une avancée dans la physiopathologie de la migraine

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2013 - N°454 // 29 Une avancée dans la physiopathologie de la migraine La migraine est une affection neurologique à la fois fréquente et invalidante, dont la physiopathologie reste largement incon- nue. Une participation génétique à cette pathologie est suggérée par l’existence indubitable de familles de migraineux, évoquant une anomalie qui pourrait être transmissible. C’est par l’étude de deux de ces familles que des chercheurs américains démontrent qu’une anomalie génétique touchant une kinase cellulaire peut expliquer, tout au moins dans certains cas, les symptômes migraineux. Plusieurs membres de ces familles souffraient de migraines sévères et caractéristiques, précédées par des phénomènes à type d’aura (anomalies sensorielles et perturbations du sommeil avant la céphalée). C’est sur ces patients qu’ont été identifiées deux mutations non-sens distinctes (une par famille), dans le gène codant la caséine kinase Iδ (CKIδ), une sérine thréonine kinase ubiquitaire impliquée dans la régulation circadienne ainsi que dans de multiples cascades de signalisation cérébrale. Les deux anomalies sont localisées dans la partie catalytique de la kinase, rédui- sant ainsi l’activité enzymatique des pro- téines mutées, évaluée in vitro. C’est surtout in vivo que les résultats sont les plus spectaculaires. Des souris modi- fiées, portant une des deux anomalies identifiées, sont plus sensibles à la nitro- glycérine, un inducteur classique des symptômes migraineux. Les animaux modifiés présentent de plus des tracés électro-encéphalographiques perturbés dans une région du cortex correspondant à la zone impliquée dans la survenue des auras caractéristiques de la mala- die, associées une dilatation vasculaire anormale. Leurs astrocytes cérébraux montrent enfin des anomalies dans la signalisation du métabolisme calcique, toutes ces anomalies s’approchant de ce qui a été décrit chez les sujets migraineux. La caséine kinase Iδ serait ainsi une pro- téine importante de la physiopathologie de la migraine, qui pourrait à ce titre repré- senter la cible de nouvelles approches thérapeutiques. Brennan KC, Bates EA, Shapiro RE, et al. Sci Transl Med 2013;5(183):183ra56. L’organisme se défend efficacement contre les infections par sa capacité à générer au moment voulu une grande quantité de cellules immuno-effectrices. Cette adaptation au stress infectieux résulte entre autres de la différencia- tion, en réponse à des cytokines et/ou à des composants microbiens, de cel- lules progénitrices sanguines vers des cellules matures activées. Il est admis que cette réponse affecte des cellules progénitrices déjà orientées, alors que le devenir des cellules souches hémato- poïétiques (CSH) multipotentes médul- laires résulte de phénomènes aléatoires, plus liés à la fluctuation stochastique de facteurs transcriptionnels intracellulaires qu’à une réelle réponse à des facteurs extracellulaires. Un travail issu d’un centre d’immunolo- gie marseillais met à bas, tout au moins dans un modèle murin, ce dogme. Les chercheurs démontrent qu’une cyto- kine libérée au cours d’un stress infec- tieux ou inflammatoire, le M-CSF (pour macrophage colony-stimulating factor), pouvait agir directement au niveau des CSH de souris, en activant un gène-clé de la différenciation myéloïde, qui code le facteur de transcription PU.1. Des techniques de vidéo-microscopie en fluorescence montrent ainsi l’acti- vation in vitro, dans des CSH exposées au M-CSF, du gène codant pour PU.1, activation confirmée par l’expression forte de ce facteur de transcription et par une signature génétique spécifique de la lignée myéloïde des cellules exposées. In vivo, des concentrations systémiques élevées de M-CSF activent l’expression de PU.1 au niveau des CSH, en passant par un récepteur spécifique au M-CSF et induisent la différenciation préférentielle de ces cellules en cellules myéloïdes. Les CSH médullaires paraissent donc bien directement sensibles à des signaux phy- siologiques, en se différenciant au moment voulu en cellules macrophagiques circu- lantes. Ces résultats pourraient ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques directement ciblées sur le devenir des CSH, perspectives potentiellement utiles chez le sujet immunodéprimé. Mossadegh-Keller N, Sarrazin S, Kandalla PK, et al. Nature 2013;Apr10. doi: 10.1038/ nature12026. [Epub ahead of print]. La caséine kinase, une protéine de la physiopathologie de la migraine, possible cible thérapeutique nouvelle. Orientation des cellules souches médullaires vers la lignée myéloïde Les CSH médullaires sensibles à des signaux physiologiques se différencient en cellules macrophagiques.

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Page 1: Une avancée dans la physiopathologie de la migraine

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2013 - N°454 // 29

Une avancée dans la physiopathologie de la migraineLa migraine est une affection neurologique à la fois fréquente et invalidante, dont la physiopathologie reste largement incon-nue. Une participation génétique à cette pathologie est suggérée par l’existence indubitable de familles de migraineux, évoquant une anomalie qui pourrait être transmissible.C’est par l’étude de deux de ces familles que des chercheurs américains démontrent qu’une anomalie génétique touchant une kinase cellulaire peut expliquer, tout au moins dans certains cas, les symptômes migraineux. Plusieurs membres de ces familles souffraient de migraines sévères et caractéristiques, précédées par des phénomènes à type d’aura (anomalies sensorielles et perturbations du sommeil avant la céphalée).C’est sur ces patients qu’ont été identifiées deux mutations non-sens distinctes (une par famille), dans le gène codant la caséine kinase Iδ (CKIδ), une sérine thréonine kinase

ubiquitaire impliquée dans la régulation circadienne ainsi que dans de multiples cascades de signalisation cérébrale.Les deux anomalies sont localisées dans la partie catalytique de la kinase, rédui-

sant ainsi l’activité enzymatique des pro-téines mutées, évaluée in vitro. C’est surtout in vivo que les résultats sont les plus spectaculaires. Des souris modi-fiées, portant une des deux anomalies identifiées, sont plus sensibles à la nitro-glycérine, un inducteur classique des

symptômes migraineux. Les animaux modifiés présentent de plus des tracés électro-encéphalographiques perturbés dans une région du cortex correspondant à la zone impliquée dans la survenue des auras caractéristiques de la mala-die, associées une dilatation vasculaire anormale. Leurs astrocytes cérébraux montrent enfin des anomalies dans la signalisation du métabolisme calcique, toutes ces anomalies s’approchant de ce qui a été décrit chez les sujets migraineux.La caséine kinase Iδ serait ainsi une pro-téine importante de la physiopathologie de la migraine, qui pourrait à ce titre repré-senter la cible de nouvelles approches thérapeutiques.

Brennan KC, Bates EA, Shapiro RE, et al. Sci

Transl Med 2013;5(183):183ra56.

L’organisme se défend efficacement contre les infections par sa capacité à générer au moment voulu une grande quantité de cellules immuno-effectrices. Cette adaptation au stress infectieux résulte entre autres de la différencia-tion, en réponse à des cytokines et/ou à des composants microbiens, de cel-lules progénitrices sanguines vers des cellules matures activées. Il est admis que cette réponse affecte des cellules progénitrices déjà orientées, alors que le devenir des cellules souches hémato-poïétiques (CSH) multipotentes médul-laires résulte de phénomènes aléatoires, plus liés à la fluctuation stochastique de facteurs transcriptionnels intracellulaires qu’à une réelle réponse à des facteurs extracellulaires.Un travail issu d’un centre d’immunolo-gie marseillais met à bas, tout au moins dans un modèle murin, ce dogme. Les chercheurs démontrent qu’une cyto-

kine libérée au cours d’un stress infec-tieux ou inflammatoire, le M-CSF (pour macrophage colony-stimulating factor), pouvait agir directement au niveau des CSH de souris, en activant un gène-clé de la différenciation myéloïde, qui code le facteur de transcription PU.1.

Des techniques de vidéo-microscopie en fluorescence montrent ainsi l’acti-vation in vitro, dans des CSH exposées au M-CSF, du gène codant pour PU.1,

activation confirmée par l’expression forte de ce facteur de transcription et par une signature génétique spécifique de la lignée myéloïde des cellules exposées. In vivo, des concentrations systémiques élevées de M-CSF activent l’expression de PU.1 au niveau des CSH, en passant par un récepteur spécifique au M-CSF et induisent la différenciation préférentielle de ces cellules en cellules myéloïdes.Les CSH médullaires paraissent donc bien directement sensibles à des signaux phy-siologiques, en se différenciant au moment voulu en cellules macrophagiques circu-lantes. Ces résultats pourraient ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques directement ciblées sur le devenir des CSH, perspectives potentiellement utiles chez le sujet immunodéprimé.

Mossadegh-Keller N, Sarrazin S, Kandalla

PK, et al. Nature 2013;Apr10. doi: 10.1038/

nature12026. [Epub ahead of print].

La caséine kinase, une protéine de la physiopathologie de la migraine, possible cible thérapeutique nouvelle.

Orientation des cellules souches médullaires vers la lignée myéloïde

Les CSH médullaires sensibles à des signaux physiologiques se différencient en cellules macrophagiques.