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 m é d e c i n e  FUSION N°97 - SEPTEMBRE - OCTOBRE 2003 8 La méthode expérimentale de Claude Bernard pour sortir de limpasse génétique « Celui qui ne connaît pas les tourments de l’inconnu doit ignorer les joies de la découverte qui sont les plus vives que l’esprit de l’homme puisse jamais ressentir. Mais par un caprice de la nature, cette joie de la découverte tant cherchée et tant espérée s’évanouit dès qu’elle est trouvée. [...] C’est pour cela que les esprits qui s’élèvent et deviennent vraiment grands, sont ceux qui ne sont jamais satisfaits d’eux-mêmes dans leurs œuvres accomplies, mais qui tendent toujours à mieux dans des œuvres nouvelles. Le sentiment dont je parle en ce moment est bien connu des savants et des philosophes. C’est ce sentiment qui a fait dire à Priestley qu’une découverte que nous faisons nous en montre beaucoup d’autres à faire ; c’est ce sentiment qu’exprime Pascal sous une forme paradoxale peut-être quand il dit : “nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses.” Pourtant c’est bien la vérité elle-même qui nous intéresse, et si nous la cherchons toujours, c’est parce que ce que nous en avons trouvé jusqu’à présent ne peut nous satisfaire. » Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865. AGNÈS FARKAS Lapproche actuelle du « tout génétique » nous mène dans une impasse. Et pour cause, les généticiens appliquent la « méthode a priori » des systématiques et des empiristes que dénonçait Claude Bernard lors de ses cours de médecine au Collège de France, en 1862-1863. Tout en suivant le faux-débat « matérialisme contre vitalisme », on comprend en quoi la méthode expérimentale de Bernard est supérieure et comment celle-ci devrait devenir une source dinspiration pour aujourdhui.

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FUSION N°97 - SEPTEMBRE - OCTOBRE 2003

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« Celui qui ne connaît pas les tourments de l’inconnu doitignorer les joies de la découverte qui sont les plus vives quel’esprit de l’homme puisse jamais ressentir. Mais par uncaprice de la nature, cette joie de la découverte tant cherchéeet tant espérée s’évanouit dès qu’elle est trouvée. [...] C’est pourcela que les esprits qui s’élèvent et deviennent vraimentgrands, sont ceux qui ne sont jamais satisfaits d’eux-mêmesdans leurs œuvres accomplies, mais qui tendent toujours àmieux dans des œuvres nouvelles. Le sentiment dont je parleen ce moment est bien connu des savants et des philosophes.C’est ce sentiment qui a fait dire à Priestley qu’une découverteque nous faisons nous en montre beaucoup d’autres à faire ;c’est ce sentiment qu’exprime Pascal sous une formeparadoxale peut-être quand il dit : “nous ne cherchonsjamais les choses, mais la recherche des choses.” Pourtant c’estbien la vérité elle-même qui nous intéresse, et si nous lacherchons toujours, c’est parce que ce que nous en avonstrouvé jusqu’à présent ne peut nous satisfaire. »

Claude Bernard,Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865.

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périmentale. Affirmer de surcroît,comme le font les généticiens, quechaque tare ou chaque maladie estcontenue dans un gène, lui auraitparu une aberration supplémentai-re des philosophes matérialistes quiruinent la véritable pensée scientifi-que. Tout comme Prosper Lucas 1,Claude Bernard pensait que l’élimi-nation des tares passait avant toutpar une nourriture suffisante et unebonne éducation pour chaque en-fant. Il ne croit pas que l’individu soitdéterminé par son hérédité commeon le constate dans son Cahier denotes :

« (Maladies héréditaires.)« Le premier individu qui dévelop-

pe une maladie, la développe très ca-ractérisée. Celui qui la tient de ses pa-rents, la présente beaucoup moins ca-ractérisée et souvent anomale. Le typetend donc à disparaître. On voit aussides individus qui résistent à l’hérédi-té.

« (Croyance.)« L’éducation scientifique amène à

ne croire qu’à ses sens. Mais ce n’estpoint naturel du tout. Naturellement,au contraire, l’homme croit au supra-sensible. On ne peut pas espérer quetous les hommes arrivent à ce degréparce que c’est là une forme de l’espritacquise et qui ne se transmet pas parl’hérédité. »

Aujourd’hui, la génétique absor-be une part démesurée des budgetsaccordés à la recherche médicale. Lepaludisme tue plus de 1 million depersonnes par an et 500 millionsd’individus en sont atteints. Or àpeine 200 millions d’euros par ansont consacrés dans le monde à cet-te maladie, dont une grande part estaffectée à la recherche du décrypta-ge du génome du P. falciparum (l’undes trois parasites provoquant cettefièvre), alors qu’un grand nombred’enfants africains meurent simple-ment parce qu’ils n’ont pas accès auxméthodes de soins existantes. Faceà ce désastre, Adrian Hille (universi-té d’Oxford) s’indigne : « Si nous avi-ons 100 millions de dollars supplé-mentaires à dépenser pour la recher-che d’un vaccin antipaludéen, j’enconsacrerais très peu à l’étude du gé-nome du parasite. » Il faut ajouter àcela le manque de collaboration deschercheurs des pays industrialiséspoursuivant des études sur le géno-me avec les scientifiques et les insti-tutions locales des zones endémi-ques.

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Au moment où nous fêtons le cin-quantenaire de la découverte de lastructure de l’ADN, on apprend quela « découverte » du génome humainpar les collaborateurs de James Wat-son n’apporterait qu’un flux d’infor-mations peu étayées. De plus, lesespoirs de retombées dans les pro-grès thérapeutiques tardent à se con-crétiser. Alors que James Watson,codécouvreur avec Francis Crick, dela structure en double hélice del’ADN, nous promettait de résoudrel’une des plus passionnante énigmedes origines de la vie, il s’avère queces recherches ont été avant tout unesource d’enrichissement personnelpour ces deux personnages vivant dela spéculation sur les places finan-cières, comme une grande partie del’industrie génétique. L’engouementpour le génie génétique est tel quedes chercheurs n’ont pas hésité àpratiquer plusieurs essais de théra-pie génique sur des malades qui ontprovoqué des maladies cancéreu-ses, ou pire la mort du patient 2.

La revue scientifique belge Athe-na donne un commentaire intéres-sant sur l’ADN : « ADN : abréviationd’Acide désoxyribonucléique. Cettesubstance est le constituant principaldu noyau de chacune des cellules vi-vantes. Elle est le support de l’hérédi-té. Cette définition elliptique devraitsuffire à éclairer celui qui souhaiteavoir une information de base. Oncomprend toutefois que rien, dans cesquelques mots, ne permet de savoircomment une molécule, aussi com-plexe soit-elle, peut traduire sa pro-pre structure en caractères phénoty-piques. Impossible de savoir, parailleurs, comment le processus peutmarcher à tous les coups, tant chezl’animal ou l’humain que chez le vé-gétal. » 3 Il reste que selon les cher-cheurs, notre patrimoine génétiqueserait contenu dans le long filamentd’environ 1,2 m de la moléculed’ADN. Cependant personne nepeut donner une définition du pa-trimoine génétique, ni même dugène ! La génétique relève d’un mys-ticisme scientiste ('�������+).

Officiellement, on vient de réali-ser le décryptage tant attendu dugénome humain (30 000 gènes)mais, au même moment, les milieuxde la recherche s’interrogent sur ce« succès » : on déclare que la com-

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Claude Bernard (1813-1879) etson ami Louis Pasteur (1822-1895)enseignaient la méthode de l’hypo-thèse qui les a conduits à des décou-vertes majeures dans le domainedes sciences du vivant. Cet ensei-gnement aurait pu permettre desavancées scientifiques bien supé-rieures à celles que nous connais-sons si l’idéologie matérialisten’avait étouffé toute créativité dansla science médicale. Bernard auraitsans doute été très critique à l’égardde l’état de la science actuelle et legénie génétique serait sûrement de-venu l’une de ses cibles privilégiées.Chercher la cause première du vi-vant lui semblait en effet relever del’idéologie et non de la méthode ex-

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Notre culture ambiante est imprégnée de l’idée selonlaquelle chaque individu serait déterminé par le « gène ».Or, à ce jour, personne n’est capable de définir physiologi-quement cette entité abstraite. Si l’on s’interroge sur l’ori-gine historique de cette notion, on découvre un projet po-litique consistant à apporter une « justification » scientifi-que à une idéologie eugéniste et malthusienne. L’idée pré-valant a toujours associé la notion de gène à l’hérédité,cette dernière étant elle-même réduite à une série de ca-ractères phénotypiques de l’individu. En d’autres termes,on a réduit la personne à des caractères physiques appa-rents. Le racisme a ainsi acquis un habillage scientifique.Cette conception de gène étant arbitraire et erronée, on acherché à la remodeler, tout au long de son histoire, pourl’adapter au nouveau cadre scientifique du moment. Don-nons quelques points de repère historiques.

Théorie pangénique

Charles Darwin (1809-1882) appelait sa conceptionde l’hérédité : « hypothèse de la pangénèse » (engendre-ment par le tout). Dans cette pangénèse, les caractèresacquis et les caractères héréditaires ne sont pas différen-ciés. Darwin admet même une hérédité des caractèresacquis, pour s’en servir dans son évolutionnisme. Cepen-dant, Darwin n’indique à aucun moment qu’elle est l’origi-ne des espèces. Implicitement, il admet la génération spon-tanée malgré la réfutation de ce concept philosophiquepar Louis Pasteur (1822-1895). En effet Darwin affirmequ’il a existé une première cellule germinale – la « gem-mule cellulaire » – mère de toutes les cellules qui contientl’hérédité. On ne peut pas connaître cette première cellule,mais on connaît ses descendantes qui sont engendrées etqui engendrent à leur tour. Celles-ci transmettent l’hérédi-té à travers ce qu’il appelle la « gemmule » qui se colle àla cellule. Il est important de souligner ici que Darwin n’ajamais apporté de preuve ex-périmentale de l’existencede cette gemmule.

C’est sur cette fraudeque Hugo De Vries (1848-1935) a basé sa théorie del’hérédité et, en hommage àDarwin, il a renommé cettegemmule « pangène intra-cellulaire », car cette derniè-re ne circulerait plus à tra-vers le corps pour s’accolerà la cellule mais serait inter-ne à celle-ci. L’observationd’une modification phénoty-pique serait, selon De Vries,la « preuve » d’une mutationpangénique, donc la « preu-ve » de l’existence du pan-gène. Pour confirmer cettehypothèse, il s’appuie sur une bien curieuse expériencedu cousin de Darwin, le zoologue et mathématicien Fran-cis Galton (1822-1911). L’historien des sciences André Pi-chot écrit non sans ironie à ce sujet : « En effet, Galtonavait “démontré” l’impossibilité d’une telle circulation enétudiant la descendance de lapins de race A auxquels on

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avait transfusé du sang défibrinisé de lapins de race B : cesang était supposé contenir les gemmules de lapins derace B et aurait donc pu transmettre les caractères de cel-les-ci aux descendants de lapins de race A transfusés, cequi évidemment n’a pas été observé, d’où la conclusionde Galton sur la non-circulation des gemmules et diversesratiocinations de Darwin défendant sa théorie (1871)... Uneparodie d’expérience destinée à réfuter une parodie dethéorie. »

Reprenant les conceptions du mathématicien AdolpheQuételet (1796-1874), créateur d’une anthropologie sta-tistique, Francis Galton et son école de biométrie (mesuredu vivant), ont basé leurs théories génétiques sur des étu-des phénoménistes et statistiques des rapports entre pa-rents et enfants (ressemblances, différences, etc.). Des cal-culs de probabilités statistiques qui mineront la sciencesociale du XIXe et XXe siècle, et conduiront le systèmeéducatif à des aberrations, tel celui du fameux QI (quotientintellectuel). Louis Pasteur et Claude Bernard furent tousdeux des élèves médiocres. Auraient-ils passé le test ?Quoi qu’il en soit, s’appuyant sur cette philosophie, lespremières campagnes de stérilisations de « tarés » eurentlieu fin du XIXe siècle. Galton soulignait : « C’est sans ré-serve que je m’oppose aux prétentions à l’égalité [à lanaissance, NdlA]. Les expériences faites au jardin d’en-fants, à l’école, à l’université et dans les carrières profes-sionnelles, sont une chaîne de preuves de l’effet contrai-re. » Galton préférait les enfants de « bonne naissance » :c’est lui l’inventeur du mot « eugénisme » (« sélection desenfants de bonne naissance »).

Le chromosome, support de l’hérédité

Le mot « gène » a été créé à la fin du XIXe siècle, par lasuppression du préfixe « pan », car seuls les gènes (en-gendrement) seraient supposés déterminer l’hérédité, le

tout (pan) n’y étant pour rien.La découverte des chromo-somes donna aux héritiers deDarwin et Galton l’idée d’y« localiser » les gènes. Enmême temps, ils détournèrentles travaux de Grégor Men-del (1822-1884) sur les loisde l’hérédité. Sur les pas deWeismann et de De Vries,Thomas Hunt Morgan (1866-1945), le père de la théoriegénétique du XXe siècle, éta-blit les premières cartes chro-mosomiques. En effectuantdes croisements de droso-philes (mouche à vinaigre), ilétablit des correspondances,par corrélation statistique,entre des caractères physi-

ques extérieurs et des lieux sur les chromosomes.Signalons ici que Claude Bernard avait déjà réfuté l’uti-

lisation de la statistique comme étant contraire à la vérita-ble méthode expérimentale. Il écrit dans son Introduction :« Si l’on recueille l’urine d’un homme pendant vingt-qua-tre heures et qu’on mélange toutes les urines pour avoir

Thomas Hunt Morgan

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l’analyse de l’urine moyenne, on a précisément l’analysed’une urine qui n’existe pas ; car à jeun l’urine diffère decelle de la digestion, et ces différences disparaissent dansle mélange. Le sublime du genre a été imaginé par unphysiologiste qui, ayant pris de l’urine dans un urinoir degare de chemin de fer où passaient des gens de toutes lesnations, crut pouvoir donner ainsi l’analyse de l’urinemoyenne européenne ! »

En accord avec la biométrie et l’eugénisme de Galton,Morgan a généralisé sa théorie chromosomique à l’hom-me, ouvrant ainsi la voie à tous les « dérapages » précé-dant le nazisme en Europe et aux Etats-Unis (stérilisationsforcées de malades, chômeurs, délinquants, etc.).

L’ADN, ou la génétique moléculaire

Après la Deuxième Guerre mondiale, les généticiensse sont plus particulièrement intéressés à la chimie. Lachimie biologique qui était généralement évincée dansles études du début du siècle arrive alors en force dans lesrecherches. Cependant, l’approche chromosomique avaitété trop explicitement liée au nazisme. Par exemple, lePr. Fisher, médecin nazi, avaitdéclaré en 1943 : « C’est unechance rare, et toute particu-lière, pour une recherche ensoi théorique, que d’interve-nir à une époque où l’idéo-logie la plus répandue l’ac-cueille avec reconnaissan-ce, et mieux, où ses résultatspratiques sont immédiate-ment acceptés et utiliséscomme fondement de mesu-res prises par l’Etat. » Ontrouva donc un nouveau lieud’accueil pour le gène : laprotéine d’ADN, qui reçutnéanmoins une réceptiontrès mitigée dans les milieuxscientifiques des années 50.On adopta pour l’occasion lenouveau langage de la théorie de l’information : « code »génétique, « information » génétique, « lecture de basede donnée » génétique, etc. La géométrie en double héli-ce de l’ADN, découverte en 1953 par James Watson etFrancis Crick, devint la carte d’identité de l’individu. Lorsd’une rencontre avec le journaliste Sydney Brenner de larevue Nature en 1953, Francis Crick évoque son parcoursdans la recherche, ses lectures, notamment le livre Qu’est-ce que la vie ? d’Erwin Schrödinger (1887-1961), et parlede « ces chromosomes [...] qui contiennent sous la formed’une espèce de code le modèle intégral du dévelop-pement futur de l’individu et de son fonctionnementdans l’état d’adulte ». Il évoque aussi l’intervention deJohn von Neumann sur la théorie des machines autore-productrices, lors du colloque de Hixon (publié par Jef-fress L.A. : Hafner publishing Co, New York, 1951). Ceci luiaurait donné, dit-il, des « idées nébuleuses » sur la façondont les acides nucléiques pourraient exercer leurs fonc-tions.

Le gène est alors considéré comme un segment de

l’ADN. On remplace donc l’approche « gène-segment dechromosome = caractère phénotypique », par « gène-seg-ment d’ADN = caractère physiologico-structurel ». Curieu-sement, la nécessité d’effectuer ce passage n’a jamais étéexpliquée... Dans l’esprit même de ses découvreurs, prixNobel de physiologie en 1962, cette théorie ne vise pas àguérir des maladies mais à prédire des tares. En effet,Francis Crick affirme : « Aucun enfant nouveau-né ne de-vrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certainnombre de tests portant sur sa dotation génétique. [...] S’ilne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie. » JamesWatson déclare quant à lui : « La violence, aussi, peut-êtreregardée par l’objectif de la génétique. Certaines person-nes sont plus violentes que d’autres. C’est un fait. Et lecomportement violent peut être régi par un gène simplesur l’individu avec des facteurs environnementaux. Celane signifie pas que nous portons tous un “gène de violen-ce”, mais nous avons identifié au moins un changementgénétique simple qui peut mener aux accès violents. »

Aujourd’hui, la presse nous apprends que les généti-ciens auraient établi la cartographie du génome humain.Précisons : cartographié la composition atomique molé-

culaire des cellules humai-nes. Enfin, pas tout à fait,puisqu’il ne s’agit que de99,99 % du génome humain,ce qui laisse 0,01 % d’unepart inconnue. On peut dureste s’interroger sur la ma-nière dont est quantifiée cet-te part d’inconnu... Le plussurprenant est que la partd’ADN connu correspondantau génome ne serait que de1,5 à 3 %, le reste étant qua-lifié le plus sérieusement dumonde d’« ADN poubelle » !Ce que l’on ne comprendpas ne peut donc pas êtrereconnu scientifiquement :une perspective qui devraitcertainement alléger le lourd

fardeau de nos chercheurs. Tout ceci n’empêche pas lessciences du vivant d’êtres cotées en bourse et les codesgénétiques d’être brevetés.

Néanmoins, il apparaît de plus en plus clairement quela génétique conduit dans une impasse : on apprend main-tenant que tout ne résiderait pas dans le génome. L’héré-dité pourrait bien être en grande partie extragénomique –épigénique ! Les généticiens seraient-ils prêts à confes-ser leur « part d’erreur » ? Eh bien, non ! Chaque jour lesjournaux nous annoncent la découverte d’un nouveau dé-cryptage d’un organisme vivant. Sans remettre en causel’idéologie qui réduit le vivant à un certain nombre de ca-ractères fixes, d’autres seraient tentés d’aller étudier deplus près la structure moléculaire du cerveau afin, disent-ils, de trouver la clé des rouages du vivant, car le rôle desgènes semble « difficile à définir ». On lit ainsi dans Scien-ce et Vie de mars 2003 : « Pourquoi l’homme et le chim-panzé sont-ils si différents, disent-ils, alors qu’ils sont gé-nétiquement très proches ? Probablement parce que l’ex-pression des gènes dans le cerveau varie fortement. »

Francis Crick

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�plexité des caractères génomiques« ne résiderait pas dans le nombre despièces élémentaires, ni dans leur na-ture, mais dans leur combinaison etleur interaction ». 4 Autrement dit :nous n’expliquerons rien sur le mé-canisme de l’hérédité avec la décou-verte du génome. Autre déconvenue,l’expérience des faits ne confirme pasla théorie : le knock-out (inactivationciblée des gènes), une techniquegénéticienne destinée à montrer pardéfaut les fonctions que commandeun gène, s’avère inopérante. Aprèsmaints bricolages, l’absence du gèneen question n’entraîna pas d’inacti-vation de la fonction qu’on lui avaitattribuée. Par cette technique, onespérait traquer les gènes du com-portement, et ainsi poursuivre lesétudes effectuées par Thomas HuntMorgan au début du XXe siècle sur ladrosophile et la génétique fonction-nelle. Les vieux démons de la « so-ciété pure » ne sont pas enterrés.

Faute de résultat génotypiqueprobant, les généticiens s’adonnentdonc à l’étude des phénomènes épi-géniques, c’est-à-dire à l’influencede l’environnement cellulaire surl’expression des gènes, parfoistransmise – chose curieuse – sansintervention du gène sur plusieursgénérations. L’aveu est là : le séquen-çage du génome du virus du sidan’explique pas le sida, pas plus quele gène de la mucoviscidose n’expli-que la mucoviscidose. Faut-il con-clure que si la double hélice del’ADN n’est plus porteuse du « livrede la vie », nous pouvons espérerque la science va reprendre sesdroits ? Rien n’est moins sûr car lesidées reçues ont la vie longue, et laméthode de penser des généticiensavait déjà été réfutée au milieu duXIXe siècle, avant même l’apparitionde la génétique.

En effet, les généticiens appli-quent la « méthode a priori » des sys-tématiques et des empiristes quedénonçait Claude Bernard lors deses cours de médecine au Collègede France, l’hiver 1862-1863. LouisPasteur y assistait de manière assi-due et a transcrit ces leçons dans uncahier. Voici un extrait de la leçon du17 décembre 1862 : « Aujourd’hui, jeparlerai des écueils de la méthode ex-périmentale, écueils nombreux, sur-tout dans la médecine et la physiolo-gie. [...] Il y a des esprits empreints dela méthode a priori et peu de la mé-thode a posteriori [méthode de l’hy-

pothèse, NdlA], et inversement. [...] Lessystématiques sont à moitié dans laméthode a priori et à moitié dansl’autre. Ils font des expériences en vuedes théories. Et cherchent la démons-tration de leurs idées, acceptant lesfaits, et repoussant les autres. Ils cher-chent les résultats. C’est fréquent enmédecine. On introduit alors des er-reurs dans les sciences d’autant plusdangereuses qu’elles paraissent avoirdes faits à leur appui. Si on leur dit,mais voilà des faits contraires : oh, cesont des exceptions. » Claude Bernardajoutera : « Celui qui fait un systèmene veut pas changer sa théorie. Il aimemieux modifier les faits. »

Claude Bernard attaque l’« espritde système » dans la science. Pourlui, une découverte ne doit jamaisdevenir une théorie, elle doit sanscesse être remise en cause, soumiseà des hypothèses nouvelles et ànouveau à l’expérience. Si l’expéri-mentateur s’accroche de manière« égoïste » à ses théories, il s’aveu-gle et les condamne à n’être que desidées fixes. Pour Bernard, c’est unemauvaise disposition d’esprit quiest éminemment opposée à l’inven-tion : « En effet, une découverte est engénéral un rapport imprévu qui ne setrouve pas compris dans la théorie, carsans cela, il serait prévu. [...] On fait dela science étroite à laquelle se mêle lavanité personnelle ou les diverses pas-sions humaines. [...] Mais ces théorieset ces idées n’étant point la vérité im-muable, il faut être toujours prêts à lesabandonner, à les modifier ou à leschanger dès qu’elles ne représententplus la réalité. En un mot, il faut mo-

difier une théorie pour l’adapter à lanature, et non la nature pour l’adap-ter à la théorie. » 5

L’approche des généticiens sem-ble souffrir de la même idéologieempirique que celle de l’école desanatomo-physiologistes, commecelle de Xavier Bichat au XVIIIe siè-cle, c’est-à-dire l’une des principa-les écoles visées explicitement parles attaques de Bernard dans les li-gnes qui précèdent.

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Claude Bernard et son maîtreFrançois Magendie (1783-1855) sesont opposés aux doctrines qui onttrouvé leur aboutissement dansl’idéologie newtonienne de MarieFrançois Xavier Bichat (1771-1802).Pour mettre un terme au faux débatentre matérialisme et vitalisme quioccupait encore le monde scientifi-que du XIXe siècle, ils créèrent l’éco-le de physiologie expérimentale.Selon les matérialistes, la vie peutêtre ramenée à un ensemble de pro-cessus qui régissent la matière bru-te – mécaniques ou chimiques. Se-lon les vitalistes, les processus quirégissent la matière organique – la« force vitale » – sont différents, voi-re opposés, aux lois de la matière

Claude Bernard dans son laboratoire. L’approche des généticienssemble souffrir de la même idéologie empirique que celle de l’écoledes anatomo-physiologistes, comme celle de Xavier Bichat auXVIIIe siècle, c’est-à-dire l’une des principales écoles visées explicite-ment par les attaques de Bernard.

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brute. (En réalité, l’opposition entreces deux doctrines est un peu plusnuancée que ce qui précède ; ellesfinissent même par se rejoindre dansleurs erreurs.) Aussi, pour mieuxcomprendre les réformes fonda-mentales apportées à la science parClaude Bernard, il nous faut d’abordcomprendre les théories empiriquesqui imprégnaient le monde médicalet empêchaient les découvertes ma-jeures dans ce domaine.

Depuis Descartes (1560-1650), lascience médicale sépare nettementle monde métaphysique du mondematériel, l’âme du corps. Descartesdéfinissait le corps vivant commeune machine formée de rouages, detuyaux, de ressorts, de soupapes,suivant les lois de la mécanique(« l’animal-machine »). Croyantéchapper au matérialisme, il locali-se l’âme dans le bulbe cérébro-spi-nal. Les idées de Descartes furentadoptées par un certain nombre demédecins physiologistes, tel Her-mann Boerhaave (1667-1738), et de-vinrent une doctrine – l’iatro-méca-nisme – qui fut la source du maté-rialisme au XVIIIe siècle. 6

Contre cette école de pensée,Georg Ernst Stahl (1660-1734) créal’animisme. Il s’opposait aux disci-ples de Descartes qui expliquaientles manifestations vitales par lespropriétés mécaniques ou chimi-ques de la matière vivante en les sé-parant complètement du monde del’âme. Stahl place les faits vitaux sousla dépendance d’une force immaté-rielle et intelligente, que l’on peutappeler « vie » ou « force vitale ». Sonvitalisme ne distingue pas ce princi-pe de l’âme, laquelle est dotée d’at-tributs identiques.

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Les fondateurs de l’Encyclopédietentèrent de créer de nouvelles doc-trines vitalistes distinctes de l’ani-misme, c’est-à-dire débarrassées del’âme, et intégrant de fait une pen-sée matérialiste influencée par Di-derot. C’est de ce milieu que sontissus les partisans du vitalisme del’Ecole de médecine de Montpellier.Certes, dans un premier temps,l’école de Montpellier a soutenu lesidées stahliennes mais elle n’est pas

restée animiste. Théophile de Bor-deu (1722-1776) et Paul-Joseph Bar-thez (1734-1806) y créèrent la doc-trine vitaliste qui aboutit aux concep-tions anatomo-physiologistes deBichat. Barthez est un ami de d’Alem-bert, et Bordeu est très proche deDiderot. Alors que pour Barthez, iln’existe qu’un principe vital unique,pour Bordeu, il y a dans l’organismeun ensemble d’activités et de sensi-bilités locales qui sont irréductiblesà la physique et à la chimie, et doncspécifiquement vitales.

Contrairement à Stahl, Barthez af-firme que le principe vital est dis-tinct de l’âme. Le principe vital –principe unique et distinct de l’âmeet du corps – serait donc capable derégir tous les actes de la vie. Cepen-dant, cette force vitale reste inacces-sible à l’expérience et s’évanouitquand on veut la saisir. Nageant enpleine contradiction, Barthez se sentobligé de faire entrer une compo-sante mécaniste dans sa conception :les lois de l’attraction newtonienne.De même que dans sa conceptionde la chimie, Newton imaginait des« affinités électives » (attractions ourépulsions) entre les particules, mo-delées sur sa vision de la gravitationuniverselle, Barthez pense que cesattractions ou répulsions pourraientexpliquer l’affinité et la réactivité desorganes entre eux dans l’organisme.Pour Barthez, la matière (mécani-que) est donc animée par une « infi-nité de mouvements nécessaires auxfonctions de la vie ».

Lorsque Diderot écrit Le rêve ded’Alembert, il met en scène son amiBordeu qui explique que le corps estun amalgame de parties ayant cha-cune leur vie propre, et que c’est l’en-semble de ces vies propres qui cons-titue l’organisme, tel un essaimd’abeilles. Dans un essaimd’abeilles, chaque individu a sa sen-sibilité propre. De même, chaqueorgane, chaque glande, chaque nerfa sa manière d’agir, de se mouvoiret d’être. La vie est la somme de cespropriétés particulières, une sorte deconsensus. Bordeu fait intervenir la« sensibilité locale » pour obtenir « laraison du consensus des organes et lesecret de la solidarité qui les lie », cequ’il appelle encore un « esprit rec-teur ». Ainsi, pour Bordeu, c’est lamultiplication des fonctions qui créeles organes, et la multiplication desorganes qui crée l’organisme vivant.Bordeu va jusqu’à dire que « chaque

organe est un animal dans l’animal ».Cependant, pas plus que ces sensi-bilités individuelles, cet esprit rec-teur n’est sujet à expérience.

Les multiples théories vitalistesdu XVIIIe siècle atteignirent leur apo-gée chez Xavier Bichat qui préten-dait les concilier dans son système.

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En écrivant « La vie est l’ensembledes fonctions qui résistent à la mort »,Xavier Bichat s’inspire de la défini-tion de l’Encyclopédie selon laquel-le « la vie est le contraire de la mort ».Pour Bichat, la mort est représentéepar les propriétés de la matière bru-te, chimiques ou physiques, qui nepeuvent ni être la source de la vie, nimême y participer. *

En conséquence Bichat en est ré-duit à émettre des théories sur le vi-vant à partir de la dissection de ca-davres. Ayant disséqué plus de sixcents cadavres, cet anatomiste a unegrande connaissance empirique desorganes. Il est le fondateur de l’his-tologie et le premier à tenter d’éta-blir une classification des organesainsi que des tissus humains. Com-me le reconnaît Bernard, ceci n’estpas sans utilité mais le « Tableau dela physiologie » qu’il dresse à la finde son Anatomie générale révèle leslimites de son approche exclusive-ment anatomique. Bichat y parcelli-se le vivant en un canevas d’orga-nes de deux ordres distincts, la vie

* Dans la première leçon sur les Phénomè-nes de la vie communs aux animaux et auxvégétaux 7, Claude Bernard réfute cette sé-paration entre la vie et la mort. En consé-quence, il démontre que les manifestationsvitales ne peuvent exister sans les proprié-tés physico-chimiques : « Les propriétés vi-tales ne sont en réalité que les propriétésphysico-chimiques de la matière organisée. »Pour Bernard, la vie est un mouvement per-pétuel entre destruction et réorganisation or-ganique et cellulaire. Il existe un plan particu-lier pour chaque organisme vivant qui lui per-met de se rétablir, de se cicatriser (une orga-nisation déterminée, maintenant son unité,son individualité morphologique). Précisantque toute définition formelle de la vie est im-possible, il raille la définition de Bichat par unemétaphore : « La vie c’est la mort. » Cettedifférence de point de vue entre Bernard etBichat permet au premier d’expérimenter surle vivant, mais pas au second.

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�organique et la vie animale :

• la vie animale est attribuée ausystème nerveux, donc en particu-lier aux mouvements volontaires etaux perceptions (sens, nerf, cerveau,organes locomoteurs et vocaux) ;

• la vie organique est une succes-sion d’assimilations et d’excrétions ;par elle, l’organisme transforme sapropre substance (digestion, circu-lation, respiration).

Cette classification rigide n’est pasexempte de contradictions qui leconduisent à en douter auparagraphe VIII de son Anatomiegénérale : « Le plan que j’ai suivi danscet ouvrage n’est pas le plus favorableà l’étude des fonctions. » Ce qui nel’empêche pas de souligner un peuplus loin qu’« il est impossible de seformer une idée précise des proprié-tés vitales, tant qu’on n’admettra pasla division que j’indique »... Il iramême jusqu’à diviser les occupa-tions humaines, donnant à chacuneune localisation anatomique. 8 Pourlimiter l’usure de la vie, il conseillede ne pas mobiliser trop d’organesà la fois. Ainsi, une spécification destâches humaines permettrait à cha-que individu d’exercer pleinementune activité : « Cette vérité nous mènetout naturellement à ce principe fon-damental de l’éducation sociale, sa-voir, qu’on ne doit jamais appliquerl’homme à plusieurs études à la fois,si l’on veut qu’il réussisse dans chacu-ne. » La localisation reste la base deses Recherches physiologiques sur lavie et la mort 9 : « Tout ce qui est relatifà l’entendement appartient à la vieanimale. [...] Tout ce qui est relatif auxpassions appartient à la vie organi-que. »

Après avoir bien séparé ces deuxvies, comment les rassembler dansle même organisme ? D’une maniè-re tout à fait arbitraire, comme onpeut le voir dans ses Recherches phy-siologiques : « Au voisinage de la peau,il y a sensibilité animale, qui diminuepeu à peu, et devient organique dansl’intérieur des parties. » Ces notionsde vie organique et vie animaleétaient déjà présentes chez Stahl oùelles étaient cependant unies par unprincipe unique – l’âme. Chez Bichat,il y a non seulement ces deux vies,mais cela se complique encore à unniveau inférieur où il veut relier cha-que organe à une fonction et viceversa. Malheureusement pour Bi-chat, Bernard fera plus tard la preu-ve de l’impossibilité d’une telle clas-

sification en montrant, par exemple,que certains organes (comme lefoie) peuvent avoir plusieurs fonc-tions et que plusieurs organes peu-vent participer à une même fonction.

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Considérant son activité commeune science d’observation, Bichatprétend en exclure les hypothèses.Dans son Discours sur l’étude de laphysiologie, il en fera une règle : « Lesexplications doivent accommoderaux théories générales, rentrer danselles. Il faut se méfier des hypothèses ;il ne faut que des théories qui embras-sent un grand nombre de faits. » Pourcontrer la multiplicité des hypothè-ses compliquées et erronées misesen avant par les prédécesseurs duvitalisme, Newton est la référence :« Rendons grâce à Newton ; il a trou-vé, le premier, le secret du créateur, sa-voir, la simplicité des causes réunie àla multiplicité des effets. [...] Partoutvous verrez les corps inertes graviterles uns sur les autres et s’attirer, lescorps vivants graviter aussi, mais deplus sentir et éprouver un mouvementqu’ils ne doivent qu’à eux. » [Anato-mie générale.]

Newton avait doté la matière iner-te d’une propriété – l’attraction uni-verselle. De même, Bichat dote ceque nous serions tentés d’appeler« la matière vivante inerte » de deuxpropriétés similaires – la sensibilitéet la contractilité. Etant donné quegrâce à l’attraction universelle, lescorps matériels sont maintenus parun mouvement permanent, Bichatécrit : « Supposez qu’ils en soient toutà coup privés ; à l’instant tous les phé-nomènes de la nature cessent, et lamatière seule existe. Le chaos n’étaitque la matière sans propriétés : pourcréer l’univers, Dieu la doua de gravi-té, d’élasticité, d’affinité, etc., et de plus,une portion eut en partage la sensibi-lité et la contractilité. » Cette derniè-re portion, c’est bien entendu lamatière organique. Bichat reprend,en ce sens, Albrecht von Haller (1708-1777) qui comparait « l’irritabilité »à l’attraction newtonienne (dont onne sait rien et dont on constate leseffets), et définissait les propriétésvitales comme une sensibilité (la fa-culté de sentir) et une contractilité(la faculté de se contracter sous l’in-fluence d’un stimulus). Ainsi, tout

comme Newton, Bichat prétend nepas faire d’hypothèses et accouchefinalement d’un système arbitraire...

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Pour Bichat, les propriétés vitalessont irrégulières et même capricieu-ses. C’est justement cette irrégulari-té qui empêche, selon lui, l’utilisa-tion de la physique et de la chimie(de la matière brute) dans l’étude dela matière vivante : « [...] appliquer lessciences physiques à la physiologie ;c’est expliquer par les lois des corpsinertes, les phénomènes des corps vi-vants. [...] Laissons à la chimie son af-finité, à la physique son élasticité, sagravité, n’employons pour la physio-logie que la sensibilité et la contracti-lité. » [Anatomie générale.] Il accuseLavoisier et les chimistes de vouloir« habiller la physiologie de chimie,comme on l’avait habillée de physi-que » lorsqu’ils poussent leurs re-cherches sur la chimie organique etla respiration. La méthode expéri-mentale étant propre à la physiqueet à la chimie, Bichat refuse son ap-plication dans l’étude du vivant.

Par ces conceptions, la dissectioncadavérique semble la seule voie derecherche pour expliquer les phéno-mènes du vivant. Les théories et lessystèmes vitalistes prennent ainsi lepas sur l’expérimentation sur le vi-vant, ce qui ralentit considérable-ment les progrès de la recherchescientifique et médicale en Europe. 10

C’est ainsi que Bichat écrit dansson Discours sur l’étude de la physio-logie, que l’expérimentation sur levivant perturbe les forces vitales del’animal et rend les résultats incer-tains : « L’animal agité, craintif, entreen spasmes, en convulsions ; l’irrita-bilité, la sensibilité ne sont plus lesmêmes, tout change dans l’économiesous le rapport des forces vitales. » Lesexpérimentations sur le vivant nesont certaines que lorsqu’elles sontfaites dans des circonstances qui neportent pas atteinte à l’intégrité phy-sique extérieure de l’animal. Seulesl’ingestion de divers produits et leursactions sur la digestion, ou l’inhala-tion de divers gaz, ou encore l’ob-servation des maladies (ce qu’il ap-pelle « pathologie »), semblent êtredes expériences « certaines » dont on

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tirera des « résultats invariables ». (As-sez curieusement, l’ingestion depoisons par un animal n’est donc pasconsidérée comme perturbant sonprincipe vital...)

Bichat ne cherche donc pas à éva-luer les dégâts internes provoquéspar une maladie en expérimentantsur le vivant, mais il dissèque descadavres d’hommes morts de cau-ses identiques ou différentes et lescompare. Ainsi, pour Bichat, seule« la pathologie fournit à l’anatomiedes données essentielles ». Or il fautsavoir que durant l’agonie, les orga-nes subissent des modifications chi-miques importantes. La seule obser-vation post-mortem des organes nepeut donc expliquer toutes les cau-ses morbides ayant entraînées lamort du patient. *

En l’absence de moyens d’inves-tigation interne sur le vivant, on peutmieux comprendre l’empirisme thé-rapeutique des médecins de l’épo-

que qui entrevoyaient avec beau-coup de difficultés les résultats réelsde leurs soins, et avaient une esti-mation très approximative du dosa-ge des médicaments qu’ils prescri-vaient. De plus, les médecins avaientpris de mauvaises habitudes com-merciales dans leurs pratiques thé-rapeutiques envers une clientèleignorante. Tout comme Magendie,Claude Bernard s’attaquera à cecommerce médical : « On ne peutaugmenter sa clientèle que parce queles malades croient qu’on les guérit. [...]La médecine est considérée commeune industrie par la majorité des mé-decins praticiens. » [Principes de mé-decine expérimentale.] Dans ce con-texte, souvent le doute subsistait, etl’on avait beaucoup de difficultés àdéterminer si le patient était mort ouguéri des suites de sa maladie ou duzèle des médecins...

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Claude Bernard naquit le 12 juillet1813 à Saint-Julien, près de Villefran-che en Beaujolais, dans une modes-te famille de vignerons. Il reçut uneéducation humaniste bien plus quereligieuse, tout d’abord chez le curéde sa paroisse, puis aux collèges re-

ligieux de Villefranche et de Thois-sey. A 19 ans, il entre en qualité d’élè-ve en pharmacie au service de l’apo-thicaire Millet à Vaise, banlieue deLyon. Le souvenir que lui laisse lathériaque, que son patron remplis-sait avec des restes de médicamentspour en faire un « produit miracle »à l’usage des malades qui se présen-taient à l’officine, le portera à douterde la pharmacopée de l’époque. Ilquittera son emploi pour s’essayeraux belles-lettres. Son drame héroï-que intitulé Arthur de Bretagne est unéchec, mais on retrouve une grandequalité pédagogique et littérairedans ses écrits scientifiques ulté-rieurs qui ne sont pas simplementdestinés à un public averti. Aban-donnant la littérature, Bernard pas-se à grand-peine son baccalauréaten 1834. Il s’inscrit la même année àla Faculté de médecine où il ne brillepas : il échoue à son agrégation.

En 1839, c’est au laboratoire deFrançois Magendie au Collège deFrance que Bernard découvre, avantla fin de ses études cliniques, sa vé-ritable vocation : l’expérimentationphysiologique. Le maître aura en ef-fet une grande influence sur son dis-ciple. D’une part, Magendie étaitscandalisé par les conséquencesmalheureuses des soins apportésaux malades par les médecins hos-pitaliers, en particulier quand ceux-ci pratiquaient la saignée à toutepersonne atteinte « du poumon »sans se préoccuper de l’état de fai-blesse des malades. D’autre part, ilentreprit une attaque contre l’héri-tage de Bichat, prenant le contre-pied de la définition « la vie est l’en-semble des fonctions qui résistent à lamort » de Bichat en affirmant : « Bi-chat regarde la vie comme un résul-tat, non comme une cause. »

Dès 1809, Magendie publia unecritique des propriétés vitales de Bi-chat (Quelques idées générales sur lesphénomènes particuliers aux corpsvivants) en démontrant l’abus d’unsystème qui avait porté les physio-logistes et les médecins à se payerde mots, et à abandonner la voie ex-périmentale. Dans la critique qu’il afaite en 1822 des Recherches physio-logiques sur la vie et sur la mort deBichat, Magendie donne des réfuta-tions expérimentales rigoureusesaux théories de ce dernier. Par exem-ple, Bichat, toujours dans la penséeque chaque organe a une vie en soi,émet l’idée que le vomissement est

* Comme le précise Claude Bernard dans sesPrincipes de médecine expérimentale :« L’anatomie pathologie n’apprend rien ; cen’est qu’un caractère pour classer les mala-dies anatomiquement. » Excédé par ces pra-tiques, Claude Bernard voudra prendre desmesures sanitaires et rapprocher le labora-toire de l’hôpital. Dans ses Principes de mé-decine expérimentale, il démontre l’inanité despréceptes vitalistes qui veulent séparer lathérapeutique et la physiologie. Pour le béné-fice tant des praticiens que des patients, ilprouvera que la pathologie, la thérapeutiqueet la physiologie sont une même science ex-périmentale.

Considérant sonactivité comme unescience d’observation,Bichat prétend enexclure les hypothè-ses. Dans son Dis-cours sur l’étude de laphysiologie, il en feraune règle : « Lesexplications doiventaccommoder auxthéories générales,rentrer dans elles. Ilfaut se méfier deshypothèses ; il ne fautque des théories quiembrassent un grandnombre de faits. »

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�provoqué par un soulèvement del’estomac. En faisant diverses expé-riences sur des chiens vivants, Ma-gendie prouvera que ce sont des abais-sements successifs du diaphragmeprovoqués par les nausées qui com-priment l’estomac et provoquent lerejet de son contenu. Ce n’est doncpas l’action d’un organe seul, maisl’interaction de deux organes qui aprovoqué le phénomène. *

Ernest Renan, un grand admira-teur de Claude Bernard, cite un ju-gement significatif de ce dernier àpropos de Magendie : « Comme levrai professeur au Collège de France,il ne préparait pas son cours et don-nait à ses élèves le spectacle de ses dou-tes, de ses perplexités. Bien différentde ceux qui prennent d’avance leursprécautions pour éviter l’embarrasque leur causerait un entretien tropimmédiat avec une réalité qui leur estpeu familière, il interrogeait directe-ment la nature, souvent sans savoir cequ’elle répondrait. Quelquefois, quandil se hasardait à prédire le résultat, l’ex-périence disait juste le contraire. Ma-gendie alors s’associait à l’hilarité deson auditoire, il était enchanté ; car, sison système, auquel il ne tenait pas,sortait ébréché de l’expérience, sonscepticisme, auquel il tenait, en étaitconfirmé. » Une belle leçon d’humi-lité qui animera la vie scientifiquede Claude Bernard. Magendie luiapprend donc surtout à se méfier desthéories et des doctrines générale-ment admises : « Magendie a été lechiffonnier de la Physiologie. Il a étél’initiateur de l’expérimentation ;aujourd’hui il faut créer la discipline,la méthode. »

Cependant, tout en étant l’héritierde Magendie, il porte les idées de cedernier à un niveau supérieur. Eneffet, entraîné dans sa bataille con-tre les théories établies, Magendiepousse son système de pensée à l’ex-trême, et n’admet pas non plusqu’une idée ou une hypothèse puis-

se diriger l’expérience. Pour lui, l’ex-périence parle en soi et il suffit decoordonner les faits ou même queles faits se coordonnent seuls : « J’aides yeux, je n’ai pas d’oreilles ! » Cequi fait dire à son élève Claude Ber-nard que « Magendie est empiriquesous ce rapport ». L’élève sut dépas-ser avec succès l’empirisme et lescepticisme de son maître.

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Son ouvrage majeur paru en 1865– Introduction à l’étude de la médeci-ne expérimentale – est un livre dephilosophie écrit par un scientifique.A cette époque, l’école positivisted’Auguste Comte est hégémonique.Elle stérilise la science et la philoso-phie par une séparation arbitraire.Les scientifiques voudront ignorer laparution de l’Introduction. SeulLouis Pasteur lui fera un accueil en-thousiaste dans un long article pu-blié dans Le Monitor universel du7 novembre 1866 : « On n’a rien vude plus lumineux, de plus complet, deplus profond sur les vrais principesde l’art si difficile de l’expérimenta-tion. » Par contre, les philosophesprennent parti et se rangent soit dansle camp de Bernard, soit dans celuide Comte. Elme-Marie Caro, oppo-sant farouche à Auguste Comte, sou-tient le physiologiste : « N’y a-t-il descience possible que les sciences posi-tives ? Ce qui revient à une autre ques-tion : n’y a-t-il de réalité possible quecelle qu’atteignent nos instrumentsmatériels, aides du calcul et dirigés parla puissance de l’esprit ? Et ce n’est pasl’école expérimentale [de Claude Ber-nard] qui refusera de l’admettre. [...]Avec elle, la métaphysique pourra sedévelopper pacifiquement à côté dessciences de la nature, à laquelle elleconfine sur tant de points, sans se voircondamnée à perpétuité à cette guer-re à outrance qui épuise en polémi-ques stériles des forces mieux em-ployées de part et d’autre à l’avance-ment des ordres de sciences noblementutiles. »

Qu’on ne s’égare pas en voyantBernard être classé positiviste parnombre d’auteurs actuels ! AugusteComte s’appuie explicitement sur lesthéories l’Ecole de Montpellier et de

Xavier Bichat – ceux que Magendieet Bernard attaquent dans leurs tra-vaux – pour justifier cette séparationentre les sciences et la philosophie. 11

Il est d’autant plus étrange de voirdes historiens des sciences médica-les considérer Bernard comme unpositiviste, alors que ce dernier aannoté un livre de Comte, son Coursde philosophie positive, sans doutevers 1866, d’une manière très criti-que. Face à l’affirmation de Comtequi prétend que le positivisme doitremplacer la théologie et la méta-physique, Bernard reprend à soncompte un argument de son amiEugène Chevreul ** (1786-1889), se-lon lequel le positivisme reste dansle domaine de la métaphysique :

« [Comte] La seconde conséquencequ’aura la philosophie positive est deprésider à la réforme générale de no-tre enseignement, chasser tout ce qu’ily a de théologique et de métaphysiquedans l’instruction pour le remplacerpar les généralités scientifiques.

« [Réponse de Bernard] L’erreur deComte en cette affaire est de croirequ’il y a quelque chose de positif. Ilcroit chasser la métaphysique en ad-mettant des généralités philosophi-ques qu’il appelle positives : pas dutout. Toutes les théories scientifiquessont des abstractions métaphysiques.Les faits eux-mêmes ne sont que desabstractions. » [Chevreul.]

De la même veine, on peut liredans les notes (Cahier de notes) deBernard la pensée suivante : « Si onvoulait faire admettre l’athéisme, ilfaudrait en faire une religion. Exem-ple : Auguste Comte. » Comte a bel etbien cet « esprit de système » queBernard a en horreur.

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En 1865, Bernard est déjà consi-déré comme « le plus illustre desphysiologistes » suite à une longuesérie de découvertes. On pourraitsans doute penser que l’« esprit desystème » est en voie de disparition

* Ainsi, tout comme Claude Bernard ultérieu-rement, Magendie attaque l’idée a priori desvitalistes selon laquelle un organe = une fonc-tion, en démontrant que l’organisme vivantest un tout. Si chaque organe participe aubien commun de l’organisme dans son en-semble, l’organisme entier – la totalité desorganes – s’investit dans le bon fonctionne-ment de chaque organe particulier. Une no-tion d’économie du vivant qui devrait inciterles généticiens à réfléchir lorsqu’ils affirmentqu’un gène = une maladie. Il n’existe ni fonc-tion isolée, ni gène simple.

** Eugène Chevreul est l’héritier d’une tradi-tion de chimistes qui, depuis Lavoisier, ontparticipé de près ou de loin à la révolution dela médecine en attaquant le dogme vitaliste. Ila été l’ami intime d’Ampère. Sa longévité ex-ceptionnelle lui a permis de connaître Ber-nard qu’il a manifestement influencé dans sanotion de « méthode expérimentale ».

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suite au recul du vitalisme de Bichatmais, en réalité, il n’en est rien. Ledogmatisme persiste chez les posi-tivistes qui ont réintroduit dans lascience un préjugé philosophiquetrès fort – l’hypothèse matérialiste –tout en prétendant à « l’objectivitéscientifique » (une nouvelle généra-tion de physiologistes matérialistess’opposera à la philosophie de Ber-nard, et donnera naissance aux bio-logistes du XXe siècle). Bernard lecomprend et s’attaque aux fonde-ments de cette idéologie qui se si-tuent, au-delà des encyclopédistes,chez Francis Bacon que l’on consi-dère aujourd’hui à tort comme lefondateur de la méthode expéri-mentale alors qu’il n’est qu’un em-piriste : « Cependant Bacon n’étaitpoint un savant, et il n’a point com-pris le mécanisme de la méthode ex-périmentale. Il suffirait de citer, pourle prouver, les essais malheureux qu’ilen a faits. Bacon recommande de fuirles hypothèses et les théories ; nousavons vu cependant que ce sont lesauxiliaires de la méthode, indispen-sables comme les échafaudages sontnécessaires pour construire une mai-son. » L’induction baconienne est lasource principale de la philosophiematérialiste qui imprègne le positi-visme du XIXe siècle, tout comme elleétait la source des concepts empi-ristes de l’Encyclopédie. Pour Ber-nard, l’induction baconienne n’estqu’une forme du syllogisme. Aussi,contre le doute stérile et le scepticis-me de Bacon, Bernard met de l’avantle doute expérimental de Pascal. Toutcomme son ami et interlocuteur pri-vilégié Eugène Chevreul, Bernardréintroduit explicitement l’hypothè-se dans la science – un grand acte decourage, compte tenu du contexteculturel de l’époque – que Chevreulappelle également « la méthode aposteriori expérimentale ».

Dans la véritable méthode expé-rimentale, il faut toujours s’attendreà ce que surgisse un fait venant con-tredire une théorie établie. Ainsi,lorsqu’une hypothèse est validéeavec succès par une expérience, ilfaut ensuite la soumettre à une con-tre-épreuve, c’est-à-dire essayer dela mettre en défaut par d’autres ex-périences. L’exemple historique decontre-épreuve cité par Bernard etChevreul est l’expérience de Pascalsur le vide au Puy-de-Dôme, à lasuite de l’expérience de Torricelli.Contre la méthode « de l’induction

et de la déduction » de Bacon, Ber-nard va même jusqu’à dire que lasimple observation n’est jamais ob-jective et qu’elle présuppose déjàune certaine hypothèse, au mini-mum implicite, chez l’observateur.A la manière de Kepler, Bernard dé-crit dans la troisième partie de l’In-troduction un certain nombre de sesdécouvertes et surtout la manièredont sa pensée a fonctionné au coursde ces expériences : il n’hésite pas àmontrer comment il s’est trompé etcomment il a dû changer certaineshypothèses en cours de route. Il y adonc chez Bernard une remise encause permanente des théories, etdes découvertes qui s’enchaînent.

Parmi ses nombreuses découver-tes, la fonction glycogénique du foieest celle qui lui tient le plus à cœur.Avant Bernard, on attribuait aux vé-gétaux un rôle constructeur (celui dela production de sucre), et aux ani-maux un rôle destructeur, celui de laconsommation. Tout naturellement,la croyance générale était que le su-cre ingéré par les animaux – le sac-charose produit par les végétaux –était le même que celui qui circulaitdans leur organisme. Ayant vu quecette théorie était contredite par l’ex-périence (il trouve du sucre en gran-de quantité chez des animaux quin’en consomment pas), Bernard adonc rejeté la théorie et émis l’hy-pothèse d’un organe destructeur dusucre végétal, puis celle d’un orga-ne producteur d’un sucre animal. Ilfera ainsi la découverte de la fonc-tion glycogénique du foie ('���.����-). Comme on connaissait le foieen tant que producteur de suc biliai-re, cette découverte remet égale-ment en cause l’idée « un organe =une fonction ». De plus, elle contre-dit les idées de l’époque sur la sépa-ration entre les règnes animal et vé-gétal : « Il n’y a qu’une seule manièrede vivre, qu’une seule physiologiepour tous les êtres vivants : c’est laphysiologie générale qui conclut àl’unité des deux règnes. » [Leçon III surles phénomènes de la vie...] La variétédes aspects physiologiques ne jus-tifie pas, non plus, une classificationdes organes : « A son degré le plussimple (réalisée isolément d’ailleursdans la nature, ou non), dépouillée desaccessoires qui la masquent dans laplupart des êtres, la vie, contrairementà la pensée d’Aristote, est indépendan-te de toute forme spécifique. » [Leçon IXsur les phénomènes de la vie...] Il existe

donc une loi unique de constructiondes organismes. Mais plus la struc-ture de l’organisme est compliquée,plus ce dernier doit assurer de ma-nière diversifiée « une subordinationdes éléments à l’ensemble » pour uneautonomie et une liberté plus gran-des de l’individu. C’est par cettecompréhension d’une loi unique duvivant que Bernard a pu faire sesdécouvertes majeures dont celle dela glycogénie du foie.

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Bernard insiste sur un aspectémotionnel fondamental : l’expéri-mentateur ne doit surtout pas atta-cher son identité à une hypothèsedonnée, même si celle-ci se trouve àl’origine d’une de ses propres dé-couvertes antérieures, ayant été va-lidée par une expérience. Dans sesPrincipes de médecine expérimenta-le, Bernard écrit à propos de cetteattitude d’attachement aux ancien-nes hypothèses : « Je pense que celatient à l’amour égoïste que nous avonspour nos propres production.s [...] Cen’est que par un effort soutenu sur soi-même qu’on parvient en science à sedétacher de l’amour des théories pourne poursuivre que la vérité pour elle-même. »

Un autre point fondamental dansla pensée bernardienne est qu’iln’existe pas de « mauvaise » expé-rience. On pourrait croire en effetque si l’hypothèse n’est pas validéepar l’expérience, alors il faut consi-dérer l’expérience ratée car on n’arien découvert de nouveau. Ceci estsans doute vrai pour l’expérimenta-teur obsédé par son hypothèse et quia le regard focalisé sur le lieu où lerésultat est attendu. Toutefois, pourBernard, le résultat d’une expérien-ce n’est jamais local : l’expérimen-tateur n’intervient pas sur un orga-ne particulier mais sur l’ensemble del’organisme, même si l’acte s’exercelocalement. Le regard de l’expéri-mentateur doit donc être à l’affût dela moindre anomalie qui peut seproduire n’importe où. C’est ainsique l’entourage de Bernard était stu-péfait de le voir faire sans arrêt desdécouvertes « imprévues », de « re-bondir » sur des échecs apparents.Son élève, Paul Bert, disait de lui

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A l’époque où Bernard travaille encore comme ap-prenti dans le laboratoire de Magendie, l’opinion domi-nante est que les animaux sont incapables de synthétiserle sucre, la graisse et l’albumen, et que seuls les végétauxle font. Pourtant, il existe un fait observé expérimentale-ment : le sang contient ces substances. L’idée a priori ad-mise par la communauté scientifique est que les végétauxproduisent des matières saccharoïdes (sucre, fécule) etque les animaux les détruisent pour leur alimentation. Dansun premier temps, Bernard a mené une série d’expérien-ce pour confirmer cette théorie, mais celles-ci ont fait ap-paraître des paradoxes.

Le premier paradoxe a été observé par l’analyse del’urine et du sang de diabétiques, et en faisant varier laquantité de sucre ingérée par les sujets. On savait déjàque le diabète sucré se manifeste par une production su-rabondante de sucre dans l’organisme. Les expériencesde Bernard ont montré que la quantité de matière sucréeexpulsée par les urines était bien supérieure à la quantitéingérée par l’organisme. De plus, il y avait encore uneproduction excessive de sucre dans le sang et les urineslorsque l’on supprimait, par un régime sévère, l’ingestionde saccharose. En réalité, Bernard n’avait pas été le seulà faire cette constatation, mais il fut le premier à émettreune hypothèse originale et à chercher à la valider expéri-mentalement : il supposa que la matière sucrée que l’ontrouvait dans le sang n’était pas de même nature que cel-le que l’on trouvait dans les végétaux. On avait constatéque, par injection dans le sang, certains sucres étaientabsorbés par l’organisme et d’autres non, mais ce para-doxe n’avait pas été élucidé.

Dès 1843, Bernard investigua sur cette question. Eninjectant du sucre de canne (saccharose) dans le sangd’un chien, il constata que celui-ci n’était pas détruit etpassait sans altération dans les urines. Malgré ce résultat,il continua à chercher un organe « destructeur de sucre » :il pensait que le sucre injecté dans le sang n’était pastransformé mais que le sucre ingéré normalement l’était. Ilse plaindra ultérieurement d’avoir perdu ainsi trois ans derecherches pour avoir cru aux idées reçues.

Néanmoins, cette recherche le conduisant à analyserles concentrations de sucre dans divers organes le mit surla voie du foie. Il constata que le sang d’un chien nourri delait sucré était très sucré à la sortie des veines hépatiquesà leur abouchement dans la veine cave inférieure. La pré-sence de ce sucre pouvant s’expliquer par l’alimentationdu chien, il fit une contre-épreuve en sacrifiant un autrechien nourri pendant sept jours exclusivement de viande(c’est-à-dire par un régime sans sucre). Or il constata lamême abondance de sucre dans le sang du second chienet ce résultat inattendu était reproductible. Il commença àenvisager l’existence d’un organe producteur de sucre etle foie se présentait comme un candidat naturel.

Cependant, il ne constatait pas de présence de sucredans le foie d’individus morts diabétiques. Le problèmevenait du fait que le foie d’un individu mort naturellementse décompose au cours de l’agonie, seule une mort vio-lente réduit la possibilité de changements chimio-organi-ques. Comme il excluait la vivisection sur l’homme, il ex-périmenta sur divers animaux, mammifères, poissons oureptiles. Bernard constata la présence de sucre dans le

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foie de chacun d’eux (à jeun, au cours du repas, après lerepas, etc.). Il existait une constance de la matière sucréedans chacun des cas et une abondance de sucre dans lesang à la sortie de la veine cave plus grande qu’à sonentrée dans le foie par la veine porte.

Ayant extrait et lavé un foie pour le débarrasser de sonsucre, il fit une observation capitale : après avoir placél’organe plusieurs heures dans une étuve, il constata qu’ily avait de nouveau du sucre. En d’autres termes, mêmeaprès la mort, le foie continuait à produire de la matièresucrée. Après avoir prouvé qu’il existait une source inter-ne de sucre, il voulut démontrer que celui-ci était chimi-quement différent du sucre végétal. Pour cela, il fit bouillir lefoie dans de l’eau et fermenter ses préparations avec de lalevure, ce qui produisit de d’alcool tout comme avec le sucrevégétal. Cependant, en faisant passer de la lumière pola-risée dans les deux éprouvettes contenant l’une du sucreanimal, l’autre du sucre végétal, il démontra que le végétalfaisait tourner le plan de polarisation à gauche, et l’animalà droite. Ces analyses montrant que le sucre du foie – leglucose – était optiquement et chimiquement différent dusucre de canne – le saccharose, Bernard avait découvertla fonction glycogénique du foie. Il isola ensuite la matièrequi produit ce sucre dans le foie et l’appela glycogène.

Bernard étudia aussi l’influence du système nerveuxsur la production de sucre. Il montra que l’on peut accroîtrela production de matière sucrée chez les animaux à volon-té, en agissant sur certaines parties du système nerveux(la piqûre diabétique). Ce résultat important appuyait sonhypothèse sur la production du sucre animal.

Les découvertes s’enchaînant, il n’en resta pas là ets’attela à diverses recherches sur la glycogenèse d’ani-maux dépourvus de foie ou sur l’évolution du glycogènedans le placenta des mammifères et dans la membranevitelline des œufs des oiseaux. Bernard arriva à la conclu-sion que le sucre est une fonction spéciale de certainescellules épithéliales et qu’elle préexiste avant la formationdu foie dans le fœtus. La fonction précède l’organe : « J’ar-rivai donc à cette conclusion que le sucre ne se forme pasd’emblée dans le foie mais par la transformation d’unematière insoluble qui lui préexiste. » Il arrivait ainsi à unnouveau paradoxe. Loin d’être pour lui un sujet de mécon-tentement, ceci était la porte ouverte à de nouvelles hypo-thèses pour des chercheurs ultérieurs : Bernard est peupossessif de ses propres découvertes...

La découverte de la glycogenèse animale fut maintesfois expérimentée et est restée l’un des principaux débatsdans le milieu de la physiologie jusqu’à nos jours. Pen-dant une centaine d’années après la mort de Bernard, onaffirma que le grand physiologiste s’était trompé et la plu-part des manuels distribués dans les écoles de médecinesoutinrent que la glycogenèse hépatique était essentielle-ment une mise en réserve des glucides alimentaires. Cecifut remis en cause au début des années 80 par une équi-pe dirigée par Joseph Jacob Katz et J.D. MacGarry qui adémontré que seule une petite partie du sucre alimentaireest transformée par le foie et que, sans aucun doute, laglyconéogenèse (c’est-à-dire la glycogenèse de Bernard)est beaucoup plus importante que la glycogenèse (au sensactuel du terme, c’est-à-dire la transformation des gluci-des par le foie). Bernard avait vu juste.

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qu’il avait « des yeux autour de la tête ».Dans le pire des cas, Bernard con-

sidérait qu’une expérience qui neproduit pas l’effet attendu est quandmême un succès, car elle nous ôteun préjugé...

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Pour exprimer l’idée fondamen-tale qu’il existe une unité dans l’or-ganisme, que toutes ses parties con-courent à son harmonie, Bernardélabore un concept supérieur, unpoint de vue à partir duquel il or-donne ses hypothèses et ses expé-riences : le milieu intérieur. C’est ceprincipe qui dirige le regard de l’ex-périmentateur et celui-là qui provo-qua l’étonnement de Paul Bert men-tionné plus haut.

Ses réflexions sur le caractère« aquatique » des tissus, ainsi que sesrecherches sur le maintien de l’ho-méothermie (température constan-te) chez les animaux à sang chaud,l’aideront à comprendre le rôle dusang dans le bon fonctionnement del’économie de l’individu. Voici unextrait d’un texte recueilli par l’his-torien des sciences Emile Alglave quicomporte une explication sur desphénomènes d’endosmoses à tra-vers les parois histologiques : « Amesure que les phénomènes de la vies’élèvent, l’organisation est plus déli-cate et se complique, les éléments or-ganiques deviennent plus délicats etne peuvent plus vivre dans le milieuextérieur, ou bien ses êtres deviennentparasites et vivent dans les autres. [...]Ces organismes parasitaires emprun-tent en quelque sorte les milieuxd’autres êtres vivants. [...] Dans les or-ganismes plus élevés et à mesure quela masse augmente, comme les élé-ments organiques ne pourraient plusêtre en rapport avec les influencesphysico-chimiques extérieures, le mi-lieu intérieur prend de l’importanceet il se constitue sous la forme d’unliquide circulant et se mettant en rap-port incessamment avec les organeset les éléments. Ce liquide prend lenom de sang ou de liquide nourricier. »

Dès les années 1854-1855, en op-position au vitalisme de Bichat etpour soutenir ses idées sur la néces-sité d’un déterminisme physico-chi-

mique des organismes vivants,Claude Bernard démontre que pourvivre et assurer son unité, l’individudoit se maintenir dans une certaineconstance de son milieu intérieur(constance des conditions physico-chimiques dans l’organisme). Cetteconstance est assurée par les liqui-des interstitiels (lymphe, plasma)dans lesquels baignent les organeset les tissus. Parmi ces liquides, lesang joue un rôle fondamental derégulateur thermique et d’apportnutritionnel et gazeux. L’individu estun microcosme dans le cosmos (mi-lieu extérieur). Il en fait partie touten maintenant son indépendancephysiologique. Si le cosmos recèletoutes les conditions matériellesnécessaires à l’évolution de l’orga-nisme animé (microcosme), cet in-dividu, pour survivre, doit concilierune organisation interne qui le dé-fende des agressions du milieu ex-térieur, tout en vivant en harmonieavec celui-ci : « Ainsi, l’être vivant neconstitue pas une exception à la gran-de harmonie naturelle qui fait que leschoses s’adaptent les unes aux autres ;il ne rompt aucun accord ; il n’est nien contradiction ni en lutte avec lesforces cosmiques générales ; bien loinde là, il fait partie du concert univer-sel des choses, et la vie de l’animal, parexemple, n’est qu’un fragment de la vietotale de l’univers. » [Leçon II des phé-nomènes communs...]

Cette constance du milieu intérieurpermet à Bernard d’établir une hié-rarchie entre les différents organis-mes vivants (organismes monocel-lulaires, végétaux, animaux infé-rieurs, animaux à sans froid, ani-

maux à sang chaud). Dans les for-mes de vie inférieure, l’organismeest moins indépendant et plus sou-mis aux forces du milieu extérieur.Un animal à sang froid, par exem-ple, entrera en léthargie avec unabaissement de la température ex-térieure, alors que chez l’animal àsang chaud, la température internetendra à se maintenir constante mal-gré les variations des saisons. Ce quiinduit que plus l’organisme a un ni-veau métabolique complexe, plus ilsera indépendant par rapport aumilieu extérieur. Cependant, ces in-dividus supérieurs dont la formemétabolique est plus complexe sontplus fragiles car leur mécanisme estplus délicat : un animal en hiberna-tion est capable de vivre dans desconditions qui le tueraient s’il étaitéveillé. Ainsi, l’hibernation est unabaissement du niveau hiérarchiquedu milieu intérieur.

Au sommet de la hiérarchie setrouve l’homme pour lequel il fautencore ajouter la complexité desmécanismes psychiques dont Ber-nard constate l’influence sur le ni-veau physiologique. Une consé-quence implicite de cela, c’est queplus l’organisme est élevé dans lahiérarchie, plus il est capable detransformer son environnement im-médiat pour le rendre plus habita-ble. Bernard affirme ainsi que si lemilieu intérieur de l’individu (mi-crocosme) est de nature complexe,il bénéficie d’un libre-arbitre supé-rieur dans le milieu extérieur déter-miné (cosmos).

La notion du milieu intérieur estliée à une certaine idée de finalis-

Extrait du Cahier de notes de Claude Bernard. Il s’agit d’un appareilpour injecter le sang dans un organe isolé. A gauche, un réservoir desang immergé dans l’eau chaude et muni d’un piston. A droite, le sangest injecté dans l’artère d’une patte de grenouille.

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�me. C’est par le milieu intérieur queBernard exprime le fait que l’orga-nisme est un tout harmonique, et à cesujet, la notion d’harmonie prééta-blie de Leibniz est explicitement laréférence : « [...] il faut reconnaître quele déterminisme dans les phénomè-nes de la vie est non seulement undéterminisme très complexe, mais quec’est en même temps un déterminis-me qui est harmoniquement hiérar-chisé. De telle sorte que les phénomè-nes physiologiques complexes sontconstitués par une série de phénomè-nes plus simples qui se déterminentles uns les autres en s’associant ou secombinant pour un but final com-mun. [...] le physiologiste est porté àadmettre une finalité harmonique etpréétablie dans le corps organisé donttoutes les actions partielles sont soli-daires et génératrices les unes desautres. » [Introduction...] Tout commechaque organisme vivant a sa déter-mination cosmique, chaque organea sa détermination physiologique etparticipe au bon fonctionnement detout l’organisme. De la même ma-nière, l’ensemble des organes parti-cipe à la vie de chaque organe.

Bernard réfute ceux qui confon-dent déterminisme et fatalisme. Enréalité, la liberté physiologique etmorale ne peut exister que par ledéterminisme. En effet, sans déter-minisme, l’homme serait incapablede comprendre et maîtriser les loisde l’univers ; en conséquence, il per-drait sa capacité de faire des choix,donc son libre-arbitre : « La liberté nesaurait être l’indéterminisme. Dans ladoctrine du déterminisme physiolo-gique, l’homme est forcément libre :voilà ce qu’on peut prévoir. [...]. Il mesuffira de dire, au point de vue phy-siologique, que le phénomène de la li-berté morale doit être assimilé à tousles phénomènes de l’organisme vi-vant. – Si toutes les conditions anato-miques et physico-chimiques norma-les existent dans le bras, par exempledans les organes nerveux correspon-dants, vous pouvez prédire que vousferez mouvoir le membre et que vousle ferez mouvoir dans tous les senssuivant votre volonté. Seulement, lesens dans lequel vous le ferez mou-voir existe dans un futur contingentque vous ne pouvez prévoir, mais danslequel vous êtes libre de vous déter-miner plus tard, suivant les circons-tances. De même, l’intégrité anatomi-que et physico-chimique présumée del’organe cérébral vous fait prédire que

ses fonctions s’exerceront pleinementet que vous serez libre d’agir volontai-rement ; mais vous ne pouvez pas pré-voir le sens dans lequel votre volontés’exercera, parce que ce sens est, je lerépète, donné par la contingence desévénements que vous ignorez ou quevous ne pouvez prévoir. C’est pourquoivous restez libre d’agir ou de choisirsuivant les principes de morale ouautres qui vous animent. » [Leçons surles phénomènes communs de la vieaux animaux et aux végétaux.] Ilajoute dans son Cahier de notes :« L’homme est forcé d’être libre parcela seul qu’il a une conscience et unjugement. La liberté en découle ; il estlibre de faire le bien ou le mal, le re-mord lui prouve qu’il était libre et qu’ilaurait fait autrement s’il avait voulu. »

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En menant ses expériences sur levivant, dans lesquelles ses recher-ches en toxicologie jouent un rôlefondamental, Bernard découvrel’harmonie de l’organisme et le dé-terminisme de ses parties. Grâce àson ami, l’explorateur et chimisteThéophile Pelouze (1807-1867) dontle laboratoire jouxtait le sien, il a tes-té les effets du curare que celui-ci luiavait rapporté d’Amérique du Sud.Il a découvert expérimentalementque chaque poison attaque une par-tie précise de l’organisme. On pour-rait dire que le poison fait un choixsélectif. Le curare, par exemple, agitexclusivement sur le nerf moteur.Chaque poison possède, en quelquesorte, son affinité organique. Il exis-te donc un déterminisme chimiquedans l’attrait moléculaire du poisonet de la cellule nerveuse. Les poisonsne peuvent atteindre ces cellules ner-veuses qu’en passant par les liqui-des interstitiels. Ce n’est que grâceau milieu métabolique intermédiai-re (le sang, la lymphe) que les poi-sons peuvent atteindre leur cible. Deplus, cette action sur la cible est dé-terminée par la dose du poison : unmême produit peut empoisonner ousoigner suivant la quantité em-ployée (sa répartition sélective dansl’organisme et sa concentration lo-cale) – une évidence de nos jours,mais une idée totalement méconnue

avant Bernard. Celui-ci affirmait que« l’action médicamenteuse n’est aufond qu’un empoisonnement incom-plet ». La pharmacothérapie duXXe siècle est redevable de ces dé-couvertes fondamentales.

Au-delà de l’étude de l’action ensoi du produit sur l’organe, Bernardeut l’idée originale d’utiliser le poi-son comme outil d’étude expéri-mentale : son action sélective permeten effet d’atteindre un organe sansendommager les organes voisins, ceque ne permettent pas les instru-ments de chirurgie. C’est dans cecontexte qu’il parle de « bistouri chi-mique ».

Nous pouvons mieux comprendrele concept de déterminisme physio-logique dans ce que Bernard nom-me l’« acte de réparation vitale ».Comme nous l’avons vu plus haut,Bernard a écrit une métaphore – « lavie c’est la mort » – pour réfuter lesthéories vitalistes qui séparaient ar-bitrairement les processus physico-chimiques des phénomènes du vi-vant. Pour comprendre cette appro-che, il faut voir dans les processusde la matière vivante un continuelphénomène de création et destruc-tion organique. Les deux opérationsde destruction et de rénovation or-ganiques sont absolument connexeset inséparables. Les vitalistes duXVIIIe siècle considéraient que lesphénomènes physico-chimiquessont ceux de la matière brute, qu’ilsreprésentent la mort et ne peuventdonc se produire dans un organis-me vivant. Bernard donne la preuvedu contraire, notamment dans sesétudes sur des marmottes en étatd’hibernation : « L’influence des con-ditions cosmiques produit d’abord lasuppression incomplète des phéno-mènes physiques et chimiques de ladestruction vitale. [...] C’est donc lamanifestation vitale fonctionnelle,correspondante à la destruction desorganes, qui est atténuée en premierlieu. » [Leçon II des phénomènes com-muns.] Ces marmottes en hiberna-tion ne mangent pas et vivent surleurs réserves. Il les réveille et ne leurfournit pas de nourriture. Lors duretour à la vie manifestée (le réveil)de ces animaux, il constate doncqu’ils épuisent rapidement leurs ré-serves organiques. Les animauxéveillés soumis à l’abstinence meu-rent car il leur faut rapidement trou-ver les aliments nécessaires pour lareconstruction organique. En som-

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me les phénomènes physico-chimi-ques de destruction, que les vitalis-tes n’attribuent qu’à la mort, sontplus importants à l’état d’éveil qu’àl’état de vie ralentie !

Poursuivant ses recherches surces marmottes, il constate, en lesblessant, que les cicatrisations et lesrédintégrations* se produisent enco-re très activement pendant le som-meil. Ceci peut paraître paradoxalpour un animal vivant au ralenti.Bernard en conclut que l’organismese mobilise totalement pour main-tenir son existence, même lorsqu’unepartie de ses fonctions est ralentie.L’organisme a une fonction autoré-paratrice non seulement pour assu-

rer le bon fonctionnement de sesorganes mais aussi lorsqu’il a subiune mutilation : « Génération, régéné-ration, rédintégration, cicatrisationsont des aspects divers d’un phéno-mène identique, la synthèse organisa-trice ou création organique. » [Leçon IIdes phénomènes communs.] Donc ceque les vitalistes appellent « actes dedestruction » sont les précurseurs etles instigateurs de ceux par lesquelsles parties se rétablissent et renais-sent. Ainsi, on constate que Bernard(ainsi que Pasteur) considère la viecomme une puissance organisatriceessentielle à l’univers, alors que Bi-chat ne la considérait que commeune exception à la mort universelle.

Cette reconstruction organique nese fait pas de manière anarchique.Chaque tissu et chaque organe a saplace déterminée. Seule la subordi-nation des parties à l’ensemble del’organisme permet à celui-ci de vi-vre libre et indépendant. Des orga-nismes élémentaires (organes, tis-sus, etc.) déplacés ou extraits de l’or-ganisme changent leur propre orga-nisation ou disparaissent. Pour leprouver, il déplace des cellules pé-riostales (membrane fibreuse quientoure l’os et qui est à l’origine desa formation) sur une partie non os-seuse du corps, pour voir s’il en ré-sulte malgré tout une formation os-seuse. Dans un premier temps,l’évolution osseuse a bien lieu maisensuite le périoste disparaît (il ne semaintient pas dans un milieu quin’est pas le sien) et l’os également.

Avec son élève Paul Bert, Bernardréalise une expérience sur un jeunelapin. Il retire un os entier de la pat-te de l’animal, l’introduit sous la

peau du dos et referme la plaie. Ilconstate que l’os continue à vivre, ilgrossit même un peu, mais bientôtle développement s’arrête et il seproduit un phénomène de résorp-tion jusqu’à la disparition totale del’os implanté. Au contraire, dans l’es-pacement métatarsien qui avait étéévidé, un os nouveau se produit etpersiste, remplaçant l’os enlevé.Cette expérience montre que l’élé-ment organique a une place déter-minée. Bernard en conclut que l’or-ganisme a donc « un plan morpho-logique » : « La cellule a son autono-mie qui fait qu’elle vit, pour ce qui laconcerne, toujours de la même façonen tous les lieux où se trouvent ras-semblées les conditions convenables ;mais d’autre part, ces conditions con-venables ne sont complètement réali-sées que dans des lieux spéciaux, et lacellule fonctionne différemment, tra-vaille différemment et subit une évo-lution différente suivant sa place dansl’organisme. [...] C’est la subordinationdes parties à l’ensemble qui fait del’être complexe un système lié, un tout,un individu. C’est par là que s’établitl’“unité” dans l’être vivant. » Il en ré-sulte donc une « conspiration univer-selle de toutes les parties ».

Il résulte de tout ceci une consta-tation paradoxale : bien que la viese manifeste dans chaque cellule,dans chaque élément organique, quifonctionne pour son propre comp-te, elle n’est centralisée nulle part. Etpourtant si nous détruisons une par-tie des organes ou des cellules, nousdétruisons les fonctions et la vie del’individu. Contrairement à ce qu’af-firment les vitalistes, les matérialis-tes ou les généticiens, la vie n’est pasdans la cellule, dans l’organe oudans une partie quelconque, oumême dans la somme des parties, ellene fait que s’exprimer par eux. On nepeut pas réduire la vie à un objetperceptible par nos sens, on ne peuten voir que les manifestations. Nousne pouvons donc pas agir sur la vie,mais seulement sur ses conditions,et nous ne pouvons être, commeBernard le précise, que « les contre-maîtres de la nature ».

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Comme Bernard le souligne avecinsistance dans tous ses écrits, ladémarche véritablement scientifi-

* « M. Pasteur a signalé des faits de cicatri-sation, de rédintégration cristalline, qui méri-tent toute notre intention. Il étudia certainscristaux et les soumis à des mutilations qu’ila vu se réparer rapidement et très régulière-ment. Il résulte de l’ensemble de ses recher-ches que, lorsqu’un cristal a été brisé surl’une quelconque de ses parties et qu’on lereplace dans son eau-mère, on voit, enmême temps que le cristal grandit dans tousles sens par un dépôt de particules cristalli-nes, un travail très actif avoir lieu sur la partiebrisée ou déformée, et en quelque sorte il asatisfait, non seulement à la régularité du tra-vail général sur toutes les parties du cristal,mais au rétablissement de la régularité de lapartie mutilée.« Ces faits remarquables de rédintégrationcristalline se rapprochent complètement deceux que présentent les êtres vivants lors-qu’on leur fait une plaie plus ou moins profon-de. Dans le cristal comme dans l’animal, lapartie endommagée se cicatrise, reprend peuà peu sa forme primitive, et dans les deuxcas le travail de reformation des tissus esten cet endroit bien plus actif que dans lesconditions évolutives ordinaires. »Extrait de la La science expérimentale.

Extrait du Cahier denotes de ClaudeBernard. Expérienceavec le curareeffectuée sur lemembre d’unegrenouille. Le poisonest introduit parl’artère pendant quela veine principaleest ouverte, ce quiempêche la diffusiondu curare dans letronc de l’animal.

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�que consiste à rechercher la causedes phénomènes observés. Tout cequi se produit dans cet univers a unecause. C’est ce principe fondamen-tal que Bernard appelle « déterminis-me » et que Leibniz, avant lui, appe-lait « principe de la raison suffisan-te ». Comme Bernard l’avait claire-ment identifié et pressenti, le risqueexistait que les scientifiques aban-donnent ce principe et, du coup, ces-sent d’être véritablement des scien-tifiques. L’introduction de la statisti-que dans tous les domaines au coursdu XXe siècle confirme cette évolu-tion désastreuse : on admet désor-mais qu’il se produit des événementssans cause.

C’est ici que l’enseignement deBernard est irremplaçable aujour-d’hui, non seulement pour l’avenirde la physiologie, mais pour l’ave-nir de la science en général. Ce n’estqu’en rejetant le mysticisme et laparesse intellectuelle qui règnentactuellement que l’on pourra créerles bases d’une véritable révolutionscientifique. Concluons donc par unextrait des Principes de médecine ex-périmentale, chapitre XII sur le « Rap-prochement de la médecine et de lapolitique » : « Ce sera intéressant deprésenter les sciences politiques sousce jour nouveau. On a souvent com-paré la politique à la médecine sousce rapport ; il faut les rapprocher etles mettre toutes les deux dans la voiedes sciences expérimentales. [...] Lamédecine expérimentale est caracté-risée par un principe philosophiqueet scientifique qui sert de base à toutesles autres sciences expérimentales. » �

Notes1. Prosper Lucas (1805-1885), psy-

chiatre à Paris et auteur de l’ouvrage Trai-té philosophique et physiologique de l’hé-rédité naturelle dans les états de santé etde maladies du système nerveux, Paris,Baillère, 1847-1850, 2 vol.

2. En 1999, Jesse Gelsinger, traité parthérapie génique pour une maladie affec-tant le foie, meurt à la suite d’une réactionimmunitaire déclenchée par le traitement.En 2002, l’apparition d’une leucémie chezun « enfant-bulle » traité par thérapie gé-nique entraîne l’arrêt des essais cliniquesdans le monde. Un deuxième cas est dia-gnostiqué début 2003.

On a par ailleurs annoncé la « décou-verte » du gène héréditaire du cancer dusein. Or celui-ci que l’on croyait éliminerpar des manipulations génétiques refusede disparaître. Pire : en injectant des cel-

lules génétiquement « bricolées », les gé-néticiens se sont aperçus qu’ils provo-quaient des cancers de diverses formeschez des souris qui n’en souffraient pas.Nous pouvons ajouter que les person-nes qui pourraient souffrir d’un héritagegénétiquement cancéreux peuvent trèsbien... ne jamais êtres atteintes de cettemaladie. Le comble fut atteint lorsque desfemmes supposées porteuses de cettetare, après des tests génétiques, ontpoussé la folie jusqu’à se soumettre àdes mammectomies.

3. Jean-Michel Debry, « ADN : cin-quante ans déjà ! », Athena, n°190, avril-mai 2003.

4. Michel Morange, biologiste et his-torien des sciences (Ecole normale su-périeur, Paris-VI).

5. Claude Bernard, Introduction à l’étu-de de la médecine expérimentale (Con-sidérations expérimentales spéciales auxêtres vivants).

6. Poussant la logique du cartésianis-me jusqu’au bout, Boerhaave, dans sonSecond discours des éléments de chi-mie, s’inquiète de « ces fâcheux égare-ments » des philosophes portés à croirequ’il existerait une cause qui ne soit pascorporelle, mais d’une nature supérieu-re : « Il ne revient de son erreur, qu’aprèsque la géométrie lui a fait connaître quechaque corpuscule peut être divisé end’autres corps plus petits, sans changerde nature, soit que ces petits corps soientsensibles ou non. La subtilité mécaniques’en mêle, l’opinion s’évanouit, et il voitenfin que les grands corps agissent com-me les petits [...] C’en fut donc fait de cesmonstrueuses hypothèses, au grand plai-sir des vrais philosophes ; une fois quecette science commence à agir, on nes’attacha plus à de vaines chimères pourexpliquer les différents phénomènes. »

7. Cet ouvrage comporte une série deneuf leçons données par Bernard dansles cours de physiologie générale duMuséum d’histoire naturelle. Elles serontrassemblées et publiées peu après samort en 1878. Ces leçons sont avant toutdes textes de philosophie biologique quirestent d’une grande actualité.

8. Paragraphe IV des Recherchesphysiologiques sur la vie et sur la mort :« Influence de la société sur l’éducationde la vie animale ».

9. Xavier Bichat, Recherches Physio-logiques sur la vie et la mort. Cette éditionest augmentée des notes et réfutationsde François Magendie, ce qui fait appa-raître la différence de méthode fonda-mentale entre les deux écoles.

10. Pourtant, la méthode expérimen-tale avait fait ses preuves dans le pas-sé : William Harvey (1578-1657) en estun des exemples, car c’est en expéri-mentant sur les biches vivantes du parcroyal de Charles Ier en Angleterre qu’il adécouvert le mécanisme de la grande etla petite circulation sanguine.

11. Dans une note de la 28e leçon duCours, Comte salue la personne de l’il-lustre Barthez « un philosophe d’une bien

plus haute portée » que le métaphysicienCondillac.

BibliographieOuvrages de Claude BernardArthur de Bretagne, E. Dentu, 1887.Philosophie, manuscrit inédit, Hatier-

Boivin, 1954.La science expérimentale, ensemble

de textes, J.B. Baillère et Fils, 1878.La sensibilité dans le règne animal et

dans le règne végétal, compte rendu dela présentation de Claude Bernard de-vant l’Association pour l’avancement dessciences, Clermont Ferrand, 1876.

Introduction à l’étude de la médecineexpérimentale, Champs Flammarion.

Principes de médecine expérimenta-le, Quadrige, PUF, 1987.

Cahier de notes, extraits du CarnetRouge Gallimard, 1965.

Leçons sur les phénomènes de la viecommuns aux animaux et aux végétaux,Vrin, 1966.

De la physiologie générale, Culture etcivilisation, 1965.

Nouvelle fonction du foie comme or-gane producteur de matière sucrée chezles hommes et les animaux, J.P. Baillère,1853.

Du suc gastrique et de son rôle dansla nutrition, Thèse pour le doctorat enmédecine, 7 décembre 1843, BNF.

François Magendie, Leçon d’ouver-ture du cours de médecine du Collège deFrance.

François Magendie, Leçons sur lesphénomènes physiques de la vie, J.B.Baillère, 1856

François Magendie, Précis élémen-taire de physiologie, Méquignon-Marvis,1836

Mirko Grmek, Le legs de Claude Ber-nard, Fayard, 1997.

Mirko Grmek, Claude Bernard et laméthode expérimentale, Petite bibliothè-que Payot, 1991.

Francis Bacon, Du progrès et de lapromotion du savoir, Gallimard, 1991.

Hermann Boerhaave, Institutions demédecine et Eléments de chimie.

Xavier Bichat, Recherches physiolo-giques sur la vie et sur la mort et autrestextes, GF- Flammarion, 1994.

Auguste Comte, Discours sur l’espritpositif, Vrin, 1995.

Charles Darwin, L’origine des espè-ces, GF-Flammarion, 1992.

Claude Delhoume, De Claude Bernardà d’Arsonval, Baillère et fils, 1939.

Georges Canguilhem, Etudes d’his-toire et de philosophie des sciences con-cernant le vivant et la vie, Vrin, 2002.

Patrice Debré, Louis Pasteur,Champs-Flammarion, 1994.

André Pichot, Histoire de la notion dugène, Champs-Flammarion, 1999.

Charles Lenay, Darwin, Les belles-let-tres, 1999.

La nécessité de Claude Bernard, Mu-sée Claude Bernard, Fondation Mérieux,Méridiens Klincksieck, 1991.