wiener a. la bolivie avant le rail [1893] (1912)
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E n B o l i v i e a v a n t l a s r a i l s
De l'Isthme au Detroit americain, Ia Cordilliere, rempart
geant, domine le Pacifique. Entre les 7'. et 20' degres de lati-
tude sud, elle sert de boulevard au Haut Perou et . a ses
tresors.Son aspect, d'une majeste hors mesure, produit je ne sais
queUe impression de melancolie, d'abandon, de pauvrete.
Ces montagnes recelent pourtant de 1'01'. L'argent s'y
ramifie en de puissantes veines. Le cuivre, l'etain, le bismuth,
l'antimoine en colorent les massifs.
Par dela Ie mur aux teintes terreuses de la chaine maritime
s'etendent a pres d'une lieue d'altitude, entoures de neiges per-
sistantes, en grandes parties glacees et steriles, les cent mille
kilometres carres d'un haut plateau, veritable centre du conti-
nent sud-americain. A l'orient, ce massif sans pareil soutenu
par d'immenses c.ontreforts, est prolondement ravine.
Des milliers de cours d'eau se precipitent dans ses gorges et
vallees vel'S les bassins de I'Amazone et du Rio de la Plata.
Ils apportent leur contingent dans les chaudes plaines, voi-
sines du Bresil O U les figuiers exsudenl la gomme et O U le
soleil des tropiques fait eclore des richesses que, faute d'ex-
ploitation, la nature resorbe pour ses resurrections annuelles.
I Ce territoire presque trois fois plus grand que la France,
domaine jadis des races Aymaras et Quichuas, sous leurs
empereurs Incas, Iut-envahi au XVI" siecle par les Espagnols.
Les creoles issus ~e ces conquerants secouerent le joug de
la metropole et constituerent en 1825 Ia Hepuhlique Boli-. .
vienne.
Deux annees de sejour dans Ies principales vines d e ce pays
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LA NOUVELLE REVUE
11 1 ont pennia d'en connattre les ressources, de vivre avec ses
habitants blancs, olivatres et cuivres, d'observer leur etat so-
cial et d'etudier leur histoire.
Voici qeulques-unes de mes noles prises en 1892 et 1893 (1).
I
ANTOFAGASTA
Fotuiaiion clu Pori ; son importance et son caractere actuels.
6 Mai 1892.
Paysage aride, terrain sec. Des roches nues separees de la
mer par une etroite plage. Sur cette marche en gres, saupou-
dree d'un sable aux paillettes brill antes, 'des cases de bois
sous des toils en zinc.Les Iumees jaunes de quelques hautes cheminees pesent
lourdement sur cette silhouette et en estompent les lignes
anguleuses. Tel on voit Anlofagasta (2) de la rade, sous un
ciel d'un bleu implacable.
Le createur de ce port, M. Ossa, mineur aventureux flairant
le filon comme un chien de chasse leverait le gibier terre, avait
aborde lit dans un voyage a la rame Ie long de cette cote
desolee
Parti pour les gorges voisines a la decouverte de veines
d'argent, il trouva des nitrates de soude. Cela pouvait valoir
mieux que du metal. II
Peu de sernaines apres, graceason initiative, une Societes'etait Iorrnee a Valparaiso pour extra ire ces salpetres,
Antofagasta fut Ionde, c'est-a-dire charpente, cloue et peinten dehors du ceremonial espagnol, sans invocation aux saints
du calendriensans cedule solennellement octroyee. Mainte-
nant Antoiagasta appartient au Chili, mais c'est la principale
porte de la Bolivie O U conduit une voie Ierree.
Des metiers lucratifs s'y sont developpes, On a edifie des
usines metallurgiques, parmi lesquelles l'etablissement de
(I) Nous marquerons en note l,es principaux changements survenus
depuis vingt. ans, ,On pourra ainsi apprecier les progres realises par
cet intercs'fl;nt pays.
(2) Silue SOUS le 230 37 de latitude sud et Ie 72050 de longitude ouest.
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EN BOLIVIE' AVANT T~ES RAILS ,521
Playa-Blanca, ou la Compagnie miniere de Huanchaca a de-
bourse 28 millions de' francs (1).
Jusqu'a ce jour, la construction de ces fonderies a enrichi
les ingenieurs electriciens, tacberons, .etc ...
Les zones argentiferes euvoient leurs produits dans ce port
ou ron embarque les minerais d'un titre eleve,Los minerais trop pauvres pour' payer le fret sont traites sur
place et transiormes en lingots. ,
D'autres etablissements recoivent en consignation des mar-
chandises pour l' interieur.
De la sorte, cette ville qui doit aux gisements nitreux .une
vie propre, manie en meme temps dans ses entrepots et ses
usines la fortune de la Republique voisine.
Ce n'est pas ici une plage defarniente et d'amusement : onY : mene l'existence fievreuse d'un campement. Point d'art,
point de distraction. Le burea u, l'usine, -l e bar. La familIe de
main droite s'y epanouit. Celle de main gauche y pousse
comme l'efflorescence des salpetres qui macule son sol a 1 3
Iois productii et iniecond (2).
II
Du Port d'AntoKagasta par Colama et Uyuni a Oruro .
Le Haul Plateau
Le H i Mai 1892.
Une minuscule locomotive it poitrail etrique sur la voie de
75 centimetres lance un coup de sifflet strident. 'La voila en
route pour le plateau de 4.000 metres d'altitude. Elle serpen-tera sur Ie flane de ce massif, ,et sans tunnels, presque sans
tranchees, elle aUeindra les hauteurs (3).
Panorama uniforme it travers ses changements. On dirait
(1) Playa Blanca n'exisle plus. Ses magnifiques installations ont et edlspersees et se retrouvent aujourd'hui dans diverses usines du ht-
toral.
(2) Antofagasta est aujourd'hui une grande ville et un port assez
important pour que ses recettes justiflenj la construction d'un port.
On doit faire sauter le seuil de roches. qui constituent une barre et
rendent I'acees malaise sinon dangereux.
(3) Caracoles fut entre autres, desservie par cette voie et c'est par
Calama que, passerent, apres la decouverte de ces mines, les 15.000.f'\{)(),
qui en furent cxtraits dans les prem ie rs six mois.
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5 2 2 LA NOUVELLE 'REVUE
le monde lunaire avec ses crateres eteints aux aretes vives, O U
la lumiere ne s'irise point. Rien que le contraste criard .·t
monotone du noir et du blanc.
Sables pales, croutes ternes de nitre, trainees basaltiques,
Des cristaux de sel, de granit, des parcelles de mica elince-
lant sous la lumiere crue. Pas une herbe sur ces residusrejetes par le fourneau titanique des volcans .
.... .Cerillos. Nous sommes it 97 kilometres de la cote, it
1.024 metres au-dessus de la mer.Calarna. Kilometre 238 : Altitude: 2.265.
Des champs de luzerne autour d'une source, une oasis
enchassee dans ces coulees de lave. C'etait, avant le passage'
de la voie Ierree, une halLepour les muletiers qui faisaient leservice des mines avec des caravanes, chargees it l'aIler des
provisions de houcheet, au retour, des barres d'argent.
La clochette de la Madrina, la jument conductrice du trou-
peau, a cesse de resonner dans ces deserts.
On ne voit plus se profiler, sur Ia transparence de l'horizon,
les theories silencieuses de betes de somme reniflant le sol,entourees d'un nuage de terre poudreuse que soulevait leur
fin sabot.
On n'entend plus, a l'approche de ces champs longternps
souhaites, les animaux qu'enivre la Iraiche senteur de l'herbe,
hennir de joie a pleins·naseaux.
Un millier d'Indiens demeurent encore la o Ils regardent
passer les trains, ahuris, ils ont l'air de croire qu'on a invente
.cette bete roulante, dedaigneuse de Ifmr paturage, pour Ies
priver de leur maigre revehu (1).
Pourquoi n'envoient-ils pas Jeur recolte a la cote? Pareille
idee ne leur est point venue. Leur cervelle aux rares circon-
volutions semble atrophies par des siecles d'abrutissement.... La locomotive s'est gorgee d'eau. Elle rep art. Vers lc
kilometre 300 on traverse le Rio Loa sur un pont dont le pilier
central mesnre 105 metres de hauteur. De San Pedro une
source captee envoie, de 3.22.3metres de hauteur, dans des
tubes venus de France, son eau a Antofagasta.
Les rails montent toujours. Au kilometre 360, a Ascotan,
ils se trouvent par 3.965 metres. La s'etendent les plaines de
berates. Un paysage polaire sous les tropiques. Une vaste
zone d'un blanc eclatant ~ncadree dans la hlancheur des col-
(1) Depuis, on a cree a, Calama une importante usine ou I'on traite,
dans des « convertisseurs »,les minerais de cuivre fournis par les
nombreuses mines decouvertes dans la r.egion;
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EN BOLIVIE. AVANT LES RAILS 5 2 3
lines sans [in. La vie, Ia mort meme semblent s'etre retirees de
Ia region. Les condors ne planent point au-dessus de cette
etincelante aridite, de ce linceul de pierre dent le soleil est
impuissant a fondre les Iausses neiges. L'horizon se herisse
de volcans : le Llicancahaur, le San Pedro, le San Pablo. Au
kilometre 1140 s'eleve la gare frontier-e. A mille metres au-dessus d'elle la cime du mont Ollague.
Son craters s'ouvre sur Ie nanc et projette horizonialement
une Iumee abondante en de Iantastiques houflees. Elle s'etend
parallels a la crete qui encadre au loin le plateau. Parfois
d'epaisses volutes de vapeurs dorees se detachenl et viennent
rouler paresseusement sur le versant du pic solitaire.
Des qu'on a atteinl Ia Bolivie, la ligne Ierree garde une
moyenne altitude de 3.700 metres.
Ce colossal soulevement de terrain s'etend de la jusqu'su
coeur de l'Entre-Cordillere peruvienne (1).
Une monotonic profonde vous enserre. Va Ilore est si che-
tive, la faune 5i pauvre, l'atmosphere si rare.
Une herbe courte et pale apparatt sur le bord des torrents
qui, desseches durant dix mois, se precipitent a la fonte des
neiges par les rigoles des pentes inacoessibles et sillonnent enzigzags desordonnes le haut vallon pour se deverser dans le
lac Poo-poo et son chapelet de Iagunes. 'La Biscacha (2), rongeur a queue longue et touffue, surgit
derriere les rides du terrain. Sur les cretes on apercoit par-
Iois l'elegante silhouette des vigognes (3).Et sur Ies paturages
plus ras, plus incolores que nos champs apres le passage
de la faux, paissent des lamas par petits groupes. Ce sont Jesamis de l'Indien. . .
Ils l'aidcnt, en portant des charges, it gagner de petits salai-
res. Leur laine l'habille, leur peau lui sort de lit.Quant a leur nourriture elIe ne coute rien (4).
(1)11reg-ne presque sans interruption depuis Lipez jusqu'au nreud
de Vilcanota sur plus de 800 kilometres de longueur avec une largeur
mcyenne de 30 lieues.
(2) Lagostomus ; de la meme classe que les Chiucliillas autres habi-
tants des hauts plateaux, a la Icurrure precieuse. La biscacha res-
semble, sauf la queue, 11nos lapins de garenne, sa Ionrruro n'est pas
estimee, on apprecie sa viande.
(3) Camerus Vigogna.
(4 ) i.e lama porte des charges pesant 50 kilos. Ses excements out
ete, dans ces zones depourvucs de vegetation ligneuse, lc seul com-bustible employe avant I'ouvertnre au traflc des chemins de fer, dans
les usines metallurgiques,
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5 2 4 LA NOUVELLE REVUE
Pendant les longs voyages, ils se contentent d'une herbille
seche, d'une mousse Ianee, d'une goutte de neige fondue au
bord du sentier. Le regard du lama a je ne sais quoi d'hu-
main, de doux, de curieux. Son oreille mobile, son cou ondu-
lant, sa marche d'amble, son galop de chasse modifient sans
cesse les formes de son corps, l'aspect de sa physionomie.
Surles hauls plateaux, au les eflets de mirage sont fre-quents, ces bates m'ont apparu bizarrement delormees, hautes
sur jamhes, redressant un cou de girafe, marchant sur une
vaste nappe d'eau.
Parfois aussi j'ai vu des trombes de poussieres s'elever, ades hauteurs prodigieuses, se promcner en grandes spirales
et s'effendrer soudain.
. Trornbes et mirages ont Ies memes causes.
. L'interposition des couches atmospheriques au repos fait
devier les rayons solaires et produit des aspects imaginaires.
Lorsqu'une cause quelconque trouble eet'equilibre instable,
rail' le moins dense traverse la couche superieure et entratne
dans son courant la terre reduite par Ia secheresse en poudreimpalpable. Les tromhes sont ainsi, en quelques sortes, des
coups de vent colores, dont on peut suivre le trajet.
. , .... Uyuni .•Hier auberge, aujourd'hui ville, avec des mal-
sons construites en traverses de chemins de fer.
L'eau y gele a l'omhre ; la nuit le froid est assez vif pour
solidifier l'encre et meme quclqueiois, m'assure-t-on, Ie
petrole. .
D'Uyuni passe vel'S l'est l'embranchement des mines de
Huanchaca. Au nord, la voie, double ra/e d'acier, luit dans I p
longueur de la plaine.
Des wagonnets pourvus d'uq mat et d'une voile latine, glis-
sent sur les rails et portent les equipes de terrassiers, Sous
l'action d'un vent constant its vont et viennent avec une vitessede 20 kilometres.
Spectacle original que ces grappes. humaines sur la petite
plate-forme qui se meut rapide et sileneieuse poussee par une
brise qu'on est surpns de voir utiliser.
De loin en loin, s'echelonnent les stations. Elles ne desser-
vent aue~ village et ne sont que les points d'eau O U Ia machinerenouvelle son approvisionnement.
Le premier hameau, Challapata, se detache en lignes blan-
ches sur Ies collines hrunes. Au loin, l'entree d'une gorge qui
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 5 2 5
conduit versla zone argentiiere de Colquechaca et la capitale
de la repuhlique, Sucre.
Si Uy uni s'est peuple de cette immigration hyhride, qu'cn
apeUe Iamilierement, en Amerique, les Ireres de la cote, Chal-
..lapata appartientaux indigenes, petits commercanls, gros
muletiers autour d'une vaste maison paroissiale. •
Sur le parcours, on vous designe au volles mines de Poo-
. , poo, de Zebaruyo, d'autres encore; if la droite, la haute che-
minee de l'usine metallurgique de Machacamarca : enfin,
•adosse if 'la montagne celebre d'O U tant d' argent est sorti
depuis trois siecles, le terminus actuel, la ville d'Oruro (1).
Aspect de la ~ille. - Les m ines cl'al'gent .
. .Le 10 Octobre iS92.
Des murs en pise, perces de 'portes et de rares Ienetres hor-dent les rues etroites, En temps de pluie, ce sont des marais
et des Iondrieres. Par beau temps, des trombes de poussiere
jaune les rend irnpraticables. Aucun ornement ne se detache
sur ces parois nues. Les eglises sont tristes, leurs murs sont
mal ere pis, leurs nefs irregulierement briquetees,
Dans les niches se dressent des saints etrangement habil-
les ; de minces chandelles fument, melancoliques, devant les
autels.
Cette cite domine le pays grace it s a situation strategique.
Des richesses minieres dont l'exploitation actuelle ne permet
pas encore de fixer l'importance en assurent l'avenir.
Des avant la conquete, les indigenes avaient connu CBS ulons
d'argent. A la mort du dernier Inca Atahualpa, ils eflacerent
les traces de leurs fouilles. Un derni-siecle plus tard, Fran-
cisco de Medrano decouvrit derechef l'un des gisements.
, Aussitot d'affluer la Joule des avenluriers, En 1660, on fonda
Oruro sous Ie vocable de Saint-Michel. Le roi' Philippe III;
brouille avec cet archange, lui suhstitua, en 1600, un sien
parent, San Felipe de Austria. L'invocation fut de bon eifet :
(1) Le departernent d'Oruro couvre environ 60.000 kilometres carres
et comprend plus ou moins 115,{)oo habitants. II est divise en trois
provsnces : Oruro avec la capitale du lIlem~ n om : Carangus avec
Quisacollo, et Paria avec Poe-Poe.
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5 2 6 LA NOUVELLE REVUE
le denier du roi produisit, dans Ie premier sernestre, sept mil-
lions de piastres it 14 reaux (7 francs).
Et durant 180 annees on travailla dans 34 mines. Une
revolte des indigenes arreta cette activite en 1781.
La region ressortissait alors, sous le nom de Charcas, it
Buenos-Ayres. La cour royale de Justice de cette ville fi t arne-
ner it sa barre les melis accuses de conruvence avec les insur-
ges. Aucun d'eux ne retourna sur les hauls plateaux. Oruro
demeura abandonnee.
Les registres de la Tresorerie avaient ete brutes. Jusqu'en
1773, OR le sa it par la comptabilite de I'Escurial, la production
moyenne s'etait maintenue 1 '1 1.20Q..000 piastres. Ge chiffre si
faible lorsqu'on }e compare au premier exercice, s'explique
pourtant : Au-dessus de 80 ou 100 metres de profondeur, les
filons contiennent des riches chlorures. Au-dessous de ceHe
limite commencent les suliures. Les Espagnols n'en cormais-
saient d'abord pas le traitemenL. Lorsqu'ils eurent decouvert
le precede au moyen duquel on retire ~'argent de ce minerai,
leur systeme etait primitif et insuffisanL Aussi, sur leurs car-reaux de mines, il en dcmeura longtemps dimportants qepols
sans emploi.
En 1846, M. Auguste de la Rivette, retrouva 'plusieufs des
galeries anciennes dont l'acces avait ete ohstrue.
II dut luUer contre toutes sortes d'obstacles : insuffisance de
capital et de main-d'oeuvre ; rarete des vivres, absence deau
potable et surtout mauvais vouloir de la part des autoriles .
locales.
Notre cornpatriote, oblige de s'eninir sur le littoral, perit
d'un acces de flevre jaune. .
Pour eviler 1a confiscation de ses biens. iJ en avail simule
la vente a run de ses ouvriers. Ce dernier concur I'idee de
s'emparer des froprietes. II declara au Ionde de pouvoirs 'que
les heritiers de M. de la Rivette envoyerent en Bolivie, elrc
• chez lui; et, lorsque Ie juge ordonna son expulsion de la mine
de San Jose, il en d~fendit l'acces a coups de Iusil, Celte argu-
mentation amena la partie adverse a des dispositions conci- .
liantes. On entama des pourparlers ; et, en :fill de compte.
ce mineur acquit, pour 100.000 piastres, un ilion qui, de 1868
a 1891, dut produire 1.200.00 marcos, (environ 36 millions U P ,
francs).
En 1865, un autre de nos .nationaux, M. Louis-Armand
Blondel, avait entrepris l'exploitation des mines Atocha, Colo-
rado, Alacranes et Sapos.
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 527
De 1865 it 1885, Atocha seul a donne pres de 40 millions de
francs.Une societe chilienne, sous la denomination de Compania
Minera de Oruro, acheta, en 1885, le Socavon de la Virgen.
Son capital etail de 200.000 francs (1).
En cinq ans, on a extrait (des filons Chilena, Rasco et Mer-
cedes) 9.109 caissons (2) contenant 430.172 marcos, valautenviron 13 milions, soit cinquante-six fois le capital. Alors la
Compagnie acheta la mine voisine, Itos.Celle-ci donna, de 1888 a 1891, 3.1349caissons, avec 229.232
bolivianos ou 6.780.000 francs.
Depuis 1865, Oruro a exporte non loin de 200 millions, exac-
tement 180.478.800 francs, auxquels il Iaudrait ajouter les
semmes volees par des gens de metier appeles conqaiteros, On
peut eslirner ces rapines a 20 % du metal produit par la zone
qui comprend ODZekilometres sur trois eLdemi (3).La plus grande profondeur des travaux atteint main tenant
au Socavon de la Virgen 130 metres au-dessous de la surface
du sol; Itos est a 180 ; San Jose a ~10 ; Atocha a 220. Leschantiers de la Tetilla (4) sont encore au niveau de la Galerie
centrale, ereusee a travers banes. De la, partenl, sernblables ? J
des aretes, .Ies filons ou veines.
Toutes ces mines ne rejettenl aue 80 metres cubes d'eau
par jour, quantile. minime lorsqu'on se rappelle Huanchaca
dont les pompes donnent non loin de 800 tonnes par 24 heures.
Dans ces conditions Ie quintal de minerai revient en
moyenne a 2 bol. 1/2, environ 6 francs.
Suivant une loi a peu pres generaJe en Bolivie, Ie titre des
(1) En 1891 Iii production de ces diverses ontreprises etait de
12.404.550 francs, ainsi distribues :
Compagnie Miniere (Chilienne) 102.000San ·Jose Chico (Boliviennej , .
Ytos (Chilienne) , .' .
Atocha (I) (Chilienns et. Irancaise) .
Tetilla (Chilienne) .
78.000
48.000
18.000
90
Divers 2.000
Total . 248.090
(2) Le caisson ou cajon bolivien equivaut it un poids de 2.000 kil.
et Ie marc a 230 grammes.
(3) Les blocs de porphyre trachytique sont souleves par des erup-
tions plutoniques It travers des terrains sedimentaires de I'epo que
primaire.
(4) La Tetilla est devenue peu apres l'une des principales entre-
prises minieres en Bolivie.
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52 8 LA :-.iOUVELLE REVUE
minerais augmente a mesure que les chantiers aLleignent des
niveaux plus prolonds. Les mines dont nous venons de parler
ne sont pas encore Ioncees jusqu'a la ligne au-dessous de la-
quelle, dans les regions voisines, on a decouvert les riches
gisements.
IV
L'eiaui. -- Lc premier chemin de [er boliuien
Le 12 Octohre 1892.
D'nnmenses gisements d'etain ont cit'; rcconnus sur plusieurs
points de la Bolivie. On pourra en continuer l'exploitation
avec benefice alors que certaines mines d'argent devront arre-
ter les travaux, la valeur de leur produit ne pay ant plus les
frais du traitement metallurgique.
L'industrie stannifere est d'ailleurs ancienne deja dans Ie
Haut Perou. Huanuni produisait, des 1774, une moyenne de
1.000 quintaux par an, soit une valeur de 45.000 francs. J 'ai
eu SOliS les yeux un contrat de l'epoque stipulant Ia livraison
annuelle de 1.2116 quinlaux pour la fabrication des canons de
Seville et de Barcelone.
A Oruro Ioule mine contient de retain. Les produits d'Ato-
cha en donnent generalement 15 % ; ceux d'110s, 30. Le Soca-
von de la Virgen et In Rasgo laissent de 4 a 8 % .
Pour separer retain de l'argent auquel il n'est que mele, on
lave el on concentre les resirIus de l'amalgamalion. On obtient
ainsi une sorle de poudre granules parlois Ierrugineuse d'un
titre moyen de G5 % appelee barilla. On l'expedie en Europe
SOLlS cette forme.MM . D u ple ic h et Dupuisont et e les premiers a etahlir u ne
fonderie de ces barillas. A Changamoco, au pied du mont Sa-
jama, dont les torrents Iournissent la force motrice pour leurs
soufflels, ces Francais ont cree une usine d'ou sortent des
barres et saumons d'etains portant une marque bien connue
sur nos marches (1).
f.l a qui profiteut les tresors dent nous venons de parler?
Ou sont les riches d'Oruro ? Les mattres de ces mines prodi-
(I) Depuis plusieurs annees deja la valeur des mines comme celles
de S. .Jo~e n'est plus ell! iJ . largent dent ona retire jadis de si grandes
quant.tes, mais il l'etain. - La Bolivie est actuellement Ie principal
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EN BOLl VIE AVANT LES RAILS 5 2 9
gieuses sont marls ruines, d'aucuns hattent tristement le pave
de Paris. La Iortune generale meme a souflert de la surpro-
cjuclion du metal precieux.
La haisse de l'argent n'a pas eu d'autre cause que son
abondance.
Par sa situation, ce centre minier aurait toutes chances de
devenir capitale, c'est-a-dire centre politique, militaire, indus-
triel et commercial du pays S 1 son rude climat permettait d'y
vivre. Mais on n'y voit ni enlants, ni vieillards, Les pneu-
monies ont vite raison d'eux.
La population s'y renouvelle sans t:esse.Les irnmigres
s'accommodent par amour de l'argent d'un sejour incompara-
blement dur : on y fait bouillir les pommes de terre 5 heures
durant pour les rendre mangeables. On n'y connait le lait que
sous forme de conserve. Les legumes verts n'existent pas.Une
bouteille d'eau y valait, jusqu'en 1890, cinquanLe centimes.
Ce regime est ameliore depuis que le chemin de fer dessertto . ville: lepremier train est entre a Oruro le 15 mars 1892,
soixante ans apres que la premiere locomotive Iut partie de
Liverpool (1).
D'aucuns consideraient que ce convoi inaugural etait en
avance. Un journal liberal s' intitulant £1 Ferrocaril (Le
Chemin de Fer) publiait a . cette occasion quelques beaux arti- .
des sur le danger de pareilles innovations.
.I'ai vu ce convoi s'arreter devant la maison du Gouver-
nement. Un groupe de cures les altendait avec goupillons et
encensoirs. Le doyen, la tete levee vel'S la machine et les yeuxbaisses sur le missel, aspergeait pieusement In locomotive cou-
vertes de fleurs et de drapeaux. Froide jusqu'a l'indiflerence,
1'1foule assistait it cette ceremonie. L'ahurissement des Indiensse comprenait. La mefiance des artisans fJairant 1 0 . concur-
rence etrangere pouvait s'expliquer.
Mais une grande partie de 1 0 . population instruite desap-
prouvait pour des raisons politiques le chemin de fer bolivia-
no-chilien.~. Elle a change d'avis depuis.
fournisseur de ce metal, dont ilproriuit annuellement quantite de ton-
nos, A citer parmi les mineurs fortunes notre cornpatr iot., M. Soux
qui des deblais de Potosi: a retire une collosale fortune qui journclle-
meru, nous dit-on augmente dans d'extraordinaire proportions.
(2) A cette date M. Petot fit construire un aqueduc.
TOME II. 34
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· '
53 0 LA NOUVEL~E REVUE
Societe it Oruro : le bas peuple ; son habitation; son costume;
ses distraclions; son instruction'; son caraciere. Le clergfindigene. '
Le 14 Octobre 1892.
Le mineur vieux style, hasardeux avant tout, courageux,
supersti tieux et cruel a fait son temps. Les homrnes qui,
aujourd'hui, dirigent les etahlissements d'Oruro, sont des
ingenieurs tres modernes. Eux et quelques Iournisseurs cons-
tituent ce qu'on pourrait appeler la Societe, Il n'y exisle cepen-
dant point de vie sociale ; aucune promenade, nul jardin.
En fait de verdure, 'les seuls tapis des tables de jeu O U l'on
seme 1'01' sans compler. .
Lorsqu'on se mele aux Indiens Aymaras ou aux sangs me-
les, c'est un plongeon .dans les siecles passe's (1).
Est-elle triste la vie des Illles du peuple l Entrons chez une
Chichera (vendeuse de hiere de mats). Nous y verrons les
payu-is trieurs et trieuses de metal, des soldats, des artisans,
des demi-sang quelconques. Le vice sans attrait s'y etale dans
un cadre sans grace.
Une piece carree, eclairee par une porle unique qui donne
sur la rue, constitue I'apparternent. Un mur en boue a hauteur
dappui avance comme une presqu'tle ; sur cc piedcstal des.
saisses vides sans couvercles sont disposees en etagcres ; quel-
ques bouteilles d'eau-de-vie s'y dressent au milieu de bobines
de fils, de savon et de chandelles.
En deca de cet etalage : boutique. Au del a : boudoir, salle
a manger, cuisine,
L'indigene, depourvu de coquellerie, ne cherche pas l'har-
monieuse concordance du corps et du vetement.La femme (2 ) ode, de la taille jusqu'a hauteur de l'aine,
une sorLede gatne, d'ou pend la robe en flanelle a longs pails.
Le moindre mouvement des jambes frappe ce ve'tementa l'ins-
tar du hattant d'une cloche et le fail flatter comme par une
tempe!c. ~
Chaque annee, une jupe neuve vient recouvrir les haillons,(I) CelIe 1'DCe r ic ( 'nl1'0 Puno -e t Oruro. Leg travaux de Hnanchaca
ont e l e la cause accidentelle d'un exode de ces indiens vers Ie SudBoli"ien, .
:2) Pour repose]', elle s'accroupt. elle s'adosse it une rnuraille et
dort habil!ee.
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EN 'BOLIVIE AVANT LES RAILS 5 3 1
anciens. Ainsi s'augmente le nombre de ses jupons Ieutres pal
l'usage, dormant aux hanches d'invraisemblables propor-,
tions (1).
Le haul du corps, enveloppe d'un vaste chide, paratt
informe.
Les cheveux sortent en nattes epaisses d'un chapeau mou.Les pieds petits, mais depourvus de cambrure, genera le-
ment nus, sont chausses, les jours de fete, de brodequins en
satin clair, dont le talon Louis XV supporte un corps et nne
toilette dont auraient Iremi ou souri les delicieuses marquises
du XVII16 siecle.
L'hornme porte une culotte s'arretant a mi-mollet. Le
calecon passe en larges phs it travers les fentes pratiquces it
l'arriere.
Les poches sont rapportees exterieurement, it Ia lacon de
fontes. Un ou plusieurs ponchos recouvrent le terse.
Les cheveux plats et raides debordent en franges sombres
autour d'un bonnet de tricot a oreillettes. Un Ieutre trop petit
couronne l'occiput. Point de barbe, le pied nu, ou chaussed'une sanda le.
Ce peuple ne m'a guere etc syrnpathique. Son regard est it Ja
Iois dur et Iuy ant. Aucun sourire ne releve les commissures dl'!
ses levres epaisses. 11 s'amuse d'un air navre ; l'alcool semble
le reveiller de sa lethargic. Sans griserie, point de fete."
Les courses de taureaux, la grande rejouissance publique,
n'ont pas l'emouvante allure d'une lutte : Le jeu consiste as'emparer d'une sorte de chabraque ornee de pieces d'argenl
qu'une corde maintient sur Ie dos de Ia bete.
Henverse ou victorieux, I'Indien garde son air indifferent.
II assiste a la vie moclernecomme un sourd, qui ne com-
, prenclrait pas les mouvements des musiciens d'un orchestrc.Son horizon est Irop borne pour que la joie puisse y trouver
place. Son ennui est de conserver parfois sa raison, faute dar-
gent pour la perdre dans I'ivresse.
Le passe n'embellit pas ses souvenirs de Iegendes.
L'avenir n'eveille guere en lui d'esperance ou d'ambitions.
Ressorts hrises par Ie servage ; organismc brule par l'al-
cool.
Ces premiers autochtones sont paisiblement sanguinaires.
(1) Le clirnat : t res froid. I 'abse"ncc d'appareils d e ehauffage exp li-
qnent ces habitudes dont on retrouverait peut-etre les traits carac-
te~istiques chez l~s Lapons ou d'autre , peuple, de la zone arctique.
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• f
5 3 2 LA NOUVELLE REVUE
lis tuent avec une impassabilite qui tient de race. Un exern-
pIe entre mille:
Tel dictateur met a prix la tete du general Ballivian. Un
rnedecin de m em o !tom , lointain parent du chef redoute passe
pres d'un village Aymara. Les habitants Ie prennent, lui
scient proprement Ia tete et 1a portent au dictateur. On leurfait observer I'erreur en refusant la prime. Ils repartent avec
I'unique regret d'avoir travaille pour rien ...
Le pretre seul, en depit d'une origine souvent indigene, sait
manier ces gens. C'est Ie pretre jouissanl encore d'une liberte
que le conseil de Trente a prescrite,vivant en famille quoique
son mariage ne soit iamais off1ciel.
Que de prieres incomprises ont ete nasillecs dans ces mai-
sons paroissiales le soil', a la lueur d'une mcche fumeuse bai-
gnant dans Ie suif.
Les femmes et les jeunes filles enveloppees d'un chale noir,
accroupies it terre, marmottent les repons,
Oh! ces salles froides dans leur delahrement l Combien
sans gatte sont les danses (toujours Ies memes) qui se derou-
lent la , au rythme d ' un e gu itare vibran t a l'instar des grillons. •
Un.chant monotone, ,avec des points d'orguc cries, les accom-
pagne ; un convive fatigue tarribourinc In mesure sur Ie bois
de la panduria ou d'une harpe de forme antique et les comme-
res battent des mains pour exciter un mouvemsnt qui veut etre
de la joie.
l\Ialgre tout, ces ecclesiastiques sont entoures d'aflection. "
J 'ai assiste aux obseques d 'un .eure. Des centaines de ierp-
mes, toutes ses ouailles, suivaient son cercuei] en pleurant alarmes et a cris. . , .•
D 'O ru ro p ar C apin ota aCoctuibomba. - C araetere de la ville, et de ses habitants, .
Le 20 Novembre 1892, .
J'ai quitte Oruro avec plaisir apres tine nuit ou le thermo-
metre. avait marque 17 centigrades au-dessous de zero, Le
soleil semblait peint sur lin ciel pale,
Dans ces jour's de melancolie polaire, les Oruroisracontent
entre deux eternuements que les cheminees et les poeles don.
nent des fluxions de poitrine. : .
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"
EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 5 3 3
En route pour Ie climat plus doux de Cochabamba t
On traverse d'abord It haut plateau dans sa largeur. Le
sentier monte a pres de 5.000 metres jusqu'a la Jigne de par-
'tage -des eaux ; le versant oriental de la Cordillera royale est.'
rapide. Pres du village de la Ventilla, a 18 lieues d'Oruro, onrencontre les premieres traces de vegetation ligneuse.
Le chemin dit charretier, en deblai, serpenke le long du
versant abrupt. Mauvais sites pour gens sujets au vertigo.
Apres la premiere halte, on suit les gorges qui se resserrent
entre des roches droites. Les schistes ardoisiers leur donnentl'aspect de rmirs cyclopeens demesures. •
Des bouquets de verdure s'echappent des fentes et crevasses .'
L'air vivifiant, des zones ternperees arrive a pleines bouffees.Unej avenue ombreuse, un large ruisseau, Nous voici a
Capinota avec sa rue unique, longue, etroite, tortueuse O U
s'agitent des marmots, des chiens, de joyeux petits gorets,
des poules. Deranges sur notre passage, ils se jettent a droile
et a gauche avec une amusante discordance dans leurs efla-rernents aux sonorites diverses.Des femmes, tilant la laine, des hommes, le verre d'eau-dc-
vie a la main, de se precipiter sur Ie pas des partes et de rire
entre deux' saluts. Une gaite vous penetre.
L~1isaules ondoient Ie long de la route. Les champs de mars
s'etendent au loin, gravissant les collines entre les canaux
d'irrigation que bordent des murailles de peupliers verts bario-
Jes de parasites rouges.Le sous-prefet de Capinota m'en a fait admirer Ies jolies
flUes: beaux yeux de vigognes apprivoisees, demarche alerte
et rire sonore ... Je suis parti le lenderpain, dans un coucou,
antique, me faire cahoter dans Ie lit pierreux du torrent deCochahamba qui sert de routedurant huit mois de l'annee. (De
novemhre a mars, le vallon est inonde et impraticable.)Nous croisons des trains d'nnes charges de froinages, de
dames-jeanne, de poteries, de f.ourrage. .
Leurs maitres, hommes, femmes, enfants meme, ployes
sous degros fardeaux, les suivent en poussant encore davant
eux des troupeaux de dindons.11s atteignent ainsi it pas comptes et a _ ' petites journees le
littoral ou la civilisation leur Iournit pout le retour des co-
gnacs de Hambourg et des soieries lyonnaises Iabriquees aElberfeld.
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33 4 LA NOUVELLE REVUE
La plaine s'ouvre avec les pales ondulations O U champ de
mars. SW' les montagnes, des hles murs alternant avec des
trefles. ga 01 la un ierco, arbve splendide que sa Iloraison vio-
lette fait ressembler a un immense bouquet.
Au milieu de rosiers en haies, au-dessus des grappes incar,
nat des poivr iers, apparaissent Ia blancheur de nombreux clo-chers et les vjves couleurs de maisons spacieuses.
On s'engage daris des rues droites, Elles aboutissent a la
classique plaza de Armas des villes espagnoles.
Des verandahs en pierre encadrent de leurs colonnades a
pleins cintres un square, jo!i Iourre d'arhres en Ileurs. Nous
somrnes sur la grande place de Cochabamba.
So us les 'quinconces du eouvent des carmes, un opulent
moine fume en [ace de moi .. Assis a l'ombre, il chauffe au
solei! ses pieds violaces, sous le regard conLemplatif d'une pe -
nitente.
Elle cause, les yeux baisses, avec le Reverend Pere.
Tres gracieuse, la jeune ouaille. Lorsqu'on vient de quitter
Oruro avec ses types anernies par Ia grande altitude, on s'at-
tarde volontiers it regarder les .Iemmesgrandes et belles de
Cochabamba.
Un sang genereux colore leur superhe carnation, fait bril-
Ier des yeux pro fonds et s'epanouit sur des levres rouges dans
un avenant sourire.
Charles-Quint voulut l'alliance hispano-germaine. Le reve
du grand monarque se realiserait-il en cette ville lointaine qui
fut de son empire?
Les negociants allemands, fort nombreux en ladite cite, ont
fait souche de leur type teuton.
Dans une generation ou deux, la Bolivie aura lit une pro-
vision de Gretchens, greflees sur le tronc iberien.Pour etre d'une ville praliquanle, les cloches me paraissaient
bien silencieusss, pendant mon sejour. La municipalite, me
dit-on, etait en pleine guerre avec les Iahriques et Ie chapitre.
Elle avait decrete une taxe sur les carillons. L'eveque et les
cures s'etaient rebiffes. Soumisc au Senst, arbitre de ces con-
flits, la question avait ete tranchee en Iaveur ,:es larques.
Toute sonnerie (repiqueiest maintenant 'soumise au tar if. Le
clerge proteste centre eet impot qu'iJ Irouve de mauvais gout.
Charles WIENER.
(A suivre.)
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TABLE DES lV_[ATTERESTOME II. - QUATH IEME SERlE
Sommaire du 16' Juillet 1912
DOCTEUR E. DOYE".............. Une nouvelle Methode expert-
mentale (II) .
GUSTAVE DUPIN ' .. ,..... Les Socirites de Jean-Jacques
Rousseau .
MAiJRICE RONDET-SAINT............ Les Ressources cynegetiques des
Colonies .GILBERT STENGER................. Le Roi Louis-Philippe .
OCTAVE AUBRY................... L'Homme sur la Cime (V) .
AMEDEE PRINCE................... Une Banque dExpoctation (Fin)
P'ERRE DE BOUCHAUD............ Pegase .
R. RAQUENI....................... Giovanni Pascoli .
HENRI AUSTRUY.................. Les Ballets russes .
LOUIS CARPEAUX.................. Pekin qui s'en va lY)······· .HENRy-MARX Pierrot a I'CEillet .
JACQUES JARY..................... Un Roman : .
PAUL-LoUIS HERVIER... La Litterarure anglaise .
Sommaire du 15 Juillet 1912
Les Ecoles Francaises au Maroc
Chez les Soko ls .....
L'Art d'ctre mere (ComMie) .Lc Roi Louis-Philippe ([in) · .
La Musique au Chatclet (Lasballets russes).... . .Le Partage du Congo .
L'Homme sur Ia Cime (VI) .
Jean-Jacques Rousseau et ses
Contemporains .
LOLlS CARPEAUX.................. Pekin qui s'en va (V1) .
DOCTEUR THm.IAS................ Le Cancer et la Chimiotherapie
Roex-S£vERI"E Lune sur la brume .
PAUL-Lours HERVIER.............. La Littcrature anglaisc ..
Sommaire du r= Aout 1912
HELl:RI HAUSER .
PAt.:L C!OAREC .
V. DE TOLEDO .
GILBERT ~TENGE'{. .
MAURICE TOl;CHARD .
JEAN DYBOWSKI. .
OCTAVE AUBRY .
GUSTAVE DuPE" .
JEAN LEUNE .
GVSTA\'E DUPIN .
G. COURTY .
MAVRH':E RONDET-SAINI .
•L'Allemagne en Turquie ,
Le Spiritualisme de Jean-Jac-
ques Rousseau .
Les Origines dez l'Ecriture .
La Relegation au point de vue
Colonial .F. VAUTHIER ;..... Un Etudiant SOliS I'Empire .. .•
EIlEX:-.iE RICHET. . . . . . . . . . . .. . . . . . . Zanzibar et ~ ossy-Be .
OCTAVE AvI3RY................... L'Homme sur Ia Cime (VII) .
PAUL R.4BOT...................... Evocation .
LaVIs CARPEAUX.................. Pekin qui s'en va (VII) .
ANDRE GAKOT..................... M. Maurice Reclus ..
PAUL-LOUIS HERVIER............. La Litteraturc anglaisc .
Sommaire du 15 Aout 1912
JULIETTE ADA~l. .
H. PEYRE DE BETOUZET .
COLO"EL MOLL .
CHATEAUBRIAND .........•........
JEAN LEUNE .
OCTAVE AUBRY ..PIERRE DE BOUCHAUD_ .
CHARLES 'VVIENER...............•
LOUIS CARPEAUX .
MAURICE TOUCHARD "
En Russie...................... 433
Email Florentin................ 438
Carnets de Route (publih parCarlos d'Eschevannes) -. 439
Lettres inedites (par Louis Tho-mas) 456
L'AlIemagne en Turquie (fin).. 466
L'H( 'nme sur la Cime (VIII).. 488La Sculpture Venitiennc... .... 502
La Bolivie avant les rails...... 519
Pekin qui s'en va (VIII)...... 536
Les « Lieder » de Rimski-Korsa-
kov 551
2!
40
43
57
71'82
85
90
97lO S
110
114
201
2II
215
225
243
254
259
260
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E n B o l i v i e a v a n t l e s r a i l s(* l
(Suite)
L'agricullure a C ochabarnba. - Exploitation de fo r
SOllS I'Inca, pendant la periode coloniale
el de nos lours.
Le 2 Deoernbre 1892.
Cc departernent vit d'agriculture ; ses fermes produisent ell
abondance le ble, le mats, la pomme de terre, les fourrages.
Aussi Ie nombre des mineurs y est-it moindre que dans le
reste ; de Ia Bepublique. Cependant, de grandes veines d' or
traversent la region. La tradition et l'histoire sont d'accord
pour affirmer leurs richesses les legendes anciennes et lesrecherches contemporaines.
Les aurocrates indigenes du XI" au xvr' siecle avaient etabli
dans leurs domaines un communismc egalitaire. Lc peuple
Quichua obeissait alors a un pouvoir en dehors et au-dessus
de lui.
Sa subsistance etait assuree par I'agriculture. On etait vege-
,'. 'tarien de fait sinon par principe. La nation entiere, enregi-
men tee en vue de la meilleure culture du terrain, remplissait
un programme uniforme.Les heures de loisir, pour les hornmes, etaient consacrees
nux travaux d'entretien des routes, it Ia cerami que et it la
fabrication d'outils. Les femmes etaient tisseuses. On em-
ployait ainsi.son temps pour le bien commun on pour les be-
soins du foyer.
Ce sysleme excluait toute tentative commerciale. Le troe
meme a dfi etre fort reduit. Les Iouilles entreprises dans les
necropoles anciennes ont fait retrouver les momies recoup
(0 ) Voir la Nouuellc Reou« du 15 aout 1912.
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1 0 6 LA ~OUVEtLE REVUE
vertes de vetcments, ornees de bijoux, accroupies au milieu
d'un veritable mobilier, d'uslensiles divers, de vases remplis
de nourriture. Onn'a jamais rencontre dans ces Iombeaux
d'objets representant line valeur monetairs telle que l'Europe
l'a comprise dans le COUl'Sdes siecles.
L'exploitation des mines ne se faisait donc qu'en vue au
luxe destine a rehausser la majeste de l'Inca. J\ lui seul etaient
destinees les pepites des placers connus des cette epoque de-puis l'equateur jusqu'au 27" degre de latitude sud.
Dans Ie Tihuantin-Suyu austral, la Bolivie actuelle, on
lavait alors Ies sables d'Ilahaya ; dans ·la province de Lare-
caja, de Tipuani, de Chuquiaguillo (pres de La Paz), on Ia-
vail les terres de plaines ou s'elevent aujourd'hui les villes (12
Cochahamba et de Santa Cruz.
La tradition a conserve Ie souvenir des caravanes qui appor-
taientquatre Iois par an au monarque douze vessies de lamas
(rosques) contenant approximativement soixanle livres d'or :
100.000 francs environ. -
Telle etait, avant l'arrivee des Espagnols, la quantile de me-
tal produite par la region comprise entre le lac Superieur ct
les pampas rattachees aujourd'hui a la Bepuhliquc Argentine.
Lc chiffre est peu considerable. II expliquerait mal I'entnou-
siasme des conquistadores si ron ne se rappelait que le Perou
et I'Equateur envoyaient de leur cote des trihuts semblables.
Les residences imperiales de Cuzco et de Cajamarca ren-
Iermaient, par suite, 'la totalite de In matiere precieuseextraite
pendant cinq siecles, au moins, un milliard et demi de francs.
Rien n'avait ete distrait de ce tresor.
Si, par des moyens primitifs, sans machines, les autoch-
tones avaient amasse cette somme, que ne Ieruit-on aujour-
d'hui gl'flCe a l'application de precedes clont jadis on ne soup-
fonnait pas l'existence .
. Les filons sont nombreux clans les Cordilleres, Aucun douteit cet egard. L'eau leur arrache les parcelles qui Iorment d'im-
portents placers. Le mont Illimani est un des nosuds du sys-
teme auriiere qui traverse du Nord-Ouest au Sud-Est les pro-
vinces de Larecaja Yungas, Inquisivi, la region de Cocha-
hamha et de Santa-Cruz. A partir de cepoint la zone
change de direction. Elle s'etend vel'S Ie Sud-Ouest et passe
par Cinti et Tupiza pam' se perdre dans Ies environs de Lipez.
En d'autres endroits encore on a trouve des quartzauriieres
comme naguere a Oruro ou sur Ies bords du Rio Suipacha,
dans la Bolivie meridionale.
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E~ BOLIVIE AVAXT LES RAILS 10 7
Des ingenieurs competents affirment que l'industrie de l'or
serait plus aisee ici qu'ailleurs. Dans la majeure partie de la
Cordillere les torrents lui fourniraient en-toute saison une force
motrice suffisante.
En Caliiornie, disent-ils, on exploite avec benefices des ter-
rains qui dounent 15 centimes. pal' metre cube.
Dans ces regions sud-americaines il exisle de. nombreux Jots
de centaines d'hectares pouvant fournir deux it trois grammes
par tonne.
En dehors de ces moyennes, il Iaudrait encore citer des trou-
vailles extraordinaires, Ainsi, on montrait dans Ie :\[useum
d'histoire naturelle de Madrid, une pepite de 50.3·10 Ir. recueil-
lie a une lieu de la Paz. Xon loin du merne en droit on vient
d'en retire!' un e qui vaut plus de e..OOO francs.
Les indigenes ne conn~lissellt pas Ie .mercure .. Leurs vain-
queurs voulaient augmenter le rendement des mines d'or au
moyen des precedes d'am algam ation .. M ais le Quichua avait
la croyance que ce metal appartenait a l'Inca et ne devait sor-
til' des flancs de ces montagne,~ qn'apres.le retablissement sur
son trone o n souverain indigene.Les traitements les plus cruels ne purent avoir raison de
ceUe Ioi. L'Espagnol n'arriva pas ~\ ses fins. La topographie
du pays aidant, les Indiens s'enfuirent. Bien des chefs d'equipe
europeens Iurent massacres. Des convois n'arrivaient point a .destination. La plupart des placers durent eire abandonnes.
Malgre tout, quelques-tins ant donne des resultats uliles aciter : en 1707, on decouvrit les depots de Sorata. La ville de
ce nom a ete construite avec une minime partie des benefices
realises dans ceUe region. Quelques annees plus tarddes
aventuriers· portugais, remontant l'un des alfluents de I'Ama-
zone, decouvrirent le Rio Tipuani.
Le Dr Weddel, celebre naturaliste francais, a public une
etude sur ces gisements exiraordinaires. J'ai encore connu le
general Villamil de la Paz, qui, it diverses reprises, y decou-
vrit des depots d'or valant plusieurs millions. Il m'a raconle sa
vie de fievre. Un jour, ses fonds etaient epuises, les provisions
tiraient vers leur fin. II Iallail ahandonner le placer des Ie
lendemain. Un dernier effort. On travaille la nuit it la Iueur
des torches. en coup "de pic decouvre une sorte de caverne
Iormee d'immenses pierres roulees et, en trois heures; ori
extrait de cetrou 47 arrobes d'or vierge,. soit 687 1,2 kilo-
grammes, equivalent, en chiffres ronds, a deux millions.
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10 8 LA NOUVELLE REVUE
Quel Iivre amusant on ecrirait sur ce vieux soldat aventu-
reux : « De Tipuani au Bal Mahille et retour. ))
II depensail ses tresors en compagnie du vieux monde ga-
lant avec une largesse de prince de Ieerie. Quand il n'avait plus
un liard vaillant, il Iaisait des emprunts pour retourner dans la
Ioret sauvage. Il reprenait la vie d'emotions qui, la chance
aidant, Ie fit reparattre au bout de quelque temps sur Ies bou-
levards plus Cresus que jamais,II n'a d'ailleurs legue a ses heritiers que d'excellents con-
.seils.
. Vers le milieu du dernier siecle, Ie nombre des.chercheurs'
d'or etait considerable en Bolivie. Le metal se debitail alors
aux Ioiresde Chuchulaya, Chiquitos, Tatacomas et Yani (dans
la province de Larecaja). L'once, aujourd'hui de 35 a 40 pias-
tres, en valait alors 9.
Avant leur expulsion des provinces de la Couronne d'Espa-
gne, les Jesuites travaillaienl les mines de Choquejamata,
pres Cochabamha. On estime qu'ils en ont retire 200 millions
de francs. M. Diego Vaina, qui exploita les quartz d'Araca a
15 lieues de la Paz, realisa en peu d'annees douze millions de
piastres.
Les entreprises d'aujourd'hui se poursuivent presque sans
mise de fonds: un de nos nationaux.chapelier a la Paz, mon-
tre a tout venant des flacons remplis de pepites valant environ
IS.000 bolivianos. CeUe sornme a ete retiree des sables de
son jardin, a une heure de la ville.
D'autres, suivant l'exernple de cet artisan, ont fail passer
avec plus ou moins de succes leur terre par les baquets.It est impossible d'evaluer les quantites de metal qu'on
exlrait ainsi.
. Point de droit d'exportation sur cet article, pas de bureauxstatistiques en Bolivie. Aucunc societe serieuse publiant des
rapports qui peuvent Iaire foi.Les chercheurs d'or dissimulent le resultat de leurs efforts
pour ne pas attirer de concurrents etrangers dans la region
qu'ils Iouillent.
La Monaie de Potosi (1) a frappe annuellement une cenlaine
de kilograrnmes. Mais cette donnee n'a pas de correlation avecla production lotale.
Ilest permis, toutefois, d'affirmer que la creation d'impor-
tantes entreprises extractives, aurait sa raison d'etre.
(I) Get etablissement n'existe plus.
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 1 0 9
Le hasard seul a, jusqu'a ce jour, preside aux resultats
acquis, Lne collaboration d'hommes de science, d'industries
et de capitalisles menerait au succes.
• De Cochabamba pal' Mieque a Sucre, -- Aspect de la capitate.
- Ses habitants. -'- Les environs de Chuquisaca.
Le 8 Decemhre 1892.
Des pataches a huit chevaux roulent entre Cochnbamba et
les villages voisins.
Pour me rendre dans la capitale de la Hepublique, je prts
la voiture qui fait Ie service d'Arani au pied des montagnes
ou, naguere, on a trace la route vel'S Sucre. Man hote, dans
cette triste bourgade, s'appelait Socrate, mon cocher Themis-
I tocle, mon muletier Alcibiade. 11 faut, de nos jours, alter dans
la vallee de Cochachamba pour se trouver en aussi classique
compagnie. II est Iacheux que ces noms illustres n'influent pas
sur la valeur de ceux qu'on en affuhle.
D'Arani, je continuais ma route a mule apres un repas qu'un
cuisinier spartiate aurait desavoue.
Le plat populaire est une sorte de potage 011, dans une eau
graisseuse et violemment pimentee, nagent des debris de
pommes de terre, gelees blanches ou noires, appelee chugnos.
Les premieres rappellent vaguement Ie gout du liege, les
autres sent fort amcres. II parait qu' on finit par s'habituer a
cette preparation spongieuse qui ne fait perdre au tubercule
aucune de ses qualites nutritives et en permet la conservation
presque indefinie .
..... La route s'eleve en pentes douces a plus de 0.000
metres. Apres une descente de 800 metres sur un developpe-ment horizontal de 200 it peine, des versants moins rapides se
succedent en gradins.
Au fond de cette depression, l'humidite d'une chaude plaine
pese comme une huee sur ce qui reste de I'ancienne ville epis-
copale de lVIisque.
Decimee par les fievres malignes, la population a emigre,
eveque en tete. Des misereux se sont installes dans les
demeures vides,
Autour des corniches tordues .des maisons lezardees, s'effi-
loche un chaume mal peigne, La cloche Ielee de I'ex-calhe-
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no LA NOUVELLE REVUE
•drale y rappelle aux Iideles que Dieu n'est pas parti avec M o . . .. . "sergneue.... .
Aiquile, la halte suivanle, est plus saluhre. Ses cahanes,
depourvues de Ienetres, forment une rue O U des portes toutes
pareilles bayent sur un nombre egalede huvettes.
A partir de ce point la route passe dans les vallees,
Bientot nous chevauchons au milieu des cannes a sucre.
Ce sont les domaines de la Constanza, l'une des ill) terres. de M. Arce, president de la Bepublique.
La veille, avant Ie level' du jour, le tlrermometre avail mar-
que - 15°. lei, nous quittons le gite vel'S trois heures du matin
pour eviter lcs +40° du midi.
Le paysage se deroule splendidement salwage. Sur Ie fond
des rochers partiellement reconverts d'urre vegetation desor-
donnee se detachent avec la nettete d'un dessin geometrique
les cables melalliques et le tablier d'un pont suspendu, Ie seul
qui existe en Bolivie.
B'ientot nousentrons dans la ferme la Barca au meme pro-
prietaire. - C'est l'Equateur avec sa verdure bleuatre, Ie
clair eventail de ses bananiers, la lourde beaute d'une flore
que ne fane pas le souffle de feu du ciel reverhere par Ie sol.
On gravit et descend successivement plusieurs contreforts
hoises. Des haciendas apparaissent au milieu des champs. A
partir de Cantu Molino nous suivons le lit caillouteux d'un
lal'ge torrent sans eau, encaisse par des chaines arides. SUI"
les bords apparaissent Ie village de Huata et quelques maisons
de campagne aux Iacades decorees de gaies peintures der-
rieres de blanches. colonnades. Nous prenons a travers monts
vel'S la crete. De Ia on domine un cirque immense en pierres
nues. Les mouvements du terrain l'emplissent, semblables ades vagues figees. Vaste desert roux avec des taches noires.
Et au fond de cette immensite terne, loin de la vie du monde,
isolee encore par ties remparts naturels qui en delendent l'ac-ces, lacapitale de la Bolivie, Plata.rau point de vue ecclesias-
tique, Charcas pour la magistrature, .Chuquisaca en langage
d'administration departementale : politiquement Sucre (1),
(1 ) En 1872 Ie Haut-Perou fut divise en quatre provinces : La Paz
Potosi, Charcas aujourd'hui Sucre et Santa-Cruz de la Sierra. Le
gouverneur de ces provinces 6taft president de droit de la Cour.
cl'appel el reunissait dans ses mains Ies pouvoirs administratifs
militaires et judiciaires.
Si lors de la transformation en Etat independant de cette colonie,
Su-cre flit maintenu comrne capilale constitutionnelle, elle· ne I'a He
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E~ BOLIVIE AVA~T LES RAILS HI
siege a la Caul' supreme, de-Ja Caul' des Comples, residence
du metropolitain, qu conseil de guerre et quelqueiois meme du
Gouvernement,
Situee sur la Jigne de parLage de l'Amazons et du Rio de
la Plata. Sucre voit s'ecouler une partie des eaux de pluie
dans la direction de Huata, vel'S le Para, pendant que l'aulre
se precipite dans la vallee de Yotala, l'un des mille tribulaires
qui envoient Ieur contingent a Buenos-Aires.
La 's e trouvait jadis une cour d'appel, nne real audiencia,
~dont les rnembres, nobles hidalgos, aimaient bien vivre. Aussi
se sont-ils construit une cite .charmante. En depit de quelques
batiments modernes, ses verandahs et miradores 'la font res-
semhlee a une ville andalouse du XVII" siecle ,
Bile s'etend en damier autour d'une place bien espagnole :
Au milieu la fontaine. Des verandahs et des miradors deco-
rent Ies Iacades. Dans sa nudile eclatante, la cathedrals mas-
sive el imposante est depourvue de style.
Le palais du Parlement encore inachevc rappelle avec son
toit Henri IIe type de la construction francaise de nos [ours.
La municipalite siege dans un palazzo Ilorentin. .Rien de charrnant comme une soiree de lune sur cette place:
aux balcons on voit des femmes pales sous la lueur argentee ;
les banes de pierre Ie long des maisons sont remplis de monde.
La musique aux €lclats de caivre deroule son programme d'airs
europeens et de danses indigenes.
Nonchalantes, se promenent par groupcs les senoritas tres
parisiennes ; les choliias souvent gentiltes avec leurs costumes
de voyantes couleurs et les Indiennes loqueteuses, sombres.
Un ahime separe ces classes sociales, Rien ne compte ici
en dehors des familles aux quartiers non rnacules de sang
indigene.
Elles forment une caste qui suit Ie mouvement intellectuel
du monde. Un concours d'elegance y embellit la vie male-
rielle. Le luxe des appartements, le gout parfait des toilettes,
que rarement de fait. Des. 1825, les divisions territoriales du Haul-
Perou etaient autres qu'en 1720.
Dans Ies armes de Ia Bolivie, chaque departernent est represente
par une etoile. Le nombre en a ei e porte de six it neuf. Le Gouver-
nement considere encore aujourd'hui Atacama occupe depuis 1879
par Ie Chili, comme lui appurtenant, mais virtuellement Ie Haut-
Perou n'en est plus maitre, quoique l'annexion se trouve sous le
regime crune treve indefinie et non d'un traite definitif.
Le Departernent de Chuquisaca avec plus ou moins de 200 kilome-
tres carres .et de 125.000habitants est divise' en trois provinces.
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112 LA NOUVELLE REVUE
la splendour des parures fait oublier qu'on est a 50 ou 60 jours •
d'Europe. La courtoise bonhomie de cette colonie, son hos-
pitalite avec je ne sais quelle nuance archaique, son souriant
accueil rendent facile l'entree dans ce milieu et plaisant le se-jour qu' on est appele a y Iaire, .
Les viUes boliviennes ont ete baties quand on n'y allait qu'a
mule. Aussi point de rue o i l une voiture puisse tourner. ,Les equipages doivent evoluer autour de deux ilots de mai-
sons.
Sucre est entouree de gorges pittoresques, Guzman, Cachi-
mayo, Tatacoa.
Des chalets s'y accrochent aux versants.
La Florida, de M. Arce, ouvre cette serie avec un vaste cha-
teau et des jardins en terrasse. La Glorieiia, residence de
M. Francisco de Argandona, rappelle la Suisse, le Recreo,
a son Irere Manuel, l'Espagne.
A deux lieues en aval, Y otola.
J ' < B i vu iaire nux Iraiches heantes qui essaiment dans ce vil-
lage mondain une neuvaine dans Ia chapelle de N . -D. de Lour-des de I'endroit.
Qu'elles sont pittoresques ces messes dites par un moine
cspagnol octogenaire, avec sa tete emaciee, pale dans SOI~
ealms hieratique comme un ivoire-du XVI" siecle.
Au milieu de tristes Indiennes, les jeunes filles s'agenouil- .
lent et s'accroupissent sur les dalles.
Les pI is soyeux de chilIes noirs encadrenl. leurs pursprofils
andaioux 011 se marient la vague melancolie du sourire et 1a
gracieuse mutinerie du regard.
Les hommes sur le pas de la porte et dans l'avenue qui pro-
longe au dehors la nef de Ia pefite eglise suivent I'office pen-
dant que sur I'orgue eclatent des chants joyeux dont heureu-
sement ces f ld e le s ne connaissent pas le texte terriblement pro-fane.
On est toujours en fete dans celte station halneaire. Ln
societe enjouee et insouciante marauds dans les vergers, danse
sur l'herbe OLl ecoute les manclolinistes qui espagnolisent c h i .
Verdi et du Strauss, font valser sur une melodic de Mozart et
sauter un quadrille local en steeple chase, sur des motifs con-
nus de grands-mattres gaiment parodies.
Le rio Ylala recoit directement le conlin gent des. averses
Iorrnidables qui, de decembre it mars, s'abattent sur 1a con-
free. Son lit, large en certains points de plus d'un kilometre,
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E1'\ BOLIVIE AVAKT LES RAILS 113
s'emplit alors d'une avalanche de boues ecumanles qui roule
avec un bruit de canonnade des pierres et des troncs brises.
Surpris par une de ces crues, on peut lui echapper. Le'trot
d'un cheval est plus rapide qu'elle. Mais on ne saurail tra-
verser le flol.
Sucre ne beneficie pas de ces pluies.
L'un de nos compatriotes, M. Dominique Costa, y amene
maintenant'Jes sources d'Aritumayo par une conduite de 27
kilometres avec 8 tunnels, 7 ponls et plusieurs syphons doni
Ie principal presenle des differences de niveau de 12;:)metres.
Je "is un jour certain docleur en droit, au fond de la gorge
que traverse l'un de ces vases communiquants. « Et ce dian-
tre de francais » , me dit-il, « pretend Iaire monter l'eau. toute
seule WI' ce versant. »
. Oh ~Pascal l...
Les regions minieres de Colquechocu el de Guadalupe.
Lc 1"' Fevrier 1893.
On mange bien t l Sucre. On donne de beaux bals. On jette,
sans trop y regarder, quelques milliers de piastres sur le tapis
vert.
, D'ou vient cet argent?
II sort des mines. Pendant long-temps la zone de Colquechaca
emplissait la lire-lire. On y decouvrit, quelques annees avant
Ia guerre de l'Independance, par 4.300 metres d'altitude, les
filons Aullagas et Anconasa, dont le cosicler contenait
jusqu'a 30 et 35 % dargent.
Charles IV fi t aussitot mettre en ceuvre Ie percement de In
galerie principale appelee San Bartolome. Les fouilles durentetres arretees lorsque la politique erea des preoccupations
primant meme les hesoins d'argenL.
On reprit plusieurs fois ces travaux,sans succes, Vel's le
milieu du siecle, un Sr. Arleche mena la hesogne a bon terme,
II avait ete aide par M. Reynolds. Ce dernier, desesperant du
succes, lui vendit sa part pour· un morceau de pain, la veille
du jour 011 Iut decouverte la puissante veine Embudo. M. Arce
dirigea ces chantiers vel'S 187q. II rn'a raconte que, pendant
plusieurs mois, Ie rendement journalier de la mine se mainte-
Tom: m. s
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: 1 1 4 LA XOUVEl,.LE REVUE
·nait a une moyenne de 100.000 bolivianos, valant au change
.de I'epoque, un demi-million de francs (1).
CeUemine si abondanteen rosicler s'epuisa. 11iallut cher-
·cher d'autres mons. Une societe se forma dans ce but. Les
actions donnaienL peu d'interets de 1877 jusqu'a I'epoque ou
·plusieurs des entreprises du district Iurent placees sous la
direction de M. J acoh Aillon.
Ce patriarche (il avait une centaine d'enianls), possedait au
· nord des exploitations dont il s'agit et sur le meme filon quel-
queshectares connus sous le nom de Amiqo«. II en a retire
· en sept annees un rendement net de 38 millions de francs.
Au commencement du siecle, LU l Francais, M. Jauregui, .et
·deux Espagnols, Irigoyen et Gumuciovdecouvrirent. it deux
.kilornelres plus loin, la mine Gallofa.
Notre compatriote mourut sans proflter de sa chance.
Ses compaguons realiserent une immense fortune. Cepen-
dant les travaux de prolondeur les obligerent d'abandonner
les chantiers inondes par les infiltrations.
En 1880, une nouvelle societe se forma, au capital' de
2.500.000 bolivianos. Elle entreprit Ie percement d'une gale-rie de 1.400 metres it travers banes, dans Ie but de recouper
ies anciennes veines.
Ce tunnel, situe it 170 metres au-dessous du niveau des Ira-
.aux de Jauregui, atteignit I n Galiofa le 1" janvier 1889. .
Le filon presentait, a linlersection clu recoupement, nne'
epaisseur de 4 m. ;)0, "Ia plus grande 'jJuissanct' qui a.il e t e.constatee en Bolivie. Le mineraietait toutefois de bas titre ..
II s'agissait.vdes lors, d'etahlir une communication entre 1a
nouvelle vote et les anciens travaux submerges, Le creuse-
. merit de cette cheminee pratiquee de bas en haut dura 'un
. an (2).
Canal d'ecoulement et par la suite manche a air, ce tunnel
permit de reconnaitre l'etat des minerais. Aujourd'huilaGalloia produit par. jour 9.000 francs, en dehors des rende-
(1 ) La fille d'Arteche, i J . : qui revennit alors cette l'ichcss~ invrai- •
sernblable, etait metis, Ioncee, plus laide que de raison et d'une-nat-
vete originale, Ancieune trieuso de metal, elle aimnit s'asseoir 'par
t.erre,a . c o t e des fauteuil« et des sofas europeens disposes dans le
salon de son hotel, Ses costumes en etoffes precieuses etaient de
coupe indigene. Ene inaugurait ses toilettes en repandant sur elle
desverres de biere, afln d'affirmer ainsi son extreme opulence par Ie
mepi ' is qu'elle affichait pour des objets notoirement couteux, '
(~) -Cette maitrcssc ceuvre est clue a M.''Costa.
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E:,\ BOLIVIE AVA:,\T LES RAlLS 115
ments exceptionnels dus a des poches assez nombreuses' de
rosicler.
M. Gregorio Pacheco, patricien de Sucre et naguerepresi-
dent de la Hepublique, doit sa fortune largement depensee
dans la ville aux mines de Guadalupe, situees sur la route de
Potosi a Tupiza.
La gal erie centrale etablit une communication souterrame
entre les villages de Patasi ct Portugalete.
Elle traverse les principales veines dont on exploite actuel-
lement celle de Anjeles, Basualta .et San Jose.
Avant le xvnr siecle, Guadalupe etait renommee pour ses
chlorures. Maintenant on s'y contente de suliures d'un
demi % d'argent.
Cettc exploitation est toutefois remuneratrice grace aux
500 colons ou inquilinos dont dispose le proprietaire. IIs four-
nissent une main-d'ceuvre presque gratuite.
Le resume qui precede donne une idee des brill ants resultats
de travaux miniers. Si j'avais a raconter les insucces d'entre-
prises de cette nature, Ie recit en serait plus long ... '
A litre d'exemple, un mot SU T les filons de Lipez d'unerichesse incontestable et souvent constatee depuis leur decou-
verte qui remonte a la fin du xv" siecle (1).
Alors les indigenes exploiterent les veines superficiellement,
it ciel ouvert. Pendant lcs X.VIO el XVII" siecles, on construisit
des descenderies. Les chantiers se trouverent bientot a plus
de 150 metres de profondeur. Le manque d'air, de hrusques
infiltrations, oblige rent en 1672 les proprietaires d'entre-
prendre l'ouverture d'une galerie a travers banes. .
Au 600· metre du tunnel, on recoupa un filon inconnud'un
titre exceptionnel.
L'entrepreneur voulut sen adjuger les benefices,' un litige
survintet le prolongement de la gaJerie fut suspendu.
(1) San Antonio, centre principal de la zone est situ€.e par 4.700
metres d'aHitude au pied de la montagne de Lipez, dont Ie sommet
atteint 5.980 metres. Le pays est d'une sterilite absolue (2 10 45 long.
S ; 6 9 0 long. d.) a 32 lieues de la halte dite de Rio Grande du cheminde Ier d'Antof'agasta a Huanchaca, La formation geologique est
primitive. Le terrain est eruptif de granit porphyrique a petitsgrains .. Les mons sont bien rernplis et de' bonne mineralisation. Les
roches encaissantes sont tres dures, Les minerals extraits au-dessus
du niveau de la galerie presentent un compose de sulfures d'argent,
de plornb, de zinc, d'argent natif et de rosicler dans les gangues de
quartz et de barytc. Les chlorures situes au-dessus 'de la galerie,
forment une zone verticals de 150metres environ.
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116 LA SOUVELLE REVUE
De uomhreuses tenlatives de reprendre les travaux a Lipez
derneurerent sans resultat. Une compagnie, au capital de 30
millions, echoua il y a une quinzaine d'annees.
Les traditions indiennes racontent l'histoire de gnomes
voraces qui tuent les mineurs et les devorent. Les sacrifices
d'hommes et d'argent dans taut de somhres galerres n'expli-
quent-ils pfu3ces superstitions et ces legendes ?
De Sucre it Potosi. - Aspect del« cille. - Les Indiens
de Potosi.
Le 12 Avril 1893.
En aval de Yolala on traverse un domaine avec de beaux
pares et vergers.
L'ancien chef d'Etat, Don Gregorio Pacheco a cree Iii . une
sorte de ferme modele avec des colons si bien loges qu'on se
demande si leur maitre ne serait en droit de les jalouser.
Ils partagent son bien-eire et non ses soucis ou ses risques.
On passe iI . gue Ie Rio Cachymay o et a quelques dix lieues
plus loin Ie Pilcomayo grossi des eaux du premier. Puis on
remonte rapidement vers les hauls plateaux.
D u M oy otam ho it environ 4 0 kilometres de Potosi, la route
s'eleve en pente douce et unilorme. Ami-chemin, aux sources
~ minerales, station halneaire d'une installation un peu primi-'
live, les habitants de la ville viennent troquer leurs maladies
contre des rhumes ou des hronchites.
Bientot une pyramide fanlaslique domine I'horizon. C'est
une montagne pourtant, C'esl Ie Cerro de Potosi (1).
A distance le pic paratt regulier.,
On n'imagine pas que la nature ait cree ce telraedre geaut,
Sa couleur meme, un rouge clair de hrique reiractaire, nerappelle pas les teintes ordinaires de la Cordillere.
A mesure qu'on approche, des taches ou des excroissances
verdatres, grises et jaunes apparaissent sur les versants. Ce
sont les dehlais des anciennes mines.
La ville de Potosi, au pied du Cerro, a garde le type d'une
epoque et d'une zone.
(1) Le departement de Potosi compte 230.000 habitants sur 140.000
kilometeej, canes. Ses provinces sont: Potosi, Torco et Chayanta
avec les capitales de ce nom.
Lipez avec ~a chr istobal et Chichas avec la ville de Tupiza.
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EK not.tv: E .'\vA~T LES RAILS Iii
Les rues etroites suivent les sinuosites d'un terrain extreme-
ment accidente. Les Ienetres, petites, aux carreaux minus-
cules, semhlent craindre de laisser flltrer le froid avec la lu-
miere,
L'ancienne splendeur de ce centre minier se devine en visi-
tant son eglise du XVI' siecle, eclatante de dorures. L'hotel de
la Monnaie aussi rappelJe Ie temps O U l'argent coutait si peu
iI . Potosi. La rue del Comercio presente une couleur locale -Ie
nuance archaique. Elle est toute tapissee de pitloresques
eehoppes O U se debitent des etoffes et des flutes de Pan, des
peaux de fam-es et des casseroles, de l'aJcool et des aiguiIles,des coiffures en plumes et des saints a diverses fins.
Arrive un dimanche, j'ai vu defiler les familles de l'hommc
americain. de d'Orbigny avec leur dernier petit dans un pon-
cho sur le dos de Ja femme. Le perc, lui aussi, offre ses reinsit Ia charge.Merne Iorsque les indigenes ne ploient pas sous un poids,
ils conservent une allure courhee et ne marchenl pas a l'eu-
ropeenne. lIs trottinent. Cela leur donne je ne sa is quai d'en-
Cantin, de tristement ridicule. CeUeallure s'accentue Iorsqu'ilssont en fete. Alors l'homme recouvre son torse d'une peau de
tigre. II ne discontinue pas de jouer SUi' un flageollet des airs
lamentables. On dirait les vagissements d'un enfant mala de.
If tourne sur lui-meme a petits pas hesitants, incertains, lesjarrets mi-plies, avec des genuflexions, des hochements de
tete et une figure impassible de masque en carton (1).L'amie danse auteur de lui, elle chante en gloussant, I'en-
fant sur Ie dos, la, bouteille dans une main, Ie gobelet dans
l'autre. Cela se passe sur la voie publique au dans un enclos.
Des camarades en trent dans la ronde ; les cris des femmes
deviennent plus stridents, les danseurs semblent s'animer par
acces saccades, Peu a peu l'ivresse les envahit.
Alors ils s'ellondrent ; et parmi eux Ie plus lucide les rangeet les empile au bord du chemin pour que les mules en pas:
sant. ne les endommagent point.
C ha rles W I ENER .
fA suiore;
(1) Les Indiens et les Indiennes de Potosi cornme ceux de Sucre
nortent des chapeaux (monteras) en cuir bouilJi, rappelent par leur
forme ceux du temps de Louis XII 1. Ces couvreche ls son! ornes de
paillettes de diverses couleurs.
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E n B o l i v i e a v a n t l e s r a i l s("')
(Suite.)
Hisiorique du Cerro de Potosi
Le 13 l\1ai 1893.
Messire Juan de VillaroeI, ou plus juslement son berger de
lamas, Diego Guallea, avait decouvert le cerro de Potosi
en 1345. Par une nuit d'hiver, ce dernier s'etait rclugie. clans
une groUe. Aux lueurs de son feu de broussailles il vit briller
sur la roche des lignes melalliques. Le lendemain son patronreconnut ce reseau scintillant pour de l'argent natif.
Suivons ce conte de la mille et deuxieme nuit, le seul vrai,
it travers les trois siecles de son histoire prestigieuse et san-
glanle. .
A peine Villaroel eut-il commence l'exploitation de son filon
(la Descubruiora ou Centeno), que se repandit le bruit des
richesses sans nom.
Les mineurs accourant de toutes parts, en pen rl'annees.
il In place tl'un hamoau d'Indiens s'eleva une cite de 130.000
habitants a qui Ie roi, en son amour pour des sujets de bon
rapport, oclroya Ie titre de ville irnperiale.
En 1562 on trouva la Veta Rica, en son temps Ie depot d'ar-
gent Ie plus aboudant du maude.
Des chanliers s'elablirent <lUX 32 principales veines du "Y"-
leme dispose de N.N E. au S.S.O. avec quelques filons croi-
seurs de l'Est a l'Ouest,
De 15l.f D a 1572, l'arzent natif et les chloru~es dont le titre,
jarnais inicrieur a 25 % , depasse souvent 30, attirent seul$
I'attention.
nVoir la Nouuelle Revue des 15 aofit et l·r sepfembre 1912.
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I S O LA XOUVELLE REVUE
Le lrailement du minerai se pratique it la maniere indio
gene: par fusion dans des fours a reverbere, avec l'entrce
d'air de leur foyer orientee vers les vents dominants. Le com-
bustible consistai t en excrements de lamas (lataquia). On Ion-
dait le minerai additionne de plomb et de charbon, procedant
cnsuite pal' voie de coupellation. -,.40 millions d'argent SOl" •
taient alors par an des 6.000 fours en activite.
JIais les chlorures s'appauvrissaient,
La couronne reduisit it 10 % son impot fixe d'ahord an
cinquicme de la production brute. Les precedes primilils du
debut ne pouvant plus ctre employes avec profit, l'Escurial
cnvoya au vice-rei Francisco de Toledo quelques mClallur-'
gistes charges de reformer les moyens d'exploitation.
Coux-ci pulvcrisaicnt los chlorures au moyen de pilons le.-
mclangcaicnt avec du sel et faisaient pietiner cetle preparn-
tion par des mules dans des cirques paves ((Ja/ ios).
Des minerais relalivement panvrcs de 12 milliemes (Jon.
naicnl uiusi des benefices convenables,
L'un des successeurs de D. Francisco de Toledo, DOli Juan,
trouva en 1:)80 un autre systeme pOUI' augmenter Ie rendc-mont des . minos, par 1 0 diminution des frais de In m ain-
d'ceuvrc. Sa methode s'appelait Ia mila. II impose nux Indiens
Ie service obligatoire des mines, sorte de preslalion 'lui Coil.
tait la VlC it la majeure partie des corveables,
On distribua des indigenes aux mineurs.
La solde de ces serfs elait it peu pres nulle ; leur nourri-
Lure insuffisante, Ie laheur excessif dans des conditions de
climat deplorables ct d'aeration pernicieuse. En quiLlant leurs
foyers, ces indigenes entonnaient Ie chant des agonisants.
Mais qu'importait .? L'administration comblait toutes lacuncs
et la prosperito des entreprises ne periclitait point. En lOonlcs chlorures s'epuisnient clans plusicurs galcries, 1 1 . u'en SOl'·
lait que des sullures. AIOI's les Espagnols ne savaicnt )'fl'-'
encore culciner lcs minerais.
Cependanl on avait couslruit des digucs puissantes trau--
formant en lacs artificiels les depressions de terr-ain dans la
Cordillera qui domine Potosi.
On Ilt ainsi 32 citernes, terminees en 1020, qui" Ioumissuient
la force molrice it 130 roues hydrauliqucs pour les moulins
de minerai (1).
(1) Vingt de ces lagunes existent encore.
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E1\ BOLl VIE AVANT LES RAILS 181
Un jour, apres l'acheverneut de celle mailresse oeuvre, deux
~lcs barrages se rompircnt, La lagune sc deversait sur la ville
cnvahissant 150 mines evaluees a une quarantaine de mil-
lions. - 2.500 personnes perirent dans ce sinistre.
La metropole, n'entcndant pas renoncer aux revenus que lui
donnail Potosi, avanca aux mineurs des fonds pour des instal-
lations nouvelles.
En 1626, 130 elnblissements reconslruils elaienl derechef en
pleino nclivite. Le gouvernorncnt s'empara de ceux donl i t
u'avait pas ete rembourse.
A c et te e po qu e Ies usines traitaient par sernaino de 800 a
I000 quintaux de 46 kilos. Mais de nouvelles dilflculles surgis-
snient, l'eau envahit les galcries.
D'infinies theoriesrl'indiens ne s'arretanl ni jour ni nuit la
portaient au dehor s , dans des vases d'argile. Les sullures rem-
placaient de plus en plus les chlorures, et les chimistes cher-
chaient it arracher au sci myslerieux Ie secret de sa cornpo-
sition et'Ic 1ll0Y!:)Jl d'eu exlraire le metal.
En depit de tout, des fortunes immenses s'improvisaient
alors auteur de 10.montagne inepuisee. ,En 1650, l'Espagnol Quinteros laisse it scs heritiers 80 mil-
lions.
L'annee suivanle mourut Rocha, le Crcsus de lepoquc, sup-
plicic pours'elrc arroge Ie privilege royal de Irapper monnaie.
On n'a jamais retrouve et on recherche encore ses tresors
soustraits it temps aux agents charges de les confisquer.
A la fin du XVII· sieclc, le mineur Lopez \le Quiroga laissa,
. en dehorsd'immeublcsct de terres eva lues it 600 millions, un
, d ep ot de lingots d'argcnt POUl' plus d'un dcmi-milliard. C'est
lui qui avait fait paver d'argent les rues pal' oil devait cntrer un
nouveau vice-roi SUr un cheval « Ierre d'or » •
Apres Ie passage du cortege, le pcuple put rarrrasser des mil-
lions laisses sur la route ...Cinq mille galeries perloraient alors Ia montagne en lous
scns,
En 1759, les mineur -s commencaicnt toutcfois fl cntrevoir
10.fin de cette dehauche de metal.
lis ecrivirent 'au roi:
« Dans Ie Iiers superieur de la monlagne, les veines sont
epuisees. Plus bas on lutte contre I'eau, conlre le manque
d'air. Les tunnels s'enchevetrent et forment lin inextricable
Jabyrinthe d'ou des luttes souvent sanglantes ct des proces sans
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]82 tA NOUVELLE AEVUE
fin ... La corporation demande done au Gouvernement de Iaire
percer a In base de la montagne une gaiel'ie qui recouperait les
mons de fa~6n it se reconnaitre dans ce chaos », car, disait en
terrninant le rapport, « apres ces travaux le cerro de Potosi
produira cent Iois ce qu'il a deja donne. ))
Des demarches semhlables' de plus en plus pressantes se
"renouvelercnt durant vingt ans. Enfin le Gouverneur-Escovedo
ordonna Ie creusement de Ia galerie Purissima. Apres- douze
annees d'eflorts (on elait a 840 metres d'avanccment), uninge-
nieur saxon au service de l'Espagnc, leharon de NordenflichL,
fit arreter les travaux pour les reprendre sur un autre point
appele Berrios (aujourd'hui Ileal Socavon), . •
Cel Allemand fit les premiers essais d'amalgamation.
Mais l'etoile de Potosi palit.
En 1799, le nombre des usines ell a cl iv it e e la it reduit it 35
avec 8.000 ouvricrs, le dixieme d'antan.
La guel'l'c de l'Indcpendance (1809) Iorca le Gouvernemcnt <1
interrompro les travaux du Real Socavon. 22 mines s'eulemcnt
demeurercnt en exploitation.
En 1826, res Auglais Iormerent une societe au capital clc'25 millions pour s'emparer de la montagne Iegendaire, La
panique monelaire qui cclata peu apres ilL avorter Ie projet.
Trois annees plus lard 11l1esociete I!par actions se constitue sur
place pour terminer le Real Socavon. Vain effort. En 1841,
nouvelle tentative aboutissant a un resultat desastreux.
M. Aramavo reprit les anciens plans et Jes suivit de 18;)4 a1884 ou sa Societe' se transiorma en Compagnie anglaiso sous
le nom de The Royal Silver Mines of Potosi.
CeLIe ceuvre a cO(116jusqu'a ce jour plus de 1 1 millions. ~es
proprielaires travaillent avec \ un capital en grande partie
. Irancais, de sept millions et demi.
Ces sacrifices s'expliqucnt lorsqu'on se rappelle que le ren-clement anteriou r du mcn] enrogistre du Cerro de Potosi a
attein t le chiffre de 10.923.712.448 francs, pres de 11 milliards.
Aujourd 'bu i , en dehors ell! Real Socavon ; on ne travaille
que lefllon de la Riva, produisant line movenne de .180.000' Ir.
par mois, En outre, line dizaine de compagnies prcduisent
000.000 kilos d'ctain par an. On les exlrait surtout des residus
anciens .
... Et dans Ies galeries ecroulees et dans les champs pierreux
d'alenlour; gisent les millions de squelettes des Indiens
melayos.
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EX 'BOLIvIE AVAXT LES RAILS 1 8 3
Et lavieille montagne se dresse legendaire au milieu de ceUe
uecropole sans pareille, monument grandiose a Ia soil de 1'01'jamais satlslaite mcme apres des succes inesperes, monument
unique it In cruaute inconsciente, aiguillonnee par une rapacile
sans Irein.1~
. Exi'LOITATIOi\"S ACTL"ELLES
Le 25 mai 1893 .
. J adis, Ie personnel des mineurs se recrutait pal' vocation.
L'homme de science, l'ingenieur qui apprend sur les banes
d'ecoles speciales le metier ou l'art de creuser des voies d'acces
au depot precieux, etait inconnu dans lc monde colonial. On
procedait par intuition; on s'occupait du resultat immediat
sans souci du lendemain. Et cette absence de methode, a
donne des resultats merveilleux,
Dans notre siecle, toutes les entreprises en Bolivie sont Ja
continuation plus ou moins heureuse de travaux anciens, Ia
nouvelle mise en exploitation des chanliers espagnols.
L'appui financier qu'exige la question technique est aujour-
d'hui particulierement delectueuse dans la zone de Potosi.
Auteur des mineurs, ces ponteurs d'envergure plutot fan-
tastique, grouille lc rnonde des casas hobiliuuloras,
Co sont les preteurs bienveillants traitant le chercheur des
metaux comme un fils prodigue.
Le produit de la mine est leur gage, acquis d'avance
uu-dessous elu cours normal, en dehors des interets en ormes
qu'ils pCl'\:oivcnt de leurs avances. Leur client est voue a la
rume.
La crainle de ces usuriers et Ia penurie qui peso sur le
cerroont fait nallre les cache os ou associations entre proprie-
taires et ouvriers ..Ces derniers exploitent Ies filons, et parLagent le minerai
avec le proprietairc. De petites fonderies etablies par d8S
mctallurgistes marrons, 'au moyen d'appareils rudimenLaires,
,.e chargent de trailer ces sulfures. Un desordre volontaire
permet aux inclusLriels de relrouver a leur profit des Iingots
.qu'ils ont ouhlie de remeltre a qui de droit.
Aussi les mineurs se plaignent-ils toujours d'avoir e l etrompes sur Ie titre reel des produits.
Et ce ne sont pas lcs seules eli~ficultes qui resultent de ces
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lS.t LA XOUVELLE REVUE
associations. Les hlancs accusent l'indien de caeher les pierres
lcs plus riches. Le maitre des filons se plaint d'une exploita-
tion depourvue de soins qui obstrue lcs galeries et les rend
impraticables. II paratt que ses reproches sont generalement
j I1 S tifies.
L'exploitation norma Ie, telle que nous la Irouvons dans Ies
aulres centres minim's est Ires couteuse a Potosi (1). On diruil
qu'en cette ville l'ouvrier est particulierernent inconstant.
Les saints du calendrier sernhlent se constiluer en ennemis
de l'assiduite au travail. Chacun d'eux Iournit aux maneeuvres
un pretexte de fete, c'est-a-dire de ch6mage. Ils celebrent les
anniversaires des compadres, des cornadres, des parents en
ligno ascendante 011 descendante, des collateraux, des cama-
rades et de leurs familIes. Et si, it Cochabamba, la Grece et
Home sont invoquees devant les Ionts baptismaux, a Potosi, on
sappelle Conception et Asuncion, Purification, Circuncision,
on porte les divers noms de :\1aria, de la Merced, de las
Dolores, del Rosario, del Pilar, de Guadalupe, de Copaca-
burna...
Quant aux ouvriers europeens, ils reclument du vin dansun pays 0 11 In bouteille du cru le plus infe_l'ieur est intrnnvable
au-dessous de 10 francs. Des artisans demandant sans hcsiler,
POlll' des « travaux it Ia Hlche », des sommes dix fois supe-
rieures it leur prix en Europe.
Ainsi s'expliquent la richesse du mineur d'anlan et sa misere
actuelle.
Car il ne faut pas croire il l'epuisement du Cerro. Si ron n'y
trouve plus d'argent massif, les sullures d'un titre largement
remunerateur y abondcnt, memo dans In base parlois consi-
deree comrne sterile.
'l) Voici les soldes rnoyennes des mineurs : I'hornmo qui manic Ie
burin peut gagner de 15 it 20 francs par jour, le portefaix employeaux deblais de 4 a 5 ; Ie toiseur Oll Ie macon qui construit des voutes
de soutenernent, 12 francs ; les garconnet-, de' 10 a 12 ans qui pOLlS-
sent les wagonnct-, de 3 fr, a 3 Ir. 50. Le , trieurs et trieuscs de metalde 3 il 5 francs.
Les autres Irais d'exploitation sont eleves aussi. Ainsi, le fer brut
revicnj it 130 francs Ies 100 kilos; racier pour burins a 200 ; les rails
il 150 ; Ie metre courant des galeries it travers banes coutc jUSf)U'~\
200 Irancs, sur filon de 80 a 100 francs.Tarifs sernblables dans les usines d'amalgnmul ion. Leg 100 kilos
de cuivre revicnncnt il 195 francs, letuin il 165 , Ie" combustibles
(y~reta, excrement. de lama, charbon de bois), de 3 il 20 francs, Ie
fcl-1,60, la chaux vive 14,50, Ie mercure par flacons de 35 kilos 240 fl'.
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• EN BOLIVIE AVA~T LES RAILS 18 5
Si un chemin de fer desservait celle region lrop isolee au
milieu des terres, ilen rendrait l'exploitation moins etrange et
Potosi cornpterait de nouveau dans l'equilihre econornique de
ce pays.
DC PQ;TOSI A IlLA:\CfL\CA; H1STOHlQUE DE CE CEi\THE MI:\IEIt.
D1YEHS THAITDlENTS DES )Ui\EnAIS D'ARCENT
Le }"' juin 1893.
La routeentre In vieille ville Imperiale et Huanclraca trn-
verse un desert d'environ 50 lieues. On passe Ies nuits dang
des cabaaes: Condoriri, Viloyo, et dans une fonderie aban-
donnee, Asiento au milieu de quelques maisons .
.\ une lieu de ce hamean une violente tourmentc nous sur-
pri! et notre entree s'effcctua com me dans quelque bourg
scandinave par une soiree d'hiver. La blancheur des toits se
detachait sur un ciel tendu de nuages couleur de plomh. Des
bourrelets de neige dessinaient les saillies des murs, lesenclos .
Aussi peu hospitaliero qu'on peut l'etreen Europe, la gent
de l'endroit passait devanl nous, emrnitouflee dans des pon-
chos. Elle Iuyait, dans ses huttes, l'nprelo du vent sans se pre-
OCCUpCI' des gringos qui, glaces jusqua la moelle, erraient it
lu recherche d'unc alcade ; du cure, de quelquc autorite qui
JlIH leur procureI' lin gite.
En sa majeure partie le sentier, entre Asienlo el Huanchaca,
sillonne Ie fond d'un ancien lac, le long de dunes. La roule se·
mainticnt par environ 4.000 metres d'altitude. L'usine Huan-
chaca et sa mine Pulacayo sont situees a 4.165 metres d'al-
Iilude. Ce gisement aujourd'hui si celebre fut connu des 1770
grace aux explorations des Ireres Miranda qui perirent pen-dant l'insurreetion du Tupac Amaru avant d'avoir fait for-
tune.
Leur decouverte avait eu un certain retentissement et excita
dans In suite la convoitise des chercheurs d'argent,
En suivant le derrolero (c'esl-a-dire Ia description minu-
tieuse de I'ilineraire conduisant au Tresor, les mineurs
Ramirez et Rio retrouverent Ie sile en 1832.
Ces derniers s'associerent a un petit commercant argenlin
Porlondo, qui, pour 300 piastres dcvint proprietaire d'un tiers
du filon.
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1 8 6 . LA KOUVELLE REVUE
•La premiere compagnie de Huancaca Iut done Iondee au
capilalnominal de 900 piastres (3.1300f rancs).
}Ime Tado<l Osio, heriliere de M. Portonodo, vendit en 18:)0 •
" i n part it M. Argantlona Revella.
L'entrcprise elaiL a ce moment -divisee en 12 barras Oll
dell icrs de 1.000 piastres chacun. ~r:Aniceto Ar~e en acheta
deux cl prit fa direction de l'enlreprise. -En 1872, ceo papier
elait cote 112.500 Irancs ; la fortune sociale de 12.000 boli-
vanios etait done mantee a 270.000 Irancs.
Alors, au Chili, on transiorma l'eutreprisc en creant uue
Societe ancnyme-dont le capital ctait represente par 6.000
actions de 1.000 piastres cltacune ; au change de cette epo-
que 30 millions de francs. .
Le rendement de Iluanchaca fi t monter les cours de co s
va leurs a 5.000 bolivianos. Les dividendes exceplionnels ont
represente a certains moments 600/.. du capita I.Le benefice net
de l'exercice 1891 c'est eleve a 4.16.150 (10 millions 1/2 de
francs), 3::' % pour les aclionnaires de 1872, et, pour les por-
leurs de tilres acheles au laux de 5.000 bolivianos, 11:66 % .
Depuis, on a porte le capital, sans demander de nouveauxverscmenls, i t 1.600.000 livres sterling divises en 320.000
actions de 12:) francs (3 £). On a clone convie le monde enlier
a partagcr I'esperance que ces benefices ne dirninueraicnt
pas ...
Huauchaca et Pulacayo sont des villages de 2 et 7 mille
habitants situes sur Jes versants opposes du massif argen-
tilere, it 3 lieues l'un de l'aulre. Ln chemin de fer creuse ~.
travers Ia montagne les unit. Le tunnel passe devant les
machines d'exhaure. Les ouvriers y vaquent it Jeur besogne
entierement nus. Malgl'c les souWeuses relrigerantes, la tem-
perature n'y baisse guere au-dessous de 35° a 4.00 pendant
qu'au dehors il gele - a pierres Iendre.
La respiration est dilficilc it Huanchaca, dans les mines et
an dehors. L'oxigene manque et rail' se Irouve charge des
vapeurs de soulre d'antimoine, darseuic provenant des Ion-
deries. Pour obvier a cet inconvenient, on' a .construit une
cheminee le long d'une anfractuosite de la Cordillere. _ ' \ U
moyen de ce boyau de plus de 300 metres dont Ia construction
a coute 80.000 bolivianos, la Iumeepasse dans une gorge vol-
sine. On ramoueannuellement pendant le chomage du car-
naval. Et des suies, la Compagnie retire une moyenne de
150.000 bolivianos. constituant un benefice net. Ce meta] est
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E); BOLIVIE AVANT LES RAILS 187
Ia part qui s'evapore durant la calcination. Jamais on n'avaif
songe a le capter. C'est 'que la cuisine du metallurgiste est
susceptible de bien des perfectionnements. On l'adapte peu apen aux exigences localeset a la eompositipn chimique du
minerai.
Ainsi it Oruro I'argent accompagne souvcnt des sulIures
d'antimoine en aiguilles, des pyrites de fer ou encore des
galenes.
La richesse de Colquechaca consisle en sulfure dantimo-
niure et arseniure d'argent. A Potosi on a Irouve de l'argent
natif', des chlorures, des sullures melanges cornme a Oruro ades bioxydes d'etain et a des minerais pyriteux.
Lesfllons de Huanchaca sont generalement des sulfures (I}.
Suivons la manipulation it partir du moment. all Ie maneeu-
vre jeUe sur le carreau de la mine la pierre argentiiere.
Des trieuses en separent les parties dont Ie titre est supe-
rieur it 100/10.000. C'est ce qu'on appelle la quia. On l'ex-
porte ,en Anglelerre, en .Allemagne et en France.
Le deuxieme choix d'un titre moyen de 50/10.000, la broza,est. envoye aux etablissemcnts metallurgiques voisins.
Des bocards californiens les ecrasent. .\ I-luanchaca .on
emploie de grands cylindrcs tournants dans lesquels des hou-
les jouent Ie role de pilons. Un courant d'eau enlraine les
poussieres a travers des tamis et les depose dans des etangs
que I'eau decants lorsqu'ils sont remplis de schlanuns .
Ces houes contiennent de l'argent, de l'anlimoine, des pyri-
te~ de fer et de galene; On les seche au solei! pour les EOU-
metlre ensuite a une calcination dans des fours a reverhere.
Apres 1 . ou ;:, heures, cette grilladc mclallique passe dans des
chaudrons de cuivre avec une addition d'eau chaude, de ."('1et
de mercure.
L'argent s'y combine avec le mercure et va au fond.
Lave, au mercure et a l'eau,il passe par des filtres.
Une distillation dans des cornues Ie debarrasse du mereure
et les laisse a l'etat poreux, sous forme de harres ou saumons
avec un titre de 0,970 a 0,980.
(1) Le, fiIons contenaient a la surface des chlorures - sur certains
points on a tr-ouve des sulfures, - En profondeur on rencontre sur-
tourdes polysulfures (tetrnedrite ou coclzizo).
Ce rense ignement m'a .el.e·fourni par M. Charles Vallier qui a di-
l'ige les travaux de Huanchaca durant plus de quatre ans.
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1 & 3 LA NOUVELLE REVUE
Le systerne des chaudrons a e t c periectionne depuis 1880.
1 \ 1 . Charles Petot remplaca les marmites d'une contcnance de
123 livres par des cuves d'une capacile de 2j il 30 quinlaux et
suhstilua des bras mecaniques au travail des manceuvres qui,
naguere Iaisaient tourner le melange.
En 1888 it fi t conslruire des recipients cn bois a fond mobile
de cuivre. Les bras mecaniques (1), etaieut de ce meme metal.
Gel appareil rappelle le pane des Elals-Lnis ct s'cst vulga-
rise en Bolivie.
A Oruro, Ie trailement revient d'hahitude il 100 bolivianos
par caisson de 50 quintaux. 11 pennel de relirer jusqu'a 80 %
de l'argent contenu dans Ie minerai en so hasant sur les resul-
tab ohtenus pal' voie de' coupellation.
Les pedes d'argent se produisent en partie pendant la calci-
nation (le metal sc volatilise) et en partie durant l'amalgama-
lion ; on retrouve d'habitude quelques milliernes dans les resi-
d u s .
.Au Real Socavon qui possede rune des usines les plus belles
a t ; I'Amerique, la porte est en moycnne de ]j% dan" une pro-
duction de 4.000 mares (920 kil. d'argent) par mois oblenuspar le traitement journalier de 11.500 kilos de minerai. Le
cov.t de l'exploitation est de 110 Irancs In tonne.
En rappelant les Iruis d'exploration, d'installalion, d'exploi-
tat ion, en tenant compte de In cherte de la main-d'rouvre, en
conslalant les perles auxqnelles la science n'a pas encore per-
mis de remedier, on peut dire, et les statistiques le prouvent,
(IUC, du fond de la mine au coffre-fort du ehangcur, 2 tiers
du tresor arrache au sol sc perdent, et eels, lorsquc lout va
Lien, lorsque In galerie ne s'eboule pas ni s'inonde, lorsque Ie
Won ne disparalt pas dans les roches encaissantes, Iorsque
son titre remunerateur ric haisse pas, lorsque aucuu des acci-
dents qui .menacent ces enlreprises lie se produil.L'imprevu joue un role tellement preponderant dans les
exploitations minieres qu'en depit de la science et de ses pro-
gres elles sont et demeurent un jeu de hasard. Et pendant que
l'agriculture Ieconde le pays, Ic labour du mincur lcs laisse
steriles, L'une fait des races rohustes, I'aulre mange l'hornme
et detruit les foyers. L'un cree la richesse, I'aulre n'cn produit
que l'effigie.
En depit de tout, c'est vel'S les mines que lendent les plus
(I) On uppclle encore ces bras mccuniques des agitateurs.
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E~ BOLIVIE AVANT LES RAILS
grands efforts. Quoique personne n'ignore l'alea de ces entre-
prises, on nmene 1'0U\Tiel", on attire l'ingenieur, on construit
des routes POUI' lc transport du grand outillage ; on cruise
Ies sources souterrainos, on inslalle les chan tiers, on hatit les
usines melallurgiques.
Campant SOliS de mauvais abris par des alti tudes qui rcn-
dent douloureuse la respiration, dans des deserts Oil, it grandsIrais, il Iaut importer Ie s dem ents de nou rritu re, on dePCIl:"C
des millions avant de pouvoir fondre le premier lingot.
Durant ccs efforls, ccs sacrifices, ces privations, le prix de
J'argenl., marchandiso, article d'exportation, suit Ialalement
une haisse continue. Lc billet de banque, la lettre de change,
les pieces de nikel s'inlroduisent de plus en plus dans les habr-
tudes de s peuples les moins avances et l'argent passe a l'eiilt
de monnaie flduciairo dont la valeur relative compenso insut-
Ilsamrncn t Ie poids et Ie volume mal commodes.
C harles W IE N ER .
(... suiir ei .
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E n B o l i v i e a v a n t l e s r a i l s(*)
(Fin)
La route d Oruro a La Paz: - Mines de ctuore. -- be
Coroeoro,
Le 23 Juillet 1893.
De tristes villages sommeillent -.;aet la d'Oruro a la Paz.
Parmi eux, Sica-Sica, sons-prefecture O U s'embranche la
route pour la vallee miniere de Corocoro avec Ie seul gisementde cuivre bolivien actuel1ement exploite.
Le metal s'y trouve chimiquement pur, it I'etat de granules,
enchassees dans des gres argileux (1). "Les proprietaires de cette montagne precieuse n'ont qu'a
arracher la pierre peu resistants, sorte de pate de sable, la
moudre par les precedes les plus primitifs et Iaire passer de
I'eau sur ce sable qui suit Ie courant en laissant au fond desbaquets le metal pret it elre exporte pour l'Europe sous forme
de pepites, de grumeaux, de rognons, d'arborisations char-
mantes ou de plaques parfois tres grandes (2).
Dans des conditions d'exploitation aussi economique, la
baisse du cuivre n"a pas detruit le caractere remunerateur de
cette entreprise. La main-d'oeuvre entierement indienne,
occupe, meme dans cette Bolivie si originale une place it part.
Le carnaval y prend une allure de saturnales payennes 'avec
une mise en scene hieratique,
~.) Voir fa Nouvelle Revue des 15 aout et I'r et 15 septembre 1912.
(1) Pasmmite. e
(2) On a merne trouve de I'argent 11Coroco. II elait mille a la roche
sedimentaire sous la memo forme que Ie cuivre, Mais la quantile en
avail ete trop pen considerable pour en permettre l'exploitation;
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3 5 0 LA NOUVELLE,REVUE
Le dimanche, les ouvriers presentent.sur Ie carreau de la
mine,. en grande pompe au chef des travaux, la hachurc; c'est
'a-dire une belle oflrande de metal. Une partie du minerai vote
se trouve ainsi restitue.
Le donalaire repond par des cadeaux en argent, en eau-de-
vie et en mouchoirs. Ces derniers, invariablement detournes
de leur veritable destination, ne sont jamais mis en contact avec
un nez indien.Les hommes se deguisent, revetent des costumes ruisselants
de paillettes achetes avec les economies ou plutot les larcins
d'une annes. Precedes d'un taureau et d'un mouton conduits
en laisse, ils defllent processionnellernent.
Des luttes, des batailles, un tournoi populaire s'organisent,
Les tetes s'echauflent, des.blesses jonchent Ie sol, les femmes
se jettent dans la melee. Le soleil va disparaitre derriere la
crete des montagnes de Corocoro.
C'est le moment d'offrir Ie sacrifice a la terre vierge. On
ligote les animaux ; on les orne de rubans, de rapiers de
couleurs, de branches et de fleurs. Pendant que d'aucuns jet-
tent sur les victimes des gouttes de liqueur, d'aulres pene-trent dans les galeries pour y chercher Ie dieu protecteur de la
mine l'Agilicha.
Ce Ieliche est represents par un bloc de cuivre presque pur
pose dans une niche sur un autel rustique recouvert de soie
brodee d'or. D'autres petits Ietiches du merne genre font
cortege 'au genie qui protege les ouvriers contre les malefices.
Les libations se prolongent. A minuit, au milieu d'un delire
dhysterie religieuse I'Ayorero, pretre boucher indien accom-
plit le sacrifice, selon un antiq ue rituel. 11 pratique une large
incision au cou des animaux, plonge la main dans la beanle
blessure et arrache le cceur pour lire l'avenir dans ses palpita-
tions et le deposer iumant eneoreaux pieds de I'Aguicha.
Des feux de broussailles s'allument, eclairent cette scenesanglante. Ivres d'alcool, d'un Ianatisme inexplique et d'un
rut bestial, hommes et femmes se mettent a danser.
Ils chantent des refrains Aymara avec des voix rauques,
entre les flammes vacillantes et les spirales de lourde Iumee
qui traversenl cell.e scene sauvage et confuse.
E.t sons son manteau de soie, l'Aguicha preside impassible
a eeue folie.
Le jour se ~eve. Dans le pale crepuscnle les Indiens se res-
saisissent pour un moment; se .reforment en procession,
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•EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 3 5 1
versent quelques goutles de sang a l'enlree de la mine,
penelrent dans les galeries, donncnt ce rouge bapteme aux
endroits qu'ils considerent comme dangereux: « Ils apaisent ill
terre pour qu'elle ne s'eboule point. » Ils revicnncnt, parcou-
rent leur hameau, aspergent leurs chaumieres, se maculent
mutuellement et finissent par enterrer avec des chants lugu-
hres comme de dechirants sanglots Ies entrailles et les visceresdes animaux tues. De jeunes garcons se couvrent de la peau
des victimes ; ils font semblant d'attaquer et de terr asser
l'Anchando, genie invisible du mal personnifiant les dangers
qui menaeent le mineur.
Les deux semaines suivantes se passent en debauches.
Les enfants meme y sont entraines par l'inconscience des
parents. Les nouveau-nos dans leur domicile ordinaire (sur
le dos de la mere), enveloppes du traditionnel poncho, sont
sou vent ecrases dans ces hagarres. lis perissent de [aim,
oublies pendant In longue ivresse de Jeur ncurrice ou meurent
en buvant a la mamelle, qui, apres des orgies sernblables, dis-
tille du poison.
us quantites d'alcool consommees pendant ces fetes sont
hors de proportion avec le nombre des buveurs. C'estencorele produit des minerais soustraits a la surveillance la plus
etroite qui Iournit a l'indigene ces sommes mal acquises.
A Corocoro ces vols sont relativement peu considerables.
Dans certaines mines d'argent, €lIes representant des chiffres
enorrnes. Tant que les filons de CoIquechaca appartenaient D .
l'indienne Juana Arteche, on permit. aux ouvriers de ramasser
pendant Ia procession du carnaval, dans les gal eries, Ie mine-
rai qu'ils pouvaient emporter avec eux.
C'etait du rosicler contenant jusqu'a 50 % de metal.
Suite de I a r ou te ( ' I . La Paz. - Situation de la ville
Ses habitants, leurs couium es.
Le 25 aout 1893.
Le sentier qui relic les mines de cuivre a l'ancien chemin
royal du nord, traverse, avec des onduJations peu sensibles,
1 0 partie septentrionale du plateau entre deux chaines de mou-
tagnes aux tons fauves.
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35 2 LA NOUVELLE REVUE
Des montagnes aux tons Iauves la bordent de leurs sil-
houettes (1) sans caraclere. I,Apres Ie bourg de Panduro, la plaine s'elargit.
A l'Ouest emerge I e cone gigantesque du Sajama. Plus loin,
j'ai vu le soleil descendre entre les deux cimes neigeuses du
Tacora. Sous la lumiere irisee, les glaces etincelaient comme
les faceltes du diamant, se detachaient radieuses sur lesnuages translucides de l'horizon, puis, s'enchassaient de va-
peurs aux tons delicats et s'eteignaient doucement dans le
crepuscule et la nuit.
Au Nord-Est, on apercoit bientot la chaine du Sorata, In
plus elevee du Haut-Perou : it la pointe sud, J'IIIimani ; plus
au nord, la Mesada, la Huayna-Potosi et Ie Chachacomani,
Le dernier sornmet l'Illampu se laisse voir seulement lorsqu'on
se rap proche des rives du lac superieur. Toutes ces cimes
depassent 0.000 metres. La limite des neiges persistantes s'y
trouve a plus de 5.000.
Mais les ravins creuses presque a pic sur ces versants
abrupts, sont remplis de fragments de gigantesques stalactitesde glaces. On dirait les lambeaux de l'immense linceul qui
recouvre le Sorata et s'effrange sur ses rudes contreforts.
Entre ces monts qui semblent tres'rapprcches et la plaine O U
l'on chemine, se creuse une depression, de plus de mille pieds
de profondeur. C'est un 'ancien lac dont les eaux se sont
deversees par une fissure de la Cordillere.
A travers les dechirures de nuages flottant le long des parois
de eet ahtme invraisemblable, apparaissent entre quelques
champs et de sombres buissons, les toits, niveles par la dis-
tance, e t e maisons hlotties au fond de cette crevasse, peut-etreunique par ses dimensions et sa forme etrange : c'est 1aPaz (2). .
L'adelanlado, Messire de Mendoza avail baptise Nuestro
(1) Du Sud au Nord, pepuis Lipez jusqu'au lac de T'iticaca, la
chaine maritime est couronnee de hautes cimes : les Viscaohillas,
Aucasquilucha, Tun, Spaya, Tagua, Uyunyu, Talasabaya, Sajarna etTocora.
(2) Le Departernent de la Paz compte approximativcrnent 412.000
habitants. II est divise en huit provinces : La Paz, Sicasia et Inquf-
siri, avec des chefs-lieux du meme nom. Ingair avec Coroeo, Muriacas
avec Chunta, Omasuyos avec Hachacacha, Larecaja avec Sorata,
Yungas avec Chillumani.
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 353
Senora de la Paz (Notre-Dame de la Paix) les huttes des indi-
genes situees en cet endroit et connues sous le nom des
Chuquiapo. Trois siecles plus tard, en memoire du triomphe
rernporte par le general Sucre sur Ie vice-rei Lacerna, on
rajouta encore a ce vocable le nom du champ de balaille.
Depuis 1823, la ville s'appelle oificiel1ement Ia Paz de Aya-
quucho.
Des que l'on s'est engage dans la descente, Ie vent qui balaiele haut plateau percl de sa violence.
La route se developpe en lacefs de deux lieues, environ, atravers l'aridite de terresd'ocres rouges et jaunes O U s'enclave
. , ;a et la un Hot de verdure. '
La cite est disposes en amphitheatre : au fond, s'etend le
jardin public, Ie Prado ou l'Alameda, double avenue ver-
doyantc d'un dcmi-kilometrevLes rues qui, de la ville haute,
couduisent vers cette unique promenade, ont de 10 a 20 % ([ in-
clinaison. Sont reputees horizontales les voies Iongeant Ie Ilanc
du cone creux avec 5 a 7 % de pente.
De la sorte, les maisons n'ont d'un cote qu'un rez-de-
chaussee et s'elevent de l'autre a la hauteur d'un premier aud'un deuxieme etage ; demeures vastes et commodes, aux
Iacades depourvues d'ornements.
Les tuiles pesent en courbes capricieuses sur une char-
pente tordue et surplombent d'un metre les murs harbouilles
de vives couleurs.
Quelques exceptions a cette monotonic : notamment l'eglise
de San-Francisco de style jesuilique duo xvr' siecle, ex-veto
par lequel Don Diego Vaina exprimait la reconnaissance au
grand saint qui lui avait fait decouvrir des millions dans les
quartz aurileres d'Araca. Les sculptures nombreuses de ce
monument ont une ra.deur et une naivete archaiqucs.
L'imagination, les gOllis artistiques des indigenes sonl
derneures los memes a travers les siecles .
. .. Sur la grand'place, s'eleve la Iacade terminee jusqu'au
linteau du porche de la nouvelle cathedrale. Elle en est la,
depuis une generation, et prenel les teinles harmonieuses d'une
ruine. Au coin, s'eleve une batisse romaine, ouvragee et
Iouillee a plaisir.
L'acanthe court sur les colonnades inlerieures et grimpe en
arabesques, d'une grace conventionnelle auteur du portique
donnantacces it l'escalier de marbre blanc. C'est, me dit-on,
TmIE III. ~3
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3 5 4 LA NOUVELLE REVUE
l'ancienne Inquisition. De paisihles negociants l'hahitent "
aujourd'hui.
Ces negociants de la Paz font le commerce en gros (ils
sont irnportuteurs de taus articles europeens qu'ils vendent
dans des magasins [jppeles alIHacenes), dehitent dans des peti-
tes echoppes (tier,das), les produils achetes aux « almacenes ».
Avant la mise en exploitation de la ligne Antofagasta-Oruro,
Ie rayon d'approvisionnement de la metropole commerciale
compreriait, avec les provinces limitrophes, Cochabamba et sa
richevallee. Depuis 1892, il ne s'etend pas au-dela des limites
du departernent. La clientele est diminuee de moitie.J adis, a I'importation correspondait une exportation de
quinquina, d'argentet de cuivre. Le premier de ces articles ne
s'achete plus en Bolivie .
. L'argent d'Oururo prend la voie Ierree ; l'cxportation du cui-
vre de Corocoro a d im inu e. •
It Y a vingt ans Arica etait le port dont la Bolivie se sel'-
vait de preference. De I e ' ! les caravanes parcouraient en une
dizaine de jours les 500 kilometres de Tacna au' Tacora, a
I'alliplanicie.Cette voie est aujourd'hui a peu pres ahandonnee : les mar-
chandises viennent a la Paz par Ie lac (I), dont le port principal,
Puna, est relie avec Mollendo sur Ie Pacifique, par un chemin
de fer a voie large.
Ce rcsserremcnt de la sphere d'influence et d'activite pese
lourdement sur la ville. II impose a tous et a chacun I'eco-
nomie, vertu Iorcee en temps de crise.
Les rejouissances sont rares ; les familles creoles vivent fort
retirees.
Les rues sernhlent abandonnees aux Indiens, avec leurs
troupeaux de lamas, leurs trains d'anes et de mules -et leurs
ivrognes qui,' respectes du passant, ronflent sur la chaussce.
On dirait que la disette commerciale n'afflige guere les indi-
genes et los demi-sang.
Le carnaval hat son plein : les manteaux blancs des Peres
fle la Merci, et la bure hrune des moines de Saint-Francois, et
la gai:1e noire des Jesuites, Ies costumes ruisselants d'or du
peuple en mascarade font un bizarre contraste. Il est de ces
costumes de Ianlaisie qui content mille francs; l'autorisation
de s'en afiublel' sur la voie publique se paie a raison de 300
(1) Meme parfo is via Antofagasta.
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 355
pesos. Hien narrete I'homme de couleur dans la joie de se
tr~orm.er pour ,quelques heures en arien a la blonde cheve-lure, de '~f;l croire beau comme les anciens gentilhommes.
Quclle salis.fadioll de ressembler a des hidalgos en pour-
point abricot e' . Q . a u t de chausse cerise,a ces eleganls hour-
rcaux de sa race, qui cutrageaient sa mere, faisaient hatonner
son pere et ies envoy aiNU mourir aux mines.Los cruaules d'antan ne sont pas pour deplaire aux enfants
des victimes, cruels eux-niemes. N'organisaient-ils pas naguere
des tournois a la frondeaux alentours de la ville? On s'y tuait
par plaisir. Les morts ne se plaignaient de rien ct les vivants
huvaienl en dansant autour des cadavres, L'autorite a du
arreter ces fetes sanglantes,
Ln Francais brusquement transplante en Chine se rendrait
aussitot compte de la difference des milieux.
II n'en est pas ainsi lorsqu'on arrive clans le Haut-Perou,
Les costumes des creoles et des immigres ressemblcnt aux
notres. Ceux du peuple rappellent en somme plus ou moins
des vetements qu'on voit dans certains pays europeens.
Les langues indigenes (Aymara et Quicbua, ne produisentpas SUI' notre oreille d'eflet plus elrange que le breton ou Ie
basque. Et, pourtant, cette . societe ne ressemble guere au
monde ou nous vivons,
Dea Lerincs, precis en-deca de l'Atlantique, sintcrpretcnt
dans ces consciences, de diverses Iacons. Par un phenomene
d'optique sociale, les evenements n'apparaissent pas au merne
plan que chez nous.
Ainsi naissent des effets de mirage qui choquent tout d"abord
et auxquels il Iaut s'habituer avant de les admettre.
La raison de eel etat de chases est d'origine ethnographique.
Elle provient du manque d'entente entre deux races, de I'im-
possibilito pour Ie conquistador de com prendre l'ame ameri-caine Iaconnee par une civilisation sans point de contact avec
celle du vieux monde.
Les Espagnols abordant en Amerique prirent leurs com-
pagnes parmi les indiennes. Le cholo est le metis issu de ces
unions. II s'attache toujours au conquer-ant : la chola, elle
aussi, prelere Ie blanc et le derni- sang a I'indigcne.
En quatre siecles, ces alliances ont cree un type anthropo-
logique nouveau qui se multiplie sans recul ataviquc vel'S les
races immigrees ou autochtones.
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3 5 6 LA NOUVELLE REVUE
Au moral, Ie produit olivatre unit la mefiance de l'Indien
a la parcsse manuelle et inlelleeluelle de l'aventurier du
xvr' siecle.
La femme glisse des la prime jeunesse sur la pente de la
galant~rie 'non l.ariiee qui cherche dans une griserie voulue
l'excuse inutile de chutes dont elle u'avouc jamais le caractere
prolessionnel. A l'cncontre de la chela, I'Indienne dont elle
est issue, evite tout contact avec Ie blanc.Dans les petites communes, dans les Iermes, la tribu entiere
repond en quelque sorte de la vertu relative de s~s femmes . .lc
dis relative, car cette indigene qui repousse, l'arien el le sang
mele n'a rien a refuser aux hornmes de sa race.
D 'autres contradictions aussi flagrantes caracterisent les
coutumes seculaires de plusieurs tribus boliviennes, comme
celles du Muanecas Larecaja, etc. ees peuplades se composent
principalemenl de curanderos, sorles d'ernpiriques, gucris-
seurs, au moyen de simples, de toules sortes de maladies.
Avec des herbes seches dans leurs sacs, ils parcourent il
pied des milliers de lieues. J'ai renconlre ces marchands de
sante a Quito sous la ligne, et par 1100 de latilude sud, au
Chili; de pareillcs peregrinations durent des annees,
Le curandero se marie la veille de son depart et eonfie sa
femme a un ami. L'histoire des preux chevaliers 5e joue alors
a rebours : l'ami remplace I'epoux absent, et si, en revenant de
son lour d'Ameriqus, ce dernier Irouve la maison sans enfants,
il chatie au moyen de volees de bois I'inexcusable sterilite de
sa femme,
Il Iaut done savoir Iaire abstraction complete de nos idees
courantes pour juger cet etat familial comme pour apprecicr
los manifestations de ce milieu quelles quelles soient.
Ainsi, la Bolivie est, tres catholiquc. La majeure partie de
ses habitants doit meme> ignorer l'existcnce de toutes autres
Eglises. Cependant, 1a Ietichisme a survecu au bapteme de larace. Dans sa chaumiere, l'autochtone entoure des pieces
paleontologiqucs cl'un respect superstitieux et prohahlement
d'un culle auquelles blancs n'assistent jamais.
Sur les grand'routes, surtout aux passes, dans les Cordil-
lieres, on rencontre des. moncea ux de pierres et de fragments
de squeletles d'animaux. Tout indigene augmente, chemin
iaisant, d'un caillou ou d'un debris quelconque ce monument
primitif auquel s'attacho une croyance antique, remerciemenl
ala' divinite du chemin heureusernenl parcouru, demande de
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 357
protection pour la route a suivre, conjuration, au mauvais sort
par un acte de magie accompli sur un point a.'ou l'on domine
le pays.
Le nom mcme, apacheia, que prononce l'Indien en appro-
chant duomamelon est une invocation Aymara.
D'autre part,eten depit de ce paganisme aux racines pro-
fondes, le ministre du culte romain de Bolivie est si sur de sesouailles qu'il traite les edifices du culte avec une Iamiliarite
qui ne se tolererait pas dans des pays de foi moins robuste.
L'autorite larque suit cet exemple : Oil desaffecte des eglises
• pour y intaller des theatres. On n'admet pas les morLs aux
ceremonies religieuses celehrees en leur honneur. De la mai-
son mortuaire, ils sont transportes au cimetiere, au un ecole-
siastique en soutane se borne a leur donner unc ahsoute som-
-maire.
Los mariages n'ont, pas lieu a l'autcl. Dieu vient a domicile
et le pretre coniere ce sacrement avec une prestesse qui en
dissimule l'importance.
A certaines. dates les traditions indigenes et espagnoles, les
croyances paicunes et chretiennes se confondent.
La folie commune semble etahlir . une entente passagere
entre ces sangs divers. Telles les fetes de la Croix, de la vierge
sous divers vocables, la Saint-Jean, avec je ne sais quel res-
souvenir d'adoration du feu, le carnaval avec des reminis-
cences du culte de l'eau et la fete des morts rappelant :a
divinisation de Ia terre.
Le carnaval marque un arret complet d'au mains huit jours
dans l'activite du pays entier.
Dans les villes comme Sucre, les seigneurs et Ies dames
s'amusent du dimanche au mardi. Leurs rejouissances ont une
allure plutot castillane : entree solennelle de Ia jeunesse doree
avec masques et travestissements, bataille de fleurs. Onenvahit les maisons et on entraine les occupants a des danses
echevelees, Les coballeriios lancent des coques d'oeufs rem-
plies d'eaux parfumees aux senoritas, qui, de leurs balcons
ripostenL aux assaillants par des douches impuissantes aguerir leur Ilevre d'insanite joyeuse.
Le mercredi, on entre en careme, avec gravite et contrition;
mais, Ie jeudi, eclate le carnaval des Indiens et des Metis. Les
faubourgs retentissent de chants, la plebe danse par les rues
devant les patriciens. Le soil', les groupe", las ruedas, vien-
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358 LA NOUVELLE REVUE
nenl sur la grand'place. On entend alors des retrains qui
preludent a des jeux innocents de l'amour et du hasard.
Dans les autres cites, dans les villages, dans les haciendas,
on se precipite mutuellement dans des vasques d'eau, on
s'asperge avec d'enormes seringues. C'est la chaya, baplemes
sauvagesdont les suites entratnent souvent des accidents mer-
tels, surtout dans le climat des hauts-plateaux.La fete particuliere de la Paz, 10 jour des morts, fournit un
pretexte etrange ponr des amusements populaires. Le 2 no-
vembre, Ie s indigenes revetent des costumes voyants, se ren-
dent au cimetiere pour prendre avec les defunts un five-oclock,
puis, devalent au Prado. Par d'abondantes libations, ils attei-
gnent vite le diapason necessaire elm: orgies de la nuit.
Jamais, d'ailleurs, un Indien ne hoit sans lever le chapeau et
repandre quelques gouttes sur la terre nourriciere. Ce mouve-
ment parait accidentel pour le voyageur etranger. Aux yeux
de I'observateur, c'est un sacrifice traditionpel que consacre
a tout instant l'union entre Pachacamac, le grand genie du : : : 0 1 ,
et Quonhe, la divinite de la pluie. oj .
Et sous le nom chretien de Saint-Jean, se complete la trinite
indienne.
Car dans tes Ieux qui eclairent l~ nuit du 24 juin, l'hornme
des Cordilieres voit le symbole de fa lumiere et de la chaleur.
C'est I'etinoelle, fiUe du-solei], qui vivifie le monde. C'est en
l1dnneur de l'lnca, personnification de l'aslI;i), qu'il allume des
milliers de buchers devant sa hutte, le long des routes et sur
la crete des Andes, autel eternellemen{ debout de ses dieux
vaincus.
Depart de la Bolivie par fa voie du lac cl'Arequipa
ei de M ollctuio
Le 10 decemhre 1893.
A rna porte, une guimbarde attelee de six chevaux, par un
matin ou les reflets des neiges de I'Illimani jettent comme une
transparence radieuse dans I'atmosphere de la 'Paz.
Fouette cocher !
Et la voiture (1) part avec un grand bruit de ferraille sur le
(1) Aujourdhui La Paz est rel ie par rails it Viacha I'une des sta-
tions de la ligne N.·5. qui du lac 'I'iticacau travers le haut plateau
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EN BOLIVIE AVANT LES RAILS 3 5 9
pavage caillouLeux des rues, gravit lourdement la cote,
reprend une allure folie sur le haul plateau et s'arrete a Chili-
laya sur les bords du lac de Titicaca.
Un petit vapeur nous emmene en quelques heures a Puno,
dans la republique voisine. La ville, basse et morne, semble
dormir derriere des roseaux. L'ctroit chenal passe au milieu
d'eux. On dirait qu'on s'engage dans des champs lorsque,
avec un froufrou etrange, le bateau ecarte et froisse les herbesqui, derriere lui, se referment.
Les rails du chemin de fer viennent. jusqu'a l'appontement.
lis quiLLenL Ie rivage a deux lieues plus au nord et montent
vel'S les hauteurs de la chaine maritime. 11s en passent le
point culminant pres Vincocaya, a la pampa de los arrieros,
par plus de 4.600 metres. A partir de la, ils descendent dans Ia
riante plaine d'Arequipa. Comhien grande, populeuse eL riche
paratt cette oasis et .sa pittoresque ville peruvienne situee al'altitude merne de Calama.
Le desert reprend a quelques kilometres plus loin.
La voie tourne en courbes infinies sur les laves rouges et
les sables jaimes.
A l'horizon, l'indigo du Pacifique se marie au cobalt du
firmament. Les rails suivenl la greve qu'ils atteignent pres de
Mollendo, petit port avec des maisons en bois sous des toits
en zinc.
A portee de fusil se balance le paquebot anglais. Nous
embarquons. Bientot les pulsations de la machine nous pene-
trent. On dirait qu'ellcs battent en notre organisme semhlahles
a nos arteres. Elles nous donnent. une sensation de mouve-
ment personnel, la conscience de notre marche.
t Notre regard se reporte en arr iere vel'S le pays dont nous
avons parcouru, par longues etapes extenuantes, les hauteurs
et les gorges, les plaines et les marais, les champs et les
.mines, les Iorets et les lacs ... si loin de ce vaste Ocean.Un jour, Iranchissant Ie rempart geant de la Cordilliere, le
Bolivien apportera-t.il dans un port O U flotteront ses couleurs,
les precieux produits de son domaine? Quel sort l'avenir
atteint Potosi. Bientot l'embranchement Uy,zni-Tupiza-la Quiaca re-"
liera Ies centres boliviens au reseau argentin qu.i l par la lig ne de
Rio Bermejo-Formosa reridra accessible la Bolivie orientale (bassin
du Rio Paraguay). La communi-cation av-ec.le Peron, par 1 '2 lac 'I'il i-
caca, lcs lignes Antoiaqaeto-Uijuni et le nouveau 'chemin de fer Arica-
Tucna vii!' Tocora ouvrant Ie chemin au littoralchilien (Pacifique)
mettront fin it l'isolernent de cette Republique medil.er ranes.
5/17/2018 Wiener a. La Bolivie Avant Le Rail [1893] (1912) - slidepdf.com
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3 6 0.' . -
LA NOUVELLE REVUE
reserve-t-il a ce sol qui noun-it depuis trois siecles un habitant
par kilometre carre, lorsque, si vaste et Iecond, it pourrait
enrichir cent millions d'hommes?
A qui l'honneur d'ouvrir la zone amazonienne, d'implanter
la civilisation dans ccs refuges contemporains de la b~rbarle
prehistorique ? A qui le profit de la mise en valeur des placers
inconnus ou ahandonnes, et le merite de la construction d'un
reseau complet de routes, de voies Ierrees, de canaux? Lecredit etranger operera-t-il ces transformations {)u sera-co le
patriotisme d'un Cresus comme les mines en improvisent ?
L'immigration europeenne ? Le coolie d'Asic ?
Combien complexes sont ces problemes !
Mais que Ie progres se manifeste dans un encha:inement
logique de faits ou surgisse d'une brutale succession d'evene-
ments imprevus, qu'il naisse du labeur ou gerine dans le sang',
ses bienfaits feront oublier les douleurs inevitahles de son
enfantement.
Et le temps estompera le passe, semblable il. la brume loin-
taine que je vis, du pont du navire qui m'emportait, couvrir
de ses voiles, Ie mur aux teintes terreuses, le blulevard horsmesure qui defend la Bolivie et ses tresors.
C harles W IE NE R.
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