vie d'un peuple mort

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VIE

D ' U N P E U P L E M O R T

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Pierre SAS Yves ROMANETTI

V I E D ' U N

P E U P L E M O R T

L E S E D I T I O N S D U S C O R P I O N

Jean d'Halluin, Editeur - 1, Rue Lobineau - Paris ( 6

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I L A É T É T I R É D E C E T O U V R A G E

V I N G T E X E M P L A I R E S

S U R A L F A - M O U S S E N U M É R O T É S

D E 1 A 2 0

@ by « Edit ions du Scorpion » 1961

Tous droits réservés pour tous pays

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GOUVERNEMENT MILITAIRE

DE PARIS

LE G É N É R A L G O U V E R N E U R

Paris, le 28 Janvier 1960.

Mon Cher Ami,

Votre étude de la Kabylie « Vie d'un peuple mort » constitue un document de valeur dont la publication ser- vira utilement la cause de l'Algérie française.

Je vous exprime ma satisfaction et vous dis mes féli- citations pour ce travail fait avec une conscience remar- quable qui témoigne à la fois de l'attachement que vous portez à ce coin de France et à ses rudes habitants, de la foi que vous avez montré dans votre mission poussée jus- qu'à l'apostolat et de la confiance que vous marquez dans l'avenir de la France dans cette province peu connue.

Vous y avez œuvré magnifiquement avec votre sens de l'humain, héritage de notre civilisation chrétienne, et votre ardent patriotisme de Français. Je crois cependant devoir faire une remarque qui n'entâche en rien le sérieux de la tâche que vous vous êtes fixée en rédigeant cette monographie pour que, à votre départ de Kabylie, votre œuvre soit poursuivie.

Le fanatisme, qui vous honore, dans l'accomplisse-

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ment de votre beau métier de S.A.S., vous a conduit par- fois à adopter un ton de pamphlet par des critiques un peu véhémentes. Certes, je comprends parfaitement les réactions d'un jeune officier, pénétré de sa mission et plein de fougue, devant les erreurs du passé, des phases récentes inopportunes, des insuffisances ou des injustices notoires. Mais elles prendraient à mon sens plus de force si vous les notiez sans esprit de polémique, en soulignant simplement leurs conséquences sur ces populations que vous analysez si complètement (1).

Quant aux Affaires Algériennes, parentes pauvres de l'Armée et de l'Administration de l'Algérie dont elles constituent le maillon de base essentiel (car c'est par les communes que se refera ce pays), elles ont été à l'ori- gine mises en place dans des conditions difficiles, sans grands moyens. Mais je suis certain qu'Elles deviendront ce corps respecté et honoré dont la France sera fière. D'autres comme vous, Jean-Yves Alquier, à Tazalt, ont montré que les difficultés, l'ignorance du Pays et parfois de certaines autorités, n'ont pas empêché de susciter les vocations qui assurent à la France son avenir, parce que se révéleront toujours parmi les jeunes des Hommes, des Chefs qui sauront surmonter les difficultés pour accomplir leurs missions.

Croyez, mon cher Ami, à mes sentiments très ami- caux.

Signé : SALAN.

( 1 ) Voir le N. B. après l'Avant-Propos.

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A nos Anciens, en témoignage de fraternelle reconnaissance.

A nos successeurs, cet inventaire d'un héri- tage que, s'il plaît à Dieu, nous leur transmet- trons enrichi.

P.S. et Y.R.

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AVANT-PROPOS

Ce petit ouvrage est le fruit du travail de trois ans « sur le tas » d'une équipe militaire et civile réduite, de Français de souche européenne et kabyle.

D'origines provençale, poitevine, bretonne, algéroise, corse, kabyle ou morvandelle, ils prouvent par l'amitié qui les unit que l'Intégration est possible et qu'ils ont tous la même Patrie.

Nous demandons à tous ceux qui parcourent ces lignes beaucoup d'indulgence. Qu'ils ne s'arrêtent pas aux erreurs d'orthographe des noms kabyles, aux omis- sions, probablement nombreuses, d'ordre juridique et historique. Qu'ils sachent que lorsque la S.A.S. fut créée, ils vivaient séparés sur les deux rives de la Méditerranée. Un seul lien bien ténu commençait à les unir, la connais- sance pour les uns et la mission pour les autres d'un Capitaine qui n'avait jamais servi en Afrique du Nord.

Cet officier à peine rentré d'Indochine était en permis- sion dans son Morvan natal lorsqu'il reçut sa mise à la disposition du Ministre de l'Algérie et l'ordre de rejoin- dre Dra-El-Mizan. Après avoir bouclé sa cantine, il se retrouve quelques jours après en Kabylie devant Mon- sieur Rousseau, administrateur de grande classe, qui lui

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donne, ainsi qu'à une dizaine de camarades officiers, sa mission, des directives, quelques moyens se résumant à :

— 4 contrats d'attachés civils ; — 30 contrats de Moghazenis (supplétifs musulmans) ;

et au petit discours suivant : « Recrutez, installez-vous. Construisez un bordj, des

mairies. Formez des maires, des secrétaires de mairie, des gardes-champêtres. Encadrez et ramenez les popu- lations. Faites ce que nous n'avons pu faire, et ne nous jugez pas, nous, vos anciens; pensez que jusqu'à ce jour, mon adjoint et moi nous étions seuls pour adminis- trer 120.000 Kabyles ».

Jamais amitié et conseils ne nous firent défaut, et c'est ainsi que l'Equipe de Pirette est née, consolidée par le prix du sang que son premier chef, le Capitaine Moreau (à ne pas confondre avec le Capitaine Mou- reau, assassiné, lui aussi, au Maroc, presque à la même époque), a payé. C'est à toi Moreau, héros aux 13 cita- tions, mort en apôtre, que ces lignes sont dédiées et c'est à vous tous, chers camarades et subordonnés métropoli- tains et algériens, que revient l'honneur d'avoir refait quelques villages, en versant parfois votre sang.

Nota : Cette étude réalisée dans le feu de l'action contient peut-être quel-

ques outrances que les auteurs n'ont pas voulu édulcorer malgré la demande de leur ancien chef, le général Salan. Ils ont le sentiment d'avoir traduit leurs sentiments profonds dans le temps et dans l'instant Il eut été intellectuellement malhonnête de remanier « au Repos » un texte qui fut pensé et senti « sur le Terrain ».

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INTRODUCTION

Il n'est pas dans nos intentions de présenter les pages qui vont suivre comme un tableau complet et définitif de la région de Pirette : nous n'en avons ni le temps ni actuellement le moyen. Un vaste traité, des années de recherches « in vivo » seraient nécessaires à la réalisa- tion d'une telle ambition. Nous nous contentons donc d'offrir un résumé succinct des diverses questions abor- dées.

Certaines données de notre exposé pourront paraître s'écarter du sujet, nous avons cependant été contraints de les aborder pour deux raisons. D'une part, les événe- ments survenus dans notre petit secteur de Kabylie, bien qu'ayant leur originalité propre, n'en ont pas moins été déterminés par de grands faits historiques qu'il nous faut bien exposer pour mémoire : nous avons dû nous élever du particulier au général et rattacher des faits locaux aux constantes historiques dont ils ne sont que l'application.

Nous serait-il, par exemple, possible d'aborder l'étude de l'insurrection de 1871, sans rappeler brièvement qu'elle est une conséquence de la ruine de l'autorité en Métropole ?

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Pourrons-nous nous dispenser de constater, avec MM. Jean Despois, Charles-André Julien et Gauthier que le Berbère a montré, au cours de son histoire, une inapti- tude invétérée à l'indépendance et que seul, un fédéra- teur usant de la force a réussi à faire agir de concert tous les microcosmes du pays kabyle ?

D'autre part, certaines tribus, mêlées aux événements que nous rapportons, sont à cheval sur notre territoire et ceux des S.A.S. voisines. Nous avons dû empiéter sur les terres de nos voisins ; ils voudront bien excuser cette invasion toute pacifique.

De telles constatations obligatoires nous ont fait adop- ter, pour rédiger notre monographie, un plan assez peu classique.

Dans une première partie, nous aborderons l'étude de la géographie, physique, économique et humaine du pays.

Les questions historiques seront ensuite traitées dans la seconde partie comme suit : un premier para- graphe donnera quelques vues du droit privé kabyle ; dans le second, nous aborderons l'étude du droit public ; le troisième paragraphe, récit des événements, sera con- sacré aux faits historiques généraux, et, parallèlement, à l'histoire locale.

La troisième partie de cette étude sera consacrée aux arts et aux légendes kabyles, dont la connaissance ne peut que nous éclairer quant à la psychologie de ce peu- ple.

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Répétons-le, tout ceci ne consti tuera qu 'un cadre que pourront remplir , à leur tour, ceux que des circonstan- ces, peut-être plus favorables, inclineront à pousser plus loin la connaissance de ce pays passionnant .

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I

ELEMENTS DE GEOGRAPHIE

Nous ne saurions séparer, dans l'étude qui va suivre, la S.A.S. de Pirette, de ses « filles » de Bou-Nouh et Kairouane.

A. — GEOGRAPHIE PHYSIQUE :

Ce « combinat » administratif correspond à un trian- gle naturel dont, en gros, la base serait constituée par les premiers contreforts du Djurdjura-Ouest, et les côtés par les Oueds Borni et Hammane. On peut considérer ce triangle comme un seuil du Djurd jura, bien que Pirette elle-même soit placée dans la dépression de Dra-El- Mizan.

Situé à la partie terminale Ouest de cette montagne caractérisée par la présence du Pic Haizer (2.066 m.), notre territoire est un des plus originaux de la région.

Appartenant au bassin du Sebaou, vers lequel con- vergent tous les torrents de montagne, la région est arro- sée, à l'extrême Est, par l'Oued Boghni, alimenté toute l'année par les eaux descendant de l'Haizer, à l'Ouest et au Centre, par l'Acif-Tezrout, dont les affluents sont

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l'Oued Ksari et l'Acif-Hamman, grossi de l'Oued Zaouia. Ces derniers cours d'eau, de régime torrentiel, sont for- més de ruisseaux descendus de la chaîne des Nezlioua et du Frikat.

Les sources sont nombreuses et l'eau potable, citons : — à Beni-Kouffi : 22 sources dont la source Tala-

Tainzer (Source du nez) débitant 1.000 litres seconde ; — à Bou-Mahni : 12 sources ; — à Bou-Nouh : 40 sources ; — à Frikat : 66 (Frikat ravitaille d'ailleurs Pirette

en eau). Du point de vue de la structure des sols, ce bloc cons-

titue un élément de transition entre la masse calcaire de la montagne et les terrains cristallophylliens du Nord et de l'Ouest.

Au Sud, la présence de coulée d'argile à blocaux nous révèle la présence d'anciens glaciers.

C'est dans le Bou--Mahni qu'on trouve le plus de roches métamorphiques : schistes, micaschistes, gneiss, granits, quartz, grès métamorphosés et ardoises. Ces roches forment d'ailleurs la base du massif kabyle de type primaire. Le massif du Haizer est composé de pou- dingues à ciment, recouvert par endroits de grès et de marnes typiquement tertiaires. Enfin, la forêt de Tineri est du quaternaire, avec ses masses d'alluvions provenant du cône de déjection du Djurdjura, véritable affaisse- ment partiel de la montagne.

L'ardoise est presque toujours émiettée et même pourrie par les fortes pluies d'hiver, elle retourne très

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rapidement à l'état de terre argileuse, on retrouve cette terre noirâtre dans les poteries confectionnées par les femmes kabyles.

Ceci nous mène a aborder l'étude particulière de l'éro- sion dans nos douars. Nous avons pu constater les effets produits par ce phénomène sur l'ardoise ; dans ce cas particulier, l'action est double : la roche, soumise à l'éro- sion mécanique résultant des alternatives de gel et de dégel se fendille, éclate, se fragmente ; le ruissellement diffus des eaux termine alors, dans un temps très bref, l'œuvre de la première érosion et l'ardoise devient boue.

Nous avons choisi l'exemple de cette roche parce qu'il met en lumière deux des plus importants types d'érosions constatés dans le pays ; les deux autres modes de transformation du relief étant : l'écoulement des eaux de pluie, qui, en hiver, emprunte les moindres pentes du sol pour les muer bientôt en importantes rigo- les et les glissements de terrains, consécutifs, eux aussi, à l'action des pluies et au manque d'homogénéité entre le sol ancien et les couches superficielles du sol.

Disons un mot de la faune locale : les cerfs et les mouflons dont Ibn Khaldoun (1) signalait l'existence ont, dès longtemps, disparu de nos contrées. Il en est de même des lions, et des panthères. Signalons cependant que M. Charles Farine, Conseiller à la Cour Impériale,

( 1 ) Historien.

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note dans son ouvrage « A travers la Kabylie », avoir fait la rencontre d'une panthère.

D'autre part, on nous a raconté qu'en 1890, un jeune lion s'était aventuré dans Frikat. Le seul possesseur de fusil à l'époque était un nommé Salmi Mohamed ben Salem ; montant sur un arbre, il blessa l'animal d'un coup de sa vieille arme à capsules. Le fauve s'enfuit dans la direction de la fraction des Hamdani et fut achevé par les gens du village qui eurent trois blessés. La bête fut emportée par l'Administrateur. Pendant une quinzaine, les autres lions rôdèrent autour du village. Cette histoire est rapportée pour ce qu'elle vaut, nous n'en garantissons pas l'authenticité.

Il n'y a plus aujourd'hui de hyènes et les renards sont assez rares ; par contre, les chacals sont nom- breux. Les Kabyles, très superstitieux, donnent une signification aux cris du chacal et prétendent que si un enfant mange de la viande de cet animal, il devient capable de comprendre son langage.

Quant aux singes, on en trouve en quantité dans le Djurdjura. Les habitants du pays les considèrent comme des descendants déchus de l'homme et racontent à leur sujet une curieuse histoire : deux jeunes bergers perdus dans le Djurdjura, n'avaient pas mangé depuis plu- sieurs jours ; ils adressèrent de ferventes prières à Dieu qui, ému, leur envoya un énorme plat de cous- cous et les abreuva d'ambroisie ; grisés par leurs agapes, les deux lascars se livrèrent à mille excentricités dont la moindre ne fut pas de se servir du plat vide pour un

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usage très scatologique. Outré, Allah changea les impies en singes.

Parmi les espèces mineures, signalons des hérissons, des porcs-épics, des lièvres et des lapins en abondance; les sangliers ont proliféré depuis qu'ils ne sont plus chassés.

Les oiseaux sont représentés par des rapaces : vau- tours, aigles, faucons, hulottes ; des perdrix et des cailles (de plus en plus rares). M. Barlette, ancien admi- nistrateur de Dra-el-Mizan, signale la présence, quel- ques années avant la rédaction de son ouvrage, de cane- petières (petites outardes dites aussi poules de Car- thage), disparues depuis. Les cigognes, dont le même auteur nous signale la disparition à son époque, ont regagné notre région.

Toutes ces bêtes hantent les forêts de chênes-liège, de cèdres, de pins et les maquis de type méditerranéen qui couvrent notre région.

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B. — GEOGRAPHIE ECONOMIQUE :

Le régime des pluies dont nous avons constaté l'in- fluence prépondérante, est celui de tous les pays monta- gnards. Orographiques, les pluies sont en abondance et d'une violence extrême pendant la période comprise entre les mois d'octobre et d'avril inclus L'évaporation est, naturellement, plus rapide sur les hauteurs que dans la plaine de Pirette.

La saison humide achevée, l'été arrive brusquement, augmentant le nombre et l'importance des fissures du sol. Là encore, la dépression de Pirette doit à sa forme de battre un record régional : celui de la chaleur (géné- ratrice, d'ailleurs, de fièvres intermittentes qui ont con- tribué à chasser les colons européens).

Les Oueds, de régime torrentiel, sont gonflés en hiver pour devenir secs, l'été venu. Les plus importants qui arrosent notre territoire sont l'Oued Hambila et l'Oued Borni ou Boghni.

Il n'est pas étonnant que, soumise à un tel régime, la terre de notre région soit pauvre. La seule exception à cette règle étant, évidemment, la dépression de Pirette où la polyculture est pratiquée avec succès : céréales, fourrages, farineux y sont cultivés avec le même bonheur; autrefois, le tabac fournissait une ressource

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appréciable aux colons de la plaine, mais sa culture a été abandonnée. L'élevage de bovins, d'ovins et d 'équi- dés est assez en faveur. L 'aviculture est pra t iquée ration- nellement à la ferme Ferrer , seul vestige des exploita- tions de Colons Français qui, autrefois, peupla ien t la plaine. Ces colons ont peu à peu abandonné leurs lots de colonisation lorsque la loi leur a donné l 'autorisa- tion de vente, les t r avaux de piste et d 'adduct ion d 'eau promis p a r l 'Administrat ion Civile n ' ayan t pas été effec- tués. Ce qui nous force à constater que cont ra i rement aux propagandes de la Métropole, le colon a été au tant et peut-être plus que l ' indigène, abandonné p a r la Mère- Patrie, malgré le l abeur fourni. En part icul ier , les fer- mes construites p a r eux sont de spacieuses et commodes habitat ions à l 'européenne. Les terres plus groupées qu 'en montagne, permet tent l 'emploi de matér ie l agri- cole perfectionné. A l 'époque des battages, une mach ine appa r t enan t à la S.A.P. (1) de Dra-El-Mizan, s tat ionne à tour de rôle chez les exploitants.

Bordant les terres riches, la montagne ne bénéficie pas des mêmes avantages. Les propriétés, ex t rêmement morcelées du fait du relief, les sols ravinés, minés p a r le ruissellement (et que les habi tants n 'essayent m ê m e pas de re teni r p a r des banquettes) n ' ayan t aucune homo- généité, tout cela nous donne une cul ture pauvre, réa- lisée avec des moyens archaïques : labourage à la char-

( 1 ) Société agricole de Prévoyance dépendant du Directeur du Paysannat ou Gouvernement Général. Il existe en principe une S.A.P. par arrondissement.

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rue de bois, moissons à la faucille et dépiquage par le piétinement des bœufs ou des chevaux. Il est à noter d'ailleurs, que le paysan kabyle ne garde en général son cheptel de travail, bœufs, chevaux ou mulets, que durant la saison des travaux; après quoi il le revend à perte plutôt que d'avoir à le nourrir pendant la mau- vaise saison; seul parmi toutes les bêtes de somme, l'âne, animal sobre par excellence, est conservé toute l'année.

Un peu de sorgho, de l'orge, du blé noir en faible quantité, quelques épis de maïs sont toutes les céréales en montagne. Les jardins fournissent féculents et cucur- bitacées.

Mais la principale ressource du pays réside dans l'arboriculture ; l'olivier pousse surtout en limite du Bou- Mahni et d'Ichoukren et à Tirmitine, où une oliveraie d'Etat assurait un excellent rapport, jusqu'à sa mise au pillage par la population. Les terres à olivier sont sur- tout le Bou-Mahni, Bou-Ighzer et Bou-Nouh ; il est à signaler que ces arbres sont greffés et non taillés. Le figuier, dont le fruit séché sert de monnaie d'échange tout comme l'huile d'olive, abonde aussi à Bou-Mahni et à Frikat. Nous ne citerons que pour mémoire les autres cultures arbustives telles qu'orangers, grena- diers, citronniers, qui sont trop peu répandues pour donner autre chose que des produits de consommation familiale. Un cas particulier est à signaler, celui de Beni- Kouffi où l'on trouve presque exclusivement des cultures maraîchères.

La forêt croît en abondance ; primitivement, la plaine

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était presque cernée p a r une sylve très dense, l ' enser ran t comme les mâchoires d 'une tenaille : au Nord, le bas- tion boisé du Bou-Mahni, au Sud celui de Bou-Nouh-Beni- Kouffi. Les essences étaient variées, chênes-liège, euca- lyptus, pins de diverses sortes (dont quelques spécimens de laricio), frènes, cèdres sur les hauteurs . En t re les arbres croissait une broussaille à peu près inextr icable composée en m a j e u r e part ie d 'épineux et d 'arbustes aro- matiques. Une pointe de la forêt de Bou-Mahni s 'avan- çait jusqu 'à Aïn-Zaouia, dont le déboisement fut entre- pris en 1871, sous le Caïdat de Toubal Lamri . Aujour- d 'hui la surface boisée s'est consérablement réduite, mais la densité des forêts survivantes n 'en est pas moins forte. Les Domaines exploitaient avec profit le chêne-liège.

L' industr ie locale est presque ent ièrement art isanale. Des moulins à grains et à huile se t rouvent dans chaque village. Le séchage des figues est une petite exploita- tion familiale, comme le sont aussi les t ravaux de poterie et le tissage de la laine. Quelques ar t isans ruraux , les forgerons (haddad) , p a r exemple, sont à signaler. Les Pères Blancs de Bou-Nouh ont essayé de donner un essor à la fabricat ion de poteries et de vanneries, mais leur expérience ne dépasse pas le stade de la toute petite entreprise.

Des gisements de Baryte ayant été découverts à Bou Mahni, une tentative d 'exploitation en a été faite de 1926 à 1954, mais les frais de transport , trop lourds, ont empêché l 'amort issement des capi taux investis ; la Rebel- lion a contraint l 'entreprise à f e rmer ses portes. L'expé-

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rience pour ra i t cependant être intéressante à reprendre , l 'écoulement du minera i devenant plus aisé depuis les découvertes pétrolières faites en Algérie. Quelques recherches minières (plomb) ont eu lieu en 1942 à Ain Zaouia, près de la ferme Ferrer .

La pr incipale ressource du pays reste l 'émigration. P o u r les seules communes de Bou Mahni et d 'Ain Zaouia, près de sept cents travail leurs, presque tous groupés dans la région par is ienne et le Nord de la France, envoient à leurs familles de qua t re à neuf millions p a r mois. L 'émigrat ion intermaghrebine, quoique plus réduite, est encore appréciable, le nombre de commer- çants fixés dans l 'agglomérat ion Algéroise et de colpor- teurs pa rcouran t le pays étant assez important , ainsi que celui des manœuvres agricoles qui louent leurs services dans la Mitidja à la période des récoltes.

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C. — GEOGRAPHIE HUMAINE.

1° — Aspect physique : On ne peut, à vrai dire, découvrir un type ethni-

que Kabyle. On donne aux Berbères deux ancêtres dif- férents : les préméditerranéens et l'homme de Mechta- el-Arbi — parent pauvre de l'homme de Cro-Magnon, (Jean Despois). La classification de Bertholon et Chan- tre, répartit les Berbères en trois groupes :

1° — Petits dolichocéphales bruns à peau brun- rouge ;

2° — Petits brachicéphales bruns à peau brun-jaune; 3° — Grands dolichocéphales blonds à peau claire. Souvent métissé ce type donne deux sous-catégories : a) Type 3 mais brachicéphale ; b) Type 3 métissé de nègre. Quelle est la genèse de ce peuple ? D'aucuns les con-

sidèrent comme les véritables autochtones d'Afrique du Nord, d'autres les tiennent pour les descendants de peu- plades orientales, venues dans le pays vers l'âge de bronze et intimement mélangées aux indigènes. Cer- tains voient l'origine du mot « berbère » dans le nom barbari que les Romains donnaient à ceux dont ils igno- raient la langue ; d'autres auteurs, par contre, rattachent