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164 Vesselina Vatchkova La méthode byzantine de la damnatio memoriae L’histoire de Byzance, au moins jusqu’à la prise de Constantinople par les Latins (1204), pourrait être considérée comme étant la première partie d’un manuel traitant les hérésies européennes (la deuxième partie commencerait par la propa- gation des grandes hérésies dans le monde chrétien latin du XII e s. 1 ). Même si unе constatation pareille semble un peu exagérée, en effet, les évènements des huit pre- miers siècles de l’histoire byzantine (325–1111) sont dominés par le conflit entre les adeptes et les ennemis successivement de l’arianisme, macédonianisme, nestoria- nisme, monophysisme, monothélisme, iconoclasme, paulinisme et bogomilisme 2 . Ce fait est bien visible dans les livres d’histoire écrites de point de vue positiviste, dont les auteurs ne s’intéressent pas particulièrement aux détails des discussions théologiques et de l’activité des conciles. Ce qui reste presqu’inaperçu, et moins encore souligné par les chercheurs, c’est le fait que l’histoire de toute hérésie byzan- tine comprend sa formation, sa propagation et son désapprouvement, le dernier étant assez souvent précédé et/ou suivi par une période, plus ou moins longue, pendant laquelle „l’hérésie“ est admise comme dogme officiel de l’Eglise. Ceci est valable aussi pour la dernière „hérésie“ byzantine condamnée par un concile en 1342 – l’Hé- sychasme (le Palamisme), finalement – dès 1351, devenu dogme officiel de l’Eglise Orthodoxe de l’Est, même jusqu’à nos jours. Dans ce contexte, l’analyse approfondie de l’histoire byzantine et, globale- ment, de celle de l’Orthodoxie de l’Est, pose une question essentielle, qui est de savoir comment les Romées mémorisaient-ils un certain courant canonique (aussi bien les personnes liées à ce courant) comme hérétique s’il était considéré par une, ou plusieurs générations comme orthodoxe, mais fut ensuite proclamé pour hérésie, et vice-versa? L’essence du problème est au premier lieu psychologique, surtout s’il s’agit de désapprouver les valeurs idéologiques d’époques entières. En effet, ce problème découle du fait que discréditer une époque, englobant une ou plusieurs générations qualifie inévitablement l’existence des individus, qui ont vécu alors, comme „un temps perdu“, qui s’est „écoulé dans l’imposture et les efforts vains“ dans une direction „erronée“. Sans doute la conscience que ta vie a été un „temps perdu“ et tes occupations ont été stériles et fausses, est une grande 1 V. Heresy and the Persecuting Society in the Middle Ages: Essays on the Work of R.I. Moore and other books by Michael Frassetto (Editor). Leiden. Boston, 2006, Sur le début de l’« heresi- machia » en Occident v. Siegel, A. „Italian Society and the Origins of Eleventh-Century Western Heresy“, ibid, pp. 43–72. 2 En ce qui concerne le bogomilisme byzantin v. au premier lieu H. Kusabu, „The Byzantine View of the Bogomils: A Heresiological Approach“. – In: 21st International Congress of Byzantine Studies, London, 2006 sur le site http://www.wra1th.plus.com/byzcong/paper/I/I.8_Kusabu.pdf, [consulté le 5 mars 2010]. V. aussi Hamilton, B., „Bogomil Influences on Western Heresy“. – In: Heresy and the Persecuting Society in the Middle Ages, pp. 93–114.

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Vesselina Vatchkova

La méthode byzantine de la damnatio memoriae

L’histoire de Byzance, au moins jusqu’à la prise de Constantinople par les Latins (1204), pourrait être considérée comme étant la première partie d’un manuel traitant les hérésies européennes (la deuxième partie commencerait par la propa-gation des grandes hérésies dans le monde chrétien latin du XIIe s.1). Même si unе constatation pareille semble un peu exagérée, en effet, les évènements des huit pre-miers siècles de l’histoire byzantine (325–1111) sont dominés par le conflit entre les adeptes et les ennemis successivement de l’arianisme, macédonianisme, nestoria-nisme, monophysisme, monothélisme, iconoclasme, paulinisme et bogomilisme2. Ce fait est bien visible dans les livres d’histoire écrites de point de vue positiviste, dont les auteurs ne s’intéressent pas particulièrement aux détails des discussions théologiques et de l’activité des conciles. Ce qui reste presqu’inaperçu, et moins encore souligné par les chercheurs, c’est le fait que l’histoire de toute hérésie byzan-tine comprend sa formation, sa propagation et son désapprouvement, le dernier étant assez souvent précédé et/ou suivi par une période, plus ou moins longue, pendant laquelle „l’hérésie“ est admise comme dogme officiel de l’Eglise. Ceci est valable aussi pour la dernière „hérésie“ byzantine condamnée par un concile en 1342 – l’Hé-sychasme (le Palamisme), finalement – dès 1351, devenu dogme officiel de l’Eglise Orthodoxe de l’Est, même jusqu’à nos jours.

Dans ce contexte, l’analyse approfondie de l’histoire byzantine et, globale-ment, de celle de l’Orthodoxie de l’Est, pose une question essentielle, qui est de savoir comment les Romées mémorisaient-ils un certain courant canonique (aussi bien les personnes liées à ce courant) comme hérétique s’il était considéré par une, ou plusieurs générations comme orthodoxe, mais fut ensuite proclamé pour hérésie, et vice-versa? L’essence du problème est au premier lieu psychologique, surtout s’il s’agit de désapprouver les valeurs idéologiques d’époques entières. En effet, ce problème découle du fait que discréditer une époque, englobant une ou plusieurs générations qualifie inévitablement l’existence des individus, qui ont vécu alors, comme „un temps perdu“, qui s’est „écoulé dans l’imposture et les efforts vains“ dans une direction „erronée“. Sans doute la conscience que ta vie a été un „temps perdu“ et tes occupations ont été stériles et fausses, est une grande

1 V. Heresy and the Persecuting Society in the Middle Ages: Essays on the Work of R.I. Moore and other books by Michael Frassetto (Editor). Leiden. Boston, 2006, Sur le début de l’« heresi-machia » en Occident v. Siegel, A. „Italian Society and the Origins of Eleventh-Century Western Heresy“, ibid, pp. 43–72.

2 En ce qui concerne le bogomilisme byzantin v. au premier lieu H. Kusabu, „The Byzantine View of the Bogomils: A Heresiological Approach“. – In: 21st International Congress of Byzantine Studies, London, 2006 sur le site http://www.wra1th.plus.com/byzcong/paper/I/I.8_Kusabu.pdf, [consulté le 5 mars 2010]. V. aussi Hamilton, B., „Bogomil Influences on Western Heresy“. – In: Heresy and the Persecuting Society in the Middle Ages, pp. 93–114.

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déception. Et le fait qu’elle soit partagée avec toute la société n’atténue point se sentiment traumatique (un mélange d’insatisfaction, déception, colère, honte, peur et refus instinctif d’accepter – entièrement ou partiellement – les arguments de la condamnation). Voila pourquoi, dans des cas pareils, la position: „cela n’est pas arrivé“ soit si confortable pour tout le monde et représente la méthode préférée de l’oubli manipulatif (s’il faut recourir à la terminologie de Ricœur3). Il est évident que cette méthode est une variante des plus anciennes pratiques connues dans ce domaine – amnistia� et damnatio memoriae�. Dans les deux cas les institutions suprêmes condamnent un individu (des individus et/ou des actes et/ou des idées) à l’oubli et de cette façon évitent, en plus, la nécessité d’expliquer ses actes et de punir ses adeptes (si les derniers consentent à oublier).

Etant donné que l’oubli manipulatif est beaucoup plus difficile pour les sociétés avec une tradition écrite développée et une censure faible6, et quе les cas nécessitant de réécrire et ré-mémoriser le passé ont été assez abondants, on devrait s’attendre à ce que le système d’amnistie et de damnatio memoriae soit parfaitement développé chez les Byzantins. Mais la situation observée est toute autre. Pour la grande surprise du chercheur, qui aurait décidé d’examiner de quelle manière à Byzance, par exemple, on condamne une certaine doctrine et on impose une autre, il s’avère que, globalement les idéologues byzantins ne comptent pas sur les méthodes classiques d’amnistia et de damnatio memoriae. Ceci est vrai aussi pour les cas concrets, ou il s’agit de la mémoire d’une person-ne publique. Si l’individu devait être blâmé, soit à cause de ses actes réellement condamnables, soit pour réhabiliter les actes condamnables d’une autre person-ne, il n’était pas „oublié“ ni par l’effacement de son nom et de ses images, ni par le tabou des commentaires publiques. Bien au contraire – on parlait et écrivait de cet individu sans cesse, et de cette façon il était discrédité au maximum, mais souvent obtenait une gloire (bien que parfois terrible) posthume, surpassant de

3 Recoeur, P. La Mémoire, l’histoire, l’oublie. Trad. bulgare, Sofia, 2006, p. 460, sq.4 « La peine ». Antiquité. Ed. Société Jean Bodin pour l’histoire comparative. 1991, p. 129.5 Voir en détail Charles W. Hedrick Jr., History and Silence: The Purge and Rehabilitation

of Memory in Late Antiquity. Austin: University of Texas Press, 2000; Eric R. Varner, Mutilation and Transformation: Damnatio Memoriae and Roman Imperial Portraiture. Leiden, 2004; Mé-moire et histoire: les procédures de condamnation dans l’antiquité romaine. Stéphane Benoist (éd.). Metz, 2007. V. aussi Mémoires partagées, mémoires disputées: écriture et réécriture de l’histoire. S. Benoist, A. Daguet-Gagey, Ch. Hoët-van-Cauwenberghe, S. Lefebvre (éd.). Metz, 2009. En ce qui concerne l’expérience byzantine dans le demaine de la mémorisation, v. Papalexandrou, A. « The memory culture of Byzanti ». –In: A Companion to Byzantium. Blackwell Companions to the Ancient World. Ancient History. L. James (ed.), Chichester/Malden, MA: Wiley-Blackwell, 2010, pp. 108–122; Вачкова, В. Белите полета в българската културна памет. С., 2010, с. 31–40; 55–111, 95–205.

6 La censure à Byzance était pratiquement impossible car les auteurs „byzantins“ de la haute période byzantine, qui nous intéresse, ont écrit au moins en 5 langues (le grec, le latin, le syriaque, le copte, l’arménien et le géorgien), ont été des adeptes de différents courants politico-religieux et ont habité une assez grande aire géographique. Le fait que les byzantinologues contemporains préfèrent toujours les mêmes sources est un problème de la byzantinologie moderne et non pas de la censure byzantine médiévale.

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plusieurs fois le pouvoir et l’autorité qu’il possédaient de son vivant. Il suffirait de citer comme exemple Constantin V Au nom d’excrément (Κοπρόνυμος) ou bien Michel III l’Ivrogne (ὀ Μέθυσος). Le premier est discrédité à cause de sa politique iconoclaste rigoureuse et le deuxième à cause du fait qu’il a été tué par Basile le Macédonien, et pour disculper Basile il fallait représenter son acte non pas comme un crime par excellence (le meurtre d’un roi), mais comme un grand bienfait pour le Romées (le meurtre d’un tyran). Autrement dit, ces exemples révèlent une action différente du style bien connu attribué à Staline (et à Orwell) se résumant ainsi: „Pas d’homme, pas de problème“. On était conduit plutôt par la maxime: Un mensonge répété dix fois reste un mensonge. Mais répété 10 000 fois, il devient une vérité7.

La façon la plus logique, et la plus correcte, d’ailleurs, de démontrer qu’à By-zance on „condamnait à l’oubli“ un fait, non pas en le passant sous silence mais, tout paradoxalement, en le hyper-interprétant, débuterait par le commentaire de cinq cas, représentant, à la première approche, des exceptions de cette règle:

1) L’oubli de l’Edit de la tolérance de Galère (le 30 avril 311), tout comme Galère lui-même�.

2) L’oubli du plus grand péché de Constantin – le meurtre de son fils Crispus et de son épouse Fausta.

3) L’oubli du deuxième Concile oecuménique de Serdica (daté entre les an-nées 340 et 347).

4) Les attaques contre les statues des empereurs au IVe siècle en guise d’ac-tes contre leur légitimité et/ou contre leur mémoire.

– La destruction des statues de Constantin par Licinius9

– La destruction de la statue de Maxence sur le forum par Constantin10

– La „sédition contre les statues“ d’Antioche (contre Théodose Ier) de 37�/� qui a inspiré „Les 21 Homélies sur les Statues“ (et a été suivie par la condamna-

7 Malgré qu’on cite cette maxime comme hitlérienne ou bien goebbelsienne, elle est en effet un proverbe très ancien.

� Lactantius, De mortibus persecutorum., XLV.1. – In : Lactantius, Opera, ed. O. F. Fritzsche, Leipzig, 1844 II, p 273; Eusebius Historia ecclesiastica, lib. VIII, cap. 17; – In: Eusebius’ Werke. 1–3. Leipzig, 1903–1909; Knipfing, J. R. „The Edict of Galerius (311 A. D.) re-considered ». – In: Revue belge de philologie et d’histoire, 1–4 (1922), pp. 693–704; Вачкова, В. Белите полета в българската културна памет, с. 55–62.

9 Anonymi Valesiani I. Origo Constantini Imperatoris. – MGH, AA t. IX 9–10. Chronica mi-nora. Ed. Th. Mommsen, Berlin, 1892, p. 473; Eusebius Caesariensis. Vita imperatori Constantini. Ed. Dindorf. Leipzig, 1867, I. 50–51; I, 50–51; Socrates Scholasticus. Historia ecclesiastica. 2. Ed. R. Hussey. Oxford, 1�93, 1.3

10 Eusebius, Historia ecclesiastica, IX. 11. 1–3; Idem, Vita Constantini, I.26; Aurelius Victor, De caesaribus, 40.16; Eutropius, Breviarium, 10.4; Lactantius, De mortibus persecutorum, XLII.1; Panegirici latini, 12 (9). 2; A son tour Maxence a détruit les statues de Constantin à Rome, Pane-girici latini, 4 (10). 8–13; Zosimi comitis et exadvocati fisci, Historiæ novæ libri sex. Zosimus: The history of Count Zosimus, sometime advocate and chancellor of the Roman Empire (translated from the original Greek, with the notes of the Oxford edition). London : W. Green & T. Chaplin, 1814. Reprint of 1684, 2.14.1. Les détails sur la politique bien ambiguë de Constantin en ce qui concerne les monuments de Maxence et de son père Maximian, voir chez Varner, E. op. cit. pp. 214–220.

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tion de Saint Jean Chrysostome à cause de ses critiques contre une des statues de l’impératrice Eudoxie)

– „La guerre privée“ de Théodose Ier contre les images de Julien l’Apostat (lui-même connu par la destruction démonstrative d’images chrétiennes)

5) L’oubli du schisme religieux de l’Eglise de l’Orient, imposé par l’empe-reur Constance II par son „Typos“ de 64811.

La phase suivante de l’analyse de la méthode byzantine de damnatio me-moriae serait de voir ce que représentait le souvenir/la mémoire d’origine de la première page discréditante de la biographie chrétienne de Constantinople – la période de l’ainsi dit „arianisme vainqueur“ (arianisme triomphant). Cette période continue de 339 à 3�1 et couvre, donc, presque toute la première cinquantaine de la vie de la Ville de Constantin.

L’oubli par hyper-interpétation des faits: les cas de l’Editde Tolérance et du Deuxième concile oecuméniqueL’oubli des évènements que nous nous sommes permis de désigner comme

„exceptions“ se réalise par quelques méthodes essentielles, dont le point com-mun est le fait qu’un évènement quelconque est oublié moyennant l’hyper-in-terprétation d’un autre, proche à lui dans le temps et par son caractère. Tel serait l’approche pour effacer, marginaliser et oublier deux évènements fondamen-taux de l’histoire de l’Eglise primitive – l’Edit de Tolérance (Serdica, 311) et le Deuxième concile oecuménique (Serdica, 343). Personne à Byzance n’a jamais dénié que l’Edit de Tolérance soit promulgué par Galère quelques jours avant sa mort. Et le fait que le texte de cet Edit soit conservé jusqu’à l’époque actuelle n’est pas fortuit, ce qui, d’ailleurs, n’est connu que par les spécialistes. Pour le grand public l’Edit de Tolérance c’est l’Edit de Milan, promulgué en 313 par Constantin le Grand (et Licinius). Le fait qu’en 313 Constantin n’a pas promul-gué d’Edit de Tolérance ni à Milan, ni nulle part ailleurs est parfaitement oublié grâce à la répétition sans cesse d’un autre fait, suffisamment authentique – que Constantin a été le premier empereur chrétien après lequel on s’attendait à ce que tous ses successeurs soient chrétiens aussi. Il serait, donc, tout à fait naturel que ce soit exactement lui qui aurait arrêté les persécutions des chrétiens (c’est-à-dire le circulaire de Licinius et de Constantin au préfet de Bithynie pourrait et devrait être l’Edit de Tolérance de Milan de 313). De la même façon, aucun auteur byzantin n’a dénié le fait que le Concile de Serdica a bien été oecuméni-que. C’est exactement dans cette qualité qu’il figure dans la Chronique Pascale

11 Le texte stipule littéralement: Il est interdit à tous nos sujets catholiques de contester, de n’importe quelle manière, la volonté unanime et l’acte unanime ou bien les deux volontés et les deux actes, pour contribuer à l’unanimité de l’Eglise et supprimer toute volonté de ceux qui voudraient contester sans fin, nous décrétons d’enlever des portes de la Grande Eglise (Sainte-Sophie) de cette ville royale les papyrus, rattachés à cette question. Quiconque qui oserait s’opposer à cet ordre sera frappé de sévère sanction“. Commentaire des circonstances de la rédaction du Typos voir par exem-ple Ю. Кулаковский, История Византии 602–717 г. Санкт-Петербург, 2004, с. 156–169.

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(VIIe siècle)12 ou bien dans l’édition fondamentale des Actes des Conciles de J. D. Mansi13. Dans la Chronique Pascale, tout comme d’après Mansi, le Concile de Serdica est présenté comme étant un concile, convoqué entre celui de Nicée (325) et celui de Constantinople (381) sans pourtant figurer parmi les conciles oecuméniques, car après le Premier (le Nicéen), on désigne comme deuxième celui de Constantinople. Bien que privée de logique, la répétition continue de cet ordre des conciles, mène petit à petit non seulement à l’attribution des canons du Concile de Serdica respectivement aux conciles de Nicée et de Constantinople, mais aussi à „l’effacement“ naturel du Concile de Serdica de la liste des conci-les oecuméniques – une situation éloquemment décrite par l’iconographie des Sept conciles oecuméniques. C’est un déroulement des choses qui ne devrait pas nous étonner car dans les années qui suivent la mort de Constantin (337) il était logique que le Deuxième concile oecuménique se passe à Serdica, appelée par Constantin „ma Rome“. Mais dès la fin du IVe s. ceci paraissait non seulement beaucoup plus logique, mais aussi absolument naturel que le Deuxième concile oecuménique soit convoqué à la Nouvelle Rome, comme on commence à ap-peler Constantinople lors du Concile en 3�1 (en suivant le canon 3 du Concile Constantinopolitain, répété par le canon 2� du Concile du Chalcédoine, 45114).

Le procédé byzantin de „l’oubli“ des meurtres de Crispus et de Fausta (vers 326), le plus souvent cités comme les exemples les plus typiques byzantins pour damnatio memoriae1�, est un peu différent. Il est vrai que les exemples sont ty-piques, mais pas parce que nous allons découvrir la typique “condamnation à l’oubli“ connue depuis l’Antiquité, mais parce qu’ils sont vraiment très „byzan-tins“. La preuve qu’on n’a oublié aucun des faits concernant le meurtre de Crispus et Fausta au moins jusqu’au XIIe s., nous est donnée par le texte de Jean Zonaras16. Pour Zonaras la condamnation du fils et de l’épouse de Constantin ne cache aucun secret, bien au contraire, il ne trouve pas déplacé de présenter aussi son propre commentaire: des situations pareilles arrivent parfois – une marâtre jeune, un fils d’un premier lit beau, un père jaloux...

Le fait qu’on n’a pas oublié l’histoire obscure et piquante de l’époque de Constantin, est dû non seulement à sa similitude avec le sujet des tragédies „Phè-

12 Chronicon paschale. Ed. L. Dindorf. Bonn, 1832, p. 677, sq13 Mansi, J. D. Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio. Vol. 3. Florence, 1960,

130–144.14 En fait, le titre de la Nouvelle Rome est „délégué“ à Constantinople par un canon spécial

du Concile de 381, et affirmé par des canons du Troisième (Éphèse, 431) et du Quatrième (Chalcé-doine, 451) conciles en raison du rangement de l’Église de Constantinople en deuxième place dans les rangs canoniques après celle de Rome.

15 Par ailleurs Crispus était condamné à oubli d’après les textes, conservés dans le Code de Théodose - Corpus Iuris Civilis, Ed. P. Krueger, Berlin, 1954. I. 9. 11.1; Inscriptiones Latinae Se-lectae, ed. H. Dessau, Berolini, 1856–1931, vol. 1. 707–710; Pour le sort des monuments de Crispus et Fausta, v. Varner, E. R. Mutilation and Transformation: Damnatio Memoriae and Roman Impe-rial Portraiture. pp. 221–223.

16 Johannes Zonaras. Ioannes Zonaras, Annales libri XV, Migne, PG, vol. 134, XIII. II, col. 1105 // Epitome Historiarum, ed. L. Dindorf, Leipzig, 1871, XIII. II. 5–6.

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dre“ et „Hyppolite“ très populaire à Byzance (Thésée a tué son fils Hyppolite à cause du soupçon que le dernier avait une liaison avec sa marâtre, qui se suicide par la suite)17. Quoiqu’assez paradoxal, l’une des principales légendes constanti-nopolitaines éternise également le péché de Constantin. „Les chroniques histori-ques brèves“ racontent en détail comment l’empereur a tué son fils et sa femme, après quoi il se repentait 40 jours et leur a fait ériger des statues en or, par lesquel-les il espérait ressusciter leurs images et racheter son salut1�.

Avant de passer à l’autre moyen, typiquement byzantin, de „la condamnation à l’oubli“ – celui qui se fait par la surexposition (voir super-exposition) des évè-nements, et que nous avons d’ailleurs entamé avec le commentaire de la situation précédemment évoquée, nous voudrions faire un bref aperçu du contexte des cas cités de damnatio memoriae conventionnelle – celle effectuée par la destruction de statues, les statues ne servant que de propos à raconter une histoire ou bien à expliquer un fait. Par exemple, l’histoire des statues de Constantin détruites par son collègue Licinius semble être une sorte de prétexte pour Constantin lui-même de commencer une offensive armée contre Licinius, et ne figure que dans les écrits favorables à Constantin19. L’histoire de la destruction des statues de Théodose par les Antiochiens, à son tour, n’est qu’un prétexte de faire l’éloge des mérites exclu-sifs de Jean Chrysostome, dont les „21 Homélies sur les Statues“ ne mentionnent presque pas le mot „statue“. Lorsqu’il s’agit de la destruction hypothétique des images de Julien, y compris sur les monnaies, ordonnée par Théodose, il devient clair que l’histoire, racontée par „Les chroniques historiques brèves“ vise, une fois de plus, à souligner le principe: les statues de quiconque, ayant détruit celles d’autrui, seront détruites à leur tour. Ainsi, d’un côté Julien est présenté dans la même source comme l’ennemi intransigeant des images de Jésus et, en général, de toutes les images chrétiennes. Mais, d’un autre côté, ce même texte décrit trois statues de Julien dans la capitale byzantine, et qui, au moins jusqu’au IXe–Xe siè-cles se trouvaient dans un état parfait, malgré les menaces de Théodose le Grand. Autrement dit, „la condamnation à l’oubli“ classique n’est sans doute pas appli-quée même à l’empereur-traître du Christianisme20. Naturellement, elle n’était pas

17 Le récit détaillé du drame de Thésée, Hyppolite et Phèdre dans la Chronique de Jean Malalas révèle la popularité du sujet – cf.: Ioannis Malalae, Chronographia. Rec. L. Dindorf, Bonn, 1�31, IV. 14. (p. �7, sq.)

1� Parastaseis syntomai chronikai in: Georgi Codini, Excerpta de antiquitatibus Constantinopolitani, Rec. I. Bekker Bonn. 1843, 46 / A. Cameron and J. Herrin, Constantinople in the early eighth century: the Parastaseis syntomai chronikai, Leiden, 1984, 106–108. Traduction bulgare du texte v. sur le site du Groupe du travail Byzantce: http://gtbyzance.com/bg/

19 Zоsime, par exemple, ne tient pas à justifier les actes contre Licinius par sa guerre contre les statues de Constantin, mais met en évidence la volonté de Constantin de priver Licinius de certaines provinces se trouvant sous son pouvoir. – cf. Zosimi comitis et exadvocati fisci, Historiæ novæ libri sex. Zosimus: The history of Count Zosimus, sometime advocate and chancellor of the Roman Empire (translated from the original Greek, with the notes of the Oxford edition). London : W. Green & T. Chaplin (1814). (Details from COPAC). Reprint of 1684, 2.18:

20 Certaines sources mentionnent même un transfert de la tombe de Julien l’Apostat de Cilicie à Saints-Apôtres à Constantinople. Sur ce sujet v. par exemple Di Maio, M. „The Transfer of the

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non plus appliquée à Maxence, malgré l’histoire relatant que Constantin le Grand aurait décapité une de ses statues et aurait menacé ceux qui adoraient les statues de Maxence comme des représentations divines (donc, de telles statues existaient même après la décapitation de la statue du forum)21.

Les cas de la destruction „magique“ des statues sont bien intéressants, mais leur commentaire dépasse le but concret du présent travail.

L’oubli par surexposition (super-exposition) des évènements.L’exemple des monuments ariens à ConstantinopleOn a déjà mentionné qu’à Byzance l’infanticide de Constantin est loin d’être

oublié au cours de siècles; tout au contraire, on a dégagé cette histoire de toute al-lusion que cet acte puisse être juste. Les auteurs plus anciens étaient portés à sup-poser que Crispus était puni pour son complot contre son père (récit connu aussi par les auteurs du royaume franc lointain, comme par exemple Grégoire de Tours), alors que les savants modernes sont inclinés à expliquer le crime du Constantin par les buts dynastiques22. Or, Jean Zonaras et les „Chroniques historiques brèves“ affichent une préférence pour l’interprétation émouvante selon laquelle Constantin et Crispus seraient poussés par la jalousie criminelle, l’amour coupable et la péni-tence rédemptrice. Sans doute cette histoire reflète-t-elle également l’affinité de tous les auteurs chrétiens médiévaux pour le thème du roi-pécheur, victime de l’amour, puni, se repentant, et finalement pardonné, dont le prototype est le saint roi David. La particularité à Byzance est que cette thématique ne se limite pas à l’hyperbolisa-tion d’un détail de la vie humaine, mais elle est interpolée comme un des éléments de la vie de toute la communauté byzantine.

Ce même thème – de la „séduction“, de la déchéance, de la pénitence publi-que générale et du pardon – domine la mémoire byzantine à l’époque de l’arianis-me triomphant. Et comme il fallait s’y attendre, dans la perspective des réflexions développées ci-dessus, l’oubli des Ariens n’est pas imposé par la destruction de leurs monuments et par l’effacement de la mémoire pour eux. Loin de là! Tous les monuments érigés à Constantinople par les Ariens étaient conservés. Et en plus, Théodose avait même érigé une statue spéciale d’Arius (entouré de Sabéllius,

Emperor Julian from Tarsus to Constantinople.“ –In: Byzantion 48 (1978), pp. 43–50; Kelly, G. „The New Rome and the old: Ammianus Marcellinus’ silences on Constantinople“. –In: Classical Quarterly 53 (2003), pp. 558–607 (more especially p. 594). Les arguments présentés par David Woods contre l’existence d’une tombe de Julian l’Apostat à Constantinople et en faveur d’unе iden-tification de la tombe du Julian à celle du Crispus ne sont pas convaincants. - cf. Woods, D. „On the Alleged Reburial of Julian the Apostate in Constantinople“. –In: Byzantion 76 (2006), pp. 364–371. Un tableau très nuancé des relations chrétiens-païens au IVe s., y compris des possibles réhabilita-tions par l’Etat chrétien de ses hauts fonctionnaires païens, v. chez Charles W. Hedrick Jr., History and Silence: The Purge and Rehabilitation of Memory in Late Antiquity. pp. 37–��.

21 Parastaseis syntomai chronikai, 39.22 Pohlsander, H. Crispus: „Brilliant Career and Tragic End“. – In: Historia 33 (19�4), pp.

79–106; Guthrie, P. „The Execution of Crispus“. – In: Phoenix 20 (1966), pp. 325–331; V. Drijvers, J. W. „Flavia Maxima Fausta: Some Remarks“. – In: Historia 41 (1992), pp. 500–506; Woods, D. „On the Death of the Empress Fausta“. – In: Greece & Rome 45 (1998), pp. 70–86.

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Macédonius et Eunomius)23. A ce sujet on pourrait noter que c’est le premier mo-nument des deux premiers conciles oecuméniques – celui de Nicée, qui condamna Arius et celui de Constantinople, qui condamna Macédonius. Par la suite, cette représentation, centrée sur l’hérésiarque Arius, devint le prototype de toutes les iconographies postérieures des Conciles œcuméniques (Tabl. 1). Mais le plus im-portant pour nous est que le thème des Ariens d’abord „vainqueurs“, et après „vaincus“ n’est pas moins hypérdramatisé et surexposé que celui du meurtre de Crispus et de Fausta. Et ce n’est pas un hasard si les deux histoires sont liées entre elles dans les „Chroniques historiques brèves. Étant les palladiums habituels de Constantinople, les statues de Crispus et de Fausta ont été enlevées et enterrées par les Ariens – telle était la situation du vivant de leur auteur au IXe–Xe siècles. Dans les sources sont décrits au moins neuf monuments constantinopolitains, dont le sort était plus ou moins étroitement et très longtemps lié aux Ariens:

1) L’aquéduc de Valens l’Arien24 (Tabl. 2) dont l’utilitarisme pourrait expliquer le souvenir pour son bâtisseur, l’empereur arien (juste comme la citerne d’Aspar l’Arien).

2) On mentionne comme „arienne“ l’église Saint-Mokios25 se trouvant près d’une nécropole arienne. N’oublions pas que St. Mokios était un des saints les plus vénérés par les Constantinopolitains et que le 11 mai, l’anniversaire de la capitale byzantine, est en effet la fête de ce saint.

3) Les statues de tous ceux qui étaient injustement tués par une épée, y compris Crispus (nommé Constantin) et Fausta, sont enterrés par les Ariens sous le Tetradision26.

4) Les statues d’Artémis et d’Aphrodite près du Sénat, où les Ariens avaient tué à coups de bâtons l’archidiacre de Sainte-Irène, et les statues ont réagi en trépidant pendant trois jours27.

5) Le Million, où „les Ariens vainqueurs“ ont brûlé les icônes des patriarches de Constantinople Mitrophane, Alexandre et Paul, apportées de l’édifice du Sénat et détruites avec les icônes de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge2�.

6) Cette liste contient logiquement aussi une statue équestre imposante sur le

23 Guilbert Dagron qui met catégoriquement en évidence cet évènement, ne mentionne pas qu’en effet la statue ne condamne pas seulement Arius, mais aussi Sabellius (G. Dagron, Constantinople imaginaire. Étude sur le recueil des „Patria“. Paris, 19�4, p. 143). Sabellius est un théologue illustre, déclaré hérésiarque dès le IIIe s., précurseur des Ariens; Macédonius est le patriarche constantinopolitain considéré comme étant l’adepte d’Arius (et de Savelius); Eunomius est l’évêque de Cyzique (élu par recommandation du patriarche arien de Constantinople Eudoxius d’Antioche) mort en 393 ou en 398, c’est-à-dire peu de temps avant ou après la mort de Théodose lui-même); en son honneur plus tard on va appeler les Ariens Eunomiens. Ainsi donc toute l’histoire de l’arianisme – dès sa formation à sa „mort“– est localisée à Constantinople.

24 Parastaseis, 74.25 Ibid., 5d.26 Ibid., 7.27 Ibid., �.2� Ibid., 10.

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Forum Tauri – celle du consul Aspar (Tabl. 3)29, omnipotent „rois faiseur“, le père du praetor Ardabur, tous les deux étant de fervents ariens.

7) Sans doute, le Forum (de Constantin) reste-t-il une place importante, peut-être la plus importante, de la mémoire arienne dans le sens des termes définis par Pierre Nora. Sur le Forum „Arius a souffert sa mort abominable“. C’est la raison pour laquelle „Théodose, qui aime le Dieu“ ordonna l’éréction à cette même place du Forum de la statue déjà mentionnée d’Arius, Sabélius, Macédonius et Eunomius, pour servir d’“objet de dégoût pour les passants, qui pourraient exprimer leur indignation par excréments, urine et crachats et souiller ceux, qui ont souillé le Fils du Dieu30».

8) Sans s’attarder sur le sujet nous mentionnons aussi l’église de l’Anastasis (c.-à-d. „La Résurrection“) – un monument évoquant longtemps la mémoire de la période quand l’Eglise constantinopolitaine était „morte“, c.-à.-d. arienne avant sa résurrection en 3�1 avec la victoire de la foi nicéenne au Concile présidé par St. Grégoire le Théologien (qui est le „parrain“ de l’église de l’Anastasis) et le pieux Théodose le Grand31.

9) Compte tenu que le nom „Goths“ est devenu dans la rhétorique polémique byzantine le synonyme du terme „Arien“ on peut citer aussi la Colonne des Goths qui est probablement l’artefact le plus ancien conservé à Constantinople et qui d’après Nicéphore Grégoras, faisait parti d’un groupe statuaire commune avec la statue de Byzas (fondateur légendaire de la cité et rival imaginaire de Constantin) et la statue de la Fortune / Thuhe de Constantinople. Dans ce contexte on doit mentionner aussi la célèbre Colonne triomphale d’Arcade érigée sur le Forum d’Arcadius pour commémorer sa victoire sur le parti goth de Gaïnas (Tabl. 4).

La démarche de Théodose de faire ériger un monument consacré aux hérétiques reprend, bien entendu, l’ancienne tradition militaire selon laquelle le cadavre d’un ennemi célèbre devait être profané (rappelons-nous la rage d’Achille contre le corps d’Hector). Mais cette pratique n’a pas le même sens que la destruction des statues de Lénine ou de Dimitrov après la chute de régime communiste. A première vue un cas similaire, serait, bien que moins drastique, l’enlèvement de l’étoile rouge de l’ex-Maison du Parti communiste à Sofia et de la statue de Lénine, toutes les deux jetées dans des coins bien fréquentés: la première – près des Bains municipaux (Tabl. 5), la seconde – à côté du Musée d’Ethnologie (Tabl. 5a). C’est également le cas du Mémorial de l’Armée rouge sans cesse „décoré“ des graffites (Tabl. 6). On peut aussi mentionner le comportement bizarre des citoyens de Bratislava qui

29 Martindale, J. M. (ed.) The Prosopography of the Later Roman Empire. Vol. 2, AD 395–527, Cambridge, 1980, „Aspar“, 164–167. R. E. Leader-Newby. Silver and Society in Late Antiquity: Functions and Meanings of Silver Plate in the Fourth to Seventh Centuries. Burlington, VT, Ashgate, 2004, p. 46, sq.

30 Parastaseis, 39.31 Snee, R., „Gregory Nazianzen’s Anastasia Church: Arianism, the Goths, and Hagiography“,

DOP, vol. 52 (1998), pp. 157–186.

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coupent périodiquement la tête de Grof Palffy Csalad (Erdodi) que les pouvoirs municipaux restaurent presque chaque mois (Tabl. 7, 7a)32.

Grâce à la statue Théodosienne et aux autres monuments ariens au cœur de la capitale du monde chrétien Arius est devenu le plus célèbre hérésiarque de tous les temps peut-être comparables dans le monde orthodoxe seulement à Mani et sûrement dans le monde catholique aux Apollinarius et Averroès (Tabl. 8). Le reflet de cette attitude envers l’archi-hérétique Arius est l’apparition de deux iconographies se rapportant à lui. Il s’agit tout d’abord de St. Nicolas qui frappe nerveusement Arius lors du Concile de Nicée (la scène est conservée, par exemple, sur une fresque murale à Soumela, Trébizonde, XIVe s. (Tabl. 9) et dans la Chapelle Sistinne Rome, XVIIe s. La seconde représente Arius mourant durant le Concile Nicéen (d’ailleurs il mort un an avant Constantin, en 336 à Constantinople) d’une maladie horrible qui à fait ces entrailles sortir de son ventre (scène très aimée par les peintres russes du XVIIIe s., v. Tabl. 10).

Les exemples cités ouvrent la voie à toutes sortes de déductions. Par exemple, une recherche sur les réactions des Byzantins non seulement aux monuments „païens“, mais aussi aux monuments „hérétiques“ mériterait bien notre attention. Mais, en se limitant au thème de la mémoire byzantine, on peut conclure que les Romées „oubliaient“ les faits et les personnalités qui les discréditaient, moyennant: 1) l’exagération de leur caractère catastrophique; 2) l’hyper-dramatisation d’un péché commis et des formes hyperbolisées, parfois drastiques, de son abjuration. Ainsi, il n’est pas suffisant qu’Arius soit condamné par le Concile et qu’il soit mort sous la torture d’une maladie terrible, puni par le Dieu, mais il fallait que les gens l’abjurent sans cesse, littéralement uriner sur son visage, et c’est dans ce but notamment que fut érigée la statue d’Arius. Ainsi, la personnalité authentique d’Arius était-elle totalement oubliée, à la différence du besoin jamais oublié, pour tout chrétien, d’en être dégoûté. On apercevra la même conduite après l’iconoclasme et nul outrage ne sera épargné aux iconoclastes. Le fait que l’iconoclasme sera une doctrine officielle à Byzance durant plus de 100 ans n’empêche point les Byzantins d’abjurer en masse l’hérésie, de se repentir et finalement de se purifier en diabolisant ou, au moins, en anathématisant les empereurs et les patriarches de l’époque iconoclaste.

Cette conduite est très bienfaisante pour le climat public car de facto elle représente une amnistie réelle, qui n’exige pas du nouveau pouvoir de se discréditer par l’imposition de l’oubli du passé. C’est exactement ce qui arrive en 843, lorsque le pouvoir met fin aux discussions théologiques interminables, source inépuisable de nouveaux courants hérétiques. Il va proclamer la fin non pas aux discussions théologiques (continuant d’être l’occupation préférée de tous les

32 On doit souligner que les dates de la vie de Pallfy (1600–1845) gravées sur le monument ne représentent pas une erreur, ni une plaisanterie mais sont profondément symboliques couvrant toute la période de la domination hongroise.

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Byzantins, malgré le Typos de Constance de 648), mais… aux hérésies futures, qui méritent d’être discutées par les conciles.

Or, cette conduite possède plusieurs cotés négatifs. Parmi eux, citons la pratique étrange de l’autocritique orthodoxe. Comme on peut déduire des exemples cités ci-dessus, „l’autocritique orthodoxe“ s’exprime essentiellement par une auto-condamnation vigoureuse et par un repentir démonstratif. D’un côté, c’est un bon moyen de catharsis, pratiqué, d’ailleurs, par la plupart des chrétiens au Moyen Age, mais nulle par ailleurs si manifestement et en masse (excepté les communautés des flagellants). Mais de l’autre côté, l’idée que l’individu s’est puni lui-même si cruellement et s’est accusé si ardemment rend impossible la critique et l’accusation d’autrui, en effaçant et en formalisant l’autocritique en question. Par conséquent, toute appréciation externe est dévalorisée, parfois même passée inaperçue.

Du point de vue des particularités du fonctionnement byzantin de la mémoire, une telle approche aboutit inévitablement à la création d’une mosaïque de splendeurs et de misères d’un coloris rare, et dans leur consécution on cherche beaucoup plus de morale que de la logique. Dans un sens plus général, l’oubli par la super-exposition et l’hyper-interprétation des moments historiques traumatiques, mène à l’atténuation de la possibilité de réflexion et d’autoréflexion, en attribuant parfois des mérites extraordinaires et de la grandeur à des personnages et à des évènements assez médiocres (ou bien au contraire). Car, à un niveau suffisamment élevé d’hyperbolisation, toute idée de l’hiérarchie des valeurs, des actes et de leur motivation s’efface.

РезюмеВеселина ВачковаВизантийският метод за damnatio memoriae

Историята на Византия, поне до завладяването на Константинопол от латините (1204), спокойно може да се използва като Първи том на учебник за европейските ереси (вторият том започва с разпространението на голе-мите ереси в латинския християнски свят след средата на XII в.). Онова, което рядко се забелязва и още по-рядко се изтъква от изследователите, е следното: историята на всяка ерес във Византия включва не само нейно-то възникване, разпространение и осъждане, но последното много често е предхождано и/или последвано от определен, по-дълъг или по-кратък пе-риод на обявяването є за официална доктрина на църквата. В този контекст като първостепенен за осмислянето на византийската, а в по-общ план – на източноправославната история, се очертава въпросът: Как ромеите са запа-метявали дадено църковно учение като еретично или като ортодоксално, при положение че едно, а понякога няколко поколения са изповядвали като

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Ортодоксия нещо, впоследствие обявено за ерес. За огромна изненада на из-следователя, решил да проследи механизма, по който във Византия дадено учение се осъжда и се налага друго, се оказва, че ромейските идеолози прин-ципно не разчитат на класическите в подобни ситуации методи на amnistia и damnatio memoriae. Същото важи и в по-конкретните случаи, свързани с паметта за дадена публична личност. Ако личността е трябвало да бъде осъдена било заради собствените є действия, недопустими от гледна точка на обществения морал, било за да се реабилитират нечии чужди осъдителни действия, тя не е била „забравяна“ нито с изличаване на името є и унищожа-ване на изображенията є, нито чрез превръщането є в табу за публични ко-ментари. Точно обратното – за тази личност е говорено и писано постоянно, при което тя наистина е била максимално очернена, но често се е сдобивала с посмъртна слава, далеч надвишаваща влиянието и авторитета є приживе. Точно това се случва например с александрийския епископ Арий или с им-ператор Михаил III „Пияницата“.

Доказването, че във Византия парадоксално „осъждането на забрава“ се е реализирало не с премълчаване, а с хиперинтерпретация на даден факт, логично започва с коментар на петте случая, представляващи на пръв поглед изключения от това правило. Първото подобно събитие е „забравянето“ на Галериевия Едикт на толерантността (30 април 311 г.), а последното – „пре-мълчаването“ на религиозния разкол в източната църква, наложено от импе-ратор Констант II с „Типоса“ от 648 г.

При внимателен анализ на посочените събития става ясно, че при тях забравянето неизменно се реализира чрез хиперинтерпретация на едни фак-ти за сметка на други.

Следващата стъпка в изследването на византийския метод на damnatio memoriae е опитът да се открие оригиналният византийски спомен за първата дискредитираща страница в християнската биография на Константинопол – периодът на т.нар. „победило арианство“. Този период обхваща времето от 339 до 381 г., т.е. покрива почти цялото първо петдесетилетие от живота на Константиновия град. При фокусиране върху досега неизследваните в науката „ариански монументи“ във Византион (девет монумента, чието из-дигане и съдба са описани в „Кратките исторически хроники“) се разкрива другият основен механизъм на византийското „забравяне“ – посредством преекспониране на събитията.

Като цяло ефектът от забравянето чрез преекспониране и хиперинтер-претация на травматичните исторически моменти е, от една страна, здра-вословен перманентен катарзис на обществото. Oт друга страна обаче, тези механизми на забравяне особено силно намаляват способността за рефлек-сия и саморефлексия. Защото на едно достатъчно високо ниво на хипербо-лизиране изчезва всяка представа за йерархия на ценностите, за автентични-те подбуди на действията и техните реални последствия.

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Tabl. 2. L’aquéduc de Valens (vue contemporaine)

Tabl. 1. Condamnation d’Arius.Premier concile œcuménique.Image italienne, v. 82�.

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Tabl. 3. Missorium d’Aspar de �3�

Tabl. 4. Colonne triomphale d’Arcadeérigée sur le Forum d’Arcadius (Colonne des Goths ou Colonne de Byzas)

12

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Tabl. 5а. Statue de Lénine (2011)

Tabl. 5. L’étoile rouge de l’ex-Maisondu Parti communiste à Sofia (2008)

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Tabl. 6. Mémorial de l’Armée rouge (Sofia, juin 2011)

Tabl. 7. Statue de Grof Palffy Csalad(Erdodi) à Bratislava (2008)

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Tabl. 8. Philippo Lippi.Le Triomphe de la fois, XVe s.

(détail – les trois archi-hérétiques Arius, Apollinaire, Averroès)

Tabl. 7а. Statue de Grof Palffy Csalad (Erdodi) à Bratislava (res-taurée, 2008)

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Tabl. 10. Le Premier Concile à Nicée. Icône russe, XVIIIe s.

Tabl. 9. Fresque muraille à Soumela,Trébizonde, XIVe s.

(détail – St. Nicolas frappe Arius)