yoga sutras. patanjali albin michel

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Albin MichelSpiritualitsCollections diriges par Jean Mouttapa et Marc de Smedt

A Grard Blitz, sans lequel ce livre n'existerait pas. Il avait des sutras une comprhension intime et profonde qu'il savait admirablement nous faire partager. Je lui suis infiniment reconnaissante pour cette porte qu'il m'a ouverte sur la vie.

Traduction du texte sanscrit reproduit en couverture : Quand le dsir de prendre disparat, les joyaux apparaissent , II, 37 (en hommage Grard Blitz qui aimait particulirement ce sutra).Traduction franaise : I ditions Albin Michel S.A., 1991 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN : 2-226-05247-X ISSN : 0755-1835

INTRODUCTION

Il est difficile de situer trs exactement le Yoga-Sutra, mais, que Patanjali ait exist en tant que personne, ou qu'il reprsente un courant de pense, que ce soit deux sicles avant notre re ou quatre sicles aprs, l'enseignement du Yoga expos dans les Sutras codifie une pratique traditionnelle d'une trs grande anciennet. Le mot Sutra, en sanscrit, dsigne le fil du collier et, par extension, le fil conducteur d'un raisonnement, d'un expos. Il voque aussi les perles du collier, et dsigne alors les 195 aphorismes qui constituent le trait. On parle donc aussi des Yoga-Sutras. Dans tous les enseignements spirituels en Inde, existent ces rsums, sortes d'aide-mmoire destins tre appris par cur et expliqus par le matre, leur brivet les rendant souvent difficilement comprhensibles sans commentaires. Si on ajoute que le sanscrit, la plus ancienne de toutes nos langues indo-europennes, ouvre, pour chaque mot, un large ventail de sens, on comprendra que la lecture du Yoga-Sutra ne peut se faire qu' la lumire de la pratique, celle-ci clairant

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INTRODUCTION

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celle-l et vice versa. C'est tout le sens du mot Svdhyya, qui est la fois tude des textes sacrs et connaissance de soi. Traduire et commenter le Yoga-Sutra, c'est seulement en donner une vision parmi d'autres, fruit de sa propre exprience de l'tat de Yoga. C'est pourquoi il m'a paru important de donner pour chaque terme le ou les diffrents sens, afin que chacun puisse, au-del de ma traduction qui ne peut tre que mon interprtation , trouver la sienne partir du texte tel qu'en lui-mme... Par souci de simplification, je n'ai pas jug ncessaire de donner le texte dans l'alphabet sanscrit, et j'ai choisi la transcription simplifie, assez phontique. Je ne suis pas non plus entre dans les dtails de grammaire, laissant inexpliques les terminaisons d'un mme mot, par exemple, Yoga au sutra n 1, et Yogash au n 2, le premier tant le thme pur dans un mot compos, le second tant affect de la marque du nominatif indiquant que le mot est le sujet de la phrase. A part quelques exceptions, j'ai donn, dans le mot mot dtaill qui permettra au lecteur de se rfrer plus facilement au texte initial, le mot non affect de sa terminaison grammaticale..

Le message

Cet ouvrage obit deux exigences : mettre en valeur le fil conducteur et la composition ; clairer, en relation avec la pratique, ce qui, pour nous, actuellement, parat essentiel dans la lecture des Sutras.

En effet, depuis des millnaires, la pratique du Yoga a pour but la libert : se librer de la loi du Karma ou loi de la cause et de l'effet, se dlivrer des entraves de la condition humaine, devenir un Jivan Mukta, un veill vivant. Le quatrime chapitre des Sutras dveloppe l'ultime tape de ce chemin de transformation. Pour nous, Occidentaux, le message des Sutras me parat davantage rsider dans la relation avec les autres, qui passe par la relation avec soi-mme. L'immense richesse de ce texte est utilisable au quotidien, dans notre vie physique et psychique, personnelle et relationnelle, et constitue une ouverture privilgie la vie spirituelle. Avec un souci du dtail permanent, Patanjali explore l'univers psychomental et nous donne un moyen simple, concret, merveilleusement efficace, pour devenir plus conscients, plus vigilants, plus aptes vivre chaque instant dans sa plnitude. Patanjali dveloppe sa pense de faon typiquement indienne. Elle n'est pas linaire, conformment la logique occidentale, mais revient plusieurs fois sur un mme thme pour l'largir et l'approfondir. On pourrait dire qu'elle s'exprime en spirales, comme l'nergie ellemme. Et pour mieux la faire passer, il fait appel, comme dans tous les textes sacrs, des images : celle de la fleur de coton, symbole de lgret, ou celle de la digue de terre dans le champ labour. Or, l o il y a image, il y a sensibilisation, donc, encore une fois, interprtation.1. Le Yoga-Sutra est rparti en quatre livres ou chapitres, les Pdas : Samdhi Pda ; Sdhana Pda ; Vibhti Pda ; Kava-lya Pda.

AVIS AU LECTEUR

Le Yoga-Sutra est un texte inspir. On ne le lit pas comme un roman, on le consulte, on le savoure, dans des moments privilgis qui deviennent une mditation. C'est pourquoi j'ai essay d'crire comme je guide mes sances de Yoga, au rythme de ma respiration naturelle lorsqu'elle est apaise. C'est pourquoi j'ai choisi de prsenter les Sutras comme des pomes, chacun d'eux rayonnant comme un joyau. Peut-tre serait-il profitable de lire ce texte haute voix ?

SAMADHI PADA

Le premier chapitre, Samdhi Pda , nous indique la direction. La finalit du Yoga, c'est le Samdhi, cet tat dconditionn dans lequel, enfin libre des automatismes de comportement et de pense, on peut faire un avec la vie, en acceptant que tout change et se modifie. Il nous montre les moyens pour y parvenir, les obstacles, et nous dit comment nous pouvons supprimer ces obstacles. Il nous dcrit ensuite les diffrents stades du Samdhi.

Ouverture un peu solennelle du trait.

1.1. Atha Yognushsanam. Maintenant, le Yoga va nous tre enseign, dans la continuit d'une transmission sans interruption. atha : maintenant yoga : le Yoga anu : de faon ininterrompue shsanam : enseignement Ce sutra d'introduction nous dit comment le Yoga se transmet. Maintenant , dit Patanjali. C'est dire qu'il s'enseigne celui qui est prt, disponible, motiv. Et il se transmet selon une chane ininterrompue, de matre disciple. Importance de la motivation, caractre initiatique de cet enseignement qui plonge ses racines dans un pass aussi lointain que les textes sacrs les plus anciens : les Vdas.

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Dfinition du Yoga. Voie suivre. Argument clef: lorsque la priphrie s'apaise, notre Centre se rvle.

1.2. Yogashchittavrittinirodhah. Le Yoga est l'arrt de l'activit automatique du mental. yoga : le Yoga chitta : conscience priphrique, mental vritti : agitation, modification, perturbation nirodha : arrt, interruption

simple. En nous librant des automatismes, le Yoga nous rvle notre capacit d'tre. Cette conscience profonde que Patanjali appelle Drashtar, celui qui voit, c'est le Tmoin immobile, permanent, qui nous fait participer l'nergie cosmique, au-del de notre incarnation matrielle. Qu'on le nomme Drashtar, l'Atman, le Soi, le Centre, c'est une richesse commune tous les hommes, source d'amour, de vie, de crativit, que, pour la plupart, nous cherchons l'extrieur, alors qu'elle est en nous.

1.3. Tad drashtuh svarp avasthnam. Alors se rvle notre Centre, tabli en luimme. tad : alors drashtar : voyant ; tmoin svarp : dans sa propre forme avasthnam : le fait de s'tablir Patanjali nous donne un moyen : arrter l'agitation automatique du mental. Et il nous dit d'entre de jeu quelle est l'extraordinaire consquence de cet acte apparemment si

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Que se passe-t-il si la conscience priphrique ne s'apaise pas ?

1.4. Vrittisrpyam itaratra. Dans le cas contraire, il y a identification de notre Centre avec l'agitation du mental. vritti : modification sarpyam : assimilation, identification itaratra : autrement Comment ce Centre, qui est immobile, permanent, peut-il s'identifier avec la conscience priphrique, essentiellement instable puisqu'elle est relie aux sollicitations extrieures par l'intermdiaire des sens? Comme un diamant qui reflte la couleur du support sur lequel il est pos. Au lieu de rester pur et transparent, il se teinte. On peut imaginer qu'une humeur passionnelle, violente colre, indignation va le colorer en rouge, une humeur sombre peur, dgot, dcouragement le colorer en noir. Le langage populaire est loquent : voir rouge, avoir des ides noires. La conscience profonde va reflter ces tats changeants de Chitta, le mental au sens large, et le monde change alors nos yeux. Il n'est plus l'expression de la ralit mais celle de notre subjectivit. On s'identifie cet tat passager, comme le conducteur d'une voiture peut s'identifier son

vhicule, un homme riche ses richesses, un homme puissant son pouvoir. On ne se rend pas compte de cette identification : un mental agit fait cran, comme une eau agite empche de voir le fond, et le mental ne peut pas connatre le Centre parce qu'il est d'une tout autre nature. On ne peut qu'enlever les obstacles, calmer cette agitation qui fait cran. Alors, comme l'eau calme laisse voir le trsor au fond de l'eau, le mental apais rvle notre Centre qui nous permet d'accder la ralit.

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De quelle nature est cette agitation du mental ? Les Vrittis ou les cinq modalits de la pense. 1.7. Pratyaksha-anumna-agamah pramnni. Les raisonnements justes ont pour base la perception claire, la dduction, la rfrence aux textes sacrs. pratyaksha : observation, connaissance directe, perception claire anumn : dduction gama : tradition pramna : raisonnement Pour raisonner juste, il faut savoir observer, avoir une bonne facult d'analyse, mais galement l'humilit de ne pas se fier entirement soi-mme et donc se rfrer la sagesse des anciens.

1.5. Vrittayah panchatayyah klishta-aklishth. Les modifications du mental sont au nombre de cinq, douloureuses ou non. vritti : modification, agitation pancha : au nombre de cinq klishta : douloureuse aklishta : non douloureuse

1.8. Viparyayo mithy-jnnam a-tadrpa-pra1.6. Pramna-viparyaya-vikalpa-nidr-smritayah.

tishtham. Ce sont le raisonnement juste, la pense errone, l'imagination, le sommeil et la mmoire. pramna : raisonnement juste viparyaya : pense errone vikalpa : imagination nidr : sommeil smritayah : de smriti : mmoire ; souvenirs L'erreur est une connaissance fausse non tablie sur le Soi (qui n'est pas en relation avec la conscience profonde). viparyaya : erreur, conception fausse, contradiction avec soi-mme mithya : faux, de travers jnna : connaissance a- : non tad : cela, le Soi, la conscience profonde rpa : la forme pratishta : tablie

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1.9. Shabdajnna-anupt vastu-shnyo vikal-pah. 1.11. Anubhta-vishaya-asampramoshah smri-tih. L'imagination est vide de substance car elle s'appuie sur la connaissance verbale. shabda : son, mot, parole, discours jnna : connaissance ; shabdajnna : connaissance verbale anupt : qui suit vastu : substance, chose existante ; de vas- : habiter, tre . shnya : vide vikalpa : imagination Le mot n'est pas la chose. La mmoire consiste ne pas dpouiller l'objet dont on a fait l'exprience de ce caractre d'exprience. anubhta : d'exprience ; de anubh : ressentir, prouver, percevoir vishaya : champ d'action, d'exprience, ce qui est accessible aux sens. asampramoshah : fait de ne pas voler Ce sont les cinq modalits du fonctionnement mental. Son utilit n'est pas remise en cause; c'est un merveilleux outil tout fait ncessaire. Il s'agit simplement de le nettoyer de tout ce qui l'encombre et nuit au discernement. Aliment par nos motions, nos traumatismes, nos schmas habituels, nos interdits culturels ou gntiques, le mental nous entrane dans la confusion. Mme sous la forme d'un raisonnement juste, il ne peut galer la connaissance directe que permet le Yoga quand la pense s'est tue et que notre Centre, dlivr de tous ces bruits parasites, peut connatre immdiatement et dans sa totalit tout lment de la ralit, que ce soit un objet ou un tre vivant. C'est l'vidence, qui apparat clairement quand plus rien ne vient brouiller la conscience. Calmons l'agitation du mental; il devient alors transparent, permet la relation avec la conscience profonde, source de vie, et la rponse devient juste, adquate.

1.10. Abhva-pratyaya-lamban vrittir nidr. Le sommeil avec rves est une agitation du mental fonde sur un contenu fictif. abhva : qui n'existe pas pratyaya : croyance, conception, ide, exprience lamban : fait de s'appuyer sur, point d'appui, support vritti : modification nidr : sommeil

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Comment apaiser cette agitation du mental ?

1.12. Abhysa-vargybhym tan-nirodhah. L'arrt des penses automatiques s'obtient par une pratique intense dans un esprit de lcherprise. abhysa : pratique, travail sur soi-mme demandant effort et volont ; racine as : projeter, lancer + prf. abhi : ide de force, de difficult + : ide que l'action est faite dans la direction de celui qui agit. vargya : absence de passion, d'attachement, ne pas s'impliquer motionnellement, ne pas se laisser identifier avec ; driv du mot raga : passion, au sens large, partir de la racine ranj : teindre en rouge, + prf. vi : qui est ngatif. tan : celles-ci [les Vrittis] nirodha : arrt, interruption, suppression. Nous sommes l au cur du Yoga et l'esprit occidental comprend difficilement que les contraires puissent coexister. Pourtant la posture symbolise bien cette attitude mentale. Il n'y a pas de posture sans structure et celle-ci s'tablit grce des points de fermet; mais l'tat d'Asana notion d'infinit dans un espace heureux , comme le traduisait Grard Blitz, ne peut s'installer que si on relche toutes les tensions inutiles, au niveau musculaire, respiratoire et mental.

S'engager compltement dans une pratique, dans une action, sans pour autant s'identifier avec elle, c'est le message de la Bhagavad Git : ne pas rechercher les fruits de l'action tout en faisant aussi parfaitement que possible ce que l'on doit faire. La recherche d'un rsultat n'a rien voir avec l'action elle-mme. Escompter un rsultat, c'est se projeter dans l'avenir, et l'action, elle, ne peut exister que dans le prsent. Pratiquer Abhysa Vargya, c'est tre ici et maintenant, trouver l'quilibre, intgrer les contraires.

1.13. Tatra sthitau yatno'bhysah. Dans ce cas, cette pratique intense est un effort nergique pour s'tablir en soi-mme. tatra : l, alors, dans ce cas Sthitau : tre tabli ; racine sth : se tenir debout yatna : effort, nergie abhysa : pratique intense Pratiquer intensment, ce n'est pas rechercher des postures difficiles et compliques, contraindre son corps avec volontarisme pour obtenir souplesse ou puissance physique. Ce n'est pas chercher copier parfaitement une forme, mais, travers un travail appropri du corps, atteindre, dans la posture, cet apaisement du mental qui est l'tat de Yoga.

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L'effort dont il s'agit est l'effort d'attention, ncessaire pour tre prsent, vigilant, disponible.

fois conscient du geste, de la respiration, et de la sensation. Continuer tre conscient dans la vie quotidienne est une vritable gageure qui demande bien l'engagement total, la motivation dont parle ce Sutra.

1.14. Sa tu drghakla-nairantarya-satkra-darasevito dridha-bhmih. Mais elle n'est une base solide que si elle est pratique avec ferveur, persvrance, de faon ininterrompue et pendant longtemps. sa : elle tu : mais drghakla : longtemps nairantarya : de faon ininterrompue satkra : ferveur, dvotion dara : persvrance sevita : pratiqu dridha : solide bhmi : base Cet effort d'attention l'instant prsent va devenir peu peu un tat d'attention, mais cela demande du temps et du srieux. Remplacer notre dispersion, notre inattention par cette conscience de tout chaque instant, c'est une rducation dont les points forts peuvent tre les moments de pratique en salle de Yoga, mais qui ne peut devenir tat de conscience, tat de Yoga, que grce une vigilance continue, dans tous les actes du quotidien. Dans la pratique du Yoga, on essaye d'tre la 1.15. Drishta-anushravika-vishaya-vitrishnasya vashkra-samjn vargyam. Le non-attachement est induit par un tat de conscience totale qui libre du dsir face au monde qui nous entoure.

drishta : ce qui est vu anushravika : racine shru : entendre ; entendu vishaya : champ d'action, d'exprience; objet d'exprience vitrishnasya : sans soif, sans dsir vashkra : qui soumet, subjugue, a pouvoir sur, tend son empire sur samjn : jn : connatre + sam : compltement ; connaissance intime, profonde conscience vargyam : lcher prise; non-attachement, libert l'gard deLcher prise, ne pas se projeter vers les tres et les choses de faon volontaire et possessive, m par le dsir de prendre, de s'approprier, de contrler. Lcher prise, accepter ce qui est, ce qui survient, accepter l'autre dans sa diffrence, sans le vouloir pareil soi, ou tel qu'on voudrait qu'il soit, aimer sans vouloir attacher, identifier, asservir.

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Accepter est trs difficile. On le veut, on croit y parvenir, et le corps, qui, lui, ne ment pas, manifeste par la souffrance et la maladie que l'on ne donne pas une adhsion profonde, de tout l'tre, cette acceptation. Dans la pratique du Yoga, lcher prise, c'est accepter de ngocier avec son manque de souplesse, accepter que la posture parfaite soit celle que l'on ne peut plus amliorer avec ses moyens du moment. Le lcher-prise, c'est l'humilit, la simplicit retrouves, l'tat sans dsir. Sans dsir, on est sans pense ; sans pense, on est dans la ralit.

1.16. Tat-param purusha-khyter guna-vatrishnyam. Le plus haut degr dans le lcher-prise, c'est se dtacher des Gunas grce la conscience du Soi . tat : cela (le lcher-prise) param : le plus haut purusha : le Soi, le Centre khyti : la conscience, la connaissance absolue guna : qualit, proprit, attribut, modalit de la manifestation vatrishnya : dtachement Voici voque la vision de l'univers selon le Sam-khya. Le Purusha, qui est inexprimable, inconnaissable, est ml, pour des raisons qui nous dpassent, la

Prakriti, matire dynamique et cratrice, selon trois modalits appeles Gunas : Sattva, ou le mode de la lumire, de l'quilibre ; Rajas, ou le mode de l'nergie motrice, de l'activit mentale; Tamas, celui de l'inertie physique et psychique. Dans l'ordre du manifest auquel nous appartenons, tout est soumis ces trois modes d'expression. Etre dtach des Gunas, c'est tre libre de la manifestation, libr de l'Avidya, ignorance existentielle, inhrente la matire. Selon la tradition, c'est tre veill vivant, Jivan Mukta. Dans la vie quotidienne, se librer des Gunas, c'est peut-tre prendre conscience, dans la relation, de la modalit rajasique, sattvique ou tamasique de nos ractions. Cette prise de conscience cre un espace qui permet de ne pas tre emport par l'motion du moment; reconnatre la colre qui monte en soi, c'est pouvoir ngocier avec cette motion, agir de faon juste, adquate, sans se couper de son tre profond.

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Le Samdhi ou l'tat de pure conscience.

1.18. Virma-pratyaya-abhysa-prvah kra-shsho anyah. Quand cesse toute activit mentale grce l'exprience renouvele de cet tat, s'tablit le Samdhi Asamprajnata, sans support. Cependant, demeurent les mmoires accumules par le Karma. virma : cessation pratyaya : ide, opinion, croyance abhysa : pratique intense prvah : qui vient de samskra : impressions, empreintes, strates psychiques accumules shsha : reste, reliquat anya : autre Etat d'unit, de pure conscience, mais ce n'est que passager. On porte encore en soi les graines du pass, qu'elles fassent partie de l'inconscient collectif ou de notre propre histoire, elles peuvent germer ds que les circonstances le permettent et dstabiliser nouveau la conscience.

sams-

1.17. Vitarka-vichra-nanda-asmit-rpa-anugamt samprajntah. Le Samdhi Samprajnta, dans lequel la conscience est encore tourne vers l'extrieur, fait appel la rflexion, au raisonnement. Il s'accompagne d'un sentiment de joie et du sentiment d'exister. vitarka : raisonnement, rflexion vichra : examen mental, investigation nanda : joie sans objet, batitude asmita : sentiment du je suis rpa : forme anugamt : dmarche, pratique ; finale -t : vient de sam : ide de perfection pra : ide d'aller vers l'extrieur jn : connatre Il y a raisonnement et rflexion ; donc, il y a support sur lequel s'exerce la conscience. L'esprit ne se disperse plus. Il est en harmonie avec l'objet sur lequel il est concentr et cet accord total donne un sentiment de plnitude et de joie. Mais l'ego est encore l, sujet qui pense et qui ressent.

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1.19. Bhava-pratyayo vidha-prakriti-laynam. De naissance, certains tres connaissent le Samdhi. Ils sont libres des contraintes du corps physique, tout en tant incarns. bhava : naissance pratyaya : ide, croyance, exprience vidha : sans corps prakritilaya : immerg dans la manifestation Le Dharma, loi d'ordre divin, donne chacun la destine qui lui est due. Certains tres possdent, de naissance, cette transparence de la conscience que les autres peuvent atteindre seulement par l'effort et la pratique.

La voie suivre [20 31]. Voie de la pratique (qui dveloppe Abhyasa).

1.20. Shraddh-vrya-srnriti-samdhi-prajnprvaka itareshm. Les autres connaissent le Samdhi grce la foi, l'nergie, l'tude et la connaissance intuitive . shraddh : foi, croyance, dsir, loyaut, fidlit vrya : nergie, volont smriti : mmoire, tude samdhi-prajn : connaissance immdiate, subtile, globale prvaka : qui vient de itara : autre

1.21. Tvra-samvgnm sannah. Il est accessible ceux qui le dsirent ardemment. tvra : intense, violent, ardent, fort, excessif, terrible samvga : lan sanna : de -sad : atteindre, obtenir, avoir part ; obtention, russite

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Voie de l'abandon Dieu qui largit la

1.22. Mridu-madhya-adhimtratvt tato (a)pi vishshah. notion de Varagya. Mme dans ce cas, il y a une diffrence selon que la pratique est faible, moyenne, ou intense. mridu : faible, doux madhya : moyen adhimtra : suprieure tatah : partir de cela api : aussi, mme vishesha : distinction, discrimination, diffrence Reprise du Sutra 14. Patanjali insiste de nouveau sur le caractre srieux, engag, d'une Sadhana ou dmarche de connaissance de soi. Qu'elle soit traditionnelle, comme en Inde, o le Sadhaka se rend disponible pour cette qute spirituelle, ou moderne, immerge dans la vie relationnelle, elle ncessite le mme engagement.

1.23. Ishvara-pranidhnd va. Ou bien, grce l'abandon au Seigneur.

shvara : le Seigneur pranidhna : prfixes pra : en avant et, m : de haut enbas ; racine dh : poser ; dposer dans une attitude dvotionnelle va : ou bien Pour certains, plus religieux, le lcher-prise est plus facile, en passant par cet acte dvotionnel de soumission la volont divine. Le Samkhya est une philosophie non religieuse, mais Patanjali, qui connat le cur des hommes dans leur diversit, ne nglige pas cette approche du rel.

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1.24. Klsha-karma-vipka-shayar a-parmrishtah purusha-vishsha shvarah. Ishvara est un tre particulier qui n'est pas affect par la souffrance, l'action, son rsultat et les traces qu'elle peut laisser. klsha : affliction, souffrance karma : action, travail, activit vipka : maturation, rsultat, consquence shaya : transformation, trace a-parmrishta : non affect purusha : tre vishsha : particulier shvara : seigneur Cet tre particulier, d'essence divine, n'est pas li la loi de la cause et de l'effet. Pour nous, soumis la loi du Karma, si nos actes nous suivent, c'est parce qu'ils ne sont pas dsintresss .

1.25. Tatra nir-atishayam sarvajn-bjam. En lui est le germe d'une conscience sans limites. tatra : l nir-atishaya : sans limites sarvajn : connaissance totale bja : semence, principe Comment, ds lors, ne pas s'en remettre cet absolu que nous ne pouvons mme pas concevoir?

1.26. Sa sha prvsham api guruh klna anavacchdt. Non limit par le temps, il est le matre spirituel des anciens eux-mmes. sa sha : il prvsham : de purva : ancien, des anciens api : mme guru : matre spirituel kla : le temps an-avacchda : non limit D'essence divine, il est la source de toute vie spirituelle depuis l'origine. Sans lui, pas d'enseignement spirituel, pas de Yoga.

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1.27. Tasya vchakah pranavah. On le dsigne par le Om. tasya : de celui-ci vchaka : dsignation pranava : racine nav-: chanter les louanges ; le Om que l'on chante en Inde avant toute rcitation de texte sacr. 1.29. Tatah pratyak-chtan-adhigamo (a)py antarya-abhvash cha. Grce cela la conscience priphrique s'intriorise et les obstacles disparaissent. tatah : grce cela pratyak : vers l'intrieur chtan : de chitta : mental ; conscience priphrique adhigama : accession api : aussi antarya : obstacle abhva : qui n'existe pas cha : et Dieu ne peut tre peru directement, mais la vibration peut nous faire participer de son tret, car le son permet la conscience de le percevoir comme une vidence. Chaque vibration, une fois manifeste, se fond nouveau dans la source originelle. Om, Mantra parmi les Mantras, correspond l'unit primordiale, au verbe originel. C'est une syllabe sacre : le chanter mcaniquement serait un non-sens, mais unifi par une pratique de Yoga, on entre alors dans sa signification.

1.28. Taj-japas tad-artha-bhvanam. La rptition de ce Mantra permet d'entrer dans sa signification. tad : cela japa : rptition artha : signification bhvana : ce qui rvle

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Les obstacles

dcouragement ; l'tude, l'intemprance ; l'intelligence intuitive, l'erreur de jugement. Ces obstacles sont inhrents aux automatismes du mental, ils sont lis la mconnaissance de la ralit.

1.30. Vydhi-styna-sarnshaya-pramda-lasyaavirati-bhrntidarshana-aabdhabhmi-katvaanavisthitatvni chitta-vikshps t antaryh. La maladie, l'abattement, le doute, le dsquilibre mental, la paresse, l'intemprance, l'erreur de jugement, le fait de ne pas raliser ce qu'on a projet ou de changer trop souvent de projet, tels sont les obstacles qui dispersent la conscience. vydhi : maladie, douleur, souci styna : abattement, dpression samshaya : doute, hsitation, incertitude pramda : dsquilibre mental lasya : paresse, lthargie avirati : intemprance bhrntidarshana : erreur de jugement alabdabhmikatva : qui n'a pas atteint son but anavisthitatva : instabilit, inconstance chitta : le mental vikshpa : distraction, dispersion t : ils antarya : obstacle Patanjali reprend et dveloppe la voie de la pratique. A la foi s'opposent le doute, le dsquilibre mental ; l'nergie, la maladie, l'abattement, la paresse, le

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Leurs consquences.Comment les liminer?

1.31. Dukha-daurmanasya-angamjayatva-shvsaprashvs vikshpa-sahabhuvah. 1.32. Tat-pratishdha-artham ka-tattva-abhy-sah. Pour liminer cela, il faut centrer sa pratique sur un seul principe la fois. tat : cela pratishdha : limination, suppression artham : pour, afin de ka : un tattva : principe abhysa : pratique Ne pas se disperser, ne pas vouloir tout exprimenter la fois, creuser son sillon avec patience et humilit. L'apprentissage de cette non-dispersion se fait dans la pratique du Yoga o l'on suit un fil conducteur. L'effort d'attention du dbut devient tat d'attention. De Asana, on passe tout naturellement Pranayama. On cre les conditions et l'tat de Yoga s'installe... La souffrance, l'angoisse, la nervosit, une respiration acclre, sont les compagnons de cette dispersion mentale. dukha : peine, douleur, souffrance daurmanasya : angoisse, anxit angamjayatva : tremblement shvsaprashvs : inspir/expir (concerne une respiration irrgulire) vikshpa : dispersion sahabhu : compagnon Description alarmante mais qui traduit bien notre ralit : le stress de la vie moderne, la nervosit, l'anxit, la respiration courte, autant de malaises que nous pouvons viter en apaisant l'agitation du mental. Le Yoga n'est pas une voie facile. Les obstacles sont nombreux et l'nergie de la foi est ncessaire. Vouloir les vaincre demande de veiller sa sant, ses penses, ses dsirs, ses actes. C'est un engagement tous les niveaux, sur tous les plans.

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1.33. Matri-karun-mudit-upkshnm sukhadukha-punya-apunya-vishaynm bhvantash chitta-prasdanam. L'amiti, la compassion, la gaiet clarifient et apaisent le mental; ce comportement doit s'exercer indiffremment dans le bonheur et le malheur, vis--vis de ce qui nous fait du bien comme vis--vis de ce qui nous fait mal.

C'est facile d'tre ouvert quand on est heureux mais on a tendance se fermer ds qu'on est mal. Agir, nous rappelle Patanjali, en accord avec la conscience profonde et non ragir, emport par les modifications de la conscience priphrique.

1.34. Pracchardana-vidhranbhym va prna-sya. matri : amiti, sentiments amicaux karuna : ouverture de cur, compassion mudit : gaiet, joie upksh : tranquillit d'esprit sukha : bonheur dukha : malheur punya : impur, malheureux, mauvais vishaya : champ d'action, ce qui est accessible aux sens bhvana : manire d'tre, attitude tah : partir de chitta : conscience priphrique, mental prasdana : clart, srnit, calme, apaisement Indiffremment dans le bonheur et le malheur, dans un environnement bienfaisant, comme dans un environnement hostile. Il est ais de se sentir amical, comprhensif et gai face une personnalit que l'on apprcie, des ides ou un comportement avec lesquels on se sent en accord. Cela devient trs difficile si on se sent agress, agac et que l'on ne comprend pas la dmarche ou la situation. L'expir et la suspension de la respiration produisent les mmes effets. pracchardana : expir vidhrana : fait d'arrter, de restreindre va : ou bien prna : souffle, respiration, souffle vital, nergie La respiration est un merveilleux baromtre de l'tat intrieur. Affecte par toute agitation du mental, elle peut, l'inverse, lui redonner le calme. Crer un espace la fin de l'inspir et de l'expir, c'est lui permettre de retrouver le rythme du corps, beaucoup plus lent, le rythme de l'univers, auquel nous sommes accords quand le mental ne le modifie pas. L'attention au souffle suffit : elle cre les conditions et la respiration se rgule d'elle-mme.

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1.35. Vishayavat va pravrittir utpann manasah sthitinibandhin. La stabilit du mental peut aussi venir de son activit en relation avec le monde sensible. vishayavat : en relation avec le champ d'exprimentation des sens va : ou pravritti : activit du mental utpanna : vient de manas : pense, esprit, intellect sthiti : stabilit nibandhin : cause Reprenons l'exemple du diamant qui reflte son support. Si la conscience priphrique est en relation, par l'intermdiaire des sens, avec des objets gnrateurs de calme, de paix, de tranquillit, rien ne viendra altrer la paix de la conscience profonde. La beaut et le silence de la nature ne produisent pas le mme effet sur la conscience que les nuisances de la vie urbaine.

1.36. Vishok va jyotishmat. Ou bien de l'exprience d'un tat lumineux et serein. vishok : sans souffrance, serein va : ou jyotishmat : qualit lumineuse Moments de plnitude et d'apaisement que nous connaissons dans la pratique du Yoga, mais aussi dans la vie. Tout est en harmonie, sa place; on est en situation d'adhsion face la vie, et nat alors un sentiment de joie qui efface le temps et stabilise la conscience.

1.37. Vtarga-vishayam va chittam. On peut aussi stabiliser le mental en le mettant en relation avec un tre qui connat l'tat sans dsir. vtarga : dnu de dsir vishaya : champ d'exprience va : ou chitta : conscience mentale Vivre prs d'une personne ralise peut conduire la ralisation. Si l'on concentre son attention sur un support

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dont les vibrations sont libres de l'attachement et du dsir, il peut y avoir identification de la conscience priphrique avec cet tat de dtachement et la conscience alors se centre ; c'est l'tat d'unit.

1.39. Yath-abhimata-dhynd va. Ou encore, par la mditation sur un objet de son choix. yath : comme, en outre abhimata : souhait, agrable dhyna : mditation va : ou

1.38. Svapna-nidr-jnna-lambanam va. Ou bien en restant vigilant au cur mme du sommeil et des rves. svapna : sommeil nidr : sommeil avec rves jnna : connaissance lambana : ayant pour support va : ou Etre vigilant pour percevoir tous les tats de conscience, sommeil et rves y compris, accder ainsi au quatrime tat de conscience appel Turya, qui correspond au Samdhi. En sept Sutras, Patanjali numre les moyens qui vont crer les conditions de l'tat d'unit. Que ce soit l'exercice de la concentration, de la respiration, la qualit de la relation avec l'environnement, tous ces moyens convergent et trouvent leur aboutissement dans la mditation. Dhyna est form sur la racine dh-, qui signifie penser, au sens global, intuitif. Il a donn le mot Tchan en chinois, prononc Zen en japonais. C'est l'tape ultime, dans la pratique du Yoga, avant le Samadhi. On peut dcider de se concentrer, on ne peut pas dcider de mditer. La mditation est un mode de vie. Elle largit le champ de conscience. Mditer, dit Krishnamurti, c'est tre conscient de tout chaque instant.

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Les diffrents stades du Samdhi.

connaissant, du connu et du moyen de connaissance. Cet tat de rceptivit est Sampatti. Kshna : attnuation, apaisement vritti : fluctuation, turbulence abhijta : bien poli, transparent iva : comme mani : cristal grahtri : le connaissant, le sujet grahana : la connaissance ; relation entre le sujet etl'objet grhya : l'objet de connaissance stha : ce qui est tad : cela anjanat : teint sampatti : tat de rceptivit parfaite Le premier stade de Samdhi est de prendre conscience de l'interpntration entre l'Absolu, le monde tangible et soi-mme, dans la mesure o nous participons la fois du monde tangible et de l'absolu. Ce qui connat, c'est le Soi, le Drashtar, la conscience profonde. Ce qui est connu, c'est le monde extrieur soi, et soi-mme aussi, le mental, l'ego. Le moyen de connaissance c'est la conscience priphrique, les sens, le mental. Cette conscience mentale ne participe de la conscience profonde que parce qu'elle lui est associe, de mme qu'un fer chauffe au rouge semble tre le feu luimme ou qu'une cruche remplie d'eau chaude parat chaude, une lanterne allume, lumineuse. De mme, la conscience priphrique, qui participe du monde manifest, prend une apparence

1.40. Parama-anu-parama-mahattva-anto (a)sya vashikarah. La force de celui qui est arriv cet tat va de l'infiniment petit l'infiniment grand. parama : le plus, l'infiniment anu : l'atome parama anu : l'infiniment petit parama mahattva : l'infiniment grand anta : la fin asya : de celui vashkra : pouvoir, force, puissance d'action La conscience priphrique tant stabilise, la conscience profonde se rvle. Elle participe de l'absolu et permet donc de connatre cette dimension.

1.41. Kshna-vritter abhijtasya iva maner grahtri-grahana-grhyshu tatstha-tadanjanat sampattih. Les turbulences de la conscience priphrique tant apaises comme un cristal reflte le support sur lequel il repose, le mental est en tat de rceptivit parfaite vis--vis du

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consciente, alors que la conscience n'appartient qu'au Soi. Pollue par l'agitation des penses, elle voile la conscience profonde et dforme la perception que l'on peut en avoir. Rendue au calme, la transparence, elle s'intgre alors la conscience, et notre tret, source de vie, se rvle.

1.43. Smriti-parishuddhau svarpa-shunya iva artha-mtra-nirbhs nir-vitark La mmoire ayant t purifie, comme vide de sa substance, l'tat d'unit sans raisonnement ne s'intresse alors qu' l'objet lui-mme, libre des connotations mentales. smriti : la mmoire parishuddha : purifie svarpa : forme, nature essentielle shunya : vide de iva : comme artha : objet, signification relle mtra : seulement nir-bhsa : prsentant, retenant, offrant nir-vitark : sans raisonnement Se simplifier, devenir transparent et permettre ainsi la fusion entre la conscience et l'objet.

1.42. Tatra shabda-artha-jnna-vikalpaih samlrn sa-vitark sampattih. Le Sampatti avec raisonnement est cet tat de rceptivit non encore dgag des constructions mentales lies l'usage des mots, leur signification et la connaissance qui en dcoule . tatra : l shabda : mot artha : signification jnna : connaissance vikalpa : construction mentale samkrn : confus, mlang sa-vitark : avec raisonnement sampatti : rceptivit parfaite On est donc encore sujet la confusion qu'entranent invitablement les mots avec leur connotation variable selon les individus et les expriences.

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1.44. Etay va sa-vichr nir-vichra cha skshma-vishay vykhyt. Cet tat de fusion permet alors la conscience d'apprhender la ralit subtile des choses, mme sans activit mentale. tay : par cela va : mme sa-vichr : avec raisonnement nir-vichr : sans raisonnement cha : et, galement skshma : subtil vishay : objet d'exprience vykhyta : appele Le Yoga permet d'aller de la priphrie vers le centre, d'une perception grossire, au niveau de la ralit physique, une perception subtile, du domaine de l'nergie.

1.45. Skshma-vishayatvam cha alinga-paryavasnam. En atteignant la nature subtile des choses, le Samdhi participe de l'indiffrenci. skshma : subtile -tva : [marque la qualit] vishaya : objet cha : et alinga : l'indiffrenci paryavasna : aboutissement

1.46. Ta va sabjah samdhih. Ces Samdhi eux-mmes comportent encore des graines. ta : ces va : mme, aussi sabja : avec graine, avec germe samdhi : tat d'unit, absorption, accomplissement Nous ne sommes pas encore totalement librs des imprgnations passes qui peuvent provoquer des ractions, ds que les conditions s'y prtent.

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1.47. Nirvichra-vashrady dah. L'exprience du Samdhi sans activit mentale induit un tat intrieur de paix et de clart. nirvichra : sans rflexion, sans effort vashradya : exprience, intelligence adhytma : intrieur, spirituel prasda : paix, clart Samdhi que l'on reoit quand on est en tat de rceptivit parfaite, en unit avec la conscience profonde.

adhytma-pras-

1.49. Shruta-anumna-prajnbhym shay vishsha-arthatvt. La connaissance qui dcoule de l'enseignement des textes sacrs et de l'exercice de l'intelligence est diffrente de celle du Samdhi parce que son champ d'exprience est diffrent. shruta : entendu, enseignement oral des textes sacrs anumna : infrence, dduction prajn : connaissance anya : autre vishay : objet d'exprience vishsha : autre, diffrent artha : cause, raison d'tre C'est d'un autre ordre. Diffrent du savoir, diffrent de l'exprience quotidienne.

anya-vi-

1.48. Ritam bhar tatra prajn. L est la connaissance de la ralit. ritam bhar : porteuse de vrit tatra : l prajn : connaissance

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1.50. Taj-jah samskro anyasamskra-pratiban-dh. L'imprgnation qui rsulte de ce Samdhi s'oppose la formation d'autres types d'imprgnations. tad-ja : n de cela samskra : impression, construction mentale, imprgnation, prgnance anya : autre pratibandh : ce qui fait obstacle Cette exprience est d'un autre ordre que celle de la vie quotidienne ; l'nergie qu'elle fait natre ne peut pas crer les mmes imprgnations que celles qui sont provoques lorsque le mental est agit.

1.51. Tasya api nirodh sarva-nirodhn nir-bjah samdhih. Quand tout cela aussi est supprim, on connat le Nirbja Samdhi. tasya : de cela api : aussi mrodha : suppression, arrt sarva : tout nir-bja : sans graines Les penses automatiques sont calmes, les mmoires nergtiques supprimes. C'est l'tat dconditionn, l'tat de pure conscience.

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Aprs avoir dfini l'tat de Yoga, et dcrit les diffrents stades de Samdhi, jusqu' l'tape ultime o les imprgnations qui crent les forces de l'habitude sont enfin supprimes, Patanjali nous parle des moyens pratiques que nous pouvons mettre en uvre pour crer les conditions favorables ce processus de transformation. Sdhana, terme militaire, signifie stratgie. C'est bien de cela qu'il s'agit, pour amener le mental dcouvrir et lcher ce qui l'encombre. Ainsi dsencombr, apais, il ne fera plus obstacle entre la ralit et notre conscience profonde, vritable source de perception.

Le Kriya-Yoga : son action sur la souffrance.

II. 1. Tapah-svdhyya-shvarapranidhnni kriyyogah.

Le Yoga de l'action se pratique selon trois modalits insparables : un effort soutenu, la conscience intrieure de soi et l'abandon au Seigneur. tapas : ascse, pratique rgulire et srieuse; racine tap-:brler,chauffer ; le-feu-de-notre-ardeur--pratiquer va brler tout ce qui nous encombre svdhyya : tude des textes qui conduit la connaissance de soi par la rfrence constante son exprience dans la pratique shvara pranidhana : abandon au Seigneur; humilit d'accepter ce qui est La pratique est donc notre moyen d'action. Mais quel type de pratique ? Faire des exercices physiques et respiratoires, et laisser nouveau le mental entraner la conscience dans le tourbillon de ses modifications incessantes? Le mot Tapas exprime que notre vigilance, notre intrt pour cette connaissance de la ralit, doit tre constante, ininterrompue, qu'elle doit s'exercer dans les actes simples du quotidien afin de dvelopper l'intuition de soi que Pantajali appelle Svdhyya. Que ce mot signifie la fois tude de soi et tude des textes sacrs est rvlateur. C'est l'tret qui

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donne un sens au savoir. La connaissance des textes est inutile si elle ne recoupe pas la connaissance de soi, dans l'exprience de la pratique. Et ce travail intrieur ne porte ses fruits que si on le soutient avec patience et humilit, dans l'acceptation de ce qui est, dans un tat d'abandon au Seigneur, dit Patanjali, qui, nouveau, nous rappelle que la juste attitude face la vie ne peut ignorer la dimension divine.

encombre, ce qui touffe en nous la joie qui nat de l'adhsion au moment prsent. La souffrance, c'est l'intrusion dans le prsent du pass ou de l'avenir, chargs de souvenirs ou de projections qui altrent la perception de la ralit.

II.2. Samdhi-bhvana-arthah karana-arthash cha. Ce Yoga de l'action a pour but d'attnuer les causes de souffrance et de permettre le Samdhi. samdhi : tat de pure conscience bhvana : objectif et ralisation de cet objectif artha : but klsha : affliction, souffrance, tourment, difficult tanu-karana : attnuation cha : et L'objectif du Yoga est l'tat de pure conscience. Nous le savons dj, mais Patanjali devient plus concret. C'est en attnuant les causes de souffrance que cette pratique va agir. Il n'y a rien prendre, vouloir acqurir, il suffit d'attnuer, rduire, abandonner, lcher. Ce qui nous tourmente, c'est tout ce qui nous

klsha-tan-

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Les cinq Klshas ou le champ de l'motionnel. II.4. Avidya kshetram uttareshm prasuptatanu-vichinna-udrnm. L'ignorance de la ralit est la source des autres causes de souffrance, qu'elles soient dveloppes ou en sommeil. 11.3. Avidy-asmit-rga-dvsha-abhinivshh klshh. Les causes de souffrance sont l'aveuglement, le sentiment de l'ego, le dsir de prendre, le refus d'accepter, l'attachement la vie. avidy : ignorance, aveuglement kshetram : champ, lieu, sige uttara : autre prasupta : endormi tanu : petit, lger vichinna : momentanment interrompu udra : important, dvelopp Le premier sens du mot Kshetram, champ, est trs imag. L'inconnaissance du rel, l'aveuglement, est bien le champ clos o s'affrontent toutes nos dualits, toutes nos pulsions contradictoires, toutes nos motions. L'motion refuse ou se laisse emporter. Dans les deux cas, on se dissocie du mouvement de la vie en laissant se glisser entre la vie et soi un jugement, mme implicite, une raction. On est alors dcentr, priphrique, dsuni, et la souffrance s'installe.

avidy : ignorance, mconnaissance de la ralit, nescience asmit : le sens du je, l'ego rga : dsir de prendre, de garder dvsha : aversion, refus abhinivsha : attachement la vie, peur de la mort klsha : souffrance, affliction Les Vrittis constituent les cinq modalits de la pense ; les Klshas, celles de l'tat motionnel. Sous son aspect affectif, c'est encore le mental, et l'motion est aussi fluctuante que la pense.

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II.5. Anitya-ashuchi-dukha-antmasu nityashucni-sukha-tma khytir avidy. L'ignorance de la ralit, c'est prendre l'impermanent, l'impur, le malheur, ce qui n'est pas le Soi, pour le permanent, le pur, le bonheur, le Soi. nitya a-nitya : permanent impermanent shuchi a-shuchi : pur impur dukha : malheur tman : le Soi an-atman : ce qui n'est pas le Soi sukha : bonheur khyti : conscience de, connaissance avidy : ignorance, aveuglement Un villageois rentrait chez lui la tombe de la nuit. Il aperut un serpent au travers du chemin et retourna chercher de l'aide. A la lumire de la lanterne, on vit que le serpent tait une corde. Plongs dans l'Avidy, nous prenons souvent la corde pour le serpent.

II.6. Drig-darshana-shaktyor asmit. Le sentiment de l'ego vient du fait que l'on identifie le spectateur et le spectacle. drig : celui qui voit darshana : ce qui est vu, la faon dont c'est vu shaktyor : les deux pouvoirs ka : un tma : essence -ta : le fait de ; tmata : le fait de donner la mme identit iva : comme si asmit : le sentiment de l'ego La capacit de voir, c'est Drashtar, ce tmoin silencieux, cette conscience profonde qui est en nous, et Darshana, c'est la chose vue, la fois ce que nous voyons et nous-mmes, nos sens, notre mental, grce auxquels nous avons la facult de voir. Comme le fer chauff au rouge semble tre le feu lui-mme, notre moi incarn, habit par la conscience profonde, parat tre cette conscience. De cette imbrication, nat la confusion. On identifie celui qui voit avec la vision, celui qui agit avec l'action. On identifie l'tre et le faire. Il est intressant de remarquer que le mot Darshana signifie aussi le point de vue. Ds qu'il y a point de vue, il y a subjectivit, identification du sujet et de l'objet. Pour le Drashtar, il n'y a pas de points de vue, il n'y a que des points voir.

ka-tmat iva

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II.7. Sukha-anushayi ragah. Le dsir de prendre est li la mmoire du plaisir. sukha : bonheur, bien-tre anushayin : qui vient de rga : attirance, dsir irrsistible

II.8. Dukh-anushay dvshah. Le refus est li la peur de souffrir.

monde extrieur, relationnel, l'action, on se rfugie dans l'immobilisme, dans l'attente, voire l'ennui, la dprime. L'quilibre est entre les deux. Dans la pratique, il est souvent plus facile que dans la vie de prendre conscience de notre propension ce dsquilibre dans un sens ou dans l'autre. Aller aussi loin que possible dans la prise d'une posture sans pour autant crer des tensions, ngocier dans le calme, paisiblement, avec un ligament rcalcitrant, sans renoncer, atteindre ses limites, les reconnatre, s'installer leurs frontires, et de pratique en pratique, le corps devient un outil mieux adapt. De mme, dans la relation, une observation vigilante permet de faire du mental un outil plus transparent, plus adapt se maintenir sur le fil du rasoir de la juste attitude.

dukha : mal-tre anushayin : qui vient de dvsha : rpulsion, dgot, refus Le dsir et le refus, deux attitudes opposes, diffrentes de la seule qui soit adquate face la vie : dire oui ce qui est. Face aux propositions que nous fait la vie, nous avons souvent l'une de ces deux attitudes. Elles nous viennent de nos expriences dont la mmoire cre en nous des habitudes de comportement. Nous agissons de faon automatique, non consciente. Quand le dsir de prendre est prpondrant, on a tendance accumuler les projets, les actions, les engagements. On est constamment happ vers l'extrieur, attitude refuge face la peur de la vie intrieure. A l'inverse, dans le refus automatique, on fuit le

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II.9. Sya-rasa-vh vidusho api tath rdho abhinivshah. L'instinct de conservation, li au sentiment que l'on a de son importance, est enracin en nous, mme chez l'rudit.

sortir de son cadre de vie, en avivant cette anxit fondamentale, ractive des attitudes que l'ducation et les protections de l'habitude ont russi masquer, mais la racine est l, et la plante repousse ds que le terrain s'y prte.

sva-rasa : got que l'on a de soi-mme, sens de son intrt vhin : vhicul, entran, li vidusha : l'rudit api : mme tath : ainsi, de la mme faon rdha : enracin abhinivsha : instinct de conservation qui nous amne ne pas tenir compte des autres quand on se sent menac. Le savoir n'est pas la connaissance. Le rationnel n'empche pas la pulsion. Savoir que l'on mourra un jour parce que l'on est mortel et l'accepter dans sa tte n'empche pas la pulsion de vie de se manifester, quelquefois avec la violence de l'instinct animal. Un navire qui sombre, un immeuble qui prend feu, et chacun est capable, pour sauver sa vie, de pitiner l'autre. Cet instinct de conservation se manifeste de mille faons, travers des ractions parfois enfantines : la peur de manquer qui conduit ne pas vouloir partager, le fait de se prcipiter dans une salle de spectacle, voire de Yoga, pour tre sr d'tre bien plac, autant de moments o la certitude sous-jacente de mourir un jour entrane l'ego s'approprier pour se rassurer. Le sentiment d'inscurit entrane ces ractions :

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Comment liminer la souffrance.

engag dans son extriorit. Toute posture inverse renverse cette tendance et favorise le retour vers l'unit.

11.10. T pratiprasava-hyh skshmh. Quand ces causes de souffrance sont lgres, on peut les liminer en les prenant contrecourant. 11.11. Dhyna-hys tad-vrittayah. Les perturbations mentales qu'elles entranent peuvent tre limines par la mditation. t : ils {klesha est masculin) prati- : en sens contraire prasava : naissance, courant hya : qui doit tre rejet, limin skshma : lger, subtil Dans la souffrance, qui souffre ? L'ego, parce que le dsir du moment n'est pas satisfait, ou qu'il refuse ce qui est, ou qu'il a peur de l'avenir. Et la cause essentielle est toujours la confusion mentale. Essayer d'attnuer la souffrance par la rflexion est un non-sens. Mme le raisonnement juste, nous dit Patanjali, est une Vritti, une agitation du mental et cela ne peut que renforcer la confusion. Aller contre-courant, c'est lcher prise, cesser de se dbattre, ne pas chercher d'argument ou d'explication la souffrance; c'est inverser le processus habituel par lequel le mental nous entrane dans des raisonnements bass sur le pass et nous coupe de notre conscience profonde. Dans la pratique, la posture inverse permet de vivre concrtement cette exprience. L'attitude debout, en mouvement, est celle de l'tre humain dhyna : mditation hya : qui doit tre supprim tad : de celles-ci vritti : perturbation, agitation Les Vrittis sont les manifestations des Klshas, lorsqu'elles sont actives, dveloppes. L'tat de mditation dans lequel le mental est apais, vide d'automatismes, permet d'tre en relation directement avec la ralit objective. Alors la confusion cesse et la souffrance se dissout. La pratique nous permet de connatre l'tat de mditation. Nous pratiquons pour avoir accs la vie.

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Le processus karmique. 11.13. Sati-ml tad-vipako jty-yur-bhogh. Tant que la racine est l, le dveloppement des Klshas se fait au cours de naissances, de vies et d'expriences diffrentes. 11.12. Klsha-mlah karma-shayo adrishta-janma-vdanyah. Au cours de naissances successives, on exprimente la loi du Karma, qui trouve ses racines dans nos afflictions. klsha : souffrance, affliction mla : racine karman : action, uvre, fait shaya : accumulation, strates drishta/adrishta : visible /invisible janman : naissances successives vdanya : qui doit tre connu, expriment La loi du Karma, ou accumulation karmique, dsigne, en Inde, les consquences inluctables d'actes accomplis dans une existence antrieure, ou dans celle du moment. Nos actes nous suivent. Chaque acte produit un effet qui devient son tour une cause. Et la qualit des effets dpend de la qualit des causes. Les Klshas forment un dpt karmique dont naissent, incessamment, des causes, et donc des effets. Cercle vicieux, ronde infernale dont nous sommes prisonniers. drishtasati-ml : la racine tant tad : de ceux-ci vipka : maturation, dveloppement jati : naissance, famille, espce ayus : vie, existence bhoga : jouissance, emploi, utilisation

11.14. T hlda-paritpa-phalh punya-apunyahtu-tvt. Selon qu'elles sont justes ou non, ces expriences produisent la joie ou la souffrance. t : ils hlda : amusement, joie paritpa : ardeur phala : fruit punya/apunya : pur, juste/impur, injuste htu-tvt : en raison de La nature des effets dpend de la nature des causes. Si un acte est juste, adquat, son effet produira une nergie bnfique qui engendrera une cause de bonheur, et inversement.

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11.15.

Parinma-tpa-samskra-duhkhair gunavritti-virodhch cha duhkham va sarvam vivkinah. Pour le sage, tout est douleur, parce que nous sommes soumis aux conflits ns de l'activit des Gunas et la douleur inhrente au changement, au malaise existentiel, au conditionnement du pass.

humaine est due l'ignorance de la vraie nature du Soi. Le mental ne peut pas nous aider car le Soi est d'une autre nature. Seule la pratique spirituelle peut nous donner la connaissance et supprimer la douleur.

11.16. Hyam duhkham an-gatam. parinma : maturation, changement, dclin tapa : ardeur spirituelle, ascse, anxit, malaise existentiel samskra : imprgnations sur le plan nergtique venant de nos vies passes et nous conditionnant duhkha : douleur, dtresse, malheur guna : modalit d'activit de la matire vritti : agitation, perturbation virodha : conflit, incompatibilit cha : et va : en vrit, mme sarva : tout vivka : sparation, discrimination vivkin : qui a du discernement, le sage Pour celui qui discerne la ralit, dans le monde manifest plong dans l'ignorance, tout est douleur. Comme on ne peut songer installer sa demeure sur un pont, on ne peut s'installer de faon durable dans cette vie o tout change et se modifie. Dans la tradition indienne, ce dtachement par rapport l'existence ordinaire n'est pas sentimental. Il ne provient pas d'une dception ou d'un dgot, mais d'une rflexion logique. La misre de la vie La douleur venir peut tre vite.

hya : peut, doit tre vit duhkha : malheur, souffrance an-gata : non encore survenu Aprs avoir dcrit le drame de la condition humaine, Patanjali nous redonne l'espoir. Nous ne pouvons plus rien sur le pass. L'action se fait au prsent. Si nous agissons avec une attitude mentale conforme Vargya, le lcher-prise, sans vouloir prendre, obtenir pour soi, nos actes ne smeront pas de graines susceptibles de faire clore plus tard de la souffrance. Seul le prsent est le lieu d'exprimentation du lcher-prise.

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Cause premire de la souffrance : la relation entre le Soi et la matire (ou monde manifest).

11.18. Praksha-kriv-sthiti-shilam bhta-indriyatmakam bhoga-aparvarga-artham drishyam. Le monde matriel se manifeste dans l'immobilit, l'activit ou la clart. Les lments naturels et les organes sensoriels le composent. La raison de cette manifestation est d'en jouir ou de s'en librer. praksha : clart, splendeur, lumire kriy : activit, travail, uvre sthiti : tat, arrt, immobilit shla : ayant les qualits, les caractristiques bhta : crature, lment indriya : organes des sens tmaka : qui appartient , compos de bhoga : jouissance, utilisation, perception aparvarga : batitude, dlivrance finale artha : but, cause, motif drishya : ce qui est vu, le monde manifest matriel L'homme, dans la manifestation, est soumis l'activit des Gunas. C'est pourquoi tout change, en lui et autour de lui. On peut demeurer dans ce systme, nourrir le processus karmique, en acceptant de vivre les bonheurs et les souffrances de l'existence, ou essayer, par la pratique du Yoga, de mettre fin cet engrenage, d'annuler les forces karmiques.

11.17. Drashtri-drishayoh samyogo hya-htuh. L'identification entre celui qui voit et ce qui est vu constitue la cause premire de la douleur qui peut tre vite. drashtar : celui qui voit, le tmoin drishaya : ce qui est vu samyoga : identification, confusion hya : qui peut tre vite htu : cause, motif La douleur qui peut, qui doit tre vite, est celle de la condition humaine soumise l'ignorance du rel. Celui qui voit et ce qui est vu, le spectateur et le spectacle, le Soi et la matire, la conscience profonde et la conscience mentale, la conscience universelle et le monde manifest, autant de termes pour dsigner ce que le Samkhya appelle Purusha/Prakriti, couple indissociable dans la vie humaine. L'Inde ne se demande pas pourquoi et quand s'est faite cette relation entre Purusha et Prakriti. Ce pourquoi sans rponse ne l'intresse pas. Ce qui l'intresse, c'est l'analyse et la comprhension de ce qui en rsulte. On constate chez l'homme un malaise existentiel, la nostalgie d'un bonheur non duel. Comment retrouver cet tat d'unit, se librer de l'aveuglement, du sentiment de l'ego, voil le but du Yoga.

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11.19. Vishsha-avishsha-lingamtra-alingni gunaparvni. L'activit des Gunas se manifeste des niveaux diffrents sur des lments grossiers ou subtils, manifests ou non. vishsha : particulier, spcifique avishsha : non diffrenci lingamtra : caractris, manifest alinga : non caractris guna : modalit de manifestation de la matire parvam : niveau, tape

nente, reflte le caractre changeant, impermanent de ce qu'elle voit, et la confusion du mental nous la fait percevoir comme altre par le spectacle du monde manifest.

11.21. Tad-artha va drishyasya tm. La raison d'tre de ce qui est vu est seulement d'tre vu. tad : cela artha : cause, raison d'tre va : seulement drishya : la chose vue, le spectacle tm : nature, principe, essence Le monde manifest n'existe que pour permettre la discrimination entre Purusha et Prakriti, cette dernire tant la manifestation existentielle des virtualits de Purusha. Il n'existe pas pour lui-mme mais seulement en fonction du Soi, pour permettre sa libration.

11.20. Drasht drishi-mtrah shuddho 'pi pratyaya-anupashyah. Drashtar, celui qui voit, est uniquement le pouvoir de voir. Mais bien que pur, il est tmoin de ce qu'il voit. drashtar : celui qui voit, la conscience profonde drishi : action, facult, pouvoir de voir -mtra (en compos) : seulement, rien que shuddha : pur api : mme, bien que pratyaya : croyance, opinion, exprience anupashya : celui qui regarde Comme le diamant reflte la couleur du support, la conscience profonde, pourtant immuable et perma-

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11.22. Krita-artham prati nashtam apy a-nash-tam tad anya-sdhrana-tvt. Pour celui qui atteint ce but, cela disparat, mais continue d'exister pour les autres. krita : achev, acquis, atteint artha : but prati : pour, en ce qui concerne nashta/anashta : dtruit, existant api : quoique -tad : cela anya : autre sdhrana : commun -tvt : en raison du fait que Pour l'veill, le Sage, la vision du monde est diffrente mais elle perdure pour ceux qui continuent vivre dans l'ignorance et la confusion.

11.23. Sya-svmi-shaktyoh svarpa-upalabdhihtuh sam-yogah. Le Samyoga permet de comprendre la nature propre de ces deux facults, celle de voir et celle d'tre vu. sva : son, le sien svmi : propritaire, roi, mari, matre spirituel shakti : pouvoir, puissance, force svarpa : nature propre upalabdhi : acquisition, comprhension htu : cause samyoga : union parfaite, plnitude du yoga L'tat d'unit que donne le Yoga, dans la plnitude de sa pratique, permet la discrimination, sans laquelle on ne peroit pas la ralit.

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La discrimination : comment mettre fin l'tat de confusion.

11.25. Tad-abhvt samyoga-abhvo hnam tad drishh kavalyam. Quand la non-connaissance du rel disparat, disparat aussi l'identification du spectateur et du spectacle. Alors le spectacle n'a plus d'existence. C'est la libration du spectateur.

11.24. Tasya htur avidy. La non-connaissance du rel est la cause de cette confusion entre les deux. tasya : de cela hctu : cause a-vidy : ignorance, mconnaissance du rel Nescience, que, ds le dbut du premier livre, Patanjali accuse d'tre la source de toutes les causes de souffrance. tad : cela abhva : absence, non-tre, destruction samyoga-abhva : disparition de la relation hna : cessation drishi : chose vue kavalya : dlivrance Le spectateur, conscience universelle, reste dans sa solitude, libre de tous les attachements. C'est l'tat d'unit, de pure conscience.

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11.26. Vivka-khytir a-viplav hna-upyah. Le discernement, pratiqu de faon ininterrompue, est le moyen de mettre fin l'inconnaissance du rel.

11.28. Yoga-anga-anushthnd ashuddhi-kshay jnna-dptir vivka-khyteh. Quand les impurets du mental sont dtruites par la pratique du Yoga, la lumire de la connaissance donne l'esprit la discrimination . anga : membre, position, thme yoga-anga : les constituants du Yoga anushtna : pratique a-shuddi : impuret kshaya : destruction, ruine, perte jnna : connaissance dpti : lumire, lueur, clat : jusqu' vivka : discernement, discrimination khyti : opinion Aprs nous avoir montr les causes de la souffrance et tre remont la source, c'est--dire la confusion entre ce qui peroit rellement en nous et ce qui est peru, Patanjali va enfin nous donner le moyen d'acqurir et de dvelopper cette facult de discrimination, ncessaire pour mettre fin notre aveuglement.

vivka : sparation, distinction, discrimination, discernement, raison khyti : dclaration, opinion, ide a-viplav : priv de bateau, confus, transitoire, fugitif hna : laisser-aller, cessation upya : arrive, moyen, voie, procd, stratagme

11.27. Tasya sapta-dh prnta-bhmi prajn. La connaissance de celui qui pratique la discrimination devient graduellement sans limites. tasya : de celui-ci sapta-dh : en sept parties, de sept manires bhmi : terre, sol, tendue, position, base prajn : connaissance prnta : fin, limites

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Le moyen de dvelopper la facult de discrimination : expos dtaill de l'Ashtanga Yoga.

Ce moyen d'action, c'est l'Ashtanga Yoga, que l'on appelle couramment le Yoga de Patanjali. Il est intressant de connatre le sens de ces termes sanscrits, mais chacun d'eux, dvelopp, expliqu par Patanjali, est pass tel quel dans le langage usuel du Yoga. C'est ainsi que nous les utiliserons.

11.29. Yama-niyama-asana-prnyma-pratyradhran-dhyna-samdhayo astnv ang-ni. Les huit membres du Yoga sont : les rgles de vie dans la relation aux autres ; les rgles de vie dans la relation soi-mme ; la pratique de la posture; la pratique de la respiration ; l'coute intrieure ; l'exercice de la concentration ; la mditation ; l'tat d'unit. yama : contrle, matrise, observance, rgle, discipline ; deyam : matriser, dompter, tenir en main niyama : rpression, limitation, contrainte, rgle, observance sana : fait d'tre assis, posture, fait d'tre install dans une posture prnyama : travail, allongement du souffle pratyra : retrait des sens dhran : concentration de l'esprit dhyna : mditation samdhi : tat d'unit astha : huit anga : membre

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Les Yamas. 11.31. Jti-dsha-kla-samaya-anavacchinnh srva-bhaum mah-vratam. Ils constituent une rgle universelle, car ils ne dpendent ni du mode d'existence, ni du lieu, ni de l'poque, ni des circonstances. 11.30. Ahims-satya-astya-brahmacharya-aparigrah yamh. Les Yamas sont la non-violence, la vrit, le dsintressement, la modration, le refus des possessions inutiles. ahimsa : non-violence, abstention du mal, respect de la vie satya : ralit, vrit, exactitude asteya : fait de ne pas voler bramacharya : tat de l'tudiant brahmanique, clibat, chastet, sagesse, modration aparigraha : refus de possessions inutiles Nous sommes des tres sociaux, relationns; les premiers conseils que nous donne Patanjali concernent donc la relation aux autres. Le premier Yama contient tous les autres. Qu'est-ce que la non-violence, sinon le respect de l'autre dans sa diffrence? Accepter un mode de pense, un fonctionnement affectif diffrents des siens, cela implique d'tre vrai, de ne pas jalouser le sort des autres, de rester modr, de ne pas entasser des biens dont on n'a nul besoin. jti : naissance, forme d'existence, famille, caste, caractre spcifique dsha : endroit, rgion, pays, localit kla : temps, saison, poque, destin samaya : frquentation, condition, moment dtermin, circonstance anavicchina : non interrompu, non limit srva-bhaum : toute la terre mah-vrata : grande rgle, observance Caractre universel du Yoga.

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Les Niyamas. Importance du mental dans la pratique des Yamas et des Niyamas.

11.32. Shaucha-samtosha-tapah-svdhyya-shvarapranidhnni. 11.33. Vitarka-bdhan pratipaksha-bhvanam. Etre clair dans ses penses et ses actes, tre en paix avec ce que l'on vit, sans dsirer plus ou autre chose, pratiquer avec ardeur, apprendre se connatre et agir dans le mouvement de la vie, telles sont les rgles de vie que propose le Yoga. shaucha : puret, propret, purification, honntet, correction samtosha : satisfaction, contentement tapah : ascse, pratique intense svdhyya : connaissance de soi, des textes shvarapranidhna : lcher-prise, abandon Dieu Dans l'numration des huit membres du Yoga, les Niyamas prcdent Asana et Prnyma. Ils font la transition entre le code moral exprim dans les Yamas, et la pratique. Ils reprennent les termes du Kriya Yoga en affinant l'attitude mentale. Quand les penses perturbent ces attitudes, il faut laisser se manifester le contraire. vitarka : supposition, conjecture, doute, raisonnement, rflexion bdhana : oppression, fait de harceler pratipaksha : ct oppos, parti contraire, opposition, rivalit bhvana : action de faire apparatre, cration mentale, conception Une pense qui perturbe est forcment inadquate. En mditant sur le contraire, on rtablit l'quilibre. C'est simple, vident, et si difficile appliquer. Il faut beaucoup d'humilit pour se rappeler, dans un moment de trouble, que l'on est toujours subjectif, qu'un autre point de vue peut tre tout aussi valable, et qu'il convient d'viter de se laisser enfermer dans ce qui parat certain. L'erreur, c'est l'oubli de la vrit contraire , a dit Pascal.

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SDHANA PDA iti : ainsi pratipaksha : le contraire bhvanam : fait de produire

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Exemple de pense perturbatrice : la violence.

11.34. Vitark hims-dayah krita-krita-anumodit lobha-krodha-moha-prvak mridumadhya-adhimtr dukha-ajnna-anantaphal iti pratipaksha-bhvanam. Ces penses, comme la violence, qu'on la vive, la provoque ou l'approuve, sont causes par l'impatience, la colre et l'erreur. Qu'elles soient faibles, moyennes ou fortes, elles engendrent une souffrance et une confusion qui n'ont pas de fin. Mditer sur le contraire empche cela.

La violence peut prendre des formes multiples, de sa manifestation la plus grossire, la plus apparente, dans les actes physiques, sa forme la plus subtile, travers d'loquents non-dits. Sans rien dire, on peut violenter l'autre, sous couvert d'amour, en exigeant de lui qu'il soit diffrent de ce qu'il est, en essayant de le rduire soi-mme. Sans rien dire, on peut participer la violence ou l'autoriser, on peut la provoquer par son attitude intrieure-

vitarka : conjecture, raisonnement, doute ahims : dommage, dlit, nuisance dayah : et autres, etc. krita : fait, acte accompli krita : caus, occasionn, provoqu anumodita : autoris, approuv lobha : avidit, impatience, cupidit krodha : colre, fureur, emportement moha : garement, erreur, illusion prvaka : prcd de, accompagn de mridu : petit, faible madhya : moyen adhimtr : forte dukha : malheur, douleur ajnna : ignorance, inconnaissance anantaphala : fruit destin durer, rsultat sans fin

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Dveloppement sur les Yamas. Quand on est tabli dans un tat de vrit, l'action porte des fruits appropris. 11.35. Ahims-pratishthyam vara-tygah. Si quelqu'un est install dans la non-violence, autour de lui, l'hostilit disparat. ahims : la non-violence pratisht : stabilit, base, support tad : lui samnidhi : proximit, prsence vara : animosit, hostilit, haine, discorde, arme ennemie tyga : abandon, sparation, don, renoncement C'est toute l'importance de l'attitude intrieure. Si quelqu'un vit dans un tat de non-violence, c'est--dire de non-jugement, de respect de l'autre, il va influencer son entourage, et il sera trs difficile d'tre agressif son gard ou mme simplement en sa prsence tat-samnidhan satya : vrit pratishth : installation kriy : action phala : fruit shraya : recours, aide, point d'appui tvam : en raison de Quand on est vrai, on chappe l'illusion, aux piges du mental. Alors la conscience profonde guide des actes qui deviennent justes, adquats, et produisent des fruits appropris.

11.36. Satya-pratishthym kriy-phalashraya-tvam.

11.37. Astya-pratishthym sthnam. Quand le dsir de prendre disparat, les joyaux apparaissent. astya : ne pas voler, ne pas prendre, ne pas convoiter pratishth : installation sarva : tout ratna : joyau, pierre prcieuse, perle upasthna : fait d'approcher, d'apparatre On a besoin de prendre pour se rassurer, parce qu'on a peur, la peur de la mort tant sous-jacente toutes les autres peurs.

sarva-ratna-upa-

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Ne plus avoir besoin de prendre, c'est accepter de lcher ses dfenses, accepter la vie dans ce qu'elle a d'imprvisible. On ne s'enferme plus pour se protger, alors on est disponible, libre de recevoir.

11.39. Aparigraha-sthary sambodhah. Celui qui se dsintresse de l'acquisition de biens inutiles connat la signification de la vie aparigraha : dsintrt face la possession, absence d'avidit stharya : fermet, solidit, permanence, constance, persvrence janman : naissance, origine, existence kathamt : le pourquoi sambodha : fait d'tre veill, connaissance La vie est mouvement. Tout change chaque instant. Il est vain de s'attacher l'impermanent en esprant le voir durer, et seule l'absence d'avidit permet d'tre dans le fil de la vie, d'en connatre le sens.

janma kathamt-

11.38. Brahmacharya-pratishthym vra-lbhah. Etre tabli dans la modration donne une bonne nergie de vie. bramacharya : sagesse, modration pratishth : installation vira : homme, hros, guerrier lbha : fait de trouver, d'obtenir Car ce sont les excs, les extrmes, qui provoquent le dsquilibre et consomment notre nergie.

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Dveloppement des Niyamas. 11.42. Samtoshd an-uttamah sukha-lbhah. Par la pratique du Samtosha, on connat le plus haut degr de bonheur. samtosha : satisfaction de ce qui est, contentement an-uttama : insurpass sukha : bonheur lbha : obtention Pratiquer Samtosha, ce n'est pas se contenter ponctuellement de quelque chose. C'est l'tat de contentement, un tat d'esprit, une attitude mentale qui oriente les penses, les actes, les ractions. C'est vivre au prsent, dans un tat de paix intrieure dans lequel il n'y a plus ni manque ni volont d'obtenir. Dsire tout ce que tu as, et tu as tout ce que tu dsires.

11.40. Shaucht svnga-jugups parair a-samsar-

gah. La puret nous amne tre dtach de notre corps et de celui des autres. shaucha : propret, clart, puret svnga : son propre corps jugups : aversion para : autre a- : absence de samsarga : contact, relation

11.41. Sattva-shuddhi-saumanasya kgrya-indriya-jaya-tmadarshana-yogyatvni cha. Le fait d'tre pur engendre la bonne humeur, la concentration d'esprit, la matrise des sens et la facult d'tre en relation avec la conscience profonde. sattva-shuddhi : puret saumanasya : satisfaction, bonne humeur kagrya : concentration indriya-jaya : matrise des sens tmadarshana : vision du Soi yogatva : facult, moyen cha : et

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La pratique. 11.44. Svdhyyd isthadvat-samprayogah. L'tat d'intriorisation permet l'union totale avec la divinit d'lection. 11.43. Kya-indriya-siddhir tapasah. Grce une pratique intense, qui entrane la destruction de l'impuret, on amliore considrablement le fonctionnement du corps et des sens. kya : le corps indriya : organe, facult des sens siddhi : accomplissement, ralisation, pouvoir ashuddhi : impuret kshaya : destruction tapas : pratique ardente, soutenue Le Soi est intgr notre ralit charnelle. Comment connatre le Soi si le corps et les sens, chargs d'impurets, opacifis, font cran, accaparent notre attention ? N'oublions pas que Pantajali cite la maladie comme l'un des obstacles sur le chemin de transformation. ashuddhi-kshayt svdhyya : intriorisation, coute et connaissance de soi ishtadvata : divinit d'lection samprayoga : union parfaite Seule l'coute intrieure permet d'apprhender le subtil, la dimension divine.

11.45. Samdhi-siddhir shvara-pranidhnt. Par l'abandon Dieu, s'accomplit la ralisation du Samdhi. samdhi : tat d'unit, de pure conscience siddhi : accomplissement, succs ishvara-pranidhna : abandon Dieu Il n'y a pas de hirarchie dans les diffrents membres du Yoga. Vivre totalement l'un ou l'autre permet de connatre l'tat de pure conscience.

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Asana.

11.46. Sthirasukham sana. Asana : tre fermement tabli dans un espace heureux (selon la trs belle traduction de Grard Blitz). sthira : ferme, solide, durable sukha : bonheur sana : posture

dans la volont de tenir, on trbuche ; trop dtendu, peu vigilant, on ne tient pas non plus. Asana est ce moment parfait o, le corps tant absolument tranquille, tout effort de volont aboli, la sensation et la respiration sont suspendues et immobilisent le temps. Alors on est heureux, dans un sentiment d'infinitude.

11.48. Tato dvandva-an-abhightah. A partir de cela, on n'est plus assailli par les dilemmes et les conflits. tato : de tatas : venant de cela, grce cela dvandva : paire, couple, alternative an- : absence de abhighta : coup, attaque, dommage Dans cet tat d'quilibre, les opposs coexistent et ne s'opposent plus. Cesse alors la vision duelle du monde, qui morcelle et dfigure la ralit.

11.47. Prayatna-shatilya-ananta-sampattibhym. Grce la mditation sur l'infini et au renoncement l'effort-volont. prayatna : effort, activit shatilya : relchement, diminution, faiblesse, dpression, diminution ananta : infini, illimit, ternel sampatti : rencontre, absorption, mditation On trouve l'quilibre entre les deux ples. L'quilibre corporel se situe entre l'effort et la dtente, le faire et le lcher-prise. C'est particulirement sensible dans les postures d'quilibre : crisp

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Pranayama. 11.50. Bhya-bhyantara-stambha-vrittir dshakla-samkhybhih pari-drishto drghaskshmah. Les mouvements de la respiration sont l'expir, l'inspir et la suspension. En portant l'attention sur l'endroit o se place la respiration, sur son amplitude et son rythme, on obtient un souffle allong et subtil. bhya : extrieur, externe bhyantara : intrieur, interne stambha : suspendu, arrt, interrompu, immobile vritti : mouvement dsha : lieu, endroit kla : temps, dure samkhy : nombre paridrishta : vu, regard, considr dirgha : long skshmah : subtil, lger L'important, c'est la conscience de la respiration. Le corps est lent, la respiration naturelle est lente, mais le mental est mobile, papillonnant, et, se portant sur des objets changeants, il modifie la respiration, l'acclre ou la bloque. Si on le centre sur l'coute de la respiration, celle-ci retrouve son rythme naturel, s'allonge. Se laisser respirer, et la respiration s'allonge d'ellemme.

II.49. Tasmin sati shvsa-prashvsayor gati-vicchdah prnymah. Ceci tant accompli, on exprimente le Prnyama qui est l'arrt des perturbations de la respiration.

tasmin : ceci sati : accompli shvsa/prashvsa : les deux mouvements de la respiration, inspir et expir gati : allure, mouvement, cours vicchdah : interruption prnyama : contrle, allongement du souffle De mme que pour Asana, Patanjali ne parlait pas des diffrentes postures mais de l'essence mme de la posture : tre stable dans un ressenti d'infinitude, de mme, il n'numre pas les diffrents exercices qui peuvent conduire contrler l'amplitude ou la qualit de la respiration, mais il fait la distinction entre la respiration irrgulire, lgrement sifflante, voque par les termes Shvsa/Prashvsa, et la respiration yoguique qui devient fluide, ininterrompue, de qualit.

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11.51. Bhya-bhyantara-vishaya-kshp caturhah. Une quatrime modalit de la respiration dpasse le plan de conscience o l'on distingue inspir et expir. bhya : externe bhyantara : interne vishaya : champ d'action, d'exprience kshpi : qui dpasse, transcende caturhah : quatrime Respiration yoguique, quasi immobile, dans laquelle le souffle est suspendu, poumons moiti pleins, dans cette communion avec le subtil.

11.53. Dhransu cha yogyat manasah. Et l'esprit devient capable des diverses formes de concentration. dhrana : racine dhar : tenir, maintenir ; concentration d'esprit accompagn cha : et de la suspension du souffle yogyata : habilet, technique, aptitude manas : esprit

11.52. Tatah kshyat praksha-varanam. Alors, ce qui cache la lumire se dissipe. tatah : alors, cause de cela kshyat : se dissout, disparat praksha : lumire varanam : ce qui couvre, cache

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Lcoute intrieure

11.54. Svavishaya-asamprayog chitta-svarupaanukra iva indrynm pratyhrah. Quand le mental n'est plus identifi avec son champ d'exprience, il y a comme une rorientation des sens vers le Soi. svavishaya : son propre champ d'exprience a-samprayoga : dissociation chitta : le mental svarpa : sa propre forme anukra : ressemblance, conformit, direction iva : comme, pour ainsi dire indriy : organes des sens pratyhra : retrait, retour vers Dans la vie courante, nos sens sont happs vers l'extrieur par tout ce qui les sollicite. Si le mental cesse d'tre identifi cette vie extriorise, on est libre de retrouver la dimension d'intriorit.

11.55. Tatah param vashyat indriynm. Alors les sens sont parfaitement matriss.

tatah : partir de cela, alors param : extrme, excellent, parfait vashyat : souverainet, pouvoir, matrise indriya : sens Nous accdons alors un autre niveau de conscience. Celui de la mditation : Dhyana.

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Vibhti (de vibh : se manifester, tre capable) : dveloppement, manifestation de force, dploiement d'nergie, puissance, rsultat heureux, succs, bonheur, splendeur. Dans le premier livre, Patanjali nous explique ce qu'est le Yoga : calmer les automatismes de la pense pour permettre la conscience profonde de se rvler et de nous ouvrir ainsi l'accs la vie. Dans le deuxime, il nous indique les moyens pratiques pour crer les conditions dans lesquelles cet tat d'unit peut exister. Dans le troisime, il dcrit l'tat heureux, les manifestations de puissance et d'nergie qui sont le rsultat de l'action juste, grce un mental dconditionn. Dlivr de la dualit sujet/objet, on dcouvre de nouvelles aptitudes, on explore d'autres niveaux de conscience, tous les aspects de la vie sont diffrents.

Dfinition des trois derniers Angas.

III. 1. Dsha-bandhash chittasya dhran. Dhran est la relation d'attention du mental un secteur dtermin. dsha : lieu, espace, territoire bandha : lien, fixation, relation chitta : mental, conscience priphrique dhran : concentration de l'esprit accompagne de l'arrt du souffle La concentration est une action volontaire, un effort conscient, le choix dlibr de porter son activit mentale sur un objet dtermin. C'est une activit de l'esprit qui largit la sphre des expriences et dveloppe la capacit crbrale. Grce la concentration, on peut tre plus efficace dans le secteur o on l'applique, quel qu'il soit. En Yoga, on peut pratiquer Dhran de diffrentes faons et sur plusieurs points la fois. Dans la pratique, coute subtile des sensations, de la respiration, de l'espace intrieur. Dans l'immobilit de l'assise, observation du fonctionnement du mental, des penses qui passent, des espaces sans pense. Mais quelle que soit la qualit de cette attention, il y a le sujet, la relation et l'objet.

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II 1.2. Tatra pratyaya-katnat dhynam. II 1.3. Tad-va-artha-mtra-nirbhsam svarpashnyam iva samdhih. Dhyna est le fait de maintenir une attention exclusive sur un seul point. Quand la conscience est en relation avec cela mme qui n'a pas de forme, c'est le Samdhi. tatra : l pratyaya : conception, ide, objet d'exprience katna : fix sur un seul objet, attentif exclusivement ta : facult de dhyna : mditation, contemplation mentale Dans la concentration, c'est le mental qui est sollicit. Dans la mditation, c'est la conscience profonde, l'tret. Imaginons un faisceau de lumire qui mane de la conscience. Dans Dhran, il englobe le mental, il est suffisamment large pour clairer un espace privilgi. Si la conscience s'affine et devient comme une pointe qui dirige toute sa force, toute son intensit sur un point, et si elle ne passe plus par le mental, c'est Dhyna. La relation entre sujet et objet n'est plus perceptible, il reste cependant la dualit : sujet/objet. tad : cela va : mme artha : but, cause, objet, motif, cas, affaire, signification mtra : qui a pour mesure, n'tant que nirbhsa : clat, splendeur, apparition svarpa : forme, substance shnya : vide de iva : comme si La pointe affine de la conscience a travers l'objet. Elle rejoint l'infini, le sans-forme, l'Absolu. C'est le Samdhi. Il n'y a plus sujet/objet, mais fusion. C'est l'tat d'unit.

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Le Samyama [3 15]. III.5. Taj-jayt prajn-lokah. La pratique du Samyama donne l'clat de la connaissance. tad : cela jayt : grce la conqute, la victoire prajn : connaissance, intelligence, sagesse, jugement loka : vue, aspect, clat, apparence C'est une connaissance totale et immdiate, au-del des sens. En prsence de quelqu'un, on sait qui il est, sans avoir recours l'exprience, trop ancre dans le pass pour tre fiable, ou la dduction. La mditation n'est pas un tat d'esprit, mais un tat de l'tre tout entier. On vit dans la mditation ou on ne vit pas en elle , dit Vimala Thakar.

III.4. Trayam katra samyamah. trois L'accomplissement Samyama. des traya : triade, trinit katra : ensemble samyama : matrise parfaite, conscience totale Quand Dhyna est parfaitement ralise, c'est le Samdhi. On est en relation directe avec ce que l'on apprhende, sans l'intervention de la pense, totalement et dans l'instant. Le je disparat. On n'est plus limit par l'activit des sens, on agit naturellement et instantanment de faon adquate. Le Samyama est l'usage, la consquence de l'tat de mditation, le comportement induit par l'tat d'unit. est le

III.6. Tasya bhmshu viniyogah. Son application pratique se fait par tapes, d'un territoire conquis un autre. tasya : de celui-ci bhrni : terre, sol, endroit, territoire, position, tendue, limite viniyoga : mthode de travail, discipline Ces tapes, cette gradation, voquent le chemin spirituel sur lequel on avance pas pas, le seul effort ncessaire tant celui de vigilance qui permet de

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dnouer un nud, un autre. Une prise de conscience ouvre sur le lcher-prise, ce qui nous encombrait nous abandonne progressivement. C'est l'image des voiles qui s'cartent, redonnant la conscience sa clart originelle.

L'tat de pure conscience.

II 1.7. Trayam antar-angam prvbhyah. Ces trois aspects du Voga sont plus intrieurs que les prcdents. trayam : triade antar-angam : intrieur, interne prva : prcdent, premier. Yamas, Niyamas, Asana, Prnyam sont les moyens pratiques. Ils constituent la voie externe dans laquelle l'attention volontaire est encore frquente. On aborde avec le Samyama la voie interne o l'effort d'attention cde la place l'tat d'attention.

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III.8. Tad api bahir-angam nir-bjasya. Et ceci est encore plus extrieur [que le Samdhi Nirbija]. tad : ceci api : mais, tout au moins bahir-angam : extrieur nir-bja : sans semence Cette fusion n'est pas encore l'tape ultime sur la voie de la conscience. Nos actions non dsintresses ont dpos en nous des semences qui peuvent clore ds que les circonstances s'y prtent. La peur de perdre, le dsir de prendre, de garder, peuvent n'apparatre que dans certaines circonstances en dehors desquelles on peut s'imaginer qu'on en est libr. Pige de l'autosatisfaction, prsent sur tout chemin spirituel. III.9. Vyutthna-nirodha-samskrayor abhibha-vaprdurbhvau nirodha-kshana-chittaanvayo nirodha-parinmah. Nirodha Parinma ou tape de la suspension, se produit ou non, selon qu'apparaissent ou s'apaisent les conditionnements que nous lgue notre pass. vyutthna : rveil nirodha : arrt, rpression, suppression samskra : rsidu des vies antrieures, imprgnations nergtiques, mmoires, forces de l'habitude abhibhava : disparition, suppression prdhurbhva : apparition kshana : moment, instant, loisir, occasion, opportunit chitta : conscience priphrique, mental anvaya : suite, lieu, liaison, relation. parinma : maturation, transformation, rsultat, consquence Vritti nirodhah , dit le Sutra 2 du premier livre. L'arrt des Vrittis apaise le mental et donne un calme intrieur. La suppression des Samskras opre de la mme faon, mais un niveau plus profond, celui des imprgnations du corps subtil, nergtique, qui viennent des motions, des traumatismes, non seulement dus la vie prsente, mais aussi aux vies antrieures, ou au patrimoine gntique. Calmer les penses automatiques est relativement facile par la pratique du Yoga, effacer les blessures de l'inconscient demande dj une certaine transparence de la conscience priphrique pour atteindre ces couches profondes.

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III. 10. Tasya prashnta-vhit samskrt. III.ll. Sarvrthat-kgratayoh kshaya-udayau chittasya samdhi-parinmah. En fonction de l'imprgnation que laisse celui-ci [le Nirodha Parinma], le flot du mental s'apaise. tasya : de cela prashnta : apais, tranquillis, calm, teint, vanoui, disparu vhit : flot, flux samskra : trace du pass au niveau nergtique Bnfices secondaires des imprgnations positives qui s'opposent la formation d'autres traces, plus gnantes ou douloureuses. Dj au Sutra 50 du livre I, il tait ainsi question de l'imprgnation due au Samdhi. A ce stade de l'volution de la conscience, que l'on appelle Samdhi Parinma, ce ne sont encore que des moments d'attention exclusive . sarva : tout artha : but, cause, fait, ralit kgrata : attention exclusive kshaya : diminution, ruine, perte udaya : apparition, production, succs chitta : conscience priphrique, mental Ce n'est pas encore le Samdhi sans graines. Les graines du pass peuvent encore germer et entraner la conscience dans les automatismes, dans la dispersion.

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III. 12. Tatah punah shnta-uditau tulya-pratyayau chittasya kgrat-parinmah. L'volution de la conscience donne accs aux

Siddhis. Dans la phase d'volution que l'on appelle Ekgrata Parinma, il y a alternance gale d'activit et d'apaisement de la conscience face l'objet d'exprience. tatah : alors punah : encore shnta : calm, apais udita : accru, produit tulya : gal, quivalent pratyaya : champ, objet d'exprience chitta : mental Rien n'est encore dfinitif. La mditation n'est pas encore totalement tat de mditation. Il y a des reprises de l'activit du mental. III. 13. Etna bhta-ndriyshu dharma-lakshana-avasth-parinma vykhyth. Cela explique les modifications intrinsques qui se manifestent au niveau de la nature profonde et des organes sensoriels. tna : par, au moyen de cela bhta : lments naturels indriya : organes des sens dharma : ordre, nature d'une chose, qualit fondamentale Iakshana : marque, signe, attribut avasth : tat, condition, espce parinma : changement, modification vykhyta : expliqu Quand le niveau de conscience se modifie, la perception du monde galement, en harmonie avec la conscience.

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111.14. Shnta-udita-avyapadshya-dharma-anupt dharm. Les Siddhis.

Tout objet se fonde sur ltret, qu'elle soit manifeste ou non. shnta : apais udita : accru, produit avyapadshya : non manifest dharma : qualit fondamentale, essentielle anupti : qui dcoule de, se fonde sur dharmin : porteur des qualits fondamentales III. 1