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1996.13 Les principaux débats comptables J.P. Helfer*, J.P. Milot ** * Professeur à l'IAE de Paris (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) ** Secrétaire Général du Conseil National de la Comptabilité Résumé : La comptabilité, théorique et pratique, traverse aujourd’hui une sérieurse crise d’identité. On s’interroge sur l’évolution qu’il faut faire subir aux standards comptables pour les rendre plus adaptés aux conditions économiques actuelles et à la mondialisation de l’écon- omie. L’article rend compte de tous ces débats. Mots clés : Comptabilité, Normalisation, Survaleur, Immatériels, Information, Cadre comptable. Abstract :Theorical and pratical views of accounting are now going through a turbulence area and everybody is thinking that accounting is confronted with a real problem of identity. It is necessary to adapt accounting framework to the economics situation and to the globalization of firms general strategies. The article relates these debates. Key-words: Accounting, Standardisation, Goodwill, Intangible, Information, Accounting framework. La comptabilité est une matière vivante qui s'enrichit au jour le jour de querelles, de débats personnels et institutionnels, des progrès de la connaissance auxquels certains ont voué une inlassable énergie. Au risque de les voir vite périmées, on présentera ici les idées qui sous- tendent les principales questions que se pose aujourd'hui la communauté scientifique. Ce n'est pas l'ensemble de la matière comptable qui sera examiné. On adoptera ici le point de vue de la comptabilité générale en tant qu'elle est l'objet de la réglementation ; il serait naturellement absurde de penser que les considérations suivantes épuisent le champ des problèmes comptables, il suffit simplement de souligner l'importance des questions liées à la gestion et aux conséquences qui en découlent pour la comptabilité. Ces liens, nécessaires mais difficiles à formaliser, entre comptabilité générale et comptabilité de gestion constituent en eux-mêmes un sujet fondamental qui ne peut être traité ici mais dont l'enjeu dépasse peut-être celui représenté par les questions abordées ci-après. D'autant que dans certains secteurs on assiste à la mise en place d'une autre forme de normalisation, basée sur des considérations plus proches des concepts de comptabilité de gestion, qui pourrait dans l'avenir interférer avec la réglementation s'appliquant à la comptabilité générale. On vise par là certaines procédures de contrôle entraînant des règles précises de calcul des coûts s'imposant dans le cas de soumission à des offres de marchés publics ou dans le cadre de vérification de conditions d'égalité de concurrence. Cette normalisation de certaines notions de coûts ne peut rester sans conséquence sur l'équilibre actuel entre les objectifs respectifs assignés à la comptabilité générale et à la comptabilité de gestion. Une telle tendance pourrait, si elle se généralisait, entraîner la normalisation dans une autre voie qui consisterait en la création d'un référentiel de normes non obligatoires mais auxquelles pourraient se référer des autorités de contrôle ou de surveillance pour accorder certaines autorisations et que des agents privés pourraient convenir d'adopter à l'occasion de certaines transactions. D'une certaine façon on favoriserait ainsi une normalisation tirant sa légitimité plus du “marché” que de son fondement juridique. Une évolu- tion dans cette direction ne pourrait s'envisager que comme un processus très long, supposant de nombreuses réformes et paraît donc assez peu probable, il faut cependant noter qu'elle rendrait sans doute l'harmonisation internationale plus facile.

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1996.13

Les principaux débats comptables

J.P. Helfer*, J.P. Milot **

* Professeur à l'IAE de Paris (Université Paris I

Panthéon-Sorbonne

)

** Secrétaire Général du Conseil National de la Comptabilité

Résumé :

La comptabilité, théorique et pratique, traverse aujourd’hui une sérieurse crised’identité. On s’interroge sur l’évolution qu’il faut faire subir aux standards comptables pourles rendre plus adaptés aux conditions économiques actuelles et à la mondialisation de l’écon-omie. L’article rend compte de tous ces débats.

Mots clés :

Comptabilité, Normalisation, Survaleur, Immatériels, Information, Cadrecomptable.

Abstract

:Theorical and pratical views of accounting are now going through a turbulencearea and everybody is thinking that accounting is confronted with a real problem of identity. Itis necessary to adapt accounting framework to the economics situation and to the globalizationof firms general strategies. The article relates these debates.

Key-words

: Accounting, Standardisation, Goodwill, Intangible, Information, Accountingframework.

La comptabilité est une matière vivante qui s'enrichit au jour le jour de querelles, de débatspersonnels et institutionnels, des progrès de la connaissance auxquels certains ont voué uneinlassable énergie. Au risque de les voir vite périmées, on présentera ici les idées qui sous-tendent les principales questions que se pose aujourd'hui la communauté scientifique. Ce n'estpas l'ensemble de la matière comptable qui sera examiné.

On adoptera ici le point de vue de la comptabilité générale en tant qu'elle est l'objet de laréglementation ; il serait naturellement absurde de penser que les considérations suivantesépuisent le champ des problèmes comptables, il suffit simplement de souligner l'importance desquestions liées à la gestion et aux conséquences qui en découlent pour la comptabilité. Ces liens,nécessaires mais difficiles à formaliser, entre comptabilité générale et comptabilité de gestionconstituent en eux-mêmes un sujet fondamental qui ne peut être traité ici mais dont l'enjeudépasse peut-être celui représenté par les questions abordées ci-après. D'autant que danscertains secteurs on assiste à la mise en place d'une autre forme de normalisation, basée sur desconsidérations plus proches des concepts de comptabilité de gestion, qui pourrait dans l'avenirinterférer avec la réglementation s'appliquant à la comptabilité générale. On vise par là certainesprocédures de contrôle entraînant des règles précises de calcul des coûts s'imposant dans le casde soumission à des offres de marchés publics ou dans le cadre de vérification de conditionsd'égalité de concurrence. Cette normalisation de certaines notions de coûts ne peut rester sansconséquence sur l'équilibre actuel entre les objectifs respectifs assignés à la comptabilitégénérale et à la comptabilité de gestion. Une telle tendance pourrait, si elle se généralisait,entraîner la normalisation dans une autre voie qui consisterait en la création d'un référentiel denormes non obligatoires mais auxquelles pourraient se référer des autorités de contrôle ou desurveillance pour accorder certaines autorisations et que des agents privés pourraient convenird'adopter à l'occasion de certaines transactions. D'une certaine façon on favoriserait ainsi unenormalisation tirant sa légitimité plus du “marché” que de son fondement juridique. Une évolu-tion dans cette direction ne pourrait s'envisager que comme un processus très long, supposantde nombreuses réformes et paraît donc assez peu probable, il faut cependant noter qu'ellerendrait sans doute l'harmonisation internationale plus facile.

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1 Les enjeux

En tant que technique (voire art et/ou science ?) la comptabilité est d'abord un ensemble derègles destinées à produire des comptes rendus. En tant que Droit, ces règles doivent trouver desfondements dans les caractéristiques des entités, objet de ces comptes-rendus, dans lesconséquences qu'ils sont susceptibles d'entraîner (par exemple constatation de la perte de lamoitié du capital social) et dans les qualités probantes des procédures utilisées pour produire cescomptes rendus. La spécificité du Droit Comptable provient de l'exigence d'une adéquationsatisfaisante entre la fidélité et la pertinence du compte rendu d'une part (ce qui suppose unedescription complète des effets économiques d'une transaction) et les caractéristiques juridiques(qualifications et effets sur les droits des tiers) des entités et des opérations traitées d'autre part.De plus, ces comptes rendus doivent être organisés de telle sorte qu'ils fournissent des informa-tions normalisées, compréhensibles par des tiers et permettant des comparaisons dans le tempset dans l'espace.

Pour les entreprises industrielles et commerciales il existe depuis longtemps un accord surles éléments fondamentaux qui doivent constituer l'articulation des documents publiés : le bilanexprime la richesse de l'entreprise et le compte de résultat l'enrichissement (ou l'appauvrisse-ment) constaté au cours de l'exercice. Dans cette conception les capitaux propres représententla liaison privilégiée entre le bilan et le compte de résultat dont le solde ultime, le résultat,fournit la variation des capitaux propres imputable à l'exercice. Cette construction s'appuie à lafois sur des considérations juridiques -les capitaux propres constituent la garantie des tiers- etsur l'appréciation de l'activité économique (enrichissement ou appauvrissement). Il est à noterque cette approche nécessite une hypothèse supplémentaire importante pour déterminer lesméthodes d'évaluation : l'entreprise est présumée poursuivre ses activités et ses “richesses”doivent donc s'apprécier par rapport aux revenus qu'elle est susceptible d'engendrer et non parrapport à une valeur liquidative. Cet ensemble d'hypothèses confère une forte cohérence auxdifférents formats utilisés pour présenter les documents de synthèses (bilan, compte de résultatet annexe qui complète et commente les deux états précédents). Mais, dès que l'on s'intéresse àdes entités différentes, la simple reprise des modèles précédents ne constitue pas forcément lameilleure solution ; cependant, comme on le verra dans la suite, on ne dispose pas toujours d'unebase conceptuelle suffisante pour déterminer les formats les mieux adaptés, faute souvent detrouver une liaison assez forte entre base juridique et description économique. Cette liaison, quiconstitue le véritable fondement conceptuel de la comptabilité commerciale (et donc aussi seslimites) reste donc à construire dans la plupart des nouveaux domaines qui s'ouvrent à la compt-abilité légale.

Les problèmes qui se posent aujourd'hui ne sont pas fondamentalement nouveaux ; ils ontgénéralement pour origine des évolutions techniques ou juridiques qui concernent soit lescaractéristiques des entités ou des opérations, soit celles des procédures (enregistrement desopérations, tenue des comptes).

Trois phénomènes ont joué et joueront dans l'avenir des rôles particulièrement importantsdans ces évolutions :

- l'extension du champ des activités économiques requérant la nécessité de comptes bien audelà de la sphère commerciale même élargie,

- la dématérialisation des procédures et des opérations permises par le développement destechniques de transmission et de traitement de l'information,

- l'internationalisation accélérée de la vie économique pour certains secteurs et certainesopérations et notamment le développement du marché international des capitaux.

- Il en résulte trois grandes questions qui peuvent servir de fil conducteur à l'examen desproblèmes actuellement en débat au sein du monde comptable.

Comment concilier des règles nécessairement territoriales, car liées au droit d'une zonedonnée, (droit des sociétés, droit fiscal, droit social...) avec les exigences de comparabilitémondiale qu'impose l'existence d'un marché international des capitaux pour certaines entités ?

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Comment adapter (transformer) un modèle fortement influencé par les exigences des règleset usages commerciaux classiques à la description d'entités ou d'opérations non commercialesmais qui peuvent s'en rapprocher plus ou moins ?

Comment appréhender des procédures ou des opérations de plus en plus abstraites dont laréalité est essentiellement immatérielle et que la technique actuelle permet de matérialiser sousdes formes diverses, à des dates arbitraires et dans des conditions de sécurité variables ?

Pour apporter des réponses, partielles, à certaines de ces questions des solutions ont étéproposées. Il peut s'agir de solutions “techniques” comme la modification d'une règle (ou del'interprétation d'une règle). Ainsi par exemple, les problèmes posés par la comptabilisationd'instruments financiers qui furent qualifiés de nouveaux soulèvent directement la question dela portée du principe du bénéfice réalisé. Ces questions sont classiques, ce qui ne signifie pasque la solution soit simple ; elles renvoient à un problème institutionnel qui est également undes problèmes les plus cruciaux du moment. On peut formuler ainsi la question sous-jacente :comment concilier la nécessaire stabilité des règles (ainsi que le formalisme qui s'attache à cellequi sont les plus fondamentales) avec la nécessité d'adaptation rapide à de nouvellestechniques ?

Mais, d'autres propositions plus radicales ont également été formulées. Elles touchent auxlimites conceptuelles du modèle comptable et obligent à s'interroger sur la hiérarchie des objec-tifs poursuivis. On peut citer comme exemple de cette tendance les propositions tendant à fairede l'intention un élément déterminant du classement et de l'évaluation de certaines opérations.Cette comptabilité d'intention s'opposerait à une comptabilité de pure constatation exclusive-ment fondée sur une qualification juridique entraînant mécaniquement le traitement comptable.Cette opposition est plus que caricaturale, elle est tout simplement erronée. Il ne saurait en effety avoir d'intention ou d'approche économique indépendante de la forme juridique. Un traitementcomptable correct doit s'appuyer à la fois sur une bonne analyse juridique (ce qui peut conduireà remettre en cause une qualification particulière) et sur la prise en compte des effetséconomiques de l'opération qui sont généralement liés à l'intention à l'origine de celle-ci. Lemodèle comptable actuel n'ignore pas cette obligation, mais dans la pratique il s'instaure néces-sairement un équilibre qui reflète l'importance relative attachée à ces différents aspects. Laréférence à la comptabilité d'intention témoigne de la volonté de modifier cet équilibre, la diffi-culté et le risque au niveau conceptuel étant que comme cet équilibre est essentiellementpratique et peu formalisé les conséquences d'une modification significative de celui-ci sont trèsdifficiles à prévoir et à maîtriser.

Pour dresser l'état des questions d'actualité en comptabilité, on abordera successivement lesproblèmes engendrés par le choix de l'entité à laquelle s'applique la règle comptable avant derelever les conséquences les plus notables de la dématérialisation des supports. On poursuivracette présentation par un regard porté sur la question nécessaire, mais tellement délicate del'harmonisation internationale et par un exposé des interrogations les plus fréquemmentsoumises à la sagacité des directeurs de comptabilité et des chercheurs au cours de la périoderécente.

2 La diversité des entités et des activités comme consequencedes transformations de l'économie

Nos économies évoluent, les structures qui les sous-tendent changent. Dans un doublemouvement, les entités auxquelles s'appliquent les règles comptables se transforment et lesactivités menées par ces mêmes entités s'étendent.

2-1 Les entités

Si les règles de la comptabilité commerciale classique, telles qu'elles figurent dans le code decommerce, s'appliquent sans ambiguïté, sinon sans difficulté, aux entreprises dotée d'une forme

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juridique clairement définie il n'en va pas de même pour des organisations moins bien “établies”sur le plan de leur statut juridique. Il est peut-être nécessaire de rappeler que ces règles sont lerésultat de la transposition en droit français de la IV° Directive européenne élaborée pourrépondre à des besoins précis et limités en ce qui concerne la protection des associés et des tiersen relation avec des sociétés de capitaux qui n'offrent comme garantie que leur patrimoinesocial. Ces règles supposent donc que les notions de patrimoine, de droits des associés et destiers soient définies assez précisément pour que le comptable sache quelles informations sontutiles et pertinentes. Or, tel n'est pas le cas dès que l'on quitte le terrain solide des sociétés. Plusgénéralement, l'évolution juridique récente tend de plus en plus à substituer aux notions clas-siques de sociétés et de fonds de commerce la notion d'entreprise sans que le droit comptable enait tiré toutes les conséquences. Pourtant, au moment où d'une part 1'instauration de la sociétéunipersonnelle donne une dimension nouvelle à la notion de personne morale qui ne peut plusse définir (et se justifier ?) comme groupement de personnes organisé par un contrat et où d'autrepart l'émergence d'un droit des groupes modifie la notion d'indépendance de la société, mettanten cause la consistance de son patrimoine, il pourrait sembler opportun de redéfinir le contenude certains concepts comptables. Les problèmes suivants, actuellement en débat, illustrent cettenécessité.

2-1.1 Les entreprises individuelles et les très petites entreprises

Des amendements aux règles classiques ont été autorisées pour les entreprises de taillemodeste ou pour celles qui n'ont pas retenu une forme sociétaire. C'est toute la question du patri-moine et d'une comptabilité de simple trésorerie qui est ici posée.

2-1.1.1

Le problème du patrimoine

L'article 8 du code de commerce précise que tout commerçant doit enregistrer les mouve-ments affectant le patrimoine de son entreprise. Cette rédaction indique clairement la possibilitéde l'existence d'un patrimoine distinct de celui de l'entrepreneur dans le cas d'une entrepriseindividuelle non constituée en société. Une telle notion est bien connue en droit fiscal, mais lescomptables ne l'ont pas étudiée au regard des dispositions générales régissant la comptabilité.On peut penser, qu'en pratique, les solutions seraient identiques à celles retenues en fiscalité etd'ailleurs il en est bien déjà ainsi puisque les entreprises individuelles constituant la très grandemajorité des entreprises, on n'a pas entendu dire que l'absence de définition explicite d'un patri-moine comptable empêchait d'établir leurs comptes annuels. Cependant, cette situation pose unproblème non pas pratique (la fiscalité l'a résolu depuis longtemps) mais théorique dont lesconséquences débordent le cas des entreprises individuelles et qui est celui de la significationqu'il faut donner au contenu du bilan. Les textes indiquent que ce dernier doit “donner une imagefidèle du patrimoine et de la situation financière”. Cette référence montre que le bilan ne peuts'attacher au seul patrimoine entendu dans un sens “civiliste” étroit. Même s'il est vrai que laréférence à la “situation financière” vient de la IV° directive, la notion de patrimoine ne pouvantconstituer une solution pour définir le bilan dans certains pays européens, son adjonction n'estpas sans conséquence. Dans une première conception, deux interprétations peuvent être tiréesde cette dualité de références : le bilan doit montrer la consistance du gage des créanciers dansune optique de continuité de l'exploitation ; il ne reprend donc que la partie du patrimoine ayantune valeur économique au regard de cette hypothèse, la référence à la situation financière expri-mant cette restriction. Mais alors, le bilan n'est pas le document adéquat pour les utilisateurspuisque dans le cas de l'entrepreneur individuel il est clair que c'est l'ensemble de son patrimoinequi est porté en garantie. Dans la seconde interprétation, le bilan exprime le potentiel de produc-tion de l'entreprise, mais il est clair que ce potentiel contient des éléments dont l'entrepreneur ale “contrôle” sans détenir de droits patrimoniaux bien identifiés et qu'il ne peut donc inscrire àson bilan.

Quelle que soit l'interprétation, la conclusion semble donc être que dans la pratique actuelle,le bilan “patrimonial classique” est un instrument insuffisant pour répondre aux attentes des util-isateurs. Il est donc nécessaire que soit exploré de manière beaucoup plus approfondie l'idéed'un “patrimoine comptable” propre à satisfaire des besoins clairement définis.

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2-1.1.2

La comptabilité de trésorerie et le calcul d'un “résultat”

La loi du 11 février 1994 (article 20), dite loi Madelin, autorise, par dérogation aux articles8 à 17 du code de commerce, les personnes physiques soumises à un régime forfaitaire d'impo-sition à ne pas établir de comptes annuels. Les obligations alternatives décrites dans la loi recou-vrent ce qu'il est convenu d'appeler la comptabilité de trésorerie. Comme l'indiqueimplicitement la rédaction de la loi l'intention est de créer un régime comptable le plus simplepossible et compatible avec les obligations fiscales. On peut cependant noter qu'il n'a pas étéjugé possible de réaliser un alignement complet des obligations comptables sur les obligationsfiscales, alors que pour la détermination du seuil à partir duquel ce régime comptable estautorisé la loi commerciale s'en remet totalement à la loi fiscale. Reste à définir précisément cesnouvelles obligations, la notion de comptabilité de trésorerie ne figurant pas dans les textesantérieurs, cette pratique ayant surtout été utilisée en fiscalité. Le point le plus importantconsiste à distinguer cette comptabilité de trésorerie d'une simple comptabilité de recettes et dedépenses puisque, par exemple, elle intègre la notion d'amortissement pour le calcul d'un“résultat” qui n'est de ce fait pas un simple résultat de trésorerie. Enfin, la référence à des seuilsfiscaux consacre l'idée que le critère pertinent est celui de la taille de l'entreprise et non son statutjuridique, on observe donc que le rapport est de moins en moins évident entre la forme juridique(S.A., S.A.R.L., entreprise individuelle, etc...) et le niveau des obligations requises, justifiéespar les caractéristiques juridiques ; une telle évolution est sans doute le résultat d'une apprécia-tion objective des tendances observées ; il n'est pas certain qu'elle soit un facteur de simplifica-tion du droit des affaires.

2-1.2 La comptabilité des groupes

La VII° directive européenne, portant sur l'établissement des comptes consolidés, définitdans son article premier les conditions dans lesquelles une entreprise, dénommée entreprisemère, doit établir des comptes consolidés. L'article 16.3 précise: “Les comptes consolidésdoivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultatsde l'ensemble des entreprises comprises dans la consolidation”. Ainsi apparaît une différenceentre l'entité sur laquelle pèse l'obligation de faire les comptes (l'entreprise mère) et l'entité objetde ces comptes (l'ensemble des entreprises comprises dans la consolidation que la directive évitepresque toujours d'appeler le groupe). La VII° directive se présente donc comme une directivesur la consolidation des comptes qui complète la IV° directive en désignant l'entité chargée deconsolider les comptes d'un ensemble de sociétés et en définissant les règles de consolidation.Cette interprétation est confortée par le fait que la méthode utilisée dans le cas classique ducontrôle exclusif est l'intégration globale, l'intégration proportionnelle n'étant utilisée que dansles cas particuliers de contrôle conjoint. Mais cette cohérence doit malheureusement être rela-tivisée dans la pratique. La VII° directive et la loi qui l'a transposé en droit français sont descompromis entre deux conceptions différentes de la consolidation. Depuis longtempss'affrontent en effet une conception généralement qualifiée d'économique et une conception ditefinancière. Selon la première conception, on consolide les comptes d'un ensemble de sociétésparce qu'elles forment un groupe et les comptes consolidés sont précisément les comptes dugroupe. Selon la seconde conception, on consolide les comptes de sociétés contrôlées (filiales)avec ceux de la société qui contrôle (mère) et les comptes consolidés sont davantage descomptes de la société consolidante et de ses extensions que des comptes du groupe. La premièreconception s'attache à montrer la réalité économique du groupe, la seconde insiste plus sur laréalité financière de la société mère. En théorie, l'intégration globale qui traite de la même façonla part des actifs contrôlés par la mère et la part revenant aux tiers (les minoritaires) est laméthode correspondant à la conception économique. Cependant, la pratique montre que la situ-ation n'est pas aussi claire. Ainsi on parle de la part du groupe pour l'opposer à la part desminoritaires ce qui montre une certaine confusion entre le groupe et l'entité qui le contrôle ; demême les survaleurs apparaissant lors des acquisitions ne concernent que l'entreprise détentrice.Ce débat, fort ancien, a été considéré parfois comme très théorique et, aux Etats-Unis où il estné, il est vrai qu'il a un aspect un peu formel dans la mesure où les pourcentages de détentiondans les groupes sont très souvent supérieurs à 90% ; or il est bien évident que dans le cas d'une

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détention à 100% il n'y a pas de différence entre la conception économique et la conceptionfinancière. Sous l'impulsion des normes américaines, très en avance en ce domaine, l'habitude aété prise de considérer que, dans la pratique, des règles basées sur un compromis implicite entreles deux conceptions pouvaient fournir plus facilement d'avantage d'informations que celles quirésulteraient de l'adoption d'une méthode plus cohérente. Il reste cependant que la validité de cecompromis décroît fortement à mesure que l'on rencontre des structures de groupes ou lespourcentages de détention donnant le contrôle sont très éloignés de 100%. Cette situation estsouvent celle que l'on rencontre en France et il en résulte deux catégories d'inconvénients : d'unepart certains problèmes ponctuels, mais importants, comme la survaleur, ne s'analysent pasexactement de la même façon suivant la conception que l'on privilégie et d'autre part, celle-ciest également un élément important du débat sur les possibilités et les fondements d'une éven-tuelle déconnexion entre les comptes individuels et les comptes consolidés.

2-1.2.1

La survaleur

La survaleur, par l'importance des montants concernés, est un des problèmes les plus impor-tants du moment. Qu'est ce que la survaleur (ou en termes techniques l'écart d'acquisition)?.Pour fixer les idées considérons le cas fictif suivant : une société appartenant à un groupe, lamère pour simplifier, acquiert, pour 60MF, 60% des titres d'une société tierce ; par hypothèsel'ensemble des sociétés comprises dans le groupe est déjà consolidé par intégration globale et lanouvelle société acquise devra l'être également. Dans les comptes sociaux (individuels) de lamère on trouvera, à l'actif, des titres de participation pour leur coût d'acquisition soit 60MF ; laquestion est de savoir à quel coût on doit intégrer la société acquise dans les comptes consolidés.A priori deux réponses semblent possibles : ou bien 60MF, mais cette somme ne représente que60% de la société acquise et la méthode de l'intégration globale implique que l'ensemble de cettesociété se retrouve dans les comptes consolidés, ou bien 100MF, mais rien ne prouve quel'acquisition de 100% des titres aurait coûté 100MF ; il ne s'agit donc pas d'un vrai coût. Lessolutions retenues par les normes de consolidation sont des compromis entre ces deux chiffres,elles consistent à réestimer les éléments de l'actif et du passif de la société acquise à une valeurd'acquisition, non pas à leur valeur marchande intrinsèque sauf s'ils sont destinés a être vendusdans le cadre de l'activité normale de la société, mais à la valeur qu'aurait payé l'acquéreur destitres si au lieu d'acheter les titres il avait acheté les éléments un par un. Elles conduisent égale-ment à identifier des éléments d'actif et de passif qui ne figurent pas dans le bilan de la sociétéacquise mais qui peuvent être comptabilisés lors d'une acquisition. Les éléments ne figurent pasau bilan soit en raison de la politique comptable de l'entreprise soit parce que les textes interd-isent d'activer certains frais concourant à la création d'immobilisations. Reprenant les chiffresde notre exemple nous supposons que la réestimation des éléments figurant au bilan de la sociétéacquise représente 70MF pour une valeur comptable avant réestimation de 50MF ; supposonsen outre que l'on ait identifié et estimé un actif incorporel pour 10MF. Si on admet que la sociétéacquise vaut 100 les comptes du groupe devraient faire apparaître un actif de 100 comprenantdes actifs pour 80 (70+10) et un écart d'acquisition de 20 ; en contrepartie le passif ferait appa-raître des droits de majoritaires pour 60 et de minoritaires pour 40 (tableau 1).

Les solutions actuellement appliquées privilégient soit le principe du coût d'acquisition enadoptant la conception financière, soit la conception économique de l'unité du groupe. Selon lapremière méthode on inscrit à l'actif des comptes consolidés d'une part la part des majoritairesen valeur réestimées, soit 60 qui se décomposent en 42 (60% de 70) pour ce qui figurait au bilande la société acquise, 6 pour actif incorporel identifié (60% de 10) et un écart d'acquisition de12 (60% de 20) et d'autre part la part des minoritaires qui, n'ayant pas fait l'objet de transactions

Tableau 1 :

Actifs réestimés 70 Intérêts majoritaires 60

Actifs incorporels 10 Intérêts minoritaires 40

Ecart d'acquisition 20

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reste à sa valeur comptable soit 20 (40% de 50) le total faisant 80 avec pour contrepartie aupassif 60 pour les majoritaires et 20 pour les minoritaires (tableau 2).

Selon la seconde méthode on inscrit à l'actif la valeur des actifs réestimés soit 80 (70+10) etun écart d'acquisition qui ne concerne que les majoritaires de 12 (60-42-6). La part desminoritaires au passif représente alors 32 (tableau 3).

La première méthode, qui a pour effet de présenter des actifs évalués pour partie en valeur“réelle” et pour partie en valeur historique est difficile à interpréter ; elle repose strictement surle principe du coût d'acquisition combiné avec la méthode de l'intégration globale en prenantacte du fait que l'acquisition d'une partie seulement des titres a brisé la symétrie de l'évaluation.La seconde méthode pose également un problème d'interprétation puisque les actifs reconnusfigurent bien pour leur valeur “réelle”, mais la survaleur ne concerne que les majoritaires, alorsque selon la conception économique les minoritaires font partie du groupe ; cette survaleurn'appartient donc pas au groupe, ni à la société acquise, mais à l'acquéreuse et c'est seulement àce titre qu'elle apparaît dans les comptes consolidés du groupe.

2-1.2.2

Les relations entre comptes individuels et comptes consolidés

La question de la nature des comptes consolidés a également des conséquences importantesdans le débat qui s'instaure périodiquement sur les possibilités et les avantages d'une décon-nexion entre les règles des comptes individuels (comptes sociaux) et celles s'appliquant auxcomptes consolidés. Afin d'éviter toute ambiguïté, précisons que cette déconnexion ne viseévidemment pas les règles propres à la consolidation des comptes comme l'élimination desopérations intergroupe ou les retraitements d'homogénéité. Cette idée est apparue à l'occasionde l'élaboration de la VII° directive qui traite de la consolidation des comptes. Pour tout ce quin'est pas spécifique, la directive renvoie à la IV° mais précise dans son article 29.2.a. “L'entre-prise qui établit les comptes consolidés doit appliquer les mêmes méthodes d'évaluation quecelles appliquées à ses propres comptes annuels. Toutefois, les Etats membres peuvent autoriserou prescrire que d'autres méthodes d'évaluation conformes aux articles ci-dessus indiqués de ladirective 78-660/CEE soient appliquées aux comptes consolidés”. Ainsi, dans le cas ou un Etatn'aurait pas autorisé dans les comptes individuels nationaux toutes les méthodes permises par ladirective 78-660/CEE, c'est-à-dire la IV° directive, il serait en droit d'autoriser ces méthodesdans les comptes consolidés. C'est exactement ce qui a été fait en France avec l'adoption del'article 248.8 du décret du 17 février 1986 et c'est précisément le point qui a ouvert le débat.

On notera cependant que les possibilités de déconnexion sont d'emblée limitées à des méth-odes proposées pour les comptes individuels ; il ne s'agit donc pas du fondement conceptueld'une différence entre deux corps de règles s'appliquant à des entités différentes mais d'unesimple souplesse sans réelle justification.

Cette souplesse a entraîné de nombreuses discussions, certains y voyant l'amorce d'une solu-tion au problème de l'harmonisation internationale. Les comptes sociaux resteraient établissuivant les règles françaises et les comptes consolidés, non fiscalisés et sans conséquence enterme de distribution ou de perte de la moitié des capitaux propres, pourraient suivre les normes

Tableau 2 :

Intérêts majoritaires

Actifs réestimésActifs incorporelsEcart d'acquisition

42612 Intérêts majoritaires 60

Intérêts minoritaires

20 Intérêts minoritaires 20

Tableau 3 :

Actifs réestimés 80 Intérêts majoritaires 60

Ecart d'acquisition 12 Intérêts minoritaires 32

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internationales, réalisant ainsi l'objectif d'harmonisation sur le seul terrain où l'intérêt est mani-feste pour tous. Cette proposition soulève une double difficulté. D'abord, on l'a déjà noté, lespossibilités sont limitées aux méthodes permises par la IV° Directive, ce qui pourrait être insuf-fisant pour adopter certaines “normes internationales”, ensuite, cette solution “conviendrait” enFrance mais pas forcément dans d'autres pays ou les conséquences des comptes consolidéspeuvent être importantes dans d'autres domaines que celui de la seule information financière. Sil'on veut poursuivre la réflexion dans cette voie en se proposant de définir des règles spécifiquespour les comptes consolidés, ce qui suppose bien entendu des modifications substantielles destextes existants, il faut construire un fondement conceptuel à cette différence. Certains élémentssur lesquels une telle réflexion pourrait s'appuyer existent dès à présent. Ainsi, comme on l'a vuci-avant, la notion de patrimoine d'un groupe présente des spécificités permettant d'affirmer qu'ilne s'agit pas d'une simple agrégation des patrimoines des sociétés constituant le groupe (tousretraitements techniques effectués). De plus, des interrogations récentes montrent que laconstruction de comptes de groupes ne pourra plus se limiter à des ensembles définis à partir deliens de participations. La notion de “comptes combinés” fournit un cadre nouveau pour traiterces ensembles regroupant des sociétés liées par des détentions de titres, des sociétés non liéesde cette manière et des entités n'ayant pas la forme juridique de sociétés de capitaux. Cesgroupes peuvent avoir, par delà la diversité des liens qui les constituent, une réelle unité et laproduction de comptes retraçant leur contour représente un enjeu considérable. L'apparition denouvelles méthodes élaborées pour construire ces “comptes combinés” est un argument supplé-mentaire en faveur de l'autonomie des comptes consolidés. Cependant plusieurs argumentscontraires peuvent également être avancés. On en citera trois, sans les développer. En premierlieu, les considérations précédentes portent sur la définition du patrimoine parce que cette défi-nition dépend largement de la définition du groupe lui-même qui reste ouverte. On voit mal enrevanche quelle ouverture ce débat introduirait sur les méthodes d'évaluation, or celles-ciconstituent aussi une source de divergence importante entre les différents référentiels existants.La voie de l'harmonisation mondiale ne serait donc pas totalement ouverte sur ce terrain.

En deuxième lieu, l'avantage d'une déconnexion entre comptes individuels et comptesconsolidés n'est évident que pour les groupes se trouvant confrontés à des réglementationscomptables différentes, c'est-à-dire les groupes multinationaux pour lesquels, outre des diffi-cultés techniques importantes, cette diversité pose un problème de communication financièreavec des investisseurs répartis dans plusieurs pays, problème qui peut dans certains cas serévéler très important et peser de manière non justifiée sur des décisions de gestion. Mais,lorsqu'il ne s'agit pas de groupes multinationaux, l'avantage que l'on attend de la déconnexionse retourne et devient une source de complications inutiles et coûteuses. Or, si les groupes multi-nationaux à base française représentent à n'en pas douter un poids économique considérable lesgroupes seulement “hexagonaux” sont beaucoup plus nombreux et leur nombre s'accroît. L'obli-gation de faire des comptes consolidés les concerne également et est de plus en plus soutenuepar les utilisateurs. Une autre raison doit être signalée pour indiquer que si la voie de la décon-nexion ne peut être abandonnée elle doit être examinée avec beaucoup de circonspection et nepeut constituer la solution miracle au problème de l'harmonisation mondiale. Il existe en effetdes liens directs entre les comptes individuels et les comptes consolidés, liens qui se manifestentdans certaines circonstances particulières telles que les fusions ou les scissions. On peut ainsiimaginer un cas très simple, naturellement peu réaliste, d'un groupe constitué de deux sociétésfaisant deux comptes sociaux et un compte consolidé. Si l'une des sociétés absorbe l'autre, lescomptes consolidés disparaissent mais il serait a priori choquant que les comptes sociaux de lasociété après absorption soient différents des anciens comptes consolidés, du moins lesdifférences différentielles pouvoir se comprendre aisément !

En troisième lieu, certaines considérations sur les relations entre les comptes consolidés etles comptes sociaux doivent également être rappelées dans ce débat. Tout d'abord, le statutjuridique est différent. S'ils sont tous deux certifiés par des commissaires aux comptes, seuls lescomptes sociaux sont votés par l'assemblée générale. Ensuite, si les comptes consolidés constit-uent bien de “vrais” comptes au sens où ils comportent un bilan, un compte de résultat et uneannexe, ils ne constituent pas une comptabilité complète au sens où il n'existe pas de livres

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comptables spécifiques (cotés et paraphés) ayant une valeur juridique. De ce point de vuejuridique, comme du point de vue strictement technique, les comptes consolidés ne peuvent êtreque le résultat de la consolidation des comptes sociaux et non des comptes totalement auto-nomes. Ces observations ne permettent pas de conclure qu'il est impossible de concevoir desdifférences entre des règles s'appliquant aux comptes consolidés et des règles traitant des casidentiques dans les comptes individuels mais suggèrent, que si différence il y a, elle doit êtreencadrée, maîtrisée et donc justifiée.

2-1.3 La comptabilité des entités particulières

On vise ici la question des co-entreprises, des entités sans personnalité juridique, desO.P.C.V.M. (Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières), des S.C.P.I. (SociétésCiviles de Placements Immobiliers). Les questions évoquées plus haut (quels bilans et quelscomptes de résultat sont nécessaires pour donner l'image fidèle ?) se transposent aisément à tousles autres cas que l'on rencontre fréquemment dans la vie économique. L'exemple des co-entre-prises, qui ne sont généralement que des contrats consistant pour deux personnes à mettre encommun des moyens et à déterminer un partage du résultat obtenu de cette manière, illustreencore s'il en était besoin la nécessité de fonder des concepts autonomes de droit comptable, carles agents économiques demandent des règles pour établir les comptabilités de ces entités, alorsmême que dans certains cas l'existence de ces contrats n'est pas révélée aux tiers.

Dans le même ordre d'idée, on mentionnera les problèmes posés par les différences de statutentre les S.I.C.A.V. et les F.C.P. qui ne doivent pas avoir pour conséquences l'existence de règlescomptables différentes. Pour autant, on ne peut en déduire sans réflexions complémentairesapprofondies la nécessité d'un modèle comptable spécifique aux “fonds communs d'investisse-ment” comme le montre les hésitations concernant la comptabilité des S.C.P.I. Les ressem-blances entre les O.P.C.V.M. et les S.C.P.I. (fonds commun d'investissement) justifient-ellesl'adoption de règles comptables communes ou les différences entre le marché des titres (cota-tion) et celui de immobilier (difficultés d'évaluation des immeubles) nécessitent-elles des règlesdifférentes, notamment en matière d'évaluation ?

On retrouve ici la question fondamentale de la pertinence d'un modèle (cadre conceptuel ?)comptable mis à mal par l'évolution toujours accélérée de la nature des liens entre les agentséconomiques.

2-2 L'extension des activités

La période récente se caractérise par le développement de nombreuses activités non commer-ciales que la loi de 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises qualifie“d'économiques”. Ces activités ne sont pas nécessairement nouvelles, mais le besoin de comptes“officiels” destinés non plus aux seuls gestionnaires mais aussi aux tiers, éventuellement certi-fiés par des commissaires aux comptes représente un enjeu nouveau et très important. Ces nouv-elles demandes recouvrent en fait deux catégories de problèmes assez différents. D'un côté, oncherche à mieux contrôler des entreprises ayant des statuts divers mais exerçant des activitésquasi-commerciales dans des contextes particuliers entraînant à la fois des contraintes deservices publics et des conditions privilégiées d'exploitation (subventions, garanties...) ; c'est ceque l'on qualifiera faute de mieux d'économie mixte. D'un autre côté, on tente de mieux vérifierle fonctionnement d'entités n'exerçant pas directement d'activités, hors celles qui leur permettentd'exister, mais qui agissent comme collecteurs de fonds, soit en faisant appel à la générositépublique, soit par délégation des pouvoirs publics.

2-2.1 Les associations

Le cas de l'économie mixte met souvent en évidence une contradiction entre un statutjuridique (par exemple celui des sociétés d'économie mixtes qui sont des sociétés anonymes) etles contraintes d'une mission d'intérêt général. La comptabilité doit-elle se satisfaire deprésenter fidèlement le compte-rendu de l'exécution de la mission dans le cadre fixé (ce qui

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suppose une certaine forme de garantie extérieure jouant dans les cas ou les hypothèses dedépart ne sont plus vérifiées) ou doit-elle avoir recours aux règles classiques applicables auxentreprises qui n'ont que leur patrimoine social à offrir en garantie ? Cette question n'est pas dutout théorique, de la réponse qui lui sera apportée dépendra le degré d'adaptation ou de déroga-tion aux règles comptables applicables aux sociétés de capitaux qu'il sera possible d'accepter.Dans la mesure où on estime que l'adossement sur des entités publiques susceptibles d'interveniren cas de défaillance est une mesure de protection suffisante des tiers en relation avec ces entre-prises, on peut alors imaginer qu'une partie des règles comptables des sociétés, précisémentdestinées à assurer cette protection, peut ne pas s'appliquer. Si, en revanche, on estime que cesentreprises ne peuvent se prévaloir de telles garanties pour des raisons d'affichage ou d'incitationà une “bonne” gestion il devient plus difficile de les exempter de certaines règles.

2-2.2 Les activités non marchandes

L'activité purement non marchande soulève plusieurs questions. Quelle description priv-ilégier : de bon emploi des fonds, l'exécution du budget ? Comment appliquer (ou interpréter)les grands principes: droits constatés, continuité d'exploitation, prudence ? Le problème n'estplus la détermination du bénéfice (distribuable) mais celui de la signification même de cettenotion puisque la démarche classique liant l'appréciation de la qualité de la gestion etl'enrichissement de l'entité n'est plus adaptée. On examinera brièvement le problème des asso-ciations, puis celui des collectivités territoriales.

2-2.2.1

Les associations

Les associations posent un double problème dans la mesure ou certaines d'entre elles exer-cent une activité économique, parfois fort importante, et d'autres sont avant tout des organismesde collecte et de redistribution, certaines pouvant bien entendu avoir ces deux caractéristiques.

Dans le premier cas, il existe une analogie avec les entreprises industrielles et commerciales.Les règles comptables doivent permettre de calculer des coûts afin de rendre compte de la façondont est exécutée la mission de l'association ; on se trouve dans une situation voisine de celle del'économie mixte. Le problème spécifique des associations réside, dans ce cas, dans le mécan-isme d'affectation du résultat et du suivi de l'utilisation ultérieure de ce résultat. Pour éliminercette difficulté certains avaient avancé l'idée que la comptabilité des associations devaientdéboucher sur un résultat nul. Outre le fait que dégager un résultat nul par construction semblecontradictoire avec le principe même de la comptabilité, une telle proposition introduisait uneconfusion entre provisions et réserves, confusion qui aurait pu avoir des conséquencesdommageables dans d'autres secteurs. Pourtant il faut bien admettre que la solution actuelle-ment proposée (création d'une réserve spéciale pour affecter la part du bénéfice destiné àfinancer le projet associatif), est parfois difficilement comprise par les responsables des associ-ations. La difficulté est que, contrairement à une provision qui est reprise en résultat au momentde son utilisation, une réserve ne peut jamais “repasser” par le compte de résultat et qu'elle nepeut être “vidée” que par des pertes ultérieures, ce qui est conforme à la réalité mais présentel'inconvénient d'un résultat en dents de scie, assimilé à tort par certains à une mauvaise gestion.

Dans le second cas, la difficulté est de concilier comptabilité de période et affectation desproduits des collectes aux utilisations prévues et conformes aux intentions des donateurs. Lasolution de ce problème exige la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique assez sophis-tiquée. Le problème devient vraiment très compliqué dans les cas, assez fréquents dans lesecteur sanitaire et social, ou l'association exerce une activité économique et fait appel à lagénérosité publique pour contribuer au financement de cette activité ou pour des causes annexes.

2-2.2.2

Les collectivités territoriales

Le problème posé par les collectivités territoriales est analogue sur le fond à ce qui vientd'être développé pour les associations. C'est celui de la coexistence entre, d'une part, des activ-ités économiques de production de biens ou de services qui posent des problèmes de calcul descoûts (et donc d'amortissement) et, d'autre part, des fonctions redistributives qui appellent plutôt

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des procédures de contrôle d'emploi des fonds et pour lesquelles la notion de résultat n'a pas devéritable signification. Il faut y ajouter une difficulté plus spécifique tenant à l'imprécision desnotions de subventions d'équipement, de dotations et d'apport qui rend assez difficile la mise aupoint d'une structure classique de bilan, ainsi que la formalisation de la liaison entre le bilan etle compte de résultat. Cette difficulté n'est pas que formelle ; elle reflète une certaine contradic-tion entre l'approche de la comptabilité commerciale (souvent qualifiée de patrimoniale) et lafonction de la comptabilité comme exécution du budget. Il est bien évident en effet que si lesentreprises industrielles et commerciales utilisent des budgets comme outils de prévision et sil'organisation interne du système d'information peut permettre l'articulation entre ce budget etla comptabilité générale, cette articulation est nécessairement plus complexe que la simple tran-scription du budget en comptabilité. De plus, ces informations, si elles existent, ne sont évidem-ment pas destinées à être communiquées à l'extérieur. Cette dernière remarque suggère que lestiers ne sont pas dans la même position vis-à-vis d'une entreprise et d'une collectivité territoriale,ce qui incite certains à penser que c'est plus la comptabilité analytique (ou comptabilité degestion) qui constituerait la référence appropriée pour les collectivités publiques.

Ces questions posent le problème de l'unicité du corps de principes et de règles, du rapportentre la nature de l'activité et le statut juridique et du fondement des différences entre les règlescomptables : taille, statut, activité...? Il faut évidemment ajouter à cette liste les cas, volontaire-ment non abordés ici des banques et des assurances.

2-3 La dématérialisation, conséquence des progrès techniques

2-3.1 Dématérialisation de la tenue des comptes ; sécurité des procédures

Aujourd'hui, dans de nombreux cas, le livre journal ne regroupe plus que des récapitulationsmensuelles des livres auxiliaires sur lesquels ne porte aucune obligation formelle. Il n'offresouvent plus de réelles garanties quant à l'authentification des enregistrements comptables. Lelivre d'inventaire ne comporte que les comptes annuels. La dérogation à la cote et au paraphe,prévue pour les “documents informatiques écrits” a été peu mise en oeuvre en raison des incer-titudes qui pèsent sur ses conséquences possibles. Les comptabilités informatisées posent desproblèmes spécifiques : la possibilité de modifier, supprimer, créer, sélectionner ou reconstituerun volume important d'opérations, voire l'intégralité d'une comptabilité, à tout moment et dansun délai très rapide nécessite l'adoption de procédures d'enregistrement particulièrementrigoureuse si on veut conserver à la comptabilité sa force probante. Certains logiciels compta-bles privilégient la facilité d' utilisation et la souplesse au détriment des principes de chronologieet d'irréversibilité énoncés aux articles 8 et 16 du code de commerce. Les notions de validationet de clôture ne sont pas toujours correctement comprises. Plusieurs solutions sont possibles :on peut envisager de supprimer les obligations formelles obsolètes ; la question qui se pose estde savoir si on peut se contenter de cette suppression ou si on doit l'accompagner d'une défini-tion de nouvelles procédures obligatoires adaptées. Cette voie amènerait à définir les notions debase permettant d'assurer la fiabilité et la conservation des enregistrements comptables, c'est-à-dire définir des notions d'irréversibilités logique et matérielle. Ces définitions étant posées, rest-erait à se prononcer sur le point de savoir si le dispositif ainsi constitué est suffisant ou s'il doitêtre complété par des spécifications plus techniques sur les caractéristiques des procédures util-isables, voire par l'indication des matériels admissibles (disques durs non réinscriptibles?, et desmoyens acceptables (stockage de l'information ou d'une partie de celle-ci chez un tiers indépen-dant) ou même aller jusqu'à la certification préalable de logiciels et de matériels. Pour l'heure,la difficulté d'apprécier les conséquences en termes aussi bien de coûts que de sécurité juridiquede toutes ces évolutions n'a pas permis de formuler des propositions recueillant une adhésionassez large.

2-3.2 Les investissements immatériels

La belle logique résultant d'une vision unique d'un bilan à orientation exclusivement patri-moniale s'éloigne de plus en plus. Lorsque cette logique prévaut, on enregistre à l'actif du bilan

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tous les coûts qui sont générateurs de valeur sur une période dépassant celle de l'exercice. Unactif vaut car il présente, en tant que tel, c'est-à-dire lui tout seul, une valeur de revente. Il vautce qu'il a coûté sauf à mesurer une dépréciation au cours du temps. Naturellement, cet actif nepeut prétendre à figurer dans le bilan que si l'entreprise exerce sur lui un droit de propriété. Lebilan additionne des droits et se donne pour objet ultime de protéger l'actionnaire.

Le bilan actuel n'est plus celui-là. Tout en lui reconnaissant ses talents premiers, on lui aadjoint une tâche supplémentaire : montrer dans une perspective de continuité de l'exploitation,que l'entreprise dispose d'un véritable potentiel de valeurs qui lui permettent d'engendrer desproduits supérieurs aux charges des diverses périodes et ainsi dégager un bénéfice. Un inves-tissement peut alors se satisfaire d'une “simple” valeur d'usage pour l'entreprise (sans réellevaleur de revente isolée) pour frapper à la porte du bilan. Le bien demeure évalué en fonctiondu coût mais le lien sacré entre coût et valeur de marché, entre coût et valeur de revente est icirompu. C'est toute la question des investissements immatériels. Dans cette approche, dès lorsque des coûts élevés ont été supportés par un exercice pour créer un “réservoir de valeurs” dontl'entreprise est “propriétaire” mais qu'elle ne pourra sans doute jamais revendre, on tend àadmettre une activation par le biais des charges à répartir ou à l'aide de comptes spécifiques. Lavoie avait été tracée il y a bien longtemps avec les frais d'établissement ; elle s'est élargie avecles frais de recherche et développement dans les années soixante dix ; elle a failli -il y a peu-être définitivement et largement consacrée avec les dépenses publicitaires et les dépenses deformation.

Au quotidien, ou presque, la vie des affaires révèle des cas légitimes d'entreprises qui prou-vent sans peine que des lots de charges sont bien trop élevés pour être absorbés dans un seulexercice et que, tout au contraire, ces charges expliqueront la naissance ultérieure de produits.Une logique élémentaire consiste alors à mettre en regard, au cours du même exercice lesproduits et les charges nés des mêmes évènements.

Toute solution intermédiaire (entre un bilan patrimonial tourné vers le passé et un biland'activité orienté vers l'avenir) -c'est le cas aujourd'hui du bilan français- est difficile à justifier.Un avenir possible est de franchir une étape ultime et de transformer l'actif du bilan en unimmense réservoir de charges ultérieures. Tous les coûts seraient d'abord activés avant derejoindre, selon un rythme convenu pour chacun, les comptes de résultats des années suivantes.Nous n'y sommes pas encore mais le débat est ouvert.

2-3.3 Le développement des produits financiers

Le développement des innovations financières constaté depuis une quinzaine d'années peutse rattacher à plusieurs facteurs.

- La crise du système monétaire international et particulièrement la fin de l'ère des taux dechange fixes a fait peser des risques d'ampleur nouvelle sur les opérations commercialesinternationales. Des techniques se sont développées et perfectionnées pour aider les entre-prises à gérer ces risques et des réformes de structure ont encouragé cette évolution.

- En même temps, les économies s'internationalisaient et ces phénomènes financiersprenaient une importance d'autant plus grande qu'ils touchaient un nombre croissantd'entreprises, largement au-delà de celles qui étaient traditionnellement impliquées dansle commerce mondial et qui étaient ainsi mieux préparées à affronter ces risques.

Enfin, les progrès techniques dans le domaine du traitement et de la transmission de l'infor-mation ont permis à la fois de mettre au point des produits complexes et de relier les marchésde capitaux entre eux ce qui a entraîné une plus grande liquidité (indispensable pour la mise enoeuvre de techniques en partie basées sur l'hypothèse qu'il est toujours possible de trouver unecontrepartie). Ce développement a également permis d'assurer une relative continuité entre lesdifférents marchés permettant d'atteindre un niveau de complétude suffisant pour obtenir unfonctionnement conforme à ce qu'un investisseur averti et rationnel est en droit d'espérer. Enmême temps, ces évolutions ont entraîné l'apparition d'un risque nouveau dit risquesystémique

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. Après une période de croissance euphorique, certains inconvénients ou dangers

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mal perçus au début de ce mouvement sont apparus ; il est cependant à noter que cesphénomènes négatifs, s'ils ont pu laisser croire que “la mode était passée” n'ont aucunementinversé la tendance, mais seulement introduit plus de modestie et de discrétion dans ce secteur,voire, mais rien n'est moins sûr, plus de prudence. La comptabilité reste donc confrontée auxdéfis que lui posent ces nouvelles opérations, nouvelles plus par l'ampleur et les modalitésconcrètes de fonctionnement que sur le plan conceptuel, mais cette mutation quantitative a desconséquences qui posent des problèmes comptables particuliers.

De nombreuses institutions comptables se sont attelées à la tâche consistant à relever cesdéfis. Malgré des progrès partiels, il faut admettre que personne ne dispose aujourd'hui deréponses complètes à ces problèmes, alors que des efforts exceptionnels en quantité et en qualitéont été entrepris depuis dix ans par les institutions les plus prestigieuses dans le domaine de lanormalisation comptable.

La question principale qui conditionne le sort futur de ces travaux n'est plus de décrire untraitement comptable pour ces innovations, mais de mesurer des conséquences sur les opéra-tions “traditionnelles”, tant il est vrai que ces nouveaux produits interviennent généralement enliaison directe avec des opérations plus classiques pour en modifier certaines caractéristiques,voire, ce qui est plus grave, pour “améliorer” de manière plus ou moins réelle certaines présen-tations. Les questions posées peuvent se regrouper de la manière suivante :

- Qu'est-ce qu'un instrument financier ?- Comment fixer les critères permettant de conclure que tel instrument doit-être inscrit dans

le bilan de telle entité ? (problème des engagements et de la “propriété partagée”)- Comment analyser les instruments présentant certaines caractéristiques de dettes et

d'autres de capitaux propres ?- Comment traiter les instruments composés ?- Comment définir la valeur actuelle (ou valeur d'utilité ou juste valeur) de ces différentes

catégories d'instruments ?- Comment définir et traiter les opérations liées (opérations de couverture) ?

Ces questions posent directement plusieurs problèmes :

2-3.3.1

Redéfinition de la notion de réalisation du bénéfice

Les règles comptables actuellement en vigueur, en France et dans l'Union Européennereposent sur le principe de réalisation du bénéfice. Ainsi l'article 31.1. c de la IV° directivestipule : “le principe de prudence doit en tout cas être observé et notamment :

- seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture du bilan peuvent y être inscrits ;- il doit être tenu compte de tous les risques prévisibles et pertes éventuelles qui ont pris

naissance au cours de l’exercice ou d'un exercice antérieur, même si ces risques ou pertesne sont connus qu'entre la date de clôture du bilan et la date à laquelle il est établi ;

- il doit être tenu compte des dépréciations, que l’exercice se solde par une perte ou par unbénéfice ; “

La notion de réalisation n'est pas définie directement, toutefois, il est généralement reconnuque le bénéfice ne peut être considéré comme réalisé qu'après une transaction avec un tiers. Ils'agit d'ailleurs d'une condition nécessaire mais non suffisante : c'est le produit qui est réalisé àla suite d'une cession. Pour que le bénéfice soit réalisé il importe non seulement que le produitle soit mais également que toutes les charges exposées pour obtenir ce produit aient été compt-abilisées. C'est la raison pour laquelle dans le cas d'une vente la comptabilisation du produit sefait à la livraison et non à la signature du contrat car c'est seulement à la livraison que sontconnus avec une certitude suffisante les coûts d'exécution du contrat pour le vendeur. Cette

1. “éventualité qu'apparaissent des états économiques dans lesquels les réponses rationnelles des agents individuelsaux risques qu'ils perçoivent, loin de conduire à une meilleure répartition des risques par diversification, amènentà élever l'insécurité générale” in Agliettat et Moutot, cahiers économiques et monétaires de la Banque de Francen° 41, 1993.

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analyse a été exposée dans les avis des 7 novembre et 18 décembre 1975 du CNC sous la formesuivante “la définition du bénéfice prime celle du patrimoine du point de vue de l'enregistrementdes droits réels et des obligations et, dans la pratique la plus courante, les effets des conventionsne sont comptabilisées qu'a l'issue de l'exécution de l'obligation génératrice de profits ou depertes et qu'auparavant, seules les pertes probables du chef de cette obligation sont enregistréessous forme de provision”.

La loi a cependant introduit certains aménagements notamment dans le cas des opérations sedéroulant sur plusieurs exercices (article 15 du code de commerce : peut être inscrit, après inven-taire, le bénéfice réalisé sur une opération partiellement exécutée et acceptée par le cocontrac-tant lorsque sa réalisation est certaine et qu'il est possible, au moyen de documents comptablesprévisionnels d'évaluer avec une sécurité suffisante le bénéfice global de l'opération).

Le problème posé par les instruments financiers ne relève pas de ces aménagements. Pour enmontrer la véritable nature on reprendra brièvement l'ordre des travaux du CNC. Le premier avisdu Conseil sur ces questions, en date du 9 juillet 1986, relatif à la comptabilisation des opéra-tions réalisées sur le marché à terme d'instruments financiers (avis n°29). Cet avis, qui pose lesprincipes de comptabilisation des contrats d'instruments financiers à terme, introduit la distinc-tion fondamentale entre opérations de couverture, présentées comme des exceptions justifiantun traitement spécial, et les autres opérations réalisées sur ce marché qui ne reçoivent pas dequalification particulière.

Nous reviendrons ultérieurement sur les opérations de couverture, examinons le traitementde ces opérations générales. L'organisation d'un marché comme le MATIF (qui est un marchéde taux d'intérêt) met en présence des acheteurs et des vendeurs de contrat à terme, chaque inter-venant doit verser un dépôt de garantie qui est ajusté quotidiennement par la chambre decompensation en fonction des variations des cours des contrats. Les positions des acheteurs etdes vendeurs sont totalement symétriques : les gains des uns sont les pertes des autres et lachambre de compensation oblige les acteurs en perte à augmenter d'autant leur dépôt de garantieet crédite de ces montants le compte des intervenants en position gagnante. Tout se passe donccomme si, à la clôture de chaque séance, les positions étaient toutes liquidées et immédiatementréouvertes.

C'est cette analyse, basée sur une organisation particulière du marché visant à assurer sasécurité, qui a permis au CNC de prescrire que les variations de valeur des contrats constatéespar la liquidation quotidienne des marges débitrices et créditrices soient portées au compte derésultat en charges ou produits financiers. Ainsi, les variations positives sont assimilées à desbénéfices réalisés alors même que l'opérateur reste en position et que l'opération n'est pasdénouée.Il faut bien insister ici sur la différence profonde avec les opérations à long terme dontil est question à l'article 15 du code de commerce. La prise en compte de bénéfices partiels estsoumise à plusieurs conditions dont l'existence d'une certitude raisonnable que l'opération seraglobalement bénéficiaire ; la faculté offerte par ce texte est une faculté d'anticipation d'un béné-fice très probable parce que découlant de l'exécution normale d'un contrat. La situation estentièrement différente dans le cas de ces instruments financiers à terme : le gain créditéaujourd'hui à tel acteur se transformera peut être en perte, demain, en fonction de l'évolution descours. Il ne s'agit nullement de l'anticipation d'un bénéfice probable mais de la constatation qu'àl'instant considéré, il y a un gain, la liquidité du marché garantissant qu'il est possible de dénouerl'opération et de transformer ce gain en gain définitif et enfin que la décision de rester en positionest une autre décision fondée sur des anticipations qui ne sauraient remettre en cause la consta-tation initiale.

Ainsi l'analyse implicite du Conseil assimilant le fonctionnement du marché à une liquida-tion quotidienne suivie d'une reconstitution immédiate des positions est beaucoup plus qu'uneanalogie didactique, c'est la traduction de la logique même de comportement des opérateurs quidoivent décider à tout moment s'ils restent ou non en position. Dans ces conditions, acheter,vendre, ne pas acheter et ne pas vendre sont des décisions d'égales portée, la difficulté pour le

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comptable est que généralement seules les deux premières font l'objet d'une traduction compt-able directe.

Malheureusement, si le CNC a pu prendre une telle position pour les contrats à terme, ce n'estpas seulement en raison de l'excellente adéquation entre l'analyse comptable de la liquidationquotidienne et la logique des comportements des opérateurs, c'est aussi parce qu'une caractéris-tique technique du marché, l'appel de marges quotidien pour tous les opérateurs, permettaitd'affirmer que le bénéfice était bien réalisé puisque le gain était crédité au bénéficiaire par lachambre de compensation. Cette caractéristique est évidemment importante pour la sécurité dumarché, mais elle n'est pas fondamentale pour sa logique de fonctionnement. Il existe d'autresmarchés fonctionnant suivant la même logique générale et qui, pour des raisons techniques, nepossèdent pas ce système. Ainsi, le marché des changes, restreint aux devises faisant l'objet detransactions et de cotations significatives, présente e de compensation créditant et débitant péri-odiquement les intervenants. C'est en raison de cette similitude de fonctionnement que le Plancomptable général indique page II.14 :

“Les liquidités ou exigibilités immédiates en devises existant à la clôture des comptes sontconverties en francs sur la base du dernier cours du change.

Les écarts de conversion constatés sont comptabilisés dans le résultat de l’exercice”.

Le problème est que l'on ne voit pas très bien sur quoi repose ce traitement (qui satisfait toutle monde) au regard de la règle du bénéfice réalisé.

D'une manière plus générale, tous les instruments présentant des caractéristiques permettantleur utilisation pour des placements à très court terme posent ce genre de problèmes dès lorsqu'ils sont mis en oeuvre par des professionnels (trésoriers d'entreprise). Certains de ces instru-ments ont pu être traités de manière spécifique en raison de leur nouveauté alors même qu'ils neprésentaient pas exactement les mêmes propriétés que les contrats à terme, mais ce raisonne-ment fondé sur la proximité n'a pu être étendu très loin et a fortiori généralisé à des instrumentsplus traditionnels mais utilisés dans les mêmes conditions que les instruments dits nouveaux.

Pour montrer les limites de ces travaux on évoquera le cas des options qui ont été traitées dansl'avis n°32 du 10 juillet 1987. Contrairement aux contrats à terme, les options ne sont pas desinstruments symétriques, c'est-à-dire que le vendeur et l'acheteur d'option ne sont pas exposésau risque de la même façon. En effet, une option est le droit, mais non l'obligation, pour l'ache-teur de l'option d'acquérir (ou de vendre) à une date donnée ou pendant une période donnée, unbien à un prix fixé au moment de la négociation de l'option. L'acheteur verse au vendeur le prixde l'option appelé prime ou premium, le seul risque qu'il court est donc de perdre le montant dela prime qu'il a versée. Le vendeur doit en revanche s’exécuter si l'acheteur exerce son droit etlivrer le bien. Bien évidemment l'acheteur n'exerce ce droit que si le prix d'exercice, convenulors de la vente de l'option, lui permet de réaliser une meilleure opération que celle que luipermet d’espérer le cours du bien au moment de l'exercice. Le vendeur réalisera alors une perteégale à la différence entre le cours du jour et le prix d'exercice, sa perte potentielle est doncthéoriquement illimitée et son gain potentiel limité à la valeur de la prime qu'il a déjà encaissée.Il existe de nombreuses modalités pratiques d'organisation (option d'achat, de vente, optionaméricaine ou européenne, option de gré à gré ou standardisée...). On s'arrêtera ici au cas desoptions cotées sur des marchés organisés (et donc standardisées), il peut s'agir d'options suraction, sur indice, sur taux d'intérêt, sur devise... l'importante étant que le bien sur lequel portel'option (le sous-jacent) soit lui-mêle coté sur un marché organisé ou assimilé.

En théorie, les options sont achetées pour satisfaire des besoins de couverture : l'acheteursubira une perte limitée si l'évolution lui est défavorable, la prime alors est assimilable à uneprime d'assurance, il peut espérer profiter d'une évolution favorable si la différence entre le prixau comptant et le prix d'exercice fait plus que compenser la prime qu'il a payée. Du côté duvendeur, l'opération est beaucoup plus risquée (ce dont le niveau de la prime tiendra compte,l'option est souvent considérée comme un produit cher) et relève de motivations différentes quecertains qualifient de spéculatives. Dans la réalité, les choses sont plus compliquées, il existe des

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statégies complexes combinant achat et vente et tenant compte des éléments constitutifs de lavaleur de l'option, mais ces développements ne sont pas nécessaires pour comprendre leproblème comptable.

Le cas des options cotées utilisées autrement que pour des besoins de couverture présente lesmêmes caractéristiques que le cas des contrats à terme sur le MATIF et devrait donc recevoir lemême traitement comptable. C'est ce que prévoit l'avis précité du Conseil, mais un élémentparticulier à provoqué des difficultés telles que si l'avis a bien été adopté, il a été jugé en mêmetemps qu'il n'était pas possible, compte-tenu des textes actuels, d'aller plus loin et d'étendre leraisonnement à tous les cas analogues. Cet élément tient à l'organisation technique du marchédes options de taux qui était le cas concret étudié. Pour les raisons expliquées ci-avant, les appelsde marges existent bien pour les vendeurs qui sont obligés de compléter le dépôt de garantie sil'évolution quotidienne leur est défavorable, mais il n'y a pas de dépôt de garantie et donc pasd'appel de marge pour les acheteurs puisque le risque est limité pour eux à la prime qu'ils ontdéjà versée. Dans ces conditions, la chambre de compensation ne peut les créditer des gainsconstatés et qui se traduisent par une augmentation de la valeur de l'option qu'ils détiennentcomme dans le cas des contrats à terme. Ainsi, même si la logique de fonctionnement reste iden-tique la théorie de la liquidation quotidienne ne peut s'appuyer sur un acte concret la matérial-isant.

Cette difficulté n'a donc pas permis de mener à son terme l'idée qu'il existe des instrumentsde trésorerie gérés comme tels par des professionnels et qui doivent donc être valorisés au coursdu jour puisque c'est par rapport à ce cours que l'on peut apprécier la situation de trésorerie del'entreprise. La solution découlant de l'application des textes actuels ne présente pas seulementl'inconvénient de se référer à un cours historique qui n'a pas grande signification (cette critiquene viserait pas seulement les instruments de trésorerie, elle est cependant plus pertinente pourceux-ci puisque pour les actifs immobilisés la valeur de marché n'a pas toujours non plus beau-coup de sens), et la situation est plus grave pour deux raisons :

- la règle de prudence qui impose de déprécier les éléments dont le cours a baissé risque encas de crise boursière de pousser les entreprises à vendre les instruments dont le cours amonté afin de compenser les provisions pour dépréciation par la réalisation de plus-values, même si cela ne correspond pas à des décisions rationnelles de placement et un telcomportement ne peut qu'aggraver artificiellement la crise,

- même en l'absence de crise, la liquidité de ces marchés et les faibles coûts de transactionpeuvent favoriser des opérations de ventes suivies de rachat dont le seul but est d'extéri-oriser des plus-values, ce qui fausse la comparaison avec les cas ou ces opérations ne sontpas pratiquées, il s'agit là d'une faculté dangereuse de procéder à des lissages de résultatsans motivations réelles de gestion.

La meilleure solution serait bien évidemment de reconnaître l'existence d'une catégorie parti-culière d'opérations dont la nature même impose la comptabilisation en valeur de marché ycompris en résultat. Ces opérations devraient englober non seulement les nouveaux instrumentscotés mais également, tous les titres cotés sur des marchés suffisamment liquides et surveillésafin que l'observation et les anticipations des variations de cours soient les seules considérationsqui déterminent les transactions, la garantie de pouvoir dénouer une position à tous moment àun cours très proche du cours affiché existant toujours.

C'est dans cette voie que s'oriente les normes de certains pays et les établissements de créditont déjà adopté des règles analogues avec la reconnaissance du portefeuille de transaction et sadéfinition par la réglementation comptable bancaire. Il est vrai que, dans ce dernier cas, unedirective européenne spéciale sur les comptes des banques l'autorise explicitement.

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2-3.3.2

Prise en compte de l'intention pour comptabiliser une opération à la fois à son entréedans les comptes et au moment des arrêtés successifs. Problèmes posés par les opéra-tions de couverture.

Les problèmes posés par les opérations de couverture sont nombreux, complexes et loind'être tous résolus. Il n'est pas question de les traiter tous ici, on se limitera donc à quelquesquestions. La première, élémentaire : qu'est-ce qu'une opération de couverture ?

Cette question est particulièrement importante pour le comptable parce que la comptabilitéde couverture suppose généralement un traitement comptable dérogatoire, il est donc essentielde bien délimiter le type d'opération concernée. Or, la diversité des nouveaux produits et lacomplexité des stratégies d'utilisation rendent difficile la détermination de critères permettantde délimiter des opérations de pure couverture. En général, les opérateurs visent plusieurs objec-tifs et de la même façon qu'il est rare de rencontrer des opérations purement spéculatives, il estrare de pouvoir qualifier avec certitude une opération d'opération de couverture. D'un point devue théorique, les choses sont pourtant assez simples : une opération de couverture est uneopération qui vise à supprimer ou à diminuer une exposition à un risque défini. La mise enoeuvre de cette définition suppose à la fois que l'on définisse ce qu'est un risque et ensuite quel'on établisse une liste des risques.

Le premier point présente des difficultés multiples. Tout d'abord la notion de risque estambigüe ; un risque est-il constitué seulement par l'existence d'une incertitude ou par la possi-bilité de réalisation d'un événement défavorable ? La réponse à cette question divise encore lesnormalisateurs, elle est d'une grande portée pratique puisque dans le premier cas, on accepteracomme opération de couverture des opérations qui en seront exclues dans le second cas.

Prenons l'exemple simple d'une entreprise exportant une partie de sa production et étantpayée en devise avec un certain délai. Cette entreprise est exposée à un risque de change et elledispose de différents moyens pour se couvrir, ces moyens sont essentiellement de deux sortes.Elle peut vendre à terme les devises correspondant à son chiffre d'affaires à l'exportation ou ellepeut acheter une option de vente de devises pour le terme correspondant et pour un prix d'exer-cice donné. Dans le premier cas, l'entreprise n'a pas le choix du prix à terme qui dépend du prixcomptant et du rapport des taux d'intérêt pour la période considérée dans les deux pays, maissurtout l'entreprise sera assurée d'écouler sa production au prix du terme quel que soit le coursde la devise le jour ou l'entreprise recevra celle-ci. L'entreprise se prive donc d'un gain financierpotentiel (qui serait réalisé si le cours du jour de livraison de la devise était supérieur au coursà terme) en échange de la certitude de ne pas subir de perte, la couverture s'assimile ici à uneréduction de l'incertitude, même si cette réduction peut entraîner un résultat défavorable. Dansle second cas, au contraire, l'entreprise n'exercera son option que si le cours du jour de lalivraison de la devise est inférieur au prix d'exercice de l'option, sa perte sera alors limitée aumontant de la prime payée. Si le cours à connu une évolution inverse, l'entreprise pourra céderses devises à ce prix et profiter pleinement de cette évolution favorable (elle réalisera un gainnet si le cours comptant est supérieur au prix d'exercice augmenté de la valeur de l'option).

Personne ne discute le second cas qui relève à l'évidence d'une stratégie de couverture,certains soutiennent en revanche que le premier cas ne rentre pas dans cette analyse puisque lastratégie n'a pas pour effet de diminuer une exposition au risque mais d'annuler aussi bien unepossibilité de perte qu'une possibilité de gain, cette dernière éventualité ne pouvant êtreconsidérée comme un risque.

L'enjeu est important pour le comptable dans la mesure ou il lui est demandé d'appliquer untraitement spécial à ces opérations. Prenons l'exemple d'une entreprise détenant une obligationà taux fixe qu'elle ne peut vendre pour une raison quelconque et qui craint une baisse des taux,donc une baisse de la valeur de cet actif qui devrait l'obliger normalement à passer une provi-sion. Si elle décide de couvrir cet actif, par exemple par un contrat à terme de taux qui est unengagement hors-bilan ou par une option qui est enregistrée comme un actif, l'évolution descours va entraîner des variations de valeur opposées (si la couverture est bien faite) sur l'obliga-tion et sur l'instrument de couverture. Il serait logique que, comptablement, l'effet final sur le

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résultat soit nul. Plusieurs solutions permettent de réaliser cet objectif. Si les prévisions del'entreprise se vérifient, l'obligation subit une perte qui est provisionnée, il faut alors pouvoirconstater un gain symétrique sur l'instrument de couverture, gain évidemment non réalisé, cequi nous renvoie à la discussion précédente. Plus gravement, si les prévisions ne se réalisent paset que les taux baissent, le cours de l'obligation va monter en engendrer une plus-value latentenon comptabilisée, mais symétriquement l'instrument de couverture va enregistrer une perte quidoit être provisionnée. Deux solutions apparaissent donc possibles : une comptabilité intégrale-ment tenue en valeur de marché (en on plus seulement pour les instruments de trésorerie) afinque les gains compensent les pertes. Cette solution, radicale, pose évidemment autant deproblèmes qu'elle en résout. L'autre solution est l'adoption d'une comptabilité spéciale consis-tant à différer dans les comptes d'attentes les résultats sur les opérations couvertes et les instru-ments de couverture en attendant soit la fin de la couverture, soit le dénouement de l'opérationcouverte. On comprend ainsi que, par rapport aux règles classiques, la comptabilité de couver-ture permet de différer des pertes et qu'il est donc capital de bien délimiter ce qui peut releverde ces traitements.

La définition du risque n'épuise pas la difficulté de cette question, un autre sujet très contro-versé concerne la définition de ce qu'il est possible de couvrir. En effet, la couverture peutconcerner beaucoup d'opérations dont certaines ne figurent pas au bilan (engagements ou opéra-tions futures), si l'on admet la couverture dans ces cas, il n'y a rien à mettre en face des variationsde valeur des instruments de couverture dans les comptes d'attente. Si ces variations sont posi-tives, il ne s'agit que de différer des gains potentiels (contre des pertes non moins potentielles),mais, s'il s'agit de variations négatives on diffère des pertes, certes non définitives contre desgains potentiels sur des éléments non comptabilisés.

Enfin, nous signalerons seulement pour mémoire, le débat entre les partisans de la micro-couverture ou des couvertures partielles et ceux de la macro-couverture. Reprenons l'exemplede l'entreprise exportant dans une devise payable dans trois mois, si cette entreprise a parailleurs acheté des biens pour un même montant, dans cette même devise également payabledans trois mois, il est clair qu'elle n'est exposée à aucun risque de change. Si, n'apercevant pascette symétrie (ce qui est bien sûr absurde dans un cas aussi simple, mais parfaitement courantdans le cas d'entreprises réalisant de très nombreuses opérations de façon très décentralisées),l'entreprise décide de couvrir ses exportations, non seulement le risque ne sera pas diminué maisil sera augmenté et les règles comptables applicables aux opérations des couverture, appliquéesalors à tort, dissimuleront cette augmentation du risque et ses éventuelles conséquencesnéfastes. C'est pourquoi, les principes comptables de la comptabilité de couverture repose surl'idée que pour un type de risque donné la couverture ne peut s’appliquer que sur le risque rési-duel (net) une fois tous les éléments exposés à ce risque pris en considération (macro-couver-ture). La difficulté est que cela suppose le problème précédent résolu (ou s'arrêter dans la priseen compte des éléments non comptabilisés) et que cela est de toute façon très difficile à effectuermême si on se limite aux éléments comptabilisés. C'est pourquoi certains, tout en reconnaissantque la préoccupation de la macro-couverture reste importante, cherchent à définir des règlespour identifier des couvertures partielles faisant l'objet de procédures de contrôle trèsrigoureuses.

2-3.3.3

Possibilité de décomposer une opération se présentant comme un tout pour la “faireentrer” dans plusieurs catégories comptables prédéterminées lorsque cela apparaîtnécessaire

Ce dernier point représente une difficulté particulière dans le cas où l'opération considéréeest une opération qui se déroule sur une durée excédant l’exercice et où les flux monétaires etles droits constatés ne coïncident pas. Les théories économiques et financières résolvent ceproblème de la période à l'intérieur d'une appréhension globale des opérations : étant donnéeune opération se déroulant sur plusieurs périodes, il suffit de connaître les flux entrants et lesflux sortants et leurs dates ; on peut alors calculer le résultat de l'opération à n'importe quelledate en actualisant les flux à cette date.

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La comptabilité doit enregistrer les flux effectifs relatifs à une période donnée en valeurhistorique (non actualisées) ; la qualification des droits constatés et l'évaluation de ceux-ci pren-nent alors une importance considérable. Le seul moyen d'éviter des présentations conformes àl'apparence de l'opération, mais ne permettant pas de comprendre ses conséquences dans letemps (et donc sur les exercices futurs) alors même que celles-ci sont parfaitement prévues etécrites dans le contrat ; reste en effet, pour le comptable, la possibilité et donc l'obligationd'évaluer des droits pour leur valeur d'utilité et pas seulement pour leur valeur apparente.

Cette démarche devrait constituer un des fondements de l'autonomie du droit comptable, lestextes et la pratique laissent penser qu'il reste un long chemin à parcourir.

2-4 Problèmes institutionnels et debats sur l'harmonisationinternationale

2-4.1 L'avenir des instances de normalisation

La construction et le développement du droit comptable suppose un dispositif permettant detraiter ces sujets, sinon de résoudre ces problèmes. D'autres pays s'y emploient avec uneconscience aiguë des enjeux, tel le Royaume-Uni et l'Espagne qui ont réformé récemment leursystème de normalisation.

Le système de normalisation doit comporter à la fois une instance chargée d'élaborer lesnormes sur le plan technique, ainsi qu'une procédure permettant d'homologuer ces normes enleur conférant un statut juridique sans ambiguïté et il doit également disposer d'un instrumentrassemblant les normes et organisant de manière logique et accessible leur présentation. Celaimplique donc de réaliser une unification et une simplification des textes traitant des règlescomptables afin d'encadrer la prolifération actuelle, source de confusion et d'insécurité pour lesusagers ; cela pourrait très facilement se réaliser en redonnant au Plan comptable les rôlesd'instrument fédérateur et de référence générale qu'il avait aux origines de la normalisationcomptable. Une telle évolution supposerait, bien entendu, que le statut juridique du Plan soitclairement “refondé”. Cette réforme entraînerait également la nécessité de redéfinir le rôle et lespouvoirs des instances chargées d'élaborer et d'adopter les règles.

2-4.2 L'avenir de l'harmonisation internationale

Cette reconstruction du paysage comptable est une condition nécessaire pour pouvoir partic-iper avec quelque crédibilité au débat international sur l'harmonisation des comptes en défen-dant des positions précises, non pour le plaisir de maintenir des divergences qui devraient êtreréduites au minimum, mais parce que dans certains cas, les règles comptables reflètent des réal-ités socio-économiques ou institutionnelles qui ne sont pas et qui ne seront pas harmonisées. Ilest donc capital que les règles comptables puissent continuer à exprimer ces réalités tout ens'efforçant, lorsque cela est possible, d'améliorer la comparabilité internationale. Cette évolu-tion ne peut se faire que progressivement, des solutions de compromis sont possibles, encorefaut-il savoir qui peut les négocier, avec qui et avec quelles conséquences.

En tout état de cause il ne semble pas possible d'envisager des progrès dans ce domaine si onn'accepte pas de circonscrire le champ du problème. Les usages, les implications et lesconséquences de la comptabilité sont trop divers d'un pays à l'autre pour qu'il soit réalisted’espérer réaliser une unification à court terme ; l'universalité de la technique comptable, quiconstitue une des forces de cette discipline devient un piège si on veut en tirer de tellesconséquences. La technique est bien universelle mais elle s'applique à des objets différents. Desexemples significatifs ont été fourni à l'occasion des contacts noués depuis quelques années avecles pays d'Europe centrale et orientale pour examiner avec eux les conditions du passage à uneéconomie de marché. Les problèmes n'étaient absolument pas d'ordre technique : passer desécritures en partie double ou élaborer un bilan à partir d'une balance générale, mais d'ordresémantique : le bilan avait la même forme mais la réalité à laquelle il s'appliquait, l'entrepriseavait une signification totalement différente. Cette proximité technique a été ainsi au début un

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facteur de confusion et même de contresens, avant de devenir une fois ces difficultés surmontéesun puissant facteur d'aide à la définition de solutions.

D'autre part, il faut également constater que le besoin de comparabilité internationale neconcerne de manière cruciale qu'un nombre limité d'entreprises (certes très importantes) etqu'une catégorie limitée d'utilisation de la comptabilité. Il s'agit des entreprises intervenant surles marchés internationaux et surtout se finançant sur les marchés de capitaux de plusieurs payset qui de ce fait ont besoin de communiquer une information financière à des investisseurs (voireà des investisseurs potentiels) dans différents pays. A la fois pour des raisons de simplicité et decohérence, cette information doit être homogène c'est-à-dire issue très directement de la compt-abilité. Dans cette optique, il est naturel que les règles comptables en vigueur dans les pays quiprivilégient cet usage spécifique de la comptabilité paraissent sinon les meilleures en tout pointdu moins bénéficier d'un préjugé favorable. Il faut ajouter que le plus grand marché de capitauxet de loin se trouvant aux U.S.A., il peut être tentant de penser que l'adoption des règles compt-ables américaines facilitera considérablement l'introduction sur ces marchés ou tant les inves-tisseurs locaux que les autorités de surveillance considèrent quelles sont les plus aptes à leurfournir les informations qu'ils attendent. Le débat sur l'harmonisation des normes ne peutignorer cette réalité même s'il est parfaitement évident que les règles américaines contiennentdes dispositions spécifiques qui n'ont pas de sens hors des Etats-Unis. La référence à un corpsde normes internationales telles que celles élaborées par l'I.A.S.C. est présentée par certainscomme la seule solution satisfaisante, puisqu'elle permettrait d'éviter un alignement sur desnormes nationales, comportant nécessairement des particularités et surtout pouvant évoluer enfonction de considérations purement internes avec des conséquences éventuellement fâcheusespour ceux qui ne seraient pas places dans la même situation. Ces arguments sont évidement trèsforts mais ils supposent, soit que les règles nationales pourront rester toutes compatibles aveccelles de l'I.A.S.C., ce qui est irréaliste, soit que les règles nationales vont disparaître, ce qui estimpossible car elles ont dans de nombreux pays des objectifs qui ne peuvent être atteints par cesnormes internationales.

Il faut donc envisager des compromis permettant à ces entreprises multinationalesd'emprunter sur les marchés internationaux de capitaux tout en gardant des règles nationales (ourégionales dans le cas de l'Union européenne) adaptées aux situations locales. Ces compromispourraient reposer sur l'idée que les comptes “nationaux” pourraient être complétés, sous desformes à discuter mais qui seraient fortement normalisées, par des informations complémen-taires nécessaires pour fournir une information financière adaptée. Les normes de l'I.A.S.C.pourraient constituer de ce point de vue la base de discussion nécessaire pour déterminer lecontenu de cette information financière. Il resterait naturellement à obtenir des autorités desurveillance des marchés qu'elles acceptent de reconnaître ces comptes nationaux ainsicomplétés pour autoriser les opérations sur leur marché.

3 Le progres des connaissances : la recherche comptable

Ce n'est que “relativement” récemment que l'on a vu la communauté académique prendre enmains le destin de la recherche comptable en France et contribuer à l'élaboration d'une doctrinequi est l'une des sources du droit comptable. Naguère, la recherche était largement délaissée aubénéfice de préoccupations tendues vers une amélioration des seules pratiques. Rien d'étonnantà cette constatation. Les professeurs assuraient un lien étroit entre la formation et l'applicationet bien peu se sentaient attirés par le “front de taille” de la connaissance, au demeurant activitépeu valorisée tant il était du meilleur ton de camper sur les positions distancées des économistes; tout au plus tolérait-on la recherche en économie d'entreprise mais certainement pas en compt-abilité. Cette époque est définitivement révolue.

Les chercheurs en comptabilité ont trouvé leur place au sein des meilleurs débats scienti-fiques. L'Association Française de Comptabilité fait preuve d'une saine vigueur. La publicationd'une revue qui en émane atteste la réalité du propos. C'est au travers des récents congrès de

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l'AFC que l'on peut, sans doute, avec le plus de chances, tenter de relever les grandes orienta-tions de la recherche comptable aujourd'hui. Les sujets traités dans ces congrès sont déjà révéla-teurs :

- Paris, 1990 : Comptabilité et pluridisciplinarité,- Paris, 1991 : Les cadres conceptuels,- Bordeaux, 1992 : Comptabilité et stratégie,- Toulouse, 1993 : Comptabilité et nouvelles technologies,- Paris 1994 : Recherche en comptabilité internationale.- Montpellier 1995 : Modèles de Comptabilité et modèles d'Organisation.

De l'ensemble de ces contributions, et en acceptant d'être naturellement schématique pourtraduire d'aussi nombreuses contributions, on peut avancer que trois grandes orientations sedégagent. On peut ainsi indiquer dans quelles directions majeures s'oriente la recherche compt-able. D'abord la comptabilité est extraite de son strict rôle originel pour être replacée commetechnique de management au sein de la Société. Ensuite, la théorie comptable fait l'objet denombreux développements. Enfin, la question de l'information comptable retient toutes lesattentions. Un premier champ actuel de recherche porte sur une nouvelle délimitation de la placede la comptabilité dans et hors l'entreprise.

3-1 La comptabilité dans la société

Après être longtemps demeurée une simple technique d'entreprise, la comptabilité est davan-tage apparue sur le devant de la scène comme partie intégrante de réflexions globales portant surl'économie ou la Société.

Les chercheurs en comptabilité s'interrogent tout à la fois sur les conséquences de la compt-abilité à l’extérieur de l'entreprise et sur le recours éventuel de la technique comptable aux finsde mesurer des phénomènes jusque-là délaissés.

De ce double point de vue surgissent des thèmes et interrogation divers. Voici quelques exem-ples.

L'environnement constitue un patrimoine limité et les acteurs de la vie économique ne pour-ront continuer d'ignorer les atteintes qu'ils engendrent à l'encontre de ce patrimoine du seul faitde leurs activités. La comptabilité offre une technique autorisant le calcul des coûts d'utilisationde l'environnement et donc la répartition de cette charge entre les agents économiques.

Les hommes d'entreprise sont également des citoyens et une “entreprise citoyenne”, pourciter une expression en vogue aujourd'hui, se doit d'intégrer mieux le système de valeurs doncde contraintes qu'elle exerce à l'égard de ses salariés. La comptabilité traduit un système depouvoirs, un ordre économique précis. Le moindre désir d'élever le débat conduit à s'interrogersur la “neutralité” de la technique comptable au regard des relations entre les Hommes, de laquestion du partage des richesses, et de la quête de la Vérité.

Les ressources humaines n'apparaissent pas telles quelles dans les états financiers des entre-prises. Une piste de recherche féconde (au plan intellectuel car en pratique l'idée ne débouchepas !) consiste à repérer les activités humaines susceptibles d'être valorisées ainsi que

pour intégrer ces éléments dans sa démarche.

3-2 La théorie comptableUn autre domaine de recherche retient l'attention, celui, le plus fondamental, de la théorie

comptable, de sa réalité, de ses relations avec des disciplines voisines.

La comptabilité a besoin d'assises théoriques autonomes et ne peut décemment plus s'enremettre, même si la formule a connu un réel succès, à demeurer “l'algèbre du Droit”. Les

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comptables sont à la recherche d'un cadre conceptuel leur permettant de légitimer toutes lespratiques et les réglementations (ainsi que les exceptions !).

Les conséquences sont lourdes. La comptabilité pourrait acquérir le statut enviable de disci-pline autonome pouvant exprimer ses propres besoins au regard du droit et de l'économie. Latâche n'est pas aisée. Elle l'est tellement peu que le débat des chercheurs stagne un peu sur unepremière marche qui consiste d'abord à se demander si un tel cadre conceptuel est souhaitable.Certains y voient la nécessité évoquée plus haut. D'autres rejettent l'idée, tantôt au motif qu'encomptabilité seule la pratique prime, tantôt au motif “négatif” que le cadre conceptuel engend-rera des rigidités qui vont freiner les bonnes évolutions que la comptabilité a toujours su, etsaura encore, mettre en oeuvre.

3-3 L'information comptableUn troisième espace de recherche porte sur le vaste sujet de évolution comptable.

S'agit-il ici du coeur de la recherche comptable ? Sans doute. Les spécialistes s'interrogentsur les objectifs, sur le champs et sur les supports.

Pour ce qui est des objectifs, nombreux sont les thèmes de réflexion autour de réels choix :information prospective versus information sur le passé, information obligatoire versus infor-mation facultative, information normalisée versus information spécifique, information globaleversus information segmentée (par métiers de l'entreprise).

En ce qui concerne les champs d'application, et nous l'avons vu plus haut, les recherches vontbon train pour dégager la comptabilité de la stricte relation avec l'entreprise privée sociétaire detaille raisonnable: le secteur du non marchand, les collectivités publiques, les toutes petitesentreprises sont autant de terrains d'investigation fructueux.

Pour en terminer, et là encore nous avons déjà abordé cette question, les supports informa-tique et leur cortège de conséquences en termes de contraintes juridiques mais également derichesse décuplée en matière d'analyses nouvelles, sont des sujets de prédilection pour les cher-cheurs comptables d'aujourd'hui. Et si demain, les technologies modernes autorisaient une véri-table démultiplication (pas trop onéreuses !) du système d'information comptable ? Et sidemain, l'informatique généralisée et maîtrisée faisaient le lit de la déconnexion fiscalité/compt-abilité ? Et si demain, les autoroutes de l'information périmaient la lancinante interrogation del'harmonisation mondiale des normes comptables. Autant d'interrogations dont les éléments deréponses sont d'ores et déjà perceptibles.

1996.13

Les papiers de recherche du GREGOR sont accessiblessur INTERNET à l’adresse suivante :http://www.univ-paris1.fr/GREGOR/

Secrétariat du GREGOR : Claudine DUCOURTIEUX ([email protected])

Les principaux débats comptables

J.P. Helfer*, J.P. Milot **

* Professeur à l'IAE de Paris (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

** Secrétaire Général du Conseil National de la Comptabilité

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