we.vub.ac.bedglg/web/claeys/pdf_media/sciencevie-march … · 58 [svj-avril./09] contenu dans les...
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leur epingle du jeu mais les grands herbivol
- chevaux, paresseux geants, castors geants
bien sur, mammouths - succombent. Puis, c'
au tour des carnivores, comme les tigres a de
de sabre, de faire les frais de la disparition de lei
proies. Quant aux hommes, les rares surviva
n'ont pas grand-chose, eux non plus, a se met
sous la dent. S'ils ne meurent pas de faim faute
gibier, ils contractent toutes sortes de maladies
l'eau est contaminee par des milliers de cadav
en decomposition, La mort est partout...
se charge de vapeur d'eau, mais aussi de poussiere
et de suie, Le soleil disparait derriere cet ecran de
nuages et de fumee, Puis le froid s'installe, partout
sur la planete, Pour plus d'un millier d'annees...
Les herbivores qui ant survecu au cataclysme doi-
vent maintenant s'adapter au froid et
au manque de nourriture. Une grande
partie de la vegetation a ete carboni
see. Et faute de lumiere,la plupart des
plantes deperissent peu a peu. Les
petits mammiferes reussissent a tirer
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WIi,,!§'\I: depotnaturel de debrisde roches resultantde I'erosion du sol parIe vent, I'eau, la glace",
La chute d'unecomete auraitbouleverse Ieclimat et entrainela disparitiondes mammouthsdans Ie NouveauMonde, iI ya12900 ans.USE BARNEOUO
Une enorme boule de feu a penetre dans l'at
mosphere de la Terre. Elle est visible a des
milliers de kilometres a la ronde. Tout d'un
coup, elle explose dans un vacarme assourdissant.
Une gerbe de meteores zebre le ciel. Quelques
secondes plus tard, c'est le choc, au plutot les
chocs : la terre tremble a plusieurs reprises .. ,
Immediatement, une onde de chaleur epouvanta
ble devaste la region et des vents se mettent a souf
tler a plus de 200 km/h, Les forets s'embrasent.
Sur des milliers de kilometres carres. l'Amerique
n'est plus que feux et poussieres,
Seulle nord du continent, recouvert d'un immense
manteau de glace. ne brule pas: il se noie I C'est
la, precisement, que viennent de tomber les mor
ceaux d'une comete qui s'est desagregee dans l'at
mosphere terrestre. Des dizaines de debris, parfois
de plusieurs kilometres de diametre, ant pulverise
la couverture de glace, qui se met alors
a fondre a unevitesse incroyable. Des tor
rents d'eau deferlent dans les vallees,
emportant tout sur leur passage. Des mil
liers d'animaux sont noyes, ensevelis sous
r-_-P........'-"".u.u."'-"_....d"'-e.....b""o....u......e Petit a petit, le ciel
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Un immense brasier
dissement constate sur toute la planete apartir de
cette date et qui a dure environ 1300 ans lperiode
dite« Dryas recent »J. Mais aussi la disparition des
grands mammiferes d'Amerique et le dedin des
Clovis, l'une des toutes premieres populations
humaines installees dans le Nouveau Monde.
largument de de ces chercheurs? La presence
d'une fine couche de cendre dans les Wii,,!§,\Baccumules au fil des millenaires, Cette couche,
datee aenviron 12900 al)S, est retrouvee dans plus
de 50 sites eparpilles sur le co . - •••
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Terrible histoire, que l'on imagine volontiers trans
posee au cinema, Pourtant, elle n'a pas ete ecrite
par un scenariste al'imagination fertile, Mais par
un chimiste america in, Richard Firestone.
Selon Firestone et une vingtaine d'archeologues,
paleontologues, geologues, chimistes et autres di
matologues americains, une comete a percute la
Terre il ya 12900 ans, au niveau de l'actuel Canada,
Cet impact cosmique expliquerait le brutal refroi-
•• americain. En dessous de ce «tapis noir»,
Firestone et ses collegues ont mis aujourdes osse
ents de mammouths et des vestiges des Clovis.
Mais jamais au-dessus. Par ailleurs, une couche
e carbone noir similaire et ayant le meme age a
'te retrouvee en Belgique. Ce tapis noir represen-
terait donc la preuve qu'un immense brasierse serait
propage partout sur le continent nord-americain et
meme au-dela des oceans, suite a l"entree dans l"at
mosphere terrestre d'une enorme comete,
Apremiere vue, l'hypothese de Firestone parait
solide. Mais quand, en 2007,le chimiste expose pour
la premiere fois ses travaux a ses confreres, ceux
ci ne se montrent guere convaincus : ces depots de
cendre pourraient tres bien provenir de feux ponc
tuels, qu'ils soient naturels ou provoques par
l"homme. D'autant que les 50 sites examines sont
pour la plupart des lieux connus de peuplement
humain et que les tecnhiques de datation ne sont
pas tres precises, Une etude publiee en fevrier 2009
a d'ailleur,s tente de verifier l'hypothese du brasier
sur 35 sites repartis sur le continent nord-ameri
cain, Resultat :« On ne retrouve aucune preuve d'in
cendies de grande ampleur», comme le resume
Christopher Carcaillet, coauteur de l'etude,
La collision aurait produitdes diamantsMais les chercheurs americains ont entre-temps mis
la main sur d'autres donnees, pour le moins intri
guantes.lls ont analyse la composition des sediments
deposes juste au-dessous de cet etrange tapis noir,
dans ce qu'ils appellent le «depot d'impact», Et la,
victoire : cette minuscule couche semble renfermer
des elements extremement rares a la surface de la
Terre, mais abondants dans les cometes I Les scien
tifiques decouvrent ainsi de microscopiques spheres
de carbone, appelees fullerenes Ides molecules com
posees de 60 atomes de carbone au moins!. qui
contiennent des atomes d'helium 3, un element rare
surTerre mais frequemment retrouve dans les objets
celestes. Ils detectent aussi des quantites anorma
lement elevees d'iridium, un metal egalement peu
frequent dans la couche terrestre, mais present dans
les objets extraterrestres, Enfin, dernier argument
pour appuyer leur these cataclysmique : la decou
verte, en janvier 2009, de minuscules eclats de dia
mants. Or ces« nanodiamants» se forment unique
ment a tres haute temperature et sous tres forte
pression, comme celles que produirait la collision
d'une comete avec la Terre.
La encore, a l"annonce des resultats, les critiques
usent de toutes parts. Ainsi, personne, hormis
f!-._--+Le.qJJ1Pa.cl.e...till:s10.0.e., n'est parvenu a isoler l" helium
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contenu dans les fullerenes pour l"analyser et veri
fierson origine cosmique, Quant a l"iridium, Philippe
Claeys, specialiste des impacts meteoriques ala Vrije
Universiteit de Bruxelles, n'en a decele aucune trace
dans la dizaine d'echantillons qu'il a analyses.
«Dans nos propres mesures, nous avons parfois des
echantillons positifs, d'autres fois negatifs, se defend
Allen West, geophysicien et coauteur des travaux
sur la comete. Cela s'explique par le fait qu'il n'y a
que de tres faibles quantites d'iridium et qu'il n'est
pas distribue defa~onuniforme dans tous lesechan
tillons. Une autre equipe a verifie nos mesures dans
La Dryas aime les climats froids. On trouveson pollen en abondance dans les couchesde terrain vieilles de 11500 a12900 ans,preuve qu'i1 a fait froid a cette epo~ue, queI'on a nommee Dryas, par allusion a la fleur.
un echantillon provenant du meme site que celui
que nous avons envoye a Philippe Claeys, et ils ont
trouve une trace d'iridium .. ,»
Enfin, concernant les nanodiamants, les specialis
tes semblent en attente de plus de precisions,« Leur
decouverte a l'air interessante, mais il n'y a pas
assez d'informations dans leur article pour verifier
qu'il s'agit bien de nanodiamants», estime Falko
Langenhorst, un mineralogiste allemand interroge
par la revue Science,
Les mammouths n'avaientits pas deja disparu?Et puis, il y a un autre gros probleme, dans ce sce
nario,lmaginons qu'une comete aitvraiment explose
il y a 12900 ans, Serait-elle pour autant responsa
ble du refroidissement qui a suivi, de l"extinction des
mammouths et des Clovis? Pas sur... « Il y avait deja
une tendance au refroidissement depuis quelques
milliers d'annees, explique Edouard Bard, pr
seur au College de France. Le climat de l' er
etait de toute fa~on tres instable, et d'autres Edes de refroidissement similaires s'expliquer
bien sans l"intervention d'une comete,»
Par ailleurs, de nombreux ossements fossiles n
yes en Alaska et dans le Yukon - au nord de la r
supposee des impacts - ont ete dates, Edouarc
et sa collegue anglaise Caitlin Buck ont syste
quement epluche ces donnees et constate (
disparition des mammouths comme cell
Un ciel depoussiere etde suie. Plusde lumiere. Le
froid s·installe.Les plantes
meurent et lesmammouthssuccombent.
chevaux lrespectivement, il y a 13300 et14200 ans
environ) etait anterieure a la chute de la comete.
«Les techniques utilisees ne sont pas suffisam
ment precises pour distinguer des dates aussi pro
ches, retorque Firestone. Quand on etudie la suc
cession des couches de sediments, on constate que
les restes de mammouths se trouvent toujours sous
notre tapis noir et jamais au-dessus».
Enfin, les raisons du declin des Clovis restent encore
tres floues. Il est vrai que l'on ne retrouve aucun ves
tige de leur culture (telles les pointes en pierre taillee
typiques de ce peupleJ datant du Dryas recent. Mais
il semble qu'il y ait eu davantage de sites de peuple
ment humain juste apres la comete qu'avant.
Bizarre... Vu les degats causes par les impacts sur
le continent nord-america in, il ne devrait plus sub
sister ame qui vive ou presque, apres semblable
cataclysme 1« Oui, mais ilya un trou d'environ cent ans
entre la disparition de la culture des Clovis et l'ap
parition de nouveaux sites de peuplement, contre
attaque Richard Firestone. C'est seulement ensuite
que le nombre d'habitants recommence a augmen
ter. Probablement des gens en provenance du sud
du continent americain ou bien
d'Asie. Ce n'est donc pas incohe
rent avec notre theorie!»
Il n'empikhe, la plupart des
experts restent sceptiques sur
cette histoire de comete tueuse
de mammouths. «Pour moi, ce
sont clairement des rigolos qui
tentent par tous les moyens de
prouver une hypothese qui ne tient
pas debout», tranche Philippe
Claeys.« Les scientifiques onttou
jours besoin de temps pouraccep-
ter les idees nouvelles. La montagne de preuves
que nous avons accumulees nous donnera un jour
raison », repond Richard Firestone. Prenez l'exem
ple de la disparition des dinosaures: il a fallu plus
de vingt ans pour convaincre la majorite des scien
tifiques qu'un astero'I'de etait a l'origine de leur
extinction. Et il Ya encore debat lOr, une des preu
yes decisives en faveur de cette hypothese a ete la
decouverte de l'enorme cratere de Chicxulub au
Yucatan (Mexiquel. Et on aattendu une bonne dizaine
d'annees avant de le reperer I Car l'erosion et l'ac
cumulation de sediments a l'interieur du cratere le
rendaient invisible...
La preuve ultime?Le cratere d'impact IUne trace d'impact : voila ce qu'attend aujourd'hui
la communaute scientifique pour commencer a
prendre au serieux l'hypothese d'une collision catas
trophique. Depuis qu'un archeologue lui a souffle
l'idee d'un tel cataclysme, il y a maintenant dix ans,
Richard Firestone en recherche desesperement
une preuve formelle. Mais rien. Aucune depression
majeure du sol ne correspond, pour l'heure, a la
collision extraordinaire qu'il nous decrit. «C'est
d'autant plus etrange que ce cratere devrait encore
etre fumant aujourd'hui, fait remarquer Philippe
Claeys. Le centre du cratere forme
par l'astero'ide qui a tue les dino
saures a tres certainement res
semble a un lac de lave pendant
environ un million d'annees I»
Le probleme, repondent Firestone
et ses collegues, c'est qu'ici, il ne
s'agit p'as d'un astero'lde mais
d'une comete. Cela se voit grace
aux elements chimiques retrou
yes dans la region supposee de
l'impact, avec notamment moins
d'iridium et de fer que dans le cas
d'un astero·l·de. Orune comete, c'est beaucoup moins
dense qu'un astero·ide. Resultat :elle se serait tota
lement desagregee en entrant dans l'atmosphere
terrestre. Seuls certains morceaux de quelques
kilometres de diametre auraient ainsi percute la
couche de glace epaisse d'au moins 2 km recou
vrant le nord de l'Amerique.lls n'auraient donc laisse
sur l'ecorce terrestre que des traces tres largement
erodees apres la deglaciation qui a suivi le Dryas.
«Nous avons tout de meme quatre crateres candi
dats dans la region des Grands Lacs, qui sont les
trous les plus profonds d'Amerique du Nord et qui
descendent bien en-dessous du niveau de la mer»,
precise Richard Firestone. Mais il va falloir trouver
d'autres indices et d'autres arguments pour
convaincre le reste de la communaute internatio
nale. La balle est donc, encore, dans le camp de
Richard Firestone et son equip~us;-,-I-"L_-t
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