anthologie du journalisme

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    Anthologie du JournalismePaul Ginisty

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    Anthologie du JournalismePaul Ginisty

    COLLECTION PALLAS 3e dition

    Anthologie du Journalisme

    Du XVIIe sicle nos jours. par Paul Ginisty

    TomeI

    La Rvolution. - Le Premier Empire. La Restauration. - La secondeRestauration. Le Gouvernement de Juillet. La Rvolution de 1848.

    PARIS LIBRAIRIE DELAGRAVE 15, RUE SOUFFLOT, 15 1933

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    TABLE DES MATIRES:

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    INTRODUCTION

    LA RVOLUTION

    MIRABEAU La libert de la presse

    LYSE LOUSTALOT Contre la peine de mort

    CONDORCET Mes principes

    RIVAROL Traits et maximes Les Actes des Aptres

    CAMILLE DESMOULINS Spartiates et Athniens Le comit de clmence

    MAXIMILIEN ROBESPIERRE Des ftes nationales et des honneurs publics

    ANDR CHNIER Des manoeuvres des Jacobins

    MARAT Rveillons-nous, il en est temps

    HBERT La plus grande de toutes les joies du Pre Duchesne

    GRACCHUS BABEUF Les moeurs du jour

    MALLET DU PAN La dictature

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    ROEDERER Dune nouvelle maladie de la jeunesse

    MmeDE GENLIS Les Valets de comdie

    ANGE PITOU La mort du genre humain

    J.FIVE La politique dun philosophe

    LE PREMIER EMPIRE

    GEOFFROY Les bourgeoises la mode

    F.GUIZOT Limpolitesse

    CHATEAUBRIAND Nron... mais Tacite

    DE JOUY Lauteur mcontent

    KRATRY Gens de lettres dautrefois

    LA RESTAURATION

    BENJAMIN CONSTANT Le retour de lle dElbe

    J.- T.MERLE Paris la fin de juin1815

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    LA SECONDE RESTAURATION

    VICTOR HUGO Un bilan

    PAUL-LOUIS COURIER La peur de la presse.

    ETIENNE Le respect de la Charte

    MARTAINVILLE Lassassinat du Duc de Berry

    CHARLES NODIER Du mot, Monsieur Polichinelle

    ETIENNE BQUET Malheureuse France!

    HENRI DE LATOUCHE Fausses nouvelles vraisemblables

    L.M. FONTAN Le mouton enrag

    ADOLPHE THIERS Protestations des journalistes contre les ordonnances.

    LE GOUVERNEMENT DE JUILLET

    SAINT-MARC GIRARDIN La cure

    ALFRED DE MUSSET La chute du bal de lOpra

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    CHARLES DUVEYRIER Le Paris saint-simonien

    FLIX PYAT Le Thtre-Franais

    ARMAND MARRAST Attendre et se prparer!

    BARTHLEMY A Monsieur de Lamartine

    CH. PHILIPON Afin que si jamais lEtat leur manque, ils ne manquent du moins

    jamais dtat. Si la justice a toujours deux poids, du moins elle ne garde plusde mesures.

    LOUIS DESNOYERS Les Botiens de Paris

    SAINTE-BEUVE Les soires littraires

    A.JAY Contre les romantiques

    ARMAND CARREL Un dfi

    HONOR DE BALZAC La revue parisienne

    GUSTAVE PLANCHE Le mtier de journaliste

    VICTOR CONSIDRANT Le nouveau champ de bataille

    JULES JANIN Frdrick Lematre aux Folies-Dramatiques

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    PHILIBERT AUDEBRAND Sductions et dangers du thtre

    LOUIS REYBAUD Balzac jug par un de ses contemporains

    TAXILE DELORD. Chicard

    CHAMPFLEURY Delacroix

    GRANIER DE CASSAGNAC Les mots et les choses.

    HENRI MURGER Souvenirs du Corsaire-Satan.

    ELZAR BLAZE Chasseurs et chasseurs

    CHARLES MAURICE. Talma Hugo et la parodie Le piano de Rossini Rubini

    SILVESTRE DE SACY La morale naturelle

    CUVILLIER-FLEURY Jules Janin

    MILE DR LA BDOLLIRE La politique de linvalide

    LA RVOLUTION DE 1848

    PIERRE LEROUX Aux politiques

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    P.-J. PROUDHON La proprit Laffirmation par la ngation

    GEORGE SAND Au peuple

    AMDE ACHARD Le club du village

    LON GOZLAN Un paragraphe en faveur des femmes

    LOUIS BLANC La solidarit des intrts.

    AUGUSTE BLANQUI Mes calomniateurs

    AUGUSTE LIREUX La morale au thtre.

    LAMENNAIS Silence aux pauvres!

    LES JOURNAUX DE FEMMES Rponse de George Sand

    DE LEUVEN ET BRUNSWICK ET LE Journal- Vaudeville.

    *****

    ANTHOLOGIE DU JOURNALISME

    INTRODUCTION

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    I

    Du premier numro de la Gazette de Thophraste Renaudot au journal actuel, quelchemin parcouru par la Presse!

    La fondation de la Presse, en France, date vritablement de cette petite feuillehebdomadaire qui commena paratre le 30mai 1631 (1) sur quatre pages in-4,au Bureau dadresses, autre invention de lingnieux Renaudot, lenseignedu

    Grand Coq, sortant du March-Neuf, prs le Palais. Dbuts modestes, maisquelle ide tait plus grosse davenir?

    [(1) Les premiers numros ne portaient dautre indication quun signealphabtique. Cest par induction, une date apparaissant en tte du siximenumro (4juillet 1631) quon a tabli, pour le numro initial, celle du 30 mai.]

    Cerveau sans cesse occup de conceptions neuves, le mdecin ThophrasteRenaudotavait voyag, en observateur curieux. Cest de ltranger quil avait rapportle principe dinstitutions charitables, dvelopp avec son tour despritpersonnel et son sens avis des ralisations pratiques. Les gazettes vnitienneset hollandaises et un crit priodique anglais lui inspirrent la pense dunepublication plus ordonne et plus mthodique, plus vridique aussi. Ce souci de

    la vrit, fort altre par les colporteurs de nouvelles, quand elle ntait pastravestie par les auteurs de pamphlets clandestins, le proccupait fort. Mesgazettes, dit-il dans un de ces exposs o il commentait et dfendait sonoeuvre, seront maintenues pour lutilit quen reoivent le public et lesparticuliers: le public, pour ce quelles empeschent plusieurs faux bruits quiservent souvent dallumettes aux mouvements et sditions intestines;... lesparticuliers, chacun deux ajustant volontiers ses affaires au modle du temps.

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    Le privilge de la Gazette tait exclusif. Ds le mois de novembre de cetteanne 1631, un arrt du Conseil du roi spcifiait que quiconque porteraitprjudice Renaudot seroit puni de six mille livres damende Louis XIII etRichelieu (rien ne reste plus, aujourdhui, de la lgende romantique de LouisXIII, fantme de roi entre les mains du cardinal) avaient compris toutelimportance dun organe de publicit; mais ils avaient compris, en mme temps,les dangers, pour le Pouvoir, de la presse naissante. Ils prvenaientlopposition en ne lui laissant pas de moyens dexpression. Son privilge,Renaudot le dfendit parfois avec pret, mais ce ntait que contre descontrefacteurs. La concurrence tait impossible. Ce ntait pas seulement lafaveur royale qui soutenait lauteur de la Gazette, ctait un intrt degouvernement.

    Louis XIII ne se bornait pas accorder son efficace protection la Gazette. Iltait le plus important de ses collaborateurs anonymes, et de cettecollaboration il reste la trace, des notes de la main mme du roi, conservesaux manuscrits de la Bibliothque nationale (fonds franais 3840). Ces notesavaient trait surtout aux oprations militaires, mais Louis XIII adressait aussi Renaudot des comptes rendus des ballets de cour, et il en fut ainsi,notamment, pour le ballet de la Merlaizon, quil avait compos.

    La Gazette noffrit dabord que des informations fort brves, commenant parles lieux les plus loigns pour finir par la France. Pour la France, centalent gure que des nouvelles de la cour et des dplacements royaux. Ds lemois de novembre, Renaudot doubla son format. Il y eut bientt aussi lesExtraordinaires, sortes de supplments consacrs aux vnements officielsdont le rcit demandait quelques dtails ou des biographies de personnages

    dont la mort tait rcente. Le pre du journalisme avait tout entrevu! En 1632il accompagnait certains faits de quelques rflexions sommaires. Mais il avaitaccoutum, gnralement une fois par mois, de se plaire une manire decauserie avec ses lecteurs, pleine de bonhomie et parfois de malice, o ilrpondait ses dtracteurs (il navait pas manqu den avoir), o il disait sesprojets, o il constatait son succs, o il mettait aussi le public au courantdes difficults quil rencontrait, o il sexcusait de quelque erreur commisemalgr sa bonne foi. Gure de gens possible ne remarquent la diffrence qui estentre lHistoire et la Gazette, ce qui moblige de vous dire que lHistoire est

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    le rcit des choses advenues, la Gazette seulement le bruit qui en court. Lapremire est tenue de dire toujours la vrit, la seconde fait assez si elleempche de mentir. Et elle ne ment pas, mme quand elle rapporte quelquenouvelle fausse qui lui a t donne pour vritable. Il ny a que le seulmensonge quelle controuverait dessein qui la puisse rendre digne de blasme.

    Dans une de ces causeries, il parlait des mesures prises par des Etats trangerscontre la circulation de la Gazette. Il en parlait non sans hauteur et dunefaon prophtique: Feray-je en ce lieu prire aux princes et Estats estrangesde ne point perdre inutilement le temps vouloir fermer passage mesNouvelles, veu que cest une marchandise dont le commerce ne sest jamais pudeffendre et qui tient cela de la nature des torrents quil se grossit par la

    rsistance.

    La Gazette paraissait le samedi et tait vendue, par cinquante colporteurs serpandant dans Paris, un sol parisis. Une estampe contemporaine, mlant laralit lallgorie, montre un de ces colporteurs, son panier en bandoulireet y entassant les exemplaires. Quant la Gazette, elle est reprsente sous lafigure dune femme, assise sur un trne, - le futur quatrime Pouvoir! Ce trnea pour marches quantit de feuillets dimprimerie. La Gazette fait tomber lemasque du Mensonge. Elle est vtue dune robe toute parseme doreilles.

    La Gazette, assise sur un trne par linspirateur de lestampe, nen tait pasmoins, forcment, fort dpendante de ses puissants protecteurs. Telle notemane de Richelieu devait tre parfois insre durgence, dt-on arrter letirage commenc et supprimer, pour faire place cette copie, politique, unnombre de lignes quivalent. A la mort de Louis X111, Thophraste Renaudot,

    djtrs attaqu par les mdecins, ne lui pardonnant pas lautorisation quil avaitobtenue de btir l Htel des consultations charitables, dans lequel ilsvoyaient une Facult rivale, employant contre lui toutes les influences dont ilsdisposaient, risqua fort une disgrce complte. On se faisait une arme contrelui, auprs de la rgente Anne dAutriche, dune de ces notes de Richelieu o, mots couverts, il avait, quelque dix ans auparavant, menac la reine propos deson attitude lgard de lEspagne (1).

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    [(1) Voir sur toutes les luttes queut soutenir le fondateur de la Gazette,louvrage du regrett docteur Gilles de la Tourette, Thophraste Renaudot,.]

    Renaudot, bien quil pt prouver quil navait fait quobir un ordre ducardinal, ne se tira pas sans difficults du pril. Ce ne fut qu forcedadresse et de souplesse quil maintint ses privilges. Mais ses ennemismultipliaient contre lui les pamphlets, tels que celui, dont Guy Patin taitpeut-tre lauteur, intitul: le Nez pourri de Thophraste Renaudot, alchymiste,charlatan, empirique, usurier comme juif, perfide comme un Turc, mchant commeun rengat, grand fourbe, grand gazettier de France. Renaudot se dfenditnergiquement contre toutes ces attaques; il rentra en faveur la cour et fut

    mme nomm historiographe de France.

    Pendant la Fronde, il ne pouvait pas hsiter sur sa ligne de conduite, et ilinstalla la Gazette Saint-Germain. Mais, en homme avis, il prvoyait toutesles ventualits. Il avait suivi Mazarin. Si, cependant, la cause du Parlementtriomphait? Il tait assez malais, alors, de deviner exactement lavenir.Renaudot eut une ide admirable dingniosit, du moins de faon ne pas trevictime des vnements, quels quils fussent. La Gazette, Saint-Germain,dfendait le parti de la cour; Paris, les fils de Renaudot, Isaac et Eusbe,ses collaborateurs trs dvous, eurent un journal la dvotion du Parlement.Ce fut le Courrier franais, qui eut douze numros. Les deux feuilles rivalessentendaient merveille, au fond. Quand la cour rentra Paris, le fondateurde la Gazette revendiqua ses droits, et le Courrier franais, qui avait t unhabile expdient, disparut.

    Renaudot eut lutter souvent contre les contrefacteurs, qui semparaient de sesgazettes, par une entente avec les colporteurs, et tiraient profit de cesreproductions illicites Il en arriva marquer de signes particuliers, mme delettres chinoises, les exemplaires authentiques. Dans ses dernires annes, ilavait un peu largi sa manire et, dans des poques troubles, il donnait pluslibrement cours ses sentiments personnels. Il y a une sorte dloquence dansla faon dont il dplore les divisions, risquant de compromettre la grandeur dupays Les ennemis ont grand sujet de rire de nos dissensions perptuelles quileur donnent le moyen quils nauroyent pas autrement de rparer les affronts

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    quils ont reus dans les campagnes prcdentes. Ou ailleurs: Faut-il que maplume qui navoit accoustum de vous entretenir que des clbres victoires denostre monarque sur ses ennemis estrangers, ne vous apprenne plus, maintenantque celles quil remporte sur ses sujets? Renaudot mourut le 25octobre 1653.Ses fils puis son neveu, lui succdrent dans la rdaction de la Gazette. Il estpiquant de se reporter la premire chronique du premier journal franais. Etest- ce autre chose quune chronique, en effet, que cette page o ThophrasteRenaudot, dune faon vive et alerte exposait les embarras du journaliste devantles prtentions de tous ceux qui voudraient tre cits par lui et devant lesexigences du public?

    *****

    LES CUEILS DU JOURNALISTE

    La difficult que je dis rencontrer en la composition de mes gazettes nest pasmise ici en avant pour en faire plus estimer mon ouvrage: ceux qui meconnoissent peuvent dire aux autres si je ne trouve pas de lemploy honorableaussi bien ailleurs quen ces feuilles Cest pour excuser mon style, sil nerespond pas toujours la dignit de son sujet, le sujet votre humeur et tousdeux votre mrite. Les capitaines y voudroient rencontrer tous les jours desbatailles ou des siges levs et des villes prises, les plaideurs des arrests enpareil cas; les personnes devotieuses y cherchent les noms des prdicateurs, desconfesseurs de remarque. Ceux qui nentendent rien aux mystres de la cour les yvoudroient trouver en grosses lettres. Tel, sil a port un paquet en cour oumen une compagnie dun village lautre sans perte dhommes, ou pay le quartde quelque mdiocre office, se fche si le Roi ne voit son nom dans la gazette.

    Dautres y voudroient avoir ces noms de Monseigneur ou de Monsieur rpts chaque personne dont je parle, faute de remarquer que ces titres ne sont pasici apposs comme trop vulgaires, joint que ces compliments, tant omis en tous,ne peuvent donner jalousie aucuns.

    Il sen trouve qui ne pensent quau langage fleuri, dautres qui veulent que mesrelations semblent un squelette dcharn, de sorte que la relation en soittoute une, ce qui ma fait essayer de contenter les uns et les autres.

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    Se peut-il faire que vous ne me plaigniez pas en toutes ces rencontres et quevous nexcusiez pas ma plume si elle ne peut plaire tout le monde, en quelqueposture quelle se mette, non plus que ce paysan et son fils, quoiquil se missepremirement seuls et puis ensemble, tantost pied et tantost sur leur asne? Etsi la crainte de dplaire leur sicle a empesch plusieurs bons auteurs detoucher lhistoire de leur aage, quelle doit estre la difficult descrirecelle de la semaine, voire du jour mme o elle est publie: joignez-y labrivet du temps que limpatience de votre humeur me donne: et je suis bientromp si les plus riches censeurs ne trouvent digne de quelque excuse unouvrage qui se doit faire en quatre heures de jour que la venue des courriers melaisse pour assembler, ajuster et imprimer ces lignes.

    ...Mais non, je me trompe, estimant par ces remontrances pouvoir tenir la bride votre censure, et, si je le pouvois, je ne dois pas le faire, cette libert dereprendre ntant pas le moindre plaisir de ce genre de lecture et votre plaisiret votre divertissement tant lune des causes pour lesquelles cette nouveaut at invente. Jouissez donc votre aise de cette libert franaise, et quechacun dise hardiment quil et ost ceci ou chang cela, quil auroit bienmieux fait, je le confesse.

    Et une seule chose ne cderai je personne: en la recherche de la vrit, delaquelle, nanmoins, je ne me fais pas son garant, tant malais quentre cinqcents nouvelles crites la haste, il nen chappe quelque une noscorrespondants qui mrite dtre corrige par son pre le Temps. Mais encore setrouvera-t-il des personnes curieuses de savoir qu ce temps-l, tel bruittait tenu pour vritable. Ceux qui se scandalisent possible de deus ou trois

    faux bruits, seront par l invits dbiter au public par ma plume (que je leuroffre cette fin) les nouvelles quils croient plus vraies, et, comme telles,plus dignes de lui tre communiques. Que ceux qui soccupent syndiquer mescrits ou mes oeuvres viennent maider, et nous verrons faire mieux ensemble.

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    La Muse Historique de Jean Loret, qui commena sa publication en 1651, ntaitpoint proprement parler un journal: pour lamusement de Mllede Longueville, saprotectrice, Loret avait entrepris de conter en petits vers les menus vnementsde chaque semaine. De ces bavardages rims on tira des copies, qui furent deplus en plus demandes. Ctait, en somme, un gazetier, mais non clandestin etmme pensionn. Si Renaudot crivait lhistoire hebdomadaire, Loret crivaitlhistoriette. La forme de ce verbiage est insupportable, mais ce recueil estprcieux aujourdhui, pour les traits de moeurs quil se trouve enregistrer,pour les nomenclatures de personnes quil donne, pour les faons de juger dutemps. Ce qui le caractrise, cest une extrme familiarit. Loret, par exemple,termine ainsi une de ses gazettes:

    Fait en avril, le vingt-huit, Avant que mon souper ft cuit.

    Ce railleur, la raillerie facile, navait pas manqu de prendre pour cibleThophraste Renaudot quand le fondateur de la Gazette savisa, sur le tard, dese remarier:

    Je ne devais pas oublier, Mais ds lautre mois publier (Car cest assezplaisante chose) Que le sieur Gazetier en prose, Autrement Monsieur RenaudotEndonnant un fort ample dot, Pour dissiper mlancolie A pris une femme jolie Quinest encor quen son printemps, Quoiquil ait plus de septante ans. Pour avoirsi jeune compagne Il faut quil ait mis en campagne Multitude de ces louis Parqui la vue est blouie...

    Loret, au milieu de tous ses bavardages, eut une heure de courage. Ce fut aprsla disgrce de Fouquet, lun de ses protecteurs, - de ses abonns, pourrait-ondire, car Fouquet lavait inscrit dans ses libralits pour une rente de deuxcent cinquante cus. - Loret osa le plaindre, ajoutant que sil pouvait

    De son sort adoucir la rigueur, Il le ferait de tout son coeur.

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    La Muse Historique, anctre des chos, dura jusquen 1659.

    Si la Gazette fut le premier journal franais, le Journal des savants, qui datede 1665, fut la premire revue franaise (1).

    [(1) Le Journal des Savants avait t fond par M.de Sallo, conseiller auParlement de Paris._]

    Il tait consacr des dissertations de littrature et de science. Puis ce fut,sous une forme plus vivante et avec des prtentions beaucoup moins graves, le

    Mercure galant de Donneau de Vis (1672), paraissant sous la forme dun volumede petit format, comprenant trois cents pages, tous les trois mois dabord, puistous les mois.

    Donneau de Vis tait un personnage assez entreprenant, qui avait commenc parcrire des satires contre Corneille, contre Molire, contre Quinault, mais qui,constatant bientt linanit de ces attaques contre des crivains illustres,chercha une plus sre faon dattirer sur lui lattention. Lide du Mercure,pour tablir un lien entre Paris et les provinces, naquit en son esprit. A lavrit, le journalisme moderne est en germe dans le Mercure et ds son premiernumro, qui, sous le prtexte de lettres une dame, contient - un peu endsordre, sans doute - toutes les rubriques actuelles.

    Vous saurez, disait Donneau de Vis cette correspondante imaginaire, lesmorts et les mariages de consquence, avec des circonstances qui pourront

    quelquefois vous donner des plaisirs que ces sortes de nouvelles nont pasdelles-mmes. Comme on entend de temps en temps parler de procs siextraordinaires et si remplis daventures que les romans les plus surprenantsnont rien qui sen approche, je ne manquerai pas de vous en divertir. Ilannonait aussi quil naurait garde de ne pas mander ce qui concerne les modes.

    Dans ce mme numro, la critique dramatique tait reprsente par un discours

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    sur Bajazet, du sieur Racine; la chronique par le rcit comment du voyage delAcadmie franaise Versailles; les faits divers, par plusieurs aventuressingulires, dont celle dun gentilhomme tranger dpourvu de scrupules qui,pour soustraire des perles appartenant sa matresse, les avait avales; lefeuilleton, par l Histoire de la Fille-Soldat_. Les chos ctaient larception du duc de La Feuillade dans la charge de colonel du rgiment degardes-franaises, le dpart du duc dEstres pour son ambassade Rome, lercit de galanteries turques. Bientt, Donneau de Vis sassociait ThomasCorneille, et le frre du grand Corneille tait, comme on sait, un crivaininfatigable. (1)

    [(1) M.Gustave Reynier a eu la bonne fortune de retrouver lacte dassociation,

    qui prvoyait toutes les formes de bnfices du Mercure: Cest savoir quenous dits sieurs Corneille et de Vis partagerons chacun par moiti tout leprofit qui pourra revenir, soit de la vente des livres, soit des prsents quipourraient tre faits en argent, meubles, bijoux et pensions, et mme si le Roiaccordait lun de nous une pension, elle serait galement partage comme lesautres choses ci-dessus. La pension arriva: elle attribuait Donneau de Viscinq cents cus et le logement au Louvre, en qualit dhistoriographe de SaMajest.]

    La priodicit du recueil fut ds lors rgulire. Dans cette association,Donneau de Vis tait videmment lhomme daffaires. Il avait en la divinationde la rclame ingnieusement dissimule, et il ne se faisait pas faute deprodiguer les louanges intresses. On peut dire quil inventa aussi lecanard, qui devait avoir une longue carrire et a encore la vie dure. Aumilieu darticles littraires ou mondains, Donneau de Vis se plaisait exciterla curiosit de son lecteur. Telle, entre autres, en 1680, lHistoire, fort

    extraordinaire, de

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    LA COULEUVRE DU DAUPHIN

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    mettant terre pour manger et boire, elles la reprennent aprs quelles ontmang.

    *** Nest-ce pas l le prototype des faits divers dans le genre de lhistoirefameuse du serpent de mer, tablant avec quelque audace sur la crdulit dulecteur?

    Cest dans le Mercure galant aussi que commena la longue vogue des nigmes,proposes la sagacit des devineurs. Le Mercure de Donneau de Vis cherchaitavant tout tre amusant et relativement actuel. Cest l actualit qui yfaisait parfois traiter des questions srieuses ou soutenir des tournois

    littraires.

    Le Mercure, qui inspira la comdie de Boursault, tait destin grandir auXVIIIe sicle, en importance et en autorit (surtout faute de concurrence), endevenant le Mercure de France. Dufresny succda Donneau de Vis: cebohme, qui Louis XIV voulait du bien, en raison dune illustre btardise, tout endisant en riant quil ntait pas assez riche pour prserver de la misre unhomme aussi expert faire foudre largent entre ses doigts, ce fantaisiste quipousa un jour sa blanchisseuse, ne pouvant acquitter la note de quelques cusquelle lui prsentait, ne prpara pas lvolution. Elle se fit avec sessuccesseurs, Lefvre, labb Bariche, de la Roque, Leclerc de La Brure, Boissy,Marmontel. Le brevet du Mercure rapportait vingt-cinq mille livres La Brure;aprs lui, le Mercure dut, sur les bnfices dune entreprise prospre, servirdes pensions des gens de lettres dsigns par la Cour ou des favoriss.Ainsi, en 1754, ces pensions taient accordes Cahuzac (2.000 livres),

    labb Raynal (2.000 livres), Piron (1.200 livres), Marmontel (1.200livres), M.de Senoncourt, ci-devant consul au Caire (2.000 livres), auchevalier de la Nigrie, frre de Leclerc de La Brure (1.200 livres), Mdardde la Garde (1.200 livres) Ces pensions, plus tard, montrent jusqu 30.000livres.

    Marmontel accrut le succs du Mercure, auquel, sous la direction de Boissy, ilavait donn ses Contes Moraux, puis, par la protection de Mmede Pompadour, il

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    enobtint le brevet, en avril1758, et rdigea une sorte de profession de foi de journaliste.

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    UN PROGRAMME

    La forme du Mercure le rend susceptible de tous les genres dagrment etdutilit, et les talents nont ni fleurs ni fruit dont il ne se couronne. Il

    extrait, il recueille, il annonce, il embrasse toutes les productions du gnieet du got; il est comme le rendez-vous des sciences et des arts, et le canal deleur commerce. Cest un champ qui peut devenir de plus en plus fertile, et parles soins de la culture et par les richesses quon y rpandra. Il peut treconsidr comme extrait ou comme recueil. Comme extrait, cest moi quilregarde; comme recueil, son succs dpend des secours que je recevrai. Dans lapartie critique, lhomme estimable qui je succde, sans oser prtendre leremplacer, me laisse un exemple dexactitude et de sagesse, de candeur etdhonntet, que je me fais une loi de suivre. Je me propose de parler aux gensde lettres le langage de la vrit, de la dcence et de lestime, et monattention relever les beauts de leurs ouvrages justifiera la libert aveclaquelle jen observerai les dfauts. Je sais mieux que personne, et je nerougis pas de lavouer, combien un jeune auteur est plaindre, lorsque,abandonn linsulte, il a assez de pudeur pour sinterdire une dfensepersonnelle. Cet auteur, quel quil soit, trouvera en moi, non pas un vengeurpassionn, mais, selon mes lumires un apprciateur quitable. Une ironie, uneparodie, une raillerie ne prouvent rien et nclairent personne; ces traits

    amusent quelquefois; ils sont mme plus intressants pour le bas peuple deslecteurs quune critique correcte et sense: le ton modr de la raison na riende consolant pour lenvie, rien de flatteur pour la malignit; mais mon, desseinnest pas de prostituer ma plume aux envieux et aux mchants. A lgard de lapartie collective de cet ouvrage, quoique je me propose dy contribuer autantquil est en moi, ne ft-ce que pour remplir les vides, je ne compte pour rience que je suis: tout mon espoir est dans la bienveillance et le secours des gensde lettres, et jose croire quil est fond. Si quelques-uns des plus estimablesnont pas ddaign de confier au _Mercure les amusements de leur loisir, souvent

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    mme les fruits dune tude srieuse, dans le temps que le succs de ce journalntait qu lavantage dun seul homme, quel secours ne dois-je pas attendre duconcours des talents intresss le soutenir? Le Mercure_ nest plus un fondsparticulier: cest un domaine public, dont je ne suis que le cultivateur etlconome.

    ***

    Le Mercure_, au XVIIIesicle, ne reflte pas tout son temps. Sa collection nenreste pas moins, par sa continuit, une source prcieuse dinformations.

    Le XVIIIesicle vit encore natre le Journal de Trvoux rserv des travauxscientifiques, et dans cet ordre des Revues, comme nous dirions aujourdhui, leSpectateur franais de Marivaux, riche de fines observations, le Pour et leContre, o labb Prvost avait appliqu son ide dun crit priodique commeceux qui existaient Londres. Ce titre signifiait que le journalistesexpliquerait sans prendre parti sur rien. Cette feuille dura de1733 1740.Elle est faite de compilations et de traductions. On est l fort loin de ManonLescaut! Ce sont parfois dassez invraisemblables faits divers, commelhistoire du trsor dun navire ayant fait naufrage, trsor qui fut retrouvdune faon bien singulire. On avait dcouvert et sauv toute la cargaison dunavire, sauf la caisse qui contenait de lor et des diamants. Or, un jour, despcheurs de Colchester aperurent, chou sur le rivage, un monstrueux poisson.On savisa, tandis que lagitaient de derniers soubresauts, quun lien leretenait un objet lointain ballott par les flots. On lacheva et on louvrit,et on reconnut quil avait aval le crochet, qui avait pntr jusquau fond deses entrailles, fix une corde. On tira sur la corde, et on amena ainsi fort

    miraculeusement la prcieuse caisse. On croit que le capitaine avait accrochla caisse sa ceinture, en se jetant la mer, et que, ayant t dvor par lepoisson, cet animal goulu stait enferr de lui-mme, en avalant jusquaucrochet.

    Les rflexions sont assez rares. Il en est pourtant a et l qui ne laissent pasque dtre curieuses:

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    Il est fort ordinaire dentendre souhaiter que les bons naturels puissent serencontrer et sunir, surtout dans ltat de mariage; mais ce souhait estcontraire au bien de la socit. Il arriverait de l, par une consquencencessaire, que les mauvais caractres suniraient ainsi et quels dsordres neverrait-on pas natre dune oeuvre si pernicieuse? Au lieu que le mlange, telque la Providence le permet dans toutes les conditions de la vie, sert galementaux uns et aux autres, ceux-ci par les exemples du bien quils devraientsuivre, ceux-l par la vue du mal quils doivent viter!

    ***

    Puis ce sont lAvant. Coureur (1760-1766) et lAnne Littraire de Frron, deFrron si durement excut par Voltaire, en pleine Comdie franaise, dans soncossaise, avec une telle svrit que le malheureux journaliste porte encoredevant la postrit la marque des coups reus ce soir-l et est demeur un peutrop calomni, bien que sa mmoire ne soit pas des plus nettes. (1).

    [(1) La Prface que donnait Frron son Anne littraire commenait ainsi: Lacritique mapparut dernirement en songe, environne dune foule de potes,dorateurs, dhistoriens et de romanciers. Japerus dans une de ses mains unfaisceau de dards, dans lautre quelques branches de lauriers. Son aspect, loindinspirer la crainte, inspirait la confiance aux plus ignors amants dessavantes Soeurs. Ils osaient lenvisager dun oeil fixe et semblaient dfier son

    courroux. La desse indigne faisait pleuvoir sur eux une grle de traits.Quelques crivains dont la modestie rehaussait les talents obtenaient descouronnes; plusieurs recevaient la fois des rcompenses et des chtiments.Cette vision ma fourni lide de ces lettres o lloge et la censure serontgalement dispenss.]

    Il faut arriver lanne 1777 pour rencontrer le premier journal quotidien, le, Journal de Paris, fond sur le modle des gazettes anglaises. Il est piquant

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    de voir, aujourdhui, avec quel scepticisme fut accueillie la nouvelle de sonapparition. On doutait quil pt voir le jour, et le projet paraissaitextravagant.

    *****

    Il est question dune feuille que lon veut composer dans cette capitale, linstar du London Evening Post, qui paratrait tous les jours; ellecontiendrait tout ce qui peut intresser les habitants de cette ville, ainsi queles trangers, et si le prospectus tait rempli, vous nauriez pas besoin de moi bien des gards. On ne croit point quil soit jamais excut, sous le point de

    vue quil prsente. Il y a mme des gens qui parient que ce journal naura pointlieu et sera touff avant sa naissance. Indpendamment de la difficult deremplir le projet par des entraves que la police donnera aux rdacteurs, parcelles quexigeront beaucoup de corps et biens de particuliers de considration,presque tous les autres journaux existants sont intresss empcher lessordun rival qui leur fera tort plus ou moins par son essence, en les gagnanttoujours de primaut. Ce qui fait encore plus douter de la russite du projet,cest que les entrepreneurs ne sont pas des gens dont les entours ou le mritepersonnel soient fort recommandables. Ils paraissent devoir se briser coup srcontre les checs quils prouveront indispensablement (1).

    *****

    [(1) LEspion anglais, tomeIV, p.365-66.]

    Il tait difficile de se tromper plus lourdement sur lavenir du journalquotidien! Celui-ci ttonnait un peu, tout dabord. Ses fondateurs, Corene, LaPlace, Cadet, frre dun membre de lAcadmie des Sciences, et Dussieux, seheurtaient dailleurs des premires difficults, et si incolore que paraisseaujourdhui cette feuille, elle connut tt les rigueurs de la suspension.

    Le Journal de politique et de littrature de Linguet, du bouillant et versatile

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    Linguet, avait t cr en 1777. Le privilge en fut retir deux ans plus tard son rdacteur et demeura dans les mains du prudent La Harpe. Linguet,cependant,continuait, dans lexil, son oeuvre de polmiste dans un autre organe, lesAnnales politiques et littraires, transportait, aprs quelques annes, son journal Paris, tait enferm la Bastille, o il restait deux ans, reprenaitune existence aventureuse qui devait se terminer tragiquement. Il exige, disaitun contemporain en parlant de Linguet, quon croie que tout le bon sens rsidedans sa tte, toute la justice dans son coeur, toute lhonntet dans sesprocds et non seulement il le pense ou semble le penser mais il le dit, il lerpte, il lcrit et le dira, le rptera et lcrira jusqu ce que la parolelui manque ou la plume lui tombe des doigts.

    Avec un Journal des spectacles, et un Journal du commerce, telle tait lapresse, la veille de la Rvolution. Le libraire Panckouke avait fini parrunir presque toutes ces feuilles.

    II

    Mais cette vocation grands traits de la presse ses origines ne serait pascomplte si lon ne parlait pas des nouvellistes et des gazetiers la main.Les premiers journaux, dpendant dun ou plusieurs censeurs, taient loin depouvoir tout dire. Disposant dailleurs de peu de place, ils ne suffisaient pas satisfaire la curiosit de ceux qui voulaient tout connatre. Cest dans lesgazettes la main que naquit vraiment linformation, que naquit aussi 1'cho, bien franais de race. Ces gazettes, gnralement clandestines, furenttantt perscutes, tantt tolres, bien que leur existence officielle ne ft

    pas reconnue. Dans leur premire priode, elles constituaient un recueil denouvelles lusage dun cercle prive. Un gazetier tait un luxe de grandemaison, et ne faisait gure plus figure quune sorte de domestique. Puis desoffices dinformations se constiturent ayant leurs abonns, qui recevaient lesfeuilles manuscrites rgulirement,... moins quil ne ft arriv quelquemalheur au gazetier, quil net t envoy, par exemple, la Bastille. Lesnouvellistes la main comptrent leurs martyrs. Lun des premiers dentre eux,Nicolas Brunel, fut condamn mort, et une estampe conserve la Bibliothquenationale reprsente son supplice. Dautres furent enferms au Mont Saint -

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    Michel, dans une cage de fer. Dautres furent publiquement fouetts, au-dessousdun criteau qui portait cette mention: Gazetier la main. Dautres furentenvoys aux galres, dautres encore furent enrgiments de force dans lestroupes du roi. Les svrits exceptionnelles de Louis XIV contre ce quonappelait les Nouvellistes dEtat nempchrent pas ces interprtes delopinion, plus ou moins bien renseigns, dtre nombreux sous son rgne, justifiant le mot dun de ceux qui, par ses ordres, les avaient traqus sansrelche, quils constituaient un mal sans remde (1).

    [(1) Voir le curieux chapitre sur la rpression des nouvellistes la main dansFigaro et ses devanciers, de M.Funck-Brentano, avec la collaboration de M.PauldEstree, le plus rcent travail, et le plus riche en informations et en

    documents, excellemment mis en. oeuvre, sur lhistoire des Nouvellistes.]

    Les nouvellistes qui ne soccupaient que des menues nouvelles de la villetaient moins exposs aux rigueurs, mais ils couraient dautres risques, commele gazetier Montandr, qui le marquis de Vardes coupa le nez, non parce que cefolliculaire avait parl de sa soeur, mais parce quil nen avait pas bienparl.

    En dpit de tout, les gazetins se multiplirent: nombre de leurs collections,compltes ou non, ont t conserves. Elles forment une source prcieuse derenseignements sur les moeurs et sur les faons de juger et de sentir dunepoque. A ct des journaux, encore si sommaires, elles reprsentent la presse,vive et lgre, touchant tout, souvent avec verve et avec esprit. Lesgazetiers saffinrent, dailleurs, et la concurrence quils se faisaient lesobligeait plus defforts. Il y eut des priodes o le Pouvoir comprit quil

    avait mieux faire que de poursuivre les nouvellistes la main: se servirdeux tait plus habile. Des ministres savisrent davoir ce quon appelleraitaujourdhui leurs agences, qui leur permettaient de tter lopinion. Puis uneraction succda une demi-libert toujours fragile, dailleurs, mais, denouveau, elle fut impuissante djouer les ruses des nouvellistes qui, bien queBictre les menat trouvaient toujours le moyen dcrire et de rpandre leursfeuilles. M.Funck-Brentano, dont les travaux sont dfinitifs sur cette matire,a retrouv les prix dabonnement ces gazetins; il y en avait qui slevaient jusqu six cents livres par an. Le prix moyen tait de douze livres par mois.

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    Il ny avait que les nouvellistes de second ordre, pillant leurs confrres, quilivrassent leurs informations pour trois livres par mois: ctaient les cumeursde la profession. Tel gazetier bien cot, comme Gaultier ou comme Felm, necomptait pas moins de soixante soixante-dix abonns. Ces journalistes davantle journal ne laissaient pas que de faire volontiers leur propre loge et devanter la sret de leurs nouvelles, en assurant quils nen forgeaient point.En 1742, Rambaud, chef dune entreprise de nouvelles, dsesprait de les fairecopier la main pour ses deux cent quatre-vingts abonns, chiffre par lequel,ayant fait des progrs sur ses devanciers, il laissait loin derrire lui sesrivaux, et il imaginait de les faire graver. Le graveur fut arrt au bout depeu de temps.

    Les nouvelles la main forment lhistoire au jour le jour, une histoire quinest pas toujours la vrit absolue, mais elles refltent les motions, lescuriosits, voire les prjugs dun temps. Elles sont ce quon dit ct dece qui scrit officiellement. Elles gardent la trace de ces conversations otait lme de Paris, ou qui faisaient lobjet des runions desnouvellistes-amateurs, au Jardin du Palais Royal, groups sous le fameux arbrede Cracovie. On a publi plusieurs de ces recueils, conservs dans des dptsfranais ou trangers, comme les feuilles de Jean Buvat, concernant lpoque dela Rgence (1), abondantes en renseignements sur le systme de Law ou sur laconspiration de Cellamare comme les Nouvelles de la cour et de la ville de17341738, comme la premire Correspondance secrte.

    [(1) A la date du 4 de juin1717, on lit dans les nouvelles la main de Buvat:On va envoyer Pierre-Encise le jeune avocat, dont on a saisi les papiers quicontiennent des choses effroyables sur les choses les plus saintes et lespersonnes les plus respectables. Il y sera sans encre et papier, et pour le

    reste de ses jours. On a agit si on le chasserait du royaume, mais on a ditque, de l, il crirait contre tout le genre humain, et que ctait une peste,quil fallait le squestrer de la socit civile. On sait que Voltaire nesubit pas de telles rigueurs, et quil se tira du mauvais pas avec onze moisdemprisonnement la Bastille. On lui laissa si bien encre et papier quecest pendant ce sjour la Bastille quil crivit. sa tragdie dOEdipe. ]

    MM.Ravaisson, de Lescure, de Barthlemy, Campardon, se sont particulirement

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    occups de ces crits des nouvellistes. On peut citer, parmi ces fondateurs dureportage, gens bien informs, mais plus ou moins tars, Charles de Juliespcialiste des nouvelles mondaines et du thtre Nicolas Tollot, le chevalierde Mouby, qui eut quelque temps Voltaire pour abonn, - abonn mcontent, ilest vrai. Chevrier, lanant, en 1752, la feuille manuscrite quil intitule leCourrier de Paris (1), devient bientt un enrag pamphltaire, qui se doitrfugier, pour distiller son venin, Bruxelles et en Hollande.

    [(1) Le Courrier de Paris, traqu par la police, avait imagin pour la dpister,de commencer la feuille sur le ton dune lettre adresse un particulier, selonla qualit et les occupations de labonn.]

    Mais voici les grands nouvellistes. Cest Bachaumont, le pre des chos deParis, lami de MmeDoublet, cette curieuse physionomie, cette femme avise,dont lge ne parvint pas teindre la curiosit, dont le nom est associ lhistoire du journalisme, - avant que le journal et droit de vie. Son salon,ont dit les Goncourt, tait le rendez- vous des chos, le cabinet noir o londcachetait les nouvelles. Ple-mle y tombait le XVIIIesicle, heure par heure.un je ne sais quoi sans ordre, une moisson peine brasse de paroles et dechoses. salon envi, confessionnal du XVIIIesicle, o tant desprit sestconfess. Ce salon, on le surnommait la Paroisse, et ses htes, lesparoissiens, formaient une manire de trs vivante acadmie. En 1740,Bachaumont, par dilettantisme plus que par intrt, car ce philosophepicurien tait fort son aise, se plut runir, filtrer, commenter cesnouvelles qui, de tous les cts, aboutissaient chez MmeDoublet. (2)

    [(2) Voici comment il annonait ses nouvelles la main: ce prospectus est un

    document de lhistoire de la Presse: Un crivain connu entreprend de donner,deux fois chaque semaine, une feuille de nouvelles manuscrites. Ce ne sera pointun recueil de petits faits secs et peu intressants, comme les feuilles qui sedbitent depuis quelques annes. Avec les vnements publics que fournit cequon appelle le cours des affaires, on se propose de rapporter toutes lasaventures journalires de Paris et des capitales de lEurope, et dy joindrequelques rflexions sans malignit, nanmoins sans partialit, dans le seuldessein dinstruire et de plaire, par un rcit o la vrit paratra toujoursavec quelques agrment. Un recueil suivi de ces feuilles formera proprement

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    lhistoire de notre temps. Il sera de lintrt de ceux qui les prendront denen laisser tirer de copie personne et den mnager mme le secret, autantpour ne pas les avilir, en les rendant trop communes, que pour ne pas se fairede querelles avec les arbitres de la librairie. A chaque ordinaire, on portera ceux qui voudront prendre. Les Nouvelles a la main devinrent en 1762 lesMmoires secrets. Les Mmoires secrets contenaient une mine si richedinformations sur le XVIIIesicle quils furent recueillis et imprims ds 1788par Chopin de Versey. Ils ont eu, depuis, comme diteurs successifs, Merle,Ravenel, Paul Lacroix, etc.]

    Avec lui, le nouvelliste prenait une tout autre envergure. Bachaumont, pourmalicieux quil ft, tait un galant homme, estim, exerant, au moins

    thoriquement, une charge, nayant pas de besoins dargent, cultiv, ayant faitses preuves dcrivain, de bon connaisseur et de spirituel observateur. Tout cequi se passait tait de son domaine. En traits lgers et mordants, il donnait laformule de la chronique rapide. Nouvelles de la cour, de la ville, du thtre,des lettres, aventures galantes, tout lui tait bon, et il tenait la promessequil avait faite de donner a quelques agrments, ses informations, en y joignant souvent les couplets qui couraient Paris ou les parodies dont le tempstait si friand. Bachaumont, qui, sil nen avait pas t linitiateur, avaitsingulirement perfectionn le genre, mourut en 1771, et vraiment la plume lamain. Son dernier cho tait relatif au scandale de la naissance dun enfantde la duchesse de Durfort, spare de son mari, scandale pour lequel lechroniqueur tait dailleurs assez indulgent, ne retenant que la chanson faite cette occasion.

    Les Mmoires secrets furent continus par Pidansat de Mairobert, qui donna untragique aliment la chronique par un suicide accompli dans des conditions de

    singulire dtermination, et par Moufle dAngerville, qui devait continuer latradition des gazetiers envoys la Bastille.

    Cest, en mme temps, la Correspondance secrte, connue sous le nom deCorrespondance secrte de Metra, bien que Metra y ait t probablementtranger.Ctait lhomme le mieux inform de Paris. Que dit le bonhomme Metra?,demandait parfois Louis XVI. Il tait, quant lui, nouvelliste par

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    dilettantisme, mais des gens aviss ne laissaient pas que de recueillir sesnouvelles et den tirer profit.

    Celui de tous qui fait la figure la plus importante, cest Grimm. Ses abonns lui taient gens de consquence: la plupart taient des souverains (1).

    [(1) Grimm se chargea de la Correspondance littraire en 1753 et la continua jusquen 1790. Eu dehors des souverains, aux libralits desquels il senremettait, expert les provoquer, il avait pour abonns des particuliers, luiversant trois cents livres par an. Cest par eux que la correspondance serpandait dans Paris.

    Sainte-Beuve fait grand cas de Grimm, apprciant particulirement chez lui lemrite dexprimer des jugements qui lui appartiennent en propre, prcdant lesautres. Il conte quil avait quelques prventions contre lui, dabord, et quenen cherchant la cause, il trouva quelle reposait uniquement sur le tmoignagede J.-J.Rousseau dans ses Confessions. Or, ce tmoignage est souvent suspect.Jean-Jacques, toutes les fois que son amour-propre et ses airs de vanit maladesont en jeu, ne se gne en rien pour mentir. - MmedEpinay, avec quelquepartialit, assurment, a trac de Grimm ce portrait: Sa figure est agrablepar un mlange de navet et de finesse, sa physionomie est intressante, sacontenance nglige et nonchalante; son me est ferme, tendre, gnreuse etleve; elle a prcisment la dose de fiert qui fait quon se respecte sanshumilier personne. En parlant mal, personne ne se fait mieux couter; il mesemble quen matire de got, nul na le tact plus dlicat, plus fin ni plussr. Il a un tour de plaisanterie qui lui est propre et ne sied qu lui. Il alart de prsenter ses amis les plus dures vrits avec autant de mnagements

    que de force. Personne nest plus clair sur les intrts des autres ni neconsulte mieux.]

    On sait quel habile homme tait ce natif de Ratisbonne, devenu trs Parisien, etdont Voltaire disait: De quoi savise ce Bohmien davoir plus desprit quenous? Le cadre de cette introduction ne permet pas de parler de son rle dansla socit du XVIIIesicle. Il ne sagit ici que du journaliste. Il ltaitessentiellement; il tait n surtout rdacteur en chef, ayant le flair des

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    collaborateurs utiles, et il eut, en effet, nombre de collaborateurs, dontMmedEpinay, engage avec lui dans une liaison clbre, Diderot, toujoursbouillant dides, toujours prt tmoigner son amiti, qui il demanda sesfameux Salons, son secrtaire Meister. La Correspondance littraire, quonimprima en 1812, cinq ans aprs la mort de Grimm, est devenue un des documentsles plus prcieux de lhistoire du XVIIIesicle, par lindpendance habituellede ses jugements. Net-elle donn que les Salons de Diderot, quellemriterait lestime dans laquelle elle est tenue. Avec son enthousiasmecoutumier, Diderot attribuait ses conversations avec Grimm sa comptence enfait dart: Si jai quelques notions rflchies de la peinture et de lasculpture, crivait-il un jour Grimm, cest vous que je le dois. Quel journal, au sens moderne du mot, et fait lauteur de la Correspondancelittraire, avec son don de bien mettre les hommes leur place et de deviner

    les talents! Attach au duc dOrlans, introduit dans le monde diplomatique, liavec les encyclopdistes, habitu des salons de MmeGeoffrin et du barondHolbach, il tait la source de tout ce qui tait sujet de proccupationsintellectuelles. On disait de lui, en faisant allusion un lger dfaut deconstructions de son visage: Il a le nez tourn, mais toujours du bon ct.

    A ct de ces correspondances (parmi lesquelles on pourrait encore citer cellede La Harpe), il y avait aussi, se rattachant lhistoire de la pressenaissante, les correspondances qui taient des manires de revues, commelEspion anglais, ne sattachant qu un seul objet dactualit, trait avecabondance, tantt pamphlets, tantt commentaires sur un vnement. Et danstoutes ces publications qui simprimaient gnralement en Hollande, ne pouvantprtendre qu une curiosit phmre, ctait dj le ton du journal et savivacit. Le journal tait tout arm et navait plus simproviser au moment ola libert allait lui donner son essor.

    En dpit de priodes de vicissitudes, il allait jouer un rle de plus en plusimportant, en reprsentant une force avec laquelle, en fin de compte, tout doitse mesurer: lOpinion.

    Il devait, dans les heures graves o le salut du pays tait en jeu, tre, luiaussi, un combattant, - se contraignt-il accepter une discipline qui pesait son fougueux temprament, - et, propageant le sentiment du droit, soutenant

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    et stimulant les nergies, exaltant les hrosmes, fltrissant les crimes et lesmanoeuvres de lennemi, apportant des ressources de clairvoyance et de luciditdans loeuvre de la dfense, sattester, plus que jamais, comme un indispensablelment de la vie nationale.

    *****

    LA RVOLUTION

    Avec la Rvolution, le journal, qui na t jusque-l quaux ordres du Pouvoir,

    devient lui-mme une puissance. 1788, dans leffervescence des esprits, estlanne de la brochure, du pamphlet, du mmoire vhment; 1789 est lanne du journal, conqurant sa libert, mme avant le 14juillet. Ds le mois de juin, cesont le Journal des Etats gnraux, de Mirabeau; le Courrier de Versailles Paris, de Gorsas; le Point du jour, de Barre; le Patriote franais, de Brissot.Puis voici, paraissant presque en mme temps, le Journal politique national,auquel collabore Rivarol; le Bulletin de lAssemble nationale, de Maret, - lefutur duc de Bassano; - les Annales patriotiques, de Mercier et Carra; lesRvolutions de Paris, de Prudhomme et Loustalot; lOrateur du Peuple, de Frron,la Gazette nationale, fonde par lclectique Panckoucke; le Journal des Dbatset Dcrets, dont lide appartient Gaultier du Biauzat (le prix delabonnement est de 10livres pour deux mois pour tout le royaume); le Journal dela Socit de 1789, dont Andr Chnier est lun des rdacteurs; la Chronique deParis, o Condorcet exprime ses ides; les Rvolutions de France et de Brabant,de Camille Desmoulins; le Publiciste parisien, de Marat, qui, partir dusixime numro, deviendra lAmi du Peuple, pour prendre ensuite dautres titres,etc. Le Journal gnral de la cour et de la ville, plus connu sous le titre de

    Petit Gaultier, les spirituels Actes des Aptres (cest des aptres de laRvolution quil sagit), la Gazette de Paris, de Rozoy, puis lAmi du Roi, delabb Royou, etc., reprsentent les luttes des royalistes contre les ides quiacquirent chaque jour plus de hardiesse et plus de force. On ne sauraitdnombrer ici ces publications priodiques, dont beaucoup sont phmres etdontles titres sont souvent singuliers: il faut renvoyer aux travauxbibliographiques de M.Maurice Tourneux. Toutes les opinions, toutes lesnuances

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    dopinions, sont reprsentes. Aujourdhui, dit un contemporain, les journalistes exercent le ministre public: ils dnoncent, dcrtent, rglent lextraordinaire, absolvent et condamnent. Tous les jours ils montent latribune, et il est parmi eux des poitrines de Stentors. Les places pour entendrelorateur ne cotent que deux sols. Les journaux pleuvent tous les matins commela manne du ciel, et cinquante feuilles viennent chaque jour clairerlhorizon. Cest un prodigieux mouvement dides. La presse a fait tat de salibert, mme avant la sance du 26aot 1789 o lAssemble nationale ladcrte. Cependant, comme les limites de cette libert ne sont pas encoredtermines, cest la municipalit de Paris qui agit a contre les imprimscalomnieux propres produire une fermentation dangereuse. Le 28septembre,Marat est dnonc au procureur du roi, et ses presses sont saisies. Dans cettepriode, la question des abus commis par la voie de la presse revient souvent,

    est rsolue, peu de jours de distance, dans des sens opposs. On rvoque lesmesures de rigueur, on en rtablit dautres, qui ne sont pas excutes.Cependant, en 1790, Camille Desmoulins et Frron sont poursuivis et dfrs auChtelet. La constitution de 1791 tablit les cas o les poursuites peuvent treexerces: les circonstances donnent aux lois peu daction.

    Aprs le 10aot, la plupart des journaux royalistes disparaissaient, la foispar les mesures prises par le Conseil gnral de la Commune et en raison dumouvement irrsistible de lopinion. Cependant, quelques feuilles tendancesmonarchiques se substituent celles qui ont t supprimes ou ont abandonn lecombat: le Bulletin de Paris ou Feuille du Matin, lAvertisseur, le JournalFranais, de Nicolle de Ladevze. Mais la lutte nest plus, bientt, quentre journaux de la Gironde et journaux de la Montagne. Au Patriote, que dirigeBrissot, au Courrier de Gorsas, la Sentinelle, de Louvet, RU Thermomtre du jour, de Dulaure, aux Annales, de Carra, sopposent les journaux de CamilleDesmoulins, de Marat, de Frron, dHbert.

    Puis, aprs la chute de la Gironde, - qui, elle mme, avait forg les armes parlesquelles elle devait prir, et, notamment, suscit le dcret du 29mars 1793,punissant de mort les crits provoquant la dissolution de la ConventionNationale, - cest entre les vainqueurs de la veille que reprend la guerre.Elle se fait avec des moyens terribles, quenregistre le Bulletin du Tribunalcriminel rvolutionnaire.. Les enrags et les indulgents succomberont tour tour: aprs Hbert et son Pre Duchesne, Camille Desmoulins et son courageux

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    Vieux Cordelier. Le Comit de salut public a sa presse officieuse, la Feuille duSalut public, que rdige Rousselin (cest lui qui sest acharn contre lescomdiens-franais aprs laffaire de Pamla), le Journal universel, dAudouin,le Journal des Hommes libres, de Vatar, lAnti-Fdraliste. Le Moniteur reoitune souscription, avec cette restriction que labonnement cessera aussitt quele Moniteur cesserait dtre compos dans le sens de la rvolutionrpublicaine. Il y a, en lanII, le Courrier de lEgalit, le Rpublicainuniversel, la Montagne, etc., puis ce sont les journaux destins aux armes, laSoire du camp, la rdaction de laquelle veille Carnot, le Bulletin gnraldes armes et de la Convention, le Postillon des armes, etc. Mais, encore unefois, il ne peut sagir ici dune numration qui dpasserait le cadre de cetterapide tude densemble sur un sujet qui prterait tant de dveloppements.

    Du moins peut-on voquer, si sommairement que ce soit, quelques figurescaractristiques, dans les divers camps, ct de celles dont le rlehistorique est le plus connu. Cest, dans la premire priode de la Rvolution,lenthousiaste et gnreux Elise Loustalot, dont il sera question plus loin;cest le pittoresque Cousin Jacques (Abel Beffroy de Reigny), qui salue avecdes transports de belle humeur laurore de la Rvolution dans les Lunes,journal comme on nen a jamais fait, o il se pique de donner des leons degaiet. Les Lunes se transforment en Courrier des Plantes, o le CousinJacques vaticine avec la mme candeur.

    Cest, plus tard, le journaliste royaliste Durozoy, le fondateur de la Gazettede Paris, le premier publiciste payant alors de sa vie ses convictions. Traduiten jugement quelques jours aprs le 10aot, non pour ses crits, la vrit,mais pour ses actes, inculp de participation un complot, Durozoy mourait avecune intrpidit ddaigneuse; cest limptueux, tmraire brouillon,

    compromettant Suleau, rdigeant une feuille intitule le Journal de M.Suleau,capable de toutes les impertinences, de toutes les fanfaronnades, de toutes lesabsurdits, revenu un peu de son royalisme perdu en raison de lingratitude deceux quil a dfendus, mais conspirant encore par habitude et essayant, laveille de lcroulement de la monarchie, de provoquer un soulvement: dans untableau de sa Throigne de Mricourt, M.Paul Hervieu a port la scne sa morttragique aux Tuileries. Cest Gorsas, rsolument patriote dabord, et objet detoutes les railleries des journaux royalistes pour avoir dit, dans son Courrierdes Dpartements, au moment de la fuite de Mesdames, tantes du roi, parties

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    avecdes fonds relativement considrables, que tout ce quelles possdaient tait la nation, et que rien ne leur appartenait, pas mme leurs chemises. Dput la Convention, il combattit violemment la Montagne, fut proscrit avec lesGirondins, chercha provoquer la rsistance en Normandie; des raisonssentimentales le ramenrent Paris o il fut arrt et envoy lchafaud.Cest un autre journaliste girondin, Girey Dupr, le collaborateur dvou deBrissot au Patriote, arrt le 21novembre 1793, il se prsente ironiquementdevant le tribunal rvolutionnaire, ayant dj fait sa toilette de condamn mort, les cheveux coups, le col de la chemise chancr. Dans ses rponses, ilse pique daphorismes lantique; dans la charrette qui le mne laguillotine, il entonne le chant dont Alexandre Dumas devait utiliser le refrain:

    Mourons pour la patrie, Cest le sort le plus beau, le plus digne denvie.

    Plus tard encore, cest ce pauvre diable de Marcandier, vengeur des Girondins,qui imprime lui. mme dans un grenier les onze numros de son Vritable Ami dupeuple, dans le style du Pre Duchesne, mais dans un sens tout contraire. Safemme, exalte comme lui, va, la nuit, afficher au distribuer ces pamphlets.

    Aprs la mort de Robespierre, la raction thermidorienne fait natre une foulede feuilles anti-jacobines, pitinant le parti cras, rdiges avec la dernireviolence, prodiguant les insultes aux morts. Les feuilles satiriques haineusespullulent: lombre du vaincu du 9 thermidor fait encore peur. Frron, lancienterroriste, qui a chang le titre de son Orateur du Peuple en celui dAmi duPeuple, se trouve la tte de cette raction. Le fougueux Martainville, qui se

    livrera tant de palinodies, est le bouffon enrag du particontre-rvolutionnaire. Dans lAccusateur public, Richer-Serizy attaqueperdument, avec une verve furieuse, tous les hommes de la Rvolution. Des journaux royalistes apparaissent: les Nouvelles politiques, la Quotidienne, oSuard, qui a refus asile Condorcet, son ami, se montre brave, prsent quilny a plus de danger. Le Petit Gautier reprend sa mordante publication, imitpar la Petite Poste. Le Directoire est cribl de railleries. Hoffmann, qui seralun des rdacteurs du Journal des Dbats, fonde le Menteur, journal parexcellence qui, en affectant de les louer, tourne en drision les actes du

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    gouvernement. Le Th, de Bertin dAntilly, apporte sa note narquoise. Les journaux-pamphlets se multiplient; le jury, dailleurs, acquitte les journalistes qui lui sont dfrs. Les journaux rpublicains, le Dfenseur de laPatrie, le Tlgraphe, le Journal universel, le Courrier de Paris, le Rdacteur,sont submergs par le flot des feuilles dopposition. Les opinions moyennes ontpour organes le Journal de Paris, le Journal de Perlet (qui nest pas encore lepolicier Perlet), le Journal du soir; la Dcade philosophique, politique etlittraire se tient en quilibre au milieu des partis; le Journal des Dbats etDcrets se borne encore au rle denregistreur des dlibrations des Conseils;le Moniteur, qui a toujours t de lopinion du Pouvoir, garde ses habitudes;Gracchus Babeuf, dans le Tribun du Peuple (voir plus loin), expose avecvhmence ses thories sociales. Une figure singulire, entre autres, dans cettepresse du Directoire: Poultier, rdacteur de lAmi des Lois_, membre du Conseil

    des Cinq-Cents, qui, jadis, a t successivement bndictin, militaire, chanteur lOpra.

    Mais le coup dEtat du 18 fructidor anV impose silence, par des mesuresrigoureuses, la violence des journaux, implique leurs rdacteurs dans uneconspiration contre la sret de la Rpublique. Ces mesures ne dsarment pasentirement la presse, cependant. Malgr les scells mis sur leurs presses, lesfrres Bertin, notamment, continuent, par un artifice ingnieux, faireparatre leur journal, lEclair. Deux ans plus tard, cest la proscription,cest la dportation lle dOlron des journalistes qui pervertissentlopinion.

    En dix annes, par quelles phases diverses a pass la presse!

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    MIRABEAU

    (1749-1791)

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    Mirabeau fut le premier dput-journaliste. Bien que, dans sa vie si agite, ilsoit impossible disoler, en quelque sorte, un des aspects de cette orageusephysionomie, il ne saurait tre question ici que de laction de Mirabeau dans lapresse. - En 1787, il avait propos au ministre des affaires trangres, M.deMontmorin, de crer un journal qui serait une analyse fidle, mais dcente,nerveuse, mais adroite, des papiers- nouvelles anglais. Cette feuille parut de1787 novembre1789. Enlevant dassaut la libert de la presse, Mirabeau fondaiten mai le Journal des Etats gnraux, dont un arrt du conseil interdisaitbientt la circulation. Il ludait cette dfense en appelant ce journal Lettresde Mirabeau ses commettants. Sous cette forme, cette publication se poursuivit jusquau 6juillet 1789, o elle prit le nom de Courrier de Provence paraissanttrois fois par semaine.

    Mirabeau eut comme collaborateurs au Courrier de Provence Dumont, Duroveray,lun et lautre de Genve, qui prirent part, plus dune fois, la prparationde ses discours (Dumont a crit des souvenirs sur Mirabeau), puis Mejan,Chamfort Reybaz.

    En fvrier1790, Mirabeau abandonna la direction du Courrier de Provence quitait, selon lexpression dEdmond Rousse, le journal et la chronique delui-mme, Clavire, le futur ministre des finances de 1792. Celui-ci devait,lanne suivante, aprs son arrestation, se tuer dans sa prison.

    Mirabeau avait pressenti la puissance du journal: il lprouva, et lpigraphequil avait donne au sien, Novus rerum nascitur ordo, tait vraimentprophtique.

    Dans le premier numro du Journal des Etats gnraux, il stait lev contreltiquette suranne qui avait prsid la runion des Etats, contre ladistinction des costumes imposs aux trois ordres. Dans la premire Lettre auxcommettants, il protestait nergiquement contre la mesure qui avait atteint son journal. Le ton de cette protestation est violent. Ctait, cependant, le momento il crivait ailleurs: Le meilleur moyen de faire avorter la rvolution estde trop demander. Il est certain que la nation nest pas mre. La Rvolution adpass notre aptitude et notre instruction; je me conduis en consquence.

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    LA LIBERT DELA PRESSE

    Il est donc vrai que, loin daffranchir la nation, on ne cherche qu river sesfers! que cest en face de la nation assemble quon ose produire ces dcretsauliques o lon attente ses droits les plus sacrs et que, joignant linsulte la drision, on a lincroyable impritie de lui faire envisager cet acte dedespotisme et diniquit comme un provisoire utile ses intrts. Il est

    heureux quon ne puisse imputer au monarque ces prescriptions que lescirconstances rendent encore plus criminelles. Personne nignore aujourdhui queles arrts du conseil sont des faux ternels, o les ministres se permettentdapposer le nom du roi: on ne prend mme pas la peine de dguiser cette trangemalversation, tant il est vrai que nous en sommes au point o les formes lesplus despotiques marchent aussi rondement quune administration lgale!

    Vingt-cinq millions de voix rclament la libert de la presse; la nation et leroi demandent unanimement le concours de toutes les lumires. Eh bien! cestalors quon nous prsente un veto ministriel; cest alors quaprs nous avoirleurrs dune tolrance illusoire et perfide, un ministre soi-disant populaireose effrontment mettre le scell sur nos penses, privilgier le trafic dumensonge et traiter comme un objet de contrebande lindispensable exportationdela vrit!

    Quels sont les papiers publics que lon autorise? Tous ceux avec lesquels on seflatte dgarer lopinion: coupables lorsquils parlent, plus coupableslorsquils se taisent, on sait que tout en eux est leffet de la complaisance laplus servile et la plus criminelle. Sil tait ncessaire de citer des faits, jene serais embarrass que du choix.

    Jai regard, messieurs, comme le devoir essentiel de lhonorable mission dont

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    vous mavez charg celui de vous prmunir contre ces coupables manoeuvres: ondoit voir que leur rgne est fini, quil est temps de prendre une autre allure;ou, sil est vrai que lon nait assembl la nation que pour consommer avec plusde facilit le crime de sa mort politique et morale, que ce ne soit pas, dumoins en affectant de vouloir le rgnrer! que la tyrannie se montre avecfranchise, et nous verrons alors si nous devons nous raidir ou nous envelopperla tte!

    ( Lettres du comte de Mirabeau ses commettants, 10mai 1789.)

    ***

    Par contre, les apprciations qui suivent la sance du 23juin 1789, o Mirabeaupronona les paroles auxquelles la lgende a donn cette forme dfinitive:Allez dire ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volontnationale, et que nous nen sortirons que par la puissance des baonnettes, cesapprciations sont dun ton mesur et rflchi:

    *****

    La journe du 23juin a fait sur ce peuple inquiet et malheureux une impressiondont je crains les suites. O les reprsentants de la Nation nont vu quuneerreur de lautorit, le peuple a cru voir un dessein formel dattaquer leursdroits et leurs pouvoirs. Il na pas encore eu loccasion de connatre toute lafermet de ses mandataires Sa confiance en eux na point encore des racines

    assez profondes. Qui ne sait, dailleurs, comment les alarmes se propagent,comment la vrit mme, dnature par les craintes exagres, par les chosdune grande ville, empoisonne par suite des passions, peut occasionner unefermentation violente qui, dans les circonstances actuelles et la crise de lamisre publique, serait une calamit ajoute une calamit! Le mouvement deVersailles et bientt le mouvement de Paris, lagitation de la capitale, secommunique aux provinces voisines, et chaque commotion, stendant uncercleplus vaste de proche en proche, produit enfin une agitation universelle. Telle

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    est limage faible, mais vraie, des mouvements populaires, et je nai pas besoinde prouver que les derniers vnements, dnaturs par la crainte, interprtspar la dfiance, accompagns de toutes les rumeurs publiques, risquent dgarerlimagination du peuple dj prpare aux impressions sinistres par unesituation vraiment dtestable.

    Quand on se rappelle les dsastres occasionns dans la capitale par une causeinfiniment disproportionne ses suites cruelles, tant de scnes o le sang descitoyens a coul par le fer des soldats et le glaive des bourreaux, on sent lancessit de prvenir de nouveaux excs de frnsie et de vengeance, car lesagitations, les tumultes, les excs, ne servent que les ennemis de la libert.Je considre tous les bons effets dune marche ferme, sage et tranquille: cest

    par elle seule quon peut se rendre les vnements favorables, quon profite desfautes de ses adversaires pour le triomphe du bon droit; au lieu que, jetspeut-tre hors de mesures sages, les reprsentants de la nation ne seraient plusles matres de leurs mouvements; ils verraient dun jour lautre les progrsdun mal quils ne pourraient plus arrter, et ils seraient rduits au plusgrand des malheurs, celui de navoir plus que le choix des fautes.

    Les dlgus de la nation ont pour eux la souveraine des vnements: lancessit, qui les pousse au but salutaire quils se sont propos; ellesoumettra tout par sa propre force, mais sa force est dans sa raison. Rien nelui est plus tranger que les tumultes., les cris du dsordre, les agitationssans objet et sans rgle. La raison veut vaincre par ses propres armes; tous cesauxiliaires sditieux sont ses plus grands ennemis. A qui, dans ce moment,convient-il mieux quaux dputs de France dclairer, de calmer, de sauver lepeuple des excs que pourrait produire livresse dun zle furieux?

    ( Quatorzime lettre de Mirabeau ses commettants.)

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    LYSE LOUSTALOT

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    (1761-1790)

    Cest laurore de la Rvolution qui svoque avec ce jeune homme ardent, probe,dsintress, mort vingt-neuf ans, que Manuel appelait l Evangliste et quifut, en effet, un de ceux qui dfendirent avec le plus denthousiasme les idesnouvelles. Il fut le rdacteur principal des Rvolutions de Paris, le journalque fit paratre Prudhommc trois jours aprs la prise de la Bastille, et quifut, pendant la premire priode de sa publication, la feuille la plus rpandueet la plus lue. Lexistence de Loustalot fut courte, mais les deux derniresannes de sa vie furent singulirement remplies. La brusque disparition de cevaillant combattant de la presse, dont les clubs des Jacobins et des Cordeliers

    portrent le deuil pendant trois jours, donna naissance la lgende dunempoisonnement, aujourdhui controverse. Avec Loustalot, cest le temps detoutes les gnreuses illusions. Cest ainsi que dans le No XXIV des Rvolutionsil se dclarait le partisan de la suppression de la peine de mort.

    *****

    CONTRE LA PEINE DE MORT

    ... Quoi donc! tous les jugements mort qui ont t rendus ne sont que desassassinats judiciaires? Prcisment, et de plus, ils ne sont excuss ni par lancessit ni par lutilit.

    La peine de mort est ncessaire, dit-on, pour empcher le malfaiteur dercidiver. Eh! garrottez-le, faites-en un esclave de peine, rendez-le bon quelque chose! Quoi! vingt- quatre millions de citoyens nont pas une assezgrande force publique pour mettre quelques centaines de malfaiteurs hors dtatde rcidiver! Comment fait limpratrice de Russie, comment fait Josephlui-mme, ce Joseph dont le nom nest prononc dans ce moment quavechorreur?Il a aboli la peine de mort. Ah! que de travaux publics qui crasent, quiavilissent le citoyen, et auxquels on ne devrait employer que les malfaiteurs!

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    Leur mort est utile, parfois, pour effrayer les mchants et les contenir dans laterreur? Quiconque a vu une excution et est entr dans un bagne sent bien levide de cette objection et toute la justesse de cette ide de Beccaria: Lefrein le plus propre arrter les crimes nest pas tant le spectacle terribleet momentan de la mort dun sclrat que le spectacle continuel dun hommepriv de sa libert, transform, en quelque sorte, en bte de somme etrestituant la socit par un travail pnible le dommage quil lui a fait.

    Dans notre affreuse pratique, la peine de mort ne punissait vraiment pas lecriminel; elle le retranchait seulement du nombre des vivants. Il napprenait

    jamais son jugement quune heure avant lexcution. Il tait alors livr auxexhortations dun prtre, et quelques minutes de souffrance lui enlevaientbientt la facult de rflchir sur lnormit de son crime. Je parle du plusordinaire des supplices, car je ne veux pas savoir, pour lhonneur de la France,quelle en emploie quelques-uns o lart de prolonger la vie et les douleurssexerce par une atroce habilet, digne des plus cruels cannibales.

    Si la peine de mort nest ni utile pour effrayer les mchants, ni ncessairepour mettre le coupable hors dtat de rcidiver, si la servitude de peineremplit parfaitement, au contraire, lun et lautre objet, la nation franaisesavancera sans doute jusquaux rangs des nations humaines en abolissant cesupplice. La Dclaration des Droits dit: La loi ne doit tablir que des peinesstrictement et videmment ncessaires. Or, il est vident que la peine de mortnest pas ncessaire et que, dans un gouvernement qui a de grandes forces, devastes moyens, cest une lchet de la part de ceux qui gouvernent que dy avoirrecours.

    Il y a une considration contre la peine de mort, dont je suis tonn que lonnait pas t frapp. La vie nest pas un bienfait de la socit, mais de lanature. On dit que la socit nous la conserve: cest une supposition toutegratuite, car qui peut savoir si, dans lordre naturel, ma vie et t attaque,si je ne leusse pas dfendue et si je neusse pas t le plus fort? La vienest donc, sous aucun point de vue, un bienfait de la socit. Or, peut- elleter par une peine plus quelle na donn, et tout son pouvoir ne doit-il pas se

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    borner priver celui qui enfreint le pacte social des avantages qui enrsultent? La privation absolue de la libert est donc le dernier terme dupouvoir souverain en matire pnale.

    Il est injuste, dailleurs, demployer comme peine un moyen que la socit nepeut faire cesser, en cas derreur, lorsquune fois elle la mis en usage. Lasocit ntant compose que dhommes, les hommes tant tous sujets lerreur,il peut arriver, par mille causes diffrentes, que lhomme le plus innocentparaisse le plus videmment coupable; et lorsque lerreur ou la mchancet destmoins ou des juges lui a fait perdre la vie, toutes les nationssassembleraient vainement pour la lui rendre. Si la socit net pas employdes peines hors de sa porte, Calas vivrait encore; et, ne lui resta-t-il quune

    heure vivre, le plaisir dtre reconnu innocent, la joie de revoir sa famille,les bndictions de tout un peuple, lui feraient oublier une injuste servitudeet de longues souffrances.

    ( Les Rvolutions de Paris, du 19 au 26 dc. 1789.)

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    CONDORCET (1743-1794)

    On sait le portrait trac par Mllede Lespinasse du cher et bon Condorcet,comme elle disait. Elle louait en lui cette simplicit parfaite qui ne parat jamais souponner ltonnement quo causent ltendue et la supriorit de son

    esprit ce calme de lhomme pour tout ce qui nintresse que lui, tandis quilest tout mouvement, tout activit, ds que le malheur ou lamiti rclament sonsecours, cet amour vrai de lhumanit qui le dispose y sacrifier ses facultset mme sa gloire; son indiffrence pour toute injustice personnelle, tandisqu la moindre injustice, il montre une nergie que la douceur naturelle de soncaractre ne ferait pas supposer... Longtemps avant la Rvolution, il avaitannonc, montr enseign tout ce quavait faire la France nouvelle pour sargnration, et il avait dj livr de grandes batailles dides. Nul navaitt, plus que lui, pntr de lesprit de rforme: dans ses crits

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    MES PRINCIPES

    Puisque vous croyez pouvoir accorder quelquefois mes rflexions une placedansvos feuilles, jai pens quun tableau simple de mes principes les mettrait plus porte dapprcier mes opinions particulires.

    Je crois lespce humaine indfiniment perfectible, et quainsi elle doit fairevers la paix, la libert et lgalit, cest--dire vers le bonheur et la vertu,des progrs dont il est impossible de fixer le terme.

    Je crois aussi que ces progrs doivent tre louvrage de la raison, fortifiepar la mditation, appuye par lexprience.

    Daprs mes principes, ma philosophie doit tre froide et patiente.

    Je dois tre beaucoup moins effray des bruits de conspiration que des mauvaissystmes qui peuvent retarder plus longtemps le progrs des lumires.

    Je dois tre plus ennemi des fausses opinions, lorsquelles sont nouvelles,lorsquelles flattent lesprit du moment, que des vieux prjugs, dont la ruineest infaillible et qui npouvantent plus que par la masse de leurs dbris.

    Comme, suivant cette manire de voir le droit et la justice doivent tre lesseuls principes de toute opration politique, je paratrai tantt porter lexcs lamour de lgalit et aspirer une perfection chimrique, et tantt je ne serai quun citoyen tide et presque protecteur des abus.

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    Je ne dirai pas tout est bien mais tout sera bien et, par l, je dplairaiaux deux partis.

    Les prjugs ont reu, depuis un an, de si violentes secousses que, pour fairede grands progrs vers le bien, il suffit de laisser la raison humaine, un peutrop agite, le temps de reprendre quelque calme.

    Tous nos maux actuels disparatraient bientt devant elle, et, alors, dans tousles partis (sil en reste encore quelques traces), tous diront que les dsordres

    de la Fronde ont t bien plus cruels et nont valu la France que cent ans dedespotisme.

    ( La Bouche de fer, 1790.)

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    RIVAROL

    Un dilettantisme aristocratique caractrise dabord Rivarol. Dans le Journalpolitique national il philosophe plus quil ne polmique, et, avant de sedcider tout fait pour la cause royaliste, il a louvoy quelque temps. Unefois son parti pris, il npargne gure plus, dailleurs, ses amis que ses

    ennemis: Lorsquon veut empcher une rvolution, crit-il, il faut la vouloiret la faire soigner: elle tait trop ncessaire en France pour ne pas treinvitable. Lui qui a tant desprit, il garde, mme en dfendant les idesmonarchiques une hautaine indpendance - ft-ce lgard de ses lecteurs:Quelques- uns de ces lecteurs se sont plaints du style de nos rsums; ilsprtendent que cette manire dcrire donne trop penser, et quil nexistepoint de journal o lon ait si peu dgards pour eux. Nous les avertissons quenous ferons rarement le sacrifice de notre manire. Dailleurs, si nousdescendions toujours, pour leur pargner la peine de monter, nous laisserions la

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    bonne compagnie qui nous suit depuis lontemps, et qui est plus aise vivrequon ne pense, puisquelle nexige pas quon spare les gards qui lui sont dusde ceux quon doit la langue, au got, au vritable ton et la majest delhistoire. Il se dfinit ainsi lui-mme parfaitement: il pense tre toujoursdans les salons, o il tait un merveilleux causeur, disant des choses srieusesavec une grce frivole, levant les choses frivoles jusqu en dgager de lapense, ayant sur tout des opinions originales salu la ronde chaque coupde griffe, incisif au point de se moquer de lui aussi, aprs son mariagemalheureux avec une aventurire quil avait faite aussi facilement grande damequil stait cr lui-mme grand seigneur, en dpit de son humble origine: Jemtais avis de mdire de lamour: il ma envoy lhymen pour se venger.

    Le journaliste, en Rivarol, sera le mieux reprsent par les traits et par lesmaximes parfois contradictoires o se retrouve le grand matre de la causerie.

    *****

    - Le peuple donne sa faveur, jamais sa confiance.

    - Les droits sont des proprits appuyes sur la puissance: si la puissancetombe, les droits tombent aussi.

    - Le gnie, en politique, consiste, non crer, mais conserver; non changer, mais fixer. Ce nest pas la meilleure loi, mais la plus fixe, qui est

    la bonne.

    - Il en est de la personne des rois comme des statues des dieux: les premierscoups portent sur le dieu mme; les derniers ne tombent plus que sur un marbredfigur.

    - Limprimerie est lartillerie de la pense.

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    - Voltaire a dit: Plus les hommes seront clairs, et plus ils seront libres.Ses successeurs ont dit au peuple que plus ils seront libres, plus ils serontclairs, ce qui a tout perdu.

    - Malheur ceux qui remuent le fond dune nation.

    - La philosophie tant le fruit dune longue mditation et le rsultat de lavie entire, ne peut, ne doit jamais tre prsente au peuple, qui est toujoursau dbut de la Vie.

    - Quand Neptune veut calmer les temptes, ce nest pas aux flots, mais auxvents quil sadresse.

    - Les vices de tous ont commenc la Rvolution; les vices du peuplelachveront.

    - Il faut attaquer lopinion avec les armes de la raison: on ne tire pas descoups de fusil aux ides.

    - La religion unit les hommes dans les mmes dogmes, la politique les unit dansles mmes principes, et la philosophie les resserre dans les lois; cest ledissolvant de la socit.

    - Les souverains ne doivent jamais oublier que les crivains peuvent recruterparmi les soldats, et quun gnral ne peut recruter parmi les lecteurs.

    - Le peuple est un souverain qui ne demande qu manger: Sa Majest esttranquille quand elle digre.

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    - Les nobles daujourdhui ne sont plus que les mnes de leurs anctres

    - La populace de Paris et celle des autres villes du royaume ont encore biendes crimes commettre avant dgaler les sottises de la cour et des grands.

    - Il nest point de sicles de lumire pour la populace. La populace est,toujours et en tout pays, la mme: toujours cannibale, toujours anthropophage.

    - Lamiti entre le monarque et le sujet doit toujours trembler, comme cette

    nymphe de la Fable, que Jupiter ne soublie un jour, et ne lui apparaisseenvironn de foudres et dclairs.

    - Le crdit est la seule aumne quon puisse faire un homme dEtat

    - La postrit aura peine croire tout ce qua fait le gouvernement et tout cequil na pas fait. Il y a eu comme un concert de btises dans le conseil

    - Quand les peuples cessent destimer, ils cessent dobir.

    - Rgle gnrale: les nations que les rois assemblent et consultent commencentpar des voeux et finissent par des volonts.

    - Quand M.de Calonne assembla les Notables il dcouvrit aux yeux du peuple cequil ne faut jamais leur rvler: le dfaut de lumires plus encore que ledfaut dargent.

    - Les maximes actuelles ne tendent qu dtruire. Elles ont dj ruin lesriches sans enrichir les pauvres, et, au lieu de lgalit des biens, nousnavons encore que lgalit des misres et des maux.

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    - Ceux qui excutent une rvolution et ceux mmes qui en sont les simplestmoins voudraient quon partaget leur effervescence et quon justifit desexcs; mais nous avons cru devoir crire ce qui se passe sous nos yeux commevoudra le lire la gnration suivante.

    - Dans les rois, la bont ne convient qu la puissance. Un roi honnte hommeet qui nest que cela est un pauvre homme de roi.

    ***

    LES ACTES DES APOTRES

    ***

    Mais, selon lexpression de Rivarol lui-mme, tous les grands coups ont tfrapps. La Rvolution ne peut plus tre endigue. Alors, Rivarol abandonne leton philosophique quil a gard dans le Journal politique national. LaRvolution, il la combat avec dautres armes avec des flches acres - etsouvent empoisonnes - par la raillerie, en cherchant la ridiculiser. Et ilest au premier rang des tirailleurs des -Actes de, Aptres-. Les Actes de,Aptres, a dit M.de Lescure, lhistorien de Rivarol, cest la Rvolution mise envaudeville, la raction en ponts-neufs. Cest lentreprise insense, courageuse,frivole, puissante, banale, originale, insolente, strile, de gens prts tout

    sacrifier un bon mot. Cest une Fronde contre-rvolutionnaire, une carnavaladepolitique. Cest la parade de lchafaud, joue par des suspects en bellehumeur; cest un pique-nique de mdisances, une dbauche de satire, une orgiedepersonnalits. Cest Tacite avec des grelots, Montesquieu avec une marotte oudeMaistre brouill avec du Beaumarchais, du Voltaire mtin de Vad. Cest lapolitique coups de poing, la philosophie coups de sifflet. Cest unecarmagnole de sans-culottes talon rouge, un club daristocrate grasseyant la

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    langue des faubourgs. Rivarol se rencontre l avec Champcemetz, son clair delune, Peltier, Montlosier, Suleau, qui expiera, massacr, sur la terrasse desFeuillants, ses attaques contre Throigne de Mricourt, Langnon, Mirabeaucadet,etc. Dailleurs, Rivarol se dcide migrer et quitter Paris le 10juin 1792.

    Ce que fut cette guerre de plume des Actes des Aptres (1789-1791), par lesmousquetaires de la contre-rvolution, on ne peut ici en donner quune idesommaire par quelques citations de ces chos mordants. Ce sont des parodiescomme celle du songe dAthalie:

    Oui, je viens dans un temple adorer Mirabeau.

    de prtendues copies dactes officiels, ou dimaginaires comptes rendus dessances de lAssemble, dans ce got:

    *****

    UN ENNEMI DE LA RVOLUTION. - Messieurs, on pille, on brle, on assassine.

    RPONSE. - La question pralable!

    M.DE ROBESPIERRE. - Ces accidents ne proviennent que dune mprise.

    LE CT DROIT. - Messieurs, mettez fin tant dhorreurs. En Bourgogne, enLimousin, en Prigord, on brle les chteaux...

    M.DE ROBESPIERRE. - Ce sont les aristocrates qui garent ce bon peuple.

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    Ou ce sont des dialogues des morts et des vivants, ou des couplets narquois.

    ***

    Depuis longtemps nous gmissions Sous un joug despotique, Et point alors neconnaissions lesprit patriotique. Mais tout a bien chang de ton, Lafaridondaine, la faridondon! Nous sommes libres aujourdhui, Biribi, A la faonde Barbari, Mon ami.

    Nos aeux, avec leur bon sens, taient bien en arrire. Leurs neveux pas degants Marchent dans la carrire. Plus dhommes, de religion, La faridondaine,la faridondon. Lintrt rgle tout ici, Biribi, A la faon de Barbari, Monami...

    Les couplets abondent, sur tous les timbres du temps:

    Plus de nobles, ni clerg, Ni magistrature. Partout est lgalit, La purenature! Va-ten voir sils viennent, Jean, Va-t-en voir sils viennent.

    Au lieu dargent monnay Dont le poids assomme, On nous donne du papier Quivaudra tout comme... Va-ten voir sils viennent, Jean, Va-ten voir sils

    viennent.

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    La guillotine elle-mme a t raille, sur lair du Menuet dExaudet:

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    Ils nont vu, ces pauvres garons, Le feu que devant leurs tisons, Et vont surla frontire. Ah! quils vont croquer dmigrants! Car ils sont gens, car ilssont fou... Oui, gens foudres-de-guerre.

    Des railleries allant jusqu cette aberration indiquent expressivement ltatdesprit contre-rvolutionnaire.

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    CAMILLE DESMOULINS

    (1760-1794)

    Voil donc la rcompense destine au premier aptre de la libert! scriaitCamille Desmoulins sur lchafaud, voquant cette journe du 12juillet 1789 o,dans le jardin du Palais-Royal, invitant les citoyens prendre des feuillesdarbres, cocardes vertes, couleur de lesprance, il appelait le peuple auxarmes. Ctait, dans son premier pamphlet, la France libre, la fivre delenthousiasme pour lre nouvelle qui souvrait: Il y a peu dannes,crivait-il, je cherchais partout des mes rpublicaines, je me dsesprais dentre pas n Grec ou Romain.. Mais cest prsent que les trangers vontregretter de ntre pas Franais. Fiat, fiat! Oui, tout ce bien va soprer,oui, cette rvolution fortune, cette rgnration va saccomplir, sublime effetde la philosophie, de la libert et du patriotisme! - Puis, cest le Discoursde la Lanterne aux Parisiens, o se donne carrire toute la fougue du

    journaliste-n quest Camille Desmoulins, exaltant ce qui sest dj accompli degrandiose, exposant la vaste tche qui soffre encore pour touffer tous lesgermes de laristocratie. Cest de la Lanterne, que lexaspration populairetransforme en potence, quil sagit: Quand on ne fait pas justice au peuple, ilse la fait lui-mme. Cependant, cette Lanterne laquelle Camille Desmoulinsprte la parole, si elle reconnat que bien des sclrats lui ont chappdclare quelle naura point une justice trop expditive et quelle veutpralablement un interrogatoire et la rvlation de nombre de faits.

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    Le 28novembre 1789, Camille Desmoulins fait paratre les Rvolutions de Franceet de Brabant, journal hebdomadaire, sorte de brlot, plutt, qui se poursuivra jusquau 24juillet 1791. L se rpand abondamment la verve, lesprit incisif,ml de gaminerie, parfois, lloquence chaleureuse de Camille, qui, en ses jugements htifs, en ses contradictions, en sa mobilit mme, reprsente plusque tout autre, pendant deux ans, lopinion de Paris. Lme de Paris bat, eneffet, dans ces feuilles violentes, frondeuses, gnreuses aussi. De sesvariations, Camille Desmoulins se dfendait par un mot spirituel: Ce nest pasla girouette qui change: cest le vent. Le polmiste est merveilleux etredoutable. En 1791, Marat, qui la appel le Paillasse de la libert, estlobjet dune blouissante riposte. Marat