avis cncdh réforme constitutionnelle

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  • 7/24/2019 Avis CNCDH rforme constitutionnelle

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    Avis sur le projet de loi

    constitutionnelle de protection de la Nation

    (Assemble plnire 18 fvrier 2016 Adoption : unanimit, trois abstentions)

    1.

    Le 16 novembre 2015, lors de son discours devant le Parlement runi en Congrs, lePrsident de la Rpublique a annonc une rvision imminente de la Constitution de 1958prvoyant dy inscrire ltat durgence, comme le proposait le Comit prsid parEdouard Balladur en 20071, ainsi que la dchance de nationalit. Le 23 dcembre 2015,un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nationa t adopt en Conseil desministres2.

    2.

    Demble, la CNCDH ne peut, une fois de plus, que dplorer son absence de saisine par le

    Gouvernement, alors quune telle dmarche se justifiait pleinement tant donn lecaractre extrmement sensible de la matire au regard de la protection des droits etliberts fondamentaux3. La Commission a donc dcid de sautosaisir du projet dervision constitutionnelle.

    3. Un travail lgislatif de qualit exige une analyse mene avec mthode pendant un tempssuffisant4, plus forte raison sagissant dune loi rformant la Constitution. Il est doncimpratif que la Loi fondamentale soit labri desturbulences rformatrices, surtout enpriode de crise aige. En effet, toute rvision de la Constitution implique un temps devritable dbat pour clairer durablement les politiques publiques venir et rpondre ausouci d'aborder publiquement et en toute srnit un sujet dont la gravit exclut quilsoit trait sous lemprise de lmotion. A cet gard, lvocation rcurrente dans lediscours politique de la guerre contre le terrorisme 5pour justifier la mise en uvrede ltat durgence, sa prorogation puis un projet de loi constitutionnelle, ne peutquinquiter car si lexpression est employe pour rendre compte de la radicalit de larponse apporter la radicalit de la violence terroriste, elle nen demeure pas moinssujette caution au regard de la dfinition de la guerre en droit international6.

    4.

    Dans une Dclaration sur ltat durgence et ses suites adopte le 15 janvier 2016, laCNCDH a souhait que la France soit exemplaire dans les rponses quelle apporte lacrise conscutive aux attentats terroristes, car elle sera observe par tous ceux lui ayantmanifest son soutien et, au-del, par les instances internationales7. A ce propos, laCNCDH raffirme que ltat durgence, et plus gnralement tous les dispositifs

    juridiques destins le prenniser, portent intrinsquement atteinte aux liberts etdroits fondamentaux8. Paradoxalement, la crise renforce lEtat en mme temps quelle le

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    perturbe, le risque tant alors que la limitation ponctuelle et provisoire de certainesliberts aille au-del du strict ncessaire que les circonstances exigent 9. Depuislongtemps dj, il a t dmontr, notamment dans le cadre de travaux raliss souslgide des Nations unies, que le provisoire se prolonge parfois des mois, parfois desannes10, constat videmment renforc depuis le 11 septembre 2001 avec la menacepermanente dun terrorisme mondialis11.Dans ces conditions, lon peut raisonnablementse demander si la logique spatio-temporelle qui gouverne traditionnellement ltatdurgence - la loi sur l'tat d'urgence du 3 avril 1955 est avant tout conue pour uncontrle de zone (article 1er) dune dure limite (article 3) est ce jour efficace etadapte pour faire face la menace djihadiste qui nest, elle, circonscrite ni danslespace nidans le temps12.

    5.

    Dans un contexte dmotion lgitime, la constitutionnalisation de ltat durgence et dela dchance de la nationalit, entreprise au nom de la lutte contre le terrorisme,soulve des questions politiques et philosophiques de grandes ampleur et complexit, quiinterdisent que des rponses soient apportes de manire prcipite13. La CNCDH ne peutdonc que stonner de lengagement de la rforme constitutionnelle peu aprs

    lintervention de la dclaration dtat durgence14

    . Cette rvision constitutionnelleintervient galement, alors que le Parlement vient de proroger ltat durgence pour unedure de trois mois (jusquau 26 mai 2016)15 et quune discussion est en cours lAssemble nationale sur un projet de loi renforant la lutte contre le crime organis, leterrorisme et leur financement, et amliorant lefficacit et les garanties de laprocdure pnale.En effet, il faut se souvenir que la loi fondamentale, comme la critHannah Arendt, ombre porte de la fondation, sinscrit ncessairement dans le tempslong des gnrations passes, prsentes et futures16, et rappeler que plusieursconstitutions trangres interdisent la rvision de la loi fondamentale sous lempire dunrgime dexception, tel que ltat durgence17. En France, le Conseil constitutionnel agalement estim quune rvision de la Constitution ne saurait tre engage oupoursuivie en priode dapplication de larticle 1618.

    6.

    Au-del du moment choisi pour procder une telle rforme qui fait de la Constitutionun instrument de conjoncture politique19, le projet de loi constitutionnelle de protectionde la Nation suscite par son double objet - inscrire dans la constitution ltat durgence(I.) et la dchance de nationalit (II.) les plus vives rserves de la CNCDH.

    I. LINSCRIPTION DE LETAT DURGENCE DANS LA CONSTITUTION

    7. Larticle1erdu projet de loi constitutionnelle prvoit dinsrer, la suite delarticle 36de la Constitution, un article 36-1 ainsi rdig : Ltat durgence est dclar en conseildes ministres, sur tout ou partie du territoire de la Rpublique, soit en cas de prilimminent rsultant datteintes graves lordre public, soit en cas dvnementsprsentant, par leur nature et leur gravit, le caractre de calamit publique. La loifixe les mesures de police administrative que les autorits civiles peuvent prendre pourprvenir ce pril ou faire face ces vnements.La prorogation de ltat durgence au-del de douze jours ne peut tre autorise que par la loi. Celle-ci en fixe la dure.

    8. Ces nouvelles dispositions soulvent deux sries de rserves, la premire portant sur leprincipe mme de linscription de ltat durgence dans la Constitution de 1958 (A.), laseconde, sur le rgime juridique de ltat durgence qui est dfini par le projet de loiconstitutionnelle (B.).

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    A. NE PAS INSCRIRE LETAT DURGENCE DANS LA CONSTITUTION

    9.

    Larticle 16 de la Dclaration des droits de lHomme et du Citoyen nonce: TouteSocit dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assure, ni la sparation desPouvoirs dtermine, n'a point de Constitution. Si lobjet mmedune Constitution estnon seulement darticuler les pouvoirs en les encadrant, mais encore de garantir desdroits et liberts fondamentaux20, force est de sinterroger sur le bien-fond de laprsence de dispositions relatives ltat durgence dans la Constitution.

    10.

    Constitutionnaliser ltat durgence revient le placer au mme niveau dans lahirarchie des normes juridiques que les droits et liberts fondamentaux, notammentceux consacrs dans la Dclaration des droits de lhomme de 1789. Les pouvoirsdexception et les droits et liberts fondamentaux sont ainsi mis dans un rapportdgalit normative21. Dans ces conditions, la CNCDH craint que la prminence de cesderniers ne soit, au moins symboliquement, considrablement fragilise, par rapport ltat actuel du droit qui, en consacrant ltat durgence dans une loi, le maintient unniveau infrieur celui du bloc de constitutionnalit22. Pour relativiser ce constat, il est

    parfois avanc que des dispositions constitutionnelles relatives ltat durgencepourraient, le cas chant, tre apprcies au regard des exigences internationales eteuropennes, notamment celles dcoulant de larticle 15 de la Convention europennedes droits de lhomme (CESDH)23 et de larticle 4-1 du Pacte international relatif auxdroits civils et politiques (PIDCP)24. Il convient toutefois de relever que le juge ordinairene contrle pas la conventionalit de dispositions constitutionnelles car la hirarchie desnormes juridiques - qui dcoule en France des articles 54 et 55 de la Constitution - fait dela Constitution la norme suprme dans lordre juridique interne, celle-ci prvalant sur lesnormes internationales25. Cest donc la seule Cour europenne des droits de lhommequil incombera, le cas chant, dapprcier la compatibilit du nouvel article 36-1 avecles exigences de larticle 15 de la CESDH. Il va de soi que lexercice dun tel contrle seraplus dlicat que celui de la Cour sur une loi ordinaire26, ds lors que dans ce dernier cas,

    lobligation dpuisement des voies de recours internes conduit les juges nationaux procder, en amont, au contrle de la conventionalit.

    11.

    La CNCDH craint galement que le nouvel article 36-1 de la Constitution de 1958 ne soitseulement destin, ainsi que cela ressort explicitement de lExpos des motifsdu projetde loi constitutionnelle, servir de fondement constitutionnel des dispositionslgislatives futures gravement attentatoires aux droits et liberts fondamentaux27par unrenforcement considrable des pouvoirs de police au profit des autorits civiles28. Doreset dj plusieurs dispositions du projet de loi renforant la lutte contre le crimeorganis, le terrorisme et leur financement, et amliorant lefficacit et les garantiesde la procdure pnalevisent inscrire dans le droit commun certaines mesures inspiresdu rgime de ltat durgenceet donc, par leur banalisation, normaliser lexceptionnel.Ainsi que le relevait trs justement Guy Braibant, les crises laissent derrire elles,comme une mare dpais sdiments de pollution juridique, ds lors que les loisprvoyant des mesures extraordinaires survivent aux circonstances qui les ont faitnatre29. Bien plus, le Conseil dEtat a soulign leffet utile30 de la rformeconstitutionnelle, en ce quelle donnerait un fondement incontestable aurenforcement dans la loi des mesures de police administrative prises par les autoritsciviles pendant ltat durgence31. Sans aller jusqu imaginer quen raison de ce fondement incontestable , tout contrle de la constitutionnalit des lois venir seraitirrmdiablement vou lchec, la CNCDH redoute nanmoins quil nait pourconsquence de le dplacer, ds lors que les dispositions constitutionnelles de rfrencene seront plus seulement des dispositions protectrices des droits et liberts, mais

    prcisment des dispositions qui, organisant ltat durgence, autorisent des restrictionsde ces droits et liberts.

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    12.

    De son ct, le Conseil constitutionnel a admis que le rgime de ltat durgence soitprvu par la loi en nonant que si la Constitution, dans son article 36, viseexpressment l'tat de sige, elle n'a pas pour autant exclu la possibilit pour lelgislateur de prvoir un rgime d'tat d'urgence pour concilier les exigences de lalibert et la sauvegarde de l'ordre public32. Ltat durgence, contrairement ltat desige de larticle 36 de la Constitution de 1958,a t dlibrment tu par la Constitution- parce que non li une guerre et ne transfrant pas les pouvoirs de police aux autoritsmilitaires33- dans le contexte de la guerre dAlgrie dont il ne fallait en aucun cas direle nom34. Pour autant, la Constitution de 1958 ne traite pas de manire exhaustive detous les rgimes dexceptionet cest au lgislateur quil revient de garantir le respectdes droits et liberts constitutionnellement garantis dans le cadre de ce rgimedexception particulier quest ltat durgence. En effet, la jurisprudenceconstitutionnelle consacre une constitutionnalit d'exception, c'est--dire un rgimetemporaire dans lequel la garantie des liberts existe bien tout en tant infrieure celle dont jouissent les citoyens en priode normale35.De plus, ds lors que la loi de 1955 a pu tre rapidement adapte aux ncessits du

    moment36

    et que les mcanismes de contrle du Conseil constitutionnel et du ConseildEtat - ont globalement fonctionn37, constitutionnaliser ltat durgence nest daucuneutilit. Pour la CNCDH, la premire ncessit serait damliorer les dispositions de la loidu 3 avril 1955 dans le sens dune meilleure garantie des droits et liberts fondamentauxaux fins de remdier aux dysfonctionnements et drives qui ont pu tre constats dans lecadre de la mise en uvre de ltat durgence38.

    B. SUR LE REGIME DE LETAT DURGENCE DEFINI PAR LE PROJET DE LOICONSTITUTIONNELLE

    13.

    A linstar du Comit Balladur en 2007, une partie de la doctrine sest prononce enfaveur de linscription de ltat durgence dans la Constitution39, ds lors que cela

    assurerait une porte contraignante aux limites imposes la concentration des pouvoirset la restriction des droits et liberts fondamentaux. Saisie du projet de loiconstitutionnelle, lAssemble nationale la pour sa part adopt le 10 fvrier 2016. LaCNCDH tient pourtant souligner les graves dfauts qui entachent en ltat ce projet

    14.En premier lieu, la qualit lgistique de larticle 1er du projet de loi constitutionnellepose problme. Dune part, il savre que ces conditions de dclenchement de ltatdurgence sont dfinies de manire extrmement vague40: le pril imminent rsultantdatteintes graves lordre public et les vnements prsentant, par leur nature etleur gravit, le caractre de calamit publique. De tels motifs sont suffisamment largespour permettre au chef de l'tat de dclarer facilement cet tat d'exception41et vont au-del des drogations prvues par les instruments internationaux liant la France. A cetgard, la CNCDH rappelle que les motifs de mise en uvre de ltat dexception prvuspar les articles 15-3 de la CESDH et 4-1 du PIDCP en assurent un meilleur encadrement etquil convient donc delever au plus vite les rserves mises lors de la ratification de cesengagements, afin de donner aux organes de surveillance la possibilit dun vritablecontrle.Dautre part, les nouvelles dispositions prvoient que les mesures de policeadministrative relatives ltat durgence peuvent tre prises, non seulement pourprvenir, mais encore pour faire face ces vnements. Cette formulation ambigumontre que ces mesures nauraient pas pour seul et unique objet la prvention duntrouble lordre public42, ce qui laisse penser que lon ne se situerait plus dans un champde police administrative, mais de police judiciaire. Pour la CNCDH, il va de soi que de

    telles mesures devraient, sauf mconnatre larticle16 de la DDHC, tre places sous ladirection et le contrle de lautorit judiciaire43.

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    15.

    En deuxime lieu, lalina 2 du projet darticle 36-1 donne comptence la loi pour fixerles mesures de police administrative que les autorits civiles peuvent prendre dans lecadre de ltat durgence. La CNCDH considreque le projet de loi constitutionnelle quipose le principe de linscription de ltatdurgence dans la Constitution aurait pu toutle moins prvoir un renvoi une loi organique. Un tel renvoi permettrait un meilleurencadrement du rgime de ltat durgence, notamment parce quuneloi organique estobligatoirement soumise un contrle de constitutionnalit du Conseil constitutionnel.En outre, la technique du renvoi la loi n'est aucunement protectrice, ds lors que laConstitution habilite le lgislateur user de son pouvoir discrtionnaire, sans l'encadrerpar des dispositions matrielles contraignantes44. Enfin, la CNCDH stonne dun renvoila loi critre matriel - plutt quau Parlement critre organique -, comme cest lecas larticle 36 dans le cadre de ltat de sige. Il ne faudrait pas que lexcutif puissesur le fondement dune loi dhabilitation modifier lui-mme le rgime juridique de ltatdurgence par voie dordonnance dans les conditions poses larticle 38 de laConstitution de 1958.

    16.En troisime lieu, larticle 36-1 donne galement comptence la loi pour proroger

    ltat durgence au-del de 12 jours et ce, pour une dure de quatre mois dans ladernire version du texte45. Les nouvelles dispositions ne prcisent cependant pas que laloi de prorogation dtermine la dure dfinitive de ltat durgence (comme cestactuellement le cas dans la loi de 1955, article 3), ce qui autorise implicitement unesuccession de prorogations de quatre mois sans limite temporelle46. A cet gard, laCNCDH met en garde contre la possibilit dun tat durgence permanent et ce dautantque le lgislateur sest autoris proroger une deuxime fois sans respecter le cadre fixpar les articles 2 et 3 de la loi de 195547, qui exigent, dans un tel cas de figure, derecommencer la procdure par un dcret. Ltat dexception, qui doit demeurerprovisoire, ne saurait devenir la rgle : il a pour seul et unique objectif un retour rapide la normalit48.Par ailleurs, le projet de rvision constitutionnelle prvoit que la prorogation de ltat

    durgence est autorise par la loi et non par le Parlement. Pour les mmes raisons queprcdemment, la CNCDH soppose ce que lexcutif, sur le fondement dune loidhabilitation, dcide de proroger ltat durgence sur la base dune ordonnance delarticle 3849.

    17.En quatrime lieu, il convient de mettre en vidence plusieurs lacunes dans la versioninitiale du projet de loi constitutionnelle, dont certaines ont t combles parlAssemble nationale le 10 fvrier 2016. La CNCDH relve en effet labsence:

    - dobligation, pour lautorit habilite dclencher ltat durgence et pour cellehabilite le proroger, de justifier des finalits de ltat durgence (lutte contre leterrorisme, etc.), alors pourtant quune telle obligation imposerait lautoritadministrative dordonner les mesures individuelles de police dans le plus strictrespect de ces finalits ;

    -

    de limites sagissant du champ dapplication territorial de ltat durgence, aucuncritre objectif ntablissant une corrlation avec le pril ou les vnementsinvoqus50;

    -

    dinterdiction de dissoudre lAssemble nationale pendant la dure de ltatdurgence, laquelle toutefois lAssemble nationale a souscrit dans le texte adoptle 10 fvrier 201651;

    -

    de rappel des exigences dadquation52, de ncessit et de proportionnalit53, quiimplique un rexamen constant de la ncessit des mesures dexception54;

    -

    de rappel de lexigence de non-discrimination dans la mise en uvre de ltatdurgence, tant prcis que selon larticle4-1 du PIDCP55, les mesures drogatoires

    ne doivent en aucun cas entraner une discrimination fonde uniquement sur larace, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou loriginesociale ;

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    -

    dorganisation dun mcanisme de contrle parlementaire ou autre (Conseilconstitutionnel) du suivi de ltat durgence. A cet gard, lAssemble nationale aprvu, dans le texte adopt le 10 fvrier 2016, lorganisation dun contrleparlementaire56;

    - dvocation de la leve des rserves, afin de permettre le plein contrle des organesinternationaux et europens ;

    -

    dnumration ou de rfrence aux droits intangibles. A ce propos, certainesConstitutions trangres prvoient dans les tats dexception tantt une listelimitative de droits fondamentaux pouvant tre restreints57, tantt un noyau dur dedroits intangibles58. En droit international et europen59, lide dtablissement duneliste de droits intangibles, en cas de circonstances exceptionnelles, a t dveloppeen 1982 dans le cadre des Nations unies60, puis en 1995 par la Commission de Venisesous lgide du Conseil de lEurope61.

    18.Au regard de ce qui prcde, la CNCDH recommande que toute loi relative ltatdurgence(constitutionnelle, organique ou ordinaire) sattache :

    Sagissant de la mise en uvre de ltat durgence:

    -

    dfinir clairement et limitativement les circonstances prcises et objectives62

    justifiant le dclenchement de ltat durgence;-

    prvoir lobligation, pour lautorit habilite dclencher ltat durgence et pourcelle habilite la prolonger, de justifier des finalits de ltat durgence;

    - fixer des garanties propres la mise en uvre spatiale de ltat durgence;-

    interdire de dissoudre lAssemble nationale pendant la dure de ltat durgence63et prvoir sa runion de plein droit ;

    - prvoir un contrle rgulier du Conseil constitutionnel, aux fins de vrifier si lesconditions du recours ltat durgence demeurent runies64;

    -

    prvoir un contrle parlementaire de la mise en uvre de ltat durgence;- noncer les exigences dadaptation, de ncessit etde proportionnalit65;-

    garantir lexigence de non-discrimination dans la mise en uvre de ltat

    durgence;- renvoyer aux droits intangibles consacrs par les engagements internationaux ; Sagissant de la prorogation de ltat durgence:-

    dinterdireque lexcutif, sur le fondement dune loi dhabilitation,puisse dciderde proroger ltat durgence sur la base dune ordonnance de larticle38 ;

    - encadrer la dure de ltat durgence et plus spcifiquement celle de laprorogation au-del de 12 jours en prvoyant quil revient au seul Parlement dendcider ; que ce dernier en fixe la dure dfinitive au regard de la persistance descirconstances ayant justifi la mise en uvre du rgime dexception. A lissue decette prorogation, il est de la responsabilit de lexcutif de dcider de dclencher nouveau la procdure, si les circonstances le justifient ;

    Sagissant des mesures prendre dans

    le cadre de ltat durgence:

    -

    procder un renvoi la loi organique, et non la loi, pour dfinir le rgime desmesures de police administrative relatives ltat durgence66, tant prcis quildoit tre interdit lexcutif de modifier lui-mme, sur le fondement dune loidhabilitation, le rgime juridique de ltat durgence par voie dordonnance dansles conditions poses larticle 38 de la Constitution de 1958.

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    II. LINSCRIPTION DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DANS LACONSTITUTION

    19.A ce jour, larticle 34 de la Constitution se contente dnoncer que La loi fixe les rglesconcernant la nationalit. Dans sa version adopte en Conseil des ministres, larticle

    second du projet de rforme constitutionnelle modifie la comptence de la loi, enprcisant quelle sapplique la nationalit, y compris les conditions dans lesquellesune personne ne franaise qui dtient une autre nationalit peut tre dchue de lanationalit franaise lorsquelle est condamne pour un crime constituant une atteintegrave la vie de la Nation. LAssemble nationale a amend le texte, dsormais rdigde la manire suivante : la loi fixe les rgles concernant la nationalit, y compris lesconditions dans lesquelles une personne peut tre dchue de la nationalit franaise oudes droits attachs celle-ci lorsquelle est condamne pour un crime ou un dlitconstituant une atteinte grave la vie de la Nation.

    20.

    Demble, la CNCDH se doit dexprimersa plus vive opposition lextension du champdapplication de la dchance de nationalit67et, plus forte raison, par la voie dune

    rvision de la Constitution.

    A. SUR LE PRINCIPE DE LINSCRIPTION DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DANS LACONSTITUTION

    21.

    LExpos des motifsdu projet de loi constitutionnelle justifie la ncessit dune rformeconstitutionnelle par lexistence dun principe fondamental reconnu par les lois de laRpublique que le Conseil constitutionnel pourrait tre amen dgager si une loiordinaire organisait la possibilit de dchoir de sa nationalit un Franais n franais. Cepronostic est fond sur lide que les lois rpublicaines ont constamment rserv lasanction quest la dchance de nationalit au cas dun binational devenu franais.

    Or ce risque dinconstitutionnalit est loin dtre avr, puisque la dchance denationalit, au rebours de ce que soutient lexpos des motifs, a toujours t prvue parnotre droit, y compris sagissant de Franais ns franais. Le recours la technique de larvision prventive ne se justifie donc pas.En toute hypothse, la CNCDH estime que la Constitution vise assurer, en vertu delarticle 16 de la DDHC, la garantie des droits, et que des mesures restreignant des droitset liberts, telle que la dchance de nationalit, nont pas y figurer68.

    22.

    Si pour sa part, le Conseil dEtat a, dans son avisprcit du 11 dcembre 2015, certessouscrit un tel projet, il sest nanmoins montr trs mesur quant la ncessitdune rvision constitutionnelle visant inscrire la dchance de nationalit desbinationaux condamns pour des faits de terrorisme dans la Constitution de 1958, sonargument principal se rsumant en dfinitive au constat laconique que le principe decette mesure devrait tre inscrit dans la Constitution eu gard au risquedinconstitutionnalit qui pserait sur une loi ordinaire69. On doit stonner que lecontrle de la constitutionnalit soit ici envisag comme un risque, partant, comme unargument en faveur de la constitutionnalisation, alors que ce contrle a pour seul objetdassurer le respect de la Constitution, respect qui se pose en termes de devoir. De plus,la constitutionnalisation de la dchance de nationalit limite, ainsi quil a tprcdemment relev propos de ltat durgence, le contrle de sa conventionalit70.

    23.

    En consquence, la CNCDH met les plus vives rserves sur la pertinence du vecteurretenu, cest--dire la loi constitutionnelle, et donc sur la pertinence de la rforme

    constitutionnelle elle-mme. Il en va de mme de lextensiondu champ dapplicationdela dchance de nationalit.

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    B. SUR LE REGIME DE LA DECHEANCE DE NATIONALITE DEFINI PAR LE PROJET DELOI CONSTITUTIONNELLE

    1. Sagissant du champ dapplication personnel de la dchance de nationalit

    a)

    Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi constitutionnelle adopteen Conseil des ministres le 23 dcembre 2015

    24.

    Larticle 2 du projet de loi constitutionnelle prvoit, dans sa version initiale, dtendre ladchance de nationalit toute personne ne en France qui dtient une autrenationalit. Au-del des Franais par acquisition dont la dchance est dj permise,sous certaines conditions, sils sont binationaux, lextension vise les Franais parattribution, cest--dire les personnes nes franaises et qui dtiennent une autrenationalit (binationaux voire plurinationaux)71. A ce propos, la CNCDH formule plusieurscritiques.

    25.

    Premire critique, larticle premier de la Constitution de 1958 dispose que la France estune Rpublique indivisible, laque, dmocratique et sociale. Elle assure lgalit de tousles citoyens () . Pourtant les nouvelles dispositions reproduites plus haut instaurentimplicitement une diffrence de traitement, qui nest plus entre Franais de naissance et Franais par acquisition 72, mais entre ceux qui sont exclusivement franais(mononationaux) et ceux qui disposent dune autre nationalit (binationaux). Ce type dedistinction est radicalement contraire tous les principes rpublicains, notamment ceuxnoncs larticle 1erde la Constitution73. Tous les Franais tant galement franais, laCNCDH ritre son opposition irrductible la cration de catgories de Franais74. Desurcrot, de telles distinctions ne peuvent que porter atteinte la cohsion sociale, unepoque o il est absolument ncessaire de refuser toute forme de stigmatisation et derejet de lAutre. En bref, ce sont les fondements mmes du pacte rpublicain qui se

    voient ainsi remis en cause, alors que, non sans paradoxe, cette remise en cause est lundes objectifs poursuivis par les auteurs dactes de terrorisme75.

    26.Deuxime critique, une distinction supplmentaire est introduite, de manire indirecte,par le projet de loi constitutionnelle, ds lors que tous les binationaux ne sont pas dans lamme situation. En effet, silest loisible certains de renoncer leur nationalit autreque franaise, dautres ne le peuvent pas, car ils sont ressortissants parfois contre leurgr dun tat dont le droit de la nationalit organise un systme dallgeanceperptuelle. La Constitution franaise, par un remarquable abandon de souverainet,remettrait ainsi le sort de certains Franais entre les mains dtats trangers dont ledroit contrevient radicalement un principe fondateur de la Rpublique : le caractrelectif de la citoyennet.

    27.

    Troisime critique, la qualit de bi- ou plurinational de tel ou tel Franais nest pas unlment figurant ltat-civil. Contrairement aux personnes naturalises dontlAdministration connat, par dfinition, la nationalit dorigine, les Franais ns franaissont, aux yeux de ltat,simplement franais : on ignore la ou les autres nationalits quiont pu leur tre transmises par un de leurs parents, ou quils ont pu acqurir au cours deleur vie. quel type dinvestigations ladministration sera-t-elle habilite se livrer pouridentifier une personne ne franaise qui dtient une autre nationalit ? La CNCDHtient exprimer, sur ce point, ses plus vives inquitudes.

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    b) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de lo i adopte par lAssemblenationale le 10 fvrier 2016

    28.

    Dans la version du projet de rvision constitutionnelle adopte par lAssemble nationale,il nest plus fait rfrence aux personnes nes franaises, mais aux seulespersonnes. Cette modification tend le champ dapplication personnel de la

    dchance de nationalit aux franais par attribution (franais dits de naissance)76, alorsque cette dchance ntait applicable jusque-l quaux Franais par acquisition certaines conditions (notamment celle dtre binational). Par voie de consquence, ladchance couvre dsormais, sans exception, tous les cas dacquisition et dattributionde la nationalit. Si la CNCDH se flicite de voir abandonner la distinction entre Franaispar acquisition et Franais par attribution, elle ne peut que dplorer le nivellementopr par la rduction du droit la nationalit, ds lors quelle est un lmentconstitutif de la personne et confre son titulaire des droits fondamentaux77. A celasajoute que lorsquune personne est dchue de sa nationalit antrieurement acquise(par voie de filiation par exemple), lon ne dispose pas doutils juridiques etadministratifs permettant dtablir avec certitude si elle dispose dune autre nationalit,dont lattribution dpend exclusivement du bon vouloir d'Etats trangers, souverains dansltablissement des rgles d'attribution de leur nationalit.

    29.Par ailleurs, lAssemble nationale a supprim de larticle 34la rfrence la dtentiondune autre nationalit par la personne susceptible de faire lobjet dune dchance. Acet gard, la CNCDH rappelle que larticle 15 de la Dclaration universelle des droits delhomme, en nonant que tout individu a droit une nationalit , interditlapatridie. Si cette Dclaration nest pas dote dune vritable valeur juridique78, ellefonde nanmoins des valeurs universelles auxquelles la CNCDH est particulirementattache. Cest sur son fondement que la loi n 98-170 du 16 mars 1998 sur lanationalit,dite loi Guigou , a modifi larticle 25 du code civil, qui, depuis lors,interdit de dchoir une personne de sa nationalit, lorsque cette sanction a pour

    rsultat de la rendre apatride. Larticle 25 du code civil rserve ainsi cette sanctionaux binationaux.Ces dispositions ne font que concrtiser des engagements internationaux divers pris par laFrance pour rduire les cas dapatridie79, situation qui peut emporter ngation de toutdroit. La France pourrait-elle par lextension de la dchance de nationalit tous lesFranais, mme non binationaux, renoncer la rserve dapatridie? Certains leproposent, mais il va de soi que si tel tait le cas, cette proposition constituerait pour laCNCDH un recul majeur. Notons que ce risque nest pas totalement prvenu parlengagement du Gouvernement de ratifier, dans les plus brefs dlais, la Convention du30 aot 1961 des Nations unies sur la rduction des cas dapatridie80. Il ne le serait pasplus avec la ratification de la Convention du Conseil de lEuropedu 6 novembre 1997 surla nationalit81, ds lors que ces deux textes ne garantissent pas la suppression de tous

    les cas dapatridie82. Dans ces conditions, la CNCDH, rappelant son attachement larticle 15 de la Dclaration universelle des droits de lhomme, est oppose toutemodification des textes qui serait motive par le souci de donner un fondementconstitutionnel la suppression de la rserve dapatridie, telle quelle est notammentprvue larticle 25 du code civil.

    2. Sagissant du champ dapplication matriel de la dchance de nationalit

    30.

    A titre liminaire, la CNCDH relve la totale indtermination des conditions dapplicationde la dchance de nationalit. Rien nest prcis quant :

    - la nature (administrative ou pnale) de la sanction ;

    -

    aux dlais (notamment le dlai entre lacquisition de la nationalit et lacommission de linfraction motivant le prononc de la dchance83, ainsi que ledlai entre la commission de cette infraction et le prononc de la dchance) ;

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    -

    au contenu prcis des incriminations motivant le prononc de la dchance.Au-del, la CNCDH tient exprimer ses plus vives rserves lgard des diffrentesversions du projet de loi constitutionnelle.

    a) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi constitutionnelle adopteen Conseil des ministres le 23 dcembre 2015

    31.

    Dans sa version initiale, le projet de loi constitutionnelle prvoit que la dchance denationalit peut tre prononce en cas de condamnation pour une infraction constituant une atteinte grave la vie de la Nation. LAssemble nationale na pasmodifi cette dernire formulation, qui dfinit trs largement le champ matriel de ladchance de nationalit, dchance qui quelle soit une sanction administrative ouune sanction pnale84est obligatoirement assujettie au respect dun certain nombre deprincipes du droit pnal et de la procdure pnale. Aussi, la forte indtermination delinfraction autorisant la mise en uvre de la dchance, savoir la condamnation pourune infraction constituant une atteinte grave la vie de la Nation, force-t-elle sinterroger sur le respect du principe de la lgalit des dlits et des peines (article 7 dela DDHC). En effet, le Livre quatrime du code pnal ( Des crimes et dlits contre lanation, l'Etat et la paix publique ) comprend un titre premier ( Des atteintes auxintrts fondamentaux de la nation ), sous lequel figure pour commencer un article 410-1 qui dfinit les intrts fondamentaux de la nation85 et couvre pas moins de quatrechapitres dfinissant une multiplicit de crimes et dlitsQuant au terrorisme strictosensu, ses diffrentes incriminations figurent, elles, au sein dun titre II. ( Duterrorisme) du mme livre du code pnal (Livre quatrime), aggravant ainsi le manquede lisibilit du comportement infractionnel punissable de la dchance de nationalit.

    b) Les critiques de la CNCDH portant sur la version du projet de loi adopte par lAssemblenationale le 10 fvrier 2016

    32.

    Plus grave encore, larticle 34, dans sa version adopte par lAssemble nationale,prvoit la possibilit de prononcer une dchance de nationalit en cas de condamnationpour dlit, soit une infraction de gravit moyenne et ce, alors mme que le ConseildEtat avait exclu cette possibilit86. Cette extension du champ dapplication matriel dela dchance de nationalit parat contraire aux exigences de ncessit et deproportionnalit de la sanction dcoulant tant de larticle 8 de la DDHC, que du droit delUnion europenne87. A cela sajoute la violation potentielle des engagementsinternationaux qui stipulent quun Etat Partie ne peut prvoir dansson droit interne laperte de la nationalit de plein droit ou son initiative que dans des hypothseslimitatives dont le comportement portant un prjudice grave aux intrts essentiels del'Etat Partie (article 7 de la Convention du 6 novembre 1997 sur la nationalit, article 8de la Convention du 30 aot 1961 sur la diminution des cas dapatridie)88. Tel nest

    indniablement pas le cas pour la commission dun grand nombre de dlits du Livrequatrime du code pnal voqu plus haut, en particulier lorsquil sagit dun abus de lalibert dexpression tel que la provocation des actes de terrorisme ou lapologie de telsactes (article 421-2-5 du code pnal). Pour toutes ces raisons, la CNCDH condamnelextension aux dlits duchamp dapplication matriel de la dchance de nationalit.

    33.Enfin, la Commission relve que larticle 25 du code civil permet dj, dans sa rdactionactuelle le prononc dune dchance de nationalit en cas de condamnation pour unacte qualifi de crime ou dlit constituant une atteinte aux intrts fondamentaux de laNation ou pour un crime ou un dlit constituant un acte de terrorisme. Pour les mmesraisons que prcdemment, la CNCDH recommande la suppression du mot dlit delarticle 25 du code civil.

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    34.

    Pour conclure, lextension des champs dapplication personnel et matriel de ladchance de nationalit comporte un risque non ngligeable de violation des principesdadquation,de ncessit et de proportionnalit, notamment rappels par le droit delUnion europenne. La nationalit est, il faut le souligner, un lment constitutif de lapersonne confrant son titulaire des droits fondamentaux.

    3. Sagissant de lefficacit de la dchance de nationalit

    35.

    Tout dabord, la Commission sinterroge, linstar du Conseil dEtat89, sur lefficacitdune telle sanction administrativeou pnale face cette nouvelle forme de terrorisme.La sanction ne dissuadera aucun terroriste potentiel de passer lacte. Elle sera doncinefficace pour prvenir la commission dinfractions. Il en serait de mme :

    - du prononc de la privation des droits civils et civiques qui est une peinecomplmentaire dfinie dans le code pnal (article 131-26) ;

    -

    de la rintroduction dans le code pnal de lindignit nationale qui,au surplus etcontrairement ce qui est frquemment soutenu, nest pas une peine, mais un

    crime cr par lordonnance du 26 aot 1944 et sanctionn de la dgradationnationale. Lhistoire de cette infraction rappelle des priodes sombres delhistoire90 et la dfinition de ses lments constitutifs pose en outre denombreuses questions au regard des exigences du principe de lgalit criminelle(article 7 de la DDHC)91.

    36.

    Ensuite, la CNCDH sinquite des consquences discriminatoires dune dchance denationalit, qui pourrait, en tout tat de cause, ne sappliquer qu des binationaux. Lastigmatisation de ces derniers constitue un ferment de division sociale.

    37.

    Par ailleurs, la dchance de nationalit ne protgera pas la socit franaise de laprsence sur le sol franais de ceux qui sont dchus de la nationalit franaise pour actes

    de terrorisme, mme si cest l le principal butdu projet de rvision constitutionnelle.En effet, les personnes dchues de la nationalit franaise, devenues trangres, peuventcertes faire lobjet dune procdure dloignement, mais lefficacit du dispositif nestpas garantie, ds lors que cet loignement nest possible que dans le respect dun certainnombre de droits - commencer par le droit absolu de ne pas tre expos destraitements contraires larticle 3 de la CESDH (interdiction de la torture, destraitements inhumains ou dgradants, etc.)-, respect auquel veille en particulier, au-deldes juridictions franaises, la Cour europenne des droits de lhomme92. Cest ainsi que laFrance sest retrouve dans limpossibilit de reconduire dans leur pays des Franaisdchus de leur nationalit franaise93. De surcrot, dans le cas o la personne dchue dela nationalit franaise na aucune autre nationalit, la mise en uvre dune procduredloignement est en pratique voue lchec, ds lors que la dtermination du pays de

    renvoi est impossible.Au-del, la CNCDH se doit dinsister sur les responsabilits politique et diplomatique de laFrance lgarddes pays dorigine vers lesquels elle dcide de renvoyerdes personnescondamnes pour des actes de terrorisme et qui peuvent navoir jamais vcu dans lespays concerns. Limage de la France serait ternie si sa politique dloignement en lamatire devait consister imposer aux pays de renvoi la charge daccueillir cespersonnes.

    38.

    Enfin et surtout, la dchance de nationalit est une sanction inadquate, au regard delextrme gravit des actes commis. En effet, il importe avant tout que la transgressionradicale de lordre social, que constituent les crimes de terrorisme, par la violence

    aveugle quils sment, ne tombe pas dans loubli. Mais il convient tout autant derflchir une rponse adapte cette violence extrme qui met en cause la paix civileet met en danger la socit politique. Cette rponse ne saurait consister prtendre

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    exclure radicalement ceux qui ont radicalement trahi le contrat social. En effet, lamaturit dune socit politique se mesure sa capacit connatre et surmonter sesdivisions intrieures, aussi graves soient-elles94.

    EN CONCLUSION,

    39.La CNCDH recommande labandonpur et simple de la rvision constitutionnelle.

    1Comit de rflexion et de proposition sur la modernisation et le rquilibrage des institutions de la VRpublique, Une Ve Rpublique plus dmocratique, La documentation franaise 2007, p. 20 : Force est en

    effet de constater que, mme sil y a lieu de mettre jour les mcanismes de ltat de sige et de ltatdurgence ce que le Comit recommande de faire en modifiant les dispositions de larticle 36 de laConstitution de telle sorte que le rgime de chacun de ces tats de crise soit dfini par la loi organique et laratification de leur prorogation autorise par le Parlement dans des conditions harmonises (Proposition n10) la diversit des menaces potentielles qui psent sur la scuri t nationale lre du terrorismemondialis justifie le maintien de dispositions dexception.2Assemble nationale, Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, n 3381, enregistr laPrsidence de lAssemble nationale le 23 dcembre 2015.3Voir M. Delmas-Marty, Liberts et sret dans un monde dangereux, PUF 2010, p. 129, qui relve quenmatire de terrorisme, le contournement des droits substantiels saccompagne parfois de celui des institutionscomptentes, telles que la CNIL ou la CNCDH.4Voir CNCDH 15 avril 2010,Avis sur llaboration des lois, en ligne sur :www.cncdh.fr5Sur cette question, voir M. Delmas-Marty, Le paradigme de la guerre contre le crime : lgitimerlinhumain? , RSC2007, p. 461 ; D. Caron, La bellicisation de la lutte contre le terrorisme : un dfi au

    droit , Liber amicorum en l'honneur de Rene Koering-Joulin, Nemesis / Anthemis 2014, pp. 113-135 ; D.Salas, La volont de punir, essai sur le populisme pnal, Hachette 2005.6En effet, dans le discours politique, le vocable de guerre ne saurait tre pris dans son acception technique dagression arme, au sens de larticle 51 de la Charte des Nations-Unies du 26 juin 1945.7CNCDH 15 janvier 2016, Dclaration sur ltat durgence et ses suites,JORF n0031 du 6 fvrier 2016, texten 57.8Voir F. Saint-Bonnet, Ltat dexception, PUF 2001, p. 16.9G. Braibant, LEtat face aux crises , Pouvoirs1979, pp. 8-9.10N. Questiaux, Etude sur les consquences pour les droits de lhomme des dveloppements rcents concernantles situations dites dtat de sige ou dexception, Nations unies (Conseil conomique et Social),E/CN.4/Sub.2/1982/15, 27 juillet 1982.Le mme constat a t fait en 1997 dans le rapport Landro Despouy (L. Despouy, Tenth Annual Report andList of States which, since 1 January 1985, Have Proclaimed, Extended or Terminated a State of Emergency, 23juin 1997, E/CN.4/Sub.2/1997/19).11

    M. Delmas-Marty, op. cit., p. 120 ; W. Mastor, Ltat dexception aux Etats-Unis : le USA PATRIOT Actetautres violations en rgle de la Constitution , CRDF, n 6, 2007, pp. 61-70.12Voir F. Saint-Bonnet, tat d'urgence : un statut constitutionnel donn l'arbitraire , JCP, d. gn., n 4,25 janvier 2016, p. 71, qui affirme que les terroristes djihadistes ne sont pas des ennemis spatio-temporels,c'est--dire des individus qui entendent contrler tout ou partie du territoire franais selon une rationalit

    politique ou tatique issue de la modernit. Leur communaut est celle des croyants qui ont fait allgeanceau Calife Al Baghdadi, qu'importe leur nationalit. Leur espace est universel, tout territoire qui ne vit passous l'empire de la charia est rput terre de djihad. Leurs objectifs ne sont pas terrestres ou politiques, ils'agit de convertir ou rendre la justice en vengeant les injures faites au prophte, en tuant. Et surtout, ilsne recherchent pas une quelconque scurit ici-bas car leur vritable scurit est dans l'Au-del, auprsd'Allah, () Ce sont toutefois pour les occidentaux des martyrs par antiphrase car ils les considrent avanttout comme des bourreaux, tandis que les vritables martyrs sont les victimes de ce terrorisme aveugle. L'tatd'urgence est largement dpourvu d'efficacit pour faire face la menace djihadiste .Voir galement sur ces questions, F. Saint-Bonnet, Le terrorisme djihadiste et les catgories juridiquesmodernes ,JCP, d. gn., n 50, 7 dcembre 2015, p. 1348 ; P. Morvan, Le terrorisme djihadiste : regardcriminologique ,JCP, d. gn.,n 1-2, 11 janvier 2016, doctr., p. 34 ; J.-C. Paye, La fin de lEtat de droit.La lutte antiterroriste de ltat dexception la dictature, La Dispute 2004, p. 10.

    http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/
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    13Voir M.-L. Basilien-Gainche, Etat de droit et tats dexception. Une conception de lEtat, PUF 2013,p. 238,qui crit quil y a quelques dangers prendre des textes sur lexception dans des contextes de crise aige:les gouvernants sont justifis prvoir des dispositifs organisant une confusion irraisonne des pouvoirs etune limitation excessive des liberts ; la dfinition de conditions trop souples et lautorisation deconcentration de pouvoirs trop prononcs sont de nature conduire des usages dmesurs voire usurps.14Dans ce sens voir B. Franois, La sparation des pouvoirs mise mal , Le Mondedu 22 dcembre 2015.15http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/prorogation_application_loi_55-385.asp16D. Salas,Audition du 26 janvier 2016.17Par exemple : article 169 de la Constitution dEspagne, article 19-7 de la Constitution du Portugal, article147 alina 2 de la Constitution de Lituanie, article 170-5 de la Constitution dAlbanie, article 117 de laConstitution dEstonie.18Cons. const. 2 septembre 1992, n 92-312 DC, cons. 1919Voir I. Boucobza et C. Girard, Constitutionnaliser ltat durgence ou comment soigner lobsessiondinconstitutionnalit? , La Revue des droits de lhomme [en ligne] Actualits Droits-Liberts, mis en ligne le5 fvrier 2016.20Sur la notion matrielle de Constitution dcoulant de larticle 16 de la DDHC, voir B. Mathieu, Constitution :rien ne bouge et tout change, lextenso ditions 2013, pp. 12-13 ; G. Koubi et R. Romi, Etat, Constitution, Loi.Fondements dune lecture du droit constitutionnel au prisme de la Dclaration de 1789, Editions de lEspaceeuropen 1991, pp. 59-68 ; P. Pactet, Institutions politiques et droit constitutionnel, Masson 1989, p. 66 (quivoque le constitutionnalisme) ; J. Gicquel et J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques,

    Domat 2015, p. 38.21Dans ce sens L. Fontaine, La constitutionnalisation des pouvoirs dexception comme garantie des droits?Lexemple des dmocraties est-europennes la fin du XX sicle , CRDF, n 6, 2007, pp. 56-57.22L. Fontaine, article prcit, p. 56 : si lon prtend imposer aux pouvoirs exceptionnels le respect des droitset liberts avec lesquels ils entrent en conflit, il faut donner aux derniers un statut normatif suprieur : soiten reconnaissant lexistence sune supra-constitutionnalit, soit en faisant redescendre la normativit des

    pouvoirs dexception qui ne doivent donc rester que lgislatifs. Lavantage de cette dernire solution peuttre de na pas exclure un ventuel contrle de lusage des pouvoirs exceptionnels, en les subordonnant laConstitution.23Dans ce sens S. Slama,Audition du 14 janvier 2015.24Observation gnrale n 29, tats durgence (art. 4) du 24 juillet 2001, Nations uniesCCPRCCPR/C/21/Rev.1/Add.11.25CE, Ass. 30 octobre 1998, Sarran, n 200286 et 200287 : la suprmatie confre aux engagementsinternationaux ne sapplique pas dans lordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle ; Cass.

    Ass. Pln. 2 juin 2000, Mme Fraisse, n 99-60.274.26L. Fontaine, article prcit p. 57.27Expos des motifs, p. 3 : Pour combattre efficacement le terrorisme, comme ltat se doit de le faire,lensemble des responsables politiques ont voulu que soit mis en uvre et prorog ltat durgence dans lesconditions prvues par la loi du 20 novembre 2015, qui a actualis, soixante ans aprs son adoption, la loi du 3avril 1955. Toutefois, faute de fondement constitutionnel, cette actualisation est reste partielle. Un tel

    fondement est en effet ncessaire pour moderniser ce rgime dans des conditions telles que les forces depolice et de gendarmerie puissent mettre en uvre, sous le contrle du juge, les moyens propres luttercontre les menaces de radicalisation violente et de terrorisme. Le nouvel article 36-1 de la Constitutionrelatif ltat durgence, qui est lobjet du premier article du prsent projet de loi constitutionnelle, fournitle cadre de ce rgime juridique .28Par exemple, les contrles didentitsans ncessit de justifier de circonstances particulires tablissant lerisque datteinte lordre public et, le cas chant, la visite de vhicules avec ouverture des coffres ; laretenue administrative sans autorisation pralable de la prsente dans le domicile ou le lieu faisant lobjet

    dune perquisition administrative; saisie administrative dobjets et dordinateurs durant les perquisitionsadministratives (voir Expos des motifs, pp. 4-5.).29G. Braibant, article prcit, p. 8.30Conseil dEtat (Assemble gnrale / Section de lintrieur) 11 dcembre 2015,Avis n 390866 sur le projetde loi constitutionnelle de protection de la Nation, 10.31Voir Assemble nationale, Rapport n 3451 fait au nom de la Commission des lois () sur le projet de loi constitutionnelle (n 3381) de protection de la Nation, Paris 2016, pp. 11-12, qui prcise en outre que laconstitutionnalisation permettra dviter une ventuelle censure des nouvelles dispositions lgislatives par leConseil constitutionnel.32Cons. const. 25 janvier 1985, n 85-187 DC ; Cons. const. 22 dcembre 2015, n 2015-527 QPC.33Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2015, qui prcise en outre que larticle 36 de laConstitution de 1958 fixe une pure rgle de comptence parlementaire compltant celle de larticle 35 selonlaquelle la dclaration de guerre est autorise par le Parlement . Ces deux dispositions sont troitementlies et figuraient dailleurs au mme article dans lavant-projet de Constitution, comme ctait aussi le casdans larticle 7 de la Constitution de 1946 modifie en 1954.34Pour plus de dtails, voir A. Heymann-Doat, Les liberts publiques et la guerre dAlgrie, LGDJ 1972.

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    35F. Saint-Bonnet, tat d'urgence : un statut constitutionnel donn l'arbitraire , article prcit. Voir djL. Fontaine, article prcit, p. 54 ; M. Rouzeau, Crise extrieure et scurit intrieure , Pouvoirsn 58,1991, p. 53.36Dans ce sens F. Saint-Bonnet, tat d'urgence : un statut constitutionnel donn l'arbitraire , articleprcit. En effet, la loi de 1955 a volu en fonction des problmes traiter et encore trs rcemment avec laloi n 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant lapplication de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative ltat durgence et renforant lefficacit de ses dispositions.37Dans ce sens A. Heymann-Doat,Audition du 11 janvier 2016.38Pour quelques pistes, voir CNCDH 18 fvrier 2016, Avis sur le suivi de ltat durgence, en ligne surwww.cncdh.fr39Dans ce sens M.-L. Basilien-Gainche, op. cit., p. 238 ; P. Caille, Ltat durgence. La loi du 3 avril 1955entre maturation et dnaturation , RDP2007, pp. 347-349 ; F. Rolin, Ltat durgence, in: B. Mathieu(dir.), 1958-2008. Cinquantime anniversaire de la Constitution franaise, Dalloz 2008, pp. 618-619 ; D.Rousseau, Un projet recevable mais qui doit tre rcrit , Le Mondedu 22 dcembre 2015 ; J.-P. Derosier, L'tat d'urgence : un rgime exceptionnel et provisoire , La Semaine Juridique Administrations etCollectivits territorialesn 47, 23 novembre 2015, act., p. 957 ; J.-P. Derosier, Un rgime dexception quirenforce lEtat de droit et la dmocratie, Le Mondedu 2 fvrier 2016 ; S. Slama,Audition du 14 janvier 2015.Voir dj R. Drago, Ltat durgence (lois des 3 avril et 7 aot 1955) et les liberts publiques, RDP1956, p.704, qui proposait dinscrire ltat durgence dans la Constitution, afin que cela fasse disparatre ltat desige politique.40Dans ce sens M.-L. Basilien-Gainche, op. cit., p. 240 ; A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2016; O.Beaud,Audition du 14 janvier 2016.41O. Beaud, tat d'urgence : un statut constitutionnel donn l'arbitraire , JCP, d. gn.n 4, 25 Janvier2016, p. 71.42I. Boucobza et C. Girard, article prcit.43Voir Cons. const. 19 janvier 2006, n 2005-532 DC.Le Conseil constitutionnel a clairement jug que les mesures de police administrative nont pas treautorises par lautorit judiciaire (Cons. const. 29 novembre 2013, Socit Wesgate Charles Ltd, n 2013-357QPC, propos de la visite des navires par les agents des douanes).44O. Beaud, tat d'urgence : un statut constitutionnel donn l'arbitraire , article prcit.45 La prorogation de ltat durgence au-del de douze jours ne peut tre autorise que par la loi. Celle-ci en

    fixe la dure, qui ne peut excder quatre mois. Cette prorogation peut tre renouvele dans les mmesconditions.46Dans ce sens A. Heymann-Doat, Audition du 11 janvier 2016; O. Beaud, Audition du 14 janvier 2016; D.

    Salas,Audition du 26 janvier 2016.47Voir Snat, Projet de loi n 356 prorogeant lapplication de la loi n 55-385 du 3 avril 1955 relative ltatdurgence.48N. Questiaux, op. cit., p. 16.49Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet,Audition du 11 janvier 2016.50Dans ce sens, voir le rapport collectif Lurgence den sortir, p. 56.51Article 36-1 alina 3 : Pendant toute la dure de ltat durgence, le Parlement se runit de plein droit etlAssemble nationale ne peut tre dissoute52Pour garantir notamment ladquation entre les circonstances qui sont lorigine de ltat durgence et lesmoyens mis en uvre.53A cet gard, lon notera que la Cour europenne des droits de lhomme exerce un contrle deproportionnalit sur le fondement de larticle 15 de la CESDH. Rappelant que les Etats ne jouissent pas dunpouvoir illimit, la Cour de Strasbourg nonce quelle a comptence pour dcider, notamment, sils ontexcd la stricte mesure des exigences de la crise. La marge nationale dapprciation saccompagne donc dun

    contrle europen. Quand elle exerce celui-ci, la Cour doit en mme temps attacher le poids qui convient des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchs, la dure de ltat durgence et les circonstancesqui lont cr (Cour EDH 26 mai 1993, Brannigan et Mc Bride c. Royaume-Uni, req. n 14553/89 et 14554/89, 43).54Cour EDH 26 mai 1993, affaire prcite Brannigan et Mc Bride c. Royaume-Uni, 54, qui nonce que larticle15-3 commande un rexamen constant de la ncessit de mesures dexception.55Voir galement larticle 27-1 de la Convention amricaine des droits de lhomme.56Article 36-1 alina 4 : Les rglements des assembles prvoient les conditions dans lesquelles le Parlementcontrle la mise en uvre de ltat durgence.57Larticle 91 de la Loi fondamentale allemande prcise que les restrictions dans le cadre de ltat durgencene peuvent porter que sur les droits garantis aux articles 10 et 11, savoir : le secret des correspondances etdes communications et la libert de circulation et dtablissement.Quant larticle 116 de la Constitution espagnole, il prvoit que les droits fondamentaux pouvant trerestreints ne peuvent tre que ceux prvus larticle 55 -1, savoir : le droit la libert et la sret,linviolabilit du domicile, le secret des communications, la libert de circulation et de rsidence, la libertdexpression et dinformation, le droitde runion et le droit de grve.

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    58Cest la technique utilise dans les constitutions bulgare, hongroise, slovne, russe, polonaise, croate,estonienne et macdonienne (pour une prsentation dtaille voir L. Fontaine, article prcit, pp. 54-55).A titre dexemple, article 233 de la Constitution polonaise: La loi dfinissant l'tendue de la restriction desliberts et des droits de l'homme et du citoyen pendant l'tat de sige et l'tat d'urgence ne peut limiter lesliberts et les droits prvus l'article 30 (dignit de l'homme), aux articles 34 et 36 (nationalit), l'article 38(protection de la vie), aux articles 39, 40 et au quatrime alina de l'article 41 (traitement humanitaire), l'article 42 (engagement de la responsabilit pnale), l'article 45 (accs la justice), l'article 47 (biens

    personnels), l'article 53 (conscience et religion), l'article 63 (droit de ptition) et aux articles 48 et 72(famille et enfant).Il est interdit de limiter les liberts et les droits de l'homme et du citoyen uniquement en raison de sa race,de son sexe, de sa langue, de sa religion ou de son incroyance, de son origine sociale, de ses anctres et de sa

    fortune.La loi dfinissant l'tendue de la restriction des liberts et des droits de l'homme et du citoyen pendant l'tatde calamit peut limiter les liberts et les droits prvus l'article 22 (libert conomique), aux premier,troisime et cinquime alinas de l'article 41 (liberts personnelles), l'article 50 (inviolabilit du domicile),au premier alina de l'article 52 (libert de circuler et de sjourner sur le territoire de la Rpublique dePologne), au troisime alina de l'article 59 (droit la grve), l'article 64 (droit de la proprit), au premieralina de l'article 65 (libert de travailler), au premier alina de l'article 66 (droit la scurit et l'hyginesur le lieu de travail) et au deuxime alina de l'article 66 (droit au repos).59En droit international et europen, les droits intangibles sont le droit la vie (article 6 PIDCP, article 2

    CESDH, article 4 CADH), linterdiction de la torture (article 7 PIDCP, article 3 CESDH, article 5 CADH),linterdiction de lesclavage (article 8 PIDCP, article 4 CESDH, article 6 CADH), linterdiction de mesurespnales rtroactives (article 15 PIDCP, article 7 CESDH, article 9 CADH), le droit la reconnaissance de lapersonnalit juridique (article 16 PIDCP, article 18 CADH), et la libert de conscience et de religion (article 18PIDCP, article 12 CADH). Il conviendrait galement, ainsi que cela ressort dune Observation gnrale duComit des Droits de lHomme Comit des droits de lhomme, Observation gnrale n 29 (2001) et desrecommandations de la Commission de Venise (Commission europenne pour la dmocratie par le droit, op.cit., p. 26.), dajouter cette liste les droits procduraux (droit daccs la justice, droit un recourseffectif, prsomption dinnocence, droits de la dfense, droit de se taire, etc.).60N. Questiaux, op. cit., p. 15.61Commission europenne pour la dmocratie par le droit, Les pouvoirs dexception, CoE, coll. Science ettechnique de la dmocratie 1995, pp. 25-26.62Dans ce sens Commission europenne pour la dmocratie par le droit, op. cit. p. 25 ( Les situationsdurgence capables de donner lieu la proclamation de telle ou telle forme dtat dexception doivent tre

    clairement dfinies et dlimites par la Constitution. En dautres termes, il faut que soit spcifie clairementlexistence dun danger rel et imminent).Notons que la Cour de Strasbourg, interprtant larticle 15 de la CESDH, prcise que les mots en cas de

    guerre ou en cas dautre danger public menaant la vie de la Nation dsignent une situation de crise ou dedanger exceptionnel et imminent qui affecte lensemble de la population et constitue une menace pour la vieorganise de la communaut composant lEtat (Cour EDH 1erjuillet 1961, Lawless c. Irlande, req. n 332/57, 28).63Dans ce sens Assemble nationale, Rapport prcit n 3451, p. 19.64Comme cela est prvu au dernier alina de larticle 16 de la Constitution de 1958 qui dispose: Aprs trente

    jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut tre saisi par le Prsident del'Assemble nationale, le Prsident du Snat, soixante dputs ou soixante snateurs, aux fins d'examiner siles conditions nonces au premier alina demeurent runies. Il se prononce dans les dlais les plus brefs parun avis public. Il procde de plein droit cet examen et se prononce dans les mmes conditions au terme desoixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et tout moment au-del de cette dure.65

    Dans ce sens Commission europenne pour la dmocratie par le droit, op. cit., p. 26 ; Dfenseur des droits,25 janvier 2016,Avis n 16-03, p. 12.66Dans ce sens O. Beaud,Audition du 14 janvier 2016; S. Slama,Audition du 14 janvier 2016.67Voir dj CNCDH 6 janvier 2011,Avis sur les modifications apportes par lAssemble nationale au projet deloi sur limmigration, lintgration et la nationalit, en ligne sur :www.cncdh.fr, 15.68Dans ce sens A.-M. Le Pourhiet, Audition du 11 janvier 2016; O. Beaud, Ce projet de rformeconstitutionnelle est inutile et inepte , Le Monde du 2 fvrier 2016.69Conseil dEtat (Assemble gnrale / Section de lintrieur) 11 dcembre 2015,Avis prcit, 5.70En cette matire, lon doit toutefois relever le contrle que la Cour de justice de lUnion europenne estsusceptible dexercer lorsquun citoyen de l'Union devient apatride la suite d'un retrait de sa nationalit parun Etat de lUnion car il perd ainsi le statut de citoyen de l'Union confr par l'article 20 TFUE, qui a vocation tre le statut fondamental des ressortissants des tats membres (CJUE 2 mars 2010,Janko Rottman c.FreistaatBayern,C-135/08).71Plus prcisment, lextension du champ dapplication personnel de la dchance de nationalit vise lespersonnes binationales ou plurinationales nes franaises par filiation (articles 18 et 20 du code civil), cellesnes franaises dun parent lui-mme n en France ( double droit du sol prvu par larticle 19-3 du code

    http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/http://www.cncdh.fr/
  • 7/24/2019 Avis CNCDH rforme constitutionnelle

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