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Dans l’ombre de Monsieur Addams

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Dans l’ombre deMonsieur Addams

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lafond, Marjorie D., 1983-Dans l’ombre de Monsieur Addams

ISBN 978-2-89585-798-3I. Titre.

PS8623.A358D36 2016 C843’.6 C2016-940372-6PS9623.A358D36 2016

© 2016 Les Éditeurs réunis (LÉR).

Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODECet du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Édition : LES ÉDITEURS RÉUNIS

www.lesediteursreunis.com

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Imprimé au Québec (Canada)

Dépôt légal : 2016Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque nationale du CanadaBibliothèque nationale de France

Distribution au Canada : PROLOGUE

www.prologue.ca

Marjorie D. Lafond

Dans l’ombre deMonsieur Addams

Je me crois en enfer, donc j’y suis.

– Arthur RimbaudUne saison en enfer

Un peu de toi est entré en moi pour toujours et m’a contaminé comme un poison.

– Guillaume MussoLa fille de papier

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Antoine

Pourquoi mon cigare a-t-il si peu de goût ? Il s’agit pourtant de la même marque que d’habi-

tude, celle dont j’ai toujours raffolé, un Cohiba, irrésistiblement fin, à la saveur si douce… Et cette soirée-bénéfice de la veille qui me tenait tant à cœur, pourquoi l’avoir trouvée si fade, si quelconque, malgré la grande générosité des invités, malgré leurs mots touchants, débordant d’espoir ? Ah oui… évidemment : la disparition de mon fils, l’être que je chéris plus que tout en cette vie. Voilà la raison pour laquelle toute mon existence s’est tristement assom-brie. Depuis, des mois se sont écoulés. Le temps file.

J’ai reçu un SMS ce matin. Cette femme, Sarah, j’hésite encore à lui répondre. Que cherche-t-elle au fond ? Est-ce que je gaspille mon temps en accep-tant son invitation ? Je n’ai vraiment pas la tête aux nouvelles rencontres. Même les femmes ont perdu tout intérêt pour moi depuis cette tragique fin du mois d’août.

Néanmoins, j’ai beau trouver tout terne et sans relief depuis que mon fils n’est plus, je ne peux m’empêcher de lui trouver un petit quelque chose

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d’irrésistible, d’attirant, à cette femme, quelque chose qui me donne l’envie de creuser un peu plus loin.

Oui, cette Sarah… il y a bien quelque chose. Je n’ai pas encore mis le doigt dessus.

« Je suis impatiente à l’idée de vous revoir. Vous n’avez pas l’intention de me faire faux bond, j’espère, monsieur Durocher… »

SMS clair, direct. La dame est intéressée, aucun doute là-dessus ! Serait-ce son lien avec l’emploi qu’avait mon fils dans ce magasin qui m’attire, tout simplement ? Je me dis que des pistes n’ont peut-être pas été suffisamment exploitées de ce côté. Peut-être Liam aurait-il fait des rencontres indésirables ?… Je trouve que les enquêteurs ont tourné les coins ronds en ce qui concerne cette avenue. J’avoue que tout nous portait à croire que des pistes du côté du dépanneur où mon fils travail-lait le dernier soir où on l’a aperçu étaient les plus plausibles. Pourtant, rien de louche non plus à l’inté-rieur de ce vieil établissement sans intérêt : la porte avait été verrouillée à la fermeture du magasin, aucun dégât à l’intérieur, une caisse enregistreuse en ordre. Rien d’anormal, c’est ce qu’ont constaté le vieux propriétaire et les policiers.

Or, encore et encore les mêmes rengaines dans ma tête, les mêmes hypothèses qui défilent, qui déboulent et se mêlent en un affreux capharnaüm,

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au bout du compte. Je jongle littéralement avec des théories et des suppositions qui ne m’ont mené jusqu’ici qu’à d’atroces maux de tête.

Je rentre. Il commençait à faire frisquet sur mon patio. Je fais un arrêt devant les portes-miroirs de ma garde-robe du hall d’entrée. Je prends un instant pour m’observer. J’ai l’impression d’avoir pris un coup de vieux depuis toute cette histoire : je me trouve un peu plus ridé ; mes cheveux semblent davantage parsemés de gris, sans parler de cette barbe que je néglige. Je sais que je ne devrais pas trop me plaindre non plus… D’ailleurs, avec ces compliments que j’ai reçus de cette Sarah, mon ego s’en est vu ragaillardi !

« Quarante ans, vraiment ? Sans vouloir vous flatter et sans exagération, je vous donnais un généreux début de trentaine ! »

Il faut dire que j’aurais pu lui rendre ce compli-ment. Ces petits yeux rieurs, ces airs de gamine, malgré ses, quoi, 35 ans ? Oui, elle a vraiment un petit je-ne-sais-quoi, cette petite brunette. Pas nécessairement mon style de fille à la base… j’aime les blondes en général, grandes, à la silhouette bien découpée. Sarah est plutôt petite et filiforme. Mais, oui, quelque chose en elle m’attire vraiment, que je ne saurais expliquer pour l’instant. Disons que son look de gamine sérieuse détonne avec sa person-nalité fonceuse, directe et assurée. Et amusante, de surcroît, avec une touche d’humour un peu noir

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que j’ai pu déceler. J’aime bien ! En fait, je pense que certaines femmes, comme elle, sont le genre de tout le monde !

Une fois au lit, je lui réponds :

« Évidemment que non. Demain soir, 19 h, à l’Uni-Café sur Saint-Georges. Je n’ai pas oublié ;) »

À peine un quart de seconde plus tard, elle renchérit. Sa rapidité d’exécution me fait presque sursauter :

« Excellent ! J’adore les hommes qui ont bonne mémoire. »

Ne m’adore pas trop vite, ma jolie, tu risques fort bien de me trouver lassant. Car, bien entendu, me connais-sant, je ne me retiendrai aucunement de lui débal-ler précipitamment toute l’histoire à propos de la disparition de mon fils et de l’infinie tristesse qui m’accable. On doit me trouver pathétique à la longue, mais tant pis. Il faut me prendre comme je suis, ou simplement oublier le projet de faire partie de mon entourage. Je ne fais pas trop dans les compromis et les galanteries par les temps qui courent.

Il est clair que j’ai dans la tête de bombarder cette pauvre femme de questions à propos du magasin. Oh que oui… car voilà la motivation première de ce tête-à-tête imminent en sa compagnie : peut-être a-t-elle connu mon fils ? Je garde espoir d’obtenir quelques pistes. Désolé si cette charmante Sarah ne

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cerne pas les réels motifs de mon intérêt soudain envers sa personne. Au fond, elle n’est pas vraiment obligée de savoir… Comme on dit, ce qu’on ne sait pas ne peut pas nous faire de tort.

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Félicia

Il est 21 heures. Il pleut à boire debout… petite soirée tranquille loin du brouhaha festif de la

citadelle. Mon fiancé est avec les hommes, ce soir. Enfin une soirée rien qu’à moi. La bibliothèque… oui, elle m’appelle. Il y a longtemps que je n’y ai pas mis les pieds. Disons que le maître s’est bien occupé de sa captive préférée ces dernières semaines. Je peux même affirmer qu’un certain calme apaisant flotte entre nous deux depuis le début de la nouvelle année. Comme si la tension avait baissé depuis mon acceptation.

L’acceptation de ma nouvelle vie.

L’acceptation véritable de cet homme auprès de moi qui devient si doux, si tendre quand je le couvre d’un amour sincère. Je me rends compte, aujourd’hui, qu’avant ce revirement dans mon esprit, mon ravisseur percevait très bien les sentiments négatifs que j’entretenais à son égard – moi qui faisais semblant, qui me retenais. Et ça le rendait plus sombre que jamais. Insatisfait. Malheureux. Un peu fou, même. Peut-être. Il avait besoin de l’amour authentique d’une femme dans sa vie pour le guérir de ses démons. Voilà tout.

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Or, depuis que je me donne entièrement à lui avec grande sincérité, je constate toute la différence. J’arrive maintenant à mieux comprendre qu’il avait réellement besoin de moi, comme ça. Je n’aurai pas été mise sur sa route en vain, moi, sa dernière prise – car je sais qu’il n’y en aura plus d’autres maintenant – celle qui devait mettre un terme à tous ces enlèvements en prodiguant à l’homme tourmenté qu’il était ce dont il avait besoin tout simplement. Mon amour contre son amour.

Gabriel… mon amoureux.

Mon ravisseur d’abord. Mon maître. Mon fiancé et maintenant oui… mon amoureux. Comment j’ai pu en arriver là, vous vous demandez ? Me laisser envoûter par ce criminel jusqu’à entretenir à son égard de réels sentiments amoureux ? En fait, je ne sais plus trop comment cela s’est produit… je dirais que les sentiments se sont enracinés en moi peu à peu, mais, chose certaine, si vous étiez à ma place, vous comprendriez… Et si vous saviez à quel point j’en ai assez de me sentir coupable de mes senti-ments. La honte, les remords, le désespoir, c’est terminé ! J’ai choisi la vie. J’ai choisi l’amour.

Je l’ai choisi, lui.

Et je vous annonce que d’ici quelques jours, je deviendrai l’épouse de Gabriel Addams, le plus séduisant et sexy milliardaire de la Terre. Cet

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homme effrontément riche, fier et généreux, et son côté sombre, celui que j’ai appris à apprivoiser… à aimer.

Je ne me sens toujours pas l’égale de cet homme dominant, mais qu’importe, je me sens en sécurité dans ses bras. Je lui offre mon amour et il m’offre en retour une vie de rêve remplie de tendresse, de passion et d’intensité que je n’aurais pu trouver nulle part ailleurs. Une vie unique. Un contexte capti-vant. J’appartiens à Gabriel. Je suis sa princesse. C’est beau… non ? C’est presque un conte de fées.

Presque…

J’emprunte l’échelle coulissante qui me permet d’atteindre les livres des étagères les plus élevées. Je tombe sur une rangée de classiques datant du Moyen Âge ou de la Renaissance : La Chanson de Roland, Perceval ou le Conte du Graal, Gargantua. Puis, celui-là, ce livre qui me serre le cœur soudain, avec sa vieille couverture. Je le prends dans mes mains pour mieux l’examiner. C’est un très vieil exemplaire aux pages jaunies. Tristan et Iseult. Ce court roman… le dernier que j’ai lu à Saint-Jérôme avant mon arrivée ici. Celui qui me rappelle l’autre homme de ma vie, celui que je m’applique si soigneusement à oublier. Celui que je maudis. Liam. Oui, maudit soit Liam qui m’a lâchement jetée, abandonnée. Je ne pleure plus pour lui dorénavant. Non, je demeure simplement déçue de cette histoire. Je m’étais tout bêtement trompée sur son compte. Ça arrive. On fait tous des erreurs

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dans la vie. On cerne mal les gens à qui on a affaire. Surtout nous, les filles, nous laissant si facilement submerger par les sentiments…

De l’attirance.

Lui et moi, ce n’était qu’une simple question d’attirance, sans plus. Sinon les flammes ne se seraient pas taries si vite… non ? Depuis que je ne perçois plus rien dans le regard de mon ancien amant quand nous nous croisons, j’ai compris que son cœur n’y était plus – plus comme je le désirais en tout cas. Que je ne devais donc plus rien espérer de ce gars. Qu’il était tout simplement ailleurs. Et que je devais en faire autant, me plonger dans un ailleurs hors de lui, pour ne pas mourir de chagrin. C’est cliché et naïf, vous me direz, mais je me suis interdit tout sentiment amoureux à son égard. Je m’en félicite d’ailleurs, et me surprends moi-même chaque jour : j’arrive très bien au quoti-dien à respecter ma résolution. Mis à part de négli-geables rechutes occasionnelles qui me tombent dessus, tout est stable de ce côté… je vous assure !

J’attrape finalement Le Comte de Monte-Cristo de Dumas sur l’étagère suivante, puis, alors que je redescends d’une marche d’escalier, je remonte aussitôt. C’est plus fort que moi, je fais rouler l’échelle jusqu’à l’autre étagère et je m’empare également de Tristan et Iseult. Je ne sais si je vais véritablement relire cette histoire, mais j’ai envie de

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l’avoir près de moi… sur ma table de chevet. Cette œuvre a quelque chose de réconfortant, de familier à mes yeux, je dirais… je ne sais trop pourquoi.

Après avoir déposé les bouquins dans ma chambre, je redescends au deuxième étage de la citadelle. Il est 14 heures. Gabriel m’a conviée au grand salon. Je suis prise de nervosité, comme toujours, quand je reçois une invitation officielle de sa part. Sur un plateau orné d’un oiseau du paradis transporté par Anne, ma servante attitrée, il y a ce petit carton doré sur lequel je lis ces quelques mots inspirés :

« Blanche et pure, je t’imagine te donner à moi.

Je t’attends au salon du deuxième étage à 14 h. Sois sage d’ici là.

Je t’aime, mon ange.

Gabriel »

Blanche et pure ? Moi ? Je me demande bien ce qui m’attend là-bas. Toujours ces scénarios énigma-tiques signés Gabriel Addams. Force est d’admettre que ma vie ici est loin d’être ennuyeuse, marquée par tous ces rebondissements rocambolesques ou inusités, colorant mon quotidien, dans cette île secrète aux mille et un plaisirs coupables.

Je me prépare donc à faire mon entrée au salon. À quelques pas de la porte, je m’arrête pour prendre

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le temps de défroisser ma petite jupe fleurie de mes deux mains, et surtout de prendre une grande respiration. Je pousse enfin la porte.

Mon cœur avait déjà entamé sa course folle quelques secondes avant mon arrivée. Là, il bat la chamade. Gabriel est tout au fond de la pièce, un verre de whisky à la main. Il porte une chemise blanche, boutons de manchette détachés, l’autre main libre dans la poche de son pantalon gris. Il reste là, sans bouger, à me regarder avancer vers lui de son regard bleu irrésistiblement perçant. Et cela m’intimide, comme toujours. Le chemin nous séparant me paraît long. Nous demeurons silen-cieux. Je me plante devant lui, l’air un peu interro-gateur, mais c’est lui qui prend la parole le premier.

— Bonjour, ma princesse.

— Bonjour, cher maître. Que puis-je pour vous en ce bel après-midi ?

Je lui offre mon plus beau sourire. Naïf et enjoué.

— Pauvre petite, je t’impressionne à ce point ?

— Que voulez-vous dire ?

Il me regarde d’une manière à la fois intense et étrangement amusée.

— Je t’impressionne à un tel point que tu ne vois rien d’autre que moi dans cette pièce.

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Je ris nerveusement sans cesser de le fixer dans les yeux, tentant de comprendre le sens de ses paroles. À quoi fait-il donc allusion ?

— Oui, c’est bien possible… vous savez l’effet que vous avez sur moi…

— Oui, je sais. Mais je sais aussi que ce qui se trouve dans cette pièce aura également beaucoup d’effet sur toi. Allez, retourne-toi. Tu es aveugle, peut-être ?

Il me pointe du doigt le mur du fond.

Mon Dieu ! Des robes de mariées en quantité phénoménale. Sur des dressoirs, sur des manne-quins, sur des étagères mobiles. Il y en a partout dans la pièce. Toutes plus impressionnantes les unes que les autres.

— Des Chanel, des Dior, des Vera Wang, tout ce que tu veux, ma princesse. Je ne suis pas inquiet : tu sauras choisir la plus belle de toutes.

— Wow ! Tout ça pour moi, cet après-midi ?

Je saute au cou de mon fiancé et le couvre d’une myriade de baisers sur les joues.

— Oui. Rien de trop beau pour toi, mon ange. Je sais à quel point vous, les femmes, vous sentez belles et uniques dans ces robes. Donc, au lieu de simplement en commander une, j’ai fait venir les

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plus beaux modèles pour toi. J’ai demandé à Anne de demeurer avec toi comme renfort pour t’aider à les essayer.

— Vous ne restez pas ?

— Non. Tu sais que ça porte malheur de voir sa fiancée dans sa robe avant le jour J…

— Vous êtes trop superstitieux.

Je lève les yeux au ciel, lui souriant toujours. Quand je le regarde à nouveau, ses yeux perçants me figent.

— J’ai trop peur que ne cesse ce merveilleux rêve de te posséder, déclare-t-il. Tu sais que je t’aime comme un fou, Félicia ?

Il me regarde de haut, de si près, et de cette manière si sérieuse… Je crois qu’il jubile à l’idée de me voir frissonner pour lui. J’essaie de détendre l’atmosphère en blaguant un peu, pour ainsi faire disparaître la gêne qui s’empare de moi comme toutes ces autres fois où le maître s’enflamme et m’oppresse de sa prééminence sur moi, de son pouvoir dangereux.

— Vous vous inquiétez pour rien, cher maître, je ne disparaîtrai pas… vous le savez, impossible de se sauver bien loin.

Allusion sarcastique, mais non mesquine, à ma captivité. Je lui décoche un clin d’œil. J’ai appris à prendre ma séquestration sur l’île avec plus de

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légèreté. J’ai d’ailleurs moins de maux d’estomac et de crises de panique depuis… Mon corps m’en remercie.

Je me rends compte que j’ai échoué : je n’ai pas réussi à détendre l’atmosphère. Gabriel me fait complètement fondre de l’intérieur, me surchauf-fant de cet incomparable pouvoir d’attraction qu’il a sur moi. Il fonce vers mon être ébranlé avec ses yeux de prédateurs assumés que je supporte à peine, avec ce regard qui me fait reculer par réflexe d’un pas, puis de deux. Mais ses pas à lui sont plus grands que les miens, si bien qu’en moins de deux, son corps m’étreint. Il me retient par les épaules pour que je cesse de reculer.

— Non, en effet, impossible de te sauver, ma petite Félicia. Pas seulement parce que tu es prisonnière de l’île… mais parce que nos âmes sont enchaînées l’une à l’autre.

Ouf… vraiment intense celui-là, cet après-midi ! Mon fiancé pose ses lèvres sur mon front et lui administre un baiser chaud. Je ferme les yeux. J’aime quand il fait ça. Ma mère m’a déjà dit qu’un baiser sur le front est un symbole de protec-tion. Cette lenteur quand il me touche, comme s’il s’efforçait chaque fois de contenir cette violence, cette fougue quasi incontrôlable au fond de lui qui le ferait me prendre sauvagement à tous les coups… Oui, cette lenteur et cette onde de sensualité qu’il

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déverse sur ma peau par l’entremise de sa bouche, de ses mains ou de toute autre partie de mon corps me font vibrer.

Quand l’homme se met à caresser ma peau, me faisant reculer de deux autres pas pour m’adosser au mur, quand ses lèvres voluptueuses se joignent aux miennes, je me sens à sa merci. Quand ses mains s’emparent des miennes, qu’elles les bloquent sur le mur au-dessus de ma tête, je sens qu’il me possède, que je suis à lui et je me sens… étrangement bien. Oui, bien et en sécurité. Et aimée.

Son corps qui appuie sur le mien. Son sexe qui s’est incroyablement durci et qui pèse sur mon ventre. Il est grand ; je suis petite. Je ne peux rien devant un tel être de puissance. Physiquement et psychologiquement, il est sans aucun doute le plus fort de nous deux. Nulle autre option que de m’abandonner… M’abandonner et me sentir disparaître dans les antres de l’enfer… comme ce que je ressens en ce moment même, alors que sa main s’est agilement glissée de façon si sensuelle sous ma jupe et qu’elle me caresse là… où c’est si bon…

On frappe à la porte. Gabriel retire abrupte-ment sa main, me laissant presque chancelante. Je m’arrache au mur, toussote et replace rapidement mes cheveux alors que Gabriel invite Anne à entrer. L’homme est toujours en érection. Son pantalon

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ajusté le laisse clairement entrevoir. Je me demande si la servante le remarquera… Elle ne semble pas rougir en tout cas.

— Je te laisse, ma princesse, bonne séance d’essayage. Fais un choix éclairé.

Il me fait un clin d’œil.

Puis, il me glisse tout bas :

— Je rêve de deux moments : celui où je t’aper-cevrai dans l’allée de la chapelle, et celui où je retirerai cette robe lors de notre nuit torride qui s’ensuivra… hum… Pourquoi es-tu si belle… ?

— J’en sais rien… Il faudrait demander à mes parents, peut-être…

Oups ! Commentaire déplacé… interdiction de faire référence à son ancienne famille… mais ça m’arrive parfois de déroger à la règle. L’homme ne rit pas. Il redevient sérieux.

Je me reprends :

— Je plaisante, bien entendu… Vous savez bien que c’est l’amour que vous me portez qui me rend si belle…

— Oui, je préfère cette réponse pleine de vérité.

L’homme me donne un dernier baiser rapide sur le front et nous quitte.

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Je passe les deux heures qui suivent à essayer les robes, à tourner sur moi-même, à m’admirer dans la glace parée de ces merveilles onéreuses non accessibles au commun des mortels. Et le coup de cœur finit par arriver. Quelle merveille !