un drame de la deuxième guerre · 2018. 4. 13. · l’histo - rien exceptionnel que fut lawrence...

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Un drame de la Deuxième Guerre Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada Les Presses de l’Université de Montréal Greg Robinson

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    Même avant Pearl Harbor, les Japonais vivant sur les territoires

    américain et canadien, qu’ils soient citoyens, naturalisés ou

    immigrants reçus, de première ou de deuxième génération, sont

    considérés comme des traîtres potentiels. La guerre déclenchée,

    ils seront rassemblés, déportés, maintenus en captivité dans des

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    l’on sait peu ou pas, c’est que le Canada en rajoute : séparation des

    familles, incarcération dans des camps où le froid et le dénuement

    complet rendent les conditions de vie encore plus dures, propriétés

    vendues de force par le gouvernement. Ce n’est qu’après la guerre

    que ces citoyens vont pouvoir réintégrer la vie civile, traumatisés,

    dépouillés de leurs biens, encore victimes du racisme ambiant.

    Plusieurs d’entre eux trouveront refuge au Québec, où ils bénéfi -

    cieront d’une relative bienveillance de la population et d’un appui

    important de l’Église.

    Greg Robinson rompt le silence entourant cet épisode honteux

    de l’histoire nord-américaine. Professeur au Département d’histoire

    de l’UQAM et membre associé de l’Observatoire sur les États-Unis de

    la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques

    de l’UQAM, il est spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale aux États-

    Unis et de l’enfermement des Américains d’origine japonaise.

    Un drame de la Deuxième Guerre

    Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

    isbn 978-2-7606-2188-6

    39,95 $ • 36 e Photo : © Ministère de la Défense nationale du CanadaBibliothèque et Archives Canada / PA-112539

    www.pum.umontreal.ca

    Un drame de la Deuxième GuerreLe sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Greg Robinson

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  • un drame de la deuxième guerreLe sort de la minorité japonaise

    aux États-Unis et au Canada

    Traduit par Véronique Dassas et Colette St-Hilaire

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Greg Robinson

  • Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Robinson, Greg, 1966-Un drame de la Deuxième Guerre : le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada Traduction de : A tragedy of democracy. Comprend des réf. bibliogr. isbn 978-2-7606-2188-61. Américains d’origine japonaise – Évacuation et relogement, 1942-1945.2. Américains d’origine japonaise – Conditions sociales – 20e siècle.3. Américains d’origine japonaise – Politique gouvernementale – Histoire – 20e siècle.4. Canadiens d’origine japonaise – Évacuation et relogement, 1942-1945.5. Guerre mondiale, 1939-1945 – Aspect social – Amérique du Nord.6. Japonais - Amérique du Nord – Histoire – 20e siècle. I. Titre.d769.8.a6r6214 2011 940.53’1773 c2011-941724-3

    Dépôt légal : 4e trimestre 2011Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Les Presses de l’Université de Montréal, 2011

    isbn (papier) 978-2-7606-2188-6isbn (epub) 978-2-7606-2735-2isbn (pdf) 978-2-7606-2734-5

    Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).Nous remercions le gouvernement du Canada de son soutien financier pour nos activités de traduction dans le cadre du Programme national de traduction pour l’édition du livre.

    imprimé au canada en décembre 2011

  • À la mémoire de Toni Robinson et de

    Lilian S. Robinson

  • avant-propos

    Remarques terminologiques

    On parle généralement d’« internement » (internment) pour décrire l’expérience des Japonais américains durant la Deuxième Guerre mon-diale, toutefois j’ai choisi de ne pas utiliser ce terme. Au sens propre, le mot « internement » désigne le fait pour un gouvernement de détenir des citoyens de pays ennemis en temps de guerre. Le gouvernement des États-Unis a bel et bien interné des étrangers ennemis dans des camps dirigés par le département de la Justice. En revanche, la vaste majorité des personnes d’origine japonaise que les États-Unis ont purement et simplement déracinées, déportées à l’intérieur du pays et détenues durant la Deuxième Guerre mondiale étaient des citoyens américains. Le seul fait qu’il n’existe pas de terme reconnu pour traduire un acte de cette nature en dit long sur le caractère inédit de cette politique. Dans le jargon officiel, on a parlé d’évacuation (evacuation) et de réinstallation (relocation). Les responsables à qui l’on doit ces termes étaient toutefois moins préoccupés par la justesse (ou la justice !) du langage que par le besoin d’inventer des euphémismes pour rendre leur politique plus acceptable. J’utilise plutôt le terme « déportation intérieure » (removal), une référence à l’expérience des Cheroquee et d’autres Autochtones amé-ricains expulsés du Sud des États-Unis dans les années 1830, pour décrire l’exil intérieur des personnes d’ascendance japonaise, et « captivité » ou « détention » (confinement) pour décrire leur expérience des camps. Certains historiens et militants ont choisi de parler d’une politique

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    d’« incarcération » (incarceration). Il s’agit là d’un synonyme élégant d’« emprisonnement » (emprisonment) ; pourtant, ces institutions n’étaient pas des pénitenciers. J’ai donc opté pour « captivité », un terme plus inclusif. Il m’arrive toutefois de parler d’internement (internment) pour décrire la situation au Canada, où le statut juridique des étrangers et des citoyens était plus flou.

    Il est une question plus épineuse encore, qui a suscité de nom-breuses controverses depuis la fin de la guerre : comment désigner ces camps où les Japonais américains et certains Canadiens japonais étaient retenus en captivité, et comment nommer ceux qu’on y gar-dait ? Le président Roosevelt les a qualifiés publiquement de « camps de concentration » à deux occasions, imitant ainsi d’autres responsables du gouvernement. Néanmoins, l’armée et la War Relocation Authority ont adopté officielle ment les appellations de « centres de réinstallation » (relocation centers), voire « centres de réception » (reception centers). Dans le jargon administratif, on regroupait au début les gens dans des « centres de rassemblement » (assembly centers) de la côte Ouest. Bon nombre de Japonais américains, de militants et de spécialistes insistent sur l’expression « camps de concentration » (concentration camps), qui, avant l’Holocauste, se référait au fait de concentrer un grand nombre de personnes dans un établissement. Je ne conteste point cet usage, mais, compte tenu de l’association impossible à occulter entre « camps de concentration » et « camps de la mort des nazis », j’ai préféré l’éviter et parler tout simplement des « camps », ce qui à mon avis suffit pour décrire les lieux où les Japonais américains étaient captifs. Quant au terme officiel de « résident » (resident), je lui ai substitué « détenu » (inmate), qui est plus précis pour décrire le statut des Japonais améri-cains retenus en captivité contre leur gré.

    Quant aux termes utilisés pour qualifier les groupes dont il est question dans ce livre, j’ai choisi les expressions « Canadiens japonais » et « Japonais américains ». Pour le premier groupe, l’usage « Canadiens japonais » est attesté. En revanche, il n’existe pas de termes en français pour désigner les Américains d’origine japonaise, et plutôt que d’em-ployer cette expression assez longue, j’ai préféré opter pour la traduction littérale de « Japanese American ».

  • ava n t-propos w 11

    Remerciements

    Ce travail a changé plusieurs fois de forme, peut-être pour le mieux, compte tenu de l’ampleur du sujet et des matériaux cités. Ce qui au départ ne devait être qu’un récit relativement court accompagné de documents d’archives a évolué pour devenir une monographie complète et détaillée, et par la suite une version française abrégée, avec un chapi-tre ajouté.

    Je suis très conscient d’avoir contracté bien des dettes au cours de ce travail. D’abord, je me dois de remercier les organismes subventionnai-res. J’ai reçu l’appui de l’American Council for Learned Societies, ce qui m’a permis de ne pas enseigner pendant un semestre et de me concentrer sur mon travail au printemps 2005. Le programme PAFARCC de l’Uni-versité du Québec à Montréal, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture m’ont accordé des subventions pour d’autres projets qui ont alimenté en même temps ce livre. J’ai effectué des recherches dans de nombreuses bibliothèques et consulté diverses archives, où j’ai bénéficié de l’appui d’un personnel dévoué et efficace. Parmi celles que j’ai le plus consultées, je dois signaler : Doe and Bancroft Libraries, University of California, Berkeley ; Franklin D. Roosevelt Library, Hyde Park, Ny ; Harry S. Truman Library, Independence, MO ; Marriott Library, Uni ver-sity of Utah ; McLennan Library, McGill University ; National Archives, Washington, DC ; National Library of Canada ; Newspaper Division and Manuscripts Division, Library of Congress ; San Francisco Public Library ; Tamiment Library, New york University ; young Research Library, UCLA. Je veux remercier en particulier les bibliothécaires et le personnel de la Huntington Library à San Marino en Californie, où j’ai passé trois mois en 2004 grâce à une bourse d’études. J’ai beaucoup apprécié le travail de Marian yoshiki-Kovinick, bibliothécaire aux Archives of American Art, dans une succursale (aujourd’hui fermée) du sud de la Californie, une collègue à qui je dois de nombreux documents utiles et qui m’a soutenu par son enthousiasme indéfectible.

    J’ai eu la chance de travailler avec un groupe d’étudiants de deuxième et troisième cycles, des américanistes et des canadianistes dévoués qui m’ont assisté dans ces projets, ont réagi à mes idées, et ont passé des heures à consulter les archives : Dominic D’Amour, Jean-Philippe Gagnon, Sylvain Hétu, Junichiro Koji, Francis Langlois, Karine Laplante,

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    Guillaume Marceau, Vicki Onufriu, Guillaume Pilon, Christian Roy, Sébastien Roy et Maxime Wingender.

    Dans un livre précédent, j’ai écrit que mon travail aurait été impos-sible (voire inconcevable) sans les recherches et les compilations effec-tuées par Aiko Herzig-yoshinaga et le personnel de la CWRIC. J’y ajoute maintenant la grande générosité d’Aiko et de son époux Jack Herzig (aujourd’hui décédé) : ils m’ont ouvert des portes, ont partagé des documents avec moi et m’ont offert eux aussi leur enthousiasme.

    J’ai eu le plaisir de connaître et de collaborer à divers projets avec un ensemble de collègues et d’amis exceptionnels, en particulier Eric Muller, ami et « complice » dans la réfutation des thèses de Michelle Malkin, Elena Tajima Creef, Shirley Geok-Lin Lim, Floyd Cheung et yujin yaguchi.

    J’ai été marqué, comme tous les autres historiens qui œuvrent dans le domaine, par l’influence et l’aide de Roger Daniels, un modèle de générosité, de rigueur intellectuelle et d’attachement passionné au sujet. J’ai aussi eu la chance de faire la connaissance d’Arthur Hansen, un historien estimé et un grand mentor pour de jeunes chercheurs. L’histo-rien exceptionnel que fut Lawrence W. Levine, aujourd’hui décédé, a été une source d’inspiration dans ma vie.

    Parmi les collègues qui m’ont conseillé, qui m’ont invité à présenter mon travail devant un auditoire ou qui ont partagé leurs recherches avec moi, je me dois de citer d’abord ceux-ci : Eiichiro Azuma, Ben Carton, le défunt Robert Frase, Max Friedman, Tom Fujita Rony, Saverio Giovacchini, Neil Gotanda, Lynne Horiuchi, John Howard, José Igartua, Masako Iino, Tom Ikeda, Masumi Izumi, Kwong-Liem Karl Kwan, Paul-André Linteau, le défunt John M. Maki, Philip Tajitsu Nash, David Neiwert, Setsuko M. Nishi, Jacques Portes, Patricia Roy, Kay Saunders, Quintard Taylor et Frank H. Wu.

    Je dois à Tom Coffman, un grand documentariste et historien indé-pendant, l’invitation à prononcer une conférence devant l’Hawaii Historical Society, ce qui m’a permis de séjourner à Hawaï et m’a poussé à réfléchir à l’expérience de la guerre et de la loi martiale dans l’archipel. Je remercie Lois Coffman, Nathaniel Coffman, Walter Ikeda, Richard Kosaki, Kay Uno Kaneko, Andrew Wertheimer et Craig Howes pour les discussions et les contributions stimulantes pendant mon séjour à Hawaï.

    La générosité et le soutien de Tetsuden Kashima ne se sont jamais démentis. Nous avons partagé les vivres et le couvert, il m’a conduit

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    partout et m’a mis en relation avec des gens qu’il connaissait. Mais sur-tout, Tetsu a mené ses propres recherches, détaillées et très originales, ce qui a permis de développer l’analyse de l’expérience des Japonais américains pendant la guerre.

    De nombreux parents et amis m’ont apporté un soutien logistique et m’ont hébergé à l’occasion de mes voyages : Judy Baker, Ken Feinour, Heng Gun Ngo, David Latulippe et Ronald Seely, Deborah Malamud et Neal Plotkin, Michael Massing, Sanae Kawaguchi Moorehead, Chizu Omori, Katherine Quittner, Ed Robinson et Ellen Fine, Ian Robinson et Tracy Robinson. Je remercie aussi ceux qui ont lu des parties du manuscrit : Matthew Briones, Thom Kulesa, Eric Muller et Setsuko Matsunaga Nishi. J’ai bénéficié de l’appui de mon agente, Charlotte Sheedy, qui a contribué – gracieusement – à préparer le contrat d’édi-tion de la version développée et finale du livre en anglais.

    Grâce à un ami très cher, Thanapat Porjit, ma vie prend tout son sens.

    Je dédie ce livre à la mémoire de ma mère, Toni Robinson, et de ma tante, Lillian S. Robinson, deux femmes qui m’ont été très chères et qui furent aussi des collaboratrices intellectuelles précieuses. Elles ont tou-tes deux quelque chose à voir avec la préparation de ce livre. Toni était mon avocate, et elle a non seulement agi à titre d’agent pour négocier le contrat initial de parution de mon livre en anglais, mais elle m’a aussi aidé à faire certains choix. J’étais très proche de Lillian pendant mes premières années à Montréal. J’ai eu la chance de profiter de sa vaste expérience et de ses relations pour retrouver des personnes ou rétablir des faits, et pour clarifier mes idées.

  • introduction

    Au printemps 1942, quelque 112 000 hommes, femmes et enfants aux États-Unis seront entassés dans des centres de détention militaires durant plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, après le déclenche-ment de la bataille du Pacifique. On les emmènera ensuite sous bonne garde vers l’intérieur du pays, où on les tiendra de nouveau captifs dans un réseau de camps construits à la hâte et gérés par un nouvel orga-nisme fédéral, le War Relocation Authority (WRA). La plupart de ces Américains d’origine japonaise resteront en captivité pendant toute la Deuxième Guerre mondiale.

    Cette mesure, généralement appelée l’internement des Japonais américains, mais qui relève plutôt de la détention, est souvent citée comme la violation des droits civiques la plus importante qui ait été commise par le gouvernement fédéral américain au xxe siècle. La popu-lation concernée a considérablement souffert lors de cette période, vécue comme une épreuve terrible, bien qu’il n’y ait eu ni massacres ni torture. Il ne faut pas manquer de souligner l’aspect paradoxal de la détention des Issei et des Nisei1 : il s’agit d’une mesure arbitraire et antidémocra-tique adoptée par un gouvernement contre ses propres citoyens, et ce, au cœur d’une guerre menée au nom de la sauvegarde de la liberté dans le monde2. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en 1945, le budget

    1. Les communautés japonaises sont traditionnellement divisées en générations. Les Issei constituent la première génération d’immigrants, tandis que les Nisei sont leurs enfants qui constituent la deuxième. Un sous-groupe de Nisei, appelés les Kibei, sont des Nisei renvoyés au Japon pour y faire leurs études.

    2. La détention officielle des Japonais américains dans les camps de la WRA recoupe une série de mesures du gouvernement américain visant les étrangers ennemis, mesures qui comprennent la surveillance et la détention par le département de la Justice

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    de la WRA était de 162 millions de dollars. De plus, l’armée aura dépensé 75 millions de dollars pour rassembler et déporter les Japonais américains. Par opposition, la communauté japonaise d’Hawaï, dont les membres ne seront pas visés par la détention de masse, a contribué à l’effort de guerre de façon exemplaire en fournissant des soldats, mais aussi des travailleurs de guerre.

    Le but de ce livre est de dresser une histoire claire et lisible par tous du décret 9066 et de l’expérience des Japonais américains pendant la guerre. Ce faisant, j’aimerais faire une comparaison entre cette histoire et celles des Issei et des Nisei de deux autres régions, essentielles pour comprendre véritablement ce qu’ont vécu les Japonais américains de la côte Ouest. La première région est Hawaï ; pendant la guerre, les Japonais locaux y constituaient le groupe ethnique le plus important et la base de la main-d’œuvre. À la suite de l’attaque de Pearl Harbor, le commandement militaire a déclaré à la hâte la Loi martiale et n’a remis le territoire aux autorités civiles qu’en 1944. La Loi martiale à Hawaï, une mesure sans équivalent dans toute l’histoire moderne des États-Unis, était taillée sur mesure pour répondre à la peur qu’inspiraient les « Japonais locaux ». Cette peur servira de prétexte aux autorités mili-taires pour justifier et étayer le soutien de la population à des mesures comme l’abolition des tribunaux civils et leur remplacement par des tribunaux militaires.

    J’aborderai également ce qui s’est passé au Canada. Si surprenant que cela puisse paraître, il n’existe pas de travaux sur le parallèle à faire entre l’histoire du décret présidentiel 9066 et les camps aux États-Unis, et la décision du gouvernement canadien d’enfermer 22 000 personnes d’ori-gine japonaise venant de la côte Pacifique de la Colombie-Britannique3.

    de ressortissants japonais, allemands et italiens, le tout fondé sur des soupçons quant à leurs agissements individuels. J’ai choisi de ne pas traiter de l’expérience de détention des ressortissants étrangers et de leurs familles, à la fois pour des raisons d’espace et pour éviter de la confondre avec l’expérience tout à fait différente des Japonais améri-cains qui ont été déportés collectivement et au mépris des lois. Ces distinctions faites, je renvoie le lecteur à la littérature sur ces différents groupes. Voir, par exemple, Lawrence de Stasi (dir.), Une Storia Segreta : The Secret History of Italian American Evacuation and Internment during World War II, Berkeley, Heyday Books, 2001 ; Arnold Krammer, Undue Process : The Untold Story of America’s German Alien Internees, Lanham, MD, Rowman & Littlefield, 1997. Sur la détention des Italo-canadiens, voir Mario Duliani, La Ville sans femmes, Montréal, Société des Éditions Pascal, 1945.

    3. Différents ouvrages sur les Japonais américains comportent des chapitres qui traitent rapidement du Canada. On peut citer entre autres : Roger Daniels, Concentration

  • in troduction w 17

    Les Canadiens japonais de la côte Ouest ont été arrêtés lors d’une rafle au printemps 1942, puis ils ont été envoyés dans différents endroits : des camps de travaux routiers, des exploitations de betteraves sucrières ou des installations abandonnées d’anciens villages miniers. Leurs biens ont été confisqués ou vendus dans des ventes aux enchères officielles et on les a obligés à se servir de l’argent de ces ventes pour payer leur entretien dans les camps. Enfin, le gouvernement canadien a demandé aux Canadiens d’origine japonaise de choisir entre se réinstaller ailleurs que dans l’Ouest ou être déportés au Japon. Des milliers de détenus ont été déportés vers le Japon dès la fin de la guerre. L’expérience cana-dienne est fascinante en elle-même, mais étudier les ressemblances et les différences par rapport à ce qui s’est passé de l’autre côté de la fron-tière donne à la fois une meilleure mesure des faits et une perspective plus large sur un certain nombre de questions générales concernant les Japonais américains.

    Ce livre présente donc la première analyse approfondie de la déten-tion dans le contexte nord-américain, la situation canadienne servant surtout de contrepoint à la situation américaine. En effet, bien que l’histoire des camps canadiens ait fait l’objet de nombreuses recherches universitaires, les archives les concernant sont minces, du moins lorsqu’on les compare à celles qui rassemblent documents, écrits et microfilms sur les Japonais américains. Je me fonde donc surtout sur des sources secon-daires, des documents originaux et des mémoires déjà publiés, quand ils existent, plutôt que de répéter ce qui a été dit par d’autres dans des archives éparpillées en différents endroits.

    Cet ouvrage, le tout premier texte historique à traiter de ces évé-nements, a été considérablement modifié si on le compare à la version

    Camps North America : Japanese in the United States and Canada, Malabar, Krieger, 1989, et U.S. Commission on Wartime Relocation and Internment of Civilians, Personal Justice Denied, Seattle, University of Washington Press, 1997 (1983). À l’inverse, quel-ques livres sur la détention au Canada comme celui d’Ann Gomer Sunahara, The Politics of Racism : The Uprooting of Japanese Canadians during World War II, Toronto, Lorimer, 1981, traitent rapidement des mesures adoptées par le voisin du sud du Canada. Louis Fiset et Gail Nomura (dir.), Nikkei in the Pacific Northwest, Seattle, University of Washington Press, 2005, traite de l’histoire des deux groupes, mais aborde peu la période de la guerre. Stephanie Bangarth, Voices Raised in Protest : Defending North American Citizens of Japanese Ancestry, 1942-1949, Vancouver, UBC Press, 2008, fait une analyse complète des événements survenus pendant la guerre, mais se concentre sur les mouvements d’opposition à la détention et à la déportation et non pas sur la détention en elle-même.

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    originale. Tout d’abord, la publication d’une version abrégée impose for-cément certains choix de mise en évidence et suppose certaines omis-sions. J’ai ainsi dû couper la section qui concernait la déportation de 5 000 personnes d’origine japonaise au Mexique. J’ai également écarté celle sur la détention de quelque 2 200 personnes d’origine japonaise du Pérou et d’autres nations d’Amérique latine, à la suite d’un accord passé entre les gouvernements de ces pays et le Département d’État à Washington. Après leur enlèvement, ces gens furent déportés aux États-Unis et parqués dans des camps d’internement sous prétexte d’une entrée illégale en sol américain. En revanche, j’ai le plaisir d’ajouter un chapitre, que j’ai rédigé en français, sur la naissance de la communauté japonaise au Québec et ses liens avec la population francophone. Il s’agit d’un sujet méconnu qui remet en question les idées reçues sur les attitudes des Québécois quant à l’immigration.

  • chapitre 1

    Le contexte

    La détention des Japonais américains est à l’évidence une mesure de guerre, mais l’hostilité dont ils furent victimes remonte à la première génération d’immigrants, les Issei.

    L’Empire du Japon était pratiquement coupé du monde depuis plus de deux siècles quand, en 1853, les États-Unis y expédièrent une flotte commandée par le commodore Matthew C. Perry. Sous la menace des canonnières, les Japonais acceptèrent d’ouvrir leurs ports au commerce et d’entretenir des relations amicales avec l’Amérique. L’ouverture de leur pays et l’entrée des Américains et d’autres Occidentaux poussèrent les dirigeants à adopter une stratégie de rattrapage face à la technologie et aux idées occidentales, afin de protéger leur pays de la domination étrangère. En 1868, un groupe favorable à la modernisation destitua le shogun (le gouverneur militaire) et prit le pouvoir sous l’égide de l’empereur. Une génération après la restauration de Meiji, le Japon deve-nait un État industriel moderne, doté d’une puissante machine de guerre, ce qui lui permit de remporter deux victoires éclatantes sur la Chine dans les dernières décennies du xixe siècle, puis sur la Russie en 1905.

    Le nouveau gouvernement impérial commença à envoyer des étu-diants et des observateurs à l’étranger pour étudier les sociétés occiden-tales. Les travailleurs suivirent. En 1868, le royaume d’Hawaï, indépendant à l’époque, recruta un premier groupe d’environ 150 artisans japonais pour travailler dans les plantations de canne à sucre d’Oahu1. Un an plus

    1. Dennis M. Ogawa, Kodomo no Tame Ni : For the Sake of the Children, Honolulu, University Press of Hawaii, 1978, p. 5.

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    tard, un autre groupe arrivait par bateau en Californie et établissait la colonie Wakamatsu, une exploitation agricole qui s’avéra éphémère2. Quelques années après, en 1877, un marin du nom de Manzo Nagano quitta son bateau pour s’installer en Colombie-Britannique : il devint le premier immigrant japonais au Canada3. L’émigration restait néan-moins officiellement illégale et peu de travailleurs japonais s’installèrent dans d’autres pays. Cette situation changea en 1882, quand le Congrès américain vota la première loi d’exclusion des Chinois. Cette loi et les suivantes, dictées à la fois par le racisme et les pressions des syndicats, des journalistes et des politiciens, interdisaient à tous les travailleurs d’ascendance chinoise d’entrer dans le pays. Au cours des six décennies suivantes, seules certaines catégories de Chinois privilégiés, comme les commerçants, purent entrer légalement aux États-Unis, et tous les res-sortissants chinois durent porter des laissez-passer attestant qu’ils étaient en règle4. En 1885, lorsque s’acheva la construction de la ligne de chemin de fer transcontinentale à laquelle des milliers de Chinois avaient travaillé, le Canada emboîta le pas et imposa une taxe spéciale d’entrée à tous les immigrants chinois. Cette « taxe de capitation » s’éle-vait à 500 dollars par personne en 1903, une somme astronomique pour l’époque5.

    L’immigration chinoise étant ainsi limitée, les propriétaires terriens de la côte Pacifique, comme ceux de Californie où les Chinois consti-tuaient la moitié de la main-d’œuvre agricole, se mirent désespérément à chercher d’autres immigrants pour accomplir les travaux rudes et mal payés qui avaient apporté la prospérité à la région. Pendant ce temps-là, à Hawaï, dont l’économie dépendait de la production sucrière, les plan-teurs espéraient attirer une main-d’œuvre fiable pour contrebalancer la présence des travailleurs chinois de l’île. Sous la supervision du gouver-

    2. Harry H. L. Kitano, Japanese Americans : The Evolution of a Subculture, Engle-wood Cliffs, Prentice-Hall, 1970, p. 12-13.

    3. Japanese Canadian Centennial Project, A Dream of Riches-The Japanese Cana-dians, 1877-1977, Vancouver/Toronto, Japanese Canadian Centennial Project, 1978, p. 12.

    4. Sur l’exclusion et le mouvement antichinois, voir par exemple : Catherine Collomp, Entre classe et nation : mouvement ouvrier et immigration aux États-Unis, Paris, Belin, 1998 ; Erika Lee, At America’s Gates : Chinese Immigration during the Exclusion Era, 1882-1943, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2003.

    5. Patricia E. Roy, A White Man’s Province : British Columbia Politicians and Chinese and Japanese Immigrants, 1858-1914, Vancouver, University of British Columbia Press, 1989, p. 66-70 et passim.

  • Avant-propos 9

    Introduction 15

    1. Le contexte 19

    2. La genèse d’une décision 65

    3. La déportation et la détention 103

    4. Les camps 149

    5. Les luttes pour le service militaire et les droits constitutionnels 203

    6. La libération et la réadaptation des Issei et des Nisei après la guerre 249

    7. La communauté japonaise et le Québec 283

    Épilogue : entre l’oubli et la réparation 297

    Table des matières

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    Même avant Pearl Harbor, les Japonais vivant sur les territoires

    américain et canadien, qu’ils soient citoyens, naturalisés ou

    immigrants reçus, de première ou de deuxième génération, sont

    considérés comme des traîtres potentiels. La guerre déclenchée,

    ils seront rassemblés, déportés, maintenus en captivité dans des

    camps de fortune et leurs droits et libertés seront suspendus. Ce que

    l’on sait peu ou pas, c’est que le Canada en rajoute : séparation des

    familles, incarcération dans des camps où le froid et le dénuement

    complet rendent les conditions de vie encore plus dures, propriétés

    vendues de force par le gouvernement. Ce n’est qu’après la guerre

    que ces citoyens vont pouvoir réintégrer la vie civile, traumatisés,

    dépouillés de leurs biens, encore victimes du racisme ambiant.

    Plusieurs d’entre eux trouveront refuge au Québec, où ils bénéfi -

    cieront d’une relative bienveillance de la population et d’un appui

    important de l’Église.

    Greg Robinson rompt le silence entourant cet épisode honteux

    de l’histoire nord-américaine. Professeur au Département d’histoire

    de l’UQAM et membre associé de l’Observatoire sur les États-Unis de

    la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques

    de l’UQAM, il est spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale aux États-

    Unis et de l’enfermement des Américains d’origine japonaise.

    Un drame de la Deuxième Guerre

    Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

    isbn 978-2-7606-2188-6

    39,95 $ • 36 e Photo : © Ministère de la Défense nationale du CanadaBibliothèque et Archives Canada / PA-112539

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    Un drame de la Deuxième GuerreLe sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Greg Robinson

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