défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations...

104
ALEXANDRA GUELLIL DÉFIS ET LIMITES DE LA COUVERTURE D’UN FAIT POLITIQUE DE PROXIMITÉ L’étude du cas des consultations publiques de janvier 2010 en Guyane française Essai présenté à la Faculté des Lettres de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en communication publique, journalisme international pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A) DÉPARTEMENT D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2012 © Guellil Alexandra, 2012

Upload: alexandraguellil

Post on 22-Nov-2014

2.480 views

Category:

News & Politics


14 download

DESCRIPTION

Cette recherche propose une analyse des défis et limites auxquels un journaliste politique peut être confronté « sur le terrain ». Ce dernier a une volonté des plus audacieuses : proposer une couverture de l’évènement politique en tentant de le vulgariser, sans pour autant tendre vers la simplification abusive. Il espère ainsi fuir les polémiques tout en garantissant aux citoyens des débats d’intérêt public et en cherchant un équilibre entre les différentes sensibilités politiques et publiques. Son premier mandat est donc de fournir des informations utiles à la formation des idées citoyennes et démocratiques.L’étude de cas choisie, les consultations publiques en Guyane française, est inspirée d’une volonté à la fois personnelle et professionnelle. En janvier 2010, les citoyens guyanais ont été invités par le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, à se prononcer sur le changement de statut institutionnel du département. Cette évolution statutaire est à la fois un sujet historique, culturel, politique et économique. Nous étudions cet évènement en proposant des pistes de réflexion permettant ainsi de cibler le rôle d’un journaliste qui s’intéresse à ce type de couverture. © Guellil Alexandra, 2012

TRANSCRIPT

Page 1: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

ALEXANDRA GUELLIL

DÉFIS ET LIMITES DE LA COUVERTURE D’UN FAIT POLITIQUE DE PROXIMITÉ

L’étude du cas des consultations publiques de janvier 2010 en Guyane française

Essai présenté à la Faculté des Lettres de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en communication publique, journalisme international pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A)

DÉPARTEMENT D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

© Guellil Alexandra, 2012

Page 2: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

  II  

RÉSUMÉ

Cette recherche propose une analyse des défis et limites auxquels un journaliste politique peut être

confronté « sur le terrain ». Ce dernier a une volonté des plus audacieuses : proposer une couverture

de l’évènement politique en tentant de le vulgariser, sans pour autant tendre vers la simplification

abusive. Il espère ainsi fuir les polémiques tout en garantissant aux citoyens des débats d’intérêt

public et en cherchant un équilibre entre les différentes sensibilités politiques et publiques. Son

premier mandat est donc de fournir des informations utiles à la formation des idées citoyennes et

démocratiques.

L’étude de cas choisie, les consultations publiques en Guyane française, est inspirée d’une volonté à

la fois personnelle et professionnelle. En janvier 2010, les citoyens guyanais ont été invités par le

Président de la République française, Nicolas Sarkozy, à se prononcer sur le changement de statut

institutionnel du département. Cette évolution statutaire est à la fois un sujet historique, culturel,

politique et économique. Nous étudions cet évènement en proposant des pistes de réflexion

permettant ainsi de cibler le rôle d’un journaliste qui s’intéresse à ce type de couverture.

Page 3: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

  III  

AVANT-PROPOS

Tout d’abord, je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à mon directeur de

recherche, Thierry Watine, professeur au Département d’Information et Communication de

l’Université Laval, pour son suivi éclairé, ses commentaires constructifs et sa vision globale sur ce

travail de recherche. Un grand merci également à Dominique Payette, professeure et directrice du

programme en journalisme de 2e cycle de l’Université Laval, pour ses nombreux conseils qui ont su

me faire réfléchir autrement et susciter ma curiosité tout au long de la Maîtrise. Merci enfin à

l’ensemble des professeurs du Département d’Information et de Communication de l’Université

Laval qui ont suivi mon parcours universitaire.

Pour leur participation directe ou plus ponctuelle, des remerciements sont adressés à Christian

Cécile, Catherine Boutet, François Bondil, Henri Neron, Ian Hamel, Jérôme Valette, Jody Amiet,

Kerwin Alcide, Laurent Marot, Alexandre Rozga, Monseigneur Emmanuel Lafont, Nadine Félix,

Serge Mam-Lam-Fouck, Sidibé Pallud, Thomas Fetrot, Serge Patient, Bertrand Villeneuve. Merci

également aux rédactions de France-Guyane, la Semaine Guyanaise et Guyane 1ère ainsi qu’aux

archives départementales de Guyane et bibliothèques de l’Université des Antilles et de la Guyane et

de l’Université Laval pour l’aide à la constitution du corpus de cette étude.

Je ne pourrais passer sous silence ma famille et mes amis qui m’ont encouragée et soutenue tout au

long de la réalisation de ce travail pour leur aide à la relecture et leurs encouragements. Je remercie

enfin ces nombreuses personnes rencontrées qui ont su m’orienter de différentes manières pendant

la réalisation de cette recherche enrichissante.

Page 4: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

  IV  

À ceux et celles qui m’ont donné envie d’exercer cette profession, À ceux et celles rencontrés pendant la réalisation de cette recherche,

Merci d’avoir contribué à mon éveil.

À ma chère Guyane, plus qu’une terre d’accueil Entre contradictions et espoirs divers.

À mes parents, sœurs et frère et familles, Ainsi qu’à mes amis proches,

Pour leurs conseils, relectures, critiques, présence et écoute, Merci d’avoir su m’accompagner tout au long de cette aventure.

Page 5: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

  V  

TABLE DES MATIÈRES Pages

RÉSUMÉ ………………………………………………………………………………. II AVANT-PROPOS …………………………………………………………………….. III INTRODUCTION ……………………………………………………………….......... VI PARTIE 1 - LA GUYANE AUJOURD’HUI ………………………………………… 11

1) Réalités géographiques et environnementales …………………………….. 12 1.1 - Aménagement et développement ……………………………………. 13 1.2 - Quelques statistiques …………………………………………............ 15

2) Réalités culturelles et sociales ……………………………………………... 15 2.1 - Cultures et langues …………………………………………………… 16 2.2 - Éducation et illettrisme ………………………………………………. 18

3) Réalités institutionnelles et politiques ……………………………………... 20 3.1 - Spécificité législative et degré d’autonomie ……………….………… 20 3.2 - Idéologies et partis politiques ……………….……………….………. 23

4) Réalités médiatiques ……………………………………………………….. 23 4.1 - La presse de Guyane …………………………………………………. 25 4.2 - Le consommateur d’information guyanais …………………............... 27

PARTIE 2 - REPÈRES THÉORIQUES ……………………………………………… 29

1) La dimension politique du journalisme politique ………………………….... 30 1.1 - Les attitudes politiques des journalistes ……………………………… 31 1.2 - Les déséquilibres de la couverture …………………………………… 33 1.3 - Les facteurs sociodémographiques …………………………………… 35 1.4 - Les processus organisationnels et économiques ……………………… 37

2) La pratique du journalisme en démocratie …………………………………. 39 2.1 - Les liens entre journalisme et démocratie ……………………………. 39 2.2 - Quelques principes journalistiques …………………………………… 43 2.3 - L’autonomie du journaliste …………………………………………… 46 2.4 - L’engagement politique des journalistes …………………………….. 48

PARTIE 3 - COLLECTE, TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES ……... 51

1) Analyse de contenu : articles de presse publiés et émissions diffusées……. 53 1.1 - L’omniprésence du langage institutionnel …………………………….. 53 1.2 - Une couverture dite « horse race » ……………………………………. 57 1.3 - Les approches et les sources ………………………………................... 60

2) Entrevues des acteurs-clés…………………………………………………. 60 2.1 - Regards croisés sur la couverture de la consultation publique ………… 61 2.2 - La représentativité des médias locaux …………………………………. 66 2.3 - Les enjeux de la question posée ……………………………………….. 70 2.4 - Une affaire de pluralisme et de proximité ……………………………... 72

CONCLUSION ………………………………………………………………………… 78 BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………….. 82 ANNEXES ……………………………………………………………………………… 85

Page 6: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

  VI  

Il est commun de penser qu’il existe entre l’homme d’action et

l’observateur une différence de nature. Raisonnement séduisant, mais

erroné. Un domaine commun : la politique. Une semblable clientèle : les

citoyens et leur envergure qui reste, aux uns et aux autres, tragiquement

humaine, les rapproche plus que ne les oppose une spécialisation

légèrement différente. Pour les uns et pour les autres, la nature de

l’évènement, les exigences du public et les impératifs de la profession

sont autant de causes d’erreur et de circonstances atténuantes.

(Rossi-Landi, 1969 : 190)

 

Page 7: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

7  

INTRODUCTION

Seul département français d’Amérique du Sud, la Guyane française est depuis 1946 un

département d’Outre-Mer, avec une caractéristique régionale effective depuis 1982, étant donné sa

situation géographique, économique et sociopolitique, mais aussi la centralisation des pouvoirs vers

la métropole1.

Les consultations publiques2, au cœur de cette recherche, sont issues d’un dossier politique remis au

goût du jour en janvier 2010. Il s’agissait d’une proposition émise par le gouvernement français,

représenté alors par Nicolas Sarkozy, concernant le changement de statut législatif de la Martinique

et de la Guyane3 ; c’est-à-dire une évolution statutaire au sens juridique et institutionnel des deux

départements d’Outre-Mer.

Deux choix ont été proposés aux citoyens guyanais et martiniquais : poursuivre l’actuelle gestion

administrative avec l’article 734 ou opter pour une nouvelle organisation et de nouvelles règles

possibles avec l’article 745. La différence entre ces deux articles réside dans quelques subtilités

législatives. D’un côté, l’article 73 qui considère la Guyane et la Martinique comme un département

au même titre que n’importe quel autre département français ; avec la même loi organique et les

mêmes recommandations votées à Paris, conformément au décret de départementalisation de 19466.

Et, de l’autre, l’article 74 qui prend en compte les intérêts propres des collectivités responsabilisées

par la possibilité de mettre en place des dispositions particulières adaptées à leur situation.

                                                                                                               1 Le mot métropole est chargé d'émotions et renvoie à une période historique encore douloureuse. ��� C’était un mot employé à l’époque pour désigner une France qui reste perçue pour beaucoup, comme la mère nourricière des départements et territoires d’Outre-Mer et colonies d’Afrique avant la période des décolonisations. De nombreuses personnes préfèrent parler d’Hexagone ou de France équinoxiale. Pour cette recherche, nous avons opté pour le terme «France territoriale». 2  Aussi appelées « évolutions statutaires »  ou « campagne référendaire ». Les explications sur ces termes sont fournies en annexe.  3 Cette demande est aussi une réponse du gouvernement français à la longue période de grèves et aux mouvements sociaux en Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion qui ont eu lieu entre les mois de novembre 2009 et mars 2010 entraînant ainsi des blocages des économies locales. Elles sont nées d’un besoin de protester contre la vie chère, notamment avec l’augmentation du prix de l’essence à la pompe. 4  Selon l’article 73, les lois françaises sont applicables de plein droit dans les départements et régions d’Outre-Mer. Cela signifie qu’il n’y a pas de prise en compte des particularités locales. Aucune décision autonome n’est possible concernant la nationalité, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit et la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes ainsi que le droit électoral. Sont concernées : la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe et la Réunion. 5 L’article 74 propose une prise en compte des intérêts propres des collectivités d’Outre-Mer concernées, tout en restant au sein de la République Française et de l’Union Européenne en accordant plus de compétences légales aux collectivités. Ces dernières sont consultées à chaque projet et proposition de loi, décret ou ordonnance pour y inclure des dispositions particulières si besoin est. Ces mesures peuvent concerner l’accès à l’emploi, le droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou encore la protection du patrimoine foncier. Sont concernés : Wallis et Futuna, St-Barthélémy, St-Martin, St-Pierre-et-Miquelon, et la Polynésie Française.  6 Le décret de départementalisation a été demandé par les quatre départements d’Outre-Mer en 1946. Il s’agissait alors du seul acte législatif abolissant à jamais le Code Noir après l’abolition de l’esclavage de 1848 et réclamant une complète reconnaissance des peuples issus d’Outre-Mer en tant que Français avec les mêmes droits et devoirs.

Page 8: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

8  

Le 10 janvier 2010, une première question a donc été posée aux électeurs guyanais et martiniquais.

Il s’agissait de les sonder sur leurs intérêts à mettre en place un autre cadre législatif, intégré à

l’article 74 de la Constitution française. Ils avaient donc à répondre par « oui » ou par « non » à la

question suivante : « Approuvez-vous la transformation de la Guyane (ou Martinique) en une

collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation

particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République7 ? ������».

Dans le cas où les électeurs guyanais et martiniquais répondraient « non » à cette précédente

question, le Président de la République les consulterait à nouveau deux semaines plus tard, le 24

janvier 2010. Cette seconde question, abordée par les différents candidats lors de la campagne du 10

janvier 2010 et perçue comme un second tour, concernait la mise en place d’une collectivité unique.

Une question héritée de la réforme sur la collectivité territoriale8 voulue par Nicolas Sarkozy en

2008. Les citoyens guyanais et martiniquais avaient donc à répondre par « oui » ou par « non » à la

question suivante : « Approuvez-vous la création en Guyane (ou Martinique) d’une collectivité

unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie

par l’article 73 de la Constitution ? ».

Notre recherche porte exclusivement sur le scrutin du 10 janvier 2010 concernant les articles 73 et

74 en Guyane française. La question du 25 janvier 2010 étant toujours, au moment de la recherche,

traitée à la fois par les journalistes et la classe politique guyanaise, nous avons préféré nous

concentrer sur un cas d’étude en dehors de l’actualité.

Nous nous interrogeons, par le biais de cette étude de cas, sur les défis et limites du journaliste dans

une telle situation. Comment peut-il parvenir à fournir une information exacte et vérifiable au

citoyen tout en respectant les contraintes liées à la production de la nouvelle ?

Cette problématique permet de s’intéresser à la fois à ce que représente la couverture d’un fait

politique de proximité pour les journalistes, tout en s’interrogeant sur les différents points qui

peuvent freiner son mandat premier ; qui est de répondre aux attentes citoyennes en fournissant des

couvertures éclairées et exemptes de toutes les pressions, qu’elles soient politiques, culturelles,

économiques ou sociales.                                                                                                                7 Ces deux questions sont tirées du Journal Officiel de la République Française, n°0268.  8   Il s’agit d’une réforme structurelle sur l’organisation administrative française engagée par Nicolas Sarkozy en 2008. Elle vise à simplifier l’organisation territoriale du pays en la réorganisant autour de deux pôles : un pôle départements-région et un pôle communes-intercommunalité.

Page 9: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

9  

Le fait politique peut être défini comme un évènement qui peut concerner tous les domaines de la

société : les relations extérieures, l’organisation et la sécurité intérieure, la défense, les finances

publiques, l’économie, la justice, l’éducation ou encore la culture. Il peut s’intégrer à un champ

d’action éloigné – en abordant par exemple des dossiers internationaux et supranationaux – comme

être relativement proche – en traitant des sujets nationaux, régionaux, fédéraux, départementaux ou

municipaux. C’est un évènement qui peut être dépendant de plusieurs acteurs et sources

d’information que sont les élus, le gouvernement, les différents partis, les syndicats, les

associations, les groupes de pression, les lobbyings et les citoyens.

La manière dont l’actualité politique est couverte par les journalistes est établie en fonction de

l’intérêt général. Ce travail, effectué par les professionnels de l’information, est apprécié, jugé et

décrypté à la fois par les différents acteurs et analystes politiques eux-mêmes, mais aussi par les

citoyens. Les premiers s’en servent pour prendre le pouls de la société, remettre en cause parfois le

discours journalistique, tandis que les seconds jugent le contenu et la forme des reportages en les

utilisant pour se forger une opinion et participer à la vie en société.

Notre recherche se focalise sur la manière dont les journalistes couvrent un fait politique et, plus

particulièrement, sur les défis et limites qu’ils peuvent rencontrer « sur le terrain ». Il s’agit

d’identifier et de comprendre les outils qui sont à la disposition du journaliste pour lui permettre de

transmettre et vulgariser l’évènement politique au lecteur, à l’auditeur ou au téléspectateur.

C’est là aussi une occasion de se questionner sur les liens entre les médias et les acteurs politiques.

En effet, le journaliste et l’acteur politique ont la même ambition : communiquer avec les citoyens.

Là où ils se distinguent jusqu’à l’opposition virulente, c’est sur le contenu du message et la manière

dont il peut être perçu par le citoyen. À l’heure des changements technologiques et de l’évolution

constante des moyens de communication, les acteurs politiques sont de plus en plus à l’affût des

nouveaux moyens de s’adresser directement aux citoyens tandis que les journalistes doivent se

remettre continuellement en question pour répondre à leur mandat premier qui est d’apporter une

information exacte, vérifiable et apolitique au citoyen.

Dans un premier temps, nous donnerons des éléments nécessaires à la contextualisation de notre

étude de cas. Cette partie, intitulée « la Guyane aujourd’hui », esquissera un portrait de ce

Page 10: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

10  

département en abordant quelques-unes de ses réalités, qu’elles soient géographiques,

environnementales, culturelles, sociales, institutionnelles, politiques ou encore médiatiques.

Dans un deuxième temps, nous proposons des repères théoriques relatifs aux « fondamentaux » de

la profession de manière à outiller notre réflexion et fournir les premiers éléments de réponses.

Nous interrogerons d’abord la dimension politique du journalisme politique en termes d’attitudes

des journalistes, de déséquilibres de la couverture médiatique, des facteurs sociodémographiques et

des processus organisationnels et économiques. Puis, nous suggèrerons des liens à établir entre la

pratique du journalisme et le maintien d’une société démocratique. Il s’agira de définir les liens

possibles entre la pratique de la profession et la démocratie, d’énoncer certains principes

fondamentaux de l’autonomie et de l’engagement politique du journaliste.

La troisième et dernière partie sera, quant à elle, consacrée à la collecte, au traitement et à l’analyse

d’un ensemble de données récoltées directement en Guyane pendant l’été 2011. Deux étapes ont été

définies. La première consistera à analyser des articles de presse publiés ainsi que des émissions

diffusées par les médias locaux guyanais et traitant de la consultation publique du 10 janvier 2010.

La seconde rendra compte d’un certain nombre d’entrevues semi-dirigées de quelques acteurs de cet

évènement, qu’ils soient journalistes, sociologues, anthropologues, professeurs ou encore écrivains.

Page 11: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

11  

La Guyane a toujours été et demeure marquée par la notion de frontières.

Frontières extérieures tout d’abord, puisque son territoire a fait l’objet,

depuis son appropriation par la France au XVIIe siècle jusqu’au XXe

siècle, de contestations récurrentes avec ses voisins. Frontières

intérieures également, à la fois physiques, politiques, économiques,

sociales, ethniques et psychologiques.

(Privat, 2003 in Terres de Guyane)

Page 12: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

12  

PARTIE 1

LA GUYANE AUJOURD’HUI

La Guyane française est l’un des quatre départements et régions de l’Outre-Mer français9.

Situé en Amérique du Sud, sur le plateau des Guyanes, le département est frontalier avec plusieurs

pays indépendants comme le Brésil ou le Guyana. Il s’agit de la seule présence française et

européenne contemporaine en Amérique du Sud. Le nom officiel du département est « Guyane »

mais l’ajout du qualificatif « française » est une commodité de langage issue de la période

coloniale. En effet, à cette époque, il existait trois Guyanes : l’actuel Guyana – l’ancienne « Guyane

britannique » – et le Surinam – l’ancienne « Guyane hollandaise » – et la Guyane française.

Nous proposons dans cette première partie de notre étude de dessiner un portrait du département à

la fois sud-américain, caribéen, européen et africain, enclavé dans des problématiques identitaires,

sociales, politiques et économiques. Nous reviendrons pour cela sur quelques réalités

géographiques, environnementales, culturelles et sociales, historiques, politiques et médiatiques.

1) Réalités géographiques et environnementales

Le plateau des Guyanes, appelé aussi « bouclier guyanais », se situe à la frontière nord de

l’Amazonie. Les frontières guyanaises sont naturelles. Au nord, la côte Atlantique, plate et

marécageuse, à l’est, le fleuve Oyapock la délimitant du Brésil, à l’ouest le fleuve Maroni la

séparant du Surinam et au sud, une formation de montagnes appelée les monts Tumuc-Humac.10

Cayenne, le chef-lieu du département, se situe à 5 000 km de New York et à 7 072 km de Paris.

Les ressources sont multiples et importantes. La Guyane est recouverte à 97 % par la forêt.

L’environnement et le climat tempéré sont propices à la survie de nombreuses espèces animales et

végétales. C’est d’ailleurs l’une des régions les plus pluviométriques au monde avec une

disponibilité d’eau la plaçant en troisième position après le Groenland et l’Alaska. Il y existe de

nombreuses espèces de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et espèces végétales à la fois

                                                                                                               9 D’où l’abréviation DROM pour département et région d’Outre-Mer. 10 Se référer à l’annexe A, la carte géographique de la Guyane.

Page 13: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

13  

rares et multiples. Le sous-sol contient de nombreuses ressources minières comme l’uranium, l’or,

le cuivre, le plomb, le diamant et, depuis le début de l’année 2011, du pétrole.

La création d’un parc amazonien – ou parc national français – en 2007 a permis de mettre en place

des réserves protégées limitant ainsi l’exploitation forestière ; indispensables à la survie et à la

protection de l’écosystème tout en préservant les peuples et civilisations autochtones. En 1964, la

Guyane a été choisie pour l’installation de la base spatiale dans l’une des villes du littoral – Kourou

– en raison de sa position géographique, notamment avec la proximité de l’équateur. Les dossiers

d’actualité locale liés à l’environnement sont complexes et bien souvent liés à l’exploitation illégale

de l’or, la pollution des fleuves et rivières au mercure ou encore la déforestation abusive de la forêt

amazonienne.

1.1 - Aménagement et développement

Avec une superficie de 91 000 km2, la Guyane est le plus vaste et moins densément peuplé

département français. On distingue deux grands arrondissements. Le premier, Cayenne, avec 16

cantons, 14 communes, 154 014 habitants recensés en 2012 et, le second, Saint-Laurent du Maroni

avec 3 cantons, 8 communes et 70 455 habitants. Certaines communes ne sont accessibles que par le

fleuve et parfois, comme pour la commune de Camopi, située au nord-ouest à l’embouchure du

fleuve Oyapock et de la rivière Camopi, qu’avec une autorisation préfectorale. Le littoral est bien

souvent plus aménagé que les communes de l’intérieur. Le développement industriel, social,

culturel et économique a été pendant longtemps un développement à deux vitesses, privilégiant

l’arrondissement de Cayenne à celui de Saint-Laurent du Maroni.

Cette problématique s’intègre par ailleurs à l’application du droit commun. Sur plusieurs dossiers en

lien avec l’économie, l’aménagement ou la politique, le département semble en effet limité par ce

qu’il peut ou non accomplir légalement, tout comme l’explique Maude Elfort, maître de conférence

à l’Université des Antilles et de la Guyane :

(…) L’application d’un droit commun conduit parfois à des difficultés, la spécificité des DOM en général et de la Guyane, en particulier, n’étant guère reconnue. L’exemple le plus édifiant est celui des communes de l’intérieur, qui en raison de la morphologie de la Guyane (…) ne sont accessibles que par voie maritime ou aérienne, leur

Page 14: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

14  

isolement ne favorise pas l’organisation des services publics de première nécessité, et constitue un frein puissant à l’investissement économique. De fait de l’absence d’activités industrielles, ces communes sont dépourvues de ressources fiscales propres et ne subsistent que grâce aux dotations de l’État, aux subventions de la région et du département, ainsi qu’aux recettes de l’octroi de mer (Elfort, 2002 : 27-28).

Selon les derniers rapports d’activité de la région Guyane11, tout porte à croire que d’ici les

prochaines années, ce sont les communes situées à l’Ouest qui devanceront celles du littoral,

notamment avec la construction de routes faisant le lien entre les villes ou encore l’organisation de

manifestations culturelles ayant pour but ultime de dynamiser les économies locales et d’attirer des

visiteurs. Soulevons ici le projet relatif au pont sur l’Oyapock12, faisant la jonction entre la Guyane

et le Brésil.

L’indice de développement humain (IDH13) publié en 2005 par l’Institut National de la Statistique

et des Études Économiques (INSEE) plaçait la Guyane comme le département français le plus en

retrait, avec un IDH équivalent ou égal à 0,86 comparé à 0,91 pour la Guadeloupe, 0,93 pour la

Martinique, 0,90 pour la Réunion et 0,95 pour la France entière.

L’INSEE expliquait à la suite de la publication des résultats que « c’est surtout le PIB14, exprimé en

parité de pouvoir d’achat, qui est à l’origine de cet écart, la richesse produite par habitant étant plus

faible et les prix plus élevés que dans les autres régions » (INSEE, 2005). De son côté, la Région

Guyane considère sur son site Internet que « cette situation économique et sociale

difficile s’explique par la dégradation de l’emploi, la hausse du chômage, l’accroissement de la

population, la fragilité du tissu économique et enfin le manque de compétitivité des entreprises ».

Pour l’INSEE, la politique de développement de la Guyane semble cependant avoir atteint ses

limites :

Son mode de développement, caractéristique d’une économie abritée, bénéficie d’un effet de serre dont le rendement est insuffisant pour faire face à l’exceptionnelle croissance démographique. Contrairement aux autres

                                                                                                               11 Consultés sur l’interface de la Préfecture de la région Guyane en février 2012.  12  Le pont reliant Saint-Georges-de-l'Oyapock (Guyane) à Oiapoque (Brésil) est un projet d’envergure : 378 mètres de longueur, deux voies de 3,50 mètres de largeur et deux voies mixtes séparées pour piétons et cyclistes. 13  L’IDH est un indicateur permettant d’évaluer le niveau de développement humain des pays. Il est calculé à partir de trois critères : l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Les résultats sont compris entre 0 et 1. Le chiffre 1 représentant la situation de développement idéale.    14 Égal à 14 100 € soit environ 18 000 $CA par habitant en 2008.

Page 15: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

15  

DROM, elle ne s’est donc pas engagée sur la voie d’un processus de rattrapage de l’économie métropolitaine et reste marquée par d’importants déséquilibres (INSEE, 2005).

1.2 - Quelques statistiques15

Avec ses frontières naturelles, le département est confronté « à une pression migratoire

importante l’obligeant à faire face à des disparités économiques » (Vallette, 2011 : 122), culturelles

et sociales. Au 1er janvier 2012, l’INSEE estimait la population guyanaise à 226 426 habitants en

prévoyant la continuité de l’explosion démographique.

Ainsi, en 2030, le nombre d’habitants devrait être égal à 424 000, soit une population quasiment

équivalente à celle des deux îles des Antilles françaises, la Martinique et la Guadeloupe au même

moment. La population de Guyane est une population jeune. 50 % des moins de 25 ans sont au

chômage dans ce département où 44 % de la population a moins de 20 ans.

2) Réalités culturelles et sociales

Les réalités culturelles et sociales sont liées à plusieurs évènements historiques, politiques,

économiques et quotidiens. Le brassage culturel guyanais renvoie à plusieurs chronologies : la

conquête des Amériques, l’esclavage et la traite négrière, le marronnage16, le bagne, la période de la

colonisation puis celles de la décolonisation et de la départementalisation17, sans oublier les

différentes politiques migratoires18. Voilà pourquoi de nombreux sociologues et anthropologues

sont d’avis de parler de cultures et langues de Guyane au pluriel.

                                                                                                               15  Plus de statistiques concernant la situation du département sont fournis en annexe C.  16 Le marronnage était le nom donné à la fuite d'un esclave hors de la propriété de son maître en Amérique, aux Antilles ou dans les Mascareignes à l’époque coloniale. Le fuyard lui-même était appelé Marron ou Nègre Marron, Negmarron. 17 Il s’agit de la période d’application du décret de départementalisation faisant de la Guyane un département français au même titre que n’importe quel autre département français.  18 L’une d’entre elles, Bumidom pour « Bureau pour les migrations dans les départements d’Outre-Mer ». Cette mesure a été créée en 1963 par Michel Debré et avait pour but de résoudre les problèmes démographiques des départements d’Outre-Mer. Le gouvernement français offrait un billet vers la France territoriale permettant aux Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais et Réunionnais de migrer et s’installer à long terme. Pour beaucoup, ce départ a été considéré comme une « seconde traite », les perspectives promises n’étant bien souvent pas adaptées à tous.

Page 16: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

16  

2.1 - Cultures et langues19

Les premières nations, les Amérindiens, représentent aujourd’hui un peu moins de 12 % de

la population globale. Il existe six communautés : les Kalinas et Lokonos, installés dans la région de

Saint-Laurent du Maroni, les Palikurs dans la région de Saint-Georges de l’Oyapock, les Émirillons,

Wayanas et Wayampis, toutes les trois installées au sud du département. S’en suivent tous les

peuples de la communauté des Noirs-marrons, c’est-à-dire les descendants des esclaves noirs qui se

sont révoltés et enfuis des plantations guyanaises et surinamaises du XVIIe au XIXe siècle pour se

réfugier dans la forêt et près des fleuves. Ces derniers sont installés essentiellement le long du

fleuve Maroni. Les Créoles sont les descendants des esclaves noirs, guyanais, antillais, surinamiens

et haïtiens. Ils sont majoritaires en Guyane.

Les flux migratoires ont, eux, commencé à partir du XIXe siècle avec la venue de nouveaux

peuples : les Saint-Luciens, Chinois, Brésiliens, Haïtiens, Surinamiens. De manière générale, il nous

est compliqué de déterminer la date d’arrivée de ces populations étant donné l’étonnante opposition

entre les historiens et une certaine méconnaissance de ces sujets. De plus, rappelons que quelques

épiphénomènes ont enclenché ces mouvements de populations comme les guerres civiles

engendrant massacres et exils forcés.

Comptons aussi les Hmong installés essentiellement à Cacao, Javouhey (commune de Mana),

Rococcoua (commune d’Iracoubo), Corrossony (commune de Régina) et Roura. Réfugiés Laotiens

et du Nord-Vietnam, ils sont arrivés en Guyane en 1977 pour aider à repeupler le département et

développer l’agriculture. Une arrivée qui a d’ailleurs été vivement contestée par la classe politique

de l’époque.

Le déplacement du bagne, situé en Algérie sous la colonisation, a permis l’installation de certaines

populations originaires du Maghreb. À ce sujet et avec le peu de recherches disponibles, nous

savons que ce sont essentiellement des Algériens originaires de Kabylie qui, après avoir purgé leur

peine, se sont installés définitivement sur le territoire. Les Libanais sont aussi présents et pour la

plupart originaires de Bazoun, un village situé dans les montagnes. Et, enfin, les Européens, pour la

majorité originaires de la France territoriale, descendants parfois des familles des anciens

                                                                                                               19  Se référer aussi à l’annexe B, tableau récapitulatif des langues parlées en Guyane, extrait de l’étude d’Isabelle Léglise et Béttina Migge sur les « pratiques et représentations linguistiques en Guyane ».  

Page 17: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

17  

colonisateurs, appelés communément békés aux Antilles ou zoreils à la Réunion et, enfin, les

métros, souvent de la fonction publique ont migré pour des raisons professionnelles.

La langue officielle en Guyane est le français. Cependant, et en raison de la mosaïque culturelle,

c’est loin d’être la seule. À côté de l’anglais (du Guyana et Surinam), du portugais (du Brésil) et de

l’espagnol, on y parle différents créoles.

Le créole20 s’est formé pendant l’esclavage et la traite négrière. Né d’un besoin et empressement de

communiquer, il était parlé par les esclaves pour organiser les révoltes contre les maîtres. En

fonction des zones géographiques, il peut être guyanais, antillais, haïtien, réunionnais ou même

parlé autrement dans d’autres îles des Antilles. S’ajoutent à cela, les créoles de base lexicale

anglaise principalement parlés dans les communes de l’Ouest guyanais : le nenge tongo, l’aluku, le

pamaka et le ndyuka et un créole à base anglo-portugaise : le saamaka.

Il existe aussi des langues amérindiennes appartenant aux grandes familles linguistiques réparties

sur le continent sud-américain et parlées essentiellement par les peuples autochtones : l’arawak, le

palikur, le kali’na, le wayana, l’émérillon et le wayampi. Et, enfin essentiellement parlées par les

communautés Hmong et Chinoises, le hmong, le cantonnais et hakka.

Cette palette linguistique et culturelle est une véritable richesse pour le territoire. De plus en plus de

manifestations culturelles sont d’ailleurs organisées pour faciliter la rencontre entre les peuples et

les échanges entre les différentes communautés. Néanmoins, cette diversité culturelle est source de

nouveaux défis à relever, avec en priorité la baisse de l’insécurité21, souvent entraînée par les

chercheurs d’or clandestins, et l’enclavement des communes, comme l’explique Jérôme Vallette,

rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Semaine Guyanaise :

                                                                                                               20 Le créole est un phénomène linguistique d’importance considérable. Un créole se forme au contact des autres langues pour en former une nouvelle. Tout créole est essentiellement le résultat du mixage de langues différentes. Il existe plusieurs créoles, mais ce sont tous des langues mixtes qui se sont formées aux XVIe et XVIIe siècles pendant la traite négrière organisée par les puissances coloniales de l'époque, particulièrement la Grande-Bretagne, la France, le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas et, plus tard, les États-Unis, la Suède et le Danemark. 21 Selon la Préfecture de Guyane, les chiffres de la délinquance en Guyane représentent une baisse globale de 0,34 % en 2011. Par rapport à 2002, cela représente une « baisse de 16,47 % soit de 678 000 faits », selon Claude Guéant, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration rappelant dans un communiqué de presse que depuis la même année, « la population française a augmenté de 3.200.000 habitants ».

 

Page 18: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

18  

(…) Les villes de Kourou et Cayenne se dotent de système de vidéosurveillance. Les habitants réclament, eux, plus de forces de police. Autre phénomène inquiétant, la vague de suicides qui a touché différentes populations amérindiennes sur les fleuves-frontières Maroni et Oyapock sans que des solutions pérennes soient trouvées. Isolées, ces populations sont malgré tout confrontées à un monde moderne qui ne cesse de s’étendre. Télévision, Internet, prestations sociales, écoles font peu à peu leur apparition dans les zones reculées, où les jeunes ne trouvent pas de travail (Vallette, 2011 : 123).

2.2 - Éducation et illettrisme

Selon une étude22 publiée conjointement par le Rectorat de Guyane et l’INSEE Antilles-

Guyane en juillet 2011 et consultée sur leur site Internet, les effectifs d’enfants scolarisés en

Guyane, à la rentrée 2010, dépassaient 72 000 élèves dans les établissements publics. Entre 2002 et

2009, le nombre d’enseignants a augmenté rapidement. Le nombre d’élèves en éducation

prioritaire23 est quinze fois plus important qu’au niveau national.

Selon les résultats de cette même étude, le système éducatif guyanais ne produit pas encore assez de

diplômés. Le parcours scolaire est lié à l’origine sociale et influence l’insertion professionnelle

future des jeunes guyanais. Ainsi, un jeune sans diplôme a cinq fois plus de risques d’être au

chômage qu’un jeune en fin de secondaire ou au 2e cycle. Entre 2002 et 2009, les effectifs

d’enseignants dans le secteur public ont augmenté de 22 % et ceux du secteur privé de 10 %.

Cette situation s’explique par les grosses difficultés sociales des familles [expliquant aussi] qu’en dépit des signes positifs, le système éducatif produit une population encore trop peu diplômée en Guyane. Seulement 44 % de la population adulte de plus de 25

                                                                                                               22 « L’état de l’école en Guyane », étude réalisée avec le soutien de l’Académie de la Guyane, le Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’association IRIG-Défis et l’INSEE Antilles-Guyane publiée en juillet 2011. 23 Dans le système éducatif français, il existe des zones dites d’éducation prioritaire, couramment abrégées sous le sigle ZEP. Ce sont des zones dans lesquelles sont situés des établissements scolaires dotés de moyens supplémentaires pour faire face aux difficultés scolaires. Il s’agit d’une rupture avec le principe de l’accès égalitaire à l’éducation pour « rétablir l’égalité des chances entre les élèves en renforçant l’action éducative dans les zones où les conditions sociales et culturelles constituent un obstacle à la réussite scolaire. » Ces mesures sont définies par l’Éducation nationale et ont été créées en 1981 avec comme objectif final de lutter contre le décrochage et l’échec scolaire. De nombreuses idées toutes faites circulent sur ces jeunes, notamment concernant leur origine sociale ou culturelle par exemple, résidants en banlieues, issus de l’immigration, non francophones ou encore violents, etc.  

Page 19: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

19  

ans est diplômée de l’enseignement secondaire alors qu’ils sont 71 % au niveau national. (INSEE, 2011)

Les effectifs de non-scolarisés en Guyane, c’est-à-dire les personnes recensées qui ne sont pas

inscrites dans un établissement d’enseignement, restent encore très importants. Environ 2 800

enfants de 6 à 16 ans n’étaient pas scolarisés en 2007, soit 5 % des enfants de cette classe d’âge.

Chez les 12-16 ans, en âge d’être inscrits au secondaire, le taux de non-scolarisation atteint 7%. Ces

chiffres ne sont pas uniformes à l’ensemble du territoire guyanais, la non-scolarisation est plus

accentuée dans les communes éloignées du littoral. Selon le rapport de l’INSEE, un enfant sur

quatre ne va pas à l’école à Grand-Santi contre un sur sept à Apatou, communes situées toutes les

deux à l’Ouest. Le taux de non-scolarisation atteint 42% à Papaïchton, 24% à Maripasoula et 23% à

Saint-Georges : Les difficultés des enfants de personnes sans emploi face à la scolarisation sont d’autant plus fortes que ces enfants sont issus de familles non francophones (…) L’isolement géographique, l’inactivité et la mauvaise maîtrise de la langue française par les parents sont autant de facteurs explicatifs de la non-scolarisation dans la région. (INSEE, 2011)

Les éléments fournis par des travailleurs sociaux révèlent que par rapport à la France territoriale et

aux autres départements d’Outre-Mer, le taux d’analphabétisme en Guyane reste très important. Au

moment de notre recherche, une étude était en réalisation et prévue à la publication au début de

l’année 2013.

D’après Florence Foury, chargée de mission pour l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, ce

qui pose principalement problème est la faiblesse des indicateurs actuels. Qu’il s’agisse du taux de

demandeurs d’emploi sans diplôme et qualification (56 %), de celui des jeunes déclarés en

difficultés de lecture (29 %) suite aux tests de la Journée de la Défense et Citoyenneté, obligatoire

pour tous les jeunes de 18 ans, ou encore du taux de décrocheurs du système scolaire après le

secondaire, les données ne peuvent pas vraiment être considérées comme fiables, car ces taux ne

signifient pas que ces personnes ne savent pas lire ou écrire.

Page 20: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

20  

3) Réalités institutionnelles et politiques

Comme l’explique Virginie Brunelot dans un travail anthropologique sur la ville de Cayenne

entre 1919 et 1939 (Brunelot, 2011 : 51), le concept d’idéologie politique n’est arrivé que très

tardivement en Guyane. La chercheuse rappelle dans son étude que pendant très longtemps, les

électeurs guyanais ont soutenu une personnalité politique à défaut d’être portés par l’engagement

politique. En effet, la Guyane est un département où les acteurs politiques sont connus de tous,

parfois même personnellement et familièrement. Les citoyens peuvent donc les interpeller

directement. Les programmes et idéologies sont eux, moins connus que les chefs des partis

politiques.

D’après les données récoltées lors de la préparation de cette recherche pendant l’été 2011, les

consultations publiques ont suscité beaucoup d’intérêt ; entre les drapeaux24 du département affichés

aux coins des rues et les débats houleux entre les acteurs politiques, parfois même en direct sur les

plateaux de télévision et dans les studios radio.

3.1 - Spécificité législative et degré d’autonomie

La relation entre la France et ses DROM est régie par un ensemble de textes juridiques

généraux et spéciaux, intégré à la Constitution française. Ces derniers précisent, en plusieurs points,

les différents domaines d’action, distincts, et les domaines de compétence du département et de la

région vis-à-vis de la France territoriale.

Depuis 1946, la Guyane est reconnue par le décret de départementalisation comme étant un

département français d’Outre-Mer (DOM). Ce décret place le département ainsi que les trois autres

« vieilles colonies » – la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion – comme toute autre région

française. Ce n’est que depuis 1982 que les DOM sont devenus des ROM, des Régions d’Outre-

Mer, et les territoires d’Outre-Mer, des COM, des Collectivités d’Outre-Mer.

                                                                                                               24 Officiellement, le drapeau de la Guyane est celui de toutes les autres régions françaises, le drapeau tricolore. Depuis le 22 janvier 2010, le Conseil général de la Guyane a adopté un drapeau qui doit être levé conjointement avec le drapeau national et le drapeau européen. Il s’agit d’un drapeau composé de deux bandes diagonales horizontales verte et jaune centrée d’une étoile à cinq branche rouge. Le vert représente la forêt guyanaise et le jaune l’or et les multiples richesses du sous-sol. L’étoile rouge a deux significations : l’orientation socialiste de la région et « le sang en son centre », en lien avec l’histoire du département. Le visuel du drapeau est disponible en annexes.

 

Page 21: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

21  

La différence réside dans ce que la loi française préconise pour les administrations locales sur les

différents dossiers qui les concernent. Dans les DROM, l’autonomie est définie comme « une

revendication de statut pour que l’administration de la collectivité par l’État français soit résiduelle

et qu’un pouvoir local de décision soit accordé aux autorités représentatives des collectivités

d’Outre-Mer » (Reno, Merion, Deshayes, 2004 : 25).

Les textes législatifs font apparaître un certain nombre de compétences allant tantôt à la région et au

département, tantôt à Paris. Les consultations de janvier 2010 ont été matérialisées comme une

opposition formelle entre le « 73 » et le « 74 », deux chiffres qui sont les intitulés des articles de la

Constitution française et qui donnent plus ou moins de compétences aux collectivités locales.

Ainsi, l’article 73 prévoit-il l’application de plein droit des lois françaises dans les départements dits

sans prise en compte des particularités locales, qu’elles soient sociales, économiques, politiques ou

culturelles ; les décisions sont donc prises à l’échelle nationale. La loi organique décidée à Paris est

la même à Cayenne et aucune négociation n’est possible concernant certains dossiers, notamment

sur la nationalité, les garanties des libertés publiques, l’État, la capacité des personnes,

l’organisation de la justice, le droit et la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la

sécurité et l’ordre public, la monnaie, le crédit et les changes ainsi que le droit électoral.

L’article 74, quant à lui, prévoit que les intérêts propres des collectivités d’Outre-Mer soient

considérés par la loi organique, tout en restant au sein de la République française et de l’Union

européenne. Les collectivités ont alors plus de compétences et sont obligatoirement consultées à

chaque projet et proposition de loi, décret ou ordonnance pour y inclure des dispositions

particulières, si besoin est. Ces mesures peuvent concerner l’accès à l’emploi, le droit

d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou encore la protection du patrimoine

foncier. Wallis et Futuna, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie Française

répondent actuellement à cet article.

En janvier 2010, les citoyens guyanais étaient donc convoqués pour se prononcer sur ces deux

articles législatifs qui s’orientent vers deux positions institutionnelles que le département peut avoir

vis-à-vis de la France territoriale, et ce, sur différents dossiers. Comme l’explique Maud Elfort, il

s’agit de comprendre que ces textes relèvent tous les deux de certaines particularités du droit

commun avec différents domaines d’application :

Page 22: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

22  

Soit les textes opèrent un partage des responsabilités entre les deux collectivités, par exemple dans le domaine de l’enseignement, du transport, de l’environnement, de la culture ou des ports, et dans ce cas la cohérence des politiques publiques mises en œuvre impose la mise en place de dispositifs de coordination, telle que les conventions de partenariat. [Article 73] Soit les textes attribuent aux collectivités des compétences concurrentes, en matière d’habitat par exemple, ou de conservation et de mise en valeur du patrimoine (relevant des communes du département) ou encore, dans les domaines de l’aménagement et du sport. [Article 74] (Elfort, 2002 : 27)

Il faut tout de même préciser que ces restrictions juridiques entraînent des répercussions financières

et donnent lieu à plusieurs problèmes. En effet, les spécificités locales ne sont reconnues et

accordées qu’en fonction de champs limités et précis conformément à l’application des décrets. Le

degré d’autonomie accordé à la Guyane face aux décisions nationales dans le cadre de la spécificité

législative est aussi bien voulu par l’article 73 que par l’article 74. Ce qui change n’est autre que le

rôle joué par les collectivités elles-mêmes : le second alinéa de l’article 73 stipule que :

Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y sont habilitées par la loi [versus le second alinéa de l’article 74 expliquant que] ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante qui fixe les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables. (Michalon, 2010 : 75-80)

En d’autres termes, toute la question est de comprendre jusqu’à quel point la spécificité législative

peut être préservée de l’ingérence du gouvernement central. Et, comme le souligne Thierry

Michalon, l’alinéa 1 de l’article 74 explique que le gouvernement français peut en permanence

étendre par ordonnance les matières et dossiers qui relèvent de la compétence de l’État, « après avis

des assemblées délibérantes intéressées, et avec les adaptations nécessaires, les dispositions

législatives en vigueur en métropole : cette nouvelle ouvre évidemment la porte à un rétrécissement

de la spécificité » (Michalon, 2010 : 81-82).

Page 23: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

23  

3.2 - Idéologies et partis politiques

La vie politique guyanaise est partagée entre sept principales tendances. Nous les citons ici

en identifiant les différents représentants politiques locaux :

- la droite loyaliste, représentée par l’UMP (droite française, parti de Nicolas Sarkozy

représenté localement par Fabien Covis)

- le parti socialiste guyanais (gauche française, PSG, Antoine Karam)

- Walwari (affilié au Parti radical de Gauche, représenté par la députée de la 1ère

circonscription, Christiane Taubira)

- les forces démocratiques de Guyane (Droite, FDG, Gil Horth)

- les Verts (parti écologiste, Philippe Ménard)

- le parti d’extrême gauche indépendantiste, le mouvement de décolonisation et

d’émancipation (MDES, Maurice Pindard)

- le parti d’extrême droite, Guyane Front National (FN, Jean-Michel Dubois)

Au moment des consultations publiques de janvier 2010, des alliances politiques se sont créées de

manière à obtenir ce que l’on a appelé les « pro-74 » regroupés sous le nom « Guyane 74 » avec le

MDES, Walwari, les Verts, le FDG et le PSG autour des sénateurs et députés, et les « pro-73 »

regroupés sous le nom « Guyane 73 » principalement avec l’UMP. Ces alliances ont d’ailleurs été la

cause des principales critiques adressées aux acteurs politiques à l’issue des résultats du scrutin.

L’une d’entre elles analysait le « non au 74 » comme un certain désaveu des élus et de la politique

locale étant donné que la majorité des acteurs politiques locaux soutenait l’évolution statutaire.

4) Réalités médiatiques

Il n’existe que très peu de recherches menées sur les médias guyanais. Les rares études

retrouvées sont datées de la fin des années 1970. Le système d’archivage n’étant pas toujours au

point en Guyane, nous avons alimenté notre manque d’informations précises par des recherches

personnelles menées directement sur le terrain et des discussions avec les aînés, témoins précieux

de l’évolution des mœurs.

Page 24: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

24  

La société guyanaise étant une société d’oralité, les médias écrits ne sont pas très prisés par les

citoyens. Comme l’explique Blaise Bitegue (dit Manga) dans une étude sur « les enjeux

d’intégration sociale autour de la lecture en Guyane », la lecture n’a pas une place conséquente

dans cette société d’oralité. L’apprentissage de la lecture a un lien particulier avec l’époque

coloniale, notamment avec le principe de laïcité.

L’école coloniale avait en effet comme ambition première d’apprendre la langue et la culture

françaises aux personnes qui pouvaient en bénéficier. Cela passait par une connaissance accrue de

la grammaire, de la conjugaison et de l’orthographe avec d’autres matières comme les

mathématiques ou les sciences. C’était un principe d’éducation basé sur une certaine assimilation à

la culture française, allant parfois jusqu’à nier l’appartenance à d’autres cultures :

À l’inverse de l’Afrique, la domination coloniale y a été très forte, puisque les Guyanais n’ont pas choisi le camp de l’autonomie [ou] le camp de l’indépendance. Ils ont réclamé l’assimilation, le renforcement des liens, l’exercice des droits et devoirs de la République française. L’introduction de la lecture rentre dans cette mouvance assimilationniste. (Bitingue , 2007 : 4-5)

En 1946, le mot assimilation prend un sens particulier. Il y avait parmi les peuples d’Outre-Mer une

forte volonté de sortir du système colonial. Alors que les colonies d’Afrique avaient fait le choix de

l’indépendance, en Guyane comme aux Antilles et à la Réunion, l’objectif premier était de

s’intégrer dans la France territoriale par le principe d’égalité. C’est ainsi qu’est né le décret de

départementalisation, un néologisme que l’on doit à Aimé Césaire persuadé qu’il s’agissait d’un

premier pas vers la reconnaissance totale de l’identité des peuples d’Outre-Mer25. C’était une

époque de luttes sociales, où le Parti communiste français26 avait déçu ses adhérents et où les

conséquences de la colonisation, et les méfaits de l’acculturation faisaient la « une » des journaux :

Le paradoxe tient au fait qu’ayant réclamé l’assimilation à la civilisation du maître/colon, nombre de Guyanais sont restés insensibles à l’un des traits dominants de la

                                                                                                               25  Au sujet du décret de départementalisation de 1946, Aimé Césaire, le rapporteur de la loi, déclarait : « Nous avons tous une particularité, une civilisation, une culture. Il y a des différences, mais il y aussi la ressemblance. Eh bien, il faut prendre conscience de sa différence, parce qu’on est ce que l’on est, et il faut prendre conscience également de la ressemblance et c’est dans cette ressemblance que, librement, chacun de son côté, doit garder sa spécificité, doit la sauver, car c’est une richesse. À ce moment-là, nous pouvons dire : oui, les différences sont là, elles sont énormes, elles sont précieuses, elles sont capitales pour la richesse générale, mais nous avons beau être différents, et c’est une bonne chose, nous sommes en même temps semblables. » 26 À cette époque, le Parti communiste français, parce qu’il disait vouloir lutter contre toutes les formes d’injustices sociales, connaissait ses heures de gloire dans les départements d’Outre-Mer et anciennes colonies françaises.

Page 25: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

25  

civilisation française : la scolarisation. La loi Jules Ferry n’a pas eu cours en Guyane, société qui, malgré l’adhésion à la communauté française, n’a pas moins connu le destin des territoires africains d’outre-mer. Si l’Afrique est ambigüe (Georges Balandier, 1952), la Guyane l’est aussi, la tradition et la modernité y sont intimement liées, c’est-à-dire que la société est déchirée entre la modernité par la lecture et l’écriture et la tradition par l’oralité (Bitingue, 2007 : 4-5).

4.1 - La presse de Guyane

La situation de la presse guyanaise est quelque peu complexe : sur un territoire d’un peu plus

de 200 000 habitants, il n’existait au moment des consultations publiques de janvier 2010, qu’une

seule chaîne de télévision et radio – Guyane 1ère – d’informations générales appartenant au service

public, un seul quotidien d’informations – France-Guyane – et un seul hebdomadaire – La Semaine

Guyanaise – traitant de l’actualité locale. La plupart de ces médias sont concentrés essentiellement

au Centre-ville, Cayenne. Ce qui engendre évidemment des difficultés en ce qui concerne la

couverture de l’ensemble des évènements qui se produisent sur le territoire.

Exception faite de ces supports, il existe quelques tentatives timides. Par exemple, Oka.Mag, un

bimestriel édité par l’association Oka.Mag, pour l’actualité relative à la communauté amérindienne

de Guyane, ou encore Une saison en Guyane, un trimestriel qui base son travail autour de l’idée

d’intégrer le département à l’Amazonie et à l’ensemble du continent sud-américain.

On compte aussi des radios financées par des géants commerciaux comme NRJ, Trace FM ou

encore Nostalgie Radio. Ces entreprises ne disposent pas de services de nouvelles : les flashs

d’informations locales sont commandés en France et inspirés des nouvelles parues dans la presse

locale et nationale. Viennent ensuite les initiatives des groupes communautaires ou d’apprentis

comme Kourou Télévisions, Radio Gabriel, Merci Seigneur, Radio Jam, Métis FM.

Sur Internet, plusieurs forums ou interfaces d’informations permettent des échanges avec la

population comme Blada.com ou encore Guyaweb, OuebTV et le Kotidien. Il existe enfin des web-

radios qui privilégient l’actualité musicale locale et sont tenues par des associations culturelles.

Page 26: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

26  

D’après des décisions récentes du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel27 (CSA, 2011) et dans le

cadre du développement de la télévision numérique terrestre dans les départements et territoires

d’Outre-Mer, il est question de créer de nouvelles chaînes de télévision.

La presse de Guyane est historiquement une presse d’opinion politisée, à défaut d’être strictement

d’information. Jusqu’à l’arrivée des médias d’information comme Guyane 1ère et France-Guyane, à

la fin des années 1970 avec l’éclatement de l’O.R.T.F28, il n’existait pas de journalistes, mais des

chroniqueurs : Monsieur ou Madame Tout-le-monde offrait une perception orientée d’un évènement

sur des supports bien souvent détenus par des partis politiques.

Dans les années 1970, Ian Hamel, journaliste et écrivain, avait choisi de parler des médias guyanais

dans son mémoire de fin d’études. Il y dresse un tableau de ce qu’était la presse de cette époque :

une presse partagée entre le gouvernement ancré dans un système refusant toute évolution ou

couverture de l’information ne suivant pas la mouvance politique et les partis politiques diffuseurs

de leur vision de l’information changeante et adaptée en fonction des idéologies :

D’un côté, une presse gouvernementale, anémiée et anémiante, rebelle à toute évolution, diffusant entre deux communiqués officiels des informations soi-disant apolitiques. Et de l’autre, une presse d’opinion, violente et sectaire, qui s’attache plus à combattre un adversaire qu’à convaincre, construire. Ces journaux non officiels sont négligés, rebutants, vides, austères. Leur périodicité est souvent incertaine et leur vie éphémère. Propriété d’un homme plus que d’un parti, ils suivent la carrière politique de leur fondateur, sont lancés avant une campagne et abandonnés après un échec électoral. (Hamel, 1975 : 26)

Aujourd’hui, c’est l’information générale – qu’elle soit locale, nationale ou même internationale –

qui tente de se frayer un chemin et d’attirer l’attention du citoyen. Une tâche qui s’avère de plus en

plus difficile, les outils de connaissances des goûts et aspirations comme des attentes de la

population envers les médias locaux étant limités. Nombreux sont ceux qui restent branchés

uniquement vers les chaînes françaises ou étrangères. Rencontrés à Cayenne lors de notre

déplacement à l’été 2011, certains aînés expliquaient que le rapport de la population aux médias

n’était plus le même qu’à leur époque :

                                                                                                               27 Cette décision s’intègre au plan d’ajustement mis en œuvre à l’occasion du basculement des différentes régions françaises à la diffusion tout numérique qui s’est achevé à la fin du mois de novembre 2011. 28 L’Office de Radiodiffusion-Télévision Française est un établissement public à caractère industriel et commercial (1964-1974).

Page 27: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

27  

On ne voit plus de journaux vendus à la criée sur la place publique. Les jeunes sont à l’affût des nouvelles musiques quand leurs parents écoutent Radio France Internationale, France Inter ou les chaînes étrangères brésiliennes ou haïtiennes.

4.2 - Le consommateur d’information guyanais

Exception faite des rapports d’audience et d’activité de France-Guyane et Guyane 1ère, il

n’existe que très peu de données permettant de mieux identifier le consommateur d’information en

Guyane. Seule une enquête réalisée en 2006 par le Centre de liaison de l’enseignement et des

médias d'information (CLEMI), un organisme rattaché au Rectorat de Guyane, permet de cibler le

public guyanais. Cette enquête a été réalisée sous forme de questionnaires proposés à des jeunes29

en secondaire pendant une semaine célébrant la presse et les médias en novembre 2005.

Nous retiendrons certains points, à notre sens, révélateurs des défis que les médias locaux doivent

relever. Parmi eux, la maîtrise de la langue française, les questionnaires n’ayant pas tous été

compris par les jeunes interrogés.

Lors de la saisie et du traitement des résultats de ce sondage, une assez importante proportion des questionnaires contenait des réponses inexploitables ou pas de réponses. Cela souligne les difficultés liées à une maîtrise aléatoire de la langue [française] chez un assez grand nombre d’élèves. Plusieurs questions n’ont pas été comprises ou furent mal interprétées. (CLEMI, 2006 : 14)

Notons aussi une certaine préférence pour la télévision, le média le plus consommé, ainsi que les

programmes de divertissement. La radio et Internet n’arrivent qu’en second plan, derrière la presse

écrite payante et nécessitant la maîtrise de la lecture. L’information locale proposée ne semble pas

leur correspondre30. Ce qui explique qu’ils finissent par ne plus s’y intéresser. Les difficultés

                                                                                                               29 Au collège, ce sont près de 4 235 élèves qui ont été interrogés en novembre 2005 comprenant les établissements du Bassin de l’Est (Saint-Laurent, Mana et Iracoubo) ; Bassin du Centre Littoral (Kourou, Macouria) ; Bassin de l’Île de Cayenne (Cayenne, Matoury, Rémire-Montjoly) et le Bassin de l’Est (Roura, Cacao, Saint-Georges de l’Oyapock). Au lycée, l’enquête concernait uniquement les élèves de seconde (professionnelle, générale, technologique, CAP, BEP), soit 3 318 élèves. 30 À la question de savoir le genre d’informations qui retiennent leur attention, les jeunes interrogés, ont répondu à 35,2% les faits divers. Ce sont ensuite les informations internationales (25,5 %) et régionales (10,3 %) qui sont citées. Puis, apparaissent l'actualité des célébrités (8,2 %) et les informations sportives (8 %), devant les informations artistiques (6,1 %) et les informations nationales (5,5 %). Les informations scientifiques et celles sur la nature sont marginales (inférieures à 1 %).

Page 28: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

28  

d’accès et d’acheminement sont aussi observées puisque toutes les communes du département n’ont

pas accès aux médias :

Les résultats soulignent de manière forte les inégalités d’accès à l’information selon le lieu géographique. Les chaînes [de télévision et radios] ne sont pas toutes reçues, la presse écrite est très incomplètement diffusée. Une démocratisation de l’accès à l’information représente un coût, mais est aussi un enjeu politique. (CLEMI, 2006 : 14)

Concernant les nouveaux médias et Internet, en 2010, la France comptait environ 44 millions

d’utilisateurs du web et se classait huitième à l’échelle mondiale. Une étude, réalisée en 2005 par la

société At Internet Livre via le baromètre d’audience Xiti Monitor, plaçait la Guyane à la tête du

classement devant les autres DROM, avec un taux d’utilisation d’Internet supérieur à 5 % par

rapport aux autres régions françaises.

Page 29: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

29  

Les journalistes politiques ont de grandes ambitions. Ils aspirent à un

rôle d’information essentiel à la vie démocratique en assurant la

communication entre les acteurs du système politique ; ils prétendent

garantir la transparence de la gouverne et en permettre la critique ; ils

disent vouloir maintenir un contrôle démocratique sur l’information en

la soustrayant aux influences occultes. De telles prétentions justifient et

expliquent, pour une bonne part, l’intérêt que les chercheurs leur

portent.

(Charron, 2000 : 5)

Page 30: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

30  

PARTIE 2

REPÈRES THÉORIQUES

Notre étude concerne les défis et limites liés à la couverture d’un fait politique de proximité.

Un sujet qui permet de s’interroger sur les bases réflexives et théoriques sur lesquelles repose la

couverture d’un fait politique de proximité. Pour cela, nous nous inspirons de la littérature en

communication publique, sciences de la communication et sciences politiques en proposant les

éléments les plus pertinents pour notre réflexion.

Nous aborderons le fait politique tel que perçu en journalisme et communication publique, c’est-à-

dire comme « un ensemble institutionnalisé de pratiques discursives médiatisées visant la

description ou la modification de l’environnement naturel et social » (Charron et De Bonville,

2001). En philosophie politique, le fait politique est défini comme tout ce qui a trait aux institutions,

à l’État, à un groupe ou une communauté et qui s’inscrit dans « l’art et la manière de gouverner,

l’organisation des pouvoirs, la conduite des affaires publiques, les actions prévues ou mises en

œuvre par une institution, une organisation, un parti, un État, une entreprise ou un individu en vue

d’atteindre un objectif préalablement fixé. Et, dans une démocratie, l’action politique est de droit,

c’est-à-dire légitimée par le vote des citoyens » (Raynaud, 2003).

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la ou les dimension(s) politique(s) du journalisme

politique. Il s’agira de se questionner sur la nature politique du travail journalistique. La seconde

partie sera consacrée à la pratique du journalisme en démocratie, aux manières de voir et d’exercer

cette profession telle que l’on pourrait l’imaginer, l’idéaliser ou la concevoir dans un système

politique plaçant le citoyen au cœur de tous les débats et de tous les intérêts.

1) La dimension politique du journalisme politique

L’une des critiques faites aux journalistes guyanais lors de la couverture médiatique des

consultations publiques d’après les entrevues réalisées sur le terrain31 est liée à la prise de position

de ces derniers. Cette critique, fréquente, s’appuie sur un ressenti de déséquilibre dans la couverture

                                                                                                               31 Se référer à la troisième partie de cet essai.

Page 31: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

31  

médiatique : hiérarchie de l’information32, sensationnalisme33, etc. Ces ressentis justifient

l’attribution d’une certaine valeur politique à la profession. Selon cette hypothèse, les journalistes

sont orientés politiquement avec la couverture du fait politique.

Bien que cette interrogation ne suggère pas une seule et unique réponse, nous retiendrons quelques

propositions inspirées de l’étude de Jean Charron publiée en 2001. Son travail explique cette nature

par différentes variables susceptibles de changer en fonction du niveau de réalité considéré.

Plusieurs points seront abordés dans le cadre de cet essai : les attitudes politiques des journalistes,

les déséquilibres de la couverture, les facteurs sociodémographiques et les processus

organisationnels et économiques.

1.1 - Les attitudes politiques des journalistes

Une première façon d’aborder la dimension politique du journalisme repose sur le fait de croire

que les journalistes sont avant tout déterminés par leur activité professionnelle. Cette dernière

supposition se base sur un certain nombre de critères et d’attitudes, lesquels conditionneraient la

manière dont est abordée la nouvelle.

Selon ces postulats, le caractère politique est illustré par des attitudes politiques des

journalistes comme des préférences partisanes (droite, gauche ou nationaliste), caractère

sociodémographique (âge, sexe, origine, formation, origine sociale), etc. Ces facteurs

influenceraient la manière dont les journalistes font part de la réalité politique. Or, ces recherches se

fondent essentiellement sur la manière dont est effectuée la sélection des nouvelles en étudiant la

subjectivité des journalistes. Une hypothèse qui ne peut cependant pas se vérifier entièrement :

On ne saurait limiter la dimension politique de l’information au seul fait que des journalistes “faussent” délibérément la réalité en laissant transparaître des opinions partisanes dans ce qui est présenté comme un reportage factuel et neutre (…) L’hypothèse d’un préjugé manifeste et intentionnel n’est guère validée par la recherche empirique. (Charron, 2001 : 12-13)

                                                                                                               32 Mise en avant d’une opinion, personnalité ou position plutôt qu’une autre. 33 La couverture d’une élection envisagée comme un tournoi entre les différents candidats.  

Page 32: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

32  

La critique qui en découle est liée à une prise de position des journalistes dans la couverture qu’ils

proposent de l’évènement politique. C’est-à-dire que le travail journalistique, principalement en

temps de campagne électorale, donnerait l’avantage à une idéologie plutôt qu’à une autre. Or, bien

que cette impression soit généralisée, elle n’est cependant basée que sur un ressenti difficilement

vérifiable dans un contexte de recherche empirique.

Les analyses de contenu montrent que les nouvelles sur les affaires politiques particulièrement lors des campagnes électorales (…) sont en général équilibrées et non partisanes, tant sur le plan de l'importance relative qu'on accorde aux partis en présence que sur le plan du traitement de l’information. Les énoncés manifestement évaluatifs (favorables ou défavorables) qui portent sur les partis, les candidats ou les politiques et qui sont attribuables aux journalistes sont relativement rares dans les reportages et, lorsqu’on en trouve, ils se distribuent d'une manière à peu près équilibrée entre les différentes options politiques. (Charron, 2001 : 12-13)

L’hypothèse d’une nature politique du journalisme expliquée par les attitudes politiques délibérées

des journalistes ou les orientations des différentes productions est donc difficilement vérifiable. Et

quand bien même, outre les analyses de contenu, comment peut-on prouver une telle chose ? Une

question qui embarrasse un candidat, formulée par un présentateur à la télévision est-elle une

preuve suffisante pour montrer une prise de position du journaliste ou témoigne-t-elle plutôt que ce

dernier l’interroge sur de possibles ambigüités ?

En Guyane, les données actuelles ne permettent pas de tirer de telles conclusions. Contrairement

aux années antérieures où la presse guyanaise était assimilée aux partis politiques, l’arrivée des

médias appartenant à des grands groupes de presse français, est devenue la garantie d’une certaine

objectivité journalistique dans la production des nouvelles. Il s’avère donc difficile, avec les

données dont nous disposons, de prouver des attitudes politiques délibérées des journalistes locaux.

Cependant, une réserve doit tout de même être émise : en Guyane, certains journalistes locaux ont

aussi un mandat politique et affichent publiquement leur appartenance à un parti politique, certains

médias se font aussi financer par des acteurs politiques. Ces deux éléments peuvent porter à

confusion notamment concernant les rôles, à priori distincts, des journalistes et des acteurs

politiques concernant l’information transmise au citoyen.

Page 33: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

33  

1.2 - Les déséquilibres de la couverture

Si la dimension politique du journalisme politique ne peut pas uniquement se définir par les

attitudes politiques des journalistes, qu’en est-il de l’étude des déséquilibres de la couverture de la

nouvelle ? Certains textes expliquent ces déséquilibres par les contraintes de la production

quotidienne de l’information plutôt que par les choix délibérés et orientés des journalistes visant à

favoriser une opinion, un candidat ou un parti. En effet, certains déséquilibres de la couverture

médiatique d’un fait politique peuvent aussi s’expliquer par le mode de fonctionnement des

entreprises médiatiques ainsi que la place qu’ils occupent dans la société :

Les cas les plus probants de déséquilibre dans la couverture des évènements et le traitement de l'information concernent moins les organisations politiques que les groupes de pression, les organisations populaires et syndicales ou les mouvements sociaux. Les cas les mieux documentés suggèrent que l'explication ne tient pas aux attitudes personnelles des journalistes, mais aux conséquences du mode de fonctionnement des médias et à leur insertion dans la structure sociale. (Charron, 2001 : 14)

Les recherches en sciences politiques nous renseignent davantage sur les procédés employés par les

médias en période de campagne électorale. Patrick Lehingue, professeur de sciences politiques à

l'Université de Picardie (France), s’est interrogé sur l’élaboration des verdicts électoraux par les

médias en temps d’élection. Selon lui, la publication récurrente de sondages préélectoraux, la

fixation d’objectifs à atteindre ou le nombre de sièges à remporter et la réalisation par les médias

d’enquêtes sur l’impact des discours des candidats esquissent « une sorte de préformatage des

issues ». C’est-à-dire que ces procédés médiatiques participeraient à l’élaboration de la fin, du

dénouement, mais aussi des enjeux de l’élection avant même que les électeurs ne se prononcent aux

urnes.

Dans cette étude, l’auteur explique que tout ce qui participe à la production de verdicts électoraux,

est un ensemble d’opérations, d’instrumentalisations, plus ou moins complexes ayant pour objectif

de trancher deux questions (pré)supposées essentielles : « Qui va gagner ? » et « qui a gagné ? » Ces

interrogations orientent, selon Patrick Lehingue, la couverture médiatique d’une élection. Au

premier dépouillement, on comptabilise les résultats plus ou moins définitifs – par cantons, villes,

régions, circonscriptions, départements – selon des critères variés comme la géographie ou les

Page 34: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

34  

alliances entre les différents partis. Et, le second dépouillement, moins connu et reconnu, consiste à

faire parler les voies, c’est-à-dire les interpréter, leur donner un sens avec des analyses et

interventions de journalistes, politologues, sociologues ou écrivains.

Ces deux étapes dans le dépouillement sont considérées par Patrick Lehingue comme une preuve de

« l’incomplétude logique et de la pauvreté expressive des technologies électorales

contemporaines », en plus de n’avoir aucune valeur juridique. Les électeurs s’étant déjà prononcés,

plus ou moins massivement, les médias essayent de dire ou prédire à leur place et en leur nom ce

qu’ils viennent d’exprimer dans l’isoloir. Les chiffres ne pouvant pas parler d’eux-mêmes, il faut

donc faire parler les données agrégées sujettes à une certaine interprétation.

Ainsi, certaines productions des médias pendant les soirées électorales, qu’ils s’agissent des

commentaires ou des topos, sont perçues comme subjectives par les lecteurs, auditeurs ou

téléspectateurs. Ces derniers se basant sur le principe d’objectivité journalistique, une notion des

plus complexes en déontologie. Les voix électorales étant classées par principe de recension,

d’agrégation, de reconstruction ou en fonction d’autres critères géographiques ou politiques. Patrick

Lehingue estime à ce niveau que ce préformatage réalisé avant la campagne électorale « constitue

un instrument de démobilisation électorale trop peu interrogé. » Ceci donne une couverture

médiatique davantage anglée sur la joute électorale envisagée comme une course de petits chevaux

ou horse race, c’est-à-dire sur la confrontation entre deux personnalités politiques que tout oppose.

L’auteur estime par ailleurs qu’une couverture d’une élection basée sur la seule et unique

connaissance du vainqueur est « irrecevable. » En effet, pour lui, nous sommes tous capables,

« après une élection, de connaître les vainqueurs et les vaincus. Le principe même de l’élection

étant de les départager » (Lehingue, 2005:323). L’auteur explique qu’il s’agit d’une manière de

modifier l’enjeu d’une consultation ou élection : les candidats ne se battant plus contre leurs

adversaires ou pour convaincre les électeurs, mais pour confirmer ou faire mentir les prédictions des

enquêtes et sondages mis en récit par les médias.

Si la responsabilité n’est pas à imputer complètement aux médias, elle peut être néanmoins

expliquée par trois positionnements décrits par Patrick Lehingue : la distance aux sources

définissant les rapports entre les journalistes et les sources – c’est-à-dire savoir dans la mesure du

possible s’en détacher – la distance aux acteurs, rappelant aussi que les acteurs et critiques du jeu

Page 35: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

35  

politique sont utilisés pour relayer un verdict clair permettant sans ambigüité de départager

vainqueurs et vaincus et qu’il ne s’agit pas de journalistes, mais plus de communicateurs. Et, enfin,

le dernier positionnement propose l’éloignement des rapports aux concurrents et effets de

distinction – c’est-à-dire cette envie de vouloir toujours tenter de se démarquer des concurrents

jusqu’à surenchérir sur l’innovation de la nouvelle.

Les journalistes, dépendants du système politique, peuvent éprouver des difficultés à se séparer de

leurs sources, puisqu’elles leur sont utiles pour prévoir l’issue d’un résultat politique. Ils dépendent

des nouvelles sources du travail journalistique, comme les instruments de mesure d’une opinion

publique variable (statistiques, enquêtes, sondages), décisive et trop méconnue dans la couverture

qu’ils font d’une élection ou d’une consultation. Si les chroniqueurs ne prévoient pas l’évènement,

ils sont par contre sommés de produire des récits novateurs renouvelant à des intervalles réguliers le

stock des intrigues qui permettrait de capter et de retenir l’attention des lecteurs, auditeurs et

téléspectateurs.

1.3 - Les facteurs sociodémographiques Une autre manière de concevoir la dimension politique du journalisme politique est de

s’interroger sur les conditions culturelles, organisationnelles, institutionnelles, économiques et

techniques dans lesquelles les journalistes exercent leur profession. Selon cette approche, il s’agirait

de « considérer les caractéristiques individuelles des journalistes comme un ordre de facteurs qui

“médiatisent” en quelque sorte l'action des autres facteurs, culturels, économiques, techniques,

organisationnels ou professionnels » (Charron, 2011 : 15). D’ailleurs, de nombreuses études en

sciences politiques et sciences de la communication s’intéressent à l’analyse du profil

sociodémographique des journalistes politiques.

Par exemple, certaines recherches effectuées sur les journalistes politiques américains montrent que

ces derniers « ne forment pas un groupe homogène, ne sont pas pour autant représentatifs de

l'ensemble de la société (…) proviennent et appartiennent à la classe moyenne (…) Les hommes et

les Blancs sont surreprésentés et sont plus scolarisés que la moyenne » (Charron, 2011 : 16).

Des caractéristiques qui, selon Jean Charron, « s’apparentent davantage à celles des décideurs

politiques et économiques, qui sont leurs informateurs, qu’à celles du reste de la population qu’ils

sont censés informer » (Charron, 2001 : 16).

Page 36: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

36  

Daghmi Fathallah, maître de conférence à l’Université d’Angoulême en sciences de la

communication, a d’ailleurs mené une étude en 2006 visant à comprendre les relations entre

journalistes et identité en Martinique. Cette dernière révèle que les journalistes, par la manière dont

ils couvrent les nouvelles, quels que soient les sujets, participent à la construction d’une notion

politique et anthropologique sur fond identitaire.

À partir d’une étude de contenu, la chercheuse a pu ainsi élaborer une première explication

concernant les controverses d’actualité en Martinique. Elle explique notamment que les identités

politiques et culturelles ne peuvent être vraiment cernées dans le travail journalistique, mais qu’elles

sont mises en avant par d’autres éléments comme les récits des aînés, les valeurs, les figures

emblématiques et les catégorisations antithétiques. Autant de filtres par lesquels, selon elle, passe le

discours public.

Elle explique ainsi l’intérêt prononcé des journalistes martiniquais dès qu’il s’agit d’un évènement

en lien avec l’identité, l’origine ou l’histoire. Ces derniers seraient aussi victimes d’un schéma

intellectuel, d’une certaine conception de l’information remontant aux années 1970-1980,

considérée comme une référence et difficile à actualiser :

[Les journalistes] ne semblent pas renouveler leurs approches, ni intégrer l’évolution de la société et notamment celle de la recherche en sciences sociales. [Ils] construisent leur récit à partir d’un ensemble d’évidences et de stéréotypes qu’ils ne songent pas à réinterroger, à remettre en cause ou, parfois, à actualiser. (Fathallah, 2006 : 103-116)

Ces derniers éléments nous permettent donc de supposer que la pratique du journalisme politique

pourrait dépendre du contexte social dans lequel se retrouvent les journalistes. L’environnement

dans lequel ils opèrent et auquel ils sont pleinement intégrés donne les codes et usages de leur

pratique professionnelle :

Par un processus de socialisation, les journalistes apprennent à penser non seulement leur métier, mais le monde dans un cadre de pratique et de formation professionnelles. Ce qui, apparemment, peut sembler relever de la personnalité des journalistes doit, pour une bonne part, être considéré comme relevant d'un ordre social et organisationnel plutôt que d'un ordre individuel. (Charron, 2001 : 17)

Page 37: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

37  

En Guyane, rares sont les recherches empiriques réalisées sur ce sujet. Bien que certaines

explications concordent avec celles proposées par Daghmi Fathallah, il serait nécessaire de vérifier

ces suppositions en s’inspirant de l’histoire, la culture et l’identité propre au département, comme

nous l’avons esquissé dans la première partie de cette recherche.

1.4 - Les processus organisationnels et économiques

Le dernier outil permettant l’étude de la valeur politique du journalisme politique serait

d’étudier le fonctionnement, les structures et les pratiques des médias, vus comme un lieu où

s’exerce un certain pouvoir. Le journaliste est ainsi remis dans un contexte de production de la

nouvelle et qui détermine les caractéristiques de cette dernière. Ces critères journalistiques

s’intègrent à un processus de production des nouvelles qui ne sont que des procédures appliquées

par les médias et qui concernent aussi bien le repérage et la collecte de données que la

catégorisation, l’interprétation, la hiérarchisation, la mise en forme et la diffusion de l’information.

Ces critères sont appris et constituent les bases à partir desquelles s’exerce la profession

journalistique, qu’ils s’agissent par exemple des codes de fonctionnement comme des règles

d’écriture du type 5W+H ou encore la pyramide inversée34 :

Les chercheurs conçoivent alors la nouvelle davantage comme un produit organisationnel que comme un témoignage individuel. L'idée que la nouvelle est le produit “manufacturé” d'une organisation, qu'elle est “construite” supplante l'idée que la nouvelle est le reflet de la réalité. (Charron, 2001 : 17-18)

Le journal ou le bulletin de nouvelles est avant tout un produit distribué selon sa périodicité à un

réseau de lecteurs, d’auditeurs et de téléspectateurs. Le travail journalistique, lui, est conçu comme

une production de nouvelles, c’est-à-dire soumis à des contraintes organisationnelles et

économiques. Jean Charron en recense quatre. La première consiste à assurer un approvisionnement

perpétuel de « matière première – les évènements – dont la qualité peut être contrôlée ». La

seconde est de garantir la « rapidité d'exécution qui respecte le cycle temporel de production –

horaire, quotidien, hebdomadaire, mensuel – selon la périodicité. La troisième est de garantir « une

                                                                                                               34  Il existe cinq questions fondamentales auxquelles les productions journalistiques doivent répondre : « Who » « What » « Where » « When », « Why » + « How ». La pyramide inversée correspond à une technique rédactionnelle qui met en avant l’information la plus primordiale et récente à la moins importante.  

Page 38: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

38  

division non conflictuelle du travail » et, enfin, la quatrième, de répondre « aux attentes du marché,

les producteurs incorporent ces exigences dans une culture professionnelle et organisationnelle »

(Charron, 2001 : 19) dans un ensemble de règles et techniques rédactionnelles intégrées à des

conventions, codes d’éthiques et déontologie du journalisme pour permettre de répondre aux

impératifs de la production commerciale de la nouvelle.

L’auteur explique par la suite que ces contraintes peuvent changer, voire disparaître sous réserve

d’un changement qui émane des journalistes avant tout. Ces derniers ne peuvent se défaire de la

routine imposée par leur formation ou les critères de production et diffusion de la nouvelle sans le

concours et la tolérance accordée par l’entreprise. Ce qui permettrait aux journalistes qui sont à la

hauteur de leurs idéaux de moins se focaliser sur les objectifs commerciaux souhaités par les

propriétaires et chefs d’entreprises :

Tant que les journalistes adhèrent aux normes professionnelles et que, par la routine et par des manières habituelles et convenues de faire les choses, ils contribuent à l'atteinte des objectifs de l'organisation, la direction peut leur laisser une certaine marge de manœuvre, d'autant plus grande que les profits seront jugés satisfaisants par ceux que cela concerne. Dans ce contexte, les journalistes peuvent agir (ou avoir l'impression d'agir) pour des motifs personnels, professionnels ou institutionnels, et non en fonction des objectifs commerciaux des propriétaires et de la direction de l'entreprise. (Charron, 2001 : 24-25)

Le journalisme est souvent perçu comme une profession garantissant le fonctionnement d’une

société en bonne santé. Cette perception a donné lieu à considérer les médias comme un

« quatrième pouvoir », un « contre-pouvoir » ou même des « chiens de garde de la démocratie35».

Mais quels liens peut-on établir entre le travail journalistique et la préservation d’une société

démocratique ?

                                                                                                               35 En référence à l’essai de Serge Halimi, « les nouveaux Chiens de garde » paru en 1997.

Page 39: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

39  

2) La pratique du journalisme en démocratie

Le journalisme, qu’il ait une dimension politique ou non, est avant tout une profession. Comme

le souligne le Guide de déontologie de la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec

(FPJQ), le journaliste, est avant tout « un témoin qui rapporte le plus fidèlement possible les faits

importants de la vie de notre société. Il est responsable d'une bonne partie de l'information de ses

concitoyens et en ce sens il joue un rôle central dans une démocratie. » C’est donc sur les bases de

cette définition que nous nous intéressons ici au journalisme, tel que pratiqué ou devrait être

idéalement pratiqué dans une société démocratique.

2.1 - Les liens entre journalisme et démocratie

En quoi le journalisme a-t-il un ou des liens avec le bon fonctionnement de la démocratie ? Est-

ce parce que l’exercice de ce métier garantit une certaine liberté de dire, montrer ou écrire la société

telle qu’elle peut être perçue ? Ou, au contraire, est-ce une idée qui appartient à une sorte

d’imaginaire collectif, faisant du journaliste le garant d’une information juste et équilibrée ?

Dans son étude, Géraldine Mulhmann, journaliste et enseignante en France, propose le lien que l’on

pourrait faire entre le journalisme et la démocratie. Elle donne une définition du journalisme fondé

sur un jeu avec les institutions démocratiques. Un jeu qui permet à la fois de rendre compte des faits

et d’éviter l’éclatement de la société, de représenter et donner la parole ou accorder une certaine

visibilité au collectif :

Les institutions démocratiques jouent le conflit social et par là, loin de le résoudre, de l’abolir, lui permettent de se déployer sans conduire à l’éclatement de la communauté. Or, parmi les institutions démocratiques modernes, l’une d’elles est particulièrement adaptée à cette exigence de jouer, de représenter, de rendre visible ; l’une d’elles peut être spécifiquement définie comme une instance consacrée au “voir” collectif. C’est le journalisme. (Mulhmann, 2004 : 275)

Ce jeu de représentations, de visibilités serait donc l’un des premiers liens à faire entre le

journalisme et la démocratie. Selon l’auteur, le journalisme pourrait permettre à la démocratie de

réaliser une alliance entre l’unité et le conflit social. Une association jugée impossible, mais que le

journalisme réussit à tempérer et équilibrer. Qui dit jeu de représentations dit acteurs. À ce sujet,

Page 40: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

40  

plusieurs thèses ont été émises. Les médias sont-ils acteurs ou spectateurs des évènements dans la

société ? Selon Géraldine Mulhmann, la modernité politique a créé trois personnages distincts de

l’époque où différents rôles étaient endossés par les mêmes personnes : l’acteur (l’État), l’auteur (le

peuple), le spectateur (le journaliste). Une perception qui finit par replacer le journaliste dans son

rôle premier, le témoin d’une réalité et d’un évènement qu’il propose à l’acteur et l’auteur :

Qu’on le veuille ou non, les journalistes sont devenus les “yeux” de la communauté politique, et du coup, aussi quelque chose de précieux et de fragile, à “protéger”, parce que ce sont eux qui font vivre, précisément, l’espace des regards, c’est-à-dire peuvent offrir à la démocratie cette “issue symbolique” lui permettant de réaliser son essence énigmatique. On doit être exigeant lorsque l’on définit les implications qu’un tel rôle suppose ; mais on ne peut nier que ce rôle leur revient. (Mulhmann, 2004 : 276)

En permanence en lien avec la société civile, le travail des journalistes se retrouve souvent au cœur

des débats publics. Cette réalité a créé la nécessité d’évaluer le rôle des journalistes dans la société.

Si certaines thèses accordent le bénéfice du doute à la responsabilité individuelle du journaliste, par

exemple dans la perception que les citoyens ont d’un événement, d’autres thèses reviennent sur

l’importance de poser les bases d’un idéal journalistique à atteindre.

Selon le modèle proposé par Dominique Wolton, trois acteurs participeraient à la formation de la

chose publique et politique : l’acteur politique, les médias et l’opinion publique. Les trois

permettant le bon fonctionnement de l’outil démocratique puisqu’ils participent, à leur niveau et en

fonction de leurs missions respectives, à « l’interaction de discours contradictoires tenus par des

acteurs qui n’ont ni le même statut, ni la même légitimité, mais qui avec leurs positions respectives

dans l’espace public constitue en réalité la condition de fonctionnement de la démocratie de masse »

(Wolton, 1989 : 28). Ce processus continu, est selon l’auteur « alimenté par les problèmes

politiques du moment et se clôt régulièrement par l’intermédiaire des élections qui, dans le système

politique démocratique, viennent fermer un espace de communication politique et en ouvrir un

autre » (Wolton, 1989 : 29).

Le modèle, ainsi expliqué, revient sur plusieurs éléments qui semblent intéressants pour notre étude

de cas sur les consultations publiques en Guyane française de janvier 2010. D’abord, le lien entre

médias, acteurs politiques et opinion publique vu comme :

Page 41: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

41  

Une sorte de complémentarité naturelle qui s’établirait entre les trois [acteurs] : l’action aux hommes politiques, l’information aux médias et la connaissance de l’état de l’opinion aux sondages. Chacune des trois composantes de la politique moderne ne pouvant exister sans l’autre et constituant en quelque sorte son contrepoids mutuel (Wolton, 1989 : 28-29).

Telle que conçue, la communication publique apparaît donc comme « le facteur d’organisation de

l’irrationalité politique dans un cadre communicationnel » (Wolton, 1989 : 29), un cadre où le

rapprochement entre les différents acteurs se fait d’une manière ou d’une autre comme un

compromis communicationnel. Ce consensus entre ces trois acteurs qui poursuivent des intérêts

différents est, ensuite, un point de rencontre entre la logique fonctionnelle de la gestion de la société

de masse et la logique normative d’adaptation du modèle de la démocratie.

Pour Dominique Wolton, la communication jouerait un rôle de médiateur entre ces acteurs et

viendrait « au secours de la démocratie », lui permettant « de se transformer en démocratie de

masse. » Ceci expliquerait que ces trois logiques qui constituent la communication politique

(l’information, la politique et la communication) « ne sont pas complémentaires, mais au contraire

conflictuelles et c’est leur interaction qui structure la communication politique considérée non pas

comme un espace de communication, mais comme un lieu d’affrontement de logiques

contradictoires » (Wolton, 1989 : 166).

Dans son texte, l’auteur montre que l’affrontement politique se fait « sur un mode

communicationnel » et que le triomphe apparent de la communication sur la politique est en réalité

à interpréter autrement, comme la condition pour que la politique, comme l'affrontement, existe à

l'échelle d'une démocratie populaire. Ce changement a trois conséquences. La première concerne la

politique qui, dans la démocratie de masse, est inséparable des médias et des sondages qui sont les

seuls moyens pour assurer une certaine « communication » entre les hommes politiques et

l’électorat. La seconde concerne le rôle respectif des sondages et des médias dans la

communication. Leur rôle jusqu’à présent complémentaire va en réalité se différencier de plus en

plus. Si pendant très longtemps, les médias ont légitimé leur rôle par l’opinion publique, il n’en

demeure pas loin que les outils actuels permettant de la connaître sont limités : sondages,

baromètres, statistiques. Et, s’il est vrai que la communication politique a toujours fait intervenir

Page 42: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

42  

dans son schéma communicationnel ces différents acteurs, il faut cependant rappeler que ces

derniers ont toujours eu des rôles différents à jouer :

La communication politique n'est donc pas le triomphe de la forme sur le fond, de la communication sur la politique, mais la mise en lumière de tout ce qui sépare les frères ennemis de la politique démocratique (Wolton, 1989 : 166-167).

Notons cependant une faiblesse majeure à l’utilisation d’un tel modèle. Il y aurait un besoin

d’actualisation à faire en termes des moyens qui sont aujourd’hui à la disposition des citoyens pour

s’informer d’un évènement politique qui les concerne. Dans ce réaménagement perpétuel

technologique et technique, les médias ont comme devoir de se renouveler et d’informer les

citoyens en respectant leur besoin d’information en qualité et quantité.

Cette équation comporte, en période d’élections, de campagne référendaire ou de consultation

publique une inconnue : l’impact réel qu’ont les médias sur les résultats d’une élection ou d’une

consultation. Sont-ils influents ? Si oui, comment ? Et comment être certain de correspondre aux

attentes citoyennes ?

Précisons aussi que notre étude de cas limite de fait notre champ d’analyse. C’est-à-dire que le

terrain médiatique guyanais est tellement particulier qu’il est difficile d’appliquer un tel modèle. Et,

c’est ici que se retrouve la seconde faiblesse du modèle de Dominique Wolton qui, en théorie,

s’applique bien à tous les cas d’étude, mais en pratique nécessite quelques réajustements. Par

exemple, la société guyanaise est typiquement une société construite par les grandes familles où

tout le monde se côtoie et se connait, sans pour autant se poser la question de la distance à établir en

fonction des conventions sociales.

Ensuite, il s’agit d’une société basée sur un concept d’oralité. La radio et la télévision ont bien plus

de succès que la presse écrite. Les informations ne sont pas toujours passées par l’intermédiaire des

médias mais bien plus par un côté informel comme des discussions et échanges en famille ou entre

amis.

L’histoire de la presse guyanaise nous révèle aussi une certaine mainmise politique : la presse était

vendue à la criée dans les endroits les plus fréquentés, les titres principaux appartenaient aux partis

Page 43: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

43  

politiques les plus représentatifs dans les années 1970. Les articles publiés s’inspiraient des luttes

sociales de l’époque. Il existait aussi une certaine tradition de l’opinion et du commentaire

dissimulée derrière le choix des nouvelles abordées de manières différentes en fonction du titre et

de son orientation politique.

Dernière critique, une question fondamentale se pose avec le modèle décrit par Dominique Wolton :

l’opinion publique est considérée comme l’un des trois acteurs. Cependant, elle est définie en partie

grâce aux sondages. Et, les sondages sont basés sur des échantillons qui représentent le plus grand

nombre de personnes en fonction de certains critères.

Or, ces mêmes sondages ne peuvent pas suffirent à définir ce concept d’opinion publique, car

effectués sur un échantillon de personnes choisies et excluant ceux qui ne peuvent pas y répondre.

Comment, par exemple, cibler un consommateur d’information type en Guyane tout en considérant

l’étonnante diversité culturelle et linguistique et des différentes perceptions que les civilisations

présentes sur le territoire ont avec l’information ?

Le problème posé en Guyane était en effet un problème de communication, mais aussi, et surtout

politique. Que ce soit pour l’article 73 comme pour l’article 74, la bonne communication était le

défi principal à relever. En fin de compte, en politique comme en communication publique, il s’agit

de convaincre l’opinion publique. Et, « convaincre est une affaire d’esprit et de cœur, de raison et

de plaisir » (Gingras, 2003 : 3).

2.2 - Quelques principes journalistiques

« Comment faire, comment écrire, pour que ce monde dans lequel nous vivons nous parle »

(Mulhmann, 2004 : 275). Cette interrogation peut être liée aux critiques nombreuses faites sur le

journalisme. Les citoyens représentés par leurs médias se posent de plus en plus de questions sur le

rôle des journalistes dans la perception qu’ils ont d’un évènement. Ces idées sont bien souvent

issues des théories notamment écrites par Noam Chomsky en 200536 et bien d’autres. À tel point

que les idéaux journalistiques et les raisons profondes qui font de cette profession une activité

essentielle pour prendre le pouls d’une démocratie sont oubliés.

                                                                                                               36 CHOMSKY, Noam et W. McCHESNEY, Robert (2005), Propagrande, médias et démocratie, Montréal, Ed.Écosociété, 209p.

Page 44: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

44  

C’est dans ce contexte que Bill Kovach et Tom Rosenstiel ont écrit un manuel répertoriant dix

éléments de ce que devrait être le journalisme, ou plutôt de ce vers quoi il devrait tendre le plus

possible. Revenant sur ce qu’était le journalisme à l’émergence des démocraties en Europe de l’Est,

ils expliquent l’évolution majeure qu’a connue le métier dans cette partie du monde :

What is journalism for ? For the Poles and others in the emerging democracies of Eastern Europe, the question was answered with action. Journalism was for building community. Journalism was for citizenship. Journalism was for democraty (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 11).

L’action consistait donc en la redéfinition de ce qu’était la profession de journaliste ainsi que les

premières personnes visées, les citoyens. La première des actions selon les auteurs suppose une

réelle prise de conscience de la part des journalistes tant sur leur rôle que sur leur mission dans la

société :

The primary purpose of journalism is to provide citizens with the information they need to be free and self governing (…) As we listened to citizens and journalists, we heard that this obligation to citizens encompasses several elements. The news media help us define our communities as well as help us create a common language and common knowledge rooted in reality. Journalism also helps identify a community’s goals, heroes, and villains (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 12).

Pour atteindre cette reconnaissance des citoyens, c’est-à-dire parvenir à ce qu’ils se reconnaissent et

s’identifient à leurs médias, les auteurs ont établi une liste de dix principes fondamentaux du

journalisme ou, en tout cas, ce qu’il devrait être. La première des obligations du journalisme est la

vérité (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 36). Ce principe de vérité doit donner à la nouvelle tous les

éléments qui permettront de la comprendre et de la rendre appréciable par le citoyen. Le

journalisme de vérité s’accompagne donc d’un effort de contextualisation effectué par le journaliste

qui reste loyal avant tout au citoyen (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 52).

Cela signifie, selon les auteurs, qu’avant de se soucier des audiences ou de l’intérêt financier de

l’entreprise pour laquelle il travaille, le plus important est de rester fidèle au contrat social qui fait

que le journaliste représente le citoyen, par ses yeux, ses écrits et ses images.

En d’autres termes, l’intérêt premier du journaliste ne doit pas être de savoir s’il est écouté, vu ou

lu, mais s’il a effectué son travail de manière à représenter le citoyen. Autres principes : le

Page 45: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

45  

journaliste doit mettre l’accent sur la vérification des faits, dires et propos en distinguant le

journalisme d’assertion et le journalisme de vérification et faisant preuve d’un travail réalisé en

toute humilité, transparence et originalité (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 87), il reste indépendant et

libre de ses choix concernant la couverture qu’il fait d’un sujet ou d’un évènement. Cette

indépendance se révèle essentiellement lorsque le journaliste est sur « le terrain ». Elle peut-être

réévaluée par le système de production, mais ne doit en aucun cas être compromise par ce dernier.

L’indépendance telle que décrite par Bill Kovach et Tom Rosenstiel concerne tant le travail

effectué par le journaliste que l’environnement général dans lequel il se retrouve pour l’effectuer.

Les auteurs insistent aussi sur le fait que le travail journalistique doit avant tout amener vers le

débat public :

Journalist have an obligation to exercise their personal conscience (…) Every journalist, from the newsroom to the boardroom, must have a personal sense or ethics and responsability – a moral compass. What’s more, they have a responsability to voice their personal conscience out loud and allow others around them to do so as well (…) We need our journalists to feel free, even encouraged, to speak out and say (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 231).

Le dixième principe expliqué par les auteurs rappelle que la relation entre les journalistes et les

citoyens est bilatérale. C’est-à-dire que même si les journalistes exercent leur profession, en leur

propre conscience, ils se remettent perpétuellement en question dans leur prise de décision, les

citoyens ont, quant à eux aussi, certaines responsabilités :

Citizens have rights, but also responsabilities when it comes to news. They must set aside prejudice and judge the work of journalists on the basis of whether it contributes to their ability to take an informed part in shaping their society. But the way journalists design their work to engage the public must provide not only the needed content but also an understanding of the principles by witch their work is done. In this way, journalists will determine whether or not the public can become a force for good journalism. (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 248)

Les auteurs reviennent aussi sur l’idée qu’une civilisation démocratique est avant tout basée sur

cette force de pouvoir se gouverner seule. La théorie liée à l’idée d’informer – le journalisme – est

Page 46: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

46  

aussi un gage de liberté d’autant important et primordial dans une société qui laisse entrevoir un

avenir avec encore plus d’outils technologiques à la portée de tous :

Civilization has produced one idea more powerful than any other : the notion that people can govern themselves. And it has created a largely unarticulated theory of information to sustain that idea, called journalism. The two rise and fall together (…) Our freedom in digital century does depend on not forgetting the past, or the theory of news it produced, in a surge of faith in technological and corporate rebirth (…) (Kovach et Rosenstiel, 2001 : 255).

Au-delà de ces quelques principes fondateurs de la profession, c’est toute la question de

l’autonomie du journaliste qui est sous-jacente.

2.3 - L’autonomie du journaliste

La pratique du journalisme en démocratie est avant tout une question d’autonomie. Comme

expliqué plus haut, si le journaliste ne se sent pas tout à fait libre de pouvoir exercer sa profession

comme il le voudrait, il est certain que ses productions ne seront pas à l’image de l’idée que l’on se

fait du bon journalisme. Quelle est donc la marge de manœuvre de l’informateur ? Les journalistes

sont-ils totalement libres ou complètement assujettis ?

Pour tenter de répondre à ces questions, Cyril Lemieux revient sur l’idée générale que l’on se fait du

journalisme. Une profession qui est tout sauf complètement libérale, ne serait-ce que parce qu’elle

impose une prise de conscience des réalités économiques, industrielles et qu’elle met en jeu

plusieurs acteurs :

Une erreur classique de perception incline à voir dans le journalisme une profession libérale (…) C’est négliger que ce métier conserve beaucoup de caractéristiques artisanales attachées à ce qu’était son exercice, alors qu’au milieu du XIXe siècle, il n’était pas encore entré dans l’ère du salariat et de la grande entreprise (Lemieux, 2010 : 25).

En théorie, l’autonomie du journaliste semble acquise. Elle appartient à un certain imaginaire sur la

profession souvent en lien avec le journalisme d’enquête, les exclusivités, les scandales politico-

médiatiques, etc. En pratique, le fondement de l’autonomie journalistique réside essentiellement,

Page 47: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

47  

selon Cyril Lemieux, dans des règles – appelées grammaires – qu’ils [les journalistes] ont à

respecter. Selon ce modèle, il existe trois grammaires auxquels les journalistes et leurs

interlocuteurs se contraignent, dépendamment de la situation dans laquelle ils s’engagent.

Ainsi, la grammaire publique correspond aux situations les plus publiques, avec pour règle

maîtresse la distanciation – vis-à-vis des sources, des faits, etc. – et se spécifie dans l’énonciation,

la conservation de l’initiative, le regroupement de l’information, le respect du pluralisme ou encore

la séparation des faits et des commentaires. La grammaire naturelle correspond, pour sa part, aux

situations les moins publiques avec pour règle première l’engagement spontané et la restitution. Sa

spécificité réside dans la personnalité du journaliste et répond à certains usages qui n’engagent que

ce dernier : comment traiter un interlocuteur en entrevue dépendamment du rôle et de la fonction

qu’il occupe, l’intimité qu’il peut avoir avec lui et, enfin, la restitution, par exemple un cadeau pour

remercier de l’information fournie.

À ces deux grammaires s’ajoute celle du réalisme. Cette dernière correspond aux situations réalistes

vécues au quotidien par les journalistes : manque de moyens, de temps pour couvrir la nouvelle,

risque de représailles, etc. Cette dernière grammaire respecte les obligations économiques liées à la

production et à la diffusion, mais aussi au réalisme politique auquel le journaliste participe

(Lemieux, 2010 : 32-33). Cette autonomie dépend donc de plusieurs éléments en fonction du

modèle et de la situation dans laquelle on se trouve.

Selon Cyril Lemieux, l’engagement perpétuel des journalistes ainsi que la règle de grammaire

naturelle qui leur est imposée conditionne leur sentiment d’effectuer un travail perçu comme une

simple production économique répondant aux lois du marché ou du système de l’offre et de la

demande.

Page 48: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

48  

Si les journalistes n’avaient pas à engager régulièrement, dans l’exercice de leur métier, les règles de la grammaire naturelle, notamment dans leur relation avec leur source, et celles de la grammaire publique, notamment dans leur relation au public, le journalisme pourrait s’exercer entièrement dans des formes de vie contraintes. Les journalistes n’éprouveraient, alors, l’irréductibilité de leurs pratiques à un savoir formalisé, ni le sentiment que leur compétence ne se résume pas au seul respect des règles de réalisme économique (Lemieux, 2010 : 35).

Même si les règles imposées aux journalistes sont nombreuses, il est important de soulever qu’il

s’agit avant tout d’une profession dans laquelle les décisions sont nombreuses et quotidiennes :

choix du sujet, des intervenants, du lieu du reportage, sélection et hiérarchie de l’information, du

canal et mode de transmission.

2.4 - L’engagement politique des journalistes

Dans la plupart des démocraties contemporaines, on constate une évolution des relations

entre les médias et la chose politique et publique. Une étude concernant l’engagement des

journalistes réalisée en 2010 par Sandrine Levêque et Denis Ruellan établit d’ailleurs une

classification dressant en cinq niveaux différents de proximité partisane des titres de la presse

française : la presse de parti, le média de service public, les journaux soutenant un positionnement

politique sans soutenir un seul et unique parti, la position politique adoptée par un journal sur une

question en particulier et, enfin, les journaux évitant de prendre position, notamment quand celle-ci

coïncide avec celle d’un parti.

Selon les auteurs, la plupart des médias français actuels se situent au dernier et cinquième niveau.

Ceci est expliqué comme une tendance de dépolitisation de la presse au tournant des années 1990

dans les démocraties contemporaines, principalement occidentales. À partir de cette époque,

l’information brute37 a été considérée comme la garantie d’indépendance des institutions

médiatiques vis-à-vis du pouvoir politique.

                                                                                                               37 Les faits, rien que les faits, juste les faits – règle d’écriture du «journalisme objectif» par excellence.

Page 49: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

49  

[Cette période] prendrait la forme d’un désenchantement des journalistes à l’égard de la politique, c’est-à-dire un amoindrissement de leur croyance en la capacité de la politique à [pouvoir] “changer le monde”, de leur investissement dans un clivage droite/gauche perçu comme porteur de sens et de projets politiques, et de leur respect pour la classe politique (Lévêque et Ruellan, 2010 : 39).

Il semble important de rappeler que la vie politique française a connu un réel tournant au moment

de l’élection de François Mitterrand, à la tête du parti socialiste en 1981. Les changements de

gouvernements ont, selon les auteurs, influencé la perception que les médias peuvent avoir de la

politique et vice-et-versa. Les auteurs reviennent aussi sur un point qui nous semble important de

préciser : l’évolution des générations de journalistes et donc, de leur engagement :

L’ancienne et la nouvelle génération de journalistes politiques n’ont pas vécu les mêmes engagements politiques. Alors que la première a fait l’expérience du journalisme politique dans un champ journalistique où l’embauche des journalistes se faisait avant tout sur des critères partisans (…) ou précisément selon un axe droite/gauche et où le lectorat présentait une certaine homogénéité du point de vue de l’affiliation partisane, la seconde arrive dans un champ journalistique caractérisée par la neutralisation progressive des journaux (Lévêque et Ruellan, 2010 : 39).

La neutralité est souvent l’un des points sur lesquels les journalistes politiques se font

systématiquement attaquer. D’autant plus que dans le système actuel de la presse française et

européenne semble être dans une période de remise en question perpétuelle vis-à-vis des relations

qu’elle entretient à la fois avec la classe politique, mais aussi avec les citoyens. Les scandales

politiques et médiatiques donnent naissance à des thèses et théories sur ce qu’est le bon journalisme

politique. Des critères qui ont évolué au fil des années et des changements de gouvernement allant

jusqu’à se diversifier. Ainsi, les journalistes politiques actuels sont devenus plus ou moins

spécialisés et se sont enrichis d’autres expériences professionnelles :

Les rubricards spécialistes de politique intérieure disparaissent progressivement pour laisser place à des spécialistes successifs ou spécialistes flexibles. Si le turn-over entre services peut être interprétée comme une volonté de soustraire les journalistes politiques à d’éventuelles connivences, il contribue surtout à augmenter le contrôle de

Page 50: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

50  

la direction sur les rédacteurs, qui effectuent de plus en plus un travail de commande, et à limiter leur capacité d’expertise critique, c’est-à-dire d’expression de jugements sur base d’une argumentation documentée et d’une compétence de spécialiste. (Lévêque et Ruellan, 2010 : 41)

Le journaliste spécialisé s’est transformé en journaliste en pieuvre38. À l’heure de la convergence

des médias, des révolutions technologiques, des fusions, il devient un reporter multitâche devant

fournir du texte, des photos, de la vidéo et couvrant tous les domaines, qu’ils soient politiques,

économiques, sociétaux, culturels, scientifiques, nationaux ou encore internationaux.

                                                                                                               38 Référence tirée de l’analyse de Chantal Francœur, professeure à l’UQÀM, publiée par Le Devoir « Portrait critique du journaliste en pieuvre – La couverture multiplateforme à l'heure de la convergence des médias » – Article écrit par Stéphane Baillargeon et publié le 23 avril 2012.

 

Page 51: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

51  

De même que ce qui manque en Guyane, ce n’est pas de « l’huile de

coude » dixit le journaliste de Paris-Match [magazine français], empêtré

dans ces stéréotypes du nègre paresseux, mais plus simplement de la

liberté. Et comme le déclare Arthur Manguer, directeur de la publication

de l’Espoir, périodique guyanais appartenant au Président du Conseil

Général : « pour qu’un peuple puisse vivre dignement, il doit être

informé afin qu’il acquière une maîtrise politique et qu’il soit capable de

prendre ses propres décisions, ses responsabilités ».

(Hamel, 1970 : 4)

Interviewer c’est aller quelque part vers l’inconnu, même quand on

connaît déjà la personne qu’on va interroger et le sujet dont on va traiter.

Chaque fois que l’on se prépare à interviewer quelqu’un, on doit espérer

lui soutirer quelque chose qu’on ne sait pas, une part d’inconnu.

(Sauvé, 2009 : 17)

Page 52: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

52  

PARTIE 3

COLLECTE, TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES

S’interroger sur les défis et limites de la couverture d’un fait politique de proximité et, plus

précisément, sur les moyens à la disposition du journaliste pour le couvrir peut parfois mener à

privilégier des aspects théoriques difficilement applicables dans la pratique. Le choix de notre étude

de cas, les consultations publiques en Guyane française en janvier 2010, est une option choisie pour

nous attarder sur certains points précis de cette pratique professionnelle.

Cette recherche a été effectuée en deux temps sur une période allant de l’automne 2011 à l’hiver

2012. Deux étapes ont été déterminées : la constitution et l’analyse d’un corpus d’archives publiées

et diffusées par les médias locaux et le compte-rendu d’entrevues semi-dirigées d’acteurs de cette

campagne référendaire.

Les articles de presse écrite ont été sélectionnés en fonction des différentes lectures réalisées sur le

sujet39. Nous avons donc choisi d’analyser les plus conséquents publiés notamment par France-

Guyane et la Semaine Guyanaise. Un résumé des émissions diffusées par la presse audiovisuelle,

notamment sur le réseau local radio et télé, sera également fourni puisque les ceux-ci ont pu être

écoutés et regardés directement sur place.

Les entrevues semi-dirigées ont, quant à elles, été réalisées pendant les mois de mai à juillet 2011,

lors d’un déplacement en Guyane. Les personnes interrogées ont été choisies principalement en

fonction de leurs domaines de connaissance du milieu guyanais40 et du sujet de notre étude.

Pour faciliter notre démarche, plusieurs thèmes ont été définis pour chacune des deux analyses. Ces

derniers ont été élaborés à partir des idées récurrentes dans les archives écrites et audiovisuelles,

mais aussi des propos les plus pertinents des personnes interrogées avant d’être formulées en tant

que concepts clés.

                                                                                                               39 Se référer à la première partie de cet essai, section 4.1 « la presse de Guyane ». 40 Précisons que les intervenants ont été choisis essentiellement suite à plusieurs expériences professionnelles vécues en Guyane quelques années auparavant.

Page 53: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

53  

1) Analyse de contenu : articles de presse publiés et émissions diffusées

L’analyse de contenu des articles publiés et des émissions diffusées sur les réseaux locaux nous

permet de comprendre la nature des informations fournies par les médias avant, pendant et après la

période de la consultation publique du 10 janvier 2010. Notons d’emblée la faiblesse quantitative

des articles retrouvés au sujet des consultations publiques, soit quarante-trois, parus entre la fin de

l’année 2009 et janvier 201041. La taille réduite de ce corpus s’explique à la fois par l’état actuel de

la presse locale, tel que décrit en première partie de cet essai, et suggère aussi certaines difficultés

quant à la couverture d’un fait politique au sein d’une petite communauté qui vit au quotidien un

manque de diversité médiatique42.

Les thèmes d’analyse sont élaborés à partir de trois concepts qui nous ont semblé récurrents. Nous

débuterons avec l’omniprésence du langage institutionnel, continuerons avec la couverture dite

« horse race43» et finirons avec l’étude des sources mises en avant par les médias locaux.

Pour cela, nous effectuerons une analyse par période, avec un accent particulier porté sur le moment

considéré comme clé situé avant le scrutin du 10 janvier 2010, date où les électeurs guyanais ont dû

se prononcer en faveur ou non de l’article 74 de la Constitution française. Nous livrerons une

analyse des articles publiés par France-Guyane – le quotidien d’informations régionales – la

Semaine Guyanaise – l’hebdomadaire régional – avant de fournir un résumé de ce qui a été diffusé

à la radio et à la télévision sur le réseau Guyane 1ère.

1.1 - L’omniprésence du langage institutionnel

Le langage institutionnel est défini ici comme l’utilisation d’un vocabulaire et champ lexical

spécifiquement en lien avec la législation et le droit. Entre les mois d’octobre et novembre 2009,

peu d’éléments ont été publiés au sujet de la consultation publique du 10 janvier 2010. Nous

analyserons donc les quelques éléments retrouvés et jugés intéressants aux fins de notre

démonstration.

                                                                                                               41 Une étude qualitative et quantitative a été réalisée dans le cadre d’un cours de « communication politique » en sciences politiques à l’hiver 2011. Cette dernière révèle qu’entre la fin de l’année 2009 et le 25 janvier 2010, le corpus était de 29 articles pour la presse locale, 12 pour la presse nationale basée en France continentale et 2 pour la presse internationale. Soit un total de 43 articles traitant des consultations publiques en Guyane française. 42  Comme expliqué un peu plus haut, il convient de rappeler la situation actuelle des médias locaux en Guyane. Au moment de la recherche, il n’existait sur le territoire qu’un seul quotidien, un seul hebdomadaire et une seule chaîne de radio et de télévision pour couvrir l’ensemble de l’actualité du département.    43 Se référer à la partie 2 de cet essai, section 1.2, « les déséquilibres de la couverture ».

Page 54: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

54  

Un premier article a été publié le 10 octobre 2009 en page 3 du France-Guyane. Titré « L’évolution

statutaire passe par les urnes », il met en avant une décision gouvernementale ainsi qu’une date

officieuse pour la consultation publique, le 17 janvier 2012. L’article résume la proposition

politique du gouvernement français. Il est structuré en cinq parties qui reviennent sur les éléments

jugés importants par le journaliste : les possibilités et issues du scrutin, la place des jeunes partis

politiques, le choix du calendrier44 ou encore le rappel historique permettant de comprendre qu’il

s’agit de la première fois que le gouvernement français demande l’avis aux citoyens alors même

qu’il s’agit d’un vieux sujet.

Sur la même page, un tableau résume les lois et règlementations en dressant une liste de

compétences et de la nature du contrôle de l’État en fonction de l’article 73 ou de l’article 74 de la

Constitution française. Le journaliste, Kerwin Alcide, relève le pari d’expliquer ce qui attend le

citoyen guyanais. Il explique notamment qu’il s’agira de deux scrutins différents, prévus à quinze

jours d’intervalle et n’ayant pas les mêmes enjeux. Pour chacun des scrutins, le journaliste suggère

des issues qui lui semblent possibles :

La première, celle défendue par le Congrès des élus depuis près d’un an, c’est-à-dire l’application de l’article 74 en Guyane. Mais il faudra que les Guyanais approuvent cette vision le 17 janvier45, au premier tour. La deuxième, le non l’emporte le 17 janvier et les Guyanais votent oui le dimanche d’après, acceptant ainsi la création d’une collectivité unique qui exercerait les compétences du Conseil régional et du Conseil général, dans le cadre de l’article 73. Puis la dernière possibilité peu évoquée : le non l’emporte aux deux scrutins. Une possibilité que le Président n’envisage pas, car il estime que “le statu quo n’est pas souhaitable”. Mais certainement pas inévitable. (France-Guyane, 10 octobre 2009)

Par la suite, le journaliste s’intéresse aux incompréhensions et inquiétudes face à l’annonce du

président Sarkozy. Il dresse une liste d’éléments qui s’avèreront par la suite critiqués par les

citoyens, la classe politique et les journalistes. Notons une certaine expression de la peur. Le                                                                                                                44  C’est l’une des critiques que certains acteurs politiques ont faite à l’issue des scrutins. En effet, le calendrier des consultations publiques coïncide avec cette période qui commence au début du mois de janvier et s’achève à la mi-mars. Pendant cet événement, rien d’autre n’a d’importance en Guyane. Le carnaval guyanais est un moment important, reconnu internationalement pour sa richesse et composé de plusieurs traditions et coutumes. On peut donc supposer qu’il aura fallu redoubler d’efforts pour intéresser les citoyens.    45 Au moment de la parution de cet article, la date du premier scrutin était annoncée pour le 17 et non le 10 janvier 2010.    

Page 55: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

55  

journaliste revient sur l’importance de connaître les tenants et aboutissants de cette évolution

statutaire proposée par le gouvernement français. Il rappelle d’ailleurs que cette question est avant

tout historique puisque l’évolution statutaire fait partie des nombreuses promesses faites aux

DROM depuis 1946, date de la promulgation du décret de la départementalisation :

À en croire beaucoup de Guyanais, il est nécessaire de moderniser les institutions. Il est nécessaire de passer à autre chose même s’ils sont encore nombreux à souhaiter plus d’explications avant les deux scrutins de janvier. Des explications pour savoir où ils vont mettre les pieds en adoptant l’article 74 ou l’article 73. Mais là où le bât blesse est avec qui on va évoluer […] La classe politique actuelle [est] accusée d’être responsable de beaucoup de maux de la société guyanaise. Et l’invitation de certains pour un approfondissement de l’article 73 ne fait qu’augmenter ces doutes légitimes. (France-Guyane, 10 octobre 2009)

4 Le second article retenu pour cette période a été publié le 14 novembre 2009, en page trois du

France-Guyane. Il revient sur un évènement qui aura marqué la campagne : plusieurs élus du

Conseil général et de la Région ont convié les citoyens au Palais Omnisports Georges Théolade46

dans l’objectif de les informer sur la consultation publique du 10 janvier 2010.

L’article accuse. L’initiative ne serait en réalité qu’une réunion de propagande. L’auteur, Guillaume

Aubertin, décrit les brochures distribuées à l’entrée de l’infrastructure. Les énoncés sont considérés

comme « sans ambigüité », prenant parti pour l’article 74. Le journaliste revient sur des faits qui

interpellent, par exemple la fermeture des établissements et services publics pour que davantage de

personnes puissent se rendre à cette réunion d’information. Il étaye ses propos avec des déclarations

de citoyens qui expliquent qu’ils ont été obligés de se rendre à cette réunion. Une manifestation

considérée comme « une mascarade [qui ne montrent] que les points positifs de l’article 7447 ».

Les sous-titres et exergues révèlent que l’initiative des acteurs politiques n’a pas été bien perçue par

certains citoyens interrogés par le journaliste. En effet, les déclarations recueillies suggèrent que

certains électeurs se sont retrouvés devant le fait accompli : d’une part soumis à l’obligation

d’accepter l’évolution statutaire et, d’autre part à assister à la réunion d’information.

                                                                                                               46 Ou PROGT. Il s’agit d’une infrastructure où sont organisés des manifestations sportives ou culturelles, congrès et salons et dans ce cas précis, débats politiques. 47  L’article de référence est disponible en annexes E. On y retrouvera notamment l’ensemble des éléments décrits.  

Page 56: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

56  

Le 4 janvier 2010, à six jours du scrutin, le quotidien France-Guyane reste dans le même ordre

d’idées avec un article de la journaliste Audrey Virassamy qui qualifie de « propagande » les

bulletins de vote proposés le 10 janvier. Le titre : « 73 ou 74... C’est dans l’enveloppe » et le lead

explique que « près de 90 personnes ont procédé à la mise sous pli de la propagande pour le scrutin

de dimanche prochain. Les électeurs devraient recevoir mercredi ces documents qui vont les aider

dans leur choix ». Ici, c’est bien le terme propagande qui a retenu notre attention, sachant que la

mise en page met l’accent sur des mots clés pour favoriser l’attention du lecteur avec l’utilisation de

caractères gras.

Entre les mois de novembre et décembre 2009, c’est la presse audiovisuelle qui semble être plus

réactive sur le sujet. Lors de l’écoute et du visionnement de quelques éléments48 diffusés proposés

par nos référents à Guyane 1ère, nous avons choisi de nous intéresser exclusivement à la radio qui a

fourni un panel d’émissions et chroniques diverses. Les éléments ont été écoutés directement dans

les locaux de Guyane 1ère et aucune copie n’a pu être obtenue.

Parmi les émissions retenues, Place publique, Parole de campagne, Sur le vif et A mo ki di49. Cette

dernière est réalisée par le journaliste Bertrand Villeneuve et inspirée principalement des « on-dit »,

rumeurs et ragots. Les chroniques sont en général focalisées sur des aspects spécifiques comme

l’explication et la définition des mots et expressions clés : consultation, référendum, consultation

référendaire, référendum local, valeur uniquement consultative50.

Globalement, les émissions radio et télé tentent de revenir sur les points essentiels de la

consultation avec la vulgarisation des enjeux, les explications du cadre législatif de l’application de

l’article 74 à l’aide d’invités différents, qu’ils soient politiques, artistes, professeurs d’université ou

avocats.

Un point d’honneur semble avoir été marqué par la seule chaîne d’information publique : celui de

montrer sa bonne foi et son empressement à bien couvrir l’évènement. En effet, l’émission Paroles

de campagne diffusée le 7 janvier 2010 revient sur le début de la campagne de la consultation

                                                                                                               48  Notons ici que la liste des éléments diffusés et regardés a été retrouvée à l’aide d’une recherche par mots-clés dans les systèmes d’archives de l’entreprise, conformément à la loi de libre accès à l’information en vigueur en France. Ainsi, vingt-cinq émissions et chroniques diffuées en Guyane par les services de Guyane 1ère pendant la période de la Consultation publique de Janvier 2010 ont été sélectionnées. 49  En créole guyanais, signifie « c’est moi qui le dis »  50 Les éléments ont été diffusés les 15, 17 et 24 octobre 2009

Page 57: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

57  

populaire du 10 janvier. À deux jours du référendum, il s’agit de la dernière des émissions qui

traitera de ce sujet. La chaîne a choisi de suivre des recommandations du Conseil supérieur

audiovisuel (CSA) instaurées et calquées sur les procédés mis en place pendant la présidentielle ou

les législatives. Par exemple, le principe d’équité : les journalistes ont dû former des plateaux

représentatifs des pros et anti 74, alors même que plus de la moitié de la classe politique locale,

selon les entrevues réalisées en Guyane, s’était ouvertement prononcée en faveur de l’article 74.

Aussi, chaque début d’émission ou de chronique rappelle la procédure officielle suivie par la chaîne

locale ; du tirage au sort pour déterminer l’ordre de passage des intervenants à la lecture brute des

recommandations du CSA.

Du côté de la presse écrite, l’hebdomadaire La Semaine Guyanaise, l’édition publiée la semaine du

9 au 15 janvier 2010 fait la « une » sur les nouveaux chiffres de la population : « 213 021 Guyanais

en 2007 et près de 230 000 en 2010 ». Un encart est réservé aux consultations populaires avec la

publication des textes législatifs de référence en question51. Par ce procédé, l’hebdomadaire tente de

replacer le débat dans son cadre juridique et institutionnel alors même que la plupart des éléments

diffusés et publiés par les « concurrents52 » commentent et discutent du cadre de la loi et du meilleur

choix à faire, bien souvent selon les élus et parfois les journalistes eux-mêmes.

Cependant, publier de cette manière des textes législatifs peut-il vraiment favoriser la vulgarisation

dans un département où le taux d’illettrisme53 est important et où la connaissance des rouages

juridiques et institutionnels ne va pas toujours de soi ?

1.2 - Une couverture dite « horce race »

En replaçant le débat dans le contexte, deux groupes politiques se sont créés, l’un en faveur du

74 – appelé Guyane 74 – avec plus de la moitié des élus locaux, et l’autre – Guyane 73 –contre

l’évolution statutaire avec les têtes politiques de la majorité présidentielle54. Si l’on en croit les

différentes personnes rencontrées en Guyane au moment de la rédaction de cet essai et même, les

                                                                                                               51 Les articles 72, 73, 74 de la Constitution française ont été publiés dans leur intégralité. 52 Le terme concurrent est utilisé prudemment. En ce sens où le monopole de chaque média dans leur secteur qu’il soit écrit, audio ou visuel ne nous permet pas réellement de parler de concurrence réelle en Guyane. L’information traitée n’étant pas la même en fonction de la périodicité ou du réseau couvert.    53 Comme précisé dans la première partie de cet essai, section 2.2 « Éducation et illettrisme », il convient de rappeler qu’aucune donnée fiable ne nous permet d’affirmer un taux précis concernant l’illettrisme en Guyane. L’étude était en pleine réalisation au moment de la rédaction de cet essai.    54 UPM-droite française, représenté localement par le maire de Cayenne, Rodolphe Alexandre.  

Page 58: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

58  

gan-gan55, il semble que pendant cette période, particulièrement au centre-ville – Cayenne – tout

semblait rappeler l’esprit d’une véritable séparation entre deux groupes : ceux en faveur de l’article

74 et ceux souhaitant rester sous le cadre en vigueur de l’article 73.

Suite à l’analyse des archives de la presse écrite et en se positionnant en tant que lecteur, aguerri ou

non aux affaires politiques guyanaises, on se retrouve confronté aux intérêts de deux camps. Notons

d’ailleurs l’utilisation d’un champ lexical relatif à la bataille « camp », « pro-73/74 », « gagner »,

« offensive ». Les médias ne parlent plus d’une consultation publique mettant en scène l’acteur

politique qui s’adresse à un citoyen en lui proposant des idées, mais exclusivement d’un

affrontement entre deux groupes politiques qui s’opposent en stratégies, méthodes, avis,

explications et opinions, tout comme une réelle élection.

Ce procédé est clairement celui d’une couverture envisagée comme une « horse race » ou la course

de petits chevaux56, c’est-à-dire une couverture basée sur la stratégie des différents candidats à

défaut de l’être sur les enjeux de la consultation publique.

Le 6 janvier 2010, le quotidien France-Guyane publie un article titré « Face à face » dont l’idée est

d’opposer deux candidats sur plusieurs dossiers locaux. Les articles sous forme de questions-

réponses sont disposés côte-à-côte avec une photo des deux candidats. D’un côté Hélène Sirder,

conseillère régionale et municipale de la ville de Cayenne57. Elle explique qu’il vaut mieux « un 73

bien appliqué qu’un 74 mal préparé ». Et de l’autre, Georges Patient, Sénateur-maire de la ville de

Mana58, qui souligne que « l’article 74 offre une grande liberté d’action ».

Les deux interviewés vont alors « s’affronter » sur plusieurs thèmes : la départementalisation, les

avantages et les inconvénients de l’article 74, la date choisie pour la consultation, le changement de

la classe politique, le choix d’un véritable projet de société. Et, leurs réponses s’orientent en

fonction de leur paroisse politique. Nous pouvons alors nous interroger sur les raisons du choix des

acteurs politiques des villes de Cayenne et de Mana ? Est-ce que cela suggère des avantages et

inconvénients particuliers ou même, un cadre d’application autre de l’article 74 pour les deux

communes ?

                                                                                                               55 Signifie les aînés, personnes âgées ou personnes ayant du vécu et de l’expérience. 56 Se référer à la seconde partie, section 1.2 « les déséquilibres de la couverture ». 57 Chef-lieu, situé sur le littoral atlantique. Se référer à la carte géographique en annexe A. 58 Commune située au nord-ouest. Se référer à la carte géographique en annexe A.

Page 59: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

59  

Aussi proposé par France-Guyane, dans un article paru le même jour, une tentative de réponse des

journalistes adressée directement aux citoyens. Le titre59 propose un dialogue, une tentative de

répondre aux nombreuses interrogations des citoyens. Une formule dans laquelle des questions de

lecteurs ont été choisies via le site Internet. Les réponses sont brèves, affirment ou contredisent sans

réelle contextualisation ou rappel des sujets abordés. Supposons par exemple que tous les Guyanais

inscrits sur les listes électorales ne soient pas au fait des dossiers locaux abordés, une telle formule

pourrait assombrir plus qu’éclairer.

Ainsi, on peut supposer qu’à défaut de ramener la proposition politique à la hauteur citoyenne, les

journalistes ont exclu le citoyen de ce débat en lui imposant une personnification des idées

incarnées par les représentants politiques – camps pro-73/74 – sans faire de distinction entre les

faits et les effets : ce que dit la législation, ce que pense le politique, ce qui est vérifiable et tangible,

ce que propose le gouvernement français et les raisons pour lesquelles le citoyen est consulté.

Autre phénomène, celui relatif à l’interprétation des résultats. La « une » du France-Guyane est

parlante : une photo du groupe politique vainqueur – Guyane 73 – fêtant « leur » victoire en buvant

du champagne en titrant : « C’est non! » ou « La Guyane qui dit non », suivi d’une photo montrant

les portes fermées des quartiers généraux de ceux qui ont perdu – Pro-74 – affirmant leur

amertume. Plusieurs réactions d’acteurs politiques sont mises en avant. Il est certain qu’en

demandant à des politiciens leur avis, ils seront, soit réjouis s’ils ont gagné ; soit déçus s’ils ont

perdu. Par conséquent, toute explication provenant d’eux, non pas qu’elle ne soit pas intéressante,

semble bien plus le fruit d’une interprétation personnelle exprimée sous le coup de sentiments,

amertume ou joie. Se focaliser sur les réactions de Christiane Taubira ou Rodolphe Alexandre60 est

un procédé qui semble donner plus d’importance à l’opinion et au jugement, bien qu’ils soient

différents en fonction des paroisses politiques. Remarquons aussi d’après les éléments à notre

disposition qu’il n’y a pas eu d’explication strictement apolitique des résultats des consultations,

exception faite de quelques tentatives prenant en considération le taux d’abstention61.

                                                                                                               59 « La consultation en vingt questions » article publié le 6 janvier 2010 dans le France-Guyane et disponible en annexes.  60 La première est députée de la première circonscription en Guyane et en faveur de l’article 74 et, le second est le maire de Cayenne en faveur de l’article 73. 61 Au scrutin du 10 janvier 2010, le taux d’abstention était de 51,84% et 70,22% des électeurs ont voté en faveur du « non » à l’article 74.  

Page 60: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

60  

1.3 - Les approches et les sources

Selon les articles publiés les 12 et 25 janvier 2010 dans France-Guyane, et la semaine du 16 au

22 janvier dans la Semaine Guyanaise, on note un certain penchant pour une couverture focalisée

sur les personnalités politiques. En comparant les programmes proposés sur les plaquettes

officielles des politiciens et les articles de la presse régionale libre et indépendante, les messages

diffusés ne semblent pas comporter de grandes différences. Les personnalités politiques ont imposé

un cadrage, l’opposition entre les « camps » 73 et 74. Les médias, eux, ont utilisé ce même cadrage

en restant fixés sur des propos de campagne. La plupart des articles titrent d’ailleurs sur les activités

des groupes politiques, entre les réunions, les rencontres et opinions des élus. Et, les citoyens

n’interviennent qu’à de rares occasions à quelques jours du scrutin, via des questions-réponses ou

vox populi pour interroger les élus ou les invités.

Autres sources récurrentes, les juristes, avocats et universitaires. Ces derniers ont été mis en avant

par les médias pour expliquer l’enjeu du débat et la législation. Il faut tout de même préciser que

toute la question de cette consultation publique avait un lien avec le droit public, d’où l’importance

de replacer le débat dans son contexte. D’un autre côté, en apportant un regard strictement législatif,

n’était-ce pas une manière de s’éloigner des citoyens et de promouvoir l’aspect législatif à défaut de

tendre vers la vulgarisation, représentativité et concrétisation des éléments ? À la télévision et à la

radio, de nombreuses personnes se sont retrouvées à prendre position sans forcément avoir une

réelle légitimité dans le débat. Il s’agissait de porte-parole d’organismes, d’associations sportives ou

culturelles. Ce qui révèle bien que l’ensemble de la population vivait aux rythmes 73 et 74.

2) Entrevues des acteurs clés

Les entrevues ont été réalisées pendant l’été 2011. Enregistrées et retranscrites dans ce travail,

elles rapportent les différentes visions de 17 acteurs de l’évènement, qu’ils soient journalistes,

sociologues, écrivains, professeurs ou observateurs de la société guyanaise. Nous avons évincé le

regard strictement politique sur le sujet, les élus locaux n’ont donc pas été contactés pour une

demande d’entrevue ou informés de notre recherche. Aux fins du traitement de nos entrevues,

plusieurs thèmes ont été prédéfinis en fonction des propos les plus récurrents. Nous livrerons les

différentes perceptions traitant de la couverture médiatique de la consultation publique, la

représentativité des médias locaux, l’explication des enjeux du débat et quelques observations sur la

pratique du journalisme politique en Guyane.

Page 61: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

61  

2.1 - Regards croisés sur la couverture de la consultation publique

Avant toute chose, il nous a semblé pertinent de croiser les regards sur la couverture médiatique

de la consultation publique du 10 janvier 2010. D’abord entre les journalistes qui sont intervenus

sur différents médias et, ensuite entre d’autres acteurs à qui nous avons demandé de décrypter le

sujet en fonction de leur domaine de connaissances. Certaines visions se contredisent et d’autres se

complètent, mais elles apportent toutes, à des niveaux différents, certaines clés de compréhension.

En poste en tant que présentateur-télé au moment de la consultation, Alexandre Rozga, journaliste à

Guyane 1ère, était en charge d’émissions politiques. Il explique la grande différence entre un

référendum et une consultation :

Le référendum impose une obligation à celui qui l’organise de tenir compte du résultat, la consultation non. Toute la nuance du terme elle est là au niveau juridique. Donc il s’agissait bien d’une consultation populaire, c’est-à-dire qu’au niveau des effets, le président de la République, même si politiquement on a du mal à l’envisager, peut très bien ne pas suivre le résultat.

Selon ses propos, de nombreux journalistes ont hésité sur le terme à employer pour qualifier

l’évènement, soit par méconnaissance du sujet, soit par insuffisance en culture politique et

institutionnelle :

Quel terme employer? Même si le terme référendum l’a emporté, cela prouve que les politiques eux-mêmes ne disposaient pas de la culture politique, de la culture générale au départ, de la connaissance fondamentale du processus juridique pour en parler.

Pour le présentateur, le principal problème était en lien avec la connaissance des enjeux réels de la

consultation publique. Il nous a confié notamment que la classe politique, selon lui, ne maîtrisait pas

toujours le sujet et se retrouvait, la plupart du temps, dans l’impossibilité de répondre précisément

aux interrogations. L’autre problème concernait le manque de prise de distance des acteurs

politiques qui, selon lui, n’ont pas su aller au-delà de leurs idées politiques :

Dès le départ, il y avait une difficulté pour eux-mêmes [les politiques] d’en parler de manière distanciée et non

Page 62: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

62  

pas de tenir des discours tout faits par rapport à leurs chapelles politiques. Ça fausse le débat aussi : quand on a quelqu’un d’intellectuellement honnête qui connaît le sujet, il arrive quand même à prendre de la distance et arrive à tirer des conséquences de manière distanciée. On est censé être des journalistes professionnels, on est censé avoir un certain nombre d’années derrière nous, il y a un travail personnel de recherche, d’information à faire.

Kerwin Alcide, rédacteur en chef adjoint de France-Guyane, pense qu’un élément particulier a

faussé l’entièreté du débat : celui du lien établi avec les aides sociales accordées à la population.

Pour contextualiser, avant même le début de la campagne, une élue a prétendu à la télévision que le

changement de statut conditionnerait l’accès aux aides sociales des Guyanais. Ceci sans être

contredit par le journaliste alors même que de nombreuses personnes vivent aujourd’hui en Guyane

principalement de ces aides-là. Il explique qu’à partir du moment où les politiciens ont fait appel à

cet argument, le débat était clos et le vote déjà conclu :

Il ne faut pas perdre de vue que la population guyanaise n’est pas une population qui va chercher l’information. Ils prennent pour argent comptant tout ce que disent les médias. Il ne faut aussi pas perdre de vue que la participation était très faible. La question était très ambigüe, on a eu une foule de politiciens qui ont dit tout et n’importe quoi.

Ce dernier a aussi reconnu que les initiatives ont été quasi inexistantes de la part des journalistes qui

ont plus suivi ce sujet en fonction des acteurs politiques, avouant ainsi un manque d’anticipation et

la difficulté de relayer la complexité du débat :

On n’a pas trop devancé l’actualité, plus fait un suivi en fonction des politiciens en essayant de leur poser des questions. Cette consultation était surtout un problème d’explication de textes, donc on a tenté d’expliquer de quoi il s’agissait exactement, les différences fondamentales pour les deux articles.

Un propos étayé par le journaliste-radio Laurent Marot qui est revenu sur la faiblesse du travail

éditorial. À son sens, c’est le rapport complexe entre les acteurs politiques et les journalistes qui

semble avoir faussé la couverture ou en tout cas expliquer sa faiblesse. Il explique que face aux

acteurs politiques, les journalistes sont souvent intimidés et n’osent pas trop les bousculer :

Page 63: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

63  

À mon avis, le travail éditorial a été trop faible. Et je crois qu’ici, on ne remue pas assez les politiques, on est trop timides vis-à-vis des pouvoirs en général. Ce n’est pas une question de descendre les élus, mais simplement de dire que lorsque l’on sent un problème, il faut que l’on les pousse dans leurs retranchements.

Nadine Félix, directrice de l’information à la radio Guyane 1ère, a quant à elle, tenu à relativiser

l’ensemble du travail accompli par les journalistes. Pendant l’entrevue, elle a tenu à rappeler

l’absence de pluralisme des médias en Guyane. Elle estime que cette principale cause pousse les

auditeurs et même les acteurs politiques à mener la campagne directement sur les antennes locales,

ce qui rajoute à son sens une responsabilité supplémentaire :

La campagne s’est beaucoup faite sur notre antenne. Les gens étaient perdus et apeurés. Il n’y a pas eu beaucoup de participation, mais nous avons fait tout ce que nous avons pu. Sans nous, ça aurait pu être pire. Du fait de notre grande solitude ici, on doit souvent repenser la manière dont on travaille et dont on informe. Et ça, ce n’est pas simple.

Chroniqueur pour la même chaîne, Henri Néron a été consulté pour analyser les résultats des

consultations à la télévision et à la radio. Ce dernier se questionne au sujet de l’influence réelle des

médias sur le vote des citoyens. À l’issue des scrutins, certains journalistes se sont interrogés sur le

sens à donner aux résultats. Pour eux, et compte tenu du fait qu’une grande partie de la classe

politique était en faveur de l’article 74, le « non » des citoyens était synonyme d’un certain désaveu

des acteurs politiques actuels. Ce à quoi certains acteurs politiques ont répondu que les médias

n’avaient pas réussi à informer la population avec justesse sur le sens des consultations publiques.

Henri Neron estime que l’électeur guyanais avait tous les éléments permettant de se positionner sur

la question et qu’au-delà de l’incompréhension supposée de l’enjeu, c’est la crédibilité de la classe

politique locale qui a été interrogée par les citoyens :

Je crois que c’est plus une question de savoir avec qui on allait aller de l’avant. Et, je crois que c’est ça qui a le plus joué, la crédibilité de la classe politique. À partir du moment où tout un peuple ne suit plus ses principaux élus, il faut se remettre en question.

Journaliste-radio à Guyane 1ère et auteur de la chronique « A mo ki di », Bertrand Villeneuve,

confirme le précédent propos. Il estime que la critique adressée aux médias concernant le manque

Page 64: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

64  

de transparence n’est pas recevable en ce sens où cela n’a pas réellement eu d’impact sur le choix

des électeurs :

Avec les moyens que l’on a eus et le temps [limité], on a fait le travail correctement (…) C’était aussi aux gens de se renseigner. Qu’aurait-on pu faire de plus ? Est-ce que ça aurait pu changer quelque chose ? D’accord pour se taper dessus quand il faut, mais il faut aussi reconnaître les points positifs.

Le rédacteur en chef de la Semaine Guyanaise, Jérôme Vallette, propose une autre analyse du

travail effectué par les journalistes. Pour lui, les médias en Guyane ont un impact en fonction des

sujets et du support. Il pense par exemple que la télévision et la radio ont plus d’influence sur les

citoyens que la presse écrite. Il aborde aussi l’aspect de la proximité des acteurs politiques et des

citoyens. En effet, en Guyane, chaque personnalité politique est connue personnellement par le

réseau familial ou amical et il n’est pas rare d’entendre parler des élus par leur surnom ou anecdotes

personnelles et familiales :

Tout le monde regarde au moins une fois dans la journée le journal de RFO [Réseau France Outre-Mer, Guyane 1ère] et écoute au moins une fois dans la journée la radio. Et même si on ne veut pas écouter la radio ou regarder la télévision, ce sera fait dans les bus, les salles d’attente et autres lieux publics. Les campagnes à l’échelle d’un pays comme la Guyane où il y a 200 000 habitants, ne se font pas que sur les médias. On est encore dans un pays où les gens connaissent physiquement les politiques et les élus et où ils peuvent encore aller les voir et discuter directement avec eux.

Une précision se doit d’être apportée concernant la légitimité d’intervention de notre prochain

intervenant qui n’est d’autre que l’Évêque de Cayenne. La Guyane a un statut particulier par rapport

à l’Église catholique. Le régime concordataire organisant les rapports entre les religions et l’État en

France de 1801 à 1905, date de la séparation de l’Église et l’État, ne s’y applique pas de la même

manière sur l’ensemble du département. Ainsi, le clergé catholique est considéré comme un salarié

du Conseil Général. Lors de l’extension de la loi de 1905 aux Antilles et à la Réunion, une partie de

la classe politique guyanaise s’est opposée à toute modification de ce système de considération. Et,

actuellement, aucune décision politique n’a réellement remis en cause ce statut exclusivement

Page 65: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

65  

réservé à la religion catholique. Notons cependant que le gran man, chef religieux des Alukus62, est

aussi considéré comme salarié par le Conseil Général. Nous avons donc consulté l’Évêque de

Cayenne, Monseigneur Emmanuel Lafont, considéré comme un observateur souvent questionné sur

des sujets sociétaux. Pour lui, il est nécessaire de rappeler les conditions dans lesquelles les médias

opèrent sur l’ensemble du territoire :

Ces consultations ont montré à quel point certains ne sont pas en mesure de voir les enjeux globaux de ce genre de consultation, je crois qu’on leur a fait peur et qu’on a utilisé l’ignorance. Combien de journaux écrits par exemple parviennent jusque dans l’ensemble des communes de Guyane? Ceux qui sont dans les communes du sud ou sur le fleuve ne sont pas en mesure de s’informer et n’ont pas accès à l’information. C’est une situation de survie. Il faut aller le voir pour le croire.

Serge Mam-Lam-Fouck, professeur d’histoire contemporaine à l’Université des Antilles et de la

Guyane et directeur du Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créolophone (GEREC),

analyse autrement la couverture médiatique de la consultation publique. Il soulève un point que

nous approfondirons davantage un peu plus loin ; à savoir la complexité de l’enjeu social soulevé

par la consultation publique :

En apparence, on avait affaire à un fait politique simple : le gouvernement de la République française a décidé d’organiser une consultation populaire sur une question politique concernant l’aménagement du statut politique du département de la Guyane française. Or, la question du statut politique du département renvoie à une situation politique, culturelle, mais également et oh combien économique. En réalité, à la situation géopolitique de la Guyane française.

Ces différents avis sur la couverture médiatique des consultations publiques nous amènent à nous

questionner sur l’impact qu’ont les médias locaux en Guyane. Étant donné la situation de monopole

médiatique – expliquée en première partie de cette recherche – l’étude de la perception que les

citoyens peuvent avoir de leurs médias locaux, qu’il s’agisse de la presse écrite, de la télévision ou

de la radio, est une piste de réflexion pertinente pour notre sujet d’étude.

                                                                                                               62 Les Alukus sont une communauté autochtone comme expliqué dans la première partie de cet essai, section 2.1 « Cultures et langues ».

Page 66: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

66  

2.2 - La représentativité des médias locaux

La couverture médiatique effectuée au sujet des consultations publiques dépendait, avant tout, de

la compréhension des différents enjeux soulevés par la question posée. Et, comme l’ont suggéré les

premiers interlocuteurs, il nous semblait intéressant de tenter d’apporter des éléments de réponse sur

la relation que les citoyens entretiennent avec leurs médias en Guyane.

Christian Cecile, anthropologue et enseignant à l’Université des Antilles et de la Guyane, nous a

expliqué que cette relation est quelque peu particulière et propre aux sociétés postcoloniales.

Précisons aussi que la société guyanaise s’est formée sur une logique d’oralité et la transmission

non formelle passe avant tout par l’entourage ; ce qui donne de fait, selon le chercheur, un rôle autre

aux journalistes et médias locaux dans la couverture qu’ils font d’un évènement :

Il faut aussi comprendre la place même des médias dans la société guyanaise et la manière dont les gens se représentent les médias. Un média comme Guyane 1ère est un peu idéalisé. Pendant longtemps, c’était le seul média avant l’arrivée des radios libres et de Canal Satellite ou la TNT. Ils occupent le terrain et apportent une certaine crédibilité. Ils restent donc un moyen d’affirmation, de se représenter. Un peu comme l’esprit de la publicité : vu à la télé ou entendu à la radio, ça marche.

Lorsque l’on s’interroge sur l’avenir des médias écrits ou même celui de l’éducation en Guyane et

ce, comme dans la plupart des sociétés créolophones, la question de l’oralité est souvent étudiée.

Même si certains chercheurs ne considèrent pas le recours à l’oralité comme une justification

suffisante à l’impopularité de la presse écrite, il n’en reste que c’est une donnée à ne pas négliger.

Et, s’il est vrai que la société guyanaise est une société en demande d’informations, il est aussi

intéressant de se questionner sur la nature de l’information recherchée. Interrogé à ce sujet,

Christian Cecile estime que les médias locaux doivent avant tout éduquer la population. Et, pour le

chercheur, ce rôle semble être plus prononcé dans le département, essentiellement pour la jeunesse.

Il insiste aussi sur l’idée que le média, pour être compris, apprécié et régulièrement écouté, doit se

rapprocher au plus près de la réalité de l’auditoire qu’il vise, que ce soit par la langue parlée, les

intérêts défendus ou les sujets traités :

Page 67: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

67  

Le média doit tout faire ici, couvrir toutes les informations. Ils ont en Guyane plus qu’ailleurs un rôle d’éducateurs. On est dans une culture où les gens n’aiment pas lire, n’aiment pas réfléchir et préfèrent rire et s’amuser (…) On est une culture orale, comme beaucoup de cultures contrairement à ce qu’on a voulu asseoir [avec la colonisation].

La période coloniale et postcoloniale est une époque où s’est produite une certaine acculturation et

assimilation culturelle et sociale sur les comportements à adopter dans la société au nom du tout

commun. Les comportements ont été calqués sur ceux de la France territoriale, et ce, dans tous les

domaines, la culture, l’éducation, la vie sociale et les comportements. La culture de l’oralité en est

donc a ses débuts et son apprivoisement par les médias locaux aussi :

Les médias qui savent maîtriser la culture de l’oralité auront bien plus de succès : ça passe par l’intonation, une formule complémentaire. Si la radio, ici en Guyane, a encore un peu de succès, c’est grâce à cela. Les animateurs parlent créole, même s’ils le parlent mal, mais ils le parlent. Et ça plaît. Les gens sentent que c’est leur radio. Tout en créant un certain fossé entre ceux qui ne comprennent pas le créole.

Parmi les nombreuses langues et cultures présentes dans le département, le créole guyanais est

majoritaire63. Et, même si la réalité de la diversité linguistique et culturelle n’est pas toujours

adoptée par les médias locaux64, selon Christian Cécile, c’est un élément à considérer lorsque l’on

s’intéresse à la représentativité des médias locaux dans ce département. Il explique notamment que

le média contribue à matérialiser la langue créole par son utilisation en tant que langue permettant

de communiquer un réel message autre que celui issu de l’histoire coloniale. Pendant longtemps, la

langue créole a été perçue comme un vecteur d’insuffisance culturelle65. Les familles ne le parlaient

pas par peur de ne pas être considérées par la société et elles préféraient parler le français de France.

                                                                                                               63 Le créole guyanais est parlé par un tiers de la population. Se référer à la première partie de cet essai, section 2.1 « Cultures et langues » ainsi qu’à l’annexe B, tableau récapitulatif des langues parlées en Guyane, extrait de l’étude d’Isabelle Léglise et Bettina Migge sur les « pratiques et représentations linguistiques en Guyane ». 64 Les premiers programmes audiovisuels en langue créole(s) et autres, bien que peu nombreux, sont relativement récents sur les chaînes locales guyanaises. Exception faite d’Antenne Créole Guyane – une chaîne de télévision locale crée entre 1993/1994 sous le sigle « Kanal Kréyol Cayenne » qui privilégiait les programmes locaux en créole, et qui a été fermée en 2009 – Radio-Guyane [Guyane 1ère] réalisait dans les années 1990 quelques chroniques démystifiant la grammaire créole en plus d’un journal en créole en 2000. Du côté de la télévision, notons l’existence d’une pastille humoristique crée en 2011 et dénommé « A Kouman ? » – « C’est comment ? » – a comme mandat de faire découvrir aux téléspectateurs la multitude des langues parlées en Guyane.  65 Le poète et journaliste guyanais, Léon Gontran Damas (1912-1978), écrivait à ce sujet dans un poème adressé à Aimé Césaire au sujet de son enfance, ces quelques phrases que nous nous permettons de citer : « (...) Cet enfant sera la honte de notre nom/ Cet enfant sera notre nom de Dieu/ Vous ai-je dit qu'il vous fallait parler français/ Le français de France/ Le français du Français/ Le français français/ Désastre/ Parlez moi du désastre/ Parlez-m'en (...) », in « Hoquet », Pigments – Éditions Présence Africaine 1973 et 2003, pages 35-38.  

Page 68: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

68  

Cette perception tend à évoluer avec les années, malgré toutes les difficultés soulevées concernant

les fondements de l’identité guyanaise :

Il faut dire ce qui est, ceux qui aujourd’hui parlent créole sont aussi les héritiers de la culture coloniale. Ils sont nés de ce mélange des cultures. Et cela s’observe également chez les Amérindiens, nos autochtones à nous, et les marrons, ceux qui se sont libérés de l’esclavage. Sur le point de la civilisation créole, c’est très intéressant parce que cette analyse nous permet de comprendre ce qui aujourd’hui a sa place dans les médias locaux.

L’Évêque de Cayenne, Monseigneur Emmanuel Lafont, a tenu à attirer l’attention sur les moyens

d’information dans l’ensemble du territoire. Ayant pu rencontrer de nombreuses communautés, il

pense que le réel problème provient de l’appropriation de l’ensemble de l’espace guyanais. Son

intervention rappelle que cette diversité culturelle et linguistique est souvent négligée. Précisons

que les médias locaux ont tenu pour acquis de communiquer en français ou en créole alors même

que ce ne sont pas les deux seules langues parlées et comprises en Guyane. Aussi, les rencontres

entre journalistes et communautés se font-elles à de rares occasions, en période électorale ou festive

bien souvent ou en cas de fait divers. Cependant, cette difficulté révèle la difficile appropriation

d’un vaste territoire, avec souvent très peu de moyens financiers et techniques, où se côtoient

différentes cultures et où la communication se doit de faire preuve d’imagination :

Il faut se poser des questions sur les moyens que l’on a de les [les communautés] atteindre dans leur langue pour que les choses soient dites de manière à informer sans [être] manipulé par des gens qui cherchent des voies (…) S’ils ne parlent pas français, ils parlent au moins créole, l’aluku ou autre. On parle plusieurs langues dans leurs communes et sur le fleuve.

À ce stade-ci de notre étude, il semble intéressant de rapporter l’observation de Serge Mam-Lam

Fouck, professeur d’histoire contemporaine à l’Université des Antilles et de la Guyane, et directeur

du Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone (GEREC). Ce dernier rappelle

notamment que la culture guyanaise est calquée sur celle de la France territoriale, qu’il s’agisse du

mode de vie ou du système éducatif, institutionnel et culturel. Dans l’ensemble des corps de

métiers, principalement en journalisme et en communication, la formation est avant tout dispensée

selon des codes et principes en vigueur dans les écoles de journalisme en France territoriale et

Page 69: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

69  

l’apprentissage66 de la réalité locale n’est pas toujours perçu comme primordial dans les entreprises

de presse comme dans les centres de formation :

En Guyane, on danse le kassékò 67, on boit du tafia68 et on mange du couac69. Mais on sait aussi apprécier le vin, la littérature ou la musique d’un Mozart. C’est une complexité qui n’est pas toujours saisie par le journaliste. Et ça se voit par exemple quand il a affaire à une population du Maroni, quand il se retrouve face à un bushningué ou amérindien. Fondamentalement, il y a la question du rapport du journaliste aux savoirs qui ont construit ce pays. Et le plus souvent, ils n’en ont pas conscience parce que ce sont des choses qui renvoient à un sentiment intime, personnel. Il en sait si peu sur les personnes qu’il va interviewer.

Les entrevues semi-dirigées ont été réalisées pendant l’été 2011. À ce moment-là, de nombreux

suicides étaient recensés chez les Amérindiens sur le fleuve Maroni. Très vite, le débat a pris une

autre ampleur : avec l’incompréhension généralisée à la fois des médias, mais aussi de la classe

politique, qui ont la plupart du temps expliqué ces drames par l’alcoolisme des populations.

L’historien est donc revenu à cette occasion sur ces liens culturels complexes. Serge Mam-Lam-

Fouck s’est inspiré de la manière dont ont été couverts ces drames pour rappeler les difficultés

qu’éprouvent les journalistes à comprendre la réalité locale. N’étant dans ces communes70 qu’à de

rares occasions, ils peuvent parfois rencontrer certaines difficultés lorsqu’il s’agit de couvrir des

évènements qui concernent ces communautés :

Tant qu’il s’agit de couvrir des évènements qui ont une portée nationale, la compréhension des faits est satisfaisante. Quand il s’agit de couvrir des faits qui demandent une compréhension du savoir par rapport au territoire même, des difficultés interviennent. Prenez le

                                                                                                               66 La Guyane comme les Antilles et la Réunion ne proposent aucune formation en journalisme, les candidats désireux de s’orienter vers cette profession doivent partir en Europe, Amérique du Nord ou ailleurs. 67 Le kassékò – signifie « casser le corps » ou « le corps se casse » – est une danse guyanaise rythmée par les tambours qui aidait à garder la cadence pour tirer les billes de bois. C’est un rythme qui a été crée par les Créoles Guyanais, inspiré des danses africaines et enrichi de la richesse culturelle guyanaise. Il existe plusieurs danses et rythmes en Guyane. Les principaux, en plus du kassékò sont le Grajé, Léròl (et la danse Laboulanjèr), Kanmougwé (ou kamouré), Débòt (ou Débò), Grajévals, Béliya et Labasyou. Le nom Kaseko est aussi utilisé par les Bushinengués des rives du Maroni en Guyane et au Surinam pour désigner un rythme au tambour et sa danse : « le Kaseko Loco ». 68 Appellation donnée au rhum. 69 Farine, semoule à base de racine de manioc. 70 Aucun média local n’est durablement installé dans d’autres communes que celles situées sur le littoral guyanais. Exception faite d’une web-télévision qui couvre l’actualité de l’Ouest Guyanais ainsi que de quelques tentatives sur Internet, aucune entreprise de presse locale guyanaise comme française n’est réellement implantée sur d’autres communes que Cayenne ou Rémire-Montjoly – Voir l’annexe A, la carte géographique de la Guyane.  

Page 70: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

70  

cas des suicides des Amérindiens sur le Maroni, aucun média n’a pu fournir d’explications sur ces drames. Même si on a eu un Préfet qui a essayé d’agir pour comprendre les raisons, on ne sait rien de la vie quotidienne des Amérindiens. Si bien que l’on a tout ramené à l’alcoolisme. Les journalistes interviennent dans une situation originale, mais qui semble ordinaire dans les départements de la République française construite sur l’uniformité culturelle et centralisation des pouvoirs.

2.3 - Les enjeux de la question posée

Nos différents intervenants ont rappelé la complexité de couvrir un sujet comme celui des

consultations publiques. Une complexité qui se révèle par la connaissance de l’auditoire et des

lecteurs comme du territoire sur lequel on opère. Outre l’aspect profondément journalistique en lien

avec l’organisation des rédactions locales, il nous semblait intéressant ici d’utiliser l’entretien avec

Serge Mam-Lam Fouck pour préciser les différents enjeux soulevés par la question posée le 10

janvier 2010, date de la première consultation publique.

Rappelons avant toute chose que la question proposée aux citoyens et couverte par les médias

était de savoir si les Guyanais approuvaient « la transformation de la Guyane en une collectivité

d'Outre-Mer régie par l'article 74 de la Constitution, dotée d'une organisation particulière tenant

compte de ses intérêts propres au sein de la République71».

Selon l’historien, cette question soulève des enjeux fondamentaux. La Guyane est le seul « pays »

non indépendant du continent américain qui a fait le choix de la départementalisation en 1946 pour

sortir du système colonial. Cette question posée aux électeurs guyanais renvoyait à toute la cette

relation ambigüe entre la France et ses départements et territoires d’Outre-Mer. Certains faits

historiques ont laissé des plaies encore ouvertes et ne sont pas toujours abordés en l’absence de

complexes d’infériorité ou de supériorité72. L’exemple le plus édifiant est celui de l’esclavage et de

la traite négrière. Sans la loi de mai 200173, la vulgarisation de la question de l’esclavage et de la

                                                                                                               71  Question officielle telle qu’écrite sur les bulletins de vote - Journal Officiel de la République Française n°0268 du 19 novembre 2009, le 10 janvier 2010.  72 On se réfère ici à l’étude d’Albert Memmi dressant les attitudes du colonisé et du colonisateur in « Portrait du colonisé, portrait du colonisateur », 1957 – Éditions Folio-actuel – 162p.  73  Loi dite Taubira, du nom de Christiane Taubira, députée au Parlement français, 1ère circonscription de Guyane et rapporteuse de la loi. Il s’agit d’une loi mémorielle française reconnaissant les traites et l’esclavage comme crime contre l’humanité adoptée en mai 2001.    

Page 71: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

71  

traite négrière et peut-être même des cultures créoles à travers les médias français n’aurait pas été

aussi prononcée depuis ces dernières années. Le sens de cette consultation, vu par les Guyanais est

donc différent, selon Serge Mam-Lam-Fouck, de la perception française. Il explique ce qu’au

travers de la question posée, c’est la relation entre la France et la Guyane qui était sujette au

changement :

On en est venu à demander aux Guyanais s’ils voulaient modifier leur rapport à la France. En toile de fond de cette consultation, ce sont des non-dits qui sont apparus. Des non-dits qui ont faussé les réponses tout en leur donnant du sens. La Guyane comme la Martinique, Guadeloupe ou Réunion se sont toujours positionnées de deux manières sur ce rapport à la France : d’une part en affirmant ce sentiment d’appartenance en revoyant un destin politique avec ce statut départemental et, d’autre part, en prenant parti d’une autonomie, voire d’une indépendance.

Serge Mam-Lam-Fouck a suggéré un autre cadrage permettant de comprendre l’opposition entre les

groupes politiques en faveur de l’article 73 et ceux soutenant l’article 74. Alors que certains

chercheurs et analystes ont estimé qu’il s’agissait d’un problème identitaire, rappelant les

manifestations contre la vie chère qui ont eu lieu un an auparavant74, le chercheur estime qu’il

s’agissait davantage d’une question de représentativité et d’interprétation du sens de la question

posée aux citoyens.

Il explique que la question du 10 janvier a été reçue comme une demande d’accès à l’autonomie,

voire même à l’indépendance. Une question qui, à son sens, a soulevé l’inquiétude des citoyens

réalistes face à la situation économique du département dépendant de la France continentale dans

pratiquement tous les domaines :

Les Guyanais ont répondu “non” parce que les promoteurs du “oui” étaient en majorité ceux qui ont milité pour l’autonomie, voire pour l’indépendance. Tandis que les partisans du “non” se positionnaient sur le maintien de liens indéfectibles avec la France. Finalement, les enjeux étaient plus dans la répartition

                                                                                                               74  En décembre 2008, après deux semaines de grève en Guyane, les Guadeloupéens ont entamés une grève de 44 jours de blocage, suivis par les Martiniquais et les Réunionnais. La raison concernait à la fois le coût de la vie ainsi que l’augmentation du prix de l'essence outre-mer, gelé à 10 % en dessous des tarifs en vigueur. Mais, en septembre 2010, le gouvernement a majoré de six centimes le prix du carburant. Depuis, le prix ne cesse d’augmenter centime après centime. Pendant ces manifestations, de nombreux groupes nationalistes ont créé des slogans patriotiques et nationalistes relançant certains débats historiques, identitaires et culturels.  

Page 72: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

72  

entre les militants et dans les opinions de ceux qui défendaient l’une ou l’autre des deux positions. » [...] Et, les Guyanais ont toujours interprété les questions posées de cette manière : veut-on s’engager au sein d’une autonomie et indépendance ou veut-on rester au sein d’une République française ? Dans le contexte actuel guyanais, cette question pose un problème. La même question posée ailleurs n’aurait pas eu le même poids. Dans un contexte politique où aucune perspective d’indépendance ne serait entrevue, je suis persuadé que la réponse aurait été oui. La campagne a été menée de telle sorte qu’aux yeux des Guyanais, c’était ça le réel enjeu.

2.4 - Une affaire de pluralisme et de proximité

À travers l’étude de cas des consultations publiques en Guyane française, c’est toute une manière

de travailler qui a pu être abordée avec nos différents intervenants. À savoir, les limites de la presse

guyanaise ainsi que les défis qu’elle doit surmonter lorsqu’il s’agit de couvrir un fait politique de

proximité.

Nos intervenants se sont d’abord entendus sur le problème que pose le monopole actuel des médias

locaux sur l’ensemble du département. Alexandre Rozga, journaliste à Guyane 1ère, présentateur

d’émissions politiques au moment des consultations publiques, revient sur le monopole des médias

locaux actuels. Il estime que ce manque de pluralisme, même s’il donne une obligation morale

supplémentaire aux journalistes, ne devrait pas perdurer au risque d’être considéré comme une

atteinte « grave à la démocratie » :

C’est vrai que c’est d’autant plus grave pour la démocratie que nous sommes le média monopolistique. Il n’y a personne à part nous qui diffusons sur tout le département. Donc nous avons une obligation morale et éthique de justice, d’équilibre que nous devrions encore plus respecter. On ne peut pas travailler qu’avec de l’éditorial, nous sommes un service public. Le pluralisme devrait s’exprimer. Nous, nous sommes du service public.

Catherine Boutet, journaliste-télé spécialisée à Guyane 1ère, apporte une vision plus globale des

défis soulevés par la couverture au quotidien de l’actualité politique. N’ayant aucune réelle

Page 73: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

73  

concurrence sur le territoire, elle est revenue sur l’énorme responsabilité que ce monopole des

médias engendre. Pour la journaliste, être les seuls sur l’ensemble du département peut entrer en

contradiction avec les attentes du public. Bien que les contraintes liées aux moyens de l’entreprise

ou même à l’exercice de la profession soient nombreuses, elle suppose que la concurrence

stimulerait une autre perception de l’actualité politique locale de la part des journalistes, des

entreprises locales et serait bénéfique aux citoyens :

Si on avait de la concurrence, cela nous permettrait d’avoir une seconde source d’information et de nous améliorer aussi. C’est compliqué de parler des gens depuis Cayenne. On est donc obligé d’aller à leur rencontre. Et on va à leur rencontre demain sachant qu’on ne revient pas pour une période de six mois sauf en cas d’élections. On n’est pas assez présents en communes75. C’est un problème d’effectifs et de moyens. Par exemple, s’il y a une pirogue qui chavire sur le fleuve, on ne peut pas y aller, on n’a pas d’hélicoptère, pas de moyens pour couvrir cette partie du territoire. Et ça, c’est une véritable contrainte.

Henri Néron, chroniqueur pour le même réseau, rappelle pour sa part que la principale difficulté

avec ce monopole réside dans la capacité et aussi dans ce besoin du journaliste de prendre du

recul face au fait politique. Il estime que ce qui manque principalement est le recul vis-à-vis de la

nouvelle pour fournir des analyses. Ce dernier rappelle aussi que pour travailler ainsi, il faut se

doter de moyens techniques permettant de le faire. Un élément qui semble manquer, à son goût, est

l’accès et l’utilisation des archives audiovisuelles retraçant la mémoire institutionnelle locale et

nationale :

« En général, quand on couvre un fait politique en région, on prend le temps de s’interroger sur la manière tout en ayant le nez dans le guidon (…) Souvent, on rend compte du fait, conférence de presse, etc. Mais le lendemain, alors qu’on devrait se donner la possibilité de revenir sur ce fait par une analyse ou en faisant référence par une parole tenue par un élu, on n’a pas toujours les moyens de le faire. Et pas seulement parce que le journaliste n’a pas le temps, mais parce que dans nos stations régionales, on n’a pas toujours au niveau du service d’archives des documentalistes à même de renseigner sur l’heure qui suit. »

                                                                                                               75 C’est-à-dire installés dans les communes dites « éloignées » du littoral.

Page 74: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

74  

La proximité est un aspect qui a été souvent abordé par nos intervenants. Il s’agit de la relation que

les journalistes entretiennent avec les acteurs politiques. Cette question, plus que jamais essentielle,

soulève la question de la distance à établir avec la personnalité publique et politique. L’objectif

recherché est de pouvoir fournir aux citoyens une information exemptée de toute pression qu’elle

soit gouvernementale, politique ou même économique76. Cependant, en pratique, la théorie ne peut

pas toujours s’appliquer comme l’explique le rédacteur en chef de La Semaine Guyanaise, Jérôme

Vallette :

Quand on couvre l’actualité politique depuis un certain nombre d’années, c’est normal que l’on se connaisse, mais on tente de garder certaines distances. Le problème du département aujourd’hui c’est qu’il y a une famille qui peut avoir un lien avec de nombreux réseaux, et la proximité est au quotidien. C’est un bon côté pour le citoyen, mais le journaliste doit toujours faire attention.

Pour Christian Cecile, anthropologue et enseignant à l'Université des Antilles et de la Guyane, ces

relations ne peuvent pas être envisagées sans l’étude de l’aspect proximité. Le chercheur revient sur

les relations qualifiées « d’inquiétantes » que les journalistes entretiennent avec les différentes

personnalités lorsqu’ils sont « sur le terrain » :

[Les journalistes locaux] connaissent à la fois les élus et la population. Les citoyens vont alors voter non pas pour un programme, mais pour une personne, par rapport à une histoire, ce qu’il s’est passé, ce qu’ils ont entendu dire, à l’histoire des gens. Si on prend l’exemple d’une personnalité connue nationalement et ailleurs, quand elle revient en Guyane, les gens la connaissent, elle a une histoire locale et ça compte pour le regard. Le rapport avec le politique est très personnel. Dès qu’on est dans un endroit un peu plus petit, c’est comme si on avait un rapport superficiel avec la politique.

Ce rapport jugé « superficiel » renvoie pour le chercheur à une certaine mentalité qui veut que

l’aspect politique ne soit plus considéré de la même manière comparativement aux années

antérieures. Entendons par là le désintérêt de la population vis-à-vis des débats et des dossiers

                                                                                                               76 Se référer à la seconde partie de cet essai, section 2.2 « Quelques principes journalistiques ».

Page 75: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

75  

politiques et sociétaux. L’aspect de la proximité soulève aussi une question d’indépendance du

journaliste.

L’exemple de la Semaine Guyanaise est intéressant. Le principal actionnaire de l’hebdomadaire est

connu en Guyane pour avoir un rôle politique au sein du parti de la majorité présidentielle française.

Cependant, le rédacteur en chef dit conserver une certaine indépendance dans la couverture des

faits, rappelant que c’est l’un des seuls journaux qui publie des reportages d’enquête et

d’investigation en Guyane :

On tente à la Semaine Guyanaise d’être indépendants, malgré les implications de notre directeur de publication qui nous laisse tout de même publier. Le fait par exemple qu’il y ait des journalistes qui soient impliqués politiquement est un peu problématique pour l’ensemble de la profession parce que même si on dit que ça ne choque personne, les gens ne sont pas dupes et ça mène souvent vers une généralisation et une perte de confiance.

Alexandre Rozga est l’un des journalistes que beaucoup accusent d’avoir pris position pendant la

couverture de la consultation publique. Rappelons qu’il était l’animateur-clé des débats politiques

mis en place pour l’occasion et diffusés sur Guyane 1ère. Nous l’avons interrogé au sujet de ces

critiques. Il explique que, selon lui, la prise de position n’est pas à confondre avec la véracité des

faits rapportés :

À un journaliste, on lui demande de l’objectivité intellectuelle. Je peux très bien dire quelque chose à l’antenne de vrai… mais d’orienté. Le procès qu’on doit me faire, c’est de savoir si ce que j’ai dit est vrai, pas de savoir si ce que je dis est orienté. Moi je veux bien qu’on dise que je suis orienté, mais c’est ma liberté de conscience. Mais si je reprends quelqu’un qui dit une bêtise et que les gens prennent ça pour une orientation… connaissant les conditions du débat, j’aimerais plus qu’on me juge sur la véracité des propos.

Catherine Boutet considère, quant à elle, qu’il est vain de vouloir nier le simple fait que le

journaliste peut, lui aussi, avoir une opinion. Cependant, cette dernière précise que lorsqu’on

s’exprime en tant que journaliste, on doit tenter de dissimuler son opinion ou son parti pris :

Page 76: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

76  

On n’est pas neutre. Personnellement, j’ai mon opinion et ma sensibilité. Il faut essayer qu’elle ne transparaisse pas trop. On peut avoir des opinions politiques, mais [ce n’est pas la même chose que d’avoir] un rôle politique77. Maintenant il faut essayer, surtout dans un média public, de ne pas trop les faire transparaître.

Les entrevues semi-dirigées nous renseignent sur le contexte de la couverture médiatique de la

consultation publique du 10 janvier 2010. Un contexte qui n’a pas toujours évident à cerner avec le

recul. Cependant, il est tout de même à préciser que même un an après la consultation publique, la

plupart des intervenants ont su se questionner d’une autre manière sur les défis et limites

rencontrées lors de la couverture d’un fait politique de proximité.

Finalement, ces entrevues ont permis de vérifier nos suppositions et constatations révélées lors de

l’analyse des archives publiées et diffusées entre novembre 2009 et janvier 2010 par les médias

locaux. Ainsi, on remarque que lorsqu’il s’agit de couvrir un fait politique de proximité, les limites

et défis sont aussi bien nombreux que divers.

Nous avons pu en cerner quelques-uns. Il s’agit d’abord de la connaissance au sens large de

l’auditoire et du consommateur d’information. Une donnée qui permet de connaître le destinataire

de la nouvelle, de déterminer ses réels besoins, pour y répondre et être au plus près de sa réalité.

Notre étude de cas a révélé qu’avec la diversité culturelle et linguistique guyanaise, la qualité de

l’information, pour qu’elle soit comprise et appréciée par le public, passe par cette prise de

conscience. Cette connaissance ne saurait se distinguer de l’appropriation réelle du territoire ou du

théâtre couvert par les réseaux médiatiques.

Second point soulevé par la collecte, le traitement et l’analyse des différentes données : le besoin

d’éloignement. Cette distance concerne à la fois le fait couvert, c’est-à-dire le retour à sa

contextualisation et sa vérification, mais aussi la nécessité de s’adresser à différentes sources pour

varier les approches du sujet traité. L’analyse des articles publiés et des émissions diffusées par les

médias locaux nous renseigne davantage à ce sujet, qu’il s’agisse de la stratégie « horse race » ou,

comme l’ont expliqué nos différents intervenants dans les entrevues semi-dirigées, du rapport à

l’acteur politique et de cette proximité perpétuelle avec le public. Cet aspect ne saurait se conjuguer

                                                                                                               77  Comme  expliqué  un  peu  plus  tôt  dans  cette  recherche,  en  Guyane,  certains  journalistes  ont  un  mandat  politique.  Même  s’ils  disent   ne   pas   être   influençables   lorsqu’ils   ont   leur   casquette   de   journaliste,   cela   soulève   néanmoins   certains  questionnements  :  peut-­‐on  assumer  un  rôle  de   journaliste,  de   témoin  de   l’actualité   lorsque   l’on  est   connu  et   reconnu  pour  avoir  et  assumer  des  positions  politiques  ?      

Page 77: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

77  

sans le dernier point, sur lequel nous reviendrons plus tard : l’importance de conserver son

autonomie, en tant que journaliste, et de prendre de la distance vis-à-vis de l’évènement comme des

acteurs ; ceci tout en assurant une certaine proximité.

Page 78: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

78  

Le journaliste doit avoir ses qualités : être honnête, plutôt objectif, c’est-

à-dire ne pas déformer sciemment la vérité, serait-ce que pour étayer un

raisonnement brillant. Il doit être riche en talents assez rares : celui du

contact, du regroupement, terme préférable à celui de synthèse qui

implique trop de réflexion posée, du sous-entendu (…) Ce dont il a

besoin par-dessus tout, c’est d’assez de force d’âme, ou de subtilité, pour

échapper à tous les conditionnements auxquels il est soumis. Ne pas

écrire tout ce qu’il pense, soit, mais penser tout ce qu’il écrit.

(Rossi-Landi, 1969 : 213-214)

Il n'y a pas de grands ni de petits médias. Les médias, comme les

hommes qui les font, naissent égaux en droits et en devoirs. En vérité, il

n’y a que de grands et de petits journalistes, comme il n’y a que de

grands et de petits esprits.

(Safir, 1998 : 4)

Page 79: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

79  

CONCLUSION

Cette recherche sur les défis et limites liés à la couverture d’un fait politique de proximité

nous renseigne sur les outils permettant d’offrir au citoyen une information exacte et vérifiable ;

tout en respectant les contraintes liées à la production de la nouvelle. Ces limites et ces défis,

auxquels un journaliste peut être confronté sur « le terrain », sont nombreux et varient en fonction

du lieu où il opère. À l’aide de notre étude de cas, relative aux consultations publiques de janvier

2010 en Guyane française, nous avons pu identifier certaines de ces difficultés et, proposer quelques

clés de réflexion.

Parmi les principales tendances observées, la première correspond à la nécessité, pour le journaliste,

de s’éloigner de l’évènement comme des sources consultées. Par cette distance établie, ce dernier

conserve non seulement son autonomie, mais aussi sa liberté d’action dans les choix qu’il fait et la

manière dont il couvre l’évènement. Ce recul peut s’envisager de différentes manières : par

exemple, réserver ses efforts à la contextualisation de l’évènement – en effectuant ses recherches et

en vérifiant les faits avant la diffusion et la publication – ou en variant autant que possible les

intervenants en fonction de différents domaines d’expertise78.

Cette distance, bien qu’elle ne soit pas facile à établir – notamment en raison de la convergence des

médias avec l’arrivée des chaînes d’information en continu, de l’Internet et des réseaux sociaux –

doit de plus en plus être réaffirmée par les journalistes. Cette recherche – focalisée sur l’étude de

cas de la couverture des consultations publiques de janvier 2010 en Guyane française – a révélé que

les médias guyanais, les acteurs politiques ainsi que les citoyens se sont retrouvés dans une certaine

impasse : partagés entre le besoin de faire partie d’une décision qui interrogeait leur identité

culturelle et l’urgence d’informer sur les tenants et les aboutissants des choix qui leur étaient

proposés par le gouvernement français.

Le second élément étudié concerne la connaissance de l’auditoire et du « terrain » – c’est-à-dire de

l’espace couvert – ainsi que du sujet qui préoccupe. Ce point est d’autant plus primordial que

récurrent, notamment avec le décryptage de la manière dont s’est opérée la couverture médiatique

de ces consultations publiques. Récurrent, d’abord parce qu’il a été mis en évidence par l’ensemble

                                                                                                               78 Se référer notamment aux principes fondamentaux du journalisme tels que rapportés dans l’étude de Bill Kovach et Tom Rosenstiel (2001) et rappelés dans les repères théoriques de cet essai, section 2.2 « Quelques principes journalistiques ».

Page 80: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

80  

des données récoltées, traitées et analysées en Guyane, des articles de presse publiés aux émissions

diffuées par la presse locale sans oublier le compte-rendu des entrevues semi-dirigées des acteurs

clés de l’évènement. Primordial, ensuite parce qu’en filigrane, il s’agissait de se questionner sur ce

besoin de vulgarisation et contextualisation d’un sujet institutionnel. Pour couvrir le sujet des

consultations publiques, il semblait important d’avoir une connaissance à la fois du système

législatif français et d’être capable de démystifier les rouages de l’histoire politique guyanaise.

Le troisième et dernier élément concerne les risques du monopole de l’information et de la

centralisation des médias. Alors que les entreprises de presse ainsi que les gouvernements ne

cachent pas leur désarroi face à l’abondance des nouvelles technologies et moyens de

communiquer, les citoyens sélectionnent l’information reçue et la divulguent via différents canaux.

Le libre accès et la multitude des sources permettent au citoyen de se forger une opinion

indépendante sur un sujet. Cependant, la Guyane semble exclue de cette possibilité puisqu’elle ne

possède pas suffisamment de médias pouvant diffuser ces informations diverses. Ce phénomène,

observé dans de nombreuses régions, a tendance à responsabiliser de plus en plus le citoyen qui n’a

d’autre solution que de s’informer par ses propres moyens.

Cette recherche met enfin en lumière la situation ambivalente vécue au quotidien par la presse

guyanaise, inscrite dans une phase de changements. Plusieurs hypothèses ont été émises et certaines

d’entre elles pourraient servir de réflexions à d’autres études.

Il a été notamment supposé que la phase de transition entre la presse d’opinion et la presse

d’information, à la fin des années 1970, a été difficile et reste même quasi inachevée. Cette

supposition a été inspirée à la fois de l’histoire des médias guyanais, mais aussi de celle de toutes

les entreprises de presse qui ont vu le jour en période post-coloniale.

Il nous semble important de rappeler qu’en Guyane, il y a encore une certaine méconnaissance des

attentes réelles du public vis-à-vis des médias locaux. Nous avons eu ainsi d’énormes difficultés à

regrouper des données suffisamment pertinentes pouvant nous aider à définir les attentes du

consommateur d’information. Un journaliste ou un média souhaitant couvrir les nouvelles de ce

département devra prendre conscience de l’ensemble de ces faiblesses. Il aura aussi comme

responsabilité de se pencher sur l’aspect culturel, social, historique et économique local du terrain

sur lequel il a choisi d’opérer.

Page 81: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

81  

Il est certain que cette question du monopole des médias guyanais et des difficultés à s’approprier

l’ensemble du territoire pose de sérieux problèmes pour la santé de la société et de la démocratie.

Cependant, ce monopole peut aussi permettre d’encourager des manières originales de pratiquer le

journalisme.

Ainsi, certaines initiatives initiées par des groupes communautaires et autres organismes guyanais,

bien qu’elles soient timides et souvent peu abouties en termes de qualité journalistique, ont le mérite

d’exister et de rafraîchir la perception que l’on a de l’information locale. En effet, il existe dans ce

département de nombreuses radios communautaires animées par des jeunes ou des associations. Et,

à l’appui des rencontres effectuées sur le terrain, il semble important de rappeler que – tout comme

la plupart des pays en émergence79 – la radio semble être un média prometteur, car peu onéreux et

facile à mettre en place tout comme les nouveaux médias sur Internet. Et, les jeunes, parce qu’ils

représentent une grande part de la population locale, pourront bien en être les futurs acteurs.

                                                                                                               79  La  question  du  développement  est  abordée  ici  au  regard  des  statistiques  de  l’INSEE  sur  l’économie,  le  mode  de  vie  et  autre,  disponibles  en  annexe  C.      

Page 82: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

82  

BIBLIOGRAPHIE LIVRES ET ARTICLES SCIENTIFIQUES BRUNELOT, Virginie (2011), Cayenne entre 1919 et 1939 – une ville, des vies, Paris, Coll.

l’Harmattan, 307p. CHARRON, Jean (2001), La nature politique du journalisme politique, Études de communication

publique, no 15, Québec, Département d'Information et de Communication, Université Laval, 60 p.

DE BONVILLE, J (2001), Le journalisme dans le « système » médiatique. Concepts fondamentaux

pour l’analyse d’une pratique discursive in CHARRON, Jean (2001), La nature politique du journalisme politique, Études de communication publique, no 15, Québec, Département d'Information et de Communication, Université Laval, 60 p.

ELFORT, Maude (2002), De la décentralisation à l’autonomie : La Guyane, Paris, Distribution

électronique CAIRN.info pour E.N.A, in Revue française d’administration publique, no101, p.25-37, DOI : 10.3917/rfrap.101.0025

FATHALLAH, Daghmi (2006) Journalistes et identité en Martinique, Poitiers, In: Communication

et langages. Revue internationale de communication sociale de l’UQAM, N°148, p.103-116. GINGRAS, Anne-Marie (2003), La communication politique : états des savoirs, enjeux et

perspectives, Québec, Presses de l’Université du Québec, 295 p. GONTRAN-DAMAS, Léon (2002), Retour de Guyane, Paris, Jean-Michel Place, 193p. GONTRAN-DAMAS, Léon (1937), Hoquet in Pigments, Névralgies, Paris, Éditions Présences Africaine. 157p. HAMEL, IAN (1970), L’information en Guyane française, entre la résignation et la révolution,

Paris, Mémoire de fin d’études, 107p. KOVACH, Bill et ROSENSTIEL Tom (2001), The Elements of Journalism: What Newspeople

Should Know and The Public Should Expect, New-York, Three Rivers Press, 208p. LAVIGNE, Alain. (2011), La communication publique, problèmes et enjeux, Québec, Notes de

cours, Université Laval. LEHINGUE, Patrick (2005), Les mécanismes de production des verdicts électoraux : mais qui a

gagné ? in Jacques LAGROYE, Patrick LEHINGUE et Frédéric SAWACKI, Mobilisations électorales. Le cas des élections de 2001, Paris, Presses universitaires de France, p.323-358.

LEMIEUX, Cyril (2010), La subjectivité journalistique. Onze leçons sur le rôle de l'individualité

dans la production de l'information, Paris, EHESS, coll. « Cas de figure »

LÉVÊQUE, Sandrine et RUELLAN Denis (2010), Journalistes engagés, Rennes, Les presses de la reprographie de l’Université Rennes 2, 179p.

Page 83: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

83  

MEMMI, Albert (1957). Portrait du colonisé – portrait du colonisateur, Paris, Folio-Actuel, 162p.

MICHALON, Thierry, (2010). L’outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, Paris, L’Harmattan, coll. Grale, 162 p.

MUHLMANN, Géraldine (2004). Du journalisme en démocratie, Paris, Payot, 344p. NAÏLI, Rachid, (1998). Témoignages de journalistes algériens, le 4ÈME pouvoir, Alger, Éditions

Lalla Sakina, 323p. RAYNAUD, Philippe et RIALS Stéphane (2003), Dictionnaire de philosophie politique, Paris,

Quadrige-Éditions Puf, 900p. RENO Fred, MÉRION Julien et DESHAYES, Fred (2004), Petit dictionnaire du débat politique,

Guadeloupe, Guyane, Martinique, Matoury, Éditions Ibis Rouge, 174p. ROSSI-LANDI, Guy (1969), Procès des juges – les journalistes politiques, Paris, Ed. Flammarion,

233p. SAUVÉ, Claude (2009), L’interview à la radio et à la télévision, Montréal, Les presses de

l’Université de Montréal, Coll. Paramètres, 242p.

VALETTE, Jérôme (2011) in L’année francophone internationale 2011-2012, Actualité de la Guyane - p122-124, L'actualité pays par pays AFI 20 ans 50 ans de Québec en France, Québec, Association l'année francophone internationale (AFI), 392p.

WOLTON, Dominique (1989), La communication politique : construction d'un modèle, in Hermès

no 4, Québec, p. 28-42

WOLTON, Dominique (1989), Les médias, maillon faible de la communication politique, in Hermès no 4, Québec, p.165-179

INTERNET BAILLARGEON, Stéphane, (2012), Portrait critique du journalisme en pieuvre : la couverture

multiplateforme à l’heure de la convergence des médias. Publié le 23 avril 2012 par Le Devoir, http://www.ledevoir.com/societe/medias/348251/portrait-critique-du-journaliste-en-pieuvre. Consulté en avril 2012.

BITEGUE, Blaise dit Manga, (2007), L’égalité d’accès à la lecture : quels enjeux pour les sites

isolés de l’intérieur de la Guyane française ? Migrations, mobilités et constructions identitaires caribéennes, http://etudescaribeennes.revues.org/1012, Consulté en février 2012.

CANIVET, Isabelle (2001), Action-rédaction, http://www.action-redaction.com/, Consulté en Mars

2012. CLEMI, (2006) Enquête sur les jeunes consommateurs d’information en Guyane http://webtice.ac-

guyane.fr/CayenneSud/spip.php?rubrique43, Consulté en Novembre 2011.

Page 84: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

84  

FPJQ, Guide de déontologie des journalistes du Québec, http://www.fpjq.org/index.php?id=82, Consulté en Octobre 2011

INSEE, (2005-2010) Enquêtes et statistiques sur la Guyane

http://www.insee.fr/fr/regions/guyane/default.asp, base de donnée consultée en janvier 2012. PRIVAT, Marc-Emmanuel Privat, (2003), Terres de Guyane, articles en ligne,

http://www.terresdeguyane.fr/articles/ Consulté en janvier 2012. ARTICLES DE PRESSE ALCIDE, Kerwin (10 octobre 2009), « L’évolution statutaire passe par les urnes », France-

Guyane, p.3 AUBERTIN, Guillaume (14 novembre 2009), « Ce n’est pas un meeting de propagande », France-

Guyane, p.3 FRANCE-GUYANE, Éditions des 11, 2, 4, 6, 8 et 9 janvier 2010 GUYANE 1ÈRE, émissions radios et télés diffusées entre les mois de novembre 2009 à janvier 2010. LA SEMAINE GUYANAISE, « Oui ou non : la calotte », Semaine du 16 au 22 janvier 2010, No

1360 LA SEMAINE GUYANAISE, « Population : les chiffres officiels, consultation », Semaine du 9 au

15 janvier 2010, No 1359

Page 85: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

85  

ANNEXES

Annexe A – Repérer la Guyane

                                                               

Le drapeau guyanais adopté par la Région Guyane le 22 janvier 2010 à représenter le département en plus du drapeau tricolore français.

Page 86: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

86  

Annexe B – Cultures et langues de Guyane

Type de Nom de la Caractéristiqueslangues (variété de)

langue

Tableau 2 Principales langues parlées en Guyane (cf. I. Léglise pp. 35 et 40)

Langues autochtones appartenant à trois familles linguistiques (caribe, tupi-guaraniet arawak). Listées dans le rapport Cerquiglini, elles sont parlées dans leurensemble par moins de 5 % de la population1. Les deux premières, en raison de leurfaible nombre de locuteurs ou de rupture de transmission vers les jeunes généra-tions, peuvent être considérées comme « en danger »2 .

arawak ou lokonoemérillon ou tekokali’napalikurwayanawayampi

Languesamérindiennes

Variétés de langues3 (Easter Maroon Creoles) parlées par des Noirs Marrons ayant fuiles plantations surinamiennes au XVIIIe siècle, mentionnées dans le rapport Cerquiglini.Langues premières de Marrons faisant historiquement partie de la Guyane ou demigrants récemment arrivés du Surinam, elles sont parlées par plus d’un tiers de lapopulation guyanaise. Elles jouent également un rôle véhiculaire dans l’Ouest guyanais.

Langue véhiculaire du Surinam voisin, elle est la langue maternelle d’une très faiblepartie de la population guyanaise, notamment dans l’Ouest, où elle joue cependantun rôle véhiculaire.

Parlée par des Noirs Marrons originaires du Surinam mais installés en Guyanedepuis plus ou moins longtemps, mentionnée dans le rapport Cerquiglini. Les esti-mations chiffrées sont les plus fluctuantes à son égard. Selon PRICE et PRICE(2002), les Saramaka constitueraient le groupe de Marrons le plus important deGuyane (10 000 personnes), toutefois nos enquêtes montrent des taux de déclara-tion du saamaka souvent inférieurs aux autres créoles à base anglaise.

Langue officielle, langue de l’école, langue maternelle des 10 % de la populationvenant de métropole ainsi que de certaines parties bilingues de la population (enparticulier à Cayenne) et partiellement véhiculaire en Guyane.

Langue parlée par une immigration brésilienne estimée entre 5 et 10 % de la popu-lation guyanaise, jouant un rôle véhiculaire dans l’Est, le long du fleuve Oyapock.

Variété parlée par une immigration venant du Guyana voisin,estimée à 2% de la population.

Langue parlée par une partie de l’immigration surinamienne ayant été préalable-ment scolarisée dans cette langue.

Langue parlée par une infime partie de la population originaire de Saint-Domingueet de pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, notamment).

Variétés de langue parlées par une immigration d’origine chinoise datant du débutdu siècle.

Langue parlée par une population originaire du Laos, arrivée en Guyane dans lesannées 1970, représentant 1 % de la population, regroupée essentiellement dansdeux villages, mentionnée dans le rapport Cerquiglini.

français

portugaisdu Brésil

anglais du Guyana

néerlandais

espagnol

chinois (hakka,cantonais)

hmong

Résultant de l’esclavage et de la colonisation française en Guyane. Mentionnée dansle rapport Cerquiglini, langue maternelle d’environ un tiers de la population, elle estvéhiculaire dans certaines régions – en particulier sur le littoral.

Languescréolesà base lexicalefrançaise

Languescréolesà base lexicaleanglaise

Langue créoleà base anglaise(partiellementrelexifiéeen portugais)

Variétésde langueseuropéennes

créole guyanais

créole haïtien

créole martiniquais,créole guadeloupéen

créolede Sainte-Lucie

aluku

ndyuka

pamaka

sranan tongo

saamaka

Parlée par une population d’origine haïtienne représentant, selon les sources, entre10 et 20 % de la population guyanaise.Langues parlées par des Français venant des Antilles, estimés à 5 % de la populationguyanaise.

Langue issue de l’immigration en provenance de Sainte-Lucie aux siècles derniers,parlée actuellement par moins de 1 % de la population.

1. Si on rapporte les diverses estimations concernant les groupes humains concernés aux statistiques globales de la population (INSEE, 1999).En raison des difficultés de recensement en Guyane, on sait toutefois que ces chiffres officiels sont sous-évalués.2. Une position extrême consiste à considérer toutes les langues de Guyane, à l’exception du créole guyanais, comme « en danger » (LAUNEY,2000), en retenant comme critère les faibles chiffres de population dans le département : quelques centaines ou quelques milliers de locu-teurs selon les cas. En ce qui concerne les langues amérindiennes, notons que le lokono – qui est menacé car il n’est plus parlé par les jeunesgénérations en Guyane - est encore parlé par de nombreux locuteurs au Guyana, tandis que le teko - dont la transmission familiale est encoreassurée - n’est parlé qu’en Guyane.3. L’aluku, le ndyuka et le pamaka sont considérées comme des variétés dialectales d’une même langue, le nenge (en aluku et pamaka) ounengee (en ndyuka), cf. GOURY, MIGGE (2003).

Languesasiatiques

© I.

Légli

se 2

007

III

Page 87: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

87  

Annexe C - La Guyane par rapport à la France (Statistiques INSEE 2007)

Population Territoire Comparaison

Population en 2007 213 029 61 795 007 Densité de la population (nombre d'habitants au km²) en 2007

2,6 113,6

Superficie (en km²) 83 533,9 543 940,9 Variation de la population : taux annuel moyen entre 1999 et 2007, en %

3,9 0,7

dont variation due au solde naturel : taux annuel moyen entre 1999 et 2007, en %

2,6 0,4

dont variation due au solde apparent des entrées sorties : taux annuel moyen entre 1999 et 2007, en %

1,3 0,3

Nombre de ménages en 2007 59 735 26 352 815 Sources : Insee, Recensements de la population 2007 et 1999 exploitations principales. Population estimée au 1er janvier 2009 225 751 62 473 876 Naissances domiciliées en 2009 6 171 791 855 Décès domiciliés en 2009 699 536 275 Sources : Insee, état civil - Estimations de population au 1er janvier.

Logement Territoire Comparaison Nombre total de logements en 2007 66 675 31 448 707 Part des résidences principales en 2007, en % 89,6 83,8 Part des résidences secondaires (y compris les logements occasionnels) en 2007, en %

2,5 9,8

Part des logements vacants en 2007, en % 7,9 6,4 Part des ménages propriétaires de leur résidence principale en 2007, en %

43,3 57,4

Source : Insee, Recensement de la population 2007 exploitation principale.

Revenus Territoire Comparaison Revenu net déclaré moyen par foyer fiscal en 2008, en euros (1)

14 944 23 450

Foyers fiscaux imposables en % de l'ensemble des foyers fiscaux en 2008 (1)

26,9 54,2

Médiane du revenu fiscal des ménages par unité de consommation en 2008, en euros (2)

/// 18 129

/// : information(s) non disponible(s) pour ce niveau géographique Sources : (1) DGFiP, Impôt sur le revenu des personnes physiques. (2) Insee ; DGFiP, Revenus fiscaux localisés des ménages.

Emploi – Chômage Territoire Comparaison Emploi total (salarié et non salarié) au lieu de travail en 2007 56 718 25 459 773 dont part de l'emploi salarié au lieu de travail en 2007, en % 82,3 88,1 Variation de l'emploi total au lieu de travail : taux annuel moyen entre 1999 et 2007, en %

3,4 1,4

Taux d'activité des 15 à 64 ans en 2007 61,5 71,6 Taux de chômage des 15 à 64 ans en 2007 30,0 11,0 Source : Insee, Recensements de la population 2007 et 1999 exploitations principales.

Page 88: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

88  

Nombre de demandeurs d'emploi de catégorie ABC au 31 décembre 2010 (1)

17 999 4 097 921

dont demandeurs d'emploi de catégorie A au 31 décembre 2010

16 185 2 748 149

Emploi total estimé au 31 décembre 2008 (2) 49 295 26 335 887 Taux de chômage localisés au 4ème trimestre 2010 (3) /// 9,2 /// : information(s) non disponible(s) pour ce niveau géographique Sources : (1) Pôle emploi; Dares, Statistiques du marché du travail.- (2) Insee, Estimations d'emploi (ESTEL).- (3) Insee, Taux de chômage localisés.

Établissements Territoire Comparaison Nombre d'établissements actifs au 31 décembre 2008 12 810 4 984 849 Part de l'agriculture, en % 9,8 12,6 Part de l'industrie, en % 9,6 5,8 Part de la construction, en % 13,3 9,2 Part du commerce, transports et services divers, en % 57,6 58,1 dont commerce et réparation auto, en % 22,4 16,7 Part de l'administration publique, enseignement, santé et action sociale, en %

9,8 14,3

Part des établissements de 1 à 9 salariés, en % 22,5 30,4 Part des établissements de 10 salariés ou plus, en % 6,8 7,4 Champ : ensemble des activités Source : Insee, CLAP (connaissance locale de l'appareil productif).

Page 89: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

89  

Annexe D – Les mots de la politique guyanaise Extraits du « Petit dictionnaire du débat politique Guadeloupe, Guyane, Martinique » de Fred Reno, Julien Mérion et Fred Deshayes aux éditions Ibis Rouge (2004)

• Autonomie

Il s’agit d’une revendication de statut portée par ceux qui souhaitent que l’administration de la

collectivité par l’État soit résiduelle et qu’un pouvoir local de décision soit accordé aux autorités

représentatives de cette collectivité. Dans l’histoire coloniale antillaise, la revendication

d’autonomie a d’abord été le fait de la plantocratie locale, c’est-à-dire des colons blancs opposés au

système de l’exclusif et favorables à la liberté du commerce. Après les premières années

d’application de la départementalisation votée en 1946, les principales organisations de gauche,

déçues des lenteurs du processus d’égalisation sociale, militent pour une autonomie politique. À

leurs yeux, l’application des lois sociales françaises s’est accompagnée d’une assimilation

préjudiciable à l’identité culturelle. La centralisation étatique est dès lors perçue comme un obstacle

au développement. Le mot autonomie apparaît dans la constitution révisée en mars 2003. Il renvoie

à la capacité des collectivités de la République à financer leur développement. Il est également

mentionné à propos des collectivités régies par le principe de spécificité législative prévu dans

l’article 74.

• Consultation

La consultation est l’acte de vote auquel sont conviés ceux qui dûment inscrits sur les listes

électorales, se prononceront pour ou contre le texte proposé par les élus après acceptation des

autorités locales. Le mot revient souvent quand il s’agit de définir le corps électoral appelé à se

prononcer lors de la consultation des populations sur le projet de statut.

Qui peut voter ?

Le dernier paragraphe de l’article 73 de la constitution révisée est ainsi rédigé : « la création par la

loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’Outre-Mer ou l’institution

d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu’ait été

recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs

inscrits dans le ressort de ces collectivités. »

Page 90: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

90  

• Évolution institutionnelle

Dans le débat sur le changement politique, l’expression a été utilisée dans le rapport Lise Tamaya et

par ceux qui souhaitent un approfondissement de la décentralisation sans remise en cause du statut

départemental. Autrement dit, on pourrait changer les institutions sans changer le statut. Cette

option pourrait consister par exemple à maintenir le département-région et remplacer les conseils

régionaux et généraux en assemblée unique. Cette évolution correspond à la volonté d’une partie de

la droite martiniquaise, notamment de l’union des forces martiniquaise de progrès.

• Évolution statutaire

La revendication est ancienne. Elle a d’abord été formulée par ceux qui étaient favorables à

l’autonomie et à l’indépendance. Après la Seconde Guerre mondiale, les partis communistes et

socialistes réclament l’alignement des colonies sur le statut des collectivités françaises au nom de

l’égalité entre le citoyen de l’hexagone et le citoyen d’outre-mer. L’égalité sociale est le fondement

de la revendication de départementalisation. L’évolution statutaire conduit à modifier à la fois les

institutions et le statut. Le dépassement du statut départemental passe nécessairement par le

changement des institutions qui lui sont liées. Le conseil général et le conseil régional disparaissent

au profit d’une assemblée unique. La circonscription départementale et la circonscription régionale

sont remplacées par une collectivité unique.

• Articles 72/73 et 74

Ces articles font partie du chapitre XII de la Constitution du 4 octobre 1958 intitulée « des

collectivités territoriales. » L’article 72 concerne les collectivités territoriales de la République en

général. Elle définit les collectivités territoriales de la République, précise le contenu de

l’autonomie administrative (subsidiarité, pouvoir règlementaire, droit à l’expérimentation,

interdiction de tutelle d’une collectivité sur une autre, place du représentant de l’État). Un article

72-1 a été ajouté concernant les prérogatives des citoyens (droit de pétition, référendum local

décisionnel, consultation des électeurs en cas de modification institutionnelle.) L’article 72-2 est

relatif à l’autonomie financière. Il affirme que les recettes fiscales et toutes autres ressources

doivent constituer une part déterminante de l’ensemble des ressources de la collectivité. Tout

transfert de moyens et toute création ou extension de compétences doit être accompagnée de

ressources déterminées par la loi. Enfin cet article donne une valeur constitutionnelle à la

péréquation au même titre que les autres principes énumérés. L’article 72-3 reconnaît « les

populations d’outre-mer » au sein du peuple français. Il énumère la liste des collectivités

Page 91: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

91  

territoriales de l’Outre-Mer et définit les régimes applicables. L’article 72-4 définit les conditions

dans lesquelles peut s’effectuer le passage d’un régime à l’autre (consentement des électeurs de la

collectivité).

L’article 73 précise que les lois et règlements y sont applicables de plein droit (identité législative

ou assimilation législative). En d’autres termes, la loi votée par le parlement et les règlements

(décret, arrêté) pris par le gouvernement pour la France hexagonale sont applicables

automatiquement et systématiquement. Ces lois et règlements peuvent cependant faire l’objet

d’adaptations pour prendre en considération « les caractéristiques et contraintes particulières. »

Ces adaptations peuvent être décidées par les collectivités si elles y ont été habilitées par la loi. Ces

départements et régions (sauf la Réunion) peuvent à leur demande, dans les domaines limités et sans

mettre en cause les conditions d’exercices d’une liberté publique ou d’un droit

constitutionnellement reconnu pour étendre leur pouvoir règlementaire sur les matières législatives

lorsqu’elles ont été habilitées par le Parlement.

Cet article prévoit enfin dans quelles conditions une collectivité unique peut se substituer au

département et à la Région (consentement des électeurs) et comment il est possible d’instituer une

seule assemblée pour administrer les deux collectivités « consentement des électeurs ».

L’article 74, lui, concerne les collectivités d’outre-mer (COM) qui remplacent les territoires

d’outre-mer (TOM) depuis la révision constitutionnelle. Ce sont des collectivités qui peuvent se

prévaloir d’un « intérêt propre » au sein de la République. Leur statut devra prendre en compte cet

intérêt propre et confier à la collectivité les moyens juridiques de la préserver et de la promouvoir.

Le statut fixe les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et

règlements sont applicables. Il définit les institutions et leur fonctionnement, le régime électoral, les

modes de consultation sur les propositions ou projet de loi, les projets d’ordonnance ou de décret. Il

précise les conditions de la ratification et de l’approbation des engagements internationaux. La loi

prévoit que certaines collectivités d’outre-mer peuvent être dotées de l’autonomie (cas actuel de la

Polynésie Française). Dans ce cas, le statut doit indiquer les conditions dans lesquelles le Conseil

d’État exerce son contrôle sur les actes de l’assemblée délibérante peut modifier une loi, comment

elle peut prendre des mesures particulières (accès à l’emploi, droit d’établissement ou protection du

patrimoine foncier). La collectivité peut aussi participer à l’exercice des compétences réservées à

l’État dans certaines conditions. Un article 74-1 est venu préciser que dans ces COM, le

gouvernement peut étendre par ordonnance certaines dispositions législatives en vigueur en France.

Page 92: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

92  

Annexe E – Articles de presse

LA PREMIÈRE CONSULTATION POPULAIRE AURA LIEU LE 17 JANVIER

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! samedi 10 & dimanche 11 octobre 2009

3L

EF

AIT

DU

JO

UR

AG

ISS

EZ

CO

UR

RIE

R.G

UY

AN

E@

ME

DIA

-AN

TIL

LES.F

RE

TE

NV

OY

EZ

PAR

SM

SFG

AU

9700

0

L’évolution statutaire passe par les urnesComme demandé depuis des années par une partie de la classe politique, les Guyanais pourront se prononcersur leur avenir institutionnel en janvier. L’annonce faite mercredi par le président de la République NicolasSarkozy soulève des espoirs mais aussi des interrogations…

Deux scrutins,trois possibilités

En annonçant une consultationpopulaire le 17 et éventuelle-ment le 24 du même mois,Nicolas Sarkozy semble avoirsatisfait certains de la classepolitique guyanaise, mais pastout le monde. Ne pouvant pasposer « constitutionnellement »deux questions le même jour, leprésident s’appuie sur le calen-drier pour contenter ceux qui nevoulaient pas que l’article 74 dela Constitution tire, à lui seul, lacouverture. En d’autres termes,il faudra deux scrutins pour quel’article 73 « adapté » s’imposeen Guyane. Mais en réalité, lesélecteurs guyanais sont confron-tés à deux scrutins mais troispossibilités.La première, celle défendue parle Congrès des élus depuis prèsd’un an, c’est-à-dire l’applicationde l’article 74 en Guyane. Maisil faudra que les Guyanaisapprouvent cette vision le17 janvier, au premier tour.La deuxième, le « non » l’em-porte le 17 janvier et les Guya-nais votent « oui » le dimanched’après, acceptant ainsi la créa-tion d’une collectivité uniquequi exercerait les compétencesdu Conseil régional et duConseil général, dans le cadrede l’article 73.Puis la dernière possibilité peuévoquée : le « non » l’emporteaux deux scrutins. Une possibi-lité que le président n’envisagepas car il estime que « le statuquo n’est pas souhaitable ».Mais certainement pas inévita-ble…

«Le trouble»selon l’Ageg

« En annonçant la pos-sibilité de deux consultations aumois de janvier 2010, le prési-dent de la République répond à

la demande de changement degouvernance tout en semant letrouble », explique le jeune partiA Gauche en Guyane (Ageg). Sicertains partis sont aujourd’huipeu loquaces sur la positionqu’ils vont défendre pendant lacampagne qui s’ouvre douce-ment, l’Ageg n’en fait aucunsecret : « Pour la consultationdu 17 janvier, l’Ageg s’engage enfaveur du passage au régime del’article 74 de la Constitution ».Reste désormais à convaincre lapopulation guyanaise en quel-ques semaines. Et nul doute quela campagne sera âpre, caraucun des camps ne voudralaisser la victoire à l’autre.

Le changementdans le changement

À en croire beaucoup de Guya-nais, il est nécessaire de moder-

niser les institutions. Il est néces-saire de passer à autre chosemême s’ils sont encore nom-breux à souhaiter plus d’explica-tions avant les deux scrutins dejanvier. Des explications poursavoir où ils vont mettre lespieds en adoptant l’article 74 oul’article 73. Mais là où le bâtblesse est avec qui on va évo-luer… « J’ai peur d’avoir donnéle pouvoir à des fous », chantaitFrancis Cabrel dans son titre« Dernière chance ». Elle pour-rait être le slogan de la campa-gne électorale qui s’amorce carbeaucoup de Guyanais vou-draient voir les choses évoluer.Y compris la classe politiqueactuelle, accusée d’être respon-sable de beaucoup de maux dela société guyanaise. Et l’invita-tion de certains pour un appro-fondissement de l’article 73 nefait qu’augmenter ces doutes

légitimes. Les politiques auront-ils compris le message ?

Des masques et des urnes

L’une des premièresréactions que l’annonce du pré-sident de la République a susci-tée est : « Mais ça tombe pen-dant le carnaval ». Si certains yvoient là une « stratégie » prési-dentielle, il faut avouer qu’ellene favorise pas plus un articlequ’un autre. D’ailleurs, des mili-tants politiques qui ont participéau rassemblement jeudi n’en-tendent pas s’arrêter sur cesdates : « Il faut qu’on soit capa-ble de montrer aux observateursque nous sommes capables denous rassembler, même pen-dant le carnaval », peste l’und’eux. Pour eux, le véritable pro-blème demeure dans le fait quele délai est très court pour expli-

quer aux électeurs où sont lesintérêts de la Guyane avec l’arti-cle 74. Mais nul doute que lesdéfenseurs des deux possibilitésprendront le chemin des com-munes et écarts pour expliqueraux Guyanais ce qu’il faut fairele 17 janvier et éventuellement le24.

Une première sur un vieux sujet

Un statut spécial pour laGuyane. La demande ne datepas d’hier et déjà en 1958, avecl’arrivée du Général de Gaulleau pouvoir, la question a faitgrand bruit. À l’époque, JustinCatayée, député de Guyane, etRoland Barrat, maire deCayenne, avaient été mandatéspour défendre cette affaire enFrance alors que le général pro-posait un référendum sur lanouvelle Constitution. LesGuyanais demandaient à cequ’un paragraphe soit ajouté àl’article 73, octroyant ainsi unstatut particulier aux Dom. Ilsn’ont pas été entendus, ce qui apoussé Justin Catayée à fairecampagne en faveur du non auréférendum, en Guyane.Voulant être certain de sa vic-toire, le Général de Gaulledépêche André Malraux, minis-tre délégué à la présidence ducomité en Guyane, pourconvaincre Catayée de voter« oui ». « Il lui a fait miroiterqu’on allait adopter son fameuxstatut spécial », confie GérardHolder dans le documentaireMémoire d’un siècle. L’ancienmaire de Cayenne poursuit :« On a mis des avions à sa dis-position. Il est passé partout oùil avait dit de voter « non », pourdire de voter « oui ». Et c’estainsi que le « oui » est passémais après on n’a pas tenucompte de la promesse. Il a ététrompé ».Kerwin ALCIDE "

Article 73 Article 74

Lois et

réglementations

Toutes les lois et règlements qui s’appliquent enFrance, sont applicables dans les départementsd’Outre-mer. Les collectivités sont habilitées, par laloi, à fixer elles-mêmes des règles applicables surleur territoire, mais dans un cadre limité.

Les lois appliquées en France ne sont pas auto-matiquement applicables dans les collectivitésrégies par l’article 74. Leur statut tient compte deleurs intérêts propres.

Les compétences

Elles sont héritées de la départementalisation aux-quelles on ajoute des transferts récents comme leRMI, le personnel TOS.

La loi organique qui crée la nouvelle collectivité,fixe aussi ses compétences. La collectivité peutrécupérer des compétences aujourd’hui dévoluesà l’État. La nationalité, les droits civiques, la justice,la monnaie, le droit électoral entre autres restentdes compétences régaliennes donc aux mains del’État.

Contrôle de l’Etat

Dans les deux cas, le contrôle est effectué comme dans les collectivités territoriales décentralisées de laRépublique. Le représentant de l’État en la personne du préfet à la charge des intérêts nationaux, ducontrôle administratif et du respect des lois.

1

2 3

4

5

Page 93: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

93  

Dans le cadre (de l’article) 73,quand nous n’encaissonspas d’impôts parce que

les contribuables ne sont passolvables, l’État se substitue.Dans le cadre du 74, je ne saispas qui le fera. Ce sont les par-ticuliers et les entreprises qui vont payer. Je nefais pas campagne pour le 73 ou le 74 ; c’estjuste un exemple que je donne

L’ESSENTIEL PRÈS DE CHEZ VOUS 3

« Ce n’est pas un meeting de propagande »

ET LA PARITÉ ? La mairie de Macouria a failli donner desarguments à ceux qui dénoncent les inégalités hommes-femmes. Le règlement intérieur des agents communaux pré-

voyait cinq jours de repos pour le décès de la maman et troispour celui du papa. Explication du maire Serge Adelson enplein conseil municipal : « Vous savez, perdre unemaman… » Levée de bouclier des tenants de la parité. Il s’yrange. Cinq jours, quel que soit le défunt.

La mairie de Kourou a faitses comptes. Elle espèreencaisser 20 000 à 30 000

euros grâce à la taxe de séjour, dont elle a déjàvoté le principe et dont elle doit fixer le montant.Le maire Jean-Étienne Antoinette a donné ceschiffres lundi, lors de la réunion du conseil partici-patif. Le montant envisagé est de 50 centimes parnuit dans les établissements de trois étoiles etplus, et 20 centimes dans les autres. Cette recettefinancera le budget de l’office de tourisme, que lesélus essaient de relancer.

20 000!!

Jean-Pierre Roumillac, maire de Matoury , en conseilmunicipal, « ne fait pas campagne » mais ne rate pasune occasion de donner des arguments aux défenseursdu 73

Le personnel du Conseil général et de la Région a été convié hier au Progt pour une réunion d’informationconsacrée à l’évolution statutaire. L’énoncé de la brochure distribuée aux agents administratifs était sans ambiguïté : « Oui à l’article 74 de la Constitution »… Nous nous sommes invités au débat.

Ceux qui ont pu s’étonner hier matin de voir les siè-ges du Conseil général et de la Région déserts

n’avaient qu’à se rendre au Progt pour comprendre.Tout le personnel des deux administrations a en effet étéinvité par Antoine Karam et Alain Tien-Liong à remplirle Palais omnisports de Matoury. Un rendez-vous spor-tif placé sous le signe de l’évolution statutaire qui, visi-blement, n’enchante pas tout le monde. À quelquesminutes du coup d’envoi des débats, un membre duConseil général confie qu’il est venu parce qu’il n’avait« pas trop le choix. Ils ont dû envoyer des loups poursurveiller un peu », glisse-t-il, le sourire en coin.

"«Dans l’isoloir, tout est noir»À l’intérieur de la salle, Alain Tien-Liong ouvre les hos-tilités : « On a décidé de fermer les services pour quetout le monde soit là », entame le président du Départe-ment. Et d’enchaîner direct : « Nous ne sommes pas làen campagne électorale, il s’agit de dialogue social ».Nous voilà rassurés. On entre donc dans le vif du sujet.Face à la scène, ils ne sont pas loin de 2 000 agentsadministratifs sagement assis dans la fournaise du Progt.De nombreuses dames tentent de se faire un peu d’airen agitant devant leur visage la brochure qu’on leur adistribuée à l’entrée : un pavé d’une quarantaine depages pas franchement affriolantes, avec une couver-ture sans équivoque : « Le Congrès de Guyane — Oui àl’article 74 de la Constitution ».Alain Tien-Liong et Antoine Karam n’ont jamais cachéleur attirance pour le fameux 74. Tour à tour, pourtant,les deux présidents ont cru bon de rappeler à leurs élec-teurs que « chacun, en son âme et conscience, fera sonchoix », lors du référendum du 10 janvier prochain.« Ce n’est pas un meeting de propagande électorale »,ose le président de Région. « Dans l’isoloir, tout estnoir ». Ou encore : « Aujourd’hui, nous sommes réunisdans un exercice de démocratie directe ». Amen. Onl’aura compris : même s’il faut dire oui au 74, chacun estencore libre de ses actes et de ses pensées…

" «Le meilleur statut pour la Guyane»Mais alors pourquoi un tel meeting ? « C’est un sémi-naire de travail organisé pour mieux vous aider », pré-cise Antoine Karam. « Nous sommes responsables dela politique mais nous n’avons pas la vertu de toutes lesconnaissances. On doit être accompagné lors de cechangement de statut. « Deux professeurs spécialisésont donc été invités à la fête pour que « tous les agentsrepartent d’ici avec des réponses et des assurances ». Enbon technicien, André Néron en remet une couche :« Cette démarche menée aujourd’hui n’est pas illégi-time. La société a énormément évolué. Il est temps de

faire le point pour savoir quel est le meilleur statut pourla Guyane… »Cet « exercice de démocratie directe » a donc consisté àrassurer les agents administratifs. Lesquels nedevraient pas trembler lorsqu’ils glisseront lebon bulletin dans l’urne, dans moins d’unmois. Car lors de ce grand Congrès, on a parléde développement économique, un peu,d’avenir de la Guyane, presque pas, mais sur-tout, du sort qui sera réservé à tous ces agentslorsque notre Département aura acquis sonnouveau statut. « La Guyane a choisi d’êtreune collectivité de l’article 74, avec autonomie »,enfonce le professeur Antoine Delblond. « Et ce choixs’inscrit dans des règles juridiques… ». Là, ça se compli-que…

" Partie de scrabble…Dans les tribunes, certains commencent à piquer dunez, alors que d’autres quittent la salle sur la pointe des

pieds. Les plus malins ont sorti lestéléphones portables pourjouer… au Scrabble par exemple.Vive l’I-Phone ! « E-V-O-L-U-T-I-O-N », mot compte double ?Arrive enfin l’heure du débat. Desmains timides s’élèvent dans l’as-semblée. Et souvent ces mêmesréponses : « Ce nouveau statut neremettra pas en cause vos acquissociaux. Vous continuerez à tra-vailler et vous apporterez aussivotre contribution au change-ment ».Dehors, la pause clope s’éternise.Un agent du Conseil régional a

visiblement hâte que la mascarade prenne fin : « Je nesais pas pourquoi ils nous ont obligés à venir. En plus, ilsne nous parlent que des avantages du 74 ». Dans les

escaliers d’en face,Paulette avoue « nepas savoir si (elle)ira voter », le 10janvier. « Ça a l’aircompliqué ce qu’ilsracontent. Mais s’ilfaut êtresolidaire… » Pour

Ursule, en revanche, le message est bien passé : « Le 73n’a rien donné. On va donc essayer le 74 ». Certainsreconnaissent qu’une telle « journée d’information étaitnécessaire pour mieux comprendre ce qui va nous arri-ver. Si les deux administrations fusionnent, c’est normalqu’on s’inquiète de notre avenir. « Arthur-Pierre, lui, estfranchement déçu. Et même carrément énervé : « Cettehistoire, c’est le couteau à la gorge, s’enflamme-t-il. Ilsfont trop de philosophie. Moi, je suis venu pour avoirdes réponses. On ne comprend rien. On parle pourtantde notre avenir. À l’époque de Castor et Othily, on évo-quait déjà tout ça. Mais la Guyane n’a pas avancédepuis. Ce sont des malins. C’est comme s’ils obli-geaient un enfant à faire quelque chose qu’il ne veutpas ! »Sur l’estrade du Progt, les professeurs invités continuentde répondre aux questions pas toujours à propos. Unedernière touche d’optimisme dans ce monde d’inquié-tude : « Grâce à vous, explique le professeur ChristianVitalien, la Guyane sera peut-être un exemple de gou-vernance. Aujourd’hui, tout est à inventer. On verradans cinq ou six ans ce que vous aurez défrichédepuis ! »Guillaume AUBERTIN #

La plupart des agents a répondu présent à l’invitation de leurs présidents respectifs. On n’avait presquepas vu une telle affluence au Progt depuis la venue de Sainte-Thérèse de Lisieux / photos GA

24

HE

UR

ES

EN

GU

YA

NE

FRANCE - GUYANE " Le quotidien d’information de la Guyane " samedi 14 & dimanche 15 novembre 2009

Alain Tien-Liong (à gauche) et Antoine Karam ont décidé de fermerleurs services durant toute la matinée d’hier.

« Ce sont des malins. C’estcomme s’ils obligeaient unenfant à faire quelque chosequ’il ne veut pas »

Page 94: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

94  

LE FAIT DU JOUR 3

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! Tél : 05 94 29 70 00 — Fax : 05 94 29 70 22 — e-mail : [email protected]

Un vote pour l’avenir" Musique. La septième Biennale du mar-ronnage est prévue en septembre, àMatoury. Le Gabon sera l’invité d’honneur." Intercommunalité. Kourou, Sinnamary,Iracoubo et Saint-Élie unissent leursmoyens. La communauté de communesdu pays des Savanes verra le jour en cedébut d’année." Route. Les travaux, tant attendus de laroute de Cacao, doivent se terminer enseptembre." Film. Le premier long-métrage de MarcBarrat, Orpailleur, devrait être exploité ensalles, au mois de mars. Le film a déjàété diffusé dans cinq festivals en 2009dont le Cinamazonia de Cayenne." Enseignement. La nouvelle rectrice,Florence Robine, arrive ces jours-ci à latête de l’académie. Elle devra mettre enœuvre le plan éducation Guyane qui seveut être une réorganisation profonde dela manière de fonctionner des écoles, col-lèges et lycées du département." Médias. Fin janvier, ACG aura cesséd’émettre. L’unique chaîne privée, crééeen 1993 en remplacement de la chaînepirate KKC, n’a pas survécu à ses dettesévaluées à plus d’un 1,4 million." Nom. Les discussions devraient se pour-suivre pour le changement de nom del’aéroport. En fin de compte, c’est leministère des Transports qui dira si Félix-Éboué remplacera Rochambeau." Justice. Plusieurs procès sont attenduscette année. Celui de l’arnaque chez AirLiquide, ainsi que celui des commerçantsde Saint-Élie. Le procès en appel descommerçants de Saül doit se tenir à la findu mois. Deux procès en appel pourraientavoir lieu aussi dans les prochains mois :celui de l’ancien maire de Roura ClaudePolony et celui des responsables duChristianisme céleste." Élections. Le Suriname votera cetteannée pour ses députés et ses conseilsmunicipaux. Les premiers seront chargésde voter pour le prochain président de laRépublique. Cette élection indirecte gêneen partie les projets de Desi Bouterse,que de nombreux sondages présententcomme l’homme politique le plus popu-laire, de l’autre côté du Maroni. Le procèsde l’ancien dictateur au sujet du massa-cre de Fort Zelandia se poursuit." Iracoubo. La ville du fleuve va voter pourla troisième fois en deux ans. GilbertFossé, battu par Richard Lobi en mars2008, a obtenu l’annulation du scrutinmunicipal. Vainqueur le 18 septembreavec dix-sept voix d’avance, il a vu sonélection annulée par le tribunal adminis-tratif." Radars. Deux nouveaux radars fixes sontattendus en ce début d’année. L’un d’euxsera installé sur la route de Montabo, àpeu près en face de l’école Jean-Macé.L’autre contrôlera les automobilistes dansla traversée de Matoury. Leur installationpourrait être retardée, à cause du pont. Ils’agit de ne pas énerver davantage lesautomobilistes." Essence. Le prix de l’essence va aug-menter cette année. Reste à savoir quandet de combien. En Guadeloupe, la hausseest effective depuis hier. Plus quatre cen-times, soit 0,99 euro le litre de gasoil et1,18 celui de sans-plomb. Le préfet deGuyane Daniel Ferey était à Paris, mi-décembre, pour discuter du carburantavec le gouvernement. Il semble que rienn’ait été tranché : ni pour l’évolution duprix, ni pour un éventuel changementd’approvisionnement." Formation. La CCI espère entrer dansson nouveau centre de formation, àBalata, en fin d’année." Soula. L’écart de Macouria va continuerde grossir. Le chantier du collège doitdémarrer dans les prochaines semaines.

À NOTER

ET À UNE QUESTION

Une semaine de campagne etl’avenir du département

entre les mains des 70 000 élec-teurs de Guyane. Le 10, nousdevrons dire si nous souhaitons,ou non, passer à l’article 74 de laConstitution. Il s’agit du statutd’autonomie, semblable à celuide la Nouvelle-Calédonie, de laPolynésie, de Saint-Martin etSaint-Barthélemy.En cas de victoire du « Oui », lesélus de la Région et du Départe-

ment devront alors négocieravec l’État ce que seront les res-sources de la future collectivitéde Guyane et ce que seront sesdomaines de compétence.Si le « Non » l’emporte, nousrevoterons le 24 janvier. La pro-position sera de passer à uneassemblée unique d’élus, quimènera les actions du Conseilgénéral et du Conseil régional,en restant dans le cadre de l’arti-cle 73. Si les électeurs le refusent

également, la Guyane conser-vera son statut actuel.Ce sera le cas de la Guadeloupeet de La Réunion. Les élus desdeux Dom n’ont pas demandéce scrutin. En revanche, les élec-teurs Martiniquais devrontrépondre aux mêmes questions.En Guyane, chaque camp four-bit ses armes, alors que s’ouvre ladernière semaine de campagne.Emmenés par Antoine Karam,Alain Tien-Liong et les parle-mentaires, les partisans du 74estiment que seuls des compé-tences et des moyens nouveauxpermettront à la Guyane de sedévelopper.Les défenseurs du 73, chez quion retrouve Rodolphe Alexan-dre, de nombreux maires etd’anciens indépendantistes, pen-sent pour beaucoup qu’il esttrop tôt pour adopter l’autono-mie et qu’une partie du person-nel politique doit être changéedans les deux collectivités terri-toriales.P.-Y. C. "

Les 10 et 24 janvier, les électeurs seront interrogés sur l’évolution statutaire : autonomie sous l’égide de l’article 74 de la Constitution ou statut actuel avec ou sans assemblée uniquesous l’égide du 73.

L’après-Karam ?Les 14 et 21 mars, nous serons de nouveauappelés aux urnes. Il s’agira de désigner lesconseillers régionaux. En 2008, le présidentde Région, Antoine Karam, a annoncé qu’il nese représentera pas. De nombreux élus, ycompris au PSG, doutent qu’il ait totalementrenoncé.Avec ou sans Karam, la majorité régionalesubit déjà deux défections, parmi les vice-pré-sidents. Chantal Berthelot, qui a refusé devoter le budget 2010, mènera la liste d’À gau-che en Guyane (Ageg). José Gaillou sera lechef de file de Guyane écologie. Le PSG secherche un peu, même s’il conteste l’impor-tance supposée des désaccords entre le pré-sident de Région et la secrétaire généraleMarie-Josée Lalsie.À droite, l’UMP n’arrive pas à choisir sa tête deliste. Léon Bertrand était chargé d’organiserla campagne du parti. Avant d’être incarcéré.Le choix devrait se porter sur Rémy-LouisBudoc ou Boris Chong-Sit. Là aussi, il y a desdéfections. Joëlle Prévôt-Madère pourraitêtre tentée de faire fructifier sa popularité néedu conflit sur le carburant. Plusieurs éluslocaux, comme le maire de Macouria SergeAdelson et la conseillère cayennaise HélèneSirder, pourraient jouer les trouble-fêtes.

Léon Bertrand s’expliqueLe maire de Saint-Laurent est attendu en ce début d’année chez le juge d’instruction.Thierry Rolland, chargé de l’enquête, doit l’entendre sur les marchés publics de laCommunauté de communes de l’ouest guyanais. Une confrontation aura aussi lieuavec Richard Cheung-A-Long, Augustin To-Sah et Guy Le Navennec. Tous liés à laCCOG, ils sont incarcérés à la prison de Ducos, comme Léon Bertrand.Le premier a, en effet, révélé que le favoritisme supposé dans l’attribution des chan-tiers de la CCOG a fait l’objet de contreparties financières. Des accusations qu’il nie

maintenant, mais qui ont étéconfirmées par des chefsd’entreprises, selon unesource proche de l’enquête.La chambre de l’instruction dela cour d’appel subordonnetoute remise en liberté del’ancien ministre délégué auTourisme à la tenue de cetteconfrontation. Les avocats deLéon Bertrand n’envisagentdonc pas de la demanderavant qu’elle n’ait eu lieu. Pourl’heure, personne ne fait depronostic quant à la date declôture de l’enquête.

Soyouz décolleLe premier lanceur russe doit s’envo-ler depuis Kourou en fin d’année. Leséléments de la fusée sont arrivés le 24novembre à Kourou. Les tests de quali-fication seront réalisés en début d’an-née. Il s’agit de voir si les éléments rus-ses du lanceur et de la base arrivent àfonctionner ensemble, ainsi que leséléments russes et les éléments euro-péens. Chez Arianespace, on espèremême que deux ou trois fusées s’élan-ceront du centre spatial guyanais dansles derniers mois de 2010.

Les taxicos se réorganisent

Les taxicos à heure fixe, c’est pour mercredi. Le Conseil généraleffectue les dernières négociations pour que la réorganisation dutransport interurbain débute à la date prévue. Malgré les problè-mes posés par le pont. Malgré les menaces des transporteurs quin’ont pas obtenu de lignes.Dix-sept lignes couvriront tout le département. Dans l’île deCayenne, par exemple, quarante-deux allers-retours sont pré-vus, tous les jours, entre Rémire-Montjoly et Cayenne ; autantentre Matoury et la ville centre. Il sera aussi possible d’aller àKaw, Cacao, Javouhey ou Montsinéry-Tonnégrande.Outre les horaires fixes, d’autres obligations s’imposent auxtransporteurs : respecter des tarifs fixés à l’avance, distribuer unticket au passager, proposer des tarifs pour les enfants et pourles clients réguliers. Les normes des minibus sont aussi strictes.Mais les taxicos ont prévenu : les nouveaux véhicules n’arriverontpas avant plusieurs semaines.Plusieurs communes ont déjà libéré un terrain pour construireune gare routière. Roura l’installera à l’entrée du bourg, Iracouboà l’office de tourisme, Saint-Georges près du fleuve.Si tout se passe comme le prévoient les élus, les taxicos pour-raient attirer une clientèle de travailleurs qui ne veulent plusprendre leur voiture. Les chauffeurs, eux, affirment déjà que pourobtenir le succès escompté, il faudra créer des voies de circula-tion réservées. Une douce utopie.

Page 95: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

95  

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! mercredi 6 janvier 2010

74 73 33

HÉLÈNE SIRDERConseillère régionale et municipale de Cayenne

!! Donnez trois raisons pour voter pour l’ar-ticle 73 le 24 janvier...Ce vote n’aura lieu que si le 10 janvier lapopulation dit non au 74. En cas de oui pourle 74, il n’y aura pas d’autre consultation. Cesera terminé.Mon choix porte sur la collectivité uniqueavec possibilité pour celle-ci de faire sa pro-pre réglementation dans le cadre actuel del’article 73 rénové, qui n’a jamais été appli-qué. Mon choix n’est pas celui du statu quomais traduit ma volonté forte de change-ment : pour que l’échelon local apporte auxpopulations les réponses de proximité diver-sifiées et adaptées qu’elles attendent ; undéveloppement économique et durable aubénéfice de l’emploi ; réaliser la nécessairecomplémentarité avec l’État pour une effica-cité des actions publiques.!! Voyez-vous au moins un avantage à l’arti-cle 74?En 2010, il ne peut y avoir de pouvoir politi-que local sans moyens économiques etfinanciers et sans vision à long terme.Saint-Martin en a fait la triste expérienceavec le vote, le 16 décembre 2009, d’uneréduction de ses dépenses de 30%, manquede finances oblige, et un budget de rigueur.Déjà le 28 novembre 2008, le Conseil territo-rial avait décidé de supprimer la prime pourl’emploi donnée aux revenus les plus faibles.Le réveil est rude.

Mieux vaut un 73 bien appliqué qu’un 74 malpréparé.!! Considérez-vous que la départementali-sation a atteint ses limites?Le débat sur le cadre départemental avecson corollaire le changement de statut estdevenu avec le temps envahissant. Je medemande si tout le temps passé par certainsà se déterminer sur la question commepréalable à toute action n’a pas eu pour effetde les convaincre de l’impossibilité de déve-lopper notre territoire dans le cadre actuel etde les installer dans un immobilisme de fait.Il faut mettre un terme à ce débat qui n’estpas celui de la population dont les préoccu-pations sont : vie chère ; logement ; trans-ports et emploi. La Réunion nous ramène àla réalité pour avoir réalisé dans le cadreactuel de l’article 73 de grands chantiers,dont la route des Tamarins avec ses pontstitanesques qui surplombent des ravins deplus de 100 mètres de profondeur, financéeà 86% par la Région.!! La consultation populaire arrive-t-elletrop tôt?Il est satisfactoire que la question de l’évolu-tion institutionnelle ait lieu avant les élec-tions régionales même si le calendrierretenu nous bouscule un peu.La population guyanaise peut librementchoisir entre plusieurs évolutions, soit la col-lectivité autonome article 74. C’est le vote du10 janvier. Soit la collectivité unique article 73rénové jamais appliqué à ce jour. C’est le votedu 24 janvier mais qui n’aura lieu que si le 10janvier la population dit non au 74. Ou alors iln’y aura pas d’évolution et l’organisation ter-ritoriale régissant l’Hexagone s’appliquera.!! Les Guyanais devraient-ils plus voterpour un projet de société que pour unarticle de la Constitution?La décentralisation n’est ni achevée, nistabilisée. C’est un mouvement continuet nous sommes en train de franchirune étape importante. Mais l’évolutioninstitutionnelle n’est pas une fin en soi.Elle doit demeurer un outil parmi d’au-tres pour répondre aux véritables défisauxquels doit faire face la Guyane et quisont générationnels, culturels et struc-turels. Le choix entre les articles 73 et 74

va déjà dessiner les premiers contours duprojet de société voulu par la population.

!! Si la Guyane devient une collectivité d’Ou-tre-mer, faut-il continuer avec la mêmeclasse politique?

L’alternance est une nécessité démocra-tique. De façon plus générale il y a

de la cohérence à dire, en casd’assemblée unique

avec l’article 73, queceux qui ont sou-tenu avec convic-tion le 74 pour sesentir trop àl’étroit dans le73 au point dene pouvoiragir, doiventlaisser d’au-tres faire et nepas insister. "

!! Donnez trois raisons pour voter pour l’ar-ticle 74 le 10 janvier...Premièrement, l’article 74 privilégie deuxnotions qu’il rend indissociables : la défensede nos intérêts propres au sein de la Répu-blique. Ce qui signifie que nous aurons, sinous répondons oui à la question posée le 10janvier, la capacité de réaliser notre dévelop-pement en fonction de nos propres réalitéset le traitement séparé de nos projets endehors de tout lien avec ceux des autresdépartements d’Outre-mer. Tout ceci se feraau sein de la République française, l’Étatgardant, tout comme dans l’article 73, sescompétences régaliennes (nationalité, jus-tice, défense, monnaie et crédit, garantie deslibertés publiques, sécurité et ordre publics,politique étrangère, droit électoral, droitsciviques, droit pénal…). On est donc autantFrançais de la République dans le 74 quedans le 73.Deuxièmement, l’article 74 nous permettrad’obtenir de l’État, qui continuera à participerà leur financement, les compétences sup-plémentaires que nous réclamons tousdepuis fort longtemps (foncier, habitat,mines, ressources naturelles, etc.). Ce quin’est pas aujourd’hui possible avec l’article73, même avec une assemblée unique.Puis, troisièmement, la résolution n°9 ducongrès de Guyane conforme à l’article 74 etprésentée au chef de l’État assure, commedans l’article 73, le maintien des fonds euro-péens, la totalité des avantages sociauxacquis (allocations familiales, retraite, RMI,RSTA).!! Voyez-vous au moins un avantage à l’arti-cle 73?L’article 73 offre des possibilités d’adapta-tion des lois aux réalités locales. Mais lesnombreuses tentatives de mise enœuvre ont démontré que le gouverne-ment avait tendance à exercer uncontrôle d’opportunité en la matière,rendant très difficiles ces adaptations.Une grande liberté d’action nous estofferte par l’article 74 avec la loi organi-que qui déterminera les matières danslesquelles les lois et règlements serontapplicables de plein droit et celles danslesquelles une mention expresse d’appli-cation locale est nécessaire.!! Considérez-vous que la départementa-lisation a atteint ses limites?La départementalisation a vite montré seslimites en termes de développement écono-mique et d’insertion du territoire dans sonenvironnement géographique naturel ; elle n’apas su, en somme, et ne peut en l’état des tex-tes qui actuellement nous régissent, prendreen compte les capacités locales etappréhender les réalités propresà la Guyane. Rester dansce statu quo d’im-mobilismeavec tous lesindicateurséconomiquesau rouge (PIBle plus faibledes Dom, tauxde pauvreté le

plus élevé, taux de chômage exponentiel enparticulier chez les jeunes…) est une fuitedevant les responsabilités.!! La consultation populaire arrive-t-elletrop tôt?Nous la demandions depuis des années.Elle est arrivée… la date étant fixée, accep-tée, il ne sert à rien d’épiloguer sur ce pointqui n’a plus lieu d’être mais au contraire semobiliser pour bien éclairer les électeurssur le bon choix, le oui au 74 afin de fairetomber toutes les craintes, les peurs infon-dées.!! Les Guyanais devraient-ils plus voterpour un projet de société que pour un arti-cle de la Constitution?C’est là un faux problème, pour détournerles électeurs du véritable enjeu, qu’est l’évo-lution statutaire. Pour élaborer un projet desociété, il faut un cadre statutaire choisi parla population. Ce projet acquiert ainsi toutesa légitimité. Les propositions du congrèsdes élus guyanais constituent un cadred’évolution pour un mieux être de notrepopulation,!! Si la Guyane devient une collectivité d’Ou-tre-mer, faut-il continuer avec la mêmeclasse politique?Les électeurs guyanais auront la parole, etsurtout le pouvoir de désigner par leursvotes, les hommes et les femmes qui dirige-ront la nouvelle collectivité. C’est le fonde-ment de la démocratie. "

« Mieux vaut un 73 bien appliquéqu’un 74 mal préparé »

« L’article 74 nous offreune grande liberté d’action »## ##

GEORGES PATIENTSénateur-maire de Mana

FACE A FACE

Page 96: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

96  

La Guyane tout entière a lesyeux rivés sur ce referendum

depuis trois mois maintenant. Le7 octobre dernier, Nicolas Sar-kozy annonçait la tenue d’uneconsultation populaire enGuyane et en Martinique aprèss’être réuni avec les parlementai-res et les présidents des collectivi-tés. Aujourd’hui, la campagne setermine. Les électeurs doiventtrancher. C’est à eux, à nous, dedécider quel avenir sera réservé ànotre département.

Pour ou contrel’article 74

Dimanche, chacun devra

donc répondre à la question sui-vante : « Approuvez-vous latransformation de la Guyane enune collectivité d’Outre-merrégie par l’article 74 de la Consti-tution, dotée d’une organisationparticulière tenant compte de sesintérêts propres au sein de laRépublique ? » Si le « oui » l’em-porte à la majorité, il n’y a aurapas besoin d’une secondeconsultation populaire.

Un secondreferendum?

Mais si le « non » l’em-porte au terme de ce premierscrutin, les électeurs seront ànouveau appelés à se présenterdans les bureaux de vote ledimanche 24 janvier. Pourrépondre cette fois-ci à la ques-tion : « Approuvez-vous la créa-tion d’une collectivité uniqueexerçant les compétences dévo-lues au Département et à laRégion tout en demeurant régiepar l’article 73 de laConstitution ? »

Plus de 67000électeurs

Le nombre d’électeursinscrits sur les listes n’est pasencore connu, en raison de ladate du scrutin. Car générale-ment, ces listes sont ajustées endébut d’année… On peut toute-fois affirmer que plus de 67 000

électeurs potentiels pourraient serendre aux urnes ce week-end.Lors des dernières élections, leseuropéennes en juin, il y avait67 287 inscrits sur les listes élec-torales. Si ce scrutin avait connuun faible taux de participation,on peut supposer que cette fois-ci, les Guyanais se sentiront unpeu plus concernés et devraientalors se rendre en masse dans lesbureaux de vote.

73 bureaux de voteLes 73 bureaux de vote

répartis sur les vingt-deuxcommunes de Guyane serontouverts dimanche, de 8 heures à18 heures. Toutefois, si tous lesélecteurs ont pris part au vote, leprésident du bureau de vote peutdéclarer le scrutin clos avantl’heure fixée. Ce qui, bien

entendu, a peu de chances de seproduire.

RésultatsLes premiers taux de

participation seront com-muniqués par la préfecture versmidi, puis vers 17 heures*. Sinon,comme pour chaque élection, ledépouillement sera effectuéimmédiatement après la ferme-ture des bureaux de vote. Lesrésultats seront alors transmis àla préfecture dès la fin dudépouillement. Mais les résultatsdéfinitifs et officiels serontconnus lundi après validationpar la commission de contrôledes consultations.G.A. !" * Les taux de participation, etles premiers résultats seront enligne sur www.franceguyane.fr

En France, les procé-dures légales

et administratives sont très compliquées

L’ESSENTIEL PRÈS DE CHEZ VOUS 3

Tous aux urnes pour dessiner l’avenir de la Guyane

! Un bungalow à Mirza. Dans lecadre de l’enquête sur lemeurtre d’Edween JohnAugustin, le juge d’instructiona finalement mis la maison dequartier de Mirza sous scellés,puisque c’est à cet endroit quele jeune homme de 26 ans aété tué dimanche matin. Or, ils’agissait du bureau de vote dela cité Mirza. La mairie deCayenne a donc monté unbungalow sur place, afin depermettre aux électeurs ins-crits à ce bureau de voter àl’endroit prévu initialement… àquelques pas seulement de lamaison de quartier.

REPÈRE

POLITIQUE ET CARNAVAL NE FONT PAS BON MÉNAGE. Hier, un groupecarnavalesque de Kourou avait prévu de défiler avec des tee-shirts où il incitait les spectateurs-électeurs à voter dans unsens bien précis, demain. Pas question de mélanger carnavalet débat électoral, pour le président du comité kouroucien,José Guillolet. Le groupe a été empêché de défiler. Sesmembres pourront toujours défiler dans l’isoloir, demain.

connection ! Jamais un numéro de votre TVMagazine n’aura été autant guyanais quecelui de cette semaine. Le programme télé

fête donc son 973e numéro, ce qui ne lui arrivera proba-blement pas deux fois ! Le 25 mai 1991, le « Zouloublanc » Johnny Clegg faisait la Une du premier numérode TV Mag, à l’occasion d’un concert donné au « Karfourde Cayenne ». Depuis, votre hebdo a bien grandi. À l’épo-que, les jeunes transportaient leur cage à pikolèt sur desmobylettes passablement tunées. C’était avant l’arrivéedu scooter… Le TV Magazine était alors tiré à 5 000exemplaires. Aujourd’hui, nous sommes passés à 14800… Et les lecteurs continuent d’être de plus en plusnombreux d’année en année. Toujours est-il que cenuméro 973 est déjà un « collector » !

973##

Ana Beltrame, la consule du Brésil en Guyane, au sujet des problèmes de relogement des sinistrésde l’incendie de l’espace Inini

Jamais un scrutin n’avait été aussi crucial pour l’avenir de notre département. Dimanche,les électeurs devront faire leur choix, et dire « oui », ou « non », à l’article 74de la Constitution. Avant d’envisager un éventuel second referendum dans deux semaines,en fonction des résultats de ce week-end.

FRANCE - GUYANE $ Le quotidien d’information de la Guyane $ samedi 9 & dimanche 10 janvier 2010

FLASHSAINT-LAURENT. Décèsd’Arsène Bouyer d’Angoma$ Mercredi soir, une figuresaint-laurentaine s’est éteinte.Enseignant, homme de Lettres,poète, chroniqueur, ArsèneBouyer d’Angoma est décédé àl’âge de 81 ans. Né le 7 février1928, Arsène Bouyer (Angomaétant le nom de sa mère, qu’il aconservé afin de signer sesécrits) était le père d’une fille etde trois garçons nés d’un pre-mier mariage, et beau-pèred’une fille et d’un garçon qu’il a élevés lors d’unedeuxième union. Des enfants qui lui ont donné cinqpetits-enfants.Après avoir enseigné pendant une trentaine d’an-nées et avoir assuré la fonction d’inspecteur d’aca-démie, Arsène Bouyer a travaillé auprès du procu-reur de la République en qualité de délégué.Depuis trois ans, il présidait l’association saint-lau-rentaine Rayon de soleil, qui prend soin des per-sonnes dépendantes et à mobilité réduite. « C’étaitun homme bon mais qui avait ses souffrances,confie son épouse. Il était complexe, pouvant êtrecharmant comme rude. Il était un peu malade maisne voulait pas le montrer. Alors, même s’il avaitlaissé le vélo de côté, il se déplaçait en marchantcomme un jeune homme dans les rues. » Sondécès a donc été inattendu pour nombre des per-sonnes qui le côtoyaient depuis des années. YolaineBurke, responsable de Rayon de soleil, raconte : « Ilétait toujours dynamique, jovial, élégant, toujoursd’attaque pour venir en aide aux gens. » Sur le site97320.com, les messages de sympathie enversArsène Bouyer se multiplient depuis l’annonce deson décès. Sa famille, ses proches, ses anciensconfrères, ses lecteurs aussi, témoignent de laperte que constitue sa disparition.Mercredi soir, Arsène Bouyer d’Angoma concluaitun cours donné à des enseignants lorsqu’il a étévictime d’un malaise. « Il est mort comme il a vécu,heureux car en enseignant et en transmettant sonsavoir », commente sa fille Patricia.Les obsèques auront lieu à Saint-Laurent, mardi, à16 heures.T. F. !

FGN

370

681-

1 m

w

12

3 4

5

Les électeurs sont appelés à voter dimanche entre 8 heures et 18 heures / photo GA

Page 97: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

97  

Vaccination contre la grippe A/H1N1 à CamopiUne équipe mobile de vaccina-tion contre la grippe A/H1N1 serendra à Camopi, demain. Tou-tes les personnes désireusesd’être vaccinées sont atten-dues de 10 heures à 17 heuresau collège du village.Cette séance de vaccination estouverte à l’ensemble de lapopulation, y compris lesenfants. Les enfants des écoles

maternelles et primaires doi-vent être accompagnés de l’unde leurs parents, les enfantsdes collèges peuvent se fairevacciner en dehors de la pré-sence des parents à la condi-tion de présenter une autorisa-tion parentale dûment signée.Il est rappelé qu’il est possiblede se faire vacciner mêmesans bon de vaccination.

4 L’ESSENTIEL PRÈS DE CHEZ VOUS

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! lundi 4 janvier 2010

73 ou 74... C’est dans l’enveloppeCe week-end, près de 90 personnes ont procédé à la mise sous pli de la propagandepour le scrutin de dimanche prochain. Les électeurs devraient recevoir mercredi ces documents qui vont les aider dans leur choix.

Àchacun sa technique. Dans legroupe de Gianni et Gordon,

chacun se sert dans une pile bienau milieu de la table. Pour le duoformé par Jean-Luc et Martine,l’un complète l’enveloppe com-mencée par l’autre. Les métho-des diffèrent, mais tous ont unmême objectif : remplir le maxi-mum d’enveloppes avec la pro-pagande que les électeurs rece-vront dès mercredi. Dans ces plis,les messages de l’UMP, duMDES, des associations Guyane73 et Guyane 74, de l’Ageg, duPSG, des FDG et de Walwari.Sans oublier deux bulletins« oui » et « non », chacun agré-menté de la fameuse question àlaquelle les électeurs devrontrépondre : « Approuvez-vous latransformation de la Guyane enune collectivité d’outre-mer régiepar l’article 74 de la Constitution,dotée d’une organisation particu-lière tenant compte de ses inté-rêts propres au sein de la Répu-blique ? »Il est presque midi ce dimancheet malgré quelques pluies inter-mittentes, il fait une chaleur tor-

ride sous la tente installée sur lecamp des Forces armées deGuyane à La Madeleine. Surplace, parmi les montagnes d’en-veloppes et de tracts, 41 agents,volontaires, issus de la préfecture,de la DDE et de la gendarmeries’activent, aidés par des person-nes de leur entourage.

!70 000 enveloppes, huit tracts, une questionChaque groupe est doté d’unpackage pour réaliser 1 500enveloppes minimum. Après, lemaximum, c’est selon sonrythme. « Moi j’en fais à peu près80 par heure estime Jean-Luc.Mais Marc et Sandrine, à côté enfont 100 de l’heure. » Et pourcause : Marc et Sandrine ontdéjà participé à la mise sous plis,dans l’Hexagone, avec la mêmemotivation : « C’est payé »,résume Marc. Le travail est, eneffet rémunéré entre 22 et 27centimes brut par enveloppe.« En fait, nous avons une enve-loppe globale, explique MartineBigot, chef du bureau des élec-tions et de la réglementation

générale. Après avoir enlevé tou-tes les charges, on définit lasomme que vont recevoir les per-sonnes qui sont là. » Au final, cesont 70 000 enveloppes qui parti-ront chez autant d’électeurs.Dimanche, une fois toutes lesenveloppes fermées, certainesont commencé leur parcoursavec la Poste. Les autres, à desti-nation des communes difficilesd’accès ou isolées prendront l’hé-licoptère mardi. Mais les équipes se préparentdéjà à un nouveau rush. En effet,

si le non l’emporte dimancheprochain, un nouveau vote seraorganisé le 24 janvier. « Les par-tis n’ont pas encore impriméleurs tracts, indique Marie-JoséBoé, adjointe au bureau des élec-tions, mais je sais que les impri-meurs sont déjà prêts. »Audrey VIRASSAMY "# Mercredi, nous vousproposons quatre pagesspéciales pour mieuxcomprendre les enjeux duscrutin.

EXPR

ESS

Sur le perron de l’hôtel de ville de Matoury aura lieu ce matin,à 11 heures, une cérémonie de passation de commandementorganisé par le Service départemental d’incendie et desecours. Elle se déroulera entre le lieutenant Yvon Chrone,qui quitte sa fonction de chef de centre pour celle de chargé demission auprès du directeur, et le lieutenant Jean-Élie Brunoqui passe d’adjoint au chef de centre au commandement ducentre d’incendie et de secours de Matoury. Il y aura égale-ment une remise de médailles d’honneur et de galons d’offi-ciers.

Matoury : le centre de secourschange de commandement

Je recommande à toutes lesfemmes enceintes de faire

un bilan bucco-dentaire une foispar trimestre

Michèle-SandraMonlouis-DevaLauréate de l’académienationale de chirurgiedentaire!! Vous êtes la premièrepersonne en Guyane àrecevoir une telle dis-tinction. Quel était lesujet de votre thèse?La thèse que j’ai soutenue en décembre2007 était intitulée « Santé bucco-dentaireen Guyane : enquête épidémiologiqueauprès des femmes enceintes». Tout le tra-vail de dépistage et le questionnaire ont étéréalisés ici, dans notre département. J’aiainsi pu consulter 320 femmes enceintes enGuyane, principalement à travers les PMI etles centres de santé. On a essayé de se ren-dre dans le plus de communes possiblespour ce travail d’enquête qui a duré deuxans.

!! Pourquoi avoir choisi un tel sujet?Ce thème n’avait jamais été étudié, ni enGuyane, ni même en France. Même si l’en-quête a été faite chez nous, elle pourraquand même servir de référence dansl’Hexagone, car le sujet traité concerne tou-tes les femmes enceintes du monde. J’aiaussi voulu mettre l’accent sur certainesidées reçues : par exemple, certaines fem-mes pensent qu’elles ne peuvent pas se soi-gner lorsqu’elles sont enceintes. C’est faux.Dans cette thèse, j’ai voulu enfin insister surla campagne de prévention qui m’a semblétrès importante. Et je recommande d’ail-leurs à toutes les femmes enceintes de faireun bilan bucco-dentaire une fois par trimes-tre.

!! Mais alors en quoi la santé bucco-dentaireserait-elle différente chez les femmesenceintes?On sait que la grossesse provoque desmodifications physiologiques. Le corps setransforme, et ce n’est pas une maladie !Mais par exemple, les femmes enceintesgrignotent plus. Cela augmente l’acidité,tout comme les vomissements, qui peuventalors aggraver les caries. Mon enquête acherché à démontrer toutes les corrélationsqui pouvaient exister entre la grossesse et lasanté bucco-dentaire. Et on sait maintenantque les femmes enceintes peuvent rencon-trer des problèmes de prématurité ou deparodontologie. D’où l’importance deconsulter régulièrement un dentiste. "

33QUESTIONS A...

$$

La mise sous pli faite, ce sont près de 70 000 enveloppes qui seront distribuées / photo AV

Les fortes maréesattaquentLes spécialistes de Météo France mettent en garde lapopulation: avec les fortes houles de ces derniers jours,les amateurs de sports nautiques doivent faire preuve dela plus grande vigilance. Depuis quatre jours maintenant,une forte houle de Nord-Est générée par une perturba-tion sur l’Atlantique Nord inonde les plages de Rémire-Montjoly. Sur la plage de l’Apcat, comme sur les autres,les vagues pouvaient donc atteindre deux à trois mètresde hauteur./ photos GA

Heureusement pour l’érosion du littoral, et pourles personnes qui vivent (trop) en bordure de

mer, les prévisions météorologiques des pro-chains jours s’améliorent. À la pointe du Mahury,ou sur la plage des Salines (notre photo), cela fait

trois jours que certains habitants ont les piedsdans l’eau lorsque la marée montre toute sa

puissance.

Des habitants les pieds dans l’eau

Page 98: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

98  

74 7344

La consultation populaireen vingt questionsPendant plusieurs semaines, nous avons invitéles internautes de franceguyane.fr à poser leursquestions sur les articles 73 et 74 de la Constitution.Nous en avons choisi vingt qui ont été soumisesà Pierre-Yves Chicot, maître de conférencesen droit public.

Je me suis inscrit sur les listes électorales courant octobreet on me dit que mon inscription sera valide début mars.Est-ce légal ? Nadjib

! Il n’y a rien d’illégal dans la mesure où le mois de mars correspond à l’élection des conseillersrégionaux. Il s’agit de la première élection proprement dite, la consultation de janvier n’étant pasconsidérée comme une élection.

Je voudrais qu’on me dise de façon précise si l’article 74augmentera les bas salaires, les baissera ou s’ils resterontintacts ? Sadja

! Dans le cadre de l’article 74, la nouvelle collectivité n’aura pas vocation à intervenir dans la fixa-tion du Smic par exemple, qui va rester une compétence de l’État. Les salaires demeureront fixésselon le libre jeu du marché du travail. Le droit du travail reste soumis au droit commun. Autre-ment dit, les lois françaises continueront de s’appliquer comme c’est le cas aujourd’hui.

La France prépare elle aussi une réforme de ses collectivités.Pourtant les Français ne sont pas invités à passer par les urnes.Pourquoi en Outre-mer cela doit être différent ?Jean-Paul

! Parce que les départements-régions d’Outre-mer connaissent tout de même, depuis toujours,un régime particulier en droit français des collectivités territoriales. C’est bien pour cela que lesdépartements-régions d’Outre-mer apparaissent à l’article 73 de la Constitution. Par exemple onparle de départementalisation adaptée (depuis 1958, ainsi que de régionalisation adaptée depuis1982). La Constitution prévoit la possibilité différenciée d’approfondir la décentralisation (transfertde compétences de l’État vers les collectivités territoriales que sont les communes, les départe-ments et les régions). Dans le titre XII de la Constitution consacrée aux collectivités territorialesfrançaises, deux articles concernent l’Outre-mer. Ce sont les articles 73 et 74. Les collectivités ter-ritoriales d’Outre-mer sont donc traitées différemment tout en étant totalement intégrées à laRépublique française.

Est-ce que la nouvellecollectivité pourra supprimerle RMI, ou réduireson montant ? Guy

! La réponse est non. La nouvelle collectiviténe pourra ni supprimer le RMI ni réduire sonmontant parce que la Guyane restera adminis-trée selon le mode de l’identité législative (appli-cation de toutes les lois et de tous les règle-ments ainsi que le droit de l’Union européenne).La politique sociale française reste en l’étatmême avec l’article 74.

Les collectivités d’Outre-meraujourd’hui régies par l’article 74ont-elles eu besoin d’un référendumpour changer de statut ? David

! La réponse est oui pour Saint-Martin et Saint-Barthé-lémy qui étaient des communes du département-régionde la Guadeloupe et donc régies par l’article 73. Le référen-dum a eu lieu le 7 décembre 2003. En revanche, la Polyné-sie française, qui était déjà régie par l’article 74 pour passerde la simple spécialité législative à ce qu’on appelle depuis2003 le statut d’autonomie, a connu cette évolution par levote d’une loi organique (la loi organique est votée par leParlement et préparée par le gouvernement).

Qui prendrait en charge la réparation du pont du Larivot,son doublage ainsi que la 2x2 voies jusqu’à Macouria sousl’article 74 ? Florence

! Rien ne change dans la mesure où même si la Guyane était régie par l’article 74, la répartitiongénérale des compétences demeure en l’état. On va continuer à distinguer les compétences quirelèvent de l’État et celles qui seront à la charge de l’échelon local. En l’occurrence, les routesnationales vont demeurer compétence de l’État. Ce n’est pas une compétence qui a été deman-dée par le congrès des élus du Département et de la Région, celle qui consiste à entretenir les rou-tes nationales. La RN1 est exclue de la compétence de la nouvelle collectivité régie par l’article 74,si elle voit le jour.

2

7

1

3

Sous l’article 74, un projetminier tel Cambior aurait-il été plusfacilement validé par les élus ? Anonyme

! Le congrès des élus départementaux et régionaux a effectivement demandé la compétencerelative aux mines pour la Guyane. Mais cela ne signifie pas que tout droit de regard de l’État est

écarté. Si l’État estime que l’intérêt général est en jeu, il pourra toujours avoir le dernier mot siun projet minier tel que Cambior était à nouveau à l’ordre jour. Il faut bien comprendre

que l’article 74 ne correspond pas à un statut de quasi-indépendance pour laGuyane. Le préfet et les juges demeurent, les services déconcen-

trés de l’État demeurent.

Je pensais vraiment que les Guyanais allaientêtre consultés pour savoir s’il faut oui ou non

une évolution institutionnelle… Là, sans vraiment savoirpourquoi, on nous demande de choisir entre l’article 73 et 74,

comme si les choses avaient été déjà décidées d’avance.Pourquoi faut-il absolument cette évolution ? Marie

! Le congrès des élus départementaux et régionaux de la Guyane considère que le statut deDépartement et à la fois de Région de la Guyane n’est plus adapté au contexte d’aujourd’hui. Ils’agit de réorganiser les institutions que sont le Conseil général et le Conseil régional de tellemanière à avoir une collectivité unique exerçant davantage de compétences. Par ailleurs, laFrance est en train de connaître une grande réforme des collectivités territoriales. Le prési-

dent de la République, Nicolas Sarkozy, a pensé que c’était le bon moment pour interro-ger les Guyanais pour ce qui concerne la réforme de leurs institutions locales (Dépar-

tement et Région). Les articles 73 et 74 de la Constitution française sontprécisément ceux qui prévoient l’évolution institutionnelle ou l’évolution sta-

tutaire. C’est précisément les questions qui sont posées les 10 jan-vier ( « Voulez-vous oui ou non une évolution statutaire ? »)

et le 24 janvier ( « Voulez-vous oui ou non uneévolution institutionnelle?»).

4 8

9Je souhaite savoir si l’autonomiede la Guyane prévue par l’article 74 inclutl’autonomie « administrative »et l’autonomie « financière ».En d’autres termes, l’article 74 va-t-il entraîner la disparitionde structures telles que l’ONF, la DSDS, les parcs naturelsrégionaux et le parc national, la Daf, le CNASEA/ASP, le Pôleemploi, la CGSS, la Caf, la PJJ, le CDAD, l’ADI… ? Sur le planfinancier, l’adoption de l’article 74 ne risque-t-elle pasde réduire, voire de supprimer l’arrivée des aides nationaleset européennes sur le territoire guyanais ? Amandine

! La première chose qu’il faut savoir c’est que la décentralisationen France est de nature administrative. Autrement dit, les collecti-vités n’ont pas le pouvoir de faire la loi. L’autonomie financière a étéconsacrée par une loi organique en 2005. Cette autonomie admi-nistrative et financière existe donc déjà aujourd’hui pour toutes lescollectivités territoriales françaises. L’article 74 n’entraînera abso-lument pas la disparition des différents organismes et institutionscités dans la question. La Guyane restera régie par le principe del’identité législative c’est-à-dire l’application de toutes les lois et detous les règlements français. C’est aussi à ce titre que les aidesnationales et européennes ne seront pas du tout touchées par lepassage de l’article 73 d’aujourd’hui à l’article 74.

5

FRANCE - GUYANE " Le quotidien d’information de la Guyane " mercredi 6 janvier 2010

6

Page 99: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

99  

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! mercredi 6 janvier 2010

74 73 55

Est-ce qu’avec l’article 74, les élus en place pourront augmenter ou créerles impôts, qui sont déjà élevés actuellement ? Guy

" Même sans l’article 74, les élus en place peuvent déjà augmenter ou réduire des impôts locaux. C’est le cas de l’octroi de mer(Région) et la taxe d’habitation (communes). Le congrès des élus départementaux et régionaux a réclamé la compétence fiscalepour certains impôts et taxes, ce qui sera de nature à leur donner davantage de pouvoir de décision en la matière. À l’heure actuelle,on ne peut pas préjuger d’une augmentation ou d’une baisse des impôts. On peut imaginer la création d’impôts locaux nouveaux quiviendraient taxer l’exploitation de l’or en Guyane, dont les bénéfices échappent aujourd’hui aux collectivités guyanaises. C’est aussivrai pour les ressources de la forêt qui sont dérobées de la Guyane sans qu’aucun contrôle véritable ne soit exercé et cette ressourcedérobée est aussi un manque à gagner pour les collectivités guyanaises.

Les entreprises locales peuvent être favorisées sur les marchéspublics dans le cas de l’article 74 ? Fred

" Il est possible d’envisager des dérogations au droit des marchés publics dans la mesure où l’article 74 de la Constitu-tion prévoit la défense des intérêts de la collectivité au sein de la République française. Pour autant, l’article 74 choisi parle congrès des élus départementaux et régionaux est l’option faible. Autrement dit, l’identité législative restera le principeen cas de victoire du oui. Donc c’est le droit commun des marchés publics qui va s’appliquer.

Est-ce qu’avec le 74, les Guyanais bénéficieront toujours des mêmes prixqu’en Hexagone, là où les tarifs sont réglementés ?Et est-ce que ce sera le cas pour l’électricité en particulier, sachant qu’en Guyane le coût de production de l’électricité estsupérieur au prix que l’on paie ? Et sachant que, par exemple en Polynésie, régie par l’article 74, l’électricité coûte environune fois et demie plus cher que le tarif national. De même pour les timbres ?Johnny

" Si le congrès a bien opté pour l’article 74, il s’agit de ce qu’on peut appeler un «article 74 faible» dans la mesure où le principe del’identité législative va demeurer en cas de victoire du oui le 10 janvier. Il n’y a pas donc pas de comparaison à établir avec la Polynésiefrançaise qui est régie par «un article 74 fort». C’est la loi organique qui détermine si on applique «un article 74 faible ou fort». Il n’ya donc pas de raison, en vertu du principe de l’identité législative, que les prix réglementés favorables aux Guyanais ne demeurentpas. Pour autant, l’article 74, par la défense des intérêts de la collectivité au sein de la République, ouvre la voie à une politique plusvolontariste et audacieuse de distribution de l’énergie électrique, notamment sous l’angle des énergies renouvelables.

Dans le cadre des transfertsde compétences, les partisansde l’article 74 disent

que l’article 72.2 suffit pour nous garantirun transfert de ressources financièreséquivalent. Ont-ils raison ? Jean-Pierre(Article 72.2 : Tout transfert de compétences entre l’État et les col-lectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressourceséquivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toutecréation ou extension de compétences ayant pour conséquenced’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accom-pagnée de ressources déterminées par la loi.)

" Il est vrai qu’en 1982 on a reproché à l’État d’avoir transférédes compétences sans transférer les moyens. Le deuxièmeacte de la décentralisation qui intervient par le biais de la loiconstitutionnelle du 28 mars 2003 comble cette carence enintroduisant un article 72-2 dans la Constitution qui prévoit quetout transfert de charges s’accompagne des ressources finan-cières équivalentes. Par la suite, il appartient aux élus locauxde procéder à une gestion intelligente de la compétence trans-férée (par exemple interrompre les recrutements de complai-sance qui obèrent les budgets locaux). Si une loi prévoyait dansses dispositions un transfert de compétences sans transfertdes ressources financières, celles-ci pourraient être recon-nues non conformes à la Constitution.

La fermeture du pont du Larivot met la région côtièreen état de crise. Les décisions immédiateset à venir prisent par le préfet auraient-

elles été différentes sous l’article 74, dans la mesureoù les routes nationales auraient été rétrocédéesà la collectivité territoriale ? Un indécis" Les routes nationales, même dans le cas d’une collectivité uniquede Guyane régie par l’article 74 de la Constitution, restent de la com-pétence de l’État. La Région Guyane actuelle subordonne le trans-fert des routes nationales à une remise en l’état de ces routes. LeDépartement et la Région Guyane ne veulent pas assumer lacharge de routes en mauvais état et non entretenues commeelles le devraient. Le congrès des élus départementaux et régio-naux n’a pas réclamé le transfert de la compétence des routesnationales à la future collectivité.

Les ressources issuesde la solidarité nationaledisparaîtront-elles ? N’est-ce pas

en totale contradiction avec l’article 72.2de la Constitution française ? Jean-Pierre" La solidarité nationale continuera à jouer commeaujourd’hui puisque c’est le principe de l’identité législative quicontinuera d’exister et de prévaloir en cas de victoire du oui le10 janvier. La Guyane reste dans la France.Nous sommes aujourd’hui dans un contexte dominé notam-ment par l’agenda européen qui fait que la France est obligéede conduire une politique d’assainissement de ses financespubliques en vue notamment de réduire son déficit budgétaireet sa dette. C’est ainsi qu’il faut comprendre que toutes les col-lectivités territoriales françaises doivent compter d’abord surleur propre force même si la solidarité nationale ne disparaîtpas.

En Guyane, le clergécatholique est rémunéré surle budget départemental.

Pour l’heure, aucune décision politiquen’a remis en cause ce statut,ni ne l’a étendu à d’autres…Avec un passage à l’article 74, ce régimeparticulier sera-t-il remis en cause,modifié ? Anonyme" Il n’y a aucune raison pour que le passage à l’article 74 modi-fie cette disposition très particulière. Il n’en a pas été questionlors des travaux du congrès des élus départementaux et régio-naux qui a arrêté le principe d’une évolution des institutionslocales en Guyane.

Dans une collectivité régit par l’article 74, n’est-ce pas finalementl’Union européenne qui décidera de ce qui est possible ou nonde faire ? Jérôme

" Pas du tout ! La Guyane reste une collectivité française. Le droit de l’Union européenne va continuer de s’ap-pliquer de plein droit mais ce n’est pas l’Union européenne qui va décider sauf pour les compétences qui lui sontexclusives: la pêche, l’agriculture, la politique maritime, le commerce international, la politique monétaire.

Est-ce que l’article 74 permetla préférence locale à l’emploi ?

Joseph" Non, l’article 74 ne permettra pas la préférence à l’emploien faveur des Guyanais. En effet, les collectivitésrégies parl’ar-ticle 74 qui peuvent protéger l’emploi pour leur population sontcelles qui adhèrent au statut d’autonomie. C’est le cas de laPolynésie française. Le congrès des élus départementauxet régionaux de la Guyane n’a pas demandé cette préro-

gative. Le statut d’autonomie ferait perdre à la Guyaneles acquis sociaux et leur appartenance à la caté-

gorie des régions ultrapériphériques. Le sta-tut d’autonomie n’est donc pas à l’ordre

du jour pour la Guyane.

Nicolas Sarkozy dans son discours aux élusdes Dom du 19 février dernier a bien stipuléceci : « Dans certains territoires, on souhaite

une collectivité unique ou des habilitations législativesplus larges dans le cadre de l’article 73, dans d’autres

l’accès au régime d’autonomie de l’article 74de la Constitution. Là encore, rien n’est tabou, dès lors

que les choses sont claires et que l’on retient un certain nombrede principes : clarifier les relations financières avec la République,

les compétences dévolues aux autorités locales devant êtrefinancées par des ressources locales. »

Que veut dire le chef de l’État par là,ne disposerons-nous que de nos propres

ressources dans l’article 74 ?" L’article 72-2 de la Constitution prévoit désormais que « les recettes fiscaleset les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent,pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemblede leurs ressources ». Le président rappelle donc simplement qu’en vertude la nouvelle décentralisation amorcée en 2003, les compétences localesdépendent pour leur financement davantage de la fiscalité que des dota-tions de l’État. Pour autant, ressources propres ne signifient pas que lanouvelle collectivité sera privée de toute dotation de l’État. Les com-

pétences transférées se verront affecter les ressources financiè-res équivalentes. C’est le texte même de la Constitution. Les

élus devront veiller, dans le cas où le oui l’emporterait le10 janvier, à faire respecter ce principe dans les dis-

cussions qui sont organisées dans la perspec-tive de l’élaboration de la loi organique.

10 1211

13

14

15

20

19

18

Avec l’article 74,comment fonctionnerala retraite s’il y ades différences entre

les conditions de retraiteappliquées en Guyaneet la retraite « hexagonale » ?Jean-Yves

" Les retraites ne sont pas concernées parun éventuel passage à l’article 74. Les retrai-tes sont de la compétence de l’État et le res-tent. Là encore il faut invoquer le principe del’identité législative qui demeurera dans lecas où le oui l’emporterait le 10 janvier.

16 17

Page 100: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

100  

FGN

369

840-

2FG

N 3

7038

2-7

mw

LUNDI 11 JANVIER 2010 ! N° 6401 ! 0,75 euro

pages 2 à 4

www.franceguyane.fr

phot

o Gui

llaum

e Aub

ertin

Après Kourou, vendredi, le roi du carnaval a fait son entrée,samedi, dans la ville capitale page 7

Une pluie d’étoilespour le Vaval de Cayenne

Page 101: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

101  

On l’a su très vite. Dès les premièresminutes du dépouillement, avec

l’accumulation sur les tables des bulle-tins estampillés « non » : ce 10 janvier2010 restera dans l’histoire comme le

jour où les Guyanais ont décidé dedire non à une évolution dans le cadrede l’article 74.Dès les premières estimations donnéesen télé et en radio, les partisans du

« oui », réunis au local de l’associationGuyane 74 ne peuvent que constaterla défaite. « Ce qu’il faut déduire de cevote, avance Jean-Marie Taubira, c’estque pour la population, tout va bien.Que les problèmes de logement, d’in-sécurité, de chômage ne sont pas uneréalité. Si les gens ne veulent pas dechangement, c’est qu’il n’y a pas deproblème. »Pour d’autres, il faut chercher unecause au niveau de la mobilisation dela population. « Où sont lesGuyanais ? Ils sont là, dans la rue ! »lance Monique Guard, passablementénervée. À quelques mètres d’elle, lesgroupes de carnaval défilent, dans uneambiance festive qui tranche avecl’état d’esprit qui domine à l’intérieurdu local. Servais Alphonsine, quiarbore un tee-shirt en faveur du 74enfonce le clou : « C’est la premièrefois que je vois autant de groupes sortirpour un premier dimanche de carna-val. C’est normal, on leur a donné dessubventions et on les a poussés àsortir. »

!La faute à VavalLes discussions se poursuivent tant

bien que mal entre les partisans du« oui », au gré des fanfares qui se sui-vent. Dans un coin, une poignée depersonnes entoure un poste de télébranché sur RFO. Ils ont beau scruterles graphiques, plus personne n’y croit.« Et bien qu’ils continuent de direaprès, “S’il-vous-plaît Monsieur, don-nez-nous des sous” », lâche EdmondPauillac, amer. Eux ? « Ce sont lesgens sans identité, sans dignité. »Elie Stephenson, lui, accuse aussi lecoup : « Il nous faut voir la réalité tellequ’elle est. Les gens se plaignent deplein de choses qui ne vont pas, ilsdisent qu’on dépend de la Martiniquepour toutes les décisions administrati-ves. Là, on leur propose un change-ment dans le cadre de la Républiquefrançaise et ils n’en veulent pas. Plu-sieurs facteurs ont joué : la politiquedu revenu facile, la peur du moindrechangement, le manque de confiancedans tout ce qui est Guyanais y com-pris leurs propres enfants et eux-mêmes. On verra dans les mois à venirquel en sera le prix. Le vote de ce soir,c’est un oui en fait. Un oui à la servi-tude. »A. V. "

LE FAIT DU JOUR2

Une Guyane qui dit non!Le désintérêt des GuyanaisUn Guyanais sur deux. Avec une partici-pation de 48,16 %, les Guyanais se sontrendus timidement aux urnes alorsqu’on attendait une population guya-naise en masse. Après tout, la questionposée concernait la population au pre-mier chef. On s’attendait donc à mieux.Il est vrai qu’en Guyane, les référendumsn’ont jamais connu des participationsrecord : le Traité établissant une Consti-tution européenne organisé le 29 mai2005 (23,11 % ), le Traité de Maastrichtdu 20 septembre 1992 (18,77 % ) et ladurée du mandat du président de laRépublique en septembre 2000 (12 % ).Où faut-il aller chercher les raisons de cedésintérêt guyanais ? Comme l’attestentles résultats des trois référendums précé-dents, la chose « institutionnelle » n’estguère la tasse de thé des Guyanais ou dumoins souvent, elle est incomprise. Sibeaucoup semblaient favorables à uneévolution, il leur manquait toutefois laconfiance en la classe politique. D’où lerecours au non. Ce non traduit aussi lavolonté d’une certaine population deconserver leur avantage dans le départe-ment, de « préserver » la Guyane enl’état.

! Les Guyanais prennentleurs responsabilitésLe moins que l’on puisse dire est que lesGuyanais ont pris leurs responsabilitésen votant non à l’article 74. Un choixcertes précipité, peut-être teinté d’incom-préhension mais un choix sorti desurnes. Un choix qui devrait, à regarderplus loin, dessiner les contours de la

Guyane de demain. Car en se privant deplus d’autonomie, les Guyanais renon-cent-ils à certains droits fondamentaux ?En effet, profitant de ce plébiscite enfaveur du non, l’État peut, en cas de criti-ques sévères à son adresse, rappeler auxGuyanais qu’ils n’ont pas saisi l’occasiond’être… responsables d’eux-mêmes.

! Un désaveu des politiciensCe grand non lancé au visage des politi-ciens peut être considéré comme unéchec cinglant pour l’actuelle classe poli-

tique. En tout cas celle qui avait invité àvoter en faveur du oui. Si en Martinique,le président de Région Alfred Marie-Jeanne avait mis son mandat dans labalance, aucun politicien en Guyanen’avait pris un tel pari. Heureusement…À Mana, Georges Patient, élu au premiertour lors des municipales de 2008, n’apas réussi à rassurer et à convaincre sapopulation. Un cas parmi tant d’autresdans cette Guyane qui dit non. Certes, cen’est pas le bilan des politiciens que lesélecteurs ont jugé hier, mais l’échec

démontre leur faiblesse à convaincre, àeffacer les peurs et surtout l’incompré-hension implantées dans la population.Dès que les bureaux de vote ont ferméhier soir, l’avenir de quelques politiciensa été scellé. Car cet échec, cette défaitefera tache sur un CV surtout à la veilledes régionales de mars, d’autant que cer-tains auront à présenter leur bilan ausein des collectivités. Il est donc clair queles pro-73 partent avec un sérieux avan-tage : il sera difficile aux autres de préten-dre vouloir présider, diriger une collecti-vité qu’ils ne voulaient pas.

! Et maintenant…Les pro-73 ont remporté une bataillemais pas la guerre. Si le non l’a emportéhier, il doit être confirmé dans 15 jours.Et le coup de pouce du Conseil d’Étatqui a éloigné les deux consultationspopulaires de deux semaines peut êtrefavorable à l’un comme à l’autre camp.En d’autres termes, les pro-73 ont 15jours de campagne supplémentaire,notamment pour expliquer le bien-fondéde l’article 73 « rénové » alors que lespro-74 ont le même délai pour jouer lestrouble-fête. Les jeunes qui n’ont pasparticipé massivement à ce scrutin pour-raient avoir la clé de cette consultationentre leurs mains. En cas d’un deuxièmenon le 24 janvier prochain, la Guyanes’engagerait sur le chemin du statu quo.Ou, peut-être, elle goûtera à la réformedes collectivités préparée par ÉdouardBalladur. Et là, nul besoin de consulta-tion…Kerwin ALCIDE "

Dans la quasi-totalité des villes, le non l’a emporté / photo GA

Peu de temps après la fermeture des bureaux, les partisans du oui ne se faisaient guère d’illusion sur l’issue du scrutin / photo AV

Amertume chez les pro-74

Une large majorité des électeurs guyanais a signifié, hier, qu’elle ne voulait pas une collectivité régiepar l’article 74 de la Constitution. Une première victoire pour les pro-73 qui doivent confirmer le 24 janvier prochain.

RE

ND

UM

RÉA

GIS

SEZ

CO

UR

RIE

R.G

UYA

NE@

MED

IA-A

NTI

LLES

.FR

ETEN

VO

YEZ

PAR

SM

SFG

AU

9700

0

FRANCE - GUYANE ! Le quotidien d’information de la Guyane ! Pour nous contacter : 17 rue Lallouette — BP 428 — 97 329 Cayenne Cedex

Alors que les élus en place ont majoritairement soutenu le « oui », hier les électeurs ont choisi de dire non à l’évolution statutaire.

Page 102: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

102  

3 760097 830016

R27838 - 1359 - F : 2,00 !

L’hebdomadaire d’information de la Guyane

N° 1359Du 9 au 15JANVIER 2010

ANDRÉ PARADIS : ! LA NOUVELLE ARROGANCE DES OCCIDENTAUX "

DOSSIERSPÉCIAL

Population:213 031 Guyanais en 2007,

près de 230 000 en 2010

DÉCOUVERTE MARAIS DE KAW : LÀ OÙ LESCAÎMANS RÈGNENT EN MAÎTRES

CONSULTATION POPULAIRE

72, 73, 74 :les textesde référence

> Les chiffres «légaux»par commune> Ces villesqui vont franchirdes seuils importants

Page 103: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

103  

LSG1359 - 6 janvier 2010 - P.13

POPULATION : CHIFFRES ET PRÉVISIONS CONSULTATION POPULAIRE, LES TEXTES DE RÉFÉRENCEDOCUMENT

Le titre XII de la Constitution :« Des collectivités Territotiales »

À quelques heures de la Consultation populaire du 10 janvier concernant l’adoption, ou non, de

l’article 74 de la constitution française pour régir la ou les collectivités de Guyane, nous avons décidé de publier, pour éléments d’information, l’intégra-lité du Titre XII de ce document fonda-mental. Le titre XII de la constitution de 1958 modifiée concerne exclusivement les collectivités territoriales, quel que soit leur type. Modifié notamment en 2003, il apporte le cadre légal global de toutes les collectivités de la Répu-blique, et, plus particulièrement celui de l’outre-mer.C’est en 2003, avec la révision constitu-tionnelle sur l’organisation décentrali-sée de la République que l’on assiste à une sorte de «nouvelle donne», même si le débat a quasiment toujours existé sur le statut des ces collectivités. Deux nouvelles grandes catégories de statuts tentent de mettre fin à un ce que cer-tains avaient qualifié d’éparpillement juridique de ces collectivités : les dépar-tements/régions d’outre-mer, toujours fondés sur le principe d’identité de régime avec la métropole, et les collec-tivités d’outre-mer, où les spécificités, voire l’autonomie, peuvent s’épanouir ; ces deux catégories ne sont d’ailleurs plus étanches. Mais Jean-Yves Fabe-ron, professeur des universités en droit public, explique bien dans «L’outre-mer français - La nouvelle donne institution-

nelle» (La Documentation française) que la révision constitutionnelle de 2003 n’élimine pas pour autant la diversité statutaire. Pour lui, «la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 se présente comme opérant une remise en ordre dans une situation de grand éparpillement. [...] On a affaire à deux catégories ; il n’y a plus de “collectivités territoriales” à la pièce. Cette simplification apparente se pare aussi de modernisation : d’une part, la Constitution fait enfin place aux régions ; d’autre part, la catégorie des territoires d’outre-mer est liquidée : on fait du neuf avec les collecti-vités d’outre-mer.»«En réalité» poursuit Jean-Yves Fabe-ron, «cette présentation dissimule la très grande diversité de ces collectivités, car, contrairement aux apparences, la révision constitutionnelle subdivise fortement les types de statuts possibles. Au demeurant, cela correspond tout à fait avec la volonté affichée d’y reconnaître la diversité.»Du coup, l’auteur note, qu’«au-delà de la distinction binaire annoncée [DOM-ROM et collectivités d’outre-mer],» que «ce ne sont pas moins de sept cas que la Consti-tution distingue désormais : quatre dans l’article 73, et trois dans l’article 74». Dix si on y ajoute les cas particuliers, tels celui de La Nouvelle-Calédonie.C’est dans ce cadre juridique que les électeurs sont amenés à choisir l’ar-ticle qui régira à l’avenir la Guyane le 10 janvier et le 24 janvier si le «Non» l’emporte.

La ou lesquestions Le décret n° 2009-1405 du 17 novembre 2009 relatif à la consultation des électeurs de la Guyane en application des articles 72-4 et 73 de la Consti-tution présente les dates de la consultation populaire qui peut avoir lieu de deux phases.La première (Article 1), le 10 janvier. La question posée, à laquelle vous pourrez répon-dre par oui ou non sera : « Approuvez-vous la transforma-tion de la Guyane en une collec-tivité d’outre-mer régie par l’ar-ticle 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la Républi-que ? »Si les électeurs répondent «Non», et seulement dans ce cas, ils seront de nouveaux consultés le 24 janvier 2010, avec cette question : « Approu-vez-vous la création en Guyane d’une collectivité unique exer-çant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’ar-ticle 73 de la Constitution ? »

Page 104: Défis et limites de la couverture d'un fait politique de proximité, le cas des consultations publiques en Guyane Française

 

 

104  

3 760097 830016

R27838 - 1359 - F : 2,00 !

L’hebdomadaire d’information de la Guyane

N° 1360Du 16 au 22JANVIER 2010

DÉCOUVERTE Kaw : sanctuaire pour caïmans,paradis pour touristes

Abstention :les dormeursde Vaval

Tableau : tousles résultatsde Guyane

Gémeaux ” 22.05 au 21.06 “Votre météo cosmique

Vos prévisions

VOS 10 COMMANDEMENTS !

Cancer ” 22.06 au 22.07 “

Votre météo cosmique

ns pour une année au top

VOS 10 COMMANDEMENTS !

Lion ” 23.07 au 22.08 “

Votre météo cosmique

VOS 10 COMMANDEMENTS !

Vos prévisions> 12 PAGES SPECIALES : VOTRE HOROSCOPE 2010

Oui au Non :la calotte !

Les élusdésavouésdoivent-ils

démissionner ?