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Une heure de trop Françoise Vandercoilden

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Une heure de trop

Françoise Vandercoilden

13.48

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 164 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 13.48 ----------------------------------------------------------------------------

Une heure de trop

Françoise Vandercoilden

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çoise

Van

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oild

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721953

Roman psychologique

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Le bruit de la rue m’a fait bondir de mon lit et, c’est dans une torpeur navrée, que j’ai constaté l’heure affichée à mon réveil : 9 heures. D’un bond, je me suis habillée des vêtements préparés la veille et, sans prendre ni douche ni petit déjeuner, je suis partie en courant prendre le métro.

Pourquoi faut-il se mettre dans un état pareil lorsque l’on a plus d’une heure de retard. C’est idiot et vain, le temps perdu l’est définitivement, et rien ni personne ne pourra faire reculer l’horloge. Mon dimanche s’étant déroulée sous le soleil, optimiste, j’ai enfilé une tenue légère sans me rendre compte qu’il pleuvait des cordes.

Ma semaine s’annonçait sous les meilleurs auspices et, dès mon arrivée, je fus accueillie par ma « CHEF » Madame Lechevalier et ma « SOUS CHEF » mademoiselle Bigot. (Nous devions les appeler ainsi et lever le doigt pour toutes demandes). Avec une précision quasi militaire, elles firent le même geste pour regarder leurs montres et la même moue pleine de réprobation. Mes excuses formulées « panne de réveil » les mis de forte mauvaise humeur. Pour me punir de ce manque de sérieux, elles me donnèrent les

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tâches les plus ingrates pour la journée.

Cette banque, où je travaille depuis deux mois, est le seul véritable employeur que j’ai trouvé après mon baccalauréat et mes deux années de droit (dont un redoublement). Mon maigre salaire me permet de payer le loyer de mon studio mais ne me provoque ni joie ni ambition, ce qui n’est pas le cas de mes deux supérieures. Depuis presque trente ans, elles vouent un véritable sacerdoce à l’entreprise et nous dirigent d’une « main de maître » à la baguette.

Après une affreuse matinée passée à grelotter dans notre troisième étage à peine chauffé, aux fenêtres barricadées par des barreaux de fer, je suis partie déjeuner avec trois de mes collègues, dans notre bistrot habituel. J’ai tenté de me refaire une tête plus présentable et, tout en mangeant notre sandwich, nous avons échangé des propos d’une banalité affligeante. Je les enviais de les voir heureuses d’avoir trouvé ce travail « sûr » et d’accomplir ces tâches avilissantes et débiles, dans la joie. Elles étaient montées à la capitale et étaient prêtent à tout pour garder leur emploi. Elles levaient la main pour aller aux toilettes, en demandant : « s’il vous plaît madame la chef, puis-je ? », ce que j’ai toujours refusé de faire.

Le café avalé et l’addition posée en évidence sur la table, j’ai fouillé dans mon sac pour trouver mon portefeuille et régler ma quote-part de victuailles. Je l’ai secoué, renversé, mis dans tous les sens, j’ai supplié, j’ai même prié tous les Saints mais, tout y était, sauf lui… Je me suis déglinguée à me remémorer ma journée de la veille, ma matinée d’enfer, à refaire dans ma tête tous mes parcours depuis vendredi midi, ce fut chose vaine. J’avais

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perdu mon portefeuille, quoi de plus banal !

On dit parfois qu’il y a des jours « on ferait mieux de rester couché ». Ce lundi en était la preuve. Les regards soupçonneux de mes collègues, qui ont immédiatement pensé que je ne voulais pas payer ma dette, ont fini de me démoraliser. Plutôt que de m’aider dans cette galère, elles ont dû, « contre mauvaise fortune bon cœur » ajouter mon repas à leur note. En réglant avec difficulté le barman, elles ont perdu leur bonne humeur et sans un mot de réconfort, elles sont parties dédaigneusement, sans aucun regard dans ma direction.

Je préfère oublier l’état dans lequel je me suis retrouvée toute l’après-midi et, dès dix-huit heures, je me suis précipitée au commissariat avoisinant pour faire ma déclaration de perte Je suis arrivée les cheveux hirsutes, essoufflée et, sans attendre, j’ai raconté mon histoire au premier policier rencontré dans l’entrée.

Compatissant, il a pris ma déposition et a tenté de me consoler (non sans humour) en m’informant que mes papiers avaient été très certainement volés. L’idée que quelqu’un fouille dans mon sac m’a fait fondre en larmes. Tout en me tendant un mouchoir en papier, il m’a posé quelques questions.

– Qu’aviez-vous exactement dans votre portefeuille ? Chéquier ? Permis ? carte d’identité ?

– Ma carte d’identité, quelques espèces et une photo de mes parents avec ma sœur et ma grand-mère. Quant à mon permis de conduire, j’ai prévu de le passer avant la fin de l’année.

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– Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas si grave, ce sont des choses courantes de nos jours. Les pickpockets sont de véritables professionnels : ce qui les intéressent c’est l’argent, quoique… il y a un trafic de faux papiers… enfin, vous verrez bien… Espérons…

J’ai signé le document daté au lundi 8 juillet 1974 et, sans prendre la peine de le lire, je suis sortie rapidement, en direction de mon appartement, complètement dépitée.

Absorbée dans mes pensées je n’ai pas remarqué tout de suite les fleurs punaisées à ma porte en bois. Après un instant de stupéfaction, j’ai décroché le magnifique bouquet de glaïeuls blancs, tout en cherchant, en vain, une carte ou un signe d’une quelconque provenance.

Les mots du policier ont tourné en boucle dans ma tête : vol, substitution d’identité. Après avoir passé ma journée à retracer mon trajet du matin pour retrouver mon portefeuille, je savais que j’allais passer ma nuit à élaborer des histoires fantaisistes : pervers… serial killer…

Sans trop savoir pourquoi, j’ai trouvé la force d’enrayer mes peurs pour me mettre à rêver à un bel amoureux transi croisé par hasard dans la rue. Cette idée m’a apaisée mais la curiosité m’a tenaillée toute la nuit. C’est au petit matin que j’ai réussi à m’endormir.

Cette fois, j’avais mis mes deux réveils afin de ne pas réitérer mon retard et la galère de ce lundi. Je suis arrivée au bureau avec une mine de papier mâché, épuisée mais à l’heure. Sans attendre, j’ai remboursé mes collègues qui, immédiatement, ont retrouvé leur joie de vivre.

Le midi, afin d’émoustiller leur jalousie et de mettre

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un peu de piquant dans notre routine, je leur racontais ma visite au commissariat et les fleurs accrochées à ma porte. Elles ont tout de suite retrouvé le même regard suspicieux que la veille et je pus lire « à livre ouvert » dans leurs pensées. Après m’avoir considérée comme une radine puis aujourd’hui comme une mythomane, il était visible qu’elles se demandaient comment, une petite employée ordinaire, pouvait susciter un amour et une passion d’un admirateur caché.

Au bout de quelques minutes d’observation, la réaction ne se fit pas attendre et Martine prit la parole :

Cette réflexion plut aux deux autres filles Brigitte et Nicole qui surenchérirent d’une même voix

J’avais voulu faire ma maligne en parlant d’un homme énamouré et maintenant elle avait réussi à me faire naître une véritable panique.

L’après-midi fut plus maussade que la matinée. En arrivant chez moi, j’ai pris les magnifiques glaïeuls installés en évidence près de la fenêtre et je les ai jetés dans le local de l’entrée de l’immeuble. Tout en accomplissant cet acte ridicule, je regrettais d’avoir été influencée aussi facilement par Martine.

Je me suis couchée en cherchant toujours mon prétendant dans une liste de mes relations. Honnêtement, aucun de mes copains n’étaient dans cet état d’esprit de romantisme exacerbé et jamais, je n’avais vu l’ombre d’une passion inassouvie à mon égard. Il fallait me rendre à l’évidence, ces fleurs venaient d’un inconnu !

Je passe certains de mes week-ends chez mes parents

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en Normandie, où ils résident depuis la retraite de mon père. Leur maison est à une dizaine de kilomètres de la mer et c’est un véritable dépaysement de se retrouver loin de Paris. En raison des évènements et du départ de mes amis dans leur famille respective je décidais d’aller passer la fin de semaine chez eux.

Ces week-ends sont toujours bénéfiques et je me requinque pour un mois après deux jours passés à manger et à dormir. Cependant, j’ai pris le soin de ne pas parler de mes problèmes à mes parents afin d’éviter qu’ils ne s’inquiètent, sachant que je vivais seule à Paris. J’aurais également eu droit à quelques reproches concernant mon étourderie et je n’avais vraiment pas besoin de cela.

Dimanche soir, comme à l’accoutumée, j’ai donc repris le chemin du retour en car. J’ai somnolé tout le long du trajet et, pendant deux heures, j’ai oublié mes tracas.

Dès mon arrivée sur mon palier, mon cauchemar m’a sauté à nouveau au visage. Des magnifiques roses rouges étaient accrochées, de façon identique aux glaïeuls, sur ma porte. En revanche, bien en évidence, une enveloppe rouge et or prônait au centre du bouquet.

Ma main n’arrivait pas à trouver la serrure tant elle tremblait. Au bout de quelques secondes, la porte s’est enfin ouverte et j’ai pu, tout en arrachant les fleurs et la carte, m’enfermer à double tours chez moi.

J’ai dû attendre quelques minutes avant d’ouvrir l’enveloppe et lire le message écrit sur une petite carte blanche à l’encre de chine. Le cœur battant à tout rompre, j’ai pu lire :

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pourquoi avoir jeté ces glaïeuls blancs ? Peut-être préférez-vous les roses ? Elles sont si belles… comme vous.

De façon incontrôlée, je me suis mise à haleter et à suffoquer. J’aurais pu sortir pour aller chez des amis ou téléphoner chez ma concierge mais, rien que l’idée de me retrouver seule sur le palier me terrorisa. Cet individu pouvait être caché à l’étage supérieur ou dans un recoin.

Les fleurs et le mot laissés sur la table, j’ai fermé les doubles rideaux, allumé une petite lampe et, sans omettre de prendre un couteau de cuisine, je me suis assise sur mon lit.

J’ai passé une partie de ma nuit, l’oreille rivée à ma porte, à l’affût du moindre bruit extérieur et des craquements du bois de l’escalier. Les mêmes et sempiternelles questions revenaient en boucle dans ma tête.

Pourquoi ne pas avoir signé sa carte si ses intentions étaient bonnes ? Était-il timide au point de me suivre en cachette ? A quoi ressemblait-il ? Avait-il un physique monstrueux ? A quel moment avait-il accroché les fleurs ? Mais ce qui me faisait le plus paniquer c’est qu’il avait dû fouiller dans les poubelles du local, au fond de l’entrée de l’immeuble, pour voir les glaïeuls jetés. Ça, c’était digne d’un grand malade ou d’un psychopathe.

Je suis restée éveillée jusqu’à la levée du soleil qui, heureusement, en ce mois de juillet, se lève de bonne heure. Tout doucement, les rayons ont envahi ma chambre et une agréable chaleur ouatée a remplacé l’ambiance effrayante de la nuit. Avec le jour, la peur a laissé place à une certaine quiétude et je me suis assoupie.

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Après une douche tonique et, rasséréné par un ciel bleu éclatant, j’ai pris la résolution de me reprendre en main. J’ai posé les fleurs et la carte dans l’évier et, d’un pas décidé, je suis descendue téléphoner chez ma concierge, au rez de chaussée de l’immeuble. Après des excuses pour le dérangement, je lui ai demandé si elle avait vu un homme avec des fleurs venir chez moi ou fouiller dans les poubelles.

Elle fut consternée et outrée par ma question.

– Aucun individu n’est venu avec des fleurs !!!! Je suis à mon poste toute la journée, rien ne m’échappe. C’est obligatoirement une blague d’un de vos copains. Personne ne fouille MES POUBELLES, je ne le tolérerai pas !!! puis quoi encore !!!

Elle était furieuse et me fusilla du regard. N’osant plus la questionner, timidement, je lui demandais la permission d’appeler mon amie Amélie qui habitait à Paris. Rageusement, elle me tendit le téléphone et retourna dans sa cuisine. Là, je constatais que, dans ce coin de la pièce, elle ne pouvait pas voir les entrées et les sorties des locataires. Cependant, je ne me sentis pas le courage de l’affronter sur ce sujet. Je fus néanmoins heureuse d’entendre la voix joyeuse d’Amélie.

Quand je lui ai dit :

– Peux-tu venir quelques jours à la maison, j’ai plein de choses à te raconter.

Elle ne fut pas difficile à convaincre.

Elle avait réussi brillamment sa licence et se préparait à rentrer dans la vie active, dès le mois de septembre, en

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temps que professeur de mathématique. Notre amitié durait depuis notre petite enfance et notre entente n’avait jamais connue d’ombre.

Elle venait de louer un studio rue Richard Lenoir dans le 11° arrondissement et, en attendant son premier salaire, donnait quelques heures de cours aux élèves en difficulté. Ce travail lui laissait du temps de libre c’est pourquoi, comme je le supposais, elle fut à 18 heures devant les bureaux de ma banque. Elle m’attendait avec son sac et, après un bisou rapidement claqué, elle me harcela de questions.

Nous avons fait le trajet à pied des Champs-Elysées à notre Q.G. de Puteaux où nous avions l’habitude de boire un verre. Je voyais à sa façon de me regarder et d’écouter qu’elle devenait de plus en plus inquiète. Jamais elle n’avait songé à mettre ma parole en doute et, au fur et à mesure de mon récit, je m’aperçus que je lui transmettais le poids de mon angoisse. Au final, je me suis sentie allégée. Elle était médusée et interdite et me demanda un peu de temps de réflexion pour savoir comment se comporter devant une telle situation.

Pendant que nous réfléchissions à la stratégie que nous devions avoir, installées devant notre soda, un de ses amis de fac est venu se joindre à nous, accompagné d’un de ses copains. Il s’agissait de Gilles, un futur professeur de chimie que je ne connaissais pas. Amélie et lui devaient prendre leur fonction dans le même lycée du 16ème à la rentrée. Son copain se prénommait Claude et démarrait son métier de journaliste sportif.

Devant leurs présences, nous avons changé de

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conversation et parlé de choses variées telle que : le cinéma, la musique et les vacances. Ils étaient charmants et je me demandais pourquoi Amélie ne m’avait jamais parlé de Gilles. Elle m’expliqua qu’il était un copain de fac parmi tant d’autres et qu’elle n’y avait pas pensé. À présent que nous avions passé la soirée ensemble, elle regrettait de ne pas me l’avoir présenté avant, alors qu’il était charmant et drôle.

En revanche elle avait été complément séduite par son copain Claude. Cela tombait bien car moi je préférais Gilles. D’un commun accord, nous avons décidé de nous revoir le samedi suivant.

Cette nouvelle amitié me donna un moral d’acier. Amélie couchant chez moi, j’ai passé joyeusement les quinze jours suivants entre mon travail, le drugstore avec Gilles et Claude et mon studio : plus de fleurs ni de bruits suspects. Un soir, en rentrant du bureau, j’ai trouvé une convocation du commissariat, glissée sous ma porte, m’informant que mes papiers étaient à ma disposition.

Dès le lendemain, mon travail terminé, je suis allée seule (Amélie donnant des cours) au commissariat. Immédiatement j’ai replongé dans une certaine angoisse en revoyant le même policier qui avait pris ma déposition. Il m’a remis ma nouvelle carte d’identité, tout en me demandant si j’allais mieux et si je n’avais pas de problème. Sans trop savoir pourquoi, je lui racontais mon histoire de glaïeuls et de roses avec la carte écrite en encre de chine.

Il plissa son front et prit un air soucieux en me disant qu’il n’aimait pas la tournure que prenait ce vol de papier.

– J’espère que vous avez gardé l’enveloppe et la carte car

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il faut nous l’apporter au commissariat. Je vais en parler à l’inspecteur Valloire.

Malheureusement, dans la panique, j’avais écouté cette maudite Martine et jeté fleurs, enveloppe et carte dans ma poubelle. Les éboueurs passaient trois fois par semaine, il n’y avait donc aucune chance de retrouver quoique ce soit.

J’étais certaine qu’il n’y avait ni signature ni adresse sur le papier des fleurs. Je mesurais, une fois de plus, combien j’avais été négligente.

Amélie, impatiente d’entendre les dernières nouvelles, m’attendait chez moi. Je lui relatais les propos du policier et l’éventuelle intervention de l’inspecteur Valloire. Nous avons conclu que, si je devais recevoir à nouveau des fleurs, nous les apporterions illico aux policiers. Elle s’impliquait tellement dans mes problèmes qu’elle disait « nous ».

Pour nous remonter le moral, nous sommes allées au drugstore, ce qui était exceptionnel en milieu de semaine. Claude et Gilles jouaient au billard dans le fond de la salle. A notre entrée, leurs visages s’illuminèrent.

– Quelle heureuse surprise de vous voir ici un jeudi. Vous fêtez quoi ?

On ne fête rien, dit Amélie, on n’est venu ici pour réfléchir.

Une présence masculine me rassura et je me mis à raconter mon histoire, sous le regard désapprobateur d’Amélie. Tous deux me regardaient impassibles, sans aucune émotion apparente et pas vraiment étonnés. Gilles fut le premier à parler.

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– j’aimerai bien qu’une fille soit suffisamment amoureuse pour venir accrocher des fleurs à ma porte. Je l’attendrai et je m’en occuperai personnellement (rire de sa part).

Quant à Claude, il ne comprenait pas notre inquiétude. Pour lui cet homme m’aimait et n’osait pas déclarer sa flamme. Nos échanges d’arguments n’arrivaient à rien de concret, nous étions dans deux univers différents.

Après une conversation très animée, Gilles et Claude me suggérèrent de venir habiter près de chez eux à Bastille. C’était incroyable, tous trois étaient voisins. Amélie dans le XI°, rue Richard Lenoir, Gilles dans le XII°- rue de Charenton et Claude dans le IV, boulevard Henri IV. J’étais la seule à résider dans une proche banlieue, à Puteaux. J’aimais mon quartier mais je n’étais pas hostile à l’idée de déménager.

Mes confidences avaient rendu les deux garçons plus prolixes, surtout Gilles qui commença à se raconter. Il était breton, issu d’une famille de professeurs (parents – grands-parents – oncles etc.…) et son chemin semblait, malheureusement, toute tracé avec une future femme professeur, comme Amélie. Mais leur incroyable similitude, plutôt que de les rapprocher amoureusement, avait fait naître des sentiments fraternels dignes de jumeaux. Cela me rassura, mais je savais que pour le séduire, le chemin serait long. Je n’étais qu’une employée de banque.

Nés tous deux en septembre 1950, ils passaient leurs vacances dans leur famille respective dans le Finistère près de Quimper. J’avais rarement vu Amélie dans une telle

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émotion. Elle ressemblait à quelqu’un qui vient de trouver un oasis dans le désert.

Après deux heures de grandes effervescences, j’interrogeais Claude resté, comme moi, silencieux.

Il était beaucoup plus introverti que Gilles et je me demandai comment il se débrouillait pour exercer son métier de journaliste.

– Je suis provisoirement journaliste sportif mais je rêve d’être grand reporter de guerre et d’aller sur le terrain. Cela me permettrait, effectivement, de moins parler et d’agir plus. Je me sentirais plus utile quoique… depuis que je vous connais je suis en train de changer d’avis.

Ses yeux avaient plongé dans les miens, ce qui a eu pour conséquence de me mettre mal à l’aise et d’attrister Amélie. Pour détendre l’atmosphère, Gilles reprit la parole.

– Claude fait le modeste mais, en réalité, son véritable nom est : comte Édouard – Henri – Claude de la Passerrat – Vézère, vieille noblesse française. Il refuse d’en parler car cela le complexe. Il a raison face à moi issu d’une famille d’anars… (rire)

Claude a poussé un long soupir comme s’il était délivré d’un lourd poids. Pour le consoler je lui ai dit une absurdité du genre.

– On n’est pas responsable de sa famille.

Gilles reprit la balle au bond.

– D’autant plus qu’il ne les fréquente plus, à part une fois par an pour les vacances du mois d’août. Sa sœur s’appelant Marie – Clotilde, il faut qu’il soit présent le 15

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pour célébrer la « Vierge » noblesse oblige.

Claude se décida à répondre.

– C’est vrai que ma famille est très traditionnelle et que je ne partage pas du tout leur vision du monde. Ce n’est pas de leur faute, ils descendent d’une grande famille aristocrate et n’ont pas connu autre chose. Je suis le seul à avoir quitté le cocon familial pour voler de mes propres ailes mais ce n’est pas toujours facile. Les us et coutumes reviennent régulièrement et, quitter ses habitudes, n’est pas toujours simple. J’ai accepté de loger dans cet appartement familial parisien, loin de la propriété limousine, ce qui est déjà un bon début.

Amélie buvait ses paroles et se voyait déjà châtelaine. Elle n’avait rien d’autre à ajouter, sa vie étant calquée sur celle de Gilles.

Quant à moi, je résumais rapidement ma vie familiale. Je me prénommais Betty en hommage à l’actrice américaine Bette Davis dont mon père était un grand admirateur. Il connaissait toute sa filmographie et en particulier « l’insoumise » film qu’il jugeait supérieur à « autant en emporte le vent ».

J’avais été élevée dans l’amour, dans une famille classique, avec une sœur Nadège de deux ans ma cadette et une grand-mère veuve vivant avec nous. Nous étions parisiens et, à la retraite de mon père, ils sont partis vivre près de Dieppe en Seine-Maritime. Je suis restée seule à Paris à la condition expresse que je subvienne à mes besoins. C’est la raison pour laquelle j’ai arrêté mes études et passé le premier concours qui s’est présenté à moi. Ce fut la banque située sur les Champs – Elysées.