voltaire l'esclavage

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Lecture analytique : Candide, Voltaire - CHAPITRE 19 : LE NÈGRE DE SURINAM Candide est l’œuvre de Voltaire, philosophe français, la plus lue et commentée du siècle des Lumières à travers le monde. Candide est une œuvre vaste, qui couvre tous les sujets philosophiques du temps de Voltaire: la religion et le fanatisme, la liberté politique et la tyrannie, la connaissance et l’obscurantisme, le bonheur et la fatalité, la liberté et l’esclavage. Le chapitre 19 de Candide est resté comme un des textes majeurs de la lutte contre l’esclavage. Tout comme Montesquieu, qui publiait le célèbre “De l’esclavage des nègres”, Voltaire y dénonce le scandale des pseudo- justifications de la Traite des noirs. La force de Montesquieu était l’emploi de l’ironie, qui mettait en évidence le discours spécieux des esclavagistes. Voltaire profite de son jeune héros, Candide, pour le mettre en présence d’un esclave dont la description, simple et dénotée, suffit à illustrer l’horreur du traitement dont il est victime: “ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un cale çon de toile bleue; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite”. Le lecteur est alors surpris du détachement résigné du personnage: “c’est l’usage!”. Nous apprenons en effet que les règles sont la justification de cet état: “On nous donne un cale çon de toile pour tout v êtement deux fois l’anée. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrappe le doigt, on nous coupe la jambe: je me suis trouvé dans les deux cas.” Le " ils " désigne Candide et son valet Cacambo. On peut observer la rencontre de trois personnages, Candide et Cacambo en mouvement et le nègre qui est étendu par terre. Il y a donc opposition entre liberté de mouvement des uns et immobilité de l'autre. On peut constater aussi dans les paroles de l'esclave l’ affirmation d'une attitude de soumission, de

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Voltaire- l'Esclavage

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Page 1: Voltaire l'Esclavage

Lecture analytique : Candide, Voltaire - CHAPITRE 19 : LE NÈGRE DE SURINAM

Candide est l’œuvre de Voltaire, philosophe français, la plus lue et commentée du siècle des Lumières à travers le monde. Candide est une œuvre vaste, qui couvre tous les sujets philosophiques du temps de Voltaire: la religion et le fanatisme, la liberté politique et la tyrannie, la connaissance et l’obscurantisme, le bonheur et la fatalité, la liberté et l’esclavage.

Le chapitre 19 de Candide est resté comme un des textes majeurs de la lutte contre l’esclavage. Tout comme Montesquieu, qui publiait le célèbre “De l’esclavage des nègres”, Voltaire y dénonce le scandale des pseudo-justifications de la Traite des noirs. La force de Montesquieu était l’emploi de l’ironie, qui mettait en évidence le discours spécieux des esclavagistes. Voltaire profite de son jeune héros, Candide, pour le mettre en présence d’un esclave dont la description, simple et dénotée, suffit à illustrer l’horreur du traitement dont il est victime: “ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite”.

Le lecteur est alors surpris du détachement résigné du personnage: “c’est l’usage!”. Nous apprenons en effet que les règles sont la justification de cet état: “On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’anée. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrappe le doigt, on nous coupe la jambe: je me suis trouvé dans les deux cas.”

Le " ils " désigne Candide et son valet Cacambo. On peut observer la rencontre de trois personnages, Candide et Cacambo en mouvement et le nègre qui est étendu par terre. Il y a donc opposition entre liberté de mouvement des uns et immobilité de l'autre. On peut constater aussi dans les paroles de l'esclave l’affirmation d'une attitude de soumission, de passivité "j'attends mon maître" et l’explication calme et détaillée de "l'usage". La constat n'est pas seulement de sa situation personnelle mais il établit l'histoire de tous les esclaves. 

Le nègre de Surinam constitue une dénonciation de l'esclavage et l'exemple même de l'atteinte aux droits de l'homme et à la liberté. La rencontre de Candide avec le nègre au sortir de l'Eldorado constitue un choc brutal et un retour à la réalité du mal: Candide ne peut plus se laisser aller à une quelconque croyance optimiste. Les lecteurs, à travers cet épisode vont être confrontés à une réalité historique que Voltaire intègre à sa démonstration avec efficacité.  L’esclave explique en toute neutralité sa condition. Il raconte sans sentiment, d’une façon purement didactique, ses conditions de vie, ce qui doit horrifier le lecteur face à cette telle absence d’humanité. Ex : « On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois dans l’année.” Il n’y a pas de trace d’émotion, c’est comme une banalité pour lui et que ses punitions sont normales. Les paroles de l'esclave ont une tonalité d'acceptation.

Dans la proposition “J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.”, « le fameux négociant » est une ironie permettant d’éviter la censure tout en accentuant les méfaits de cette pratique. Est un terme à double sens, dépréciatif car Vanderdendur est rendu célèbre par sa cruauté. "Vendeur à la dent dure" souligne le caractère cruel du négociant.

Le thème de l’esclavage est abordé via la rencontre avec l’esclave nègre dont la jambe a été arrachée dans une fabrique de sucre: " c'est à ce prix que vous mangez du sucre en

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Europe ". Ici on peut voir le décalage entre la notion de plaisir en Europe et la vie inhumaine pour les esclaves, mais aussi l’attaque de la part de Voltaire contre l’hégémonie du vieux continent. On peut observer que la relation entre l’esclave et le sucre est horrifiante et que des vies humaines sont maltraitées afin de satisfaire les plaisirs des Européens. Le mot « prix » a ici une signification très importante, il signifie aussi bien celui du sucre que celui de l’esclave. C’est cette rencontre qui marquera Candide et lui fera comprendre que l’optimisme est une théorie illusoire. Cependant, bien que Candide pleure sur le sort de l’esclave, il ne fait aucune tentative pour libérer les esclaves.

La déclaration du nègre n'est pas seulement de sa situation personnelle, mais il établit l'histoire de tous les esclaves. Cependant après la parole résignée de l'esclave, on peut voit que le nègre cite la parole de sa mère:“Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs”. Le pathétique de la victime est trop lucide. L'esclave analyse et excuse fort bien la décision des parents-vendeurs. Ils sont victimes: de leur misère, de leur confiance et de leur excessive considération pour les blancs. On est en face d’une dénonciation trop lucide de l'exploitation des peuples simples, victimes de leur misère et de leur crédulité. Il y a cette erreur de jugement de la part de la mère, qui croit qu’il est positif de devenir esclave. En fait, Voltaire est derrière son personnage car la tonalité change à partir de « Ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée.». Le registre gagne en pathétique et l'analyse de la situation devient plus intellectuelle. L'esclave adopte le langage d'un homme rationnel et sensible dans lequel on reconnaît Voltaire lui-même: “Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains.”

« Nous sommes tous enfants d’Adam » est un paradoxe qui voudrait dire que nous sommes tous frères et sœurs. Pourtant l’esclavage est présent, donc il y a de flagrantes inégalités. Voltaire met en évidence la contradiction " nous sommes tous enfants… " alors qu'on pratique l'esclavage. Cette contradiction trahit l'hypocrisie des prêtres. Le narrateur donne surtout la parole à la victime pour plus de retentissement affectif sur le lecteur. De plus, le Nègre dit souvent « nous », soulignant ainsi son appartenance à une communauté souffrante dont il est solidaire.

Ce chapitre de Candide est basé sur le constat de l'infamie de la traite négrière. Il décrit de manière authentique la cruauté des négociants. Au premier abord, le fait que le point de vue soit externe tend à nous faire penser que le constat est neutre. L'étude de ce texte nous montre que c'est Voltaire qui s'exprime à travers le nègre. C'est pourquoi on peut dénoter de l'ironie, notamment quand Voltaire traite de la religion. Comme nous l'avons dit auparavant, le constat paraît neutre. Pourtant la description très crue de la mutilation des nègres et du négoce de ceux-ci suscite un sentiment de révolte et d'indignation chez le lecteur. Toutes les figures de style montrent une très bonne organisation du texte. C'est pourquoi nous pouvons déduire que ce texte participe fortement au combat de Voltaire contre l'intolérance et l'injustice.