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  • Claude Fohlen

    Bourgeoisie franaise, libert conomique et intervention del'EtatIn: Revue conomique. Volume 7, n3, 1956. pp. 414-428.

    AbstractSummary It is often said that France had liberal economic regime in the 19th century In fact tilis liberalism is quite relative Stateintervention first came into play when it established protectionist policy that the Frendi middle class hay not ceased to demandLiberalism means that workers are forbidden to group or to organize themselves in the form of coalitions and strikes butemployers associations are tolerated The term liberalism was used to disguise tlie main worry of the ruling classes themaintenance of their profit State intervention is always requested when profit is in danger

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    Fohlen Claude. Bourgeoisie franaise, libert conomique et intervention de l'Etat. In: Revue conomique. Volume 7, n3, 1956.pp. 414-428.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1956_num_7_3_407176

  • BOURGEOISIE FRAN AISE LIBERTE ECONOMIQUE

    ET INTERVENTION DE ETAT

    Libert individualisme non-intervention de Etat dans les affaires conomiques voil des mots ou des expressions qui reviennent trs souvent dans les discours crits ou exposs de motifs durant tout le xixe sicle Constamment les hommes politiques ou affaires se rclament du laisser faire laisser-passer pour refuser ou repousser ingrence du gouverne ment dans les questions conomiques est ainsi que est dvelopp ce lieu commun trs abondamment rpandu et diffus avec complaisance un libralisme fran ais un rgime qui assurant chaque citoyen des chances gales lui permet une russite gale

    Le prjug libral pouvait il est vrai se rclamer de toute une lgis lation rvolutionnaire et post-rvolutionnaire qui va servir de fond activit conomique et aux cadres sociaux Individualisme et libert pas sent de tat thorique tat juridique est en leur nom que sont supprims les cadres corporatifs en 1790 que sont interdites en 1791 coa litions et associations En leur nom aussi sont leves les diverses entraves qui gnaient la production ou les changes intrieur du pays ou emp chaient le plein panouissement de individu esprit de ces mesures est pass dans les divers codes napoloniens Code civil Code pnal surtout Code du commerce qui va servir de cadre conomique la France librale Peut-on caractriser esprit de cette lgislation Elle interdit tout inter mdiaire entre individu et Etat le premier devant dfendre lui-mme ses intrts sans appuyer sur un groupement Elle condamne les travail leurs une situation infrieure aux yeux de leurs patrons et de la loi Elle se dene des socits trop puissantes mises en tutelle Sous prtexte individualisme on en arrive au sectionnement social et conomique

    Mais les rvolutionnaires ont pas voulu aller au bout de leurs ides la fois pour des raisons de principe et opportunisme comme le

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 415

    prouve leur politique douanire de tradition mcrcantiliste Raisons de principe si Etat ne doit pas au moins en thorie intervenir dans la vie conomique il doit cependant garantir aux entrepreneurs la stabilit du profit Raisons opportunisme le trait de commerce franco-anglais de 1786 laiss de mauvais souvenirs aux hommes aif aires des villes industrielles plus particulirement textiles De l une srie de mesures rtablissant la protection douanire et maintenant le rgime du pacce colo nial Les Constituants votent en 1791 un tarif protecteur souvent lev et comportant des prohibitions pour 34 articles Un dcret de la Convention annule les traits de commerce dj conclus Quant au rgime colonial les ngociants et armateurs des ports joints aux propritaires outre-mer ont russi obtenir un rgime prfrentiel qui les protgeait de toute concurrence Les principes de protection et de prohibition une fois admis ces mesures ne cessrent de se renforcer la loi du floral an VII nouvelle charte du commerce L aussi Empire ne fit que confirmer uvre dj ralise avec cet argument supplmentaire que furent les ncessits de la guerre commerciale contre Angleterre Le tarif de 1806 satisfit les intrts mercantiles et industriels au point que ses lignes essentielles furent reprises en 1816 un moment o la guerre ne pouvait plus fournir de prtexte tablissement de droits protecteurs ou prohibitifs

    Ds ses origines la notion de libert conomique implique donc une contradiction la bourgeoisie se rclame de cette libert cluand elle lui profite et alors elle en fait une arme contre ses adversaires les masses populaires inorganises et donc inoiensives cette mme bourgeoisie fait table rase de cette mme libert lorsque ses intrts sont en jeu et que la non-intervention de Etat met en pril le profit Cette conception toute subjective de la libert conomique va imposer de plus en plus tout au oni du xixe sie it

    Maintien du profit abord une constante de politique conomique se dgage la garantie de la protection douanire La dfense du travail national parat une ncessit dans un Etat que risque de menacer la concurrence une industrie anglaise plus puissante et plus ectionne que la ntre Filateurs et tisseurs matres de forges et mtallurgistes redou tent entre des fabrications outre-Manche est-ce pas oublier il

  • 416 REVUE CONOMIQUE

    est autres intrts conomiques qui vivent de exportation les soyeux de Lyon et les Chartrons bordelais Peu importe le premier groupe est le plus influent et de plus ses intrts rejoignent ceux de Etat et de la majorit des contribuables les taxes douanires sont les plus faciles percevoir dchargent Etat de tablissement un impt direct librent les contribuables du contrle fiscal oublions pas en effet que les Anglais ont pay de Vmcome tax abandon du protectionnisme

    Et industriel fran ais du xix sicle est pas homme reconnatre cet abandon de la position traditionnelle du gouvernement il soit monar chiste imprial ou rpublicain Maintenir le pront sans risques pour se retirer sa fortune bien assise telle est la mentalit courante Chez nous on gagne encore de argent avec des machines fort anciennes et la somme affecte compenser les dprciations annuelles ne serait gure ncessaire car elle est gnralement pas employe des amliorations On continue de cette fa on faire des fils que on pourrait fabriquer beaucoup moins cher aide de quelques dpenses Mais la concur rence intrieure est pas assez puissante pour contraindre Le Comit pour la Dfense du travail national pens il ne fallait pas changer nos mtiers parce que beaucoup de fil urs se trouveraient sans ouvrage Autrement dit il ne faut rien changer ordre conomique pour ne pas moduier ordre social Cette ide revient trs souvent au cours du sicle Sous une forme lgrement diffrente Thiers lui surtout dfendu les droits anciennement acquis contre les perturbateurs nouveaux venus Au cours un dbat sur le taux escompte la Chambre des Dputs le 20 mai 1840 il stigmatisait ainsi des industriels trop entreprenants aurait pu favoriser la baisse du taux de escompte Ils chargent le march une masse de produits et ils viennent faire concurrence aux vieux commer ants et ces hommes de quelques jours ruinent des hommes tablis depuis quarante ou cinquante ans II appartient Etat au mpris de la libert empcher toute modification conomique ou sociale par un systme protecteur en harmonie avec les intrts de la classe dirigeante

    De l une remarquable continuit dans la politique protectionniste Le tarif de 1816 avait admis des droits levs importation sur les matires premires pour ne pas gner les agriculteurs et des prohibitions de produits manufacturs pour ne pas gner les industriels Tel est le

    Examen du systme commercial connu sous le nom de systme protecteur Lettre de Jean DOLLFUS 354

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 417

    cadre gnral auquel aucune atteinte ne saurait tre tolre Toutes les tentatives adaptation ont t occasion oppositions vhmentes qui ont empch toute rforme srieuse Duchtel conseiller Etat et futur minis tre du Commerce de Louis-Philippe adressait en ces termes aux fabri cants Elbeuf en 1832 Un jour ou autre vous perdrez vos privi lges souvenez-vous que la Rvolution t faite pour dtruire les pri vilges Deux ans plus tard il faisait entreprendre une grande enqute prlude dans sa pense une rvision du tarif protectionniste La quasi unanimit des producteurs se dressa contre lui spontanment et la seule annonce une enqute causa parat-il une panique Telle cette note un fabricant Amiens Si enqute eu son utilit en prouvant que les attaques contre les manufacturiers fran ais taient pas fondes elle produit aussi un trs grand mal en alarmant les intresss sur leur avenir et en suspendant toutes les transactions Il en et pas t ainsi si avait procd sans donner autant de publicit enqute II agit bien un rflexe spontan primaire la seule ventualit un changement dans le rgime douanier

    Opposition plus vhmente encore en 1846 au lendemain du trait de commerce avec la Belgique et les Pays-Bas la veille une refonte du systme douanier prconise par Cunin-Gridaine pourtant fabricant

    Sedan Cette fois les intrts organisent Contre toute modification Association pour la dfense du travail national o voisinaient des banquiers comme Odier et Seillire des matres de forges comme Lon Talabot des hommes du textile comme Mimerei En faveur une lib ration Association pour la libert des changes avec des hommes tels que Anisson-Dupron Michel Chevalier Nicolas Koechlin Louis Reybaud Bastiat La premire de ces deux associations avra la plus puissante et russit attirer la sympathie de certains milieux ouvriers et populaires et de opinion dmocratique Pour le journal ouvrier Atelier septem bre 1846 Association pour la libert des changes tait une machination de Angleterre Cela explique la seule lecture de la liste des grands propritaires de la Gironde les noms foisonnent Heureusement le peuple saura bien mettre des entraves aux projets anti-nationaux Cette anglophobie des milieux ouvriers explique par les souvenirs napoloniens et le renouveau de la lgende impriale sous influence de Branger En tout cas Association pour la dfense du travail national pouvait se targuer de appui des milieux affaires et populaires

    Revue Economique N* 19S6 28

  • 418 REVUE CONOMIQUE

    La seule rforme profonde du tarif dut tre ralise par voie autori taire contre la volont de la bourgeoisie et Napolon III perdit son trne Le trait de commerce franco-anglais du 23 janvier 1860 fit effet un coup Etat industriel tant il tait en contradiction avec la tradition conomique et idologie bourgeoise Ce trait tait pourtant bien loin de raliser le libre-change il supprimait les dernires prohibitions rempla ait les droits spcifiques par des droits ad valorem fixs 30 dans une phase transitoire puis 25 Peu importaient ces dispositions

    pourtant essentielles ce qui comptait tait le fait avoir bris un contrat tacite et avoir us de la libert aux dpens de la bourgeoisie Et ce trait avec Angleterre tait un dbut il fut suivi de dix autres traits analogues Ils allaient ils devaient modifier ordre conomique et ordre social avant mme leur mise en application Les fabriques vont tre ruines les filatures qui les alimentent vont galement tre ruines toute industrie de la Basse-Normandie va tre anantie et ses ouvriers privs de leurs salaires Et aussitt certaines usines non parmi les plus importantes de fermer leurs portes pour sauver le patrimoine avant le jour de la mise en vigueur Napolon III trahi la bourgeoisie qui en souviendra en 1870

    un des premiers soucis de la bourgeoisie triomphante aprs la Com mune fut de revenir au rgime antrieur par paliers successifs sous au torit de ses deux dfenseurs Thiers connu de longue date pour ses opi nions protectionnistes il avait prononc un discours clbre ce sujet en 1851) ee Pouyer-Quertier opposant le plus vhment la politique co nomique de Empire aprs I860 Le rtablissement du protectionnisme ne pouvait tre que progressif en raison des engagements pris dans les traits de commerce signs avec des puissances trangres mais autre part il rentrait parfaitement dans le cadre de la politique fiscale de Thiers lui qui avait fait chouer en 1832 le projet impt sur le revenu prsent par Laffitte lui qui prnait les impts indirects En 1872 un premier pas fut fait dans la voie du rtablissement du protectionnisme en 1881 furent dnoncs les traits encore en vigueur en 1892 Meline assignait un terme

    cette volution en marche depuis vingt ans en obtenant le double tarif monument de protection douanire et de quitude bourgeoise

    La tradition protectionniste donc triomph des vellits librales ceci grce la conjonction des intrts de Etat et de la bourgeoisie Etat sut se montrer interventionniste et anti-libral quand il le fallut est--dire pour

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 419

    maintenir le profit Nous en avons de nombreuses confirmations dont voici une des plus frappantes Un sucrier du Nord Crespel-Dellisse dposant

    enqute de 1828 avouait un bnfice net de 40 et se dclarait absolument hostile tout changement du rgime douanier en vigueur Cette dclaration avait le mrite de la franchise et assignait Etat ouvertement le rle que autres lui attribuaient en leur for intrieur

    **

    Autre manifestation de cette conception bourgeoise de la libert in tervention directe de Etat dans le financement des affaires Cette forme intervention se relie la tradition mercantiliste de Ancien Rgime

    la politique colbertiste qui avait consist favoriser les manufactures et soutenir directement les entreprises juges utiles conomie du pays Combattue par les physiocrates et les libraux cette politique sem blait condamne au nom des principes nouveaux Il en fut rien Etat

    obligation de maintenir le profit pour tous les entrepreneurs du pays Quand ce profit baisse il appartient Etat intervenir pour corriger selon expression un historien les racs du mcanisme libral Quand les entrepreneurs sone satisfaits ils exigent de Etat il intervienne pas quand ils sont mcontents ils rclament son intervention pour sauver le profit Telle fut attitude gnrale tout au long du xixe sicle

    Ds poque napolonienne la tradition intervention dans les affaires individuelles est reprise Encore pouvait-elle se justifier par des impratifs militaires mais chez Napolon la pense est certainement plus politique conomique En aidant les entreprises industrielles il conjure les effets du chmage et empche des dsordres Aussi les prts ne vont-ils aux entreprises des grandes villes Paris Rouen Saint-Quentin Gand. Napolon accord ses prts avec parcimonie et leur valeur totale aurait pas excd aprs Mollien 18 millions Tantt Etat accorde des prts individuels des fabricants donc la situation parat intressante

    des tisseurs de basins de Nantes en 1808 110.000 fr.) aux fabricants toffs Amiens en faveur desquels est cre une caisse de secours dote un crdit de deux millions 1811) honorables industriels tels que

    Charles BALLOT Les Prts de Napolon aux Revue des Etudes Napoloniennes 1912

  • 420 REVUE CONOMIQUE

    Richard-Lenoir et Gros-Davillier en 1811 Tantt les prts sont accords sur consignations six millions diverses industries en 1807 cette forme eut la faveur napolonienne autres fois intervention prend une forme moins visible commandes directes de tissus plus spcialement de soieries pour la cour et les palais est ainsi que les fabricants de Rouen re urent trois millions en 1807 ceux de Lyon huk millions en 1811 Toutes ces interventions sont encore trs proches de celles de Ancien Rgime et insrent dans la tradition mercantiliste

    Assez diffrente est intervention des gouvernements bourgeois du XIXe sicle est abord un prt de trente millions consenti aux industriels commer ants et banquiers par le gouvernement de Louis-Philippe en vertu de la loi du 17 octobre 1830 La mesure se justifiait officiellement par les circonstances politiques et conomiques exceptionnelles crise de 1828 dont les effets se faisaient encore sentir vnements politiques rcents La plus grande partie de ce crdit tait destine aux entreprises indus trielles mais trois millions environ furent consacrs la cration de comp toirs escompte ncessaires pour remplacer les banques dfaillantes Une dizaine de ces comptoirs fut ouverte dans les dpartements et Paris mme le gouvernement consacra 1.800.000 fr la cration un tablis sement analogue auquel intressa par la suite la municipalit parisienne Expdient transitoire assez mal vu de certains milieux affaires qui tout en souhaitant une intervention salvatrice de Etat redoutaient une ing rence trop pousse dans leurs affaires Ds septembre 1832 les banquiers parisiens avaient russi obtenir la mise en liquidation du comptoir Par la suite les critiques ne manqurent pas contre cette exprience pourtant rclame avec insistance Etat est cru oblig de venir en aide au commerce profondment branl. il bien fait de ne pas abandonner le commerce dans la dtresse. une telle ncessit ne se serait pas produite si ds avant les crises le commerce fran aise avait joui une libert plus grande il avait possd notamment la facult instituer des banques selon la mesure de ses besoins Argument spcieux le seul obstacle

    la formation de banques tait non pas lgal mais psychologique ab sence esprit entreprise opposition fut aprs coup naturellement plus violente encore en province les commer ants Amiens ne voulaient pas un comptoir escompte car disait-ils offrir industrie de trop grands

    COQUELIN et GWT-LAUMIN Dictionnaire de polQu art Alphonse CouBois 443

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 421

    capitaux est engager donner sa fabrication une extension dange reuse Pourtant Amiens tait une des villes les plus dpourvues en fait de crdit ide une banque reprsentait quelque chose de diabo lique surtout lorsque cette banque tait due une initiative de Etat

    La rvolution de 1848 fut occasion une nouvelle exprience Le dcret du mars fixa les bases des nouveaux comptoirs escompte asso ciant cette fois Etat les municipalits ec les particuliers la formation du capital Diffrence essentielle comme le soulignait un des dfenseurs de entreprise Pagnerre En 1830 est Etat qui organisait ta blissement tandis en 1848 les vritables fondateurs des comptoirs ce sont les actionnaires est industrie est le commerce qui fournissent le capital en argent Ces comptoirs taient eux aussi un expdient transitoire pour corriger les dfauts du systme libral sur 6l comptoirs ouverts en 1848 il en subsiste un petit nombre sous le Second Empire dans quelques grandes villes telles que Paris Lille et Mulhouse ou dans de petites villes manufacturires Sainte-Marie-aux-Mines Une loi de 1853 transforme ces tablissements en socits anonymes la prosprit revenue Etat et municipalits confiaient nouveau aux intrts privs la gestion des entreprises

    Une dernire exprience fut celle de I860 destine pallier les effets du trait de commerce sign avec Angleterre La loi du lie1 aot I860 ouvrit aux industriels dsireux de renouveler leur matriel un crdit global de 40 millions de fr Ce crdit devait tre distribu sous forme de prts

    remboursables en vingt ans La commission charge de la rpartition des fonds arrta au partage suivant

    Industries textiles 88 prts Total 15.060.000 fr Mtallurgie 27 Transports Mines 11 Industries lueciiui iies 18

    sucrieres diverses 45

    9.100.000 1.200.000 3.800.000 1.417.000 3.800.000 4.583.000

    attribution de ces prts se faisait aprs enqute et prise de garanties hypothcaires Le gouvernement aurait voulu favoriser industrie lourde la plus expose aux consquences du trait de commerce Sa part dans le

    Claude FOHLEN Industrie textile au temps du Second Empire 119 Arthur-Louis DUKHAM T/rc Anglo-FrencU Treaty of Commerce 150

  • 422 REVUE CONOMIQUE

    prt ne se monta cependant au quart du total Le principal bnficiaire fut le textile o les prts allrent surtout de petites entreprises mal outilles inadaptes la concurrence certain nombre entre elles dispa rurent dans les convulsions des annes 60 Parmi les prts industrie lourde il eut aussi des erreurs certaines firmes voyant dans ce prt une occasion de renflouer une trsorerie en difficults et non de moder niser leur outillage On peut citer le cas de la Compagnie des Mines de Decazeville qui obtint fait trs rare la totalit de ce elle avait demand 1.500.000 fr Elle voulait amliorer extraction de la houille et profiter de la nouvelle ligne Prigueux-Bordeaux pour ravir aux charbonniers anglais le march de cette ville Plan trop ambitieux qui se solda par une faillite en 1865 Le prt profita semble-t-il aux entreprises mar ginales plus aux autres eut un effet trs limit sur la moderni sation de industrie fran aise et ne suffit pas corriger les rats de en grenage

    **

    Dsirable au plus haut point pour protger le march national inter vention de Etat doit tre condamne intrieur de ce march L il faut laisser jouer la loi de offre et de la demande laisser agir la libert Cette libert doit imposer au premier chef dans les relations sociales Mais cette conception issue de idologie bourgeoise entrane des cons quences trs diffrentes selon il agit de milieux ouvriers ou de milieux bourgeois

    En ce qui concerne les ouvriers cette conception de la libert se tra duit par des interdictions et des infriorits lgales dfense de fonder des associations de former des coalitions ingalit juridique de ouvrier et du patron art 1.781 La bourgeoisie savait elle avait rien redouter un monde ouvrier pour lequel individualisme signifiait pauvret et isolement dans la misre Ainsi entendue la non intervention de Etat est arme la plus efficace contre la monte des classes ouvrires Cette atti tude explique opposition permanente de la bourgeoisie toute lgis lation sociale Sans doute des enqutes comme celles de Villeneuve-Barge- mont et de Villerm ont mu des mes mme endurcies et dnonc des vices dj signals auparavant par le filateur Daniel Le Grand Mais autre chose est de dnoncer le mal autre chose de chercher et appliquer des remdes Voter des lois spcifiquement ouvrires ce serait violer cette libert

  • UBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 423

    donc se rclament les dirigeants ce serait recrer intrieur de la France des catgories spciales ce serait reconnatre un fait social dont on ne veut pas Cette opinion nous la retrouvons la nn du sicle en particulier dans les milieux de gauche Laissons parler Gambetta Le gouvernement ne doit tous une chose la justice Chacun apparte nant il convient chacun de se rendre heureux ou malheureux par le bon ou le mauvais usage de sa libert Traduisez les gens malheu reux sont ceux qui font un mauvais usage de leur libert

    Ainsi expliquent le retard et la mauvaise volont des classes diri geantes laborer une lgislation sociale La loi sur le travail des enfants de 1841 demand des discussions prolonges pendant deux sessions pour tre finalement une mesure rtrograde et inapplicable Rtro grade parce que moins humaine et moins gnreuse que la loi anglaise de 1833 qui avait servi de base Inapplicable car le contrle du travail des enfants dans les manufactures de plus de vingt ouvriers tait conn non des inspecteurs tels il en existait dj en Angleterre mais des commissions libres dsignes par le prfet Et ces commissions furent rapi dement dcourages par les rsistances opposaient tant les manufactu riers que les parents de ces jeunes enfants Force tait Legoyt de cons tater en 1853 que la loi de 184l avait encore pu recevoir une ferme et vigoureuse application Le rgime de inspection salarie avait t propos dans un projet datant des dernires semaines de la Monarchie de Juillet jamais discut par la suite Il faut attendre les lois de 1874 et de 1899 pour voir instaurer une vritable protection des enfants des adolescents et des femmes dans les usines

    Mme opposition pour ce qui est de la limitation de la journe de travail Un dcret du gouvernement provisoire avait limite 10 heures

    Paris 11 heures en province en mars 1848 Ce dcret fut rapport par Assemble constituante ds le septembre de la mme anne La limitation de la journe de travail est pas pour les contemporains une question sociale ou humanitaire mais bien politique est une atteinte la libert de entrepreneur Legoyt est expliqu l-dessus Si nous approuvons pas les mesures par lesquelles les gouvernements ont cru devoir limiter la journe de travail des adultes et intervenir ainsi au

    GAMBETTA Discours VIII 379 CoQUEbiN et GUILLAUMIN Dictionnaire de conomie politique

    700

  • 424 REVUE CONOMIQUE

    risque de les troubler profondment dans les conditions naturelles de la production si nous pensons que ces mesures ne sont pas sufnsammenc justifies par intrt des ouvriers meilleurs juges que autorit des besoins des exigences de leur situation si nous sommes en outre convaincus elles ont provoqu une concurrence dloyale entre les chefs entre prises les unes excutant les autres violant impunment la loi nous h sitons pas approuver les lois de caractre humanitaire Rduire la journe de travail est attenter la libert conomique du chef in dustrie

    Ce quoi la bourgeoisie tenait le plus tait interdiction de toute forme de groupement ou entente ouvrires La discussion de la loi sur les coalitions au Corps lgislatif en 1864 est une occasion pour les repr sentants de industrie de dfendre leur conception de la libert sens unique intervention de Seydoux fabricant de tissu au Cateau est signi ficative Pourquoi oppose-t-il au projet de loi Parce que cette libert on va donner aux ouvriers oppose celle dont bnficient les entre preneurs II est pas un seul industriel intelligent qui ne repousse un droit aussi dangereux et aussi contraire aux intrts de industrie Ce sont les ouvriers que la loi veut favoriser dans le but de leur donner les moyens amliorer leur position et les conditions de leur travail acclrer pour eux le mouvement de progrs Cette loi est dangereuse pour les ouvriers elle leur donne une libert dont il me parat difficile ils puissent user sans exposer aux rigueurs de la loi Le droit de coalition le droit de grve est-il bien conforme au principe de libert on invoque en serait-ce pas la ngation Accorder le droit de se coaliser est contraire la libert De plus ce droit serait vain car comment concevoir des coalitions qui ne accompagnent de violences du moins chez les ouvriers Pour entendre ajoute Seydoux il faut se runir et si les runions sont interdites ils emploieront des moyens myst rieux II existe donc pas de droit de coalition sans droit de runion mais on ne songe pas accorder ce dernier Il reste actif du Second Empire avoir cependant accord ce droit de coalition

    Avec les dbuts de la Troisime Rpublique les ides sociales de la bourgeoisie triomphent toute vellit de rforme est stoppe pendant prs

    ID. Ibid. 701 Moniteur nircrsc Intervention u Seydoux au Corps lgislatif

    1864 573

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 425

    de quinze ans On veut ignorer dlibrment la ncessit une interven tion de Etat les classes dirigeantes libres la fois de la tutelle imp riale et de la peur communaliste peuvent appliquer leur programme Gam betta dclare dans son discours du Havre le 18 avril 1872 II pas de question sociale quoi Thiers fait cho en 1877 On ne parle plus de socialisme et on fait bien Nous sommes dbarrasss du socia lisme La libert donc repris sa place dans la trilogie rpublicaine Jacques Chastenet trs bien not dans son Histoire de la Troisime Rpu blique cette orientation de la nouvelle gnration Politique abord politique seule Le social reste atteint une sorte de suspicion 10 Il gure que des monarchistes pour intresser ces questions et dnoncer les mfaits de la libert ainsi entendue Dans son discours de Chartres en 1878 Albert de Mun montrait inanit de cette libert

    La loi de intrt envahit tout Votre libert est la libert de la force Ce que nous voulons est reconqurir le droit de runion professionnelle supprim au nom de la libert du travail est la renais sance. de association professionnelle Jamais avaient t dnonces avec une telle nettet les incohrences du rgime libral La tolrance accorde par le Second Empire aux Chambres syndicales ouvrires disparut en 1872 fut dissous le Cercle de Union syndicale ouvrire sorte de fdration de 23 Chambres syndicales le mme sort frappa en 1874 Union des ouvriers des mtaux

    Respect de la libert et non-intervention de Etat telle est aussi la conclusion de enqute de 1875 sur les conditions du travail accord ne peut tre durable que si les patrons comprennent importance de la question sociale qui agite et usent de tous leurs moyens pour en conjurer les dangers

    Cette libert de coalition ou association que Etat refuse aux ouvriers il la tolre pourtant chez les patrons sous des formes infiniment plus graves et plus gnantes pour la vie conomique Car les coalitions patro nales si elles sont toujours pacifiques en troublent pas moins le libre jeu de la vie conomique elles visent imposer des prix fixs un commun accord Cette pratique tait interdite en vertu de article 419 du Code pnal qui visait le cas des coalitions dont le but serait influer

    10 Jacques Histoire de la Troisime Rpublique 106

  • 426 REVUE CONOMIQUE

    sur le prix des marchandises ou denres En dpit de cette interdiction formelle des ententes en vue influer les prix ont t tolres parfois mme encourages

    Ces ententes sont naturellement mal connues Il est cependant possible en citer quelques-unes sans pouvoir en tudier le mcanisme Ds les dbuts du Premier Empire certains lateurs de coton unissent en un Comit des Filateurs dont objet est triple obtenir des avantages de la part du gouvernement assurer des mesures de protection se garantir des revendications ouvrires Il fut assez puissant pour obtenir les dcrets de protection de 1806 11 La fixation des prix ne figure pas au pro gramme il agit pourtant une coalition Dans le Nord fonctionna partir de 1824 un Comit des Filateurs de Lille dont la mission officielle tait de dfendre le intrts de la filature mcanique encore dans en fance En fait son action tait tout autre selon une dposition enqute de 1855 Messieurs les filateurs se runissent arrtent les cours entre eux Nous savons avance par de sourdes rumeurs par des bruits pr curseurs il aura hausse ou baisse Tout ceci constitue une coalition vritable Les cinq ou six filateurs de Lille en cotons retors pour tulles ont des cours identiques ils tiennent avec une fidle et invariable fermet Puis autour eux viennent se grouper abriter les prix des fils inf rieurs Si ce est pas l une coalition on avouera on arrive ainsi aux mmes rsultats Il des annes que les choses se passent ainsi 12 Parmi les membres de ce Comit on trouve des personnalits trs connues des milieux cotonniers Delesalle-Desmedt Mimerei snateur et comte Empire Henri Loyer le secrtaire du Comit existence de ce Comit avait rien occulte et tait connue des milieux ouvriers lillois auprs desquels il tait trs impopulaire Certains de ses membres furent inquits en 1848 mais le Comit se reconstitua aussitt le calme revenu et ne cessa plus de fonctionner aux annes 80 Il agit une vritable entente influant sur les prix et cependant il pas de traces de pour suites exerces Dans industrie linire se constitua vers 1850 un comit analogue le Comit linier sur lequel les renseignements font dfaut

    Un cas trs curieux entente pour fixer les prix peut tre tudi dans le secteur des transports cas autant plus intressant il appela une action judiciaire Depuis 1797 existait une compagnie de messageries dont

    11 Henri SEE Histoire conomique de la France II 95 12 Enqute de 1855 sw les cotons fils pp 160-161

  • LIBERT CONOMIQUE ET INTERVENTION DE TAT 427

    la raison sociale fut partir de 1815 Messageries royales 13 En 1826 se fondait une socit concurrente les Messageries gnrales de France sous la raison sociale Laffitte et Caillard commandites en partie par le banquier Laffitte Ces deux compagnies signrent le 12 juin 1827 un accord par lequel elles engageaient appliquer les mmes tarifs et

    ne pas se faire de concurrence tablissant ainsi un vritable monopole des transports par messageries Contre ce monopole se brisrent les socits concurrentes comme ce fut le cas en 1828 pour les Messageries du Com merce Pour ruiner leur concurrente les deux compagnies en vertu de leur accord baissrent leurs tarifs aprs quelques vellits de rsistance les Messageries du Commerce sombrrent en 1830 entente avait Jou impo sant ses prix ruinant le concurrent Etat tait pas intervenu Quelques annes plus tard une autre socit se forma sous le nom de Messageries fran aises entreprise Pnicaud avec pour principal objet la desserte de la route Angoulme Prigueux qui se branchait sur la route Paris- Bordeaux La guerre de tarifs reprit car les deux grandes compagnies exploitaient en commun itinraire Paris-Bordeaux Pnicaud dcida de lutter porta affaire en justice en accusant les deux grandes compagnies du dlit de coalition Or accord de 1827 venait tre dnonc en 1836 ce qui ne signifie nullement que entente cessait de fonctionner Des juge ments contradictoires furene rendus le tribunal de police de la Seine con damna les Messageries verser des dommages et intrts Pnicaud la Cour Appel de Paris rendit un jugement en sens contraire la Cour de Cassation renvoya affaire devant la Cour de Lyon Le jugement final rendu dans des conditions une honntet fort douteuse donna bel et bien raison aux deux grandes compagnies Pnicaud ruin comme avaient t les Messageries du Commerce dut cesser ses services en 1840 affaire fit grand bruit poque suscita plusieurs pamphlets dont un au titre signi ficatif Rclamation contre le monopole de fait en messageries exerc par les grandes entreprises

    Conception unilatrale et subjective de la libert Etat tolre en dpit de la lgislation une entente ouverte entre filateurs une entente crite entre grandes socits de messageries Dans les deux cas les parti cipants imposent des prix touffent leurs concurrents et chappent aux poursuites lgales qui touchaient les coalitions ouvrires un objet infi niment plus limit

    13 Henri OAVAILL La Route fran aise pp 231 et suiv

  • 428 REVUE CONOMIQUE

    Cette attitude est opposer celle que prennent les autorits quand il agit de coalitions artisanales En 1830 pour opposer aux conditions trop rigoureuses des ngociants les artisans teinturiers Amiens avaient constitu lgalement une socit de commerce charge de la vente des pices teintes Seuls trois ou quatre teinturiers refusrent en faire partie Tous les participants acquittaient une taxe sur les pices teintes taxe qui devait servir indemniser les ateliers en chmage Le prfet juge trs svrement une telle initiative II est contraire la morale que des arti sans se runissent en socit pour exercer un monopole Ce que les tein turiers ont fait les autres professions peuvent le faire demain Les ngo ciants et fabricants par reprsailles pourraient eux-mmes se runir et entendre pour taxer le travail de tous ceux ils emploient et o en serions-nous si de pareils dsordres introduisaient parmi nous 14 Et la socit des teinturiers fut naturellement dissoute

    Le libralisme conomique de la bourgeoisie au xixe sicle ne serait-il un mythe Non pas exactement mais le concept esc si souple il peut toujours adapter des situations changeantes Ce libralisme est

    abord sens unique du fait il est entre les mains une bourgeoisie dominante et un gouvernement bourgeois il sert leurs intrts et se retourne contre ceux de leurs adversaires Deux poids deux mesures Ce libralisme se mue facilement en interventionnisme lorsque le profit est en cause en temps de guerre de crise ou de transformations il appartient

    Etat assumer les risques que les entreprises ne veulent pas affronter Finalement cette conception bourgeoise carte le sens du risque et le got de aventure que le lgislateur rvolutionnaire avait cru bon de susciter

    CLAUDE FOHLEN

    14 Arch Dep Somme 107 687 Amiens 18 avril 1832

    Summary It is often said that France had liberal economic regime in the

    19th century In fact tilis liberalism is quite relative State intervention first came into play when it established protectionist policy that the Frendi middle class hay not ceased to demand Liberalism means that workers are forbidden to group or to organize themselves in the form of coalitions and strikes but employers associations are tolerated The term liberalism was used to disguise tlie main worry of the ruling classes the maintenance of their profit State intervention is always requested when profit is in danger

    InformationsAutres contributions de Claude FohlenCet article est cit par :Paul Leuilliot. De la disette de 1816-1817 la famine du coton (1867), Annales. conomies, Socits, Civilisations, 1957, vol. 12, n 2, pp. 317-325.

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