n'a rien d'un puriste ni d'un puritain. Ce que Ieschoua n'est certainement pas, c'est un puritain. Le purisme et le puritanismesont non seulement aussi étrangers que possible à sa psychologie et à son enseignement mais enfait justement contraires. C'est en cela et sur ce point que la " morale " kantienne nous paraîtfondamentalement étrangère à l'esprit évangélique, et, pour le fond, pour l'esprit, exactementopposée.

Ieschoua fréquente des gens et des milieux dont on dit qu'ils sont " de mauvaise vie ", les pécheurs publics, les gens de moralité douteuse. C'est l'un des traits qui caractérisent l'espritévangélique et qui le distinguent du moralisme puritain. Si Ieschoua fréquente les gens demoralité douteuse, ce n'est pas en curieux ni en touriste, mais, exactement comme lorsqu'ilfréquente les malades, en thérapeute. Il va là où cela est nécessaire pour soigner et pour guérir. Ilva pour régénérer et pour recréer.

Ceux que le texte grec des Évangiles appelle les têlônai, en latin les publicani, en français lespublicains, c'étaient des percepteurs d'impôts:

" Les publicani étaient les fermiers de l'impôt... Le terme convenait plutôt aux chefs d'entreprisequ'aux agents inférieurs... Mais Lévi — comme Zachée — n'était pas... un de ces employés trèssubalternes qui étaient souvent des esclaves. Les têlônai avaient fort mauvaise réputation dans lemonde grec, et on n'est pas autorisé à dire que c'est comme agents des Romains qu'ils étaientméprisés des Juifs41." Lagrange cite Aristophane, le comique Xénon et Lucien, qui associait lestêlônai aux " tauliers ", aux tenanciers de maisons de prostitution.

« Le telônion est le bureau où l'on percevait le portorium, comprenant à la fois la douane,l'octroi et le péage. Les employés enregistrent les marchandises et font payer à l'entrée et à lasortie d'une circonscription distincte, ordinairement un état, ou une ville... Il y avait un teloniumàCapharnaüm parce que cette ville était à la limite des états d'Hérode Antipas qui voisinait là avecson frère Philippe... Comme les autres impôts, celui du portoriumentrait dans les caisses dutétrarque Hérode, et non dans celles des romains. L'impôt n'était pas perçu directement par desfonctionnaires royaux. Il était affermé par le trésor à des compagnies qui se chargeaient de

 percevoir les taxes... Les employés des fermiers généraux étaient les agents de ces vexations etmal vus du peuple, d'autant qu'ils étaient chargés de dénoncer les fraudes42. »Marc, 2, 13: « En passant, il vit Lévi, fils d'Alphée, assis au bureau de la douane, et il lui dit:

Suis-moi. Il se leva et le suivit.« Et il arriva qu'il se mit à table dans sa maison, et beaucoup de fonctionnaires percepteurs et

de pécheurs prenaient place avec Ieschoua et ses disciples. Car ils étaient nombreux, et ils lesuivaient.

« Les scribes et les pharisiens voyant qu'il mange avec les pécheurs et les percepteurs d'impôts,

41 LAGRANGE, Évangile selon Marc, p. 43. 2. LAGRANGE, IBID,  p. 41. 42 LAGRANGE, Ibid., p. 41.

Page 91: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 91/160

91

dirent à ses disciples: Il mange avec les percepteurs et les pécheurs ?« Ieschoua entendit et il leur dit: ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin,

mais ceux qui se portent mal. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Cf. Mat.

9, 9; Luc, 5, 27.)Mat. 9, 9: « Sortant de là, Ieschoua vit un homme assis au bureau des impôts. Son nom était

Matthieu. Il lui dit: suis-moi ! Il se leva et le suivit.« Et il arriva que, cet homme étant à table dans sa maison, voici que beaucoup d'employés de

 perception et des gens peu fréquentables (des gens de mauvaise vie) vinrent et se mirent à tableavec Ieschoua et avec ses disciples. Ce que voyant, les pharisiens disaient à ses disciples:Pourquoi donc votre rabbi mange-t-il avec les percepteurs d'impôts et avec les gens coupables ?Ieschoua les entendit et dit: Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, mais ceux quise portent mal. Allez donc apprendre ce que signifie: « Je veux la miséricorde et non le sacrifice »(Osée, 6, 6). Car je ne suis pas venu chercher les justes, mais ceux qui font le mal. »

Luc, 19, 2: « Voici un homme, dont le nom était Zachée. Il était chef des publicains, et il était

riche. Et il cherchait à voir Ieschoua, (pour savoir) qui c'est, et il n'y arrivait pas, à cause de lafoule, car il était petit de taille. Alors il courut en avant et il monta dans un sycomore, afin de levoir, car il devait passer par-là.

« Quand il arriva à cet endroit, Ieschoua leva les yeux et lui dit: Zachée, dépêche-toi dedescendre. Car aujourd'hui il faut que je demeure dans ta maison.

« Zachée se hâta de descendre, et il le reçut avec joie.« Et tous les gens le voyaient, et ils murmuraient en disant: Il est entré chez un homme de

mauvaise vie. »Ieschoua enseigne que, de la part du Créateur, le souci est grand de sauver chacun des êtres en

 particulier, et de n'en laisser perdre aucun. C'est pourquoi Ieschoua va en mission dans lesmilieux mal famés. Son point de vue est donc très différent de celui de « la morale ». La morale

s'occupe d'établir des règles universelles de conduite qui permettent à une société de survivre.Ieschoua, lui, s'occupe de régénérer des êtres, tous les êtres, et d'abord ceux qui en ont le plus besoin. C'est le point de vue du Créateur:

Luc, 15, 1: « Il y avait tous les publicains et les gens de mauvaise vie qui s'approchaient de lui pour l'entendre.

« Les pharisiens et les scribes murmuraient contre lui, en disant: cet homme accueille les gensde mauvaise vie, et il mange avec eux.

« Il dit à leur intention cette comparaison: Quel est l'homme, parmi vous, qui ayant cent brebiset ayant perdu l'une d'entre elles, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, pour aller à la recherche de celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la trouve ? Et lorsqu'il l'a trouvée,il la met sur ses épaules, plein de joie, et lorsqu'il arrive dans sa maison, il appelle ses amis et ses

voisins, et il leur dit: Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis qui était perdue.« Je vous le dis: ainsi il y aura de la joie dans le ciel pour un seul homme de mauvaise vie qui

se change (qui se renouvelle) l'esprit (qui se fait un cœur nouveau),« plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. »Luc, 15, 8: « Ou encore: quelle femme, possédant dix drachmes, si elle perd une seule

drachme, n'allume-t-elle pas la lampe, ne balaie-t-elle pas la maison ? et elle cherchesoigneusement jusqu'à ce qu'elle ait retrouvé (sa drachme). Lorsqu'elle l'a retrouvée, elle appelleses amis et ses voisines, en disant: réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai retrouvé la drachmeque j'avais perdue. »

Luc, 15, 11: « Un homme avait deux fils.« Le plus jeune dit à son père: père, donne-moi la part qui me revient de la fortune. Et lui, (le

Page 92: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 92/160

92

 père), leur partagea son bien.« Après peu de jours, ramassant tout ce qui lui revenait, le plus jeune fils partit en voyage vers

un pays lointain, et là, il dissipa sa fortune, menant une vie de débauche.

« Lorsqu'il eut tout dépensé, survint une grande famine dans ce pays-là, et lui, le jeunehomme, commença à être dans le besoin.

« Il alla et s'attacha à l'un des citoyens de ce pays-là, et celui-ci l'envoya dans ses champs pour faire paître les porcs.

« Et il désirait remplir son ventre avec les caroubes dont se nourrissaient les porcs, mais personne ne lui en donnait.

« Il rentra en lui-même et se dit: Combien de salariés de mon père ont des pains en trop, et moiici je meurs de faim. Je me lèverai, j'irai vers mon père et je lui dirai: père, j'ai péché contre le ciel(contre Dieu) et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Traite-moi comme l'un detes employés.

« Il se leva, et alla vers son père.

« Alors qu'il était encore loin, son père le vit et il fut pris de compassion. Il courut, il se jeta àson cou et il l'embrassa.

« Le fils lui dit: Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appeléton fils.

« Le père dit à ses serviteurs: Vite, apportez la plus belle robe et mettez-la lui, donnez unanneau pour sa main, et des sandales pour ses pieds, et apportez le veau engraissé. Tuez-le, etmangeons, réjouissons-nous, car ce fils à moi était mort, et il vit de nouveau, il était perdu, et ilest retrouvé.

« Et ils commencèrent à se réjouir.« Son fils aîné était aux champs. Lorsque, en rentrant, il s'approcha de la maison, il entendit la

musique et les chœurs. Il appela un des gamins et lui demanda: qu'est-ce que c'est ?

« Et lui il dit: Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu'il l'a retrouvé sain etsauf.

« Le frère aîné se mit en colère et il ne voulait pas entrer. Alors son père sortit et l'appela. Maislui, répondit et dit à son père: Voilà tant d'années que je te sers, et je n'ai jamais transgressé undes ordres, et à moi tu n'as jamais donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis.Mais lorsque ton fils que voici, qui a mangé ton bien avec les prostituées, arrive, tu as sacrifié pour lui le veau gras.

« Le père lui dit: mon enfant, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui m'appartientt'appartient. Il fallait bien se réjouir et faire la fête, parce que ton frère que voici était mort, et ilest revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. »

A quel point Ieschoua n'était ni puriste ni puritain, à quel point le puritanisme et le légalisme

sont foncièrement opposés à l'esprit évangélique, c'est ce que montre la scène, certainementhistorique, — où l'on voit une femme « de mauvaise vie » qui verse du parfum sur les pieds durabbi, qui les inonde de larmes, et qui les essuie avec ses cheveux. La conclusion du rabbi,caractéristique de l'esprit évangélique, est aux antipodes du légalisme puritain:

Luc, 7, 36: « Un pharisien lui demanda de venir manger avec lui. Il entra dans la maison du pharisien, et il s'étendit sur un lit de table.

« Et voici une femme, qui, dans la ville, était pécheresse. Elle avait appris qu'il était à tabledans la maison du pharisien. Elle avait apporté un vase d'albâtre rempli d'huile parfumée. Elle setenait en arrière, près de ses pieds, en pleurant, et avec ses larmes elle commença à mouiller ses pieds, et avec les cheveux de sa tête elle les essuyait, et elle baisait ses pieds et les oignait d'huile parfumée.

Page 93: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 93/160

93

« Ce que voyant, le pharisien qui l'avait invité se dit en lui-même: Cet homme, s'il était prophète, il saurait qui, et quelle est la femme qui le touche. Il saurait que c'est une pécheresse.

« En réponse, Ieschoua lui dit: Simon, j'ai quelque chose à te dire.

« Et lui: Rabbi, dit-il, parle.« Un usurier prêteur avait deux débiteurs. L'un devait cinq cents deniers, et l'autre cinquante.

Comme ils n'avaient pas de quoi lui rendre, il fit grâce (cadeau) de leur dette à tous les deux.Lequel des deux l'aimera le plus ?

« Simon répondit en disant: Je suppose que c'est celui auquel il a été fait grâce de la plusgrosse dette.

« Et lui, il lui dit: tu as jugé droitement.« Et il se tourna vers la femme, et dit à Simon: Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta

maison, tu ne m'as pas donné d'eau pour verser sur mes pieds. Elle, c'est avec ses larmes qu'elle amouillé mes pieds, et c'est avec ses cheveux qu'elle les a essuyés. Tu ne m'as pas donné de baiser.Elle, depuis que je suis entré, elle n'a pas cessé de baiser mes pieds. — Tu n'as pas oint ma tête

avec de l'huile. Elle, c'est avec du parfum qu'elle a oint mes pieds.« C'est pourquoi, je te le dis, sont remis ses péchés, qui sont nombreux, parce qu'elle a aimé

 beaucoup. »A quel point les préoccupations de Ieschoua ne se situent pas sur le même plan ni dans le

même ordre que ce qu'on est convenu d'appeler la « morale », c'est ce que montre bien l'histoirequ'il raconta un jour, d'un administrateur de biens qui se fait des amis avec les richesses de son patron. Ieschoua dit que c'est ainsi qu'il faut faire !

Luc, 16, I: « Il était un homme riche qui avait un administrateur, et celui-ci lui fut dénoncécomme dissipant ses biens.

« Il l'appela et lui dit: qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends-moi compte de tonadministration. Car tu ne peux pas continuer à gérer mes affaires.

« Alors l'administrateur de biens se dit en lui-même: Que ferai-je, puisque mon maître meretire l'administration de ses biens, la gestion de ses biens ? Travailler la terre ? Je n'en ai pas laforce. Mendier ? J'en aurais honte. Je sais ce que je vais faire, afin que, lorsque j'aurai été relevéde ma gestion, les gens me reçoivent dans leurs maisons.

« Il convoqua chacun des débiteurs de son maître, et il dit au premier: Combien dois-tu à monmaître? L'autre dit: cent barils d'huile. Alors il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi, écris vite:cinquante. Ensuite, il dit à un autre: et toi, combien dois-tu ? Il dit: cent mesures de blé. Il lui dit:Prends ton billet écris: quatre-vingts.

« Et le maître loua l'intendant injuste (malhonnête), parce qu'il avait agi astucieusement;« Car les enfants de cette durée-ci (de ce monde-ci) sont plus astucieux que les enfants de la

lumière (... ).

« Et moi je vous le dis: faites-vous à vous-mêmes des amis, avec l'argent de l'injustice, afinque, lorsqu'il fera défaut, ils vous reçoivent dans les tentes éternelles. »

On voit bien que, s'il s'agissait d'un cours de « morale », cette histoire que nous venons de lireserait très scabreuse, puisque le maître félicite son gredin d'intendant de s'être fait des amis avecdes biens qui ne lui appartiennent pas. Il ne s'agit aucunement d'un cours de morale, mais d'unenseignement qui porte sur la genèse et la formation de ce que Ieschoua appelle le royaume deDieu.

Aux grands prêtres et aux anciens du peuple, Ieschoua déclara un jour: « Vrai, je vous le dis,les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu » (Mat. 21, 31).

La justice, dans le sens biblique de ce terme, la tsedaka, nous l'avons noté déjà, n'a passeulement ni d'abord un sens juridique.

Page 94: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 94/160

94

Elle a un sens et une portée d'abord ontologiques. Il s'agit de la justice de l'être d'un vivant, desa vérité intérieure, de sa plénitude d'être et de vie, de sa sainteté qui est vie. « Justice » dans lelangage hébreu, correspond à peu près à ce que nous appelons sainteté, en prenant garde de ne

 pas trop faire dériver le sens de ce terme du côté de la morale. Il s'agit de quelque chose de plusimportant que la moralité. Il s'agit de l'être des êtres, de leur vitalité. 

Ce que le Nouveau Testament appelle la « justification », dans ces conditions, correspond à peu près à ce que nous appelons la sanctification et la vivification. Elle porte sur l'être, avant de porter sur la conduite. On peut avoir une conduite moralement droite et juridiquementirréprochable, et être cependant loin, très loin, de la « justice » au sens biblique, laquelle n'est pasdissociable de la vie divine en nous, car elle est vie.

Ieschoua enseigne qu'entre un homme parfaitement moral et vertueux, mais plein de lui-même,et satisfait, et un homme coupable de fautes, mais qui le sait, et qui se reconnaît manquant, la « justice », au sens biblique, vient plutôt habiter en ce dernier:

Luc, 18, 10: « Deux hommes montèrent au temple pour prier. L'un était pharisien, et l'autre

 publicain.« Le Pharisien, debout, faisait en lui-même cette prière: O Dieu, je te rends grâce parce que je

ne suis pas comme le reste des hommes, rapaces, injustes, adultères, ou même comme ce publicain que voici. Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme sur tout ce que je gagne.

« Le publicain, lui, se tenait à distance. Il n'osait même pas lever les yeux vers le ciel, mais ilse frappait la poitrine en disant: apaise ta colère à mon égard, moi qui suis un pécheur.

« Je vous le dis: celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l'autre. »Le génial disciple de Ieschoua, Schaoul de Tarse, Paul de son surnom romain, ira encore plus

loin dans cette même direction. Il écrira aux chrétiens de la communauté de Corinthe une lettre,dans laquelle il dira que, « même si je parle les langues des hommes et des anges, si je n'ai pasl'agapê, je suis un airain qui résonne et une cymbale qui retentit; si je possède la prophétie et si je

connais tous les mystères et toute la science, même si j'ai toute la foi en sorte que je déplace lesmontagnes, si je n'ai pas l'agapê, je ne suis rien. Et si je distribue tous mes biens en aumônes, etsi je livre mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'agapê, cela ne sert à rien... » (I Cor. 13).

On voit à quel point nous sommes loin avec la pensée de Ieschoua et celle de son discipleSchaoul, de la perspective d'un légalisme ou d'un moralisme. L'opposition est complète: unhomme peut être en règle avec les Lois, avec la loi morale, être « vertueux » et ne pas être justifié au sens biblique de ce terme. Un homme ou une femme peuvent être des « pécheurs », et êtrecependant estimés « justifiés » par Ieschoua, s'ils se reconnaissent comme tels. C'est dire que la justice, au sens où l'entendent Ieschoua et Schaoul, n'est pas la simple conformité, soumission ouobéissance aux « lois » morales. Elle est une vie, et cette vie, à vrai dire, ne peut être donnée que par Dieu, qui est l'unique Créateur de l'être et de la vie.

Bien plus, celui qui s'imagine qu'il va trouver la « justice », au sens théologique du terme, par la moralité, par le respect de la loi morale dont parle Kant, celui qui est content de lui parce qu'ila satisfait à l'impératif catégorique, celui-là est aussi loin que possible de la justice au sensévangélique, et, comme le dit Ieschoua, les prostituées et les pécheurs sont plus près de la justice,qui est vie, que lui.

Là réside le paradoxe de la doctrine de la justification dans la pensée de Ieschoua et deSchaoul43.

43 Nous avons essayé d'expliquer la signification de la doctrine de la justification chez Schaoul-Paul, dans notre petitlivre: Saint Paul et le mystère du Christ, Éditions du Seuil, collection Maîtres Spirituels, p. 113. 

Page 95: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 95/160

Page 96: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 96/160

96

Sauve-toi toi-même et nous aussi.« Mais l'autre répondit, en lui faisant reproche, et dit: Tu ne crains pas même Dieu, toi, parce

que tu es sous le coup de la même condamnation ? Pour nous, c'est juste, nous payons pour ce que

nous avons fait; mais lui, il n'a rien fait d'anormal.« Et il dit: Ieschoua, souviens-toi de moi lorsque tu entreras dans ton royaume.« Et il (Ieschoua) lui dit: Vrai, je te le dis, aujourd'hui avec moi tu seras dans le paradis. »On peut aimer, encore une fois, ou ne pas aimer, les paradoxes évangéliques. C'est une

question de goût. C'est une question d'esprit. Il y a là une connaturalité entre celui qui entend, quireçoit le message évangélique, et l'esprit du texte. Les uns aiment, les autres détestent cerenversement constant de toutes les valeurs reçues dans les sociétés humaines. Ce qu'on ne peut pas nier, c'est que l'enseignement évangélique ne soit constitué de paradoxes, et de paradoxesviolents. Ceux qui ont des intérêts dans l'ordre des idées reçues et des valeurs admises dans nossociétés ne peuvent que haïr ce vagabond, sans feu ni lieu, ce faiseur de paraboles subversives quifréquente les crapules et qui prétend que les putains entrent dans le royaume de Dieu avant les

autorités religieuses les plus respectables et les gens vertueux.Ceux qui ne sont attachés à rien, ceux qui n'ont pas spécialement des intérêts placés dans le

système des valeurs régnantes dans les sociétés humaines, concernant le travail, la famille, la patrie, la religion, l'état, la morale, ceux-là, évidemment, les gens de moeurs douteuses, lescanailles, - les prostituées, ceux qui n'ont rien à perdre, entrent peut-être plus facilement dans le «royaume » dont parle le rabbi. Il y a un petit vent d'anarchie qui souffle à travers les récitsévangéliques... Charles Maurras, le théoricien de « l'ordre établi », ne s'y est pas trompé.

Page 97: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 97/160

97

XIV. «NE J UGEZ PAS »

Mat. 7, I: «Ne jugez, pas, afin que vous ne soyez pas jugés; car dans le jugement même danslequel vous jugez, vous serez jugés, et dans la mesure même avec laquelle vous mesurez, avec ellevous serez mesurés. »

C'est encore l'un des traits caractéristiques de l'enseignement, de l'esprit évangélique. L'hommeévangélique se distingue de l'homme de l'éthique et de la vertu, en ce qu'il sait qu'il ne doit pas,qu'il ne peut pas juger.

Ce n'est pas là, une fois de plus, un précepte de « morale », ni une recommandationd'indulgence. Il s'agit de bien autre chose que de cela. Il s'agit d'un précepte et d'uncommandement qui résulte d'une vérité ontologique. Celui qui juge un autre, présuppose par làmême qu'il le connaît exhaustivement. Première erreur. Dieu seul, le Créateur qui sonde les reinset les cœurs, connaît un être d'une manière exhaustive, jusque dans ses secrets les plus cachés. Si

on ne connaît pas un être d'une manière exhaustive, on ne peut pas le juger.Deuxièmement, celui qui juge un être, présuppose par là même que cet être qu'il juge est fixé,

Stable, achevé, non évolutif, figé en son être. Celui qui juge un être le transforme en chose, ou dumoins fait comme si l'être qu'il juge était une chose sans devenir. Il le fige, il le fixe, il le pétrifie, par la pensée. Le jugement présuppose un fixisme. Seconde erreur. Dans la durée présente, tousles êtres sont en régime de genèse, de création. Aucun n'est achevé ni figé. Chacun se meut et sedébat dans des possibilités diverses et contradictoires. Chacun de nous est capable de faire plusieurs choses contraires. Le jugement présuppose une fixité qui n'existe pas. Il pétrifie ce quiest mobile. Il constitue une erreur contre la Création inachevée. Il consiste à désespérer des possibilités d'avenir et de transformation de l'être jugé. Il arrête le temps. Il nie le temps. Le jugement, la condamnation, finalement, sont un arrêt de mort, puisqu'ils feignent de considérer 

que l'être jugé est et restera toujours, irrévocablement, ce que nous avons jugé qu'il est. Nousl'immobilisons, nous le paralysons en le jugeant. Nous ne pouvons pas juger ce qui est inachevé eten régime de gestation.

Un être vivant, un homme, peut se repentir et se faire, comme dit la Bible, un cœur nouveau.La métanoia dont parle le Nouveau Testament grec, c'est le changement de nous, lerenouvellement de ce qui est le plus profond en nous, l'intelligence et la liberté conjointes. Unhomme peut devenir un autre. Un homme qui était menteur, d'abord ne l'était pas complètement,ni sous tous les rapports, ni en tous les domaines. Et, de plus, il peut cesser d'être menteur. Il peutse faire nouveau, et devenir véridique. Un homme qui était tueur, ne l'était pas de toutes manières.Car il y avait des êtres qu'il aimait et qu'il protégeait. C'était donc déjà une erreur que de juger:Un tel est un assassin. Car, en fait, cet homme, s'il avait tué, n'était pas que cela. Il était par ailleurs

 bien autre chose que cela. Il ne se réduisait pas à cela. Il y avait en lui des richesses, des tendresses,qui n'entraient pas dans la catégorie, dans le schème sous lequel je l'avais enfermé par mon jugement. Et puis, il peut cesser d'être assassin. Il peut devenir autre. Je ne suis pas à la place duCréateur qui, avec n'importe qui — il l'a prouvé dans l'histoire — peut faire un saint et avec des pierres des enfants d'Abraham. Le jugement est une erreur ontologique.

Et c'est une erreur qui me juge moi-même, une erreur par laquelle je me condamne moi-même.Car ce jugement que je porte, durement, sur un être dont j'ignore l'histoire secrète, les difficultésintérieures, le poids des atavismes qu'il a à assumer, les luttes qu'il a eu à mener, ce jugement par lequel je solidifie, j'immobilise, je fixe, je pétrifie, ce qui est encore en régime de créationinachevée, finalement il atteste la dureté de mon cœur, et mon inintelligence de ce qu'est lacréation, ici la création de l'homme, mon manque de tendresse et de compassion pour cette

Page 98: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 98/160

98

humanité inachevée, embryonnaire, tâtonnante, qui apprend maladroitement à exister. En jugeant, je suis comme le mauvais jardinier qui coupe les fleurs fatiguées au lieu de s'efforcer de lesranimer, ou le mauvais pédagogue qui condamne l'enfant malhabile au lieu de l'aider à se

développer. C'est pourquoi le rabbi Ieschoua disait: « la mesure dont vous vous serez servis pour juger, par elle vous serez jugés. » Car si cette mesure est étroite, mesquine, sévère, nousdécouvrons par là même qui nous sommes, et à quel point nous ne comprenons pas le mystère dela création.

Schaoul de Tarse écrira un jour (vers l'an 52) aux disciples de Ieschoua qui vivaient à Corinthe(I Cor. 4, 3); « J e ne me juge pas moi-même ». — L'homme intelligent, celui qui a compris lemystère de la création, sait bien qu'il ne peut ni juger les autres, ni se juger soi-même, car chacun, pour soi-même, est aussi mystérieux que l'autre. En moi-même aussi je discerne ces forcescontradictoires, et cette source en travail, cet effort d'une création inachevée. Me juger est aussisot que de juger un autre. Car, en me jugeant, je me pétrifie aussi, je fais de moi un être fixé etstabilisé, c'est-à-dire une chose. Je méconnais toutes les transformations qui peuvent s'effectuer 

en moi, avec mon concours. Je méconnais que je peux naître nouveau, et devenir, comme ditPaul, une créature nouvelle, κάίνή κτίσις. (2. Cor. 5, 17; Gal. 6, 15.)

Page 99: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 99/160

99

XV. LA GENÈSE DU ROYAUME DE DIEU

Dans les « paraboles » — meschalim — concernant le « royaume de Dieu », la malkouta dischemaiia, le rabbi Ieschoua enseigne les lois et l'économie de la genèse, du développement et dela croissance de ce qu'il appelle « le royaume de Dieu », c'est-à-dire, si nous l'avons bien compris,l'humanité achevée, adulte, pénétrée à tel point par la vie et la pensée divines, unie à tel point à lavie de l'Incréé, qu'elle est elle-même réellement, et sans confusion, divinisée, comme le diront lesPères grecs et latins.

L'enseignement que fournit le rabbi par ces comparaisons et ces analogies, est théorique,spéculatif. C'est une connaissance, une science qu'il nous communique. Bien entendu cetteconnaissance comporte des conséquences pratiques, pour l'action, mais elle est d'abord uneconnaissance théorique de ce qui est en train de se faire et de la manière dont cela se forme. A cetégard et sur ce point, on voit combien sont fausses les assertions d'historiens comme Émile

Bréhier qui écrivait, nous nous en souvenons, que le christianisme à ses débuts « n'estaucunement spéculatif » et qu'il ne contient « aucun exposé doctrinal et raisonné ». Au contraire,le rabbi Ieschoua lui-même, puis son disciple Schaoul, et puis l'auteur quel qu'il soit du quatrièmeÉvangile, sont des théologiens, des théoriciens, des hommes qui communiquent une science, unegnoseau sens propre du terme, une connaissance spéculative et théorique, — laquelle comporte,encore une fois, des conséquences pratiques. Mais l'action, dans la pensée chrétienne originelle,n'est pas dissociée de la connaissance et de la contemplation. Les modalités de l'action résultent dela connaissance de ce qui est et de ce qui est en train de se faire. C'est cela qu'enseigne Ieschoua.La connaissance est première. Ieschoua commence par communiquer une connaissance.

Le rabbi Ieschoua a enseigné lui-même comment se communique l'information, oul'enseignement, qui constitue le fondement, le germe, de cet organisme qu'il crée, la qehila,

l'ensemble des hommes et des femmes qui sont nés nouveaux à cette vie et à cette pensée queIeschoua a communiquées. L'enseignement qu'il a semé est vraiment le principe, le point dedépart, le logos spermatikosde ce Corps qui est l'Église, lequel jusqu'aujourd'hui et jusqu'à la findes temps est informé par celui que les chrétiens considèrent comme la Parole créatrice et incrééede Dieu lui-même.

Le rabbi Ieschoua a enseigné comment, dans quelles conditions, selon quelles modalités,s'opère la communication de l'information dont il est la source et le principe. Nous avons essayé, brièvement, dans notre précédent travail, consacré au problème de la révélation, de réfléchir sur ce problème de la communication de l'information, à propos du prophétisme hébreu44. Pour enseigner les lois de la communication de l'information, Ieschoua prend la meilleure comparaison possible, celle de la graine. 

Une graine, une semence, nous le savons aujourd'hui, contient en elle-même des moléculesgéantes qui sont comme un long rouleau, lequel contient les informations nécessaires, lesinstructions requises, les renseignements ou les plans, pour construire l'organisme adulte.L'organisme adulte n'est pas contenu sous une forme microscopique dans la semence, dans lagraine ou dans le spermatozoïde. Il n'y a pas préformation. Mais la semence, la graine, lespermatozoïde, contiennent les informations nécessaires pour commander à la construction del'organisme. Il y a épigenèse. 

Pour qu'une semence, un germe, une graine ou un spermatozoïde, se développent, il faut qu'ilstrouvent un terrain approprié. La graine doit trouver une terre adaptée au développement de la

44 Le problème de la Révélation, Éditions du Seuil, 1969, p. 80 et sq.; p. 141 et sq. 

Page 100: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 100/160

100

graine. Le spermatozoïde doit trouver un ovule. En médecine, on sait que le virus, qui contientaussi une information génétique, et la bactérie, ne peuvent se développer que sur un terrainapproprié. Une épidémie d'une maladie contagieuse quelconque atteint les uns, et, apparemment,

ne touche pas aux autres. Ce n'est pas que le virus ou le microbe n'aient pas atteint tous lesindividus d'une population donnée. C'est que certains, par le terrain qu'ils offraient au virus ou àla bactérie, ont permis le développement, la multiplication des germes ensemencés. D'autresindividus, au contraire, en vertu de leur terrain physiologique propre, ont résisté, et finalementrejeté les germes qu'ils avaient reçus.

La dialectique du germe et du terrain se retrouve donc dans des domaines variés.Tous ceux qui enseignent savent bien, que, lorsqu'ils ont communiqué une information, celle-

ci est reçue de différentes manières selon les « terrains » que constituent les divers auditeurs. Lesuns n'écoutent pas, les autres s'ennuient et écoutent parfois, d'autres écoutent attentivement maisne comprennent rien ou comprennent de travers, d'autres enfin entendent et reçoiventl'information communiquée. Ils comprennent. Ils peuvent se contenter de comprendre, et s'en

tenir là. Ce sont de « bons élèves ». Ils peuvent aussi comprendre et développer l'informationreçue. Ils peuvent faire fructifier le germe qu'on leur a communiqué, et aller plus loin, faire à leur tour des découvertes. Ce sont les disciples de génie. On voit que, pour parler de ce qui se passedans le processus de l'enseignement, nous sommes spontanément entraînés à parler de germes, deterrain et de développement.

Le rabbi Ieschoua a justement pris la semence, la graine, comme élément de comparaison, pour enseigner de quelle manière se communique l'information dont il est, lui, la source. Pour quel'enseignement qu'il communique, lui le rabbi Ieschoua, soit reçu et se développe, il ne suffit pasque l'enseignement soit donné, par la parole ou par l'écrit. Encore faut-il qu'il rencontre un terrainapproprié, qui permette à la semence — ici à l'enseignement — de se développer. Il y a plusieursterrains possibles, et plusieurs cas se présentent. C'est ce qu'enseigne Ieschoua:

Mat. 13, 3: « Voici, le semeur est sorti pour semer. Et pendant qu'il semait, les unes, parmi lesgraines, tombèrent le long du chemin. Les oiseaux vinrent et les mangèrent. Les autres tombèrent parmi les cailloux, là où il n'y avait pas beaucoup de terre. Elles levèrent aussitôt, parce qu'il n'yavait pas profondeur de terre. Le soleil se leva, et elles furent brûlées, et parce qu'elles n'avaient pas de racine, elles se desséchèrent.

« D'autres graines tombèrent parmi les buissons d'épines. Les buissons d'épines grandirent etétouffèrent les graines.

« D'autres graines tombèrent sur la terre qui est belle et bonne, et elles donnèrent du fruit,l'une cent pour un, l'autre soixante, l'autre trente. — Que celui qui a des oreilles entende. » (Cf.Marc, 4, 3; Luc, 8, 4.)

Le mâschâl, la comparaison, l'analogie, la « parabole » comporte, nous l'avons vu, deux

termes: l'un est un terme sensible, une réalité empirique, que chacun peut voir, toucher, sur laquelle chacun peut réfléchir, sans avoir été à l'université. Tout paysan dans le monde peutméditer sur les conditions du développement des graines. L'autre terme, qui est visé, n'est pasvisible ni sensible. Ce qu'il s'agit d'enseigner et de faire connaître, c'est justement l'autre terme, iciles conditions du développement du « royaume de Dieu », et, plus particulièrement, lesconditions de la communication de l'enseignement qui vient du rabbi Ieschoua, enseignement quiconstitue l'information nécessaire pour la genèse du « royaume de Dieu », c'est-à-dire de l'Église,c'est-à-dire du corps de l'humanité en régime de divinisation.

Pour comprendre le mâschâl,  pour en avoir l'intelligence, il faut donc partir de la réalitésensible et empirique connue et méditée. Mais rien ne peut dispenser l'homme de l'acte par lequelil passede la réalité sensible et empirique à l'autre terme, celui qui est visé, l'autre tête de pont, si

Page 101: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 101/160

101

l'on peut dire: ce qu'il s'agit d'enseigner et de faire connaître, et qui n'est pas encore manifesté nivisible. Cet acte, l'acte d'intelligence, il appelle et il exige une coopération active du sujet quientend le mâschâl. Car s'il n'y a pas cet acte d'intelligence, le mâschâl, la comparaison, en reste à

son terme sensible. Le pont n'est pas construit, qui conduit sur l'autre rive, la relation n'est pasétablie qui porte vers la réalité non sensible. Pour certains, les paraboles des Évangiles ne sontque des histoires; ils n'en aperçoivent pas la signification, c'est-à-dire qu'ils ne savent pasdiscerner dans l'histoire la connaissance qui y est incluse. Ils ne savent pas construire le pont, jeter un pont au-dessus du fleuve, et apercevoir la réalité visée par la comparaison.

Mat. 13, 10: « Les disciples s'approchèrent et lui dirent: pourquoi leurs parles-tu en te servantde comparaisons ?

« Et lui, il leur répondit et leur dit: parce qu'à vous il vous a été donné de connaître les secretsdu royaume des cieux, mais à ceux-ci cela n'a pas été donné.

« Car celui qui a, à celui-là il sera donné et il sera dans la surabondance.« Mais celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé.« C'est la raison pour laquelle je leur parle par comparaisons, parce que voyant ils ne voient

 pas et entendant ils n'entendent pas ni ne comprennent. »Marc, 4, 11: « A vous le mystère est donné du royaume de Dieu. A ceux-ci qui sont dehors,

c'est en comparaisons que tout se passe. " Nous lisons ce texte, ici, dans une traduction française, d'une traduction grecque, d'un

enseignement oral araméen. Les conjonctions de subordination qui indiquent la causalité et lafinalité, sont-elles exactement traduites ?

Le rabbi Ieschoua veut-il dire qu'il enseigne par des comparaisons, des meschâlim, afin queceux du dehors ne comprennent pas, pour ne pas être compris de ceux du dehors ? — Nous ne le

 pensons pas. Nous comprenons les choses de la manière suivante: les mystères du royaume deDieu en genèse, de ce royaume de vie qui n'est pas encore manifesté mais qui est en train de sefaire, ne peuvent être enseignés aux hommes tels que nous sommes, qu'à partir d'analogies dontl'un des termes est nécessairement une réalité sensible et expérimentale. C'est-à-dire qu'il n'existe pas d'autre méthode pour enseigner ce qui est encore invisible, que de se servir du visible commeterme de comparaison, comme point de départ, comme tête de pont.

Certains sont capables de cet acte d'intelligence qui les font passer de la réalité visible etsensible exposée, à la réalité invisible et encore mystérieuse qui est visée. Ce sont ceux quicomprennent les paraboles.

D'autres ne sont pas capables de cet acte. Il n'y a pas en eux la force nécessaire pour jeter le pont au-delà du sensible immédiat. Ils en restent au premier terme de la comparaison.

Ce n'est pas que Ieschoua s'en réjouisse, ni qu'il le souhaite. Au contraire, il le déplore. Mais ille constate comme un fait. De ce fait, il faudra chercher l'explication.

A celui qui a  — la capacité d'opérer cet acte d'intelligence — il est: donné en surabondance laconnaissance des secrets du royaume de Dieu en formation. Mais à celui qui n'a pas cettecapacité en lui, tout est ôté. Non seulement il n'accède pas à la connaissance des secrets duroyaume en gestation, mais il perd même rapidement la lettre de l'enseignement qui lui estcommuniqué. Il est le terrain caillouteux sur lequel les graines ne peuvent pas germer. Il ne peut pas s'intéresser à ces histoires du rabbi Ieschoua dont il ne perçoit pas la signification, et doncl'intérêt.

Ieschoua, — ou la première communauté chrétienne ? les critiques en discutent — a donnéune interprétation qu'on peut presque appeler scolaire de la parabole que nous venons de lire:

Page 102: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 102/160

102

Mat. 13, 18: « Vous, donc, entendez (dans les deux sens du mot entendre) la comparaison dusemeur.

« Tout homme qui entend la parole du royaume, et qui ne la comprend pas, le mauvais vient,

et arrache ce qui avait été semé dans son cœur. Celui-là, c'est celui qui a été ensemencé le long duchemin.

« Celui qui a été ensemencé dans les cailloux, c'est celui qui entend la parole. Il la reçoitaussitôt avec joie. Mais il n'a pas de racine en lui. Il est futile. Lorsque vient la tribulation ou la persécution, à cause de la parole, aussitôt il bute et tombe.

« Celui qui a été ensemencé dans les épines, c'est celui qui entend la parole, mais le souci pour les choses du monde présent et la séduction de la richesse étouffent la parole, — et il ne porte pasde fruit.

« Celui qui est ensemencé sur la belle et bonne terre, c'est celui qui entend la parole et qui lacomprend (suniemi, comprendre mais aussi concevoir, au double sens de concevoir: recevoir l'information et être fécondé par elle pour enfanter). Celui-là porte fruit et il produit, l'un cent

 pour un, l'autre soixante, l'autre trente. » (Cf. Marc, 4, 14; Luc, 8, 11.)

Le rabbi Ieschoua a enseigné ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire en ce qui concernele développement des semences, c'est-à-dire de l'enseignement, qu'il a semées. Elles vont croître,selon les terrains, mais cet enseignement va se trouver mêlé d'éléments hétérogènes, de doctrinesdiverses, qui vont faire du champ une bigarrure constituée de plantes multiples. C'est ce quel'histoire du développement de la doctrine chrétienne confirme. Tout, en effet, est mêlé dans cechamp. Il y aura du christianisme platonicien, du christianisme Stoïcien, du christianismearistotélicien, puis du christianisme hegélianisant, du christianisme indianisant, du christianismemarxisant, heideggerien, et ainsi de suite jusqu'à la fin des temps. Le christianisme va se trouver 

mêlé, au cours de l'histoire, à quantité de doctrines et de théories. En chacun de nous, d'ailleurs, ilest mêlé.

Faut-il tout arracher ? Faut-il du moins tenter d'arracher les plantes exotiques qui se trouvent làau milieu du champ chrétien ? Faut-il essayer de déraciner ce qu'il y a de platonicien chez un tel,d'aristotélicien chez tel autre, de hégélien chez un troisième, de païen chez chacun de nous ? Faut-il passer son temps à éplucher, à faire le tri ? Ce qu'il y a de chrétien et de non chrétien dans la pensée et dans l'action, dans l'existence des êtres et des sociétés qui se disent chrétiennes, faut-iltenter constamment de le départager ? Faut-il arracher les herbes étrangères ?

Le rabbi Ieschoua ne le pense pas:Mat. 13, 24: « Le royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé une belle et bonne

semence dans son champ.

« Pendant que ses hommes dormaient, son ennemi vint, et il sema de la mauvaise herbe aumilieu du blé, et puis il s'en alla. Quand la plante eût germé et qu'elle eut produit du fruit, alorsapparut aussi la mauvaise herbe.

« Les serviteurs du maître de maison vinrent et lui dirent: maître, est-ce que tu n'as pas seméde la bonne semence dans ton champ ? Comment se fait-il qu'il soit plein de mauvaise herbe ? Lemaître de maison leur dit: c'est un ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui dirent: veux-tu quenous allions ramasser les mauvaises herbes ?

Le maître dit: Non, parce que vous risqueriez en ramassant les mauvaises herbes de déraciner aussi en même temps le blé. Laissez-les croître ensemble jusqu'à la moisson. Au temps de lamoisson, je dirai aux moissonneurs: ramassez d'abord les mauvaises herbes et liez-les en bottes pour les brûler. Quant au blé, rassemblez-le dans mon grenier. »

Page 103: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 103/160

103

Le rabbi enseigne — Marc seul nous a conservé ce propos — qu'au cours de l'histoire, jour et

nuit, le royaume va croître, de toutes les manières, les plus imprévues. C'est ce que confirme eneffet l'histoire depuis bientôt vingt siècles:

Marc, 4, 26: « Il disait: Ainsi est le royaume de Dieu, comme un homme (qui) a jeté lasemence sur la terre. Qu'il dorme et qu'il se réveille, la nuit et le jour, la semence pousse etgrandit, il ne sait pas lui-même comment. D'elle-même la terre produit, d'abord la jeune plante, puis l'épi, puis du blé plein l'épi... »

Le principe, le point de départ, du « royaume de Dieu » que Ieschoua est en train de créer, c'estun enseignement, une doctrine, communiquée à une poignée d'hommes, très modestes, dans un pays qui n'était pas illustre. Ieschoua enseigne, dans les années trente de notre ère, que cet

enseignement donné sur les routes et dans les champs, aux carrefours et dans les villes, va croîtreet se développer au cours du temps. A partir de commencements minuscules, le royaume, commeun arbre, va devenir immense. Prophétie accomplie. Nous avions remarqué, dans notre précédenttravail45, en méditant sur le fait Israël, que là déjà, cette loi du développement à partir decommencements infimes se vérifiait: à partir d'une poignée de nomades araméens, vers le XVIII e siècle avant notre ère, une mutation se produit, et ce qui est extraordinaire c'est que le mutant, ce petit peuple qu'était Israël, a eu conscience, très tôt, de porter, pour l'humanité entière, l'avenir, decontenir l'information qui allait un jour transformer l'humanité entière. De même ici, une poignéede galiléens bientôt persécutés a la certitude de porter un enseignement qui va se développer etrecouvrir la terre entière:

Marc, 4, 30: « Il disait: à quoi pourrions-nous comparer le règne de Dieu et en quelle

comparaison le mettrons-nous ?« C'est comme un grain de moutarde noire: lorsqu'il a été semé sur la terre, il est la plus petite

de toutes les graines qui sont sur la terre, et lorsqu'il a été semé, il grandit il monte et devient plusgrand que tous les légumes, et il fait de grandes branches, en sorte que, sous son ombre, lesoiseaux du ciel viennent s'établir. »

Mat. 13, 31: « Le royaume des cieux est semblable à une graine de sénevé qu'un homme a priseet a semée dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences mais lorsqu'elle s'estdéveloppée, elle est plus grande que les légumes et elle devient un arbre, en sorte que les oiseauxdu ciel viennent et s'établissent dans ses branches. » (Cf. Luc, 13, 18.)

Le rabbi Ieschoua enseigne que son enseignement, communiqué à l'humanité, dans la Palestineoccupée par l'armée romaine du temps de Tibère, opère d'une manière que, dans notre langage philosophique, nous appellerions « immanente », c'est-à-dire du dedans, et non d'une manièreextrinsèque. Comme le rabbi ne parlait pas la langue exquise de nos philosophes, il s'est expriméautrement pour dire ce qu'il avait à dire à ce sujet. Il a dit que son enseignement était comme unlevainqui informe du dedans la pâte humaine:

Mat. 13, 33: « Le royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et qu'elle acaché dans trois mesures de farine jusqu'à ce que le tout ait levé. »

45 Le problème de la Révélation, Éditions du Seuil, 1969, p. 167 et sq. 

Page 104: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 104/160

104

Ce que le rabbi appelle « le royaume de Dieu », c'est, disions-nous, et si nous avons biencompris sa pensée, l'humanité en train d'être informée progressivement par la pensée et la vie de

Dieu, l'Esprit de Dieu, et sa Parole, son Enseignement, l'humanité en régime de divinisation progressive, travaillée qu'elle est du dedans par le Verbe créateur qui enseigne sur les routes. Dansl'économie de cette humanité en régime de divinisation, les hommes, au cours de l'histoire,entreront les uns après les autres, et les peuples, les races aussi entreront les uns après les autresau cours du temps. Dans une même période, les uns entrent tôt, dès leur enfance, les autres dansleur âge mûr, les autres dans leur vieillesse. Est-ce qu'il y aura finalement une différence dans lacondition de tous ces hommes et de toutes ces femmes qui sont entrés à des époques et à des âgesdifférents dans l'économie du royaume qui est le corps du Christ ? — Non, répond le rabbi. Ceuxqui entrent, quelle que soit l'heure à laquelle ils entrent, y sont à part entière, même celui quimonte dans le train (si nous osons faire une parabole qui n'est pas biblique) alors que le train estdéjà en marche:

Mat. 20, 1: « Le royaume des cieux est semblable à un homme, un maître de maison, qui sortitau point du jour pour engager des ouvriers pour sa vigne.

« Il se mit d'accord avec les ouvriers pour la somme de un denier par jour, et il les envoya danssa vigne.

« Il sortit vers la troisième heure du jour (environ 9 h), il vit d'autres ouvriers qui se tenaientsur la place, sans travail. 11 leur dit: allez, vous aussi, dans ma vigne, et ce qui sera juste, je vousle donnerai. — Ils y allèrent.

« Il sortit de nouveau vers la sixième et la neuvième heure, il fit de même.« Vers la onzième heure du jour, étant sorti, il trouva encore d'autres ouvriers qui se tenaient

là, et il leur dit: pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans travail ? Ils lui disent: Parceque personne ne nous a embauchés.

« Il leur dit: allez vous aussi dans ma vigne.« Le soir vint, et le maître de la vigne dit à son intendant: appelle les ouvriers et donne-leur le

salaire qui leur est dû, en commençant par les derniers, jusqu'aux premiers.« Vinrent ceux qui avaient été embauchés vers la onzième heure et ils reçurent chacun un

denier.« Lorsqu'ils vinrent, les premiers pensaient qu'ils recevraient davantage. Et ils reçurent chacun

un denier, eux aussi.« En le prenant, ils murmuraient contre le maître de maison, disant: ceux-ci, arrivés les

derniers, n'ont fait qu'une seule heure, et tu les as faits égaux à nous, nous qui avons porté le poids du jour et la chaleur brûlante.

« Lui répondit à l'un d'entre eux en ces termes: ami, je ne commets pas d'injustice à ton égard.

Est-ce que tu ne t'es pas mis d'accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui t'appartient, et va-t-en. Je veux, à celui-ci qui est arrivé le dernier, donner comme à toi. Est-ce qu'il ne m'est pas permis de faire ce que je veux avec ce qui m'appartient ? Ou bien est-ce que ton œil est mauvais parce que je suis bon ?»

 Nous avons vu, dans notre précédent travail, que l'enseignement des prophètes d'Israëlrencontre une résistance violente. Nous avons vu ici déjà que Ieschoua connaissait cette loi del'existence prophétique, et il l'a enseignée à ses apprentis. L'enseignement que communique lerabbi Ieschoua, c'est une invitation à entrer dans l'économie du Corps de l'humanité en régime dedivinisation, pénétrée de la vie divine qui est pensée. Nul n'est obligé d'accepter une invitation,

Page 105: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 105/160

105

même royale. Ieschoua enseigne — c'est la doctrine du souci — que beaucoup de gens qui sontinvités, au cours de l'histoire, vont refuser, car ils ont, pensent-ils, mieux à faire, ou autre chose àfaire: ils ont, précisément, leurs « affaires », leur commerce, leurs soucis, leurs préoccupations.

Bref, ils refusent. Ils n'écoutent pas l'enseignement qui leur est proposé. Cet enseignement ne lesintéresse pas. Ils sont le terrain dont parle la parabole précédente, celui sur lequel la graine ne peut pas prendre racine, ou celui dans lequel les ronces sont trop envahissantes et empêchent lasemence évangélique de se développer. Le rabbi annonce les persécutions pour ceux qui vontessayer de communiquer l'information, l'heureuse information, —  l'Évangile — du royaume deDieu. Certains se feront tuer, comme les prophètes:

Mat. 22, 2: « Le royaume de Dieu est comparable à un homme, un roi, qui fit des noces pour son fils.

« Il envoya ses serviteurs pour appeler les invités aux noces, et ils ne voulurent pas venir.« Il envoya de nouveau d'autres serviteurs, en disant: dites aux invités: voici que j'ai préparé

mon repas, mes taureaux et mes bêtes engraissées ont été sacrifiés, et tout est prêt. Venez aux

noces.« Mais eux, sans se soucier de cette invitation, s'en allèrent, l'un dans son propre champ, l'autre

à son commerce.« Les autres s'emparèrent de ses serviteurs, les traitèrent avec violence et les tuèrent.« Le roi, en colère, envoya ses armées et il fit périr ces meurtriers et il fit incendier leur ville.« Alors il dit à ses serviteurs: le banquet de noces est prêt, mais ceux qui ont été invités

n'étaient pas dignes. Allez donc aux issues des routes, et tous ceux que vous trouverez, appelez-les aux noces.

« Ses serviteurs sortirent sur les routes, ils ramassèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, les mauvaiset les bons, et la salle de noces fut remplie de convives.

« Le roi entra pour regarder les convives, et il vit là un homme qui n'était pas revêtu du

vêtement de noces. Il lui dit: ami, comment es-tu entré ici sans avoir un vêtement de noces ? Etl'autre se taisait. Alors le roi dit aux serviteurs: liez-lui pieds et mains et jetez-le dans la ténèbreextérieure. Là seront le pleur et le grincement de dents. Car beaucoup sont appelés, mais peu sontélus. »

Luc, 14, 16: « Un homme fit un grand repas, et il invita beaucoup de gens, et il envoya sonserviteur à l'heure du repas dire aux invités: venez, car c'est déjà prêt. Et tous commencèrent,comme un seul homme, à s'excuser.

« Le premier lui dit: j'ai acheté un champ, et je suis obligé d'aller le voir. Je t'en prie, tiens-moi pour excusé. L'autre dit: j'ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer. Je t'en prie, tiens-moi pour excusé. — Un autre dit: j'ai épousé une femme, et c'est pourquoi je ne peux venir.

« Et le serviteur, étant revenu, annonça tout cela à son maître.

« Alors le maître de maison se mit en colère et dit à son serviteur: Sors vite sur les places et dansles rues de la ville, et les mendiants, les estropiés, les aveugles et les boiteux, conduis-les ici.

« Le serviteur dit: Seigneur, il a été fait comme tu as ordonné, et il y a encore de la place.« Alors le maître dit au serviteur: sors sur les chemins, va vers les clôtures, et contrains à

entrer, afin que ma maison soit pleine. »

La découverte de la connaissance du « royaume de Dieu » est si précieuse, que l'hommeintelligent, celui qui a conscience de son intérêt bien compris, vend tout ce qu'il a pour l'acquérir.

 Nous avons déjà vu cela à propos de la doctrine de la pauvreté volontaire:Mat. 13, 44: « Le royaume des deux est semblable à un trésor caché dans un champ. Un

Page 106: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 106/160

Page 107: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 107/160

107

des choses anciennes. »

Page 108: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 108/160

108

XVI. LA LOI ONTOLOGÉNÉTIQUE FONDAMENTALE

A plusieurs reprises, le rabbi Ieschoua enseigne une loi qui est, nous semble-t-il, l'une des loisgénétiques fondamentales ou peut-être même la plus essentielle des lois qui caractérisentl'économie de cette réalité qui est en train de se former et que le rabbi désigne par l'expression «royaume de Dieu ». Cette loi résume, pensons-nous, tous les paradoxes que nous venons de lire.Elle les récapitule tous. Elle fournit le « geste » fondamental qui caractérise, à nos yeux,l'essentiel de l'enseignement évangélique:

Marc, 8, 34: « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même et qu'il porte sacroix et qu'il me suive.

« Car celui qui voudra sauver son âme (sa vie46), la perdra.« Celui qui perdra son âme (sa vie) à cause de moi et de l'heureuse annonce, la sauvera.« Car à quoi sert pour un homme de gagner le monde entier et de perdre son âme ?

« Car que donnerait l'homme en échange de son âme ? »Mat. 10, 39: « Celui qui trouve son âme (sa vie) la perdra et celui qui a perdu son âme (sa vie)

à cause de moi la trouvera. »Mat. 16, 24: « Alors Ieschoua dit à ses disciples: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se

renonce à soi-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.« Car celui qui voudra sauver son âme (sa vie), la perdra. Et celui qui perdra son âme (sa vie) à

cause de moi, la trouvera.« A quoi cela servira-t-il, pour un homme, qu'il gagne le monde entier, s'il endommage (s'il

 perd) son âme ? Ou encore: que donnera un homme en échange de son âme ? »Luc, 9, 23: «Il disait à tous: si quelqu'un veut venir derrière moi, qu'il se renonce et qu'il se

charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive.

« Car celui qui voudra sauver son âme la perdra. Celui qui perdra son âme à cause de moi,celui-là la sauvera.

« Car à quoi sert à un homme s'il a gagné le monde entier, mais s'il s'est perdu soi-même, ous'il s'est causé du dommage ? »

C'est une loi ontologique, une loi existentielle, une loi ontogénétique, que le rabbi enseigne là,car elle porte sur les conditions de l'acquisition de la vie.

Cette loi qui récapitule, disions-nous, l'ensemble des paradoxes qui  caractérisentl'enseignement évangélique, ce renversement constant des valeurs que nous avons remarqué à propos de chaque domaine de l'existence, cette loi est-elle vérifiable ?

Elle l'est, nous semble-t-il, dans tous les domaines de l'existence. C'est une loi expérimentale,dont nous pouvons vérifier le bien-fondé.

Le quatrième Évangile enseigne la même loi, en s'appuyant sur l'analogie du grain de blé:Jean, 12, 24: « Vrai, je vous le dis, si le grain de blé tombant dans la terre ne meurt pas, lui il

reste seul. S'il meurt, il porte beaucoup de fruit.« Celui qui aime son âme la perd, et celui qui hait son âme dans ce monde-ci la gardera pour la

vie éternelle. »Cette loi ontogénétique fondamentale, qui est théorique, mais qui comporte bien entendu une

application pratique, des conséquences en ce qui concerne l'action, n'est pas fondée sur rien. Ellene demande pas à être admise sans être vérifiée. Elle est fondée sur l'expérience constante etuniverselle. C'est une loi de l'être et de la genèse de l'être. Les conséquences qu'elle implique

46 L'hébreu nephesch, l'araméen naphescha, signifient à la fois « l'âme » et « la vie ». 

Page 109: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 109/160

109

 pour l'action ne nous font pas déboucher sur le vide. Comme tous les préceptes constituantl'enseignement évangélique, qui ont tous un fondement ontologique et sont tous susceptibles devérification expérimentale, celui-ci ne débouche pas non plus sur le vide et sur le néant. Il

débouche au contraire sur l'être, sur le plus être, sur la vie. Il enseigne les conditions d'accès à lavie. Il est une initiation à la vie. Il ne demande pas le sacrifice pour le sacrifice. Comme tous les  préceptes évangéliques, il fait appel, non pas au masochisme autodestructeur, mais à l'intérêt biencompris. Il est une loi de l'être et de la vie, non de la mort.

Cet intérêt bien entendu, c'est à lui que constamment Ieschoua fait appel pour décider de la bonne méthode à suivre dans la gestion de l'existence. Une fois de plus, nous le constatons, nous nesommes pas dans le domaine de la «" morale », et encore moins d'une morale sacrificielle, etsurtout pas de la morale kantienne, mais dans le domaine de la vie et des lois concrètes,expérimentales de la vie:

Luc, 14, 28: « Car qui d'entre vous, voulant construire une tour, ne commence par s'asseoir  pour calculer la dépense, savoir s'il a de quoi l'achever ? Pour éviter que, ayant posé le fondement

de la tour, et n'ayant plus la possibilité de l'achever, tous les gens qui le voient ne commencent à semoquer de lui, en disant: « Regardez-moi cet homme: il a commencé à construire, et il n'est pascapable d'achever ! »

« Ou bien encore: quel roi, parti pour combattre un autre roi à la guerre, ne s'assied d'abord etne commence par délibérer pour savoir s'il est capable, avec dix mille hommes, de marcher à larencontre de celui qui vient contre lui avec vingt mille ? S'il ne s'en juge pas capable, pendant queson ennemi est encore loin, il envoie une ambassade, et il demande à faire la paix. »

Page 110: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 110/160

110

XVII. L 'EXIGENCE DE FRUCTIFICATION

Celui qui veut sauver sa vie la perdra, et celui qui consent à la perdre, qui court le risque de la perdre, celui-là la retrouvera plus pleine et plus entière, multipliée au centuple: cette loi estvérifiable, déjà, dans le domaine des « affaires »47.  Celui qui se cramponne avec avarice etangoisse à la somme d'argent qu'il a, avec peur de la perdre, celui-là perdra même ce qu'il a. Celuiqui engage son argent, qui consent à courir le risque de l'aventure, celui-là retrouvera son argentcentuplé... C'est une loi, non pas de «" morale, mais de vie. Les biologistes nous le disent déjà: lesespèces qui ont couru les plus grands risques, ce sont celles-là qui ont obtenu les plus grandssuccès. Celles qui ont recherché le confort, la tranquillité, celles qui ont eu peur du risque, celles-làse sont repliées sur elles-mêmes, dans une existence diminuée parasitaire et se sont transforméesen fossiles vivants. Une loi de l'existence, une loi de la vie, c'est cette proportionnalité entre lerisque encouru, l'aventure tentée, et le succès obtenu. La vie n'est pas avarice, repli sur soi. Elle

est communication, invention, découverte de l'inconnu, et toute invention vitale constitue unrisque. Toute fécondité implique cette sortie de soi qui constitue un risque et un don.

Le rabbi Ieschoua, bien loin d'enseigner une morale répressive, une morale négative,constituée par des interdits: « Tu ne feras pas ceci... tu ne feras pas cela... », enseigne principalement quelles sont les lois de la fécondité et ce qu'il demande, ce qu'il exige,conformément au commandement inscrit dès la première page de la Bible hébraïque, c'est lafécondité, la coopération active de l'homme à l'oeuvre de la création. L'exigence de fructificationest sans doute l'exigence fondamentale de ce qu'on pourra appeler, si l'on y tient absolument, « lamorale » de l'Évangile. Il s'agit en fait de bien autre chose que d'une morale. Il s'agit de vie.

Cette exigence de fructification est enseignée par le rabbi dans la parabole des « talents " (untalent était une monnaie qui valait environ 6 000 francs-or). Cette parabole des talents, comme

celle, que nous avons lue, de l'intendant crapule félicité par son patron parce qu'il distribue lesrichesses du patron pour se faire des amis, n'est certainement pas de celles qui peuvent entrer dansle système de références, dans le cadre, de ce qu'on appelle « la morale ». On ne voit pascomment Kant aurait pu les intégrer dans la Critique de la Raison pratique... Pour l'homme del'éthique, pour l'homme qui en est resté, comme disait Kierkegaard, au « stade éthique », ces paraboles sont même franchement immorales et scandaleuses. Mais aussi bien ne portent-elles passur les mœurs, dans une société qui veut maintenir son ordre établi. Elles contiennent unenseignement qui porte sur la vie et les conditions d'entrée dans la vie:

Mat. 25, 14: « Un homme qui partait en voyage appela ses propres serviteurs, et leur remit cequ'il possédait. A l'un d'entre eux il donna cinq talents, à un autre, deux, à un autre, un seul talent,à chacun selon sa propre capacité, et puis il s'en alla en voyage.

« Aussitôt, il alla, celui qui avait reçu cinq talents, et il fit des affaires avec ces talents, et ilgagna cinq autres talents.

« De même, celui qui avait deux talents en gagna deux autres.« Mais celui qui n'avait reçu qu'un seul talent, il s'en alla, creusa la terre, et cacha l'argent de

son maître.« Après un long temps, revient le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux.« S'avança celui qui avait reçu les cinq talents, et il apporta cinq autres talents en disant:

Maître, tu m'as donné cinq talents. Voici, j'ai gagné cinq autres talents.« Son maître lui dit: Bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai

47 1. Et de l'amour entre l'homme et la femme... 

Page 111: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 111/160

111

sur beaucoup. Entre dans la joie de ton maître.« S'avança celui qui avait reçu deux talents, et il dit: Maître, tu m'as donné deux talents. Voici,

 j'ai gagné deux autres talents. Son maître lui dit: Bien, serviteur bon et fidèle, tu fus fidèle dans

 peu de choses, je t'établirai sur beaucoup. Entre dans la joie de ton maître.« S'avança celui qui avait reçu un seul talent, et il dit: Maître, je savais que tu es un homme

dur, qui moissonnes ce que tu n'as pas semé, et qui ramasses là où tu n'as pas dispersé. J'ai eu peur, je suis allé et j'ai caché ton talent dans la terre. Voici, tu as ce qui est à toi.

« Le maître lui répondit et lui dit: Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je récolte là où je n'ai pas semé, et que je rassemble là où je n'ai pas dispersé. Il te fallait donc placer mon argentchez les banquiers. A mon retour, j'aurais repris ce qui est à moi avec intérêt.

« Enlevez donc à celui-ci le talent et donnez-le à celui qui a dix talents. Car à celui qui a, ilsera donné, et il sera dans la surabondance; mais de celui qui n'a pas, même ce qu'il a sera retiré.»

La loi enseignée en conclusion se retrouve dans Luc, 8, 18:« Celui qui a, il lui sera donné. Et celui qui n'a pas, même ce qu'il semble avoir lui sera ôté »,

et dans Mat. 13, 12, et Marc, 4, 25.L'homme de la « morale » protestera, en disant: Après tout, du point de vue de la morale, celui

qui a rangé soigneusement l'argent qui lui avait été confié (c'est un des exemples que prendKant...) et qui rend au maître l'argent confié, lorsque celui-ci revient, celui-là est parfaitement «moral ». Il n'a rien à se reprocher. Il a agi conformément aux exigences de l'impératif catégoriquequi commande de ne pas dissiper un bien qui ne vous appartient pas et de le rendre intact. Il estmême beaucoup plus « moral » que les autres, qui ont couru le risque de placer de l'argent quin'était pas à eux, et par conséquent de le perdre. On ne voit pas du tout, du point de vue de lamorale, ce que le maître peut reprocher à ce serviteur fidèle qui rend purement et simplement cequ'on lui a confié. A moins de supposer que le maître de l'histoire ne soit un trafiquant intéressé,qui ne pense qu'au profit.

Cette histoire est franchement immorale.La conclusion est plus immorale que tout. Ceux qui ont trafiqué, fait des affaires ou joué à la

Bourse, ceux-là reçoivent une récompense parce qu'ils ont gagné de l'argent. Celui qui,fidèlement, a remis au propriétaire ce qui lui avait été confié, celui-là est sanctionné. On luienlève ce qu'il al

 Nous sommes en pleine immoralité.Ainsi parlera l'homme de « la morale », et il sera, sincèrement, choqué, scandalisé. Il butera

sur l'enseignement évangélique, et s'en éloignera. Cet enseignement ne lui convient pas.En effet, nous ne cessons de le répéter depuis le commencement de ce travail, nous ne sommes

 pas, avec l'enseignement du rabbi Ieschoua de Nazareth, dans le cadre, ou dans le système deréférences de ce qu'on appelle communément « la morale ». Si l'on prend les histoires que raconte

Ieschoua dans ce système de référence qu'est « la morale », alors on obtient des résultatssurprenants, scandaleux et subversifs.

Mais, encore une fois, ces histoires et l'enseignement qu'elles contiennent ne portent pas sur ceque, dans nos sociétés, et dans les temps modernes, on appelle d'ordinaire « la morale ». Elles portent sur les lois génétiques de la création et de la vie. Placées dans le système de référence de« la morale », elles sont scandaleuses. Mais elles veulent enseigner des lois de vie. Dans l'ordrede la vie, elles prennent un sens, elles découvrent leur sens.

Le fait est que, dans l'ordre de la vie, celui qui garde avec avarice, ou avec peur, commel'homme prudent de l'histoire, les dons qu'il a reçus, celui qui ne les exploite pas, celui qui ne lesfait pas fructifier, celui-là reste un arbre sec. Il se dessèche. Pensons à une semence qui voudrait segarder pour elle-même et ne pas se communiquer. Elle resterait seule, comme dit la parabole du

Page 112: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 112/160

112

grain de blé, et elle ne porterait pas de fruit.Le maître de la parabole, c'est Dieu lui-même, le Créateur, qui a fait l'homme non pas pour 

avoir sous ses pieds un être obéissant et servile (qu'en ferait-il ?), mais un vis-à-vis, à son image

et à sa ressemblance, et donc un créateur, capable de faire fructifier d'une manière originale etneuve les dons qui lui ont été confiés. Non pas l'obéissance passive, de type militaire. Maisl'obéissance créatrice, de type vital, cette obéissance qui fait croître l'information reçue. La vietout entière est exigence de fructification, de développement et d'invention créatrice.

Ce que le rabbi exige de l'homme, c'est une coopération active, créatrice, à la créationinachevée. L'homme, tout homme, en naissant, reçoit des dons, des capacités, qui sont seulementgerminales. L'homme a le devoir de faire fructifier ces dons, de les exploiter, de faire fleurir lacréation, de la faire fructifier. C'est, encore une fois, le premier commandement inscrit dans la première page de la Genèse qui ouvre les Bibles hébraïques: « Dieu dit: faisons de l'homme(adam, sans article) à notre image et selon notre ressemblance, et qu'ils dominent sur le poissonde la mer et sur l'oiseau des cieux et sur le quadrupède et sur toute la terre et sur tout rampant qui

rampe sur la terre. Et Dieu créa l'homme à son image. A l'image de Dieu il le créa, mâle etfemelle il les créa. Et il les bénit, Dieu, et il leur dit, Dieu: Portez fruit, et multipliez-vous, etremplissez la terre... » (Genèse, I, 26.)

 Nous avons été stérilisés, en Occident, par des morales de l'interdit. La pensée hébraïque, aucontraire, a proposé ce qu'il conviendrait beaucoup plus d'appeler une dynamique ou unenormative de vie, qu'une morale. Les commandements en apparence négatifs de la Torah: « Tu netueras pas, tu ne voleras pas... » portent en fait sur le respect de la vie. La valeur suprême, danscette tradition de pensée, c'est la vie. Dieu est compris comme le Vivant par excellence, quicommunique, par don, l'être à des vivants actifs. Ce qu'il demande, ce qui l'intéresse, ce n'est pasd'avoir des poupées ou des animaux serviles soumis à ses pieds. Ce qui l'intéresse, apparemment,d'après les textes bibliques, c'est de créer des êtres qui soient à son image et à sa ressemblance,

c'est-à-dire des créateurs. C'est juste ce qu'enseigne le rabbi dans la parabole des talents. Notre devoir fondamental c'est

de faire fructifier les capacités que nous avons reçues, c'est-à-dire de créer, activement, d'inventer des formes d'êtres, de créer de l'information.

L'homme de l'éthique exige que celui qui a reçu en dépôt une somme d'argent, un trésor, lerende à celui qui le lui a confié. L'homme qui enseigne la vie exige que celui qui a reçu fassevaloir, fasse fructifier, développe, accroisse, multiplie, ce qu'il a reçu. Voilà la différence — l'unedes différences — entre les deux points de vue. L'homme de l'éthique se place dans une perspective fixiste. Ce qui l'intéresse, c'est de maintenir « l'ordre établi ». Pour que l'ordre établisoit maintenu, il faut poser en maxime universelle et en loi morale que celui qui reçoit un dépôtdoit le rendre intact. L'homme de la vie enseigne comment faire croître la création. Il enseigne

que l'homme a le devoir non pas seulement de conserver et de rendre intact mais de développer,d'inventer et de créer.

L'homme créé à l'image et à la ressemblance du Créateur, ne peut se contenter de recevoir d'une manière passive le don de la création. S'il procédait ainsi, il ne serait jamais qu'une chose. Ildoit, pour devenir un être, un vivant, un homme, coopérer activement à la création, coopérer d'une manière créatrice48.

48 Un philosophe chrétien, au XXe siècle, a profondément compris ces problèmes d'ontologie génétique, et toutes les

Page 113: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 113/160

113

On n'entre pas dans la vie en respectant seulement les règles d'une morale, en se soumettant àdes commandements d'une loi morale. Les lois de la vie sont autres que les lois de la « morale ».Les lois de la vie exigent autre chose que la soumission et le respect, autre chose que la peur.

Elles exigent l'activité créatrice et l'invention.

L'exigence de fructification est enseignée par le rabbi en plusieurs autres circonstances, par exemple avec le mâschâl du figuier qui ne portait pas de fruit:

Luc, 13, 6: « Il leur dit ce mâschâl, cette comparaison: Quelqu'un avait un figuier planté dans savigne, et il vint pour ychercher du fruit en lui, et il n'en trouva pas. Alors il dit au vigneron: Voicitrois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas. Arrache-le. Pourquoioccupe-t-il la terre inutilement ? Le vigneron répondit: Maître, laisse-le encore cette année, jusqu'àce que je creuse tout autour et que j'y mette du fumier. Peut-être produira-t-il du fruit l'an prochain. Sinon, tu l'arracheras. »

Le rabbi Ieschoua, dans un enseignement rapporté seulement par le quatrième Évangile,expose quelles sont les conditions de la fructification, à quelles conditions l'homme peut porter fruit:

Jean, 15: «" Moi je suis la vigne la véritable, et mon père est le vigneron.« Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte fruit, il

l'émonde afin qu'il porte davantage de fruit (...).« Demeurez en moi, et moi en vous. De même que le sarment ne peut porter du fruit de lui-

même, s'il ne demeure pas dans la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne restez pas en moi.« Moi je suis la vigne, vous, vous êtes les branches.

« Celui qui reste en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruits, car sans moi vous ne pouvez rien faire.

« Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche; puison les ramasse et on les jette au feu, et ils brûlent.

« Si vous demeurez en moi, et si mes paroles demeurent en vous, ce que vous voulez,demandez-le, et cela sera fait pour vous.

« En cela est glorifié mon père: que vous portiez beaucoup de fruits... »Ieschoua est celui qui communique l'information créatrice. Il est la source de l'information

créatrice. Que le « royaume de Dieu « soit comparé à un arbre, ou à un corps vivant, dans lesdeux cas celui qui fait partie de cet ensemble vivant, qui est l'arbre ou l'organisme, ne peut vivre,ne peut se développer, ne peut porter fruit, que s'il reste dans le corps, — ou dans l'arbre — parce

que c'est le corps, ou l'arbre vivant tout entier, qui est porteur de l'information créatrice. Celui quise sépare du Corps, de l'organisme vivant, celui-là ne reçoit plus l'information créatrice qui vientdu Germe. Ieschoua est ce Germe, tsemach49. 

conséquences qu'elle implique, c'est Maurice BLONDEL qui, dans sa grande Trilogie sur la Pensée, l'Êtreet l'Action,traite précisément de ces problèmes. Pour mieux comprendre la doctrine évangélique de la création, de lafructification, de la normative, et celle, que nous allons aborder, qui concerne le risque inévitable, dans cette

 perspective créatrice, de perdition, le lecteur ne peut mieux faire, nous semble-t-il, que de lire et de méditer cesouvrages d'ontologie génétique. Nous avons essayé d'en résumer les thèses principales dans notre Introduction à lamétaphysique de Maurice Blondel, Éditions du Seuil, 1963. 49 Nous avons noté dans notre précédent travail que Germe est le nom que des prophètes, au VIIe et VIe siècle avantnotre ère, donnent au roi messie attendu. Cf. Le problème de la Révélation, p. 304-305. 

Page 114: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 114/160

114

On voit, par cet exposé sur les conditions de la fructification, que quitter cet Ensembleorganique, comparé par Ieschoua à un arbre ou à une vigne, comme le firent le prophète Isaïe (Is.5. I), le prophète Jérémie (Jér. 2, 21) et le prophète Osée (10, I), — ou à un Corps, comme le fera

Schaoul-Paul (Rom. 12, 5; I Cor. 10, 17; 12, 13, 20, 27; Éph. 1, 23; 4, 4; 4, 12, 16; 5, 30; Col. 1,18), —  cela n'a biologiquement aucun sens. Quitter l'Organisme qui est porteur de l'informationcréatrice, c'est se condamner soi-même à la mort, et d'abord à la stérilité. Le réalisme ontologiquede la doctrine de l'Église, Corps dont Ieschoua est le principe d'information, la Penséeinformatrice, est inscrit dans ces textes. On ne peut bien comprendre ce réalisme ontologique que par analogie avec l'ordre biologique. Et c'est pourquoi Ieschoua prend presque toutes sesanalogies, pour enseigner l'ontologie et l'ontogenèse du royaume de Dieu, dans l'ordre biologique.L'inintelligence, ou la méconnaissance, du réalisme de l'ontologie du royaume de Dieu enformation, qui est l'Église, provient, en partie, d'une ignorance de ce que sont les lois de la vie.On s'imagine parfois que l'Église est une réalité d'ordre juridique, ou conventionnel. On traite par exemple des problèmes d'autorité dans l'Église et d'obéissance comme s'il s'agissait de questions

d'ordre juridique. On n'a pas compris qu'il s'agit de bien autre chose. Il s'agit d'une réalité qui a unstatut ontologique propre, et la meilleure analogie pour comprendre les problèmes posés par cetteréalité nouvelle qu'est l'Église, c'est encore l'ordre biologique qui la fournit, surtout aujourd'huiavec la meilleure connaissance que nous avons de ce qu'est l'information génétique.

Page 115: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 115/160

Page 116: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 116/160

116

nom, en ton nom n'avons-nous pas chassé les démons, et en ton nom n'avons-nous pas fait denombreux prodiges ?

« Et alors je leur déclarerai: » Je ne vous ai jamais connus; éloignez-vous de moi, vous qui

faites le mal. »Il n'y a pas, à notre connaissance, de doctrine plus redoutable, de doctrine plus tragique. Dans

une philosophie qui professe, comme certaines religions de l'Inde ou l'Orphisme, l'éternel retour,et la possibilité des réincarnations multiples, un homme qui a été injuste pendant une vie, et quidoit se réincarner, peut se purifier progressivement, et parvenir finalement, à travers desréincarnations multiples, à la paix. Rien n'est définitif.

Ici, avec la vision hébraïque du monde et avec l'enseignement du rabbi Ieschoua, la vie estunique. Il n'y a pas de réincarnation. Il n'y a pas d'éternel retour. L'histoire est un processus uniqueet irréversible qui tend et qui se hâte vers son terme. Il n'y aura pas de recommencement. Sil'histoire humaine est la durée accordée pour que l'humanité fasse son apprentissage, pour quel'homme fasse son apprentissage de dieu, pour chacun de nous, au terme de cet apprentissage, il y

a un résultat acquis, positif ou négatif, un bilan. Nous sommes aptes à entrer dans l'économie dela vie divine, ou bien nous n'y sommes pas aptes. Il ne s'agit pas de sanction extrinsèque. Il nes'agit pas de punition. Nous ne sommes pas au jardin d'enfants. Il s'agit d'un problème d'ontologie. N'importe qui, n'importe comment, n'est pas apte à prendre part à la vie divine, à supporter ce feudévorant qu'est la vie divine, car pour y prendre part, il faut y consentir activement et d'unemanière créatrice. Si l'on est un arbre stérile ou une branche sèche, on est coupé et jeté au feu, car on ne sert à rien. On est inutilisable. C'est un problème d'être, encore une fois, et non de morale.Personne ne peut éluder les conditions de l'être. Ieschoua est venu enseigner quelles sont lesconditions définitives de l'être et de la vie. Nul n'est obligé, contraint, d'écouter cet enseignementni de l'accepter ni de s'y conformer. Les conséquences, les sanctions, sont ontologiques et non juridiques, Il n'est pas nécessaire de rassembler un tribunal ni un juge pour constater qu'une

 branche sèche, dans laquelle la sève ne circule plus, est morte. C'est une question de fait, et nonde droit.

Enseigner, comme le fait Ieschoua, ce risque de perdition inhérent à notre condition decréature inachevée, et qui doit coopérer à sa propre création pour se réaliser, ce n'est pasméchanceté. C'est au contraire un acte d'amour. Dissimuler les exigences redoutables et lesconditions ontologiques de la genèse d'un être divinisable, c'est au contraire haïr cet être et luirendre le plus mauvais des services. C'est lui nuire au plus haut point. La possibilité de la perdition est inhérente à la grandeur du don proposé et à l'ambition du Créateur sur l'homme sacréature. Elle est simplement le revers de cette destinée qui lui est proposée, et qui ne peut seréaliser qu'avec le consentement actif de l'être créé, car nul être ne peut être divinisé malgré lui;cela n'aurait aucun sens. Enseigner cette possibilité négative de perdition, c'est encore enseigner 

quelque chose de positif, et d'une manière suprêmement aimante. Si un homme gravit unemontagne élevée, sur une route dangereuse, ce n'est pas l'aimer et ce n'est pas lui rendre serviceque de lui dissimuler les risques que comportent les précipices qu'il côtoie et qu'il frôle. Il faut aucontraire l'enseigner, pour son bien.

Laisser ignorer ce risque de perdition, ou le minimiser, c'est faire comme si le salut pour l'homme était automatique, comme si, quoi qu'il fasse, quoi qu'il pense, qu'il dise, quoi qu'il soit,l'homme entrera finalement dans le royaume du rabbi, le royaume de Dieu. C'est faire comme sile royaume était un lieu, un vaste restaurant dans lequel on parvient toujours à entrer, sous leregard indulgent du bon vieux patron. Or, le royaume de Dieu, selon Ieschoua, n'est pas un lieu.C'est de l'être, c'est de la vie, c'est la vie divine elle-même. Et l'être, la vie, la vie divine,comportent des exigences et des conditions qui sont inéluctables. Aucune indulgence, aucun

Page 117: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 117/160

117

 pardon ne peut faire que celui qui est sec et mort puisse prendre part à la vie de celui qui est Vie.Il ne s'agit pas, encore une fois, d'un jugement d'ordre juridique ou moral. Il s'agit d'un problèmed'être. Dieu peut redonner la vie à celui qui l'a perdue, mais dans ce cas-là, on le voit, ce n'est pas

son indulgence qui rend l'être capable d'entrer dans le royaume de Dieu. Ce n'est pas simplementle pardon. C'est une nouvelle création. 

C'est pourquoi la doctrine luthérienne de la justification nous paraît absolument étrangère à la perspective évangélique, et complètement en dehors du problème réel. Luther traite la questiond'un point de vue juridique. Dieu, selon lui, pardonne à l'homme son péché. L'homme est justifié parce que Dieu lui pardonne, par voie de non imputation (remisit per suamnon-imputationemexmisericordia, Commentaire de l'Épître aux Romains).Le mal subsiste, mais il n'est pas comptécomme péché. Le chrétien est juste et saint d'une sainteté étrangère ou extrinsèque; il est juste par lamiséricorde et la grâce de Dieu. Cette miséricorde et cette grâce n'est pas dans l'homme. Ce n'est pas un habitus ou une qualité dans le cœur... Elle consiste tout entière dans une indulgenceétrangère à nous. Le péché n'est pas formellement aboli. Il ne l'est que de façon réputative ou

imputative. Ainsi nous sommes réputés justes, mais cependant de telle sorte que nous sommesétablis dans des biens étrangers. En 1536, Mélanchton demandait à Luther s'il estimait quel'homme est justifié par un renouvellement intérieur, comme Augustin (après Paul...) paraîtl'admettre; ou au contraire par une imputation gratuite, extérieure à nous. Luther répondit: « Jesuis intimement persuadé et certain que c'est uniquement par une imputation gratuite que noussommes justes auprès de Dieu. » La formule de Concorde s'exprime en ces termes: « Notre justice tout entière est en dehors de nous; elle réside uniquement en Jésus-Christ. »

Le problème ontologique n'est pas vu. Luther se situe dans l'ordre juridique. Or il s'agit d'un problème d'être et de vie. Ieschoua enseigne quelles sont les conditions requises pour quel'homme entre dans la vie divine, pour qu'il vive. Ce n'est pas une question de droit ni de morale.La justice et la justification, dans le langage biblique, nous l'avons noté, c'est la vie même. Si

Dieu nous revivifie, en faisant de nous une nouvelle créature, alors nous vivrons. Et c'est cequ'enseignent les prophètes (Jérémie, Ézéchiel) et le rabbi Schaoul. Mais parler d'une justiceexclusivement imputée du dehors, et extrinsèque, cela n'a pas de sens, du point de vue des problèmes de l'être. A quoi sert à un homme d'être pardonné, s'il a perdu la vie et la possibilitéontologique de vivre ?

Ieschoua est venu, si l'on en croit son enseignement, revivifier une humanité malade, la guérir,et l'achever, en lui apportant une information créatrice nouvelle. Vivification, sanctification, justification, sont synonymes, dans la perspective biblique. Une imputation extrinsèque ne vivifie pas. Il s'agit de faire des hommes réellement des saints, il s'agit de sanctifier et donc de vivifier réellement l'humanité, et non pas seulement de pardonner, du dehors, à une humanité malade etcorrompue. Ieschoua est réellement guérisseur et re-créateur de l'humanité qu'il achève, dans tous

les ordres de l'existence humaine: somatique, psychologique, spirituel, intellectuel, politique. Cequ'on appelle en théologie la « rédemption », mot dont la plupart des gens en France ne peuvent plus comprendre le sens, parce que c'est un terme emprunté à un milieu ethnique qui nous estétranger, ce qu'on appelle la « rédemption » c'est tout cela: la guérison, la libération, la re-créationet l'achèvement, la divinisation de l'humanité. On voit qu'il s'agit de bien autre chose que d'un problème d'ordre juridique ou moral. Il s'agit d'ontologie, il s'agit d'un problème d'être et de vie.

Dans la tragédie païenne, le tragique, c'est la mort et le destin, la fatalité. Du point de vue juif et chrétien, la mort empirique, la mort physiologique, n'est pas le mal absolu, et il n'y a pas dedestin, pas de fatalité. A cet égard, il n'y a donc pas de tragédie. La mort empirique, c'est l'âme

Page 118: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 118/160

118

vivante qui cesse d'informer une matière avec laquelle elle constituait un corps vivant ou unechair animée. Personne ne peut affirmer que l'âme vivante, nephesch haiia, cesse d'exister, sous prétexte qu'elle cesse d'informer une matière pour constituer un corps vivant. Ce serait une

 pétition de principe que de le dire. Nombre de philosophes commettent cette pétition de principeet affirment sans savoir. Quant au « destin » et à la « fatalité », — ce sont des termes qui présupposent que tout est écrit, là-haut, et que nous ne faisons que « recopier » une existencetoute tracée, et prédéterminée. C'est encore une forme du préformationnisme. En fait, nul ne peutaffirmer, ici non plus, que nous ne faisons qu'exécuter des décisions qui ont été prisesantérieurement à nous, par les dieux. La vie, dans son histoire, se présente bien plutôt à nouscomme une improvisation géniale, où les êtres semblent de plus en plus aptes à apporter d'eux-mêmes des inventions nouvelles. L'homme est, sans doute, un être capable d'apporter uneinformation nouvelle, c'est-à-dire de créer.

De ce côté-là, donc il n'y a pas de tragédie, il n'y a plus de tragédie.L'échec, du point de vue chrétien, subit une transmutation. Ce qui, dans le système des valeurs

admises en général dans l'humanité, apparaissait comme un échec, Ieschoua enseigne justementque ce n'est pas forcément un échec. La pauvreté, qui semble un échec à la plupart des gens, n'est pas forcément un mal. Au contraire, ce peut être une chance. Le succès subit aussi une révision,dans la perspective chrétienne. Ce qui semblait succès et réussite, ne l'est pas forcément. Larichesse peut constituer un obstacle redoutable.

Donc, là encore, la tragédie est repensée, modifiée. La pauvreté n'est pas forcément tragique,ni la condition de celui qui est persécuté pour la justice. Ieschoua enseigne au contraire qu'ils sontheureux, les pauvres et les persécutés pour la justice.

Mourir n'est pas nécessairement une tragédie, ni même un mal. Schaoul-Paul écrira auxchrétiens de la communauté de Philippes: « J'ai le désir d'être résolu, délié (analusai) et d'êtreavec le Christ » (Phil. I, 23). Si le grain de blé ne tombe pas en terre et ne meurt pas, il reste seul

et ne porte pas de fruit. Nul ne peut dire, dans une existence concrète, ce qui est vraiment réussite et ce qui est

absolument échec, du point de vue chrétien. Personne ne peut en juger.Le seul échec véritable, la seule tragédie, du point de vue chrétien, c'est, si elle a lieu, cette

 perdition ultime et définitive d'un être appelé à prendre part à la vie de Dieu et qui ne le peut plus.C'est cela la mort véritable, la seule mort, la deuxième mort dont parle l’Apocalypse (2, 11; 20,14; 20, 6). Cette mort-là n'est pas la mort dont parle le biologiste, celle que l'on constate lorsquele principe d'information, l'âme vivante, est disparue hors du champ de notre expérience, et qu'ilne reste sous nos yeux qu'une matière qui a été informée, et qui maintenant ne l'est plus, elle sedécompose. La «seconde mort » est la mort en un sens ontologique.

Ieschoua est extrêmement ferme, presque dur dans le rappel des exigences requises pour quel'homme entre dans l'économie de la vie divine. Il s'exprime comme un chirurgien:

Mat. 18, 8: « Si ta main ou ton pied constituent pour toi une pierre d'achoppement qui risquede te faire tomber, coupe-le et jette-le loin de toi. Car il est meilleur pour toi d'entrer dans la viemanchot ou boiteux, plutôt que, ayant deux mains et deux pieds, d'être jeté dans le feu éternel.

« Et si ton œil constitue pour toi un obstacle pour te faire tomber {skandalizein), arrache-le et jette-le loin de toi.

« Car il est meilleur pour toi d'entrer avec un seul œil dans la vie, plutôt que, ayant deux yeux,

Page 119: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 119/160

119

d'être jeté dans la « géhenne »50 du feu. »

Cette dureté, encore une fois, n'est pas méchanceté. Elle est la fermeté de l'exigence de l'amour créateur divin. C'est la mollesse, en ce domaine, et la complaisance, la faiblesse, qui seraitcriminelle. L'amour créateur comporte des exigences. La fermeté de ces exigences ne dépend pasde l'arbitraire du créateur, mais des conditions ontologiques de la création.

Ieschoua, comme toujours, fait appel non pas à un esprit de sacrifice qui déboucherait sur levide, mais à l'intérêt bien compris. Il s'adresse à des paysans, à des hommes qui ont l'habitude detravailler avec leurs mains, à des ouvriers:

Mat. 7, 24: « Tout homme donc qui entend ces paroles miennes, et qui les fait, sera semblable àun homme sage, qui a construit sa maison sur la pierre.

« L'averse est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont précipités sur cette maison, et elle ne s'est pas effondrée, car elle était fondée sur la pierre.

« Et tout homme qui écoute ces paroles miennes, et qui ne les met pas en pratique, il seracomparé à un homme stupide qui a bâti sa maison sur le sable. L'averse est tombée, les torrentssont venus, les vents ont soufflé, et ils se sont jetés sur cette maison, et elle s'est effondrée, et sachute a été grande. »

Ieschoua enseigne que, si la création d'êtres capables d'entrer dans l'économie de la vie divine(le royaume de Dieu) comporte des exigences ontologiques inéluctables, et qu'il faut connaître, lavolonté du Créateur est que tous les êtres créés parviennent à leur achèvement normal, à leur 

terme, visé par le dessein créateur. Dans le cas de l'homme, la difficulté provient de ce que cettefin ne peut être atteinte sans le consentement et la coopération active et créatrice de l'être créé:

Mat. 18, 12: « Que vous en semble ? Si un homme a cent brebis, et que l'une d'entre elless'égare, est-ce qu'il ne laissera pas les quatre-vingt-dix-neuf sur les montagnes ? Il part et cherchecelle qui est égarée. Et s'il a la chance de la retrouver, vrai, je vous le dis, il se réjouit pour cette brebis plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont pas perdues.

« De même, ce n'est pas la volonté devant la face de votre père qui est dans les deux, que se perde un seul de ces petits. »

Il existe bien une indulgence évangélique, pour certains « péchés ». Nous l'avons vu, le rabbi

Ieschoua fréquente les gens dits de « mauvaise vie ». Il est indulgent à l'égard de la femmeadultère. Sur ce point, il est vrai de dire, que par rapport à la législation contenue dans leLévitique (20, 10) et le Deutéronome (22, 22-24) qui condamne à mort l'homme et la femmeadultères, à la mort par lapidation, — Ieschoua apporte un adoucissement. — En chrétienté, par lasuite, on a été très sévère pour le crime individuel, pour la prostituée et pour le tueur artisanal,mais on a été d'une complaisance sans limite pour les crimes commis collectivement, ces crimesqui s'appellent les « conquêtes... » On a filtré avec minutie le moucheron du péché individuel,gourmandise et sensualité, mais on a laissé passer le chameau du crime collectif; massacre d'un

50 La vallée de Bén-Hinnom, appelée aussi vallée de Hinnom (en hébreux: Gey-Hinnom) était un lieu où l'on brûlaitles enfants en l'honneur de Moloch. Cf, II Rois, 23, 10; Jer. 7, 32. 

Page 120: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 120/160

120

 peuple par un autre, oppression et asservissement d'une classe sociale par une autre, etc.Si Ieschoua manifeste une indulgence certaine à l'égard des péchés individuels qui relèvent des

« passions » élémentaires et biologiques de l'homme, par contre il relève l'importance

exceptionnelle, et la gravité redoutable d'un certain péché: le péché contre « l'esprit »:Marc, 3, 28: « Vrai, je vous le dis, tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les

 blasphèmes, autant qu'ils en auront blasphémé. Mais celui qui blasphème contre l'esprit saint, n'a pas de pardon pour la durée (éternelle), mais il est coupable d'un péché éternel. »

Mat. 12, 31: « Tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contrel'esprit ne sera pas remis.

« Et si quelqu'un dit une parole contre le fils de l'homme, cela lui sera remis. Mais celui qui parlera contre l'esprit saint, cela ne lui sera pas remis, ni dans la durée présente ni dans la durée àvenir (ni dans le monde présent ni dans le monde à venir). »

Qu'est-ce donc que ce péché contre l'esprit ? Les passions élémentaires qui conduisentl'homme et la femme à commettre ces péchés que sont le vol, le mensonge, l'adultère, l'ivrognerie

et même le meurtre, n'engagent pas forcément de leur part, le plus souvent, une optionfondamentalement mauvaise, ni volontairement opposée au dessein de Dieu. L'homme qui prendce qui ne lui appartient pas, le fait parce qu'il en a envie. Il recherche un bien, le sien, — auxdépens d'un autre. Mais ce n'est pas un péché contre l'esprit. Ces péchés-là, semble enseigner Ieschoua, ces péchés humains, trop humains, sont rémissibles. Ils peuvent comporter larepentance, le renouvellement, et donc le pardon.

Mais il existe, enseigne Ieschoua, un péché spirituel. Il ne s'agit plus alors de passionsélémentaires, biologiques, qui cherchent à trouver satisfaction, par tous les moyens. Il s'agit d'uneoption, d'une orientation de l'esprit. Le larron, le voleur des grands chemins, la prostituée, le pécheur public, peuvent écouter l'enseignement du rabbi, et l'aimer. Ils peuvent se faufiler timidement parmi la foule de ceux qui l'écoutent. Ils peuvent même s'enhardir jusqu'à l'inviter à

souper. Ils peuvent inonder ses pieds de larmes. Mais qu'en est-il de ceux qui n'aiment pasl'enseignement du rabbi, qui n'aiment pas l'esprit évangélique, et cela froidement, calmement,d'une manière apparemment définitive ? Chez le larron et la prostituée, chez la femme adultère, il peut y avoir amour et repentance. Mais qu'en est-il de celui chez qui il n'y a pas d'amour ?

C'est, souvent, le péché des philosophes. C'est le péché de gens très vertueux, qui n'ont pas de passions physiques violentes, mais qui, froidement, spirituellement et intellectuellement, sont enopposition avec l'esprit qui se dégage de l'enseignement évangélique, avec l'esprit qui informel'enseignement évangélique tout entier, et qui le détestent. Dans ce cas, on voit mal comment pourrait surgir la repentance et le renouvellement, car il n'y a même pas conscience d'être en étatde péché. Il y a une conviction intellectuelle et spirituelle opposée radicalement et absolument àl'esprit évangélique, une opposition d'ordre non plus passionnel mais spirituel.

 Nous nous demandions, dans notre précédent travail, comment comprendre la résistancequ'opposent, à l'information apportée par les prophètes hébreux, les princes, les prêtres, lesdignitaires de la nation, et puis le peuple tout entier. Nous avons vu qu'il y a plusieurs types derésistance à l'information. Du côté politique, un État totalitaire n'a pas intérêt à laisser passer l'information. Il oppose la censure. Du côté économique, on peut avoir intérêt à ne pas laisser lalumière se faire sur certaines méthodes, certains procédés, certaines combinaisons. Là encore, lacensure va intervenir. Dans l'ordre psychologique, ce que les psychologues appellent «l'inconscient », oppose une résistance à la prise de conscience de ses propres conflits et de ses propres pulsions. Dans tous ces cas, nous avons une résistance à l'information, à la vérité, qui esttraquée, persécutée, refoulée. Nous avons la censure.

Il existe aussi une résistance dans l'ordre intellectuel et scientifique. L'histoire des sciences le

Page 121: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 121/160

121

montre: une découverte scientifique vraiment nouvelle, qui renouvelle non seulement les détails,mais la vision du monde, qui impose un renouvellement des catégories fondamentales de la pensée, des cadres reçus, qui démolit ces cadres et qui impose une refonte des concepts de base

(par exemple la découverte de l'évolution biologique, des quantaou de la relativité, la découvertede l'expansion de l'univers, les découvertes de Freud, et bien d'autres), — de telles découvertesrencontrent toujours une résistance qui est proportionnelle à l'importance du renouvellementexigé, et à l'inertie des esprits installés dans les chaires, non pas de Moïse, mais de l'enseignementscientifique.

Dans ce cas, la résistance à l'information nouvelle apportée par un jeune génie comme Einsteinou Freud s'explique par la paresse de l'intelligence qui ne veut pas faire l'effort douloureux,suprêmement pénible, qui consiste à réviser tous les concepts de base, les notions classiquesauxquels elle était habituée. Il est extrêmement fatigant de repenser toutes les structures mentalesque nous avons acquises péniblement à l'école et à l'université, et d'en faire la critique radicale. Ilest fatigant de recommencer tout à zéro. C'est ce à quoi oblige une théorie scientifique vraiment

nouvelle. Elle rencontrera donc une résistance dans laquelle l'inertie de l'intelligence et aussi lavanité, le fétichisme des idées reçues, vont se conjuguer pour organiser la lutte contre l'imprudentnovateur. Il n'y a pas qu'en théologie que l'on trouve des pharisiens et des docteurs de la Loi, prêts à faire crucifier celui qui dérange et qui sème le trouble en apportant une vision nouvelledes choses. En médecine aussi, et dans toutes les disciplines scientifiques.

Lisons à ce propos ce texte d'un spécialiste de philosophie des sciences et d'épistémologie,concernant celui qui apporte une découverte vraiment nouvelle. Dans un travail consacré au rabbicrucifié il se trouve parfaitement à sa place, car il dit dans une langue à peine différente cetterésistance que rencontre le nouveau, l’intrus. 

On sait bien que le développement des connaissances dites « exactes » ne se fait pas par lasimple découverte ou par le gain direct: de faits nouveaux ou de vérités jusque-là inconnues, qui

viendraient tout naturellement s'intégrer à l'ensemble des résultats déjà acquis. La tâche dusavant, quelle que soit d'ailleurs sa discipline particulière, ne consiste pas simplement à faireentrer du nouveau dans une perspective déjà bel et bien organisée, bien qu'encore incomplète.Dans l'histoire des sciences, le nouveau qui compte vraiment, c'est moins celui qui se prête à unefacile et harmonieuse intégration dans une perspective déjà toute faite que celui qui ne trouveaucune place qui lui convienne déjà, dans aucune des perspectives déjà existantes. Celui quicompte, c'est le nouveau qui n'entre pas seulement en scène comme un inconnu qui demandesimplement à être reçu sans trop de dérangements. C'est au contraire l'intrus que personnen'attendait, dont personne ne prévoyait l'existence, l'intrus qui ne craint pas le scandale et qu'il estcependant impossible de mettre à la porte, auquel il faut finalement faire place, même si l'on ne peut faire autrement que de remettre en cause des habitudes qu'on croyait intangibles ou des droits

qu'on tenait pour assurés.« Dans toute activité sincère de recherche, si désagréable que l'intrus puisse être, il doit être

traité comme un hôte de marque, car il se pourrait qu'il le fût. Le souci de l'imprévisible, c'est lesouci des droits imprescriptibles de l'intrus.

«... Le souci de l'imprévisible, c'est donc le souci de ne pas énoncer au nom de ce que noussavons déjà, des règles si strictes, et de ne pas nous lier à des situations si fermées que le nouveaune puisse plus y être intégré avec sa valeur authentique et parfois bouleversante51. »

Mais le rabbi Ieschoua enseigne qu'il existe aussi une résistance d'ordre spirituel. Celle-là est la plus grave de toutes, la plus profonde, la plus décisive. Tant qu'elle dure, rien n'est possible.

51 F. GONSETH, Philosophie néo-scolastique et philosophie ouverte, Paris, 1954, p. 189 sq. 

Page 122: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 122/160

122

L'information ne passera pas si elle rencontre une résistance de cet ordre. Les résistances politiques, économiques, psychologiques, même intellectuelles, peuvent être franchies. Les barrages peuvent être brisés. Des contrebandiers, qui vont à travers les montagnes (tras los

montes),  peuvent essayer de faire passer l'information, malgré toutes ces résistances. Maisl'opposition spirituelle, elle, est invincible. Là, il n'y a rien à faire. C'est, nous semble-t-il, — et sinous l'avons bien compris sur ce point particulièrement difficile, — ce qu'enseigne le rabbiIeschoua.

Cette opposition spirituelle pure, comporte, nous semble-t-il des analogies avec ce que lesthéologiens d'autrefois appelaient « le péché angélique ». Car les hommes qui font ainsiopposition au christianisme, au niveau de l'esprit, sont, très souvent, nous l'avons dit, des hommes parfaitement honnêtes, intègres, sans reproche du point de vue moral, sans passions,incorruptibles du point de vue politique ou économique, fort intelligents, très instruits. Donc,toutes les résistances que nous avons évoquées: politique, économique, intellectuelle, — ne sont pas ici celles qui jouent un rôle décisif. Simplement, ces hommes n'aiment pas l'enseignement

évangélique, plus précisément l'esprit évangélique qui informe tout cet enseignement. Or selon lechristianisme, l'esprit qui informe cet enseignement, c'est l'Esprit de Dieu, l'Esprit saint qui estcelui du Créateur et aussi celui de Ieschoua.

Page 123: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 123/160

123

XIX. LA FOI

Le mot « foi », dans l'univers de la pensée contemporaine, est déterminé, quant à sasignification, par certains auteurs, qui sont Guillaume d'Occam, Luther, Pascal, Descartes, Kant,Kierkegaard, Karl Barth, Bultmann, et d'autres. Quoi qu'il en soit d'ailleurs de ceux qui ont donnéau terme de « foi » la signification qu'il comporte aujourd'hui, il semble certain que, dans lelangage français contemporain, le mot « foi » désigne une croyance et se distingueessentiellement de la « raison ». Il y a l'ordre de la raison, de la connaissance rationnelle, de lascience. Dans ce domaine, il y a argumentation, connaissance certaine, on peut rendre raison deses convictions, de son assentiment. Et puis il y a l'ordre de la « foi ». Là, nous sommes dans ledomaine de l'irrationnel, des libres options. On ne peut pas rendre compte rationnellement des «options » de la « foi » de chacun. C'est une question de « foi », c'est-à-dire que ce n'est pas unequestion de connaissance rationnelle, objective, positive, certaine, communicable d'intelligence à

intelligence. La « foi » est une conviction individuelle, souvent sentimentale, affective, et noncommunicable, puisque dans le sujet lui-même qui la professe elle ne trouve pas de raisonsuniverselles capables de se justifier.

Telle est nous semble-t-il, la manière dont on entend le mot « foi » dans le langage françaiscontemporain.

Il faut savoir que dans le Nouveau Testament, le mot grec pistis, que nous traduisons en languefrançaise par « foi », ne signifie nullement ce que nous venons de dire. Il a un tout autre sens. Pour comprendre la signification du mot grec pistis que nous traduisons par « foi », il faut changer d'univers mental et de système de référence. Il faut retrouver la signification originelle des termeshébreux et araméens que traduisent pistis, pisteuein, pistos, etc.

Dans la Bible hébraïque, nous l'avons noté dans nos précédentes études, l'existence de Dieu

n'est pas un objet de « foi » au sens où, dans la langue française contemporaine, on entend la « foi». Dans la tradition hébraïque, dont la Bibliothèque sacrée des Hébreux nous a laissé l'expression,l'existence de Dieu est une question de connaissance. Dieu est connu, à partir de sa création, lemonde, et à partir de son action dans l'histoire, en Israël. Cela, nous l'avons vu dans notre précédent travail52. Nous avons essayé de dégager comment Dieu se fait connaîtreet vérifier enIsraël, dans l'histoire d'Israël.

Lorsque, dans la Bible hébraïque, il est dit que les Hébreux n'ont pas « cru » en Yhwh (par ex. Nombres, 20, 12; 14, 11; Deut. 9, 23; I, 32; Psaume, 106, 12, 24; Ps. 78, 22, 32, 37; Ps. 116, 10),cela ne signifie pas qu'ils ont douté de son existence. Cela signifie qu'ils ne se sont pas fiés à lui,qu'ils n'ont pas considéré comme vrai ce qu'il avait dit par l'intermédiaire des prophètes, qu'ils nese sont pas appuyés sur lui, qu'ils ont cherché ailleurs un recours. On peut douter de quelqu'un

sans mettre en doute son existence. On peut douter de la puissance, de l'intelligence, de la fidélité,de la loyauté, de l'honnêteté de quelqu'un, sans pour autant mettre en question l'existence de cette personne.

En lisant les Évangiles, nous constatons qu'un homme, Ieschoua, parcourt les routes de laJudée et de la Galilée, en guérissant et en enseignant. Des hommes de toutes sortes assistent à cefait. Les uns pensent que le rabbi Ieschoua a la puissance de guérir les malades, que cette puissance lui vient de Dieu, que son enseignement est véridique. Les autres, constatant lesguérisons qu'il effectue, ne les mettent pas en doute, car cela est impossible devant l'expérience,et nous n'avons aucune trace, dans la littérature juive primitive, d'un doute élevé sur le fait que

52 Le Problème de la Révélation, p. 165 et sq. 

Page 124: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 124/160

124

Ieschoua guérissait. Mais certains, en présence de ces guérisons effectuées à ciel ouvert, devanttout le peuple, les interprètent, nous le verrons, autrement que le peuple. Ce ne sont pas, disent-ils, des guérisons effectuées par la puissance de Dieu, mais par la puissance du Mauvais, de

Satan. Les mêmes pensent que ce que dit Ieschoua n'est pas vrai. Ils ne le considèrent pas commevéridique. Ils soutiennent que c'est un imposteur. Ils n'ont pas « foi » en lui.

Pour comprendre, pour entendre la signification du mot « foi », qui traduit pistis, dans lesÉvangiles, nous allons lire quelques textes. Petit à petit, nous allons ainsi nous « faire l'oreille » pour tâcher de discerner ce que signifie ce terme dans la langue des Évangiles. Nous allons voir que, pour entendre correctement ce mot, dans sa signification originelle, il faut changer la « clef »qui se trouve sur la portée. Ce n'est plus la tradition d'Occam, Luther, Pascal, Descartes, Kant...qui commande ici. Nous sommes dans un autre système de référence, hétérogène.

Ieschoua parcourt les routes, traverse les villages, guérit des malades de toutes sortes, et ilenseigne. Sa réputation se répand dans tout le pays. Certains malades entendent parler de lui. Ilsécoutent ce qu'on dit de lui, ce qu'il a fait, ce qu'il enseigne, comment il se comporte, quel genre

d'homme il est. Ils réfléchissent sur ces données, et ils parviennent à la conclusion que cet homme,qu'ils n'ont pas encore vu, dont ils n'ont pas encore pu vérifier par eux-mêmes les pouvoirs, estcapable, en effet, de les guérir. Ils pensent que Ieschoua a ce pouvoir. Penser que cela est vrai, c'estcela, en première approximation, la foi, au sens où ce terme est employé dans les Évangiles. Lafoi, dans le langage biblique, n'est pas dissociable de la vérité. Elle est l'assentimentde l'intelligenceàunevéritéreconnue, discernée, obscurément peut-être, mais avec certitude.

Luc, 5, 12: « Pendant qu'il était dans l'une des villes, voici un homme plein de lèpre. VoyantIeschoua, il tomba sur la face, et il le suppliait en disant: « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. »

« Ieschoua étendit la main, le toucha et dit: Je le veux, sois purifié. Et aussitôt la lèpre lequitta. » (Cf. Mat. 8, 1; Marc, 1, 40.)

La foi est ainsi, en première approximation, une conviction, fondée sur des donnéesantérieures — la réputation de Ieschoua, ce qu'il a déjà fait, ce qu'il enseigne, ce qu'il est — et par laquelle on pense qu'en effet Ieschoua a ce pouvoir extraordinaire de guérir.

Elle est donc une certaine connaissance de ce que Ieschoua est, de sa nature et de sa puissance.Elle est une intuition de sa divinité.

Cette conviction, fondée sur des données antérieures, sur une expérience antérieure, peut être plus ou moins grande, plus ou moins audacieuse. Ieschoua ne demande aucune « foi » en sa personne avant d'avoir fait aucune guérison, avant d'avoir opéré aucun « signe ». La « foi » estfondée sur les guérisons antérieures, qui sont des signes. Elle est donc de nature expérimentale.C'est une induction. Elle est fondée dans l'expérience.

Mais elle peut anticiper. Elle peut aller plus loin que l'expérience antérieure déjà établie. Ainsi,

un centurion, qui avait entendu parler des guérisons opérées par Ieschoua, et qui, peut-être, enavait vu effectuées sous ses propres yeux, demande à Ieschoua de guérir son enfant, à distance,sans imposer les mains. Apparemment, Ieschoua n'avait pas encore fait cela. Le centurion penseque Ieschoua est capable de faire cela. Il le pense à cause de ce qu'il sait par ailleurs de Ieschoua.Là encore, ce que pense le centurion n'est pas fondé sur rien. Ce n'est pas une croyance absurde,sans fondement expérimental. C'est une conviction fondée sur une expérience antérieure, maisqui va plus loin, cette fois-ci, que l'expérience déjà donnée: Aussi Ieschoua admire-t-il cette « foi» qui est une connaissance, une divination. Le centurion a deviné qui était Ieschoua, et ce dont ilétait capable, avant de l'avoir constaté. Il a fait acte d'intelligence, plus que les autres, quin'avaient pas deviné cela:

Mat. 8, 5: « Comme il était entré à Capharnaüm, un centurion * s'approcha de lui, en

Page 125: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 125/160

125

l'implorant, et lui disant:« Seigneur, mon enfant est couché à la maison, paralysé, torturé par la douleur terriblement.

(Ieschoua) lui dit: « Je vais y aller et je le guérirai. » Répondant, le centurion dit:

« Seigneur, je ne suis pas cligne que tu entres sous mon toit; mais dis seulement un mot, etmon enfant sera guéri. Car moi je suis un homme soumis à une autorité, et j'ai sous mes ordresdes soldats. Je dis à celui-ci: « Va », et il va. Et à un autre: « Viens ! » et il vient. Et à monesclave, je dis « Fais cela », et il le fait. »

« L'ayant écouté, Jésus fut dans l'étonnement et il dit à ceux qui l'accompagnaient: « Amen,véritablement, chez personne je n'ai trouvé une aussi grande foi en Israël... » Et Jésus dit aucenturion: » Va, comme tu as cru, qu'il te soit fait. » Et son enfant fut guéri à cette heure-là. » (Cf.Luc, 7, 1.)

Ieschoua examine et mesure, il pèse la conviction, l'intuition de ceux qui viennent à lui pour demander une guérison. Cette conviction est fondée sur une expérience antérieure. Mais, danschaque cas particulier, elle attend une vérification nouvelle. Elle peut comporter un certain doute,

une inquiétude. C'est une induction qui se demande si le cas présent va vérifier la règle qui semblaitétablie par les expériences antérieures. S'il n'y a pas de doute, pas d'hésitation, Ieschoua dit que lafoi est grande et il agit en conséquence.

Lorsqu'il constate chez des hommes et des femmes cette pistis, cette foi, qui est une confianceen lui, fondée sur un discernement intuitif de ce qu'il est, sur une intelligence profonde de ce qu'ilest, intelligence fondée elle-même sur une expérience, celle qu'il constitue par ses actes, sa personne et son enseignement, — Ieschoua dit souvent: « tes péchés te sont remis ». Pourquoidit-il cela ?

Il nous semble qu'il dit cela parce que cette connaissance de ce qu'il est, cette intelligence, cediscernement qu'est la foi au sens évangélique du terme, est elle-même le signe et la manifestationd'un renouvellement intérieur, d'une certaine ébauche de sainteté. Cette intelligence n'est pas

 possible sans une orientation saine et sainte de la liberté et de la volonté. L'intelligence et laliberté ne sont pas dissociables. Il y a un mérite à cette intelligence qui est la foi, de même qu'il ya, selon l'Évangile, un péché dans cette inintelligence qu'est l'incrédulité, qui provient, ditIeschoua, d'un endurcissement du cœur:

Luc, 5, 17: « Un jour, il enseignait, et il y avait là assis des pharisiens et des docteurs de la Loi,qui étaient venus de toute la région de la Galilée, de la Judée et de Jérusalem...

« Et voici des hommes qui portent sur un lit un homme qui était paralysé, et ils cherchaient àle faire entrer pour le placer devant lui. Us ne trouvèrent pas de passage pour l'introduire, à causede la foule. Alors ils montèrent sur la terrasse et le firent descendre à travers les tuiles avec sonlit, en plein milieu, devant Ieschoua.

« Il vit leur pistis, leur foi, et il dit: Homme, tes péchés te sont remis. »

Marc, 2, 3: « Ils viennent et lui amènent un paralytique porté par quatre hommes. Et comme ilsne peuvent pas le lui apporter à cause de la foule, ils défirent le toit de l'endroit où il était, et ayantfait une ouverture, ils laissent descendre le grabat sur lequel était couché le paralytique. EtIeschoua voyant leur foi, dit au paralytique: fils, tes péchés te sont remis. »

Mat. 9, 2: « Et voici, ils lui apportaient un paralytique, couché sur un lit. Et Ieschoua voyantleur pistis, leur foi, dit au paralytique: « Aie confiance, fils, tes péchés sont pardonnes. »

Il ne s'agit pas seulement d'un pardon extrinsèque des péchés, au sens luthérien. La foi attestequ'il y a déjà une ébauche de sainteté qui est en route.

C'est en ce sens que la foi, selon l'enseignement des Évangiles, sauve, car elle est un acteméritoire, un acte de l'intelligence qui indique une certaine sainteté de la volonté:

Mat. 9, 18: « Un grand personnage s'approche de lui, se prosterne, et dit: Ma fille vient de

Page 126: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 126/160

126

mourir. Mais viens, pose ta main sur elle, et elle vivra.« Ieschoua se leva, et il l'accompagna, et ses disciples avec lui.« Et voici qu'une femme, atteinte d'une perte de sang depuis douze ans, s'approcha par derrière

et elle toucha la frange de son vêtement. Car elle se disait en elle-même: si seulement je parviensà toucher son vêtement, je serai sauvée.

« Ieschoua se retourna, la regarda et dit: Courage, fille, ta foi t'a sauvée. Et la femme fut guérieà partir de cette heure.

« Ieschoua arriva à la maison du notable. Il vit les joueurs de flûte et la foule agitée, et il dit:Retirez-vous; car la petite fille n'est pas morte, elle dort.

« Et les gens se moquaient de lui.«Lorsque la foule fut sortie, il entra, prit la main de la petite fille, et la petite fille se leva.«Le bruit que fit cette affaire se répandit dans toute cette région. »(Cf. Marc, 5, 21; Luc, 8,

40.)Marc, 5, 35: «Pendant qu'il parlait encore, des gens viennent de chez le chef de synagogue en

disant: ta fille est morte: pourquoi fatigues-tu encore le rabbi ? Mais Ieschoua ayant entendu ces paroles, dit au chef de synagogue: Ne crains pas, crois seulement. Et il ne permit à personne devenir avec lui, si ce n'est Pierre, et Jacques et Jean le frère de Jacques.

" Ils arrivent à la maison du chef de synagogue, et il voit un tumulte, et des gens qui pleurentet qui poussent des cris.

«Il entra et il leur dit: pourquoi ce tumulte et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, mais elledort.

«Et ils se moquaient de lui.« Lui, il chasse tout le monde, prend avec lui le père de l'enfant, et là mère, et ceux qui étaient

avec lui, et il entre là où était l'enfant.«Il prit la main de l'enfant, et il lui dit: Talitha koum, ce qui signifie en traduction: petite fille,

 je te le dis, lève-toi !«Et aussitôt la petite fille se leva, et elle marchait. Car elle avait douze ans. »Des aveugles,

ayant entendu dire ce que faisait Ieschoua, ce qu'il avait fait ailleurs, pensent qu'il est vrai que cerabbi a le pouvoir de les guérir de leur cécité. Cette pensée-là, c'est la foi:

Mat. 9, 27: «Ieschoua s'en alla, et deux aveugles le suivirent, en criant et en disant: aie pitié denous, fils de David !

«Il arriva à la maison, et les aveugles s'approchèrent de lui. Ieschoua leur dit: est-ce que vouscroyez que je peux faire cela ? Ils lui disent: Oui, Seigneur. Alors il toucha leurs yeux en disant:selon votre foi, qu'il soit fait pour vous I

«Et leurs yeux s'ouvrirent. Et Ieschoua leur défendit sévèrement en ces termes: voyez à ce que personne ne le sache !

«Mais eux, les deux aveugles, le firent connaître dans toute cette région. »Mat. 20, 29: «Ilssortirent de Jéricho, et une foule nombreuse l'accompagnait. Et voici que deux aveugles assis au bord de la route, ayant entendu que Ieschoua passait, crièrent en disant: Seigneur, aie pitié denous, fils de David.

«La foule les menaça pour qu'ils se taisent. Mais eux, ils criaient encore plus fort en disant:Seigneur, aie pitié de nous, fils de David.

«Ieschoua s'arrêta, les appela et dit: que voulez-vous que je vous fasse ?«Ils lui disent: Seigneur, que s'ouvrent nos yeux ! Ayant eu compassion, Ieschoua toucha leurs

yeux, et aussitôt ils recouvrèrent la vue et ils le suivirent. »Marc, 10, 46: «Ils arrivent à Jéricho. Etcomme il sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée — Bartimée — un mendiant aveugle, était assis au bord de la route.

Page 127: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 127/160

127

«Entendant que c'est Ieschoua de Nazareth, il commença à crier et à dire: Fils de David,Ieschoua, aie pitié de moi. Et beaucoup de gens le houspillaient pour qu'il se taise. Mais lui criait beaucoup plus fort: Fils de David, aie pitié de moi.

«Ieschoua s'arrêta et il dit: Appelez-le !«Et ils appellent l'aveugle en lui disant: courage, lève-toi, il t'appelle.«Lui, il rejette son manteau, il bondit et vint vers Ieschoua.« Ieschoua lui répondit et dit: que veux-tu que je te fasse ?« L'aveugle lui dit: Rabbouni, que je voie !« Ieschoua lui dit: Va, ta foi t'a sauvé.« Et aussitôt il retrouva la vue, et il l'accompagna dans le chemin. » (Cf. Luc, 18, 35.)Mat. 15, 21: «... Ieschoua se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Et voici qu'une femme,

une cananéenne sortie de ces contrées criait en disant: Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David.Ma fille est tourmentée par un démon. Mais lui, il ne lui répondit pas un mot. Ses discipless'approchèrent de lui et lui demandèrent: renvoie-la, car elle crie après nous. Ieschoua répondit en

disant: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. Mais la femme vint ets'agenouilla devant lui en disant: Seigneur, viens à mon secours. Il répondit: Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. La femme dit: Oui, Seigneur. Mais les petits chiens mangent bien des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Alors Ieschoua luirépondit et lui dit: Femme, ta foi est grande. Qu'il te soit fait comme tu veux. Et sa fille fut guérieà partir de cette heure-là. » (Cf. Marc, 7, 24.)

D'après ces quelques exemples, nous voyons que la « foi », dans le langage des Évangiles, estune conviction, qui n'est pas irrationnelle, ni irraisonnée, mais une véritable intelligence fondéesur une expérience antérieure, celle des guérisons passées du rabbi, et par laquelle on pense qu'ilest vrai que le rabbi a ce pouvoir de guérir. Cette conviction est une connaissance fondée sur uneexpérience. Dans chaque cas particulier, elle anticipe sur l'avenir, puisqu'elle considère comme

 possible ce qui n'est pas encore réalisé, ce que le rabbi va réaliser. C'est une induction qui va desexpériences passées à des cas particuliers qui se présentent, en passant par  la conviction que ceque le rabbi a fait dans le passé, il peut le faire aussi maintenant, et plus encore. Finalement, c'estune connaissance fondée sur une expérience et qui porte sur ce qu'est le rabbi, sur sa nature, sur la puissance qui est en lui, puissance qui manifeste sa nature, à savoir ce qu'il est, qui il est. C'estdonc un discernement, à partir d'expériences concrètes qui sont des signes, de ce qu'est le rabbi.C'est une lecture intelligente de signes.

Le fait des guérisons opérées par le rabbi Ieschoua ne semble pas avoir été mis en doute par quiconque dans l'entourage du rabbi en son temps. Le fait des guérisons effectuées par le rabbiest trop bien établi, nous semble-t-il, par les témoignages multiples, qui, aux yeux du critique,sont de très bonne qualité, pour qu'il soit permis à l'historien de les mettre en doute. Il faut, sur ce

 point, partir des faits relatés avec beaucoup de solidité par les traditions, et non pas, comme le propose Renan, d'a priori philosophiques contestables.

Reste à interpréter le fait, du point de vue philosophique. Ce qui est remarquable, enl'occurrence, c'est justement que les adversaires du rabbi Ieschoua n'ont pas nié le fait desguérisons, mais ils l'ont interprété de manière à désamorcer les conclusions que le petit peuple pensait pouvoir en tirer. Oui, disaient-ils, le rabbi fait des guérisons incontestables, mais il lesréalise, non par la puissance de Dieu, mais par la puissance que lui confère une réalité infernale,le démon:

Mat. 9, 32: « On lui amena un sourd-muet possédé d'un démon. Le démon fut chassé, et lesourd-muet parla. Les foules étaient dans l'étonnement. On disait: jamais rien de tel ne s'est vu enIsraël.

Page 128: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 128/160

128

« Mais les pharisiens disaient: C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons. »Mat. 12, 22: « Alors lui fut amené un démoniaque aveugle et muet; et il le guérit, en sorte que

le muet parlait et voyait. Et elles étaient frappées d'étonnement, toutes les foules, et elles disaient:

Est-ce que celui-ci n'est pas le fils de David ? Mais les pharisiens, en entendant cela, dirent: Celui-ci ne chasse les démons que par Béelzéboul, le prince des démons. » (Cf. Marc, 3, 22; Luc, 11, 14.)

Le fait que les adversaires de Ieschoua ne nient pas le fait des guérisons, mais qu'ilsl'interprètent comme ils le font, est remarquable pour nous, car il aurait été beaucoup plus simple,si cela avait été possible, de nier tout simplement le fait des guérisons opérées par le rabbi. Si lesadversaires de Ieschoua n'ont même pas essayé de nier le fait, et s'ils se sont évertués à interpréter théologiquement le fait comme on voit qu'ils l'ont tenté, c'est que vraiment il n'était pas possiblede procéder autrement. Cela donne au fait des guérisons, pour nous au XXe siècle, un caractère devraisemblance encore plus grand.

Les adversaires de Ieschoua interprètent les guérisons opérées par le rabbi d'une manièrethéologiquement négative. Cela prouve qu'en présence de cette expérience, offerte à tous, qu'était

l'œuvre de guérison, plusieurs interprétations étaient possibles. Nul n'était contraint d'interpréter la puissance manifeste de guérison qui était entre les mains du rabbi Ieschoua, comme venant deDieu. On pouvait supposer, apparemment, que cette puissance venait du diable. Mais, ce qui paraissait certain à tous, admirateurs et adversaires de Ieschoua, c'est qu'elle était plusqu'humaine.

 Nous verrons plus loin comment le rabbi Ieschoua communique à ses auditeurs-apprentis, àses étudiants en théologie et en anthropologie, le pouvoir de communiquer à leur tour l'information qui vient de lui, le pouvoir d'enseigner, et le pouvoir de guérir. Justement, certainstextes attestent que les disciples avaient essayé, du vivant de Ieschoua, de faire comme leur rabbi,

de guérir. Certains échecs amènent le rabbi à expliquer pourquoi les disciples ne sont pas parvenus à guérir comme leur maître:

Mat. 17, 14: « Un homme s'approcha de lui, tomba à genoux et lui dit: Seigneur, aie pitié demon fils, il est épileptique, il va mal. Souvent en effet il tombe dans le feu et souvent dans l'eau.Et je l'ai amené à tes disciples, et ils n'ont pas pu le guérir.

« Ieschoua répondit et dit: Espèce sans foi et pervertie, jusqu'à quand serai-je avec vous ?Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ici.

« Et Ieschoua lui commanda, et la réalité démoniaque sortit de lui (de l'enfant) et l'enfant futguéri à partir de cette heure.

« Alors les disciples s'approchèrent de Ieschoua à l'écart et dirent: Pourquoi est-ce que nousn'avons pas pu le chasser ?

« Et lui leur dit: A cause de votre peu de foi. Vraiment, je vous le dis, si vous aviez la foicomme une graine de sénevé, vous diriez à cette montagne: transporte-toi d'ici là-bas ! et elle sedéplacerait, et rien ne vous serait impossible. »

La foi, qui est une connaissance fondée sur une expérience et une intelligence réalisée par undiscernement des signes, est donc, selon le rabbi, aussi une puissance. 

Mat. 21, 21: « Vrai, je vous le dis, si vous aviez la foi et si vous ne doutiez pas (...) vous diriezà cette montagne: enlève-toi de là, et jette-toi dans la mer, — et cela se fera.

« Et tout ce que vous demanderez dans la prière, ayant la foi, vous le recevrez. »

La foi ne porte pas seulement sur la personne de Ieschoua. Elle peut porter aussi sur la

Page 129: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 129/160

129

 personne d'un prophète comme Iohannan, l'ascète du désert de Juda qui baptisait dans le Jourdain,ainsi qu'on peut le constater par le texte suivant:

Mat. 21, 31: « Ieschoua leur dit: Vrai, je vous le dis, les percepteurs d'impôts au service de

l'occupant, et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu.« Car Iohannan est venu vers vous dans la voie de la justice, et vous n'avez pas cru en lui. « Les percepteurs d'impôts et les prostituées ont cruen lui.« Vous avez vu, et vous ne vous êtes pas repentis plus tard, pour croire en lui, » Croire en Iohannan, c'est reconnaître qui il est, c'est discerner le prophète sous les apparences

de l'homme sauvage vêtu d'une tunique de peau et qui se nourrissait de sauterelles et de mielsauvage. C'est encore un discernement, une intelligence. Il s'agit de discerner la réalité spirituelle,invisible, cachée sous les apparences sensibles, dans les apparences sensibles. Il s'agit de savoir lire le donné expérimental.

La foi, nous l'avons noté déjà, peut comporter du plus et du moins, être plus ou moins grande.Elle peut comporter aussi une certaine part de doute et d'angoisse. C'est le cas du père de l'enfantépileptique:

Marc, 9, 17: « Un homme, de la foule, lui répondit: Rabbi, je t'ai amené mon fils. Il a un espritmuet. Et partout où il s'empare de lui, il le jette à terre, et il écume, il grince des dents et il devientraide. Et j'ai dit à tes disciples de le chasser, et ils n'ont pas pu.

« Lui, il leur répondit et dit: Génération sans foi, jusqu'à quand serai-je avec vous ? Jusques àquand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi.

« Et ils le lui amenèrent.« Et quand il le vit, l'esprit l'agita aussitôt convulsivement; et tombant à terre, il se roulait en

écumant.

« Et il interrogea son père: Combien de temps y a-t-il que cela lui est arrivé ?« L'autre dit: depuis son enfance. Et souvent il l'a jeté et dans le feu et dans l'eau, pour le faire

 périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, ayant pitié de nous.« Ieschoua lui dit: « Si tu peux ! » Tout est possible pour celui qui croit.« Et aussitôt, en criant, le père de l'enfant dit: Je crois. Viens au secours de mon manque de foi

! »

Constamment, le rabbi Ieschoua fait appel à l'intelligence, à la raison, de ceux qui l'entourentet qui assistent aux expériences qu'il leur propose, en guérissant, en enseignant. Ce que le rabbidemande, c'est une intelligence, une lecture, une interprétation correcte de ce donné expérimental

qu'il offre pendant le temps de sa vie publique:Luc, 12, 54: « Il disait aux foules: Lorsque vous voyez un nuage qui s'élève du côté du

couchant, aussitôt vous dites: la pluie vient ! Et il en est ainsi. Et lorsque le vent du sud-estsouffle, vous dites: il va faire chaud ! Et c'est ce qui arrive.

« Hypocrites, vous savez éprouver, discerner le sens, découvrir le sens, vous savez lire sur levisage de la terre et du ciel, comment ne savez-vous pas discerner le sens de la période présentedu temps? Discerner les signes du temps présent ?»

L'auteur du quatrième Évangile établit une relation constante entre les signes qu'opère le rabbiIeschoua, les démonstrations expérimentales signifiantes qui demandent à être interprétées, laconnaissance (gnosis), et la foi (pîstis). Les trois termes sont liés. La foi, pistis, c'est une intelligence,une connaissance, gnosis, qui est fondée sur un donné expérimental lequel est significatif, sêmeion.

Page 130: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 130/160

130

Les auditeurs-apprentis de Ieschoua croient en lui parce qu'ils ont vu les faits expérimentauxsignificatifs, et qu'ils les ont compris:

Jean, 2, 11: « Voilà le commencement des signes que fit Ieschoua, à Cana de Galilée, et il

manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »Jean, 2, 23: « Comme il était à Jérusalem pendant la Pâque, pendant la fête, beaucoup crurent

en son nom, voyant ses signes qu'il faisait. »Jean, 4, 39: « De cette ville, beaucoup crurent en lui, parmi les Samaritains, à cause de la

 parole de la femme qui témoignait: « Il m'a dit tout ce que j'ai fait. »« Lors donc qu'ils furent venus vers lui, les Samaritains, ils lui demandèrent de demeurer 

auprès d'eux. Et il resta là deux jours. Et beaucoup plus nombreux furent ceux qui crurent à causede sa parole à lui, et ils dirent à la femme: Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nouscroyons. Car nous-mêmes nous avons entenduet nous savons que celui-ci est vraiment le sauveur du monde. »

Jean, 6, 69: « Et nous nous avons cru et nous avons connu que toi tu es le saint de Dieu. »

Jean, 11, 45: « Nombreux parmi les Juifs, qui étaient venus auprès de Mariam et qui avaientvu ce qu'il avait fait, crurent en lui. Certains d'entre eux allèrent auprès des pharisiens et leur direntce que Ieschoua avait fait. Les grands prêtres et les pharisiens réunirent donc une assemblée, et ilsdisaient: Que faisons-nous ? Car cet homme fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi,tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils détruiront la ville et la nation. »

La dureté du cœur, ce qui signifie en langage biblique l'inintelligence, c'est ce que Ieschouareproche aux gens et aux villes qui ont vu les faits significatifs qu'il a opérés, et qui n'ont pas sulire ou discerner leur signification. Ils n'ont pas eu l'intelligence des signes expérimentauxeffectués:

Mat. II, 20: « Alors il commença à faire des reproches aux villes dans lesquelles avaient étéfaites les plus nombreuses de ses œuvres de puissance, parce qu'elles n'avaient pas opéré le

renouvellement du cœur:« Malheur à toi, Chorazeïn, malheur à toi, Bethsaïda !« Car si à Tyr et à Sidon avaient été faites les œuvres de puissance qui ont été effectuées parmi

vous, depuis longtemps déjà dans le sac et dans la cendre elles auraient fait repentance.« De sorte que, je vous le dis, pour Tyr et pour Sidon ce sera plus supportable, au jour du

 jugement, que pour vous.« Et toi, Capharnaüm, est-ce que tu seras élevée jusqu'au ciel ? (Is. 14, 13).« On te fera descendre jusqu'au schéol (Ézéchiel, 26, 20).« Car si à Sodome avaient été faites les œuvres de puissance qui ont été effectuées en toi,« elle aurait subsisté jusqu'aujourd'hui.«... Je vous le dis, que pour la terre de Sodome ce sera plus supportable au jour du jugement

que pour toi. »

Les adversaires de Ieschoua, et les sceptiques, non contents de constater les guérisonseffectuées par Ieschoua, demandent encore, pour asseoir leur conviction, d'autres « signes ». Lerabbi Ieschoua, nous l'avons vu, n'opère de miracles que pour guérir, mais jamais pour jouer authaumaturge. Il n'accepte donc pas le défi lancé par ses adversaires. Il les renvoie au livre deJonas:

Mat. 12, 38: « Alors lui répondirent certains parmi les scribes et les pharisiens, en disant:Rabbi, nous voulons voir un signe venant de toi.

« Et lui leur répondit en disant:

Page 131: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 131/160

131

« Une génération mauvaise et adultère recherche un signe, et un signe ne lui sera pas donné, sice n'est le signe de Jonas le prophète. (... )

« Les hommes de Ninive se lèveront au jour du jugement contre cette génération 53 et ils la

condamneront54, parce qu'ils se sont repentis à la proclamation de Jonas, et voici qu'il y a plus queJonas ici.

« La reine du Midi se lèvera au jour du jugement contre cette génération, et elle lacondamnera;

« Car elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon,« et voici qu'il y a plus que Salomon ici. " (Cf. Luc, II, 29.)Quel est donc ce signe de Jonas auquel le rabbi Ieschoua renvoie ses contemporains ? Nous

risquons ici une hypothèse personnelle. Nous ne pensons pas que le signe de Jonas soit le séjour de trois jours dans le ventre de la baleine, qui symboliserait l'ensevelissement précédant larésurrection. Le livre de Jonas, nous l'avons vu dans notre précédent travail 55, est un petit roman,ou plutôt un petit conte humoristique, qui vise à expliquer que le Dieu d'Israël s'intéresse aussi

aux nations païennes, et que s'il envoie un prophète à Ninive, annonçant la destruction de Ninive,c'est justement dans l'espoir que les habitants de Ninive vont se convertir, en sorte que Dieun'aura pas à détruire Ninive la grande ville. Car Dieu ne prend pas plaisir à la mort du pécheur,mais à ce qu'il se repente et à ce qu'il vive. A notre avis, le signe de Jonas auquel Ieschouarenvoie ses contemporains, c'est l'annonce du royaume de Dieu aux nations païennes, et l'entrée progressive des païens dans l'économie du monothéisme hébreu fondé en Abraham. Cela, lesadversaires de Ieschoua vont le voir dans les années qui vont suivre la mort du rabbi crucifié.

Le rabbi Ieschoua a enseigné que la prière, adressée à Dieu le Créateur du ciel et de la terre,était efficace, non par elle-même, et d'une manière magique, comme une contrainte exercée sur Dieu, mais parce que le Dieu d'Israël consent librement à entrer avec l'homme dans une relationtelle que si l'homme lui demande quelque chose, comme un enfant demande à son père ou à sa

mère, Dieu le donne. Évidemment, on ne peut pas dire cela du Dieu d'Aristote, ni du Dieu deSpinoza, ni, vraisemblablement, du Dieu de Hegel. Mais, selon Ieschoua, du Dieu d'Abraham, on peut le dire, et bien plus, on peut le vérifier dans l'expérience. Il faut savoir insister:

Mat. 7, 7: « Demandez, et il vous sera donné; cherchez, et vous trouverez; frappez, et il voussera ouvert.

« Car tout homme qui demande, reçoit, et celui qui cherche, trouve, et à celui qui frappe il seraouvert.

« Quel est l'homme parmi vous, son fils lui demande un pain, et il lui donnera une pierre ? Ou bien il lui demande un poisson, et il lui donnera un serpent ?

« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner des dons qui sont bons à vos enfants,combien plus votre père qui est dans les cieux donnera de bonnes choses à ceux qui lui

demandent. »Luc, II, 5: « Il leur dit: Qui d'entre vous aura un ami, et il viendra le trouver au milieu de la

nuit, et s'il lui dit: ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage et je n'airien à lui offrir. Et l'autre lui répond de l'intérieur et lui dit: Ne m'ennuie pas; la porte est déjà

53 Cf. J. JEREMIAS,  J ésus et les païens, p. 44: « Anistasthai meta tinosne signifie pas ici: « ressusciter avec quelqu'un», mais, par un sémitisme = Qoumim« se présenter avec quelqu'un devant le tribunal » en qualité de témoin àcharge, c'est-à-dire « se présenter contre (im) quelqu'un comme accusateur... » 54 JEREMIAS, ibid.: « Katakrinein tina ne signifie pas ici que les païens se voient attribuer des fonctions judiciaires («

 prononcer un verdict contre quelqu'un »), mais s'applique de nouveau, par un sémitisme, aux témoins à charge: « provoquer la condamnation de quelqu'un » ( = Haiiev, p. ex. Dan. 1, 10... ). » 55 Le problème de la Révélation, p. 264. 

Page 132: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 132/160

132

fermée, et mes enfants sont avec moi dans le lit. Je ne peux pas me lever et te donner (ce que tume demandes).

« Je vous le dis: Même s'il ne se lève pas et ne lui donne pas parce que c'est son ami, à cause

de son impudence (effronterie) il se lèvera et lui donnera ce dont il a besoin.« Et moi je vous dis: demandez et il vous sera donné. Cherchez, et vous trouverez. Frappez, et

il vous sera ouvert. Car tout homme qui demande, reçoit, et celui qui cherche, trouve, et à celuiqui frappe, il sera ouvert. Quel est celui d'entre vous dont le fils demandera à son père un poisson,et qui, à la place du poisson, lui un serpent ? Ou s'il demande un œuf, lui donnera un scorpion ?

« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner des dons qui sont bons à vos enfants,combien plus le père du ciel donnera l'esprit saint à ceux qui lui demandent. »

Luc, 18, 2: « Il y avait, dans une ville, un juge qui ne craignait pas Dieu et ne se préoccupaitde personne.

« Il y avait aussi dans cette ville une veuve, et elle venait à lui en disant: Fais-moi justice demon adversaire !

« Mais lui ne voulait pas, pendant longtemps. Mais après cela, il se dit en lui-même: Même si je ne crains pas Dieu, et si je ne me soucie de personne, cependant, parce que cette veuve me casseles pieds » (m'assomme), je vais lui rendre justice, afin qu'elle ne vienne plus m'assommer à la fin.»

« Le seigneur dit: Écoutez ce que dit le juge injuste ! Et Dieu, est-ce qu'il ne ferait pas justice àses élus qui crient vers lui le jour et la nuit ? (...)

« Mais le fils de l'homme, lorsqu'il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »Jean, 16, 23: « Vrai, vrai je vous le dis, ce que vous demanderez au père, il vous le donnera, en

mon nom.« Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom. Demandez, et vous recevrez, afin

que votre joie soit pleine. »

On voit que nous sommes loin des théologies grecques, des dieux de l'olympe et des doctrinesde la fatalité ou du destin. Le rabbi Ieschoua enseigne, à la suite de toute la tradition hébraïque, Torahet prophètes, un Dieu vivant qui est quelqu'un (et non la Nature...), quelqu'un de personnelà qui on peut s'adresser, à qui on peut parler, à qui on peut demander quelque chose. Ce n'est pasle Dieu de Spinoza. La création est entre les mains du Créateur non pas quelque chose de fixe et defigé, de pétrifié, mais quelque chose d'assez souple pour qu'il puisse y opérer librement. L'« ordreétabli » ne lui fait pas obstacle. Il est le créateur de l'ordre établi, et il en fait ce qu'il veut. Il peuten faire un autre si cela lui plaît, sans « violer » le précédent, simplement en le modifiant dudedans. C'est cela que Spinoza ne pouvait pas admettre. C'est pourquoi il n'admet pas plus la possibilité de la prière que celle du miracle, toujours au nom d'une certaine conception figée del'ordre établi.

A l'origine de l'être que nous voyons et que nous expérimentons, le monde et tout ce qu'ilcontient, il y a, non pas le chaos comme le professaient les religions de l'Égypte, de Babylone etde Canaan, ni une « Nature » anonyme, mais un être personnel avec lequel il est possible d'entrer en relation de dialogue. La doctrine de la prière enseignée par le rabbi Ieschoua présuppose unecertaine ontologie. On peut la discuter. On peut aussi la vérifier. Mais on ne peut nier qu'ellen'existe. Selon le rabbi Ieschoua comme selon toute la tradition hébraïque, un être personnel est premier. Nous voyons le monde se développer et croître en allant d'une matière relativementsimple et non informée, à une matière informée, organisée d'une manière de plus en pluscomplexe et riche, jusqu'à l'apparition d'êtres personnels capables de pensée. La question est: desavoir si cet ensemble évolutif est pensable seul, si le personnel peut surgir de l'impersonnel, la

Page 133: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 133/160

133

 pensée de la non-pensée, la vie de l'absence de vie, l'information du chaos, et la matière de rien56. 

56 C'est le problème que nous avons essayé de traiter dans Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence deDieu, Éd. du Seuil, 1966. 

Page 134: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 134/160

134

XX. L'ATTENTE ET LA VEILLE

Le rabbi Ieschoua, comme les anciens prophètes d'Israël, a enseigné que la création,inachevée, était en train de se continuer. Mais elle va vers un terme, vers un achèvement. Ellen'est pas un processus indéfini. Les disciples de Ieschoua sont tendus, eux-mêmes, vers ce termede maturation, vers cet achèvement de la création. Ieschoua enseigne le devoir de vigilance, ledevoir de veiller, pour attendre activement cette heure de l'achèvement, lorsque le rabbi semanifestera de nouveau à l'humanité, au terme de son histoire:

Luc, 12, 35: « Que vos reins soient ceints, et vos lampes allumées. Et vous, soyez semblables àdes hommes qui attendent leur maître: Quand reviendra-t-il des noces ? — afin que, lorsqu'il,viendra et lorsqu'il frappera, aussitôt ils lui ouvrent.

« Heureux ces serviteurs-là, que le maître, lorsqu'il viendra, trouvera veillant !« Vrai, je vous le dis: Il se ceindra, il les fera mettre à table et, s'avançant, il les servira.

« Et si c'est à la deuxième, et si c'est à la troisième veille qu'il vient, et s'il les trouve ainsi, — heureux sont-ils !

« Connaissez ceci: Si le maître de maison savait à quelle heure vient le voleur, il ne laisserait pas percer sa maison.

« Vous aussi devenez prêts, car vous ne savez pas à quelle heure le fils de l'homme vient. »Mat. 25, I: « Alors le royaume des cieux sera semblable à dix jeunes filles qui prirent leurs

lampes et sortirent à la rencontre du jeune marié.« Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq étaient intelligentes et sages. « Car les folles prirent

les lampes, mais ne prirent pas avec elles l'huile. Les sages prirent l'huile dans les vases avec leurslampes.

« Comme le marié tardait, elles laissèrent tomber la tête, s'assoupirent toutes et se couchèrent

 pour dormir.« Au milieu de la nuit, un cri: Voici le marié ! Sortez à sa rencontre !« Alors toutes ces jeunes filles se levèrent et elles arrangèrent leurs lampes.« Les folles dirent aux sages: donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s'éteignent.« Mais les sages répondirent en disant: Pas question ! Il n'y en aurait pas assez pour nous et

 pour vous. Allez plutôt chez les marchands, et achetez pour vous.« Pendant qu'elles étaient parties pour acheter (de l'huile), vint le marié, et celles qui étaient

 prêtes entrèrent avec lui dans la salle de noces, et la porte fut fermée.« Plus tard arrivent aussi les autres jeunes filles, et elles disent: Seigneur, Seigneur, ouvre-

nous !« Mais lui répondit en disant: Vrai, je vous le dis, je ne vous connais pas.

« Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour ni l'heure. »Luc, 21, 34: « Prenez garde à vous-mêmes, de peur que vos cœurs ne s'appesantissent dans la

lourdeur de tête produite par l'ivresse et l'excès de boisson, dans les soucis de l'existence, et quece jour ne tombe sur vous d'une manière soudaine, brusquement, à l'improviste, comme un piège...

« Veillez,... priant en tout temps, afin que vous ayez la force... de vous tenir debout devant laface du fils de l'homme. »

La chronologie même de cette durée de l'histoire qui reste à vivre et à faire avant que lacréation ne s'achève, elle n'est pas, selon le rabbi, prévisible, calculable à l'avance. C'est une

Page 135: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 135/160

135

durée de création. Il n'est pas possible d'établir un plan chronologique antérieur ni de mesurer lestemps. Bergson aurait été heureux de lire ces affirmations du rabbi Ieschoua sur la durée à faire,car lui, Bergson, a toujours enseigné que la durée réelle représente une création géniale

d'imprévisible nouveauté. Par définition, on ne peut la chronométrer avant qu'elle ne soiteffectuée. On peut discerner l'orientation, mais non mesurer la durée de la vie qui n'a pas encoreinventé ce qu'elle va inventer et qui va déjouer toutes les prévisions:

Mat. 24, 36: « Au sujet de ce jour et de cette heure, personne ne sait, ni les anges des cieux, nile fils, si ce n'est le père seul.

« Comme les jours de Noé, ainsi sera l'arrivée du fils de l'homme.« Car, comme ils étaient en ces jours qui étaient avant le déluge, mangeant et buvant, épousant

et donnant en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche, et ils ne connurent pas jusqu'à ceque vînt le déluge et il les emporta tous — ainsi sera aussi l'arrivée du fils de l'homme. (... )

« Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour votre seigneur vient. »Marc, 13, 32: « Au sujet de ce jour ou de cette heure, personne ne sait, ni les anges dans le

ciel, ni le fils, — si ce n'est le père.« Voyez, veillez. Car vous ne savez pas quand sera le temps (le moment).« Comme un homme parti en voyage a laissé sa maison et a donné à ses serviteurs le pouvoir,

à chacun son ouvrage, et au portier il a recommandé de veiller.« Veillez donc. Car vous ne savez pas quand le maître de maison vient: ou bien tard, ou bien au

milieu de la nuit, ou bien au chant du coq, ou bien le matin. — Afin que, venant, d'un seul coup,tout d'un coup, il ne vous trouve pas endormis.

« Ce que je vous dis à vous, je le dis à tous: Veillez ! »

C'est donc une théorie du temps que le rabbi Ieschoua, à la suite des prophètes d'Israël,

 propose. Dans une vision orphique et pythagoricienne du monde, on le sait, l'âme divine, par nature et par origine, est tombée dans ce monde mauvais, exilée dans ces corps qui la souillent etl'emprisonnent. Il faut délivrer les âmes prisonnières de ces tombes dans lesquelles elles sontaliénées. Le salut consiste, pour l'orphique, comme plus tard pour le gnostique, à retourner à notrecondition antérieure, supposée divine.

Dans les systèmes gnostiques, nous avons la même structure du temps, liée à la vision globaledu monde. L'âme est d'origine divine. Elle est tombée dans un monde mauvais. Elle doit retourner à sa condition antérieure. Le processus est cyclique. Le terme sera ce qu'était le commencement.C'est le grand serpent qui se mord la queue.

La structure psychologique de l'initié aux mystères de l'orphisme, comme du gnostique, secaractérise par le désir du retour, la nostalgie. 

Au contraire, la vision hébraïque du monde, apportée par les prophètes d'Israël et finalement par Ieschoua, est tout entière tendue vers l'avenir. La plénitude, le plêrôma, n'est pas en arrière denous, dans le passé. Il est en avant, dans l'avenir. La création, au commencement, n'était pasachevée. Elle n'est pas encore achevée. Elle ne le sera que plus tard, au terme de ce processusdouloureux dans lequel une liberté créée coopère — ou bien s'oppose— à l'acte créateur  progressif. Il ne s'agit aucunement de retourner en arrière, au « paradis terrestre ». Les prophètesn'en font jamais mention. Il s'agit de travailler activement à un achèvement qui est devant nous,dans l'avenir. Du point de vue psychologique, on voit la différence d'avec la doctrine gnostique,et les conséquences impliquées dans cette différence.

Contrairement au platonisme et au néoplatonisme, qui comportent comme l'orphisme et lagnose une structure de retour et de nostalgie, le christianisme enseigné par le rabbi Ieschoua est

Page 136: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 136/160

136

essentiellement prospectif, et non rétrospectif. Ieschoua commande de ne pas regarder en arrière:Luc, 9, 61: « Un autre lui dit: Je te suivrai, Seigneur, mais d'abord permets-moi de prendre

congé de ceux qui sont dans ma maison.

« Ieschoua lui dit: Personne, qui a mis la main à la charrue, et qui regarde en arrière, n'est propre au royaume de Dieu. »

Mat. 8, 21: « Un autre de ses disciples lui dit: Seigneur, permets-moi d'abord d'aller etd'enterrer mon père. Ieschoua lui dit: Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »

Luc, 9, 59: « Il dit à un autre: Suis-moi. Et cet autre dit: Permets-moi d'abord d'aller ensevelir mon père. Ieschoua lui dit: Laisse les morts enterrer leurs morts. »

C'est seulement dans cette perspective dynamique d'une attente active de l'achèvement del'histoire et de la création, que peut se comprendre la signification de l'ascèse proprementchrétienne.

Dans d'autres philosophies, dans d'autres visions du monde, la pratique de l'ascèse repose sur l'idée que la matière est mauvaise, ou que le corps est mauvais, ou que la sexualité est mauvaise. Il

faut séparer l'âme du corps, pour la libérer de cette souillure et lui permettre de retrouver sacondition originelle.

Dans le cas du christianisme orthodoxe, comme du judaïsme orthodoxe, rien de tel. La matièreest bonne. L'ordre corporel, biologique, est excellent. L'ascèse ne repose pas sur une mauvaiseconscience concernant l'ordre de la nature. La pratique de l'ascèse se fonde sur une vision del'histoire qui est orientée d'une manière active vers un avenir auquel il faut travailler de lamanière la plus créatrice possible. L'ascèse évangélique, c'est la plénitude du travail accordé à lacréation en train de se faire. Elle ne peut être bien comprise que si l'on s'adresse aux athlètes, quise privent en effet de certaines nourritures et de certains agréments, pour parvenir au but qu'ils sesont assignés. Elle a une signification éminemment positive et créatrice. Elle est condition decréation. Tout créateur pratique d'ailleurs une ascèse. C'est ainsi que l'a comprise Schaoul-Paul, le

disciple de Ieschoua: « Ne savez-vous pas que ceux qui courent sur le Stade, tous courent, mais unseul remporte le prix... Quiconque veut lutter, s'abstient de tout... » (I Cor. 9, 24). «Ce n'est pasque j'aie déjà saisi le prix, ou que j'aie déjà atteint la perfection; mais je poursuis ma course pour tâcher de le saisir... Oubliant ce qui est derrière moi, et me portant de tout moi-même vers ce quiest en avant, je cours droit au but, pour remporter le prix auquel Dieu m'a appelé... » (Phil. 3, 12).

On le voit, cela n'a aucun rapport avec le manichéisme ni avec le catharisme.

Page 137: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 137/160

137

XXI . LA COMMUNICATION AUX DISCIPLES DES POUVOIRS D'ENSEIGNEMENTET DE GUÉRISON

Le rabbi Ieschoua, a communiqué à ses apprentis le pouvoir de communiquer à leur tour l'information dont il est lui-même la source première, le pouvoir d'enseigner, — et le pouvoir deguérir.

 Nous avons essayé, dans notre précédent travail, de réfléchir un peu sur les questions que posela communication d'un enseignement, d'une information, qui vient de Dieu. C'est cela que l'onappelle « la révélation ». Nous avons vu que, pour communiquer aux hommes un enseignement,une information, le Dieu d'Israël choisit, crée, pré adapte à cette fonction, des hommes, qui sontles prophètes d'Israël, chargés de communiquer au peuple un enseignement qui vient de Dieu.

 Nous avons vu que, dans ce processus par lequel ils communiquent aux hommes de leur  peuple un enseignement qui vient de Dieu, les prophètes d'Israël ne, sont pas des intermédiaires

 purement passifs. Ils sont au contraire actifs et coopérants. Ils pensent, ils parlent, ils agissent, ilsenseignent, avec toute leur intelligence, leur personnalité, leur caractère, leur tempérament, leur énergie propre. Ils ne sont pas de simples canaux, ou des tubes, par lesquels la révélations'écoulerait. Ils n'ont pas seulement un rôle de transmission. Ils ne sont pas non plus seulementdes secrétaires. La bibliothèque constituée par les livres qui contiennent leurs oracles est pleinement humaine. Mais cela ne l'empêche pas d'être aussi pleinement inspirée et informée par Dieu même. Il faut distinguer dans cette bibliothèque une dualité de natures.

Dans le cas présent, avec Ieschoua qui communique, à ces hommes qui ont appris de lui, le pouvoir de communiquer à leur tour l'enseignement reçu, nous sommes en présence du même phénomène, avec cette différence qu'ici la source première de l'information, c'est Ieschoua lui-même. Dès le début de son enseignement, les gens ont remarqué qu'il n'enseignait pas comme les

scribes et les théologiens qui s'appuient sur les Écritures saintes du passé, il enseignait de lui-même:

Mat. 7, 28: « Les foules étaient frappées à l'extrême par son enseignement. Car il était lesenseignant comme ayant autorité et non pas comme leurs scribes. » (Cf. Marc, I, 22.)

Dans la communication au monde de l'enseignement qui vient du rabbi, ceux qui avaient apprisdu rabbi et qui avaient été envoyés par lui, ne sont pas non plus passifs. Ceux qui ont reçul'enseignement l'ont repensé, et exprimé, comme il est normal, chacun à sa façon, selon sa psychologie, selon ses préoccupations, selon sa culture, selon les circonstances historiques. Ainsis'expliquent les différences entre les trois recensions de l'existence et de l'enseignement deIeschoua, constituées par les trois évangiles dits « synoptiques ». En ce qui concerne le quatrièmeÉvangile, les choses sont plus difficiles, car il faut admettre que l'auteur du quatrième Évangile a

fait état d'un enseignement de Ieschoua dont souvent nous ne trouvons pas trace dans lessynoptiques.

 Nous avons vu, au début de ce travail, quelles relations et quelles analogies existent entre le pouvoir de communiquer une information qui est un enseignement, une science, — et le pouvoir de guérir, c'est-à-dire de ré-informer des organismes qui ont perdu pour telle ou telle fonctionl'information biologique normale, Ieschoua communique à ses apprentis les deux pouvoirs, celuid'enseigner la doctrine qui vient de lui, et celui de guérir:

Mat. 9, 36: « Voyant les foules, ses entrailles furent remuées par la pitié pour elles, car tous cesgens étaient écorchés, et gisants comme des brebis qui n'ont pas de berger.

« Alors il dit à ses disciples: La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux.Priez donc le maître de la moisson qu'il envoie des ouvriers dans sa moisson.

Page 138: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 138/160

138

« Il appela les douze qui apprenaient de lui et il leur donna pouvoir sur les esprits impurs pour les chasser, et pour guérir toute maladie et toute infirmité.

« Des douze Envoyés, voici les noms: le premier, Simon, appelé Pierre (Kêphâ), et André son

frère, Jacob le fils de Zébédée et Jean son frère, Philippe et Barthélémy, Thomas et Matthieu le percepteur, Jacob le fils d'Alphée et Thaddée, Simon le Zélote, Judas Iscariote, celui qui le livra.

« Voilà les douze que Ieschoua envoya... »Le rabbi Ieschoua enseigne comment il faut s'y prendre pour communiquer l'information dont

il est lui-même la source, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire:Marc, 6, 7: « Il appelle les douze, et il commença à les envoyer deux par deux, et il leur donna

 puissance sur les esprits impurs, et il leur recommanda de ne rien prendre pour la route, si ce n'estseulement un bâton: pas de pain, pas de besace, pas de monnaie dans la ceinture, mais chaussésde sandales, et ne mettez pas deux tuniques... » (Cf. Luc, 9, 1.)

Mat. 10, 5: «... Ces douze-là Ieschoua les envoya, après leur avoir donné ses instructions endisant:

« Dans la route qui conduit vers les nations païennes, n'allez pas« et dans la ville des samaritains n'entrez pas.« Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël.« En cheminant, en route, proclamez en disant: » Il s'est approché, le royaume des cieux ! »« Les malades, guérissez-les. Les morts, faites-les lever. Les lépreux, purifiez-les. Les

démons, chassez-les !« Gratuitement, comme un don, vous avez reçu. Donnez gratuitement.« Ne faites pas acquisition d'or, ni d'argent, ni de monnaie de cuivre pour mettre dans vos

ceintures,« ni besace, pour la route, ni deux tuniques, ni chaussures, ni bâton.« Car l'ouvrier est digne de recevoir sa nourriture.

« Lorsque vous entrez dans une ville ou dans un village, recherchez, examinez, qui est digneen cet endroit. Restez-y jusqu'à votre départ.

« Lorsque vous entrez dans la maison, saluez-la. Si la maison est digne, que votre paix viennesur elle. Si elle n'est pas digne, que votre paix revienne sur vous.

« Et celui qui ne vous recevra pas et qui n'écoutera pas vos paroles — vous sortez de cettemaison ou de cette ville, et vous secouez la poussière de vos pieds. Vraiment, je vous le dis, cesera plus tolérable pour la terre de Sodome et de Gomorrhe au jour de jugement, que pour cetteville-là.

« Voici, moi je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudentscomme les serpents et innocents comme les colombes. » (Cf. Marc, 6, 7; Luc, 9, I.)

Le rabbi Ieschoua, nous l'avons vu, a fait savoir à ses apprentis, qui sont maintenant chargés

de communiquer l'enseignement qui vient de lui, qu'ils rencontreront une résistance violente,qu'ils seront persécutés à cause de cet enseignement qu'ils vont essayer de communiquer.Exactement comme Dieu aux prophètes anciens, par exemple à Jérémie, Ieschoua, ici,recommande à ses apprentis envoyés de ne pas avoir peur de ceux qui vont s'opposer à euxviolemment: Mat. 10, 24: « Celui qui apprend n'est pas au-dessus de celui qui lui donnel'enseignement, ni le serviteur au-dessus de son maître.

« Il suffit pour celui qui apprend qu'il devienne comme son enseigneur, et le serviteur commeson maître.

« Si le maître de maison, ils l'ont appelé Béelzeboul, combien plus ceux de sa maison ! « Neles craignez donc pas.

« Car il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert, « rien de secret qui ne doive être

Page 139: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 139/160

139

connu.« Ce que je vous dis dans l'obscurité, dites-le dans la lumière. « Et ce que vous entendez

chuchoter à l'oreille, proclamez-le sur les terrasses.

« Et n'ayez pas peur de ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent pas tuer l'âme.« Craignez plutôt celui qui peut perdre et l'âme et le corps dans la géhenne.« Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas pour un as ?« Et l'un d'entre eux ne tombe pas à terre sans (la volonté) de votre père. Et de vous, même les

cheveux de votre tête sont tous comptés.« Ne craignez donc pas. Vous valez plus que beaucoup de passereaux.« Tout homme donc qui me reconnaîtra à la face des hommes je le reconnaîtrai moi aussi

devant la face de mon père qui est dans les deux.« Celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon père qui est

dans les cieux. »

Celui qui reçoit l'information, l'enseignement, et qui le communique, n'est pas plus grand quecelui qui est la source de l'information. Celui-là est plus grand. Il est l'origine de la science.Ieschoua critique les professeurs de théologie (cela est valable pour les autres aussi...) qui se fontappeler « maîtres ». En fait, ils ne sont pas source de l'information qu'ils communiquent. Donc personne ici-bas ne doit être appelé « maître », rabbi. Unique est le rabbi, c'est celui qui est lasource:

Mat. 23, 6: «... Ils aiment la première place dans les repas, et les premiers sièges dans lessynagogues, et les salutations sur les places publiques. Ils aiment être appelés par les hommes:Rabbi, « Maître ».

« Vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, Maître, car un seul est votre maître, et tous vous êtes

frères.« Et du nom de « père » n'appelez personne d'entre vous sur la terre,« car un seul unique est votre père, celui qui est dans les cieux... »

Ieschoua enseigne à ses apprentis-envoyés comment ils doivent se comporter dans l'œuvrequ'ils vont accomplir et qui consiste à communiquer à l'humanité l'enseignement qui vient deIeschoua. Non pas comme les « maîtres » et les seigneurs de ce monde, qui veulent dominer etexercer leur volonté de puissance, mais comme des enfants qui transmettent simplement cequ'ils ont reçu:

Marc, 9, 33: « Il les interrogea: Sur quoi discutiez-vous en chemin ?

« Eux se taisaient, car ils avaient discuté en chemin sur la question de savoir: Qui est le plusgrand ?

« Il s'assit, il appela les douze et il leur dit: Si quelqu'un veut être premier, il sera le dernier etle serviteur de tous.

« Et il prit un enfant, il le plaça au milieu d'eux, il l'embrassa et leur dit: Celui qui reçoit l'unde ces petits enfants en mon nom, me reçoit. Et celui qui me reçoit, ce n'est pas moi qu'il reçoit,mais celui qui m'a envoyé. »

Mat. 20, 25: « Ieschoua leur dit: Vous savez que les chefs des nations païennes exercent leur domination, leur puissance et commandent avec dureté sur elles et que les grands les soumettent àleur autorité.

« Mais celui qui veut, parmi vous, devenir un grand, sera votre serviteur,

Page 140: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 140/160

140

« et celui qui veut, parmi vous, être le premier, il sera votre esclave.« De même que le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner 

son âme (sa vie) comme rançon pour beaucoup. »

 Nous l'avons vu, celui qui accepte d'exercer la fonction éminente qui consiste à communiquer aux hommes la science, l'information créatrice qui vient du rabbi Ieschoua, doit se délester pour accomplir cette fonction, de toute autre charge, de tout autre souci. Il ne doit pas regarder enarrière. Il doit être parfaitement libre pour exercer cette fonction. Il doit être pleinementdisponible.

Le rabbi lui-même, pour exercer sa fonction d'enseigneur et de guérisseur, s'est libéré de toutecharge et il est devenu vagabond. Ainsi fera celui qui veut communiquer la science de vie qu'il areçue du rabbi:

Luc, 9, 57: « Pendant qu'ils marchaient sur la route, quelqu'un lui dit: Je te suivrai où que tu

ailles. Et Ieschoua lui dit: les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des abris, mais le filsde l'homme n'a pas où reposer sa tête. » (Cf. Mat. 8, 19.)

Le rabbi enseigne à l'avance quelques-unes des lois qui vont définir et caractériser ce processus de communication aux hommes de l'information dont il est, lui, Ieschoua, la source.Celui qui ne s'oppose pas à l'enseignement évangélique, celui-là lui est en fait favorable:

Luc, 9, 50: « Celui qui n'est pas contre vous, est pour vous... » Marc, 9, 40: « Celui qui n'est pas contre nous, est pour nous... » Cela n'est pas évident et ne va pas de soi, car on pourraitimaginer que des gens qui ne sont pas opposés à l'enseignement évangélique, soient indifférents.Ieschoua enseigne qu'il n'en est rien. S'ils ne s'opposent pas, c'est que, au fond d'eux-mêmes, ils

lui sont favorables.Inversement, « celui qui n'est pas avec moi est contre moi... (Mat. 12, 40). Celui qui n'est pas

favorable est hostile, et non indifférent. Ces deux propositions semblent, si nous les comprenons bien, enseigner que personne n'est neutre en présence de l'enseignement évangélique. C'est cequ'il faut vérifier dans l'expérience.

Le rabbi Ieschoua recommande à ses apprentis-envoyés d'être très prudents dans lacommunication de ce qu'ils ont appris de leur rabbi. Il ne sert à rien de vouloir à tout prixenseigner à des gens qui ne sont pas préparés pour les recevoir, ou qui n'en veulent pas, lestrésors de la science et de la sagesse que le rabbi Ieschoua avait confiés à ses apprentis, choisis

 par lui. Car si l'on enseigne imprudemment les doctrines les plus précieuses à des gens qui nesont pas aptes à les recevoir et qui n'en veulent pas, ils vont piétiner avec mépris les merveillesqu'on leur a communiquées, se retourner contre celui qui les leur a offertes, et le déchirer. C'est ceque l'expérience confirme chaque jour:

Mat. 7, 6: « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant lescochons, afin qu'ils ne les piétinent pas avec leurs pieds, et que, se retournant, ils ne vousdéchirent pas. »

 Nous avons pu constater, peut-être, au cours de ces analyses, que contrairement à ce qu'on dit,ou à ce qu'on laisse souvent entendre, l'enseignement évangélique n'est ni mièvre ni sucre.

Page 141: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 141/160

141

L'enseignement de Ieschoua concernant la pauvreté consentie, l'insouciance, la douceur, la pitié,la paix, l'enfance, et les lois de la genèse du royaume de Dieu, malgré les apparences, malgrésurtout les caricatures dont on a recouvert l'enseignement évangélique, malgré le masque dont il a

été affublé, malgré la confiserie avec laquelle on a tenté de l'enrober et de le rendre inoffensif, — est tout le contraire d'un enseignement mièvre et efféminé. C'est un enseignement éminemmentviril, profond et puissant. C'est l'enseignement de la virilité, de l'intelligence et de la puissance.C'est l'enseignement nécessaire pour que l'homme devienne vraiment homme, un homme libre, unhomme achevé.

Cet enseignement, cette information, que Ieschoua a apportée, se communique maintenant,depuis bientôt vingt siècles, comme un feuqui se répand.

C'est ce que Ieschoua avait dit: « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et qu'est-ce que je veuxs'il est déjà allumé ? » (Luc, 12, 49).

Ce feu qui se communique empêche la corruption de l'humanité. « Tout homme sera salé par lefeu » (Marc, 9, 49). « C'est beau, et bon, le sel. Mais si le sel devient dessalé, avec quoi

l'assaisonnerez-vous ? Ayez en vous du sel... » (Marc, 9, 50).Iohannan, qui enseignait dans le désert de Judée et qui baptisait dans le Jourdain, avait dit à

 propos de Ieschoua: « Moi, je vous baptise dans l'eau, pour la conversion, le renouvellement ducœur (metanoia). Mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de porter ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'esprit saint et le feu. Le van est dans sa main. Ilnettoiera son aire, il ramassera son blé dans son grenier, et la paille, il la brûlera dans le feu qui nes'éteint pas. » (Mat. 3, II.)

On reconnaît chez Iohannan la terrible doctrine de la sélection, et on aperçoit l'ambivalence dufeu, qui est à la fois le feu de l'amour créateur, le feu de l'information créatrice qui secommunique comme un courant électrique, et le feu qui ne s'éteint pas dans lequel souffre celuiqui n'est pas apte à prendre part à la vie divine.

Bien loin d'être sucre et confiserie, l'enseignement du rabbi est feu et sel. Il faut aujourd'huinettoyer cet enseignement de toute cette confiserie qui le recouvre, afin de le retrouver tel qu'ilest:

Mat. 5, 13: « C'est vous qui êtes le sel de la terre. Si le sel devient fade, avec quoi le salera-t-on ?Il n'a plus de force pour rien, si ce n'est être jeté dehors et être piétiné par les hommes.

« C'est vous qui êtes la lumière du monde...« On n'allume pas une lampe pour la mettre sous un boisseau (qui est une mesure de blé) mais

on la met sur un chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. »Ce qu'on a appelé « l'humilité » chrétienne, ne consiste pas à sous-estimer cet extraordinaire

trésor qui est entre nos mains, l'information créatrice qui vient de Ieschoua et que nous avons lacharge de transmettre, de communiquer. L'humilité, c'est-à-dire plus simplement la vérité,

consiste à reconnaître que, de cette information, nous ne sommes pas la source. « Qu'as-tu que tun'aies reçu ? » dira Schaoul. Nous pouvons semer, et faire croître la semence, mais de la semencenous ne sommes pas les créateurs. Si nous faisons fructifier les grands dons que nous avonsreçus, il faut, comme Jean-Sébastien Bach, le faire avec simplicité, et sans s'exalter:

Luc, 17, 10: « Ainsi vous aussi, lorsque vous aurez fait tout ce qui vous aura été prescrit, dites:nous sommes des serviteurs inutiles; ce que nous devions faire, nous l'avons fait. »

Page 142: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 142/160

142

XXII. PRÉSENCE RÉELLE

Celui qui reçoit l'enseignement du rabbi Ieschoua transmis correctement par les apprentisenvoyés par le rabbi, celui-là reçoit non seulement un enseignement, une information, mais, bien plus, il reçoit la source de l'enseignement, il reçoit l'Enseigneur, le rabbi Ieschoua lui-même. Plusencore, il reçoit Dieu dont Ieschoua est l'envoyé:

Mat. 10, 40: « Celui qui vous reçoit me reçoit, et celui qui me reçoit reçoit celui qui m'aenvoyé.

« Celui qui reçoit un prophète parce qu'il est un prophète recevra une récompense de prophète,et celui qui reçoit un juste en tant que juste (parce qu'il est juste) recevra une récompense de juste.

« Et celui qui donnera à boire à l'un de ces petits seulement un verre d'eau fraîche, parce qu'ilest mon disciple, oui vraiment je vous le dis: il ne perdra pas sa récompense. »

Ieschoua communique à ses apprentis-envoyés les pouvoirs souverains qui sont les siens, etqui sont définitifs:

Mat. 18, 18: « Vrai, je vous le dis, ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, « et ceque vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. »

Si la prière adressée au Père créateur de toutes choses est efficace, non pas d'une manièremagique, mais parce que, selon Ieschoua, l'Absolu est Père, à plus forte raison, lorsque deuxdisciples de Ieschoua s'entendent pour demander au Père des lumières quelque chose, cela sera-t-

il accordé:Mat. 18, 19: « Si deux sont d'accord parmi vous sur la terre au sujet de toute chose qu'ils

demanderont, cela leur adviendra de la part de mon père qui est dans les cieux. »

Ieschoua va plus loin encore. Il enseigne formellement sa présence actuelle et continue parmiceux qui ont reçu de lui l'information créatrice qu'est l'enseignement évangélique, et qui latransmettent. Non seulement l'enseignement est présent dans le corps constitué par les disciples,mais aussi l'Enseigneur. Non seulement l'information active, mais aussi Celui qui informe:

Mat. 18, 20: « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, là je suis au milieu d'eux. »

Ieschoua enseigne par ailleurs que celui qui a faim, soif, froid, qui est malade, prisonnier, etque l'on a secouru, —  c'est lui-même. Il y a présence réelle, identité même, entre le pauvresecouru et Ieschoua. Inversement, celui qui n'est pas secouru, l'opprimé qui n'est pas délivré, lemalade qui n'est pas soigné, la victime qui n'est pas secourue, — c'est encore Ieschoua lui-même:

Mat. 25, 31: « Lorsque le fils de l'homme viendra dans sa gloire et tous les anges avec lui,alors il s'assiéra sur le trône de sa gloire. Et toutes les nations seront rassemblées devant lui, et ilséparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sadroite, et les boucs à sa gauche.

« Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis par mon père,recevez en héritage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la création du monde.

Page 143: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 143/160

143

« Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. J'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire.J'étais étranger, et vous m'avez recueilli. J'étais nu, et vous m'avez vêtu. J'étais malade, et vousm'avez visité. J'étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

« Alors ils lui répondront, les justes, en disant: Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, ett'avons-nous nourri ? ou avoir soif, et t'avons-nous abreuvé ? Quand t'avons-nous vu étranger,et t'avons-nous recueilli ? Ou nu, et t'avons-nous vêtu ? Quand t'avons-nous vu malade ou en prison, et sommes-nous venus vers toi ?

« Répondant, le roi leur dira: Vrai, je vous le dis, pour autant que vous l'avez fait à l'un deceux-ci, qui sont mes frères, les plus petits, — c'est à moi que vous l'avez fait.

« Alors il dira aussi à ceux de sa gauche: Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.

« Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger. J'ai eu soif, et vous ne m'avez pasdonné à boire. J'étais étranger, et vous ne m'avez pas recueilli. Nu, et vous ne m'avez pas vêtu.Malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.

« Alors ils répondront eux aussi en disant: Seigneur, quand t'avons-nous vu avoir faim, ouavoir soif, ou étranger, ou nu, ou malade ou en prison, et ne t'avons-nous pas rendu service ?

« Alors il leur répondra en disant: Vrai, je vous le dis, pour autant que vous ne l'avez pas fait àl'un de ceux-ci, les plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. »

La veille du jour où il fut livré à la police de l'armée d'occupation romaine, pour être cloué sur une croix, selon l'habitude des Romains, Ieschoua prit un ultime repas avec ses amis, qui avaientappris de lui tout ce qu'il leur avait enseigné:

Mat. 26, 26: « Pendant qu'ils mangeaient, Ieschoua prit du pain, il dit la bénédiction, il lerompit et il donna à ses disciples et il dit: Prenez, mangez. Ceci est mon corps.

« Il prit la coupe, il rendit grâces, il leur donna en disant: Buvez tous de cette coupe. Car ceciest mon sang — de l'alliance — versé pour beaucoup, pour la rémission des péchés. »

Le mot que nous traduisons ici par « corps », rend le grec sôma. Mais le rabbi a très probablement employé le mot araméen bisra, qui correspond à l'hébreu basar, et qui signifie « lachair », — non pas la chair dissociée du principe d'information qui est l'âme, mais la chair vivante, animée, c'est-à-dire la totalité humaine, la personne complète.

Là encore, par ce geste qui est un signe, le rabbi enseigne sa présence réelle dans lacommunication du pain et du vin à l'intérieur de la communauté, qui est le corps constitué par l'humanité nouvelle informée par son enseignement, habitée actuellement par lui-même.

La communication aux premiers auditeurs-apprentis de Ieschoua du pouvoir de communiquer àleur tour l'enseignement qui vient du rabbi, et du pouvoir de guérir, s'accompagne donc en fait

d'une présence réelle, actuelle, continue, du rabbi lui-même, dans ce corps qui va être constitué par l'ensemble des hommes et des femmes qui vont donner librement leur assentiment àl'enseignement du rabbi, le recevoir en eux, être fécondés par lui, et naître nouveaux par la puissance de cet enseignement. L'enseignement du rabbi communiqué à ce peuple ne reste donc pas extérieur. Il est immanent. Il informe du dedans ce peuple d'hommes et de femmes. C'est luiqui constitue ce corps vivant, cet organisme composé de millions d'hommes et de femmes qui ontreçu l'information venant du rabbi palestinien. Ce qu'on appelle l'Église, l'assemblée des disciplesde Ieschoua, c'est cet organisme. Non seulement, nous l'avons vu, l'enseignement est présent etopérant dans cet organisme, mais aussi l'Enseigneur. Et l'Enseigneur assure que lui-même vientde Dieu. En sorte que, selon la pensée qui sera développée par l'un des disciples de Ieschoua, lerabbi Schaoul de Tarse, Paul, c'est Dieu même qui habite dans ce corps qu'est l'Église, comme

Page 144: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 144/160

144

dans son Temple. La doctrine juive de la schekkinah — inhabitation de Dieu dans son peuple Israël — trouve ici sa correspondance et son accomplissement.

L'enseignement du rabbi galiléen crucifié par l'armée romaine d'occupation sous Tibère opère

aujourd'hui. C'est un fait. Aujourd'hui, des hommes et des femmes, par milliers, dizaines demilliers, sont informés par cet enseignement et transformés par lui. Il existe des doctrines, plusanciennes ou plus récentes, que les érudits étudient et sortent de l'oubli. L'enseignement du rabbiIeschoua, lui, n'est pas tellement étudié par les érudits. Il n'y a pas autant de thèses de doctorat sur l'enseignement du rabbi galiléen que sur la doctrine de Platon, de Descartes, de Hegel ou de Kant.Il n'y en a même pas du tout. Mais l'enseignement du rabbi juif opère dans le monde entier aujourd'hui. Il est actuellement efficace.

Il est en acte, depuis plus de dix-neuf siècles. Le rabbi, par son enseignement, opèreaujourd'hui dans quantité d'hommes et de femmes. Dans un organisme vivant, l'action del'information génétique est actuelle et présente tant que vit l'organisme. Cette informationgénétique qui a été donnée au début, à la conception, elle continue d'opérer tant que vit

l'organisme. Tant que l'Église, qui est le corps constitué par l'information dont la source estIeschoua, vivra, l'enseignement du rabbi restera actuel et efficace, opérateur et transformant, présent. Une doctrine est passée si elle n'opère plus actuellement. La doctrine du rabbi Ieschouan'est pas passée, elle est actuelle et active.

Le mot « information » a donc finalement trouvé, comme nous l'annoncions au début de cetravail, la plénitude de son double sens: non seulement enseignement, mais aussi pouvoir deconstruire, avec une multiplicité d'éléments, un organisme comportant une multitude de fondionsdifférenciées. C'est bien l'enseignement qui constitue l'organisme. Le mot information a pris sesdeux sens: communication d'une science et constitution d'une structure vivante et subsistante, ce

corps qui se développe et grandit depuis maintenant plus de dix-neuf siècles. Il y a donc bien uneanalogie légitime, comme nous l'indiquions, avec l'ordre biologique, dans lequel c'est aussi uneinformation génétique qui commande à la construction de l'organisme. D'ailleurs, le rabbiIeschoua, nous l'avons vu, prend constamment ses analogies dans l'ordre biologique, et le rabbiSchaoul, après lui, fera de même, puisque c'est lui qui a exposé l'analogie entre l'assemblée desdisciples de Ieschoua, l'Église, et un corps organisé vivant, aux fondions multiples etdifférenciées.

On remarque le réalisme de la doctrine du rabbi, selon laquelle il est présent, réellement,actuellement, dans l'ensemble de ceux qui reçoivent l'information venant de lui. C'est ce réalismeque l'Église issue de lui a toujours voulu préserver contre ceux qui, méconnaissant l'analogie biologique, voulaient exténuer ce réalisme, et n'avaient pas compris la nature de cette réalité

nouvelle qui est l'Église, l'assemblée composée par ceux qui sont créés nouveaux par l'enseignement du rabbi, assemblée qui ne comporte pas seulement une unité d'ordre juridique ouextrinsèque, mais une unité d'organisme de type biologique, une unité dont le principeinformateur, le lien immanent, le vinculum substantialeest Ieschoua lui-même.

Cette doctrine de l'information du corps des disciples de Ieschoua, cette doctrine del'information actuelle et continuée, de la présence actuelle et informante de Ieschoua dans ceCorps qu'est l'Église, permet de comprendre la doctrine qui va être dégagée et élaborée par lesPères grecs et latins. A vrai dire, cette information et cette présence réelle du rabbi Ieschoua dansle peuple de ceux qui ont reçu l'information qui vient de lui, c'est vraiment une création nouvelle,la création d'une humanité nouvelle, et puisque, selon l'enseignement formel de Ieschoua, c'estDieu lui-même qui est reçu lorsqu'on reçoit l'enseignement de Ieschoua, cette création nouvelle

Page 145: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 145/160

145

d'une humanité intégrée dans un Corps informé par la doctrine du rabbi, qui est l'enseignement deDieu, est une authentique divinisation. Les Pères grecs et latins, Irénée, Athanase, Basile deCésarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Augustin, et bien d'autres, iront jusque-là. Le

 but de cette création nouvelle opérée par la communication à l'humanité d'un enseignement dontIeschoua est la source, et qui vient de Dieu même, ce but c'est la divinisation de l'humanité,divinisation qui n'implique et ne comporte aucune confusion des natures ni des personnes.L'ensemble des personnes qui reçoivent librement l'enseignement du rabbi, qui lui donnent leur assentiment raisonnable, qui naissent à la vie nouvelle définie par cet enseignement, cet ensembleest informé du dedans, pénétré, travaillé, recréé, par Dieu même, par un enseignement qui vientde lui.

C'est ce que pensait l'auteur du quatrième Évangile: Ieschoua, il est l'Enseignement même deDieu, cet enseignement par lequel, dans lequel, toute la création a été effectuée, et par lequel,dans lequel, Dieu achève sa création.

Page 146: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 146/160

146

XXIII. QUI EST IESCHOUA ?

 Nous avons essayé, jusqu'à présent, de notre mieux, d'exposer ce qui nous semble constituer les traits caractéristiques de l'enseignement évangélique, ce par quoi il se distingue des autresenseignements dont on peut trouver l'expression dans les livres de ce monde. Nous n'avons pascherché à dissimuler le caractère souvent violemment paradoxal de cet enseignement. Aucontraire, nous avons souligné à chaque pas comment et combien le rabbi Ieschoua heurtait les préjugés, les idées reçues, le système des valeurs établies, le plus souvent, dans l'humanité. Nousn'avons pas été complet. Pour prendre connaissance de la totalité de l'information contenue dansles Évangiles, il faut lire les Évangiles eux-mêmes. Notre effort ici n'a consisté qu'à dégager, pour un public supposé neuf, certaines lignes à nos yeux directrices.

Lorsqu'on a pris connaissance de l'enseignement du rabbi Ieschoua de Nazareth, lorsqu'on a pris connaissance de ce qu'on peut savoir aujourd'hui de sa vie, et de sa mort, de ce qu'il a dit et

de ce qu'il a fait, une question se pose inévitablement: Qui donc est cet homme, capable de guérir les malades, d'enseigner comme il l'a fait, de se comporter comme nous le voyons par les textesévangéliques ?

 Nous ne pouvons procéder que d'une manière inductive. Nous ne pouvons pas affirmer a prioriceci ou cela. Nous avons à notre disposition un enseignement, dont nous avons essayé de rappeler quelques traits essentiels. Nous avons à notre disposition aussi des récits portant sur des actes deIeschoua. A partir de là, il faut nous demander: Qui est cet homme, capable d'enseigner cettedoctrine et d'accomplir ces actes ?

Les contemporains de Ieschoua, ses compatriotes, ceux qui l'ont vu et entendu, ceux qui ont euà leur disposition d'une manière immédiate le donné expérimental que constitue l'existence physiquede Ieschoua, ses actes, son comportement, son enseignement, se sont posés la question. Le donné

expérimental était, il est vrai, inégalement proposé à l'intelligence des hommes de son temps, puisque les uns avaient suivi le rabbi, avaient vécu jour et nuit avec lui pendant des mois, peut-être des années, l'avaient entendu constamment, en public et en privé, avaient médité ensemblesur son enseignement et sur ses actes, avaient pu l'interroger: ce sont ses compagnons, quiapprenaient de lui. Tandis que d'autres ne l'avaient vu que d'une manière occasionnelle.

Les uns s'étaient intéressésà lui au point de tout quitter, travail, famille, pour le suivre, et ainsiils l'avaient évidemment mieux connu. D'autres ne lui avaient pas porté un intérêt égal, et s'étaientcontentés d'observer de loin.

 Néanmoins, nous l'avons noté, en présence du même donné expérimental, des interprétationsdiverses sont possibles. En présence du fait des guérisons opérées par le rabbi, les uns enconcluaient que la puissance de Dieu était avec cet homme, puisqu'il guérissait les malades.

D'autres au contraire, ses adversaires, en tiraient la conclusion qu'il opérait ces guérisons par la puissance du Mauvais.

Certains, comme le théologien juif appartenant au parti des pharisiens, appelé Nicodème, fontun raisonnement simple, à partir de ce qu'ils voient et entendent, et concluent, avec une grande partie du peuple, que si ce rabbi guérit, c'est que Dieu est avec lui:

Jean, 3, 1: « Il y avait un homme, d'entre les pharisiens, son nom était Nicodème, chef desJuifs. Celui-ci vint vers lui (vers Ieschoua) de nuit, et il lui dit: Rabbi, nous savons que tu es venude la part de Dieu comme docteur. Car personne ne peut faire ces signes que tu fais si Dieu n'est pas avec lui. »

En sciences, dans la pratique des sciences expérimentales, il est bien connu que, en présence dumême donné expérimental, les uns ne voient rien du tout, ne discernent pas la signification du

Page 147: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 147/160

147

 phénomène observé, tandis que d'autres, ou un autre, voient, d'un seul coup souvent, mais aprèsun long travail, et comprennent la signification du phénomène. Ils savent tout d'un coup endiscerner la loi immanente, la raison. Ils ont eu l'intelligence du donné, d'autres ne l'ont pas eue.

En psychologie, il est connu que, pour que la perception d'un donné soit réalisée, pour que lastructure du phénomène soit discernée et sa signification dégagée, il faut avoir déjà auparavant ceque les psychologues d'autrefois appelaient une « préperception ». Il faut en tout cas une activitéde l'intelligence, une opération propre de l'esprit.

Un jour Ieschoua demanda à ses compagnons ce qu'ils pensaient qu'il était. C'est Simon Bar Iona, surnommé par Ieschoua Kêphâ, c'est-à-dire le « Rocher », qui répondit au nom du groupedes compagnons. Dès que Simon-Kêphâ eut exprimé ce qu'avaient VU et compris les compagnonsde Ieschoua, au sujet de la nature de celui-ci, Ieschoua commença d'expliquer dans quelle voiedouloureuse il s'orientait. Alors Kêphâ tenta de détourner son rabbi bien-aimé de cette voie. Maisle rabbi le repoussa durement:

Marc, 8, 27: « Ieschoua, et ses disciples, s'en alla vers les villages de Césarée de Philippe. Et

sur le chemin il interrogeait ses disciples, en leur disant:« Qui les hommes disent-ils que je suis ? »« Ils lui dirent: « Jean-Baptiste », et d'autres, « Élie », d'autres, l'un des prophètes. »« Et lui il leur demandait: » Et vous, qui dites-vous que je suis ? »« Pierre répondit et lui dit: » Tu es le Christ ».« Et il leur enjoignit de ne (le) dire à personne à son sujet.« Et il commença à leur enseigner: Il faut que le fils de l'homme souffre beaucoup de choses,

qu'il soit rejeté par les anciens et par les grands prêtres et par les scribes, et qu'après trois jours ilressuscite.

« Et c'est ouvertement qu'il prononçait cette parole.« Et Pierre (Kêphâ) le prenant à partie commença à le réprimander.

« Lui se retourna et, voyant les disciples, il réprimanda Pierre et dit:« Arrière de moi, satan! Car tu ne penses pas les choses de Dieu mais les choses des hommes.»Mat. 16, 13: "Ieschoua vint dans la région de Césarée de Philippe. Il interrogea ses disciples en

disant: Les gens, qui, disent-ils, est selon eux le fils de l'homme ? Eux, les disciples, dirent: Lesuns disent que c'est Jean le baptiste, d'autres disent que c'est Élie, d'autres Jérémie ou l'un des prophètes. Ieschoua leur dit: Et vous, qui dites-vous que je suis ? Simon-Pierre répondit et dit: Tues le Christ, le fils du Dieu vivant.

« Ieschoua répondit et dit: Tu es heureux, Simon Bar Iona, parce que la chair et le sang ne t'ont pas révélé (cela) mais mon père qui est dans les cieux. »

Mat. 16, 21: « A partir de ce moment-là, Ieschoua le Meschiach commença à montrer à sesdisciples qu'il fallait qu'il aille à Jérusalem, et qu'il souffre beaucoup de la part des anciens, des

archi-prêtres et des scribes et qu'il meure... »Mat. 16, 22: « Alors Pierre le prit à part l'attira à lui et commença à lui faire des reproches (à le

gronder) en disant: Pas question ! Seigneur ! A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne sera pas pour toi. « Ieschoua se retourna et dit à Pierre: arrière de moi, satan. Tu es pierre d'achoppement pour moi, parce que tu ne penses pas les pensées de Dieu, mais les pensées des hommes. » (Cf. Marc, 8,32.)

Discerner qui est Ieschoua, c'est, nous l'avons dit, une induction, qui doit procéder à partir de cedonné qu'est la personne, l'existence, les actes et l'enseignement du rabbi. Kêphâ et sescompagnons ont opéré cette analyse inductive, au terme de laquelle ils ont conclu: Notre rabbi, c'est

Page 148: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 148/160

148

lui le meschiach, l'oint, attendu et annoncé par les prophètes. L'auteur du quatrième Évangile plustard ira plus loin. Il enseignera que Ieschoua de Nazareth, c'est lui la Parole créatrice par laquelle,dans laquelle, la création a été faite et continue d'être faite. Ce sera aussi la doctrine du rabbi

Schaoul. Ieschoua est la parole créatrice incréée même de Dieu.Selon ce que Ieschoua dit à Kêphâ le Roc, cet acte de l'intelligence par lequel l'homme, en présence

de ce donné expérimental concret que constituent l'existence, les actes et l'enseignement du rabbiIeschoua, parvient à discerner le contenu et la signification de ce donné, cet acte d'intelligence estfinalement donné par Dieu même. La capacité de discerner le sens de ce donné-là est fournie par le Créateur. Selon la tradition biblique, on s'en souvient peut-être, l'intelligence, comme l'être etla vie, sont donnés par le Créateur. On peut même demander l'intelligence, par la prière (cf.Psaume 119). C'est le cas ici, pour cet acte d'intelligence qui est le discernement, la connaissancede ce qu'est Ieschoua, qui est Ieschoua, la nature de Ieschoua.

 Nous avons vu précédemment, que la pistis, la « foi » dans le langage du Nouveau Testamentgrec, est une connaissance, une intelligence, fondée sur un donné expérimental qui est signifiant,

 porteur de signes, et dont le contenu intelligible est lu, discerné. Il faut donc ajouter maintenantque la capacité de lire la signification du donné expérimental que constituent l'existence etl'enseignement de Ieschoua, cela est donné par Dieu le Créateur.

 Nous avons donc rencontré les trois caractères par lesquels le travail théologique ultérieur vadéfinir l'acte de foi : c'est un acte rationnel, un acte de l'intelligence, un assentiment raisonnablede 1'intelligence (contre une conception fidéiste et obscurantiste de la foi). C'est un acte libre: nuln'est contraint de s'intéresser au rabbi Ieschoua, de le suivre, de l'écouter, de l'observer, et en présence des faits les plus extraordinaires, on a toujours la liberté de supposer, ou d'imaginer, queces guérisons sont opérées par la puissance du démon. Nul n'est contraint violemment par lavérité, ni dans cet ordre de choses, ni dans les autres. Cette intelligence qui est la foi, enfin, estdonnée par le Créateur même, qui donne l'être, la vie et la pensée. C'est ce que la théologie

ultérieure a voulu exprimer en disant que la foi est un don de grâce.

Dès lors que les compagnons de Ieschoua ont entrevu et compris, au moins partiellement, qui ilétait, Ieschoua commence à leur expliquer qu'il ne va pas à un triomphe, qu'il ne va pas monter sur le trône de David comme l'annonçaient certaines anciennes prophéties, mais qu'au contraire ilva être persécuté et haï au point d'être livré à la police de l'armée d'occupation romaine, et donccloué sur une croix, puisque c'était l'habitude des Romains.

Les compagnons de Ieschoua se « scandalisent » c'est-à-dire se heurtent, comme contre uncaillou, à cette perspective. Ieschoua leur explique les raisons pour lesquelles il va assumer librement, volontairement, la loi de l'existence prophétique, que nous avons rappelée dans notre

 précédent travail, et selon laquelle celui qui veut apporter et introduire une vérité, à contre-courant, — contre les intérêts politiques, économiques, religieux, intellectuels ou autres d'unmilieu donné, d'une caste donnée, d'une mentalité donnée, — celui-là rencontre une résistance,qui est d'autant plus violente que les intérêts engagés sont plus puissants, et que l'enseignement,l'information apportés par le prophète, imposent un renouvellement plus profond, plus radical.Ieschoua, qui enseigne la plénitude de l'information qui vient de Dieu, savait qu'il rencontrerait larésistance la plus violente, une résistance furieuse, non seulement de son temps, mais au cours detous les temps.

Cela aussi est un fait d'expérience, vérifiable aujourd'hui comme hier.Ce ne sont d'ailleurs pas, répétons-le ici, le Juif, du temps de Ieschoua en tant que tels qui ont

résisté plus spécialement que d'autres ne l'auraient fait à l'enseignement que Ieschoua voulait leur 

Page 149: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 149/160

149

communiquer. Les Juifs du temps de Jésus, et en tant que tels, ne sont ni pires ni meilleurs quetous les autres hommes. La résistance des Juifs du temps de Ieschoua, à son enseignement, c'est larésistance humaine, en ce lieu et en ce temps, à ce que Catherine de Sienne a appelé « la douce

vérité crucifiée », en tous les temps et en tous les lieux et dans tous les domaines. Si l'incarnationavait eu lieu à Paris, à Londres ou à Berlin, au milieu du XX e siècle, le résultat aurait été lemême, sauf que l'exécution du prophète juif n'aurait pas eu lieu par une croix de bois, mais par d'autres moyens de torture que les nations modernes, dites civilisées, ont mises au point.

A partir de là, connaissant la loi de l'existence prophétique, Ieschoua pouvait ou bien atténuer la force percutante de son enseignement, diminuer l'information qu'il estimait devoir communiquer, mettre, comme on dit en langage populaire, « de l'eau dans son vin », transiger, secompromettre, pour plaire aux autorités régnantes. C'était une méthode, pour échapper auxconséquences de la loi inhérente à l'existence prophétique. Jérémie, nous l'avons vu, a été tenté dese taire, pour ne plus avoir d'ennuis. Ou bien Ieschoua allait jusqu'au bout de la tâche qu'ilestimait être la sienne: dire tout ce qu'il avait à dire, faire tout ce qu'il avait à faire, et dans ce cas, il

savait qu'il allait rencontrer une résistance telle qu'il en serait, lui-même, la victime.Il faut expliquer à nos contemporains, comme il fallait sans doute l'expliquer aux compagnons

de Ieschoua, que ce n'est pas par masochisme, par amour pervers de la douleur et de la mort, par délectation pour l'échec, que le rabbi Ieschoua va librement et volontairement, consciemment, à lamort que les Romains avaient l’habitude de réserver aux rebelles et aux criminels: la crucifixion.

C'est parce que Ieschoua veut aller jusqu'au bout de la tâche qu'il s'est fixée, qu'il assume lesconséquences de cette tâche, laquelle ne peut se réaliser sans rencontrer une résistance violente etfurieuse, meurtrière.

Que Ieschoua ait eu horreur de cette mort, il suffit, pour s'en convaincre, de relire le récit desheures qui ont précédé son arrestation, au mont des Oliviers, dans le domaine appelé Gethsémani.Ce qui nous est relaté par ces textes (Mat. 26, 36 sq.; Marc, 14, 32 sq.; Luc 22, 40) ne peut pas

avoir été inventé par la communauté primitive. « Mon âme est triste jusqu'à la mort. » « MonPère, Abba, si cela est possible, que cette coupe passe loin de moi... » « Abba, Père, tout vous est possible, détournez de moi ce calice... »

Quelques analogies permettront sans doute à nos contemporains de comprendre pourquoiIeschoua va librement au supplice de la croix. Lorsqu'un « résistant », dans un pays occupéquelconque, travaille pour libérer sa patrie, il sait ce qu'il risque: tomber entre les mains de la police d'occupation, être torturé, être exécuté. S'il poursuit néanmoins sa tâche, ce n'est pas qu'ilaime la torture ou la mort. C'est qu'il ne peut pas accomplir sa tâche sans encourir ce risque, dansles conditions historiques où il se trouve placé.

Autre exemple: Lorsqu'un médecin, un chercheur, choisit de travailler sur des problèmesmédicaux qui imposent qu'on se serve, dans les expériences, de substances radioactives, il sait, il

savait surtout il y a quelques années encore, ce qu'il risque. Si cependant il poursuit sesrecherches dans cette voie, avec les risques que cela comporte, ce n'est pas qu'il aime la leucémie provoquée par les substances radioactives. C'est qu'il veut aboutir à un certain résultat, et pour obtenir ce résultat, il faut faire ce qu'il fait, et cela comporte des risques.

Il en était de même pour Ieschoua. L'humanité étant ce qu'elle est, à partir du moment où l'onveut lui communiquer un enseignement, un ensemble de vérités, projeter une lumière, quidérangent certains intérêts puissants, on soulève une haine, on provoque une réaction, qui estviolente et souvent meurtrière. Ieschoua n'est pas, loin de là, la seule victime de cette loi générale.Tout homme, encore une fois, qui essaie de faire passer la vérité, dans l'ordre scientifique, dansl'ordre politique, dans l'ordre historique, dans l'ordre économique, ou ailleurs, — en médecine, en pédagogie, dans tous les domaines de l'existence humaine, — tout homme qui travaille pour la

Page 150: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 150/160

150

 justice, rencontre des intérêts, politiques, économiques, intellectuels, ou autres, qui font obstacleet qui résistent. La résistance est d'autant plus violente que les intérêts en jeu sont plus puissantset que la lumière introduit plus bouleversante, plus révolutionnaire.

Ieschoua a assumé librement cette loi. Encore une fois, il pouvait se dispenser de l'assumer, etil pouvait finir ses jours tranquillement. Il pouvait aussi, pourquoi pas ? se marier et « faire desaffaires », avoir une « bonne situation », devenir un personnage honorable dans son milieu. Il achoisi d'être vagabond, sans feu ni lieu, sans propriété, et il a choisi la fin des criminels, la potence. Il pouvait se dispenser de faire tous ces choix, mais alors il fallait aussi renoncer àenseigner ce qu'il enseignait. Il fallait renoncer à communiquer à l'humanité ce qu'il lui acommuniqué. L'humanité étant ce qu'elle est, si l'on veut lui communiquer cet enseignement, ilfaut savoir qu'on rencontre une résistance. Ieschoua le savait, et il a choisi.

Ieschoua voulait obtenir un certain résultat: communiquer à l'humanité un enseignement, uneinformation, qu'il estimait venir de Dieu même, et nécessaire absolument pour que l'humanitédevienne enfin adulte, pour qu'elle s'achève normalement, pour qu'elle parvienne à son terme,

 pour qu'elle accède à ce but auquel elle est destinée: la participation libre à la vie divine. C'estcela que les chrétiens appellent « le salut ». — Pour obtenir ce résultat Ieschoua devait enseigner,et il ne pouvait pas enseigner, l'humanité étant ce qu'elle est, sans encourir le risque d'êtreassassiné. Il l'a fait, et il n'y a aucune trace de masochisme dans son cas, ni aucune névrosed'échec. Lorsque Marx, sa femme et ses filles connaissent la misère dans les hôtels de Londres,ce n'est pas par amour de la misère. Marx pouvait aussi finir comme très honorable Herr Doctor Professor Ordinarius (sehr geehrter Herr Professor...) dans une Université allemande. Il a choisi lamisère de Londres, et il a perdu deux de ses filles dans cette misère. Ce n'est pas qu'il ait aimél'échec. C'est parce qu'il voulait obtenir un certain résultat, qu'il a voulu travailler à cette œuvre qu'ilestimait juste et bonne. Pour cela, il s'est sacrifié, il a consenti, librement, et son ami Engels aveclui, à mener une vie de proscrit, pourchassé par les polices, pour mener à bien cette œuvre.

Mais, dans le cas de Ieschoua, dira-t-on, c'est différent, puisque, si l'on en croit les traditionsconcernant les miracles, il avait des pouvoirs tels qu'il pouvait se dispenser de se laisser arrêter  par la police de l'occupant. Il pouvait éviter la mort infamante.

 Nous avons déjà noté, à plusieurs reprises, que jamais Ieschoua n'a consenti à user de ses pouvoirs autrement qu'en faveur des malades ou des agonisants. Jamais il n'a consenti à lesutiliser pour lui-même. Il a même refusé explicitement cette possibilité, à plusieurs reprises.

Les récits qui se trouvent au début de l'Évangile de Matthieu (4, 1-11) et de l'Évangile de Luc(4, 1-13) portent justement sur ce point: le refus d'utiliser les pouvoirs de thaumaturge pour son profit personnel. Des critiques comme J. Jérémias pensent que dans Mat. 4, 1-11 et Luc 4, 1-13

sont combinées trois variantes d'un unique récit:Mat. 4, 1 s.: Luc, 4, 1 s.1.  « Alors Ieschoua fut conduit dans le désert par l'Esprit pour être tenté (éprouvé) par le

diable. Ayant jeûné 40 jours et 40 nuits, ensuite il eut faim. Le tentateur alla vers lui et lui dit: «Si tu es le fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. Lui (Ieschoua), répondant, dit: «Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vit, mais aussi de toute parole qui sort de la bouchede Dieu.

2.  « Alors le diable l'emmène à la ville sainte, et le place sur le faîte du temple et lui dit: « Si tues le fils de Dieu, jette-toi en bas. Car il est écrit (Ps. 91, 11 s): « A ses anges il donnera des ordresà ton sujet, et ils te porteront dans leurs mains, afin que tu ne heurtes pas contre une pierre avec ton pied. "

Page 151: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 151/160

151

« Ieschoua lui dit: « Oui, mais il est écrit aussi (Dt. 6, 16): «  Tu ne mettras pas à l'épreuve leSeigneur ton Dieu. »

3. Alors le diable l'emmène encore sur une montagne très haute, et il lui montre tous les

royaumes du monde et leur gloire, et il lui dit: « Toutes ces choses je te les donnerai, si, tombantà genoux, tu te prosternes devant moi. »

« Alors Ieschoua lui dit: « Va-t-en, satan. Car il est écrit: « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu età lui seul tu rendras un culte. »

« Alors le diable le laissa... »Ces «tentations », ces possibilités qui se sont offertes à Ieschoua pendant son existence 

terrestre, et qu'il a repoussées, sont aussi, pour une part, celles qui se présentent à l'Église de sesdisciples pendant la durée des siècles. L'Église des disciples de Ieschoua a pu connaître latentation d'imposer sa domination par les moyens que lui suggérait l'adversaire, le prince de cemonde. Pour dominer ce monde, pour dominer les peuples, les dictateurs savent bien ce qu'il fautfaire: il faut utiliser le mensonge, la « propagande », l'intoxication des esprits, il faut crétiniser les

 peuples par tous les moyens dont nous disposons aujourd'hui. Il faut abrutir et supprimer partoutoù il se trouve encore l'esprit critique. Ce sont ces moyens-là que l'Église des disciples deIeschoua, au cours des siècles, doit refuser, comme son rabbi les a refusés.

Lorsqu'il est arrêté par la police de l'occupant, Ieschoua n'oppose pas de résistance et il ordonneà Kêphâ, nous l'avons vu, de ranger son épée. Lorsqu'il est cloué sur la croix, des gens quiassistent au supplice font encore appel à ses pouvoirs surnaturels, pour qu'il en use:

Marc, 15, 32: « O Christ, ô roi d'Israël, descends maintenant de la croix, afin que nous voyionset que nous croyions ! »

Mat. 27, 42: « Il est le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons enlui. »

Pourquoi le rabbi, s'il est vrai qu'il possédait de tels pouvoirs, n'a-t-il pas voulu en user,lorsqu'il en avait besoin ? C'est ce qu'il a fallu faire comprendre aux compagnons de Ieschoua.L'explication nous paraît simple. Ieschoua n'a pas voulu jouer au thaumaturge avec nous, il n'a pas voulu jouer le dieu avec nous. Il n'a pas voulu nous « épater » avec des « prodiges ». Il n'a pasvoulu non plus « prendre le pouvoir » en usant de sa puissance. Il a voulu nous apporter unenseignement, un enseignement de vie, non pas pour lui, mais pour nous. S'il avait usé de ses pouvoirs surnaturels pour son propre profit, pour son propre intérêt, il n'aurait pas été pleinementl'un d'entre nous, il n'aurait pas fait partie de la condition humaine. Il n'aurait pas été uncompagnon pour nous. Il aurait, oserions-nous dire, triché. L'histoire évangélique aurait été alorsune histoire odieuse: un dieu qui vient parmi nous quelque temps et qui prend la liberté

d'échapper aux lois de l'existence humaine. Un visiteur, un passager, un être transcendant, maisnon un compagnon d'existence. Un étranger.

C'est l'idée que l'on se faisait alors du « messie » et du « messianisme » que Ieschoua a dûcorriger lorsqu'il a expliqué à ses compagnons qu'il n'allait pas au triomphe, et qu'il n'allait pas prendre le pouvoir. Il a fallu ré-informer l'idée de messianisme et lui donner une significationnouvelle. C'est la raison pour laquelle, de nombreux critiques l'ont souligné, Ieschoua ne se fait pas appeler « Messie » et il demande à ses compagnons de se taire à ce sujet. Il se fait appeler «fils de l'homme ».

Page 152: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 152/160

152

Lorsqu'on dit, dans les manuels, dans les livres de piété ou dans les sermons, que la mort et lacroix de Jésus sont « rédemptrices », il faut faire attention à ne pas provoquer un de ces nombreux

malentendus et contresens qui s'accumulent depuis des siècles autour du christianisme et qui,aujourd'hui, en rendent l'intelligence presque impossible à une grande partie de noscontemporains.

Ce n'est pas la mort de Jésus, ce n'est pas le supplice de la croix en tant que tels, qui sont «rédempteurs ». Ce qui est « rédempteur », c'est-à-dire libérateur, guérisseur, vivifiant, c'estl'enseignement et la personne de Ieschoua. «Pour nous communiquer pleinement et jusqu'au boutcet enseignement vivifiant et divinisateur, le rabbi a consenti à aller jusqu'au bout de la conditiondu messager de l'enseignement qui vient de Dieu. Il a consenti à rencontrer la haine de la véritéface à face. Parce qu'il a assumé cela jusqu'au bout, il a témoigné, il a prouvé, qu'il s'intéressait ànous, d'une manière désintéressée, si l'on peut dire. En d'autres termes, c'est pour nous, propternos, et non pas dans son propre intérêt, qu'il a assumé cette pénible condition qui consiste à nous

dire ce dont nous avons besoin pour être, pour vivre et échapper à la corruption En somme, c'estla vie qu'il nous communique, la pensée qu'il nous communique, qui est « rédemptrice ». La mortdu rabbi est la condition négative, imposée d'ailleurs par le crime humain, à l'exercice de cettecommunication de la vie.

Évitons, ici encore, de tomber dans une mythologie malsaine selon laquelle la mort par elle-même serait rédemptrice.

Ceux qui, parmi ses contemporains et compatriotes, et entendu le rabbi Ieschoua de Nazareth,ont parfois été se sont parfois heurtés, au fait que justement ils le connaissaient depuis longtempset dans sa vie quotidienne. Comment comprendre cette science, cette sagesse, cette puissance,

chez un que nous avons vu enfant, puis adolescent ?Mat. 13, 54: « Il alla dans sa patrie et il les enseignait dans leur synagogue, en sorte qu'ils

étaient frappés de stupeur et ils disaient: D'où lui vient cette sagesse et cette puissance ? cespouvoirs. Celui-ci n'est-il pas le fils du charpentier ? Est-ce que sa mère ne s'appelle pas Mariamet ses frères Jacob, Joseph, Simon et Judas ? Et ses soeurs, est-ce qu'elles ne sont pas toutes parmi nous ? Et ils butaient sur cette difficulté qu'ils trouvaient en lui.

« Ieschoua leur dit: Un prophète n'est sans honneur que dans sa patrie et dans sa maison. « Etil ne fit pas là des œuvres de puissance nombreuses, à cause de leur incrédulité. » (Cf. Marc, 6,1.)

C'est une objection qui a été formulée par des théologiens juifs: le roi qui a reçu l'onctionroyale, le meschiach attendu, il doit venir d'ailleurs. Sa transcendance doit être garantie par son

étrangeté. Tandis que celui-ci, le rabbi Ieschoua, nous l'avons vu naître savons de quel village ilest issu, nous connaissons sa mère et toute sa famille:

Jean, 7, 25: « Quelques-uns des habitants de Jérusalem dirent alors: N'est-ce pas celui qu'ilscherchent à faire mourir ? Et voici qu'il parle librement, et ils ne lui disent rien. Serait-ce quevraiment les chefs auraient reconnu que celui-ci est le meschiach? Mais celui-ci, nous savons d'où ilest. Tandis que le meschiach, lorsqu'il viendra, personne ne saura d'où il est. »

Il existe une connaissance négative, si l'on peut dire, un discernement par la haine, uneintuition par l'horreur, de ce qu'est en réalité et au fond le rabbi Ieschoua. Ceux que les Évangilesappellent les « esprits impurs » discernent, par répulsion, ou du moins avec répulsion, qui est le

Page 153: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 153/160

153

rabbi Ieschoua. Et ils le disent:Marc, 1, 23: « Il y avait dans leur synagogue un homme (qui était) dans un esprit impur. Il cria

en disant: Qu'y a-t-il à nous et à toi, Ieschoua de Nazareth ? Es-tu venu nous perdre ? Je sais qui

tu es: le saint de Dieu. »L'expression grecque: ti hêmin kai soi, que l'on traduit habituellement par: « Qu'y a-t-il entre

nous et toi », signifie littéralement: « Quoi à nous et quoi à toi ? » Elle correspond à l'expressionhébraïque: ma li walak, que l'on traduit aussi habituellement par: « Qu'y a-t-il entre moi et toi ? ».Exemples:

Juges, 11, 12: « Jephté envoya des messagers au roi des fils d'Ammon pour dire: » Qu'y a-t-ilentre moi et toi, pour que tu sois venu vers moi guerroyer dans mon pays ? »

II Sam. 16, 10: « Abisaï, fils de Serouyah, dit au roi: Pourquoi ce chien mort maudit-il monseigneur le roi? Permets que je traverse et que je lui enlève la tête. Mais le roi dit: Qu'y a-t-ilentre moi et vous, fils de Serouyah ? S'il maudit et si Yhwh lui a dit: Maudis David ! qui peutdire: Pourquoi agis-tu ainsi ? »

II Sam. 19, 23: « Abisaï, fils de Seroyah, prit la parole et dit: Est-ce que Shimei ne sera pasmis à mort pour avoir maudit l'oint de Yhwh? Mais David dit: » Qu'y a-t-il entre moi et vous, filsde Serouyah, pour qu'aujourd'hui vous deveniez pour moi comme un adversaire (le satan) ? »

Littéralement: « quoi à moi et à vous... »I Rois, 17, 18: « Après ces événements, il advint que le fils de la maîtresse de la maison tomba

malade et que sa maladie devint si forte qu'il ne lui resta plus de souffle. Alors elle dit à Élie: qu'ya-t-il entre moi et toi (ma li walak: quoi à moi et à toi) homme de Dieu ? Tu es venu chez moi pour rappeler ma faute et pour faire mourir mon fils. »

II Rois, 3, 13: « Élisée dit au roi d'Israël: ma li walak, quoi à moi et à toi? Va-t-en vers les prophètes de ton père et vers les prophètes de ta mère. »

II Rois, 9, 18: « Le cavalier partit à la rencontre et dit: Ainsi a parlé le roi: Est-ce la paix? Jéhu

dit: Qu'y a-t-il de commun entre toi et la paix ? Ma leka ouleschalom, quoi à toi et à la paix ? »II Chron. 35, 21: « Le roi d'Égypte Néchao monta pour guerroyer à Carchémish sur l'Euphrate

et Josias sortit à sa rencontre. Néchao lui envoya des messagers pour dire: Qu'y a-t-il entre moi ettoi, roi de Juda ? ma li walak, quoi à moi et à toi ?

« Ce n'est pas contre toi que je viens aujourd'hui, mais contre une maison avec qui je suis enguerre... »

D'après ces exemples, on voit que l'expression hébraïque: « quoi à moi et à toi ? » ou « quoi àmoi et à vous ? » signifie, en bon français: quelle relation, quel rapport, existe-t-il entre moi ettoi, ou vous ? Qu'avons-nous à faire ensemble ?

L'expression marque donc une répulsion: puisque nous n'avons rien à faire ensemble, puisqu'iln'y a pas de rapport, de relation entre nous, eh bien, allons chacun de notre côté.

Marc, 5, 1: « Et ils arrivèrent de l'autre côté de la mer, dans le pays des Géraséniens. Il sortitde la barque, et aussitôt vint à sa rencontre, sortant des tombeaux, un homme (qui était) dans unesprit impur, qui avait sa demeure dans les tombeaux. Et même avec une chaîne, personne ne pouvait le lier, car on l'avait souvent attaché avec des entraves et des chaînes, mais il avait mis enmorceaux les chaînes et brisé les entraves, et personne ne pouvait s'en rendre maître. Et chaquenuit, chaque jour, dans les tombes et dans les montagnes il était, il criait et il se blessait lui-mêmeavec des pierres.

« Voyant Ieschoua de loin, il courut et se prosterna devant lui, et il cria d'une voix forte, endisant: Quoi à moi et à toi, quel rapport y a-t-il entre moi et toi, Ieschoua, fils du Dieu très haut ?Je t'adjure par Dieu, ne me tourmente pas.

« Car il (Ieschoua) lui disait: sors, esprit impur, de l'homme. Et il lui demandait: Quel est ton

Page 154: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 154/160

154

nom ? Et il (l'esprit) lui dit: légion est mon nom, car nous sommes nombreux. » (Cf. Mat. 8, 28;Luc, 8, 26.)

D'après Matthieu, 8, 28 sq., il y avait deux démoniaques qui sortent d'entre les tombes. Ils

crient aussi: « quoi à nous et à toi ? fils de Dieu »? Et ils ajoutent: « tu es venu nous torturer avantle temps fixé ».

Il est vrai, c'est encore un fait d'expérience, que l'enseignement du rabbi Ieschoua est torturant pour beaucoup d'entre nous, plus ou moins peut-être pour chacun d'entre nous. Quelque chose ennous résiste douloureusement à cet enseignement qui pénètre les secrets des cœurs (ce que lesmodernes psychologues appellent « l'inconscient ») et qui réveille en nous des monstres endormisou cachés. Nous pouvons parfois discerner une révolte en nous contre l'enseignementévangélique. Et c'est bien pourquoi, — nous émettons cette hypothèse, — beaucoup de gens préfèrent ne pas lire ces quatre petits livres que sont les Évangiles. 

 Nous avons, au début de l'Évangile de Luc, un texte qui nous relate une réaction de Simon,celui qui sera surnommé le « Rocher » par Ieschoua. C'est une réaction de fuite, un réflexe de

défense, en présence de celui dont on découvre la terrible puissance et sainteté. Simon exprime laraison de cette réaction négative:

Luc, 5, 1: « Pendant que la foule se groupait autour de lui et écoutait la parole de Dieu, lui setenait sur le bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui étaient arrêtées sur le bord du lac.Les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.

« Il monta dans une des barques — c'était la barque de Simon — et il lui demanda de s'écarter un peu de la terre. Il s'assit, et de la barque il enseignait les foules.

« Quand il eut cessé de parler, il dit à Simon: conduis la barque au large, et lâchez vos filets pour la pêche.

« Et Simon, en réponse, lui dit: Rabbi, toute la nuit nous avons peiné, et nous n'avons rien pris.Mais, sur ta parole, je lâcherai les filets.

« Ils le firent, et ils prirent une grande quantité de poissons. Les filets allaient se rompre.« Ils firent signe aux associés qui étaient dans l'autre barque, de venir les aider. Ils vinrent, et

ils remplirent les deux barques en sorte qu'elles s'enfonçaient.« Ce que voyant, Simon Képha (Pierre) tomba aux genoux de Ieschoua et lui dit: «  Éloigne-toi

de moi, car je suis un homme pécheur, Seigneur.»

Page 155: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 155/160

155

XXIV. LA QUESTION DE LA VÉRITÉ DU CHRISTIANISME

Pour nous qui vivons au XXe siècle après la naissance du rabbi, la même question se pose que pour les contemporains et compatriotes de Ieschoua.

L'enseignement de Ieschoua étant ce qu'il est, il faut nous demander: Quelle est la source decet enseignement ?

A cette question on ne peut répondre que si l'on a examiné de très près l'enseignement durabbi, et si l'on a d'abord porté un jugement sur la valeur de cet enseignement. Celui qui pense,l'ayant examiné, que cet enseignement n'a aucune valeur, ou une valeur médiocre, celui-là n'auraaucune peine à répondre: « Ieschoua de Nazareth ? C'est un prophète juif, thaumaturge sans doute,capable de guérir, et qui a enseigné une doctrine qui ne nous semble pas particulièrementintéressante. Il n'y a pas plus de problème pour ce rabbi juif que pour Chrysippe le Stoïcien, ou pour Épicure. Une doctrine parmi d'autres, moins importante, moins intéressante que d'autres. »

Voilà ce que certains répondront. Le problème est à leurs yeux, résolu.Mais ceux qui, ayant examiné de près cet enseignement du rabbi juif, auront le sentiment que

cet enseignement est exceptionnel, par sa profondeur, sa richesse, sa vérité, ceux-là serontconduits à se demander: « Qui donc est cet homme, capable d'enseigner une doctrine qui ne noussemble pas pouvoir être comparée à aucune autre doctrine parmi celles dont nous avons pu prendre connaissance en lisant les livres de ce monde ? » Ceux-là réagiront comme les serviteursque les Grands Prêtres avaient envoyés pour se saisir de Ieschoua. Ils revinrent sans avoir arrêtéIeschoua, en disant: « Jamais un homme n'a parlé de cette manière »(Jean, 7, 46).

La question de savoir: Qui est Ieschoua ? Est-il vrai, comme il le dit, qu'il est envoyé de Dieumême? — cette question, pour être traitée, demande à être précédée d'une analyse, portant sur l'enseignement du rabbi palestinien, et se posant constamment la question de savoir si cet

enseignement est vrai. Si cet enseignement se présente à nous comme vérité, intégrale et d'une profondeur dont nous

n'avons pas encore atteint le fond, alors la question se posera: Est-ce qu'il n'a pas dit vrai, lorsqu'ila enseigné qu'il était envoyé de Dieu, et que son enseignement vient de Dieu ?

Son enseignement, dans ce cas, apparaîtra comme ce par quoi Dieu le Créateur veut achever sacréation et diviniser l'homme.

Il doit donc exister une certaine concordance entre les vérités que l'intelligence peut discerner  par l'analyse de la création en train de se faire, et les doctrines proposées par Ieschoua. C'est direque, normalement, l'enseignement du rabbi doit être vérifiable. 

 Nous ne procédons pas d'une manière autoritaire, — d'ailleurs totalement inefficaceaujourd'hui, comme hier. Nous ne posons pas a priori la divinité de Jésus, pour, à partir de là,

conférer d'une manière extrinsèque une autorité souveraine à son enseignement. Toute laquestion, pour l'intelligence contemporaine, est de savoir comment répondre à la question de ladivinité de Jésus. Nous partons du donné qui est offert à tous, et nous proposons une analyseinductive, pour, à partir de ce donné, répondre, peut-être, à la question ultime concernantIeschoua.

Que signifie la question de la vérité, à propos de cet enseignement ? Nous avons essayé d'examiner successivement un certain nombre de propositions, paradoxales,

concernant la pauvreté, la puissance de la douceur, le refus d'opposer l'agression à l'agression, le privilège de l'enfance du point de vue de l'intelligence, et puis des lois que nous avons appeléesontogénétiques. Pour chacune de ces propositions, il faut nous demander: Est-ce que cela est vrai? Est-il vrai, comme l'enseigne le rabbi Ieschoua, que la pauvreté consentie soit libératrice,

Page 156: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 156/160

156

humanisante et qu'elle permette d'entrer dans l'économie de la vie divine ? Est-il vrai que lavéritable puissance soit douce ? Est-ce que la méthode préconisée par le rabbi en présence del'agression est bonne, efficace, intelligente, — ou bien au contraire utopique ? Bref, en présence

de chacun des éléments de cet enseignement, il faut nous poser la question de la vérité. Il fautvérifier cet enseignement. Cela peut se faire, le rabbi le disait déjà. Il disait que, dès cette durée-ci,on peut vérifier que celui qui, pour lui, quitte mère, père, sœurs, maisons, etc., retrouve lecentuple, — avec des persécutions. On peut vérifier, dès cette durée-ci, dans l'existence présente,la vérité de ce que nous avons appelé la loi ontogénétique fondamentale. Tout l'Évangile estvérifiable. Il ne s'adresse pas à des gens susceptibles de faire un « acte de foi » aveugle, en des propositions qu'ils ne comprendraient pas. Il s'adresse à des gens normaux, des paysans desouvriers, des marins, à qui il faut parler un langage normal et positif, raisonnable.

Pour vérifier l'enseignement évangélique, il faut faire appel au psychologue, à l'anthropologue,à l'historien, à tous ceux qui, dans un domaine ou dans un autre, ont affaire avec la réalitéhumaine, et sont susceptibles de vérifier la vérité, ou de constater l'inexactitude, des propositions

fondamentales qui constituent l'enseignement évangélique.

La question d'ensemble de la vérité du christianisme doit se traiter à divers niveaux.Il faut d'abord traiter de la question, commune au judaïsme, au christianisme et à l'Islam, de la

vérité du monothéisme. Est-il vrai que le monde ne soit pas le seul Être, mais qu'il en existe unautre, dont il dépend du point de vue de l'exister et en tout ce qu'il contient ? Est-il vrai que lemonde ne soit pas l'Être absolu, suffisant, éternel ? Est-il vrai que l'Être absolu est autre que lemonde, distinct du monde, créateur du monde ?

Cette question préalable est celle que soulève le monothéisme en général et en tant que tel. Ellen'est pas propre au christianisme. Mais comme le christianisme inclut le monothéisme dans

l'ensemble des doctrines qui le constituent, comme le christianisme est un monothéisme, il fauttraiter de la vérité du monothéisme, si l'on veut traiter de la vérité du christianisme.

Le christianisme est une forme du monothéisme. Il appartient à la classe des religionsmonothéistes. Si le monothéisme est faux alors le christianisme est faux aussi. Si le monothéismeest vrai cela ne prouve pas encore que tout le christianisme soit vrai car le christianisme comportedes éléments qui ne sont pas inclus dans l'ensemble des éléments qui définissent le judaïsme etl'islam religions monothéistes.

Il faut donc d'abord examiner si le monothéisme est vrai, et ensuite examiner si les éléments propres au christianisme sont vrais aussi.

 Nous devons donc commencer par le plus général, le monothéisme, pour aller de là au plus particulier, l'enseignement propre au christianisme.

Dans un travail antérieur, nous avons essayé de voir comment se pose aujourd'hui, en fonctionde ce que nous connaissons du monde et de tout ce qu'il contient, le problème de l'existence deDieu57.

 Nous avons cru pouvoir conclure qu'en fait l'athéisme pur est impensable, contradictoire, quele monde ne peut pas être pensé le seul Être existant. Si l'on tente de penser l'univers comme leseul Être existant, alors on est conduit, de fil en aiguille, à lui prêter tous les caractères de ladivinité, et cette divinisation du monde physique entraîne des conséquences absurdes. Il enrésulte qu'il n'est pas possible de penser le monde comme le seul Être existant, et qu'il faut, pour  penser le monde correctement, supposer nécessairement l'existence d'un Être qui communique au

57 Claude TRESMONTANT, Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, Éditions du Seuil, 1966. 

Page 157: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 157/160

157

monde l'être, l'information, la vie, la pensée, et tout ce qu'il contient, tout ce qui le caractérise.L'analyse du problème de l'existence de Dieu procède à partir d'une constatation très simple,

immense et incontestable: au cours de l'histoire de /'univers, l'information va croissant. Ce qui

signifie, en d'autres termes, que la création d'êtres nouveaux, de structures nouvelles,d'organismes nouveaux, est constamment en cours, depuis des milliards d'années. Les êtres qui précèdent ne peuvent pas rendre compte de la genèse de cette information nouvelle qui s'opère.Les êtres, ou l'ordre des choses, à un moment donné de l'histoire de l'univers, ne peuvent pasrendre compte de la genèse d'êtres nouveaux, et d'un ordre naturel nouveau. Il y a de la création entrain de s'opérer depuis des milliards d'années.Ce n'est pas la matière d'il y a dix milliards d'années quiinvente, par elle-même, l'information génétique qui va apparaître il y a trois milliards d'années.Ce ne sont pas les gènes des microorganismes qui peuplaient les mers il y a un ou deux milliardsd'années, qui peuvent rendre compte de l'invention, de la création, d'une information génétiquecapable de commander à la genèse d'un organisme comme l'organisme humain. Un courantcréateur traverse la matière, les êtres, au cours des milliards d'années que nous atteignons par la

science. Ce courant créateur, ce geste créateur, informe la matière et compose des structures de plus en plus complexes. La source de l'information organisatrice et créatrice, c'est cela que nousatteignons par analyse inductive à partir du donné et que, en première approximation, commeAristote le fit pour l'Acte premier, nous appelons « Dieu ». Il est celui qui communiquel'information, même si on laisse de côté, provisoirement, le problème encore irrésolu de l'éternitéou de la non éternité du monde. Ce que nous retrouvons ainsi, par analyse du donné moderne,c'est la prima via. 

Pour traiter la question de la vérité du christianisme, une fois que l'on a traité la question de lavérité du monothéisme en général, il faut traiter de la question, moins générale, mais commune

encore au judaïsme, au christianisme et à l'islam, de la révélation de Dieu en Israël. Car le judaïsme, le christianisme et l'islam admettent qu'en Israël, depuis Abraham, Dieu s'est manifesté.Il faut voir si cela est vrai, ou non. Là encore, si cela est faux, alors le christianisme est faux, car lechristianisme présuppose la vérité de cette révélation accordée aux prophètes d'Israël depuisAbraham jusqu'à Iohannan le baptiseur. Mais s'il est vrai qu'en Israël depuis Abraham jusqu'àJean, Dieu se soit manifesté, cela ne prouve pas encore que le christianisme tout entier soit vrai,car il reste à examiner la vérité de la doctrine et de la personne du rabbi Ieschoua de Nazareth.

 Nous avons essayé, dans un travail antérieur 58, d'examiner cette question de la vérité de larévélation effectuée en Israël depuis Abraham, jusqu'aux derniers des grands prophètes d'Israël,en laissant de côté la question du rabbi Ieschoua.

S'il est vrai qu'en Israël le Dieu vivant s'est manifesté par l'intermédiaire de ses serviteurs les

 prophètes, alors il y a un fonds commun, un tronc commun, de vérité, dans le judaïsme, lechristianisme et l'islam.

Mais cela ne prouve pas encore que tout le christianisme soit vérité, car il existe des élémentsde doctrine qui sont propres au christianisme et qui ne sont pas communs au christianisme, au judaïsme et à l'islam.

Il reste donc à examiner la vérité de la doctrine du rabbi Ieschoua.On voit que notre démarche et notre méthode sont directement opposées au point de vue le

 plus communément admis aujourd'hui parmi les chrétiens, et tout particulièrement à la doctrine dugrand théologien protestant Karl Barth.

58 Claude TRESMONTANT, Le Problème de la Révélation, Éditions du Seuil, 1969. 

Page 158: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 158/160

158

Karl Barth pense qu'il n'y a de connaissance de Dieu « qu'en Jésus-Christ ». — Nous pensons pour notre part qu'il existe une authentique connaissance de Dieu possible à partir d'uneméditation sur le monde et sur tout ce qu'il renferme. C'est ce qu'on appelle la « théologie

naturelle », qui a très mauvaise presse aujourd'hui et que Karl Barth attaque violemment. Nous ne pensons pas que la théologie naturelle soit suffisante, mais nous pensons qu'elle est possible etnécessaire. 

 Nous pensons qu'elle est possible contre ceux qui, kantiens, positivistes ou néopositivistes,assurent, au nom d'une certaine théorie de la connaissance, que l'intelligence humaine ne peut pasaller jusqu'à connaître avec certitude, à partir du monde, l'existence d'un Être distinct du monde etcréateur du monde. C'est un problème qui relève de la critique de la connaissance et de lamétaphysique. C'est le problème de la possibilité de la métaphysique en tant que science. Nousn'y reviendrons pas ici.

Rappelons simplement un malentendu très largement répandu. Si l'on entend par «métaphysique » une spéculation ou un ensemble de spéculations qui n'ont pas de fondement dans

l'expérience et qui s'édifient a priori par voie déductive, alors nous partageons le scepticisme descritiques de la métaphysique. Mais il n'y a pas dans l'histoire de la philosophie que desmétaphysiques de ce type, construites a priori. Il n'y a pas que la méthode déductive a priori. Ilexiste aussi des efforts d'analyse métaphysique fondée sur la réalité objective scientifiquementexplorée, — non plus construction et déduction a priori, mais analyse inductive patiente ettâtonnante. C'était la méthode du naturaliste Aristote, ce fut récemment la méthode du grandBergson, qui fut toute sa vie un étudiant studieux en biologie. Cette méthode-là ne nous paraît pastomber sous le coup des critiques kantiennes, positivistes et néopositivistes de la « métaphysique», telle que les kantiens et les positivistes l'entendent. Car Kant a toujours compris par «métaphysique » exclusivement une démarche analogue à celle de Wolff, qui est précisément unedémarche déductive a priori, une pure construction par concepts, et non une analyse inductive

 procédant à partir de l'expérience. Kant répète constamment que la métaphysique, telle qu'ill'entend, est une construction pure par concepts, édifiée a priori, et sans partir de l'expériencesensible. Nous lui laissons donc volontiers entre les mains le cadavre de la « métaphysique » ainsicomprise. Cela ne nous concerne pas.

 Nous pensons que la théologie naturelle est nécessaire et bonne contre les théologiens qui,comme Karl Barth, pensent qu'elle est non seulement inutile mais nuisible et mauvaise, car, nousdit Barth, le dieu auquel elle parvient ne peut être qu'une idole. C'est le dieu des philosophes etnon pas le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

 Nous savons bien que le dieu, ou plutôt les dieux divers, de Platon, d'Aristote, de Plotin,d'Avicenne, d'Averroès, de Spinoza et de Hegel, ne sont pas le Dieu d'Abraham et des prophèteshébreux. Cela, c'est une question de fait.

Mais nous ne pensons pas que l'Être auquel l'intelligence humaine parvient en tâtonnant par une méditation sur le monde, soit autre que le Dieu qui s'est manifesté en Israël. Nous pensonsque l'Absolu est unique. Il est le créateur du ciel et de la terre, — des galaxies en fuite et de toutce que contient notre minuscule planète. Il est connaissable à partir de sa création, parce que sacréation le manifeste. Il est connaissable à partir d'Israël parce qu'en Israël il s'est manifesté. Maisil n'y a pas deux dieux, un Dieu de la création, et un Dieu de la manifestation, en Israël et enJésus.

 Notre méthode, contrairement à celle de Barth, consiste donc à sérier les questions. Nous pensons qu'il est possible d'avoir une certaine connaissance de Dieu, incomplète certes, maisauthentique, par une simple méditation sur le monde. Nous pensons que à l'intérieur du judaïsmeil existe une authentique connaissance de Dieu, incomplète encore, par l'intermédiaire des grands

Page 159: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 159/160

159

 prophètes d'Israël, et indépendamment du dernier d'entre eux, Ieschoua. Nous ne pensons pasque, si l'on cesse d'être chrétien, l'on doive nécessairement cesser d'être monothéiste; que l'ondoive passer nécessairement du christianisme à l'athéisme, car nous pensons qu'il existe des

étages dans la construction qui est l'ensemble du christianisme. Il existe un fonds commun à tousles monothéismes, la conviction qu'il existe un Être absolu distinct du monde et créateur dumonde. Un fonds commun au judaïsme, au christianisme et à l'islam: la conviction qu'en Israël, par l'intermédiaire des prophètes d'Israël, Dieu s'est manifesté. Et puis une part qui est propre auchristianisme, qui n'est pas reçue par le judaïsme, la part spécifiquement chrétienne, la personneet l'enseignement du rabbi Ieschoua.

 Nous ne pensons pas, contrairement à la plupart de nos contemporains, que la question de lavérité du christianisme soit une question de « foi », au sens où l'on entend le mot « foi » dans lelangage contemporain, c'est-à-dire d'adhésion aveugle, irrationnelle, relevant d'une « option » plus ou moins arbitraire et sentimentale. Nous pensons que la question de la vérité duchristianisme, sur tous les plans, à tous les niveaux, relève de l'analyse, de l'intelligence et de

l'expérience.Marana-tha. Paris, mai 1969. 

Page 160: Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

7/29/2019 Tresmontant Claude - Enseignement de Ieschoua de Nazareth

http://slidepdf.com/reader/full/tresmontant-claude-enseignement-de-ieschoua-de-nazareth 160/160

160

TABLE

P L A T R E C T O .................................................................................................................................................................... 1 PLAT VERSO ...................................................................................................................................................................... 2 DU MÊME AUTEUR ............................................................................................................................................................. 3 

AUX MÊMES ÉDITIONS.................................................................................................................................... 3 CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS ............................................................................................................................ 3 

INTRODUCTION................................................................................................................................................................... 4 I .  LE GUÉRISSEUR .................................................................................................................................................. 16 I I.  L'ENSEIGNEUR .................................................................................................................................................... 27 I I I .  LE PRIVILÈGE DE LA PAUVRETÉ .................................................................................................................. 31 IV.  LE SOUCI .............................................................................................................................................................. 43 V.  L A DOUCEUR ET L A PUISSANCE ......................................................................................................... 47 VI .  LA PITIÉ ................................................................................................................................................................. 50 VII.  LA PAIX .................................................................................................................................................................. 51 VII I. LA PERSÉCUTION POUR LA J USTICE........................................................................................................... 65 IX.  LE PRIVIL ÈGE DE L'ENFANCE ....................................................................................................................... 67 X.  LES « LIENS DU SANG »..................................................................................................................................... 70 XI .  L'ÉTAT .................................................................................................................................................................... 73 XII.  LA RELIGION ÉTABLI E ..................................................................................................................................... 75 

LE SABBAT ..................................................................................................................................................... 76 LE JEÛNE........................................................................................................................................................... 79 LES PURIFICATIONS RITUELLES................................................................................................................. 80 LE CŒUR DE L'HOMME.................................................................................................................................. 80 LA CRITIQUE DE L'HOMME RELIGIEUX 82