catalogue n°3six livres et manuscrits précieux 2015

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Librairie du Sandre SIX LIVRES ET MANUSCRITS PRÉCIEUX Catalogue n o 3 – 2015

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Librairie du Sandre

Six livreS et manuScritS précieuxCatalogue no 3 – 2015

Liste des prix sur demande.

Conditions de vente conformes aux usages du Syndicat de la Librairie ancienne

& moderne et aux règlements de la Ligue internationale de la Librairie ancienne.

Fiches bibliographiques de Jean-François Guélain.

Six livreS et manuScritS précieux

Librairie du Sandre

Catalogue no 3 – 2015

1. Pierre Mabille (1904-1952)

Manuscrits autographes des cours et exercices de haute magie du « médecin des surréalistes », sous l’enseignement de l’occultiste Pierre Piobb (215 pp.), complétés et éclairés par une lettre auto-graphe signée à ce dernier et un essai non publié (17 pp.).

A – Manuscrits autographes datés du 1er juin 1931 au 4 décembre 1933. 110 pp. in-4 et 14 pp. in-8 à l’encre noire ou bleue, mine de plomb, avec des rehauts de crayons de couleur bleu, rouge, vert et jaune, sur divers feuillets simples ou doubles, certains quadrillés, d’autres de pelure, ou portant différents en-têtes, notamment ceux de ses cabinets de chirurgie à Abbeville ou de médecine générale à Paris, ou encore d’un « Laboratoire A. P. Brocadet ».

B – Manuscrits non datés. 80 pp. in-4 et 11 pp. in-8 (mêmes techniques et supports).

C – « En guise de préface », fragment manuscrit autographe, 17 pp. in-8 à l’encre noire et à la mine de plomb, sur 2 feuillets de pelure et 11 feuillets de luxueux cahier d’écolier vergé filigrané à la couronne « Royal Alfa ».

D – Lettre autographe signée datée « 20-3-34 », 2 pp. in-8 à l’encre noire sur un feuillet à l’en-tête de son cabinet médical à Paris.

Mon cher maître,Ce long silence de ma part doit vous sembler anormal. Il demande presque une explication. Ne pensez pas que j’ai été la proie d’un lourd sommeil. Comme je vous l’avais dit, j’avais un grand besoin de rentrer en moi-même, de classer mes idées, de revoir les notions si rapidement absorbées. Livré à moi seul, isolé des bons conseils je ne crois pas m’être perdu ce qui est un progrès que je vous dois. Car je me suis aperçu que je ne pouvais plus raisonner que sur le mode « Piobbien ». J’ai pu par réflexion et cogitations diverses et multi-latérales me rendre compte du bien-fondé de votre enseignement. L’impor-tance de celui-ci et l’exceptionnel de votre personne ont pris plus de relief

encore. J’ai compris que plusieurs questions qui m’angoissaient étaient mal posées, que certains dilemmes étaient des apparences dues à la mainmise exclusive de la logique. Avant de partir pour les vacances de Pâques, j’ai tenu à vous rassurer sur le sort d’un de vos élèves, à vous dire ma vive reconnaissance et mon affec-tueux attachement ; à vous redire qu’en tout état de cause et qu’en toutes circonstances je suis et reste plus que jamais devoué à la cause et à l’idée que vous servez vous-même au travers des orages sociaux, politiques et autres qui s’accumulent, devant l’angoisse d’une situation aussi grave, j’ai jugé indispen-sable de vous témoigner de mon attachement et de vous renouveler l’expression des sentiments que vous connaissez bien. Veuillez transmettre mes respectueux hommages à Madame Piobb…

Reçu en 1924, à l’âge de 20 ans, au concours d’internat des Hôpitaux de Paris, Pierre Mabille mena ensuite de front sa spécialisation en chirurgie et de nouvelles études de mathématiques et de physique jusqu’en 1929. À partir de 1931, il suivit l’enseignement de Pierre Piobb, pseudonyme du comte Pierre Vincenti (1874-1942). Cet hermétiste était l’auteur du Formulaire de Haute Magie (Paris, Dangles, 1907) et traducteur des traités d’astrologie et de géomantie du médecin et mystique anglais Robert Fludd (1574-1637). La lettre autographe de Pierre Mabille à Piobb, complétant cet ensemble et datée de mars 1934, année de la rencontre de Mabille avec les surréalistes, semble clore cette période d’initiation, fondamentale dans son œuvre ultérieure.

C’est de cette période que sont datés la plupart de ces manuscrits, structurés par des diagrammes enrichis de symboles empruntés à une douzaine d’alphabets hermétistes répertoriés et détaillés dans l’ouvrage de Pierre Piobb. Pierre Mabille y fait parfois directement référence. Ainsi peut-on lire en tête d’un double feuillet quadrillé la mention « Lettre teth “9” alphabet page 108 », qui renvoie à l’ouvrage dans sa version originale de 1907.

Les exercices datés sont manifestement des notes de cours, comme le précise par endroits Mabille lui-même. On peut lire : « Cours du 14-XII-32 » en chapeau d’un double feuillet. Certains ont vraisemblablement été relus

et parfois annotés par Piobb lui-même. Une main inconnue (nous pensons que c’est celle de Piobb) a écrit au centre d’une figure zodiacale hermé-tique « Faux / Juste en théorie ». La figure est dessinée au premier verso d’un double feuillet consacré à la signification zodiacale et au recto duquel Pierre Mabille a écrit : « En Signification zodiacale, le sens ne change rien à la signification, seul l’ordre de la succession triangulaire est changé. »

Malgré l’absence de numérotation de la plupart des feuillets manus-crits, certains semblent être complets en 2 pp. recto verso, tel celui entiè-rement réalisé à la mine de plomb portant, en haut de la première page, le titre composé des mots « cycle de » et du symbole de la lune. L’auteur y énonce les règles suivantes :

« Révolution synodique 29 j. 530588 ÷ sur 1 million ” ” tropique 27 j. 321582 ÷ sur 1 million ». Mais d’autres exercices peuvent s’étendre sur 16 pp. C’est le cas de celui

qui porte le titre « Système général des significations », numéroté quant à lui en chiffres romains et rédigé aux rectos de 13 feuillets de papier quadrillé, plusieurs à l’en-tête du magasin de « Spécialités de machines parlantes, de Mlle J. Eloi » et de 3 feuillets de pelure. Il est introduit par l’énoncé : « Mesures : Temps Espace. Le Rapport temps ÷ espace = Mouvement ». On identifie aussi les ensembles intitulés Catalogue planétaire (« 15 mai 33 », 10 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayons de couleur rouge et bleu sur 7 feuillets de pelure) ; Duodénaire de Polygones (« Le 1er mai 1933 », 5 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayons de couleur rouge et bleu sur 3 feuillets de pelure reliés par un trombone) ; Duodénaire de signification (« Le 10-4-33 », 6 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayons de couleur rouge et bleu sur 2 feuillets doubles reliés par une épingle) ; Constante à « 0 » absolu, l’infini mathématique rentre dans l’absolu (« Le 9-10-33 », 2 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayon de cou-leur rouge sur un feuillet à l’en-tête de son cabinet de chirurgie à Abbe-ville) ; Septénaire comparable (« 20-3-33 ») ; Septénaire des figures spatiales (« 21-3-33 », 8 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayons de cou-leur rouge et bleu sur 2 feuillets doubles numérotés « I-II ») ; Le domaine sensoriel appliqué au macrocosme va de l’audibilité aux choses tangibles (« Le 4-12-33 », 6 pp. in-4 à l’encre noire, mine de plomb et crayons de couleur

rouge et bleu sur 3 feuillets de pelure) et Sphère dans laquelle nous sommes vivants (non daté, 7 pp. in-4, à l’encre noire avec des rehauts de couleurs bleue et rouge et de mine de plomb, sur 4 feuillets numérotés « I-IV » à l’en-tête du « Laboratoire A. P. Brocadet ».

Ce dernier ensemble de formules et de graphiques se rapporte à la personnalité humaine. On distingue une sphère crantée de 12 repères zodiacaux et barrée horizontalement par 5 lignes rehaussées de bleu et de rouge, sur lesquelles Mabille a écrit : « Énergie personnelle, être relatif, être organique et être dynamique ». Comme dans la plupart des graphiques ou schémas dessinés par Pierre Mabille, des termes hermétiques com-plètent les tableaux, parfois assortis de définition : « Rupo : Corps phy-sique, physico- Chimique ».

Des pages écrites à la seule mine de plomb sur des feuillets de pelure sont apparemment de simples notes prises lors des conférences de Piobb. Mais plusieurs ensembles, parfois numérotés, sont beaucoup plus élaborés et mêlent encres et crayons de couleur dans des séries graphiquement riches, où se succèdent tableaux et sphères crantées de symboles alpha-numériques ou issus d’alphabets occultistes variés.

On rencontre aussi d’étranges diagrammes qui se révèlent être des formules de magie. Par exemple, un ensemble de 3 feuillets numérotés, daté du 25-9-33 de Paris, s’ouvre sur une figure sphérique dans laquelle on distingue des bras humains détendus ou pliés, à côté des annotations « 4 formules de magie positive / négative », « adversaire », « Fonctions : néga-tive purement symbolique, active purement hiératique ». On trouve au- dessous du schéma la signification des dessins de bras articulés en diverses positions : « Fonction de salut. Je suis votre serviteur », « Commandement ». Sur le feuillet de même date numéroté « II », on peut encore lire un com-mentaire de la figure complexe dans laquelle on distingue un point, ou puce, légendé « talisman » et le dessin d’une croix : « Le talisman n’est pas exactement en V, la croix ou objet n’est pas exactement en XI » (les chiffres romains correspondent aux repères de ces deux objets dans la figure).

Pierre Piobb initiait ses disciples à l’astrologie, la géomantie et l’alchimie. Mais, outre l’enseignement des notions et des symboles relatifs à ces disci-plines, que l’on retrouve dans les manuscrits de Mabille, il proposait aussi

des modes de calcul adaptés à d’autres domaines de connaissance, comme la musique : dans un des manuscrits, Mabille a placé les différentes notes de la gamme sur le pourtour d’une circonférence qu’il relie par des traits de différentes couleurs, établissant ce qu’il appelle, dans le texte qui court entre les graphiques, des « relations polygonales ».

Un de ces graphiques, tracé à la mine de plomb et complété aux crayons de couleur bleu et rouge, présente en abscisses d’un tableau, numérotés de 1 à 7, les éléments ou lieux suivants : « Terre, mer, Fleuve, soleil, Siège de la bête, Fleuve Euphrate, Air » et, dans les cases du même tableau, les valeurs des lames d’un jeu de cartes, « As, Roi, dame, valet… », tandis que différents symboles zodiacaux ou annotations mystérieuses portées en marges (« clé du puits de l’abîme ») renforcent le caractère ésotérique et hermétique de cet ensemble.

Enfin, l’un des schémas semble être l’étude morpho-psychologique d’un visage. Dans un carré divisé de quatre cases, Mabille a dessiné un losange, un triangle monté sur une pointe et deux symboles lunaires. Des bras dessinés à partir des limites de ce carré tendent, dans les directions opposées, l’un un losange, au-dessus des mots ou locutions « gauche », « défensive », « il boit », l’autre un triangle sur une barre verticale, cerné par « droit », « offensive », « il gueule ».

Le fragment manuscrit de 17 pp. in-8 à l’encre noire et à la mine de plomb introduit par la formule « En guise de préface » fait apparaître une numérotation à plusieurs niveaux qui laisse supposer que Mabille projetait alors un ouvrage imposant avec de multiples chapitres et sous-sections. Ainsi, il écrit en haut du troisième feuillet : « Section I / Portion I / Partie I / Livre I / Des principes superessentiels / C[h]ap I ». Puis une introduction : « De la production des trois principes […] ou comment l’Aleph ténébreux se change en Aleph lumineux. » Suit une autre partie numérotée « IIe partie de la section I de la portion II » et titrée « Des caractères de la nature », puis « C[h]ap II Explication cabaliste [Mabille orthographie toujours dans son manuscrit « Cabale » et non « Kabbale »] des trois principes physiques secondaires ».

Le manuscrit commence par un exergue de Platon : « La religion finira lorsqu’elle sera gouvernée par le fer et par l’airain », lequel précède deux

autres exergues et un texte dans lequel il commence par analyser « la douce erreur, celle de l’Église catholique », avant de compléter : « L’autre erreur est celle de Karl Marx ».

Rémy Laville, auteur d’une thèse de bibliographie introduite par une biographie sommaire intitulée Pierre Mabille : un compagnon du surréalisme (Presses universitaires de Clermont-Ferrand, 1983), affirme que Mabille avait alors le projet d’un vaste ouvrage en deux parties consacré à l’étude de l’homme et des civilisations auquel il aurait finalement renoncé, choi-sissant de faire paraître deux livres distincts traitant de ces sujets sépa-rément : La Construction de l’homme (J. Flory Éditeur, Paris, 1936) et Égrégores ou la Vie des civilisations (J. Flory Éditeur, Paris, 1938).

Mais quelques mois après la lettre autographe adressée à Pierre Piobb, dans laquelle il le rassure sur un long silence, Pierre Mabille fit la connais-sance des surréalistes. C’est de la publication dans le n° 6 de la revue Minotaure, du 3 décembre 1934, de son article « Préface à l’éloge des préjugés populaires » qu’André Breton lui-même la date, dans Pont-Levis, préface à la réédition posthume, en 1962, du livre de Pierre Mabille Le Miroir du merveilleux. Le chef de file du mouvement surréaliste y dit aussi de Mabille : « Homme de grand conseil, le seul que j’ai vu se tenir au nœud des voies de communication les mieux tracées avec de très anciennes pistes… » Il fait plus loin explicitement référence aux connaissances précé-demment acquises que Mabille avait apportées au mouvement surréaliste et qui eurent une influence déterminante sur son développement ultérieur et sur André Breton lui-même, qu’il initia aux pratiques vaudou en 1941.

Commentant cette transmission, Radovan Ivšić définira, dans sa préface à la réédition d’Égrégores ou la Vie des civilisations (Le Sagittaire, Paris, 1977), « la tradition de l’hérésie amoureuse qui se manifeste tour à tour à travers le courant gnostique, le romantisme, le surréalisme, pour ne citer que quelques-uns de ses surgissements collectifs et dont la puissance est plus d’embrasement que de négation ».

2. Panaït istrati (1884-1935)

Les persécutions politiques dans l’U.R.S.S. – Au secours de Victor-Serge ! Manuscrit autographe signé.

Daté « Sanatorium Filaret / Bucarest, 29 avril [1933] ».

• 7 pp. in-4 (23 × 29 cm) autographes à l’encre noire aux rectos de 7 feuillets de vélin crème filigrané « Superfine Bankpost-Romania Mare » reliées par un trom-bone oxydé. Un millier de mots. Numérotation autographe [1]-7. Une vingtaine de corrections de la main de l’auteur par biffures ou ajouts. Petites déchirures sans manque de texte aux plis marqués des feuillets.

• Un tapuscrit 1 p. ronéoté à l’encre violette sur pelure de l’appel en faveur de la libération de Victor-Serge : « Les soussignés ont à cœur de saisir l’opinion publique des faits suivants », portant les signatures autographes « B.[oris] Souvarine » et « P. [ierre] Pascal », est monté par collage sur le feuillet « 4 ».

• Un tirage photographique argentique original (6 × 7 cm) d’un portrait de Victor- Serge, dédicacé et signé de sa main au verso : « Moscou, 29.1.29, à Panaït Istrati, en souvenir amical de nos longues rencontres, l’an XI de la Révolution, Victor-Serge », portant le timbre à l’encre du photographe L. Leondidov, rue Tverskaïa [Moscou], est monté au verso de ce tapuscrit.

Précieux manuscrit d’un article, destiné aux Nouvelles littéraires, sur les persécutions dont furent victimes en U.R.S.S. Victor-Serge et sa famille. Les convictions et le lyrisme de « l’homme qui n’adhère à rien » vibrent dans ce texte resté inédit.

Panaït Istrati est âgé de 49 ans lorsqu’il fait parvenir ce texte à son ami Frédéric Lefèvre (1889-1949), rédacteur en chef des Nouvelles littéraires, depuis un sanatorium de Bucarest où il est soigné pour une tuberculose. L’écrivain roumain destine visiblement ce texte à une publication dans l’influent journal que dirige Maurice Martin du Gard.

Il revient d’abord sur « l’Affaire Roussakov », point de départ d’une tragédie complexe qui l’a brouillé avec des personnalités de premier plan comme Romain Rolland, lequel avait pourtant favorisé les débuts de sa carrière littéraire en France. Ainsi il écrit : « Amis de France, vous souvenez-vous de l’Affaire Roussakov ? Il y a quatre ans, lors de mon retour de Russie, j’en ai parlé, d’abord dans la NRF, puis dans mon livre “Seize mois dans l’U.R.S.S.”. »

En effet, en 1927, Panaït Istrati s’était rendu en Union soviétique en compagnie de l’écrivain grec Nikos Kazantzakis. Il y avait passé seize mois et fait la connaissance du révolutionnaire Victor-Serge, né en Belgique sous le nom de Kibalchich. Ce dernier travaillait alors dans les instances de la Troisième Internationale communiste. D’abord très enthousiaste, Panaït Istrati avait ensuite été confronté à un abus dont avaient été victimes les Roussakov, famille russe de l’épouse de Victor- Serge. De retour en France, il avait publié dans le n° 193 de la NRF daté d’octobre 1929 un long article intitulé « L’Affaire Roussakov ou l’U.R.S.S. aujourd’hui ». Sept ans avant le Retour de l’U.R.S.S. d’André Gide, il dressait un constat accablant sur les réalités de la vie sous le régime soviétique. Il fit aussi paraître chez Rieder Vers l’autre flamme, une œuvre en trois tomes dont seul le premier, Après seize mois dans l’U.R.S.S., était de sa main. Les deux autres, Soviets 1929 et La Russie nue, avaient été composés respectivement par Victor-Serge et Boris Souvarine, lesquels, pour diverses raisons, ne souhaitaient pas s’en révéler les auteurs.

Istrati poursuit en détaillant son combat vain pour défendre les Roussakov et mentionne une rencontre avec un « communiste officiel et rédacteur à la Komsomolskaïa Pravda » qui lui aurait déclaré : « Regardez le tas qui m’est arrivé ce matin même : toute la Russie est pleine d’affaires Roussakov. Nous n’y pouvons rien. »

Plus loin, il explique les conséquences de son implication : « toute la presse communiste de Russie et d’Europe m’avait indiqué à l’opinion publique comme “un agent de la Sûreté roumaine” et un “vendu à la bourgeoisie” ».

Istrati raconte aussi que, de retour en Roumanie, il continue d’être l’objet de la vindicte tant des communistes que des nationalistes, ces derniers lui reprochant des prises de position anciennes en faveur de la révolution bolchévique : « à Jassy, lors d’une matinée littéraire au but “philanthropique”, j’ai failli être assommé. Communistes et fascistes roumains s’étaient mis d’accord pour bloquer la salle et hurler contre le “traître”, le “vendu”. Les deux côtés de la barricade ne pouvaient me permettre d’être et de rester un homme qui n’adhère à rien. »

Cette dernière formule est reprise de l’un de ses précédents articles, paru trois semaines auparavant dans l’édition datée du 8 avril des Nouvelles littéraires. Il y répondait à une critique de son dernier roman, La Maison Thüringer, parue dans Monde, la revue littéraire d’Henri Barbusse, sous la plume de Magdeleine Paz. Celle-ci, bien que lui concédant des talents de conteur, lui reprochait d’avoir écrit un « livre réactionnaire » et « une défense de la bourgeoisie ».

Ce n’est qu’au milieu de la quatrième page de ce texte qu’Istrati en vient à l’arrestation de Victor-Serge, d’abord en insérant dans sa lettre une copie ronéotée d’un appel en faveur de sa libération. « Voici l’appel que je reçois aujourd’hui de Paris », annonce-t-il. Le texte vient d’être publié dans le no 8 daté d’avril de La Critique sociale, revue créée par Boris Souvarine. Le tapuscrit porte ici la signature de ce dernier ainsi que celle de Pierre Pascal, auxquelles s’ajoutèrent celles de Georges Bataille, Lucien Laurat et Jacques Mesnil.

Panaït Istrati ajoute : « Vous entendez : Victor-Serge, l’auteur des Hommes dans la prison et de Naissance de notre force, est enterré vivant depuis le 8 mars. » Les deux ouvrages qu’il mentionne et qui avaient été publiés respectivement en 1930 et 1931 chez Rieder avaient pourtant été inspirés par des événements peu susceptibles de soulever un élan de sympathie dans le lectorat plutôt modéré, sinon conservateur, des Nouvelles littéraires. Les Hommes dans la prison avait en effet été inspiré à son auteur par un

séjour de cinq ans, entre 1912 et 1917, effectué en grande partie à la prison de la Santé, au terme d’une condamnation pour avoir hébergé les principaux membres de la Bande à Bonnot. Quant à Naissance de notre force, ce roman constituait un témoignage enthousiaste du soulèvement des anarchistes catalans à Barcelone en 1917.

Pour finir, Panaït Istrati doute à juste titre que l’appel publié dans la revue de Souvarine suffise à faire libérer Victor-Serge et propose de faire entendre depuis la France la voix des « amis de l’homme de bonne foi » et clame : « À cette action de Sainte justice, doivent s’unir écrivains, lecteurs, public et même le gouvernement français. »

Il ajoute que sa situation matérielle misérable ne lui permet pas de financer son voyage en France mais compte sur la générosité des lecteurs et conclut : « Je prendrai l’Orient-Express dès que les moyens matériels me seront donnés pour accomplir ce voyage. Par conséquent, les amis, les hommes qui peuvent contribuer aux frais de mon déplacement, n’ont qu’à envoyer l’argent aux Nouvelles littéraires. »

Contrairement à d’autres textes envoyés de Roumanie à Frédéric Lefèvre par Panaït Istrati, ce manuscrit ne fut pas publié. Mais son appel à la générosité fut transmis avec succès par d’autres voies. Dès le mois de juillet, il se trouvait à Paris et remerciait ses lecteurs et bienfaiteurs dans les colonnes des Nouvelles littéraires avant de s’accorder un répit à Nice, où il demeura jusqu’au début de l’année 1934, avant de retourner mourir en Roumanie l’année suivante.

Victor-Serge, quant à lui, fut finalement autorisé à quitter l’U.R.S.S. en 1936, après trois ans passés en relégation à Orenbourg, dans l’Oural. Mais il dut surtout son salut à ceux qui avaient reproché à Istrati son revirement politique. Magdeleine Paz avait pris la tête d’un Comité Victor-Serge et était activement intervenue en 1935 auprès du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture dominé par le Parti communiste. Quant à Romain Rolland, il avait usé de son prestige pour interpeller directement Staline.

Un peu oublié après guerre, Panaït Istrati fut redécouvert dans les années 1960 grâce à la publication de ses Œuvres complètes en quatre forts volumes in-8 chez Gallimard. Ce manuscrit inédit fait revivre sous

sa plume lyrique les terribles confrontations politiques européennes des années 1930 et son inlassable souci de témoigner de la souffrance des humbles.

Les persécutions politiques dans l’U.R.S.S.Au secours de Victor-Serge !

Amis de France, vous souvenez-vous de l’Affaire Roussakov ? Il y a quatre ans, lors de mon retour de Russie, j’en ai parlé, d’abord dans la NRF, puis dans mon livre « Seize mois dans l’U.R.S.S. ». Cette affaire se résume en deux mots, mais deux mots qui font glacer le cœur de tout homme dont le cœur n’est pas de pierre. Les voici :

À l’exemple de milliers d’autres citoyens soviétiques, le vieil ouvrier révolutionnaire Roussakov a eu le malheur de s’écarter d’un millimètre de la fameuse « ligne » d’action tracée par Staline. Comment s’en était-il écarté ? Eh bien, il avait « rouspété » contre les brimades officielles dont lui et maints de ses collègues de fabrique étaient victimes depuis des années. C’est tout ce que l’enquête officielle a pu constater, enquête, bien entendu, faite sous mon contrôle permanent. N’empêche ! On lui colle l’étiquette de « traître » et le soviet de sa fabrique demanda, publiquement, sa condamnation à mort et l’exil de sa nombreuse famille.

Or, j’ai prouvé alors à ses juges que nous étions en présence d’une monstrueuse mise en scène et que tout le dessous de l’affaire était une question de logement : des criminels, bons pour le gibet, voulaient mettre la main sur le logement de la famille Roussakov, logement qui avait le malheur d’être grand et beau, et, pour arriver à cette fin, ils n’hésitaient pas d’envoyer un homme à la mort et toute une famille en exil.

N’est-ce pas que c’est invraisemblable, impossible et plus qu’épouvantable ? N’est[-ce] pas que de tels forfaits, se perpétrant justement dans le pays qui prétend instaurer la justice sur la terre, vous donnent l’envie de vous suicider ? Cependant, de l’aveu même du publi-ciste Koltsov, communiste officiel et rédacteur à la Komsomolskaïa Pravda, dans les mains duquel je suis allé mettre cette affaire, de tels forfaits sont courants en Russie. J’ai raconté comment, me montrant un tas de dossiers du jour, posés sur son bureau, Koltsov m’avait dit : « Regardez le tas qui m’est arrivé ce matin même : toute la Russie est pleine d’affaires Roussakov. Nous n’y pouvons rien. »

J’ai remué, alors, ciel et terre, du président de l’U.R.S.S., Kalinine, jusqu’au dernier procureur ou juge d’instruction, et j’ai réussi à arracher un vieil homme à la mort et toute une famille à la Sibérie. J’ai voulu faire plus. Sachant qu’après un tel scandale, les pauvres créatures n’auront plus le moyen de gagner leur pain, j’ai tenté de le faire sortir de Russie.

Mais j’ai dû les abandonner et même ne plus correspondre avec eux, car toute la presse communiste de Russie et d’Europe m’avait indiqué à l’opinion publique comme « un agent de la Sûreté roumaine » et un « vendu à la bourgeoisie ».

Devant une accusation si abominable, ma vie morale s’est arrêtée net. Et m’aper-cevant que personne ne prenait ma défense, j’ai renoncé moi-même à me défendre, me disant : le temps lavera ce mensonge.

Il l’a lavé. Depuis plus de trois ans, je vis dans ce pays, mon pays, où la presse bour-geoise m’a couvert d’injures, où je ne peux pas trouver un éditeur pour mes livres, ni un journal ou une revue qui veuille au moins annoncer l’apparition régulière de mes livres en France. Je suis un banni, un maudit. Rares sont les hommes qui ont le courage de venir me voir, et très rarement j’ai pu publier un article pour crier ma colère.

En janvier 1931, à Jassy, lors d’une matinée littéraire au but philanthropique, j’ai failli être assommé. Communistes et fascistes roumains s’étaient mis d’accord pour bloquer la salle et hurler contre le « traître », le « vendu ». Les deux côtés de la barricade ne pouvaient me permettre d’être et de rester un homme qui n’adhère à rien.

Et je ne serais pas sorti de cette réserve, si un événement des plus douloureux n’était venu m’appeler à mon devoir passionnel : l’aide à l’homme en détresse.

L’événement c’est encore l’affaire Roussakov. Voici l’Appel que je reçois aujourd’hui de Paris :

[Ici, texte ronéoté.]Ainsi, les entrailles du communiste soviétique au pouvoir ne connaissent pas la pitié

et n’admettent pas le pardon ! Quatre années de soumission et de rudes souffrances n’ont pas suffi aux malheureux Roussakov pour faire oublier la faute d’avoir jadis « rouspété » contre la tyrannie soviétique. Les voici jetés à la rue. Les voici éparpillés aux quatre vents. Le fameux appartement est enfin libre. Les communistes « dans la ligne » pourront l’occuper.

Mais à quel prix s’est faite cette opération ? Vous entendez : Victor-Serge, l’auteur des Hommes dans la prison et de Naissance de notre force, est enterré vivant depuis le 8 mars. Sa femme, frêle créature aux nerfs détraqués par tant d’années de persécutions, est enfin folle et internée. Leur gosse, débile maladif, est à la rue. Et Anita Roussakov, qu’on n’avait pas touchée jusqu’ici est en prison. Il ne reste plus dehors, pour mendier un morceau de pain et un abri de fortune, que les deux vieillards Roussakov et le petit Vladimir. Mais cette fois c’en est trop !

Amis de l’homme de bonne foi, révolté et vaincu, voulez-vous que nous nous comptions, aujourd’hui, en venant tous au secours de Victor-Serge et des Roussakov ? Voulez-vous que nous tentions ensemble, d’arracher cette famille à la détresse, au suicide ?

Certes, la tâche ne sera pas facile. Les Soviets ne lâcheront pas leur proie, simplement après avoir lu cet Appel, couvert de vos signatures.

Nous devons faire entendre notre voix non pas tant en Russie, qu’à Paris, en France. À cette action de Sainte justice, doivent s’unir écrivains, lecteurs, public et même le gouvernement français.

Moi, je suis prêt à venir à Paris, et si vous le voulez nous nous montrerons tous à la salle Wagram. Hélas pour cela, vous devez m’aider à faire ce voyage. Je n’ai pas d’argent.

Je vis avec ma femme, depuis deux mois, dans cet hôpital, rien que pour économiser mon salaire et pouvoir ainsi me louer un petit logement en ville. Des médecins et amis se sont cotisés et c’est grâce à eux que je pourrai bientôt jeter ma loque sur un lit et dans une chambre à moi. C’est pour vous dire combien ma misère est totale.

Et le voyage à Paris, je ne puis le faire que couché, allongé, et accompagné par ma femme, dont l’assistance constante m’est indispensable. Songez, je ne vis plus que par miracle : les hémoptisies me guettent au moindre effort ; et une première hémorragie m’emporterait. J’étouffe au bout d’un quart d’heure de conversation. Ma voix, dans une grande salle, vous ne l’entendrez qu’à l’aide du microphone.

Bref, je ne puis plus donner aux hommes que ma vie. J’en suis prêt. Joyeusement. Je prendrai l’Orient-Express dès que les moyens matériels me seront donnés pour accomplir ce voyage.

Par conséquent, les amis, les hommes qui peuvent contribuer aux frais de mon dépla-cement, n’ont qu’à envoyer l’argent aux Nouvelles littéraires. N’y a-t-il pas aussi des hommes riches et aisés qui m’aiment, qui aiment la justice et qui veuillent sauver des hommes de la prison, de la détresse, de la mort ?

Sanatorium FilaretBucarest, 29 avril

Panaït Istrati

Lefèvre ! L’heure est dure, pour ceux qui se meurent en Russie. Prends en main cette triste affaire ! Les Nouvelles littéraires convoqueront le public parisien à la salle Wagram. Et j’y parlerai, dussé-je y laisser ma peau. Réponds-moi vite. Ci-joint, appel et photo de Victor-Serge. Ton Panaït

3. Paulin GaGne (1808-1876)

Lettre autographe signée « Gagne, avocat, citoyen du peuple univer-sel » avec quatrain à Monsieur Léonce Dupont, rédacteur du Gaulois.

1 p. in-8 contrecollée sur papier fort.

Paris, le 5 septembre 1872.L’archi-conseil de l’archi-salutaux archi-empereurs des archi-congrèsde Berlin et de la Haie !!!

Archi-grands empereurs pour créer l’archi-vie,Archi-proclamez tous l’archi-pantocratie,L’archi-monarque plein d’un archi-doux amour,L’archi-peuple-homme-femme en qui luit l’archi-jour !!

Monsieur,La postérité et moi, nous vous conserverions la plus profonde reconnais-sance si vous nous faisiez l’honneur de publier dans le généreux Gaulois le quatrain archipantocratique ci-dessus, qui renferme la sagesse dans le man-teau de la folie !J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très respectueux serviteur.

Poème autographe et lettre d’un des plus notables « fous littéraires » du xixe siècle. Un document hautement pataphysique.

Bien qu’avocat de profession, c’est en tant que « fou littéraire » que Paulin Gagne acquit une certaine gloire. De son vivant, il fut cité par

Octave Delpierre dans L’Histoire littéraire des fous, publiée à Londres en 1860, suivi vingt ans plus tard par Pierre-Gustave Brunet. Ce dernier, dissi mulé derrière le pseudonyme de Philomneste Junior, présentait Paulin Gagne comme « un des écrivains les plus excentriques et des plus féconds que possède notre époque » dans son Essai bibliographique sur la littérature excentrique, les illuminés, visionnaires, etc. (Bruxelles, Gay & Doucé, 1880).

Plus près de nous, Raymond Queneau lui consacra un paragraphe dans son roman Les Enfants du Limon qui, dans une première version refusée par les éditeurs, devait être une autre anthologie de ce genre littéraire parallèle. Enfin, en 1982, André Blavier, autre Satrape du Collège de ’Pataphysique, lui consacra une fiche de près de 30 pages dans son anthologie Les Fous littéraires, parue chez Henri Veyrier puis rééditée en 2000 aux Éditions des Cendres à Paris.

Paulin Gagne eut en effet une œuvre féconde publiée essentiellement à compte d’auteur. Il est notamment l’auteur de L’Unitéide, « la plus bizarre agglomération de noms fantastiques et de vers saugrenus que puisse inventer le cerveau humain », selon Delpierre. Et ce n’est pas sans raison que Blavier le fit figurer dans la section « Candidats » de son anthologie. L’« avocat, citoyen du peuple universel », se présenta en effet dès 1848 à toutes les élections législatives, sans succès malgré ses mises en garde aux électeurs, dont celle publiée en 1869 qui les avertissait : « J’ose vous faire part des deuils les plus funèbres / D’un monde entier qui va mourir dans les ténèbres / Si tout ne chante pas la céleste unité / Et ne me nomme pas triomphant député. »

En dépit de la grande fantaisie dont il faisait preuve dans ses écrits, Paulin Gagne suivait attentivement l’actualité politique nationale et inter-nationale qui lui inspira une grande partie de son œuvre. Il fit ainsi paraître en 1846 le Triomphe de l’amour royal, poème cantate lyrique, sous- titré Le Mariage de son A. R. le duc de Montpensier et de S. M. la reine d’Espagne, qui répondait aux noces, en octobre de la même année, de l’infante espagnole Louise-Fernande de Bourbon et du prince Antoine d’Orléans.

Nul doute alors que, dans la lettre que nous présentons, l’introduction de son quatrain (« Aux archi-empereurs des archi-congrès / De Berlin et de la Haie !!! ») ne fasse référence à deux événements politiques majeurs

de cette année 1872 : la rencontre en septembre à Berlin des empereurs d’Autriche-Hongrie, d’Allemagne et de Russie, concrétisée par des alliances militaires défensives, et le cinquième congrès de l’Alliance inter-nationale des travailleurs qui se tint dans la capitale néerlandaise à peu près au même moment.

On apprend en outre, grâce au n° 2 des Cahiers de l’Institut interna-tional de recherches et d’explorations sur les fous littéraires, paru en 2008, que « Gagne a juré, sur la tête de son concierge, qu’il ne paraîtrait pas un journal sans qu’il y collaborât ». Le Gaulois, feuille monarchiste à grand tirage fondée quatre ans avant l’envoi de cette lettre, ne fut manifestement pas du nombre. Les poèmes excentriques de Paulin Gagne n’ont en effet paru que dans la confidentielle Feuille de Madame Angot et dans les innom-brables revues que Paulin Gagne publia lui-même, seul ou avec l’aide de son épouse Camille, parmi lesquelles L’Archi-soleil, grand archi-journal des éclats universel et uniteur de l’avenir (1865), Le Journalophage, ou Le mangeur de journaux, satire anti-journal paraissant quand il peut (1858) et L’Unité, journal universel et pantoglotte de l’avenir (1867-1868).

4. VoiaGe à Visbecq

Manuscrit anonyme, s.l.n.d. [Bruxelles, vers 1794].

208 pp. in-8 à l’encre noire brunie par le temps sur vergé, dans une reliure d’époque en demi-basane fauve à coins et plats de papier bleu à la colle, dos à quatre petits nerfs ornés de doubles filets dorés, pièce de titre rouge. Travail des vers à la charnière du second plat.

Beau manuscrit de la fin du xViiie siècle mêlant la fantaisie onirique d’un voyage au centre de la Terre à une geste patriotique brabançonne.

Le manuscrit semble avoir été écrit d’un seul jet avec quelques repen-tirs. Quelle en était la destination ? Le foliotage discret tracé à la mine de plomb au coin supérieur des rectos permet de penser qu’il était destiné à une édition. Mais l’on n’a retrouvé aucune trace ancienne de ce livre.

Le récit commence par une question philosophique galante sur la notion de temps : « la chose qui est à la fois la plus longue et la plus courte », posée par le narrateur à quelque dame à laquelle il explique : « Près de vous, il passe avec la rapidité de l’éclair ; loin de vous, on le trouve d’une longueur insupportable. » Pour sa part, les six semaines de carême qui le séparent d’un séjour projeté avec des amis pendant la quinzaine de Pâques au château de Visbecq, à une trentaine de kilomètres de Bruxelles, lui paraissent insupportablement longues. Décidé à les abréger, il se rend chez un pharmacien auquel il demande assez d’opium pour dormir jusqu’au dimanche des Rameaux. Mais l’apothicaire lui suggère plutôt

d’entreprendre aussitôt son voyage et d’en allonger la durée par de tor-tueux détours.

Rendu aux arguments du pharmacien, le narrateur part battre la cam-pagne et se réjouit des beautés de la nature qui l’entoure. Soudain, il est précipité dans un puits au fond duquel une large ouverture dans la paroi lui découvre un souterrain. Il s’y engage et pénètre dans un monde fan-tastique à l’horizon concave et éclairé en permanence par un astre vert. Cet univers est peuplé de créatures étranges, tels des éléphants orange et des lions rouges à crinière verte. Au terme de sa déambulation le héros est finalement accueilli par une cour composée d’un couple royal et d’une créature parée comme un humain mais à la physionomie d’un gros oison. On comprendra plus tard que c’est le favori de la reine ainsi transformé par un mage au cours d’une guerre menée à coups de sortilèges et dont le « coquillage » d’une princesse semble être l’enjeu ultime. Défile alors une galerie de personnages, guerriers, magiciens, aux noms à consonances mystérieuses et le plus souvent orientales, comme Ramazan, Abdalon, Androbolan, Barmangor ou Brambouc.

Enfermé dans une tour de plomb et de charbon, le narrateur fait la connaissance de compagnons d’infortune qui lui content par quels enchaînements de péripéties ils ont chacun abouti dans ce monde sou-terrain. L’un d’eux, gentilhomme flamand, n’a de cesse que de réciter un long poème épique, qu’il a écrit sur sa chemise et qui narre la geste et les amours d’un dénommé Florent de Borsèle. Compte tenu des autres détails historiques fournis, on déduit qu’il pourrait s’agir d’un bâtard de Frank Van Borselen, gouverneur de Hollande et de Zélande pour le compte de Philippe III le Bon, duc de Bourgogne et des Pays-Bas bour-guignons de 1419 à 1467.

Ce récit, qui alterne de longs passages en prose et quelques vers, est composé de trois chants qui interrompent la narration à deux reprises. Ils sont introduits par des effets comiques reposant sur les tentatives du héros de se soustraire à l’écoute de l’œuvre de son compatriote. Mais l’appa-rente mauvaise volonté du narrateur peut laisser le lecteur dubitatif. Cette incise dans le récit, qui a nécessité un important travail de recherches historiques, représente tout de même un cinquième de l’ouvrage !

Écrit dans un style enlevé qu’adoucit parfois un sentimentalisme de bon aloi, Le Voiage à Visbecq offre une vivante synthèse des influences qui pouvaient nourrir l’imagination d’un candidat à la gloire littéraire de l’époque. C’est peut-être ce foisonnement d’idées, où certains verront des premières manifestations de surréalisme et d’autres un ancêtre de Lewis Caroll, qui a séduit en 2007 Anacharsis, déjà éditeur, entre autres raretés, du Cymbalum mundi de Bonaventure des Périers.

Enfin, on trouve une réflexion sur les souvenirs des sensations de l’enfance dont la madeleine de Proust semble un fidèle écho. En effet, l’auteur qui nous convie à l’intimité de ses réflexions philoso-phiques se demande pourquoi une faible odeur de térébenthine lui plaît, « tandis qu’elle déplaît en général à tout le monde ». Il en trouve l’explication dans le souvenir olfactif d’un soldat de plomb qu’on lui offrit quand il n’était âgé que de quatre ans : « on l’avait mis en parade sur la cheminée, et comme on ne me le donnait pas toujours et que j’étais trop petit pour y atteindre, je devais me contenter de l’admirer et de renifler l’odeur de la térébenthine avec laquelle il était peint, et à présent encore cette odeur ne se porte à mon odorat sans que le souve-nir de mon petit soldat ne se réveille au même instant, ô jours heureux de ma première enfance ! »

Éric Lysøe, directeur de l’Institut de recherche en langues euro-péennes de l’université de Mulhouse, qui a rédigé la préface de cette première et unique édition, croit pouvoir dater précisément le début du récit du 15 mars 1794 en se référant aux éléments du texte, comme la conjonction de deux éclipses de soleil visibles depuis Bruxelles et la mention de la Saint-Longin. Il fait aussi remarquer que les récits de voyages imaginaires au centre de la Terre existaient depuis l’Antiquité mais pullulaient au xViiie siècle. Il cite notamment Le Voyage de Nicolas Klimius dans la région souterraine du Norvégien Holberg, traduit en fran-çais en 1762, et surtout une collection de 36 volumes réunis par Charles Garnier sous le titre de Voyages imaginaires, parus en France entre 1787 et 1789.

Mais l’auteur emprunte aussi beaucoup à la littérature classique, apparemment de mémoire, au risque de quelques erreurs. Ainsi, quand s’interrompt au milieu de son récit le chant consacré à Florent de Borsèle, il commence un nouveau chapitre au recto du feuillet « 66 » en se référant à L’Âne d’or d’Apulée : « Deux tableaux s’offraient à mes yeux, je voiais sur l’un l’ane d’Apulée entre deux bottes de foin à égale distance ; sur l’autre un poëte qui aiant achevé la lecture de son second chant se trouve à égale distance de l’envie de continuer la lecture, et du désir de sortir de la prison ; l’ane meurt indécis… » Mais sa mémoire glisse là d’un bon mil-lénaire et c’est évidemment au paradoxe de l’âne de Buridan que pensait notre étourdi conteur.

La cocasserie la plus débridée habite ce récit d’un esprit libre, comme lorsque, pris de frayeur pendant sa chute dans le puits, il décide pour char-mer sa solitude et dissiper ses ennuis de chanter à tue-tête : « connaissez- vous bien Margot / au prochain village, oh’ vraiment d’un escargot / elle a le visage… »

L’auteur va jusqu’à moquer les descriptions de l’Enfer de Dante, autre monde souterrain, lorsqu’il déclare : « Serais-je par hazard en enfer ? oh non, ceci a l’air d’un fort beau païs, et la description qu’on nous en faisait là-haut, ne s’accorde guère avec ce que je vois ; au reste qu’importe, pourvu que je sois bien, le nom n’y fait rien… »

Le manuscrit n’abondant pas en détails sur la vie et la personnalité de l’auteur, il est difficile d’établir avec certitude l’identité de ce dernier. Mais l’on sait grâce à quelques passages du récit, et notamment sa fin, qu’il était un familier de la riche lignée des Overschie-Visbecq : « Mais la voiture tourne à gauche et quitte la grand route ; je m’éveille, j’ouvre les ÿeux que vois-je ? j’étais dans l’avenue, voilà le château tout devant moi, voilà le Baron avec son gros ventre qui m’en cache la moitié […] adieu poëte mon ami ; adieu Androbola, Grambouc, j’ai bien d’autre chose à faire, j’arrive à Wisbecque. »

Dans la préface de l’édition du Voiage donnée par Anacharsis, Éric Lysøe va plus loin : « Quiconque connaît un peu la littérature et l’histoire de la noblesse belge voit en effet s’imposer un nom parmi d’autres : celui de Charles-Joseph de Ligne (1735-1814). Il cite à l’appui de cette thèse

les goûts communs au septième prince de Ligne du Saint-Empire et au narrateur anonyme pour les jardins (mis à l’honneur par l’exergue) et pour les pièces et récits où non seulement l’Orient mais aussi les Enfers occupent une large place.

Peut-être de la main du prince Charles-Joseph de Ligne, « le plus grand des Wallons ».

5. bernard HeuVelMans (1916-2001)

Lettre autographe signée à un « Très cher Ami » [Théodore Monod].

4 pp. in-4 à l’encre noire, numérotées de la main de l’auteur, sur deux feuillets recto verso de vélin blanc, le premier à son en-tête au Centre de Cryptozoologie / Verlhiac Saint-Chamassy / 24260 Le Bugue (France).Datée « Le 1er juillet 1981 ».

Longue et belle lettre dans laquelle il évoque son « homme pongoïde » et apporte un éclairage surprenant sur la concurrence que lui fit son disciple et biographe Jean-Jacques Barloy.

Bernard Heuvelmans, docteur en zoologie de l’Université libre de Bruxelles, popularisa la cryptozoologie, soit, selon sa propre formule, « l’étude scientifique des animaux cachés, c’est-à-dire des formes animales encore inconnues, au sujet desquelles on possède seulement des preuves testimoniales et circonstancielles, ou des preuves matérielles jugées insuf-fisantes par certains ».

Il est connu pour de nombreux ouvrages dont Sur la piste des bêtes ignorées, paru en 1955 chez Plon. C’était aussi un proche de Georges Rémi, dit Hergé, le créateur des Aventures de Tintin, qu’il conseilla pour la rédaction de plusieurs albums, notamment Tintin au Tibet dans lequel apparaît le Yéti ou abominable homme des neiges.

Attaqué par plusieurs représentants de la communauté scientifique qui considéraient la cryptozoologie comme une pseudo-science, il reçut cependant le soutien de personnalités établies comme Jean Rostand,

le paléontologue Éric Buffetaut ou encore le naturaliste spécialiste des déserts Théodore Monod (1902-2000), destinataire de cette lettre.

Il s’excuse ici d’avoir tardé à répondre à ce dernier, lui faisant part de ses difficultés de tous ordres : « Il y a longtemps que j’aurais dû répondre à votre lettre du 3 décembre, mais comme vous partiez pour le Sahara, j’ai remis ma lettre à plus tard, et, submergé de travail – et de soucis pour tenter de survivre – je ne l’ai pas encore fait. Voici donc le moment venu. »

Il remercie son correspondant pour une référence de livre consacré aux méduses et l’informe qu’il a tenu compte de sa traduction, donnée avec Pierre de Cénival, du livre de Valentin Fernandès, d’abord paru en 1506, Description de la côte d’Afrique de Ceuta au Sénégal, afin de « pouvoir corriger dans l’avenir [pour une réédition] ce qu’[il] en avai[t] écrit étour-diment » dans son livre le plus célèbre, Bêtes humaines.

Plus loin, il répond à une suggestion de son correspondant à propos de son étude sur les hommes singes : « Il est curieux que vous évoquiez Léon Daudet à ce sujet. C’est une piste que je suis depuis des années. » Mais il s’est « cassé les yeux à parcourir sur les abominables machines à consulter les microfilms de la BN, les collections du journal Candide sans y trouver la critique de Souvenirs d’un médecin de campagne du Dr Charles Fiessinger, où il [Léon Daudet] en parle. »

Évoquant sa charge de travail et l’ampleur de ses recherches, il regrette : « Il faudrait avoir autant de bras qu’un poulpe ou une divinité indienne ou avoir des journées de 100 heures pour résoudre tous ces problèmes. » Cependant, il aimerait « aller au fond de ces choses » bien qu’il ne croit « pas possible qu’un être humain et un anthropoïde (si différents anato-miquement quoi qu’on en dise !) puissent produire un rejeton viable ». En revanche, il lui paraît possible « que l’utilisation pour certaines tâches de Néanderthalien, comme [son] homme pongoïde […] ait pu donner naissance aux rumeurs en question ». Il s’agit ici d’une référence à une catégorie qu’il avait créée après la découverte au Minnesota en 1968 du cadavre congelé d’un hominidé velu conservé dans la glace et exposé dans une roulotte foraine. Il avait par la suite publié le fruit de ces recherches en commun avec Boris Porchnev, un scientifique soviétique, dans L’Homme de Néandertal est toujours vivant (Plon, 1974).

Plus loin, il répond à une interrogation de Théodore Monod sur l’International Society of Cryptozoology et sépare dans son courrier ce nouveau point par trois astérisques. Il la connaît en effet puisqu’il est président de cette société basée à Washington, et en cours de création au moment de la rédaction de cette lettre. Il avait même demandé à ses membres associés de proposer à Théodore Monod de faire partie du comité fondateur. Mais, ce comité étant restreint à douze membres, il l’assure : « J’ai alors exigé qu’on vous nomme au moins membre d’honneur, étant donné la grande ouverture d’esprit – le véritable scepticisme (au sens propre du mot) seul esprit scientifique acceptable – dont vous avez toujours témoigné, contre vents et marées, et notamment dans ces Notes africaines [publiées par l’Institut français d’Afrique] si précieuses à tous égards. »

À propos de cette société savante, dont la séance inaugurale est appa-remment prévue à la Smithsonian Institution de Washington, le savant regrette, dans une note au bas de la page « 3 », de ne pouvoir s’y rendre faute de moyens.

Dans la troisième section de sa lettre, encore séparée par trois asté-risques, il évoque « l’ami Barloy », lequel « s’agite beaucoup, beaucoup trop à [son] goût, dans le domaine cryptozoologique ». Il s’agit de Jean-Jacques Barloy (1939-2013), biographe et supposé ami d’Heuvelmans, dont la lettre donne un portrait nuancé. Ainsi il raconte à propos de ce dernier : « Je l’ai toujours beaucoup aidé, lui ai procuré ses premiers articles (dans Sc.[iences] et Avenir) et son premier livre (chez Albin Michel). » Le savant confesse qu’il voyait en lui, « à cause de sa formation, [son] disciple d’élection », mais ce dernier a, du point de vue du savant, « sombré dans le journalisme ». Pis, il « répugne à toute recherche et ne recherche que le scoop ».

Au-delà Bernard Heuvelmans se plaint plus précisément de la concur-rence de ce disciple : « Pour me remercier de ce que j’ai fait pour lui, il se contente de piller mes livres sans se donner la peine d’en remanier ou d’en enrichir sérieusement la documentation, et il publie des versions plus populaires de mes ouvrages qui, à cause de leur prix plus modique et de leur caractère plus populaire, font une concurrence fatale à mes livres.

C’est à des pirates comme lui que je dois en partie la chute des ventes de mes ouvrages et l’obligation où je me suis trouvé de quitter Plon. »

Plus loin la charge s’alourdit encore : « Comme il veut se présenter comme le spécialiste français de la Cryptozoologie, il a tendance à répandre le bruit que je vis quelque part en Belgique, et que je ne tiens pas à parti-ciper aux émissions de radio et de télé, dans lesquelles il pontifie. »

Bernard Heuvelmans termine sa lettre par une réponse négative à une question que lui aura posée Monod sur son éventuelle connaissance d’un ouvrage récent du zoologue autrichien Hans Biedermann. Il ne peut s’agir que de Wunderwesen, Wunderwelten, Oder, die Erlebbarkeit des Irrealen, paru chez Sammler Verlag en 1980. Le premier chapitre de cet ouvrage, dont on ne connaît pas de traduction française, traite en effet des représentations populaires en Asie centrale et dans le monde de divers types hominidés velus dont le fameux Yéti.

6. Orbes. Cahiers dirigés par Jacques-Henry Lévesque et Olivier de Carné.Collection complète des 8 fascicules parus en 2 séries au Sans pareil puis chez José Corti entre 1928 et 1936 ; numéro unique du journal Midi à Midi publié par Orbes ; les 4 livraisons de la « Collec-tion Orbes » et la plaquette HC en grand papier Francis Picabia 1879-1954, Éditions Orbes. Ensemble complété par une riche correspondance autographe à Jacques-Henry Lévesque et de nombreux documents originaux sur l’histoire de la revue.

Jacques-Henry Lévesque (1899-1971), co-directeur et fondateur de la revue Orbes, était un poète, critique de cinéma, de jazz et de littérature. Il était notamment spécialiste d’Alfred Jarry sur lequel il a publié une mono-graphie de référence chez Seghers en 1951. Ami des écrivains et des artistes, il s’attacha les collaborations de Blaise Cendrars, Marcel Duchamp et Francis Picabia qui constituèrent à la fois les piliers et les modèles de la revue.

Orbes fut d’abord hébergée, en 1928, au Sans pareil, la maison d’édition dirigée par René Hilsum qui avait auparavant diffusé les revues dadaïstes et surréalistes Dada, Cannibale et Littérature. Le Sans pareil était éditeur de Blaise Cendrars mais aussi de nombreux transfuges du dadaïsme, comme Ribemont-Dessaignes et Picabia, ainsi que de dissidents du surréalisme, comme Delteil et Paul Sabon, qui devinrent collaborateurs réguliers de la revue.

La première série comportait des créations littéraires, vers ou prose, extraits de romans à paraître ou traductions inédites en France d’auteurs comme Gertrude Stein ou Hans Arp. Dans la seconde, plus maigre (une vingtaine de pages contre une centaine), apparurent des comptes rendus

de spectacles. Attentive à la littérature étrangère, Orbes fut la première revue en France à écrire sur Henry Miller. Dans le n° 4 de la deuxième série, Blaise Cendrars lui consacre un article intitulé « Un écrivain améri-cain nous est né ».

Orbes, qui ne soutenait pas de mouvement littéraire ou artistique par-ticulier et revendiquait, jusqu’à la polémique, sa différence d’avec les surréalistes mais aussi les néo-classiques de la NRF, fut à l’origine de quelques controverses assez vives. On retrouve dans cet ensemble un tract de Tristan Tzara dans lequel il qualifie le Journal des poètes de « mépri-sable feuille de chou » après la parution d’un article de Jacques-Henry Lévesque qui avait cru pouvoir analyser un éloignement entre Tzara et le surréalisme.

Condamnant la politisation de l’art et l’écriture automatique, Orbes fustigeait le dédain pour le monde réel qu’elle ressentait dans le surréa-lisme et prenait aussi parti contre le cubisme.

Mais ces polémiques n’empêchèrent pas Orbes de jouer un rôle impor-tant dans la production artistique de son époque en organisant des expo-sitions à Paris et à New York animées du souffle des avant-gardes. On retrouve dans cet ensemble les prospectus et cartons d’invitation de plu-sieurs d’entre elles, notamment celle qui mêla sculpture, dessin, peinture et musique au bar La Cachette en 1937. Le nom Orbes a survécu à la revue après 1936, comme l’atteste l’exposition dont un tract est ici conservé : « Quelques œuvres de Picabia (époque dada 1915-1925) organisée par Orbes » le 20 novembre 1951.

A – Publications de la revue Orbes

• Orbes n° 1, printemps-été 1928, Au Sans pareil (12 × 19 cm), 107 pp.Textes de Blaise Cendrars, Francis Picabia, Pierre Audard, Georges Ribemont- Dessaignes, Pierre Colle, Jean Van Heeckeren, Philippe Soupault, Jean Aurenche, Joseph Delteil, Georges Hugnet, Olivier de Carné, Pierre Reverdy, Georgette Camille, René Laporte, Max Fontaine, Paul Sabon, Jacques-Henry Lévesque.Achevé d’imprimer le 20 juin 1928, par l’imprimerie d’Art et de publ., 35 rue Desnouettes, à Paris.

• Orbes n° 2, printemps 1929, Au Sans pareil (12 × 19 cm), 153 pp.Textes de Blaise Cendrars, Louis Parrot, Georges Neveux, Tristan Tzara, Jean Van Heeckeren, Henri Rousseau (Le Douanier), Georges Hugnet, Gertrude Stein, Jean Coutrot, Jacques-Henry Lévesque, Francis Picabia,George Isarlov, Max Fontaine, Georgette Camille, Maria Mc Donald Jolas, August Strinberg, Jean Aurenche et Paul Sabon, Olivier de Carné.Achevé d’imprimer le 6 mai 1929, par Dobrowolski-Bire, 9 rue Gerbert, Paris.L’un des 50 exemplaires (celui-ci n° 35) sur pur fil.

• Orbes n° 3, printemps 1932, José Corti (12 × 19 cm), 171 pp.Blaise Cendrars, Pierre Charnay, Robert Caby, Erik Satie, Olivier de Carné, Georges Hugnet, Tristan Tzara, Georges Neveux, Pierre Reverdy, George Isarlov, Pierre de Massot, Henri Rousseau (Le Douanier), Paul Sabon, Vivian du Mas, Francis Picabia, Jean Audard, Bravig Imbs, Pierre Minet, Georges Ribemont- Dessaignes, Eugène Jolas, Robert Guiette, Jean Van Heeckeren, Jacques-Henry Lévesque.Achevé d’imprimer le 12 mars 1932, par l’imprimerie du Centaure, 17 rue La Pérouse, Paris.

• Orbes n° 4, hiver 1932-1933, José Corti (12 × 19 cm), 145 pp.Textes de Blaise Cendrars, Hans Arp, Amaat Burssens, Robert Guiette, Greta Knutson, Henri Rousseau (Le Douanier), Bravig Imbs, Francis Picabia, Gertrude Stein, Hugues Panassié, Paul Sabon, Pierre Charnay, Georges Hugnet, Georges Ribemont- Dessaignes, Fabienne Lloyd, Pierre de Massot, Olivier de Carné, Jacques-Henry Lévesque, Jean Van Heeckeren.Achevé d’imprimer le 24 décembre 1932, par l’imprimerie du Centaure, 17 rue La Pérouse, Paris.

• Orbes n° 1, 2e série, printemps 1933, José Corti (12 × 19 cm), 67 pp.Textes de Blaise Cendrars, Louis Bauguion, Francis Picabia, Pierre Charnay, Fernand Léger, Paul Sabon, Pierre Reverdy, Jean Van Heeckeren, Pierre de Massot, Bravig Imbs, Jacques-Henry Lévesque, Panaït Istrati.Achevé d’imprimer par l’imprimerie du Centaure, 17 rue La Pérouse, Paris [sans date].

• Orbes n° 2, 2e série, été 1933, José Corti (12 × 19 cm), XIII pp., 22 pp. et 8 pp. centrales n.n. Fascicule imprimé tête-bêche avec une double numérotation. Textes de Hugues Panassié, Jean Van Heeckeren, Pierre de Massot, Louis Bauguion, Jacques-Henry Lévesque. Achevé d’imprimer par l’imprimerie du Centaure, 17 rue La Pérouse, Paris [sans date].

• Orbes n° 3, 2e série, printemps 1934, José Corti (12 × 19 cm), 41 pp.Textes de Jacques-Henry Lévesque, Jean Van Heeckeren, Max Fontaine, Olivier de Carné.Achevé d’imprimer par l’imprimerie du Centaure, 17 rue La Pérouse, Paris [sans date].

• Orbes n° 4, 2e série, été 1935 (12 × 19 cm), 44 pp. Marcel Duchamp donne un dessin pour la couverture, extrait du Grand Verre (1915-1923) et des Témoins occultistes(1920).Textes de Bossuet, Jean Van Heeckeren, Blaise Cendrars, Pierre Charnay, Jacques-Henry Lévesque, Francis Picabia, Pierre Reverdy, Olivier de Carné, Roger Lannes, André Jullien du Breuil, Louis Bauguion, George Reavey, Pierre de Massot, Marcel Duchamp.Achevé d’imprimer rue de la Comète, Paris VIIe [sans date].

• Numéro unique du journal Midi à Midi publié par Orbes, daté de février 1930, 4 pp. in-folio.Texte de Jacques-Henry Lévesque, Max Fontaine, Jean Van Heeckeren et Olivier de Carné. Le journal s’ouvre sur cette citation de Picabia : « Le bon goût devrait être le contraire de l’ennui. »

• George Isarlov, Picabia peintre, Paris, « Collection Orbes » n° 1, 1929 (12 × 19 cm), 28 pp., exemplaire non coupé.

• Jacques-Henry Lévesque, Jean Van Heeckeren, Olivier de Carné, La Ligne de vie, avec trois portraits par Stefan Couwenberg, Paris, « Collection Orbes » n° 2, José Corti, 1931 (12 × 19 cm), 56 pp.L’un des 50 exemplaires sur Alfax Navare (celui-ci n° 10).

• George Isarlov, Georges Braque, « Collection Orbes » n° 3, Paris, José Corti, 1932, (12,5 × 19,5 cm), 31 pp., exemplaire non coupé.

• Georges Herment, Déluges, « Collection Orbes », Paris, José Corti, 1938 (14,5 × 19,5 cm), 68 pp.

• Plaquette HC Francis Picabia, 1879-1954, Éditions Orbes, 20 avril 1955 (15 × 24 cm).Textes en hommage à l’artiste récemment décédé de Pierre de Massot, Michel Perrin, Jean Van Heeckeren, Jacques-Henry Lévesque, George Isarlov, Camille Bryen, Jean Arp, H. Saint-Maurice, P.A. Benoit, Bernard Fricker et dessin de Man Ray.Édition limitée à 191 exemplaires numérotés sur vergé antique Lana (celui-ci n° 142).

B – Documents relatifs à la revue

1. Une correspondance autographe adressée à Jacques-Henry Lévesque (10 pp. de diffé-rents formats) signée d’amis et de collaborateurs de la revue, parmi lesquels Max Ernst, Tristan Tzara, Francis Picabia, Paul Sabon, etc.

• Carton d’invitation autographe de Max Ernst sur un double feuillet in-8 obl. (13 × 16 cm) de vélin bouffant : « Max Ernst, espère vous voir au vernissage », à l’encre bleue et à l’encre rouge en beaux caractères graphiques.

• Carte postale autographe (14 × 8,5 cm) signée de George Isarlov, datée « Anvers, 2-2-1929 », présentant au recto une vue de l’intérieur de l’église Notre-Dame de la Poterie, adressée à « M. Jacques Henry Lévesque 24, rue de la Tourelle / Boulogne S. Seine », avec marques postales belges.

• Carte lettre autographe signée d’André Jullien du Breuil, datée du 7 juillet [1935], 1 p. in-8. Il le remercie pour l’envoi de numéros d’Orbes et est très heureux de voir son poème [« Offrande nue », in Orbes n° 4, 2e série, p. XI] dans la revue mais demande : « pourquoi diable cette typographie à l’envers à gauche, à l’endroit à droite ? »

• Lettre autographe signée de Tristan Tzara, datée de « Paris, le 11 janv. 1946 », 1 p. ¼ in-8 à l’encre bleue. Enveloppe autographe avec marques postales conservées. Il lui écrit : « Vous rappelez-vous qu’il y a pas mal d’années, je vous ai donné pour Orbes une copie dactylographiée de “La Vengeance d’une orpheline russe” de Rousseau [Le Douanier]. L’avez-vous encore ? Car j’en aurais besoin en ce moment. » Dans la même enveloppe, minute au crayon de la réponse de Jacques-Henry Lévesque qui n’a plus cette copie et pense qu’elle est restée chez Robert Delaunay.

• Lettre autographe signée de Francis Picabia, datée « Lundi » [Paris, 8 avril 1946]. 1 p. in-8 obl. à l’encre noire. Enveloppe autographe avec marques postales conservées. « Mon Cher Lévesque, Cela me ferait grand plaisir de vous voir. Ayant terminé plusieurs tableaux je serais heureux de vous les montrer avant l’expo-sition que je vais avoir à Paris dans quelques jours – Si vous êtes libre vendredi après dîner vous me trouverez rue des petits champs ; sauf contre ordre de vous. Très affectueusement. Francis Picabia. Venez avec vos amis, j’espère qu’ils seront libres aussi. »

• Carte correspondance autographe signée de Jean Prévost, datée 11 avril [1932] également adressée à Olivier de Carné et à Jean Van Heeckeren : « Messieurs, Je viens de lire Orbes (n° 2 et 3). Si je vous disais que tout m’en a plu également, je mentirais. Mais pourtant savez-vous que c’est rare, quand on s’est mis à trois pour faire une revue, d’avoir du talent tous les trois. »

• Lettre autographe signée de Camille et Georgette Bryen (qui ont pris part à l’exposition organisée par Orbes du 12 au 31 mars 1937 au bar La Cachette). S.d., 1 p. ¼ in-4 (28 × 21,5 cm) à l’encre bleue sur un feuillet de pelure jaune. « Cher ami, la Tour de feu doit paraître assez vite. Dans 15 jours, il serait trop tard pour donner des dessins. » Enveloppe à son adresse à New York conservée.

• Carte postale autographe de Georges Neveux. 2 pp. recto verso in-8 obl. (11,5 × 13,5 cm) sur bristol à l’en-tête de la Comédie des Champs-Élysées : « Mon cher ami, vous allez me trouver insupportable […] J’ai à vous parler de plusieurs choses importantes. »

• Carte correspondance autographe de « Ton ami Paul » [Paul Sabon], datée du 3 octobre [1928] à son adresse à Boulogne-sur-Seine. Excellent billet : « N’oublie pas s’il te plaît que tu m’as promis un Orbes. C’est extrêmement urgent je t’attends toujours à 5 h ½ 6 h au Sélect. Mais si tu avais ton après-midi, tu pourrais te trouver aux 2 Magots vers deux heures 2 h ½… »

• Carte postale autographe (9 × 14 cm) signée de Paul Sabon, datée du 4 novembre [1932], présentant au recto une reproduction d’une esquisse pour La Musique de Henri Matisse, avec marques postales : « Le temps de recopier demain les poèmes en question, et [il lui] envoie le tout (article et poèmes) au plus tard demain soir sans faute. »

• Carte postale autographe du même. 1 p. in-12 obl. (8,2 × 12,5 cm). Sur une carte présentant un dessin arabe de la grande mosquée d’Eddine. « La Mort mariée nulle part parue encore. Tu peux la publier tranquille » à l’encre bleue.

2. Documents originaux liés à l’histoire de la revue et à la vie de Jacques-Henry Lévesque

• Un dessin à l’encre noire de Paul Sabon présentant Jacques-Henry Lévesque assis de profil intitulé « Portrait de Jacques », signé « Paul », daté « le 8 mai 28 », sur un feuillet in-4.

• 2 collages originaux de Jean Van Heeckeren. L’un (21 × 15 cm) contrecollé sur papier fort brun, montrant le mot « Orbes » artistiquement calligraphié à l’encre de Chine sur une coupure de journal en caractères chinois, l’autre (12 × 18,5 cm) contrecollé sur bristol crème et mêlant deux jeux, l’un noir, l’autre blanc, de lettres du nom de la revue à deux silhouettes de papillons sur fond de papier Kraft et surmontant le mot « rébus », découpé en lettres blanches.

• 5 cartons poèmes (16,5 × 20 cm) sur papier chiffon Johannot, portant imprimé en bistre le nom de la personnalité (Cendrars, Picabia, Duchamp, Krishnamurti) et en noir le texte et le nom de la personne à laquelle ils sont destinés. Non signés, ils sont sans doute l’œuvre de Jacques-Henry Lévesque et proviennent de la collection de sa femme, Angèle.

• 3 tirages (15 × 10,5 cm) n&b de photographies prises par Angèle Lévesque montrant Blaise Cendrars et Jacques-Henry Lévesque au Tremblay, non datés. L’un d’eux a servi à illustrer la couverture du volume de correspondance entre Jacques-Henry Lévesque et Blaise Cendrars.

• Un bulletin d’abonnement à la revue, en brochure 4 pp. in-8.

• 2 cartons d’invitation recto verso (14 × 10,5 cm) au vernissage de l’exposition de tableaux, objets, photos, livres et dessins de Marcel Duchamp, Francis Picabia, Jacques-Henry Lévesque, Blaise Cendrars, Sonia Delaunay organisée par Orbes qui s’est tenue du 12 au 31 mars [1937] au bar La Cachette à Paris, avec une photo copie A3 du verso de la maquette de ce faire-part. Un des deux cartons porte au verso, à l’encre bleue, le nom et l’adresse de Rolland de Renéville.

• Une affiche (27 × 36 cm) Orbes, Printemps 1932, n° 3, présentant le sommaire de la livraison mentionnée.

• Une brochure 4 pp. gd in-8 (16 × 25 cm) imprimée en noir et en rouge annonçant la parution de la plaquette Francis Picabia, seize dessins 1930 de la « Collection Orbes ».

• Un prospectus (15 × 24 cm) annonçant la parution fin mars 1930 aux Éditions Kra de Second manifeste du surréalisme revu et augmenté par André Breton.

• Un prospectus avec bulletin de souscription pour De toutes les heures de Pierre Charnay dans la « Collection Orbes ».

• Une carte postale (14 × 8,5 cm) restée vierge, illustrée par une publicité et des éléments de sommaire du n° 2 de la revue, daté Printemps-été 1929.

• Le Journal des poètes, livraison du 16 décembre 1932. 4 pp. in-folio, contenant en p. 2 « Un inédit de Tzara et un rappel de Dada » et « Où boivent les loups » de Jacques-Henry Lévesque (plis marqués, infimes déchirures) et un tract de Tristan Tzara, daté « Paris, le 22 décembre », relatif à cette parution (Journal des poètes) qu’il qualifie de « feuille de chou ».

• Un tract (27,5 × 21,5 cm) de Michel Seuphor traduit en anglais par Dollie Pierre Chareau, imprimé en violet sur papier rose.

• Une affiche (55,5 × 42,5 cm) pour l’exposition Picabia à la Pinacothèque de la Rose Fried Gallery à New York, inaugurée le 15 février 1950 par Orbes, contenant un texte de Jean Arp sur Francis Picabia daté « Ascona 1949 » et, en pied, la liste des 18 œuvres exposées.

• Un prospectus (26,5 × 21,5 cm) recto verso imprimé noir sur papier orange, illustré de dessins, annonçant le vernissage de l’exposition « Quelques œuvres de Picabia (époque dada 1915-1925) » organisée par Orbes le 20 novembre 1951.

Très bel ensemble, le plus complet possible, sur l’histoire de cette revue littéraire où se sont croisés et parfois confrontés des auteurs et artistes majeurs de l’entre-deux-guerres.

Collage original de Jean Van Heeckeren