bioetica si ceretarea stiintifica

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Université Jean Moulin Lyon 3 École doctorale : Droit La liberté de la recherche en matière de bioéthique Par Vanessa REA Thèse de doctorat de Droit public Sous la direction de Thierry DEBARD Présentée et soutenue publiquement le 4 décembre 2009 Membres du jury : Thierry DEBARD, Professeur des universités, Université Lyon 3 Louis DUBOUIS, Professeur émérite, Université Aix Marseille 3 Mireille COUSTON, Professeur des universités, Université Lyon 3 Brigitte FEUILLET, Professeur des universités, Université Rennes 1 Etienne VERGES, Professeur des universités, Université Grenoble 2

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Universit Jean Moulin Lyon 3cole doctorale : Droit

La libert de la recherche en matire de biothique

Sous la direction de Thierry DEBARD Prsente et soutenue publiquement le 4 dcembre 2009

Thse de doctorat de Droit public

Par Vanessa REA

Membres du jury : Thierry DEBARD, Professeur des universits, Universit Lyon 3 Louis DUBOUIS, Professeur mrite, Universit Aix Marseille 3 Mireille COUSTON, Professeur des universits, Universit Lyon 3 Brigitte FEUILLET, Professeur des universits, Universit Rennes 1 Etienne VERGES, Professeur des universits, Universit Grenoble 2

Table des matires[Avertissement] . . [Remerciements] . . Ddicace . . Table des principales abrviations . . Introduction . . I. La biothique, une transdiscipline15

5 6 7 8 12. Quelles consquences sur le droit ? . .

A. Les enjeux de la biothique dans un contexte multidisciplinaire . . B. Le choix du droit de la biothique . . II. Le cadre des droits fondamentaux : pour une approche de la biothique en droit public. Regard sur le droit interne et international . . A. La conception des droits fondamentaux . . B. Les fondements dun droit europen et international de la biothique . . Premire partie. Lindispensable mutation du droit a lpreuve du progrs scientifique . . Titre I. La biothique et le droit . . Chapitre 1. Biothique et mutation du droit . . Chapitre 2. Biothique et lgitimit du droit . . Titre 2. Les incertitudes du droit en matire de biothique . . Chapitre 1. tude du travail normatif et prnormatif du conseil dtat, du parlement et du conseil constitutionnel en biothique . . Chapitre 2. tude des sources du droit de la biothique en France : de 1988 a 2009 . . Deuxime partie. La recherche scientifique canalise par le droit . . Titre 1. La libert de la recherche dans le droit . . Chapitre 1. tendue de la libert de la recherche en droit . . Chapitre 2. Libert de la recherche : tude compare des rgles et poids de lconomie . . Titre 2. La libert de la recherche en droit europen et international . . Chapitre 1. Vers un droit europen de la biothique . . Chapitre 2. Pour une dynamique normative universelle de la biothique . . Conclusion Gnrale . . Glossaire . . Bibliographie . . Ouvrages gnraux, manuels et dictionnaires . . Ouvrages spciaux, monographies et thses . . Ouvrages collectifs . . Ouvrages individuels . . Articles de doctrine et autres contributions . . Rapports . . Avis du comite consultatif national dthique . . Contributions dans des supports lectroniques . . Principales rfrences jurisprudentielles . .

15 15 22 26 26 32 39 40 41 93 144 145 184 226 227 227 278 318 319 365 412 415 417 417 418 418 422 428 453 457 458 458

Jurisprudence nationale . . Jurisprudence rgionale . . Principales rfrences normatives . . Droit interne . . Droit tranger . . Droit communautaire . . Textes europens et internationaux . . Dcisions de lagence de la biomdecine . . Dcisions de loffice europen des brevets . .

459 462 463 463 465 466 467 467 468

[Avertissement]

[Avertissement]LUniversit Jean Moulin Lyon III nentend accorder aucune approbation, ni improbation aux opinions mises dans les thses. Ces opinions doivent tre considres comme propres leurs auteurs.

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La libert de la recherche en matire de biothique

[Remerciements]Je tiens exprimer ma profonde reconnaissance au Professeur Thierry Debard, pour mavoir dirige et accompagne durant la ralisation de cette thse. Je remercie galement Madame Christiane Bessueille, Monsieur Ren Proriol et mes parents pour avoir relu attentivement cette thse, ma famille pour sa patience et ses encouragements.

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Ddicace

DdicaceA Liv, Grgory et mes parents

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La libert de la recherche en matire de biothique

Table des principales abrviationsABM Agence de la biomdecine Actu. Jurisant Actualits JuriSant ADPIC Accords sur les aspects des droits de proprit intellectuelle relatifs au commerce ADSP Actualit et dossier en sant publique AFSSAPS Agence franaise de scurit sanitaire des produits de sant AJDA Actualit juridique de droit administratif al. alina AMP Assistance mdicale la procration ANRT Association nationale de la Recherche Technique Archives Phil. dr. Archives de philosophie du droit Art. Article BGBI Bundesgesetzblatt (Journal officiel) Bull. CE Bulletin des Communauts europennes Bull. civ. Bulletin des arrts de la Cour de cassation, chambres civiles Bull. crim. Bulletin des arrts de la Cour de cassation, chambre criminelle Bull. Ordre md. Bulletin de lOrdre des mdecins Bull. Ordre pharm. Bulletin de lOrdre des pharmaciens BVerfG Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fdrale) BVerfGE Amtl. Slg der Entscheidungssammlung des BVerfG (Recueil officiel des arrts de la Cour constitutionnelle fdrale) C. civ. Code civil C. pn. Code pnal C. trav. Code du travail CA Cour dappel CAA Cour administrative dappel Cah. hosp. Les Cahiers hospitaliers CAHBI Comit Ad Hoc dexperts sur la biothique Cass. Ass. pln. Cour de cassation, Assemble plnire Cass. ch. mixtes Cour de cassation, chambres mixtes Cass. civ. Cour de cassation, chambre civile Cass. com. Cour de cassation, chambre commerciale Cass. crim. Cour de cassation, chambre criminelle Cass. req. Cour de cassation, chambre des requtes8

Table des principales abrviations

Cass. soc. Cour de cassation, chambre sociale CC Conseil constitutionnel CCNE Comit consultatif national dthique CDBI Comit directeur de la biothique CE Conseil dEtat CEDH Cour europenne des droits de lhomme Cellule ES Cellule embryonnaire souche CGCT Code gnrale des collectivits territoriales ch. chambre chron. chronique CIB Comit international de biothique CJCE Cour de justice des communauts europennes CNRS Centre National de la Recherche Scientifique coll. collection comm. commentaire concl. conclusions contracontrairement, solution contraire CPI Code de la proprit intellectuelle CPP Code de procdure pnale CSP Code de la sant publique CSS Code de la scurit sociale D. Recueil Dalloz dir. direction doct. doctrine Dr. adm. Droit administratif Dr. soc. Droit social d. dition d. perm. dition permanente fasc. fascicule Gaz. Pal. Gazette du Palais GEE Groupe europen dthique des sciences et des nouvelles technologies Gest. hosp. Gestions hospitalires Ibid. Ibidemau mme endroit infra voir ci-dessous9

La libert de la recherche en matire de biothique

INRA Institut national de la recherche agronomique INSERM Institut national de la sant et de la recherche mdicale IR Informations rapides J. Cl. Juris-Classeur JCP d. E Juris-classeur priodique (semaine juridique) dition entreprise JCP. d. G Juris-classeur priodique (semaine juridique) dition gnrale JCP. d. N Juris-classeur priodique (semaine juridique) dition notariat JO Journal officiel JOCE Journal officiel des communauts europennes JOUE Journal officiel de lUnion europenne jurisp. jurisprudence LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence loc. cit. lendroit cit LPA Les Petites Affiches Md. et droit Mdecine et Droit n numro NIH National Institutes of Health not. notamment obs. observations OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomique OEB Office europen des brevets OMC Organisation mondiale du commerce OMS Organisation mondiale de la sant op. cit. dans louvrage prcit Ord. Ordonnance p. page prc. prcit PUAM Presses universitaires dAix-Marseille PUF Presses universitaires de France rapp. rapport RD sanit. soc. Revue de droit sanitaire et social RDP Revue du droit public et de la science politique Rp. Civ. Dalloz Rpertoire civil Dalloz Rev. fr. aff. soc. Revue franaise des affaires sociales10

Table des principales abrviations

Rev. fra. ad. pub. Revue franaise dadministration publique Rev. pol. et parl. Revue politique et parlementaire Rev. Revue Rev. sc. crim. Revue de sciences criminelles et de droit compar RFDA. Revue franaise de droit administratif RGDM Revue gnrale de droit mdical RID comp. Revue internationale de droit compar RRJ Revue de la recherche juridique Droit prospectif RTD.civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD.com. Revue trimestrielle de droit commercial S. Recueil Sirey s. suivant somm. sommaire sp. spcialement ss la dir. de sous la direction de suppl. supplment supravoir ci-dessus T. civ. Tribunal civil T. confl. Tribunal des conflits T. correc. Tribunal correctionnel TA Tribunal administratif TGI Tribunal de grande instance TI Tribunal dinstance V. Voir vol. volume

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La libert de la recherche en matire de biothique

IntroductionLa biothique ne peut tre dfinie comme une discipline ou une science. Le terme 1 biothique renvoie un ensemble de recherches, de discours et de pratiques . Son dveloppement a lieu dans un contexte pluraliste, pluridisciplinaire et son objet vise clairer des problmatiques thiques, engendres par lavance et lapplication des sciences biomdicales. La difficult lie la diffusion des sciences et des techniques tient 2 notamment au fait quelles se dveloppent en tant affranchies de tout dogme . La biothique tente alors dapporter des rponses cet essor. Deux voies lui sont ouvertes. Soit la biothique opte pour une solution pragmatique des problmes, en tentant de rsoudre des difficults dordre moral avec des rponses concrtes, ce que G. Hottois appelle la 3 casuistique concrte . Soit la biothique sessaie des rponses plus gnrales et soriente vers des normes plus consensuelles pour remporter un agrment universel. Cest 4 luniversalisme formel , qui tente de runir tous les points de vue, philosophiques, religieux, idologiques, dans un contexte pluraliste. Lcueil est la production dune norme, certes universelle, mais vide de substance donc d'intrt. La biothique doit permettre de concilier limpratif de libert de la recherche avec 5 le primat de la protection de la personne et la sauvegarde de lhumanit . Le droit doit-il sastreindre aux mmes impratifs quand il traite des questions de biothique ? Les difficults ontologiques, qui envahissent le dbat de la libert de la recherche en biothique, npargnent pas le droit. Il se heurte une ralit de la personne humaine qui ne peut tre limite qu une conception juridique. Cette acception juridique est fictionnelle et naturellement nourrie de valeurs qui sont autres que juridiques. La biothique jongle avec diffrentes sphres, de lthique au droit, de la thologie la philosophie et de lconomie la politique. Ces disciplines inspirent la biothique, tout en semparant delle pour satisfaire des intrts propres. Ainsi, elle est un enjeu de pouvoir lorsquelle est capture par les 6 cercles dirigeants en mme temps quelle est investie par les milieux daffaires . Le droit doit tenir compte de ces ralits et des pressions qui en dcoulent. Il ne doit donc pas se tromper de questions lorsquil tente de rgir les rapports de la science avec la personne humaine. Il doit, la fois, articuler la libert de la recherche avec lactivit du scientifique et la rguler juridiquement afin quelle respecte la personne humaine. G. Durand propose trois concepts pour aborder le thme de la normativit, dont on retient trois niveaux : la valeur, le principe et la rgle. Le terme valeur regroupe lesG. HOTTOIS, M-H. PARIZEAU, Les mots de la biothique. Un vocabulaire encyclopdique, Bruxelles, De Boeck Universit, 1993, Ibid., p. 49. Ibid., p. 50 ; Ibid.5 7

1

pp. 49-60.2 3 4

Union interparlementaire, La biothique : enjeu international pour la protection des droits de la personne , Rsolution me er adopte par consensus par la 93 confrence interparlementaire, Madrid, 1 avril 1995.6 7

L. SEVE, Quest-ce que la personne humaine ? Biothique et dmocratie, Paris, La Dispute, 2006, p. 33. G. DURAND, Introduction la biothique. Histoire, concepts et outils, Canada, Fides Cerf, 1999, p. 165.

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Introduction

grands idaux et sanalyse comme le mot le plus gnral et le plus dynamique par rapport au principe . Le principe dsigne la proposition initiale dun raisonnement , partir duquel on dduit des consquences et des propositions. Sa nature est abstraite, impersonnelle , universelle et objective. Cest l sa grande diffrence avec la rgle , qui se concrtise et se prcise bien plus que le principe. Lautre distinction, entre ces deux notions, tient leur nombre et leur stabilit : les principes sont peu nombreux et stables ; les rgles sont nombreuses et peuvent varier. Une dynamique sarticule donc entre ces trois fonctions, puisque ces trois concepts sont dpendants les uns des autres, sauf ne rester que pure thorie. Les principes traduisent les valeurs et les rgles concrtisent les principes. Mais cette dynamique se joue aussi dans lautre sens, puisque laction est dirige par la rgle, qui est contrle par les principes et les valeurs. Des exceptions sont possibles cette relation triangulaire, des exceptions aux rgles, faites au nom des principes et des valeurs. Or, on saperoit, dans la problmatique de la biothique, et notamment celle de la recherche sur lembryon humain in vitro, que cest le principe et la valeur qui risquent dtre modifis, la faveur de la rgle. Tous les cinq ans, le droit franais prvoit que sa loi de biothique sera rvise, cela pour sadapter et coller au plus prs des avances scientifiques. La premire tape est donc la modification de la rgle. Le lgislateur sest engag dans une procdure sans fin, puisque la science est toujours appele se modifier. Le droit tend la satisfaire toujours plus. Ainsi, alors quil a pralablement pos des principes fondamentaux essentiellement fonds sur des valeurs ontologiques, pour ce qui touche lembryon, la rgle, elle, protge la dignit de la personne humaine et, pour le cas de lembryon in vitro, le Code de la sant publique lui accorde un cadre de dispositions le protgeant. Larticle L. 2151-5 de ce code dispose que La recherche sur lembryon humain est interdite . La rgle fait pourtant lobjet dune drogation qui laisse supposer que cest le socle des principes fondamentaux, qui motivent le respect, qui est appel voluer, tre relativis en fonction des besoins de la loi et non pas au nom des principes ou des rgles. Cest la seconde tape qui semble ruiner la base des droits fondamentaux et la logique de la normativit. Lappropriation de lhumain et de son corps est une question centrale qui repose sur deux axiomes. Le premier est la distinction des choses et des personnes. Les personnes sont hors commerce et ne peuvent tre appropries. Elles bnficient de droits subjectifs. Le second distingue les choses appropriables et les choses non appropriables. la problmatique de lappropriation et de la commercialisation de lhumain, le droit rpond en objectant plusieurs rgles. La premire est celle du respect de la dignit : La loi assure la primaut de la personne, interdit toute atteinte la dignit de celle-ci et garantit le respect de l'tre humain ds le commencement de sa vie , selon larticle 16 du Code civil. Larticle 16-1 complte cette disposition : Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses lmetns et ses produits ne peuvent faire lobjet dun droit patrimonial . Pourtant, le droit se heurte une difficult lie la pratique de la science sur le corps humain. Lusage du corps nest pas exclu et la mdecine lutilise lgalement pour des raisons sanitaires. Il faut donc distinguer lusage et le commerce du corps. Le droit fait cette diffrence et place le corps hors commerce , ce qui signifie quaucune convention ne peut tre conclue sur lui. Cest ce que lon dduit de larticle 1128 du Code civil qui affirme cette indisponibilit. La jurisprudence sinscrit dans le mme sens mais trs discrtement, 8 puisque trs peu de dcisions ont t prononces ce sujet. M-A. Hermitte na recens que 9 me deux dcisions , au cours du XIX sicle, et il faut attendre les annes 1990 pour que8

M-A. HERMITTE, Le corps hors du commerce, hors du march , Archives de philosophie du droit, tome 33, 1988, p. 324. Trib. Corr., Seine, 14 mars 1884, GP., 15 mars 1844 ; C. Cass. Civ., 27 juin 1913, note H. LADOU, D. 1914. II. 73.

I. ARNOUX, Les droits de ltre humain sur son corps, Bordeaux, PUF de Bordeaux, 2003, 575 p., p. 192.9

13

La libert de la recherche en matire de biothique

la rgle soit de nouveau cite dans la jurisprudence. Seulement, la biothique bouscule les fondements du droit, en explorant toujours plus loin les parties du corps humain. Certaines navaient pas t imagines par le droit. Aussi est-il question de savoir jusquo lhumain est inappropriable. Deux principes fondamentaux offrent un socle au droit en matire de biothique : le principe de dignit de la personne humaine et la libert de la recherche. Ils doivent saccommoder lun et lautre tout en sopposant parfois. La science rpond des exigences dordre conomique. Cest ce qui cre lambivalence du cadre du droit de la biothique. Des rgles de respect de la dignit humaine, issues des droits de lhomme, sont affirmes 10 tout en tant dmenties ou dtournes. Prcisment parce que la biothique traverse diffrents champs, de lthique la philosophie, du droit lconomie, elle se construit partir de rgles, en rivalit parfois, qui ne permettent pas de se positionner franchement. Cela dautant plus que la biothique, bien que guide par des principes fondateurs, s'arrange aisment du pragmatisme des scientifiques. Elle est comme un espace dans lequel se 11 dveloppent des pratiques qui ne sont pas en osmose totale avec les valeurs de la socit. La biothique offre alors un espace de rflexion, comme un jardin dacclimatation pour 12 N. Fresco , qui dcrit comment la biothique parvient autoriser linterdit et permet de laccepter pour lavenir. La manuvre qui permet de passer de linterdiction ladhsion semble possible grce une logique qui organiserait avec succs la cohabitation des principes fondamentaux. Pourtant, cette logique est difficile atteindre au regard des visions les plus classiques qui animent le dbat sur la libert de lhomme. La premire vision revendique la libert de lhomme et laborde de manire subjective, alors que la seconde lui prfre une vision objective, dans un contexte humaniste. Ainsi, pour le premier courant, la libert sanalyse comme tant individualiste et conditionne par laptitude la libert de celui qui en est le 13 titulaire . Pour le second courant, la dignit ne rpond aucune condition et surtout pas de laptitude tre libre. Mais il est possible de se trouver entre ces deux doctrines. Cest la position du droit positif qui est mi-chemin entre la protection des droits fondamentaux et la reconnaissance des exigences scientifiques, sans trancher en la faveur de lune ou lautre lorsquelles sont en conflit. Un postulat de dpart peut confirmer cette situation : sans libert de recherche, lhomme nest pas un tre totalement libre, et sans cette libert, il nest pas non plus parfaitement digne. Cependant, la libert du scientifique doit tre relativise pour ne pas entamer ce qui constitue la dignit de ltre humain. Le principe semble acquis et ne soulve pas de difficults majeures au premier regard. Pourtant, deux points dachoppement font buter le scientifique, le lgislateur et le juge. Labsence de dfinition univoque de la dignit de la personne humaine est un premier obstacle qui tend dnaturer la valeur, au sens de G. Durand, et le contenu de ce principe. La question du titulaire de ce principe constitue le second problme. Qui peut se prvaloir de la dignit de la personne humaine ? Selon les dfinitions donnes la vie humaine, les rponses varient, ainsi que les rgles juridiques appliques lactivit scientifique. La biothique est donc un phnomne dpendant de la socit dans laquelle elle se dveloppe et constitue un10

B. MATHIEU, Plaidoyer dun juriste pour un discours biothique engag , inN. LE DOUARIN, C. PUIGELIER (dir.), M. CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire dthique et de philosophie morale. Voir lanalyse de R. OGIEN propos du terme N. FRESCO, Le clonage humain, Paris, Le Seuil, 1999, 207 p. B. MATHIEU, op. cit., p. 272.

Science, thique et droit, Paris, O. Jacob, 2007, pp. 253-277.11

valeur, pp. 1052-1064.12 13

14

Introduction

phnomne culturel . La biothique stend aussi de manire universelle. Les systmes juridiques commencent percevoir son dveloppement et ses consquences, tant en droit interne quen droit international. Bien que la situation franaise occupe la majorit de nos dveloppements, le rayonnement de la biothique est international et mrite quon sy intresse. Pour dlimiter cette tude, le choix sest port vers des Etats dans lesquels on retrouve la mme problmatique, celle de lquilibre, dans le droit, entre le respect des valeurs fondamentales protectrices de la personne humaine et la libert de la recherche en biothique. Mme si le passage de lthique au droit permet dlever les exigences du respect de la dignit de la personne humaine dans les lois, et bien que lordre public soit solidement ancr dans des principes respectueux de la personne, le socle juridique est imparfait et la science tire son profit des insuffisances du droit. La biothique transcende plusieurs disciplines, ce qui ne peut tre sans effet sur le droit dans son processus dlaboration (I), ni sur le cadre des droits fondamentaux qui la soustendent, et cela, aussi bien dun point de vue du droit public national quinternational (II).

14

I. La biothique, une transdiscipline . Quelles consquences sur le droit ?15

La question de la dfinition de lhomme et de sa protection se pose spontanment lorsquon entre dans le domaine de la biothique et du droit. Quelle libert doit-on lui accorder et quelle libert peut-on laisser la recherche scientifique qui investit ltre humain et son corps, en linstrumentalisant ? Les deux liberts, celle de lindividu et celle du chercheur, ne sont pas opposes. La science est lgitime et rpond aux besoins de connaissance de lhomme. La rponse pour une conciliation quilibre des liberts simpose donc dans le processus dmocratique de cration des normes. Mais en biothique, le droit souvre dautres points de vue qu la seule rflexion juridique.

A. Les enjeux de la biothique dans un contexte multidisciplinaireLa conjonction des matires explique la mthode de la biothique, qui volue dans un 16 17 contexte multidisciplinaire (1). La biothique vhicule des valeurs et des principes , le droit, ensuite, voque ses rgles quil applique tous les niveaux qui participent la biothique. Dans ce contexte, se jouent des enjeux de pouvoirs (2).

1. La biothique : dfinition et contexte14

C. BOUFFARD, Biothique de la recherche et diversit culturelle. Passer du dfi lobjectif , inC. HERVE, B-M.

KNOPPERS, P-A. MOLINARI (dir.), Les pratiques de recherche biomdicale visites par la biothique, Paris, Dalloz, 2003, pp. 51-72, sp. p. 51.15

G. HUBER, C. BYK, La biothique au pluriel : lHomme et le risque biomdical, Paris, Association Descartes, J. Libbey

Eurotext, Coll. Ethique et sciences, 1996, 137 p.16 17

G. DURAND, Introduction la biothique. Histoire, concepts et outils, Canada, Fides Cerf, 1999, p. 165. Voir A. FAGOT-LARGEAULT, Lhomme biothique, Paris, Ed. Maloine, 1995, pp. 5-6.

15

La libert de la recherche en matire de biothique

La biothique sanalyse selon diffrentes approches. Au dbut du sicle, la dontologie mdicale est un lment principal qui prcde la biothique. Cest dans un contexte essentiellement corporatiste de mdecins et de chercheurs quelle se dveloppe. La consquence est la confidentialit de la matire puisque les scientifiques, indpendants, 18 se sont peu exposs la collectivit et leur responsabilit . Mais lvolution biomdicale a modifi leurs mthodes, ouvrant la discipline dautres spcialistes comme le juriste et lthicien. La recherche a gliss vers la sphre publique, notamment parce que lEtat sy est investi. Les nouvelles pratiques ont donc cr un besoin de rglementation, mlant le lgislateur ce cadre. La vision interdisciplinaire de la biothique peut se complter par une approche sculire, qui prtend une apprhension de la biothique dtache du niveau religieux. Elle sest, par ailleurs, progressivement dgage de la morale pour privilgier 19 une approche ouverte et prospective . Les dveloppements scientifiques ont modifi le rapport du mdecin et du chercheur la discipline. En tant de plus en plus spcialiss, il fallait quils se recentrent sur une vision plus globale, envisageant lhomme comme un tout, inscrit dans une collectivit, donc comme un tre social. G. Durand complte ces diffrentes voies pour aborder la biothique, en proposant une analyse systmique qui, selon ses termes, se veut la fois inclure et dpasser ces deux aspects : paternaliste 20 et casuistique . La biothique distancie la tendance paternaliste qui caractrise la dontologie et lthique mdicales, sans sen dfaire totalement, et poursuit son analyse la fois de cas concrets et de problmes gnraux. Une seule dfinition de la biothique parat difficile, mais on peut regrouper ces diffrentes approches et lui reconnatre une qualit 21 danalyse interdisciplinaire, sculire, prospective, globale et systmique . Le droit fait des choix face aux progrs scientifiques. Tant que ces derniers restaient confins la matire et navaient pas encore pntr le vivant, le droit les encadrait sans transformations notables de ses valeurs. Son volution simpose depuis que la science remet en cause les fondements des droits de lhomme. Les questions suscites obligent le droit saccommoder dune situation concrte qui est celle de la cohabitation de la science et des valeurs fondamentales de la socit. La combinaison des connaissances biologiques et des valeurs humaines offre une premire piste au droit pour affronter ce problme. Cette combinaison dfinit la biothique selon Van R. Potter. Cest ce cancrologue qui introduit, pour la premire fois, le terme biothique . Dans son ouvrage Bioethics : Bridge to the Future (Prentice-Hall, Englewood-Cliffs, 1971), il la dfinit comme la science de la 22 survivance et lassimile un projet normatif de bon usage des sciences biomdicales , dans un objectif damlioration de la qualit de vie de chacun.Est-ce la modification de lthique ou mme une nouvelle thique ? Cest la question pose par D. Folschied et J23 J. Wunenburger . La biothique peut se rapprocher dune rflexion prudente sur les fins de la mdecine et de ses pouvoirs, face aux risques pour lhumanit lis aux pratiques

18

C. BERNARD, Introduction ltude de la mdecine exprimentale, Paris, Garnier-Flammarion, 1966 1865, pp. 149-156 ; Voir Ibid., pp. 117-118. Ibid., p. 119. Ibid., p. 120.22 23

G. DURAND, loc. cit., p. 115.19 20 21

G. HOTTOIS, op. cit., p. 54. D. FOLSCHIED, B. FEUILLET-LE-MINTIER, J-F. MATTEI, J-J. WUNENBURGER, Philosophie, thique de la mdecine,

Paris, PUF, 1997.

16

Introduction

biomdicales . Cest, ici, la vision propose par B. Feuillet-Le-Mintier . D. Callahan , sans la dfinir prcisment mais en dterminant ce que doit tre le rle de lthicien, propose un contenu de la biothique qui sorganise autour des rapports entre la mdecine 26 et la biologie. J-L. Funck-Brentano pose un regard plus ferm sur la biothique, en la rduisant la science de la morale mdicale, qui est une vision peu loigne de celle 27 de J-F. Malherbe , qui envisage la biothique comme une thique de la mdecine. Cette dfinition se rapproche galement de celle de G. Hottois qui associe la biothique lthique 28 mdicale. La biothique serait ainsi une branche de cette thique . Plus largement, J. 29 Bernard lenvisage travers les rapports entre lme et lenvironnement . La biothique tire son existence des avances scientifiques dans le domaine biomdical, notamment des prouesses biotechnologiques et gntiques, qui ont eu pour consquences douvrir des perspectives scientifiques mais aussi de bouleverser lordre de la socit. Les valeurs thiques et morales sont touches par la perce scientifique qui envisage lhomme sous un nouveau jour. La capacit de la science pntrer le vivant se concrtise sous des formes indites qui modifient son rapport lhumanit tout entire. Les valeurs qui prsidaient jusqualors, mme si elles ne sont pas ncessairement altres, sont mises en concurrence avec dautres principes. Cest la raison pour laquelle le recours lthique et au droit sest impos pour rguler la science. Le droit de la biothique sorganise ainsi en sinspirant de sources thiques et juridiques. Les juristes ont une responsabilit importante dans lmergence de la biothique. Ils ont eu seconder lEtat qui na pas toujours pris part aux dbats issus de la biothique. En parallle, la rvolution scientifique ne pouvait plus se contenter des prceptes jusqualors dicts par lEglise catholique, aux Etats-Unis, o mergea, effectivement, la notion de biothique. Linfluence juridique sest donc mle celle des thiciens, des philosophes mais aussi des thologiens, qui ont t 30 lorigine de diffrentes pistes de rflexion notamment au sujet du patient . La rencontre du droit et de la biothique souligne le caractre interdisciplinaire de la biothique. Pour que slabore ce droit, il est ncessaire de savoir de quoi est faite la biothique. Ses origines et ce quelle reprsente aujourdhui ont une influence sur ce que sera le droit dans ce domaine. En comprenant que la biothique est une conjonction de plusieurs matires, il est plus ais dapprhender le droit et son rapport la recherche24

24

25

B. FEUILLET-LE-MINTIER, La biomdecine, nouvelle branche du droit ? , in B. FEUILLET-LE-MINTIER (dir.), Normativit D. CALLAHAN, Bioethics as a Discipline , Hastings Center Studies, vol. I., n 1, 1973, pp. 66-73. Voir M-H. PARIZEAU, J-L. FUNCK-BRENTANO, la biothique, science de la morale mdicale , Dbats, n 25, mai 1983, pp. 59-82. J-F. MALHERBE, Pour une thique de la mdecine, Paris, Larousse, 1987. G. HOTTOIS, Biothique , inG. HOTTOIS, J-N. MISSA (dir.), Nouvelle Encyclopdie de biothique, De Boeck, 2001, J. BERNARD, De la biologie lthique, Seine, 1998. Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologie, Biothique , mise jour 51, pp. 191-198. Les philosophes et

et biomdecineEconomica, 2003, p. 4.25

Biothique : mthodes et fondements , Cahiers scientifiques de lAcfacs, n 66, 1989, pp. 183-189.26 27 28

p. 124.29 30

thologiens catholiques amricains, Mc CORMICK, CURRAN, MAGUIRI et CALLAHAN crent, dans les annes 60, un nouveau courant de lthique mdicale qui tait, jusqualors, trs marque par linfluence catholique. CALLAHAN est lorigine dun centre o le dbat entre la science, la thologie et lthique a pu sexercer plus librement quau sein de lEglise. Ainsi, en 1969, apparat le Hastings Center, New-York et, en 1971, le Kennedy Institute of ethics, Washington DC, sous limpulsion de HELLEGERS. Le mouvement suit au Canada (conduit par D. ROY), voyant merger le Centre de biothique de lInstitut de recherches cliniques de Montral. Le courant protestant prend galement part au dveloppement de cette nouvelle rflexion thique.

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La libert de la recherche en matire de biothique

biomdicale. Cela permet aussi de saisir ce qui participe son laboration et sa mutation, car le droit, en contact avec la science, mute. La biothique traverse diffrentes matires qui linspirent et qui, rciproquement, sen inspirent. Elle opre une connexion entre plusieurs liberts et diffrentes disciplines dont lthique. Le droit de la biothique rsulte de ces rencontres. Il prsente des spcificits en ce quil ressortit une nature juridique mais aussi lthique et la dontologie. Or, lthique et la dontologie ne relvent pas de la norme juridique. Le dialogue, entre lthique et le droit, nous intresse plus particulirement car il conduit des consquences sur le processus de normalisation du droit et donc sur les horizons normatifs de la biothique. Le droit de la biothique, appuy sur des principes fondateurs et directeurs, que sont principalement le principe de sauvegarde de la dignit et celui du consentement libre et clair, est donc empreint dinternormativit et largement inspir de lthique. Des principes issus de lthique procdurale et mdicale assoient un certain nombre de rgles de la biothique. Les rgles de respect du patient, comme le consentement libre et clair et lautonomie de lindividu, sont des conditions poses par lthique mdicale qui apparaissent trs clairement dans lnonc des principes fondamentaux, en droit franais. Bien quici lthique soit particulirement souligne, elle ne doit pas faire croire quelle est la biothique. Linterdisciplinarit explique la mthode de la biothique, qui se situe la convergence de diffrentes matires pour approcher de nouvelles questions propres aux dveloppements scientifiques et biotechnologiques. Ainsi, il serait contradictoire de rsumer la biothique une assise seulement thique. La nature de la biothique est en partie thique, son objectif galement, mais sa mthode ne lest pas puisquelle souvre dautres disciplines. Lthique participe lvolution du droit en tant un lment de la biothique. Ainsi, elle prcde ltape de la cration du droit de la biothique en oprant un glissement, celui de lthique au droit. Lthique a inspir le droit quand les questions sur linterruption volontaire de grossesse (IVG) ont investi le domaine du droit, en 1974, lors des dbats qui ont prcd 31 la lgislation sur lIVG . La rflexion thique a donc pris sa place dans llaboration du droit et cela selon trois dimensions : la micro-thique, la macro-thique et la mso-thique. La premire concerne le champ du patient et du chercheur ou du mdecin. La deuxime est attache lquilibre qui sorganise entre les droits, la socit et linfluence des dcisions sur la collectivit en gnral. Enfin, la mso-thique se situe dans une relation au niveau de lindividuel et de la socit, lun et lautre tant concerns lors de leurs dcisions. Ce qui sest dit dans lordre thique sest alors concrtis dans lordre juridique. La situation sest rpte, loccasion des premires lois de biothique, en 1994. Lthique stait, entre temps, institutionnalise. Cest ainsi quen 1983 le Comit consultatif national dthique a relay lthique de faon officielle. Mais cette institutionnalisation souligne, nanmoins, une tendance de lthique officielle qui renvoie une thique domine par un courant majoritaire, essentiellement dontologique. Cest un reproche qui continue de lui tre fait. Le recours lthique anticipe donc llaboration du droit, qui simprgne de la nature de lthique. Mais si on observe le passage de lthique au droit, on note galement une influence du droit sur lthique. Lthique est touche par le droit qui la devance parfois. Le droit lui confre ainsi une autorit quelle navait pas. En marquant lthique du sceau du droit, le lgislateur parvient intgrer, dans le droit, des normes thiques qui ny avaient31

Dcision n 74-54 DC du 15 janvier 1975, loi relative linterruption volontaire de grossesse. JO du 16 janvier 1975, p. 671.

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pas encore leur place. Lthique gagne donc de la force en rejoignant le droit et cest l un moyen dassurer le respect juridique de principes thiques. Le vivant devient un objet conomique en plus dtre un matriau. Le juriste doit sen proccuper et aborder la question, qui se pose en filigrane, de la remise en cause des valeurs et des droits fondamentaux qui servent de support la socit. Lexprimentation scientifique sur lembryon humain et ses cellules ou le dveloppement du droit en faveur de la brevetabilit du vivant soulvent des interrogations juridiques et thiques, qui ont du mal trouver une rponse. Le recours lthique est alors ncessaire pour alimenter la rflexion du juriste et faire voluer le contenu du droit. Cette discipline ne sert donc pas juste le droit lors de son laboration. Elle intervient en permanence. Le lgislateur nhsite pas la solliciter lorsque lapplication du droit se heurte des contradictions ou des difficults. Cest donc avec le concours de lthicien que le juriste peut faire voluer la norme et la rviser, quand cest ncessaire, et cest parfois sous son impulsion quil sengage se rformer. La question de la rforme du droit est un autre aspect de cette tude. On se demande si le droit doit voluer et sadapter favorablement aux exigences et aux avances scientifiques. Cela renvoie lide dune pression de la science sur le droit et son pouvoir en gnral. La science ne se prsente-t-elle pas comme une autorit, en justifiant ses pratiques et en les faisant accepter moralement et socialement ? Cest une faon de normaliser ses techniques. H. Gaumont-Prat nhsite pas parler dun imaginaire contemporain du lgislateur lorsquil se croit engag dans une ncessit dadaptation de sa matire la science. Le droit semble enclin se plier aux exigences de la communaut scientifique, si lon observe lvolution des lois en matire scientifique. Mais alors, comment composer entre les revendications scientifiques et ce qui est socialement acceptable ? Le premier point est que le droit franais doit saccommoder dune tradition juridique et philosophique trs attache des principes fondamentaux de la personne. Cette tradition est, par ailleurs, assez loigne de la tradition anglo-saxonne, galement tourne vers lindividu mais dans une approche qui privilgie lautonomie de ce dernier sur son corps. Lide dune proprit sur le corps semble ainsi admise comme un droit individuel, alors que la conception franaise laborde autrement, en rigeant deux rgles primordiales : lindisponibilit et la non-patrimonialit du corps humain et de ses lments. Le second point, pour rpondre la question de lvolution du droit vers une adaptation aux techniques scientifiques, est une rponse rechercher du ct des droits de lhomme. Les droits de lhomme permettent dvaluer la protection de la communaut humaine, en offrant un ventail de rfrences. Cette protection doit sinstituer comme une limite lvolution du droit. Seulement, les failles de ce systme rveillent des ambiguts. Les droits de lhomme ne sont pas clairs sur lensemble des titulaires qui ils 33 sadressent et ne sont parfois daucun secours . La place de lembryon au sein des droits de lhomme est pose. Cette question subsiste en droit interne mais aussi dans le contexte largi du droit international. lchelle internationale, la rgle thique domine la rglementation du droit de la biothique. Les recommandations thiques contenues dans les textes internationaux ont favoris et stimul llaboration dun cadre juridique. Le droit europen et le droit international se sont largement inspirs des dispositions thiques mises par les instances internationales comme lUnesco, le Comit international de la biothique (CIB) ou dinstitutions europennes comme le Conseil de lEurope, lUnion europenne, le Comit32 32

H. GAUMONT-PRAT, Gnie gntique et brevetabilit du vivant : de la science au droit , inN. LE DOUARIN, C. PUIGELIER G. HOTTOIS, op. cit., p. 159.

(dir.) Science, thique et droit, Paris, O. Jacob, 2007, pp. 229-241.33

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directeur de la biothique (CDBI) ou encore le Comit europen dthique (GEE). Une tude hors des frontires permet de comprendre linfluence de lordre juridique international sur le droit interne, en gnral. Dans le domaine plus particulier de la biothique, o le droit international de la biothique nest pas contraignant, on observe un mcanisme intressant entre ces deux droits. Cela se traduit par une incitation du droit international sur les droits nationaux. Il les encourage sengager dans un processus dvolution de leurs propres lgislations. En invitant les Etats participer aux dclarations internationales et universelles, 34 qui ne prsentent pourtant pas de caractre obligatoire , les Etats sont incits prendre part la rflexion biothique. Lincitation la rflexion du droit international tant, en partie, thique car labor avec le soutien dinstances thiques, on peut donc affirmer que lthique participe la cration du droit de la biothique tous les chelons du droit. On observe donc une forme de paralllisme entre ce qui se passe en droit interne et en droit international. Chacun se dote dune rflexion thique pour alimenter sa construction juridique. Lautre impact intressant du droit international sur le droit interne intervient quand les pays sont dpourvus dun droit spcifique la biothique. Linfluence du droit europen et international prpare ainsi le terrain, pour les Etats qui souhaitent se munir dune lgislation particulire ou aller au-del dune simple codification des pratiques. Les directives europennes agissent en ce sens, mme si elles ne sont pas toutes accueillies favorablement. Le retard de la transposition de certains instruments exprime souvent le dsaccord du droit interne avec ce qui est dict lchelle europenne ou internationale. Ainsi en a-t-il t de la directive 98/44/CE du Parlement europen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative la protection juridique des inventions biotechnologiques ou de la ratification de la Convention sur les droits de lhomme et la biomdecine du Conseil de lEurope, du 4 avril 1997 (dite Convention dOviedo). Le rejet qui se manifeste, sil traduit une contradiction, cache aussi, parfois, une lutte de pouvoirs entre les strates politiques, scientifiques, conomiques et juridiques.

2. La biothique : un enjeu de pouvoirLa rflexion biothique est, ici, oriente sur lembryon humain. Lutilisation de ce dernier, par la science, na rien dvident car elle soulve des problmes juridiques mais avant tout ontologiques. Ce qui rend difficiles la qualification et ltablissement dun statut de lembryon par le droit. La science a donc saisi cette occasion pour enrler lembryon dans ses activits. Les motivations sont dordre thrapeutique et cognitif en premier lieu. Seulement, des objectifs dindustrialisation et de commercialisation compltent ces finalits. Ainsi objectiv par la science, lembryon est absorb par une sphre o se confrontent toutes sortes dintrts, mlant la fois des dsirs de pouvoirs sur ce quil est, des objectifs scientifiques et des motivations conomiques. Comme la recherche scientifique est troitement lie des questions financires et industrielles, on ne peut ignorer le rle de lconomie dans le primtre de la science mais aussi du droit. Lascendance conomique rejaillit sur le droit de faon trs significative, notamment sous langle du droit des brevets. Cette influence sanalyse ici travers la question de linterdiction ou de la limitation des recherches scientifiques au regard des droits fondamentaux. Au fond, on se demande si le droit peut cder devant des enjeux thrapeutiques et conomiques et si ces enjeux peuvent intgrer34

Exception faite de la Convention sur les droits de lhomme et la biomdecine, dite Convention dOviedo, du Conseil de

lEurope, du 4 avril 1997, qui est un texte contraignant. Seulement, elle na pas t ratifie par tous les Etats, ce qui limite sa porte. Un autre facteur vient attnuer sa force et lallger de sa substance : sa volont dassurer un consensus le plus large possible.

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et modifier le contenu du droit. Doit-il se transformer leur contact, en acceptant dignorer le dbat sur les droits fondamentaux, dbat plus naturellement maintenu par lthique ? La lutte des pouvoirs, loccasion de la rflexion sur les droits fondamentaux et la libert de la recherche dans le domaine de la biothique porte, en particulier, sur le risque de linstrumentalisation de la personne humaine. Une premire difficult apparat, celle de la dfinition de la personne humaine. De cette dfinition va dpendre la protection de ce sujet. Ltymologie est donc centrale pour apprcier le ressort de la protection. Le sens qui est donn lhumain dtermine le respect qui lui est alors d. Mais une seconde difficult est lie au primtre de la catgorie juridiquement protge. Lembryon entre-t-il dans cette catgorie ? Tant que lambigut demeure sur la qualification de lembryon humain, il se montre vulnrable et sa rification reste envisage par la science. Cest un premier problme auquel le droit doit rpondre. Mais, un second aspect vient emmler le dbat. Selon quon envisage les objectifs de lutilisation de lembryon sous un angle thrapeutique ou sous un angle conomique, lacceptation de sa manipulation se modifie. Cela signifie que les risques sont diffremment apprcis en fonction de lutilisation de lembryon humain. Quand elle a pour but dlaborer des thrapies qui allgeront les souffrances des malades, la technique semble recevable. En revanche, ladhsion y est moins facile si les recherches scientifiques sont menes des fins conomiques ou purement utilitaires. Ce quon fait de la recherche scientifique dtermine donc le jugement quon porte la fois sur la recherche mais surtout sur lembryon. Ainsi, le statut de lembryon varierait selon son usage. Et ce nest donc pas la recherche elle-mme qui proccupe, mais plutt ce quon en fait. Cela nous permet de tirer deux conclusions. La premire, contestable, est quil nest sans doute pas de bonnes ou de mauvaises recherches mais plutt des utilisations discutables de leurs rsultats. La seconde est que lembryon est totalement mpris, puisquon sengage dans une voie qui, dune part, lui refuse un statut clair en droit et, dautre part, rend modulable lbauche de son statut, en fonction de son utilit pour la science. Le droit a choisi cette piste qui manifeste le souci dlaborer des rgles favorables lorientation de la recherche, en ne pnalisant surtout pas le progrs scientifique. Pourtant, le droit doit se plier une exigence de respect des principes fondamentaux lorsquil nonce ses rgles. Deux remarques peuvent tre faites ce sujet. Lune tient laffaiblissement des principes fondamentaux, affaiblissement inhrent aux principes en raison dun manque de clart dans leur dfinition. Lautre procde du droit, en contradiction avec lui-mme. Cette contradiction a lieu en droit interne et en droit international. Labsence de consensus entre les textes de porte nationale et internationale dlite ainsi le contenu de ces principes et minimise leur efficacit. Ce travers est dautant plus grave que la biothique se dploie mondialement. Le contexte dans lequel se dveloppe la recherche scientifique est un environnement mondialis qui creuse le foss entre des considrations thiques et des proccupations conomiques. Ces dernires sont ncessaires pour alimenter le march de la recherche qui ne peut avoir lieu autrement. Il y a un vritable enjeu dterminer les rgles qui doivent rgir la libert de la recherche, pour tenter dquilibrer des objectifs de sant publique tout en rpondant des intrts dordre conomique. Les stratgies de recherche rpondent donc un march, mais sont aussi dpendantes des rgles juridiques. La question est donc de savoir dans quel sens tout cela sorganise. Est-ce le droit qui sadapte un march et lconomie de la recherche scientifique ? Ou est-ce la recherche qui doit composer avec le cadre qui lui est offert ? La situation, en pratique, est videmment moins schmatique ; il serait simpliste de vouloir la trancher ainsi. Seulement, il nest pas totalement faux de penser

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que lun et lautre sinfluencent. Il reste savoir ce qui est juridiquement et thiquement acceptable, quand on value limpact de la volont scientifique et conomique sur le droit. Les consquences sont de plusieurs ordres, mais lon retiendra deux effets principaux de cette influence sur le droit. Le lgislateur peut, dune part, subir le poids des contraintes conomiques et des pressions scientifiques. Il peut, dautre part, voir la physionomie du droit partiellement modifie, en raison de la diffrence de temporalit des disciplines. Le 35 temps du droit , celui de la science et de lconomie sont radicalement opposs. Or, le temps du droit fait lobjet de pressions qui tendent le raccourcir. La rflexion juridique ne saccorde pas la rapidit de la science ni aux proccupations du march conomique. Le temps juridique est long. Cette longueur, par ailleurs, est interprte comme une tentative de ralentissement alors quelle est lgitime. En second lieu, dautres consquences peuvent tre releves, qui touchent la science. Celle-ci peut subir les impulsions de lconomie qui la contraint, parfois, des obligations apparentes des obligations de rsultats. La solvabilit de la recherche en dpend. Cette situation va lencontre de la dmarche de la connaissance, qui nest plus le centre nvralgique de la science et laquelle on substitue des objectifs daboutissement de la recherche. La motivation de la connaissance est alors dplace. Une proposition peut alors tre faite la science, en lorientant dans une voie o elle se ferait du droit un alli afin de poursuivre ses perspectives. Cela pourrait tre une solution de barrage contre lenvahissement du paradigme conomique. dfaut, la science devra se plier au rythme de lconomie et le droit ces deux disciplines. Le rsultat de cette relation pyramidale, entre lconomie, la science et le droit, se rpercute sur la nature du droit. Cest un droit qui devient, alors, mallable. La rvision systmatique du droit en est une caractristique. Le droit franais de la biothique a adopt ce profil, et cest selon un calendrier dfini par avance quil est rvis tous les cinq ans, conformment ce que les premires lois de biothique de 1994 noncrent. Cette spcificit donne rflchir. Il semble illogique de pouvoir modifier le droit de faon rgulire et de faire ce choix avant sa mise en pratique. En effet, tant que le droit nest pas mis en uvre, il est prmatur de prvoir ce qui devra tre chang. Enfin, le mcanisme de rvision automatique laisse songeur, puisquil est question de rviser des pratiques qui tirent leur fondement de principes fondamentaux, par essence intangibles.

B. Le choix du droit de la biothiqueLe droit de la biothique est fond sur une base de principes lisibles et dont la permanence est sans quivoque, puisquils organisent le respect et la primaut de la personne humaine. Lintangibilit de ces principes est la rgle. Il est alors difficile de comprendre comment une rvision rgulire de la loi peut se justifier. Si les progrs scientifiques sont vidents et 36 comme la loi ne peut pas tout rsoudre , rien ne justifie la modulation force des normes produites par le lgislateur. Si ces rgles freinent la libert de la recherche par certains aspects, elles maintiennent aussi un rgime de protection, qui na pas voluer en raison des avances scientifiques, sauf remettre en cause les principes fondateurs du droit de la biothique (1). Seulement, la science a profit des quelques failles juridiques pour35 36

F. OST, Le temps du droit, Paris, O. Jacob, 1999.

Ibid., J-C. AMEISEN dcrit la situation dans laquelle le droit se trouve face un champ de possibilits telles que la loi est dans

lincapacit de tout rsoudre et tout expliquer.

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simmiscer dans le champ des droits fondamentaux. Ainsi, le champ de lembryon humain sest ouvert la recherche. La science a profit du silence de la loi (2).

1. Le poids de la science sur le droitLe droit, en devenant modulable, affiche une faiblesse : la systmaticit de la rvision quinquennale. Linscurit juridique en est la consquence. Le droit est alors amput de toute permanence. En tant soumis des pressions extrieures, le lgislateur agit comme 37 sous la contrainte . Toutefois, le lgislateur a sa part de responsabilit dans cette situation. Il a commis des erreurs en laborant les lois de la biothique. Les plus importantes se concentrent dans le texte de 2004. La loi n 2004-800 du 6 aot 2004, relative la biothique, recle des incomprhensions. Leur explication nest pas justifie par lurgence ou les pressions qui auraient pouss le lgislateur acclrer son processus lgislatif. Si le manque de recul a pu jouer, parfois, pour expliquer certains dfauts de la loi, des aberrations existent sans quon parvienne les motiver. La plus importante est certainement la rgle qui interdit lutilisation des recherches sur lembryon humain in vitro, assortie dune drogation dune dure de cinq ans. Le moratoire ainsi fix est justifi par lavance des connaissances qui pourrait confirmer ou infirmer cette drogation. Une premire remarque peut tre signale. Comment le lgislateur a-t-il pu mettre en oeuvre une telle procdure dans la loi ? Sans se proccuper immdiatement du fond, il est intressant dobserver la mise en pratique dune autorisation fonde sur la drogation une interdiction. La manuvre est originale. Une seconde observation nous oblige nous demander comment le droit pourra revenir en arrire. lissue de ce dlai, comment le lgislateur dcidera-t-il quaucune recherche ne sera plus permise sur lembryon humain, si le droit devait sengager dans ce sens ? En effet, le cycle du droit est ainsi fait que ce qui est reconnu par les textes est accept par la socit puis parfaitement intgr la norme. Ainsi, il devient impossible de retirer un droit. Pourtant, il y a l une incohrence qui appelle une solution : celle dinterdire quon droge des principes intangibles. Car admettre une interdiction sur la base de tels principes pour, finalement, contrevenir cette rgle, et donc aux principes, est impossible, sauf admettre une absurdit et vider les principes de leur contenu et de leur porte. La loi est donc ce point mal crite quelle permet une autorisation drogatoire sur la base dune interdiction. Le droit interne alimente ses propres contradictions, le droit international galement. La relation entre la science et le droit doit tre envisage lchelle internationale. La science ne connat pas de frontire et se dploie dans un contexte de multiculturalisme o la diversit peut la fois offrir un avantage et un relais la science mais aussi la bloquer ou la ralentir. Respecter la diversit culturelle apparat donc indispensable et doit tre pris en compte lors de llaboration des normes juridiques. Ceci est valable aussi bien lchelle nationale quinternationale. On sait que les Etats sont construits sur des philosophies et des histoires qui diffrent, dun pays lautre, et qui conditionnent les rgles fondamentales de leur droit. Toutefois, et dans un contexte dEtats dmocratiques, on peut considrer que les fondements sont semblables et articuls autour de la protection de la personne humaine. Cependant, chaque Etat a ses particularits et une faon propre de dfinir ses principes fondamentaux. Se pose alors le problme de la mise en perspective des principes fondamentaux de chacun, lorsquil est question de sentendre internationalement37

A. CLAEYS, J-S. VIALLATE, La loi biothique de demain, tome 1, Office parlementaire dvaluation des choix scientifiques et

technologiques, AN n 1325, Snat n 107, 2008, p. 30.

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sur un texte. La rvaluation de la valeur des principes fondamentaux peut tre un obstacle au projet et la ralisation dun instrument international, comme une convention ou une dclaration. En dpit de luniversalisme des principes, qui fondent le systme des droits fondamentaux, la mise en oeuvre des rgles de la science, dans un souci de respect de la socit et de son pluralisme, nest pas simple. Les principes du respect de la personne humaine, de sa dignit mais aussi de sa libert, sont des concepts unanimement dfendus dans les socits dmocratiques. Ils sont les lments centraux de la rflexion dans le rapport de la science lhomme. La libert de la recherche rencontre une limite qui est universellement admise : la dignit de ltre humain. Seulement, le concept de dignit ne reoit aucune dfinition gnrale et valable cette chelle. Cela signifie que la pertinence de ce principe, comme dautres galement, peut tre revisite au gr des socits dans lesquelles il est dbattu. Dun systme de rgles universelles, on peut donc glisser vers une attitude qui relativise lensemble de ces rgles. Cest la fois la manifestation dun grand respect de la culture dans laquelle la recherche sera amene se dvelopper, mais cest aussi le signe dune plus grande inscurit de la protection de la personne humaine. On ne peut ignorer la cration de territoires plus ouverts lexprimentation. La concrtisation de cette situation va lencontre du caractre universel des principes qui organisent le droit et la biothique. Cela nous conduit une autre question, qui est le choix des normes en matire de biothique. Quelles peuvent tre ces normes qui doivent, tout la fois, respecter les droits de lhomme et le droit la connaissance, la recherche, en tenant compte galement de paramtres conomiques et politiques ?

2. Le choix des normes de la biothiqueQuelles normes peuvent simposer pour rguler laction scientifique dans le domaine du 38 vivant ? Le terrain du vivant sest ouvert la science avec lappui du droit qui a autoris quelques transgressions pour rpondre aux exigences scientifiques. Cependant que le droit posait pour la premire fois les bases du droit de la biothique en France, il admettait que les ncessits de la science devaient repousser certaines limites. La premire tape du lgislateur, lorsquil entreprit de rguler laction scientifique et de protger les tres humains, fut tout dabord daffirmer les premires exigences de respect de la personne humaine. Cette tape sest formalise par deux groupes de lois : la loi n 88-1138 du 20 dcembre 1988, relative la protection des personnes se prtant des recherches biomdicales, dite loi Huriet-Srusclat, et un ensemble de lois qui regroupe les 39 trois lois dites de biothique de 1994 . Ces exigences nallaient pas cesser de crotre au fur et mesure que la science avanait. Le droit a donc install des rgles de respect de 40 la personne de plus en plus strictes, en les faisant reposer sur la nature humaine . Il les a faites intangibles. Malgr tout cela, la science na pas ralenti son avance sur le territoire du vivant en linvestiguant de toutes parts, davant la naissance jusqu la mort. Si la recherche scientifique a pu ainsi stendre lhumain dans son entier, cest aussi que les limites, que le lgislateur croyait imposer, ont cd. Leur recul a remis en cause des38

N-J. MAZEN, J-R. BINET, Ethique et droit du vivant , Revue gnrale de droit mdical, , 30, 2009, pp. 311- 324, sp. p. 311. 39 er Loi n 94-548 du 1 juillet 1994, relative au traitement des donnes nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine

de la sant et modifiant la loi n 78-17 du 6 janvier 1978 relative l'informatique, aux fichiers et aux liberts ; la loi n 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain ; la loi n 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et l'utilisation des lments et produits du corps humain, l'assistance mdicale la procration et au diagnostic prnatal.40

N-J. MAZEN, ibid., p. 312.

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principes annoncs comme indrogeables. La raison cela est rechercher du ct du mouvement perptuel de la science vers lavant et de la volont, ou de la croyance, du lgislateur de devoir poursuivre le rythme scientifique. Le lgislateur a ainsi cru que la loi devait coller aux pratiques de la science. Le cadre lgislatif sest donc engag dans un mouvement de rvision quasi permanente, charg de rguler lactivit scientifique. En 1994, les lois dites de biothique marquaient le point de dpart dune longue remise en cause du travail lgislatif. Lanne 2009 a vu sengager les tats gnraux de la biothique en prvision de la rvision de la loi de biothique de 2004. Lvolution incessante de la recherche en biothique a laiss croire que les ralits juridiques devraient suivre cette mme impulsion. Cette confusion porte quelques consquences, qui font apparatre le droit comme un socle mouvant, alors quil revendique la stabilit et la scurit juridiques dans ses droits fondamentaux. N-J. Mazen illustre le rsultat de cette situation en disant 41 quelle finit par ressembler une sorte de construction par strates et quelle est, selon le regard que lon y porte, soit la marque positive dune volution, la fois des ides et des pratiques, soit la manifestation dune perte de valeurs de plus en plus assaillies. La situation maintient un tat dhsitation pour le lgislateur, qui nest pas un spcialiste scientifique mais qui, en tant quauteur du droit, doit anticiper la raction du droit et de la socit. En faisant voluer le droit, juste raison parfois, il faut tre conscient que ce qui 42 sera dornavant accept sera normalis . Il semble alors impossible denvisager un retour en arrire. Cest ici lune des difficults du lgislateur face aux avances scientifiques quil est tent dautoriser mais dont il ignore vritablement les effets long terme. Une autre difficult est celle du contexte dans lequel le lgislateur doit uvrer. Dans un systme mondialis, la science connat peu de frontires et sexpatrie volontiers l o le cadre est plus souple et conomiquement plus favorable. La pression exerce sur celui qui fait la loi est ncessairement prsente, quand il sagit de faire des choix qui sarticulent autour de la protection de lindividu. Celui-ci ne doit pas ptir dun systme juridique qui interdirait tout la science et qui le couperait de ses avances et de ses bnfices scientifiques. Enfin, largument conomique semble incontournable dans un environnement scientifique concurrentiel et globalis. Opter pour une conduite ferme la science, cest assurment se couper dune frange de la modernit et de ce quelle engendre dun point de vue conomique et industriel. Le dbat sur le droit de la biothique sort donc des sphres plus classiques du questionnement juridique, thique, moral et religieux. Mais toutes ces tapes sont ncessaires et incontournables lors des confrontations qui animent les interrogations du lgislateur et des acteurs qui concourent sa mission. Linterrogation fondamentale qui se pose dans le dbat de la biothique est de savoir et de comprendre quoi sert le droit dans cette matire : est-il au service de la personne, en organisant sa protection, ou est-il loutil dintrts scientifiques et conomiques ? J-R. Binet souligne cette question et propose plusieurs rponses qui font osciller le droit du reflet de la socit la concrtisation dun plus petit commun dnominateur ou la matrialisation 43 de la volont dun projet nouveau et cohrent . cet ensemble dinterrogations et de propositions sajoute une autre demande de fond, lie la forme de la rgle de droit. La loi de biothique doit-elle garder cette forme, alors quelle est voue la rvision quinquennale ? Quel aspect peut-elle prendre alors quelle organise des techniques scientifiques destines se modifier ? Et sur la base de quels principes peut-on instituer des rgles dure limite ?41 42 43

Ibid. Ibid., p. 13. Ibid., p. 317.

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La libert de la recherche en matire de biothique

Le Conseil dEtat, qui participe ltude sur la rvision des lois de biothique, a raffirm, en avril 2009, la ncessit de se rfrer aux principes fondamentaux en tant que fondements du droit de la biothique. En aucun cas ces principes ne peuvent tre modifis la guise de la science. Cest dans une optique de prennit quils sinscrivent et ils sont un socle qui doit rsister aux exigences de la science. Cest la raison pour laquelle le Conseil dEtat se montre favorable labandon de la pratique de la rvision tous les cinq ans des lois de biothique, afin de prserver le caractre fondamental de ces principes. Mais que sont ces principes et que protgent-ils au fond ?

II. Le cadre des droits fondamentaux : pour une approche de la biothique en droit public. Regard sur le droit interne et internationalLes droits de lhomme abritent des principes fondateurs et rgissent les relations des individus entre eux. Ces principes contiennent des droits fondamentaux qui constituent loutil essentiel du droit pour assurer sa mission de protection lgard de lhomme. Le systme des droits de lhomme propose un socle de valeurs qui se heurtent les unes avec les autres dans la pratique. En thorie, le droit sert les droits de lhomme. Mais dans le contexte dune socit fort dpendante du dveloppement scientifique, le droit, en devant rguler les pratiques scientifiques, a largi son rle la dfense de la libert de la recherche. Il est maintenant acquis que la libert de la recherche est une libert fondamentale. Peut-on la relativiser au regard dautres droits ? La rponse est positive puisquon lui oppose, comme limite, le respect de la dignit de la personne humaine, qui est le principe suprieur de lensemble des droits fondamentaux. Cette situation est reconnue en droit franais comme en droit international. Mais quen est-il dans la pratique, alors que la dfinition des droits fondamentaux peine saffirmer (A) ? Peuvent-ils servir de soubassements un droit europen et international de la biothique en pleine construction (B) ?

A. La conception des droits fondamentauxLa rfrence aux droits fondamentaux offre un instrument juridique pour le droit lorsquil assure sa mission de protection des droits de la personne humaine (1). La porte de la science a modifi certains rapports, notamment ceux du droit et de la science ainsi que la relation du droit et de lindividu. Le socle fondateur est branl par lintrusion de la science dans lespace juridique. Son emprise sur le droit est telle quelle remet en cause la dfinition et la lgitimit des droits fondamentaux (2).

1. Les droits fondamentaux. DfinitionDe la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 aux Conventions du Conseil 44 45 de lEurope , aux Dclarations des Nations-Unies , on retrouve de multiples rfrences44 45

Voir la Convention sur les Droits de lHomme et la biomdecine, Oviedo, 4 avril 1997. Voir la Dclaration universelle sur le gnome humain et les droits de lhomme, adopte par lAssemble gnrale de lONU, le

10 dcembre 1998.

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Introduction

aux droits de lhomme. Les affirmations du juge constitutionnel mais aussi des juges de la Cour europenne des droits de lhomme ou de la Cour de justice des communauts europennes voquent galement ces principes fondamentaux, perus comme un systme 47 porte universelle, comme un droit naturel . Tous sont regroups autour dune notion principale : la dignit de la personne humaine. Organiss autour du respect de la dignit de la personne mais aussi des liberts, les droits fondamentaux dpassent la catgorie des droits subjectifs. Ils sont inhrents lhomme et sont la base dautres principes en tant que principes matriciels, selon la thorie 48 de B. Mathieu . Mais larticulation des deux principes sorganise selon une hirarchie qui fait prvaloir la dignit sur la libert, en tant que principe absolu, alors que la seconde est relative. La protection de lindividu prime alors. Dans un premier temps, cela confre aux droits fondamentaux un caractre individualiste. Mais ce trait est aussitt tempr par une approche collective de ces droits, lorsquils sont envisags une chelle qui dpasse lindividu, alors imagin en collectivit. Le systme des droits fondamentaux permet daffirmer des droits adresss lensemble de lhumanit. Cette perspective sassocie un souci de solidarit. Ainsi en est-il du droit la solidarit et au partage. Il peut alors sagir du partage des connaissances dans un contexte de progrs scientifique o chacun peut revendiquer le droit de profiter des bnfices de la science, qui sinscrit galement dans une optique du droit la sant. Ce dernier droit peut tre approch de deux faons : individualiste et collective. Individualiste car le droit la sant constitue un droit subjectif auquel lindividu peut aspirer, mais aussi collectif dans la mesure o lEtat doit loffrir en tant quobjectif constitutionnel. Le onzime alina du Prambule de la Constitution de 1946 dit que la Nation garantit tous () la protection de la sant . La dcision n 74-54 DC, relative linterruption volontaire de grossesse, consacre ce droit 49 la sant, voqu plus rcemment par le Conseil constitutionnel . En offrant les moyens de 50 raliser ce type de droits, sans pour autant crer de droit obtenir leur ralisation , lEtat les assure. Le juge est aussi un acteur du systme des droits fondamentaux et un relais de lEtat, puisquil assure galement le respect de ces droits. Cependant, et bien que ces principes soient assurs et dfendus par le juge constitutionnel, le lgislateur leur propose des drogations, dans la limite du droit. Ce qui laisse penser que les droits fondamentaux peuvent tre relativiss. Ils le peuvent dj en raison de la porte de certains droits, qui peut tre relative. Il en est ainsi du droit la dignit. Si le principe de la dignit est, thoriquement, absolu, ses prescriptions ne le sont 51 pas ncessairement ; tel est le cas pour le droit la vie . Lvolution de linterprtation de46

46

Cons. Const., 27 juillet 1994, n 94-343 DC, loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et lutilisation des Voir Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologies, mise jour 54, 15 dcembre 2008, pp. 804-810-10, sp. p. 805.48

lments et produits du corps humain, lassistance mdicale, la protection et au diagnostic prnatal, JO, 29 juillet 1994.47

B. MATHIEU, Pour une reconnaissance de principes matriciels, en matire de protection constitutionnelle des droits de

lhomme , DC 1995, p. 211 ; ibid., Gnome humain et droits fondamentaux, Paris, PUF, 2000, 143 p. Dc. n 2009-584 DC du 16 juillet 2009, loi portant rforme de lhpital et relative aux patients, la sant et aux territoires , me au 3 considrant, on lit que : lexigence constitutionnelle du droit la sant pour tous et son corollaire quest lgalit daccs aux soins soient pleinement satisfaits , JO du 22 juillet 2009, p. 12244.50 51 49

Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologie, op. cit., p. 809. Ibid., p. 810. Le droit la vie ne figure pas dans la Constitution franaise quand bien mme le Conseil constitutionnel le

reconnat comme un principe garant du principe de la dignit humaine. Voir Cons. const., 27 juillet 1994, n 94-343 DC. Seulement, des limites interfrent avec cette reconnaissance lorsquil nest pas prcis quel titulaire ce principe sapplique. Les textes peuvent

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La libert de la recherche en matire de biothique

ce principe vient galement nuancer sa porte. Sil tait intangible, le juge constitutionnel, en 1994, sest charg de laffaiblir, en acceptant de le mettre directement en concurrence avec le principe fondamental de la libert. Jusqualors ce dernier pliait au bnfice du premier, conformment la typologie des principes fondamentaux absolus et des principes 52 fondamentaux relatifs. En 2001 , le juge constitutionnel a franchi une tape de plus, en dcidant de limiter le principe de la dignit lui-mme, plutt que de viser lune de ses prescriptions. Il est ainsi parvenu affaiblir le principe matriciel majeur la faveur du principe de la libert. Quel est-il ? Le principe de la libert peut tre observ sous plusieurs angles, dont trois se dgagent spcialement en matire de biothique. Il peut tre entendu du point de vue du patient dans son rapport lautonomie dune part, sous langle du respect de sa vie prive, dautre part, puis, enfin, travers la libert de la recherche. Le principe du consentement du sujet de la science et de la mdecine est la rgle fondamentale qui prcde toute intervention. La rgle apparat dans le Code de Nuremberg, en 1947, et est reprise dans les diffrents textes qui participent ltablissement des rgles de la biothique. En droit interne, la loi Huriet-Srusclat introduit ce principe. Le consentement, dans le contexte mdical et de la biothique, est une garantie procdurale dont le patient bnficie et peut se prvaloir en vertu des multiples dispositions du Code 53 54 55 civil , du Code de la sant publique et du Code pnal . Le principe est, par ailleurs, de 56 porte universelle, puisque son exigence est reconnue par les textes internationaux . La rgle du consentement se dcline ensuite sous laspect du respect de la vie prive. Elle est la fois un lment du secret mdical mais aussi un mode de protection du sujet lgard des informations qui le concernent. Le respect de la vie prive est un principe 57 constitutionnel en lien direct avec la libert individuelle. Il dcoule de larticle 2 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen et se retrouve larticle 9 du Code civil. On retrouve sa protection dans la Dclaration universelle des droits de lhomme, de 1948, article 12, ainsi que dans larticle 8 de la Convention europenne des droits de lhomme, de 1950, mettre en relation avec larticle 10 du mme texte, sur la libert dexpression. Linformation relative la personne est protge et obit la rgle du consentement de cette personne 58 dvoiler ou manipuler linformation en question . Les diffrentes occasions dutiliser des donnes concernant la sant ou des particularits mdicales ou gntiques de la personnedonc poser la rgle du droit la vie, mais sa porte peut tre relativise par limprcision quils gnrent. La Convention dOviedo dclare le droit la vie dans son article 2 mais ne vise pas prcisment les sujets de ce droit. Il subsiste donc un doute qui ne permet pas de savoir si seule la personne ne peut se prvaloir de ce droit ou sil stend ltre humain ds sa conception.52 53 54 55

Cons. const., 27 juin 2001, n 2001-446 DC, loi relative lIVG et la contraception, JO, 7 juillet 2001. Article 16-3 du Code civil (rgle du consentement en matire thrapeutique). Article L. 1122-1 L. 1122-2 du Code de la sant publique. La Cour de cassation a condamn un mdecin pour dfaut de consentement de son patient. Il lui avait administr un produit

sans respecter la condition du consentement. Cette situation est-elle si rare ? Sil ny a pas eu de cas ports devant les tribunaux, il est difficile de croire que toutes les recherches font lobjet dun respect scrupuleux des procdures lgales. La future rvision de la loi de biothique devrait tre loccasion dune reflexion sur cette absence deffectivit pnale. Cass. Crim. 24 fvrier 2009, n 08-84436, JCP, n 25 juin 2009, p. 29. Voir larticle 223-8 du Code pnal.56

Notamment par la Dclaration universelle sur le gnome humain, adopte lunanimit, par acclamation la 29 Dc. n 2004-499 DC du 29 juillet 2004. Voir le site internet de la Commission nationale de linformatique et des liberts (CNIL), http://www.cnil.fr/la-cnil/

me

Confrence gnrale de lUnesco, le 11 novembre 1997.57 58

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Introduction

sont autant de risques de porter atteinte la confidentialit de ces informations et au respect 59 de la vie prive. Les dispositions sont donc nombreuses pour organiser leur protection , 60 protection complte par la jurisprudence du Conseil dEtat, du Conseil constitutionnel et 61 de la Cour europenne des droits de lhomme . La libert peut, enfin, sapprcier sous langle de la libert de la recherche reconnue 62 en droit comme un principe valeur constitutionnelle . Mais cette libert nest pas que juridique. Elle revt des aspects politiques et conomiques ainsi que sociologiques, historiques ou bien encore culturels et religieux. Elle fait lobjet de nombreuses revendications et fut trs tt dfendue, soit en tant rattache la libert de pense ou la 63 libert dexpression, notamment par les philosophes comme Socrate ou Cicron, soit pour me elle-mme, directement ds le XVIII sicle. Elle se dveloppe travers dautres liberts, comme la libert dexercer librement une activit intellectuelle ou de participer la science et son progrs. Profiter des bnfices de la science relve, par ailleurs, de cette mme libert, puisque la participation la libert de la recherche sexerce aussi bien activement que passivement, en sy investissant directement ou en attendant simplement les rsultats du progrs scientifique. La libert de la recherche est passe dun territoire qui ne connaissait pas de limite une libert encadre par le droit. Une fois inscrite dans le droit, il fallait se demander de quel ordre cette libert relevait. Est-elle une libert publique ? Une autre question sest immdiatement pose, relative la valeur des limites qui lui sont fixes et la validit du droit qui lui impose 64 des rgles . Diffrentes branches du droit ont particip cette mission dencadrement, mais cest langle du droit public qui nous intresse. Quelles sont les modalits du droit public pour oprer lencadrement de la libert de la recherche ? Quelles sont les questions qui dcoulent de la limitation dune libert ?59

Article L. 1110-4 du Code de la sant publique (secret mdical) ; Loi n 78-17 du 6 janvier 1978 relative linformatique, aux CE, 3 juillet 1998, n 188 004, Syndicat des mdecins de lAin, D. 1998, IR, p. 231 (le consentement du patient est une

fichiers et aux liberts, JO du 7 janvier 1978 et rectificatif au JO du 25 janvier 1978.60

garantie ncessaire pour respecter sa libert individuelle en cas denregistrement de donnes mdicales) ; Cons. cons., 25 juillet 1991, n 91-294 DC, loi autorisant lapprobation de la convention dapplication de laccord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des Etats de lUnion europenne Benelux, de la rpublique fdrale dAllemagne et de la Rpublique franaise, relatif la suppression graduelle des contrles aux frontires communes ; Cons. const., 20 janvier 1993, n 92-316 DC, loi relative la prvention de la corruption et la transparence de la vie conomique et des procdures publiques (la protection contre les fichiers informatiques est une condition du respect de la libert individuelle); Cons. const., 13 aot 1993, n 93-325 DC, loi relative la matrise de limmigration et aux conditions dentre, daccueil et de sjour des trangers en France ; Cons. const., dc. 13 mars 2003, n 2003-467 DC, Petites affiches, 2003, n 187, p. 7, note B. MATHIEU, M. VERPEAUX (sous certaines conditions et pour des personnes condamnes pnalement, des fichiers peuvent tre, cependant, tablis en dpit du principe du respect de la vie prive qui garantit la libert individuelle, principe constitutionnel) ; Cons. const., dc., 15 novembre 2007, n 2007-557 DC (reconnaissance du recours la preuve gntique pour tablir la filiation des mres dans le cadre du regroupement familial des trangers sous certaines rserves notamment du recours ltablissement des caractristiques gntiques). Voir Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologies, mise jour 54, 15 dcembre 2008, p. 810-7.61

CEDH, 25 fvrier 1997, n 22009/93, Z. c/Finlande (affirmation du principe du respect des donnes personnelles mdicales, Cons. const., 29 juillet 1994, n 94-345 DC, loi relative lemploi de la langue franaise, JO, 2 aot 1994. I-F. STONE, Le procs Socrate, traduit de langlais par G. SARTORIS, Paris, O. Jacob, septembre 1990, 320 p. ; P. JOCKEY, M-A. HERMITTE, La libert de la recherche et ses limites. Approches juridiques, Paris, Rommillat, 2001.

avec un contrle strict pour les informations sensibles et intimes ).62 63

La Grce antique, Paris, Cavaliers bleus Eds, 2005, 124 p., p. 31 et s.64

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La libert de la recherche en matire de biothique

Lexercice de la libert de la recherche peut donc tre limit. Deux obstacles viennent se mettre en travers de cette libert. Le premier est li au droit. La libert peut tre restreinte en raison de la protection qui est due la personne humaine. La primaut de cette dernire justifie que les objectifs de la recherche scientifique soient circonscrits. Cest au nom de la dignit humaine que cette limite fait barrage. Ainsi, le chercheur ne peut librement exercer son art, en arguant de lintrt de sa mission, ni sen prvaloir au nom du droit la libert de la recherche. La finalit de la recherche et lintrt individuel du scientifique ne suffisent pas lgitimer une libert de la recherche sans borne. Seulement, riger la dignit humaine contre la libert de la recherche nest rellement efficace que si lon sait ce que ce concept abrite. Cerner le principe de dignit cest donc comprendre ce que peut tre la limite la libert de la recherche. La difficult est l. On peine comprendre le concept, qui est la fois un produit du droit mais aussi de la philosophie et de la morale. Mme en droit, la dignit nest pas clairement dfinie, bien quelle soit constitutionnellement reconnue. Lanalyse juridique 65 de ce principe naurait-elle pas brouill les pistes et affaibli sa porte ? La deuxime limite cette libert se trouve du ct des conditions requises pour exercer la science. Celle-ci nest possible que si les exigences dun environnement propice la recherche scientifique sont runies. LEtat est ainsi troitement associ cette question. Il dtient, en partie, les rnes pour organiser un terrain favorable la science, en lui offrant, dune part, les conditions matrielles dexercice et, dautre part, en dlimitant un espace raisonnable dautorisations pratiquer la science. LEtat doit donc sinvestir dans cette recherche mais aussi sabstenir dans certains cas. Sa responsabilit peut donc tre mise en jeu. En assurant lexercice de cette libert et de ses corollaires, comme la production, linformation et la diffusion scientifiques, et en les empchant lorsquelles enfreignent le droit, il concrtise le droit la libert de la recherche. Cela pose encore une fois la question de la limitation de la libert de la recherche, en tant que droit fondamental. Le primtre de cette interrogation est de nouveau national et international.

2. Quelle lgitimit pour les droits fondamentaux ? Le choix dune tude principalement nationale. Quelques lments de droit comparEnvisage sous langle du droit public, la question du rapport du droit et de la libert de la recherche en biothique appelle une tude des mcanismes qui prcdent llaboration du droit de la biothique. Ltude de textes nationaux et internationaux est donc indispensable. Du point de vue national, le commencement de notre tude a t fix en 1988 et sa fin en 2009. La loi Huriet-Srusclat pose les premiers principes de la biothique alors quelle nest pas une loi de biothique. Le texte annonce cependant les prmices de cette discipline applique au droit. Lanne 2009 prcde lanne de rvision de la loi de biothique, annonce en 2010. Le changement de nature des dbats qui samorcent justifie ce terme. Jusqu prsent, ce qui a aliment la rflexion sur la question de mener des recherches sur lembryon humain in vitro tait li des considrations de connaissance de ce qui constitue le continuum de la vie et, donc, des interrogations sur ce quest le dbut de la vie. Dsormais, ce qui pourrait justifier lautorisation des recherches sur lembryon humain devrait probablement trouver une rponse dans des arguments attachs la confirmation des enjeux thrapeutiques issus de telles recherches. Si ces potentialits taient confirmes, il serait alors possible de les autoriser. Ainsi, on glisse dun dbat un autre.

65

Ibid., pp. 11-15.

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Introduction

Il est important de percevoir ltendue de la libert de la recherche dans le territoire juridique. Il faut donc comprendre sa nature, se demander si elle est une libert publique et envisager les conditions dans lesquelles elle peut lgitimement sexercer. Cest pourquoi il convient dexaminer la mission du lgislateur, lorsquil investit le champ de la science et de la biothique. Cest tape par tape quil opre lamnagement dun droit susceptible de respecter lquilibre entre le respect des droits fondamentaux et la libert ncessaire la recherche scientifique. Ltude de son travail normatif et pr-normatif a t organise selon une mthode qui regroupe les acteurs en deux catgories. La premire runit des parlementaires qui ont particip llaboration des premires lois de biothique. La seconde concerne le Conseil dEtat et le Conseil constitutionnel. On sest donc intress quatre tudes en particulier, quatre missions parlementaires dinformation. Il sagit des rapports Srusclat, Bioulac, Lenoir et Mattei. Le choix a t guid par limportance de ces tudes et leurs rpercussions sur ce quont t les lois de biothique de 1994. Lobjectif tait de runir des rapports refltant des caractristiques particulires, car lies la qualit de chacun des auteurs. Ainsi on a examin ltude dun snateur, dun dput, dun mdecin et dune juriste. Leur faon daborder la science et lapprhension de la science par le droit a guid les orientations de leurs rapports, mme si le cadre dune mission dinformation na pas pour objectif de donner une opinion personnelle. Ces rapports ont t dcisifs et ont marqu un tournant dans le droit engag dans la 66 biothique. Ainsi, le rapport de F. Srusclat a identifi cinq principes fondamentaux qui servent dsormais de cadre la biothique, en droit interne, et pos la question de la place 67 de lembryon humain dans le droit. B. Bioulac , dans son rapport, souligne sa farouche opposition lutilisation conomique du corps humain. Ainsi, le brevet sur le vivant fait lobjet de vives contestations. La mise en perspective, entre ce qui a prcd les lois de biothique de 1994 et lenvironnement juridique actuel, permet de percevoir lacclration 68 du droit en une dcennie. N. Lenoir insiste sur la ncessit daccorder les positions juridiques franaises avec les pays voisins, notamment en ce qui concerne le principe de non-patrimonialit qui peut ouvrir la voie la marchandisation du vivant. Cela nous permet douvrir la rflexion lchelle du droit compar et du droit europen de la biothique. Cest donc trs tt que N. Lenoir prne la coopration internationale en biothique ainsi que la promotion de la pense thique au sein dune instance europenne ddie lthique. Sa dtermination est mettre en parallle avec lide dune thique de la responsabilit, 69 envisage comme un impratif, pour lgifrer en consquence. Cest ce que J-F. Mattei sest appliqu dmontrer. Enfin, ltude de ces rapports nous montre que le risque de la rvision systmatique des lois de biothique est dj abord dans les annes 90. N. Lenoir, qui traite de cette question dans son travail, oriente son choix vers une loi-cadre. On observe qu cette poque, les problmatiques taient semblables celles qui ont cours la veille de la rvision de la loi de 2004. Quelles consquences doit-on tirer de ce constat ? Le lgislateur, ensuite, a fait appel au Conseil dEtat et au Conseil constitutionnel. cette occasion, le Conseil dEtat a fourni un rapport Sciences de la vie : de lthique auF. SERUSCLAT, Sciences de la vie et droits de lhomme : bouleversement sans contrle ou lgislation la franaise, AN me n 2588 (IX lgislature), Snat n 262 (1991-1992), fvrier 1992.67 68 69 66

B. BIOULAC, Rapport dinformation sur la biothique, AN n 2565, fvrier 1992. N. LENOIR, Aux frontires de la vie : une thique biomdicale la franaise, 2 volumes, 1991. J-F. MATTEI, La vie en question : pour une thique biomdicale, novembre 1993.

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La libert de la recherche en matire de biothique

droit, men par G. Braibant, en 1988, dans lequel des rgles fondamentales sont affirmes. Parmi ces rgles, lindisponibilit du corps humain et lindivisibilit de la personne humaine ressortent tout particulirement et sont leves au rang de principe gnral. Le rapport justifie le recours la loi et explique pourquoi la norme simpose dans un contexte o la libert de la recherche est admise trs librement, en tant que libert fondamentale. Labsence relle de prise de position dans ce rapport a t critique, mais le passage aux lois de biothique na pas rsolu ce problme. Lexamen de la dcision n 343/344 du 27 juillet 1994 permet au Conseil constitutionnel dapprcier le contenu des lois de biothique de 1994 et damorcer la constitutionnalisation du droit de la biothique, sans rsoudre leur imperfection. Linsuffisance de ces textes ne suffit pas, nanmoins, effacer la ncessit des lois de biothique et leur ambition circonscrire la recherche scientifique dans un cadre respectueux de la personne humaine. Le relais de la loi n 2004-800 du 6 aot 2004, relative la biothique, est donc une tape indispensable, alors mme qua posteriori son bilan est insatisfaisant, puisquelle ne remplit pas ses objectifs. Elle ouvre mme la voie une procdure pour le moins controverse : lintroduction dun moratoire, dune dure de cinq ans, sur la recherche sur les embryons humains in vitro. Lultime tape vers la rvision de cette loi offre un dbat encore consacr lembryon humain et au fait quil est devenu objet de recherche. De nouveau, les intrts qui en dcoulent font lobjet dune lutte entre les scientifiques, lindustrie et le lgislateur. Les intrts lis la biothique attirent les Etats, tout comme lindustrie, ce qui nest pas sans consquences sur le travail du lgislateur. Chacun tente de participer au dveloppement de ce domaine. Cela nest pas sans effet sur lorganisation de la recherche elle-mme. On assiste ainsi une interfrence de volonts. Ltude compare dune slection de pays permet davoir une vision diversifie de llaboration du droit de la biothique et de son rapport la recherche. Le choix des pays a t guid par la particularit de chacun dans leur relation au droit et la biothique. Leur culture et leur propre histoire ont influenc la connexion entre droit et science. On sest donc tourn vers les cas les plus diffrents possibles. Un premier groupe de pays se dessine, situ en Europe. La Grande-Bretagne et lAllemagne offrent deux profils diamtralement opposs. La premire sengage dans une course au progrs. Elle sappuie sur une philosophie dans laquelle lindividu a une place trs particulire, qui la dcomplexe par rapport un certain nombre de questions relatives lutilitarisme et la rification de la personne humaine. LAllemagne, de son ct, entretient un rapport extrmement tendu avec la science et produit un droit en consquence. Lattention qui est porte ces deux pays, appartenant lUnion europenne, laisse entrevoir ce que cette communaut peut offrir ses membres en matire de recherche scientifique, tant dun point de vue juridique quconomique. Les Etats-Unis offrent, ensuite, un exemple atypique dans lorganisation de la recherche scientifique. Tout comme dautres pays, linstar de la France, les Etats-Unis bnficient dun systme de recherche publique et dune recherche prive. Mais la diffrence se situe au niveau du droit amricain, qui offre des options et des solutions diffrentes selon que la recherche profite de fonds publics ou de fonds privs. Les Etats-Unis constituent donc la seconde catgorie de pays dont nou