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Byzantine art

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  • Tania Velmans

    Peinture et mentalit Byzance dans la seconde moiti du XIIesicleIn: Cahiers de civilisation mdivale. 22e anne (n87), Juillet-septembre 1979. pp. 217-233.

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    Velmans Tania. Peinture et mentalit Byzance dans la seconde moiti du XIIe sicle. In: Cahiers de civilisation mdivale.22e anne (n87), Juillet-septembre 1979. pp. 217-233.

    doi : 10.3406/ccmed.1979.2111

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1979_num_22_87_2111

  • Tania VELMANS

    Peinture et mentalit Byzance dans la seconde moiti du XIIe sicle

    Si l'on voulait dfinir trs brivement ce qui constitue l'originalit de la peinture murale byzantine, dans la seconde moiti du xne s., on devrait dire qu'il s'agit d'un art qui au premier coup d'il semble, malgr sa spcificit, totalement fidle aux principes fondamentaux de l'esthtique byzantine1 ; mais aussi, et surtout, que cet art porte en germes les transformations considrables qui feront de la peinture byzantine des xme et xive s. un art anim par un esprit nouveau. Les deux affirmations semblent s'exclure mutuellement et ne font qu'augmenter ainsi l'intrt de la production artistique de la priode envisage. Celle-ci permet, en effet, de suivre le passage d'une mentalit typiquement mdivale une manire de concevoir et de sentir le monde plus moderne : ce qui commence changer est la sensibilit, la forme de la pit et la place que l'on accorde l'homme qui n'est cependant pas encore l'individu dans l'Univers. En peinture, les innovations apparaissent d'abord dans l'iconographie, tandis que le style reste plus ou moins traditionnel ; mais les innovations iconographiques du xne s. et la sensibilit qui les sous-tend seront en grande partie responsables de l'closion du style nouveau, au xme s., Byzance. Bien entendu, cet article ne saurait traiter de l'ensemble des problmes que soulve ce double aspect de la peinture byzantine du xne s. On se limitera donc tudier deux ou trois innovations capitales qui rvlent l'esprit de l'poque et les situer par rapport aux constantes traditionnelles d'une pense et d'un systme de formes parvenus une cohrence et une logique intrinsque sans faille.

    Les constantes traditionnelles Mme si elles sont fort bien connues dans leur ensemble, un bref rappel des constantes traditionnelles de la peinture byzantine vitera des malentendus dans la suite de l'expos. Quelles que soient les modifications survenues dans le style entre le vie et le xne s., la dcoration des glises byzantines de ce temps cherche essentiellement traduire en langage

    1. Le style de l'poque des Comnne ne se laisse confondre avec aucun autre. Son graphisme soulign et parfois exacerb, les proportions trs allonges des personnages, plusieurs types de plis caractristiques, dont celui en forme de tuyau retombant dans le dos au niveau de la taille, les visages aux traits macis, o le nez se prsente comme une arte osseuse quasiment prive de chair, et les lvres, minces et un peu pinces, comme deux traits, font du style du xne s. un langage plastique facilement identifiable. Toutes ces caractristiques sont le rsultat d'un prolongement direct, par voie d'volution, de ce qui avait servi traditionnellement de base aux expressions plastiques qui s'taient succdes Byzance et ne contredisent en rien les principes qui avaient dfini jusque l l'image religieuse de l'Empire.

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    plastique le fonds irrationnel de la doctrine chrtienne. Pendant toute cette priode les formes sont donc restructures par rapport au rel en vue de reflter, non pas l'apparence ou l'enveloppe matrielle des tres et des choses, mais leurs essences, ce que l'on croit tre leur noyau spirituel, leur vrit. Vrit et ralit s'opposent dans l'esthtique byzantine classique, chacune de ces deux valeurs correspondant une optique particulire. La ralit est synonyme d'apparence, d'extriorit et de consistance matrielle ; la vrit est ce que la ralit est parfois capable de nous rvler lorsque nous la scrutons avec les yeux de l'esprit ; elle est intriorit, essence, authenticit, ide au sens platonicien du terme et finalement, connaissance. On emprunte la ralit la forme humaine, mais c'est pour la soumettre un systme gomtrique, rythmique et chromatique particulier. En partant de l'homme, on arrive ainsi transcender l'humain et crer ce qui parat tre premire vue un paradoxe : des images de l'invisible. Ces images ne dcrivent pas le divin ; elles cherchent le reconstituer magiquement, le rendre prsent. Il importait donc, entre autres, de prendre suffisamment de distance par rapport au monde matriel, afin que l'image ne suscite jamais un rapprochement avec les tres et les objets qui entourent le spectateur. Les formes n'taient pas reprsentes pour elles-mmes, dans leur ralit matrielle, mais en vue de suggrer l'ide d'un monde supra- sensible. On s'effora donc d'oublier le volume, la profondeur du champ, la vraisemblance, le dtail anecdotique, individuel, humain. C'taient l des apparences sans valeur qui ne faisaient que dissimuler la vrit des choses, leur essence. L'image devait tre un moyen de crer des tats de vie intrieure favorables la mditation, voire l'illumination qui menait la vrit . D'o les grands fonds dors, vides, uniformes et scintillants, vritables rideaux de lumire sur lesquels sont projets des personnages impassibles et sereins (fig. 1, 8). Ces personnages sans particularit individuelle reprsents l'aide de la ligne rythmique, de la symtrie, de l'tirement en longueur de la silhouette, de l'absence d'paisseur, et de formules conventionnelles ordonnant le drap se trouvent dans un rapport irrel entre eux et avec les choses. Quant aux lments qui constituent notre monde environnant, ils n'ont aucune place dans cette peinture. Ces lments sont sans la moindre valeur dans le monde supra- sensible que l'on cherche crer de toutes pices; lorsqu'une image suppose un minimum d'accessoires pour tre comprise, ceux-ci sont rduits leur plus simple expression et y figurent bien davantage comme des signes que comme des reflets de la ralit. Ainsi, les difices sont minuscules, les objets souvent mconnaissables. Les sujets iconographiques correspondent aux mmes exigences que l'esthtique. Il s'agissait de reprsenter, dans le microcosme de l'Univers chrtien (l'difice cultuel en est le symbole), les principales valeurs qui le constituaient. Plus mouvant l'poque justinienne2, le programme des glises se stabilise l'issue de la crise iconoclaste. A partir du xie s., il nous montre une image hiratique, solennelle et triomphale de la Toute-puissance divine le Pantocrator dans la coupole ; la Vierge, instrument de l'Incarnation et du Salut, occupe la conque de l'abside ; elle est suivie par la Communion des aptres (2e registre) et par les pres de l'glise, (3e registre). Les anges, les prophtes, les aptres, rpartis sur les votes et sur les murs, relient la sphre cleste (coupole, conque) la sphre terrestre (saints en pied du premier registre). Enfin, l'histoire de l'Incarnation que renouvelle mystiquement chaque liturgie

    2. Sur ces programmes, o l'on voit souvent le Christ en gloire ou une Vision prophtique plus labore dans la conque, voir A. Grabar, Martyrium, II, Paris, 1946, chap. IV-VII, et plus rcemment, J. Lafontaine-Dosogne, Vvolulion du programme dcoratif des glises, dans Art et archologie, rapports et co-rapporls, XVe Congrs International des tudes byzantines, Athnes, 1976, p. 131-134.

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    ( travers les sacrements) est reprsente par le cycle des Douze ftes de l'glise et quelquefois par un petit nombre de scnes illustrant le cycle vanglique3. Cette tendance liturgique, qui correspond un enrichissement et une importance nouvelle de la liturgie elle-mme, continuera et s'intensifiera aux sicles suivants. Son rle dans l'volution des programmes iconographiques sera dterminant. Par contre, elle n'aura pas d'influence sur l'volution du style.

    Les tmoignages d'une nouvelle sensibilit et son importance pour l'volution FUTURE II en est tout autrement pour une srie de changements qui commence se manifester dans la deuxime moiti du xne s. En 1164, un sujet inattendu apparat dans la petite glise de Saint-Pantlimon Nrzi4 : le Thrne5 (fig. 2). Par son contenu les lamentations de Marie sur le Christ mort et par les valeurs affectives dont il est charg, ce sujet marque une opposition trs nette aux conceptions traditionnelles qui avaient permis l'laboration Byzance d'une image du monde divin. En peuplant celui-ci de figures deux dimensions, impassibles et immobiles, et en les projetant sur un fond abstrait (fig. 1, 8), on soulignait que les personnages sacrs se trouvaient en tat de perfection6, hors de la dure et de toutes contingences terrestres ; et voil que, brusquement, cet univers de lumire et de srnit chavire. Dans le Thrne de Nrzi, la Vierge pleure et presse sa joue contre celle de son fils, tandis que saint Jean embrasse la main du Christ. Le Thrne est avant tout un tmoignage sur la douleur humaine. Il y a l galement un panchement de tendresse et un aveu de faiblesse. Le corps du Christ mort repose sur le giron de la Vierge qui le tient troitement enlac. Saint Jean se penche sur sa main, tandis que Joseph et Nicodme sont agenouills ses pieds. Une sainte Femme s'avance de droite (la fresque est endommage cet endroit et permet de supposer qu'il y en avait au moins deux), alors que trois anges (les traces d'un quatrime sont visibles) pleurent dans le ciel. Les visages de saint Jean et de Marie sont marqus par la souffrance. L'iconographie semble suivre les mditations d'un hagiographe du xe s. Symon Mtaphraste qui fait dire Marie : Sur mon sein tu as souvent dormi du sommeil de l'enfance, maintenant tu y dors du sommeil de la mort7. Le ct touchant du discours, sa sentimentalit nave, populaire pourrait-on

    3. Cf. S. Der Nersessian, Le dcor des glises du IXe sicle, dans Byzantion , XXXVI, 1967, p. 368-395 ; O. Demus, Byzantine Mosaic Dcoration, Londres, 1947 ; id. et E. Diez, Byzantine Mosaics in Greece: Daphni et Hosios Lucas, Cambridge, 1931. 4. La petite glise Saint-Pantlimon Nrzi, en Macdoine serbe, est bien connue. Btie tout prs de Skopje qui fut un centre administratif et culturel important et fonde par un donateur troitement apparent la famille impriale Alexios Ange-Comnne, elle fut dcore par des peintres constantinopolitains qui taient sans doute parmi les meilleurs de l'poque. La bibliographie sur ces peintures est extrmement abondante. La premire tude qui leur a t consacre n'a pas perdu sa valeur : N. Okunev, La dcouverte des anciennes fresques du monastre de Nerez, dans Slavia , VI, 1927, p. 603-609. De nombreuses reproductions chez G. Millet et A. Frolow, La peinture du moyen ge en Yougoslavie, Paris, 1954, I, p. vin, pi. 15-21. De nouveaux problmes ont t soulevs et rsolus par M. Rajkovic, Iz likovne problematike nereskog zivopisa, dans Zbornik radova vizantolokog instituta , 3, Belgrade, 1955, p. 196-206. 5. Une peinture, aujourd'hui disparue, du Thrne est signale par A. Xyngopoulos (Thessalonique et la peinture macdonienne, Athnes, 1955, p. 17) l'glise de la Vierge des Chaudronniers Saloniquc, qui est de la fin du xie s., mais il s'agit d'un fragment insignifiant, dont on ne saurait dire s'il appartient davantage la scne de la Spulture ou a celle du Thrne. C'est galement ce genre d'hsitation, ou de passage encore mal dfini d'un sujet un autre que l'on voit dans la crypte de Saint-Luc en Phocide, date approximativement de la fin du xie (ibid., p. 17) ou du xiie s. (cf. V. Lazarev, Sloria dlia pitiura bizantina, Turin, 1967, p. 208). La vritable apparition dans la peinture murale du sujet dfinitivement constitu du Thrne, avec tout son contenu affectif et narratif, date donc bien de la seconde moiti du xiie s.

    6. Toute action procde par dfinition d'un sentiment d'insatisfaction. 7. Cf. Migne, P. G., CXIV, col. 216 B-C et ss ; G. La Piana, Li represeniazione sacre nella letleratura bizantina dalle origini al secolo IX, Grottaferrata, 1912, p. 236.

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    dire, est trs diffrente des sermons des savants prdicateurs byzantins de la mme poque et correspond d'assez prs ce que l'on voit dans l'image du Thrne. C'est travers cette brche ouverte au xne s., par une pit sentimentale et personnelle, que le nouvel humanisme qui mnera la renaissance des Palologue s'infiltrera dans la peinture byzantine. La reprsentation des valeurs affectives suscitera des sujets iconographiques nouveaux et modifiera le contenu des anciens, elle engagera simultanment la recherche d'un langage plastique capable de les exprimer. L'motion dont sont brusquement anims les protagonistes du drame sacr mnera ncessairement l'articulation et au mouvement des personnages ; mais celui-ci n'est bien rendu que lorsqu'il s'inscrit dans un espace trois dimensions. Pour figurer cet espace on aura besoin d'architectures ou d'lments du paysage8. Plus proches des ralits terrestres, les personnages eux-mmes prendront du volume. Ainsi, au xme s., la ligne rythmique, souveraine depuis des sicles, cdera devant la tache colore et on redcouvrira le model l'antique. Enfin, parler d'motion veut dire raconter et non plus signifier. Aux xme-xive s., on verra se multiplier les personnages et les accessoires d'une scne, de nombreux pisodes secondaires seront ajouts la reprsentation d'un vnement vanglique de sorte que des images, isoles et indpendantes au dpart, formeront parfois tout un cycle. De 1164 1230-1265 un long chemin sera parcouru pour faire, d'une peinture tendant l'abstraction et l'vocation symbolique des principaux dogmes de la foi, une reprsentation anime par le concret, le rcit, l'motion et une certaine attention accorde au rel. Seule la Spulture du Christ est raconte dans les vangiles9 ; la Vierge et les saintes Femmes n'y ont qu'un rle de tmoins : Elles virent o fut dpos le corps. L'image du Thrne est compose d'aprs les descriptions de l'vangile apocryphe de Nicodme10 et, dans une plus large mesure, d'aprs le rcit de Joseph d'Arimathie11, les sermons de Georges de Nicomdie12 et de Simon Mtaphraste13. Or, l'vangile de Nicodme avait t compos au ive s., Georges de Nicomdie a vcu au ixe s., et Simon Mtaphraste avait crit au dbut du xe s., sans que leurs textes aient exerc une influence sur la peinture. L'cart entre les dates des textes et celles, beaucoup plus tardives, o l'on s'en inspire en peinture s'explique. L'intrt pour ces textes est li une nouvelle forme de la sensibilit, une pit un peu diffrente de celle du pass et un intrt accru de la part des fidles pour la liturgie (cf. infra). Or, un hymne qui chante les lamentations de la Vierge figure dans la liturgie du Samedi saint14. Lorsque l'influence de la liturgie sur la peinture augmente partir du xie s., le rcit du Thrne s'impose peu peu aux iconographes. Il faut aussi attendre le xie s. pour que l'image, plus ou moins bien dfinie, du Thrne apparaisse dans les enluminures, le milieu du xne pour qu'elle soit reprsente dans les glises15, le xnie pour qu'elle soit rellement intgre dans le programme iconographique

    8. C'est effectivement dans la seconde moiti du xnes., qu'apparat le fond architectural, dans la peinture murale byzantine. Il se dveloppera au cours du xme et du xive s., crant la fois un espace concret d'une certaine profondeur et des compositions structures de faon ne jamais approcher de trop prs une vision raliste du paysage ou de l'intrieur (cf. T. Velmans, Le rle du dcor architectural et la reprsentation de l'espace dans la peinture des Palologue, dans Cahiers archol. , XIV, 1964, p. 183-216).

    9. Cf. Matthieu (27, 57) ; Marc (15, 42) ; Luc (24, 55) ; Jean (19, 31). 10. Cf. C. de Tischendorf, Evangelia apocrypha, 2e d., Leipzig, 1876, p. 283, 292. 11. Compos en Palestine au viie s., ce texte est connu par une traduction gorgienne : Izdanija fakulteta vosionich jazikov, n 5, Teksti, raziskvanija paormjanogruzinskoj filologii, II, Saint-Ptersbourg, 1900, chap. 6-7. 12. Il s'agit du sermon VIII, cf. Migne, P. G., C, col. 1480.

    13. Ibid., CXIV, col. 209 et ss ; La Piana, Li representazione sacre..., p. 236. 14" Cf. Canon du Samedi saint, Ode 9, Triodion, cf. La Piana, Li representazione..., p. 192, 235. 15. Cf. supra, n. 5.

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    courant des difices cultuels, et l'extrme fin du xme s. (Saint-Clment d'Ohrid) pour qu'elle reflte les accents vhments que l'on trouve dans les textes cits plus haut. Sur le plan formel, l'image du Thrne a t inspire par des scnes antiques de lamentations sur la mort d'un hros, comme l'a montr K. Weitzmann16. Des uvres byzantines de haute poque et proches, elles-mmes, de modles antiques, comme les miniatures de la Gense de Vienne (vie s.) ont galement pu jouer un rle dans la constitution du schma iconographique du Thrne, ainsi qu'en tmoigne, par exemple, une image de la mort de Jacob (fig. 3) qui se passe de commentaire17. Entre 1164 et la fin du xme s., le schma du Thrne se dveloppera et se prcisera travers plusieurs tapes successives et ce processus d'volution tendra renforcer la fois l'aspect dramatique et le caractre narratif du sujet. Nous avons reconstitu ces tapes ailleurs18. Il suffira de nous rfrer ici une image de 1295 pour juger du chemin parcouru par l'volution de ce schma et aussi des changements qu'elle a entrans dans le style. A Saint-Clment d'Ohrid (1295), les protagonistes de la scne se sont multiplis (fig. 4) ; l'lment dramatique, fortement accru, domine toute la composition. Il ne s'agit pas seulement d'une plus grande intensit des sentiments exprims, bien que Marie soit reprsente dfaillante et qu'une sainte Femme s'arrache les cheveux. La structure de l'image elle-mme est maintenant dtermine par ces valeurs. Ainsi, la composition ne s'ordonne plus dans le sens d'une horizontale comme c'tait le cas jusqu'ici, mais en pyramide. De ce fait, on y observe une sorte de mouvement ascendant, accus par les mains leves de la sainte Femme et les anges pleurant. Disposs de la sorte, les personnages sont pourtant soumis la coule irrsistible des courbes, dont la prolongation toucherait le sol (y compris les collines). Les femmes inclines ajoutent un lment chaotique, de mme qu'un balancement tout fait inconnu jusqu'ici dans la peinture byzantine. Le corps particulirement raide du Christ produit, par l'horizontale qu'il oppose toutes ces courbes, un effet de choc et de dissonance qui assure, par contraste, les traits voqus plus haut. On pense ici un passage de l'vangile de Nicodme qui fait dire Marie : Comment ne pas pleurer, ah, mon fils, comment ne pas dchirer mon visage avec mes ongles...19 , et aux paroles de Cosmas de Majuma : Maintenant mon Dieu que je te vois mort... le glaive de la douleur me dchire affreusement20 .

    La transformation des sujets iconographiques traditionnels L'infiltration des valeurs affectives dans le domaine du sacr ne se traduit pas seulement par l'apparition de sujets nouveaux au xne s. Beaucoup d'anciens sujets reoivent de nouveaux contenus, ce qui entrane des changements dans leurs schmas iconographiques. Ces nouveaux contenus sont presque tous modifis en vue de faire une place l'expression du sentiment ou au besoin de raconter. C'est l'glise de Toqale (xe s.), en Cappadoce, que l'on reprsente, pour la premire fois dans la peinture murale, la Descente de croix (fig. 5). Le corps du Christ est dtach de la croix, la Vierge lui tient le bras, mais il n'y a encore ici ni tension dramatique, ni mme manifestation

    16. K. Weitzmann, The Origin of the Threnos, dans Essays in honor of Erwin Panofsky , New York, 1961 ; v. aussi E. Kitzinger, The Hellenistic Hritage in Byzantine Art, dans Dumbarton Oaks Papers , XVII, 1963, p. 114 et ss. 17. V. aussi dans le mme manuscrit la scne de la mort d'Isaac (cf. W. R. Hrtel et F. Wickiioff, Die Wiener Genesis, Vienne, 1895, pi. 2). 18. On trouvera l'analyse dtaille de ces tapes et des variantes du schma dans les miniatures et les peintures murales chez T. Velmans, La peinture murale byzantine la fin du moyen ge, Paris, 1978, p. 102 et ss. 19. G. Millet, L'iconographie de i vangile, Paris, 1916, p. 461, 488. 20. Tischendorf, Evangelia..., p. 292.

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    de sentiments. L'image se distingue pourtant (par son contenu) de celles qui dcorent les manuscrits du ixe-xe s., o Marie est totalement immobile, trangre l'action. Les nombreux manuscrits grecs qui illustrent ce thme du ixe au xne s., tels que le Paris, gr. 51021, le Laur. VI 2322 ou le Palatin 523, reprsentent le corps du Christ tout fait droit et comme clou sur la croix, bien qu'une partie des clous soit enleve. Un schma un peu plus souple apparat dans les manuscrits du xie s., comme on peut l'observer dans l'vangile de la Bibliothque Nationale Paris (gr. 74)24, o le corps du Christ est lgrement inflchi; Marie lui tient la main, et les saintes Femmes pleurent un peu l'cart. Dans la peinture murale, il faudra, une fois de plus, attendre Nrzi (fi g. 6) pour pouvoir parler d'une vritable innovation iconographique et stylistique. Marie, qui s'tait toujours tenue distance, approche brusquement le corps de son fils, lui ouvre ses bras, l'enlace et presse sa joue contre la sienne. Malgr l'identit des sujets, on ne dit absolument pas la mme chose Toqale (fig. 5) et Nrzi (fig. 6). La transposition en langage crit de la Descente de croix de Toqale serait : On a dtach le Christ de la croix ; il est mort, mais nous savons que le fils de Dieu ne peut pas mourir et Marie est l pour l'affirmer . A Nrzi, on nous fait comprendre que Jsus est mort dans la souffrance et ceux qui assistent la scne en sont accabls. Une diffrence considrable spare les images du xe s. de celles du xne : le mme sujet a t charg d'un nouveau contenu. Les illustrateurs suivent la fois les vangiles apocryphes25, les sermonnaires26, et les mlodes27 qui dcrivent, commentent et chantent la Descente de croix vers le ixe s. En Occident, les Mditations de saint Bonaventure dveloppent ce rcit au xme s. et y prcisent certains dtails, telles les deux chelles28 que l'on verra frquemment dans les glises byzantines du xive s. Le fait de s'inspirer des commentaires des vnements vangliques et non pas des seules critures est nouveau. Jusqu'aux xie-xne s. la dcoration des glises byzantines refltait uniquement les critures. Une exception tait faite pour le cycle de l'Enfance de la Vierge, o l'on suivait trs tt divers rcits apocryphes dont le Protovangile de Jacques est le plus connu ; mais d'une faon gnrale, les vangiles apocryphes n'taient pas consults davantage que les commentaires des thologiens. Ds les annes trente du xme s., Marie prendra le corps du Christ dans ses bras ; celui-ci flchira et, en devenant plus souple perdra d'emble son rseau graphique, remplac par un model dlicat obtenu l'aide d'ombres semi-transparentes, comme on le voit Milesevo (fig. 7) ; les artistes sauront galement exprimer le chagrin des saintes Femmes, sans lui donner cet aspect dclamatoire que l'on voit souvent au xne s. notamment Kourbinovo29 ou Aquile (v. 1200)30.

    21. Reprod., chez II. Omont, Fac-simils des miniatures des plus anciens manuscrits grecs de la Bibliothque Nationale du VIe au XIe sicle, Paris, 1902, pi. XXI. 22. Reprod. chez Millet, vangile..., fig. 527-529 ; T. Velmans, Le Ttravangile de la Laurentienne, Paris, 1971,

    fig. 122, 265, 298. 23. Millet, vangile..., fig. 496. 24. H. Omont, vangile avec peintures byzantines du XIe sicle, Paris, I, pi. 52, II, pi. 181. 25. Tischendorf, Evangelia..., p. 292. 26. Migne, P. G., C, col. 1485 C ; ibid., XLIII, col. 449 C. 27. Cf. Penlacostarion, Athnes, p. 61 B, 63 A, 66 A. Un tropaire particulier est consacr aux lamentations de Joseph. 28. S. Bonaventure, Meditationes, Rome, 1596, IV, p. 497 ; Millet, vangile..., p. 497 et ss. 29. On a d'autant plus tendance, au xne s., accentuer les valeurs dramatiques d'une faon trs voyante et extriorise, que l'on manquait d'exprience pour les reprsenter. Ce trait apparat dans de nombreuses glises du xne s., dont Saint-Georges Kourbinovo, 1191 (v. reprod. L. Hadermann-Misguich, Kurbinovo, Bruxelles, 1975, pi. 72). Dans cette image, faute de pouvoir reprsenter la souffrance relle et profonde des personnages, on anime les draperies d'une faon

    excessive et quasi baroque. 30. Reprod. chez R. Valland, Aquile et les origines de la Renaissance, Paris, 1963, fig. 9. Bien qu'il s'agisse l d'un art romano-byzantin, l'accentuation des valeurs affectives dans cette image vient certainement de Byzance. Les croix peintes italiennes des xne et xme s. permettent de se rendre compte que c'est dans les uvres influences par Byzance que les valeurs affectives sont le mieux exprimes et aussi que leur progression est plus lente que dans l'art byzantin contemporain (pour les croix peintes, voir E. Sandberg Vaval, La Croce dipinta italiana e Viconografia dlia Passione, Vrone, 1929).

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    Le Crucifiement s'amplifie et s'humanise d'une faon strictement analogue ce que nous avons observ dans le Thrne et la Descente de croix. Au cours du moyen ge, on le libre de tout lment pisodique ou narratif pour en faire cette image-signe dont l'glise de Saint-Luc en Phocide (fig. 8) offre un bel exemple, au xie s.31. Vers la fin du xne s. apparaissent, dans la peinture murale, les premiers indices de la tendance oppose. A Kourbinovo32, la tte du Christ retombe sur son paule droite, son corps flchit et une forte cambrure apparat aux hanches, tandis que les genoux plient et que les bras s'allongent, douloureusement arqus. Il en est de mme Saint Nophyte Paphos (1183)33 (fig. 9, 10), o le nombre des protagonistes de la scne a beaucoup augment, comme le montre la prsence du centurion et du groupe, singulirement raliste, des Juifs (fig. 10). Des valeurs eucharistiques et par consquent liturgiques s'introduisent galement dans l'image, puisqu'on y observe la personnification de l'glise amene par un ange et recueillant le sang du Christ et la personnification de la Synagogue s'loignant de la croix. Marie semble parler son fils, tandis que Jean porte sa main sa joue. Dans d'autres reprsentations Jean, Marie et les saintes Femmes sont en proie une violente motion, se couvrent les yeux et pleurent, comme Aquile (fig. 11). Tous ces traits s'intensifieront encore au xnie s., comme on l'observe Sopocani (1265-1280), par exemple. Le Crucifiement (fig. 12) y constitue la fois une scne mouvante, articule, et trs harmonieuse. Jean a quitt sa place traditionnelle pour s'approcher de Marie34. Aucune raideur, aucune exagration ne viennent figer son attitude. Les mouvements de Jean et de Marie se trouvent dans un rapport d'interdpendance troite. Par la courbe que dcrit le corps de Jean (de la tte l'extrmit des mains), il semble s'ouvrir la douleur, comme pour la recevoir, pour la partager avec l'autre, qui est Marie. Celle-ci est, au contraire, tout abandon et pesanteur, comme attire par la terre et aspirant trouver un appui. Ces deux figures sont impensables l'une sans l'autre, puisque le point d'appui et l'quilibre de chacune d'elles se place au milieu, entre les deux, sur une verticale allant des mains enlaces jusqu'au pied droit de saint Jean. Elles s'inscrivent en plus dans une courbe se refermant sur elle-mme, qui isole ainsi les personnages en les faisant exister comme une unit ; c'est en partie grce de telles particularits, dont le peintre s'est probablement servi inconsciemment, qu'il est arriv exprimer le lien la fois le plus intrioris et le plus facile observer qui puisse s'tablir entre deux tres dont les tats d'me se rpondent. Les mains enlaces rptent, comme une allitration dans le langage, ce qui est dj exprim par les corps. La main de saint Jean se tend et se creuse pour recevoir ; celle de la Vierge s'y laisse choir, l'autre retenant le manteau. Dans toutes les scnes analyses jusqu'ici, la reprsentation de l'motion a entran, quasi obligatoirement, le mouvement des personnages, ainsi qu'une disposition la narration. A

    31. Dans les miniatures des xie et xne s., la Vierge est souvent absente de la scne ou alors elle est place, avec les saintes Femmes, trs loin de la croix. Ces versions existent dans le Ttravangile de la Laurentienne, dans celui d'Iviron 5, et ailleurs. On y illustre textuellement les vangiles de Matthieu et de Marc d'une part et de Luc, de l'autre. Celui-ci ne mentionne pas Marie et les saintes femmes dans le Crucifiement, tandis que Matthieu et Marc disent qu'elles regardaient de loin . V. ces versions du Crucifiement dans le Ttravangile de la Laurentienne (cf. Velmans, Le Tlravangile..., fig. 120, 264), celui d'Iviron 5 (cf. Millet, vangile, fig. 450) ou le Paris, gr. 74 (cf. Omont, vangile avec peintures..., I, fig. 50, 87, II, 140, 178). La peinture murale et d'autres miniatures (galement le Ttravangile de la Laurentienne, dans l'vangile de Jean, fol. 208, fig. 297) suivent l'vangliste Jean qui introduit Marie et saint Jean prs de la croix.

    32. L. Hadermann-Misguicii, Kurbinovo..., II, fig. 72. 33. C. Mango et E. J. W. Hawkins, The Hermitage of St. Neophytos and Us Wall Painiings, dans Dumbarton Oaks Papers , XX, 1966, p. 121-206. 34. Ce schma iconographique avec Jean et Marie du mme ct existe dj dans des miniatures byzantines d'poque antrieure, comme le montre le fol. 208 du Ttravangile de la Laurentienne (cf. Vei.mans, Le Tlravangile..., fig. 297) ou le Ttravangile de Glati, fol. 136 v. Mais dans ces images la relation entre les deux personnages est trs peu dfinie et leur groupe n'a rien d'mouvant.

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    partir du moment o une image cesse d'tre l'quivalent d'une vision, d'un signe unique, cohrent, indiscutable et vident, on prouve en effet le besoin d'en raconter l'action ou la situation ; autrement dit, lorsqu'un contenu symbolique se transforme en contenu affectif, il ne peut tre exprim autrement qu' l'aide d'un vocabulaire enrichi. Il s'agit d'ailleurs d'un cercle vicieux. Plus on ajoute d'accessoires, d'pisodes secondaires ou mme anecdotiques, d'allusions aux textes ou aux rites de la liturgie, plus on remarque tous ceux qui manquent. Au Crucifiement de Daphi ou de Saint-Luc (fig. 8) on ne peut rien ajouter ; au Crucifiement de Sopocani (fig. 12) ou ceux trs dvelopps du xive s. Gracanica, Staro Nagoricino, Lesnovo, il manque chaque fois un lment quelconque reprsent ailleurs. En montrant les personnages sacrs sous un aspect plus familier, un intrt historique pour les menus faits et gestes attachs leur personne se fait jour quasi automatiquement.

    Marie glorifie et toujours plus prs des hommes Si rarement et si brivement voque par les vangiles, Marie devient, dans la peinture, le personnage central de la Passion aprs le Christ. C'est sur elle que l'on projette principalement les nouvelles valeurs affectives, que l'on s'apitoie et sur elle que l'on compte pour intercder auprs du Seigneur. Ds le dbut du xne s., la mort de Marie proccupe les esprits, car son droulement est compris comme une preuve ultime de la place privilgie de la Thotocos auprs du Seigneur. Aussi prend-on soin dans la Dormition d'entourer le Christ d'une mandorle et de lui faire recueillir l'me de Marie35. C'est prcisment partir du xne s. que le fameux discours sur la Dormition de la Vierge de saint Jean, archevque de Thessalonique (v. 582-602), a t fortement remani, remaniement qui a d'ailleurs t lui-mme soumis de nouveaux changements par la suite36. Ces remaniements, inspirs par les apocryphes, tmoignent du mme esprit que l'volution des schmas iconographiques. Dans l'image de la Dormition, la prsence de valeurs affectives se fait sentir discrtement ds le dbut du xne s. Les aptres pleurent et s'essuient dj les yeux la Panaghia Phorbiotissa Asinou (1106)37, mais ce n'est qu' partir de 1150 environ que leurs visages attrists deviennent pour ainsi dire la rgle dans cette scne, comme on le voit la Martorana de Paenne38, Kourbinovo (fig. 13), Saint-Nicolas Kasnitzis Castoria39 et ailleurs40. Au monastre de Spas Mirozski Pskov (v. 1 156)41, les saintes Femmes elles-mmes, situes tout au fond de la composition, pleurent (fig. 14). Au xme s., le Christ se montrera tantt impassible, tantt profondment attrist comme Sopocani42. Plus tard, au xive s., Gracanica, Staro Nagoricino, Studenica43, Psaca, au

    35. La mandorle n'est pas encore absolument obligatoire. A la Martorana Palerme ou Saint-Nicolas Kaznitzis Castoria, elle manque. 36. Cf. Saint Jean, archevque de Thessalonique. Discours sur la Dormition de la Sainte Vierge, d. M. Jugie dans Homlies marites byzantines, Patrologia Orienialis, II, 1925, p. 355. 37. Reprod. chez A. et J. Stylianou, The Painled Churches of Cyprus, Chypre, 1964, fig. 20. 38. Reprod. chez O. Demus, The Mosaics of Norman Sicily, Londres, 1949, pi. 56. 39. Reprod. chez S. Plkanidis, Kasloria, Salonique, 1953, pi. 50. 40. V., par ex., la trs belle Dormition aux aptres attrists la Panaghia tou Arakou Lagoudera (Hadermann- Misguich, Kurbinovo..., fig. 91). 41. V. Lazarev, Old Russian Murais and Mosaics, Londres, 1966, p. 247, fig. 46. 42. Reprod. chez V. Djuric, Sopoani, Belgrade, 1963, pi. XXIX. 43. Reprod. chez R. Hamann-Mag Lean et H. Hallensleben, Die Monumentalmalerei in Serbien und Macdonien, Giessen, 1963, fig. 335, 285-286, 263-265.

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    monastre de Marko44 et ailleurs, les femmes qui jusque-l ne se montraient que discrtement dans l'ouverture des fentres ou sur les balcons des architectures du fond occuperont le premier plan et exprimeront leur chagrin en gesticulant. Au Brontochion Mistra, elles emmneront mme leurs enfants, se boucheront les oreilles, se tiendront la tte des deux mains ou couvriront leurs yeux45. Le visage de Marie cessera d'tre serein et ressemblera au masque crisp de n'importe quelle dfunte. Quant au tourment des aptres, il sera exprim d'une faon de plus en plus intriorise dans les fresques du xme et du dbut du xive s. et celles de Sopocani, de Staro Nagoricino ou des Saints-Aptres de Salonique46 en sont d'excellents exemples. Comme dans les autres images analyses plus haut, l'expression des sentiments dynamisera la composition et suscitera la narration. Au lieu d'entourer Marie d'une faon plus ou moins statique, les aptres formeront quelquefois un cortge pour emporter la dfunte en direction du tombeau47. L'image de la Dormition sera trs souvent remplace par le cycle des Funrailles de Marie48. Paralllement ces reprsentations inspires par les apocryphes et la liturgie (fte de la Dormition), de nouveaux types iconographiques de la Vierge apparaissent ou se prcisent. Jusqu'aux annes soixante du xne s. environ, la Thotocos figure avec l'Enfant demeurait parfaitement impassible et aucun contact ne s'tablissait entre elle et son fils. Ds 1130 Marie est reprsente la fois attendrie et mlancolique, pressant l'Enfant contre sa joue. L'exemple le plus connu est celui de l'icne dite de Vladimir (v. 1130) o la Thotocos garde encore un visage svre et idalis, tout en exprimant des sentiments humains (fig. 15). Ce type est rapidement adopt par les fresquistes et on le voit aussi bien sur les parois de l'glise d'Episkopy Mani49, o la similitude avec l'icne est trs frappante, qu' Saint-Nophyte de Paphos (v. 1196)50et, plus tard, dans les glises des xnie et xives.51. Dans la Prsentation du Christ au temple, l'Enfant divin n'est pas sans avoir, lui aussi, des gestes d'attachement et d'amour pour sa mre, comme c'est le cas Nrzi52. Il prend des attitudes familires la Panaghia tou Arakou Lagoudera (1192), o il s'agrippe au vtement du grand prtre avec une telle violence que sur le manteau de Simon se dessine un vritable faisceau de plis53 ; Backovo (2e moiti du xne s.) Simon prend affectueusement l'enfant gigotant dans ses bras54. A la fin du xne s., aux Saints- Anargyres Castoria, sainte Anne avec la petite Marie a le visage tourment (fig. 16) que l'on donnera souvent plus tard la Vierge avec l'Enfant ou la Vierge dans la Disis. Deux traits qui caractriseront souvent les images de la Vierge aux xme et xive s., dans la peinture murale, apparaissent pour la premire fois sous une forme insistante dans les

    44. Reprod. chez G. Millet-T. Velmans, La peinture du moyen ge en Yougoslavie, Paris, 1969, IV, fig. 108, 193. 45. Reprod. chez G. Millet, Monuments byzantins de Mistra, Paris, 1910, pi. 101,2; 102,3. 46. Reprod. chez T. Velmans, La peinture murale..., fig. 138. 47. Comme Staro Nagoriino, par ex. (cf. Hamann-Mac Lean et Hallensleben, op. cit., fig. 263). 48. Je n'analyserai pas ici ces images, dont l'intrt est considrable, mais concerne plutt la peinture du xive s. Sur l'illustration de la Dormition de la Vierge, on peut consulter une tude, incomplte cause de son anciennet, mais excellente par ailleurs : L. Whatislav-Mitrovi^ et N. Okunev, La Dormilion de la Sainte Vierge dans la peinture

    mdivale orthodoxe, dans Byzantinoslavica , III1, 1931, p. 134-176. 49. Reprod. chez N. V. Dandrakis, Bvavuvai Toi%oy>a(pia.i rrj /taa Mvrj, Athnes, 1964, pi. 77 a. 50. Reprod. chez Stylianou, The Painted Churches..., fig. 63. 51. Par ex., Studenica, glise du Kral (Hamann-Mac Lean et Hallensleben, Die Monumentalmalerei..., p. 272) ou Staro Nagoricino (Vierge Pelagonitissa) o l'Enfant se retourne dans les bras de Marie pour l'embrasser et lui caresser la joue en mme temps (Millet-Frolow, La peinture..., III, pi. 119,1). 52. P. Miljkovic-Pepek, Nerezi, Belgrade, 1966, pi. 14. 53. V. aussi les autres aspects nouveaux de cette image, tels que les boucles d'oreilles quelque peu folkloriques de l'Enfant (dj observes par A. et J. Stylianou, The Painted Churches..., p. 77). 54. Reprod. chez E. Bakalova, Bakovskata Koslnica, Sofia, 1977, fig. 105.

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    miniatures d'un manuscrit du xne s. Il s'agit du recueil d'homlies du moine Jacques de Kokkinobaphos55. Presque toutes les miniatures qui illustrent le cycle, dj bien connu, de l'Enfance de la Vierge56 sont extraordinairement dveloppes57. D'autres images dbordent de tendresse. Ainsi, le grand prtre embrasse Marie en la recevant au temple, ses parents la caressent avec sollicitude, la bordent dans son lit, etc.58. Le deuxime trait intressant de ces miniatures concerne le cycle des prfigurations bibliques de Marie. Ces prfigurations (buisson ardent, porte troite, Gdon, etc.) taient cites depuis longtemps dans les textes, mais c'est la premire fois qu'on les voit, nombreuses, dans une illustration ; elles connatront un succs considrable dans les glises l'poque des Palologue59. Aux cycles labors autour de la vie et de la mort de Marie (Enfance, Nativit, Dormition) s'ajouteront, aux xme et xive s., des images d'un autre genre, nullement narratives, comme le Stichre de Nol (fin du xuie s.)60 ou le cycle de l'hymne Acathiste (fin du xive s.)61. Ces reprsentations illustrent des hymnes de glorification chants au cours de la liturgie certains moments de l'anne, hymnes dont la forme et le contenu sont essentiellement lyriques et o s'panche un sentiment de gratitude pour la Mre de Dieu. S'il en est question ici, c'est parce que toutes les images voques plus haut sont imprgnes d'une note, non seulement sentimentale, mais aussi essentiellement lyrique. C'est effectivement la posie des chants liturgiques que l'on retrouve dans les plus beaux ensembles picturaux du xne s. Le culte mariai avait eu une importance considrable Byzance ds les ve-vie s. (aprs le concile d'phse), mais il s'est surtout dvelopp partir des xe-xie s. Sermonnaires et mlodes cherchrent alors faire mieux comprendre le mystre mariai en commentant longuement la vie et la mort de la Vierge. Les peintres ne les suivront qu'un ou deux sicles plus tard, lorsqu'ils seront devenus particulirement attentifs la posie liturgique et la nouvelle forme de la pit. Ds le xne s., ils semblent s'inspirer des hymnes liturgiques qui dveloppent le thme de la souffrance de Marie. Dans la liturgie du Samedi saint, ce sont de vritables cris de douleur que l'on met dans la bouche de Marie : Dieu, Verbe ! , ma joie, comment supporter votre ensevelissement pendant trois jours ! A prsent mes entrailles de mre sont dchires . Et encore : Qui me donnera une source de larmes torrentielle pour que je pleure mon doux Jsus . Ou bien : Collines et vallons, et vous, foule des hommes, pleurez ; et vous, tout l'univers, lamentez-vous avec moi, la mre de votre Dieu62 . Plusieurs strophes extraites de l'uvre de Symon Mtaphraste ont t cites prcdemment propos d'images de la Passion, mais l'esprit ou le caractre de l'ensemble que constituent les neuf odes des compiles chantes l'office du Vendredi saint n'a pas t relev. Il se laisse dfinir par la continuit du rcit (rare dans les pomes liturgiques) qui commence avec le

    55. On possde deux exemplaires de ce recueil : le Parisinus graecus 1208 et le Vaticanus graecus 1162, dont il est question ici (cf. C. Stornajolo, Miniature dlie Omilie di Giacomo Monaco e delV Evangelario Greco Urbinate, Rome, 1910). 56. Sur ce cycle, v. J. Lafontaine-Dosogne, Iconographie de l'Enfance de la Vierge dans l'empire byzantin et en

    Occident, Bruxelles, 1964. 57. Un vnement comme la prsentation de Marie au temple, figur d'habitude par une seule image, est reprsent par dix miniatures en pleine page, dans ce manuscrit (cf. Stornajolo, Miniature..., p. 22-32).

    58. Stornajolo, Miniature..., p. 17, 18, 24. 59. Il suffira de mentionner ici celles, trs nombreuses, qui se trouvent dans la chapelle Sud de Kahri-Djami (P. A. Underwood, The Kariye Djami, New York, 1966, III, reprod. p. 437-452). 60. Sur les illustrations du Stichre de Nol, v. A. Grabar, L' empereur dans l'art byzantin, Paris, 1936, p. 260-2G1 ; V. Djuric, Portreli v izobrazenjah rozdeslvenih slihir, dans Vizantija, juznjie Slavjane i drevnaja Rus, Zapadna Evropa, Moscou, 1973, p. 244-255. 61. Sur les illustrations de l'hymne Acathiste, v., en dernier lieu, avec une bibliographie : G. BABid, L'iconographie constantinopolitaine de VAcalhisle de la Vierge Cozia (Valachie) , dans Recueil des trav. de l'Inst. d't. byzant. , Belgrade, 1973, XIV-XV, p. 173-189. 62. E. Mercenier, La prire des glises de rite byzantin, II, 2e part., Chevetogne, p. 228.

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    Crucifiement et se termine par la Mise au tombeau, son caractre dramatique, les nombreux dtails voqus, enfin le dialogue entre Marie et le Christ qui s'y trouve inclu. Ces lments - le dialogue except sont galement prsents dans les peintures analyses plus haut, et les distinguent des images d'poques antrieures. Aux xme et xive s., de telles tendances seront infiniment plus apparentes et le rapport entre la liturgie et la peinture murale encore beaucoup plus direct. Mais, dj au xne s., il n'est pas tonnant de constater l'influence de la liturgie du temps pascal 63, puisque Pques est un moment central de l'anne liturgique au cours duquel l'glise commmore et revit le mystre de la Rdemption devenu possible par l'Incarnation. Marie est au centre du drame pascal, et les iconographes ne l'ont pas oubli. Au xiiie s. le culte de Marie aura d'ailleurs suffisamment progress pour que le besoin de nouvelles ftes et glorifications de la Vierge se fasse sentir. L'occasion de les crer se prsentera lorsque Andronic II (1282-1328) dira avoir bnfici d'un miracle. Aussi s'empressera-t-il d'instaurer le mois mariai en 129764. Le mois d'aot tout entier sera ds lors consacr au culte de la Thotocos. Chaque jour on clbrera une fte en l'honneur de la Vierge dans une glise diffrente Constantinople et de nombreuses veilles, processions, et autres festivits seront organises cette occasion65. Mme si nous voquons l un phnomne assez tardif par rapport au xne s., il nous aide comprendre la direction dans laquelle voluait la pit. Cette volution annonce galement certains gards les ides de Constantin Cabasilas et de Grgoire Palamas sur la Thotocos, les innovations liturgiques auxquelles on assiste vers 1335 et l'augmentation constante des cycles ddis la Vierge66.

    Les grandes inquitudes L'attendrissement qu'avait suscit le rcit de la Passion et les souffrances de Marie conduira aussi prendre l'homme en piti. Les inquitudes majeures qu'prouve le chrtien face la mort et au pch suscitent des sujets nouveaux tels que le Jugement Dernier. L'apparition de cette scne est sans doute favorise galement par les discussions thologiques qu'avait souleves vers la fin du xie s. le philosophe Jean Italos qui enseignait l'Universit impriale de Constantinople. Nourri de Platon et d'Aristote, il essaya d'introduire le raisonnement logique dans la thologie orthodoxe ; il niait, entre autres, la rsurrection et le jugement dernier. Les controverses qu'avait souleves cette mise en doute des dogmes fondamentaux de la foi chrtienne continurent pendant tout le xne s., bien que l'glise et l'empereur fissent tout pour y mettre fin67. Indpendamment de ce courant d'ides, l'affaiblissement de l'empire

    63. Nous entendons par l la liturgie des offices de la semaine qui prcde le dimanche de Pques et de celle qui suit ce dimanche. Au cours de ces deux semaines tous les hirmi de la 9e Ode des Canons sont mariaux, sauf pour les canons du dimanche des Rameaux et du Jeudi saint, et l'hymnographie du Jeudi au Samedi saint est particulirement varie et dveloppe (cf. A. Kniazeff, La Tholocos dans les offices byzantins du temps pascal, dans Irenikon , 1961, n 1, Chevetogne, p. 23 ; Mercenier, La Prire..., II, p. 89-93 et ss). Une partie de cette hymnographie, notamment le long pome de Romanos le Mlode (6e Ode), est perdue, deux strophes exceptes (cf. Kniazeff, op. cit., p. 24 et Mercenier, op. cit., II, p. 186). 64. V. Grumel, Le mois de Marie des Byzantins, dans chos d'Orient , XXXI, 1932, p. 257-269. A Constantinople, on clbrait un office spcial en l'honneur de Marie le 1er aot l'glise de la Vierge Hodighitria, le 15 aot Sainte-Sophie, le 31 aot l'glise des Blachernes. 65. Le dcret d'institution de cette longue srie de ftes figure dans les opuscules de Nicphore Choumnos qui l'a probablement rdig. On y lit entre autres : ... L'ordonnance veut que non pas un jour seulement comme le pratiquait l'ancien usage, soit clbre cette fte (Dormition et Ascension de la Vierge), mais qu'elle commence ds le dbut et le premier jour du mois o est ce mystre, et se prolonge jusqu'au bout et se termine l mme o le mois se termine (Grumel, Le mois de Marie..., p. 258). 66. De nouveaux offices liturgiques en honneur de la Vierge apparaissent cette date, notamment celui compos par Calliste Xantopoulos pour glorifier la Vierge Source de Vie, et que l'on chantait le vendredi de Pques conjointement l'office du soir (Kniazeff, La Thotocos..., p. 30). 67. Cf. S. Salaville, Philosophie et thologie ou pisodes scolastiques Byzance de 1059 1117, dans chos d'Orient , XXIX, 1930, p. 141-146.

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    au xne s., la corruption et l'inscurit gnrale avaient assur le succs de certaines prophties annonant des catastrophes collectives68 ; elles n'ont pu qu'intensifier les inquitudes eschato- logiques qui se faisaient jour. On verra donc le Jugement Dernier une premire fois, dans la peinture murale, au xie s., la Panaghia Chalkon Salonique69 puis beaucoup plus souvent dans la seconde moiti du xne s. Il s'agit d'une composition cumulative en ce qui concerne son contenu et organise sur plusieurs registres centrs sur l'axe mdian, si l'on veut la dfinir sur le plan formel. Des textes trs divers sont amalgams dans cette image qui repose sur une association d'ides gravitant autour du thme de la mort, de la rsurrection, du jugement et du pch70 ; il s'agit en fait essentiellement d'une grandiose concrtisation visuelle de la Rdemption, plus explicite que la Descente aux Limbes, qui est d'ailleurs reprsente juste au-dessus du Jugement Dernier Torcello. Les artistes s'inspirent principalement d'une description de saint Ephrem le Syrien (ive s.) o l'on retrouve presque tous les lments de l'image, lments emprunts principalement aux Visions de Daniel (VII, 9), d'zchiel (XVI, 12-13), de Zacharie (XII, 10-14) et l'Apocalypse (I, 7). Ce qui est tonnant dans le schma iconographique du Jugement Dernier est son absence d'volution. Alors que tous les autres schmas ou presque s'enrichissent de personnages, d'pisodes ou de dtails nouveaux entre le xne et le xive s., le Jugement Dernier est entirement et dfinitivement constitu ds le xne s. Torcello et on pourrait presque dire, ds les premires apparitions de cette scne au xie s., la Panaghia Chalkon Salonique et dans les manuscrits (Paris, gr. 74)71. Cependant, au xie s., le Jugement Dernier n'est prsent, dans les glises, que d'une faon trs exceptionnelle. Au xne s., il connat un succs immense. A Backovo72, Staraja Ladoga (1167), Nereditsa (1199), Saint-Dmtrios Vladimir (1195)73, on lui consacre une importante partie des parois disponibles. Une lecture de tous les registres de l'image de Torcello74 nous entranerait trop loin de notre point de dpart, puisque c'est surtout son noyau central (fig. 17), avec le Christ en gloire auquel la Vierge et saint Jean adressent des prires d'intercession, qui nous intresse. Aux pieds du Seigneur apparaissent les ttramorphes couverts d'yeux et les roues d'Ezchiel (IX, 10-16), ainsi que le fleuve de feu de Daniel (VII, 9-10). Ces lments emprunts aux images des Visions des prophtes sont, ici, secondaires. Ce que l'on souligne est la prire d'intercession de Jean et de Marie, prire dont le fondement dogmatique est figur sous les pieds des trois personnages cits. On y voit l'Htimasie avec le trne de la Seconde Venue, les instruments de la Passion, Adam et Eve en prire, deux anges et deux chrubins : le sacrifice sur la croix a effac le pch, pardonn les protoplastes, vaincu la mort et rendu possible la Rdemption.

    68. H. Ahrweiler, Forces centrifuges el centriptes dans le monde byzantin entre 1071 et 1261 (rapport au XVe Congrs intern. des Et. byz., Athnes, 1976).

    69. K. Papadopoulos, Die Wandmalereien des XI. Jahrhunderls in der Kirche TIavyia rv XaXxv, in Thessaloniki, Graz /Cologne, 1966, p. 71 et ss, pi. 19-22. 70. Contrairement ce que l'on voit la mme poque en Occident, le pch et le mal sont trs peu reprsents Byzance et presque exclusivement dans le Jugement Dernier. Par ailleurs, la pense orthodoxe a toujours eu tendance mettre davantage l'accent sur la Rsurrection que sur la Passion. 71. Omont, vangile avec peintures..., pi. 81.

    72. Bakalova, Bakovskata..., p. 183, fig. 100. 73. V. Lazarev, Freski staroj Ladogi, Moscou, 1960, fig. 66-69, p. 48 et ss ; id., Old Bussian Murais, Londres, 1966, fig. 47-48 ; p. 127, fig. 104-105 ; p. 79-92, fig. 60-64. 74. Sur le Jugement Dernier et ses divers pisodes v. B. Brenk, Tradition und Neuerung in der chrisllichen Kunsl

    des ersten Jahrlausends. Une bonne reproduction du Jugement Dernier de Torcello et un bref commentaire, chez A. Grabar. La peinture byzantine, Genve, 1953, p. 120.

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    Cette image, qui occupe le plus souvent tout le mur occidental, s'avre insuffisante malgr son tendue. La prire d'intercession, indpendante du Jugement Dernier, tait reprsente, dans les glises byzantines, par le sujet de la Disis ds une haute poque75. Mais ce sujet reste assez exceptionnel avant le xie s. et les dimensions de l'image modestes, puisqu'on la voit surtout, avec les personnages en buste, sur l'arc de l'abside76. Au xne s. une innovation qui s'tait annonce ds les xe-xie s. se concrtise et devient la rgle. On reprsente sur les piliers Est qui prolongent souvent la clture du chur, ou sur la partie des murs qui touche cette clture, de grands personnages en pied entours, dans la plupart des cas, de somptueux cadres sculpts ou peints. Ce sont des icnes murales qui reprsentent le Christ, la Vierge, le saint patron de l'glise ou les trois personnages de la Disis. Quelle que soit l'ordonnance de ces images, et mme lorsqu'elles ne figurent pas la Disis au sens propre du terme, elles expriment le thme de l'Intercession. A Saint-Pantlimon de Nrzi (1164) la Vierge et saint Pantlimon (patron de l'glise) sont figurs respectivement sur les piliers nord-est et sud-est du chur77. A Saint-Nicolas Kasnitsis Castoria78, le Christ et saint Nicolas, patron de l'glise, prolongent l'iconostase en occupant les murs latraux auxquels celle-ci est appuye. A l'glise de la Thotocos Samari, la Vierge l'Enfant et le Christ flanquent l'iconostase79. Aux Saints-Anargyres de Castoria, on n'a pas reprsent la Disis proprement dite, mais seulement une Vierge mdiatrice vue de trois quarts et portant un rouleau dploy avec la prire d'intercession ; la main divine la bnit dans l'angle suprieur droit ; les saints patrons de l'glise, Cme et Damien, couronns par le Christ, lui font pendant80. Dans tous ces ensembles, nous sommes devant une sorte d'association entre les divers lments de la Disis et l'image du saint patron. La composition complte de la Disis, accompagne ou non du saint patron, apparat galement sur les parois ou les piliers proches de l'iconostase ; de bons exemples existent la Panaghia tou Arakou Lagoudera (fig. 18)81, et Saint-Georges de Kourbinovo82 ; dans ces deux glises, les images de la Disis (mur sud) prennent toute leur signification grce la Vierge et au Baptiste qui tiennent des rouleaux dplis83 avec des textes emprunts respectivement l'Hermneia84 et l'vangile de Jean (I, 29). Le prtre rcite ces textes pendant le rite de la proskomidie85, mais ils n'en traduisent pas moins l'espoir ardent des fidles implorant le pardon pour leurs pchs. A Kourbinovo, le Christ est accompagn de l'inscription IC 'HPINH ( paix ) ; il est celui qui apporte la paix de l'me. D'une certaine faon, ce

    75. A la diffrence de la prire d'intercession reprsente dans le Jugement Dernier, celle qui apparat indpendamment de cet ensemble n'est pas associe des lments provenant des visions des prophtes, sauf dans la priphrie orientale du monde byzantin, mais c'est l un tout autre problme. Le Christ recevant la prire de la Vierge et de saint Jean existe dj Sainte-Marie Antique, au viie s. (cf. J. Wilpert, Die rmischen Mosaiken und Malereien, Rome, IV, pi. 145, p. 665- 666) et, un peu plus tard, au ixe s., Sainte-Sophie de Constantinople (cf. G. Mango, Materials for the Study of the Mosaics of Si. Sophia al Istanbul, Washington, 1962, p. 44-45 ( Dumbarton Oaks Studies , 8) ; P. Underwood, Notes on the Work ofthe Byzantine Institute in Istanbul, 1954, dans Dumbarton Oaks Papers , IX-X, 1955/56, p. 291-300, fig. 106). 76. Par ex., Sainte-Sophie de Kiev (V. Lazarev, Sloria dlia piltura bizaniina, Turin, 1967, p. 159). 77. Cf. T. Velmans, Rayonnement de l'icne au XIIe et au dbut du XIIIe sicle, dans Art et Archologie (Rapports et co-rapports au XVe Congr. intern. des Et. byz.), Athnes, 1976, p. 204-206, pi. XLIII, 7. 78. Plkanidis, Kasloria..., pi. 57 a. 79. H. Grigoriadou-Cabagnols, Le dcor peint de Vglise de Samari en Messnie, dans Cahiers archol. , XX, 1970, p. 177-196, surtout p. 188, fig. 7.

    80. Plkanidis, Kastoria..., pi. 26 a, 28 b. 81. Hadermann-Misguich, Kurbinovo..., p. 218, pi. 119. 82. Ibid., p. 228 et ss,pl. 114, 116, 118. 83. Sur le rouleau de Marie on lit : Que demandes-tu, mre ? Le salut des mortels ; ils sont intervenus auprs de moi ; aie piti d'eux, mon Fils. Mais ils ne se repentent pas ; celui de saint Jean porte le texte de l'vangile (Jean, I, 29) : Voici l'agneau de Dieu qui enlve le pch du monde (cf. ibid., p. 229-231). 84. Papadopoulos-Krameus, Manuel d'iconographie chrtienne, Saint-Ptersbourg, 1909, p. 280.

    85. Brightmann, Liturgies Easlern and Western, Oxford, 1896, p. 357-358.

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  • TANIA VELMANS

    qualificatif rpond la supplication que la Vierge et saint Jean lui adressent. L'image de saint Georges, patron de l'glise, fait face celle du Christ de la Disis. A la fin du xie, et surtout au xne s., s'accomplit un autre changement important dans l'agencement intrieur des glises o le thme de l'Intercession trouvera un nouveau terrain d'expansion. La clture du chur, basse et ouverte jusque-l, devient un mur d'icnes qui ferme le chur et isole le prtre pendant une partie de l'office86. Le thme de l'Intercession y figure deux fois. Une premire fois, il est exprim par l'image classique de la Disis laquelle s'associent parfois les aptres ; elle prend place alors sur l'architrave qui couronne l'iconostase. Une deuxime fois, on voit dans l'entrecolonnement les icnes du Christ vu de face et de la Vierge, figure tantt de trois quarts et tourne vers lui en attitude de prire, comme Saint-Nophyte Paphos (fig. 19), tantt avec l'Enfant, auquel cas il faut considrer que c'est lui qu'elle adresse sa prire. Le saint patron et les archanges peuvent figurer au mme emplacement. Sur ces images Marie est trs souvent attriste, non point en prvision de la future passion du Christ, comme on l'a cru longtemps, mais par commisration pour l'humanit repentie, pour laquelle elle intercde87. Les images des piliers et de l'iconostase n'expriment pas seulement les inquitudes des fidles. Elles sont destines recevoir leurs prires. La multiplication des images de l'Intercession et leurs emplacements correspondent sans aucun doute un besoin nouveau. Moins collective qu'aux sicles prcdents, la pit s'individualise et le chrtien se ressent comme un tre particulier, vulnrable et fautif, infiniment inquiet de son salut. Marie lui apparat alors comme une mre, protectrice et scurisante, dont la piti lui est assure par ce qu'elle a elle-mme souffert. La Thotocos devient ainsi galement la mre des hommes, non point travers le dogme, mais grce une exigence qui relve du domaine de la pit prive et se trouve nanmoins canalise par l'glise. C'est peu prs au mme moment qu'apparatront les premiers gisants en Occident et les monuments funraires deviendront relativement frquents Byzance partir du xme s.88. Le portrait votif connatra un grand essor la mme poque et l'ventail social des donateurs sera considrablement largi89, au point que de simples particuliers se sentiront en droit de fonder une glise90. Les premires signatures d'artistes n'apparatront qu' la fin du xme s., sauf en Gorgie o on en voit ds les dernires annes du xie s.91. Il est bien vident que toutes ces manifestations sont intimement lies et qu'elles relvent d'une certaine volution de la mentalit byzantine dont les premires impulsions se situent aux environs de 1160-1180.

    Peinture et liturgie On a dj pu se rendre compte de l'influence de la liturgie sur la dcoration des glises byzantines au xiie s. travers les images examines plus haut. Elle est en fait encore beaucoup plus importante. L'office lui-mme, ou plus exactement sa partie centrale, domine par

    86. Sur ces changements importants v., en dernier lieu, M. Chatzidakis, L'volution de l'icne au XIe-XIIIe sicle et la transformation du templon, dans Art et Archologie, op. cit., p. 159-189, avec une bibliographie, p. 190-191. 87. A. Grabar, L'Hodighitria et VElousa, dans Zbornik za likovne umetnosti , n 10, 1974, p. 3-14. 88. Velmans, La peinture..., p. 89 et ss. 89. Pour le xne s., v. un article sous presse : S. ToMEKOvid-REGGiANi, Le portrait et les structures sociales au XIIe sicle :

    un aspect du problme-portrait lac, dans Actes du XVe Congr. inlern. des Et. byz., Athnes. 90. Velmans, La peinture..., p. 85 et ss. 91. Des signatures du peintre Tevdore existent dans les glises de la rgion de Svantie, ds 1096, mais il s'agit l d'une autre tradition que nous n'avons pas prendre en considration ici (cf. infra n. 104). Sur ces signatures : N. Alada^vili... (ouvr coll.), Bospisi hudoznika Tevdore v verhnei Svanetii, Tbilisi, 1966, p. 94.

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  • PEINTURE HT MENTALITE BYZANCE

    l'Eucharistie, est reprsent deux fois dans l'abside. Une premire fois, on figure le rite eucharistique lui-mme travers la Communion des aptres du second registre. Cette version liturgique de la Cne, qui montre le Christ distribuant le pain et le vin aux aptres, assist par deux anges-diacres (fig. 20), correspond certaines spculations doctrinales et certains commentaires de thologiens byzantins trs anciens, tels que Maxime le Confesseur ou Thodore de Mopueste (ve s.)92. Les commentaires en question parlent d'un paralllisme entre la liturgie clbre par le clerg sur terre et celle que les anges clbrent au ciel. L'image ne drive cependant pas directement des textes cits. Comme tant d'autres, elle s'inspire d'un passage dj utilis par la liturgie et qui en faisait partie intgrante. Pendant l'anaphore le prtre tait cens contempler le culte clbr par les anges au ciel et on le croyait entour par deux chrubins93. Or, c'est prcisment avec ces deux chrubins que le Christ sera reprsent dans la Communion des aptres au xive s. La deuxime image qui reflte la clbration de la messe suit la Communion des aptres puisqu'elle occupe le registre infrieur de l'abside. Les saints vques qui s'y trouvaient figurs de face jusqu'au milieu du xne s. sont maintenant reprsents vus de trois quarts et composent ainsi une procession. Les rouleaux dploys qu'ils tiennent portent des citations des prires de l'office, prires qui appartiennent le plus souvent la petite et la grande Entre ou la Prothse, et plus rarement la liturgie des catchumnes. Cette procession est complte par la reprsentation de diacres, vus frontalement, et placs sur l'arc triomphal ou les pieds-droits de l'arc absidal comme on le voit aux Saints-Anargyres de Castoria et Kourbinovo94. Les saints prlats convergent soit vers l'autel rel, soit vers un autel peint ou, plus exceptionnellement, vers d'autres figures, telles que l'Htimasie, des anges ou la Vierge. A l'extrme fin du xiie s. cette incertitude quant au centre de convergence du cortge cessera, puisqu'on verra apparatre cet emplacement Kourbinovo95, aux Saints-Anargyres de Castoria (fin xiie s.)96, Saint-Nicolas de Prilep (fin xne s.)97 une image nouvelle : l'Amnos ou Agneau . Le Christ est tendu sur l'autel (Kourbinovo) puis sur la patne (xine s.) pour signifier le sacrifice eucharistique. L'agneau sacrifi est voqu pendant l'office au moment du Mlismos (partage du pain), o l'on s'inspire des textes d'Isae (LXIII, 7), de Jean (I, 29) et de l'Apocalypse (V, 6-13). La reprsentation de l'agneau tant interdite Byzance depuis le concile in Trullo (692), les artistes le remplacent par le Christ Enfant en s'appuyant sur des crits patristiques. L'une des citations les plus connues est celle que l'on trouve chez Cyrille de Jrusalem qui disait : Je vois un enfant qui, sur terre, se donne en sacrifice... il est berger mais aussi agneau98 . L'apparition de l'Amnos a dj t mise en rapport avec les discussions christologiques du xiie s. et notamment avec la contestation de Jean Italos et de ses successeurs qui niaient l'unit des deux natures, divine et humaine, du Christ99. Ils prtendaient que le corps du Christ n'tait pas divin et que par consquent le sacrifice non sanglant ou le mystre de l'Eucharistie n'avaient ni ralit, ni fondement. L'glise combattait ces thories pernicieuses et s'efforait

    92. R. Tonneau et R. Devreesse, Les Homlies catchitiques de Thodore de Mopsueste, Vatican, 1949, p. 499. 93. Bornert, Les commentaires byzantins..., p. 177, 206. 94. Hadermann-Misguich, Kurbinovo..., p. 88 et ss. 95. Millet-Frolow, La peinture du moyen ge..., I, 1954, pi. 84,2. 96. Plkanidis, Kasloria..., fig. 5, 9, a, b. 97. Millet-Frolow, La peinture du moyen ge..., III, 1962, pi. 20,4. 98. Migne, P. G., CXL, col. 165 D-168 . 99. G. Babic, Les discussions christologiques et le dcor des glises byzantines au XIIe sicle, dans Frhmittelalterliche

    Studien , Berlin, II, 1968, p. 368-388.

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    de rpondre par l'affirmative la question : Le Christ peut-il recevoir le sacrifice et tre sacrifi en mme temps ?100 . L'image de l'Enfant sur l'autel entour des saints vques rpondait aux questions et aux doutes par la confirmation du dogme. Elle rappelait galement les paroles de l'hymne des Chrubins chant pendant la grande Entre et la prire rcite par le prtre, o l'on retrouve l'ide du Christ qui s'offre et reoit en mme temps l'offrande101. Beaucoup d'autres images nouvelles du xne s., telles que le Mandylion, l'Ancien des jours, la Trinit, toutes cres d'aprs des vocations liturgiques, ne pourront tre examines ici. On se bornera souligner qu'une correspondance directe s'est tablie, ds le xne s., entre les rites liturgiques et la vie terrestre du Christ. Les tapes historiques du dessein de Dieu sont retraces une premire fois par la liturgie et une seconde fois par les peintures murales. Ds lors, les images apparaissent comme le reflet color, explicit et complmentaire de l'office. Les nouvelles correspondances entre liturgie et dcor parital posent la question de savoir pourquoi l'influence directe et, pour ainsi dire, massive de la liturgie sur le programme iconographique se manifeste justement au xne s. ? Pourquoi voit-on poindre, par ailleurs, un intrt nouveau pour les commentaires des thologiens alors que jusque-l on se contentait des seules critures ? L'intrt pour les commentaires a pu tre une initiative prise par l'glise pour combattre les interprtations hrtiques des critures. Les crits d'Anne Comnne, de Nictas Choniats, d'Euthymios Zigabnos, ainsi que les conclusions des grands Conciles qui s'taient tenus Constantinople l'poque, nous apprennent que des hrsies diverses se rpandent et s'enracinent dans tout le monde byzantin. Pauliciens, bogomiles, manichens se maintiennent pendant tout le xne s., malgr les perscutions dont ils sont l'objet, et trouvent des adeptes dans les campagnes et dans les villes102. De leur ct, les thologiens et le clerg semblent avoir t contamins par les progrs de la logique et de la dialectique. Enfin, la religion avait cess d'tre une affaire de clercs et concernait dsormais les masses103. La seule reprsentation par l'image des principaux vnements vangliques et des grands dogmes de la foi ne rpondaient plus aux questions, beaucoup plus nombreuses, que se posait le chrtien. Aprs avoir cru sans explication, il s'efforait de comprendre. A l'poque des Palologue le dcor des glises lui contera tous les dtails du drame sacr, de nombreux apocryphes, la vie et la mort des saints, les commentaires des thologiens, des Mlodes et parfois des saints locaux. Cette impatience de savoir, cette curiosit manifeste dans le domaine religieux est parallle, dans la seconde moiti du xne s., au changement de la sensibilit qui a t constat plus haut. Elle lui est apparente parce que les deux manifestations sont lies une prise de conscience individuelle et une pit o l'homme commence exister face Dieu. Dans cette nouvelle situation intellectuelle et spirituelle, la foi a peut-tre cess d'tre une certitude absolue pour devenir une esprance ardente et passionne. Le type d'affectivit qu'veille cette esprance est en parfait accord avec les lans lyriques de la liturgie orthodoxe. Elle trouvera son expression verbale dans l'uvre de Constantin Cabasilas, au xive s., lorsque toutes les innovations du xiie s. atteindront leur point de maturit et leur volution maximale en peinture murale, aussi bien dans le domaine de l'iconographie que dans celui du style.

    100. Ibid., p. 84. 101. Mercenier, La prire..., p. 244. 102. Anne Comnne, Alexiade, d. Lieb, II, Paris, 1943, livre V, chap. VIII, 4 ; Migne, P. G., CXXX, col. 20-1360 ; T. I. Uspenskij, Bogoslovskoe i fllosofskoe dvizenie v Vizantii XI-XII vekov, dans 2urnal Ministerstva narodnogo prosveSenija , CCLXXVII, n 99, Saint-Ptersbourg, 1891, p. 107-118. 103. On constate mme un effort de la part des couches cultives de la population pour transmettre des contenus

    religieux des masses ignorantes, ce qui influence l'volution de la langue (cf. H. G. Beck, Kirche und Iheologische Literatur im byzantinischen Reich, Munich, 1959, p. 640).

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  • PEINTURE ET MENTALITE A BYZANCE

    Les hsitations du langage plastique II a trs peu t question du style des peintures de la seconde moiti du xne s. dans cette brve tude. Gomme cela a t dit au dbut, le langage plastique demeure, dans son ensemble, fidle aux valeurs esthtiques traditionnelles. Si on suit les tapes de son volution entre 1160 et 1230 environ, on s'aperoit que toute la seconde moiti du xne s. est une sorte de lutte vhmente entre la ligne rythmique, encore souveraine, et une nouvelle conception du volume et du model qui se cherche. De ces contradictions formelles natra la tension et la nervosit excessive qui caractrisent les uvres du dernier quart du xne s. et propos desquelles on a parl avec raison d'exagration baroque (fig. 21). Les deux tendances, l'ancienne et la nouvelle, existent dj Nrzi en 1164. On y trouve d'une part un allongement excessif des figures qui se manifeste surtout par l'tirement des jambes, la maigreur asctique dont sont marqus aussi bien les visages que les corps des personnages sacrs, la multiplication des plis du drap, les ttes couvertes par un rseau de traits plus ou moins fins, des compositions domines par la ligne rythmique (fig. 24), et d'autre part, une faon picturale de traiter certains visages (fig. 22) qui annonce le style du xme s. Il s'y produit, par moments, un retour aux modles antiques (fig. 22), et d'autres, une certaine sensibilisation au rel qui mne une vulgarisation des types de physionomie et l'apparition de traits d'inspiration populaire (fig. 23). Aux xme et xive s., ces nouveaux types de physionomie seront extrmement frquents, et cela mme dans des ensembles picturaux de premire qualit. A Nrzi, la scne de la Nativit de la Vierge (fig. 24) runit tous les traits cits plus haut. La jeune servante qui soutient Marie au premier plan semble vouloir lui donner un appui et tenir compte de sa faiblesse d'accouche (intention raliste). Mais elle est reprsente dans un style linaire, avec de trs longues jambes et les plis du drap caractristiques pour la peinture des Gomnne. Derrire son dos, le bain de l'Enfant est figur d'une faon traditionnelle ; cependant la sage- femme est une paysanne aux bras muscls qui, les manches retrousses, soutient habilement le corps fragile de l'Enfant d'une main, et le lave de l'autre. A l'extrme droite de la composition apparat un profil qui n'est pas sans rappeler certaines ttes antiques. Ainsi, ct du style dominant qui est celui des Comnne, on voit Nrzi, et dans de nombreuses glises de la seconde moiti du xne s., des visages qui annoncent le nouveau style monumental tendances antiquisantes du xme s., et, d'une faon plus gnrale, la dernire renaissance dans l'art byzantin. A mesure que l'poque avance, ces signes avant-coureurs d'un nouveau langage plastique se multiplient, tandis que le graphisme de l'poque des Gomnne atteint son dernier stade de dveloppement dans une sorte de baroque manir et fivreux, comme on le voit Kourbinovo (fig. 21) ou Staraja Ladoga. Aux environs de 1190/95, le style linaire arrive son dernier stade d'volution qui se traduit par un morcellement de la forme comme on le voit Arkazi prs de Novgorod ou Rabdouchou, au Mont Athos. Mais au mme moment les fresques de Lagoudera annoncent, par la douceur du model et le beau visage triste du Pantocrator tout-puissant dans la coupole (fig. 25), les temps futurs. La prise de Constantinople en 1204 par les Croiss fera le reste. Le choc psychologique facilitera certaines ruptures et l'humiliation subie encouragera les esprits se tourner vers un pass glorieux. L'Antiquit, dont la pense chrtienne n'avait plus rien craindre, sera rhabilite et des modles qui correspondaient l'esprit nouveau seront rapidement trouvs. La seconde moiti du xne s. avait largement prpar le terrain104.

    104. Les innovations tudies dans cet article ne concernent pas les pays de la priphrie orientale du monde byzantin (Gorgie, Armnie, Egypte copte) et seulement partiellement la Cappadoce qui en fait partie. Les nouveauts mirent trs longtemps parvenir dans ces rgions et certaines ne furent jamais acceptes.

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    PlanLes constantes traditionnellesLes tmoignages d'une nouvelle sensibilit et son importance pour l'volution futureLa transformation des sujets iconographiques traditionnelsMarie glorifie et toujours plus prs des hommesLes grandes inquitudesPeinture et liturgieLes hsitations du langage plastique

    IllustrationsFig. 1. Phocide. Saint-Luc, saint BasileFig. 2. Nrzi. Saint-Pantlimon. ThrneFig. 3. Gense de Vienne. Mort de JacobFig. 4. Ohrid. Saint-Clment. ThrneFig. 5. Cappadoce. Toqali Kilise. Descente de croix et EnsevelissementFig. 6. Nrzi. Saint-Pantlimon, Descente de croixFig. 7. Milesevo. Eglise de l'Ascension. Descente de croixFig. 8. Phocide. Saint-Luc. CrucifiementFig. 9. Paphos. Saint-Nophyte. Crucifiement. DtailFig.10. Paphos. Saint-Nophyte. Crucifiement. DtailFig.11. Aquile. Dme. CrucifiementFig.12. Sopoani. Eglise de la Transfiguration. Crucifiement. DtailFig.13. Kourbinovo. Saint-Georges. DormitionFig.14. Miro. Monastre du Sauveur, Dormition, dtailFig.15. Moscou . Galerie Tretjakov, icne de la Vierge de VladimirFig. 16. Castoria. Saints-Anargyres, Saint-Georges, sainte Anne et la petite MarieFig. 17. Torcello. Dme, Jugement dernier, dtailFig. 18. Lagoudera. Panaghia tou Arakou, la Vierge ElousaFig. 19. Paphos. Icne de la Vierge en prireFig. 20. Nrzi. Saint-Pantlimon. Communion des aptres, dtailFig. 21. Kourbinovo, Saint-Georges, Annociation, dtailFig. 22. Nrzi. Saint-Pantlimon, Transfiguration, dtailFig. 23. Nrzi. Saint-Pantlimon, Introduction de la Vierge au temple. DtailFig. 24. Nrzi. Saint-Pantlimon, Nativit de la ViergeFig. 25. Lagoudera. Panaghia tou Arakou, Pantocrator