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1 UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS Année universitaire 2010-2011 Centre Vaugirard - Paris II Licence 1 (2 ème semestre) DROIT CONSTITUTIONNEL Cours de Monsieur le Professeur Denis Baranger FICHE N°15 ET 16 : Le régime présidentiel Indications bibliographiques : - LAUVAUX Philippe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, P.U.F., coll. « Droit fondamental », 2004, pp. 291-339. - ZOLLER Elisabeth, Introduction au droit public, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2006. - HAMILTON Alexander, JAY John et MADISON James, Le Fédéraliste, trad. Gaston Jèze, Paris, LGDJ, 1957 (réédition Économica, 1988). - TOCQUEVILLE Alexis de, De la démocratie en Amérique, édition scientifique de Edouardo Nolla, Paris, Vrin, 1990, 2 tomes. Documents reproduits : I- Les institutions Les relations législatif-exécutif - Document 1 : Marie-France Toinet, Le système politique des Etats-Unis, Paris, PUF, coll. « Thémis », 2 ème édition, 1990, pp. 359-366. - Document 2 : Murielle Mauguin-Helgeson, « Observations sur la production législative du Congrès américain. Étude de la 108 ème législature (janvier 2003-décembre 2004) », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n° 1, 2007, pp. 145-176. - Document 3 : Matt Bai, « A la conquête de la Colline », The New York Times, 7 juillet 2009 (Extrait traduit de l‟anglais) Le rôle de la Cour suprême - Document 4 : Extrait de l‟arrêt de la Cour suprême Marbury v. Madison (24 février 1803) in Élisabeth Zoller (dir.), Les Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Paris, PUF., coll. « Droit fondamental », 2000, pp. 101-106. - Document 5 : Extrait de l‟arrêt de la Cour suprême Bush v. Gore (12 décembre 2000) traduit par Julien Boudon et David Mongoin dans la Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n° 4, 2008, pp. 1110-1118. II- La question de l‟impeachment - Document 6 : Extraits de l‟interview de Richard Nixon par David Frost en mai 1977. - Document 7 : Acte d‟accusation relatif à l‟impeachment de William Jefferson Clinton

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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS Année universitaire 2010-2011

Centre Vaugirard - Paris II

Licence 1 (2ème

semestre)

DROIT CONSTITUTIONNEL

Cours de Monsieur le Professeur Denis Baranger

FICHE N°15 ET 16 : Le régime présidentiel

Indications bibliographiques :

- LAUVAUX Philippe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, P.U.F., coll. « Droit

fondamental », 2004, pp. 291-339.

- ZOLLER Elisabeth, Introduction au droit public, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2006.

- HAMILTON Alexander, JAY John et MADISON James, Le Fédéraliste, trad. Gaston Jèze,

Paris, LGDJ, 1957 (réédition Économica, 1988).

- TOCQUEVILLE Alexis de, De la démocratie en Amérique, édition scientifique de

Edouardo Nolla, Paris, Vrin, 1990, 2 tomes.

Documents reproduits :

I- Les institutions

Les relations législatif-exécutif

- Document 1 : Marie-France Toinet, Le système politique des Etats-Unis, Paris, PUF, coll.

« Thémis », 2ème

édition, 1990, pp. 359-366.

- Document 2 : Murielle Mauguin-Helgeson, « Observations sur la production législative du

Congrès américain. Étude de la 108ème

législature (janvier 2003-décembre 2004) », Revue du

droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n° 1, 2007, pp. 145-176.

- Document 3 : Matt Bai, « A la conquête de la Colline », The New York Times, 7 juillet 2009

(Extrait traduit de l‟anglais)

Le rôle de la Cour suprême

- Document 4 : Extrait de l‟arrêt de la Cour suprême Marbury v. Madison (24 février 1803) in

Élisabeth Zoller (dir.), Les Grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis, Paris, PUF.,

coll. « Droit fondamental », 2000, pp. 101-106.

- Document 5 : Extrait de l‟arrêt de la Cour suprême Bush v. Gore (12 décembre 2000)

traduit par Julien Boudon et David Mongoin dans la Revue du droit public et de la science

politique en France et à l’étranger, n° 4, 2008, pp. 1110-1118.

II- La question de l‟impeachment

- Document 6 : Extraits de l‟interview de Richard Nixon par David Frost en mai 1977.

- Document 7 : Acte d‟accusation relatif à l‟impeachment de William Jefferson Clinton

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Document 1 : Marie-France Toinet, Le système politique des Etats-Unis,

Paris, P.U.F., coll. « Thémis », 2ème

édition, 1990, pp. 359-366.

1] Les relations binaires : Président-Congrès

La présidence a-t-elle toujours été ou est-elle devenue le pouvoir prééminent dans

l‟organisation politique de l‟Etat fédéral ?

A] L’évolution en faveur du président

a) Les intentions des Pères fondateurs

1) L’avantage relatif du Congrès. – Qu‟ont voulu les Pères fondateurs ? Au niveau

fédéral, ils ont construit un gouvernement à trois « branches » aux pouvoirs étendus, aussi

égaux que possible. Chaque tentative de l‟un pour se placer au-dessus des autres doit

rencontrer l‟opposition de ceux-ci : chaque pouvoir a les moyens d‟empêcher l‟hégémonie de

l‟autre. Si un léger avantage est accordé à un pouvoir, c‟est au Congrès, primus inter pares et

qui est le premier dans l‟ordre constitutionnel. L‟expérience politique des constituants leur

démontre en effet que l‟exécutif peut être dangereux : la manière dont George III traite le

parlement britannique leur paraît la meilleure démonstration de ce qu‟il ne faut pas faire.

2) Un exécutif fort. – Mais, pour être sensibles à cette argumentation, d‟autres

conventionnels n‟oublient pas l‟impuissance des articles de la Confédération ni combien les

législatures peuvent être menacées par des révoltes populaires comme celle conduite par

Shays au Massachusetts. Ils veulent un exécutif assez fort pour maintenir l‟ordre et apporter

l‟aide fédérale aux États en proie à des désordres populaires. Ils le désirent suffisamment

puissant pour réaliser le développement national qu‟ils souhaitent ardemment. Comme le note

Hamilton (Le Fédéraliste n° 70) : « La force (energy) de l‟exécutif est une condition majeure

de l‟existence d‟un bon gouvernement. »

Les débats sur la présidence seront particulièrement acharnés et les compromis de

détail nombreux. Mais ce sont tout de même les partisans de la création d‟un exécutif fort,

même si ses pouvoirs sont limités par le Congrès, qui l‟emportent. Les constituants mettent

d‟abord en place une présidence monocéphale, ce qui démontre la volonté, selon la

description de James Wilson de Pennsylvanie, « de donner le plus de force, de promptitude et

de responsabilité possibles à la fonction ». Il n‟est en effet que de faire la comparaison avec le

Directoire français ou l‟exécutif collégial actuel de la Confédération helvétique pour s‟en

rendre compte.

Pour le mode d‟élection du président, finalement, ce ne sera pas le Congrès qui l‟élira,

ce qui évite que le président n‟ait à courtiser le parlement s‟il veut être réélu. Toujours sous

l‟influence de Washington et toujours au dernier moment, le président est associé à la

procédure de négociation des traités et de nomination des juges à la Cour suprême et des

ambassadeurs, pouvoirs d‟abord réservés exclusivement au Sénat.

Pour le reste, les poids et contrepoids seront fort bien mis en place pour délimiter des

relations équilibrées entre le Congrès et la présidence. Le premier ne peut renverser le

président, mais dispose du pouvoir d‟empêchement. Le second ne peut dissoudre le Congrès,

mais a un pouvoir de veto. Le Congrès vote les lois et le budget, mais doit entendre les

« messages » présidentiels. Le président veille à l‟application des lois, dans le cadre strict

défini par le Congrès.

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b) Le président, pierre de touche du système

Peu à peu, le président va devenir la pierre de touche de l‟édifice fédéral. Cinq

éléments, que nous reprenons aux meilleurs constitutionnalistes français et américains,

doivent néanmoins être mis en évidence dans l‟évolution présidentialiste qui caractérise les

relations entre le Congrès et le président :

1. Selon Georges Burdeau : « La présidence demeure [à l‟heure actuelle] l‟autorité suprême. »

2. Selon Laurence Tribe : « De même que la Cour suprême et le Congrès sont prééminents en

théorie constitutionnelle, de même le président est prééminent dans la réalité (fact)

constitutionnelle. »

3. Cependant, selon André Tunc : « Le président assume la première place dans le domaine

des responsabilités. Mais il est parfaitement vrai que son pouvoir effectif est largement

subordonné à la coopération du Congrès. »

4. Selon Edward Corwin : « L‟histoire de la présidence est une histoire de croissance

hautement discontinue […]. Ce qu‟est la présidence à un moment donné dépend dans une très

large mesure de qui est président […]. Cependant, l‟accumulation de la tradition est de très

grande importance. »

5. Selon Arthur Schlesinger Jr. : le renforcement des pouvoirs présidentiels « est autant la

conséquence de l‟abdication parlementaire que de l‟usurpation présidentielle. »

B] L’abaissement du Congrès

Le Congrès va donc perdre nombre de prérogatives qui lui étaient attribuées par la

constitution.

a) La création de l‟autorité exécutive

Les constituants avaient prévu que le Congrès contrôlerait la formation de l‟exécutif, du

moins dans une certaine mesure. Ils lui avaient donc confié un rôle dans l‟élection

présidentielle et dans la nomination du personnel gouvernemental et l‟avaient doté de la

procédure d‟empêchement. Malgré quelques tentatives d‟utilisation, ces pouvoirs sont

pratiquement tombés en désuétude.

1) L’élection présidentielle. – En ce qui concerne l‟élection du président et du vice-

président, le Congrès n‟a presque jamais eu à se substituer au collège électoral, et cela ne s‟est

jamais plus produit depuis cent cinquante ans : Thomas Jefferson en 1801 et John Quincy

Adams en 1825 furent élus par la Chambre des représentants et Richard Johnson fut élu vice-

président par le Sénat en 1837.

En principe, le Sénat a son mot à dire dans la formation du gouvernement puisque ce

n‟est qu‟avec son « avis » et son « consentement » que le président peut choisir les membres

de son cabinet. Mais, dans l‟immense majorité des cas, les nominations présidentielles sont

acceptées par le Sénat. Cependant, la perspective d‟un refus influence les choix présidentiels.

2) L’irresponsabilité gouvernementale. – Une fois en place, les membres du

gouvernement, pas plus que le président ou le vice-président, ne sont responsables devant le

Congrès. On se trouve là devant la règle fondamentale du régime présidentiel qui oblige à une

stricte séparation des pouvoirs : pas de dissolution du parlement, pas de responsabilité du

président ou des ministres devant le parlement. Cependant, le Congrès eût pu exiger que le

président et ses ministres viennent s‟expliquer devant les chambres. Après tout, des

précédents existaient. Ainsi Washington vient-il en personne et à deux reprises devant le

Sénat en formation plénière, en août 1789, pour négocier (comme le prévoyait la constitution)

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un traité avec les indiens. La bêtise du Sénat et ses courtes vues feront perdre au Congrès un

levier d‟action précieux : jamais plus un président – ou aucun de ses ministres – ne se

présentera devant le Congrès en formation plénière pour débattre avec les parlementaires.

De même, Lincoln sera contraint de venir s‟expliquer devant la commission des lois de

la Chambre des représentants (1862) comment il pouvait se faire que son message sur l‟état de

l‟Union ait été communiqué à la presse avant de l‟être au Congrès. Il devra à plusieurs

reprises justifier sa politique devant la commission sur la conduite de la guerre. Depuis, seuls

les ministres comparaissent en commission : même les adjoints directs du président en sont

dispensés si le président invoque le privilège de l‟exécutif que le Congrès a fini par

reconnaître.

3) L’empêchement

Reste la procédure de l‟empêchement. Les Pères fondateurs ne voulaient pas qu‟elle

devînt le moyen pour le législatif de dominer l‟exécutif. Ils la limitèrent donc aux actes

criminels et se refusèrent à ce qu‟elle soit d‟un usage facile. Le Congrès tenta néanmoins de

l‟utiliser contre le président Johnson en 1868 pour obtenir, en fait, la responsabilité politique

des ministres. La procédure échoua car, comme le note justement Lord Bryce :

« L‟impeachment est la pièce d‟artillerie la plus lourde de l‟arsenal parlementaire. Elle est si

lourde qu‟elle est inadéquate pour un usage ordinaire. » Pourtant, en 1974, la perspective de

perdre un procès en empêchement accule Richard Nixon à la démission.

La participation du Congrès à la création et au soutien de l‟autorité gouvernementale

est donc minime. Son rôle, s‟il a jamais existé autrement que potentiellement, n‟est plus. Si,

avec Bagehot, on considère que cette fonction est essentielle, on voit donc que le Congrès

américain est à cet égard bien dépourvu. Mais c‟est aussi constater que faire ou défaire les

gouvernements n‟a pas nécessairement grand rapport avec la puissance, réelle ou supposée,

d‟un parlement.

b) Les pouvoirs du législateur

C‟est en matière législative et budgétaire que le Congrès a le plus laissé échapper les

prérogatives qui lui sont attribuées par la constitution. Pour les lois comme pour le budget, le

Congrès a pour l‟essentiel perdu son pouvoir d‟initiative : le président détermine les grandes

lignes du programme législatif sur lequel le Congrès aura à se prononcer ; les propositions de

loi les plus importantes sont en réalité proposées par le présidence et les projets de loi de

finances sont dorénavant mis au point par l‟exécutif avec la bénédiction légale du législatif.

L‟évolution est elle qu‟il est devenu classique d‟attribuer au président la fonction de

« législateur en chef » (chief legislator).

Le président a, constitutionnellement, le pouvoir d‟exécuter les lois (art. 2, sect. 3). Il

s‟agit même là de son pouvoir fondamental. Avec le temps, ce pouvoir s‟est largement étendu.

Le Congrès adopte de plus en plus de lois qui sont souvent des programmes d‟action assez

généraux. Il revient au président de prendre les décrets d‟application, ce qui lui donne la

possibilité d‟orienter le sens de la loi et de déterminer l‟ampleur qu‟il veut lui donner. Comme

le soulignait malicieusement le président Taft : « Je laisse à qui veut la possibilité de faire les

lois de ce pays, du moment que je peux les interpréter. »

Certes, le législatif a tenté de mettre une limite à cette délégation de pouvoir en se

réservant le droit d‟annuler les décisions prises par l‟administration dans ce cadre. Mais la

Cour suprême a déclaré ces dispositions législatives anticonstitutionnelles dans Immigration

and Naturalization Service c. Chadha (462 US 919, 1983). Légalement, le Congrès ne peut

donc plus annuler les décrets d‟application de l‟exécutif. Au total, comme le note Jacques

Cadart : « Le président est vraiment le moteur du régime, celui qui oriente la politique de la

nation, qui la définit et qui l‟exécute. »

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c) Le contrôle de l‟activité gouvernementale

Le président n‟est cependant pas omnipotent. John Stuart Mill estimait que les institutions

parlementaires étaient mieux équipées pour contrôler l‟application des lois que pour les

proposer. Avec l‟énorme développement des activités gouvernementales, ceci semble plus

vrai que jamais. Le contrôle quotidien de gouvernement se fait par l‟intermédiaire des

commissions qui exercent leur surveillance sur l‟application par l‟administration des lois

votées par le Congrès. Si les renseignements fournis par l‟exécutif semblent insuffisants, ou

mériter une enquête, il est créé une commission spéciale : l‟organisation et la pratique

gouvernementales sont ainsi passées en revue. La simple perspective d‟une enquête influence

et domine peut-être la pratique administrative. Cela n‟empêche pas l‟administration, et

notamment le Pentagone, de tenter de dissimuler ses erreurs. Mais il est rare qu‟elle y

parvienne longtemps, sauf à obtenir que le Congrès ferme les yeux. En règle générale, devant

un président et son administration qui disposent de moyens d‟information et de

documentation supérieurs et d‟experts nombreux, le Congrès a réussi le tour de force

d‟obtenir d‟une bureaucratie techniquement plus compétente une relative responsabilité

politique et les informations qui lui sont nécessaires – et qu‟il répercute, par le biais de la

presse, sur l‟opinion publique.

d) Le rôle d‟empêcheur du Congrès

Si le président a étendu ses prérogatives dans des domaines qui, en principe, n‟étaient pas

les siens, le Congrès l‟a donc payé de retour, mais dans une mesure bien moindre. Le Congrès

est moins indépendant de l‟exécutif qu‟il a pu l‟être. Pourtant, plus que « dépendantes », les

relations législatif-exécutif sont « interdépendantes » : en particulier, le législatif peut ralentir,

modifier, voire rejeter les projets de l‟exécutif. En un sens, on peut dire que les rôles prévus

par la constitution sont intervertis : c‟est le président qui, dans bien des cas, propose les lois

importantes et c‟est le Congrès qui exerce une sorte de pouvoir de veto en évitant de se

prononcer ou en refusant les propositions présidentielles. Le Congrès peut bloquer

impunément le programme du président le plus puissant qui soit. Pour obtenir la réalisation de

son programme, le président est obligé de cajoler, négocier, céder, admettre le compromis.

Le Congrès des Etats-Unis garde donc, dans une mesure non négligeable, ses pouvoirs.

Ceux-ci sont devenus moins nettement « législatifs » : ils n‟en demeurent pas moins un

élément de puissance réelle. Par le contrôle qu‟il exerce, par le fait qu‟il peut retarder l‟action

du président, voire lui refuser les moyens d‟une politique, le Congrès a fait pièce à

l‟omnipotence présidentielle. Le Congrès n‟est pas un parlement-croupion. Mais, pour n‟être

pas omnipotent, le président n‟en est pas moins prééminent. Comme le note avec humour

Aaron Wildavsky : « L‟affaiblissement de la présidence est à peu près aussi vraisemblable

que le dépérissement de l‟Etat. »

Document 2 : Murielle Mauguin-Helgeson, « Observations sur la

production législative du Congrès américain. Étude de la 108ème

législature

(janvier 2003-décembre 2004) », Revue du droit public et de la science

politique en France et à l’étranger, n° 1, 2007, pp. 145-176.

La procédure législative du Congrès américain est, à juste titre, souvent assimilée à un

« labyrinthe », ou à une course d'obstacles dont les épreuves, nombreuses et potentiellement

périlleuses, peuvent menacer la destinée de toute initiative, même activement soutenue par

une majorité parlementaire. Ainsi que le soulignent Yves Mény et Yves Surel, « le mode de

transformation d'une proposition en loi est si complexe et si difficile que le système est pour

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ainsi dire conçu à l'avantage des opposants de toute initiative ». La législation devient donc

nécessairement le produit d'un compromis entre des acteurs législatifs aux intérêts souvent

divergents.

Le système politique américain, en outre, ne permet pas au(x) législateur(s) de pouvoir

compter sur des majorités stables et dociles. Bien que, depuis le milieu des années 1970, la

discipline partisane semble s'être affirmée sous l'autorité du Speaker de la Chambre des

Représentants et quoi que la cohésion des partis politiques se soit renforcée, l'idée d'une

dynamique majoritaire ne peut être appliquée, avec précaution, qu'à la première chambre. Le

Sénat obéit, lui, à une logique super-majoritaire, en raison de la combinaison entre des règles

de délibération très permissives et des conditions de clôture rigoureuses. Et, dans ce contexte,

le durcissement des positions partisanes dans les deux Chambres ne rend finalement que plus

difficile l'établissement de compromis acceptables. Même, en situation d'unified government,

lorsque les trois principaux acteurs législatifs – Président, Chambre des Représentants,

Sénat – sont censés appartenir à la même majorité politique, les votes ne sont jamais acquis et

doivent faire l'objet d'intenses marchandages.

L'alliage de ces différents éléments rend ainsi, en principe, bien difficile l'adoption de lois par

le Congrès américain. Pourtant, l'examen des statistiques parlementaires vient contredire le

lien de causalité pressenti et révèle que, pour la période 1995-2005, 212 lois, en moyenne, ont

été adoptées chaque année. Le Congrès américain, loin de présenter des bilans législatifs

quantitativement limités, semble donc, au contraire, faire figure de législateur acharné. Sa

production annuelle s'avère effectivement plus de deux fois supérieure à celle du Parlement

français ; homologue critiqué pour sa « boulimie » législative. Mais les leçons à tirer des

statistiques brutes sont, par nature, très limitées. À plus forte raison, la mise en parallèle de

chiffres relatifs à la production parlementaire de deux pays ne peut avoir qu'un intérêt

anecdotique si elle ne se trouve pas relayée par un effort d'appréciation qualitative.

Pour pouvoir évaluer la production législative du Congrès américain, il faut, par conséquent,

disposer d'éléments objectifs et d'analyses critiques sur la composition de celle-ci. Les lois

adoptées ne forment évidemment pas un ensemble homogène et la littérature francophone ne

fournit pas toujours les clés nécessaires à leur décryptage. Par l'examen systématique des

textes votés, il devient néanmoins possible de rétablir un lien de causalité entre production et

contexte politico-institutionnel, pour poser les fondements de futures comparaisons.

Il va de soi qu'un tel exercice ne peut être réalisé que sur un échantillon matériel

rigoureusement circonscrit, mais suffisamment représentatif d'une pratique plus générale.

L'étude de l'avant-dernière législature achevée (108e Congrès) permet ainsi, en s'appuyant sur

les données les plus récentes, de relativiser l'apparente productivité législative du Congrès

américain. Certes, la 108e législature présente un bilan de pas moins de 498 lois adoptées.

Mais, dans cette récolte, si l'on met de côté les lois budgétaires, seule une trentaine de textes

peuvent être considérés comme majeurs, au regard d'indices tirés de la procédure suivie, des

sujets choisis et des controverses soulevées. Si le Speaker Cannon, célèbre pour son

autoritarisme et ses aphorismes, a pu considérer, en visant la Chambre des Représentants, que

« this House could pass elephants if it chose », la pratique parlementaire moderne révèle, elle,

qu'avec l'influence déterminante du Sénat, le législateur évolue entre le magasin de

porcelaines et le tumulte du « pork barreling ». La 108e législature, même dominée par un

unified government, illustre bien la difficulté d'adopter des textes imposants et la fragilité des

positions défendues par leurs initiateurs (§ 2). Bref, pour emprunter aux images animalières

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qu'affectionne le parlementarisme américain, sa ménagerie montre peu d'éléphants (I) et

beaucoup de cochons (II).

I. _ PEU D'ÉLÉPHANTS

La littérature parlementaire américaine tend à présenter les bilans législatifs du Congrès de

manière manichéenne, en distinguant essentiellement deux catégories : les major bills et les

non controversial bills. Il existe, bien entendu, des sous-groupes et des catégories

intermédiaires, mais plus difficiles à identifier. L'étude systématique des lois adoptées par le

108e Congrès mettra donc d'abord en évidence cette dichotomie très affirmée et

caractéristique de la production législative américaine, en tentant d'en identifier les

manifestations (A) avant d'en appliquer la typologie aux lois adoptées en 2003 et 2004 (B).

A. _ Indices de classification des différentes espèces législatives

La procédure législative du Congrès étant extrêmement modulable, la distinction major

bills/non controversial bills transparaît d'abord dans le mode d'adoption des différents

textes. Mais puisqu'il existe toujours des exceptions à la règle, l'on ne saurait s'en remettre

au seul critère procédural pour identifier, avec assurance, les différentes catégories de lois.

La typologie doit donc s'appuyer sur un faisceau d'indices plus large.

1. Des indices procéduraux éloquents

Ce n'est certes pas une découverte de constater que la nature d'une initiative législative peut

déterminer son sort procédural. L'observation est toutefois frappante lorsqu'il s'agit du

Congrès américain. Comme le souligne bien Walter Oleszek, « a fundamental strength of

Congress process is its capacity to adjust to new circumstances ». Avec cinq modes

d'introduction des initiatives législatives pour la seule Chambre des Représentants, le

législateur a sans doute le choix des armes. Pourtant, si les observateurs européens insistent,

non sans raisons, sur la complexité du labyrinthe procédural américain, en pratique, seules

deux configurations se dégagent et correspondent, sans surprise, à l'opposition major/non

controversial bills. Elles dépendent effectivement et essentiellement du nombre de

commissions législatives saisies, du mode d'introduction de la discussion plénière et de

l'intervention ou non d'une instance de conciliation bicamérale.

Le nombre de commissions saisies est un facteur révélateur de la complexité d'un sujet, mais

ne constitue pas un critère décisif quant à la classification des différents types de lois. Barbara

Sinclair explique que le recours à plusieurs commissions législatives s'avère de plus en plus

fréquent pour les major bills. Mais s'agissant du 108e Congrès , le trait ne ressort pas

clairement. De nombreux textes d'importance secondaires ont été soumis à l'étude d'au moins

deux commissions. Les lois budgétaires, qui constituent une part prédominante des major bills

ne relèvent, inversement, que de la compétence de l'appropriation committee. Enfin, et

surtout, des pratiques de dessaisissement des commissions législatives, relativement

fréquentes au Sénat en raison de son moment d'intervention dans la discussion parlementaire,

se sont également développées à la Chambre des Représentants. Cette tendance, révélatrice

d'une perte de puissance des commissions, peut être directement imputée aux leaders de la

majorité parlementaire et traduit l'emprise croissante des partis sur la procédure législative. Le

recours à des task forces du parti majoritaire permet à celui-ci de mieux contrôler la

préparation des textes, en évitant l'influence forte d'une dynamique interne spécifique à

chaque commission et l'obligation de se soumettre au passage obligé des négociations

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bipartisanes. Cette propension au contournement des commissions, qui s'est renforcée au

milieu des années 1990 sous la direction du Speaker Gingrich, s'avère toutefois difficile à

évaluer aujourd'hui. De plus en plus fréquemment, les task forces travaillent, en fait, en

parallèle avec les commissions législatives.

Le mode d'introduction de la discussion plénière est un indice beaucoup plus fiable

d'identification des différentes catégories de bills. Parmi les cinq voies disponibles à la

Chambre des Représentants, deux sont principalement utilisées, en fonction de l'enjeu du texte

examiné : la procédure de la Rules Committee resolution et celle de la Suspension of the

Rules.

Le recours à la procédure de la Suspension of the Rules est le mode d'introduction le plus

fréquemment employé à la Chambre des Représentants. 359 lois, soit 72 % de la production

législative, ont ainsi été soumises à ce traitement sous la 108e législature. Cette procédure,

placée sous le contrôle du Speaker, permet une discussion très rapide des textes disposant d'un

large soutien parlementaire. Comme le soulignent Elisabeth Rybicki et Stanley Bach, les trois

traits caractéristiques de la Suspension of the Rules peuvent ainsi être résumés : limitation de

la discussion plénière à 40 minutes, interdiction des amendements par l'assemblée et vote à la

majorité des deux tiers. En raison de ces caractéristiques, la procédure sert à alléger la charge

de travail de la Chambre des Représentants, en assurant un passage expéditif aux non

controversial bills. Mais elle peut évidemment être utilisée en cas d'urgence pour des lois dont

l'enjeu est beaucoup plus important ou, en fin de session, pour faire face à un emploi du temps

législatif saturé. Sous la 108e législature, il n'y a toutefois pas d'exemple correspondant à ces

deux dernières hypothèses.

L'adoption d'une résolution du Rules Committee permet également un encadrement strict de la

discussion parlementaire, mais avec une inspiration bien différente. La procédure offre à la

majorité parlementaire le contrôle des débats controversés et donc, en principe, de leur issue.

Motions adoptées par une majorité de la Chambre et établies au cas par cas par le célèbre

Rules Committee, les rules déterminent, schématiquement, un temps de discussion pour

l'assemblée plénière et encadrent le droit d'amendement des membres de la Chambre. Ainsi

que l'expliquent Élisabeth Rybicki et Stanley Bach, la question la plus disputée dans

l'élaboration des rules concerne évidemment cette possibilité de restriction du droit

d'amendement. Par conséquent, le débat relatif à l'adoption de la résolution constitue un

moment crucial de la délibération parlementaire et déterminant pour l'avenir de l'initiative

législative concernée. Barbara Sinclair expose avec justesse les bénéfices que les leaders de la

majorité parlementaire peuvent espérer tirer d'une telle procédure, lorsqu'elle souligne que «

special rules can be used to focus attention and debate on the critical choices, to save time and

prevent obstruction and delay and sometimes to structure the choice members confront on the

floor in a way that promotes a particular outcome ». Sous la 108e législature, 51 lois ont fait

l'objet de cette procédure aux effets polyvalents, soit un peu moins de 10 % de la production

législative. L'encadrement ainsi créé est évidemment spécifique à chaque proposition de loi,

mais le plus souvent les rules adoptées en 2003 et 2004 prévoyaient une heure de débat

général et une possibilité d'amendement du texte discuté.

Au Sénat, la question se pose en termes différents et la dichotomie major bills/non

controversial bills n'apparaît pas dans la procédure d'engagement de la discussion plénière. En

raison des facultés d'obstruction de la minorité parlementaire, plus de 95 % des textes adoptés

sont introduits par consentement unanime des sénateurs (unanimous consent). Mais le Sénat a,

lui aussi, recours à un mode d'encadrement des débats qui peut seul permettre le passage des

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textes les plus controversés. L'unanimous consent est, en effet, susceptible de s'appliquer

également aux modalités de discussion des propositions de loi. Dans un état d'esprit

comparable aux rules de la Chambre des Représentants, les complex unanimous consent

agreements (UCAs) servent à imposer un temps de débat et à limiter l'exercice du droit

d'amendement. Mais dans une assemblée réfractaire à toute restriction des droits

parlementaires, cet encadrement peut être mis en péril par la volonté, voire le caprice, d'un

unique sénateur. Les membres du Sénat tendent donc à négocier leur adhésion et trouve dans

cette procédure informelle un intérêt autre que la seule prédictibilité des débats. Malgré leurs

faiblesses, les complex UCAs permettent néanmoins le traitement de la majorité des major

bills.

Le dernier indice procédural susceptible de déterminer l'importance du texte législatif

examiné réside dans l'issue de la délibération bicamérale. Puisque la Chambre des

Représentants et le Sénat sont sur un pied d'égalité, il n'existe pas de procédure du « dernier

mot » et les deux chambres doivent nécessairement accorder leurs positions ou prendre acte

de leurs désaccords. L'examen de la pratique révèle que, pour la majorité des lois adoptées,

soit il n'existe pas de différend bicaméral, soit il est mineur et les chambres sont en mesure de

le régler par une simple navette. Ces deux hypothèses peuvent être logiquement associées au

traitement des non controversial bills, même si elles sont également susceptibles de

correspondre à des situations d'urgence (circonstances exceptionnelles ou fin de session).

Sous la 108e législature, 93 % des lois adoptées sont le fruit d'un tel accord spontané _ ou

presque.

Dans 7 % seulement des cas, les Chambres ne réussirent pas à se mettre d'accord sur un texte

commun et durent avoir recours à une instance de conciliation (conference committee),

chargée de trouver une position de compromis. Comparables dans leur mission aux

commissions mixtes paritaires, les conference committees sont des structures variables tant

dans leur taille que dans leur configuration politique. Objet d'un enjeu considérable, leur mise

en place peut évidemment susciter les plus vives controverses. L'issue de leur intervention est,

en effet, brutale dans la mesure où les chambres ne peuvent qu'adopter ou rejeter le rapport

ainsi établi, mais en aucun cas l'amender. Les parlementaires, et en particulier ceux de la

minorité, perdent ainsi complètement leur influence sur le texte final.

Ces trois étapes de la procédure législative permettent, dans une large mesure, de reconnaître

les textes qui peuvent être considérés comme les plus importants pour le Congrès américain.

La classification des différents types de lois gagne toutefois à prendre également en compte

d'autres éléments d'identification. Quelques major bills échappent, en effet, aux règles

procédurales classiques. Ainsi, les lois de ratification des accords de commerce ne sont-elles

jamais soumises à une instance de conciliation, puisque les chambres ne peuvent qu'adopter

ou rejeter le texte discuté. Les lois tendant à relever le niveau de la dette publique, elles,

lorsqu'elles sont adoptées en application de la résolution budgétaire annuelle, s'imposent à la

Chambre des Représentants et ne font donc pas l'objet de résolution du Rules Committee.

2. Le complément d'indices matériels et comportementaux

L'analyse de la production législative du 108e Congrès révèle que près de 70 % des lois

adoptées comportent moins de cinq articles. La longueur n'est sans doute pas un critère

d'importance : ainsi suffit-il de déterminer un montant pour relever le niveau de la dette

publique. Le plus souvent, néanmoins, ces textes brefs portent sur des sujets secondaires pour

l'intérêt général, tels que le nom d'un bureau de poste ou la superficie d'un parc. Inversement,

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les lois budgétaires et les réformes majeures sont, en général, synonymes de logorrhées

législatives, à l'instar des 3 000 pages du Consolidated Appropriations Act pour 2003. La

combinaison du volume et du sujet peut ainsi constituer un indice de classification.

Pour un observateur français, la prise en compte du nombre d'amendements discutés durant la

délibération plénière américaine, en revanche, constitue un facteur de trouble davantage que

d'éclaircissement des enjeux. Il va sans dire que, logiquement, les textes les plus conflictuels

suscitent les plus intenses discussions. Le recours à l'amendement peut certes être utilisé à des

fins d'obstruction et se détacher éventuellement de l'intérêt du texte considéré. Il reste

néanmoins, en France, un indicateur assez fiable du caractère controversé d'une initiative

législative. Aux États-Unis, le lien de causalité entre nombre d'amendements et importance du

texte est beaucoup plus lâche. Les quatre cinquièmes des lois adoptées passent en effet le

stade de la discussion plénière sans être amendées. Les choix procéduraux des deux chambres

l'expliquent dans une large mesure. Comme on l'a souligné, la discussion par Suspension of

the Rules exclut les possibilités d'amendement des textes ainsi considérés. L'absence

d'amendement ne constitue donc pas, en l'occurrence, un indice indépendant dans

l'identification des non controversial bills. Dans le même état d'esprit, le nombre

d'amendement portant sur les textes les plus controversés dépend à la Chambre des

Représentants de l'option choisie par la résolution du Rule Committee. Si la majorité

parlementaire accepte de s'infliger une closed rule, la minorité perd alors son droit

d'amendement. Sous la 108e législature et selon les données fournies par « Thomas », un peu

plus de 3 % seulement des lois ont fait l'objet de plus de dix amendements discutés et/ou

adoptés, avec un record d'activité pour les lois budgétaires. Les mêmes restrictions peuvent

être appliquées au Sénat par le biais des complex UCAs. De façon hypothétique, par

conséquent, si les parlementaires sont en mesure d'amender sans limites une proposition de

loi, c'est probablement parce que l'adoption d'une rule et l'instauration d'un UCA ont échoué

et que le texte suivra certainement le même sort. Néanmoins, l'on peut constater que, sous la

108e législature, seuls les textes les plus importants ont été effectivement amendés.

Les résultats des scrutins et leurs conditions d'exercice constituent également un indicateur de

l'enjeu législatif d'une proposition de loi, mais à utiliser avec circonspection. Du fait de l'esprit

darwinien de la procédure législative américaine, les textes soumis au vote final des chambres

sont presque automatiquement adoptés. Les scrutins déterminants pour le sort des

propositions de loi ont lieu, en général, à un stade antérieur de la délibération parlementaire et

portent sur l'encadrement de la discussion plénière par le biais d'une Suspension of the Rules

ou d'une Rule Resolution. Au Sénat, les échecs ne se traduisent pas nécessairement dans les

votes. L'absence d'un accord d'unanimous consent peut être le moyen le plus efficace pour

écarter un texte de l'ordre du jour. Si l'unanimité ou l'adoption sans objection ne sont donc pas

toujours synonymes d'absence de controverse, l'existence d'un scrutin très disputé peut, a

contrario et sans exception, être associé au traitement des major bills. Sous la 108e législature,

on ne trouve de nettes scissions bipartisanes que pour des textes encadrés par une rule et/ou

soumis à une commission mixte. Trois lois en particulier sont passées sur le fil du rasoir : la

loi de réautorisation des programmes de la Federal Aviation Administration, la loi Medicare

en 2003 et la loi relative au relèvement du niveau de la dette publique en 2004. La majorité

d'une voix pour la loi réformant le système d'assurance-maladie ne fut, en outre, acquise à la

Chambre des Représentants qu'au terme d'un scrutin nocturne de près de trois heures, grâce

aux pressantes interventions téléphoniques des leaders de la majorité parlementaire.

Le comportement du président vis-à-vis d'une proposition de loi _ et plus précisément sa

résistance ou son effort d'impulsion _ peut, lui aussi, être ajouté au faisceau d'indices. Doivent

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ainsi être considérées comme major bills les propositions revendiquées comme des priorités

du programme présidentiel _ tel le système Bioshield de lutte contre le bioterrorisme et le plan

de vaccination contre la variole _ ou les textes soumis à la menace de son veto _ telle que la

loi de complément budgétaire pour la reconstruction de l'Irak et de l'Afghanistan. Ces prises

de position n'apparaissent pas dans les comptes-rendus procéduraux des deux chambres, mais

suscitent évidemment les commentaires des journalistes et des analystes parlementaires.

Pourrait, enfin, être prise en compte dans la recherche d'indices la mesure du temps nécessaire

à l'adoption d'une loi. Mais un délai extrêmement bref entre l'introduction et la promulgation

d'un texte peut tout aussi bien révéler le caractère exceptionnel d'une proposition de loi que

son aspect anodin. Par ailleurs, sous la 108e législature, le temps d'adoption d'une loi visant à

attribuer un nouveau nom à un bureau de poste a pu varier de 15 jours à 14 mois. Loin de

traduire des degrés de controverse, cette différence dépend d'abord de la gestion de l'ordre du

jour. Bien plus déterminant, en revanche, est le nombre de sessions saisies d'une question

spécifique et les années d'efforts de ses supporters. L'existence d'échecs successifs suivis

d'une concrétisation normative traduit, en règle générale, l'importance et le caractère

controversé de la loi finalement adoptée.

En appliquant cette grille de lecture à la production législative américaine, la classification

des différentes catégories de lois devient ainsi plus méthodique. Certes, il suffit sans doute

d'observer le choix des commentaires établis par l'Almanach du Congrès pour dresser la liste

des major bills et s'épargner, par la même, un recensement systématique ingrat. Mais la

typologie établie repose alors sur la seule confiance faite aux analystes du Congressional

Quarterly et ne peut, en outre, cerner les caractéristiques des non controversial bills, qui ne

suscitent pas l'attention des commentateurs. Or c'est bien dans l'opposition très nette entre ces

deux extrêmes que se dessine le mieux la dynamique de la production législative américaine.

B. _ Caractères saillants des lois adoptées sous la 108e législature

Sur les 10 669 propositions de loi introduites par le 108e Congrès , 498 textes sont arrivés au

terme de la procédure législative. 52 se présentent comme des lois majeures, par leur portée

et/ou leur caractère controversé, tandis que les 448 autres peuvent inversement être

considérées mineures _ ou du moins secondaires. La dichotomie, à l'empreinte procédurale

très nette, s'avère sans doute moins sensible d'un point de vue matériel. Le recours aux indices

procéduraux permet donc également d'éclaircir un peu l'hétérogénéité apparente des deux

catégories retenues. Chacune couvre, en fait, deux embranchements principaux.

1. Les non controversial bills : lois mineures ou secondaires

L'absence de controverse qui définit cet ensemble de textes trouve son origine principale dans

la portée restreinte des lois concernées. Étant donné l'ampleur de l'échantillon étudié, il va de

soi qu'il couvre différents degrés. Mais l'intérêt de l'analyse réside dans l'ébauche de traits

dominants et non dans une énumération exhaustive et stérile. Dans cet esprit, se dégagent

deux sous-ensembles : l'un marqué par les limites de son champ temporel, l'autre par celles de

son champ personnel. La généralité n'est donc certainement pas l'une des caractéristiques

marquantes de la loi américaine.

Le premier sous-ensemble est bien constitué de lois qui peuvent être considérées comme

d'intérêt général mais qui s'avèrent, en réalité, des mesures provisoires. Elles permettent

d'attendre la promulgation de lois qui auraient déjà dû être adoptées, mais dont l'élaboration a

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été retardée. Béquilles du législateur défaillant, ces textes couvrent les deux volets de la

procédure budgétaire américaine : l'autorisation de programmes (authorization bills) et

l'allocation de crédits (appropriations bills). Dans la première hypothèse, les textes visent à

reconduire provisoirement des programmes arrivés à échéance sous la 108e législature. L'on

compte par exemple, pour la période 2003-2004, cinq extensions du Highway Program et cinq

du Temporary Assistance for Needy families Block Grant Program. Dans la seconde

hypothèse, le législateur élabore des lois de continuation de crédits, qui fournissent des fonds

temporaires jusqu'à ce que toutes les lois d'appropriation soient adoptées. Sept continuing

resolutions ont ainsi été nécessaires pour la 108e législature. Dans les deux cas, le législateur

n'engage pas de débat politique de fond, mais se contente de déterminer un montant ou de

fixer une nouvelle échéance. Ces textes sont donc relativement brefs et leur urgence explique

une adoption expéditive.

Le second sous-ensemble est, lui, constitué de lois dont le nombre de destinataires est limité,

parfois à un seul individu. Ainsi l'attribution d'une médaille à Tony Blair pour l'amitié dont il

a fait preuve envers son allié américain ou la célébration du 92e anniversaire de Ronald

Reagan suscitent-elles l'intervention du législateur. Une vingtaine de lois du 108e Congrès

n'ont, en effet, eu pour seul objet que commémoration ou remise d'honneurs. Cette capacité du

législateur à prendre en charge des mesures individuelles peut d'autant plus surprendre que

l'on vient d'évoquer son recours obligé aux mesures provisoires et que l'on imagine sans mal

l'engorgement de son programme de travail. Mais, comme l'explique Walter Oleszek, les

commissions législatives ont développé des procédures de traitement express de ces mesures,

qui sont adoptées par l'assemblée sans débat et en quelques minutes. Cette facilité procédurale

ne justifie toutefois pas que le législateur _ fédéral de surcroît _ considère ce domaine comme

relevant de sa compétence. Le respect que l'électeur américain peut porter à l'institution

parlementaire n'a sans doute guère à gagner dans les 111 lois visant à donner un nouveau nom

à un établissement public. Certes, le 108e Congrès a bien adopté 498 lois, mais parmi celles-

ci, 20 % (104) n'ont fait que rebaptiser un bureau de poste.

2. Les lois majeures

La part des major bills dans la production législative est inversement proportionnelle au temps

qu'ils occupent dans l'ordre du jour du législateur. Entre janvier 2003 et décembre 2004, le

Congrès n'a en effet adopté que 52 lois importantes ; mais ce sont évidemment elles qui ont

accaparé son attention et l'énergie des sous-commissions, commissions, leaders

parlementaires, des membres du Congrès et du Président. Leur nombre apparaît, en réalité,

d'autant plus réduit que sont incluses dans ce total les multiples lois d'appropriation qui, dans

le système budgétaire français, figureraient dans la seule loi de finances de l'année.

L'ensemble que forment les major bills trouve donc, lui aussi, une subdivision principale,

entre lois budgétaires et lois non budgétaires.

Les premières, les appropriations acts, visent les différents secteurs de l'administration

américaine _ divisés pour l'exercice en 13 catégories _ et tendent à allouer les crédits

nécessaires à leur fonctionnement. Chaque année, le Congrès adopte ainsi, en principe, 13

regular appropriation bills, qui peuvent être éventuellement complétés par des continuing

appropriations et des supplemental appropriations, soit une trentaine d'appropriation acts pour

une seule législature. Pour la période 2003-2004, n'ont toutefois été promulgués que 12

regular appropriations acts et 4 supplemental appropriations acts. Mais, parmi les 12 premiers,

il faut encore distinguer deux omnibus acts, qui couvrent le champ des différentes lois

sectorielles qui n'ont pu être adoptées dans les délais prévus par le calendrier budgétaire. Le

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Consolidated Appropriations Act pour 2003 couvre ainsi 11 appropriations bills hérités de la

107e législature tandis que le Consolidated Appropriations Act s'est substitué à 9

appropriations bills menacés en 2004.

La procédure budgétaire américaine est extrêmement complexe et fragmentée. Pour mieux

comprendre la place des appropriations bills et ce recours aux omnibus bills, il faudrait

évidemment les inscrire dans un contexte plus large. En principe, les lois de crédit ne peuvent

ainsi être adoptées qu'après le passage de la résolution budgétaire conjointe, qui fixe les

plafonds en matière de dépenses discrétionnaires et, éventuellement, après celui

d'authorization bills, base légale des programmes et activités de l'administration fédérale.

Mais la règle est rarement respectée. La procédure budgétaire suscite naturellement les

désaccords les plus vifs entre les commissions dépensières et les commissions gardiennes des

deniers publics, entre les chambres, entre le Congrès et le Président... Le passage des

appropriations bills peut, par conséquent, s'avérer très laborieux et le recours aux omnibus,

pour des raisons de temps et de tactique décisionnelle, constitue alors une porte de sortie

indispensable.

Les lois ne relevant pas de la procédure budgétaire, et susceptibles d'être qualifiées de major

bills, appartiennent évidemment à un ensemble plus hétérogène. Leurs principaux points

communs résident dans les polémiques qu'elles suscitent et dans leurs débats disputés. Leurs

sujets sont variés bien que, sous la 108e législature, l'on puisse remarquer la récurrence de

certains thèmes.

La lutte contre le terrorisme est, sans surprise, une préoccupation constante du législateur

américain dans cette période. Cette priorité nationale, aux répercussions budgétaires

manifestes, a ainsi incité le 108e Congrès à adopter le Smallpox Emergency Personnel

Protection Act, qui met en place un programme de vaccination du personnel d'intervention

d'urgence et la loi relative au Bioshield Project de lutte contre le bioterrorisme. Mais la

principale production législative rattachée à ce contexte réside dans la réforme des services de

renseignements américains, engagée à la suite des conclusions de la Commission nationale sur

les attaques terroristes.

De façon connexe, le bilan de la 108e législature fait apparaître de nombreux textes relatifs

aux affaires internationales et à la politique étrangère des États-Unis. Dans cette catégorie de

lois majeures figurent, en effet, un texte visant à imposer des sanctions à la Syrie, adopté

après une longue résistance du Président Bush, quatre lois de ratification d'accords

commerciaux (avec l'Australie, le Maroc, le Chili et Singapour) et un programme de lutte

internationale contre le SIDA, débloquant 15 milliards de dollars sur une durée de cinq ans.

La préoccupation d'un leadership américain dans la lutte contre les différents fléaux

susceptibles de menacer la paix est également présente dans des textes moins saillants, tels le

texte relatif à la junte militaire birmane, le Syria Accountability and Lebanese Sovereignty

Restoration Act 2003, le North Korean Human Rights Act 2004 ou le Belarus Democracy Act

2004.

Autre thème récurrent de l'activité législative du 108e Congrès : les droits de l'enfant, et

surtout ceux de l'enfant à naître. Terrain privilégié des batailles entre conservateurs et

libéraux, la question du droit à l'avortement n'est jamais bien loin de tout débat relatif à la

justice pénale ou à la bioéthique. Mais elle contamine également certaines discussions

parlementaires sans lien apparent avec le conflit pro-choice/pro-life. Pendant la période

étudiée, deux textes ont directement alimenté la controverse : la proposition de loi tendant à

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interdire une méthode chirurgicale d'avortement tardif (partial birth abortion) et celle

instaurant un crime indépendant pour les atteintes faites à un foetus lors de violences

commises contre une femme enceinte.

La part occupée par les réformes fiscales dans l'activité législative constitue un autre trait

dominant du 108e Congrès. Priorité économique du Président Bush, la politique de baisse

d'impôts entamée sous la 107e législature est à l'origine de deux nouvelles lois en 2003 et

2004 : le Jobs and Growth Tax Relief Reconciliation Act, qui engage la troisième baisse

d'impôts la plus forte dans l'histoire américaine et le Working Families Relief Act, qui vise

plus particulièrement les classes moyennes. Mais, le Congrès a également dû reformer le

régime fiscal applicable aux entreprises, par suite de la condamnation par l'OMC de son

système d'incitations fiscales à l'exportation et en réaction aux sanctions appliquées par

l'Union Européenne.

Enfin, le 108e Congrès a également été marqué par des débats virulents sur la réforme de son

système de protection sociale. Dans le domaine des retraites, la loi adoptée ne constitue

qu'une mesure temporaire d'aide aux employeurs. Sur la question de l'assurance-maladie, en

revanche, après plusieurs années stériles, le législateur a engagé, avec le Medicare

Prescription Drug Improvement and Modernization Act 2003, une réforme profonde de

Medicare, programme public d'aide médicale aux personnes âgées. La nouvelle loi met en

place un système de remboursement partiel des médicaments pour les personnes âgées

disposant de faibles revenus et dépourvues d'assurance privée, qui paraît malheureusement

bénéficier davantage aux laboratoires pharmaceutiques qu'à ses destinataires apparents.

La liste n'est évidemment pas exhaustive et ne vise qu'à révéler les tendances principales de la

production législative du 108e Congrès. Dans cet ensemble nécessairement hétéroclite, il

s'avère logiquement délicat – voire dangereux – de prétendre à la généralisation. La typologie

établie peut néanmoins être complétée par quelques brèves observations transversales

relatives à la rédaction des lois américaines. Qu'ils soient brefs ou longs, majeurs ou

secondaires, les textes étudiés regorgent ainsi de « neutrons législatifs », tant critiqués

récemment. Bavarde, la loi américaine est souvent explicative, narrative, enrichie de rappels

historiques, factuels, jurisprudentiels... Son interprétation est sans doute facilitée, mais elle

n'obéit certainement pas aux canons de la légistique prônés en France.

II. _ BEAUCOUP DE COCHONS

Au-delà des observations quantitatives et matérielles, le bilan législatif du 108e Congrès ne

peut être utilement dressé que si l'on inscrit sa production dans un contexte critique, en

prenant en compte tant ses acquis que ses défaites (A) et en les rapprochant des tendances

générales des précédents législateurs (B).

A. Heurs et malheurs législatifs de la 108e législature

Placée sous des auspices très favorables aux Républicains, la 108e législature n'est pourtant

pas porteuse d'une production sans part d'ombres. Le contrôle par le même parti des trois

principaux acteurs législatifs et le contexte de guerre n'engagent pas, dans le système

américain, d'engrenage majoritaire susceptible de conditionner l'ensemble du processus

décisionnel. Celui-ci reste plutôt marqué par une logique de compromis, largement

déterminée par le Sénat et, au regard de l'activité législative du 108e Congrès, par une logique

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marchande, imputable tant aux traditions parlementaires du Congrès qu'à son système

électoral et partisan.

1. La logique de compromis

Le pouvoir de légiférer est, aux États-Unis véritablement divisé entre trois acteurs placés sur

un pied d'égalité : la Chambre des Représentants, le Sénat et le Président. Toute loi doit, d'une

façon ou d'une autre, recevoir leur aval ou reposer sur une majorité assez large pour qu'une

opposition éventuelle puisse être contournée. L'existence de majorités simples au sein des

deux chambres n'est, en tous cas, pas suffisante pour assurer le passage de textes controversés.

En cas de résistance du Sénat ou du Président, les soutiens d'une initiative législative doivent

être en mesure de rassembler des majorités renforcées et, donc, dans de nombreuses

hypothèses, de susciter des coalitions. La multiplicité des moments et des instances de

décision implique, en outre, la répétition nécessaire de cette recherche d'alliés et de

compromis. Le 108e Congrès permet d'observer cette dynamique en action.

La première lecture des propositions de loi _ et plus encore la première année de leur

discussion _ obéit à la Chambre des Représentants à une logique majoritaire classique. L'ordre

du jour est placé sous la domination des leaders du parti majoritaire, qui contrôle également,

dans une large mesure, le déroulement de la discussion plénière et, en principe, l'issue des

débats. En période d'unified government, tel que sous la 108e législature, le parti majoritaire

n'a pas à modérer ses ambitions ou à ménager les susceptibilités de la minorité parlementaire.

Bien que la marge de manœuvre des Républicains ait été relativement étroite en 2003-2004,

avec 227 sièges contre 205 pour les Démocrates, les délibérations ont été largement dominées

par une logique conflictuelle. La discussion de la loi Medicare, en 2003, illustre bien ces

affrontements partisans et l'absence de traitement de faveur envers la minorité parlementaire.

Aucun représentant Démocrate ne fut ainsi désigné pour participer aux négociations

bicamérales menées dans le cadre d'une commission mixte.

La logique conflictuelle n'apparaît toutefois pas systématique, comme elle peut l'être dans les

chambres françaises. Même sur des textes majeurs et controversés, les scrutins ne révèlent pas

toujours d'opposition partisane. A l'exception du Federal Jobs Privatizing Act, du Medicare

Prescription Drug, Improvement and Modernization Act, du Federal Aviation Administration

Reauthorization Act et du Increase of the Debt Limit Act de 2004, qui ont donné lieu à des

scrutins très serrés, les autres major bills ont réuni des majorités qui ne reflètent pas

exactement ou pas du tout la division bipartisane de la Chambre des Représentants. Les

appropriations bills relatifs à la défense et aux activités militaires, en particulier, ont fait

l'objet de très larges majorités d'adoption, proches de l'unanimité. Certes, le contexte de

guerre n'est pas étranger à ces résultats, mais il ne les explique qu'en partie seulement. La

lecture des votes, par ailleurs, n'est pas toujours révélatrice de la réalité des controverses et

peut masquer l'existence de débats très disputés. La logique de compromis n'entre, en fait, en

jeu que lorsque la Chambre des Représentants se trouve en désaccord avec le Sénat et/ou le

Président et n'est pas toujours couronnée de succès.

Pour que les négociations bicamérales puissent être entamées, il faut encore que les deux

Chambres aient chacune réussi à adopter un texte, si différents soient-ils. En pratique, si elles

arrivent à ce stade et acceptent, en outre, la réunion d'une commission mixte, la concrétisation

normative de la proposition de loi discutée est en bonne voie. Sous la 108e législature, alors

que 35 major bills ont été adoptés grâce à l'intervention d'une commission mixte, deux projets

considérés comme prioritaires dans le programme législatif du Président Bush (Energy bill et

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Highway bill) n'ont pu, malgré une telle procédure, recevoir l'aval des deux Chambres. Dans

le premier cas, après dix semaines de négociations, la commission mixte réussit, en 2003, à

élaborer un texte de compromis adopté ensuite par la Chambre des Représentants. Le leader

de la majorité sénatoriale, Bill Frist, renonça cependant à le soumettre à l'assemblée plénière,

conscient des risques d'obstruction et de son incapacité à réunir les 60 voix nécessaires à sa

protection contre un filibuster fatal. Dans le second cas, les membres de la commission mixte

faillirent, en 2004, à trouver un accord quant à la répartition des crédits entre les différents

États, marquant ainsi l'échec du 108e Congrès à remplacer le Transportation Equity Act for

the 21st Century Act 1998 devenu pourtant caduc. De manière générale, en l'absence d'un

privilège de « dernier mot » de la Chambre des Représentants, les discussions bicamérales

sont évidemment placées sous la menace du pouvoir de blocage du Sénat. Son poids

déterminant dans l'élaboration du texte final se révèle donc dans les compromis obtenus par le

108e Congrès.

L'influence du Sénat sur le sort législatif des différentes initiatives s'avère encore plus

frappante dans le bilan des échecs de la 108e législature. Presque toutes les propositions de loi

majeures qui n'ont pas pu arriver au terme de la procédure législative doivent leur sort à son

opposition active ou passive. La logique du système américain explique évidemment cette

part prédominante du Sénat dans les défaites législatives. Les major bills sont, en effet, le plus

souvent le fruit du programme législatif du Président et de la majorité parlementaire. La

dynamique majoritaire de la Chambre des Représentants assure donc, en général, leur

passage. Certes, il peut exister des points de désaccords entre la Chambre et le Président, mais

la collaboration entre la Maison Blanche et les leaders de la majorité tend à les désamorcer.

En revanche, une minorité sénatoriale peut faire échec à des textes adoptés par la Chambre et

soutenus par le Président. La seule arme procédurale du leader de la majorité sénatoriale

contre les velléités de filibustering réside dans la clôture, qui ne peut être adoptée que si 60

des 100 sénateurs y souscrivent. Sous la 108e législature, la manœuvre avait peu de chances

de réussite, dans la mesure où le Sénat comptait 51 Républicains pour 48 Démocrates et un

indépendant. L'incapacité à réunir 60 voix et à écarter les risques de filibuster s'avère par

conséquent, dans un tel contexte politique, synonyme de « mise sur la touche » de la

proposition de loi controversée. C'est le sort que connurent l'Energy bill, le Foreign Relations

bill, le Bankruptcy bill, les « Tort Reform » bill, le Cloning Ban bill, ou le Medical

Malpractice bill, des textes pourtant considérés comme prioritaires par le Président et par la

majorité de la Chambre des Représentants.

En principe, l'on sait que ce jeu à trois des acteurs législatifs américains semble donc forcer au

compromis. La pratique révèle pourtant que, sous la 108e législature, il ne se réalise que

lorsque les positions du Sénat ne s'avèrent pas irrémédiablement irréconciliables – pour

quelque raison que ce soit – avec celles des deux autres acteurs législatifs. Si certains

compromis peuvent être néanmoins acquis, c'est souvent au prix de concessions marchandes.

2. La logique marchande : tactiques et moyens de compromis

En l'absence de partis politiques aussi puissants qu'en Europe, il ne peut logiquement exister,

au sein du Congrès américain, de discipline partisane systématique. Les leaders

parlementaires, bien qu'ils ne soient pas démunis de toute arme de direction, ne disposent pas

de moyens de pression aussi persuasifs que ceux de leurs homologues européens. Ce trait est

bien entendu plus accentué encore au Sénat qu'à la Chambre des Représentants. Mais, même

pour cette dernière, le lien privilégié par les parlementaires est à trouver dans leur

circonscription d'élection et non dans la structure politique à laquelle ils sont affiliés. C'est

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donc la première des deux attaches qui détermine, dans une large mesure, leur comportement

législatif. Dans ce contexte, les partisans d'une initiative législative – leaders ou non de la

majorité parlementaire – doivent trouver d'autres recours de persuasion pour obtenir le soutien

nécessaire au passage de la loi visée. La construction de coalitions, souvent indispensable à la

survie des propositions, repose ainsi sur trois principales techniques : le logrolling, le

packaging et le pork-barreling.

S'agissant des propositions de loi secondaires ou mineures, l'élargissement du cercle de

soutien passe, en général, par un recours à la technique de logrolling. Comme le définit

Walter Oleszek, le « logrolling is an exchange of voting support on different bills by different

members of Congress ». Les parlementaires n'ont évidemment pas tous les mêmes priorités

législatives et n'accordent donc pas tous un égal intérêt aux différents textes discutés. Ils

peuvent, par conséquent, monnayer leur soutien à une initiative qu'ils n'entendaient pas

nécessairement défendre mais qui ne heurte pas leurs convictions, dans l'optique

naturellement d'un retour de services. Le terme logrolling est, en général, utilisé dans ce sens

strict d'échanges de bons procédés, sans modification du contenu des textes concernés. Mais,

il est parfois également employé pour désigner tout compromis fondé sur l'échange, entre

individus comme entre institutions.

Le logrolling, dont la principale qualité est de ne pas dénaturer les propositions de loi

auxquelles il est appliqué, trouve toutefois ses limites dans la capacité d'acceptation des

différents parlementaires. Si l'enjeu législatif est important, il y a de fortes chances que les

positions de chacun soient assez tranchées pour empêcher un tel désintérêt quant au fond du

débat. La récolte de voix pour les major bills passe donc par des mesures de persuasion, qui

doivent être assez convaincantes pour susciter les concessions matérielles. En d'autres termes,

s'agissant des major bills, les leaders de la majorité parlementaire et/ou les supporters de

l'initiative controversée doivent rendre celle-ci suffisamment attractive pour que même ses

partisans les plus modérés deviennent prêts à la défendre. L'étude de la 108e législature révèle

que ces conversions reposent souvent sur les techniques du packaging et/ou du pork barreling.

La technique du packaging consiste à associer, dans une même loi, mesures controversées et

dispositions populaires. Ce mélange aigre-doux place les parlementaires devant un véritable

dilemme : rejeter l'ensemble ainsi créé en renonçant dans le même temps à ses éléments les

plus attrayants ou accepter le package en reniant certaines convictions. Le Child Abduction

Prevention Act (2003) et le DNA Testing Act (2004) doivent ainsi largement leur passage à la

concoction savante de textes composites. Le premier, relatif à la prévention contre la

criminalité visant les enfants, avait échoué en 2002, rejeté par le Sénat. La version 2003 fut

donc remaniée dans le but d'obtenir, cette fois, le soutien d'une majorité sénatoriale. Ses

supporters utilisèrent comme véhicule procédural une proposition de loi déjà adoptée par le

Sénat _ relative à la pornographie pédophile cybernétique _ et attachèrent à celle-ci de

nouveaux wagons : des mesures populaires comme celles visant le renforcement du dispositif

AMBER (America's Missing : Broadcast Emergency Response), mais aussi des dispositions

beaucoup plus conflictuelles telle l'instauration d'une peine de prison à perpétuité pour les

récidivistes. Le second texte, qui donne de nouveaux moyens de défense aux individus

condamnés à la peine capitale, est le fruit d'années d'efforts. En 2004, il réussit finalement,

suivant la même tactique, à obtenir les faveurs d'une coalition bipartisane et à recueillir les

voix tant des défenseurs que des partisans de la peine de mort.

La technique du packaging trouve sa forme la plus accomplie dans les omnibus bills, dont le

terrain privilégié est la législation budgétaire. Les leaders de la majorité parlementaires

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peuvent, en effet, insérer des mesures qui n'ont pas pu trouver leur voie de façon indépendante

dans des textes, devenant monstrueux de ce fait, qui doivent absolument être adoptés par le

Congrès. Bien que les appropriations bills ne soient pas, en principe, censés contenir de

dispositions normatives (riders), la règle ne demande en fait qu'à être écartée. Barbara Sinclair

constate, dès lors, que « the budget process has become the mechanism of choice for those

attempting to effect comprehensive policy change ». Les avantages que les leaders de la

majorité parlementaire peuvent tirer du recours aux omnibus bills s'avèrent, en effet,

considérables. Leur qualité de « must-pass legislation » réduit la capacité de pression des

parlementaires _ de la majorité, en particulier _ conscients qu'ils ne peuvent faire obstacle

indéfiniment à leur adoption. La complexité et la longueur des textes ainsi créés rendent, en

outre, presque impossible leur examen approfondi et exhaustif. La technique de l'omnibus,

enfin, réduit le nombre de scrutins déterminants. Lorsque onze appropriations bills sont

associés dans une même proposition de loi, tel que dans le Consolidated Appropriations Act

pour 2003, la Chambre des Représentants ne vote évidemment qu'une fois, par exemple, pour

le passage de la rule resolution. Le 108e Congrès, sans doute plus par nécessité que par

facilité, profita donc massivement de ces avantages pour adopter sa législation budgétaire.

La construction de coalition de soutien peut, en dernier lieu, être facilitée par un système

d'incitation plus personnelle au ralliement ; par l'insertion dans le texte controversé de projets

visant des circonscriptions spécifiques, auxquels les parlementaires concernés ne sauraient

renoncer. Cette technique d'achat de voix, connue sous le nom de pork barreling et mise en

pratique dès la fin du XVIIIe siècle par le Congrès américain, peut évidemment donner une

image assez négative du mode de production de la loi américaine et des acteurs législatifs.

Elle fait dès lors très souvent le feu des critiques les plus acerbes des journalistes politiques.

Pourtant, dans son étude approfondie du système, Diana Evans soutient la thèse que, malgré

ses travers, le pork barreling permet, ironiquement, le passage des propositions d'intérêt

général.

Sous la 108e législature, quatre major bills, en particulier, doivent leur adoption à cette

technique distributive : le Jobs and Growth Relief Reconciliation Act (2003), le DNA Testing

Act (2004) le Consolidated Appropriations Act pour 2005 et surtout le American Jobs

Creation Act (2004). Support de la réforme du régime fiscal applicable aux entreprises, cette

loi détient, pour la période étudiée, le record d'incitations marchandes à l'adoption ; à tel point

que même des parlementaires Républicains la rebaptisèrent « Miss Piggy ». Ce texte est, en

effet, gonflé d'une multitude de faveurs fiscales à destination d'intérêts privés : 169 millions

de dollars d'allègement fiscal pour Puerto Rico company, 519 millions pour des entreprises

aéronautiques ou encore 9 milliards pour General Electric. Pour la 108e législature, si l'on

ajoute à ces lois l'ensemble des appropriations bills, ce sont ainsi plus de 45 milliards de

dollars de fonds fédéraux qui ont été engagés au profit d'intérêts locaux ou privés.

B. _ La 108e une législature comme les autres

Le bilan de la production législative américaine pour une période donnée ne peut donner lieu

à conclusions que si l'échantillon étudié s'avère susceptible de prêter à généralisation. Un

moment choisi est nécessairement unique. Mais cette qualité ne doit pas empêcher sa mise en

perspective. Malgré des spécificités inévitables, aucune excentricité remarquable n'empêche

l'exercice pour la 108e législature. Celle-ci reste, au contraire, conforme aux tendances

dégagées depuis quinze ans par les observateurs du Congrès américain.

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La 108e législature est évidemment marquée par le contexte de guerre ; sa production

législative en porte bien le sceau. Ce dernier apparaît nettement dans la législation budgétaire,

autant dans son contenu que dans sa réception par les Chambres. Sont bien entendu

principalement concernés les appropriations bills relatifs à la défense et aux constructions

militaires. Mais la priorité politique de lutte contre le terrorisme a nécessairement eu des

répercussions budgétaires sur les autres secteurs et sur la dette publique. Malgré les critiques

de la minorité parlementaire, ces textes ont pourtant tous été adoptés par de larges majorités.

D'une manière générale, lorsque ont été discutées les dépenses nécessaires à l'effort de guerre,

le Congrès a, en 2004 comme en 2003, accepté _ sans polémiquer _ les montants demandés

par l'administration Bush. S'agissant du Department of Defense Appropriations Act pour

2004, le Congressional Quarterly Almanac souligne même que « partisan politics played

almost no part in deliberation ». Mais le consensus n'a valu que pour le montant des dépenses.

L'utilisation des fonds a, elle, suscité des controverses, qui n'ont toutefois pas empêché la

promulgation des textes concernés. L'on a déjà mentionné le débat sur la qualité des fonds

engagés pour la reconstruction de l'Irak et de l'Afghanistan. En l'occurrence la commission

mixte _ sous la menace du veto _ s'était ralliée aux positions du président. Concernant

l'utilisation des fonds prévus par l'Emergency Wartime Supplemental Appropriations Act

(2003), le Congrès est, en revanche, allé à l'encontre des demandes de G. W. Bush, en

refusant leur affectation discrétionnaire par l'administration.

L'influence de la guerre sur la production législative se révèle, toutefois, logiquement plus

limitée sous la 108e législature que sous la 107

e. L'agenda législatif reste marqué par la part

importante des textes liés à la politique internationale et à la sécurité. Mais leur discussion est

redevenue l'enjeu de véritables débats partisans. Après le choc du 11 septembre 2001,

Démocrates et Républicains avaient fait front commun, en mettant en avant leur volonté de

collaborer dans la guerre contre le terrorisme, pour assurer le passage le plus preste possible

des mesures d'urgence. Cet effet s'est naturellement atténué, rapidement de surcroît. Dès la

107e législature, le Congressional Quarterly Almanac relevait ainsi que « gradually, the

bipartisan stance all congressional leaders had adopted after the attacks began to break down

».

Loin de se présenter comme une ère de consensus, la 108e législature est, au contraire,

marquée par une forte polarisation partisane, source de taux de cohésion records. Cette

division partisane tranchée trouve, dans une large mesure, son origine dans la marge d'action

limitée du parti majoritaire et dans la radicalisation des partis _ en particulier du parti

Républicain. Le trait n'est pas spécifique à la période étudiée, mais confirme l'ancrage de la

tendance. Plus remarquable, en revanche, pour la 108e législature, s'avère l'affirmation de

cette dynamique partisane au Sénat, à tel point que les observateurs parlementaires

s'inquiètent de la perte de sa fonction modératrice. Le Sénat continue, en tous cas, à brider les

ambitions législatives de la Chambre des Représentants, puisqu'il porte une responsabilité

prédominante dans le bilan des défaites du 108e Congrès.

La période 2003-2004 est, en outre, caractérisée par la coïncidence de majorités

parlementaires et présidentielle Républicaines. Il est donc légitime de s'interroger sur la

possible influence de cette configuration politique sur la production législative du 108e

Congrès. Les traits caractéristiques de celle-ci ne sont-ils généralisables qu'aux législatures

d'unified government ? En matière législative, le taux de succès du président Bush s'avère très

élevé. Le Congressional Quarterly Almanac met même en évidence que « in four years in

office, Bush has enjoyed 81 % success rate on congressional votes, the highest of any

president since Lyndon B. Johnson ». Mais, il faut nuancer ces résultats en insistant sur le

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contexte de guerre, en soulignant l'ambition limitée de son programme de politique intérieure

et en rappelant que nombre de ses priorités législatives sont restées bloquées pendant toute la

période étudiée. Malgré ces statistiques flatteuses, on peut donc remarquer, à l'instar de Yves

Mény et Yves Surel, qu'il « serait erroné de croire que la coïncidence des deux majorités

facilite la tache présidentielle ».

De manière plus générale, la littérature américaine se révèle très divisée sur le rôle de la

dynamique partisane dans le processus législatif. Mais David Mayhew comme Keith Krehbiel

estiment que la production législative d'un unified government ne diffère pas véritablement de

celle d'un divided government. Le dernier insiste, en particulier, sur le fait que les possibilités

de blocages (gridlock) qui caractérisent le système américain valent pour ces deux types de

configuration politique. Ainsi que le résume Barbara Sinclair, « the structure of the American

national government makes legislating difficult ». L'étude de la 108e législature confirme

effectivement que si le Congrès américain s'avère sans doute capable de produire des

éléphants législatifs, ce n'est qu'au terme d'une longue gestation et, le plus souvent grâce à

l'aide précieuse du pork barrel. En attendant leur passage, les acteurs législatifs américains

peuvent bien – sans trop de difficultés et à moindre frais – rebaptiser tous les établissements

publics du pays.

Document 3 : Matt Bai, « A la conquête de la Colline »1, The New York

Times, 7 juillet 2009 (Extrait traduit de l’anglais)

« (…) Agressive, la campagne de séduction que mène Obama auprès du Congrès est

conçue et dirigée par Emanuel [Rahm] qui, en dépit de ses légendaires travers personnels

(…), se révèle étonnamment compétent pour effectuer cette tâche. Emanuel fut conseiller

senior à la Maison Blanche du temps de Clinton, avant d‟être candidat au Congrès et de voir

les démocrates reconquérir avec succès la chambre des représentants, si bien qu‟il est l‟un des

rares hommes politiques qui se sente chez lui d‟un bout à l‟autre de l‟avenue2. « Nous

considérons Rahm comme un membre de la famille », me disait récemment encore Nancy

Pelosi, la présidente [speaker] de la chambre des représentants.

Emanuel s‟est investi d‟une façon inhabituellement personnelle auprès du Congrès.

L‟une des premières choses qu‟il ait faite en tant que chef de cabinet fut de donner son

numéro de portable à chaque sénateur démocrate (de même qu‟à certains républicains), et

d‟apparaître occasionnellement à la chambre des représentants, pour bavarder avec l‟un ou

l‟autre de ses membres. Tout comme Biden3, il continue de s‟entraîner au Capitole, à la salle

de sport de la chambre des représentants, et peut ainsi répondre aux questions des

représentants avec lesquels il court, ou écouter les rumeurs qu‟ils auraient à partager. La

femme d‟Emmanuel et ses trois enfants sont toujours à Chicago (…) si bien que son agenda

est rempli de dîners avec d‟anciens collègues de l‟une ou l‟autre aile de la chambre, souvent

dans l‟un des restaurants branchés du centre-ville qu‟il affectionne.

1 Titre original : « Taking the Hill ». « The Hill » désigne la colline sur laquelle se trouve, à Washington D.C., le

Congrès des Etats-Unis. [NdT] 2 Pennsylvania Avenue relie, à Washington D.C., la Maison Blanche et le Capitole [NdT]

3 Joe Biden, Vice-Président des Etats-Unis.

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Au cours d‟une conversation récente dans son coûteux bureau de l‟Aile Gauche4,

Emanuel m‟a expliqué qu‟ils étaient bien conscients, lorsque lui et l‟équipe de transition se

répartissaient les rôles en vue de l‟arrivée, l‟automne dernier, d‟Obama à la Maison Blanche,

que de nombreux membres de cette équipe avaient des liens d‟amitié avec des membres du

Congrès qu‟Obama pourrait exploiter. « C‟était une stratégie », affirme Emmanuel. « Nous

avions là de nombreuses personnes avec un vaste réseau de contacts tant à la Chambre qu‟au

Sénat, et nous voulions en tirer le maximum d‟avantages (…).

Concernant, par exemple, la réforme du système de santé, l‟administration était bien

introduite dans les deux chambres du Congrès. En plus d‟embaucher Messina5, Obama a

choisi pour directeur législatif Phil Schiliro, qui fut pendant 25 ans le conseiller le plus proche

d‟Henry Waxman. Waxman, président de la commission pour l‟énergie et le commerce, se

trouva être l‟un de ceux qui rédigea, avec Rangel, le projet de loi sur le système de santé de la

Chambre (…). Des douzaines d‟anciens conseillers de haut niveau du Congrès servent

aujourd‟hui dans l‟administration, et plusieurs sont proches du Bureau Ovale : Pete Rouse,

que ses conseillers, en ne plaisantant qu‟à moitié, appellent le 101e sénateur en raison du

pouvoir qu‟il exerçait en tant que chef de cabinet de Daschle6 ; Lisa Konwinski, l‟adjointe de

Schiliro, qui a passé près de dix ans aux côtés d‟un autre sénateur important, Kent Conrad, qui

a présidé la commission du budget ; et Melody Barnes, directrice de la politique intérieure,

que Ted Kennedy jugeait être son assistante la plus digne de confiance. De l‟autre côté du

couloir, dans le Old Executive Office Building, le bureau de la gestion et du budget est dirigé

par Peter Orszag, l‟ancien directeur du bureau du budget du Congrès, et par Rob Nabors,

ancien directeur de la commission des dotations budgétaires de la chambre des représentants.

Ces conseillers sont encouragés par Emanuel à entretenir des relations constantes avec leurs

anciens chefs et collègues de la Colline, pour soutenir le Président ou rassembler les

informations qui circulent dans les halls du Capitole.

« Il y a plusieurs approches différentes » affirme Emmanuel à propos de la façon dont

la Maison Blanche essaye, en général, de s‟attirer les grâces du Congrès. « En premier lieu, si

on regarde en arrière et qu‟on étudie les erreurs de la Maison Blanche, on s‟aperçoit qu‟elle a

tout misé sur le leadership, sans aller au-delà ». Par « tout misé sur le leadership », Emanuel

entend la tendance des équipes précédentes de la Maison Blanche à se concentrer uniquement

sur le concours des leaders de chaque commission plutôt que de construire des relations avec

chacun des membres du Congrès. « Ce que je veux dire, c‟est que s‟il y a une chose qui fut

une erreur sous la Président Clinton », dit-il, « c‟est que l‟on s‟est focalisé beaucoup trop tôt

sur un petit nombre de présidents de commission »

La seconde approche d‟Emmanuel est de faire bon usage, en les employant à bon

escient, des avantages stratégiques dont dispose la Maison Blanche elle-même. Ainsi du

cinéma de la Maison Blanche, où les invités peuvent regarder des films et des évènements

sportifs ; des dîners officiels d‟Etat ; des petites réunions dans la première résidence de la

famille, auxquelles les épouses peuvent se joindre ; des tickets pour participer à la chasse aux

œufs de Pâques organisée pour les enfants ; des tickets pour participer aux visites de la

Maison Blanche, que les membres du Congrès aiment offrir à leurs électeurs. Ces prix ne sont

pas distribués au hasard ou, comme c‟était le cas sous la président de Bush, délivrés comme

des récompenses aux alliés qui avaient fait montre de la loyauté requise. Dans

4 Aile gauche de la Maison Blanche, connue sous le terme de « The West Wing », dans laquelle sont situés le

bureau du Président et de ses plus proches conseillers [NdT] 5 Jim Messina, adjoint en chef de l‟équipe opérationnelle du Président Obama de 2009 à 2011 [NdT]

6 Tom Daschle, sénateur du Dakota du Sud de 2001 à 2005.

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l‟administration Obama telle qu‟elle se met en place, ils sont considérés avec attention et

décomptés avec obsession. Emanuel organise une réunion quotidienne durant laquelle les

conseillers évoquent les lois en attente d‟être votées, et c‟est souvent à cette occasion que sont

accordés ces avantages. « Nous avons un système de suivi » me dit Emanuel. « Qui est venu

regarder le match de football ? Qui est venu regarder le match de basketball ? »

Souvent, durant mes visites à la Maison Blanche cet hiver, alors que le Congrès

débattait du premier texte sur la stimulation [de l‟économie] et le budget du président, j‟ai vu

comment, les uns après les autres, de grands bus, entourés des policiers à moto du Capitole,

s‟arrêtaient à la porte nord-ouest de la Maison Blanche pour y déposer une délégation du

Congrès venue s‟entretenir personnellement avec Obama. D‟après le bureau des affaires

législatives, qui conserve les traces de ces visites, à la mi-mai, ce sont quelques 320 membres

du Congrès et environ 80 sénateurs qui sont venus à la Maison Blanche depuis qu‟Obama en a

les clefs.

Parmi tous les avantages que la Maison Blanche a à sa disposition, aucun n‟a plus de

valeur, bien sûr, qu‟un président (…) dont le taux de satisfaction est de 60% (…). Obama

n‟est pas aussi bavard que Clinton, et ne distribue pas les surnoms comme Bush. Il a, plutôt,

impressionné les législateurs grâce à sa manière directe, entrepreneuriale, et une apparente

déférence envers la branche législative. Alors qu‟Obama hésitait à nommer Sonia Sotomayor

ou quelqu‟autre juriste à la Cour Suprême le mois dernier, il a appelé personnellement chaque

membre de la commission des affaires judiciaires, accordant à leur avis un poids qui a

impressionné des sénateurs de longue date. « C‟est la toute première fois que j‟ai été appelé

par un président, républicain ou démocrate, pour une nomination à la Cour Suprême », a

déclaré Charles Grassley, le sénateur républicain de l‟Iowa, à Peter Baker et Adam Nagourney

du Times après que la nomination de Sotomayor fut annoncée. L‟une des marques du style

Obama, durant ces premiers mois, fut de rencontrer des sénateurs clés, sans l‟aréopage de

conseillers qui sont presque systématiquement présents aux réunions organisées dans le

Bureau Ovale. Trois sénateurs avec lesquels j‟ai parlé, dont Baucus, ont été impressionnés par

cette tactique ; cela implique une égalité entre les branches du gouvernement et permet à

Obama d‟établir des liens personnels plus rapidement qu‟il ne le pourrait sinon (…). Les

conseillers, bien sûr, détestent généralement que leurs patrons se rencontrent seuls ; la règle

de base parmi les conseillers est qu‟il ne faut jamais laisser des hommes politiques seuls dans

une pièce dans laquelle ils pourraient dire des choses, ou conclure des accords, sur lesquels il

serait ensuite difficile de revenir. Quand j‟ai demandé à Emanuel s‟il préférerait que le

président ait quelqu‟un à ses côtés lorsqu‟il négocie seul à seul avec des législateurs, il a

esquissé un sourire forcé. « Je préfère ce qu‟il préfère », a répondu, d‟une façon

inhabituellement diplomatique, le chef de cabinet (…) »

Document 4 : Extrait de l’arrêt Marbury v. Madison 5 U.S. (1 Cranch) 137

(1803)

La question de savoir si un acte contraire à la Constitution peut devenir la loi du pays

est une question d‟intérêt essentiel pour les Etats-Unis ; mais, fort heureusement, dont la

difficulté est moindre que celui-ci. Pour la résoudre, il n‟est besoin que de rappeler certains

principes depuis longtemps fermement établis.

Que le peuple ait le droit originaire d‟établir son futur gouvernement sur les principes

qui, d‟après lui, permettront d‟atteindre son bonheur, est le fondement sur lequel repose toute

la société américaine. La mise en œuvre de ce droit originaire exige une grande énergie et, de

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ce chef, ne peut, ni ne doit être répétée fréquemment. Aussi bien les principes qui sont ainsi

établis sont-ils considérés comme fondamentaux. Et comme l‟autorité dont ils émanent est

suprême, et ne peut agir qu‟exceptionnellement, les principes en question sont conçus pour

être permanents.

La volonté originaire et suprême organise le gouvernement, et assigne aux différents

pouvoirs leurs compétences respectives. Elle peut soit s‟arrêter là, soit établir des limites que

ces pouvoirs ne devront pas dépasser.

Le gouvernement des Etats-Unis ressort du deuxième modèle. Les compétences du

pouvoir législatif sont définies et limitées ; et c‟est pour que ces limites ne soient pas ignorées

ou oubliées que la Constitution est écrite. A quoi servirait-il que ces pouvoirs soient limités et

que ces limites soient écrites si ces dites limites pouvaient, à tout moment, être outrepassées

par ceux qu‟elles ont pour objet de restreindre ? Lorsque ces limites ne s‟imposent pas aux

personnes qu‟elles obligent et lorsque les actes interdits et les actes permis sont également

obligatoires, il n‟y a plus de différence entre un pouvoir limité et un pouvoir illimité. C‟est

une proposition trop simple pour être contestée que, soit la Constitution l‟emporte sur la loi

ordinaire qui lui est contraire, soit le pouvoir législatif peut modifier la Constitution au moyen

d‟une loi ordinaire.

Entre ces deux possibilités, il n‟y a pas de troisième voie. Ou la Constitution est un

droit supérieur, suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou elle est sur le même plan

que la loi ordinaire et, à l‟instar des autres lois, elle est modifiable selon la volonté de la

législature.

Si c‟est la première partie de la proposition qui est vraie, alors une loi contraire à la

Constitution n‟est pas du droit ; si c‟est la deuxième qui est vraie, alors les constitutions

écrites ne sont que d‟absurdes tentatives de la part des peuples de limiter un pouvoir par

nature illimité.

Il est certain que ceux qui élaborent les constitutions écrites les conçoivent comme

devant former le droit fondamental et suprême de la nation, et que, par conséquent, le principe

d‟un tel gouvernement est qu‟un acte législatif contraire à la Constitution est nul.

Ce principe est consubstantiel à toute Constitution écrite et doit, par conséquent, être

considéré par cette Cour comme l‟un des principes fondamentaux de notre société. Il ne faut

donc pas le perdre de vue dans la poursuite de l‟examen du sujet.

Si un acte du pouvoir législatif, contraire à la Constitution, est nul, doit-il, nonobstant

sa nullité, être considéré comme liant les juges et oblige-t-il ceux-ci à lui donner effet ? Ou, en

d‟autres termes, bien qu‟il ne soit pas du droit, constitue-t-il une règle qui serait en vigueur

comme s‟il en était ? Ce serait renverser en fait ce qui est établi en théorie ; et cela

constituerait, à première vue, une absurdité trop énorme pour qu‟on y insistât. Il faut pourtant

y consacrer une réflexion plus attentive.

C‟est par excellence le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu‟est le

droit. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent par nécessité expliquer et

interpréter cette règle. Lorsque deux lois sont en conflit, le juge doit décider laquelle des deux

s‟applique.

Dans ces conditions, si une loi est en opposition avec la Constitution, si la loi et la

Constitution s‟appliquent toutes les deux à un cas particulier ; de telle sorte que le juge doit,

soit décider de l‟affaire conformément à la loi et écarter la Constitution, soit décider de

l‟affaire conformément à la Constitution et écarter la loi ; le juge doit décider laquelle de ces

deux règles en conflit gouverne l‟affaire. C‟est là l‟essence même du devoir judiciaire.

Si donc les juges doivent tenir compte de la Constitution, et si la Constitution est

supérieure à la loi ordinaire, c‟est la Constitution, et non pas la loi ordinaire, qui régit l‟affaire

à laquelle toutes les deux s‟appliquent.

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Ceux qui contestent le principe selon lequel la Constitution doit être tenue par le juge

comme une loi suprême en sont réduits à la nécessité de soutenir que les juges doivent ignorer

la Constitution et n‟appliquer que la loi.

Cette doctrine minerait les fondements mêmes de toutes les Constitutions écrites. Elle

considérerait qu‟un acte, selon les principes et la théorie de notre gouvernement, est

entièrement nul, est néanmoins, en pratique, obligatoire en tous points. Elle admettrait que, si

le pouvoir législatif venait à faire ce qui est expressément défendu, cet acte, nonobstant

l‟interdiction absolue, serait en réalité effectif. Elle donnerait en pratique au pouvoir législatif

une omnipotence considérable tout en prétendant restreindre ses pouvoirs dans d‟étroites

limites. C‟est assigner des limites et déclarer dans le même temps que ces limites peuvent être

outrepassées à volonté.

Que cela réduise à rien ce que nous tenons pour le plus grand progrès de nos

institutions politiques – une Constitution écrite – serait déjà en soi suffisant en Amérique – où

les constitutions écrites sont considérées avec un tel respect – pour rejeter cette doctrine. Mais

les dispositions expresses de la Constitution des Etats-Unis fournissent des arguments

additionnels en ce sens.

Le pouvoir judiciaire des Etats-Unis s‟étend à toutes les affaires survenues sous

l‟empire de la Constitution.

Les auteurs de cette attribution de pouvoir auraient-ils pu vouloir dire qu‟en l‟exerçant

les juges devraient s‟abstenir de rechercher dans la Constitution ? Qu‟une affaire survenue

sous l‟empire de la Constitution devrait être examinée sans considération pour l‟instrument

sous l‟empire duquel elle est née ?

Une telle absurdité ne saurait être maintenue.

Dans certains cas, en effet, les juges doivent examiner la Constitution. Et s‟il leur est

loisible de l‟ouvrir, quelles en sont les parties qu‟il leur est interdit de lire ou d‟appliquer ?

Il y a beaucoup d‟autres parties de la Constitution qui peuvent illustrer le propos.

Il est dit : « Nul impôt ou droit ne sera levé sur les articles exportés d‟un Etat

quelconque. » Supposons qu‟un impôt soit levé sur l‟exportation du coton, du tabac, ou de la

farine, et qu‟une action en justice soit formée, pour en obtenir le remboursement. Un

jugement devrait-il être rendu dans un cas pareil ? Les juges devraient-ils fermer leurs yeux

sur la Constitution, et ne voir que la loi ?

La Constitution prévoit : « Aucune loi portant condamnation sans jugement ou à effet

rétroactif ne sera adoptée. »

Si, néanmoins, une telle loi était adoptée et qu‟elle servît de fondement à la poursuite

d‟une personne, la Cour devrait-elle condamner à mort les victimes que la Constitution

cherche à protéger ?

« Nul, dit la Constitution, ne sera convaincu de trahison, à moins de la déposition de

deux témoins sur le même acte patent, ou de son propre aveu en audience publique. » Ici, le

texte de la Constitution s‟adresse tout particulièrement aux tribunaux. Il leur impose

directement une règle de preuve absolue. Si le législateur changeait cette règle, et prévoyait

qu‟un témoin, ou qu‟un aveu hors du prétoire suffirait pour emporter condamnation, le

principe constitutionnel devrait-il céder devant la loi ?

De ces extraits, et de bien d‟autres qui pourraient être faits, il est clair que les auteurs

de la Constitution ont envisagé cet instrument comme une règle de conduite tant pour les

tribunaux que pour le législateur.

Autrement, quelle pourrait être la raison d‟obliger les juges à faire serment de lui rester

fidèle ? Il n‟est pas douteux que le serment s‟applique, à titre tout particulier, à leur

comportement dans l‟exercice de leurs fonctions officielles. Qu‟il serait immoral de le leur

imposer s‟ils devaient être utilisés comme les instruments, mieux, comme les instruments

conscients d‟une violation des principes qu‟ils ont juré de défendre !

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De même, le serment qui leur est imposé par la loi à l‟occasion de leur prise de

fonction est un témoignage probant de l‟opinion du législateur lui-même sur le sujet. Il est

formulé en ces termes : « Je jure solennellement que je rendrai la justice sans considération de

personnes, que je ferai également droit au pauvre et au riche ; et que je m‟acquitterai

fidèlement et impartialement des fonctions qui m‟incombent en tant que…, au mieux de mes

capacités et de mon entendement, conformément à la Constitution, et aux lois des Etats-

Unis. »

A quoi servirait-il qu‟un juge fasse serment d‟accomplir ses fonctions conformément à

la Constitution des Etats-Unis si cette Constitution ne lui tenait pas lieu de règle de conduite ?

Si elle lui était fermée et ne pouvait pas être examinée par ses soins ?

Si c‟était réellement le cas, la situation serait plus grave qu‟une solennelle parodie.

Imposer ou prêter ce serment serait également criminel.

Il n‟est pas non plus complètement inutile de remarquer que dans ce qui est considéré

comme la loi suprême du pays, c‟est la Constitution elle-même qui est d‟abord mentionnée, et

non pas les lois des Etats-Unis en général ; mais seules les lois prises en application de la

Constitutions sont placées au même rang.

Ainsi, la terminologie particulière de la Constitution des Etats-Unis confirme et

renforce le principe, présumé essentiel dans toutes les constitutions écrites, qu‟une loi

contraire à la Constitution est nulle ; et que les tribunaux, aussi bien que les autres ministères,

sont liés par cet instrument.

L‟ordonnance adressée au secrétaire d‟Etat est annulée.

Document 5 : Extrait de l’arrêt Bush v. Gore traduit par Julien Boudon et

David Mongoin dans la Revue du droit public et de la science politique en

France et à l’étranger, n° 4, 2008, pp. 1110-1118.

Cour suprême des États-Unis

George W. Bush, et alii, demandeurs, v. Albert Gore, Jr., et alii

sur writ of certiorari adressé à la Cour suprême de Floride

[12 décembre 2000]

[531 U.S 98 (2000) ; 121 S. Ct. 525]

Per Curiam

Le 8 décembre 2000, la cour suprême de Floride a ordonné que la cour de circuit du

comté de Leon recompte manuellement 9 000 bulletins dans le comté de Miami-Dade. Elle a

également ordonné l‟inclusion dans le nombre total des bulletins certifiés de 215 bulletins du

comté de Palm Beach et de 168 du comté de Miami-Dade en faveur du vice-président Albert

Gore, Jr., et du sénateur Joseph Lieberman, candidats démocrates à la présidence et à la vice-

présidence. La cour suprême a relevé que le demandeur, le gouverneur George W. Bush,

affirmait que le gain pour le vice-président Gore était de 176 votes dans le comté de Palm

Beach et a ordonné à la cour de circuit de résoudre le conflit sur renvoi. […] La cour a ensuite

noté que ce recours exigeait un recomptage manuel dans tous les comtés de Floride où les

dénommés undervotes7 n‟avaient pas fait l‟objet d‟un recomptage manuel. La cour a ordonné

7 Sur la définition des bulletins « undervotes » et « overvotes », voir l‟introduction ci-dessus.

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le recomptage manuel immédiat8. Le gouverneur Bush et Richard Cheney, candidats

républicains à la présidence et à la vice-présidence, ont introduit une requête en urgence pour

suspendre cette injonction. Le 9 décembre, nous avons accepté la requête et l‟avons

considérée comme une pétition pour un writ of certiorari, et accordé le writ of certiorari9.

[…]

Les faits ayant conduit à la controverse actuelle sont discutés en détail dans notre

opinion Bush v. Palm Beach County Canvassing Board […] (Bush I)10

. Le 8 novembre 2000,

le jour suivant l‟élection présidentielle, le Département des élections de Floride a annoncé que

le demandeur, le gouverneur Bush, avait obtenu 2 909 135 voix, et le défendeur, le vice-

président Gore, 2 907 351 voix, soit une marge de 1 784 voix en faveur du gouverneur Bush.

Parce que l‟avance du gouverneur Bush était inférieure à « 0,5 % (…) des voix comptées »,

un recomptage mécanique automatique était mené en vertu du § 102-141 (4) du code

électoral, dont les résultats ont montré que le gouverneur Bush remportait toujours la victoire

mais avec une avance moindre. Le vice-président Gore a alors demandé des recomptages

manuels dans les comtés de Volusia, Palm Beach, Broward et Miami-Dade, conformément

aux dispositions électorales de l‟État de Floride. Loi de Floride, § 102.166 (2000). Un litige

est né au sujet de la date butoir imposée aux bureaux électoraux de comtés pour soumettre

leurs renvois au Secrétaire d‟État (Secrétaire). Le Secrétaire a refusé de déplacer la date butoir

du 14 novembre fixée par la loi. §§ 102.111, 102.112. La cour suprême de Floride a

cependant repoussé la date butoir au 26 novembre. Nous avons accordé le writ of certiorari et

annulé la décision de la cour suprême de Floride en raison des fondements très incertains sur

lesquels elle était basée. […] Le 11 décembre, la cour suprême de Floride a rendu une

décision sur renvoi réinstaurant cette date11

. […]

Le 26 novembre, la commission électorale de Floride a certifié les résultats de

l‟élection et a déclaré le gouverneur Bush vainqueur des 25 votes présidentiels de Floride. Le

27 novembre, le vice-président Gore, conformément à la procédure contentieuse de Floride, a

introduit une requête devant la cour de circuit du comté de Leon pour contester la

certification. Loi de Floride, § 102.168 (2000). Il a demandé satisfaction conformément au

§ 102.168 (3)(c), lequel prévoit que « la constatation d‟un nombre de votes invalides [illegal]

ou le rejet d‟un nombre de suffrages valides [legal] suffisant pour changer ou mettre en doute

le résultat de l‟élection » pourra servir de fondement à une contestation. La cour de circuit a

refusé de donner satisfaction, établissant que le vice-président Gore avait échoué à remplir la

charge de la preuve lui incombant. Il a fait appel devant la cour d‟appel du premier district,

qui a soumis l‟affaire à la cour suprême de Floride.

Se reconnaissant compétente, la cour suprême de Floride a confirmé d‟une part et

cassé de l‟autre. Gore v. Harris […] La cour a établi que la cour de circuit avait rejetté à bon

droit la contestation par le vice-président Gore des résultats certifiés dans le comté de Nassau

et aussi sa contestation du jugement du bureau électoral du comté de Palm Beach selon lequel

3 300 suffrages décomptés dans le comté n‟étaient pas, aux termes de la loi, des « votes

valides ».

La cour suprême a établi que le vice-président Gore avait rempli la charge de la preuve

en vertu du § 102.168 (3)(c) en ce qui concernait sa requête contre l‟échec du comté de

8 Gore v. Harris, 772 So. 2d 1243 (8 décembre 2000). 9 Bush. v. Gore, 531 U.S. 1046, 121 S. Ct. 512 (9 décembre 2000). 10 Bush v. Palm Beach County Canvassing Board, 531 U.S 70, 121 S. Ct. 471 (4 décembre 2000). 11 Palm Beach County Canvassing Board v. Harris, 772 So. 2d 1273 (11 décembre 2000).

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Miami-Dade à compter, manuellement, 9 000 suffrages pour lesquels les machines avaient

échoué à déterminer un vote pour le président (« undervotes »). […] Notant le caractère serré

de l‟élection, la cour a expliqué que « dans cette hypothèse, il est certain qu‟il y a des votes

valides parmi les 9 000 suffrages non comptés et qu‟ils sont propres à mettre en doute les

résultats de cette élection ». […]. Un « vote valide », selon la cour suprême, est « celui dans

lequel est exprimée une intention claire de la volonté de l‟électeur ». […] En conséquence, la

cour a ordonné le recomptage manuel des 9 000 bulletins du comté de Miami-Dade.

Considérant que les dispositions contentieuses donnent toute liberté au juge de circuit pour

« accorder toute satisfaction en fonction des circonstances », Loi de Floride,

§ 102.168(8) (2000), la cour suprême a ensuite établi que la cour de circuit pouvait ordonner

au « Superviseur des élections et aux bureaux électoraux, ainsi qu‟à tous les fonctionnaires

publics concernés, dans tous les comtés n‟ayant pas conduit un recomptage manuel des

undervotes (…) de le faire immédiatement, le recomptage devant être opéré dans les comtés

où se trouvent les bulletins ». […]

La cour suprême a aussi établi que les deux comtés de Palm Beach et de Miami-Dade,

lors de leurs premiers recomptages manuels, avaient donné un gain de 215 et 168 votes

valides pour le vice-président Gore […]. Repoussant la conclusion de la cour de district selon

laquelle le comté de Palm Beach ne pouvait inclure les 215 votes décomptés après la date

butoir du 26 novembre, la cour suprême a expliqué que la date butoir n‟avait pas pour objectif

d‟exclure les votes décomptés après cette date du fait de recomptages manuels postérieurs. De

même pour le comté de Miami-Dade, la cour a conclu que bien que les 168 votes identifiés

étaient le résultat d‟un recomptage partiel, ils étaient des « votes valides [qui] pouvaient

changer le résultat de l‟élection ». […] La cour suprême a par conséquent ordonné à la cour

de circuit d‟inclure ces 168 votes dans les résultats certifiés, correspondant au vote total

effectif une fois compris le recomptage partiel de Miami-Dade.

La requête pose les questions suivantes : la cour suprême de Floride n‟a-t-elle pas

établi de nouveaux standards pour résoudre les contestations électorales relatives à la

présidentielle, violant ainsi l‟article II, § 1, cl. 2 de la Constitution des États-Unis et

contredisant 3 U.S.C. § 5 ?12

Et les recomptages manuels sans standard ne violent-ils pas les

clauses d‟égale protection et de garantie juridique convenable [due process]13

? En ce qui

concerne la protection égale, nous concluons à une violation de la clause d‟égale protection.

II

A

Le caractère très serré de la présente élection et la multitude de contestations

juridiques qu‟elle a emportées dans son sillage ont mis en évidence un phénomène courant,

qui était cependant jusque-là passé inaperçu. Les statistiques nationales révèlent qu‟environ

2 % des votes émis n‟enregistrent aucun vote pour un président – quelle qu‟en soit la raison :

qu‟il s‟agisse d‟un refus délibéré de choisir un candidat ou d‟une erreur de l‟électeur, ainsi

lorsqu‟il vote pour deux candidats ou qu‟il ne poinçonne pas de façon suffisante le bulletin.

[…] Dans les résultats électoraux certifiés, les votes susceptibles d‟être certifiés sont ceux qui

satisfont aux conditions légales.

12 « U.S.C. » renvoie au United States Code, au code des lois fédérales. 13 Nous retenons la traduction de « Due Process (of the Laws) » proposée par Stéphane Rials (Textes constitutionnels

étrangers, 12e éd., Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2005, p. 45 et 47).

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Cette affaire a montré que les machines électorales chargées de perforer les bulletins

peuvent produire un nombre regrettable de bulletins qui ne sont pas perforés par l‟électeur de

manière nette et précise. Après le recomptage en cause, il est probable que les corps législatifs

dans l‟ensemble du pays envisageront des méthodes pour améliorer les mécanismes et les

machines de vote.

B

Le citoyen n‟a aucun droit constitutionnel fédéral de voter pour les grands électeurs

qui désigneront le Président des États-Unis, à moins et pas avant que la législature de l‟État

n‟ait choisi la voie de l‟élection pour mettre en œuvre son pouvoir de nommer les membres du

collège électoral. Constitution fédérale, article II, § 1. C‟est le fondement de l‟attendu dans

McPherson v. Blacker, 146 U.S. 1, 35 (1892), selon lequel le pouvoir de la législature d‟État

pour décider de la manière de désigner ses grands électeurs est entier ; elle peut, si elle en

décide ainsi, sélectionner elle-même les grands électeurs, ce qui a été la voie progressivement

empruntée par de nombreuses législatures d‟État depuis la rédaction de notre Constitution.

[…] L‟histoire a tranché en faveur de l‟électorat, et dans tous les États les citoyens votent eux-

mêmes pour les grands électeurs. Quand la législature de l‟État donne le droit de vote pour

l‟élection présidentielle au peuple de l‟État, ce droit de vote ainsi conféré par la législature est

fondamental, et une des raisons de sa nature fondamentale réside dans le poids égal accordé à

chaque vote et dans la dignité égale due à chaque électeur. L‟État, bien sûr, après en avoir fait

la concession dans le contexte particulier de l‟article II, peut reprendre le pouvoir de désigner

les grands électeurs. […]

Le droit de vote est protégé au-delà de son attribution initiale. La clause d‟égale

protection s‟applique aussi à la manière dont il est exercé. Une fois que le droit de vote est

accordé de façon égale, l‟État ne peut pas, par un traitement ultérieur arbitraire et disparate,

attribuer une valeur plus grande au vote d‟une personne qu‟à celui d‟une autre. Voyez, par

exemple, Harper v. Virginia Bd. Of Elections, 383 US 663, 665 (1966) (“Une fois que le droit

de suffrage a été accordé aux électeurs, on ne doit pas franchir les limites de la clause d‟égale

protection du XIVe amendement”). Il faut se rappeler que “le droit de suffrage peut être aussi

bien nié par une altération ou dilution du poids du vote des électeurs que par une interdiction

pure et simple du libre exercice du droit de vote”. Reynolds v. Sims, 377 US 533, 555 (1964).

Il n‟y a pas de désaccord entre les deux parties en conflit au sujet de ces propositions

fondamentales. Les défendeurs disent que le but même de la défense du droit de vote justifie

les procédures de recomptage actuellement en cours. La question pendante est cependant de

savoir si les procédures de recomptage décidées par la cour suprême de Floride sont

conformes à son obligation de proscrire tout traitement arbitraire et disparate des électeurs de

Floride.

L‟essentiel de la controverse semble tourner autour des cartes de vote destinées à être

perforées par une pointe mais qui, soit par erreur, soit par omission volontaire, n‟ont pas été

perforées avec une précision suffisante pour que la machine puisse les compter. Dans certains

cas, une partie de la carte – un confetti [a chad] – reste accrochée, disons par deux coins.

Dans d‟autres cas, il n‟y a pas de perforation du tout, mais une bosselure [an indentation].

La cour suprême de Floride a ordonné que l‟intention de l‟électeur soit déterminée à

partir de ces bulletins. Pour trancher la question de l‟égale protection, il n‟est pas nécessaire

de décider si, en vertu de la loi sur le contentieux électoral, la cour suprême de Floride avait

l‟autorité pour définir ce qu‟est un vote valide et pour ordonner un recomptage manuel en

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conformité avec cette définition. Les mécanismes de recomptage utilisés en application des

décisions de la cour suprême de Floride ne satisfont pas aux exigences minimales d‟un

traitement impartial des électeurs nécessaires pour garantir leur droit fondamental. En Floride,

la principale exigence pour le décompte des votes enregistrés comme valides est de considérer

“l‟intention de l‟électeur”. Gore v. Harris […]. En tant que proposition abstraite et principe de

base, cela ne suscite pas d‟objection. Le problème se situe dans l‟absence de standards précis

pour assurer une application égale. La formulation de règles uniformes pour déterminer

l‟intention dans ces circonstances récurrentes est possible et, selon nous, nécessaire.

La loi n‟empêche pas de rechercher l‟intention de l‟électeur dans une multitude de

circonstances ; dans certaines hypothèses, l‟injonction générale de prouver l‟intention est

insusceptible de plus de raffinement. Dans cette affaire, cependant, la question n‟est pas de

croire un témoin mais d‟interpréter les marques, trous ou éraflures d‟un objet inanimé, un

morceau de carte ou de papier qui, comme cela a été dit, n‟aurait pas été enregistré comme un

vote au cours du comptage mécanique. L‟enquêteur se confronte à une chose, pas à une

personne. La recherche de l‟intention doit être enfermée dans des règles spéciales chargées

d‟assurer un traitement uniforme.

L‟absence de telles règles a conduit ici à une évaluation inéquitable des bulletins à

plusieurs égards. Voyez Gore v. Harris […] Ainsi que cela a été, semble-t-il, reconnu

oralement, les standards pour accepter ou rejeter les bulletins contestés n‟auraient pas

seulement varié d‟un comté à l‟autre mais aussi à l‟intérieur d‟un même comté, d‟une équipe

de recomptage à une autre.

Le dossier en fournit quelques exemples. Un contrôleur du comté de Miami-Dade a

témoigné au procès qu‟il avait observé que trois membres du bureau électoral du comté

avaient appliqué des standards différents pour définir un vote valide. […] Un témoignage au

procès a aussi révélé qu‟au moins un comté avait changé ses standards d‟évaluation durant le

recomptage. Le comté de Palm Beach, par exemple, a commencé le recomptage avec un guide

de 1990 qui écartait du décompte les confettis complètement attachés, puis en est venu à une

règle considérant valide tout bulletin à partir du moment où de la lumière pouvait être vue à

travers le confetti, puis est revenu à la règle de 1990, avant d‟abandonner toute règle en soi –

c‟est finalement en vertu d‟une décision de justice que le comté a considéré les confettis

bosselés comme valides. Ceci ne constitue pas un processus offrant des garanties suffisantes

d‟un traitement égal.

Une affaire antérieure au sujet de notre jurisprudence « une personne, une voix » s‟est

présentée lorsqu‟un État a pratiqué un traitement arbitraire et disparate entre les électeurs de

ses divers comtés. Gray v. Sanders, 372 US 368 (1963). La Cour y avait vu une violation de

la Constitution. Nous nous sommes fondés sur ces principes dans le contexte de la sélection

présidentielle dans Moore v. Ogilvie, 394 US 814 (1969), quand nous avons censuré une

procédure qui diminuait l‟influence des citoyens des plus grands comtés dans le processus de

nomination. Nous observions que « l‟idée qu‟un groupe puisse recevoir un poids électoral

plus grand qu‟un autre est contraire à la règle “un homme, une voix” de notre gouvernement

représentatif ». […]

La cour suprême de l‟État a cautionné ce traitement inégal. Elle a ordonné que

l‟ensemble des bulletins ainsi comptés dans deux comtés, Miami-Dade et Palm Beach, soit

inclus dans le résultat certifié. La cour semble passer sous silence que le recomptage total des

bulletins du comté de Broward, qui n‟a pas été complété avant le 14 novembre, jour

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initialement déterminé pour la certification par le Secrétaire d‟État, devait être considéré

comme une part du nouveau nombre total de votes certifiés même si la certification par le

comté n‟était pas contestée par le vice-président Gore. Alors, chacun des comtés usait de

standards différents pour déterminer ce qu‟était un vote valide. Le comté de Broward utilisait

un standard beaucoup plus souple que le comté de Palm Beach, et découvrait presque trois

fois plus de nouveaux votes, un résultat remarquablement disproportionné en comparaison de

la différence de population entre les deux comtés.

En outre, les recomptages dans ces trois comtés ne se sont pas limités aux dénommés

undervotes mais étendus à tous les bulletins. La différence n‟est pas sans conséquences. Un

recomptage manuel de tous les bulletins porte non seulement sur ces bulletins qui n‟indiquent

aucun vote mais aussi sur ceux qui en indiquent plus d‟un, les dénommés overvotes. Aucune

des deux catégories ne sera comptée par les machines. Ce n‟est pas un souci mineur. Lors de

leur plaidoirie, les défendeurs ont estimé qu‟il existait plus de 110 000 overvotes dans l‟État.

Par conséquent, un citoyen, dont le bulletin n‟a pas été lu par la machine parce qu‟il a échoué

à voter pour un candidat de façon lisible pour la machine, pourra voir néanmoins son vote

compté lors d‟un recomptage manuel ; d‟un autre côté, un citoyen qui a indiqué deux

candidats de façon lisible par la machine n‟aura pas la même chance de voir son vote compté,

même si un examen manuel de son bulletin devait se conformer au critère exigé pour révéler

l‟intention. Bien plus, le citoyen qui a indiqué deux candidats, dont un seul a été lu par la

machine, aura vu son vote compté alors même que celui-ci aurait dû être considéré comme un

vote invalide. L‟inclusion par la cour suprême de l‟État de recomptages basés sur ces

standards changeants justifie les inquiétudes au sujet des remèdes choisis.

Cela conduit l‟analyse à un autre problème d‟égale protection. Les votes certifiés par

la cour incluaient le résultat partiel d‟un comté, celui de Miami-Dade. La décision de la cour

suprême de Floride ne donne aucune assurance que le recomptage inclus dans la certification

finale sera bien complet. En fait, c‟est l‟argument des défendeurs qui serait en accord avec les

règles de recomptage pour inclure tous les recomptages partiels effectués jusqu‟au moment de

la certification finale, et nous interprétons la décision de la cour suprême de Floride comme

l‟autorisant. […] Cet accommodement résulte sans doute de la période contentieuse tronquée

établie par la cour suprême de Floride […], en réponse à la situation d‟urgence alléguée par

les défendeurs. L‟urgence n‟enlève rien à la préoccupation constitutionnelle. La volonté

d‟aller vite n‟est pas une excuse pour ignorer les garanties de l‟égale protection.

En plus de ces difficultés, le processus actuel par lequel les voix devraient être

comptées en vertu de la décision de la cour suprême de Floride fait naître d‟autres

inquiétudes. Cette injonction n‟a pas indiqué qui devrait recompter les bulletins. Les bureaux

électoraux des comtés ont dû mettre sur pied des équipes spéciales composées de juges de

divers circuits qui n‟avaient pas de formation antérieure pour manipuler et interpréter les

bulletins. Bien plus, alors que d‟autres équipes étaient autorisées à observer, elles ne

pouvaient pas faire d‟objections pendant le recomptage.

Le recomptage, selon ses caractéristiques ici indiquées, ne respecte pas les procédures

minimales nécessaires pour protéger le droit essentiel de chaque électeur dans l‟hypothèse

particulière d‟un recomptage étatique sous l‟autorité d‟un seul officier judiciaire de l‟État.

Notre examen est limité aux présentes circonstances parce que le problème de l‟égale

protection en matière électorale est en général très complexe.

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La question posée à la Cour n‟est pas de savoir si les entités locales, dans l‟exercice de

leur compétence, doivent mettre en œuvre des systèmes différents pour organiser les

élections. Nous sommes plutôt dans une situation où une cour d‟État qui a le pouvoir

d‟assurer l‟uniformité a ordonné un recomptage étatique avec des garanties procédurales

minimales. Quand une cour ordonne un remède à l‟échelle étatique, il doit y avoir au moins

l‟assurance que les exigences élémentaires de traitement égal et d‟impartialité fondamentale

[fundamental fairness] sont satisfaites.

Étant donné l‟opinion de la Cour selon laquelle le recomptage en cours était

probablement mené d‟une manière inconstitutionnelle, la Cour a suspendu l‟injonction de

recomptage jusqu‟à ce qu‟elle ait pu entendre l‟affaire et rendre une décision pertinente. La

décision contestée, telle que prise par la cour suprême de l‟État, n‟est pas en mesure

d‟affermir la confiance que tous les citoyens doivent avoir dans le résultat des élections.

L‟État n‟a pas fait la preuve que ses procédures offraient les garanties nécessaires. Par

exemple, le problème des 110 000 overvotes estimés n‟a pas été relevé, bien que le Chief

Justice Wells ait attiré l‟attention sur ce problème dans son opinion dissidente. […]

En considération des difficultés relevées sur ce point, il est manifeste que le

recomptage ne peut être mené en conformité avec les exigences de l‟égale protection et de la

garantie juridique convenable [due process] sans des corrections substantielles. Cela

n‟imposerait pas seulement l‟adoption […] de standards adéquats à l‟échelle étatique pour

fixer ce qu‟est un vote valide, et des procédures effectives pour les mettre en œuvre, mais

aussi un contrôle judiciaire régulier de tous les litiges qui pourraient s‟élever. En outre, le

Secrétaire d‟État a annoncé que le recomptage d‟une seule partie des bulletins exigerait que

les machines électorales soient utilisées pour passer au crible les undervotes, une fonction

pour laquelle elles ne sont pas faites. Si un recomptage des overvotes était également requis,

peut-être même qu‟un second examen serait nécessaire. L‟utilisation du matériel pour cet

objectif, et de tout autre outil [software] développé pour cela, devrait être homologuée par le

Secrétaire d‟État, tel que le requiert la loi de Floride, § 101.015 (2000).

La cour suprême de Floride a déclaré que la législature avait voulu permettre aux

électeurs de l‟État de “participer pleinement au processus fédéral d‟élection”, ainsi qu‟il est

pourvu par la loi fédérale 3 U.S.C. § 5. […] Cette loi, quant à elle, exige que toute controverse

ou litige menant à une sélection définitive des grands électeurs soit réglé(e) avant le

12 décembre. Cette date approche, mais aucune procédure de recomptage n‟a été mise en

place, en vertu de l‟injonction de la cour suprême de l‟État, qui satisfasse aux standards

constitutionnels minimaux. Parce qu‟il est évident que tout recomptage allant au-delà de la

date du 12 décembre serait inconstitutionnel pour les raisons que nous avons exposées, nous

cassons l‟arrêt de la cour suprême de Floride ordonnant la poursuite du recomptage.

Sept juges de la Cour accordent, s‟agissant du recomptage ordonné par la cour

suprême de Floride, qu‟il existe des problèmes d‟ordre constitutionnel qui demandent une

solution14

. […] Toute la difficulté tient à la solution. Parce que la cour suprême de Floride a

dit que la législature de Floride voulait obtenir la sauvegarde [safe-harbor benefits]15

de

3 U.S.C. § 5, la solution proposée par le juge Breyer – renvoyer à la cour suprême de Floride

pour qu‟elle règle la contestation d‟une manière constitutionnellement convenable d‟ici au 18

décembre – revient à agir en violation du code électoral de Floride et de là ne peut constituer

un commandement « approprié » autorisé par la loi de Floride, § 102.168(8) (2000).

14 L‟opinion per curiam renvoie ici aux opinions dissidentes des juges Souter et Breyer. 15 On peut également traduire par « clause de bon port ».

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Nuls ne sont plus conscients des limites essentielles de l‟autorité judiciaire que les

membres de cette Cour, et nuls ne sont plus admiratifs du dessein de la Constitution de laisser

le choix du Président au peuple, par l‟intermédiaire de ses législatures, et à la sphère politique.

Cependant, quand des parties en lice réclament l‟intervention des tribunaux, il est de notre

responsabilité, telle qu‟elle s‟impose à nous, de résoudre les problèmes fédéraux et

constitutionnels auxquels le système judiciaire a été obligé de se confronter.

Le jugement de la cour suprême de Floride est cassé, et l‟affaire est renvoyée pour être

jugée en conformité avec cette opinion. […]

It is so ordered.

Extrait de l’opinion dissidente du juge Ginsburg, à laquelle se joint le juge Stevens, ainsi que

les juges Souter et Breyer.

« La configuration extraordinaire de cette affaire a obscurci le principe habituel qui dicte en

lui-même la solution du litige : les cours fédérales s‟en remettent aux interprétations par les

hautes cours des États de la législation propre à leur État. Ce principe représente le cœur du

fédéralisme, que tous approuvent. « Les Pères fondateurs ont divisé l‟atome de la

souveraineté. C‟était leur idée de génie que nos concitoyens avaient deux qualités politiques,

l‟une fédérée et l‟autre fédérale, chacune protégée de l‟incursion de l‟autre ». Saenz v. Roe,

526 U.S. 489, 504, n. 17 (1999) (citant U.S. Term Limits, Inc. v. Thornton, 514 U.S. 779,

838 (1995) (opinion concurrente du juge Kennedy)). La sollicitude du Chief Justice pour la

législature de Floride contrevient à la sollicitude plus fondamentale que nous devons à la

souveraineté de la législature. Constitution des États-Unis, article II, § 1, clause 2 (« Chaque

État désignera, selon la manière que sa législature ordonnera », les électeurs pour le Président

et le Vice-Président) (Les italiques sont ajoutés) […]. Si les autres membres de cette Cour

étaient aussi attentionnés qu‟ils le sont généralement pour notre système de souveraineté

duale, ils confirmeraient la décision de la cour suprême de Floride ».

Extrait de l’opinion dissidente du juge Breyer, à laquelle se joignent les juges Stevens,

Ginsburg et Souter

« Bien qu‟il soit rappelé que cette affaire concerne “une élection pour le Président des

États-Unis” […], aucune question juridique éminente de nature fédérale, ou aucune question

pratique ayant une dimension juridique fédérale, n‟exigeait de cette Cour qu‟elle retienne

cette affaire […].

Bien sûr, la désignation du Président est d‟une importance nationale capitale. Mais

cette importance est politique, pas juridique. Et cette Cour devrait résister à la tentation inutile

de résoudre des litiges sans lien direct avec le droit quand cela menace de déterminer le

résultat de l‟élection.

La Constitution et les lois fédérales elles-mêmes établissent clairement que la retenue

est appropriée. Elles dessinent une carte pour résoudre les conflits relatifs à l‟électorat, même

après une élection aussi serrée que celle-ci. La carte prévoit une résolution des disputes

électorales par les cours des États. Voyez 3 U.S.C. § 5 […] Mais cette disposition ne prévoit

nulle part une intervention de la Cour suprême des États-Unis. […]

Eu égard à ce schéma détaillé et complet pour le décompte des votes, il n‟y a pas de

raison de croire que le droit fédéral prévoit ou impose la résolution d‟une affaire politique de

ce type par cette Cour. Il n‟y a pas plus de raison ici de penser que les Pères de la Constitution

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seraient parvenus à une conclusion différente. Madison, au moins, estimait qu‟il “était hors de

question” de permettre au judiciaire de choisir les électeurs présidentiels. […]

La décision convergente des Pères de la Constitution et du Congrès en 1886 de réduire

le rôle de la Cour pour résoudre les élections présidentielles serrées est tout aussi sage

qu‟univoque. Tout complexe ou difficile qu‟il soit pour le Congrès de résoudre des litiges

électoraux, ce dernier, en tant que corps politique, exprime la volonté du peuple bien mieux

que ne le fait une Cour non élue. Et dégager la volonté du peuple est le but des élections. […]

En même temps, ainsi que je l‟ai déjà dit, la Cour n‟agit pas ici pour faire respecter un

principe constitutionnel fondamental, telle la nécessité de protéger une liberté humaine

élémentaire. Il n‟y a pas ici d‟autre raison impérieuse pour intervenir. Les lois du Congrès

tendent à éviter que cette intervention soit nécessaire. Et, par dessus tout, dans cette matière

très politisée, la publication d‟une décision non-unanime [split] prend le risque d‟amoindrir la

confiance du public dans la Cour elle-même. Cette confiance est un trésor public. Elle a été

construite lentement sur de longues années, dont celles marquées par la guerre civile et la

tragédie de la ségrégation. C‟est un élément vital et nécessaire à tout effort efficace visant à

protéger une liberté élémentaire et, en fait, l‟empire du droit [rule of law] lui-même. Nous ne

courons aucun risque en retournant à cette époque où un Président (réagissant aux efforts de

cette Cour pour protéger les Indiens Cherokees) aurait dit : “John Marshall a pris sa

décision ; eh bien maintenant, qu‟il l‟applique !” […] Mais nous risquons de nous infliger une

blessure à nous-mêmes – une blessure qui n‟affaiblira pas seulement la Cour, mais aussi la

nation.

Je crains qu‟afin de donner une conclusion définitive à ce processus électoral

atrocement long, nous n‟avons pas satisfait à ce nécessaire “contrôle sur notre propre exercice

du pouvoir”, à “notre propre sens de la retenue”. United States v. Butler, 297 U. S. 1, 79

(1936) (Opinion dissidente du juge Stone). Le juge Brandeis a dit un jour de la Cour : “La

chose la plus importante que nous faisons est de ne rien faire”. […] Ce qu‟elle fait

aujourd‟hui, la Cour n‟aurait pas dû le faire. Je réparerais le dommage infligé, autant que

puisse ce faire, en permettant au recomptage en Floride de continuer selon des standards

uniformes.

Document 6 : Extraits de l’interview de Richard Nixon par David Frost de

mai 1977 (texte original et traduction)

Journaliste anglais, David Frost réalise en mai 1977 une interview de l‟ancien président des

Etats-Unis, Richard Nixon. La postérité de cette interview – bientôt objet d‟une adaptation

cinématographique – doit beaucoup aux explications „„baroques‟‟ de Nixon (« I have

impeached myself »). Vous prendrez soin de noter et de vous interroger sur la portée de

l‟argumentation de Nixon relative à la notion de légalité. Vous vous interrogerez également

sur la relation entre le droit constitutionnel et les situations extraordinaires.

Question de David Frost : Would you say that there are certain situations (…) where the

president can decide that it’s in the best interests of the nation, and do something illegal?

(Diriez-vous qu’il existe certaines situations – et le Plan Houston est l’une d’entre elles –

où le président peut décider qu’il en va de l’intérêt supérieur de la nation et faire

quelque chose d’illégale ?)

Réponse de Richard Nixon : Well, when the president does it, that means it is not illegal. (Et

bien, quand le président le décide, cela signifie que ce n’est pas illégal.)

By definition. (Par définition ?)

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Exactly, exactly. If the president, for example, approves something because of the national

security, or in this case because of a threat to internal peace and order of significant

magnitude, then the president’s decision in that instance is one that enables those who carry

it out, to carry it out without violating a law. Otherwise they’re in an impossible position.

(Exactement, exactement. Si le président, par exemple, approuve quelque chose en raison de

la sécurité nationale, ou comme dans ce cas précis en raison d'une menace très importante

relative à la paix intérieure et à l'ordre public, alors la décision du président est, dans ce cas,

celle qui permet à ceux qui la mènent à bien de le faire sans violer la loi. Sinon, ceux-ci sont

dans une position impossible.)

The point is: the dividing line is the president’s judgment? (Le point décisif est donc le

suivant: la ligne de partage est constitué par le jugement du président ?)

Yes, and, so that one does not get the impression that a president can run amok in this country

and get away with it, we have to have in mind that a president has to come up before the

electorate. We also have to have in mind that a president has to get appropriations from the

Congress. We have to have in mind, for example, that as far as the CIA’s covert operations

are concerned, as far as the FBI’s covert operations are concerned, through the years, they

have been disclosed on a very, very limited basis to trusted members of Congress. (Oui, et, de

sorte qu'on n'ait pas l'impression qu’un président puisse faire n’importe quoi dans ce pays et

s’en tirer, nous devons avoir à l'esprit qu'un président doit venir devant l'électorat. Nous

devons également avoir à l'esprit qu'un président doit obtenir les crédits du Congrès. Nous

devons avoir à l'esprit, par exemple, que pour autant que les opérations clandestines de la

CIA ou du FBI sont concernées, au fil du temps, elles n’ont été divulguées que sur une échelle

très, très limitée à des parlementaires de confiance.)

Speaking of the presidency, you stated: ‘‘It’ quite obvious that there are certain

inherently government activities, which, if undertaken by the sovereign in protection of

the interests of the nation’s security, are lawful, but which if undertaken by private

persons, are not’’. What, at root, did you have in mind there?’’ (Parlant de la

présidence, vous avez déclaré: « Il est tout à fait évident qu'il existe certaines activités

inhérentes au gouvernement qui sont légales si elles sont menées par le souverain en vue

de la protection des intérêts de la nation en matière de sécurité, mais qui, si elles sont

entreprises par des personnes privées, ne le sont pas. » A l’origine, qu’entendiez-vous

par là ?)

Well, what I had in mind I think was perhaps much better stated by Lincoln during the war

between the States. Lincoln said, and I think I can remember the quote quite exactly: ‘‘Actions

which otherwise would be unconstitutional, could become lawful if undertaken for the

purpose of preserving the constitution and the nation’’. Now that’s the kind of action I’m

referring to. Of course in Lincoln’s case it was the survival of the Union in wartime, it’s the

defence of the nation and, who knows, perhaps the survival of the nation. (Eh bien, ce que

j'avais à l'esprit, c’était, je crois, ce qui a peut-être été beaucoup mieux dit par Lincoln au

cours de la guerre civile. Lincoln a dit, et je pense que je peux me rappeler de la citation

presque parfaitement : « Les actions qui, autrement, seraient inconstitutionnelles, pourraient

devenir légales si elles sont entreprises dans le but de préserver la constitution et la nation. »

Aujourd’hui, c'est à ce genre d'action auquel je fais référence. Bien sûr, dans le cas de

Lincoln, c'était la question de la survie de l'Union en temps de guerre, c'était la défense de la

nation et, qui sait, peut-être la survie de la nation.)

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But there is no comparison, is there, between the situation you faced and the situation

Lincoln faced? (Mais il n'y a pas de comparaison, n’est-ce pas, entre la situation à

laquelle vous avez été confrontée et celle que Lincoln a confronté ?)

This nation was torn apart in an ideological way by the war in Vietnam, as much as the civil

war tore apart the nation when Lincoln was president. Now it’s true that we didn’t have the

north and the south… (Cette nation a été déchirée idéologiquement par la guerre du Vietnam

tout autant que la guerre civile a déchiré la nation quand Lincoln était président. Maintenant

il est vrai que nous n'avons pas eu (la division entre)le nord et le sud ...)

But when you said, as you said when we were talking about the Houston plan, ‘‘If the

president orders it, that makes it legal’’, is there anything in the constitution or the bill

of rights that suggests the president is that much of a sovereign, that far above the law?

(Mais quand vous dites, comme vous l'avez dit, lorsque nous parlions du Plan Houston,

« Si le président l’ordonne, cela le rend légal », y a-t-il quoi que ce soit dans la

constitution ou le Bill of Rights qui laisse à penser que le président est un tel souverain

qu’il soit bien au-dessus des lois ?)

No, there isn’t. There’s nothing specific that the constitution contemplates. I haven’t read

every word, every jot and every title, but I do know that it has been argued that, as far as a

president is concerned, that in wartime, a president does have certain extraordinary powers

which would make acts that would otherwise be unlawful, lawful if undertaken for the

purpose of preserving the nation and the constitution, which is essential for the rights we’re

talking about. (Non, il ne l'est pas. Il n'y a rien de spécifique là-dessus dans la constitution. Je

n'ai pas lu chaque mot, chaque ligne et chaque ouvrage, mais je sais que l'on a fait valoir

qu’en temps de guerre, un président, pour ce qui le concerne, peut avoir certains pouvoirs

extraordinaires qui rendraient légaux des actes qui, s’ils n’étaient entrepris pour la

préservation de la nation et de la constitution, ne le seraient pas. C’est ce qui compte pour les

droits que nous parlons)

(…)

You got caught up in something and it snowballed ? (Vous avez été entraîné dans

quelque chose qui a fait boule de neige ?)

It snowballed, and it was my fault. I’m not blaming anybody else. I’m simply saying to you

that as far as I’m concerned, I not only regret it. I indicated my own beliefs in this matter

when I resigned. People didn’t think it was enough to admit mistakes; fine. If they want me to

get down and grovel on the floor; no, never. Because I don’t believe I should. On the other

hand, there are some friends who say, ‘‘just face them down. There’s a conspiracy to get

you’’. There may have been. I don’t know what the CIA had to do. Some of the shenanigans

have yet to be told, according to a book I read recently. I don’t know what was going on in

some Republican, some Democratic circles as far as the so-called impeachment lobby was

concerned. However, I don’t go with the idea that there…that what brought me down was a

coup, a conspiracy etc. I brought myself down. I gave them a sword, and they stuck it in and

they twisted it with relish. And I guess if I had been in their position, I’d have done the same

thing. (Il y a eu un effet boule de neige et c'était de ma faute. Je ne suis pas en train de blâmer

quiconque. Je suis tout simplement en train de vous dire qu'en ce qui me concerne, je ne le

regrette pas. J'ai indiqué mes propres convictions en la matière lorsque j'ai démissionné. Les

gens ne pensaient pas que ce soit suffisant d’admettre des erreurs, bien. S'ils veulent me faire

tomber et me voir ramper sur le sol, non, jamais. Parce que je ne crois pas que je devrais.

D'autre part, il y a quelques amis qui me disent: « Fais leur face, il y a un complot contre

toi. » C’est bien possible. Je ne sais pas ce que la CIA a fait. Certaines de leurs magouilles

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doivent encore être dites, d'après un livre que j'ai lu récemment. Je ne sais pas ce qui se

passait dans certains cercles républicains, dans certains cercles démocratiques, dans la

mesure où le dénommé lobby pro-destitution était en cause. Cependant, je n’avance pas avec

l'idée qu'il y a ... que ce qui m'a fait tombé était un coup d'État, une conspiration etc. Je suis

tombé tout seul. Je leur ai donné une épée, et ils me l’ont enfoncé à l'intérieur et ont appuyé

avec délectation. Et j'imagine que si j'avais été à leur place, j'aurais fait la même chose.)

Could you just say, with conviction, I mean not because I want you to say it, that you did

do some covering up. We're not talking legalistically now; I just want the facts. You did

do some covering up. There was some time when you were overwhelmed by your

loyalties or whatever else, you protected your friends, or maybe yourself. In fact you

were, to put it at its most simple, part of a cover-up at times. (Pourriez-vous juste dire,

avec conviction - je veux dire, pas parce que je veux vous le faire dire - que vous avez

dissimulé des choses. Maintenant nous ne parlons pas d’un point de vue juridique, je

veux juste les faits. Vous avez caché la vérité. Il y a eu un moment, quand vous avez été

emporté par votre loyauté ou quoi que ce soit d’autre, où vous protégiez vos amis, et

peut-être vous-même. En fait, vous avez parfois eu, pour le dire plus simplement, un rôle

dans une dissimulation.)

No, I again respectfully will not quibble with you about the use of the terms. However, before

using the term I think it's very important for me to make clear what I did not do and what I did

do and then I will answer your question quite directly. I did not in the first place commit the

crime of obstruction of justice, because I did not have the motive required for the commission

of that crime. (Non, encore une fois, respectueusement, je ne veux pas chicaner avec vous au

sujet de l'utilisation des termes. Cependant, avant d'utiliser le terme, je pense que c'est très

important pour moi d'indiquer clairement ce que je n'ai pas fait et ce que j’ai fait et ensuite je

répondrai à votre question sans détour. En premier lieu, je n'ai pas commis l’infraction

d'entrave à la justice, parce que je n'avais pas de raison nécessaire à la commission de cette

infraction.)

We disagree on that. (Nous sommes en désaccord sur ce point.)

I did not commit, in my view, an impeachable offence. Now, the House has ruled

overwhelmingly that I did. Of course, that was only an indictment, and it would have to be

tried in the Senate. I might have won, I might have lost. But even if I had won in the Senate by

a vote or two, I would have been crippled. And in any event, for six months the country

couldn’t afford having the president in the dock in the United States Senate. And there can

never be an impeachment in the future in this country without a president voluntarily

impeaching himself. I have impeached myself. That speaks for itself. (De ma perspective, je

n'ai pas commis une infraction rentrant dans la catégorie de l’impeachment. Maintenant, la

Chambre a jugé sans équivoque que je l’avais fait. Bien sûr, il ne s'agissait que d'un acte

d'accusation, et il devait être jugé par le Sénat. J'aurais peut-être gagné, j'aurais peut-être

perdu. Mais même si j'avais gagné au Sénat par un vote ou deux, j'aurais été paralysé. Et de

toute manière, pour six mois, le pays ne pouvait pas se permettre d’avoir le président sur le

banc des accusés devant le Sénat des États-Unis. Et il ne peut y avoir d’impeachment à

l'avenir dans ce pays, sans un président qui ne s’empêche volontairement. Je me suis empêché

moi-même. Ces mots parlent d’eux-mêmes)

How do you mean ‘‘I have impeached myself’’? (Que voulez-vous dire par : « Je me suis

empêché moi-même »?)

By resigning. That was a voluntary impeachment. Now, what does that mean in terms of

whether I … you’re wanting me to say that I participated in an illegal cover-up. No. Now

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when you come to the period, and this is the critical period, when you come to the period of

March 21 on, when Dean [John Dean était le conseiller juridique de Nixon] gave his legal

opinion, that certain things, actions taken by, Haldeman [Robert Haldeman était le premier

conseiller de Nixon], Ehrlichman [John Ehrlichman était un autre conseiller de Nixon],

(attorney general John) Mitchell [ancien Secrétaire à la justice et Président du comité pour la

réélection de Nixon] et cetera, and even by himself amounted to illegal coverups and so forth,

then I was in a very different position. And during that period, I will admit, that I started

acting as lawyer for their defence. I will admit, that acting as lawyer for their defence, I was

not prosecuting the case. I will admit that during that period, rather than acting primarily in

my role as the chief law enforcement officer of the United States of America, or at least with

the responsibility of law enforcement, because the attorney general is the chief law

enforcement officer, but as the one with the chief responsibility for seeing that the laws of the

United States are enforced, that I did not meet that responsibility. And to the extent that I did

not meet that responsibility, to the extent that within the law, and in some cases going right to

the edge of the law in trying to advise Ehrlichman and Haldeman and all the rest in how best

to present their cases, because I thought that they were legally innocent, that I came to the

edge. And under the circumstances I would have to say that a reasonable person could call

that a cover-up. I didn’t think of it as a cover-up. I didn’t intent it to cover-up.

Let me say, if I intented to cover-up, believe me, I’d have done it. You know how I could have

done it so easy? I could have done it immediately after the election simply by giving clemency

to everybody. And the whole thing would have done away. I couldn’t do that because I said

clemency was wrong. Byt now we come down to the key point and let me answer it in my own

way about how I feel about the American people. I mean about whether I should have

resigned earlier or what I should say to them now. Well, that forces me to rationalise now and

give you a carefully prepared and cropped statement. I didn’t expect this question, frankly

though, so I’m not going to give you that. But I can tell you this… (En démissionnant. C'était

une destitution volontaire. Maintenant, est-ce que cela signifie que je ... vous souhaitez me

faire dire que j'ai participé à une dissimulation illégale. Non. Maintenant, quand vous

revenez sur cette période, et c’était une période critique, quand vous arrivez plus précisément

à la période du 21 mars, quand John Dean a rendu son avis juridique, que certaines choses

ou certaines actions entreprises par Haldeman, Erlichman, [procureur général John]

Mitchell et cetera (…), alors je me trouvais dans une position très différente. Et durant cette

période, je le reconnais, j'ai commencé à agir comme un avocat pour leur défense. Je

reconnais, qu’agissant comme avocat pour leur défense, je n'étais pas en train de poursuivre

l'affaire. Je reconnais que durant cette période, plutôt que d'agir principalement en fonction

de mon rôle de principal agent de la force publique des États-Unis d'Amérique, ou au moins

comme responsable de l'application de la loi des États-Unis, parce que le procureur général

est le principal agent de la force publique, je n’ai pas assumé cette responsabilité. Et dans la

mesure où je n'ai pas assumé cette responsabilité, dans la mesure où à l’intérieur de la

légalité, et dans certains cas à l’extrême limite de la légalité pour essayer de conseiller

Erlichman, Haldeman et les autres sur la meilleure manière de présenter leur cas, et parce

que je pensais qu’ils étaient juridiquement innocents, je suis arrivé à l’extrême limite de la

légalité. Et, dans ces circonstances, je dois dire que toute personne raisonnable pourrait

parler de dissimulation. Je ne pense (pourtant) pas qu'il s'agit d'une dissimulation. Je n'avais

pas l'intention de cacher la vérité.

Permettez-moi de dire que si j'avais eu l'intention de cacher la vérité, croyez-moi, j'aurais pu

le faire. Savez-vous comment j’aurais pu le faire si facilement ? J'aurais pu le faire

immédiatement après l'élection simplement en accordant ma clémence à tout le monde. Et

tout aurait disparu. Je ne pouvais pas le faire parce que je me suis dit qu’une clémence était

une mauvaise chose. Mais maintenant nous arrivons à un point crucial et je voudrais y

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répondre à ma manière sur ce que je ressens du peuple américain. Je veux dire sur la

question de savoir si j’aurais dû démissionner plus tôt ou ce que je dois lui dire maintenant.

Et bien, cela me force maintenant à rationaliser et à vous donner une explication

soigneusement préparée et recadrée. Je ne m'attendais pas à cette question, mais

franchement, je ne vais pas le faire. Mais je peux vous dire ceci ...)

Document 6 : L’acte d’accusation relatif à l’impeachment de William

Jefferson Clinton.

A la suite d‟une longue affaire, le 12 décembre 1998, les 37 membres de la Commission

judiciaire de la Chambre des représentants ont considéré (par 21 voix contre 16) que le

comportement de William Jefferson Clinton justifiait une mise en accusation devant le Sénat.

Vous trouverez ci-dessous les 4 articles qui composent l‟acte d‟accusation.

Resolution Impeaching William Jefferson Clinton, President of the United States, for

high crimes and misdemeanors.

Resolved, that William Jefferson Clinton, President of the United States, is impeached for

high crimes and misdemeanors, and that the following articles of impeachment be exhibited to

the United States Senate:

Articles of impeachment exhibited by the House of Representatives of the United States of

America in the name of itself and of the people of the United States of America, against

William Jefferson Clinton, President of the United States of America, in maintenance and

support of its impeachment against him for high crimes and misdemeanors.

Article I

In his conduct while President of the United States, William Jefferson Clinton, in violation of

his constitutional oath faithfully to execute the office of President of the United States and, to

the best of his ability, preserve, protect, and defend the Constitution of the United States, and

in violation of his constitutional duty to take care that the laws be faithfully executed, has

wilfully corrupted and manipulated the judicial process of the United States for his personal

gain and exoneration, impeding the administration of justice, in that:

On August 17, 1998, William Jefferson Clinton swore to tell the truth, the whole truth, and

nothing but the truth before a Federal grand jury of the United States. Contrary to that oath,

William Jefferson Clinton willfully provided perjurious, false and misleading testimony to the

grand jury concerning one or more of the following: (1) the nature and details of his

relationship with a subordinate Government employee; (2) prior perjurious, false and

misleading testimony he gave in a Federal civil rights action brought against him; (3) prior

false and misleading statements he allowed his attorney to make to a Federal judge in that

civil rights action; and (4) his corrupt efforts to influence the testimony of witnesses and to

impede the discovery of evidence in that civil rights action.

In doing this, William Jefferson Clinton has undermined the integrity of his office, has

brought disrepute on the Presidency, has betrayed his trust as President, and has acted in a

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manner subversive of the rule of law and justice, to the manifest injury of the people of the

United States.

Wherefore, William Jefferson Clinton, by such conduct, warrants impeachment and trial, and

removal from office and disqualification to hold and enjoy any office of honor, trust or profit

under the United States.

Article II

In his conduct while President of the United States, William Jefferson Clinton, in violation of

his constitutional oath faithfully to execute the office of President of the United States and, to

the best of his ability, preserve, protect, and defend the Constitution of the United States, and

in violation of his constitutional duty to take care that the laws be faithfully executed, has

willfully corrupted and manipulated the judicial process of the United States for his personal

gain and exoneration, impeding the administration of justice, in that:

(1) On December 23, 1997, William Jefferson Clinton, in sworn answers to written questions

asked as part of a Federal civil rights action brought against him, willfully provided

perjurious, false and misleading testimony in response to questions deemed relevant by a

Federal judge concerning conduct and proposed conduct with subordinate employees.

(2) On January 17, 1998, William Jefferson Clinton swore under oath to tell the truth, the

whole truth, and nothing but the truth in a deposition given as part of a Federal civil rights

action brought against him. Contrary to that oath, William Jefferson Clinton willfully

provided perjurious, false and misleading testimony in response to questions deemed relevant

by a Federal judge concerning the nature and details of his relationship with a subordinate

Government employee, his knowledge of that employee's involvement and participation in the

civil rights action brought against him, and his corrupt efforts to influence the testimony of

that employee.

In all of this, William Jefferson Clinton has undermined the integrity of his office, has brought

disrepute on the Presidency, has betrayed his trust as President, and has acted in a manner

subversive of the rule of law and justice, to the manifest injury of the people of the United

States.

Wherefore, William Jefferson Clinton, by such conduct, warrants impeachment and trial, and

removal from office and disqualification to hold and enjoy any office of honor, trust or profit

under the United States.

Article III

In his conduct while President of the United States, William Jefferson Clinton, in violation of

his constitutional oath faithfully to execute the office of President of the United States and, to

the best of his ability, preserve, protect, and defend the Constitution of the United States, and

in violation of his constitutional duty to take care that the laws be faithfully executed, has

prevented, obstructed, and impeded the administration of justice, and has to that end engaged

personally, and through his subordinates and agents, in a course of conduct or scheme

designed to delay, impede, cover up, and conceal the existence of evidence and testimony

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related to a Federal civil rights action brought against him in a duly instituted judicial

proceeding.

The means used to implement this course of conduct or scheme included one or more of the

following acts:

(1) On or about December 17, 1997, William Jefferson Clinton corruptly encouraged a

witness in a Federal civil rights action brought against him to execute a sworn affidavit in that

proceeding that he knew to be perjurious, false and misleading.

(2) On or about December 17, 1997, William Jefferson Clinton corruptly encouraged a

witness in a Federal civil rights action brought against him to give perjurious, false and

misleading testimony if and when called to testify personally in that proceeding.

(3) On or about December 28, 1997, William Jefferson Clinton corruptly engaged in,

encouraged, or supported a scheme to conceal evidence that had been subpoenaed in a Federal

civil rights action brought against him.

(4) Beginning on or about December 7, 1997, and continuing through and including January

14, 1998, William Jefferson Clinton intensified and succeeded in an effort to secure job

assistance to a witness in a Federal civil rights action brought against him in order to corruptly

prevent the truthful testimony of that witness in that proceeding at a time when the truthful

testimony of that witness would have been harmful to him.

(5) On January 17, 1998, at his deposition in a Federal civil rights action brought against him,

William Jefferson Clinton corruptly allowed his attorney to make false and misleading

statements to a Federal judge characterizing an affidavit, in order to prevent questioning

deemed relevant by the judge. Such false and misleading statements were subsequently

acknowledged by his attorney in a communication to that judge.

(6) On or about January 18 and January 20-21, 1998, William Jefferson Clinton related a false

and misleading account of events relevant to a Federal civil rights action brought against him

to a potential witness in that proceeding, in order to corruptly influence the testimony of that

witness.

(7) On or about January 21, 23 and 26, 1998, William Jefferson Clinton made false and

misleading statements to potential witnesses in a Federal grand jury proceeding in order to

corruptly influence the testimony of those witnesses. The false and misleading statements

made by William Jefferson Clinton were repeated by the witnesses to the grand jury, causing

the grand jury to receive false and misleading information.

In all of this, William Jefferson Clinton has undermined the integrity of his office, has brought

disrepute on the Presidency, has betrayed his trust as President, and has acted in a manner

subversive of the rule of law and justice, to the manifest injury of the people of the United

States.

Wherefore, William Jefferson Clinton, by such conduct, warrants impeachment and trial, and

removal from office and disqualification to hold and enjoy any office of honor, trust or profit

under the United States.

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Article IV

Using the powers and influence of the office of President of the United States, William

Jefferson Clinton, in violation of his constitutional oath faithfully to execute the office of

President of the United States and, to the best of his ability, preserve, protect, and defend the

Constitution of the United States, and in disregard of his constitutional duty to take care that

the laws be faithfully executed, has engaged in conduct that resulted in misuse and abuse of

his high office, impaired the due and proper administration of justice and the conduct of

lawful inquiries, and contravened the authority of the legislative branch and the truth-seeking

purpose of a coordinate investigative proceeding in that, as President, William Jefferson

Clinton, refused and failed to respond to certain written requests for admission and willfully

made perjurious, false and misleading sworn statements in response to certain written requests

for admission propounded to him as part of the impeachment inquiry authorized by the House

of Representatives of the Congress of the United States.

William Jefferson Clinton, in refusing and failing to respond, and in making perjurious, false

and misleading statements, assumed to himself functions and judgments necessary to the

exercise of the sole power of impeachment vested by the Constitution in the House of

Representatives and exhibited contempt for the inquiry.

In doing this, William Jefferson Clinton has undermined the integrity of his office, has

brought disrepute on the Presidency, has betrayed his trust as President, and has acted in a

manner subversive of the rule of law and justice, to the manifest injury of the people of the

United States.

Wherefore, William Jefferson Clinton, by such conduct, warrants impeachment and trial, and

removal from office and disqualification to hold and enjoy any office of honor, trust or profit

under the United States.