6 le connÉtable de bourbon. soie de même couleur, marchaitrapidement le lon g des murs et semblait...
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UN soir du mois de j uin 4522 après l e
couvre-feu sonné au m i lieu du silence
qui planai t sur les pavés déserts de la rue
Saint-Antoine,à Paris , une femme mas
quée d’ un cachelet de velours noi r, et enve
loppée des pieds à la tête dans un manteau de
6 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .
soie de même couleur , marchai t rapidement
le long des murs et semblait de plusen plus
hâter le pas se retournant par in tervalles,
comme si elle craignai t d ’
être poursuivie ou
surveillée . A quelque distance derrière elle,
un homme , également roulé dans son man
teau cheminai t sans mot dire,réglant sa
marche sur la sienne , s’
arrêtan t lorsqù’
elle
s’
arrê lai t et rabattant sur ses yeux son
chapeau emplumé de crainte sans doute
d’
être reconnu .
Au détour d ’
une pètite rue la dame
poussa un cri d ’
efi'
roi . E lle venai t de
tomber parm i une troupe de laquai s
ivres qui agitant au tour d ’elle leurs tor
ches fuman tes à demi éteintes voulaient
à tou te force l’
obliger à les su ivre à l’
hôtel
de monsieur Chabot de Brion, pu îné de
{
LA mscm cu . 7
la maison de Jarnac et favori du ro i , où
i ls allaient attendre leurs maî tres engagés
dans une partie d’
hombr‘
e pour la nui t .
Au cri de la dame , l’homme u n manteau
s’
approcha e t , p renant par les orei lles le
chef de la bande avinée , i l l ui enjoîgn it ,
d’ un ges'
te impératif d ’
avoir à passer outre .
Les laquais —se découvrirent respectueuse
ment devant le muet personnage qu i venai t
de se révéler à eux d ’une façon s i éner
g ique ,et ils s’enfu iren t comme
/u ne volée
de moineaux . La dame ains i dél ivrée , se
confondi t -en remerciemens, puis elle sol
l ici ta de son libérateur la permission‘
de se
retirer. Celui-ci réclama pour récompense
de son service la faveur de soulever le
masque de la belle voyageuse qu i , toute
tremblante , refusa par deux fois d’
accor
8 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .
der ce qu ’on lui demandait . L’homme
insi sta avec plus d ’
instance , en j urant ses
grands dieux qu ’ i l serai t discret . Nouveau
refus plus obstiné encore que la sollici ta
t ion .
Hé bien di t le caval ier en saisissan t
la dame par la main puisque vous persis
tez dans votre si lence , il faudra donc que
ce so i t moi qu i vous dise ce que vous venez
chercher ici . Ne vous appelle-t-ou pas
Su zanne de Langenfeld fille d’un capitaine
allemand employé à cette heure à recruter
de l ’ autre côté du Rhin des lansquenets
pour monsieur le connétable de Bourbon ?
0 C iel ! fit la dame masquée .
N’
appartenez- vous pas en qual i té de
dame d’
honneur , à madame Louise de
LA msomxcu . 9
Savoie,duchesse d ’
Angoulême mère de
notre roi François , premier du nom
Monsieur
N ’
etes-vous pas mar l ee depuis deux
mois à un j eune gentilhomme du Bour
bonnais ,nommé Ponthus de Saip t
-Ro
main ?
Mon Dieu,assistez-moi ! murmura la
pauvre femme en s’appuyan t contre l’
angle
d ’un mur .
Ce soi r vous avez j eté une mante sur
vos épaules mis un masque sur votre vi
sage, et , sortant de l
’hotel des Tou rnelles à
la dérobée sans même un laquais à votre
suite , vous voici à neuf heures du soi r au
bout de la rue Saint-Antoine exposée aux
insultes des voleurs de nui t et des coureurs
{0 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .
d’
aventures ; vous voici , j eune épouse à
qui l’
amour tourne la tête cherchant un
homme que vous aimez et cet
ce n ’est pas votre mari !
La dame , à ces mots,tressai lli t de
tous ses membres ; son implacable inÏer
locuteur continua
Cet homme , c’
est le connétable de
Bourbon un prince du sang royal le pre
mier de France après le roi . C ’est votre
amant,Madame et i l ari*ive ce soir à Pa
ris de sa ville de Mouliùs en Bourbonnais .
Vou s vous impatientez de son re tard,et
vous allez l ’attendre dans cette maison que
voici laquelle appartient à quelqu’
un de
sa su ite . Rel‘
userez —vous maintenant de me
faire votre confidence
Monsieur de Bonn ivet! s’écria la dame
LA D I SGRACE . 4 4
en arrachant son masque,monsieur de
Bonn ivet , ne me perdez pas !
L’homme au manteau cessa de ca
cher son visage . C’
était en effet Guillaume
Gou ffier , amiral de Bonn ivet l ’un des fa
vori s de François 11 souri t doucement
de la terreur qu ’ i l i nspirait .
Suzanne de Saint-Romain étai t une prme
digne de grossi r la liste des conquêtes de l ’ a
miral . Sa figure ovale encadrée de soyeux
cheveux bruns , ses longs yeux noirs pleins
de mélancolie , son espri t sa grace,le
charme indéfin issable répandu dans sa per
sonne tout contribua it à exciter les désirs
du muguet le plus vain qui fût à l’hôtel des
Tournelles . I l est vra i , qu’ i l avai t à lutter
contre un dangereux rival . Mais i l lui im
portai t peu d’
être a imé de ses maîtresses ;
42 ma CONN ÉTABLE DE BOURBON .
ce n etai t pas à leur cœur qu l l s’
adressai t .
Ou se souvient que ce même personnage
ose, une nu it comme le roi François Ie r et
sa suite avaient accepté u n logis en son
château de Bonn ivet , s’
in trodu ire par une
trappe dans la chambre de Marguerite de
Valoi s , duchesse d’
Alençon sœur de son
souverain . La duchesse n’
échappe à cette
audacieuse entreprise qu’
avec l’
aide de ses
dames d ’
honneur. La vani té du favor i n ’
au
rai t sans doute pas été moins flattée de
supplanter le connétable de Bourbon ou
près de madame de Saint—Romain .
Madame,lui di t- i l avec une poli tesse
afi‘
ectée , jehaismonsieur deBourbon de tout
mon cœur,c’est vrai ! 11 me le rend sans
marchandcr,c ’est encore vrai . Mai s la ga
laul erie comme la guerre a ses lo is .
LA D I SGRACE . 43
Vous n etes pas mon j uge Monsieur ,
soupira Suzanne ; i l faut pourtan t que vous
m’
écou tiez .Vouspouvezmeperdre,aumoius
vous ne me calomnierez pas . Ou i j e viens
ici chercher monsieur le connétable ! Oui , j e
l ’aime ; mais d’
un amour trop saint et trop
pur pour avoir donné à qui que ce soi t le droi t
de memépriser.Êt comment ne l ’aimerais-je
pas? Dès que mes yeux se sont ouverts au
jour , c’est le premier visage dont i ls aient
vu le souri re . Traînée tout enfant à travers
les camps d ’
Italie, privée de ma mère ,
hélas ! que j e ne connus j amais,j e fus
amenée par mon père au château de Mou
lins , chez monsieur le duc de Bourbon , où
j e grandis sous la protection demadameSuzanne de Beauj eu ,
sa femme , qu i me
donna son nom pour la grande amitié
qu’
elle me portai t . La mort vint trop tôt
4 4 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .
me priver de ma bienfaitrice et m’
appren
dre que le sentiment de la reconnaissance
n’
étai t pas le seul qui pût faire battre
mon cœur. Quelle femme eût rési sté au
bonheur de se voir a imée d’un héros que
l’
Europe admirai t déjà à l’
äge où l’ on sai t
à peine ce que c’ est que la gloire ? Je le fis
pourtant , moi . Je voulus conserver chaste
et pure cette noble passion dont le souve
nir n ’aura j amais pour moi de pensées
amères u i de nuits sans sommeil . Je quit
tai le château de Moulins. Je vins à Paris,
où madame d ’
Angoulême , mère du roi ,
m’
accueillit parm i les femmes de sa sui te .
Un eu s’est passé depui s ce jour ,
Madame,i nterrompi t l ’amiral , et je dois
avouer que depuis un en vous donnez à la
cour le scandale iuoui d’ une i rréprochable
LA D I SGRACE . 1 5
vertu . Je vous en veux pour le mauvais
exemple .
Ce fut là poursuivi t la dame,que j e
rencontrai,monsieur de Saint-Romain
un des gentilshommes d u connétable , qui
m’
avaitdéjà vue àMou l ins.Un ordre de mon
père et de madame d ’
Angou lême le rendi t
mon époux avant que j’
eusse eu le temps
de'
résister à la violence que l ’ on faisai t à
mes affections . Depuis ce j our , j e cessai
même de correspondre avec monsieur le
duo qu i d’
ailleurs , passe toute cette ou
née dans son gouvernement de Languedoc .
Maintenant Monsieur , vous savez tout .
Bonn ivet con temple quelque temps cette
belle coupable qui frémissa i t sous son re
gard . 11 la rassure par ces mots
Puis —je vous condamner , Madame ,
'1 6 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .
pour une faute que j e voudrais prendre
sur ma conscience au risque de la
damnation ? Non ,vous n
’
êtes pas plus
orxmmelle à mes yeux que notre belle
comtesse de Châteaubriant que les es
pri ts chagrins appellent la maîtresse du
roi et que nous nommons , nou s autres ,
le solei l de la cour de Frânce ' Tout an plus
si madame Margueri te trouvera it ic i la ma
tière d’
un de ces contes moqueurs dont
elle égaie les matinées des Tournelles . Qu i
vous blâmera it , après tout , de ne pas aimer
votre mañ un sauvage genti lhomme de
province , assez bon courtisan cependant
pour ne point s’apercevoir des prévenances
et des assidui tés dont monsieur le duc , son
protecteur , vous environne sous ses yeux .
Sur ma paro le vo i là ce qui s’appelle une
habi le ingénu i té ,
‘
et cette paisible igno
L A D I S GRACE . 1 7
rance de monsieur de Saiut-Romain cache
une sci ence profonde dont j e lu i env ie tou t
le premier le secret .
Monsieur Monsieur s’
écria Suzänue,
vous calomniez le plus noble: des hommes
qui soi t au monde ! Je vous le répète ,
monsieur de Saint—Romain n’ a j amais rien
Les faveurs du connétable, Madame ,
l ui ont sans doute paru un hommage na
turel rendu à ses mérites inconnus j us
qu’
alors.
Monsieur ! in terrompit Suzanne avec
digni té j’
estime mon mari ; j e l’estime
et j e veux l’eimer
Et vous di tes insinua l ’am iral avec
cet ai r enjoué qui lui servai t si bien auprèsI . 2
1 8 L E CONN ÉTABLE DE BOURBON .
des femmes de la cour , vous di tes que
c’
est pour causer de votre conversion que
vous avez rendez— vou s ce soi r avec mon
sieur le connétable
J ’ai désiré le voi r une d6Pfl l€ l‘8 foi s ,
Monsieur , repri t Suzanne en rougi ssant ,
une dernière fois j e vous j ure . Le brui t
de son mariage avec madame d’
Angoulême
n ’a—t— i l pas couru de nouveau? Ne dit-ou pas
que l ’auguste mère de François I‘*r va rap
procher du trône celui que son indifférence
pour elle en avai t si long— tenips éloigné?
Si,comme on l ’assure ,
les années n’out
pas affaibl i l’ amour dans le cœur de cette
fière souveraine , j e verrai sans déplai si r
monsieur le connétable faire à sa fortune le
sacrifice des sen timens de son coeur .
Je crois,d i tBonn ivet qui hausse la voix
LA D I SGRA CE . 49
en tournant la tête vers le sombre auvent
d’
une boutique où l ’on pouvai t apercevoir
quelque chose se mouvoir au mil ieu des
ténèbres , j e crois que le j our de cette bien
heureuse union ne se lèvera pas encore avec
le solei l de demain ..
Qui le sai t , Monsieur ? Je veux être
la première à complimenter monsieur de
Bourbon . Quoique j e n ’a ie pas à rougir d’
une
l iaison qui fut touj ou rs honorable,songez
que j e serai s perdue si madame la duchesse
venai t à la découvrir . Une reine qui aime
n’
épargne pas une rivale . Permettez qu’ en
vous qui ttant j e mette mon honneur sous
la sauve-garde de votre discrétion .
Elle ne saurai t , ma foi ! être mieux
placée , cria l’
am iral en éclatant de ri re .
Au même instant,une autre femme , ao
2*
20 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
compagnée d’ un viei llard et de deux laquais
armés , sorti t des profondeurs de l’
auvent où
elle s’é tait tenue cachée .
Blême de colère , elle s’
approcha de
Suzanne et l ui saisi t le bras avec force .
La duchesse d ’
Angou lême ! Je suis
perdue ! balbutia la pauvre j eune femme en
se voilant le vi sage de ses deux mains .
L ’amour malheureux de la mère de Fran
çois 1er pour son cousin Charlesde Bour
bon , ses j alousies et ses vengeances révé
lées dans plus d’une occasion mémorable
sa puissante influence son ascendant ill i
mité sur le roi son fils annonçaién t à ma
dame de Saiu t-Romain combien sa posi tion
étai t fâcheuse . La présence d’
An toine Du
prat auprès de la duchesse ne prés:ægeuit
22 L E CONN ÉTAB LE DE BOURBON .
e lle d ’une voix saccadée et profonde . Point
de faux sermens ! point de parju re ! J ’etais
là cachée pour vous entendre . Vous avez
donné dans un piège !
Ah ! Monsieur ! fit Suzanne en j etant
un regard de désespoir à celu i qui l ’avai t
l ivrée ; ah ! Monsieur ! c’ est une indigne
trahison !
Une trahison ? réplique l a duchesse ;
n’est- ce pas vous di tes qu i trahi ssez vos
devoirs ? après deux mois de mariage ,
femme sans foi et sans pudeur ! Et moi , neme trahissez - vous pas aussi ? Malheur à
vous ! Monsieur le chancel ier Duprat !
A cet ordre , le viei llard , qui se tenai t res
pectueusement derrière la duchesse , s’
e
vance Madame d ’
Angou lême poursu ivi t
LA mscm cu . 23
Afin que cette femme ne s imagine
plusque ce préæ ndumariageen tremonsieur
le connétable et moi existe autre perl
que dans la cervelle de quelques fous j’
a
d0pte tous les plans que vous m’
avez pro
posés . Je vous somme d ’
intenterdema in une
action devant le parlement de Paris,au nom
du roi et au mien , contre monsieur de Bour
bon à cette ñu qu ’ i l resti tue la succession
de madame Suzanne de Beaujeu , sa femme ,
c’est-à-dire tout ce qu ’ i l possède !
Puis se tournant vers Suzanne
Ou i , Madame , d’un mot j e pu is faire
que ce somptueux connétable soi t demain
aussi pauvre que le dernier genti lhomme deses terres . N
’est- i l pas vrai,monsieur le
chanceüer?
—'Vous le pouvez , Madame , dit le chan
24 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
eelier Duprat . Les biens de la duchesse
Suzanne reviennent légi timement à l’État
et à vous ainsi que nous le prouverons en
temps et l ieu , et par actes authent iques .
Vous l’entendez
Vous ne le ferez pas , Madame , ha
sarda la j eune femme en levant tim idement
les yeux .
Sur mon honneur ! j e le ferai . Nous
verrons commen t son orguei l portera la l i
vrée de la misère ! E t , attendu que c’est
i nj ustement que monsieur de Bourbon s’ est
emparé des duchés , comtés , vicomtes et
seigneuries de notre cousine de Beaujeu
j’
insiste , monsieur le chancel ier , pour
qu ’en appelant la cause les t itres de duc
de Bourbonnais et d ’
Auvefgue so ient rayés .
LA mscm ca . 25
Ê tes-vous bien persuadée , mainte
ñant , que j e ne veux point épouser votre
connétable
En toute au tre c i rconstance Suzanne
se fût abandonnée , san s même chercher à
parer le coup qu’ on lui portai t , à la ven
geance de cette femme dont elle connais
sai t le caractère implacable ; mais cette fois
ce n ’
était pas seulement sa vie qu’ i l s’agis
sait de défendre : c’
étaient la vie et la for
tune d’
un homme qu’elle admirai t et qu’ elle
aimait . Le péri l retrempa son audace . Elle
voulut concentrer sur elle-même toute la
responsabili té de sa faute .
Si j ’ai commis un crime , Madame , voici
mes mains,di t- elle faites— les l ier ; voici ma
tête, ordonnez qu’elle tombe voici mon
corps etmon âme, torturez-les à votre plai
26 LE CO NNÉ '
IÏABLE DE BOURBON .
si r . J ’a i pu follement aimer ce que j e de
vais respecter ; mais qu’
un grand prin ce
issu du sang royal, qu
’
un héros que Dieu
a couvert,comme d’ un manteau
,des rayons
de toutes ses gloi res , se soi t abaissé j usqu’
à
l ’amour d ’ une pauvre inconnue jusqu’
à la
fille d’ un obscu r capitaine de ses lansque
nets , voilà ce qu i n’est pas possible et ce
que vous ne croyez pas,Madame . Mesurez
d’un coup d ’
œ i l l ’abime qui nous sépare !
Lu i au sommet du pic qu i s’élève -dans les
nuages ! et moi au plus profond du gouffre !
lu i où volent les ai gles et moi où rampent
les vers ! N ’est- ii pas vra i qu ’ i l pa sse chaque
jour sous vos fenêtres,par milliers , des
filles et des femmes plus belles cent fois
que j e ne le suis N’est— i l pas vrai aussi que ,
n i parm i les ducs et les princes , n i parmi
les ro is sur leurs trônes , u i dans tout l’
u
L A D I SGRACE . 27
ni vers rassemblé,i l ne se trouvera i t un
homme plus a ccompli et plus di gne que
lu i d ’
être aimé
La duchesse poussa un soupi r et baissa
la tête .
Que , dans un château soli taire , pour
suivi t sa rivale j ’aie charmé q uelques
instans les loisi rs de monsieur le duc,
sui t- i l de là que mon souveni r ai t lai ssé
trace dans ce cœur débordant de tant de
grandes passions ? E t pensez -vous que moi
même , malgré toutes les il lusions de mon
amour , j e ne me rende pas bonne justice et
sur le peu que j e vaux et sur le peu que je
puis Un an d ’
ex i l prouve trop bien,hélas !
que j e sui s abandonnée à mon désespoir
Madame d ’
Angoulême parut se calmer
28 LE CONNÉTABLE nn BOURBON .
quelque peu à ces mots . L’ai r de son v isage
devint moins menaçant . Moins d ’
éch irs se
cro isèrent dans ses yeux . Un cœurqu i aime
est habi le à se (latter .
Suzanne contempla‘
i t son ouvrage avec
un sentiment mêlé de crain te et d’
espoir :
c’
elait pour elle la mort ou la vie , le
ciel ou l ’en fer ! Quand la duchesse lui de
manda le motif du rendez - vous qu’ elle
avai t accepté de monsieur le connétable de
Bourbon
C ’est moi qui l’a i donné , dit- elle ce
rendez-vous . Une femme délaissée et dont
on ne veut plus est si peu dangereuse . La
galanterie de monsieur le duc . …
Eh bien ! répl iqua la duchesse , j e
veux m’
assurer si vous ne mentez pas ma
30 LE CONNÉTABLE nu BOURBON .
s’
avancer. Monsieu r de Bohn ivet et le chan
eel ier se cachèrent dans l’angle d ’une peti te
rue voisi ne . La duchesse masquée se plaç a
derrière Suzanne . Monsieur de Bourbon
parut .
Sur un geste -qu'il fi t, après avoir aperçu
celle qu ’ i l cherchai t , lses laquais remon
tèrent l a i ue Saint—Antoine .
Suzanne , ma chère Suzanne ! s’
écria
le duo , en la issant tomber autour de lui les
pl is fiottans de son manteau . Pui s il s ’ar
rêta pour demander s’
i l pouvai t parler en
présence de cette femme masquée qu ’ i l
distinguai t dans l’
obscuri té à quelques
pas .
La duchesse dicte la réponse de
Suzanne . Le connétable no s’
inqu iète pas
L A D I SGRACE . 34
davantage de cette aventure ; i l pensa que
madame de Sâint-Roma in avai t amené avec
elle une amie dévouée , déposita ire de son
secret .
D epuis une heure seulement j e su i s
à Paris dit— il en baisant avec transport l a
main de la jeune femme . En ce momen t le
roi m ’
attend aux Tournelles ; mais , avant le
roi , avant la cour , avant toute chose au
monde , c’est vous
,Suzanne
, qu’
i l fallait que
j e visse , vous , ma reine si long—temps in
flex ible !
Madame de Saint-Romaiu le repoussa
doucement . Elle espérait par cette froideur
simulée donner un autre cours à la conver
sation ; mais monsieur de Bourbon ne tint
pas compte del’avertissemen t .
C’est votre voix , repri t£il , que mon
32 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
cœur avai t soif d ’
en tendre ! (le sont vos yeux
dans lesquels j e voulais voi r encore le bon
heur me sourire! Enfin vous voici mon ame !
Entrons dans cette maison où tout est
prêt pour vous recevoir . Ici j e serais j al oux
du ciel lui —même , du vent qui me ravirai t
vos paroles des indiscrètes étoiles qu i _trou
bleraient le mystère de nos entretiens . Ve
nez !
oh ! non , Monseigneur , in
terrompi t Suzanne , j e n’ ai qu
’
un i nstant
à rester . B’ailleurs le roi vous
Je t’ aime, i ngrate ! le roi peut bien at
tendre ! Ce rendez-vous que tu veux abré
ger , songe que depuis six mois entiers
j e le sollicite de toi
Vo tre délicate générosi té,Monsieur le
LA D I SGRA CE . 33
duc,sait donner du prix même aux ser
vice s que vous rendez . A vous entend re ,
quand vous daignez céder aux importa
nites d’une femme qu i doi t désormai s
vous être indifférente i l semble que ce soi t
elle qui donne et que ce soit vous qui re
c
'
eviez .
En est— i l donc au trement ?
L’embarras de Suzanne croissai t avec
l’
ardeur de son amant . El le se débarrassa
brusquement de ses mains , et, prenant un
visage fro id et compassé
J ’ai désiré vous voir, Monsieur le duc ,
pour vous parler de mon mariage pour
recommander monsieur de Saint-Romain
à vosbontés .
N’
est-ce que pour cela ? répl iqua le
duc de plus en plus étonné .
34 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Vous l ’avez touj ours distingué parmi
les gentilshommes de votre maison . Vous
savez s’ i l vous est dévoué et fidèle . La j us
tice que vous rendez publiquement à ses
quali tés modestes est une preuve de la haùte
estime en laquelle vous le tenez . C ’es t
mon espoir que vous lui fourni rez l ’occasion
de vous servir en quelque obose de mourir
pou r vous s ’ i l le faut . Tel est le véri table
et l’ un ique motif de l’
entrevue que j e vous
ai demandée .
Suzanne pensa expi rer en prononçant
ces derniers mots,que les élans de son cœur
contredisaient si bien . Monsieur de Bour
bon inj uste comme tous les amans aimés,
aima mieux la soupçonner que de la com
prendre . 11 se plaignit, i l s
’
emporta ,et ,
dans le long résumé de ses prétendus
“
L A D I S GRACE . 5
griefs , i l acheva de tout apprendre a
la duchesse qui étouffai t de rage sous son
masque .
— Monsieur ! monsieur ! s’eoria Suzanne
qu i oubliai t son rôle en présence d’ une
si poignante accusation,qu’ i l est cruel à
vous de me trai ter de la sorte ! S i vous sa
Parlez , j ustifiez-vous , di t le duc ;
que craignez-vous ‘
! ne sommes—nous pas
seuls
La duchesse fit un pas vers Suzanne qu i
recouvra aussi tô t le souveni r du péril qui
la menaçai t .
Oh oui ! bien seuls ! répondit— elle
d’
une voix défai llante .
Monsieur de Bourbon se radoucit et se3%
36 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
rapprocha d ’elle . Un pâle et tremblant
rayon de lune qui perçai t en ce moment le
rideau de nuages étendu sur la face ora
geuse du ciel permit de l ire dans les tra i ts
du connétable la vive émotion don t son
cœur étai t agité .
É coutez , Suzanne pouçsuivi t le duc,
j e vous aime autant qu ’ i l est donné à
homme d ’
aimer et de chéri r une femme .
Silence ! par pit1e ! murmura madame
de Saint-Romain . Si quelqu’
un venai t a
vous entendre
Moi,me tai re ! repri t le connétable ;
moi craindre ! non ! Dieu et Satan fussent
i ls ligués contre mon ame ! Croyez-vous
donc que ce r idicule mariage dont on pré
tend que le roi me veut affubler me rende
38 LE CONN ÉTABLE DE Bouueou.
cria- t— elle . Votre courage merend le mien .
Je vous aime , duc , plus que j e ne vous
aimai j amais ! Ni mon exil volontaire, n i les
combats de ma conscience , n i mes sermens
à l ’autel n i la crai nte n i l’
0pprobre r ien
n ’ a pu me faire changer , car je vous a ime
et j e sais q ue j e suis aimëe'
de vous ! Cet
aveu c’est mon arrêt de mort c’est votre
ruine aussi ; notre j uge est là qu i nous
entend !
La duchesse d ’
Angoulême fou1a son
masque sous ses pieds . Elle étai t l ivide de
fureur .
Le duc de Bourbon fronça légèremen t
le sourci l , puis son visage repri t toute sa
sérénité . Les gens de la sui te de la duchesse
l’
entourèrent ; les flambeaux des laquais
vinrent éclairer cette scène prélude me
LA D I SGRACE . 39
n açan t du lugubre drame qui deva i t plus
tard se dérou ler .
M’
avez-vous assez outragée !
duchesse en cherchant à dévorer sa
Ah je me vengera i cruellement !
Puis , s’
adressant au connétable
Moi qu i , pour complaire au roi mon
fi ls , consentais à vous fai re l’
honneur de
vous accepter pour époux ! à éteindre par
cette folle union les discords des branches
d’
Angoulême et de L’ in
s'
ulte est au comble ' Monsieur de Bon
nivet rentrons à l ’hotel des Tournelles
Vous , Madame , vous me suivrez , car j e
n ’ai pas perdu mon autorité sur vous ; c’ est
à votre mari que je la remettrai Mon
sieur le duc c’ est une guerre à mort entre
40 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
nous préparez-vous- y donc ! Nous nous
verrons demain chez le roi .
Vous m’
y verrez ce soi r , Madame .
46 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
si terrible influence sur ses destinées futu
res,semblait à peine préoccuper son es
prit . L’orage se condensai t cependant sur
sa tête . Jamais au plus fort des ba
tailles fameuses où i l s’était rencontré
péri l plus redoutable n ’
avai t plané sur lu i .
Il rej oigni t ses laquai s à quelques cen ta i
nes de pas , dans la‘
rue Saint—Antoi ne .
Bientôt i l eut regagné son logis où toute
sa maison é tait'
sur pied pour le recevoir .
11 traversa , le front haut , la double haie de
ses gardes et de ses pages échelonnée sur son
passage , pu is 11 entra suivi de ses genti ls
hommes,dans une longue salle lambrissée
et meublée magnifiquement , où un souper
l’
attendai t .
R ien n egalait le luxe que se plaisa i t à
étaler le connétable de Bourbon dans son
L A D I SGRACE . 4 7
hôtel—à Pari s e t dans ses divers châteaux de
province . Plus d’ une fois le roi fut j aloux
de cet éclat d ’un vassal qui semblai t vou
loi r l ’éclipser partou t où les deux princes
se rencontraient en présence . Auprès des
dames comme sur le champ de bata ille ,
les deux cousins s’étaient trouvés aux pri
ses plus d ’ une fois ; et Françoi s , malgré
son espri t , sa grace et sa bravoure , avai t
souvent reconnu son maî tre dans ce rival .
Charles de Bourbon ,a lors âgé de trente
trois ans , n’
étai t pas seulement un des
plus renommés capi taines de son siècle ;c’
é tait un gentilhomme aimable et bien fai t .
Sa grande renommée réunissai t autour de
sa personne une cour de j eunes gens des
mei lleures familles de France qui se fai
saient honneur d’
apprendre sous lui le mé
tier des armes .
48 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
I l ne comptai t encore que dix- hui t
ans lorsqu’
il accompagna en Ital ie
le roi Louis X II qui allai t conquérir la
sei gneurie de Gènes . Le duc comme pour
donner une idée de la somptuosité qu ’ i l
devai t déployer plus tard , condui si t à sa
sui te dans cette ci rconstance , un grand
équipage de chevaux et hannais , avec cent
hommes d ’armes,et autant d ’
archers de sa
mai son , le tout à ses dépens , sans que le
roi l’aidât d’ un denier . Deux ans après i l
su ivit de la même manière le roi enM i lanais ,
où il décida le succès de la campagne .
11 défendi t tour a tour le duché de M i lan ,
la Guyenne la Bourgogne , et la Picardie
contre les Impériaux,le pape et les Suis
ses . Cc fut en 4545 ,après la bataille de
Marignan où ce j eune homme de vingt-six
ans venai t de faire des prodiges de valeur
LA D I SGRA CE . 49
et d’
habileté mil itaire , que Françoi s 1“ lu i
conféra la dignité de connétable de France .
Depuis ce temps bien des nuages avaient
traversé leu r fraternité d ’armes ; et Fran
çois, mal con seil lé par sa j alousie et par
la duchesse d ’
Angou lême , sa mère , s’
étai t
fai t un coupable plaisi r de rompre peu à
peu ces l iens de famille et d’
am itié qu i at
tachaient l ’ un à l ’au tre les deux cou sins .
Déjà,en 4546 , le duc avai t vu ses gages
supprimés au moment où i l venai t de pré
ter au roi de sa propre cassette , d ix mille
écus pour payer ses bandes suisses . Mais
la fortune particul ière du connétable lu i
permettait de vivre royalement en dépi t
de ces petites machinations de cour dont on
voulai t le rendre victime . Il étai t duc de
Bourbonnais et d ’
Auvergne ,comte de
1 .
50 LE CONNÉTABLE — DE BOURDON :
C lermon t cn Beauvo isis,de Mon tpensier ,
de Forets,de la Marche et de C lermon t en
Auvergne ; dauphin d’
Auvergne , v icomte
de Carlat e t de Murat seigneu r de Beaujo
lais,de Combrai lles ’
,de Mercoeur d
’
An
nonay,de Roche en Regnier et de Bourbon
Lancey ; pai r et chambrier de France , lieu te
nan t-général du roi en ses paÿsdeBourgogne
et Languedoc et gouverneur de cette
dernière province .
La duchesse Suzanne , fi lle de ma
dame Anne de France , duchesse de
Beaujeu,lu i avai t apporté presque tous
ces biens en mariage,et elle étai t morte
en l’
instituant'
son hérit ier . C ’
est de cet
héri tage que la duchesse d’
Angou lême et
le chancel ier Duprat pen saien t en ce mo
men t à le dépou iller par un procès seancla
vL A D I S GRACE . 5 4
leux car la mère du-
roi étai t cousine au
même degré de la duchesse Suzanne , et
cette succession aurai t pu lu i être légi time
ment dévolue , si , dans la maison de Bour
bon l’
ordre des successions ne s’
était ré
glé , de temps immémorial , par la loi sal ique .
Après ce qui venai t de se passer dans la
rue Saint—Antoine le duc avai t donc bien
des raisons pour se montrer chagri n et sou
cieux . R ien pourtant ne paraissait sur son
visage .
Quoi de nouveau,messieurs ? dit-il en
s’
asseyan t devant sa table ; et , tandis que
l’
un de ses pages lui donnait à laver dans
une aigu ière de vermei l
Pas grand’
chose , Monseigneur , ré
pondit Mon tag nae Tausenne son premier
52 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
chambellan . Le roi, votre
”
cousin , poli t et
repoli t touj ours madrigaux et ballades
pour ses maîtresses,sans penser que la
Fortune,cette au tre maîtresse plus volage
que toutes les autres,l ui fait en ce moment
mille fi délités en M ilanais .
Ou assure,pou rsuivi t Pompéran t ,
capitaine de la garde ordinai re de mon
sieur de Bourbon,on assure que monsieur
de Lautrec vien t de se fai re battre en Italie .
Tant pis,messieurs interrompi t le
connétaMe, car monsieu r de Lau trece
st un
brave homme de guerre . Je me sens porté
de coeur pou r lui , quoique les intrigues
de cour m ’
aien t enlevé la duché de Milan
pour l ’en investir . Plût à Dieu que le roi,
mon cousin remplaçât par des gens de cette
treiupe les Montchenu les Brion , et toute
DE CONNÉTABLE DE BOURBON ,
Cette fois d u moins , repri t le con
nétable en tendant de nouveau son verre à
son échanson , cette foi s mon roya l cousin
ne m ’
accusera pas de lui enlever ses belles,
car vous êtes tous témoins que j’
arrive à
Paris à l’ instant .
De Varennes ! quelle est cette femme
emerent à la fois les j eunes gentilshommes
qui entouraient monsieu r de Bourbon .
D is- le- nous bien vite , que nous en puis
sions rire à notre aise .
Son nom je crains qu ’ i l ne sonne mal
N 1mporte , di s- le touj ours .
madame la duchesse d’
An
goulême
A ces mots succéda un mem e si lence .
L A D lSCRACE . 55
Chacun devint pensif; tous les regards se
portèrent sur le connétable . L’amour de
madame Louise n’
étai t un mystère pourpersonne ; le duc ne se cachai t pas pour
exprimer son déda in à cé t . égard ; a chaque
i nstant on s’
attendai t une explosion .
Quant à monsieur de Bourbon ces paroles
ne semblaient avoir aucun sens pour lui ;
i l ne s ’en émouvai tpas plus que s i un au tre
eût été le Suj et de cette confidence .
La conversation n ’
avai t pas encore repri s
son cours , lorsqu'
un huissier vint annon
cer au premier chambellan que deux hom
mes don t i l apportai t les noms écri ts sur
un bil let plié priaient monsieu r le conné
table de leur accorder un instant d ’entre
t ien toute affaire cessante . Montagnac'
l‘
ausanne hési tai t à déféref à cette invita
56 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .
t ion,quand le duo ,
qu i avai t l’orei lle à ce
qui se passait,commanda qu ’ on lu i rem i t
le papier . A peine y eu t- i l j eté les yeux ,
qu ’ i l se leva de table et qu ’ i l ordonna qu’on
le laissât seul .
Ses‘
tra i ts étaient agités,mais on
y remarquai t plutô t un sentimen t de
j oie concentrée qu’
une expression de con
sariété ou de mécontentement .
Lorsque la salle fut libre , surun geste du
conné table , l’
hu issier i ntroduisi t deux
étrangers . L’un étai t un viei llard vêtu de
noir,aumai ntien noble et digne ; l
’autre , un
hommedeguerre,botté , éperonné , et cncore
tout couvert de la poussière du voyage . Ce
dernier , dans la force de l’
âge , ava i t la m ine
arrogante et fière . Son visage , couturé de
bb ssurcs cicatrisées , témoigna i t assez des
LA D I SGRACE . 57
services qu’ i l ava1 t rendus a son pays .
Du plus loi n qu’ i l les aperçut le con
nétable courut au devant d’
eux .
Vous ici ! monsieur le maréchal de
Lautrec ! s’écria- t — i l en s’adressantà l’homme
balafré . Vous ici sans un ordre du roi Quel
que soi t le motif qui vous amène soyez le
bien— venu sous mon toi t , et vous aussi ,
monsieur le surintendan t Semblancay Que
voulez -vous de moi ? Di sposez j e vous prie,
de mon épée et de mon crédi t . Au fai t,de
quoi s’agit- i l
J ’ai perdu mon armée , monsieur le
connétable , et , part ant , par honneur mur
mure d’une voix profonde le maréchal de
Lautrec . Ma belle armée d ’
Italie qui m ’a
vnit gagné vingt batai lles , je l’ai perdue
58 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
par la faute des traîtres qui m ’ ont volé mon
argent !
Vous connaissez monsieur le conné
table , poursuivi t Jacques de Beaune baron
de Semblancay,la haine de la reine -mère
pour la maison deFoix . C ’ est pou r punir
cette i llustre famille dans la personne de
monsieur le maréch al de Lautrec son a îné,
que madame Lou ise a retenu les quatre cent
mille écus destinés à la solde des troupes .
Alors continua le maréchal,les
Suisses ont passé à l’
ennem i ; les Véni tiens ,
nos alliés,on t pris la fui te les Français
se sont fai t tuer
Le maréchal baissa La tête , et l’on put
voir deux larmes rouler dans les profondes
cicatrices de ses j oues .
Le connétable lu i serra la main .
LA DI SGRACE . 59
Et vous ausm,monsieur de Lautrec
et vous aussi il s vous ont choisi pour vic
t ime ! Les mi sérables ! Ils ont donc juré la
perte du royaume ! Ils veu lent donc pousser
boutatou t ce que la France renferme de no
ble et degénéreux sang ! Ce n ’
étai t pas assez
des concussions et des rapines souterraines
opérées par les lansquenets de la finance ,
sous le manteau de la royauté ! Le brigan
dage a j eté le masque ! C ’est en plein j our,
messieurs , que l’ on met à sac la fortune
publique ! La reine-mère est , par la grace
de Dieu , le digne chef de cette bande , e t
monsieur le chancel ier de France est son
l ieu tenan t! nousvivons dans un beau temps,
n’
est - ce pas,messieurs ? Mais patience
patience ! nous verrons la ñu de tout ceci .
L‘
e connétable se promenait à grands pas
60 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
et paraissai t l ivré à une vive agi tation . Le
maréchal et le surintendant s’en tretenaien t
à voix basse . Monsieur de Bourbon se re
tou rn a brusquement de leur côté .
E t vous avez , messieurs , (les preuves
de ce que vous avancez
La qui ttance de madame Louise est
dans mon coffre-fort répondit le surin ten
dant des finances.
Monsieur le maréchal de Lautrec !
monsieur le baron de Se 1nblani; ay ! repri t
le connétable , dans une heure trouvez— vous
à l ’hotel (les Tournelles ! Apportez avec
vous la preuve du crime ! Je vou s présen
tora i moi -même au roi,et
, en présence de
toute la cour,n ous demanderons j ustice .
Dans une heure , . uous y serons , (lit
62 LE COb NÉTABLE DE nouunou .
raconnés et battant du pied le pavé de la
cour sous la houssine des pages . Le conné
table félici ta lui -même toute sa maison de
la prompti tude avec laque lle ses ordres s ’é
taientex écu tés. Montagnac-Tausanne donna
le signal du départ,et le cortège se mi t en
marche .
Le duc chem inai t , sans mot dire
au milieu de cette longue cavalcade . 11 fut
t iré de sa rêverie par un grand brui t d ’
éclats
de ri re qui se fi t entendre à quelques pas en
avant .
Qu ’est ceci ? demanda- t- i i en pous
sant son cheval hors des rangs .
Monseigneur,répondit de Varennes
qu i se porta vers la tête du cortège , j’
y
vais voi r .
I l revint au bou t de quelque s minutes ,
LA D I SGRACE . 63
pendan t lesquel les la cavalcacle avai t fai t
halte . Il é tai t suiv i par sept ou hui t j eunes
gens de la maison du connétable , qui con
du isaien t d evan t eux une femme du peu
ple dont les yeux hagards et les bizarres
paroles exci taient leur h ilari té .
C ’est une viei lle folle , monseigneur ,
dit de Varennes que vos archers emme
nent à la geole,pour s
’
être permis
d’
insu lter plusieurs personnes de votre
maison .
Monsieur de Bourbon fi t Signe aux ar
chers de n e poin t passer outre .
— Monseigneur,racon ta l
’
un des of ficiers
du duc,nous étions descendus de cheval
pou r regarder au clair de la lune quel
ques manau s pendus , de par le roi , aux
64 LE CONNETADLE DE BOURBON .
échelles du carrefour voisin lorsque cette
bohème i tal ienne , que voici , et qu i rôdai t
de ce côté , sans doute pour quelque ma
]éfice de son métier,s’est prise à nôus dire
qu ’elle voudrai t voir tous les arbres de
France rompre sou s le poids de parei ls
fru its .
— El le amême aj outé , poursuivi t de Les
cure, que b i en to t 11 y pousser… des capes
de gent ilshommes au l ieu de sayons de
paysans .
A lors repri t un au tre nous avons
voulu que cette devi neresse habile nous
ti rât notre horoscope à chacun .
Ne s’est—elle pas avisée de nous traite r
de gibier de potence en nous désignant par
nos noms ?
Nous vous prions ,monsieur le duc dc
LA D I SGRACE . 65
permettre qu’ elle soi t châtiée car en aper
covent vos couleurs et votre écusson el le
a osé dire que le maître rejo indrai t b ientôt
les valets .
Et quand l ’un de nous est venu à
prononcer le nom de monsieur de Sem
blançay elle a crié A Montfaucon !
J’
aurais pardonné l ’ inj ure qu i n’
of
fensait que moi , di t le connétable ; mais
i nsulter un viei llard honorable, quand i l
expose ses j ours pour démasquer l’ impos
ture , c’ est un crime qui méri te puni tion .
Cette femme recevra vi ngt coups de fouet,
et , si nous apprenons qu’el le recommence ,
nous lu i donnerons le logis où elle préten
dai t nous envoyer .
Les archers se metta ient en devo i r d ’
ex é
66 LE CONNETABLE DE BOU RBON .
enter la sen tence , quand la viei lle , s cohep
pant tou t à coup de leurs mains
Monseigneur, s
’
écria— t— elle permet
tez—moi deux mots pour ma défense .Vos va
lets me feront tou t à l‘heure payer mes pa
roles assez cher .
,
C i nq minutes pour ta harangue !
Un éclair de j oie bri lla dans les yeux de
la vieille . E lle passa les mains sur son front ,
comme pour rassembler ses idées,et, les
doigts accrochés dans les mèches inégales
de ses cheveux gris flottan t sur ses épaules
Ce n’
estnas la prem iere fois dit- elle ,
que mon sang va cou ler par vos mains .
Charles de Bou rbon , tu as fai t de mes
champs pa ternel s une moisson de carnage
où les homm es tombaien t comme des épis !
LA D I SGRA CE . 67
Mes enfans , pauvres et i nn ocens moutons
qui léchaient les mains de leurs bourreaux ,
tes soldats les ont égorgés ! Sois maudi t !
La sorcière i talienne,comme tes valets
l’
appellent , te prédit à toi roi de l’
orguei l,
que tu boiras un j our tes pleurs et ta honte
au l ieu de vin parfumé . Peut- être vivra
t -elle assez pour le voi r . Soxs m audit ! et
que dans tes rêves la voix de l’ I talie ago
n isan te te cri e incessamment à l ’oreille
D ieu t ’ a marqué pour l’
abîme ! Bourbon ,
tu marches à ta perte ! sois maudi t
Tu ne te plaindras pas du moins de
ma patience,repri t le connétable
,qui avai t
j usque là retenu à grand’
peiue l’
indigna
t ion de ceux qui l ’en touraien t .
La vieille fu t l ivrée à un piquet d ’
archers
qui lui applique sur le l ieu même , et sans5*
68 LE CODNÉTABLE DE BOURBON .
désemparer,la correcti on qu
’
avaien t si
bien méri tée ses insolences .
La cavalcaâe poursu ivi t tranqu illement
sa route . El le étai t déjà bien loin du
l ieu de la scène ,qu ’on
‘
apercevai t en
core dans les profoxideu s e la nui t le
flambeau de résine fumant qu i éclai ra i t
les archers à la besogne , et l’on entendai t
la voix aigüe de la vieille crier ces mots
qu i retent issæ ent dans la rue silencieuse
Bourbon l tu marches a ta perte ! sois
maudi t !
Pendant ce temps , la duchesse d ’
An
gouleme, éblounssante de pœrreries et de
broderies d’or,dont l’éclat suppléai t à celu i
que les années lu i avaient ravi , recevai t à
l’
hôtel des Tournelles les hommages de
tout ce que la capi tale renfermai t de no
70 LE CO NNÉTABLE DE nounnov .
voir de son rang et de son autori té . La
fête donnée par le roi son fils étai t pour
elle une occasion d’
étal er à tous les yeux
le crédit dont el le j ou issait .
François l occupé de débiter ses galan
teries spiri tuelles aux dames , et d’
échanger
mille quol ibets ingénieux avec les bri llans
j eunes gens qui formaient le cercle de son
intimité , abandonnai t à sa mère le so
lennel ennui des compl imens et des félici
tations. Madame Louise j ouissai t en veri
table souveraine de cet encens de flatterie ,
qui brûle incessamment au tour des fronts
couronnés .
Dem ere el le se tenaient ses am i s et ses
créatures,qui attendaient impat iemment
que le moment fût venu d’
hum ilier et de
perdre l’ennemi commun dont i ls étaient
LA D I SGRACE . 7 4
j aloux . Monsieur de Montchenu vint serrer
affectueusement la main de l’
am iral de
Bonn ivet , qui s’
en tretenait à voix basse avec
monsieur Chabot de Brion .
H é bien ! di t - i l , quoi de nouveau”
madame d ’
Angoulême a—t—elle vu le roi
Sa Maj esté , répondit l’
am iral,n ’ a
rien à refuser à sa mère , comme vous
savez .
A i nsi le procès aura lieu
— Sans doute , aj outa monsieu r de Mon t
chenu . Quand cet homme vaniteux sera
dépouillé de ses terres et de ses pensions ,
i l faudra bien qu ’ i l affiche un peu moins
de mépris pour les favoris , comme i l nous
appelle .
Moi , poursuivi t Chabot de Brion , j e
‘
72 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
l’ai touj ours ha1 pour son faste depuis le
jour du couronnement du roi . Je le vois
encore à cheval à côté de Se Maj esté i l
semblai t qu ’ i l voulût éclipser son maî tre .
Se robe longue de douze aunes avai t coû té ,
di t— ou , troi s cents écus d’or par chaque
anne ; elle étai t fourrée de martres—zibelines ,
et son bonnet,c hargé de bagues jusqu
’
à l a
valeur de cent mille écus .
Au baptême de son fils, le peti t comte
de Clermont,célébré au château de Mou
l ins avec une pompe vraiment royale j e
me souviens di t l ’am iral , qu’ i l traînai t à
sa su i te cinq cents gen ti lshommes vêtus de
velours de Lyon , et dont chacun ava i t reçu
de lu i en présent une chaîne d’ or à trois
10“PS .
Tou t récemment encore , messieurs ,
LA D I SGRACE . 73
quand on lu i donna l’ordre d ’aller défendre
la Pi cardie,i l y entra avec six mille hommes
de pied et huit cents chevaux levés de ses
propres deniers .
Aussi , i nterromp i t l’
amiral de Bon
n ive t , le roi le j ugeant trop riche , divi sa-t-i l
ses quatre gouvernemens. Au duc d ’
A
lençon i l donna la charge de la Champagne ;à monsieur de Lautrec , la duché dèMilan ;
au duc de Vendôme , la Picardie à moi,la
Guyenne . Le co nnétable n ’a pas oublié
cette inj ure , messieurs , non plus qu’ i l n ’ a
oublié qu’ au passage de l
’
Escau t le com
mandement de l ’avant-garde lui fut reti ré
par le roi pour le donner à monsieur d ’
A
l eucon .
Je fais des vœux répliqua monsieur
de Mon tchenu,pour q ue madame d ’
An
74 LE CONNÉTAB LE DE nouanos .
goulême rogne enfin les griffes de ce l ion
affamé qui menaçai t de nous dévorer tou s .
Mais croyez-vous , mon cher amiral , qu’ a
près son aventure de cette nui t,monsieu r
de Bourbon, pour !soutenir sa bravade ose
teni r parole et se présenter aux Tour
nelles
— Il est capable de tout . Mais chut voici
madame la duchesse qui aborbe monsieu r
le chancelier . Éloignons-nous un peu . De
main, nous saurons ce qu’on aura décidé .
Da milieu d ’un groupe d ’
ambassadeurs
et de seigneurs étrangers où elle se plai
sai t à exagérer encore l’
immense influence
qu ’elle exerçai t sur l’
esprit du roi la du
chesse d’
Angou lême venai t en effet d’aper
cevoir le chancelier Duprat qui semblai t
s’
efforcer d’
arriver j usqu’
à elle ; aussitôt
L A D I S GRACE . 75
elle s’achem ina vers lui , et , l ui faisant signe
de la suivre da ns l ’embrasure d ’une fe
nêtre
Hé bien,monsieur le chancelier
,me
garantissez—vous l’appu i du parlement
Madame , répondi t D uprat en s’ i nol i
nant j usqu’
à terre , le parlement se met à
vos pieds .
C ’est bien , fit la duchesse ; i l fau t
maintenant terrasser le nouvel ennemi qui
n ous menace . Monsieur de
Est à Paris , j e le sais mais ce que
vous ignorez peut-être c’ est que monsieur
de Bourbon se propose de le présenter ce
soir au roi .
Grand Dieu ! comment parer ce nou
veau coup ? murmure madame Louise de
76 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
Savoie,qui sembla p âli r sous l epaisse
couche de carmin et de céruse dont ses
j oues royales étaien t empourprées . Dans
un i nstant i ls seront ici ! Le roi est là qui
attend l’
en lrevue que lu i a fai t deman
der monsieur le *
connétable l Je su is per
due si monsieur de Lautrec parvient à lu i
parler ! Cette qui ttance de quatre cent
mille écus q ue j ’a i eu l’
imprudence de
lai sser entre les m ains du surin tendant ,
i ls ne manqueront pas de la produire . Al
lez ! courez monsieur le chancelier voyez
monsieur de Semblancay ; i l faut le prier ,
le séduire,le menacer au besoin
Le chancelier se pri t à sourire ; la
duchesse attendait son avis avec anxiété .
Le séduire ? répéta Anto ine Duprat .
78 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
Simple genti lhomme d ’
Auvergne, de
maître des requêtes de l ’hotel du feu roi
Loui s X II devenu par vos bontés premier
président du parlement de Pari s puis
chancelier de France,j e laisse à de plus
ambi tieux des ti tres dont j e ne su is pas
digne .
Que souhaitez - vous enfin? i nterrompi t
la duchesse impatientée de ses réticences .
Parlez ! dites un mot !
Madame,répondit le chancelier avec
un calme parfa i t,j ’ai touj ours pensé que
les clés de Saint—Pierre ouvri rai en t bien des
portes à la France si elles tombaient j amais
dan s les mains d’
un Francais intel ligent ,
actif, dévoué à la famille de ses roi s .
Madame d’
Angoulême le regarda d’
un
air étonné .
LA D I SGRACE 79
Mais j e n ’ai pas le pouvoir de vous
fair e pape,Monsieu r
,balbutia —t—elle . Vous
n’
é les encore pourvu que d ’un évêché , et,
pour’
siéger au conclave,i l fau t un chapeau
de cardinal .
C ’est ce que j ’allai s faire observer à
Votre Maj esté .
Vous serez cardinal,monsieu r le
chancelier . Mais vous avez,di tes - vou s
,le
moyen d ’
annuler les preuves de monsieur
le suri ntendant .
Ou i , Madame .
Quel est ce moyen
Antoine Duprat releva la tête , et , i nsi
nuant doucement sa main dans sa simarre,
i l demeura quelques instans à contempler
en silence l’
impaticn te impétuosi té de la‘
80 L E COI\NETABLB DE BOURBON .
reine -mère ; puis , enfin , i l la issa tomber
lentement ces mot s dans l ’orei lle de la du
chesse .
Cette qu i ttance sur laquelle reposen t
toutes les espérances de vos ennemis . i ls
ne la produiront pas , car la voici !
Ma qui ttance ! s ecria l a duchesse en
froissant entre ses mains le papier que ve
nai t de lu i remettre le chancelier de France ;
ma quittance ! c ’est bien elle ! mon cher
Duprat ! vou s aurez votre chapeau de car
d in al !
Vous me comblez Madame balbutia
la future éminence .
Vous au rez de plus sur les biens de
monsieur de Bourbon après le gain du pro
cès , les baronies de Thiern et de Thouri ,
LA D I SGRACE . 84
que vous convoitez depuis long temps , j e
le sai s . Maintenant dites mo i par quel
heureux hasard cette p iece
— R ien de plus simple un commis nbmmé
Gentil , gagné à prix une pro
messe d’
evancement .
Que je me charge de tenir ! Vous
porterez maître Genti l sur la l iste des con
seillers à nommer . A cette heure , que la
comtesse de Châ teaubriand , que messieurs
les maréchau x de Foix et de Lau trec, ses
deux frères , s’
un issent à monsieur de Bour
bon pour me perdre ! Je les défie tous !
Comme la duchesse d ’
Angoulême pro
nonçait ces paroles , une vaste rumeur se
fi t èntendre , et la foule des courtisans ou
dula en tous sens,pressée par une autre
foule qui débouchai t du grand escal ier de1 . 6
82 LE CONNETADLE DE BO URBON .
marbre du pala is , e t qui venai t se mêler à
elle . La duchesse frémit en reconnaissan t
l’
écusson de France à la bande de gueules
brodé sur les habits des pages rangés aux
portes extérieures des salons royaux . Tous
les regards étaient fix és sur les notables
personnages qui formaient le cortège d u
connétable et qu i précédaien t sa personne .
En tête marchaient les officiers ordinai res
de la maison de Bourbon ; puis u ne a ï
fluence de gens d ’
épée , de robe et de 6
nance ; ses affidés , ses amis et oommen
saux,parm i lesquels monsieur Jean de Poi
t iers,seigneur et comte de Saint— Vall ier
,
Monseigneur l’évêque d’
Au tun et Mousei
gueur de Chabannes , évêque du Puy .
Le connétable paru t le dernier dans
un costume magn ifique ,le sou rire sur
LA D I SGRACE . 83
les lèvres,et répondant par un salu t de
la main aux hommages e t aux salutations
qui l’
accuei llaient sur son passage .
Malgré la froideur cérémonieuse qui exi
s lait depuis quelque temps entre le roi et
son cousin,les courtisans continuaient à
encenser le général i llustre et le prince Hu
sang royal,puisque l ’ordre du maître sou
verain et le complaisant arrêt du parle
ment ne leur avaient pas encore fai t une
loi de l ’ ingratitude et de l’
insulte .
La duchesse d ’
Angou lême voulut évi ter
la rencontre du connétable ; mais celui -ci la
salua gracieusement en lu i disant bien bas :
Vous voyez,madame
,que je suis
exact à mes rendez-vous .
La duchesse aperçut le roi qui s’
appro
6v
84 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
chai t du groupe au milieu duquel se tenai t
monsieur de Bourbon ; elle sorti t de la
foule avec le chancel ier . Le connétable s’e.
vança vers le roi , le chapeau à la main .
François , à qui la présence du héros dont
i l étai t j aloux n’
inspirait pas moins de
honte que de mauvaise humeur , s’
efforça
de trouver une parole a imable pour m ieux
cacher l ’ inj ustice du traitement qu’ i l lu i
préparai t ; mais les deux cousins ne puren t
si b ien maîtriser leurs secrets sentimens,
qu’
un peu d’
aigreur ne se mêlât tout d’
abord
à leurs discours .
Vive D ieu ! di t le ro i , quel heureux
hasard vous amène ici , monsieur le con
nétable? Vous ne nous habi tuez pas , pour
dire vrai,à vous vo i r en notre logis sans
quelque motif qu i rende votre visi te neces
sai ro .
86 LE CONNÉTAB LE DE novnnox .
foi de gentilhomme ! on vous la rendra !
J’
y ai compté di t le connétable en
j etan t les yeux autour de lui comme pour
y chercher quelqu’
un à qui s’adressaien t
aussi ces paroles .— Lâ duchesse et le chan
eelier avaient qui tté la galerie . J’
y ai
compté , poursu ivi t monsieur de Bourbon
c’ est pourquoi'
vous me voyez chez vous,
prenant en main la défense des oppri
mes .
A ce moment le maréchal de Lautrec
sorti t de la foule et se présenta aux regards
du roi .
Vous ici ! s’écria François en fron
çan t le sourci l ; vous ici monsieur le ma
réchal de Lau trec? ici sans mon ordre ? Et
votre
LA D I SGRA CE . 87
Perdue ! Sire,répliqua le connéta
ble,perdue par la . trahison de vos favo
ris !
Quoi ! perdue tout enh ere ‘
? demanda
le roi avec désespoi r .
Le connétable continua,et , à mesure
qu’ i l :parla1t,ses yeux s
’
enflammanent e t
semblaient j eter des éclairs .
— Monsieur de Bayard sauvé les dé
bris de vos escadrons . De tout le Mila
nais il ne vous reste plus par delà les
Alpes que le seul château - fort de Cré
mone ! François Sforce ,votre ennemi
,
commande à Milan ! Gênes est pri se et
pillée ! Antoine Adorne,proclamé doge
par les Espagnols,
au l ieu d’
Octavien
Frégose , qui vous étai t dévoué ! Pi erre de
88 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Navarre dans les fers ! les Suisses de votre
garde débandés ! les Véni tiens vos alliés,
détachés de vous ! les maréchaux de Foix
et de Montmorency , battus blessés eera
sés ! l ’éli te de votre jeune noblesse tuée à
côté de ses chefs ! voilà ! voilà ce qu’
ont
fait vos courtisans ! Tou t ce sang est re
tombé en broderies d’or et d ’
argeuf sur
leurs manteaux , en aigrettes de d iamans
sur les têtes de leurs femmes et de leurs
maîtresses ! l is en fon tparade , à cetteheure
sous les mille {lambeaux de vos galeries .
Place place Sire regardez-les passer !
Ah ! malheur sur nous ! murmura le
roi d’ une vo ix profondément émue . Cou
vrous de deuil nos habi ts de fête pour
pleurer ceux qui ne sont pl us !
Sire , rcparti t lo connétable , cou
LA D I SGRACE . 89
vrons— nous de fer plutôt pour les ven
ger
Un silence d ’
efi’
roi succéda au réci t de
cet événement désastreux . Les créatures et
les flatteurs de la duchesse n’ osaien t lever
les yeux . Le roi paraissai tattéré . Les vieux
capitaines froissa ient avec une sourde cc
1ère la poignée de leurs épées , ou échan
geaien t un regard de douleur . Le conné
table , les bras croisés sur sa poi trine , regar
dai t tou t le monde au visage et attendait
la punition du crime qu’ i l avait dénoncé .
Cette heure étai t solennelle . E lle allai t de'
cider la perte de la duchesse ou celle du
premier prince du sang .
François fi t signe au maréchal de s’ap
procher.
Mons ieur de Lautrec, l u i di t - il vous
90 LE CONNÉTABLE DE nouanox
répondrez de l ’accusation qu’on ose porter
en votre nom !
— J ’en répondrai , Sire reparti t l emule
et_le cousin de nom et d ’armes de l’héroique
Gaston de Foix . Les quatre cent mille écus
que m ’
annonçaierit vos lettres ne m’ont pas
été remis . Votre gendarmerie a eu la géné
rosnté de servi r—dix- liu it mois sans toucher
un d enier m ais les lansquenets et les
Suisses m ont échappé en me criant
Congé ou argent ! De là tous nos mal
heurs !
Et qui donc a retenu cet argent? s ’é
cria François 1“ au comble de la fu
reur.
Le connétable se pencha sur l ’épaule du
roi et lui di t à voix basse
LA D I SGRACE . 94
Monsieur le surintendant Semblancay
vous remettra la quittance de madame
votre mère .
François saisit avec force le bras du
connétable
Mon cousin,lu i di t- i l si cela est , j e
j ure D ieu que mon respect pour elle ne la
sauvera pas de la disgrace . Mais la celom
nie est ingénieuse dans ses accusations,
vous le savez . Qu’on appelle monsieur le
surintendant des finances .
Le baron de Semblancay se fit j our à
travers lamulti tude et vint tomber aux p ieds
du roi
Sire , balbutia le malheureux viei l
lard j e viens mettre ma vie à vos pieds .
Parlez ! parlez ! lu i criai t-ou de toutes
92 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Nommez le coupable !
C ’est vergogne de se faire ainsi
Nommez—le , quel qu’ i l soi t , le roi le
S i re,repri t le surin tendant
,vous
savez si pendant quarante années des plus
dif ficiles foncti ons j e vou s ai servi avec
honneur et loyaute .
Je me plais à le reconnaître,Mon
sieur !
S i dans les besoins de l’État hésitai
à disposer pour vous de ma propre fortune
et du crédit de mes
Je le sai s .
Hé bien le malheur des temps veut
94 LE CONNÉTABL E DE BOURBON .
roi le fi t pendre à Montfaucon pour ce fai t ,
quelques années plus tard , comme Charles
I X, dans le cours de ce même siècle , fit
égorger l ’am iral de Coligny,qu’ i l appelai t
aussi son père !
Après le départ du surint endant Fran
cois l ‘“r se tourna vers un groupe de gen
t i lshommes où se trouvaien t les plus achar
nés ennemis du connétable : Chabot de
Brion , l’
am iral de Bonn ivet , Montchenu ,
et d ’
au tres encore .
Messieurs , s ccria- t- i l, c
’est à vous
qu i l appartient de venger nos frères morts !
Je commanderai en personne la nouvelle
armée qui passera les A lpes . Lyon sera le
quartier- général . Monsieur de Bonn ivet , j e
vous nomme au commandement de l’avan t
gardo . Monsieur de Lorges vous i rez m’
a t
LA D I SGRACE . 95
tendre avec hommesdans les plaines
du Piémont . Je ne vous y lai sserai pas
langui r . Nous reprendrons le Milanais ,
messieurs , ou les Impériaux apprendront
comment un roi de France sai t mouri r !
Nous sommes disgraciés,monsieur
le duc , di t au connétable le maréchal de
Lautrec , quand ils se trouvèrent seuls
dans la longue galerie déserte que le roi
venai t de qu itter , su ivi de sa cour .
Du fond de mon château de M oul ins
reparti t monsieur de Bourbon , j e lu i ap
prendrai,moi
,que ce n ’ est pas avec des
courtisans que l ’on gagne des batailles
402 DE‘ CONNÉTABLE DE BOURBON .
Bourbon , retiré dans son château de
Moulins j etai t en soupirant un regard
sur sa splendeur passée et dans l’oisiveté
que lui avai t faite l ’ inj uste disgrace dont i l
étai t victime , i l s’
indignait de vo ir a quels
hommes François I‘i r venait de confier le
commandement de sa nouvelle expédition
du Milanais .
Plus de fêtes dans ce manoir antique , où
si long— temps i l avai t reçu l’éli te de la no
blesse de France ! Le silence recouvrai t
comme un crêpe de deui l les allées sombres
de ces j ardins égayés autrefois par de fraî
ches cascades , au bord desquel les un peuple
de courtisans étalai t incessament l ’or et le
velours de ses manteaux . Les v ieux faunes
de marbre habi llés de mousse et voilés à
demi par les branches incul tes des grands
LA DÉFE CT ION . 403
arbres , semblaient dormir sur leurs piécles
taux,oubliés comme des figuresd
’
aïeux sur
les dalles des sépulcres . La plus tri ste,la
plus délai ssée, la plus imposante entre toutes
ces ru ines , c’
était le connétable de Bourbon
Tout changea de face au château de
Moulins , lorsqu’
un genti lhomme , arrivé de
Lyon , tout couvert'
de poussière , accouru t
annoncer au duc , qu‘
avan t de passer les Al
pes , le roi en personne se disposai t à lu i
rendre visi te . Le visage du connétable
repri t a lors sa séréni té , et les Jardins leur
parure . Des courriers chargés de lettres
si llonnèrent les routes du Bourbonnais .
Une afiluence , cle‘
seigneurs et de dames
rempl i t comme par enchantement les ap
pafiemens déserts du'
château . Des sommes
énormes furen t dépensées,et le domaine
de Moul i ns red‘
evint en peu de jours plus
404 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
luxueux et plus royal qu’ i l ne l
’
avai t ja
mais été .
Le duc”
à l ’ issue d’ un tournoi auquel
François I" avai t assisté venai t de quitter
le roi sur le seui l du somptueux logis qu ’ i l
lui avai t préparé lorsqu’
i l rencontra dans
une des galeries du château quelques
uns de ses principaux offic iers arrivés
en tou te‘
hâte pour fa ire honneur à leu r
maître
Parmi eux se trouvaitmonsieurde Saint
Romain,j eune homme enthousiaste de la
gloiredu connétable , et dont la faveu r euprès du duc étai t malignement ex p1iquée
par l’ intérêt tou t particul ier que Son Al
tesse portai t Suzanne de Langelfeld
femme de ce gentilhomme . Au château de
Moul ins comme à l’hôtel des Tou rnelles
406 LE CONNÉTABLE DE BO URBON.
nétahle en a ffectant un ai r d’
hi lari té sous
lequel i l essayai t de masquer son dépi t ,
pensez -vous que le ro i soi t cohtent de notre
fête ?
Elle est splendide e t magn ifique ,
monseigneur , répondi t monsieur de Buren .
Le château de oul ins n’ a décidément rien
à envier à l’
hôtel des Tou rnelles .
Madame d’
Angoulême et messieurs
du Parlement,continua le colonel Frund
sberg , en von t mourir de dépi t .
Et pourtant , repri t le connétable ,
i ls espéraient m’
avilir en me dépouillant
de mes terres et de mes pensions , en for
cant un prince du sang royal de France à
se montrer aux Françai s dans le piètre
équipage d ’un cadet de famille , ruiné par
LA DEEECTION . 407
ges mauvaises moeurs ! Sainte—Barbe l i l
n’
en sera pas à leurs souhaits ! Tant qu' i l
me restera un j oyau de famille , une pièce
de vaisselle à mes armes j e paraî tra i tel
quo j e fus touj ours , avec lel ust re qui sied
à mon rang .
Le duc éta it retombé dans ses rêveries ,
que Saint—Romain i nterrompi t par ces
mots
Soupçonnez —vous monsieur le con
nétable,le but de ce tte visi te du ro i”
I l a compris que c’ est une mauvaise
arr1cre- gardo à laisser de ce cû té des Alpes ,
qu’
une otl‘
ense toute soignante dans un
coeur comme le mien .
Monsieur de Buren j eta un regard d ’
i n
telligence au colonel Fruudsberg , puis i l
dit
408 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
A la cour de l ’empereur Charles
Quint , où j’ ai passé ma j eunesse , moh
sieur le duc , une telle i nj ure n’ eut pas
été faite à un héros de votre sorte . H élas !
pourquo i n ’
êtes-vous pas né sujet de l ’Em
pereur ! ou pourquo i ne voulez —vous pas
le deveni r"! ajouta—t-il en baissant la voix .
Le premier rang , après lui , vous eût ap
partenu ; une couronne ne lu i aurai t pas
semblé un trop riche présent pour un
héros qui lu i eû t. conquis le monde .
Ces paroles arrachèrent un soupir au
duc de Bourbon qui fit un t ri ste retour
sur sa vi e écoulée .
0 Francois s’eoria-t— il , j e une
l ion que j ’ai vu combattre à Marignan !
comment es— tu devenu cet agneau timide
qu’
une main de femme gouverne à son
4 40 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
Nous sommes porteurs des ordres de
Sa Majesté .
Monsieur de Bourbon éprouva un fris
sonneinent par tout son corps . Il sa i si t son
front dans ses deux mains .
Ma tête s egare ! di t- il . Écraser ces
infâmes ! humilier François I" ! empl ir le
monde du brui t de ma vengeance
Et de votre honte,monseigneur
,s’ é
cria Saint-Romai n,pâle de terreur . Juste
c iel ! que le souven i r de vos aïeux vous
protège , monsieur le duc ! I ls sont tous
morts pour le roi et la France ! Pierre de
Bourbon , en 4356, à la j ournée de Poi tiers !
Jacques de Bourbon et Pierre son fils à l a
journée de Brignay , près de Lyon ! Loui s
de Bourbon en 4 4 45 , à la bata i lle d’
Az in
LA DÉFECT I ON . 4 4 4
court ! Franço i s de Bourbon à l a journée
de Marignan !
Les émissaires espagnol s remarquéœnt
l’
hésitation du conné table . Monsieur de
Buren se hâte de la dissiper parces paroles
Outre la l ieutenance‘
-
gênérale de ses
armées, dont i l vous i nvest it , monseigneur ,
l’
Empereur s‘
engage dès à présent à ériger
en royaume les états de Bourbon , auxquels
on j oindra la Provence et le Dauphipä .@l l
vous offre en mariage la princesse Dyna,
Léonora, sa sœur , veuve du roi de Portu
gal,et i l promet de l ’ insti tuer son héri t ière
et celle de son frère l’archiduc Ferdinand ,
à défaut d‘
enfans mâles de tous deux .
Voyez ! voyez, monsieur le duc ! Tout cela
est écri t et signé de la main de l’
Empe
rear !
4 42 LE couufin ew DE BOU RBON .
Le connétable se précip i te sur la lettre
que lui offrai t monsieur de Buren , et i l l a
lut d’un boub à l’autre sans proférer une
parole . Chacun attendait avec anxiété sa
réponse . Saint-Romain se tena i t , les mains
j o i ntes,auprès de son maître comme pour
le suppl ier de songer à sa glo ire .
Le duc remi t brusquemen t l a lettre dans
les mains de monsieur de Buren .
H é b ien , monseigneur ? murmure ce
Je refuse , répondi t fro idemen t le
connétab le .
Au même instant on annonça le roi .
Tous les v i sages reprirent leur calme et
leur i ndifférence habituelle, excepté pour
tan t celu i de monsieur de Bourbon , sur le
4 44 DE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
Foi de gentilhomme ! un roi couronné ne
ferai t pas plus royalement .
I l n’
a pas tenu à votre Parlement,
Sire, répondi t le duc , qu’ i l me soi t de
meure un l i t pour l’ offrir à Votre Maj esté .
Mais le radeau de notre fortune n ’est pa s
tellemen t d1SJ01nt et rompu qu ’ i l ne nous
en reste , une planche où nous puission s
mettre le pied .
Avant de vous y abandonner, mon
cousi n , repri t Françoi s , i l serai t bon de
vous assurer si elle est assez sol ide pour
vous porter sans péril .
Sire , interrompi t monsieur de Bour
bon,la Providence est pour tous .
Je souhai te qu’ elle vous conduise ,
monsieur . Quand je qui tterai votre châ
L A DÉFE CT ION . 4 45
teau , car mes devoirs me défendent de
prolonger au delà de cette j ournée le pla i
si r que j’
éprouve en votre compagnie , j e
désire vous entreteni r seul à seul .
Je me rendrai,Sire , à vos ordres .
C’
e st b ien . Monsieur l ’amiral de
Bonn ivet , monsieur de Brion et quelques
autres de nos ami s viennent de mettre
pied à terre à votre porte . Veu illez faire
en sorte qu’
ils soient bien reçus et trai tés
pour l’amour de mo i , monsieur .
Le duc fit un signe de respect et de
soumission .
Je veux , mon cousin , ajouta le roi en
se reti rant , que si un j our l’
un de nous
venai t à manquer à l’autre, on pu i sse j uger
de quelle part sont demeurés la loyauté et
Phonneur.
4 46 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .
Les Français, réplique l e duc, sa
vent que , si j amais j’ai fai lli , ce n
’a été
Dieu merci ! n i de ce côté n i de l’autre .
Le ro i descendit dans les j ardins
s’
entretenant tout bas avec les gentilshom
mes qui l’avaient‘
accompagné . Ou enten
dai t retenti r dans les cours les p iaffemens
des chevaux qui avaien t amené monsieu r
l’
amiral et sa sui te . Le connétable désigne
Sa int-Romain pour faire à ses hôtes , en son
nom,les honneurs de son domaine . Quant à
l ui , i l se retira dans ses appartemens, après
avoi r défendu à ses gensde l’
y ven i r trou
bler, sous quelque prétexte que ce fû t.
Saint-Romain alla recevo i r les nouveaux
hôtes de son i llustre maî tre . En un instant
un splendide repas l eur fut servi dans
une des galeries du château , don t tous
4 48 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .
la couronne , qui , d u fond de sa vénerio,
prétendai t en remontrer dans l ’art de la
guerre au plushabi le général dont la France
pût alors se glorifiér ; là - bas encore
monsieur de Montchenu , maître-d’
hôtel du
roi,qui voulai t aussi trancher du capi ta ine
et du triomphateur ; pu is , venaient après
eux Perrot de ! arty , de Ligny et quelques
autres j eunes gens à peine hors,de pages
,
qu i pour se pousseren faveur dans l’
espri t
des famil iers des Tournelles, renchérissaient
encore sur les outrages qu ’on prodiguai t
au prince que voulaient perdre les flatteurs
de la reine-mère .
Renfermant dans son cœur le mépris et
la haine qu’ i l ressentai t pour ces fauteurs
d’
intrigues, Saint-Romain mettai t tous ses
soins à leur faire noblement les honneurs
LA DÉFECT I ON . 4 49
d u château de Moulins . Obe1r aux moin
dres ordres du connétable , satisfaire ses
plus petits désirs avant même qu’ i l eût pri s
la peine de les exprimer , tel étai t le plan
de condui te que s’é tait tracé ce candide et
loyal j eune homme , depuis que les bien
fai ts'
du duc avaient aj outé les droits de la
reconnaissance à la profonde et sincère ad
m iration qu’ il avai t conçue pour son pro
tecteur. I l eû t bravé la mort pour épargner
un souci au connétable ; et , pour défendre
sa gloi re outragée , ce n’
eut pas été tr0p
pour lu i de répandre tout son sang . L’ a
mour qu’ il éprouvai t pou r sa femme Su
zanne de Langenfeld , étai t le seul côte par
où son cœur fût accessible à un au tre sen
t imen t que ce dévouement qui le domina i t
tou t entier . É levé loin de la cour,peu fai t
au beau langage de la rue Saint-Antoine
420 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
et‘
à cette science de déguiser la calomnie
et l’
insu lte sous le verni s de l‘éloge et du
respect , Saint - Romai n s’
en tretin t long
temps avec les nouveaux hôtes du château ,
sans s’apercevoir que chaque mot de leur
conversation é tai t une moquerie dirigée
contre le duc et con tre l u i - même . Les
convives,enhardis par le stoïci sme avec
lequel le j eune homme accueillai t leurs
propos,qu ’ i l ne songeai t pas même à rele
ver,exci tés peut-être aussi par de copien
ses libations de vi n d ’
Espagne, déchirèren t
par tant d ’
endroi ts le voile de l’
allusion ,
qu ’ i l fal lut bien enfin que l’
objet de leurs
mystifications ouvri t les yeux .
Dès l’
instant où Saint—Romain pu t se
douter que c’étai t bien à lu i qu’on en avai t,
son oreille e t son humeur devinren t plus
422 LE CONNÉTABLE DE B OURBON .
Pardieu ! dit de ! arty , à qui ce mou
vement donna le temps de ti rer son épée
laisse- le veni r à moi ! N ’ai -je pas t rahi un
beau secret , sur ma foi !Et où diable y a- t-i l
ici quelqu’
un , même en y comprenant
cet honnête mari du Bourbonnais, qu i ne
sache que madame de Saint—Romain est
la maî tresse du connétable de Bourbon
Saint—Romain se débarrassa de l ’é treinte
du comte de Ligny , et , d’ un coup de son
épée,i l li t rouler à terre celu i qu i l ’ insu l
tai t . Ou s’
empressa autour du blessé q u i ,
percé de part en part , et tran5porté dans
une salle voisine répétai t encore dans les
bras de ses amis
— Tou t cela n ’
empêche pas que madame
de Saint - Romain ne soi t la maî tresse du
connétable de Bourbon
L A DÉFECT I ON . 423
Ou avai t arraché l epée sanglante des
doigts crispés de Saint-Romain . Bonn ivet
voulut rester seul avec lu i pour le calmer,
pendant que les au tres convives accompa
gnaien t le médecin du château dans la
chambre du malheureux de ! arty .
Monsieur l ’am iral , répétai t Saint
Romain,un de vos gens m ’ a publiquement
outragé . l l faut qu ’ i l rét racte publiquement
sa calomm ie ; i l le faut pour mon honneur ,
ou j’
irai demander j ust ice au roi .
Loin de moi , répl iqua l’
am iral,la
7 7 °
pensee d excuser 1 1mpruden0ede ce pauvre
! arty . 11 a eu tort , monsieur, j e vous le
concède . Mais aller vous plaindre au roi,
à toute la cour,y pensez-vous ?
J’
i rai pourtan t monsieur l ’am iral .
424 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
A llons Saint-Romain , soyez calme .
Ne divulguez rien ; ne vous donnez pas en
spectacle à cette foule touj ours avide de
scandale . Ce n ’est pas la première fois
qu’
un tel malheur frappe un honnête
homme . Puisque vous l’
affirmez , j e veux
cro i re que vou s ignoriez cette intrigue .
Vous n’
y croyez pas vous—même
monsieur , répl ique Saint-Romain , ma
femme est honnête et sage , n’est— ce pa s ?
vous le savez . Monsieur le duo est homme
d’
honneur, vous le savez al 1ss1 . Pourquo i
en vouloir faire à mes yeux deux monstres
que j e ne pourrais plus regarder sans haine ;
car i ls m ’
auraient trompé . C ’ es t i nu tile,j e
ne puis croi re à cela .
Pourtant,i nsinua l’am iral , si l
’on
vous donnai t une preuve .
426 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
Madame de Saint -Romain que vous
croyez a Paris occupée des devoirs de sa
charge auprès de madame d ’
An gou lême ,
madame de Sain t—Romain se cache ici de
pu is hier sou s un faux nom dans une mai
son de la ville . H ier,repri t Bonn ive t après
un si lence que le j eune homme a l téré n’a
vait pas la force de rompre,hier elle a fai t
rendre une lettre à monsieur de Bourbon
par une femme d u peuple qu i fein t de
veni r demander u n secours .
Et cette interrompi t Saint
Romain .
Cette femme vous la verrez . Elle vous
conduira au rendez - vous qu’
elle-même a
donné à monsieur le connétable .
En ce momen t 0 11 frappa doucemen t à la
L A DEFECT ION . 427
porte de la galerie . L’
am iral entrouvri t
cette porte une viei lle femme s’
avança .
Bonn ivet la pri t par le bras et l a conduisi t
sans dire un mot auprès de Saint - Romain
puis i l se retira . Le mari de Suzanne , ao
coudé sur le dos d ’
u n fauteui l regardai t
ven i r à lui cette apparit ion qui semblai t
évoquée d’ un tombeau . Les malheurs et la
souffrance,plutôt que les années avaien t
vieill i les trai ts de cette femme,sur les
quels on démêlai t encore les traces d’ une
beauté absente . Son front hautain,ses
longs yeux noi rs qui j etaien t des écla ir s
par i ntervalles,contrastaient d’ une façon
bizarre avec la pauvreté de ses habi ts .
Qui êtes—vous ? demanda le j eune
homme .
Une misérable femme que monsieur
428 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
l e duc de Bourbon un soi r qu’ i l se rendai t
aux Tournelles , fit battre à coups de fouet,
par se s gens,dans la rue Saint—An to ine .
N’
étiez—vous pas de ceux- là , vous ?
Non , répl iqua Sai nt —Romain . Que
m’
importe ceci ! A s—tu autre chose à me
dire ?
Vos amis m ’
appelaien t la sormere
i tal ienne ; j ugez de ce que j e dois savoi r .
Au fai t ! me feras— t u voir ce que tu as
Au ssi vra i que mes malédic tions
poursu ivront j usqu’
au dernier j our vo tr e
connétable et tous ceux qui l’ont a idé dans
ses massacres du Milanais
Songe à quoi tu t’
engages ! c’ est la
mort , Si tu me trompais .
430 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
puyer sur ce front flétri ; ses lèvres dont les
baisers sont si doux
Ah ! tais— toi ! Va- t-eu ! va-t— en l sor
01ere maudi te ! Non ! reste ! donne-mm ta
main pour me gu ider,car mes yeux se
troublent . Viens ! wens ! condui s-moi .
Ou i,j e vous conduirai repri t la
vieille en s’
attachan t de ses deux mains au
bras du Jeune homme . Vous la punirez de
votre déshonneur,n ’est- cc- pas ‘? Promet
tez — le—moi . Vous avez votre épée,votre
poignard ; for t b ien ! Quant au séducteur
de Suzanne,un bras plus haut que le vôtre
l’
abattra‘
. Moi qui le hais,j e -n ’a i pu le
frapper les démons son t pour lui ! N ’
avez
vous pas vu dans ses yeux,sur son front
,
ce sceau de la fatali té,étoile infernale qu i
le mène ver s un avenir é trange,mystérieux
,
L A DEEECT 1ON . 4 34
i nconnu ? 1’avez -vous pas vu qu
’ i l est de
ces hommes donnés en exemple à la terre,
idoles adorées et maudites , que la foudre
fini t par briser sur leur p1edestal ‘? Depuis
dix ans j e me traîne su r sa trace pour
qu’
un instant de j oie me paie d ’une vie de
mi sère et de larmes . Ce j our viendra . D ieu
est j uste
Vous le ba issez b ien madame !
Vous le ha 1rez comme moi , quand
vous aurez vu j usqu’
à quel po i n t vous êtes
outrage
MarclŒns, dit Saint -Romain,c ’est
tr0p de tempsperdu ; mais ne va pas me
tromper ; cette épée une fois tirée ne doi t
plus rentrer dans le fourreau .
I ls cl isparureut tous deux ;'
l’
anural de
9
432 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Bonni vet entra aussi tôt par l’autre
'
ex tré
mi té de la galerie avec monsieur de Brion .
Tout va bien , dit l’un d ’eux ; allons
conter l’histoire au roi
Bravo ! di t l ’ autre ; monsi eur le duc
avai t oublié cet intermède dans le pro
gramme des fêtes de son château de Mou
l ins .
Pendan t que ces choses se passaient ,
une femme voilée étai t mystérieusement
introdui te dans les appartemens partien
l iers du connétable , où celu i -ci n’
avai t pas
tardé à la rej oindre . Au moment où l ’en
trevue de Saint-Romain avec la viei l le que
lui avait amenée l ’amiral commençai t à
prendre ñu , nous trouvons le duc‘
de
Bourbon dans une élégante galerie atte
43 4 LE CONNÉTAB LE DE nouneox .
pour vous voi r ! Mais , reléguée seule à
Paris vous sachan t en proie à tant de per
sécu tions j e n ’ ai pu ten ir à mon inqu ié
tude i l a fallu que j e v i nsse . Hélas ! pour
quoi su is-je venu e ! Pour o ubl ier en un
moment tous les sermens que j’
avais faits
à D ieu pour oubl ier mon devoir , le res
pec t de mon honneur tant de j ours pas
sés en lutte contre un amour qui devai t
enfin me dominer ! Comm ent osera is- je
maintenant lever les yeux vers le ciel et le
prendre à témoin de la chasteté de mon
ame Oh ! j ’ai perdu pour touj ours le doux
repos de la conscience !
Le bonheur te le rendra .
Je veux vous croire car un homme
comme vous ne peut menti r . D ieu ne s ’es t
pas plu à former le cœur des héros de ses
LA DÉFECT ION . 435
plus subl imes vertus pou r y mêler les
basses passions des hommes .
Regrettez-vous donc le sacrifice que
vous m ’
avez fai t ?
Oh non car mon corps et mon ame
sont à vous ! Au moindre soupçon de votre
péri l j ’ai tou t mis en oubli et j e suis
accourue sans autre compagnie qu’
nne
pauvre femme bien malheureuse , qu 1 V1 t
de mes secours depuis plusieurs mois .
Vous êtes si bonne !
C ’es t cette femme qui vous a remis
mon billet . El le m ’a bien rendu ce que j ’ai
fait pour elle . Aussi j e l ’ aime,monsieur
le duc ! j ’ ai passé mon enfance dans - son
pays , quoique j’en aie perdu le souveni r .
0 l’
Ital ie ! quand la reverrai -je cette
436 LE CDNNETADLE DE BOURBON .
belle contrée de mes rêves ? Que 1j e vou
drai s parcourir avec vous ces villes somp
tueuses toutes sonnan 1es de votre glo i re !
Car j e n’ ai rien vu de cela moi que
mon père cach a tout enfant parmi les tom
beaux d ’une égl ise pour me soustraire aux
hasards des batai lles . Cc que j ’en sais ,
c’ est ce qu ’ i l m ’
ena di t . Mais‘
je suis bien
folle n’est— ce pas j’
oubl ie que vous
voulez parti r qu ’ i l fau t . que vous par
t iez . Al lez mon héros mon maître dont
j e sui s plus fière qu’
un roi de sa cou
ronne ; al lez et emportez - mon ame avec
vous !
Je reviendrai pour te dire adieu .
Le connétable donna un baiser sur le
front de cette femme qui le regarda i t par
ti r avec une i nexprimable anxiété . Comme
438 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
nous deV1ons mouri r ensemble . Oh ! qu ’ i l
avai t bien lu'
dans le l ivre de notre des
t inée !
Il est vrai , reprit le connétable impa
tient de terminer cet te conversat ion mai s
ce n ’ est pas nous séparer que nous qu itter
un 1ustan t pour nous rej oindre après .
es heures fu ien t si vite ! soupira la
dame ; son gez que cette nu i t j e pars ! Vous
ne me di tes plus de ces choses que j’
aimais
à vous entendre dire . Serai t— i l vrai que les
pensées du génie tuent l’amour ? Serait-i l
vrai que le désir satisfai t s’
étein t de lui
même comme un flambeau consumé ‘7
011 ! i l n ’en est pas ainsi de moi !
Mon amour est égal au t ien ,Su
zanne mais songe encore une fois que le
roi m’
attend .
L A DÉFECT ION . 439
Vous disiez autrefois : le roi peut bien
attendre
Écoutez , i nterrompit le due en se
précipitent vers une fenêtre don t i l écarte
doucement le rideau n’
en tendez-vous pas
dans cette cour un brui t d’armes ? C ’est le
roi qui me cherche ! peut-être v ient—i l
dans cette chambre ! Voyez ce que vous
avez fai t ! Qu’ on ne vous trouve pas ici .
Fuyez ! fuyez ! Adieu ! Suzanne ! adieu,
j e vais au devan t du roi .
Omon Dieu di t la pauvre femme,plu
tôt que de voir son cœur changer p uissé
j e mourir Et elle s’avance vers une peti te
porte à demi -cachée par la tapisserie . Au
moment où elle allai t sorti r la tapisserie
se leva,et Saint-Romaiu parut . Suzanne
poussa un cri de terreur et se précipita
4 40 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
vers l’
autre porte . Son mari la saisi t par
le bras .
Po in t de ce côté madame lu i di t
i l d’une voix é touffée le roi et sa cour
sont là qui se rendent dans cette galerie.
Silence ! venez ! Du mo i ns j e vous épar
gnerai la honte
Ils disparurent tous deux . Au même in
stant par l ’autre porte,entrai ent le roi et le
connétable accompagnés de l’am iral de
Bonn ivet et des principaux gentilshommes
de leur su ite .
PA S SON S sur le cérémonial mon cou
sin , di t François ]e r au duc de Bourbon .
Las d ’
attendre votre bon pla isi r,le roi
vient prendre congé de vous .
En véri té , Sire , vous me voyez con
fus,balbu tia le connétable auquel l ’ impa
444 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
tience de son cousin ne laissa pas le lo isi r
d’
achever la phrase commencée .
Fo i de genti lhomme,monsieur le
duc , j’ai eu le
Avant de monter à che
entreteni r une dernière
nous intéressent tous deux .
Le roi fi t un signe ; les person qu i
l’avaient accompagné saluèrent et reti
rerent aussi tô t . Franço i s I°” se j eta brus
quement dans un fauteuil , d’un air qui
exprimai t combien i l avai t hâte d’en fini r.
M onsieur de Bourbon , sur son i nvitation
s’
assi t à quelques pas de lui .
Maintenant , Sire , d it-i l , j e vous
écoute .
Franço i s commença
4 46 LE CONNETAB LE DE BOU RBON .
aiguisent contre m o i dans l ’ombre despoi
guards ; que des Français qui t iennent
dans leurs mains les clés de nos provinces ,
soupiren t après mon absence pour ou vri r
nos portes à l ’etranger, voilà ce que j e re
doute et ce que je déclare infâme,monsieur !
En prononçant ces mots,le r0 1 frappa
v ivement de sa main lebras du fauteui l su r
lequel i l é tait appuyé , et i l considéra fi x e
ment le connétable qui ne baissa pas la
paupière .
Si re, repondit tranquillement le duc ,
si vous avez la preuve qu’
un França is , fût- i l
des plus grands de votre royaume ai t
conçu un tel dessein que tardez— vmis à le
puni r ?
Mon cousin , poursu ivi t François ,
LA DEFE C'
I ION . 4 4 7
quelque peu déconcerté par cette assu
rance,votre opinion à ce sujet est d
’
un
grand poids à mes yeux . Il m ’en coûtai t
j e l ’avoue de soupçonner des ennemis de
mon trône dans les premiers rangs de ma
noblesse .
Sire , repri t le connétable avec ce ton
d’
audace qui lui étai t habituel , l e trône de
France n’ a d ’
au tres ennemis que vos cou r
tisans. Ce sont eux qu i dépouil leront votre
peuple du respect et de l’
amour de son roi,
et leur roi de l’estime de son peuple ! ce
sont eux qui vous aliéneront le cœurde
votre noblesse , Si re , et qui mettront à mal
le royaume , si vous n’
y prenez garde !
Voi l les ennemiset les traî tres ! Tant pi s
pour eux si ma franchise les démasque ;
tan t
'
p is pour vous si vous ne les reconna is
sez pas à ce portra i t !
4 48 1.E CONNÉTABLE DE BOURBON.
Le ro i laissa percer un mouvement de
colère, qu’
i l réprima presque aussitôt .Puis
avançant v ivemen t son fauteu i l
En est- i l un seul monsieur le duc,
j e vous le demande , qu’ on pu isse accuser
comme vous d ’
en treten irchez lu i lesmécon
tens et les étrangers suspects ? Si monsieur
de Lau trec veut insulter ma mère il vous
trouve . S i messieurs de Buren et Frunds
berg , espions avoués de l’
Espagne , cher
chent du crédit en France,qui le leur
donne ? Vou s ! qu i en faites vos plus int i
mes consei llers ! Mes amis '
ne valent- i ls
pas les vôtres ? Vous seriez mo ins j aloux
peut -être de ce qu’
ils ont reçu de moi si
vous voul iez vous souvenir que le premier
acte de ma royauté fut de vous gratifier de
l’
épée de connétable qu’
avait portée avec
4 50 CDM ETAE 1.E DE BOU RBON .
Qu’ une double réconciliation cimente notre
nouvelle amitié . Foi de gentilhomme ! vos
biens vous seront J’
y aj ou terai
même d ’
autres marqu ma faveur.
Pendant mon absence , vous prendrez les‘
ordres de ma mère\
que j’
a i nommée,ré
gente . Je vous iuvesl is de la lieutenance du
royaume . M ais , de votre côté , j’
ex ige que
vous me fassiez le sacrifice de votre ran
cune , que vous retourm ez a notre premier
projet , que vous acceptiez pour votre
épouse m adame la duchesse d’
Angou
lême . Votre main , mon cousi n ! donnez
moi votre main
J amais ! Sire , j amais ! répondi t le
due en retirant la sienne .
A son tour le roi se leva .
Monsieur,j ’a i promis—
en votre nom .
LA DÉFECT ION . 4 54
Puisse la foudre m ’
écraser s’
ecr1a
le duc,avant que j
’
épouse une tel le femme !
François I°r mordi t son gant de colère .
Pas un mot de plus , monsieur de
Bourbon songez que vous parlez de ma
mere .
Le nom de la duchesse d ’
Angou lême
avai t réveillé tous les ressentimens du cou
nétable . Il ne se possédai t plus ; i l ne savai t
plus garder aucune mesure ; sa franchise
alla i t le perdre
Une femme , cont inua -t—i l,qui par
les mains de son i nfâme chancel ier Duprat,
a mis toutes les charges du royaume à
Pencan !
La patience du roi était à bout,ses lè
vres tremblaient ; son visage se couvrai t
d ’une paleur l ivide .
452 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
Taisez-vous , monsieu r , fi t- i l en im
posant silence de la main à son imprudent
interlocuteur qui poursuivi t sans pitié
Une femme dont l’
avarice et la cupi
d ité feraient monnayer si elle l ’osait le
sceptre et la couronne -de son fils !
Vous m ’
insultez , Monsieur ! s’
écria
François 1“ hors de lui .
Un soufflet retenti t su r la j oue du con
né table . Du même coup la main du duc
résonna sur la poignée de son épée qu i
faill i t ê tre brisée par le choc cette main
resta comme clouée à la place où elle avait
frappé . La porte de la galerie'
s’
ouvri t au
même instant,et, en un cl in d’
œ il , vingt
personnes s’ interposèrent entre le roi et le
duc . I l se fi t un silence effrayant . Sur un
454 DE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
serra convûlsivement la main de Monta
gnac Tausannes , debout et immobil e
devant lui un soufflet ! Montagnac ! et j e
ne l ’ai pas tué !
Le colonel : Frundsberg accourai t en ce
moment .
Monsieur de Frundsberg , lui cria le
duc du plus loin qu ’ il l’aperçut le roi m ’a
donné un soufflet !
Cela crie vengeance , Monseigneur !
Je l’aurai ! j e l ’aurai ! j ’en j ure D ieu !
la terre ne peut plus nous porter‘
tous
‘
deux
désormais ! Mon pauvre Pompéran t , pour
su ivi t le duo en se précipi tant au devant
du capita ine de ses gardes,qui arrivai t tou t
pâli de la nouvel le qu ’ i l venai t d ’
apprendre ,
mon pauvre Pompèren t , j e su is déshonoré ,
LA DÉFECT I ON . 455
avil i i l a osé me donner un sou fflet ! Ap
prochez tous , messieurs , repri t le conné
table en interpellent par‘
son nom chacun
de'
ses gent ilshommes qui entra ient‘
en
foule,venez voi r sur ma j oue l’emprein te
encore chaude de la main de François I°"
Des Escures de Beaumon t d ’
Esp ina Va
rennes si vous voulez savoir comment le
roi paie lesservices de sa noblesse , regar
dez là !
Monsieur le duc , s’
écr1eren t à la fois
les assistans , nous partageons tous votre
affront !
Que nous réserve-t - i l,dit Montagnac
Tausannes s’
i l traite ainsi le plus glorieux
prince de son sang ?
Pou r moi aj outa monsieur de Eu
456 LE CONNÉ'I‘ABLE DE BO URBON
.
ren j e retourne sur les terres de l’Empe
reur.
Vous ne parti rez pas seul ! interrow
le duc de Bourbon .
Di sposez de nous tous , monsieur le
Le connétable remercia d’un regard ces
fidèles servi teurs qui l iaient a insi leu r for
tune à la sienne . I l fi t quelques pas,la tête
baissée et les bras croisés sur sa poitrine
on attendait en silence qu ’ i l fix ât par un
mot toutes ces destinées qui se confiaien t à
lu i . I l rcleva l a tête et regardant ses amis
en face
Cc soi r , Messieu'
rs JB quitte la
France !
Nous vous suivrons , répondirent- ils .
458 LE CONNÉTABLE DE BO URBON .
poursu ivi t le duc , mon parti est pris , i rre
vocablement pris .
Il faudra pourtant que vous m ’
écou
l iez répondit le nouveau venu .
Ils entrèrent ensemble dans une chambre
voisine . Jean de Poit iers seigneur de
Saint—Vall ier , capitaine de cen t hommes
d’armes et chevalier de l ’ordre du roi , étai t
allié à la famille de Bourbon . l l connaissa it
les pièges dont onentourai t 1econnétable ;
i l savai t que François 1e r devai t avoir une
explica tion avec lu i au suj et de la duchesse
d’
Angou lême ; i l avai t prevu.
tout ce qui
étai t arrivé . Il se j eta aux genoux de Bour
bon i l le supplie les larmes aux yeux , de
changer de résolution et de songer au dés
honneur qui allai t le frapper , aux malheurs
sans nombre qu ’ i l décl1aîria i t sur la France .
LA DEEECTfON . 459
Bourbon parut attendri par les supplica
tions du vieillard .
Eh ! mon cousin , di t- il en le pressant
sur son cœur,que veux— tu donc que j e
devienne ? i ls m ’ont tout pri s,j e n ’ai plu s
rien,j e ne su is plus rien . Ils veulent que
j’
ex pme dans l’
opprobre et dans la misère !
Toi—même,en me venant voir ,
'
ne sai s— tu
pas que tu en as fai t assez pour t ’a ltirer
l eur vengeance , s’ i l ne suf fisait pour cela
de tes vertus et de tes services . Va— t — en,
Sain t-Vall ier ! va - t-eu et me laisse ! Songe
qu e tu as une famil le une li lle‘
chérie
D iane de Poitiers , modèle de beauté e t
de sagesse , que la corruption de l’
hôtel
des Tournelles n ’a pas éprouvée j us
qu’
ici D ieu soit loué ! Cache - la bien
aux regards du roi , et cache toi -même dans
le plus pro fond repli de ton coeur l ’ami t ie
460 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
que tu me portes car ce sont là des cri
mes entends— tu ? qu’
i ls te feraient,expier
comme en ce jour ils me fon t expier mes
victoires .
Ces prophétiques paroles ne d iminué
ren en rien les nobles efforts de Saint—Val
l ier pour ramener le duc de Bourbon à ses
devoi rs . Le connétable ne put obteni r
qu’ il qu i ttât le château de Moul ins qu’en
lu i promettant de ne pas pousser plu s
avant son proj et sans prendre avis de sa
v iei lle expérience .
‘DèS que Saint—Vallier se fut éloigné , le
le duc rentra dans la galerie où ses parti
sans l ’attendaiemt i l les trouva tous im
patiens de recevoir l’
ordre du départ .
— Neperdonspas un instant , di t- i l; mon
462 LE CONNETABLE DE BOURBON )
ami . C’
est ma tête que j e confie votre
garde ! Mai ntenant placez -vous à cette
table et écr ivez .
Je ne le puis monsieur le duc repri t
le j eune homme .
Que signifie êela ? trah i riez-vous ma
cause vous , Saint- Romai n ?
Je qu itte à l ’ instant votre château pour
n’
y jamais rentrer .
Un cr i d etonnement éclata parmi les
gens du connétable ; on se refusai t à croire
que ces paroles fa ssent sort i es de la bouche
de Saint-Romain . Personne n’
i gnorai t de
combien de faveurs le duc avai t comblé
ce j eune homme entré dans la maison de
Bourbon sans autre fortune que son é pée .
Ses camarades l’entourèrent et le pressèrent
LA DÉ FE CT ION . 463
de rétracter ce qu’
i l venai t de dire i l ré
péta pour la seconde fois les mêmes paroles,
et d’
une voix haute et claire afin que tou t
le monde l’
en tendît . Alors chacun s’
éloi
gna de l u i . L’un lui reprocha son ingrati
tude i l souri t amèrement et ne répondi t
pas un au tre lui demanda s ’ i l avai t peur
i l se contenta de hausser les épaules . Il
allai t se reti rer lorsque le duc l’
appela et
lu i exprima le désir de savoi r au moins le
motif de ce brusque abandon .
C ’
est vous qui m’
ordonnez de parler
monsieur le duc,s’
écria— t- il, j e vais vous sa
tisfaire . Écoutez tous Messieurs . Puis , se
tournant vers le connétable : Monsieur le
duc vous êtes mon bienfaiteur tout le
monde ici sai t cela j e vous dois la charge de
genti lhomme de votre maison,celle qu i me1 1"
464 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
confie la garde de votre sceau ducal et les
gages attachés à cette place . Je ne porte
pas un j oyau,pas un vêtemen t qu i ne pro
vienne de votre mun ificence . Tout ce qui
fai t bri ller un homme dans le monde,tout
ce qu i atti re les yeux de la foule et la ja
lousiedes envieux j e vou s le dois . Mais en
me donnan t ces hochets de la vanité vous
vous êtes payé chèrement , monsieur le duc ;
vous m ’
avez pris un 1 résor que rien ne me
rendra désormais vous m ’
avez ravi l’
hon
neur . Vous tous qui m’
écou tez , m’
avez
vous donc cru assez lâche pour avoi r froi
dement calculé ce que pouvai t me rappor
ter en faveurs et en largesses l ’amour de
ma femme cédé par un trai té infâme aux
caprices de Son Al tesse ! D ieu m ’est témoin
qu’
aujourd’
hu i seulement j e connais j us
qu’
où mon incx périence a été abusée ; Dieu
4 66 LE CONN ÉTABLE DE BO URBON .
d’
honneur. Le connétable fu t péniblement
affecté de cette déplorable scène où cette
fois le plus noble rôl e ne fut pas pour lui .
Mais i l n ’
avai t pas le temps alors de se lais
ser aller au penchant de sa rêverie ; son
cœur saigna i t par tant d’
au tres endroits ,
qu ’ i l perdit bientôt le "sentiment de cette
nouvelle blessure . Montagnac-Tausannes
entra précipi tamment , botté éperonné
et son fouet dei
voyage à la ma in .
Mes chevaux sont prêts monsieur le
duc,di t- i l j e pars pour l’Allemagne . Dans
peu,si le C ie1me seconde , monsieur
‘
de Lan
genfeld et moi nous vous rej oindrons sous
les mursfl e Milan . Que votre éto ile vous con
du ise, Monseigneurlaj outa- t— i l en se retirant
après avoi r baisé la main du connétable .
—Pompèrent , à son tour entra dans la
LA DÉFE CT ION . 467
galerie à l 1nst&n t où Montagnac-Tausannes
en sortai t ; i l étai t accompagné de mon
sieur de Buren et du colonel de Frunds
berg .
Monsieur le duc , dit Pompérant , on
a rassemblé tout cequi reste d’ or au châ
teau . Vos gentilshommes et vos officiers on t
fai t verser leur épa r'
gne et leurs j oyaux
dans les coffres de vos t résoriers i ls
n’
on t voulu garder que leur armure et leur
épée .
Toute votre maison Monseigneur
est en armes , repri t le colonel Frundsberg ,
et n ’
attend p lus que le signal du départ .
Fort bien,répondi t le connétable , Q
Ne laissons pas au roi le temps de nous
préveni r . Messieurs , aj outa-t- il pou r plus
468 LE CONNÉTABLE DE BOURDON .
de sûreté séparons— nous . Chacun gagnera
comme i l le pourra le terri toi rede l’Empe
reur , en Franche— Comté . Je j ure pour ma
part de ne remettre ’épée au fourreau que
le j our où François de Valois m ’aura de
mandé grace ! Et , pour que j e n’
oublie pas
le serment que j ’ai fai t ici devant vous ,
on brodera'
sur mon étendard un estoc
flamboyant avec le mot espérance au
dessous .
Tandis que le connétable et ses partisans
s’
apprêtaient à gagner la campagne
Sai nt-Bomain sortai t du château à pied
vêtu d ’un simple habi t de drap son épée
au côté sans même un domestique à sa'
“Û
su ite , dans ce même costume de pauvre
gentilhomme qu ’ i l porta i t c inq ans aupa
revau t lorsque , pour la premwrc f01s, i l éta it
470 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
Elle se débattai t et me priai t d ’une
vo ix si lamentable ! répondi t le j eune
homme j e l ’a i laissée fuir .
Fuir avec son amant ! repri t la
viei lle . Au mom s la perte de Bourbon est
assurée . Venez vo i r _comme sa destinée va
l’
emporter dans l’abime le traître à sa pa
trie le meurtrier de mes enfans ! Demain
le vainqueur de Marignan ne sera plus
qu’
un rebelle dont on i ra voi r la tête à
Mou tfaucon !
Ah interrompi t Saint-Romain i l
n’
y a que les rois déchus et les démons qu i
puissent maudire ainsi . Qui donc êtes
vous ?
La vieille parut se recuei ll ir quelques in
stans puis elle di t Mes aïeux portaient
LA DÉFEC 'I‘
ION . 474
aussi une couronne autrefois : on les appe
lai t ducs de Milan . Pui sse cette couronne
que Charles-Quint et François I er se dis
pu tent auj ourd’hui se briser entre leurs
mains et que ses éclats les écrasent ! Tel
est le dern ier vœu de Césara Visconti !
En ce moment , on vit passer à travers les
éclai rcies des arbres une bande de cava
liers qui faisa ient partie de la su i te du roi
et qui regagnaient le grand chemin de Mou
lins à Lyon . Césara Viscont i poussa vers
eux son cheval .
Où voulez -vous aller s’eoria Saint
Romain en s’
attachant à la bride du
cheval .
Tou t raconter à Françoi s I" répon
di t la vieille avec un horrible sourire ;
4 72 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .
perdre le connétable rendre sa fui te
possible !
Vous n’
irez pas
Romain qui lu i ferma
Quo i ! c’est vous
Que D ieu le frappe dans sa j ustice , i l
l ’a bien méri té ! mais sa gloire appartien tà
mon pays . Vous n ’
irez pas plus loin , vous
d is-je qu ’ i l ne soi t à l’abri de votre ven
geance .
Les cavaliers eurent bientôt disparu ;
Sain t-Romain et la vieille cheminèrent j us
qu’au prochai n village où le j eune homme
loua une mule pour escorter jusqu’
à Lyon
sa compagne de voyage .
reparti t Saint
le passage .
qu i défendez le
478 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
sur la botte de paille qu i lu i servai t de l i t,
le premier des deux interlocuteurs c‘est
l’
heure où va se montrer le fantôme que
Nunez et to i vous avez vu la nui t der
n ière !
Chut ! là—bas ne distingu es— tu rien,
sou s les noi rs arcea‘ux de cette égl ise où
nous sommes campés repri t le second des
deux soldats .
C ’est un rayon de la lune .
Que ces damnés luthériens son t heu
reux mon bon Lopez de dormir dans un
p arei l instant . Si j e revoi s j amais l’Espagne,
j e ferai pénitence pour avoi r couché si près
d’ eux .
Que Satan confonde le nouveau géné
r al de l’
Empereur, qui nous faitbivouaquer
L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 4 79
ainsi dans une égl ise consacrée côte à côte
avec ces mécréans de lansquenets !
Ge Bourbon ne croi t à rien ! pas
même aux saints e t aux fantômes !
Ah çà ! toi qu i l’ as vu le fantôme
quelle figure avai t— il
Ma foi je ne sais pas quoique pour
tant j e l‘
aie vu comme j e te voi s Diego .
C ’ est l’ ame en peine de quelque dé
funt duc ou roi sortie de ces tombeaux de
marbre qu i .en touren t l’
église .
Pour cela non Di ego le fantôme
est posi tivement une femme et une vieille
femme encore ce qui rend le présage plus
effrayant ; et pui s c’ est auj ourd ’hui ven
dredi !
480 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .
Om Jour de Saint-Math ias 24° de
février 4525 .
Je cro i s que la j ournée de demain
sera rude .
Je te le demande Bourbon aux
prises avec François
— Veux- tu bo i re un coup de ce vin lom
hard T iens ! prends ma gourde !
Merc i j e n ’ai pas so i f.
J’
éprouve un frisson du d iable par
tous les membres . Tu me croi ras si tu
veux , j’
aimerais mieux cen t fois être au
plus fort de la bataille que de me savoi r
en un l ieu hanté par les espri ts . Jouons
au passe-dix pour tuer le temps . A s - tu
ton cornet ? voilà mes dés .
482 LE CON NÉTABLE DE DbUDEDN .
d’
au tres à prix d’
argen t,suiva ient la for
tune du connétable , devenu général espa
gnol ; mais i ls n’
étaient pas placés cepen
dant sous son commandement immédiat .
Le marqui s de Pescaire étai t général de
l’
infan terie d’
Espagne , et le comte de Lan
noy vice-roi de Naples pour l ’Empereur ,
condui sai t les lances i taliennes . Les lans
quenets seul s appa rtenai ent à monsieu r de
Bourbon ; i l les ava i t levés lui -même en
Al lemagne a u moyen de quelques sommes
d ’argent qu’ i l avai t empruntées du duc de
Savoie,après son évasion du château de
Moulins . Ces soldats dominés par le ca
ractère et par le génie du transfuge illus
tre,marchaient tête baissée sur les pas
de leur chef aventureux , sans lui deman
der au tre chose que des victoi res et du pil
lage . i ls ne connaissaient l’Empereur que
L’
H EUEE DE LA VENGEANCE . 483
de nom leur véri table roi c e tai t leur géné
ral . Ce confl i t de pouvoirs qui donnai t au
m arquis de Pescaire et au vice— roi de Na
ples une autori té au moins égale à celle de
Bourbon aurai t dû,ce semble , nuire aux
opérations de l’armée de Charles—Quint ,
en y introduisant la di vision . Mais quoique
le connétable eût à souffrir des j alousies
de ses collè gues,i l savai t tou t sacrifier au
soi n d’
assurer sa vengeance . Il était d’ail
leurs plus maître des soldats de ses collè
gues que ses collègues eux—mêmes : et c‘est
encore un fai t inexpl icable auj ourd’ hui que
la conquête de l’ Italie par une arm ée com
posée de luthérien s allemands et de catho
l iques espagnols . Le génie de Bourbon
opéra pourtant ce prod ige .
Les deux soldats dont nous avons en
484 DE CONN ÉTAB LE DE BOURBON .
tendu les discours au milieu du bivouac
établ i dans l’
eglise de la Chartreuse , j oué
rent quelques instans aux dés , et enflam
més par la passion du gain,i ls eurent
bientôt oublié le premier mot if de leurs
terreurs . Mais tout à coup l’un d’eux se
j eta le front contre terre , et,saisi ssant
son chapelet,i l di t à l ’autre
Ne souffle mot , ou nous sommes
morts
Une femme , su ivie d’un homme enve
loppé d’un manteau , traversai t en ce mo
ment l ’une des hautes galeries de l’eglise .
El le s ’erreta quelques secondes et se pen
cha sur les balustres de pierres sculptées
étendant sa main vers les soldats qui dor
maient et , au même instant , les tuyaux
de l’
orgne , enflés par le vent j etèrent un
486 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .
sonner les trompettes . Le marquis de ? es
caire et le comte de Lannoy,vice-roi de
Naples se présentèrent,su ivi s de quelques
gens d ’armes , et ne réussi rent qu’
à aug
menter la confusion .
A bas le général ! s’écr1erent à la fois
les lansquenets et les espagnols dès qu’
ils
les aperçurent .
Est-cc ai nsi ue vous servez l’Em eq
reur‘
? demanda le comte de Lannoy .
Nous le servons comme i l nous paie ,
monsieur le vice-roi de Naples , répondi t
un des révoltés .
Depuis six mois que nous sommes en
campagne , poursuivi t un autre , nous
n’
avons pas touché un réel entre nous
tous .
L ’HEURE DE L A VEN GEAN CE . 487
Pour cela les espagnols ont raison
repri ren t les l ansquenets qu ’ on nous paie
notre solde ! Ou i ! notre solde ! hurla la
multi tude,nous ne voulons plus obéir
Congé ou argent ! congé ou argent !
Nous sommes perdus,monsieur le
marquis,di t le comte de Lannoy à son
collègue, voyant que les harangueurs de
cette troupe indiscipl inée lui persuadaient
déjà de se débander, et que plusieurs par
laient de passer dans le camp des Fran
cais .
Au moment où la sedition menaçait de
se changer en une rébellion ouverte,on
vi t entrer dans l ’egli se un nouveau person
nage dont le seu l aspect rétabli t tout d ’a
bord l’
ordre et le si lence parmi cette mu l
t i tude égarée . Cet homme, c
’
était le duc
488 LÊ CONNÉTABLE DE BOURBON .
de Bourbon sans casqu e et sans épée ,
vêtu d ’un simple pourpoint de cu i r sur le
quel i l n ’
ovai t pas eu le temps de faire at
tacher sa cu i rasse . Pompéran t le précédait,portant son étendard de taffetasjaune semé
d’
épées flamboyan tes au dessous des .
quelles le mot espérance étai t brod6à plu
sieurs endroits . Montagnac—Tausannes le
colonel Frundsberg et quelques autres de
ses officiers le suivaient . Les rangs des
m i1tins s’
ouvriren t devan t les pas de leur
chef. Quand i l fut a u mil ieu d’eux i l pro
mena son regard autour de lui , puis , fa i
sant un signe à ses écuyers
Qu ’on mande ici le grand‘
prévôt ,
dit- i l ; que toutes les issues soient étroite
ment gardées . Défense de sortirsous peine
de mor t !
490 L E CONN ÉTABLE DE BOURBON .
ses du colonel Diespach et les bandes noires
de monsieur de Suffol ! , qu i ne savent se
battre que la bourse et le ven tre ple ins ! Cela
n ’est- i l pas vrai Allons,si j e me trompe ,
démentez -moi .
D1eg0 ,pou ssé en avant par ses camara
des , sort1 t des rangs les yeux baissés , et
roulant son feutre dans ses doigts
l llustrissime seigneur,di t- i l , assu
rémen t nous ne craignons n i les Su isses n i
les bandes noi res,et nous croyons l’avoir
prouvé . Mais s ’ i l est j uste et nécessa ire que
n ous servions l’Empereur Charles de tou t
cœur ,
‘
n’
est— i l pas j uste aussi qu’ i l nous
nourri sse et qu ’ i l nous habil le ? Or , pour
nous munir contre la faim et le froid nous
attendons notre solde que vos trésoriers
on t oublié de nous payer depuis si .\ mois .
L ’HEURE DE L A VEN GEANCE . 494
Écoutez,mes enfeus répondi t le
duc j e suis un pauvre caval ier ; j e n’ ai pas
un sou non plus que vous ; fa isons fortune
ensemble .Vous‘
avez bien souffert dans cette
campagne . Vos pourpoints sont u sés sur
votre dos ; vos pertu isanes et vos épées ron
gees,par la rouille et la pluie ; votre bourse
est aussi mince que mon crédit . Au point
duj our, j e vou s li vre l’
armée de François! er
une armée de muguets de cou r et de favo
ri s tous avec des coffres bien garnis de
ducats tous avec de beaux chevaux capa
raçonnés , et des capes de velours'
et des
manteaux brodés ; tous avec de belles ar
mures de Florence où il entre plus d ’or et
d’ argent que de fer . Tout cela pour vous
Ê tes-vous contens ‘?
Oui ! ou i ! murmurèrent à la fois les
492 LE CONNÉ TABLE DE B OURBON .
lansquenets e t les espagnol s le combat e t
le pi llage !
Marcherez- vous à l’ennemi avec moi ,
avec nous tous , pour gagner en une se ule
bataille plus de dix ans de votre solde
Oui ! ou i ! Le combat ! le combat !
Vive Bourbon
C ’est bien repri t le connétab le . Vous
savez si j e t iens ma parole . Avant l ’aube
nous serons la lance au po ing dans la plaine .
Puisque vous êtes si pressés de vaincre ,
mes bons amis vous formerez l’
avant
garde et vous essuierez le premier feu . Ran
gez -vous en bata i lle dans la cour du cou
vent . Au premier signal vous irez occuper
les postes avancés .
Les cris de V ive Bourbon ! retentirent
494 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
voi r , s’
appr0prian t ainsi la plus largepart
dans un succès auquel i ls n’
avaient point
contribué .
Pescaire malgre sa j alousie é tai t pour
tant un autre homme que le comte de Lan
noy . Arrière-peti t-filsd edon Rodrigo d ’
A va
los , qui fut connétable de Castille pour
avoi r combattu en champ clos un cheval ier
portugais devant le roi Pescaire s’
é tai t si
gnalepar une bravoure extraordina i re , dès
l’
âge de sei ze ans , à la batai ll e de Ravenne ,
où il l‘u t blessé et fai t pri sonnier par les
Français . Il avai t retrouvé sa l iberté moyen
nant une rançon de écus , par l’
i n
tercession du maréchalde Trivu lce , son pa
rent . A ses taleus mili ta ires le marqu isjoi
gnait encore u n grand espri t et une rare
i nstruction . Pendant sa captivi té , i l avai t
L’
EEUEE DE LA VEN GEAN CE . 495
écrit un livre d ’amour dédié‘
à sa femme ,
Victoria Colonna,qu ’ i l chérissai t tendre
ment quoique son père l ui eû t fai t eon
tracter ce mariage d‘
in térê t à l’
äge de tro i s
ans . I l avai t trente-qu atre ans alors,
- et le
temps n ’
evai t en rien diminué ce chevaleres
que amour,qu i tempérai t l
’
irritabili té et
l’
emportemen t de son caractère . Charles de
Lannoy,seigneur de Mengoval , i nvest i de la
vice—royauté de Naples par Cha‘
rles- Quin t
éta i t Flamand comme l ’Empereur. Sa bra
voure n’
étai t rien moins que prouvée ,ma issa
complaisante flatterie sa connaissance des
moyens de parvenir , son visage impassible
qui masquai t les projets de son ambition
lui donnaient beaucoup d’avantage sur le
marquis son rival .
Mai ntenant Mess ieurs,di t — lo con
496 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
nétable à nous de teni r parole à nos sol
dats ! Mais auparavant cet imprudent fan
tôme , qui de vous le connaî t
Je soupçonne répondi t le cap itaine
Langenfeld que ce n ’est autre chose qu ’
ane
femme d ’
assez misérable apparence , que les
Chartreux cachent depui s quelques j ours
dans leur couvent .
Et quelle est cette femme ? demanda
le duc:
Nul de nous ne l ’a vue . Mais on la
soupçonne d ’
être une arrière-petite-fille
de Jean—Marie Visconti duc de Milan ,
assassiné en 4 4 47 . Cette femme assure
t—on réclame follement la couronne — de
son aïeul,i nj ustement u surpée d it- elle,
par Ph i l ippe- Marie de qu i les Sforce t ien
nen t leurs droi ts .
498 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
oisive . En dépi t desinstances desChabannes ,
des La Tréniou ille des Sanséverin et de
t ous les vieux capi ta ines de son consei l ce
fou de François I‘"persiste à vou loirjouer sa
fortune et sa vie sur un coup de dés . Sainte
Barbe ! Messieurs , remercions le C iel d’ a
bord,et puis ensu i te les court isans des
Tournelles , messieurs de Bonn ivet de
Montmorency de Saint-Marsaul t,et Cha
bot de Brion car c ’
est à leur bon avi s que
nous devrons la victoi re que j e vous eu
nonce . Le roi de France s’ est vanté qu ’ i l
prendrai t Pavie ou qu’
i l'
périrai t sous ses
murs . Donnons - l u i un démenti éclatant en
écrasant sa gendarmerie et en prenant vi
vant‘ ce fanfaron couronné . N’est-ce point
votre 0pin ion Messieurs
Sans nu l doute , répondi t le comte de
L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 499
Lannoy . Dans une heure , monsieurle mar
quis aura pénétré dans le parc de Mirebelle ,
par la brèche que nos pionniers y ont
fai te .
Le temps se passe , repri t le duc de
B ourbon . Capitaine de Langen‘
feld que
mes écuyers m’
apportent mes armes .
Quant à vous j e vous charge du soin
de veiller à la sortie de nos soldats . Pom
péran t , Montagnac - Tausannes et vous
tou s, mes bons et fidèles am i s , vous com
battrez à côté de moi . Nous avons à venger
nos amis de France i ndignement torturés
à la Basti lle pour notre cause .
Nous avons aussi des traîtres à punir,
monsieur le duc , repri t Pompérant . Saint
Romain est,cl i t-ou , dans le camp du roi .
Que Dieu le lui pardonne répondi t l e
200 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
connétable i l étai t digne de vaincre avec
nous .
Un sombre nuage obscurci t le regard de
monsieu r de Bourbon . Il demeura quelque
temps pensif puis se tournant vers le
marquis de Pescaire e t vers le vice—ro i de
Naples
Vous, Messœurs! pendant que vous
ferez tête au duc d’
Alençon et au maréchal
de Chabannes , qu i diri gent les deux a iles
ennemies, j
’
attaquera i le gros de l’
armée
que condui t le roi en personne .
Vous oubliez monsieur de Bou rbon
interrompi t le marquis de Pescaire , que le
rang et le pouvoi r doivent ê tre également
partagés entre nous .
Vous commanderez vos lansquenels,
202 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
couronne et sa vie , Bourbon sa vengeance !
Que d ’
efforts, que de persévérance, que de
courage,que de haine i l avai t fallu au
nouveau général de Charles - Quin t pour
en ven i r à ce poin t où tout encore demen
ra i t en question ! Depui s quinze mois , i l
parcourai t pas? à pas l ’Allemagne et le Mi
lanais , demandant des soldats à conduire et
des victoi res'
à remporter,soll icitan t des
périls comme un autre des honneurs , en
gageant son crédit , fa isant a rgen t de sa
vaissel le de ses j oyaux , de sa parole , re
crutan t des vengeu rs dans la plu s vile po
pu lace , flattant celui -ci , éblouissant celui
là étudiant le côté faible de chacun
promettan t ce qu ’ i l ne pouvai t ten i r , dé
pensant toute la séduction de son langage
pour entraîner quelques m isérables de plus
sous son drapeau . I l avai t enfin réussi ; son
L ’ HEURE DE L A VEN GEANCE . 203
appel a tou s les vices avai t été entendu .
Satan sembla i t avoi r recru té pour lui dans
les enfers .
En reportant son regard sur le passé , le
connétable comprenai t à peine comrflrÿ;Ïént i l
étai t arrivé à ce resultat . Dans le traj et de
sa terre de Chantelle à la frontière de
Franche- Comté,s u ivi d’ un seul de ses
officiers, et traque comme une bête férocepar la gendarmerie du roi
,i l avai t pensé
pl usieurs fois tomber aux mains de ses en
nemis . Arrivé chez le marqu i s de Mantoue,
son cousin,i l ne lu i resta i t pas un denier ,
et le marquis avait dû lui faire présen t d’
un
nouvel équipage de caval ier pou r continuer
sa rou te .Sa campagne de l’ennéeprécédente
contre Bonn ivet ava i t été assez heureuse ;
mais la levée du siège de Marsei lle était
204 LE CONN ÉTABLE DE BOURBON .
pour lu i un échec qu ’ i l tenai t à cœur de
réparerd’
une manière éclatante : l ’occasion
étai t belle , pu isqu’
il allai t combattre à la
fois ses deux ennemis acharnés, _Bonn ivet .
et François I“ . A tous ces moti fs de haine
personnelle se j oignai t encore le dési r de
venger ses partisans mis à la question etj etés dans les cachots de la Bastille, par
j ugement du parlement dePari s . I l plai
gnait surtout le sort du malheureux comte
de Saint -Vallier , condamné à mort etmené
j usque sur l ’échafaud , où l’
annonce de la
commutation d e sa peine lu i fut fa ite par le
bourreau,ce qu i n ’
empêcha pas ce viei llard
innocent d ’en perdre la rai son . E t comme
si ce n’
étai t pas encore assez de tou s ces
souvenirs déch irans qui rempl i ssaient le
cœur du héros,i l avai t encore à redouter
les sui tes de la j alousie de ses nouveaux
206 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
glorieux de la conquéri r et de la'
donner
ensui te à un roi .
Le duc ouvri t une des fenêtres de 1 egl i se
pour refroidir sa tête embrasée . Ses yeux
se fi x èren t sur le ciel , et i l demeura long
temps à le contempler .
François I",s ’eoria - t— i l
,en ce mo
men t Dieu tient le livre où nos deux noms
sont Écri ts ! Quel est celui qu i disparaî tra !
Le ciel est rayonnant,les constella tions
son t brillantes ! Si mes ca lculs ne me trom
peut pas,si l ’art d ivi n de l ’astrolog ie n
’
est
pas une vanité men teuse , je dois remporter
auj ourd’ hui la plus signalée de mes vic
to ires. Je sens dans tout mon être comme
un espri t de force qu i descend ! Ange ou
démon , i l me paraî t qu’
une puissance iu
L ’HEURE DE L A VENGEANCE . 207
visible est là , qu i me pou sse et qui me di t
TU VA IN CRA S .
En ce moment , entrèrent les écuyers du
duc ,portañt toutes les pièces de son armure;
Pompèrent et le colonel Frundsberg ve
naien t en même temps prendre les ordres
de leur général .
— Monsieur Frundsberg , dit le conné
table,nos hommes sont- i ls prêts
Monseigneur vous êtes obe1 .
C ’est bien . Avez — vous donné l ’ordre
a chacun d ’eux de couvri r son justaucorps
d ’une toile blanche,afin que nous pui ssions
nous reconnaî tre malgré la nui t
Je l’ai donné .
Pour moi , continua le due, la casaque
208 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
d’
or que j e porte par dessus mes armes me
fera suffisamment remarquer . ! à vous
au tres , ajou ta r t i l en s’
adressant à ses
écuyers , qu’on m
’
habi lle ! M’
avez vous
choisi mes plus fortes lances ?
Ou lu i en présenta plusieurs,et les
écuyers commencèrent à lu i attacher les
pièces de son armure . Dès qu ’ i l senti t le
contact de l ’acier sur sa poi trine son v isage
s’
anima d ’une ex pression terrible , et la soif
de vengeance qui le dévorait sembla passer
dans ses yeux . Son ame , dégagée de tout
autre soin'
paraissai t concentrée sur cette
pensée fixe qui la dominai t . Pompéran t
hésita long- temps avant d ’oser le troubler
dans ses réflex ions i l s’y hasarda”
pour
tan t .
Monsieur le duc,balbutia—t- i l à son
240 LE CONN ÉTAB LE DE B OURBON .
Que lu i dira i -j e‘
? hasarda de nouveau
Pompéran t .
Que j e ne puis la recevoi r .
Suzanne de Langenfeld entrai t à l ’ instan t
où le duc de Bourbon prononçai t ces
mots .
Monseigneur,dit —elle , d ’une voix
presque éteinte par l’
émotion Mou sei
gueur , quelques m inutes , j e ne vous fati
guerai pas long- temps de mes pleurs .
Que voulez-vous , Madame ?
H élas ! tant d’amour ne méri te- t- i l
pas un peu de pi tié !
En ce moment,Madame , repri t le
connétab le d ’u n ton brusque , i l ne s’
agi t
pas de pitié,mais de sang et de meurtre .
Vous voyez bien que ce n ’est pas là la
L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 244
«place d’ une femme. E t i l aj outa plus
doucement vous Voyez bien qu ’ i l faut
vous retirer .
Mon Dieu ! murmura madame de
Saint—Romain , j ’ ai tou t quitté pou r le
suivre,et c’ est la récompense qu’ i l me
gardai t ! Quelle funeste influence me ra
mène donc touj ours aux pieds de cet
homme qui me mepr1se et qu i me hait
peut - être ! Quand sa voix menteuse me
peignai t un amour qu 1 1 ne ressentai t pas,
pourquoi me suis -je laissé prendre au
miel de ses paroles ! ne devais-je pas savoi r
que l’orguei l et l’
ambi tion remplissaienttoute cette ame
Le duc , sans lu i répondre , se tourna vers
l’
un de ses écuyers
242 LE CONNÉTABLE DE BOURBON . .
Raimbault , donne-moi l’
épée que j e
portai s à Marignan .
11 ne m ’
écou te seulement pas, reprit
la pauvre femme tout en larmes ; le déses
po i r d’
une maî tresse est trop peu de chose ,
en effet , pour celu i qu i va mettre en deuil
des m ill iers de mères et‘
d’
épouses !
Et le duc continua , en s’
adressant tou
jours à ses écuyers
Allons ! fai tes plus vite ; ne voyez -vous
pas que le temps presse ?
Malheureuse femme que j e suis !
s’
eori a madame de Saint-Romain ! Oh !
oui , bien malheureuse , pu isqu’
en dépi t de
tant d’
ou trages, mon lâche cœur en est
rédui t à aimer encore celui qu i me frappe
si cruellement ! Je pars,monsieur le duc ,
24 4 . LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Un mot encore , Monseigneur ; ce
billet à votre a dresse a été j eté sur mon
passage par un homme 1nconnu .
Bourbon ouvri t brusquement le bi l let
pour se débarrasser au pl us vi te de ce
nouveau retard .
Messieurs , di t- i l après l’avoi r ln
,on
me prévient dans cette lettre que monsieur
de Bonn ivet m’ a dressé une embuscade , et
que cette'
cotte d ’armes es t dési gnée aux
poignards des assassins .
L’
écuyer qui lu i présentai t la casaque
de drap d’
or la lu i retira des mains .
C ’est un signalé service qu’ on me
rend là , Madame . Qui donc dans le camp
de François I°”peut s’ intéresser à ma vie ?
Eli quoi ! ne reconnaissez —vous pas ,
L‘
HEURE DE L A VENGEAN CE . 245
Monsieur,la main du plus géné reux des
hommes 0 honte , honte sur moi
Saint—Romai n ! murmura le duc ; oui ,
c ’ est bien lui ! Noble vengeance qu i me
force à rougir ! Jeune homme honnêt e et
loyal,plus grand dans l
’
obscuri té de ta
vertu que moi dans la splendeur de mes
victoires !
0 mon père ,mon père ! poursu ivi t
Suzanne , c’ est b ien ainsi que j e devais re
vo ir cette chartreuse de Pavie où l ’ un de
ces tombeaux fu t'
l’
asi le de mon enfance
Un bru it de tambours et de trompettes
vint éto uffer la voix de Suzan ne,qui se
lai ssa tomber sur les dal les de l’eglise .
C ’est l e s ignal , Madame ! s’
écrià le
d uc de Bourbon ; \ priez D ieu pour vous et
pour moi !
246 LE CONNÉTABLE DE nouaeorv.
'
Quelques instans après le bruit avai t
cessé,
Quand les prem iers feux du crépuscule
éclairèrent les vi traux de l’
eglise , la j eune
femme se trouvai t encore à genoux sur le
froid pavé de la chartreuse le front ap
puye contre l’angle d’ un tombeau de mar
bre sur lequel s’
éleva i t , magn ifiquement
sculptée,la statue de Mathieu Visconti , le
premier‘
duc de cette famille s i tristement
déchue . Les soldats impériaux avaient éva
cué le couvent , et, tandis que dans le loin
ta in on entendai t retenti r l ’arti llerie qui
engageai t la batai lle , les vénérables rel i
g ieu x , chantant les louanges du Dieu de
pa ix , parcouraient en procession et l ’ en
censoi r à la main les détours de leur sain t
monastère, pour le purifier du contact des
248 LE CONNÉ TABLE DE BOU RBON .
rencontrer dans un parei l l i eu et dans un
parei l instant avec son mari .
Elle se leva pour aller chercher'
eu dehors
le grand j our, car ses yeux , en plongeant
dan s les profondeurs de l’
eglise,croyaient
touj ours voir apparaître des fan tômes qu i
la glaçaient d ’
efï‘
roi . Elle al lai t a tteindre les
portes,lorsque
,longean t les arceaux de
la nef,elle distingua une ombre qui se
mouvait à ses cô tés . E lle s ’erreta l’
ombre
s’
arrê tacomme elle ; elle étendi t la mai n
une main sms1 t la sienne . Cette main étai t
glacée comme celle d’ un Spectre: L ’
appa
ri tion ramena doucement la j eune femme
vers le chœur de l’
église, qu’elle venai t de
qu i tter . Une fenêtre s’
ouvri t et lai ssa pé
nétrer un rayon du j our . Suzanne tomba
le front contre terre .
Son mari éta i t là devant elle , pâle comme
L ’ HEURE DE LA V ENGEANCE . 249
la m‘
ort , vêtu d’
habits de deui l . A ses lèvres
flé tries pendai t un sourire de dédain et de
p i tié .
Grace ! 0vrace ! Monsieur ! s’écria-t—elle .
Saint —Romain secoua la tête et répondi t
tristement
Je vous l’avai s préd it Madame, qu
’
un
j o’ur vous souhai teriez de mourir . I l y a un
an de cela au château de Moulins vous
étiez ainsi à mes genoux ; vous me deman
diez votre grace , des larmes dans les yeux ,
le désespoi r sur tous vos tra i ts : j e vous ao
cordai la vie ! Qu’
avez - vous fai t de cette an
née que j e vous ai donnée pour vous re
pen tir
Monsieur , répl iqua Suzanne , d’ une
voix plei ne de terreur,Mon sieur
,ne me
regardez pas a insi !
220 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Q’
avez - vous fai t de cette année,Ma
dame ? Où sont vos j eûnes où sont vos
veilles, vos stigmates , votre cil ice vos ge
noux que la prière devai t u ser Ce velours
et cette soie , cet or, ces rubans , ces che
veux parfumés, tout cela est encore 1a ur
t isane que le remords n’ a pas purifiée
H élas hélas répéta Suzanne,êtes
vous venu ici pour me tuer
—°
Qu’
avez- vous fai t depu is un an Ré
pondez . Vous avez profité des j ours que je
vous a i laissés,pour af fichermon déshon
neur en tou s l ieux .
D u temps encore , du temps pour me
repenti r ! Ah vous êtes bien cruel !
Saint —Romain jeta sur le carreau le l‘
eu
tre qu i vo ilai t à demi son visage .
222 LE 90NNETADLE DE BOURBON .
J
avez b ien le dro i t . Prenez donc ma Vi e ,
Monsieur ; vengez - vous mai s épargnez -moi
les apprêts de mon supplice . De grace !
que je . ne voie pas mon sang couler
Rassurez -vous,Madame
,i l m ’ a fall u
bien des combats pour obteni r qu’
on vous
laissât la vie
Q uel autre que vous peu t donc desi
rer que j e meure
— Une femme qu’
une secrète haine
anime contre votre père et contre vous .
Eh quoi ! mon père aussi ? fi t madame
de Saint —Romain , tordant ses bras vers le
ciel . Moh père , mon pauvre père ! Que lui
a- t- i l fa it,grand D ieu
— Je te le dira i quand je le verra i là,
étendu mort à mes pieds !
L’ HEURE DE L A VEN GEAN CE . 223
A ces horribles paroles Suzanne tourna
la tête et se trouva face 3 face avec une
femme dont les regards i rr ités lu i laissèren t
pressenti r à quelle vengeance implacable
elle étai t réservée . Cette femme , bi zarre
ment accoutrée,portai t une couronne d
’
or
sur ses cheveux gris quatre spadassi ns
i taliens la suivaient , de longues épées nues
à la main . Un chartreux marchai t devant
elle , avec un flambeau al lumé .
Orséolo ! et toi brave Galeotto , dit la
femme couronnée à deux de ses satel li tes,
qu i s’
inclinèren t respectueusement,vous
savez dan s quelle chambre du couvent vous
avez renfermé le capita ine Langenfeld .
Mon père est votre prisonni er s ecria
Suzanne . C ’ est fai l de lui ! Madame ! épar
gnez- lo
,prenez ma vie plutôt .
224 LE counErmw DE BOURBON .
La femme repoussa durement madame
de Saint—Romain,et elle continua
Amèn‘
e-moi le capitaine de ces lans
quenets damnés, entends-tu , Orseolo S ’ i l
rési ste, tu es armé ; va
Puis, attiran t à elle la pauvre Suzanne ,
à moi tié morte de frayeur
Tu vas savoi r maintenant pourquoi
j ’ai soif du sang de ton père et du tien .
Ecou te . Ne reconnais— tu pas la m isérable
femme à qui ta pi tié donna du pain
Vous !
C elle qui te conduisi t de Paris à
Moulins qui remi t ton billet d’
amour a u
connétable qu i te procu ra ce dernier eu
tretien si doux que ton mari vint troubler
si fatalement ? Eh bien ! auj ourd’
hui , la
226 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .
Ou i ,'
Madame , répondi t le coudot
L’un de ces deux pauvres anges n’é
tai t- i l pas déjà traversé de deux coups
d’
épée l’
autre blessé seulement d’ un coup
de lance, lorsque le capitaine arriva et pri t
cet enfant dans ses bras pour l ’aller preci
piter par une fenêtre ?
Oui Madame .
Voi là pourquoi ton père va mourir ;
voilà pourquoi tu serais morte toi -même
sans l ’ intercession de ton mari .
Que me réservez-vous donc ? balbu
tia la malheureuse Suzanne .
D ix années dans le cachot d ’
un con
vent ! sans feu et sans lumière ! du pain et
de l ’eau pou r nourri ture ! la terre pour l i t
L ’HEURE DE LA VENGEANCE . 227
pour vêtement un cilice ! un confesseur au
bout de ce temps ! et la l iberté quand tes
cheveux auront blanchi comme les miens !
Ah ! Monsieur,s ’eoria m adame de
Saint—Romain en tombant aux genoux de
son mari,tuez -moi plutô t avec mon père .
Je ne suis pas mai tre ici , Madame ,
répondit-il . Vous ne mourrez pas; que pou
vez-vou s demander de plus
Suzanne se releva rapidement, et, em
brass3n t les p ieds de marbre de la statue
de Mathieu Visconti
Je veux mourir ici,poursuivit- elle
,
tuez-moi sous le regard de ce héros dont
le sépu lcre fut le mystérieux berceau de
mon enfance . J’
en appelle à la pitié des1 5
*
228 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
morts , puisque ici les vivans ont l’
orei lle
fermée à la prière et au repentir !
Césara Vi sconti pâli t et s’arrête devant
la résignation de la j eune femme . Elle
passa les mains sur son front , comme pour
y chercher des souven irs é teints, puis , sai
sissan t le bras tremblant de Suzanne
Ce tombeau ,ce tombeau dit— elle
tu le connais donc Parle sans peur , ou
ne te fera po int de mal j e te l ’assa re .
Mon père , répl iqua Suzanne , m’a
di t que ce monument m ’
avait servi d ’
asi le
et de berceau pendant les guerres , i l y a
de cela seize ans .
Pendant les guerres i l y a seize
ans ! Le roi Louis X II régnai t alors en
France , n’est- i l pas vrai et ton père j e
230 LE CONNÉTABLE DE BOURB ON .
à son sort,agenouillée sur les marches du
tombeau . Saint — Romain les yeux fix és à
terre attendait patiemment l’
issue de cette
scène qu ’ i l ne cherchai t pas même à pré
voi r , car i l n’
y comparaissai t pas comme
j uge , mais seul ement comme témoin ! I l
voulai t le repenti r de sa femme et non sa
mort , et c’
était d’
après ses i nstances que
Césara Visconti s’étai t décidée à remettre
sa victime entre les mains du supérieur de
la Chartreuse .
Au milieu de ces préoccupat ions diver
ses , on vi t s’
ouvrir une des portes latérales
de l ’eglise , et une procession de moines s’
a
vança lentement et en silence j usqu’
au
maître- autel , portant de s cierges allumés
et des encensoirs‘ fumans. Après avoi r
baisé les marches de l’
autel,le plus vieux
L ’HEURE DE L A VENGEANCE . 234
de ces reli gieux s’
approcha de Césara
Nous sommes prêts , ma sœur , lu i
di t- i l , à exécuter vos ordres . Une cellule
retirée inaccessible au j our attend la pé
n i tente dans la partie la plus reculée du
monastère . Quand les temps seron t meil
leurs , j e la conduirai moi -même au cou
vent des Bénédictines de Pavie .
Pas encore , mon père , répondit la
femme couronnée . Mettez- vous en prière,
et veu ille le C iel éclairer notre j ugement !
Lorsque les moines se furent reti rés à
l ecart , Cesara V isconti prêta l’
oreille et
courut entr’ ouvrir la porte de l’église .
Silence , dit-elle , aperçois l e capi
taine de Langenfeld .
232 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Suzanne fi t un cr i de j oie .
Il vient à nous , continua Césara .
T imoteo ne les a cependant pas rejoints .
Galéotto lu i I ls Or
séolo veut i l porte la main
sur son Il est mort !
Ou entendi t un gémissement au dehors
et comme le bru i t d ’un corps qu i t ombe .
C ’est vous qui l’ avez tué,Madame !
s ecria Suzanne toute en pleurs .
En ce moment les deux condottieri en
traient dans l’egl ise,portant le corps du
capitaine de Langenfeld,qui fut déposé aux
p ieds de Césara . Suzanne se j eta sur son
père et tenta de le ranimer par ses baisers .
Ne l ira i -je rien dans ses trai ts mur .
234 LE counEu nu : DE BOURBON .
la duchesse peut-être que ce signe de ré
demption .
Au nom de notre sainte foi ! mon fils,
j e vous absous de vos fautes s i vous me
répondez .
Le c api taine se souleva et regarda le
crucifix .
Cette fille est-elle l a vôtre ? demanda
Cesara en montrant madame de Saint
Romain .
Le capi taine fit signe que non .
Ne l ’avez— vous pas enlevée dans ce
pays? poursu ivi t la duchesse ; où l’avez
vous trouvée
Le capitaine ouvri t ses yeux vaci llans
serra la main de Suzanne et montra du
doigt le tombeau .
L ’
H EURE DE LA VENGEAN CE . 235
Suzanne,tu es ma fille ! s
’
eor ia * la
duchesse ; c’ est moi qui t ’avais cachée dans
ce tombeau avec ton j eune frère . Dieu soi t
loué ! Mais quelle preuve ! Capi taine Lan
genfeld , i l me faut une preuve si tu veux
la sauver .
Le capitaine saisi t le bras de Suzanne et
fit voir une cicatrice triangulaire qu ’elle
portai t au poi gnet .
Voilà le coup de lance , di t Orseolo
donné par un des‘
nôtres à cet enfant que
le capi taine emporta . Réparation il ne
l ’avai t pas tuée .
Le capi taine poussa un dernier s oupir et
mourut .
Ma fille ! ma fille ! répéta la duchesse
en emportant Suzanne évanouie dans ses
236 LE CONNÉ '
I‘
AB LE DE BOURBON .
bras plus de fureur plus de vengeance!
plus de sang n i de larmes mais le sourire
éternel de ta mère qu i t’ aime maintenan t
de toute la haine qu’elle te portai t .
Saint-Romaiu ne fit aucun effort pour
reteni r la duchesse ; l’
ex pression de son
visage ne changea poin t . 11 demeura quel
que temps encore sans di re un mot . Voyant
que les deux condotti eri qui avaient tué le
capitaine se disposaient à sortir aussi de
l ’egl ise i l les appela à l ui .
! à ,vous autres , leur di t- i i , vous
n’
avez pas peur d ’une bataille rangée
Nous avons fai t vingt an s la guerre
Monsei gneur tant du côté du roi que du
côté de l ’Empereur , selon la solde et les
temps .
Voulez — vous monter à cheval et me
242 L E CO NNÉTABLE DE DOURDON .
maî tre de l ’artillerie de France , l’ un des
héros deMarignan,arrêta, pour unmoment ,
par le feu de ses pièces,l’
impétuosité des
ennemis , qui , divisés en deux bandes , es
sayaien t à la fois de j eter un secours de
troupes dans la ville de Pavie, peu distante
du camp , et de couper les communications
entre les divers corps d‘armée . François I er
et ses favori s , au l ieu de se reposer sur la
viei lle expérience du grand maître,poussé
rent leur gendarmerie sur les Impériaux,
qu’
ils croyaient déjà en pleine déroute , et,
par ce mouvement irréfléch i , préparèrent
à la France le plus effroyable revers qu ’ elle
eût essuyé depuis plusieurs siècles .
Le duc de Bourbon profitant habilement
des fautes de son rival enveloppa les bandes
noi res dans ses deux ai les commandées par
les colom lsFrundsbcrg et S i th , et lesécrasa
L’
H EURE DE LA VENGEANGE . 243
comme dansune tenaille, selon l’
ex pression
de Varillas .
Dès lors cette bataille de Pavie ne fut
plus qu’
une horrible et i nterminable bou
chen e . Les l ignesde l’
armee française une
fois rompues, les arquebusiers espagnols
venaient choisi r et tuer les plus célèbres
guerriers , jusqu’
au mi l ieu des rangs de la
gendarmerie , à la tête de laquelle le roi
combattai t avec le courage du désespoir,
vêtu d’
une cotte d’
armesçde toi le d’
argent,
la tête couverte d’un casque à grands pa
naches qui fiottaient j usqu e sur ses épaules;
i l devint lu i —même le but de toutes les at
taques . François'
combatti t corps à corps
danslamêlée , et il tua de sa main le marquis
de Saint-Ange,petit—fils du célèbre chefal
banais Scanderberg ; i l blessa à la j oue un1 6"
24 4 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
gentilhomme} franc- comtois,nommé d’
An
de10t, contre lequel i l se batti t avec un
acharnement inouï et comme en un combat
singu l ier . Autour de lui tombai t l’éli te de
la noblesse française . Le marquis de Pes
caire reçu t au visage un coup de lance qui
le jeta en bas de son cheval ce qui porta
un peu de confusion danâ‘
les rangs des
Impériaux . Le ro i en profita pour se re
trancher dans son quartier, où vinrent le
rejo indre les derniers débri s de sa gen
darmerie résolu'
s de mouri r à ses côtés .
Le maréchal de Chabannes et le maré
chal de Foix , le plus v ieux et le plus j eune
des maréchaux de France,se firent j our
à travers la mêlée , et se rangèrent des pre
m iers auprès du roi .
Le C iel est contre nous , messieurs !
246 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
encore , ne portons-nous pas la peine de
votre confiance en lui
N’est-il donc plus d ’
espoir, messieurs
interrompi t le roi .
Vous le voyez,Sire
,di t le maréchal
de Chabannes,essuyan t le san g qui cou
vrait sa barbe blanche , , vous le voyez ,
monsieur de Bourbon vien t de mettre en
pièces votre gendarmerie,notre dernier
rempart . Mais Votre Majesté est
— J ’aura1 touj ours assez de force pour
mouri r ! Monsieur le maréchal de Cha
bannes , dites au bâtard de Sav01e de se
porter en avant .
Sire ! i l est mort ! répondit Chabannes
d’ une voix grave et désespérée .
Mort ! mort , di tes- vous ! répéta le roi?
que monsieur de Lafi emou i lle le remplace !
L ’HEURE DE LA VENGEAN CE . 24 7
Sire,i l est mort ! la tête et le cœur
traversés de deux balles,répondit à son tou r
le maréchal de Foix .
Monsieur le duc de Suffol!
Sire,i l est mort ! repri t le vieux Cha
bannes ; mort avec le comte de Vaude
mont et le j eune C lermont d ’
Amboise !
Monsieur de Saint-Sévérin ,mon
grand—écuyer
Sire,i l est mort !
Louis d’
Ars Les comtes de Tournon
et de Tonnerre ? Messieurs de Lorraine et
de Nevers
Morts , Sire ! tous morts !
O li ! j our de deuil pour la noblesse de
France Les princes de mon sang ? Françoi s
de Bourbon,comte de Saint-Pol"
248 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Blessé à mort !
H ector de Bourbon
Mort !
Le roi de Navarre?
Prisonnier des Espagnols , avec Mont
morency Brion , et les meilleurs de votre
maison
Bonn ivet seul est vivant ! repri t le
maréchal de Foix .
Ne l"accablez pas , di t le ro i . En ce
moment peut-être son courage vous donne
un dément1 .
Ah ! Sire , s’
écria le maréchal de Cha
bannes , pourquoi ne vous êtes-vous pas fié
à vos vieux servi teurs !
Dieu me puni t,messieurs , et Bour
250 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
lai t à grand cris Bonn ivet pour le percer du
bras qui l u i restai t encore .
Le malheureux favori auteur de ce dé
sastre , fi t preuve au moins d’ un courage
qui rachète peut-être une partie de ses
fautes . Coupé du gros de l ’armée royale
par les lansquenets de Bourbon i l se
trouva i so lé dans la plaine , et levant la
visière de son casque , au l ieu de fuir comme
le duc d ’
Alençon , i l rentra dans la mêlée
pour ne po i nt survivre à son honneur . Le
duo de Bourbon espérai t vainement l’at
teindre et le prendre vivant . Il trouva le
cadavre du favori gisant sur le bord d ’un
fossé . Un autre cadavre tou t sanglant était
couché auprès de l ui et deux épées bri sées
les séparaient . Le connétable voulut savo ir
quel était celu i qu i lu i avai t ravi sa victime
L’
EEUEE DE LA VENGE AN CE . 254
Pompèrent leva la visière du casque , e t i l
reconnut Saint Romain . Le malheureux
j eune homme avai t-i l voulu punir l ’auteur
du désastre de Pavie , ou ser‘
vir unedernière
fois son maître ? C ’
est ce qu’
on ne put
savo1 r . Saint -Romain pourtant donnai t
encore quelques signes de vie Pompérant
le fit porter à la vi lle , avec les blessésas
pagnols .
En ce moment des cris de victoire se fi
rent entendre dans le quartier du roi ; le
duo de Bourbon y courut . Franço i s ]
blessé au bras et à la main droite,rendu
presque méconnaissable par le sang qui sor
tai t à flots d’une autre blessure qui l ’avai t
atteint au dessus du sourci l tout meurtri
par le poids de son cheval , qui venai t de se
renverser sur lu i se défendai t désespéré
252 LE CONNÉ'I‘ABLE DE BOURBON.
men t contre la foule qu i le pressai t . Deux
gentilshommes espagnols,qui ne le recon
naissaient pas sans doute, Diégo d’
Av ila et
Juan d ’
Urbiéto l u i mirent sur la gorge la
pcmle de leurs épées . Pompérant se jeta
au mil ieu d’ eux et détourna les coups en
suppl iant le roi de se rendre au duc de
Bourbon . refusa ; mais , pour
arrêter le massacre de sa noblesse i l fit
mander le vice- roi de Naples . Le comte de
Lannoy s’
approcha respectueusemeni du
roi et lu i donna la main pour se relever ,
pu is i l se découvri t et mit un genou en
terre pour recevoir l’épée de son pri son
nier .
Je vous la rends di t François I
trempée du sang de bien des vôtres
Si re répondit le com te de Lannoy ,
Tour Madrid est aux balcons . Le roi
Charles revient de Tolède , et sa nombreuse
cour avec lui . Le cortège est superbe à
voi r . Les cloches sonnent et le canon reten
t i t. Jamais plus brillante cavalcade n ’a
mené pareil brui t sur le pavé de la capi tale
7
260 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
des Espagnes . Les hommes d’
armes des
viei lles ordonnances de Bourgogne mar
chent en tête et font ranger les curieux .
Vingt—quatre pages vêtus de velours aux
couleurs du souverain , qui son t j aune ,
gri s et violet,precedent sa personne im
périale et font caracoler avec tou te la grace
possible leurs palefrois à lagenette et à la
bâtarde . Le grand écuyer ma rche devant
l’
Empereur, armé de toutes pièces d’ armes
blanches“
, et tien t dans sa main droi te l’es
toc de Sa Majesté . Charles monte un magni
fique genet d’
Espagne ,bai obscur ; i l est
armé d ’une riche armure dorée que recou
vre une saye de drap d ’or ; sur sa tê te , se
lon sa coutume,l’
Empereur porte un bon
net de velours no i r , sans panaches n i gar
nitures.
A im i te s’avance le vice -roi de Naples ,
262 LE C ONNÉTABLE DE BOURBON .
d’
Albe don Mércurino Arborio de Gett i
nara , grand chancel ier d’
Espagne , le mar
quis de Villena,le comte de Buren et une
foule de gentilshommes moins célèbres,qu i
à défaut d ’
au tresméri tes,s’
enorguei llissen t
des vertus de leurs aïeux .
La foule se rue aux abords du palais
pour voi r descendre de cheval toute cette
noble compagnie . Dès que l’Empereur à
mis pied à terre,un soldat se j ette à ge
noux sur son passage, et lu i tend un paquet
de lettres qu ’ i l accompagne de cesmots
De la part de monsieur le duc de
Bourbon et de monsieu r le marqu isî le
Pescaire,l ieutenans-généraux de l’armée
d’
Italie ! Le grand— écuyer prend les lettres
et les remet à l ’Empereur , qui ordonne à
TRAH I SON pour. TRAHI S ON . 263
un officier de sa suite de faire condu1re au
palai s le porteur de ces m 1sswes:
Le soldat chargé des dépêches duduc de
Bourbon fut aussitôt introdui t d ans la
grande galerie du palais impérial , où toute
la noblesse du royaume , en somptueux ha
bits de galas,attendait le passage de l ’Em
percur,qui devai t se rendre au Conseil .
C’
était à qui s’élo ignerait au plus vi te de
cet homme couvert de sueur et de pous
sière dont le misérable accoutrement con
trastai t ii ’une façon si si ngulière avec les
manteaux de velours et les fines broderies
de perles et d’or qu’
étalait cette foule
magn ifique . Le soldat , peu sou01eux de l’ a
bandon où on le laissait à dessein pri t le
parti de s’
asseoir sans plus de façons sur un
beau fauteui l de velours violet frangé d’or ,
264 LE CONNÉ TABLE DE BOURBON .
qui se trouvai t à sa portée . La fatigue de
la route qu’ i l venai t de parcouri r car i l
arrivai t de Valence à franc étrier — le pré
disposai t assez au sommei l pour qu ’ i l eût
besoin de tous ses efforts afin de ne pas
manquer à l ’étiquette en se laissant aller au
sommeil . L ’
éternelle procession des cour
tisans qu i passaient et repassaient devant
ses yeux , en attendant la venue de l’
Empe
reur ,eu t le privi lège de le distra ire quel
ques instans mais, à la fin , i l n’
y tint plus ,
et, serrant son feutre entre ses genoux , i l
appuya sa tête contre le dossier bien rem
bourré de son fauteu il , et i l s’
endormi t
profondément .
La galerie é tai t vide , quand î 11 s e
veilla et encore fallut- il pour opérer
ce prodige qu’
un bras vigoureux , attaché
aux aiguillettes de son pourpoint , le se
266 LE CON NÉTABLE DE BOURBON .
l l essaya de la réparer,mais son inter
locuteur ne lui en laissa pas le temps
Foi d ’homme d ’
honneur ! D i ego,lu i
répondit- il,j e vais te contenter sur l
’
heure .
Ou m’
appelle Charles,et j e su is soldat
comme toi avec cette différence pourtant
qu’on aj oute ordinairement à mon nom
les ti tres d ’
Empereur d’
Allemagne et de
roi d’
Espagne et des Indes .
Je connais cet homme di t le comte
de Lannoy ; i l appartient aux bandes de
monsieur le marqui s de Pescaire . I l com
battai t avec nous à la j ournée de Pavie .
Fort bien,répl iqua l ’Empereur. C ’est
donc toi qu i nous apportes cette missive du
marquis et cette au tre lettre du du c“
de
Bourbonnais et d ’
Auvergne
,TRAH ISON POUR TRAH I SON .
O ll i ,lSÎPGO
Et où as— tu laissé le duc"I l m ’ap
prend dans ce billet qu’ i l vient de débar
quer en Espagne , et qu’ i l fait toute dil i
gence pour arriver dans notre capi tale .
Qu ’ i l y soi t le bien— venu .
Puis se tournant vers les personnages
qui l’accompagnaien t Je dois beaucoup
à monsieur de Bourbon , messieurs . Qu’ i l
soi t accueill i selon son rang et ses méri tes .
Monsieur de Vi llena vous prêterez, s
’
i l
vous plaî t pour l ’amour de moi , l’un de
vos palais à monsieur le duc de Bourbon,
pendant son séj our à Madrid .
Ou i , Sire , répondit le marquis en
s’
incl inan t ; mais , quand ce traître en sera
sorti vous me permettrez d’
y mettre le
feu .
268 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Charles ne releva pas lemot du marquis ,
qu’ i l feigni t de n ’
avoir pas entendu , car il
ne voulai t n i approuver n i punir . S’
adres
sant à monsieur de Buren l’
un de ses
chambellans
Hé bien lui di t— i l vous avez lu la
lettre du marqu is de Pescaire ? dites— nous
ce quelle contient .
Sire , répondi t monsieur de Buren
j e ne sais si j e dois obéi r à votre ordre ; les
termes de cette lettre sont d ’une telle in
CODV6D3DCÔ .
Le marquis se plaint - il donc de
Non Si re ; c’ est de son collègue
monsieur le v ice—ro i de Naples,que parle
la lettre du marquis .
270 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
S ire ,s ecria l e comte de Lannoy
pâle de colère et d ’
humiliation me laisse
rez v'
ous ainsi i nsulter en votre présence ?
Vous mépriserez de telles calomnies ,
monsieur, di t C l1arles—Quint , et vous j us
tifierez par de nouveaux services le cho ix
que j ’ai fai t de vous .
L’
Empereur congédia le messager du
duc de Bourbon avec une royale récom
pense,et i l l u i ordonna de répondre à son
général que les portes du palai s lui étaient
ouvertes ; pui s i l continua son chemin vers
la salle du Conseil,où le su iviren t les per
sonnages qui l ’accompagnaien t . Comme
i l en allai t franchir le seu il une - j eune et
belle femme portant une couronne royale
su r la tête,s’
avança de son cô té et vin t l u i
baiser humblement la main .
TRAH I SON POUR TRAH I SON . 27 4
Sire,lu i di t-elle en levant sur lu i
des yeu x i nquiets,veu i llez excuser ma
démarche . I l faut que j e vous p arle ; i l le
faut absolument .
L ’heure est mal'
choisie très-chère
doña Léonora ,répondit Charles , vous le
voyez , j e me rends au Conseil . Laissez-nio i
débattre les affaires de mon royaume , et
j e vous entendrai ensuite .
Vous m ’
entendrez auparavant , mon
frèr e , repri t l a veuve du ro i de Portugal .
Puis, crai gnant d’
avoir ofi”ensé l
’
ex trême
susceptibi li té de l’
Empereur elle aj outa
plu s timidement
Votre Maj esté ne voudrai t pas faire
le malheur de ma v ie en me contrai
272 LE CONNÉTABLE DE BOU RBON .
gnant d’
épouser un homme que
pu is aimer .
Le visage de Charles-Quint s’
allume
d ’un éclair de jo ie ; qui ne pu t échapper
aux regards de sa sœur. El le prévi t que
sa sol l ici tude devai t servir les proj ets de
son frère, pu isqu
’
i l l’
accuei11ai t avec une
faveur aussi marquée . Enhardie par‘
ce
premier succès,elle tomba aux genoux
du fier souverain , qu i la releva a ussi tôt
dans ses bras :
Mon frère , poursu ivi t-elle, vous sa
vez si j e fus toujours fidèle et dévouée à
vos moindres ordres . Quand vous avez
daigné di sposer de ma main en faveur de
monsœur le duc de Bourbon j ’ai pensé qu ’a
près les droits de la poli tique,vous ne re
fuseriez pas de consulter aussi les d ispo
274 L E CONNÉTABLE DE BOURBON.
obstacle inat tendu s’
oppose à ce que_ 1e
suive à cet égard la condu i te que j e m’
e
tais proposé de tenir vous serez j uges
entr e monsieur de Bourbon et moi .
Charles—Quin t déposa un baiser sur le
fron t de sa sœur ; pu is i l passa dans la
sal le où ses m in istres l’attendaient .
L’
affaire sur laquelle l’
Empereur appe
la i t les délibérations de ses consei llers
étai t de nature à le préoccuper vivemen t ;
et i l les consul tai t plutô t pour obten ir leur
approbation que pour leur demander des
avis . Il s’ag issait du trai té qui devai t ren
dre la liberté au roi ile France . Fran
cois depuis dix mois languissa it d ans
l’
Alcazar de Madrid . I l avai t refusé j us
qu’
alors de consenti r au démembrement
de son royaume par la cession de la Bour
TRAH I SON POUR TRAHI SON . 275
gogne,et i l n ’
avait pas rej eté avec moins
d’
horreur la proposi tion de rétabli r le con
nétable de Bourbon dans ses titres et dans
ses biens . Charles-Quin t , espérant tou t du
temps,avai t compté lasser la patience de
son prisonn ier,mais i l venai t d ’
apprendre
que le roi était tombé dangereusement ma
lade , et i l craignai t de perdre tous ses
avantages s’
i l le laissai t mourir . C ’est pour
quoi i l avai t résolu de lui accorder quel
ques concessions et de le visiterp our la
première fois dans sa prisôn pour discuter
avec l ui les bases du traité à conclure,
dont un des articles stipulai t que la main
de doùa Leonora serai t reti rée au duc de
Bourbon , pour être donnée au roi de France .
Le chancel ier Gattinara s’
éleva violem
ment contre l’
obl igation que l’ on voulait1 8"
276 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
imposer à François I‘” de céder la Bour
gogne par un traité .
Une fois l ibre , «l it le chancelier , le
ro i n ’
ex écu tera pas cette clause impossible ;
emparez—vous de cette province,Sire , et
vous trai terez ensuite avec le roi .
I l serai t plus grand et plus digne de
vous Sire , répliqua le comte de Lannoy
de le renvoyer chez lu i sans rançon . Quan t
à ce qui regarde la réintégration du duc
de Bourbon dans ses titres et dans ses
biens et l’érection de ses états en royaume ,
Sans aucune mouvance de la couronne , le
roi de France aimera mieux mouri r dans
les fers que de vous l’accorder.
M onsieur de Lannoy,i nterrompi t
l’
Empereur , j’ ai engagé ma pa role à mon
278 DE CONNÉTABLE DE novunou .
Le roi de France , Si re ,di t le chan
eelier , demande la main de la reine de
Portugal votre auguste sœur et i l promet
de faire un j our épouser au dauphin,
l’
infan te ,fille de doña Leonora .
La délibération se trouvai t ainsi tout
naturellement portée sur le po i nt qu i im
portai t le plus à la pol i tique de Charles
Quint ; toutefois i l ne se hâta pas d’
èriger
son manque de foi en vertu d ’
É tat ; i l se
contenta d ’
énumérer avec soin tous les
avantages qui devaient résulter pour l ’Espa
gne de cette all iance à laquel le, à l’
entendre,
i l n ’
avai t pas songé j usque là. Après avoi r
faiblement plaidé la cause du connétable
et témoigné ses regrets de l ’aveu presque
public qu i venai t d ’
échapper à sa sœur ,
i l se rendit à grand’
pcine à l ’avi s qu ’ i l
avai t lu i -même ouvert .
TE .\11 150N roun TEAE 1$0N. 279
Que dira,cette fois , monsieur de
Bourbon"insinua l ’évêque d’
Osma,
‘
qui ne
voulai t pas paraître dupe de la ruse de
l’
Empereur.
La raison d’
Etat , monsieur l evêque ,
répondit Charles , et le bonheur de ma
sœur bien-aimée , sont plus puissans que
moi . M ais , foi d’homme d ’
honneur! nous
indemniserons monsieur duc .
Ou i, Sire , li t 1 evêque en se penchant
à l ’oreille de Charles—Qu int vous l’ i ndem «
n iserez comme pour la Provence et le Dau
phine,que le roi de France gardera .
Dieu seul est maître de l’aveni r,ré
pl iqua l’
Empereur.
Puis , soll ici tant du regard l’
assentimen t
de son Conseil i l poursu i vi t
280 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
A i nsi donc, messieurs , nous disou
terons le trai té de M adrid sur ces
bases .
Je maintiens mon Opinion inter
rompit le chancel ier Gattinara ; ce traité
est désastreux pour l’Espagne . Le roi de
France ne rempl i ra pas et ne peut rempli r
ses promesses .
Vous le scellerez pourtant , monsieur
le grand chancelier , dit Charles-Quint,
c’ est le devoi r de votre charge .
Je ne le scellerai pas s ecria l e chan
celier , car ce traité est contrai re aux vrai s
intérêts de mon souverain .
Hé bien repri t l’Empereur en sou
riant , j e le scellerai moi-même . La séance
de notre Consei l est levée,messieurs .
282 LE CONNÉTABLE DE nounnos.
Qu’ elle demeure donc à notre cour ,
di t- i l nous tâcherons de lui en rendre le
séjour agréable . Puis , remettant l’
ordre au
comte de Lannoy Monsieur le vice -roi
de Naples , j e vous charge de l’
ex écu tion
de cette mesure .
Un chambellan vint annoncer en ce mo
ment l’arrivée du connétable à Madrid . Il
venai t de'
se présenter aux portes du pala is
et i l demandai t à voir l ’Empereur. Cette
nouvelle parut quelque peu déconcerter
Charles— Quint . I l sentai t,malgré lui
,à
quels j ustes reproches i l s’étai t exposé .
Monsieur de Buren demanda quelle ré
pou se on devait porter au duc .
Qu 1l attende ! répondit Charles après
une minute d’
hésitation . É l i l retint eu
TRAH I SON POUR TRA…SON . 283
près de lui l evêque d’
Osma . Quând'
i ls
furent demeurés seuls
Monsieur l evêque ,lu i di t l’Empe
reur , j’ai besoin de vos services .
Je suis aux ordres de Votre Ma
l l faut que vous me trouviez aujour
d’
hu i même un gentilhomme de bonne
maison honnête et pieux , qui consente à
entreprendre un pèlerinage à Rome,à
pied le bourdon et le rosaire à la main
pour le salut d’ une personne qu’
une impé
r ieuse nécessi té va forcer de manquer à un
serment .
S’agit— i l du serment fai t à mon
sieur de Bourbon par Votre Majeste Impé
riale ? demanda l’évêque en Souriant .
284 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
'
Vous me questionnez,j e crois ?
partit l ’empereur d’ un ton presque
ché .
Ne suis-je pas le confesseur de Votre
Majesté ?
Nou s ne sommes pas ic1 monsieur l e
vêque au tribunal de la péni tence .
L eveque d ’
Osma prit un vi sage plus sé
vère .
Je connais un gentihomme francais
poursuivi t-il , laissé parmi les morts à la
batai lle de Pawe et qu’
un de vos o fficiers a
ramené à Madrid , espérant en t i rer quelu
que rançon
Et ce
Est un modèle de p ieté .
286 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Monsieur le duc de Bourbon fai t pré
veni r Votre Maj esté qu ’ i l attend toujours0
son bon plai sir .
Qu ’ i l attende ! rép0ndit Charles .
Votre Majesté,hasarda l evêque
d’
0sma , prêterai t— elle l’
orei lle aux recla
mations de dona Visconti,de cette pré
tendue héri tière ile la couronne de
Milan"
Ne dépend— i l pas de moi , répondi t
l’
Empereur ,
‘
de rendre certains de ses
droi ts douteux
Sans doute , Sire ,l’
investi ture du
duché de Milan à condit ion d’
épouser la
fille de doña Visconti,serai t un motif
plausible pour dégager vo tre parole envers
monsieur de Bourbon .
TEAE 1S0N revu TRAH I S ON. 287
Charles— Quint lança un regard de colère
à l’ imprudent questionneur ; puis , s‘
adon
cissant tout à coup
Vous êtes de bon conseil , monsieur
eveque d’
0sma lui di t- ii ; mais à l’aven i r ,
si vous m ’ en croyez,vous oubli erez que
j e fus votre élève, e t vous me dispenserez de
rappeler à mon ancien maître qu’ i l ne l’est
plus auj ourd’hui . Occupez-vous , j e vous
prie , de me trouver l’homme que j e vous
ai demandé .
Sire,répondi t 1 eveque , tout décon
certé de la réprimande , j e vous le présen
terai à l’
Alcazar, ainsi que vous me l’avez
ordonné .
Quant à vous,de Buren , pour
suivi t l’
Empereur, vous recevrez ici mon
sieur de Bourbon , et vous lui ferez compa
288 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
gnie j usqu’
au moment où j e pourrai le
recevoir .
L’
Empereur entra dans son cabinet ,
su ivi de son chambellan . Monsieur de Bu
ren fit ouvrirà deux battans'
la porte de la
salle du Conseil et le duc de Bourbon fut
introduit .
Verrm - je enfin l’
Empereur mon
sieur"di t le connétable en cherchant à
contenir un mouvement de mauvaise hu
meur .
Sa maj esté , monsieur le duc , ré
pondi t monsieur de Buren,vous prie d’at
tendre ici ses ordres .
Attendre ! touj ours a ttendre ! répète
le due en froissant‘
ses gants entre ses
do igts , ai -je donc passé les mers pour ve
290 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
sière et le sang qui couvraient . son ar
mure !
Nous ne sommes plus en France
monsieur le duc , balbutia le Conseiller de
Charles-Quint .
Je m ’en aperçois , monsieur ! Cet te
foule de peti ts hobereaux que j ’ai traversée
pour arriver j usqu’
ici daignai t à peine se
ranger sur mon passage . Sainte—Barbe ! j e
ne su i s pas fai t à ces façons d’
agir ! i l faut
que j e parle à l’
Empereur ! Je viens le som
mer de me ten 1r sa p arole . Je viens lui ré
clamer la main de sa sœur et mon royaume
de Provence Et de Dauphine. Je sui s entré
dans ce palai s en soll ici teur j e n’en sor
t irai qu’ en souverain .
Tous les serviteurs de Sa Majesté
monsieur le duc , ne sont également que
TR1msou nous rmmsou . 294
poussière et néant devant les ordres abso
lu s de leur gracieux souverain .
Et serai-je donc rédui t, s ecria le
duc , à regretter ce que j’ai quitté ? Après
avoir clos d’un revers de mon épée la
bouche qui m ’
insultai t me faudra- t- il
baiser la main qui m ’
avi lit‘! Non ! par le
C iel ! le vaisseau qui m ’ a conduit en É s
pagne e st encore à l ’ancre, et j’ai laissé mon
armée d’
I tal ie la lance au po ing dans les
plaines du Milanais .
Un ch ambellan sorti t du cabinet de
Charles—Quint
De la part de l’Empereur, dit- i l en
s’
éloignant après avoir remis un paquet de
lettres à monsieur de Buren .
Encore une fois , monsieur , poursu i1 9
“
292 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
v i t le duc de Bourbon , j e veux savo i r mon
sort .
Sa Maj esté,répondit mon sieur de
Buren , dès qu’ i l eut j eté les yeux sur les
missives impériales , Sa Maj esté ne recevra
plus personne aujourd’hui .
Le conn étable fi t un mouvemen t d 1m
patience .
Peut- être,conti nua le comte , y a— t-il
dans ces papiers quelque ordre qui vous
concerne .
Voyons ! di t le connétable en par
courant du regard les suscriptions des
lettres que monsieur de Buren faisai t passer
sous ses yeux .
«,Orslonnancc i 111périale qui confère lo
294 LE coq m su c DE BOURBON .
et beau - frère . Auj ourd ’hui AMonsœur
le duc de Bourbon !
Que ferez- vous, monsieur le duc
J 1rai apprendre de la bouche de
Charles-Qui n t dans la prison de Fran
cois que celui -là est bien fou qui se fi e
à la parole des rois .
298 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
mestre-de- camp de l ’ infanterie espagnole,
chargé de‘
la garde du ro i capti f, est venu
lu i-même leur ouvrir les porte s de ce cha
teau-fort,où nul ne pénètre sans un ordre
ex près de l ’Empereur. Ces deux femmes,
dont la li t ière armoriée et le riche costume
de deuil annoncent le rang et l ’ importance ,
sont i ntroduites dans une haute salle où
pendent pêle-mê1e , attachés aux pil iers de
pierre sculptés, les drapeaux castillans {et
les trophée s sarrazins .
Quand les deux femmes se t rouvèrent
seules , elles s’
assirent, et l’une d
’
elles di t à
l’ autre
I l va bientôt ven ir, ma fille . Songez
d’
ehei r aux ordres de l’
Empereur ; songez
que vous n ’
etes plus Suzanne de Langen
TRAH I SON roun TRAHI SON . 299
feld , mais Catherine Visconti , hérit1ere
de la couronne de Milan .
Ah ! Madame , j e tremble, murmura
la plus j eune des deux femmes .
Songez , poursu ivi t sa compagne , que
la mort de monsieur de Saint-Romain vous
a rendue libre , et que le duché de vos pères
n’ est accordé à monsieur de Bourbon qu
’
à
la condit ion qu ’ i l le t iendra de vous .
S i le C iel le voulai t ainsi , madame ,
tous mes maux seraient oubliés !
La vieille dame se leva brusquement du
fauteui l où elle étai t assise .
Le verrais- je donc refuser mon al
l iance ! s’
écria-t -elle , cet aventurier qui n’a
d’
esi le que sa tente, de patrie que son camp,
de famille que les bandes de brigands qu ’ i l
300 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .
appelle ses soldats Ah ! c’est lu i faire bien
de l’
honneur, j e cro i s, que dé couvrir du
manteau de mon nom le mépris que sa
trah ison insp i re !
Madame ! madame, po in t d’
impréca
t ions le Ciel v ous a tr0p exaucée
Se peut- il que vous l’aimiez encore,
continua la plus âgée des deux femmes u n
homme a qu 1 vous devez tous vos maux !
un homme dont le cœur n’ a jamais battu
qu ’au bruit des épées et des tambours ; un
homme,madame , qu i ne vous a j amais
aimée !
La j eune femme se cacha la visage dans
un pl i de sa mantille .
Oh ! he di tes pas cela ou vous n’
etes
pas ma mère . Dû t- i l me repousser encore ,
302 DE CONNÉTABLE DE BOURBON .
pi tié , ne sais… pas que l’ame d’ un ambi
tieux est une grève aride que nul sole il ne
peut i‘
édonder?
Par p i t ié , madame , ne me détrom
pez pas .
Et s’ i l refuse d’obem à l’Empereur?
Ah ! ma mère ! répondi t Suzanne en
se j etant dans les bras de sa compagne , ma
mère ! j e serai bien malheureuse
La viei lle dame booba tristement la tête ,
pui s baisant au front la pauvre Suzanne
Rassurez - vous , l ui dit-elle ; i l ignore”
ce qui l’attend ici , car i l n’
én
uons sai t pas à
Madrid . I l ne sait pas que ma vengeance
est un l ion qui sommeille ; D ieu le garde
de la révei ller ! *Songez , ma fille, au ser
ment que vous avez fai t en recevant la
TRAH I SON 9011 11 TRAHI SON . 303
sainte hostie des mains du prêtre. Quelque
séduction qu’ i l emplo ie , quelque menace
quelque prière qu’ i l vous fasse soyez
ferme .
Écoutez ! fi t Suzanne en courant
vers la porte qu’ elle entr’ouvri t et qu ’ elle
referma presque aussi tôt quelqu’
un s’
ap
proche : c ’est lu i . Ah ! j e sens tou t mon
courage défai ll i r . Je voudrais à présent que
ce projet ne se réalisât pas j e voudrais
que l’Empereur renonçât .
— Silence interrompit Cesara V i sconti ,
qu i posa sa main sur la bouche'
de Suzanne,
monsieur de Bourbon ne doit connaître ta
présence à Madrid qu ’au moment où l’Em
pereur nous appel lera devant lui .
Les pas que l’on entendai t dans la gale
304 LE CONNÉ'
I‘
ABLE DE BOURBON .
rie étaien t en effet ceux du duc de Bour
bon qu i venai t chercher à l’Alcazar l ’entre
vue que lu i avait assignée l’Empereur. l l en
ignorai t le motif mais quelque défiance
qu ’ i l pût nou rrir dans son espri t contre la
bonne foi de Charles—Quint , i l n’ allai t pas
pourtant jusqu’
à supposer que l’Empereur
pût se jouer de lu i à ce po in t de mettre en
oubl i d’ un seul coup toutes les promesses
qu’ i l lu i avai t s i solennellement faites . Il
lu i semblai t impossible,non pas seulement
qu’
on oubliâ t ses services passés , mais
qu ’on se privât vo lontairement des bons
offices qu’ i l étai t capable de rendre pou r
l ’aveni r , et que l’on s
’
ex posât à une ven
geance aussi terrible que celle dont le
champ de batail le de Pavie avait été le
théâtre . Il estimai t Charles-Qu i n t trop bon
appréciateur des choses et des hommes ,
306 L E CONNÉTAB LE DE BOURBON .
la suite de François 1” venai t, disai t- i l
,de
laisser tomber par mégarde de son pour
po int , et qu’
un aut re soldat avait ramassé
sans pouvoir le li re .
Le duo pri t la lettre que lu i présentai t
le soldat elle étai t à l ’adresse du roi,et la
suscrip tion , de la main de madame Mar
gueri te de Valois,duchesse d ’
Alençon . Le
duc l ’ouvri t avec précipi tat ion et sa lectu re
parut le plonger dans un profond étonne
ment .
Diégo , di t - il au soldat, nul au tre que
to i n ’ a vu ce papier , n’es t i l pas vrai
Non , monsieur le duc , si ce n’est Lo
pez,qui l ’ a ramassé et qui me l
’
a donné
pour vous le remettre , car n i Lopez n i moi
nous n’avons étudié pour être clercs : par
conséquen t nou s ne savons pas li re .
TRAH I SON 9011 11'
l‘
RAH ISON . 307
C ’est bien , dit le connétable en chif
fonnan t le bi llet qu’ i l serra dans son gant ;
c’ est bien . Cc papier n ’a aucune impor
tance ; toutefois ne dis à personne que tu l’ as
trouvé . Viens,condui s- moi chez le gouver
n eu r de l ’Alcazar, j’ ai besoin de lui parler
sur l ’heure .
Le connétable paraissai t très agi té .
Arrivé au logis du capitaine Alarson qui
avai t servi sous ses ordres en Milanais,i l
demanda à voir le roi de France,ce qu ’ i l
n’
obtin t qu’
à grand’
peine ,car le gouver
neur étai t responsable sur sa tête du pri
sonn ier qui déj à une fois avait tenté
d’
échapper à sa surveil lance .
château où François I attendait depui s
2 0"
308 LE CONNÉTABLE DE BOURBON.
dix mo1s la ñu de sa cruelle captivi té.
Quelques salles basses,obscures et hu
mides quelques escabeaux vermoulus,des
lambeaux de tapisserie où les hauts fai ts
des armes espagnoles étaient représentés
avec autant d ’
ex agération que de mauvai s
goû t, voilà ce qui , pour Franço i s rem
plaça it les somptuosités royales des Tour
nelles . Le C iel lu i—même n’
apparaissai t
dans cette triste résidence que rayé par
les barreaux de fer dont toutes les fenêtres
éta ient garnies . Des portes verrouillées au
lieu de lambri s d ’or , des geoliers au l ieu
de chambellans,la méfiance vei llant de
bout et l ’œil ouvert , à la place de la
flatterie aveugle prosternée devant la
puissance du souverain ! La cour du roi de
t ion de sa fortune . On n’
y comptai t guère
340 DE CONN ÉTABLE DE BOURBON.
avai t commandé l’
avant— garde dans la
càmpagne de 4523 , et plusieurs cap i ta ines
et genti lshommes d ’un mérite éprouvé .
Quand le duc de Bourbon entra dans la
chambre du roi un mouvement d ’ i ndi
gnation sefit entendre parm i les pr1sonniers .
Le roi se leva du fauteuil où i l étai t assis .
Le duc traversa lentement et avec digni té
le peti t groupe qui semblai t vouloir
s’
opposer à son passage , et i l vint baiser
respectueusement la main de Franço is I
qui le lai ssa faire et voulut rester seul
avec lu i . Le ro i reçu t le'
connétable comme
un prince de son sang , et comme s’ il eût
oublié qu’ i l l u i devai t tous ses malheurs .
Le duc, de son côté , plaigni t le malheureux
destin du roi,et s’empresse de lui faire
espérer que bientôt son temps d’
épreuve
TRAH I S ON rouu TRAH I S ON . 344
al lait fin ir. B ien plus , i l l u i offri t de s’em
ployer auprès de l ’Empereur, pour presser
le résultat défin i tif des conférences en
tamées par le présiden t de Selves et
l’
archevêque d’
Embrun . Cette modération
de langage entre deux hommes qui con
servaient de si terribles griefs l ’un envers
l ’autre , prouvai t qu’
i ls avaient compri s
tou s deux l ’énorm i té de leurs torts qu ’en
ce moment ils eussent voul u pouvoi r ra
cheter au prix de leur sang . Mais il étai t
trop tard pour retourner en'
arrière cha
cun des deux héros devai t épu iser j usqu’
au
bout les chances de la fortune .
Le connétable aborda enfin le véritable
motif de sa visite .
Sire di t- il vous n’
ignorez pas que
l’
Empereur, en trai tant de votre mise en
3 42 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
liberté , n’a pas de plus cher dési r que
trouver un prétexte pour vous retenir
sa puissance .
Je le sais , répondi t François I qui
lai ssa retomber sur sa po i tri ne sa tête ma
lade e t pesante .
Prenez donc garde fSire poursu ivi t
le duc,de lui fourni r vou s-même ce pré
texte en confian t à de jeunes écervelés de
dangereux proj ets qui ne doivent être
connus que de D ieu et de vous .
François I er demeura interdit de cette
confidence. I l balbutia quelques mots pour
chercher à donner le change au conné
table mais celui - ci lu i glissant la lettre qu’ i l
avai t reçue du soldat D iégo
Si ce bi llet,dit- i l , fût tombé dans les
344 LE CONNÉTABLÉ DE BOURBON .
Eussé-je mis le pied en enfer j e ne le
retirerais pas . Vous me connaissez .
11 se fit un silence de quelques m inutes .
Franço i s I et le connétable parurent tous
deux plongés dans une amère rêverie . Le
ro i repri t le premier la parole .
Aussi b ien que moi monsieur,dit- i l
au duc de Bourbon , vous connaisse z
la dupli ci té de l’Empereur. Passe le C iel
que vous n ’
ayez pas à vous en plaindre !
Je dois vous prévenir que j e ne saura is
accorder les clauses stipulées en votre
faveur par le proj et de trai té qu i m ’
a été
soumis .
Pourtant Sire répl iqua sèchement
le duc , je ne me sens pas disposé à m’
en
départi r .
TRAH I SON pour. TRAH ISON . 345
C ’est l’Empereur qui j ugera de mes
raisons , mon cousin‘
.
J ’ai sa promesse , S i re .
Vous tenez peu de chose , monsieur ,
reparti t François I" , et , sans aller plus
loin,j e vous apprendrai
,si vo us l ’ ignorez ,
que Charles- Quint m ’
accorde auj ourd’hui
le main de la reine de Portugal , sa sœur ,
qu’ i l vous avai t offerte , dit-ou .
On ne m’
avai t donc pas trompé !
s ecria le connétable ! Ce rendez—vous où
l’
Empereur me convie n’a d ’
au tre but que
de m ’
annoncer son manque de foi c’ est
maintenant une autre union qu’ i l me
destine . I l dispose de moi sans me con
su lter , selon les ex igences ou les besoins
de sa polit ique . Je ne sui s plus son alli é
346 LE CONNÉ'
I‘
ABLE DE BOU RBON .
mais son vassal . Sainte—Barhe ! i l n’aura
pas s i bon marché de moi qu’ i l le pense,
et plu tô t que de pl ier lâchement les genoux
devant son
Mon cousin , i nterrompi t François l
serez—vous donc touj ours le même ? Votre
cœur est grand et généreux ,mais,foi de
genti lhomme ! votre tête vous a touj ours per
du ! Jevous conj ure à mains j ointes de réflé
chir à deux fois avant d’ al ler vous rompre
le cou dans une parei lle aventure songez ,
quoi que vous fassiez que l ’Empereur
t ien t votre sort dans sa main .
Il n ’ importe,Sire
,j e n ’ai jamais m is
en balance mon honneur avec mon intérêt .
Je vais t rouver l ’Empereur ; i l saura ma
pensée tout entiè re ° advienne ensui te
que pourra
3 48 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .
genfeld que v ous avez devant les yeux
mai s bien Catherine Visconti,héri tière de
la couronne de Milan par la cession que
mo i,sa mère j e lui fai s de mes droits
qu i sont reconnus par Charles- Quint .
— J ’ai tou t comprisà cette heure , di t le
connétable en fermant la porte de la sal le ,
où i l venai t d ’
entrer avec Suzanne et Césara
Viscont i . Suzanne de Langenfeld ou Cathe
rine Viscont i , comme i l vous pla ira de vous
nommer vous voilà donc liguée contre moi
avec mes ennemis !
Contre lui ! murmura Suzanne en
j o i gnant les mains .
Je sais que l ’Empereur prétend se
servi r de vous pour me forcer à renoncer
à l a main de sa soeur .
TRAH I SON POUR TRAH I S ON . 349
A la main de sa sœur ! je 1 1gn0r3 is
monsieur le duc . Vous allez donc vous
marier
N’
espérez pas , repri t le connétable ,
que j’
accepte de vous l’
investiture du duché
de Milan,en dép i t des prières de Charles
Qui nt . Se poli tique m '
aurait bientôt enlevé
cette couronne,comme i l va l ’ôter àSforce,
qu i avai t sa parole aussi .
Ma mère vous me l ’aviez bien dit !
i nterrompit madame de Saint-Romain .
-Les pr ieres de l ’Empereur , monsieur
le duc , reprit Césara Visconti sont des
ordres pour ses'
suj ets .
Monsieur de Bourbon fi t un geste d’
im
patience et répl iqua fièremen t
348. LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
genfeld que v ous avez devant les yeux
mai s bien Catherine Visconti,héritière de
la couronne de Milan par la cession que
mo i , sa mère , j e l ui fai s de mes droits
qu i sont reconnus par Charles-Quint .
— J ’ai tou t comprisà cette heure , di t le
connétable en fermant la porte de la salle ,
où i l venai t d ’
en trer avec Suzanne et Césara
Visconti . Suzanne de Langenfeld ou Cathe
rine Visconti , comme il vous plai ra de vous
nommer vous voi là donc liguée contre moi
avec mes ennemis !
Contre lui ! murmura Suzanne en
j o i gnant les mains .
Je sais que l ’Empereur protend se
servi r de vous pour me forcer à renoncer
à l a main de sa sœur.
320 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
— Je ne suis po i nt suj et de l’Empereur
La France vous a reme pour son fils,
poursuivi t Cesara , i nterrogez plutôt ces
voûtes encore retentissantes des cri s de
douleur de François I°” elles vous diront
monsieur,que les traî tres sont maudits et
détestés en tous l ieux ; que pour eux i l
n’
est pas de patrie , et que le C iel dél ie les
hommes des sermens qu ’ on leur a fai ts !
Madame ! s’écria le duc hors de lui .
Suzanne se j eta entre sa mere et lu i .
Monsieur ! monsieur quel ordre êtes
vous venu me donner
I l fau t , madame que de vous-même
vous disiez à l‘
Empereur que vous ne con
sentez plus à m ’
épouser ?
TRAH ISON pour. T lŸAH I SON . 3 2 4
Que j e dise cela mo i ? non mon
je ne pourrai j amais prononcer ce
Ma fille si tu étais assez lâche pour
y consent ir . …
Décidez— vous
Non non ! répéta Césara .
H é bien ! àmbi , D 1eg0 ! Lopez ! Vous
ne pafl erez pas à l’
Empereur madame
car j e vou s enlèverai de ce chateau par la
force
Le connétable fi t un pas vers Suzanne .
La porte du , fond s’
ouvrit . L’
Empereur
parut .
Dieu soi t loué monsieur de Bourbon,
di t Charles-Quint en entrant puisque vous1 . 2 1
322 LE CONNE3AE LE DE BOU RBON .
avez été vous —même au devant de l’entrevue
que je vous préparais .
S i re balbutia le duc .
Foi d’ homme d’honneur j e su is heu
reux que mon pl us cher dési r se trouve
d’accord avec vos propres sentimens.
— 0 mon D ieu murmura madame de
Sai nt-Romain .
L’
Empereur conti nua
Après l e trai té de Madrid que nous
allons signer ici avec mon frère Fran
cois à qui j e donne ma bien aimée
sœur , dona Léonora, pour épouse , mon
présentera votre con trat'
de mariage mon
sieu r le duc , ainsi que l’acte d ’
investi ture
224 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
autrement , le respect me commande le
silence .
L’
Empereur j eta sur le connétable un
regard sévère .
Votre silence , monsieur le duc , parle
bien haut , et votre respect a l’
allure assez
fière .
Bourbon répl iqua sans se déconcerter
S i J ai méri té la disgrace de Votre
Maj esté vous daignerez du moins me fai re
savoir en quoi . j’
ai faill i .
Ah ! madame ! i l va se perdre , hasarda
Suzanne tout épouvantée du cours que
prenait la conversation .
Si vous appelez une disgrace , conti
nua C l1arles-Quint , le don que j e vous fais
TRAH I SON nour. TRA… SON . 325
du duché de Milan pour lequel la France
et l’Espagne l uttent depu i s un siècle et
demi,vous êtes bien diffici le à contenter
monsieur ; moi l’
Empereur , j e prie D ieu
qu ’ i l ne m’en réserve j amais d ’
autre .
Au moins , Sire vous m ’
apprendrez
pourquoi j e dois renoncer à la main de
votre sœur
Monsieur !monsieur ! murmura l ’Em
percur en battan t du pied le parquet, v ous
me chaussez les éperons de bien près !
Que Votre Majesté me pardonne
mais cette
Étai t fai te‘
pour flatter votre orgueil
en conviens,mais le bien de mon royaume
exige que j e dispose autrement de ma
sœur:
326 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .
Pour la donner à François I" !
— Le ro i de France,monsieur
,n’est-il
pas aussi bon genti lhomme que vous et
moi
Cela se peut Si re , mais J avais de plus
que lui mes services et votre parole . Dai gnez
m’
ex cuser, j e ne suis pas habitué , de quel
que part qu’elle vienne,à garder long- temps
l’
offense que j ’ ai sur le cœur.
Charles-Quint fronça le sourcil .
Et moi monsieur j e ne suis pas ha
bitué à vo i r mes faveurs dédaignées ! Vous
épouserei la fille de dona Visconti et vous
serez duc de Milan ou,j ’en j ure par ma
couronne impériale
Ah Sire ! S i re ! i nterrompit Suzanne
en'
se j eta nt aux genoux de l ’Empereur je
328 LE CONNÉTAB LE DE BOURBON .
Charles - Quint Opéra une diversion dans
le cours de son humeur . 11 ordonna que les
premiers officiers de sa maison allassent
chercher le roi son frère et que l ’on dé
ployât vis—à-vis du captif toutes les plus
respectueuses formes de l ’étiquette espa
gnole . Au même i nstant l ’eveque d’
Osma
s’
avança vers son maître‘
et lui demanda
la perm15smn de lu i présenter le jeune
genti lhomme français dont i l lu i avai t
parlé .
Vous avez mes i nstructions,monsieur
l evêque , di t Charles-Quint , c’est à vous
de lu i i ndiquer le chemin qu’ i l do i t ten ir .
Sire , répliqua le confesseur, vous ne
refuserez pas à ce pieux jeune homme la
faveur d’
êtçe, admis à baiser les mains de
Votre Majesté ?
TRAH I SON POUR TRAH I SON . 329
Sur un s igne de l’Empereur, on intro
duisit un j eune homme dont l’
aspect ar
racha un cri de surprise et d’
elï‘
roi aux
témoins de cette appari t ion inattendue .
Suzanne s’
évanouit dans les bras de sa
mère .
Que veut dire cec i . s’écria Charles
Avant de quitter ce pays pour n ’
y
plus reveni r , di t le nouveau venu en s’ad
dreSsan tà l’
Empereur, permettez , Sire , que
j e me fasse connaître à vous . Ou m’
appelle
Pon thus de Saint- Romain. Je fus meme a
Suzanne deLangenfeld , reconnue aujourd’
hui par sa mère pour l’
héri tière de la cou
ronne et du nom des Visconti de Milan .
L’homme ne peut défier ce que leC iel a
330 LE CONNÉTABLE DE BOURBON.
l ié l’
Empereur est p uissant, mais D ieu est
plus puissan t .
Je n’ai rien à répondre,di t l’Empe
reur. A i nsi donc vous venez m ’
annoncer
que vous n ’
acceptez pas
Au contraire , Sire , j e pars à l mstant
même, et j e viens vous remercier du don
que vous m ’
avez fai t de ma l iberté .
Faites- eu un saint u sage mon s ieur
repri t l’Empereur , et que vo tre piété et
votre résignation ne se .démentent en eu
cune c irconstance de votre vie .
J ’en ai beso i n,Sire
,répondi t le j eune
h omme,à qu i Charles-Quint abandonna
ses mains à baiser .
Saint-Romain s’
approcha de sa femme ,
qu i venai t de reprendre ses sens e t qu i
332 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
même jeter un coup d ’
œ i l du côté de sa
femme tombée presque mourante sur le
parquet .
Le connétable , abattu et consterné , eut à
peine la force de balbutier ces mots .
I l me semble que c’ est mon bon ange
qu i s’ en va
I l se fit‘
un momen t de profond silence .
Le duc d ’
Albe entra et se di rigea vers
Charles-Quint .
Sire,lu i dit— il, on a vainement cher
ché par toute 1a ville madame la duchesse
d’
Alençon .
M’
aurait-elle échappé‘
murmura
Cl1arles—Qu i nt .
Tout espo ir n’
est pas perdu , répondit
TRAH I SON rouu TRAH IËON . 333
le duc d ’
Albe . Depuisce matin , les portes
de Madrid sont closes,et personne n ’a pu
sorti r sans être vu .
C ’est bien —di t l’
Empereur. Donnez
des ordres pour que le roi de France soit
amené dans cette sal le, et conduisez ic i
madame la duchesse d’
Alençon aussi tôt
qu’elle sera reprise .
Le duc d ’
Albe s’
éloigna . Charles—Qum t
fit quelques pas vers le connétable .
Monsieur le duc , le ro i va veni r pour
signer le traité de Madrid . Malgré ce qui
s’ est passé entre nous , i l ne tiendra pas à
moi , j e vous j ure que la Provence et le
Dauphine ne vous appartiennent . Ne vous
éloignez pas . Foi d ’l wmme d ’
honneur ! j e
vous ferai mander quand nous en serons à
l’
article qui vous concerné.
334 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
Le duc de Bourbon se reti ra dans une
sal le voisine . Madame de Saint-Romain et
sa mère sorti rent par une autre por te .
Ah je n’a i pas fin i de souffrir , mur
mura Suzanne en s’
appuyant sur le bras
de sa mère .
Et moi , dit Césara V isconti , j e n’
ai
pas fi ni de maudire
L’
absence de la duchesse d’
Alençon sem
blait vivement préoccuper Charles- Quin t .
La sœur de Françoi s la belle Margueri te
de Valois , veuve de ce duo d’
Alençon qu i
ava i t fui s i lâchement à la batail le de Pavie,
et que l a honte avai t tué dans sa re trai te ,
étai t accourue en Espagne aussi tô t qu ’elle
avai t su que son frère venai t d’
être enfer
me par l’Empereur dans l’
Alcazar de Ma
336 LE CONNÉTABLÉ DE BOURBON .
l e roi et’
sa su ite éta ient là auprès de lui qu i
attendaient son bon plaisir . Avant d’aller
au devant de son prisonn ier, l’
Empereur de
manda encore au duc d ’
Albe qui entrai t s i
l’
on n’
avait pas de nouvelles de la duchesse .
l l s’
avança enfi n vers son pri s onnier .
Di eu vous garde et vous conserve ,
Si re lu i di t-_il,avec cet air de fausse bien
vei llance dont i l couvrai t toutes ses per
fidies.
Vo tre Majesté, répondi t le roi vien t
donc enfin vo i r'
mouri r son prisonnier
Ne dites pas que vous êtesi
mon pri
sonnier, reparti t Charles—Quint , mais mon
bon frère et mon ami . D ieu m ’en est témoin ,
j e n’a i d’
autre dessein que de vous rendre
l ibre , et de vous donner toute la satisfac
tion que vous pouvez désirer .
TRAH ISON pour: TRAHI SON . 337
Quant à moi,repri t le roi , croyez que
ma reconnaissance ne sera j amais en reste
avec votre générosité .
E n foi de notre sincérité mu tue lle,
poursuivi t l ’Empereur, qui pres sa Fran
cois Ier dans ses bras , embrassons - nous ,
mon frère , et que tout sujet de discorde
demeure éteint entre nous.Avez —vous dcm'
c
cru que j e vous lai sserai s mourir dans cette
prison
Non , Sire , carj’
ai une rançon à vous
payer .
Ne vous souvenez-vous pas, cont inua
l’
Empereur sans paraître remarquer l’ai
greur de la réponse, qu’
après la fatale ba
tai lle qui vous fi t tomber en mon pouvoir,
jedéfendis dans mes États les feux de j oie,1 . 2 2
338 LE CONRÉTAB LE DE\BOURBON .
les sons de cloches et les reyou issances
publ iques
A D ieu ne plaise , d is iez -vous alors ,
que insulte par o<heuses fêtes au mal
heur de mes frères . Les fêtes ne convieu
nent qu’
aux succès obtenus contre les en
nemis de la rel igion . Je m ’ en souviens
car ce fu t ce jour£là même que j’
entrai dans
la pr ison de P1ZZ 1ghettone , d’
où j e ne fus t1ré
que pour veni r ici . I l y a de cela dix mois !
Oublions-le mon frère et formons
ensembleune chaîne indissoluble dont votre
l iberté sera le premier anneau .
Je le veux bien , pourvu que cette
chaîne ne me rappelle pas celle que vous
m’
avez donnée à Madrid .
Non , mon frère , vous serez content
340 LE CONNÉTABLE DE sounnou.
une hostie rompue en deux que sa digne
sœur partageai t sa intement avec lu i ! Voilà
la clémence de Charles Quint empereur
auguste , roi des Espagnes et des Indes !
voilà l ’hospitalité du ro i cathol ique envers
le roi très— ch rétien
Parlons de l ’aveni r , mon frère ,
s’
eoria Charles ,car le p assé n
’est plus à
nous . Je veux que nous ne r ival isions
désormais que de bons sentimens et de
franche amitié . Je vous abandonne la l igne
d‘
Italie le pape les Florent ins Lucques,
Sienne , le duc de Ferrare et les Véni
t iens .
Un léger sourire vint efileurer la b6uche
du roi de France .
— Vous ferez d’
au tant mieux Sire , ré
TRAH I S ON roue rmmsou . 344
pondit— il , que le pape et Florence se sont
séparés de vous,que Lucques et Sienne
vous ont refusé de continuer leurs contri
butions de guerre , et que Ferrare et Venise
ont trai té avec madame la régente de France,
ma mère bien-aimée .
L’
Empereur l’
interrompit
Ne vous fiez pas au mo ins
messes de ces fourbes .
Ne craign ez rien pour mo i lemalheur
m’ a rendu sage .
—Pour obtenir votre a lliance , poursuivi t
l’
Empereur j e romprai avec le roi d’
An
gleterre votre ennemi .
— H enri V l l l , Sire, est maintenant votre
ennemi plus que le mien . Demain , si j e
342 L E CONNÉTABLE DE BOURBON .
le veux i l prendra les armes en ma faveur .
Mon frère , j ugez chacun de nous
non par ses paroles mais par ses actes .
Vous en êtes témoin , j e n’ai rien tant à
cœur que de vous renvoyer dans votre beau
royaume de France . Oh ! Pari s sera bien
glorieux ce j our- là . Votre mère , vos en
fans à vos côtés votre‘
noblesse et votre
peuple crian t Noe l ! a u tour de vous ! L’ ori
fl amme déployée , les fenêtres pavoisées
les tambours battens , et ce mot , ce mot
sonnan t plus haut que toutes les gloires du
monde la l iberté
Ah ! bien heureux j our que celu i où
j e serai l ibre ! s’eoria François avec enthou
siasme .
L’
Empereur approcha du roi une plume
et un rouleau de papiers écri ts .
3 4 4 LE CONNÉTABLE DE BOURBON .
j e pui s faire, c’est de lu i rendre ses biens ,
et de .l’
admettre à discuter devan t notre
parlemen t les dro i ts qu’ i l prétend avoi r
sur l a Provence .
Cependant cette couronne nouvelle .
Jamais plutôt mour1r 101 !
En prononçant ces mâts la voix de Fran
ç ois ] étai t «
p le in e d’
u ne expression à la
foi s douloureuse et résignée . Charles com
pri t qu’ i l ne devait pas insister davantage .
Eh bien ! rayons cet article,dit- il, en
prenant la plume à son tour j’
y consens ,
pu isque vous le voulez . Vous accepterez
du moins les autres condi tions . Vous me
cèderez à moi la Bourgogne . Qu! est-ce
qu’
nne pauvre province auprès de la l iber
té que j e vous rends“?
TRAH I SON POUR TRAH I SON . 345
Le roi se leva de sa chaise et fi t un mou
vement de colère
Que j e reconstruise cette maison de
Bourgogne qui coûta tant de sang à la
France ! que j’
introdu ise dans le centre de
mon royaume un ennemi touj ours prêt à
mettre le trouble chez mo i ! Non ! n ’
y
comptez pas !
Cette fois , Sire , reparti t sèchement
l’
Empereur, ma demande ne souffre pas de
refus .
Je le sais , car i l s’agit de vot re in
Songez que vous ne sorti rez pas d’
1c1 .
J’
y su i s décidé .
Songez que vos amis votre sœur
e11e—même .
346 LE CONNÉ TABLE DE nounaoiv.
Elle est maintenant hors de votre
pouvoi r, s’
écria François I", triomphant à
son tour .
Serait- il vrai
Le comte de Lannoy entra précipi ta
ment
S ire,depu i s deux
”
jours la duchesse
d’
Alençon est sortie de Madrid ; j e v iéns
d’en acquérir la certi tude .
Charles—Quint frappa du pied avec co
lère
Eh bien dit- i l, la France ne reverra
donc pas son ro i
Vous vous trompez S i re répondit
François ma sœur emporte avec elle un
acte,le dernier que j
’
aurai signé , par le
348 LE p ONNÉ'I‘
ABLE DE BOURBON .
le connétable s’approche respectueusemen t
de lui
Sire j e viens réclamer
Votré‘Majesté Impériale pour
cerne les É tats de Provence
phiné .
Monsieur le duc , interromp i t Fran
çois vous n ’
aurez rien de moi j ’aime
mieux mouri r prisonnier de l ’Empereur.
Si re , j e l’ avais deviné ! répond i t le
connétable .
La confusmn de l ’empereur”
étai t au
comble .
J ’ai fai t ce que j ’ai pu , mons ieur, dit-i l
au duc de Bourbon .
Je remercie Votre Maj esté reparl it
la parole de
ce qu i con
et de Dau