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Université de Montréal Panacée ou simple outil électoral? Le marketing politique et la rigidité de l'offre politique par Audrey Neveu Département de science politique, Faculté des arts et des sciences Travail dirigé présenté en vue de l'obtention du grade de Maître ès science (M. Sc.) en science politique Avril 2017 © Audrey Neveu, 2017

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Page 1: Université de Montréal...Newman a développé un modèle destiné aux candidats présidentiels américains, qui s'inspire de la campagne présidentielle de Bill Clinton en 1992

Université de Montréal

Panacée ou simple outil électoral?

Le marketing politique et la rigidité de l'offre politique

par Audrey Neveu

Département de science politique, Faculté des arts et des sciences

Travail dirigé présenté en vue de l'obtention du grade de Maître ès science (M. Sc.)

en science politique

Avril 2017

© Audrey Neveu, 2017

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RÉSUMÉ

Le marketing politique fournit des outils aux partis politiques afin qu'ils demeurent à

l'écoute des besoins des électeurs et qu'ils s'y ajustent. On dit de ces partis qu'ils sont

« orientés vers le marché ». Le marketing politique postule toutefois une adaptabilité

quasi parfaite de l'offre politique des partis aux demandes changeantes des électeurs.

Or, un parti ne peut pas changer trop drastiquement son offre politique, car il fait face à

plusieurs contraintes. Celles-ci l'empêchent de répondre adéquatement à la demande des

électeurs, qui évolue avec le temps.

De plus, le marketing politique ignore qu'un parti politique crée, par sa seule présence au

pouvoir, un besoin dans l'électorat pour des politiques publiques différentes des siennes.

Le marketing politique, même s'il permet un ajustement partiel de l'offre politique d'un

parti aux demandes du marché, ne permet pas de surmonter de vent de changement qui se

lèvera tôt ou tard. Ce phénomène s'explique par le concept de cycles électoraux, une

dynamique de la vie politique complètement ignorée par le marketing politique.

Mots-clés : marketing politique, gouvernement orienté vers le marché, offre

politique, demande politique, opinion publique, cycles électoraux

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ABSTRACT

Political marketing offers tools to political partys to listen to voter's needs and to adjust

themselves to these needs. These partys are deemed to be market-oriented. Political

marketing posits a perfect adaptability of a party's political offer to the changing needs

and desires of voters. However, a party cannot change too much its political offer,

because it faces several constraints. These constraints limit its capacity to respond to

voter's needs, which change over time.

Furthermore, political marketing ignore that a political party creates, solely by being in

power, a need in the electorate for policies that are different from its own. Political

marketing, even if it allows a partial adjustment of a party's political offer to the market's

demands, cannot overcome the wind of change which rises sooner or later. This

phenomenon is explained by the concept of electoral cycles, an aspect of politics'

dynamic that is completely ignored by political marketing.

Key words : political marketing, market-oriented government, political offer,

political demand, public opinion, electoral cycles

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ................................................................................................................................ ii

Abstract .............................................................................................................................. iii

Liste des figures ................................................................................................................. vi

Liste des abréviations ........................................................................................................ vii

I. Introduction ....................................................................................................................1

La littérature sur le marketing politique ...........................................................................2

Présentation du travail dirigé ............................................................................................4

II. État des lieux du marketing politique .........................................................................6

2.1 Chronologie de l'évolution des études sur le marketing politique ............................8

2.2 Les principaux modèles ............................................................................................10

2.3 Les limites de l'offre politique ..................................................................................13

2.4 Le débat sur l'impact du marketing politique sur la démocratie ..............................15

2.5 Maturation du champ de recherche ..........................................................................16

III. Pourquoi les partis politiques dévient-ils de leur orientation de marché ?..........20

3.1 Les facteurs qui entravent le maintien de l'orientation de marché

d'un gouvernement orienté vers le marché .............................................................21

3.2 Comment retrouver son orientation de marché ........................................................28

IV. La réactivité des élus face aux demandes de l'électorat et le marketing

politique ............................................................................................................................35

4.1 Le modèle thermostatique ........................................................................................36

4.2 Les limites du modèle thermostatique ......................................................................37

4.3 Les cycles électoraux ...............................................................................................40

4.4 Les changements dans l'opinion publique ................................................................46

4.5 Un problème intrinsèque à la nature de la politique .................................................49

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4.6 L'exemple du Parti conservateur du Canada ............................................................51

4.7 Une approche mieux adaptée à la campagne électorale ...........................................58

V. Conclusion....................................................................................................................60

VI. Bibliographie ..............................................................................................................64

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : L'évolution de la préférence du public américain

pour le libéralisme de 1952 à 2011........................................................... 43

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

MOG : market-oriented government (gouvernement orienté vers le marché)

MOP: market-oriented party (parti orienté vers le marché)

PCC : Parti conservateur du Canada

PLC : Parti libéral du Canada

POP: product-oriented party (parti orienté vers le produit)

SOP: sales-oriented party (parti orienté vers les ventes)

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I. INTRODUCTION

Le marketing politique offre ce dont tout parti politique rêve jour et nuit: il promet de

donner les clés du pouvoir à celui qui saura appliquer savamment ses principes. Sa

philosophie est simple, plaçant les besoins des électeurs au début du processus de

production de son offre politique. En d'autres mots, le parti qui applique les principes du

marketing politique doit répondre aux besoins des électeurs et continuellement s'y ajuster.

L'idée que le marketing, un concept commercial, puisse être appliqué à la politique a

réellement émergé grâce à un article fondateur de Kotler et Levy en 1969. De nombreux

auteurs se sont ensuite efforcés d'adapter le marketing à la politique. Le marketing

politique est demeuré plus théorique que pratique jusqu'à l'élaboration d'un premier

modèle d'application, celui de Bruce I. Newman en 1994, présenté dans son livre

The Marketing of the President. Newman a développé un modèle destiné aux candidats

présidentiels américains, qui s'inspire de la campagne présidentielle de Bill Clinton en

1992. Le candidat démocrate s'était présenté comme le candidat de la «troisième voie»,

entre démocrates et républicains, une approche qui a connu le succès. Quelques années

plus tard, en 1997, un autre parti politique a appliqué avec brio les principes du marketing

politique, soit le Parti travailliste britannique, le Labour, qui s'est surnommé le «New

Labour» pour marquer son changement d'orientation. Plusieurs auteurs ont depuis

proposé d'autres modèles d'application du marketing politique, comme Butler et Collins

(1996), Lees-Marshment (2001) et Ormrod (2005). Avec le temps, le débat sur les

conséquences du marketing politique sur la démocratie a pris de plus en plus de place.

Les recherches se concentrent maintenant sur l'application du marketing politique par des

partis partout sur la planète et l'adaptation des modèles actuels à leur réalité.

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Une nouvelle branche s'est également développée, celle de l'application du marketing

politique par les gouvernements. Cela a été rendu nécessaire par les victoires, puis les

défaites de gouvernements qui appliquaient le marketing politique, comme le New

Labour. Après une lune de miel, les électeurs britanniques ont déchanté à propos du

premier ministre Tony Blair. Celui-ci a dû raviver la flamme en réinventant son image

pour assurer sa réélection. Même si le New Labour s'est maintenu au pouvoir plusieurs

années par la suite, toujours en appliquant les principes du marketing politique, il a tout

de même été battu en 2010 par l'opposition conservatrice.

Pourtant, un parti qui applique à la lettre les principes et les étapes du marketing politique

aurait davantage de chances d'être réélu, même si ses adversaires y adhèrent aussi, parce

qu'il a l'avantage d'être le parti sortant et qu'il peut utiliser les ressources du

gouvernement. Le marketing politique ne semble pas être une panacée cependant. Même

les partis qui obtiennent les plus éclatantes victoires grâce au marketing politique, comme

le New Labour en Angleterre et le Parti conservateur du Canada, finissent par être

évincés du pouvoir. Pourquoi un parti politique au pouvoir qui applique parfaitement les

principes du marketing politique peut-il ainsi être défait?

La littérature sur le marketing politique

La littérature sur le marketing politique fournit principalement une explication de nature

comportementale à ces défaites : un parti n'est pas réélu parce qu'il dévie de son

orientation de marché, en raison de six facteurs, recensés par Jennifer Lees-Marshment

(2014). Puisque cette explication se concentre sur le comportement des membres du parti

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au pouvoir, elle sous-entend que le marketing politique devrait théoriquement toujours

fournir la victoire au parti gouvernant, s'il applique bien les principes.

Or, le marketing politique fait face à un problème intrinsèque dû à la nature de la

politique, c'est-à-dire à la rigidité de l'offre politique. Un parti orienté vers le marché doit

certes s'adapter aux demandes changeantes des électeurs, mais un parti possède toujours

une idéologie dominante et il ne peut changer facilement de direction. Un parti ne peut

s'éloigner de ses propres convictions sans en subir les conséquences. Un parti élu sur une

plateforme de droite ne pourrait pas offrir les politiques de gauche que le public pourrait

désirer, car il perdrait alors sa base électorale, ferait face à l'opposition de ses propres

militants et serait accusé de tenir un discours incohérent. En somme, un parti politique ne

peut pas incarner toutes les options politiques afin de satisfaire l'électorat et demeurer au

pouvoir. Le marketing politique peut certes aider un parti à être élu, mais une fois au

pouvoir, ce parti crée par sa simple présence un besoin dans l'électorat pour des politiques

différentes des siennes. Ce gouvernement alimente lui-même le vent de changement qui

le fera tomber un jour, même s'il continue à appliquer les principes du marketing

politique à la lettre. Ce phénomène des cycles électoraux n'est que rarement pris en

compte par de nombreux chercheurs, dont Jennifer Lees-Marshment, lorsqu'ils

dépeignent le marketing politique presque comme une panacée.

L'une des raisons de cet oubli semble être que les chercheurs en marketing politique

postulent que les partis peuvent s'adapter presque parfaitement aux demandes des

électeurs. Ils ignorent la lassitude qui peut survenir après plusieurs années ou mandats

chez les électeurs, qui crée ce besoin de changement. Une autre raison semble être que les

chercheurs en marketing politique ont davantage étudié la période de la conquête du

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pouvoir que celle de l'exercice du pouvoir. Le marketing politique est une approche

communicationnelle très efficace pour se faire élire, mais moins pour se maintenir au

pouvoir, puisque la dynamique politique change une fois au gouvernement. On peut

cependant tirer des leçons de la période d'exercice du pouvoir, puisqu'elle pave la voie à

la réélection et donne l'heure juste sur la réelle efficacité du marketing politique.

Présentation du travail dirigé

Dans ce travail dirigé, je vais donc procéder à une revue de littérature pour expliquer

pourquoi des partis politiques élus au gouvernement et qui appliquent bien les principes

du marketing politique peuvent quand même subir la défaite. Je commencerai par

présenter dans la deuxième section un état des lieux du marketing politique, rappelant ses

principes de base, la chronologie de son développement et les limites de l'adaptabilité de

l'offre politique. Je présenterai ensuite où en est la recherche sur l'application du

marketing politique à un gouvernement. Dans la troisième section, j'exposerai les

principales raisons qui expliquent pourquoi un parti politique dévie de son orientation de

marché une fois au pouvoir et comment il peut retrouver cette orientation, en me basant

sur une recension de Jennifer Lees-Marshment (2014). Dans la quatrième section, je

présenterai succinctement les principales recherches sur la réactivité des élus face à la

demande des électeurs et les mettrai en lien avec le marketing politique. J'exposerai

ensuite le concept des cycles électoraux et j'argumenterai qu'un parti orienté vers le

marché ne peut connaître le succès si le cycle électoral actuel ne le favorise pas, même

s'il applique bien les principes du marketing politique et est réactif aux demandes du

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public. Je me baserai principalement sur les concepts de cycles électoraux et de policy

mood (humeur politique) de James A. Stimson (1991, 2002, 2004, 2012). Enfin,

j'évoquerai pourquoi la littérature sur le marketing politique a ignoré cette dynamique de

la vie politique.

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II. ÉTAT DES LIEUX DU MARKETING POLITIQUE

La théorie du marketing politique est née de l'application du marketing, un concept tiré

du domaine commercial, à la politique. Je présenterai dans cette section les principes de

base du marketing politique, la chronologie des études à ce sujet, les principaux modèles,

puis les limites de l'adaptabilité de l'offre politique. Je présenterai ensuite le débat sur

l'impact du marketing politique sur la démocratie, ainsi que la maturation du champ de

recherche vers l'application du marketing politique par les gouvernements.

Avant d'être appliqué au domaine politique, le marketing a d'abord profondément

transformé le domaine commercial, grâce à un texte fondateur de Robert J. Keith, en

1960, intitulé The Marketing Revolution. Celui-ci a jeté les bases du marketing tel qu'on

le connaît aujourd'hui, plaçant les consommateurs plutôt que les entreprises au centre de

l'univers commercial (35). Il s'agit d'un renversement de perspective majeur par rapport à

la perspective dominante précédente, celle de la publicité. Celle-ci postulait que le

producteur qui avait un produit à offrir devait utiliser un message publicitaire pour créer

un besoin chez le consommateur. Or, avec le marketing, le consommateur est placé au

début du cycle de production. Le producteur sonde en premier lieu les besoins des

consommateurs afin de tailler son produit sur mesure pour satisfaire ces besoins. La

différence se situe davantage au plan conceptuel, car comme le dit Jennifer Lees-

Marshment (2014, 30), le concept du marketing politique « est bien plus une manière de

penser qu'une manière de faire »1.

1 Toutes les traductions de l'anglais vers le français dans ce travail dirigé sont des

traductions libres.

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Cette approche, issue du milieu des affaires et de la publicité, s'applique également à la

politique, où le produit est l'offre politique d'un parti, son programme politique. L'idée

que le marketing puisse s'appliquer à la politique a été évoquée pour la première fois par

Kotler et Levy dans un texte fondateur en 1969. Le marketing politique est une

philosophie et une approche communicationnelle qui place aussi les besoins des

électeurs/consommateurs au début du cycle de production du produit politique

(Baker 1991). Le produit commercial est simple, divisible et tangible, tandis que le

produit politique est complexe, indivisible et intangible. En ce sens, le produit politique

s'apparente davantage à une offre de services, par exemple à des services financiers ou

d'assurance (Butler et Collins 1996). Puisque le consommateur ne peut pas voir le

produit, il dépend des informations qu'on lui fournit à propos du produit et de la

réputation de l'entreprise, les seuls éléments sur lesquels il peut se baser pour prendre une

décision d'achat. L'entreprise offre sa bonne réputation comme gage de confiance. Si le

consommateur décide de lui faire confiance, il achètera alors son service. Il s'agit là de la

base du marketing relationnel (Butler et Collins 1996). Le même principe s'applique à la

politique: le parti politique s'expose au jugement des électeurs. L'électeur/consommateur

décidera de voter ou non pour ce parti en fonction de son évaluation de son bilan et de ses

promesses. Au coeur de la philosophie marketing se trouve donc la notion d'échange,

absolument cruciale. Les deux parties doivent tirer avantage de leur transaction, même si

elles ont des intérêts différents. Comme le dit Nicholas O'Shaughnessy, l'essence du

marketing est la réciprocité entre producteurs et consommateurs (1990, 2). Dans le cas du

marché politique, un parti offre aux électeurs un programme, soit un ensemble de

politiques publiques, tandis que les électeurs offrent leur vote en retour (Zaller 1999).

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2.1 Chronologie de l'évolution des études sur le marketing politique

La philosophie du marketing politique est issue des théories de la gestion et adopte une

perspective économique de la politique, comme le faisait Anthony Downs (Scammell,

1999, 726). Cette théorie économique de la politique postule que les électeurs ont

certaines préférences et que l'on peut situer la position de l'électeur médian sur un axe

idéologique gauche/droite. Selon Downs (1957), le parti politique situé le plus près de ce

point de convergence est le plus susceptible de remporter le vote des électeurs. C'est

exactement ce qu'affirme le marketing politique : le parti qui offre le programme

politique qui répond le mieux aux besoins d'une majorité d'électeurs remportera leur vote

et ainsi l'élection. Si la position de l'électeur médian sur un enjeu bouge un peu plus à

gauche ou à droite, tout parti a intérêt à s'en rapprocher le plus possible, afin de gagner

l'adhésion de la majorité des électeurs. Pour survivre dans l'arène politique, un parti doit

non seulement être capable de bien lire les préférences de l'électorat, mais aussi être

capable de s'adapter aux mouvements de l'opinion publique.

Évidemment, tous les électeurs n'ont pas les mêmes préférences. Différents segments

auront différentes priorités électorales. Un parti politique doit donc segmenter la « masse

électorale homogène » en « sections plus petites qui ont quelque chose en commun »

(Lees-Marshment 2014, 76). Il s'agit aussi de sélectionner les enjeux les plus payants

électoralement pour chacun de ces segments et d'utiliser la bonne stratégie pour obtenir

leur appui électoral (Newman et Sheth 1987). Le but est de bâtir une coalition électorale

gagnante en remportant le vote de divers segments de l'électorat pour constituer une

majorité. C'est pourquoi le marketing politique est aussi issu des études sur les

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campagnes électorales, qui sont elles-mêmes nées aux États-Unis, où elles sont passées

de « l'amateurisme au professionnalisme » (Scammell 1999, 720).

À ses tout débuts, le terme « marketing » était utilisé de manière interchangeable avec

celui de « propagande », mais il est venu remplacer ce dernier lorsqu'il est tombé en

désuétude. Le marketing a commencé à dominer la pensée commerciale à partir des

années 1960, avec l'arrivée du pouvoir du président John F. Kennedy et sa maîtrise du

nouveau médium, la télévision. Son intérêt principal était d'offrir « des armes de

persuasion scientifiques aux leaders politiques » (Scammell 1999, 724). L'idée que l'on

puisse appliquer le marketing à d'autres domaines qu'au domaine commercial, notamment

aux organisations à but non lucratif et aux partis politiques, a été évoquée par Kotler et

Levy dès 1969. On ne pouvait toutefois pas transposer les concepts issus du monde des

affaires au monde de la politique (Lees-Marshment 2014, 26), mais il fallait plutôt

« marier » ces deux mondes, selon Lees-Marshment (2001). La littérature des années

1980 s'est concentrée sur l'application du marketing aux partis politiques, aux chefs et

aux candidats. Ces chercheurs ont démontré comment le fait d'être conscient du marché

politique a commencé à influencer la communication politique (Lees-

Marshment 2014, 27). Dans les années 1990 et 2000, quelques auteurs ont élaboré des

modèles pour appliquer plus concrètement le marketing au monde politique et ses

conséquences sur la démocratie. En 1996, un numéro spécial de la revue European

Journal of Marketing s'est consacré au marketing politique : Aron O'Cass, Patrick Butler

et Neil Collins, ainsi que Andrew Lock et Phil Harris ont tous souligné les limites de

l'application du marketing au domaine politique. Depuis le milieu des années 2000, les

chercheurs étudient également l'application du marketing politique par des

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gouvernements. Plus que jamais, le marketing politique devient un guide, presque un

manuel pour remporter ses élections.

2.2 Les principaux modèles

Le premier modèle d'application du marketing politique a été proposé par Bruce I.

Newman (1994), qui a élaboré un modèle de stratégie de campagne électorale pour un

candidat présidentiel lors des primaires et des élections générales aux États-Unis. Son

modèle intègre quatre composantes afin d'expliquer comment un candidat présidentiel est

mis en marché, soit le focus du candidat, la campagne marketing, la campagne politique

et les forces environnementales (12). Fait à noter, les quatre possibilités de focus pour le

candidat sont le concept de parti, le concept de produit, le concept de vente et le concept

du marketing. Ce modèle semble avoir beaucoup inspiré Jennifer Lees-Marshment, qui

élaborera son propre modèle quelques années plus tard, en 2001.

Patrick Butler et Neil Collins (1996) ont quant à eux développé un modèle pour expliquer

comment les partis se font compétition, établissant une typologie quadripartite: un parti

peut être un leader, un follower, un challenger ou un nicher. Selon sa position dans le

marché politique, il peut avoir des buts différents et adopter des stratégies différentes

pour les atteindre. Par exemple, un parti de niche tire avantage de sa clientèle qui est

délaissée par les autres partis. Il a donc intérêt à servir cette clientèle autrement ignorée

mieux que les autres partis et de ne pas les copier, afin de conserver sa pertinence.

Un autre modèle notable est celui de la chaîne comportementale d'Ormrod (2005), qui

établit une chaîne de quatre comportements et de quatre orientations applicables à

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n'importe quel moment du cycle politique. Puisque les modèles de Newman (1994) et

Lees-Marshment (2001) se concentrent sur la campagne électorale, il manquait un

modèle pour expliquer le comportement des partis politiques en période non électorale.

Le modèle d'Ormrod comble ce manque. Les quatre étapes de comportement de la chaîne

comportementale sont la génération d'information, la dissémination de l'information, la

participation des membres et la communication externe constante. Les quatre orientations

possibles sont, premièrement, l'orientation vers l'électeur, qui met l'accent sur les

échanges entre les acteurs individuels. Deuxièmement, il y a l'orientation interne, où les

membres du parti sont au courant et acceptent les opinions des autres, peu importe la

position du parti. Troisièmement, il y a l'orientation vers la compétition, qui prend en

compte le comportement des autres partis et qui postule que la coopération avec eux peut

être nécessaire pour atteindre ses buts à long terme. Enfin, il y a l'orientation externe, qui

prend en compte l'importance d'autres groupes d'intérêt (Ormrod 2005).

La chercheuse britannique Jennifer Lees-Marshment a introduit une nouvelle phase dans

l'étude du marketing politique avec son modèle Lees-Marshment, aussi connu sous le

nom de « POP-SOP-MOP » (2001). La prolifique auteure a réussi depuis sa publication à

canaliser les débats sur le marketing politique autour de son modèle. Celui-ci se distingue

par sa classification des partis politiques selon leur comportement par rapport à la

demande des électeurs. Lees-Marshment établit huit étapes possibles pour répondre aux

besoins des électeurs et les partis les suivent toutes ou partiellement selon le

comportement qu'ils adoptent. Le premier idéal-type, le product-oriented party (francisé

dans ce texte par « parti orienté vers le produit »), postule que ce type de parti n'effectue

que cinq des huit étapes possibles. Il commence donc son processus directement par la

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conception du produit, puis enchaîne avec la communication, la campagne électorale,

l'élection, puis la livraison du produit politique. Ce parti croit que les électeurs voteront

pour lui pour la justesse de son produit politique et il ne cherche pas activement à tailler

celui-ci en fonction des besoins des électeurs.

Le deuxième idéal-type, le sales-oriented party (parti orienté vers les ventes), a une

croyance tout aussi forte en son produit, mais adapte sa communication aux électeurs afin

de convaincre ceux-ci de voter pour lui. Il ne prend pas pour acquis qu'ils voteront pour

lui sans qu'il ait à faire un effort de persuasion. Ce parti effectue les mêmes étapes que le

parti orienté vers le produit, mais il ajoute la recherche de marché après la conception de

son produit, afin de comprendre comment mieux communiquer celui-ci à l'électorat.

Enfin, le troisième idéal-type, le market-oriented party (parti orienté vers le marché),

applique totalement la philosophie du marketing politique. Ce parti place les besoins des

électeurs au début de son cycle de production du produit politique : la recherche de

marché vient en premier. Il effectue les huit étapes du marketing politique selon Lees-

Marshment (2001) : recherche de marché, conception du produit, ajustement du produit,

implantation, communication, campagne, élection et livraison.

Cette classification en trois idéaux-types a été principalement appliquée par Lees-

Marshment à la politique britannique. Même si l'auteure souhaitait que cette classification

soit universelle, celle-ci semble mieux s'appliquer aux systèmes occidentaux,

particulièrement aux systèmes parlementaires de type britannique. L'un des premiers

partis à appliquer les principes du marketing politique avec succès a d'ailleurs été le New

Labour, dont il sera davantage question dans la troisième section.

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2.3. Les limites de l'offre politique

Ainsi, le marketing politique offre un outil pour comprendre par la recherche de marché

les besoins des électeurs et de les satisfaire en adaptant son offre politique à ceux-ci

(O'Cass 1996, 52). Il existe toutefois des contraintes liées au marché politique qui le

limiteront dans cette démarche. Premièrement, un parti est contraint idéologiquement,

puisqu'il ne peut pas renier sa base militante. « Les militants peuvent avoir des demandes

différentes qui entrent en conflit les unes avec les autres et les partis doivent tenter de

réconcilier ces différences ou s'assurer que les militants sont représentatifs de l'électorat,

afin que leurs buts et intérêts soient similaires » écrit Jennifer Lees-Marshment

(2009c, 146). Cela est dû au fait qu'une partie du produit politique est l'investissement

que mettent les militants et les électeurs dans un parti (Lloyd 2005). Certains partis qui

effectuent des changements de positionnement sont parfois confrontés à une résistance de

des donateurs du parti et de ses membres, même si les changements permettraient de

mieux répondre aux besoins des électeurs et seraient électoralement payants (Lees-

Marshment 2014, 141). C'est ce qui est arrivé au nouveau chef du Parti conservateur

britannique David Cameron qui, en 2010, a tenté de satisfaire le marché intérieur et

extérieur de son parti, mais avec difficulté. Ses politiques pro-environnement, destinées à

attirer de nouveaux électeurs chez les conservateurs, ont aliéné un allié traditionnel, le

monde des affaires, tandis qu'une nouvelle politique sur les écoles a dû être abandonnée

après une opposition des membres du parti (Lees-Marshment et Pettitt 2010, 123). Lors

des élections de 2005, le New Labour a perdu beaucoup d'électeurs, qui n'ont pas voté du

tout. Ceux-ci démontraient un haut taux de détachement et d'aliénation par rapport à leur

parti, sentant que celui-ci ne les représentait plus (Lees-Marshment et Lilleker 2005, 26).

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Druckman et Jacobs vont encore plus loin en affirmant que le gouvernement ne sert pas

le bien commun, mais celui de son groupe restreint de supporteurs (2015, 10).

« Alors que la théorie de l'électeur médian prédit une réactivité [des élus] à

l'opinion majoritaire, la polarisation des élites et des électeurs a motivé les

politiciens à faire avancer leur carrière en respectant les buts politiques favorisés

par les militants et donateurs du parti. Compromettre ces buts peut être coûteux,

provoquant la présence d'opposants lors des primaires et une baisse des dons en

campagne (Wood 2009; Jacobs et Shapiro 2000) » (Druckman et

Jacobs 2015, 11).

Deuxièmement, un parti est limité par ses propres caractéristiques, ainsi que celles de ses

candidats. Ceux-ci ne peuvent pas adopter des positions contraires à celles qu'il a prises

dans le passé, sans craindre d'être perçus comme incohérents (Lees-Marshment et

Lilleker 2005, 26; Lees-Marshment 2009a, 146; Butler et Collins 1996, 29). Un parti doit

aussi tenir compte de sa position dans le marché politique (Butler et Collins 2002). Le

parti au pouvoir, habituellement le leader du marché, doit trouver l'équilibre entre le

changement et la continuité. C'est pourquoi l'étape de l'implantation à l'interne est

cruciale pour assurer le succès d'une démarche de marketing politique (Lees-

Marshment 2001). Il est clair qu'il existe une rigidité dans l'offre politique des partis en

raison de ces contraintes inévitables et que cette rigidité limite l'adaptabilité d'un parti aux

demandes des électeurs. Un parti politique appliquant la philosophie du marketing

politique a donc une certaine marge de manoeuvre lorsqu'il élabore son offre politique,

mais il doit aussi tenir compte de ces contraintes liées à la rigidité de l'offre et à son

positionnement dans le marché. Le marketing politique ne permet pas à un parti

d'incarner toutes les options politiques. Comme toujours, il doit faire des choix.

Page 22: Université de Montréal...Newman a développé un modèle destiné aux candidats présidentiels américains, qui s'inspire de la campagne présidentielle de Bill Clinton en 1992

15

2.4 Le débat sur l'impact du marketing politique sur la démocratie

Le développement de la théorie du marketing politique a rapidement suscité des

inquiétudes quant à son impact sur la démocratie. Henneberg (2004) a compilé les

critiques émises sur le marketing politique. Les chercheurs lui reprochent principalement

son aspect instrumental et consumériste : les partis politiques doivent satisfaire les

besoins des électeurs, mais seulement ceux susceptibles de voter pour eux. Des pans

entiers de l'électorat sont donc ignorés (Savigny 2008). Le marketing politique encourage

les électeurs à voter pour des politiciens en fonction des bénéfices égoïstes qu'ils en

tireront (Qualter 1991, Bauman 2005). Il décourage également le leadership politique

nécessaire à la gouvernance (Klein 2006). Nous sommes loin de la recherche du bien

commun qui prévaut habituellement dans la vision normative de la démocratie.

Certains chercheurs croient toutefois que le marketing politique encourage réellement les

partis politiques à être plus attentifs aux besoins des électeurs. Les partis conservent leurs

convictions, mais ils doivent pouvoir s'adapter aux changements de l'opinion publique et

ont donc besoin de souplesse (Lees-Marshment 2001, 1). S'ils tenaient mordicus à leurs

positions pour des raisons idéologiques, ils s'éloigneraient la plupart du temps des

préférences de l'électeur médian et perdraient des parts de marché et donc l'élection. Ces

chercheurs perçoivent le marketing politique comme une opportunité pour les partis de

bâtir une relation durable avec les électeurs, puisqu'ils doivent constamment être à

l'écoute. Ils ne peuvent pas faire de promesses qu'ils ne pourront pas tenir, sous peine

d'être sanctionnés plus tard. Par exemple, Darren G. Lilleker soutient que l'approche

marketing pousse les partis et les gouvernements orientés vers le marché à consulter plus

souvent les citoyens que ceux orientés vers le produit ou les ventes (2005). Si elle permet

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16

d'ignorer certains électeurs, la segmentation permet aussi de rejoindre des minorités

autrement délaissées (Davidson 2005).

Au final, l'impact du marketing politique sur la démocratie dépend de la manière dont il

est utilisé et dans quels buts (Giasson et al 2012). Henneberg, Scammell et

O'Shaughnessy identifient trois conceptualisations différentes du marketing politique : le

marketing comme outil de vente, comme instrument et comme outil pour construire une

relation, soit le marketing relationnel (2009, 169). Le marketing comme outil de vente

renvoie à un marketing motivé idéologiquement, tandis que le marketing comme

instrument relève du paradigme dominant, c'est-à-dire qu'il cherche à convaincre les

électeurs de la valeur de l'offre politique d'un parti. Un peu différent, le marketing

relationnel prend en considération les interactions à long terme qui bénéficient à tous les

acteurs et à la société (Henneberg et al 2009, 169). Il met de l'avant l'interdépendance

entre les politiciens et les électeurs. Il est donc clair, à la lumière de la classification de

Henneberg, Scammell et O'Shaughnessy que des critiques positives et négatives peuvent

être émises à l'endroit du marketing politique selon le type de marketing pratiqué par un

parti.

2.5 Maturation du champ de recherche

Ces jugements positifs et négatifs sur l'impact démocratique du marketing politique ne

peuvent trouver confirmation que dans l'application de la théorie à la réalité. Le

marketing politique a été utilisé comme stratégie pour remporter des élections avec

succès, comme en témoignent les cas du New Labour en Angleterre en 1997 ou encore du

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17

Parti conservateur du Canada en 2006. Le véritable test de cette théorie est toutefois

l'étude du marketing politique appliqué par un gouvernement. La raison est simple : il

faut observer un cycle électoral complet pour tester l'utilité d'une telle approche

communicationnelle, car les élections ne représentent qu'une partie d'un cycle électoral.

Un parti politique qui utilise avec succès les principes du marketing politique doit non

seulement être élu, mais aussi gouverner, tenir ses promesses et être réélu. En d'autres

mots, il doit livrer la marchandise et convaincre les électeurs de lui faire confiance à

nouveau. Comme le mentionnait Jenny Lloyd, le produit politique est aussi ce

qu'accomplit un gouvernement, ce qui est à la fois un résultat et un processus (2005).

Pour appliquer le marketing politique aux réalités d'un gouvernement, Jennifer Lees-

Marshment a élargi son modèle POP-SOP-MOP et créé le concept de « gouvernement

orienté vers le marché » (GOP). Il est défini ainsi :

« Un gouvernement orienté vers le marché vise à maintenir une relation réactive

avec le public, continuant à consulter un large éventail de marchés, à revoir son

progrès sur la livraison, à offrir un leadership approprié et à s'engager dans le

développement de produit stratégique dans le contexte de la réalité d'un

gouvernement, afin d'offrir une satisfaction à long terme » (2009b, 211).

Cette étude de l'application du marketing politique par un gouvernement suscite l'intérêt

des chercheurs, mais la littérature n'est pas aussi abondante qu'elle l'est pour l'étude du

marketing politique en campagne électorale. Celle qui est disponible témoigne tout de

même d'une maturation de champ de recherche du marketing politique. En fait, beaucoup

de livres ont été écrits par des conseillers politiques qui relatent leur expérience auprès

d'un leader politique. Ils racontent entre autres comment le parti ou le chef a appliqué la

philosophie du marketing politique afin de gouverner et de maintenir ses appuis, même si

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18

ces conseillers ne parlent pas explicitement de marketing politique. C'est le cas

notamment de Tom Flanagan à propos de l'élection du Parti conservateur du Canada en

2006, qui a relaté son expérience de conseiller politique dans son livre Harper's Team

(2007). Idem pour le célèbre Alastair Campbell, qui a raconté ses années à conseiller le

premier ministre britannique Tony Blair du New Labour dans au moins cinq livres. Aux

États-Unis, Behind the Oval Office de Dick Morris (1997) est devenu un succès en raison

du rôle du conseiller politique auprès du président démocrate Bill Clinton. La liste de ces

récits de conseillers est longue et leurs écrits permettent d'en apprendre beaucoup sur la

réalité d'un gouvernement orienté vers le marché.

Ainsi, la littérature sur le marketing politique au gouvernement est moins abondante,

mais elle nous fournit tout de même des éléments éclairants. Les premières constatations

à ce sujet remontent à Bruce Newman qui faisait remarquer qu'un candidat doit adapter sa

stratégie de campagne pour celle du gouvernement (1999, 110). Un parti au pouvoir doit

impérativement livrer la marchandise, car échouer à fournir des résultats menace ses

chances de réélection. Aucun parti n'est assuré de réussir à livrer ses promesses

cependant, pour toutes sortes de raisons parfois hors de son contrôle. Newman a nommé

cette situation le service delivery gap (écart de livraison) (1999, 37-38).

Lees-Marshment a réalisé une bonne synthèse des connaissances sur le marketing

politique au gouvernement (2014, 209). Les contraintes du pouvoir pèsent lourd sur un

parti qui doit gouverner. Celui-ci peut se laisser davantage guider par les crises et les

dossiers urgents que par ses priorités électorales. Le risque est grand de perdre contact

avec les électeurs et de devenir arrogant. Pour tout parti, l'usure du pouvoir peut être

fatale. Edward Elder a étudié le dilemme « écoute/leadership » auquel fait face tout

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19

politicien (2014) et Timothy Heppell (2008) s'est concentré sur les tendances

dégénératives des gouvernements au pouvoir depuis longtemps, étudiant des cas de 1963

à 2008. Enfin, Kristen Kozolanka s'est penchée sur les dangers qui guettent un

gouvernement qui repousse les frontières de la communication marketing (2012) et Anna

Esselment sur défis auxquels font face les gouvernements minoritaires (2012). Ces

recherches ont toutes en commun le comportement du parti qui applique les principes du

marketing politique. Que l'on parle de l'usure du pouvoir, de l'arrogance d'un chef ou de

la difficulté d'un parti à se concentrer sur ses priorités électorales tout en gérant un

gouvernement, il s'agit ici du comportement d'un parti ou d'un leader qui est en cause.

C'est sur ce point que s'est concentrée la recherche sur l'application du marketing

politique au gouvernement à ce jour. Je démontrerai toutefois que cette explication

comportementale ne prend pas compte des dangers qui guettent à long terme un parti au

pouvoir.

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20

III. POURQUOI LES PARTIS POLITIQUES DÉVIENT-ILS DE LEUR

ORIENTATION DE MARCHÉ ?

Il a été démontré à plusieurs reprises que le marketing politique peut aider un parti

politique à remporter ses élections s'il applique bien ses principes. Toutefois, les partis

doivent non seulement gagner leurs élections, mais ils doivent aussi gouverner, tenir leurs

promesses et livrer la marchandise afin d'être réélus. Or, il arrive souvent qu'un parti

porté au pouvoir grâce aux principes du marketing politique ait de la difficulté à se faire

réélire et subisse même la défaite. La raison principale identifiée par les chercheurs est

que le parti n'a pas su maintenir son orientation de marché une fois au pouvoir, une

explication comportementale. La plupart des conditions dans lesquelles évolue un

gouvernement vont à l'encontre du maintien de cette orientation et font obstacle à la

réflexion et à la réactivité qu'elle nécessite (Lees-Marshment 2009a, 209). Dans cette

section, je décrirai les six facteurs qui entravent le maintien de l'orientation de marché

d'un parti au gouvernement recensés par Jennifer Lees-Marshment, puis cinq bonnes

pratiques pour la retrouver (2014, 209-210). Pour illustrer ces raisons, je me baserai sur

les exemples du New Labour en Angleterre, du Parti conservateur du Canada et du Parti

travailliste néo-zélandais. Toutefois, si l'on compare ces facteurs qui entravent

l'orientation de marché à la capacité d'adaptation des partis, ils m'apparaissent comme de

très sérieux obstacles. Les recommandations pour retrouver son orientation de marché ne

me semblent pas assez convaincantes, car elles ne fournissent pas pour autant à un parti

une capacité d'adaptation infinie. Elles lui permettent tout au plus une adaptation partielle

face à la demande changeante des électeurs. Cette capacité d'adaptation très limitée des

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21

partis pose un grave problème à l'application du marketing politique, qui postule une

capacité d'adaptation quasi totale.

3.1 Les facteurs qui entravent le maintien de l'orientation de marché d'un

gouvernement orienté vers le marché

3.1.1. Perte de conseillers objectifs et critiques qui ont de l'instinct et une habileté à offrir

une critique franche

Un gouvernement orienté vers le marché a besoin de toujours avoir l'heure juste à propos

de sa situation. En conséquence, il a toujours besoin de conseillers qui sont prêts à offrir

une évaluation objective à ses dirigeants. Dans une entrevue accordée à Jennifer Lees-

Marshment, Bob Carr, l'ancien premier ministre de l'État de New South Wales en

Australie a affirmé que «vous voulez des personnes autour de vous qui vont être en

désaccord avec vous. Vous en avez absolument besoin. Ils doivent être confortables avec

le fait de ne pas vous dire ce que vous vous devez faire» (2008). Pour illustrer cet

obstacle au maintien de l'orientation de marché, Lees-Marshment donne l'exemple

d'Alastair Campbell, qui a conseillé le premier ministre britannique travailliste Tony

Blair de 1994 à 2003. Alastair Campbell a joué un rôle-clé dans la campagne électorale

de 1997, celle où le Labour est devenu le « New Labour », remisant ses principes

idéologiques trop à gauche pour la majorité des Britanniques, afin de se présenter comme

un parti de la « troisième voie ». Après la victoire de 1997, il est devenu le secrétaire de

presse, puis le directeur des communications de Tony Blair. Il est resté à ce poste jusqu'à

ce qu'il démissionne en 2003. Son départ a fait perdre une source critique de rétroaction à

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22

Blair, selon Lees-Marshment (2009b, 216). Bien que le départ d'Alastair Campbell ne soit

pas en soi la source des problèmes du New Labour, cela les a certainement exacerbés.

Tony Blair a commencé à perdre son orientation de marché à partir de 2001, devenant

plus arrogant et détaché des citoyens. La situation était telle en 2004 que le New Labour a

dû engager la firme de consultation Promise pour corriger l'image du chef et préserver ses

chances de réélection (Scammell 2007, 182). Lees-Marshment note également l'impact

négatif du départ de l'attaché de presse en chef de la première ministre néo-zélandaise

Helen Clark, Mike Munro, après deux mandats. Celle-ci a perdu un conseiller avisé et

son troisième mandat a été plus difficile, puisqu'une part grandissante de la population la

considérait maintenant comme déconnectée des citoyens ordinaires (Lees-

Marshment 2009c, 464). Un conseiller avisé aurait pu l'aider à réparer son image, à

défaut de garantir sa réélection.

3.1.2. Réalités et contraintes du gouvernement, incluant l'imprévisibilité

La nature même du gouvernement impose des contraintes aux actions d'un gouvernement

et à l'atteinte de ses objectifs. Un candidat ou un parti doit s'adapter du contexte de la

campagne électorale à celui du gouvernement, comme le note Newman (1999, 110). Il

doit trouver comment faire bouger la machine gouvernementale pour atteindre ses

objectifs et tenir ses promesses (Barber 2016, 28). Toutefois, un gouvernement est

toujours plus susceptible d'être blâmé pour les problèmes, même s'il n'y est pour rien

(Lees-Marshment 2014, 200), par exemple une catastrophe naturelle. À ce sujet, le

conseiller britannique Michael Barber donne l'exemple du gouvernement pakistanais qui

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23

a été complètement paralysé en 2010 par une inondation qualifiée par le secrétaire de

l'ONU Ban Ki-moon du « pire désastre [qu'il ait] jamais vu » (147). Michael Barber

raconte que lorsqu'il a rencontré les leaders du monde de l'éducation du Pakistan, ils

étaient encore en état de choc, un mois après l'inondation. Ils avaient tous été retirés de

leurs responsabilités éducatives pour gérer la crise. Un conseiller influent auprès du

premier ministre pakistanais lui a même dit : « Nous ne pouvons plus faire la réforme de

l'éducation, nous avons eu une inondation » (147).

Or, peu importe les effets dévastateurs d'une telle catastrophe naturelle, un gouvernement

orienté vers le marché ne peut se permettre de dévier de ses objectifs, car tôt ou tard, la

crise sera passée et on le jugera tout de même sur l'ensemble de son oeuvre. Il doit donc

continuer à poursuivre ses objectifs, malgré les urgences. Michael Barber, qui a mis sur

pied l'Unité de livraison du Royaume-Uni (UK Delivery Unit) pour le premier ministre

britannique Tony Blair, est catégorique à propos du caractère imprévisible de la

gouvernance : un gouvernement doit « gérer les crises, mais [il ne doit] pas les utiliser

comme des excuses » pour reporter l'atteinte de ses objectifs (2016, 148). Il recommande

de catégoriser les problèmes selon leur intensité et d'agir en conséquence (189).

3.1.3. Les connaissances, expériences et informations détenues par les chefs encouragent

un sentiment d'invincibilité, d'arrogance et de supériorité

Arrogance, supériorité, condescendance, ce sont des critiques fréquemment adressées à

des leaders politiques au pouvoir depuis longtemps. Même les plus ouverts au départ

viennent à être affublés de tels qualificatifs avec le temps, comme le premier ministre

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britannique Tony Blair. À partir de sa réélection en 2001, Tony Blair s'est souvent

positionné à contre-courant de son propre parti et de l'opinion publique sur des enjeux de

principe (Lees-Marshment et Lilleker 2005, 25). Le cas le plus frappant est certainement

celui de la guerre en Irak. Alors que l'opinion publique était majoritairement opposée à la

participation du Royaume-Uni à cette guerre, Tony Blair est allé de l'avant à l'invitation

du président américain George W. Bush. Il l'a payé chèrement : les électeurs ont

commencé à le percevoir comme étant peu à l'écoute de leurs besoins et il a perdu de sa

prestance à leurs yeux (29). Même la première ministre britannique Margaret Thatcher,

l'une des pionnières du marketing politique, est tombée dans ce piège. Lees-Marshment

décrit ainsi ses dernières années au pouvoir :

« [Margaret Thatcher est] devenue dogmatique, a cessé de prendre en compte la

recherche de marché et rejetait tout avis de ses collègues de parti, et a

ultimement démissionné parce que son attitude de conviction, menée par une

orientation vers le produit, lui a fait perdre à la fois son appui à l'interne et à

l'externe [du parti] » (18).

3.1.4. Une opposition faible encourage et facilite la complaisance, puisque la victoire

peut être achevée sans être très réactif

L'étude de cas d'Alex Marland (2005) sur les partis politiques canadiens lors de l'élection

fédérale de 2000 a démontré qu'un parti qui fait face à une opposition faible a plus de

chances de passer d'une orientation de marché à une orientation vers les ventes et même

vers le produit. En effet, un parti orienté vers le marché qui est déjà au pouvoir a moins

d'incitatifs à demeurer orienté vers le marché (74). En 2000, le Parti libéral du Canada

(PLC) était un parti orienté vers le marché, mais il commençait à être usé. Les autres

partis n'avaient pas de réelles chances d'accéder au pouvoir, étant trop minoritaires et trop

Page 32: Université de Montréal...Newman a développé un modèle destiné aux candidats présidentiels américains, qui s'inspire de la campagne présidentielle de Bill Clinton en 1992

25

tournés vers le produit (63). Le Parti libéral croyait pouvoir gagner seulement en

préservant sa marque, en se présentant comme le seul parti pancanadien viable, sans

offrir de vision ou d'initiative audacieuse. Cela contrastait avec ses Livres rouges qui

élaboraient en détail ses propositions lors des élections fédérales de 1993 et de 1997 (64).

Paradoxalement, le Parti libéral a réussi à se maintenir au pouvoir en se comportant

comme un parti orienté vers les ventes (72). Lorsque le chef du parti de l'Alliance

canadienne Stockwell Day a évoqué la possibilité de privatiser une partie du système de

santé canadien, le Parti libéral l'a attaqué de front et l'a démonisé. Le PLC n'a eu qu'à se

présenter comme le défenseur du système de santé publique, une valeur sacrée pour bien

des Canadiens (Nadeau et al 2010, 2015). Pire encore, le Parti libéral est demeuré au

pouvoir malgré des rumeurs de corruption persistantes, qui ont éclaté au grand jour avec

le scandale des commandites en 2004 (Marland 2005, 75). Malgré cet énorme scandale,

le PLC a été reporté au pouvoir cette même année avec un gouvernement minoritaire. Le

premier ministre Paul Martin n'a eu qu'à accuser le nouveau Parti conservateur du Canada

(PCC), né de la fusion de l'Alliance canadienne et des progressistes-conservateurs, d'avoir

un « agenda radical caché » (hidden agenda). Cela a suffi à effrayer les électeurs

canadiens tentés de voter pour le PCC, qui se sont empressés de voter libéral à nouveau.

Le PLC n'a pas eu besoin d'être particulièrement à l'écoute des besoins et des critiques

des Canadiens, surtout à propos de la corruption (75). Ce n'est qu'en 2006 que le chef

conservateur Stephen Harper a réussi à mettre un terme à treize ans de règne libéral, après

une véritable transformation du PCC en parti orienté vers le marché. Le Parti

conservateur a alors proposé un programme en cinq points hautement ciblés, face à un

programme libéral vague et sans saveur (Marland 2012, 65-66). Ainsi, comme le résume

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26

Alex Marland, « plus longtemps un gouvernement n'est pas mis au défi par un autre

MOP, plus il va descendre en un SOP ou même un POP, et moins il sera tenu responsable

pour ses décisions » (2005, 75).

3.1.5. Difficulté et lenteur de la livraison au gouvernement

Il est impossible pour un gouvernement de s'assurer qu'il pourra livrer toutes les

promesses qu'il a faites, malgré sa bonne volonté. Il y aura toujours un écart entre les

attentes des électeurs et le service qui leur est livré, ce que Bruce Newman appelait l'écart

de livraison (service delivery gap) (1999, 37-38). Si les promesses sont irréalistes, elles

seront impossibles à livrer, mais des promesses tout à fait réalistes peuvent se heurter à de

nombreux obstacles. Même un leader politique qui a conscience de la difficulté de livrer

la marchandise et qui s'applique à y parvenir peut en être incapable (Newman 1999). Par

exemple, lorsque le président américain Bill Clinton a été élu en 1992 en promettant de

réduire les impôts de la classe moyenne, il a découvert un déficit bien plus important qu'il

ne le croyait dans le budget fédéral. Il lui était donc impossible de tenir sa promesse

(Newman 1999). Cette contrainte était d'ailleurs le principal problème du gouvernement

travailliste de Tony Blair (Lees-Marshment et Lilleker 2005, 25). Bien que son parti ait

démontré qu'il avait conscience de l'importance de la livraison et qu'il a rapidement pris

les grands moyens pour y parvenir, il s'est buté à de nombreux problèmes. Le directeur de

l'Unité de livraison du Royaume-Uni (UK Delivery Unit) de Tony Blair, Michael Barber,

a relaté dans trois livres les difficultés de pousser la machine gouvernementale dans la

bonne direction afin de mesurer les progrès et de livrer des résultats. Michael Barber

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notait d'ailleurs que « pour les leaders politiques réformateurs, le paradoxe est qu'ils

doivent avoir une stratégie à long terme afin de s'assurer d'une réforme irréversible, mais

à moins qu'ils ne livrent des résultats à court terme, personne ne les croit » (2016, 6).

3.1.6. Manque de temps pour penser au développement de produits futurs

L'un des plus grands défis auquel fait face un parti au pouvoir est celui de rafraîchir son

image de marque (rebranding) en milieu de mandat. Un parti ne peut laisser tomber

complètement son programme politique, sous peine d'être accusé d'improvisation par ses

adversaires et les médias, mais rafraîchir son image est primordial (Lees-

Marshment 2014, 213). Pour maximiser ses chances de réélection, un gouvernement doit

conserver du temps pour travailler sur ses objectifs stratégiques, ainsi que pour

développer les futurs produits qu'il va offrir pour combler les besoins changeants de la

population. Plusieurs obstacles peuvent empêcher un gouvernement orienté vers le

marché de se dédier à la pensée stratégique, comme le manque de temps, les conseillers

extérieurs qui ignorent les complexités des processus de décision politique et la résistance

des politiciens aux conseils sur la gestion stratégique (Fischer, Schmitz et Seberich 2007).

Lees-Marshment affirme qu'il y a effectivement un potentiel pour rafraîchir l'image de

marque d'un parti, mais à condition que

« les politiciens et leurs conseillers surveillent la marque avant qu'il ne soit trop

tard et [qu'ils soient] prêts à écouter les bons conseils stratégiques lorsqu'ils les

reçoivent, et cet avis peut suggérer de nouvelles manières de gérer de vieux

problèmes, comme perdre le contact avec les électeurs » (2014, 215).

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Pour contourner les obstacles qui empêchent de penser stratégiquement à long terme,

Michael Barber conseille d'implanter dans chaque ministère une équipe de livraison

distincte de l'équipe de planification et de stratégie (2016, 37). Cela permet de se

concentrer sur l'avancement de projets à long terme sans être guidé par les crises et les

urgences inhérentes à la gouvernance, comme décrit au point 2.

3.2 Comment retrouver son orientation de marché

Un gouvernement peut donc perdre son orientation de marché, ce qui menace ses chances

de réélection en l'éloignant des besoins des électeurs. Il peut toutefois la retrouver, en

suivant ces cinq recommandations de Jennifer Lees-Marshment (2014, 210).

3.2.1. Procéder à des exercices d'écoute ou de consultation pour se reconnecter avec les

électeurs

Le New Labour a lancé une importante consultation publique en 2003, appelé The Big

Conversation (La grande conversation), afin de sonder les électeurs britanniques et établir

ses priorités en vue de l'élection générale de 2005 (Lees-Marshment et Lilleker 2005, 27).

Toutefois, les critiques négatives étaient fortement filtrées et la consultation a été

dépeinte comme un vulgaire exercice de relations publiques (28). Les résultats de cette

consultation étaient inquiétants : même si le New Labour était toujours en tête dans les

sondages, il craignait de ne pas être capable de mobiliser ses propres électeurs et il

s'inquiétait aussi de la colère des électeurs envers Tony Blair, particulièrement celle des

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femmes (Scammell 2007, 181). « Les politiciens, disait Philip Gould (2003), parlaient à

un ''stade vide''; les électeurs se sentaient impuissants et ignorés et étaient à la recherche

d'une forme d'engagement plus interactive avec les politiciens » écrit Margaret Scammell

(2007, 181). Le New Labour a donc engagé la firme de consultants en communication

Promise à la fin de 2004 pour reconnecter Tony Blair avec l'électorat britannique. Selon

l'enquête de Promise, dont les conclusions concordaient avec la consultation menée par le

New Labour, les électeurs se sentaient abandonnés, croyaient que le premier ministre

s'était enflé la tête et l'accusaient de ne pas réfléchir avant d'agir (Langmaid, Trevail et

Hayman 2006). Le constat de Promise était clair :

« Le Tony idéal était devenu Tony le Terrible. Les répondants réagissaient à

Blair comme des amoureux délaissés. (...) La tâche, comme Promise la voyait,

était d'intégrer les deux Tony, le jeune Tony plein d'espoir et le Tony plus vieux

et rude, en un nouveau ''Tony mature'' » (Scammell 2007, 184).

3.2.2. Rafraîchir son équipe politique

Présenter de nouveaux visages plus jeunes et représentatifs de l'électorat aide à donner

l'impression qu'un parti travaille en équipe et est plus près des citoyens. C'est ce à quoi a

procédé le Parti travailliste néo-zélandais de Helen Clark en 2007. Après huit ans au

pouvoir, il avait besoin d'une cure de rajeunissement. La première ministre a donc

encouragé certains députés plus âgés à prendre leur retraite et a présenté de nouveaux

visages dans son équipe (Lees-Marshment 2014, 210). Le New Labour a réalisé la même

opération en 2005, présentant aux électeurs la Team Labour (l'Équipe travailliste). Ceci

était particulièrement important, parce que les problèmes du parti étaient concentrés en la

personne de Tony Blair, mais sans lui, le New Labour semblait vide, sans substance. La

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30

firme Promise a donc recommandé de mettre de l'avant les autres membres du parti,

d'autant plus que l'esprit d'équipe manquait à ses adversaires conservateurs

(Scammell 2007, 185). Il fallait impérativement que se réconcilient les deux figures

importantes du parti, Tony Blair et le chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances et

du Trésor) Gordon Brown. Les conseillers politiques Philip Gould et Alastair Campbell

étaient convaincus que ce dernier était indispensable au succès électoral du New Labour.

Brown et Blair ont fini par enterrer la hache de guerre pour le bien du parti, faisant la

promotion de leur « partenariat » (Scammell 2007, 186).

3.2.3. Utiliser une communication non politique et compréhensible pour le public

Pour un politicien, les émissions de divertissement et les talk shows sont des occasions en

or d'apparaître sous un jour différent, dans un cadre plus détendu et plus personnel que

celui des émissions d'information, puisque ces apparitions les humanisent (Rosenberg

2000). Bill Clinton a marqué l'imaginaire en jouant du saxophone lors du Arsenio Hall

Show et en faisant des apparitions sur la populaire chaîne télévisée MTV alors qu'il était

candidat démocrate à la présidence américaine (Baum 2005, 213). Le premier ministre

britannique Tony Blair est quant à lui apparu dans les émissions Richard and Judy et

Ant and Dec avant l'élection de 2005, puis dans un sketch comique avec l'actrice

Catherine Tate lors d'un événement télévisé caritatif en 2007 (Lees-

Marshment 2014, 210).

De plus en plus, les chercheurs reconnaissent le potentiel des émissions de divertissement

pour influencer la politique (Baum 2005, 213). Même si ces téléspectateurs sont

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généralement apolitiques, ces émissions permettent tout de même aux politiciens de

rejoindre cet auditoire qui vote malgré tout en grand nombre (Baum 2005, 214). Selon

l'American National Election Study de 2000, 60% des répondants qui affirment ne pas

suivre la politique du tout ou seulement de temps en temps a affirmé avoir voté. Pour

réussir à convaincre cet auditoire cependant, les politiciens doivent adapter leur message.

Une stratégie efficace est de diminuer la partisanerie du message (Baum 2005, 215). « En

raison de leur orientation vers la personnalité ou l'intérêt humain, les talk shows

représentent une avenue alternative potentiellement attrayante pour les candidats », écrit

Matthew Baum (215).

3.2. 4. Reconnaître les inquiétudes du public avec les décisions difficiles et impopulaires

du leader

L'exercice de relations publiques mené par le New Labour dans les premiers mois de

2005, appelé Let's Talk, a fini par être surnommé la « stratégie du masochisme », parce

que le premier ministre Tony Blair recherchait activement les rencontres avec des

citoyens mécontents et agressifs, certaines étant particulièrement pénibles

(Scammell 2007, 185-187). Le but était de montrer un Tony Blair plus à l'écoute et

humble, ainsi que de démontrer qu'il n'avait pas abandonné ses électeurs (Kavanagh et

Butler 2005, 57). Ceci était nécessaire, parce que le chef travailliste s'était fait élire pour

la première fois en 1997, parce qu'il dégageait une image de proximité avec les électeurs :

sa qualité première étant maintenant entachée, il fallait la restaurer

(Scammell 2007, 185). Par exemple, lorsque confronté sur sa décision de lancer le

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32

Royaume-Uni dans la guerre en Irak, Tony Blair se plaçait sur la défensive et répétait

qu'il savait quel était le bon choix, contrairement aux citoyens ordinaires. Cette attitude

était condescendante aux yeux des électeurs. Promise a conseillé à Tony Blair de

répondre plutôt qu'il comprenait les sentiments des électeurs et qu'il était consterné de

constater à quel point ils étaient frustrés par sa décision de partir en guerre. Même s'il

croyait avoir pris la bonne décision, il promettait de passer plus de temps à l'écoute des

citoyens. Même si Blair n'a pas changé d'idée, sa manière de répondre aux électeurs et de

prendre en compte leurs sentiments changeait drastiquement leur réaction envers lui

(Scammell 2007, 183-184). Une attitude plus ouverte était donc nécessaire pour se

reconnecter avec les électeurs et espérer remporter les prochaines élections.

3.2.5. Développer une nouvelle stratégie pour les futurs mandats, s'assurer qu'il y a du

temps et de la place pour penser à la conception du produit et à son développement pour

la prochaine élection

Comme nous l'avons vu, il est très important pour un parti qui souhaite regagner son

orientation de marché de rafraîchir son image de marque, en proposant de nouveaux

produits politiques qui répondent aux besoins des segments électoraux ciblés. Un

gouvernement doit ajuster et redévelopper son produit en fonction des consultations qu'il

mène et définir de nouveaux objectifs pour son prochain mandat (Lees-

Marshment 2009a, 215). « Les gouvernements peuvent tirer profit des ressources et du

personnel du gouvernement pour le faire, mais une culture d'appui, non conflictuelle »

entre les départements du gouvernement et les politiciens est nécessaire pour que cela

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33

fonctionne (Lees-Marshment 2009a, 215). Deux facteurs permettent cette culture, soit

l'adoption d'une orientation d'apprentissage et l'encouragement et l'appui de la pensée

stratégique. L'orientation d'apprentissage telle que définie par Baker et Sinkula (2002)

permet aux gouvernements de se réinventer. Elle pousse les politiciens à se questionner

activement sur les effets de leurs comportements et pratiques existantes sur leur

performance. Ils doivent donc défier le statu quo et être ouverts aux nouvelles idées

(Lees-Marshment 2009a, 215). La pensée stratégique doit également être encouragée et

appuyée, pour qu'elle soit considérée par tous comme importante. Il faut notamment

dégager du temps dans l'agenda des politiciens et dans celui des conseillers stratégiques

pour qu'ils réfléchissent aux objectifs du prochain mandat. Lorsque la firme de

consultants Promise, engagée pour rafraîchir l'image de marque de Tony Blair, a présenté

ses conclusions au parti pour la première fois, elle s'est assurée auprès du secrétaire du

premier ministre Jonathan Powell que Tony Blair aurait le temps de considérer et

réfléchir à ses idées pendant la fin de semaine (Langmaid, Trevail et Hayman 2006).

Lees-Marshment donne aussi l'exemple du gouvernement travailliste néo-zélandais de

Helen Clark, qui a proposé en 2007 plusieurs nouveaux produits afin de satisfaire la

demande des citoyens. Le Parti travailliste néo-zélandais en était à la fin de son troisième

mandat et était essoufflé, en manque cruel de nouvelles idées. La première ministre Helen

Clark semblait déconnectée des citoyens ordinaires, selon environ 50% de la population

(Robinson 2008). Pour changer son image, le Parti travailliste a donc offert vingt heures

de garderie gratuite pour les enfants de trois et quatre ans, a mis sur pied le nouveau plan

de régime de retraite gouvernemental Kiwi Saver, ainsi que le programme Working for

Families qui offre un supplément de revenus aux parents (Lees-Marshment 2009c, 468).

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Ces produits étaient assez populaires pour que son adversaire principal, le parti National,

décide de les conserver dans son programme lors de l'élection de 2008.

« Il est plus facile de refaçonner un produit politique quand un nouveau chef

entre en poste, alors la décision de Clark de rester au pouvoir et de se battre pour

un quatrième mandat a rendu la tâche plus difficile au Parti travailliste de

communiquer une nouvelle vision et direction pour 2008 » (Lees-

Marshment 2009c, 464).

Bien que le Parti travailliste ait utilisé avec succès les engagements envers les électeurs

dans le passé, il ne l'a pas fait pour l'élection de 2008, étant incapable de formuler ce qu'il

ferait dans un quatrième mandat (467-468). Or, le Parti travailliste a perdu le pouvoir

en 2008.

En conclusion, il est clair qu'à la lumière de ces conseils pour regagner une orientation de

marché, ceux-ci reposent sur le comportement du parti au pouvoir, une explication

comportementale de l'échec électoral dans le cadre du marketing politique. Le problème

est que si un parti orienté vers le marché savait toujours s'adapter, il pourrait

théoriquement rester au pouvoir indéfiniment. Or, nous avons déjà vu qu'il n'est pas

capable de s'adapter parfaitement et que le pouvoir change presque toujours de mains

après quelques mandats. Les cinq conseils prodigués ici par Jennifer Lees-Marshment ne

me semblent pas suffisants pour permettre à un parti de s'adapter autant que la demande

changeante des électeurs l'exige. De plus, comme nous le verrons dans la section

suivante, cela ne lui permet pas de ramer à contre-courant de l'opinion publique.

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IV. LA RÉACTIVITÉ DES ÉLUS FACE AUX DEMANDES DE L'ÉLECTORAT

ET LE MARKETING POLITIQUE

Nous avons vu dans les sections précédentes que plusieurs contraintes empêchent les

partis de s'adapter parfaitement à la demande changeante des électeurs. Non seulement un

parti est-il contraint par ses convictions idéologiques, son passé, son chef et ses militants,

mais il est également affecté par l'usure du pouvoir, qui lui fait perdre son orientation de

marché avec le temps. Dans cette section, nous allons examiner une circonstance

aggravante, soit le fait que les politiques publiques mises en place par un gouvernement

provoquent un besoin de changement dans l'électorat auquel le gouvernement ne pourra

pas répondre. Ainsi, même si un parti s'adapte, il ne peut le faire suffisamment pour

surmonter ce vent de changement qu'il crée lui-même. Dans cette section, je présenterai

différentes théories de la réactivité des politiciens et les mettrai en lien avec le marketing

politique. Cette approche opère donc selon la même logique de réactivité totale des

politiciens aux demandes et besoins des électeurs que postule le modèle thermostatique

(Wlezien 1995, Soroka et Wlezien 2010). Toutefois, d'autres auteurs comme Druckman,

Jacobs et Shapiro remettent en question ce modèle, croyant que les politiciens tentent

d'influencer l'opinion publique plutôt que de s'y adapter. Même si un parti politique

souhaite être parfaitement réactif aux préférences des électeurs, il existe une rigidité dans

l'offre politique qui cause un écart perpétuel entre l'offre et la demande. J'argumenterai

que la nature même de la politique fait en sorte que par sa simple présence au pouvoir, un

parti politique crée un besoin dans l'électorat pour des politiques différentes des siennes.

Avec le temps, ce désir de changement devient trop fort et cela cause inévitablement sa

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36

défaite. J'appuierai cette démonstration sur les concepts de cycles électoraux et d'humeur

politique (policy mood) de James A. Stimson.

4.1 Le modèle thermostatique

Le modèle thermostatique d'abord développé par Wlezien (1995), puis élaboré plus en

détail par Soroka et Wlezien (2010), est l'un des plus cités sur la réactivité des élus. Ce

modèle établit une relation entre les politiques publiques et l'opinion publique en

s'inspirant d'un thermostat ou d'un système de contrôle de la température : le public est le

thermomètre et les élus sont le calorifère ou le système d'air conditionné (3). Lorsqu'il y a

une différence importante entre les préférences du public pour certaines politiques

publiques et les politiques existantes, le public envoie un signal de changement capté par

les élus. L'opinion publique est la somme des préférences individuelles agrégées (23).

Les élus ajustent les politiques publiques en fonction de ce signal, comme on ajuste le

thermostat lorsqu'il fait trop chaud ou trop froid. Une fois cet ajustement fait, le public

détecte qu'il y a eu un changement, que les politiques publiques correspondent

maintenant davantage à ses préférences, donc il envoie un signal moins fort (24). Par

exemple, si la majorité du public souhaite davantage de dépenses militaires, il enverra un

signal en ce sens aux élus qui le capteront, notamment grâce à des sondages. En réaction,

ils augmenteront les dépenses militaires dans le prochain budget. Prenant connaissance de

cette augmentation des dépenses militaires qui correspond davantage à ses préférences, le

public cesse d'émettre un signal exigeant l'augmentation des dépenses ou il émet un

signal moins fort. La réactivité des élus à l'opinion publique n'est pas immédiate ni

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parfaite, notamment en raison de l'idéologie des partis. Étant politiquement motivés, les

partis seront toujours plus à gauche ou à droite de l'électeur médian (39-40).

Malgré ces imperfections, ce modèle démontre qu'il existe bel et bien une réactivité des

élus aux demandes du public et qu'il y a donc la possibilité d'une reddition de comptes

(27), un élément essentiel de la démocratie. Le modèle thermostatique comporte

certainement une part de vérité : les élus portent une attention aux préférences du public

et tentent de s'y ajuster, même si l'ajustement ne sera jamais parfait.

4.2 Limites du modèle thermostatique

Toutefois, plusieurs auteurs contestent cette thèse, qu'ils jugent trop normative. Jacobs et

Shapiro (2000) objectent que le modèle thermostatique ignore certaines réalités de la vie

politique, notamment que les élites politiques manipulent l'opinion publique (258). Ils

croient que les élus présentent leurs opinions politiques de manière à attirer une

couverture médiatique favorable afin de gagner l'appui de l'opinion publique (27). Si

l'opinion publique ne les appuie pas, ils vont changer temporairement leurs positions à

l'approche des élections, même au risque de se contredire, mais ils vont ensuite revenir à

leurs réelles convictions une fois les élections passées (27). Jacobs et Shapiro appellent

cette stratégie le crafted talk. Ils donnent comme exemple la réforme du système de santé

entreprise par le président américain Bill Clinton en 1993. Après huit années de la

présidence de Ronald Reagan, les Américains avaient l'impression qu'il les avaient

entraînés trop loin vers le conservatisme et désiraient des politiques plus libérales.

Fraîchement élu, Bill Clinton a mis de l'avant plusieurs mesures législatives très libérales.

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38

Dès sa deuxième année du mandat, les Américains ont commencé à démontrer une

opposition à davantage de dépenses pour des politiques plus progressistes, liant celles-ci

à la réforme du système de santé très médiatisée. Républicains et démocrates ont déployé

beaucoup d'efforts pour influencer le débat public sur cette réforme, qui a échoué.

Druckman et Jacobs (2015) vont encore plus loin en remettant en question l'idéal

normatif de la réactivité des élus face aux préférences du public, qui domine la recherche

sur la représentation politique aux États-Unis, et que postule le modèle

thermostatique (3-4). Selon Druckman et Jacobs, les chercheurs ont toujours pris pour

acquis que les présidents agissent selon cet idéal normatif, mais dans les faits, c'est tout le

contraire. Druckman et Jacobs démontrent que les présidents, peu importe leur

allégeance, prétendent toujours défendre le bien commun, alors qu'ils sont plutôt

activement engagés dans la promotion des intérêts de leurs alliés et de segments de

l'électorat très ciblés et la plupart du temps privilégiés (2015, 12). Les présidents

investissent beaucoup de ressources pour suivre l'évolution de l'opinion publique, afin de

mieux la manipuler. Ils y parviennent en poussant les électeurs à les évaluer sur leur

personnalité plutôt que sur leurs positions sur des enjeux politiques (119). Le but est de

façonner l'opinion publique selon leur propre vision, afin d'éviter d'être punis par les

citoyens pour ne pas avoir représenté correctement leurs intérêts (12). Très complète,

l'étude de Druckman et Jacobs a le mérite de s'appuyer sur une preuve documentaire

solide et inédite, constituée de documents d'archive confidentiels de trois anciens

présidents américains, sur des entretiens avec des personnes-clés de ces administrations et

sur des analyses quantitatives (16-18).

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À la lumière de ces critiques, le modèle thermostatique de Soroka et Wlezien ne me

paraît pas totalement convaincant, car il ne prend pas en compte la complexité de

l'opinion publique, la manipulation de celle-ci par les élites politiques et les causes des

changements politiques, qui ne peuvent survenir dans ce modèle qu'en raison de chocs

exogènes. De plus, le modèle thermostatique suppose, tout comme le marketing politique,

une adaptabilité de l'offre politique d'un parti face à la demande changeante des électeurs

plus grande qu'elle ne l'est réellement. Si le modèle thermostatique fonctionnait

réellement, un gouvernement serait toujours réélu. Or, comme expliqué précédemment, il

existe une rigidité dans l'offre politique qui rend impossible l'ajustement parfait du

programme politique d'un parti en fonction des désirs des électeurs. Un parti politique ne

peut pas changer son programme politique pour incarner une option politique qui

contredit ses convictions et son identité passées. Les militants peuvent opposer une forte

résistance à un changement de direction et les électeurs traditionnels peuvent délaisser ce

parti dans lequel ils ne se reconnaissent plus (Lees-Marshment 2009a, Mortimore et

Gill 2010). Un parti est donc lié par son identité, son passé, son chef et ses militants.

Enfin, la simple présence d'un parti au pouvoir crée un besoin chez l'électorat pour des

politiques différentes des siennes. Cet écart se creuse inévitablement avec le temps et il

vient un moment où il est impossible à surmonter, malgré toutes les stratégies d'influence

du gouvernement sur l'opinion publique ou l'adaptation d'un parti aux demandes du

public. L'écart sera tel qu'il en résultera la défaite électorale du parti au pouvoir, tôt ou

tard. La théorie du marketing ne tient pas suffisamment compte de la puissance de ce

désir de changement, qui produit des cycles électoraux assez clairement définis lorsqu'on

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40

les observe en rétrospective. C'est ce que je démontrerai en me basant sur les concepts de

cycles électoraux et d'humeur politique de James A. Stimson (1991).

4.3 Les cycles électoraux

Stimson a élaboré pour la première fois sa théorie de l'humeur politique et des cycles

électoraux en 1991 dans Public Opinion in America: Mood, Cycles, and Swings, un

ouvrage qu'il a mis à jour en 1999. Il a par la suite approfondi ces concepts dans quelques

ouvrages, plus particulièrement en 2004 dans Tides of Consent: How Public Opinion

Shapes American Politics, mis à jour en 2015. Il a appliqué ces concepts à divers enjeux,

comme la race, l'avortement, le libéralisme économique, etc. Il les a également appliqués

à la politique américaine, ainsi qu'à la politique française et britannique (2010, Stimson et

al 2002, 2011, 2012). Je présenterai dans les prochaines pages un résumé de sa pensée.

Selon Stimson, les cycles électoraux existent bel et bien, mais ils ne sont pas réguliers ou

périodiques (1991, 26). Il ne s'agit pas d'un mouvement de balancier programmé

d'avance. Bien que l'alternance du pouvoir soit la norme dans la majorité des démocraties

occidentales, un parti minoritaire peut émerger et saisir le pouvoir, comme le Parti néo-

démocrate au Canada dans la province de l'Alberta, qui a mis fin en 2015 à 43 ans de

règne progressiste-conservateur. Un grand parti peut ainsi s'effondrer et disparaître,

comme cela a été le cas des progressistes-conservateurs fédéraux canadiens après leur

échec cuisant aux élections de 1993. Après des années à servir aux électeurs le même

type de politiques, un désir de changement naît chez l'électorat, dont les préférences

s'éloignent de l'offre politique du parti au pouvoir. Il arrive un moment où le parti élu ne

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41

peut plus répondre aux besoins des électeurs, car il a lui-même créé cet écart par sa

présence au pouvoir. Le concept des cycles électoraux de Stimson démontre justement

que lorsque le vent s'est mis à souffler fortement dans une direction et que ce n'est pas

celle qui favorise le parti au pouvoir, il est très difficile d'être réélu.

Pour expliquer les cycles électoraux, Stimson se base sur le concept de policy mood, soit

l'humeur changeante du public à propos des politiques publiques. Le policy mood, que je

traduirai par « humeur politique », qui mesure ce que les électeurs veulent du

gouvernement, de manière générale (2004, 80-81). L'humeur politique (ou opinion

publique) existe seulement au niveau agrégé et non au niveau individuel (1991, 18) et

bouge dans la même direction en même temps sur plusieurs enjeux, en paquets (23). À

long terme, ce mouvement ressemble aux vagues de l'océan : une vague commence

doucement, puis prend de l'ampleur et après avoir atteint son paroxysme, elle retombe et

laisse place à une nouvelle vague (27). La métaphore de la vague laisse place à toutes les

possibilités en politique, tandis que le thermomètre, l'orbite et le pendule impliquent que

les possibilités sont limitées et même que l'histoire se répétera de manière prévisible (27),

ce qui n'est pas le cas. La magnitude des cycles n'est pas égale de part et d'autre. Il ne

s'agit pas de vagues qui se succèdent à un rythme régulier, mais de dents de scie. C'est

pourquoi il importe d'analyser les grandes tendances dans leur ensemble.

Tout comme le marketing politique, la théorie des cycles électoraux de Stimson s'appuie

sur une perspective économique de la politique. Stimson note qu'il existe un phénomène

naturel d'équilibrage de l'opinion publique, un processus rationnel pour l'électorat :

« Puisque la tendance naturelle de l'opinion publique est nécessairement modérée, une

réponse d'équilibrage à une norme modérée après un changement majeur de politiques

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paraît rationnelle. C'est ce à quoi on s'attend d'un public informé et réfléchi qui se

connaît » (125). Stimson accepte généralement le modèle thermostatique de Soroka et

Wlezien. Selon lui, c'est précisément la recherche de cet équilibre qui permet les cycles,

car jamais l'opinion publique n'ira trop loin dans une direction. « La prédiction de cette

théorie de la réactivité est que toute opinion publique sur les préférences politiques fera

des allers-retours au fil du temps » (2004, 37).

Je propose ici une relecture de Stimson, afin de mettre en lumière une contradiction dans

ses écrits. Il est assez ironique que Stimson accepte le modèle thermostatique, car sa

propre théorie des cycles électoraux est l'un des plus puissants arguments en défaveur de

ce modèle thermostatique, trop simple et abstrait. En effet, Stimson observe que dès

qu'un parti prend le pouvoir, l'opinion publique change de direction et veut moins des

politiques qu'il propose (2004, 81-82). Il donne en exemple des moments charnières de

l'histoire politique américaine récente, comme l'élection des présidents américains

Lyndon B. Johnson en 1964 et Ronald Reagan en 1980. Le démocrate

Lyndon B. Johnson est classé parmi les présidents les plus libéraux de l'histoire des

États-Unis, lui qui a signé le Civil Rights Act en 1964, qui interdisait la discrimination

raciale et mettait donc fin à la ségrégation. Il a également mis sur pied le programme de

santé Medicare dans le cadre de sa « guerre contre la pauvreté ». Tout le contraire de lui,

le président républicain Ronald Reagan, élu en 1980, a donné son nom à une politique

économique surnommée reaganomics, qui repose sur la réduction des impôts pour

permettre la croissance économique, une réduction importante des dépenses de l'État,

ainsi que sur une dérégulation de l'économie en général. Ainsi, Johnson représente le

moment fort du libéralisme dans l'histoire récente des États-Unis, tandis que Ronald

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Reagan incarne l'autre moment fort, celui du conservatisme. Il est toutefois clair, à la

lumière des données de Stimson, que les vents du libéralisme et du conservatisme

soufflaient depuis des années avant leurs victoires (1991, 62-63; 2004, 77).

Contrairement à la croyance populaire, ces présidents n'ont pas eux-mêmes provoqué ces

tremblements de terre électoraux, mais ils ont plutôt su canaliser l'humeur politique et en

tirer avantage. Il est clair dans ce graphique que dès qu'un président prend le pouvoir,

l'opinion publique prend la tendance inverse de l'idéologie distinctive du parti au pouvoir

(Stimson 2012, 24). Ce phénomène se produit de manière systématique (31), et ce, aux

États-Unis, en Grande-Bretagne et en France (2010).

Figure 1 : L'évolution de la préférence du public américain pour le libéralisme de

1952 à 2011

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Il est clair que la préférence de l'électorat américain pour le libéralisme s'est intensifiée à

partir du milieu des années 1950 et a atteint son apogée en 1963, année où Johnson est

devenu président. La signature du Civil Rights Act en 1964 a provoqué un véritable

tremblement de terre aux États-Unis, un réalignement politique entre le sud et le nord du

pays. Dès 1964, la préférence pour le libéralisme a chuté, atteignant son niveau le plus

bas en 1966, trois ans après le début de la présidence de Johnson. Autrement dit, dès que

Johnson a satisfait le besoin de l'électorat pour des politiques plus progressistes, la

préférence de l'opinion publique pour le libéralisme a changé (1991, 64). La même

histoire se répète pour Ronald Reagan. Dès le milieu des années 1970, l'opinion publique

commence à développer un goût pour le conservatisme, qui atteint son apogée avant

l'élection de Reagan en 1980 (64). Stimson observe que dès son investiture, l'opinion

publique a commencé à délaisser le conservatisme. «Cela suggère que les talents du

Grand communicateur pour faire bouger l'opinion publique ont été exagérés. La

''révolution'' qui porte son nom a produit un public américain plus libéral que celui qui l'a

élu», écrit Stimson (64). On voit également dans ce graphique que la préférence générale

pour le libéralisme atteint des sommets, puis replonge aux élections de Bill Clinton en

1992 et de Barack Obama en 2008. La tendance inverse s'observe également pour

l'élection de George W. Bush en 2000 qui est précédée d'une tendance marquée vers le

conservatisme. Celle-ci s'inverse dès son élection.

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Stimson fait d'ailleurs une remarque intéressante à propos du fonctionnement de l'opinion

publique lorsqu'on la met en lien avec le marketing politique :

« L'opinion publique doit probablement être vendue aux autres pour être

efficace. Elle doit être perçue non pas comme une dérive dans les préférences

politiques, mais comme une vague qui va emporter tous les obstacles. Reagan a

joué ce rôle pour le mouvement conservateur, traduisant ce qui avait peut-être

seulement été une envie d'expérimenter avec les politiques conservatrices en la

perception d'une vague d'une telle force qu'elle [est devenue] inévitable. Nous

avons vu qu'il a été crédité à outrance pour avoir influencé l'opinion publique,

puisque la vague conservatrice a atteint son apogée avec l'investiture de Reagan,

mais elle n'a pas pris d'ampleur après celle-ci » (126).

L'élément intéressant de ce passage est la perception du changement : un parti ou un

politicien doit faire en sorte que son mouvement politique semble tellement puissant qu'il

est inévitable. Toutefois, même si la base du mouvement est effectivement solide, il a

besoin d'un coup de pouce pour atteindre sa pleine puissance. L'opinion publique doit être

« vendue aux autres », ce qui signifie qu'un parti doit se mettre en marché pour donner la

perception qu'il est favorisé par le public et pour ainsi surfer sur la vague. Un parti a

besoin d'un bon leader pour canaliser cette humeur politique à son avantage, selon

Stimson (126). En termes de marketing politique, cela signifie que malgré la grande

importance de la recherche de marché, un parti ou un leader doit être capable d'incarner le

changement. Offrir un produit qui convienne à l'électorat n'est donc pas suffisant, il faut

savoir le convaincre qu'on incarne ce qu'il veut mieux que quiconque.

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4.4. Les changements dans l'opinion publique

Les changements dans l'opinion publique sont cruciaux pour le parti au pouvoir, qui doit

savoir s'y ajuster. Si l'écart se creuse trop entre ses positions sur certains enjeux

importants et les préférences de l'électorat, il perdra éventuellement le pouvoir. Stimson

note que ces grands changements électoraux sont habituellement causés par le

changement d'opinion systématique d'un petit segment d'électeurs, qui sont non partisans,

mais informés et donc ouverts à plusieurs partis, ce qu'il appelle la politique à la marge

(politics at the margin) (2004, 158-159). Ce sont habituellement ces électeurs qu'un parti

orienté vers le marché, déjà appuyé par sa base militante, tente de séduire afin de bâtir

une coalition électorale gagnante. Pour Stimson, l'opinion publique peut se développer de

trois manières : elle peut demeurer constante, bouger unilatéralement dans une direction

ou produire des cycles électoraux (1991, 29). Stimson s'attend à ce que l'opinion publique

bouge en fonction de la perception de « l'intervention du gouvernement comme solution

aux problèmes publics ou comme étant le problème lui-même » (2002, 254-255). Selon

lui, deux modèles peuvent expliquer les changements cycliques. L'un, à court terme,

s'apparente davantage au modèle thermostatique, tandis que le deuxième, les régimes

politiques, s'inscrit dans une perspective à plus long terme.

4.4.1. L'excès de politiques publiques (policy excess)

Dans ce cas, les élus modifient à petites doses leurs politiques publiques pour se

rapprocher des préférences des électeurs qui évoluent. Cela peut prendre beaucoup de

temps aux élus à se rendre compte qu'ils ne sont plus en phase avec l'opinion publique. Ils

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le réalisent bien souvent quand leur politique n'est plus dans la zone de consensus et que

la frustration du public augmente (1991, 29-30). Stimson qualifie cela de negative

feedback system, soit un système de rétroaction négative, qui fonctionne à court terme. Il

le compare à une voiture qui roule toujours dans la même direction sur l'autoroute et qui,

lorsqu'elle perçoit une erreur, corrige légèrement sa trajectoire, mais se dirige toujours

vers la même destination. Cela correspond d'ailleurs au modèle thermostatique de Soroka

et Wlezien (Stimson 2004, 31). Même si le gouvernement ajuste le tir, cela peut prendre

des mois, voire des années aux électeurs avant de réaliser qu'il y a eu un changement

concret dans la position du gouvernement. Il y a donc un délai entre un ajustement et la

réaction du public, qui est toujours « en retard ». Bien que le gouvernement s'ajuste

souvent, ce n'est pas en temps réel (1991, 30). Si ces corrections sont en retard, elles

seront larges et non continues, ce qui provoquera des cycles électoraux.

En marketing politique, les leaders politiques font souvent face à un dilemme : devant

une opinion publique négative, doivent-ils la suivre ou doivent-ils aller de l'avant malgré

tout? Aucun modèle politique n'indique quand il faut choisir une voie ou l'autre (Lees-

Marshment 2014, 222-223). D'un côté, comme nous l'avons vu avec l'exemple de Tony

Blair et la guerre en Irak, imposer une décision impopulaire peut être désastreux pour

l'image d'un leader auprès de son électorat. Toutefois, un politicien ou un parti peut avoir

la conviction qu'une certaine voie est meilleure pour le pays et peut donc décider de

suivre celle-ci, allant à l'encontre de l'opinion publique. De l'autre côté, un politicien peut

utiliser le marketing politique pour tenter d'anticiper et d'analyser les besoins des

électeurs. Cela demande donc de suivre l'électorat et de se réajuster en fonction de

l'opinion dominante. C'est l'approche habituellement préconisée par le marketing

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politique. Aussi raffinée soit la recherche de marché d'un parti, il risque de se buter au

problème décrit ici par Stimson. Cet ajustement toujours retardé peut empêcher un parti

orienté vers le marché de capitaliser sur son repositionnement stratégique.

Bien que Stimson adhère au modèle thermostatique, qui permet à un gouvernement de

s'ajuster aux demandes changeantes des électeurs à court terme, il reconnaît qu'à long

terme, l'opinion publique s'éloigne systématiquement des positions du

gouvernement (2012, 31). Il arrive un moment où l'ajustement incrémental ne permet

plus au parti au pouvoir de répondre suffisamment aux demandes des électeurs. Le seul

moyen de combler l'écart entre l'offre du parti au pouvoir et cette demande est de

remplacer le gouvernement par un autre, plus près des préférences de l'opinion

publique (31).

4.4.2. Les régimes de politiques publiques (policy regimes)

Un régime politique est « une période durant laquelle les politiques publiques sont

principalement libérales ou principalement conservatrices » (Stimson 2012, 31). À long

terme, un régime politique va toujours être associé à l'échec. Même si un gouvernement

réussit à régler le problème A de manière brillante, un gouvernement ne réussira pas à

régler le problème B et sera donc perçu comme un échec par la population. Un

gouvernement ne réussira jamais à régler tous les problèmes d'une société. Tout au plus

peut-il en régler quelques-uns. De plus, il sera perpétuellement blâmé pour les nouveaux

problèmes qui surgissent, rien que parce qu'il est au pouvoir et même pour des

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événements hors de son contrôle (Lees-Marshment 2014, 200). Stimson décrit ainsi le

caractère inévitable de cette aura d'échec :

« Le résultat naturel est que plus longtemps un régime est en place, plus il va

être associé à l'échec, augmentant la probabilité d'un changement de direction.

On s'attend donc à ce que les régimes politiques produisent des cycles d'humeur

politique qui font des

allers-retours avec le temps. Ce processus n'est pas régulier ou déterminé au

point où des périodes de changement peuvent être prévues. Toutefois, cela crée

l'attente raisonnable qu'un régime politique mature soit plus susceptible

d'expérimenter un renversement de situation plutôt qu'une continuité

indéfinie » (1991, 31).

Pour illustrer son propos, Stimson cite l'historien américain Arthur Schlesinger, qui a

bien décrit ce désir de changement :

« Alors que les ères politiques, qu'elles soient dominées par le bien public ou par

l'intérêt privé, suivent leur cours, elles génèrent infailliblement un désir pour

quelque chose de différent. Il arrive toujours un moment, après un certain temps,

où il est temps pour un changement [time for change] » (1986, 28).

En résumé, plus un parti est au pouvoir longtemps, plus il sera associé à l'échec et plus le

public développera un goût pour le changement et lui retirera le pouvoir. C'est dans la

nature de la politique.

4.5. Un problème intrinsèque à la nature de la politique

Nous voilà donc au coeur du problème auquel fait face le marketing politique : après un

certain temps, les électeurs se lassent des politiques du parti au pouvoir. Ils veulent du

changement, ils veulent tenter une approche nouvelle. Même si les choses vont

relativement bien, ils en viennent à penser qu'une autre approche pourrait générer de

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meilleurs résultats. Cela peut être ingrat pour un gouvernement qui a cumulé un bon

bilan. Le marketing politique fait donc face à un problème intrinsèque à la nature de la

politique qu'il ne peut surmonter: même s'il s'ajuste à la demande, un parti politique au

pouvoir ne peut faire face au vent de changement indéfiniment sans tomber. Or, la théorie

du marketing politique ne tient pas suffisamment compte la force de ce désir de

changement. En postulant qu'un parti doit se réinventer en proposant une nouvelle offre

politique, cette théorie suppose qu'elle peut toujours satisfaire les besoins des électeurs.

Le marketing politique suggère une flexibilité et une adaptabilité si grande qu'elles ne

sont pas à la portée des partis. Nous avons vu qu'il y a des limites importantes à cette

capacité d'adaptation, en raison des contraintes qui limitent l'offre politique. Par exemple,

après dix ans de règne conservateur, il est raisonnable de s'attendre à ce que l'électorat

désire des politiques plus libérales. Or, ce parti conservateur peut offrir des politiques un

peu plus libérales, mais il ne peut pas s'éloigner trop de sa position conservatrice

naturelle, au risque de s'aliéner sa base électorale traditionnellement plus à droite. En

tentant de séduire un nouveau segment de l'électorat, il peut s'aliéner ses militants. Le

marketing politique ne permet pas à un parti d'incarner toutes les options politiques, mais

seulement de mieux cibler les besoins de segments électoraux particuliers, afin de bâtir

une coalition électorale gagnante.

De plus, puisqu'un parti orienté vers le marché cible les besoins de certains segments de

l'électorat seulement, il y a toujours des laissés pour compte. Après des années sous un

régime politique, ces électeurs délaissés peuvent en avoir assez d'être ignorés par le parti

au pouvoir. Ils peuvent se mobiliser pour renverser le gouvernement, par exemple en

formant une coalition de plusieurs partis ou en votant stratégiquement, pour unir le vote

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contestataire. Il arrive un moment où le vent de changement se lève, que les politiques

d'un gouvernement peuvent encore plaire à ses électeurs traditionnels, mais qu'elles

provoquent une telle insatisfaction dans le reste de l'électorat que le gouvernement perd le

pouvoir. Il peut satisfaire sa base traditionnelle, plus idéologique, mais perdre les

segments électoraux plus volatils qui lui ont permis de bâtir une coalition électorale

gagnante. Sans cette coalition, un parti perd le pouvoir. Le marketing politique donne

seulement des outils pour comprendre les besoins des électeurs, mais il ne permet pas à

un parti de devenir un caméléon. Il ne peut répondre à tous les besoins indéfiniment.

4.6 L'exemple du Parti conservateur du Canada

Le Parti conservateur du Canada (PCC) illustre bien la dynamique des cycles électoraux,

puisqu'il a été élu pour la première fois en tirant profit du désir de changement des

Canadiens, qui ne voulaient plus d'un Parti libéral corrompu et usé, au pouvoir depuis

treize ans. Le PCC a su saisir cette opportunité, notamment grâce au marketing politique,

mais après dix ans de règne, il est à son tour tombé face au vent de changement. Même

s'il a suivi toutes les étapes recommandées par le marketing politique, le PCC n'a pas su

offrir aux Canadiens les politiques plus libérales qu'il souhaitait en 2015. C'était contre sa

nature. Les quelques ajustements que le marketing politique a permis au PCC de faire

l'ont placé au diapason des préférences des électeurs canadiens en 2004. Toutefois, ces

ajustements continuels n'étaient plus suffisants pour répondre à la demande des électeurs

en 2015, qui avait beaucoup changé. Il a donc perdu le pouvoir. L'exemple canadien

montre donc qu'un parti qui maintient son orientation de marché ne peut surmonter le

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vent de changement: le marketing politique n'est pas une garantie d'adaptation totale au

désir de changement des électeurs.

4.6.1. L'élection de 2006

Le Parti conservateur du Canada a été élu pour la première fois en 2006, alors que le

gouvernement libéral était empêtré depuis quelques années dans un énorme scandale de

corruption. C'était sa deuxième tentative depuis la fusion de l'Alliance canadienne et des

progressistes-conservateurs en décembre 2003. Lors des élections de 2004, le Parti libéral

du Canada (PLC) a été reporté au pouvoir, même si le gouvernement était vu comme

corrompu et usé. Il a toutefois réussi être réélu en diabolisant le PCC, l'accusant d'avoir

un agenda caché de politiques sociales radicales (Clarkson 2001; Dufresne 2008, 37).

En 2006, le contexte électoral est celui d'une grande fatigue des électeurs face au

gouvernement libéral, miné par le scandale des commandites. Les thèmes dominants

étaient l'éthique et l'intégrité, ce sur quoi le PCC a capitalisé (Dufresne 2008, 63). Le

Parti conservateur, mené par Stephen Harper, a été élu en suivant les principes du

marketing politique dans les règles de l'art, introduisant cette approche de plain-pied dans

la politique canadienne (Marland 2016, 30). Après 2004, le parti a pris le contrôle interne

du processus de recherche de marché, transformant complètement son approche en

procédant à une hypersegmentation du marché électoral (Turcotte 2012, 83-85) et en

investissant des enjeux normalement associés aux libéraux, comme l'immigration, l'unité

nationale, les programmes sociaux et les arts et la culture (Dufresne 2008, 63-64).

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Ainsi, les conservateurs, pressés d'éloigner le spectre de leur ancêtre le Parti réformiste,

se sont repositionnés comme un parti de centre droit plus modéré, surtout sur le plan

social, offrant un produit politique qui plaisait davantage à l'électorat canadien

(Dufresne 2008, 68-69). Le PCC voulait rassurer les électeurs canadiens qu'il avait

réellement changé et a « tenté de contrer les craintes des électeurs en effectuant des

modifications stratégiques, voire symboliques, à son offre politique » (64). La marque

maîtresse (master brand) du Parti conservateur et de son chef Stephen Harper a évolué au

fil du temps, en conservant certaines caractéristiques (Marland 2016, 42). En 2006, cette

marque maîtresse était la reddition de compte, qui se déclinait en cinq sous-marques :

faire le ménage au gouvernement, réduire la taxe de vente fédérale, offrir des allocations

pour enfants, réduire le temps d'attente des patients à l'hôpital et sévir contre la

criminalité [tough on crime] (43). Ces cinq engagements ont été dévoilés durant les

premiers jours de la campagne, ce qui lui a permis de contrôler le message pendant tout le

début de la campagne électorale (Flanagan 2014).

La stratégie électorale du PCC a fonctionné, portant les conservateurs au pouvoir avec

36,27% des voix et 124 sièges à la Chambre des communes. Cela lui a permis de former

un gouvernement minoritaire. Alors que les gouvernements fédéraux étaient

traditionnellement ancrés dans l'Est canadien, la base électorale du PCC se situait dans

l'Ouest, une reconfiguration politique majeure pour le système politique canadien. Après

plus d'une décennie de règne libéral entaché par un scandale de corruption, le Parti

conservateur a su canaliser le vent de changement qui soufflait au Canada et il l'a utilisé

pour se faire élire (Dufresne 2008; Nevitte, Blais, Gidengil, Fournier et Everitt 2006).

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4.6.2. L'élection de 2008

En 2008, le thème dominant de la campagne électorale est redevenu l'économie, en raison

de la crise financière qui venait tout juste d'éclater. Le premier ministre Stephen Harper a

tenté de rassurer les électeurs, répétant continuellement que « l'économie canadienne était

solide, même face aux conditions économiques qui se détérioraient et face à l'inquiétude

grandissante des Canadiens » (LeDuc 2009, 328). Conservateurs et libéraux s'accusaient

mutuellement de pousser le pays vers le déficit, mais la stratégie du PCC a finalement

prévalu. Celle-ci consistait à dépeindre le plan libéral, le « virage vert » de Stéphane

Dion, comme une taxe et à décrier ses très coûteuses promesses électorales (328).

À partir de 2008, le message du Parti conservateur s'est cristallisé autour de la sécurité

économique, afin de pallier à la crise financière. Bien que le PCC ait été élu sur une

plateforme de libéralisme économique, la crise financière l'a forcé à beaucoup dépenser

avec le Plan d'action économique du Canada, qui est devenu le coeur de son offre

politique (Marland 2016). Le message du parti s'est concentré sur les emplois, la

croissance économique et la prospérité à long terme, ainsi que sur la sécurité et sur

l'appui aux familles canadiennes. « Ces messages étaient entremêlés de symboles ciblés

de conservatisme, de nationalisme et de populisme, comme les familles nucléaires

traditionnelles, les liens avec la Grande-Bretagne, le drapeau canadien et le hockey »,

écrit Alex Marland (2016, 43).

Tout de suite après les élections de 2008, l'opposition a commencé à s'organiser pour

former une coalition qui pourrait faire tomber le gouvernement conservateur. Le nouveau

chef libéral Michael Ignatieff a même menacé Stephen Harper de défaire son

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gouvernement lorsqu'il déposerait son premier budget au printemps 2009, une proposition

impopulaire au sein de l'électorat. Les conservateurs ont répliqué en les accusant de

vouloir « renverser » la décision légitime des citoyens prise lors des élections quelques

mois plus tôt. Cela a tout de suite défini la dynamique qui s'installerait lors des élections

suivantes, en 2011 (Ellis et Woolstencroft 2011).

4.6.3. L'élection de 2011

En 2011, le Parti conservateur est parvenu à atteindre son objectif d'obtenir un mandat

majoritaire. Il a réussi à augmenter sa part de votes et son nombre de sièges dans presque

toutes les provinces canadiennes, remportant notamment l'Ontario. Le PCC a réussi à

positionner l'élection comme un choix entre « la gestion économique compétente, stable

et familière des conservateurs et l'instabilité et la ruine économique qui suivrait une

coalition menée par les libéraux et appuyée par les socialistes et les séparatistes » (Ellis et

Woolstencroft 2011, 179). Tout au long de son mandat majoritaire, le premier ministre

Stephen Harper s'est appliqué à démontrer la compétence économique de son

gouvernement, notamment face à la crise financière qui a ravagé les États-Unis. En

accusant la coalition d'opposition de vouloir « voler le pouvoir », il a réussi à positionner

le PCC comme la seule option viable et compétente pour diriger un gouvernement

majoritaire et ainsi mettre fin à l'instabilité politique (179). La stratégie a fonctionné,

puisque le PCC a réussi pour la première fois à remporter un gouvernement majoritaire

avec 39, 62% des voix et 166 sièges à la Chambre des communes.

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4.6.4. L'élection de 2015

Le mandat majoritaire de Stephen Harper a été marqué par un durcissement des peines

judiciaires, par le scandale des dépenses des sénateurs et par une stabilisation de

l'économie. Dès le début de la campagne électorale de 2015, il était clair que cette

élection porterait sur le changement (Coletto et Czop 2015, 116). Les données de sondage

collectées par la firme Abacus révèlent que les électeurs se posaient deux grandes

questions lors de cette campagne électorale. Premièrement, le premier ministre Stephen

Harper mérite-t-il d'être réélu? Deuxièmement, quel parti d'opposition est le mieux placé

pour battre les conservateurs?

Dès le début de la campagne électorale, environ la moitié des électeurs avaient une image

négative de Stephen Harper et les trois quarts croyaient qu'il fallait un changement de

gouvernement, selon les données d'Abacus. Face à un désir d'une telle force, tout ce que

le PCC pouvait faire était « d'adoucir le désir de changement, soulever des doutes à

propos des alternatives et s'assurer que les électeurs en faveur du changement ne se

coalisent pas derrière un seul parti » (Coletto et Czop 2015, 116). La stratégie a échoué,

puisque lors de la dernière fin de semaine de campagne, 60% des électeurs croyaient qu'il

était clairement temps pour un changement de gouvernement et la plupart n'avaient pas

peur d'un éventuel gouvernement libéral ou néo-démocrate. Le Parti conservateur a

effectivement perdu le pouvoir aux mains du Parti libéral, ne récoltant que 31,89% des

voix, soit 7,7% de moins qu'à l'élection précédente.

Le message du gouvernement conservateur était essentiellement le même pour la

campagne électorale de 2015 que celle de 2011, celui de la sécurité économique, qui se

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déclinait sous les thèmes de la création d'emplois, des taxes peu élevées, de la défense

nationale renforcée, du patriotisme, de la sécurité et de l'intransigeance face à la

criminalité (tough on crime) (Marland 2016, 44). Alors que le marketing politique

recommande à un parti au pouvoir de penser au développement de ses futurs et de

rafraîchir son image, le PCC n'a pas offert de programme politique innovant, proposant

seulement de préserver des mesures qui avaient déjà été entérinées dans le budget fédéral

plusieurs mois auparavant. Il a tout de même maintenu ses activités de recherche de

marché, ce qui en fait encore un parti orienté vers le marché (Sampert et

Trimble 2015, 71). Cela a permis au Parti libéral de proposer une contre-offre beaucoup

plus alléchante, faisant le pari d'un déficit important afin de permettre des investissements

massifs dans les infrastructures (Flanagan 2015, 26). Les conservateurs n'ont, de leur

côté, pas démontré comment leurs politiques fiscales allaient améliorer la vie des

Canadiens dans les prochaines années, s'appuyant trop sur leur bilan. Le Parti

conservateur de 2015 semblait avoir oublié la leçon de 2006, qui était que les

conservateurs ne peuvent pas faire campagne sur un budget équilibré et la responsabilité

fiscale s'il n'y a pas de véritable crise, note Tom Flanagan dans une analyse

postélectorale (26). Or, en 2015, avec la chute du prix du baril de pétrole et du dollar

canadien, la prétention du PCC selon laquelle il était le parti le plus compétent

économiquement n'était plus complètement crédible (LeDuc 2015, 6). L'élection a

d'ailleurs commencé avec un débat sur la situation économique du Canada et la

possibilité que le pays soit sur le bord d'une récession, une perspective inquiétante :

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« [Le PCC est toujours menacé] d'être vu comme méchant et indifférent,

particulièrement envers les populations politiquement vulnérables. Durant la

campagne, le Parti conservateur était sourd à la sympathie du public pour la

misère des réfugiés syriens et sa manoeuvre pour provoquer une controverse sur

les femmes qui portent le niqab était à la limite du racisme. Ces enjeux se sont

unis pour réactiver l'image politiquement incorrecte des partis dont il est

l'héritier, le Parti réformiste et l'Alliance canadienne. Une image d'intolérance a

provoqué une réflexion sur sa marque chez bien des Canadiens qui exigeaient

plus de compassion » (Marland 2015, 121).

En somme, même s'il est demeuré orienté vers le marché, le Parti conservateur n'a pas su

faire face au vent de changement en se réinventant, puisqu'il était impossible pour lui de

proposer les politiques plus libérales que les électeurs canadiens souhaitaient. Il a

continué à utiliser la recherche de marché pour guider ses décisions politiques et son offre

de produit, mais intrinsèquement, il ne pouvait pas offrir aux électeurs des politiques

aussi éloignées de ses convictions. Une majorité d'électeurs était également prête à tout

pour battre les conservateurs, mais finalement le vote anti-Harper s'est coalisé autour du

Parti libéral, qui a mieux su incarner celui-ci (Coletto et Czop 2015, 117). La thèse selon

laquelle un parti orienté vers le marché perd ses élections parce qu'il dévie de son

orientation de marché ne semble pas ici être en cause. C'est plutôt l'incapacité du Parti

conservateur à faire face au vent de changement qui a causé sa défaite. Après dix ans de

règne conservateur au Canada, ce cycle électoral a pris fin.

4.7. Une approche mieux adaptée à la campagne électorale

Le marketing politique est donc une approche communicationnelle très efficace pour

remporter des élections, car elle permet de comprendre les besoins de l'électorat et

indique la marche à suivre pour y répondre. Cette approche semble toutefois moins

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adaptée pour gouverner, car la dynamique politique change une fois qu'un parti est porté

au pouvoir. Il fait face à des contraintes spécifiques à la gouvernance dont n'ont pas

autant besoin de se soucier les partis dans l'opposition. Le marketing politique peut certes

être utilisé pour demeurer à l'écoute des citoyens, mais l'ajustement incrémental des

politiques publiques ne permettra jamais de surmonter le vent de changement qui se

lèvera tôt ou tard. Par sa simple présence au pouvoir, un gouvernement engendre un désir

pour des politiques différentes des siennes, désir qui s'intensifie avec le temps. Les cycles

électoraux ne sont pas réguliers ou prévisibles, mais l'électorat finira par se lasser. Un

autre parti politique pourra alors surfer sur cette vague de changement et détrôner le parti

au pouvoir. Il semble que le marketing politique fonctionne mieux pour un parti

d'opposition lorsque se termine un cycle électoral et qu'il s'en amorce un nouveau.

Les chercheurs en marketing politique semblent s'être concentrés davantage sur la phase

de la conquête du pouvoir et moins sur celle de l'exercice du pouvoir. Cela pourrait

expliquer pourquoi ils ne prennent pas suffisamment en compte le concept des cycles

électoraux dans leurs écrits. Ces derniers se concentrent sur les élections. Les chercheurs

en marketing politique étudient depuis un certain temps les gouvernements orientés vers

le marché, mais les recommandations des chercheurs tiennent toutes au comportement du

parti. Elles ignorent le concept des cycles électoraux et ne donnent aucune indication sur

comment un parti orienté vers le marché peut faire face au vent de changement lorsqu'il

se lève. En somme, bien que le marketing politique soit d'une grande utilité pour un parti

qui souhaite remporter ses élections et même pour un gouvernement qui veut rester à

l'écoute de ses électeurs, le marketing politique ne permet pas à un parti au pouvoir de

ramer à contre-courant et de gagner quand même.

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V. CONCLUSION

Le marketing politique postule qu'en plaçant la recherche sur les besoins des électeurs au

début du processus de production du produit politique, un parti peut mieux cibler ses

électeurs potentiels et construire une coalition électorale gagnante. Cette approche

communicationnelle recommande à un gouvernement orienté vers le marché d'ajuster ses

positions aux besoins changeants des électeurs afin de se maintenir au pouvoir, ce qui

suppose une adaptabilité quasi parfaite de l'offre politique des partis. Théoriquement, un

parti qui applique les principes du marketing politique à la lettre devrait se maintenir au

pouvoir indéfiniment. Or, ce n'est pas la réalité, car les gouvernements orientés vers le

marché peuvent être défaits aux élections.

Depuis une trentaine d'années, le marketing politique a été appliqué par de nombreux

partis et les chercheurs ont cherché une explication à ces défaites électorales. Celle qu'ils

ont fournie est de nature comportementale : un gouvernement orienté vers le marché perd

ses élections, car il a dévié de son orientation de marché. Il a cessé de se baser sur les

résultats de sa recherche de marché et a plutôt mis de l'avant des choix plus idéologiques.

Un cas souvent étudié est celui du premier ministre britannique Tony Blair, chef du New

Labour, le premier grand parti porté au pouvoir en s'appuyant sur le marketing politique.

Or, après quelques années, Tony Blair a commencé à être plus distant, cassant,

idéologique, imposant des décisions impopulaires comme celle de la participation du

Royaume-Uni à la guerre d'Irak. Cependant, ces chercheurs croient qu'un parti qui dévie

de son orientation de marché peut préserver ses chances de réélection en revenant à son

orientation de marché. Jennifer Lees-Marshment a recensé six raisons qui poussent les

partis à dévier de leur orientation de marché, mais a aussi fourni cinq conseils pour qu'ils

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la retrouvent (2009a, 209-210). Le point commun de toutes ses recommandations est

qu'elles se concentrent sur le comportement du parti et de son chef. En postulant qu'un

parti peut se réinventer, le marketing politique suppose qu'il peut toujours satisfaire les

besoins des électeurs. Cette logique de l'ajustement continuel fonctionne comme le

modèle thermostatique de Wlezien (1995) et Soroka et Wlezien (2010), où les élus

s'adaptent aux besoins des électeurs à la manière d'un thermostat. Cette thèse a toutefois

été contestée par plusieurs chercheurs dont Jacobs et Shapiro (2000) et Druckman et

Jacobs (2015), qui croient plutôt que les politiciens ne se plient pas à l'opinion publique

et servent plutôt leurs intérêts très étroits.

Or, même si les élus sont vraiment réactifs à l'opinion publique, il existe une rigidité dans

l'offre politique qui fait en sorte qu'un parti peut certes s'adapter aux demandes des

électeurs, mais jamais parfaitement. Les partis politiques sont contraints par leurs

positions idéologiques et la résistance au changement des militants et donateurs de leur

parti, ainsi que par leur positionnement dans le marché politique. Ces contraintes les

empêchent de changer trop drastiquement leur offre politique, car ils risqueraient de

perdre leur base électorale. Considérant ces contraintes, les recommandations de Lees-

Marshment permettraient à un gouvernement de rester orienté vers le marché, mais pas de

répondre parfaitement à la demande changeante des électeurs. Il y aura toujours un écart

entre l'offre et la demande politique. Il arrive un moment où cet écart est trop grand et où

l'ajustement incrémental de l'offre politique ne permet plus de combler cet écart. Le seul

moyen d'y parvenir est de remplacer le gouvernement par un autre gouvernement plus

près préférences actuelles du public.

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Le problème fondamental est que le marketing politique ignore qu'un parti politique, par

sa seule présence au pouvoir, crée un désir grandissant pour des politiques différentes des

siennes. James A. Stimson démontre que l'opinion publique change de direction dès qu'un

parti est porté au pouvoir. Après quelques années ou mandats, ce besoin de changement

est tel que le parti au pouvoir ne peut plus répondre à la demande. Non seulement il ne

peut pas offrir des politiques qui sont contraires à sa nature, mais par définition,

l'électorat voudra le remplacer par une alternative nouvelle, qui incarne le changement.

James A. Stimson explique cette dynamique grâce à son concept de cycles électoraux,

causés par un changement systémique de direction de l'opinion publique, soit l'humeur

politique, qui n'est ni prévisible ni régulier. Stimson compare un cycle électoral à une

vague d'océan, qui prend de l'ampleur avant de s'éteindre, pour laisser place à une

nouvelle vague, préférant cette métaphore à celles du thermomètre et du balancier,

puisqu'elle laisse toutes les possibilités ouvertes et n'est pas déterministe.

J'ai démontré que le marketing politique ignore le concept des cycles électoraux, pourtant

cruciaux dans la vie politique. Le marketing politique semble perçu par certains

chercheurs comme une panacée. Or, cette approche est plus utile pour les partis

d'opposition qui surfent sur la vague d'un nouveau cycle électoral que pour un

gouvernement usé, en fin de cycle électoral. Le marketing politique peut certes aider un

gouvernement orienté vers le marché à demeurer à l'écoute des électeurs, mais elle ne lui

permet pas de combler tous leurs désirs, qui évoluent avec le temps dans la direction

opposée à ses convictions. Celui-ci peut maintenir cette orientation de marché et

appliquer les principes du marketing politique à la lettre, mais il peut quand même perdre

ses élections. Le marketing politique ne permet pas d'incarner toutes les options

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politiques et d'offrir des politiques trop éloignées de ses convictions. C'est contre la

nature même de la politique. Loin d'être une panacée, le marketing politique peut donc

être utile, mais il ne fait pas le poids face au vent de changement qui se lèvera

inévitablement et qui fera tomber n'importe quel gouvernement.

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