des managers, des_vrais-pas des mba

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PAS DES MBA HENRY MINTZBERG UN REGARD CRITIQUE SUR LE MANAGEMENT ET SON ENSEIGNEMENT DES MANAGERS DES VRAIS !

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Des Managers, Des_vrais-Pas Des MBA

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  • PAS DES MBA

    HENRY

    MINTZBERG

    UN REGARD CRITIQUE SUR LE MANAGEMENTET SON ENSEIGNEMENT

    DES MANAGERSDES VRAIS !

    Des managersdans le jardin souvgestion. Quicdemande justimprativemen

    Beaucoup de profdes questions perMintzberrponses.

    Tout le monde court aprs les MBcommerce Mais que vou plutt des arrivistes inadaptdirection ?

    Henry Mintzberet conclut la ncessit den fisinterroge sur les moyens de fet utiles existent dj

    impitoyable contre la fceux qui veulent faire autre c

    Henrest profMon

    Le

    155 x 240 32 mm

    53084_mbas_32.indd 153084_mbas_32.indd 1 26/01/05 14:46:2626/01/05 14:46:26

  • Des managers, des vrais!Pas des MBA

  • Du mme auteur, chez le mme diteur

    Le management : voyage au centre des organisations

    Le manager au quotidien : les dix rles du cadre

    Structure et dynamique des organisations

    Le pouvoir dans les organisations

    Pouvoir et gouvernement dentreprise

  • H

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    M

    INTZBERG

    Des managers, des vrais!Pas des MBA

    Un regard critique sur le management et son enseignement

    Traduit de langlais par Marie-France Pavillet

    Ouvrage traduit avec laide du Centre National du Livre

  • ditions dOrganisation1, rue Thnard

    75240 Paris Cedex 05Consultez notre site :

    www. editions-organisation.com

    Le code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effetexpressment la photocopie usage collectif sans autorisation des ayantsdroit. Or, cette pratique sest gnralise notamment dans lenseignement,provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilitmme pour les auteurs de crer des uvres nouvelles et de les faire ditercorrectement est aujourdhui menace.

    En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intgra-lement ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisationde lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de copie, 20, rue des GrandsAugustins, 75006 Paris.

    Ldition originale de cet ouvrage a t publie aux tats-Unis sous le titre Managers Not MBAs.

    2004, Henry Mintzberg

    ditions dOrganisation, 2005ISBN : 2-7081-3084-6

  • Ce livre est ddi aux Pourquoi pas? qui ont mis au monde lInterna-tional Masters Program in Practising Management :

    Les trente-deux dirigeants de la premire promotion qui ontdbarqu avec nergie et enthousiasme sur notre

    terra incognita

    :Pierre Arsenault, Gerhard Bhm, Marc Boillot, Jane Davis, LucDeWever, Massar Fujita, Jacques Gautier, John Geoghegan, KevinGreenawalt, Abbas Gullet, Kentaro Iijima, Vince Isber, RockyIwaoka, Terry Jenkins, Thierry Knockaert, Gabriela Kroll, Naren-dra Kudva, Silke Lehnhardt, Y.B. Lim, Steve Martineau, JaneMcCroary, Brian Megraw, Edme Mtivier, Kazu Mutoh, HiroNishikawa, David Noble, Harald Plkinger, Morten Ramberg,Nagu Rao, Roy Sugimura, Alan Whelan et Torstein Wold.

    Les entreprises qui ont accept de se lancer dans laventure alorsque nous navions gure que des ides leur offrir : Alcan, BT (enpartenariat avec Telenor), EDF et Gaz de France, Fujitsu, la Fd-ration internationale des Socits de la Croix-Rouge et du Crois-sant-Rouge, Lufthansa, Matsushita et la Royal Bank of Canada.

    Mes collgues du noyau original, la bande des six, que je remer-cie de navoir jamais montr ni gosme ni timidit, dcids quilstaient russir notre commune entreprise : Roger Bennett, Jona-than Gosling, Hiro Hitami, Ramesh Mehta et Heinz Thanheiser,soutenus par Bill Litwack.

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    S O M M A I R E

    Prface

    ....................................................................................................... IX

    Introduction

    ............................................................................................ XV

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    REMIRE

    PARTIE

    P

    OUR

    EN

    FINIR

    AVEC

    LES

    MBA

    Chapitre 1 Erreur sur la cible

    ............................................................ 5

    Chapitre 2 Erreur sur les mthodes

    ................................................ 19

    Chapitre 3 La dgradation du processus ducatif

    ....................... 77

    Chapitre 4 La dgradation de la pratique managriale

    ............. 91

    Chapitre 5 La dgradation des organisations

    ............................... 137

    Chapitre 6 La dgradation des institutions sociales

    .................. 165

    Chapitre 7 De nouveaux MBA?

    ........................................................ 191

    D

    EUXIME

    PARTIE

    L

    A

    FORMATION

    DES

    DIRIGEANTS

    Chapitre 8 La formation des dirigeants dans la pratique

    .......... 233

    Chapitre 9 Dvelopper lenseignement du management

    ........... 283

    Chapitre 10 Le programme IMPM

    ................................................. 333

    Chapitre 11 Cinq tats desprit bien diffrents

    ............................ 353

    Chapitre 12 Apprendre sur le terrain

    ............................................. 377

    Chapitre 13 LIMPact

    .......................................................................... 395

    Chapitre 14 Diffuser linnovation

    ................................................... 421

    Chapitre 15 Dvelopper dauthentiques coles de management

    439

    Bibliographie

    ........................................................................................... 481

    Index

    .......................................................................................................... 505

    Table des matires

    ................................................................................... 513

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    P R F A C E

    Je ne suis pas vraiment titulaire dun MBA la Sloan School of Mana-gement du MIT, lpoque, cela sappelait un

    masters of science

    . Enrevanche, jai vraiment enseign en MBA, environ quinze ans, jusquce que, au milieu des annes 1980, nen pouvant plus, je demande audoyen de McGill de rduire ma charge denseignement et mon salaireen consquence. Je trouvais rellement le gouffre trop bant entre lapratique du management, dont javais une ide de plus en plus claire, etce que lon faisait dans les salles de cours, y compris la mienne, pourformer des dirigeants.

    Et jai constat que je ntais pas le seul le penser. Au fil des annes,javais demand des collgues, un peu partout dans le monde, en par-ticulier aux tats-Unis, ce quils pensaient des tudiants classiques deMBA auxquels ils faisaient cours. Jamais je naurais cru quils fussent sinombreux partager mon point de vue. Un secret jalousement garddes coles de management, cest la proportion de professeurs qui nepeuvent plus voir les MBA en peinture. (Gageons que nous entendronsparler des autres, si ce nest de ceux-ci.)

    Ainsi, dans les annes 1980, ai-je commenc fulminer, dire ce queje pensais des programmes de MBA en particulier dans le chapitreintitul Former des dirigeants, pas des MBA, dun un livre publi en1989. Cest alors que lon sest mis me poser une question embarras-sante entre toutes : ne pouvais-je pas faire quelque chose pour que achange? Les universitaires ntant pas censs se poser ce genre de ques-tions, jai mis un certain temps laborer une rponse. Ensuite, McGilla mis un certain temps rpondre ma rponse. Nous avons cepen-dant fini par constituer un groupe charg de faire effectivement quel-que chose pour que a change : il sagissait en loccurrence de crer unmastre rellement fait pour les dirigeants en place, ceux qui pratiquentle management.

    Comprenant que nous aurions de meilleures chances de russir enpartenariat, nous avons approch lInsead, o jenseignais galement lpoque. Mais cela ne nous a pas mens trs loin, cest pourquoi jaiappel Jonathan Gosling, luniversit de Lancaster, pour voir si notreprojet pouvait intresser son cole. Il fallait quil en parle une ou deux

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    personnes, ma-t-il rpondu, en particulier le doyen. Une heure plustard, il me rappelait!

    Jai dment rdig un memo destin lInsead, reconnaissantlchec de nos pourparlers. Quand Gareth Dyas la remarqu sur lebureau de notre secrtaire commune, il a saut en lair

    :

    Tu ne peuxpas faire a! Jai compris alors que ma proposition initiale tait tropsimple. Pour lInsead, il fallait que ce soit compliqu. Je leur ai doncsuggr un partenariat entre cinq coles de management. Et a, a leura plu!

    Ensuite, jai fax une lettre Hiro Itami, de luniversit Hitsosu-bashi, Tokyo, sans savoir quil en tait dsormais le doyen. Assieds-toi avant de lire ceci, tels taient les premiers mots de ma missive.Pourquoi pas? tels furent ceux de sa rponse, ds le lendemain.

    Et cest ainsi que notre petit groupe, le trio de McGill Jonathan,Roger Bennett et moi-mme et Heinz Theinheiser, de lInsead, sestenvol pour Tokyo afin de convaincre Jiro Nonaka, le grand patron delenseignement du management au Japon. Nous avons bien faillinavoir jamais loccasion de le faire il et suffi que les fous qui ontgaz le mtro de Tokyo ce matin-l, au moment-mme o nous nousrendions Hitsosubshi, dcident de perptrer leur attentat sur la mmeligne, mais dans lautre direction.

    Aprs Tokyo, nous nous sommes rendus lIndian Institute ofManagement de Bangalore, o Roger avait auparavant fait un voyage dereconnaissance. Ide intressante, mais nous ne les reverrons jamais,telle avait t leur raction ce premier contact (comme nous devionsle dcouvrir plusieurs annes plus tard). Mais si, ils nous ont revus, et lepartenariat cinq fut confirm (au Japon, il incluait le corps enseignantde plusieurs coles de management).

    Il nous fallait ensuite recruter des entreprises qui acceptent de nousenvoyer leurs dirigeants et ce ntait pas chose facile, sachant que toutce que nous avions leur offrir, ctait des ides (et nos efforts person-nels, que ne soutenaient pas les moindres ressources). Grce aux entre-prises nommes dans la ddicace, nous avons cependant russi dmarrer, mme si, un mois avant, la chose ne semblait gure possible.Ainsi donc, au printemps 1996, naissait lInternational Masters Pro-gram in Practising Management (IMPM), qui continue aujourdhuiencore faire les dlices de ma vie professionnelle vous ne serez sansdoute pas sans remarquer mon enthousiasme dans les chapitres 10 14.

    Lobjet de cet enthousiasme constitue lun des trois principaux sujetsdu prsent ouvrage comment former des dirigeants par le biais dun

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    processus ducatif srieux. Le second, cest ma critique personnelle desMBA classiques je pense en effet que leur enseignement altre la pra-tique managriale. Nous nous pencherons galement sur cette dernire.Selon moi, elle est en train de drailler et cela entrane des consquen-ces dysfonctionnelles pour lensemble de la socit. Ainsi donc, ce petitpaquet que lon appelle un livre quatre ans dcriture, quinze de dve-loppement, trente-cinq de rflexion rassemble beaucoup de mesides.

    Il est banal, dans les pages comme celle que vous lisez, de trouver lecouplet affirmant que le livre rsulte dun travail collectif, alors quetout le monde sait parfaitement que rien nest plus personnel quedcrire un livre. Il se trouve quen loccurrence, cette affirmation estloin dtre de pure forme.

    Je ddie ce livre chacun des Pourquoi pas? qui ont lanclIMPM, mais je voudrais remercier tout particulirement lun dentreeux. Ce livre, a naurait pas valu la peine de lcrire si je navais rencon-tr Jonathan Gosling et dvelopp une extraordinaire relation de travailet damiti avec lui. Ses ides et son imagination imprgnent lensemblede ces pages, bien plus que ne le donnent penser les nombreuses notesle mentionnant expressment. On massocie peut-tre plus volontiers lIMPM parce que mon nom est plus connu dans la littrature dumanagement, mais sans Jonathan, lIMPM nexisterait pas.

    Et lIMPM ne serait pas ce quelle est sans un grand nombre dautrespersonnes professeurs, participants aux neuf promotions, nos inter-locuteurs dans les entreprises, et dautres encore. Je tiens mentionneren particulier Frank McCauley, de la Royal Bank of Canada, qui nous anon seulement soutenus ds le dbut (il senorgueillissait mme denous avoir envoy notre premier chque), mais nous a aussi apportnombre dides intressantes, comme on le verra dans la secondepartie; Thomas Sattelberger, de la Lufthansa, qui nous a mis le feu pournous faire dcoller; Bill Litwack, qui a conu lorganisation administra-tive astucieuse ncessite par un partenariat compliqu et nous a aids donner le ton lors des premiers modules; Colette Web, qui lui a succdau poste dadministrateur du programme et en est depuis lme et lecur, toujours dans la bonne humeur; Dora Koop, prsente ds latoute premire runion McGill, qui soccupe encore du moduleMcGill, et Kunal Basu, qui a particip ces premiers efforts; NancyBadore, toujours prte nous communiquer ses ides lumineuses et nous soutenir le moral; un certain nombre de jeunes Turcs de notrecorps enseignant, notamment Quy Huy, Kaz Mishina, Taizoon

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    Chinwalla (diplm IMPM puis co-directeur de cycle chez Motorola),et Ramnath Narayanswamy, qui taient souvent plus fidles aux princi-pes fondamentaux du programme que ses fondateurs, moi enparticulier; et Oliver Westall, qui est en train de prsenter lide IMPMaux programmes EMBA existants.

    Mon pouse Sas a et moi avons fait de longs sjours Prague depuisfin 1999, et cest l que jai crit la majeure partie de ce livre cinq foisenviron! Elle ma soutenu et inspir. De temps autre, je lui annonais sa grande joie, manifeste avec une non moins grande nergie quejavais termin. En fait, un livre nest termin que quand vous lavezentre les mains. Demandez Santa, mon assistante. Chaque fois quelleavait fini de taper le dernier chapitre (j

    cris

    des livres, cest Santa qui lestape), jarrivais avec des rvisions du premier. Comment elle a fait pourgarder sa bonne humeur, cest un mystre que je noserai pas tenterdlucider. Jai galement t aid par Chahrazed Abdallah, connuesous le nom de ChaCha (vous imaginez ce que cest que de vivre avecune femme qui sappelle Sas a, une assistante qui sappelle Santa et uneassistante de recherche qui sappelle ChaCha!), Elise Beauregard, ChenHua Tzeng et Rennie Nilsson. Nathalie Tremblay a fait preuve duneefficacit sans pareille pour retrouver les rfrences gares.

    Berrett-Koehler est un diteur lancienne. Autrement dit, tout lemonde y croit aux livres, aux ides et aux auteurs; la maison ne changepas de propritaire tous les quinze jours, et le personnel ne joue pas auxchaises musicales de la rorganisation constante. Steve Piersanti est ungentleman, calme, dvou nos entreprises ont dsesprment besoinde davantage de patrons de cette trempe. Je suis vraiment enchantdavoir pu travailler avec le style de management trs engag que jedcris au chapitre 9 et avec toute lquipe de Berrett-Koehler quilincarne.

    Charlie Dorris, Jeff Kulick, Bob Mountain, Andra Markowitz, JohnHendry, Joe Raelin, Dave Ulrich, Paola Perez-Alleman, Colette Webb,Oliver Westall et Jonathan Gosling ont fait des commentaires utiles surcertaines parties du livre ou sur son ensemble. Bob Simons en a for-mul de prcieux sur le chapitre 2, il a fait montre de bien plus de gen-tillesse que moi lorsque je parlais de son cole (Harvard), russissantnanmoins rendre mes arguments un peu plus honntes. BogdanCostea a apport, dans sa thse de doctorat et au cours de discussionsprives, des ides qui ont inform ce livre; Dan LeClair, de lAACSB,ma rendu un grand service en me communiquant les statistiques dins-criptions dans les programmes de management; Joe Lampel a beau-

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    coup travaill lanalyse des dix-neuf PDG de Harvard prsente auchapitre 4. Je dois aussi mentionner les divers participants lIMPMqui mont permis de les citer.

    Il y a quelques annes, le doyen dune clbre cole de management(Richard West, de luniversit de New York), disait : Si je ntais pas ledoyen de cette cole, jcrirais un livre sur la faillite de lenseignementamricain du management (

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    Byrne 1990:62). Je nai jamais tdoyen dune cole de management, mais jai travaill avec un certainnombre dentre eux. Inutile (mais ncessaire) de dire que les idesexprimes dans cet ouvrage ne reprsentent ni leur point de vue ni celuide leur cole. En revanche, mes doyens et collgues connaissaient bienmes ides et nen ont jamais en aucune manire dcourag lexpression,encourageant au contraire nos efforts pour crer lIMPM.

    Merci tous!

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    I N T R O D U C T I O N

    Ce livre traite de lenseignement du management, cest--dire de ladirection des entreprises ou des organisations. Je crois profondmentque les deux connaissent de graves difficults, mais on ne peut changerlun sans changer lautre.

    Le problme de lenseignement du management, cest quil ensei-gne surtout la pratique des affaires, faussant ainsi lide que se font lestudiants du management au sens propre. Celui-ci suppose de conju-guer une bonne dose de mtier (lexprience), une part dart (la clair-voyance) et une autre de science (lanalyse). Un enseignement qui placeexagrment laccent sur la science encourage un style de direction quejappelle calculateur, ou, si les diplms se considrent comme desartistes, comme le font un nombre croissant dentre eux, un style quejappelle hroque. Arrtons ces simagres! Nous navons pas plusbesoin de hros que de technocrates dans les postes influents. Ce dontnous avons besoin, ce sont des hommes et des femmes quilibrs,dvous leur tche, pratiquant un style de management que lonpourrait qualifier dengageant. Ces personnes croient devoir laisserderrire eux une entreprise plus vigoureuse et non pas simplement unecapitalisation boursire accrue. Elles ne confondent pas leadership etego surdimensionn.

    Pour former de tels dirigeants, il faudra introduire une nouvelleapproche de lenseignement du management, une approche enga-geante, elle aussi, qui encourage les dirigeants en poste tirer les leonsde leur propre exprience. Autrement dit, il nous faut rintgrer lemtier et lart du management dans son enseignement, afin de les rin-troduire dans sa pratique.

    Si vous vous laissez guider par les titres des chapitres de ce livre, vouslirez un texte portant sur lenseignement du management la premirepartie tant consacre ses dfauts, selon moi, la seconde ce que lonpourrait faire pour que a change. Mais si vous lisez lintrieur des cha-pitres, vous lirez un texte qui porte sur le management lui-mme etencore une fois sur les dfauts que je lui vois et ce que lon pourrait fairepour que a change. Pour reprendre le sous-titre, nous portons unregard critique sur une pratique critique, celle du management, en

  • Introduction

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    nous penchant particulirement sur la faon de former les dirigeants.De nombreux livres abordent de faon lnifiante lpre pratique dumanagement. Je crois pour ma part quil faut avoir le courage de regar-der les choses en face, avec srieux; laffaire est trop importante pourquon la laisse au genre douvrages qui encombrent les linaires deslibrairies. la vrit, les recettes faciles, les formules toutes faites pourrgler rapidement les problmes, sont les problmes du managementaujourdhui, certainement pas la solution.

    Jai crit ce livre lintention de tous les lecteurs qui aiment rfl-chir et sintressent lenseignement et la pratique du management :enseignants, cadres dirigeants et simples observateurs. Ceci inclut mon sens les candidats, les tudiants et les diplms MBA, au moinsceux qui ce diplme inspire des doutes. Si ce que jai crit ici est vrai,ils devraient tre les premiers lire cet ouvrage.

    Les lecteurs qui sintressent lenseignement du managementapprendront au fil des pages beaucoup de choses sur sa pratique. Ceuxqui sintressent au management lui-mme portant un regard criti-que sur une pratique critique sintresseront particulirement cer-taines parties du livre, en particulier les chapitres 4, 5 et 6. Avant de leslire, cependant, je leur conseille de jeter un coup dil sur lintroduc-tion de la premire partie et de parcourir le dbut du chapitre 1 (pages5 13) et, dans le chapitre 2, les pages 37 43, 50 60 et 74 75. Enoutre, quand ils auront termin le chapitre 6, je leur recommande lespages 311 316 et surtout les pages 329 332 du chapitre 9, puis lespages 362 372 du chapitre 11 et les pages 395 398 et 408 409 duchapitre 13.

    Jajoute que le texte est illustr dencadrs trs divers dont la lectureconfre toute leur saveur mes arguments.

    La premire partie de ce livre est intitule Pour en finir avec lesMBA. Certains le trouveront peut-tre trop virulent, mais je lai conucomme une critique srieuse de ce que je considre comme une prati-que profondment imparfaite. Si les MBA vous concernent dunemanire ou dune autre, que ce soit parce que vous en recrutez ou ensoutenez, que vous soyez leur professeur ou que vous soyez vous-mmeMBA, je vous conseille fortement de lire ceci, ne serait-ce que pourruminer quelques penses sombres sur un diplme si ostensiblementbrillant. Si vous avez le moindre rapport avec des dirigeants (qui nen apas?) ou si vous ltes vous-mme, jespre que cette lecture vousouvrira les yeux sur une activit dune importance vitale qui chappe tout contrle social.

  • Introduction

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    Les chapitres de cette premire partie se prsentent de la maniresuivante : ce que jappelle les MBA classiques sadressent essentielle-ment aux jeunes ayant peu ou pas du tout dexprience managriale(Erreur sur la cible, chapitre 1). Faute de pouvoir utiliser lart ou lemtier, ils mettent laccent sur la science, sous forme danalyse et detechnique (Erreur sur les mthodes, chapitre 2). Ceci laisse leursdiplms limpression trompeuse davoir reu une formation de diri-geant, ce qui corrompt lenseignement et la pratique du management,ainsi que les organisations et les entreprises dans lesquelles est pratiquce type de management (chapitres 3, 4, 5 et 6).

    On a fait beaucoup de battage autour des changements oprs aucours des annes rcentes dans plusieurs MBA de renom. Ny croyezpas (De nouveaux MBA?, chapitre 7). Le MBA est un diplme cren 1908, fond sur une stratgie qui remonte aux annes 1950. Les vri-tables innovations dans lenseignement du management, surtout enGrande-Bretagne mais peine reconnues aux tats-Unis, servent detransition entre la critique de la premire partie et les ides positivesprsentes dans la seconde partie (La formation des dirigeants).

    Un vritable gouffre spare, hlas, la formation des quipes de direc-tion et lenseignement du management. La premire mriterait que lony consacre un livre entier, mais nous nous contentons de donner ici unaperu des pratiques les plus courantes (La formation des dirigeantsdans la pratique, chapitre 8) qui ouvre dj des perspectives intres-santes pour lenseignement du management.

    Nos rflexions prcdentes suggrent un ensemble de principesgnraux la lumire desquels il est possible de repenser lenseigne-ment du management (Dvelopper lenseignement du management,chapitre 9). Ces principes ont t appliqus dans une famille de pro-grammes qui bouleverse lenseignement du management et la forma-tion des dirigeants en permettant ces derniers de rflchir partir deleur propre exprience la lumire de quelques concepts forts (chapi-tres 10 14). Nul ne peut fabriquer un leader dans une salle de cours.Mais les dirigeants existants peuvent amliorer significativement leurpratique dans une classe o leur exprience alimente la rflexion.

    Tout ceci permet de conclure que les business schools elles-mmesdoivent tre repenses, se mtamorphoser en coles de management(Dvelopper dauthentiques coles de management, chapitre 15).Mais ces agents du changement seront-ils capables de changer eux-mmes?

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    Premire partie

    Pour en finir avec les MBA

    Il est temps de reconnatre que les MBA classiques ne sont que ce quilssont ou de les fermer. Ils offrent une formation spcialise dans lesfonctions de lentreprise et non une formation gnrale la pratique dumanagement. Utiliser la salle de classe pour contribuer dvelopper lespersonnes qui pratiquent dj le management est une excellente ide,mais prtendre crer des dirigeants partir dindividus qui nont jamaisdirig quoi que ce soit, cest une imposture. Il est temps que nos busi-ness schools consacrent au management lattention quil mrite.

    Cette affirmation peut paratre surprenante un moment o lesprogrammes MBA sont au sommet de leur popularit, les diplms aufate de la russite, et o les entreprises amricaines, qui ont fait unetelle confiance ce titre, semblent avoir atteint le stade ultime du dve-loppement. Je dirai quune bonne part de ce succs est illusoire, quenotre approche pour former les leaders fragilise notre leadership, ce quientrane de lourdes consquences conomiques et sociales.

    Dcennie aprs dcennie, rien quaux tats-Unis, prs dun milliondindividus arms dun titre nomm MBA sabattent sur lconomie, etla plupart dentre eux nont des clients, des salaris, des produits et desprocessus quune connaissance directe limite. Une fois en poste, ilstrouvent tout naturel de diriger dautres individus qui, eux, possdentcette connaissance, acquise de la seule faon possible la faveur duneexprience personnelle intensive. Mais, faute de possder ce ssame,ceux-ci sont de plus souvent relgus sur la voie lente, o ils sontsoumis au leadership dhommes et de femmes qui ne sont pas desdirigeants lgitimes.

    Si on les considre comme une formation la direction de lentre-prise, les MBA classiques ne forment pas les bons candidats,

  • Pour en finir avec les MBA

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    nemploient pas les bonnes mthodes, et cela entrane des consquen-ces graves. Telle est la thse que je dvelopperai dans la premire partiede ce livre. Elle contient sept chapitres. Le premier porte sur le fait quece ne sont pas les bons candidats, le second sur celui que les mthodesemployes ne sont pas les bonnes, et les quatre suivants sur les cons-quences qui sensuivent. Le chapitre 7 voque les changements rcentsapports aux programmes MBA pour en conclure que, la plupart dutemps, ils sont de pure faade. Une formule dominante sest tabliedans les annes 1960 et continue simposer fermement la majeurepartie de cet enseignement. Les exceptions notables se situent essentiel-lement en Grande-Bretagne, et les innovations qui y ont t introduitesconstituent la charnire entre les deux parties de cet ouvrage.

    Pour commencer, il convient de clarifier la terminologie. Premire-ment, quand je parle de MBA classiques, je pense des cours pleintemps qui sadressent des gens relativement jeunes (moins de trenteans en gnral) et les forment principalement aux fonctions de lentre-prise, mais hors contexte, cest--dire indpendamment de toute exp-rience spcifique du management. Cette description convient laplupart des MBA actuels, aux tats-Unis et dans le reste du monde. quelques rares exceptions prs, les autres (que lon appelle en gnralEMBA), prennent des individus possdant davantage dexprience, lesfont venir temps partiel et font plus ou moins la mme chose. Autre-ment dit, ils forment les bons candidats, mais pas avec les bonnesmthodes, ce qui entrane galement des consquences indsirables.Pourquoi? Parce que la plupart du temps, ils nutilisent pas lexprienceque possdent leurs tudiants.

    Deuximement, jutilise les mots management et leadership defaon interchangeable. La nouvelle mode (depuis Zaleznik 1977)consiste les distinguer. Le leadership est cens recouvrir des responsa-bilits plus hautes et plus importantes. Je rejette cette distinction, toutsimplement parce que les managers doivent diriger et les dirigeants doi-vent grer. Le management sans leadership est strile; le leadership sansmanagement, coup de la vraie vie, ouvre la voie au dveloppementdun ego surdimensionn. Il ne faut pas laisser le management le cderau leadership, ni dans les programmes MBA ni ailleurs.

    Troisimement, je fais rfrence aux coles en question de troismanires : en gnral, je parle de business schools, ce que sont la plu-part dentre elles; mais je parle aussi parfois dcoles de management,ce quelles pourraient devenir; et, spcifiquement dans le dernier chapi-tre, dcoles de management et de gestion, pour bien montrer le double

  • Pour en finir avec les MBA

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    rle que la plupart devraient, selon moi, assumer, en partageant harmo-nieusement leur attention entre le management et la gestion.

    Le MBA a t cr en 1908, et les dernires rvisions srieuses quil asubies remontent la fin des annes 1950, aprs la publication de deuxrapports. Les business schools se flattent denseigner le dveloppementdes nouveaux produits et le changement stratgique, mais leur titrephare, le MBA, est un diplme de 1908 proposant une stratgie de1950. La premire partie de ce livre dveloppe cette conclusion, laseconde propose un changement rel.

    La premire partie critique lenseignement donn en MBA. Je le faislonguement car je crois que le procs du MBA en tant que formation aumanagement doit tre instruit de manire exhaustive, afin de battre enbrche certaines convictions profondment ancres et leurs consquen-ces. Lun des articles les plus intressants qui aient jamais t consacrsau MBA est paru en 1968 dans le magazine

    Fortune

    . Sheldon Zaleznicky affirmait que lon a laiss simposer sans la remettre en questionlide selon laquelle les

    graduate schools of business

    sont la principalesource de dirigeants (169). Cette ide na toujours pas t contes-te

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    Sauf ici.

    1. En 1996 (221), Aaronson publiait un rapport suite une recherche darticlesportant sur lenseignement de la gestion aux diplms. Sur les 693 articles quelleavait trouvs, seuls 12 critiquaient cet enseignement.

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    E R R E U R S U R L A C I B L E

    Il nest jamais trop tard pourapprendre, mais quelquefois, il esttrop tt.

    C

    HARLIE

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    ROWN

    ,

    Peanuts

    On ne nat ni chirurgien ni comptable. Ce sont des mtiers spcialissqui exigent une formation spcifique, initialement dans une salle declasse. Les tudiants doivent, bien entendu, tre capables de manier unbistouri ou le clavier dun ordinateur, mais ils doivent commencer parrecevoir un enseignement spcialis. Ensuite, ils peuvent tre imposs un public mfiant, au moins pour linternat ou pour prparer leurexpertise, avant dtre autoriss pratiquer seuls leur mtier.

    Pour les dirigeants dentreprise, ce nest pas pareil. Il y a des leadersns. la vrit, aucune socit ne peut se permettre autre chose que desleaders ns. Le leadership et le management, cest la vie mme, pas uncorpus de techniques abstraites du faire et de ltre. Lenseignement nesaurait verser lexprience vcue dans le rcipient de lintelligence natu-relle du sujet, pas mme dans celui dun leader potentiel. Mais il peutaider former un rcipient dj plein ras bords des expriences duleadership et de la vie.

    Autrement dit, tenter denseigner la direction dentreprise quelquun qui na jamais rien dirig, cest comme tenter denseigner lapsychologie quelquun qui naurait jamais rencontr un autre trehumain. Les entreprises sont des phnomnes complexes. Les dirigerest une affaire difficile, pleine de subtilit, exigeant toutes sortes deconnaissances tacites qui ne peuvent sacqurir quen contexte. Tenterde lenseigner des gens qui nont jamais pratiqu est pire quune pertede temps cela galvaude la notion mme de management.

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    LE MANAGEMENT DANS LA PRATIQUE

    Si le management tait une science ou une profession, on pourraitlenseigner des personnes dmunies dexprience. Ce nest ni lune nilautre.

    Le management nest pas une science

    La science consiste dvelopper une connaissance systmatique grce la recherche, et tel nest pas lobjet du management. Ce nest mme pasune science applique, car une science applique, cest encore unescience. Le management fait tout de mme appel la science : les diri-geants doivent en effet exploiter toutes les connaissances quils peuventrassembler, quils les puisent dans les sciences ou ailleurs. Mais le mana-gement, qui fait la part si belle des qualits comme la clairvoyance,la vision ou lintuition, tient davantage de lart. (Peter Druckercrivait en 1954 que les jours du manager intuitif taient compts[93]. Un demi-sicle plus tard, on compte encore.) Et le management,cest surtout du mtier, au sens que cela relve de lexprience, delapprentissage sur le tas. Cela veut dire quil sagit autant dagir pourpouvoir rflchir que de rflchir pour pouvoir agir.

    Prenez une bonne dose de mtier, une certaine quantit dart et unpeu de science, vous aboutirez un travail qui est avant tout une prati-que. Il ny a pas une seule et unique manire de bien diriger uneentreprise; tout dpend de la situation.

    Le management est efficace quand il permet lart, au mtier et lascience de se rencontrer. Mais dans une salle de cours o sont runisdes tudiants sans exprience, ils ne peuvent se rencontrer nulle partcar il ny a rien faire. Linda Hill (1992) crit dans son ouvrage sur lesmanagers quils ont tous d agir en manager avant de savoir en quoiconsistait leur rle (67). Autrement dit, quand il ny a pas dexp-rience, il ny a pas de place pour le mtier : les tudiants inexprimentsne peuvent tout simplement pas comprendre la pratique. Quant lart,rien nempche den discuter, et mme de ladmirer dans les cours deMBA classiques. Mais le manque dexprience des tudiants lempchedtre apprci sa juste valeur. Tels des profanes regardant des uvresdart, ils doivent se contenter dobserver sans comprendre commentlartiste a bien pu sy prendre.

    Reste la science, principal objet de lenseignement des MBA classi-ques, au moins sous forme danalyse. Ainsi, comme nous le verrons au

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    chapitre 2, les tudiants des MBA classiques terminent leurs tudes enayant le sentiment que le management, cest de lanalyse, spcifique-ment la prise de dcisions systmatique et la formulation de stratgiesdlibres. Ceci, comme je le montrerai au chapitre 3, est une visiontroite et fallacieuse du management qui a ouvert la voie, dans la prati-que, deux styles de management dysfonctionnels : le managementcalculateur (exagrment analytique) et le management hroque (pr-tendument artistique). Nous les opposerons plus loin un style qui faitdavantage appel lexprience, que nous appellerons le style engageant calme et cohrent, motivant et inspirant.

    Le management nest pas une profession

    On a fait remarquer que le travail des ingnieurs, lui aussi, est moinsune science ou une science applique quune pratique part entire(Lewin 1979). Leur mtier fait cependant largement appel la science,une science codifie, dont la validit est certifie. On peut donc parlerde profession, ce qui veut dire quelle peut tre enseigne avant dtrepratique, hors contexte. En un sens, un pont est un pont ou, au moins,de lacier, cest de lacier, mme si son emploi doit tre adapt aux cir-constances du moment. Il en va de mme de la mdecine : de nom-breuses maladies sont codifies, ce sont ds lors des syndromesstandard, que lon traitera avec des techniques spcifiques. On ne sau-rait en dire autant du management (Whitley 1995:92), dont peu dl-ments, dans la pratique, ont t codifis de faon fiable, je ne parlemme pas den certifier lefficacit. On ne peut donc pas dire que lemanagement soit une profession, pas plus quon ne peut lenseignercomme telle.

    Comme le travail des ingnieurs et des mdecins repose sur unnorme corpus de connaissances codifies quil faut apprendre, lexpertchevronn, bard de diplmes, peut presque toujours faire mieux quele profane. Il nen va pas de mme du management. Qui feraitconfiance un ingnieur ou un mdecin intuitif, sans formationspcifique? Pas grand-monde. Nous confions pourtant dun cur lgerle destin de nos entreprises toutes sortes de managers qui nont jamaispass une seule journe dans un cours de management (mais certainsde leurs collgues, qui y ont pass deux ans, nous inspirent la plusgrande mfiance, nous y reviendrons au chapitre 3).

    Depuis que, dans les annes 1910, Frederick Taylor (1911) a parldune seule et unique bonne manire de diriger une entreprise (one

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    best way), et que Henri Fayol (1916) a dclar pour sa part que lacapacit diriger peut et doit tre acquise, de la mme manire que lacapacit technique sacquiert lcole, et plus tard latelier (14), noussommes la recherche de ce saint Graal le management, vu commeune science et une profession. En Grande-Bretagne, un groupe baptisManagement Charter Initiative a tent de mettre en place la certifica-tion des managers (en commenant par postuler, sans prendre la peinede le prouver, que le management tait une profession). Le MBA, con-fiait un journal le directeur de cette initiative, est la seule qualificationrellement mondiale, la seule licence de faire des affaires par-del lesfrontires (Watts 1997:43).

    Cette affirmation ne tient pas la route, et les efforts de ce groupe sesont solds par un chec. Il est temps de regarder les faits en face : aprsquasiment un sicle de tentatives, il ne serait pas raisonnable de direque le management soit devenu une science, pas plus quune profes-sion. Il reste profondment ancr dans les pratiques de la vie quoti-dienne. Cest un fait il ny a pas lieu de sen rjouir ou de senplaindre, mais den tenir compte, de former des managers profond-ment ancrs dans la vraie vie, celle de la direction de leur entreprise, etnon des professionnels coups du rel.

    Les activits dont nous avons parl plus haut se divisent entre celleso la personne qui agit en sait rellement plus long que ceux qui bn-ficient de son action, et celles o le fait de se poser en expert, sachanttout mieux que les autres, peut faire obstacle au bon droulement desoprations. Rares sont ceux dentre nous qui, arrivant au bloc opra-toire sur une civire, seraient enclins donner des conseils leur chi-rurgien (Vous ne pourriez pas couper un peu plus bas, sil vousplat?). Cet homme se comporte peut-tre de faon dtestable quand ilvient nous rendre visite aprs lintervention, mais nous sommesconvaincus quil sait ce quil fait. En revanche, un instituteur qui seposerait en puits de science face des ignorants risquerait fort de ne pasleur transmettre ses connaissances. Lenseignement est une activit defacilitation il est pratiquement plus important dencourager les lvesque denseigner stricto sensu.

    Le management, lui aussi, est largement une activit de facilitation.Bien entendu, les managers doivent savoir beaucoup de choses cestsur ces connaissances quils doivent souvent fonder leurs dcisions.Mais, en particulier dans les grandes entreprises et celles qui vendentessentiellement du savoir, ils doivent avant tout se montrer dexcel-lents leaders, pour que leurs subordonns, mieux arms intellectuelle-

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    ment et mentalement, agissent mieux. Le rle du patron, cest de faireen sorte que les autres donnent le meilleur deux-mmes. Lide selonlaquelle le chef tout puissant commence par accoucher dune stratgiegrandiose avant den diriger lexcution par tous les autres membres delentreprise est un mythe souvent hrit de la production de masse debiens simples. Cest pourtant lune des impressions que laisse lensei-gnement des MBA. Notre objectif est de crer un environnement oles tudiants apprennent sattaquer des problmes difficiles, com-plexes Nos tudiants dcouvrent ce que cest que dexercer son juge-ment, de prendre des dcisions, dassumer ses responsabilits (inMessage from the Dean, site web de la Harvard Business School,2003).

    Les instituteurs peuvent sans difficult transporter leurs savoir-fairedune classe lautre, cest pourquoi on peut dire que ce sont des pro-fessionnels. Il nen va pas de mme des managers, qui ont dj du mal transposer les leurs dune fonction lautre au sein dune entreprise, etencore plus dune entreprise ou dun secteur dactivit lautre. Autre-ment dit, la connaissance du contexte nest pas aussi transposable enmatire de management que pour un enseignant, un ingnieur ou unmdecin. Cest la raison pour laquelle tant de patrons ayant brillam-ment russi dans une entreprise chouent dans une autre (ce qui nestpas vrai des professeurs, des ingnieurs ou des mdecins, dans lamesure o ils sen tiennent leur domaine de comptence).

    Patron dun jour?

    Vous imaginez-vous invitant un dirigeant prendre les commandes devotre entreprise pour une journe? Lide mme semble absurde. Com-ment un homme ou une femme totalement trangers pourraient-ilsdbarquer un beau matin et se mettre prendre les dcisions les plus cri-tiques, galvaniser le personnel et insuffler leur vision? Pour diriger uneentreprise, il faut connatre parfaitement le contexte. Il nous paratpourtant tout naturel que des remplaants reprennent la classe dunenseignant pour une journe ou que les Mdecins sans Frontires instal-lent des hpitaux en quelques heures. Mais des dirigeants temporaires?

    Le seul exemple qui vienne naturellement lesprit est instructif cest celui du chef dorchestre invit. Quelques rptitions, et voil queles musiciens jouent sous sa baguette dans les plus grandes salles deconcert du monde. La raison en est simple : lensemble de lexercice esthautement programm. Mozart tire les ficelles; tout le monde joue en

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    suivant sa partition, totalement orchestre. Nous aurons un manage-ment professionnel ds que dautres organisations seront aussi pro-grammes quun orchestre symphonique et quelles joueront leursstratgies comme des partitions de Mozart, les employs et les clientssagement assis en rangs bien aligns et obissant au moindre signal.

    La pratique du management est caractrise par son ambigut.Cest la raison pour laquelle, quelque populaire quelle soit, la mta-phore du chef dorchestre sur son podium est totalement inadapte (aumoins pendant lexcution de luvre, si ce nest pendant lesrptitions; voir Mintzberg 1998). Il y a certes des tches qui se prtent la programmation, dans lentreprise, mais la plupart dentre elles neconcernent pas directement les dirigeants, ils peuvent les dlguer desspcialistes. En revanche, ils doivent assumer eux-mmes le plus ardu les problmes inextricables, les connexions compliques. Et cest ce quifait que la pratique du management est, par essence, infiniment subtile,ce qui explique quon lassocie si souvent des qualits comme lexp-rience, lintuition, le jugement et la sagesse. Voici comment une femmequi occupait avec succs un poste de direction dans une grande compa-gnie arienne ma dcrit son mari, titulaire dun MBA : Il a la techni-que, il croit tout savoir mieux que tout le monde. Mais il se heurte aufait quil ne comprend ni les complexits ni les intrigues de couloir. Ilest profondment contrari dtre incapable de rgler ce type deproblmes. Cet homme avait un MBA, mais il navait jamais appris lemanagement.

    LEXPRIENCE DANS LES ADMISSIONS EN MBA

    La plupart des MBA demandent aujourdhui leurs candidats uneexprience professionnelle dont la dure va en gnral jusqu quatreans. En fait, certaines sont ouvertement hostiles une exprience pluslongue et, apparemment, Harvard a rcemment pris la dcision de des-cendre deux ans et mme daccepter certains candidats immdiate-ment aprs leur diplme initial.

    Mais quoi servent quelques annes dexprience, surtout sil nesagit pas dune exprience de management? Cela suffit-il acqurirune comprhension suffisamment approfondie du fonctionnement delentreprise et du rle de ses dirigeants?

    Parachutons par limagination un jeune tudiant MBA dans uneclasse de managers expriments, mme dans un cours spcialis, par

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    exemple de marketing ou de finance. Tant que le groupe sen tiendra la thorie et la technique autrement dit, un niveau gnrique tout ira bien pour lui. Mais ds que la discussion portera sur lapplica-tion sur la nuance et lapprciation il sera perdu. De ce point de vue,une classe entirement constitue dtudiants de ce type est toujoursperdue. Si vous tes capable de concevoir un moteur de moto fantasti-que, lanait malicieusement Richard Rumelt, professeur de stratgie lUCLA, je peux vous enseigner en quelques jours tout ce que vous avezbesoin de savoir en matire de stratgie. Si vous avez un Ph.D. de strat-gie, des annes de labeur ne vous apprendront pas concevoir un bonmoteur de moto. Les affaires, cest comme les moteurs de moto : lastratgie nest quun moyen; la fin, cest le moteur. Et les MBA classi-ques sintressent uniquement la stratgie, les moteurs de moto nyont pas droit de cit.

    PAS LE BON MOMENT?

    De toute vidence, si le principal problme est le manque dexpriencedes tudiants en MBA, on est tent den conclure que lerreur porte nonsur la qualit des candidats, mais sur le timing. Les MBA prendraient-ils les bons candidats, mais au mauvais moment?

    Je ne le pense pas, pour deux raisons. Dabord, pris trop tt, les bonscandidats ont vite fait de devenir trs mauvais. Leur donner du mana-gement une image contestable risque fort daltrer la faon dont ils lepratiqueront plus tard. Les chapitres 4 et 5 en prsentent un certainnombre de preuves. Mon collgue Jonathan Gosling a fait, ce propos,une suggestion tonnante. Le MBA, selon lui, attire des jeunes qui vien-nent juste de prendre leur indpendance, de saffranchir de leur familleet de leurs racines. Cest la raison pour laquelle, par exemple, ils sontsduits lide de travailler linternational. tre aux commandesdune entreprise suppose exactement le contraire, cela suppose en effetdassumer ses responsabilits. Les MBA peuvent donc, bien involontai-rement, encourager une attitude dindpendance diamtralementoppose la pratique responsable du management.

    Deuximement, jaffirme que les MBA, par leur nature mme, attirentsouvent des gens qui nont pas le profil souhaitable trop impatients,trop analytiques, trop dsireux de tout contrler. Ces caractristiques,jointes leur prestigieux diplme, leur permettront sans doute de sassu-

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    rer des postes de direction. Mais avec quelles consquences? Tel est lesujet des chapitres 3 6.

    CANDIDATURES CHOIX MULTIPLE

    lpoque o jai commenc crire cet ouvrage, grand renfort depublicit et grce une aide considrable de McKinsey & Company, unnouveau MBA tait en cours de cration en Inde. Le magazine indienBusinessworld (Gupta 2000) en a dvoil les critres de recrutement : Lestudiants doivent savoir travailler en quipe, avoir des qualits de lea-dership prouves et deux ans dexprience professionnelle. Commentparler de qualits de leadership prouves aprs deux ans seulementdexprience? On croit rver. Critres de slection : scores GMAT, per-formances universitaires, exprience extra-scolaire et professionnelle.

    Cest typique de la faon dont les gens intgrent les MBA. Pour com-mencer, ils se slectionnent eux-mmes, sans doute parce quils croientquil vaut mieux commander que se faire commander (et que cela paiedavantage). En fait, beaucoup de gens posent leur candidature nonpour se hisser aux chelons suprieurs de la hirarchie de leur entre-prise, mais pour en sortir autrement dit, pour sloigner de la sourcede lexprience limite quils possdent effectivement. Ne devrions-nous pas en tirer certaines conclusions?

    Les MBA choisissent donc leurs candidats au sein dun groupe defuturs leaders autoproclams. Ils cherchent sans doute dans leur dossierles preuves dun potentiel au leadership (par exemple la prsidence declubs, etc.), mais quand ils se targuent de la qualit de leurs tudiants,ils citent presque invariablement leurs scores au GMAT et les moyennesobtenues au cours de leurs tudes. Cest pratique, car tout cela est chif-fr mais est-ce que cela mesure rellement le potentiel de leadership?

    Le GMAT (pour Graduate Management Admission Test) value lacapacit donner des rponses rapides de petits problmes numri-ques et verbaux (par exemple, Si Mario avait 32 ans il y a 8 ans, quelge avait-il il y a x annes? (A) x 40, (B) x 24, (C) 40 x, (D)24 + x [GMAT 2000]. Ce test est accompagn dune tche de rdac-tion analytique. Si vous tes candidat, votre russite dpend de celle desautres, vous avez donc intrt acheter un livre spcial ou suivre uncours de prparation spcifique, comme le font tous les autres. Suivezle programme de prparation au GMAT Kaplan et obtenez le score quilvous faut pour intgrer le MBA que vous voulez, affirme sur son site

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    web lun des grands spcialistes de ces prpas. Ainsi, au lieu desentraner au management, le futur manager sentrane aux tests duGMAT.

    Les bons managers sont bien entendu intelligents, et le GMATmesure bien entendu lintelligence, ou du moins lintelligence formali-se. Mais les gens qui ne sont pas faits pour tre managers peuvent aussiltre, de mme quun nombre non ngligeable de managers lamenta-bles. Le GMAT constitue donc un dispositif de tri utile, mais insuffisant plus efficace, en fait, pour identifier les bons tudiants que les bonsmanagers. Ces derniers doivent prsenter toutes sortes dautres caract-ristiques que ne mesurent pas ces batteries de tests dire la vrit,plusieurs dentre elles ne peuvent tre mesures correctement paraucun test.

    Un tudiant de ma propre universit ma reproch un jour davoircit lintuition comme critre de slection des candidats au MBA.Comment, insistait-il, voulez-vous faire de lintuition un critre deslection, alors que lon ne peut mme pas mesurer cette qualit? Celana rien dvident, effectivement. Un autre ma demand si, lorsque lejury exerait son jugement, cela ne risquait pas daller lencontre delimpartialit du processus de slection. La meilleure manire dlimi-ner tout risque de partialit, cest dliminer tout jugement. Cest exac-tement ce que font les MBA qui comptent exclusivement sur les scoreschiffrs et, par la mme occasion, liminent lvaluation du potentielmanagrial. Ce faisant, ils introduisent leurs propres prfrences enfaveur de la science et au dtriment de lart et du mtier.

    Certes, les coles doivent disposer dun moyen de slectionner lesmeilleurs candidats. Mais pas en puisant dans une catgorie qui neconvient pas. Ni par le recours des critres superflus. Il y a une autrefaon de slectionner, et nous y reviendrons au chapitre 9 : il sagit dechoisir les candidats parmi des dirigeants en poste, que lon jugera laune de leurs russites dmontres.

    LENVIE DE DIRIGER OU LE GOT DES AFFAIRES

    Dans The Myth of the Well-Educated Manager, article rest clbrede la Harvard Business Review publi il y a plus de trente ans, SterlingLivingston (1971:84) crivait que de nombreuses personnes quiaspirent des responsabilits de haut niveau nont pas envie degrer une entreprise. Il ne dit pas besoin, mais envie. Cela ne les

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    motive pas. Ce qui les motive, cest le salaire lev et le prestige duposte.

    Bien diriger une entreprise, aux yeux de Livingston, ne devrait pastre une affaire de russite personnelle il sagirait plutt de favorisercelle des autres. Les universits et les entreprises qui slectionnent lescandidats au management en se fondant sur leurs performances indivi-duelles choisissent souvent des individus qui ne feront jamais de bonsmanagers Les [diplms en management] sont de plus en plus rares accepter les sacrifices indispensables pour apprendre leur mtier dedirigeant sur le terrain, en partant du bas de lchelle; de plus en plussouvent, ils esprent entrer dans lentreprise directement au sommet, des postes do ils observent, analysent et conseillent. Intressant,pour un texte de 1971!

    Certains de ces candidats ont une autre caractristique importantequAlfred North Whitehead a dcrite dans un autre article lui aussi restclbre sur les MBA, publi en 1932. Il parlait du got des affaires (ne pas confondre avec lappt du gain). Les MBA ont fort bien russi encourager les individus qui en taient dots, et mme parfois enpousser dautres lacqurir; cest sans doute leur plus grande contri-bution lconomie. Mais ils ont aussi laiss le got des affaires seconfondre avec le dsir de commander. En un sens, le premier consiste tirer le meilleur parti des ressources, le second galvaniser lnergiedes hommes. (Le fait que ces derniers se soient transforms en ressourceshumaines dans les coles de management et, si souvent, dans la pratiquedes affaires, atteste de la ralit du problme.)

    Comme le montre la figure 1.1, il y a des gens qui ont la fois le dsirde diriger et lapptit des affaires et il y en a dautres qui nont ni lun nilautre. Les premiers sembleraient convenir mieux des postes de direc-tion dans de grandes entreprises, les seconds ne sont pas faits pour despostes de direction. Ceux qui aiment exercer une autorit mais nontpas la moindre passion des affaires pourraient convenir des postes deresponsabilit dans le secteur public ou social.

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    FIGURE 1.1Diriger ou faire des affaires

    Le problme, cest la dernire case de la figure, ceux qui ont le gotdes affaires mais aucune envie de diriger. Ils sont nombreux dans lesMBA. Ils peuvent fort bien russir dans la banque daffaires, exceller entant quanalystes financiers ou comme consultants, ce que deviennenteffectivement beaucoup dentre eux (nous vous en prsentons un casclbre dans lencadr suivant), souvent dans lespoir de parvenir auxcommandes de grandes entreprises. Un nombre surprenant de ceux quiy parviennent effectivement ne russissent pas en tant que patrons,comme je le montre au chapitre 4 en mappuyant sur des exemples pr-cis. Ils auraient sans doute mieux fait de rester l o ils taient ou decrer une petite entreprise (mme si dautres cas que nous citons gale-ment montrent que les MBA ne font pas de bons entrepreneurs).

    Le got des affaires (selon Whitehead)

    Non Oui

    Lenvie de diriger

    (selon Livingston)

    NonSi vous tes dans ce

    cas, faites de la recher-che ou autre chose

    Avec ce profil, il faut ngocier des contrats

    ou tre patron de PME

    Oui

    Envisager le secteur public ou social :

    acqurir de lexp-rience un poste de

    direction, puis tudier le management

    Vous tes taill pour les grandes

    entreprises : acquer-rez de lexprience un poste de direction, puis tudiez le mana-

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    PA S T R S E NV I E D E CO M M A N D E R, M A I S U N E V R I T A B L E P A S S I O N

    D E S A F F A I RE S !

    Je ne savais pas quoi faire quand jai quitt la Marine. Je nai rientrouv de mieux que de faire un MBA, dclarait un jour un titu-laire de ce diplme, obtenu Stanford (cit par Crainer et Dearlove1999:78). Il navait apparemment pas un got du commandementtrs affirm. Mais il avait sans aucun doute le sens des affaires. Silna pas termin grand patron, il a russi dans son domaine de pr-dilection, conquis la clbrit et gagn beaucoup dargent. Cethomme, cest Tom Peters.

    Le diplme MBA nest pas une baguette magique qui transforme destudiants immatures et inexpriments en managers patents. Ainsisexprime Arnoud de Meyer (et al. 1992:28), directeur de lInsead. Seshomologues ne partent en gnral pas ce point de vue. Ce programmeest conu pour dvelopper des managers fort potentiel, affirme le siteweb de la Darden School, de luniversit de Virginie (2003). Quant laBaruch School, New York, elle dcrit les business schools comme desincubateurs pour les chefs dentreprise de demain. Et un professeur duMBA rcemment cr en Inde daffirmer : Nous conduirons nos entre-tiens de slection des candidats en pensant toujours que nous nous pr-parons en faire des dirigeants (Gupta, 2000:53-54).

    Les business schools prennent cette rhtorique trs au srieux. Ellesaccueillent des gens qui ont le got des affaires ou du pouvoir, ou delargent , partent du principe quils ont aussi le dsir de diriger, lesgavent de cours sur la finance, le marketing, etc., assaisonnent le tout dequelques remarques concernant le management (sans aborder la fonc-tion de dirigeant en elle-mme), et leur disent ensuite quils sont prts prendre des postes de direction. Si les coles le prennent srieusement,pourquoi les diplms nen feraient-ils pas autant? Mais le plus grave,cest que nombre dentreprises, du moins leur direction des ressourceshumaines, trop heureuses de disposer dune source de cadres diri-geants, prennent elles aussi ces affirmations pour argent comptant. Je lerpte, cest une imposture.

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    En conclusion, nous avons besoin de dirigeants dots de compten-ces humaines et non de professionnels bards de diplmes. Dans lesgrandes entreprises, en particulier, la russite dpend moins de ce quefont les dirigeants eux-mmes, en gros affecter les ressources et prendreles dcisions cls, que de ce quils aident les autres faire.

    Dans ces conditions, que dire Robert, jeune homme venu me trou-ver pour parler du MBA quil envisageait de faire? Cest sur cette ques-tion que je conclus ce premier chapitre.

    Q U E V A I S - J E D I RE RO B E R T ?

    Robert, le fils dun de mes vieux amis, est venu me voir. Il voulaitfaire un MBA. Lequel devait-il choisir?

    Cette question revient sans cesse. Les jeunes cadres dynami-ques qui commencent sennuyer au bout de deux ans de car-rire et voudraient trouver mieux ailleurs considrent le MBAcomme un tremplin. Je leur fais toujours la mme rponse : votreposte de responsabilit, il faut le mriter. Trouvez un secteurdactivit qui vous plat, apprenez bien le connatre, prouvezvotre potentiel et entranez-vous assumer des responsabilits dedirection. Ensuite, et ensuite seulement, allez tudier le manage-ment. Je leur dis que les MBA classiques leur font donc perdreleur temps dans la mesure o ils les empchent de faire leurapprentissage sur le terrain; en fait, ils peuvent mme dnaturerun authentique potentiel de leadership.

    Quand jen arrive ce point, leur regard devient vague. Per-sonne ne me dit jamais : Je viens vous demander de maider trouver le meilleur MBA et cest tout ce que vous trouvez medire?, mais cest ce quils ont lair de penser. Jentends plutt (lesbonnes annes) : Mais regardez ce qui mattend si je fais un bonMBA : un gros salaire, un beau job, une nue de recruteurs mefaisant la cour, peut-tre mme un bonus la signature ducontrat, comme les vedettes du football professionnel la voierapide, la belle vie. Comment voulez-vous que je dise Robertde ne pas le faire, son MBA?

    De toute manire, je doute quun seul de mes interlocuteursait jamais tenu compte de mes conseils. Ils taient tous ferme-

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    ment dcids (comme je ltais moi-mme cette poque de mavie) le dcrocher, ce diplme.

    Jusquau jour o Joe est venu me trouver. Mme question.Mme rponse. Mais lui na pas eu le regard vague. Quand il estparti, il avait mme lair dhsiter un peu.

    Cela fait plusieurs annes que nous sommes rests en contact,Joe et moi. Quelques mois aprs notre premire rencontre, il a tpris dans un bon MBA. Il a dcid de ne pas y aller. Mais il achang de job. Il adore son nouveau poste et, me dit-il, il yapprend beaucoup. Il a des doutes sur le MBA, maintenant, et ilenvisage dautres options pour parfaire sa formation.

    Il y a peut-tre de lespoir

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    E R R E U R S U R L E S M T H O D E S

    Les intellectuels napprennent riendirectement, cest le secret de leurmdiocrit.

    ALFRED NORTH WHITEHEAD

    Il est impossible de donner une bonne formation des gens qui ne sontpas en mesure de lassimiler. Nous pourrions nous arrter l, nousaurions un joli petit chapitre, vraiment trs court. Mais le problme,lui, ne sarrte pas l ce chapitre et les suivants non plus. Non seule-ment les MBA ne russissent pas former dauthentiques dirigeants,mais ils faussent lide que leurs tudiants se font des responsabilitsqui les attendent et, une fois mises en pratique, ces conceptions erro-nes fragilisent nos entreprises et notre socit. En outre, les traditionsdu MBA tant du point de vue du contenu du programme que desmthodes pdagogiques employes sont graves dans le marbre, onles applique donc rgulirement (dans le cadre des Executive MBA etdes cursus plus courts) aussi aux bons candidats cest--dire aux diri-geants en place. Avec des consquences similaires.

    Je me propose de parler dans ce chapitre du contenu et des mtho-des des MBA. Nous en verrons les consquences dysfonctionnelles surla pratique du management dans les chapitres suivants. Commenonscependant par un bref aperu de leur histoire, car elle les explique.

    BREF HISTORIQUE DE LENSEIGNEMENT DE LA GESTION

    Lenseignement de la gestion a commenc sur une note assez positive,pour se dtriorer ensuite jusquaux annes 1950, poque laquelle ona assist des changements remarquables. Rien na boug depuis lors.

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    Les annes formatives

    On considre gnralement luniversit de Pennsylvanie comme le ber-ceau de lenseignement du management ds 1881, elle crait en effetsous limpulsion de lhomme daffaires Joseph Wharton un bachelorsprogram in business (licence de gestion). J.C. Spender (1997) parvient,dans une tude sur les origines de cet enseignement, une conclusiondiffrente (voir aussi Redlich, 1957). Pour lui, cest dans lcole prus-sienne de formation des hauts fonctionnaires quil faut en chercher lesvritables racines. De fait, les traits dominants de cette institution rap-pelaient fort les coles de management actuelles : Lapplication de lamthode scientifique, ce qui se traduit par une mesure rigoureuse, lacollecte des donnes, larchivage, lanalyse statistique et le dveloppe-ment de modes la fois rationnels et juridiques dordre, de prise dedcision et de contrle des activits sociales (13). On y employait ga-lement quelque chose qui ressemblait fort aux tudes de cas et de ter-rain. On commena trs vite se demander si une telle formationserait utile aux techniciens administratifs, aux cadres ou aux chefsdentreprise. La question est encore dactualit, y compris dans cespages.

    Joseph Wharton, homme daffaires amricain, avait appris lalle-mand et stait rendu en Allemagne. On pense quil en a rapport lesides fondatrices de lcole qui porte son nom. Il critiquait la mthode,trs rpandue dans les coles de commerce amricaines de lpoque,qui consiste apprendre les choses en les faisant (Sass, 1982:22), et iltenait ce que le programme de lcole de luniversit de Pennsylvaniecomporte de la comptabilit, du droit commercial et de lconomie,auxquels sajouteraient peu aprs la finance et les statistiques. QuandEdmund James, qui avait pass son doctorat en Allemagne, en futnomm doyen en 1887, la Wharton School tait lance (Spender1997:20), dans la ligne de la tradition prussienne. Les priorits ontchang dans les annes suivantes, mais Sass (1982:294) note quelorsquil en accepta la direction en 1972, Donald Carroll adhrait lavision initiale de James (Spender 1997:21).

    Naissance du MBADartmouth College a t le premier offrir un masters degree in busi-ness (matrise de gestion) en 1900, anne o cet tablissement autorisaquelques undergraduates prolonger leurs tudes dun an (Schlos-sman et al. 1994:6). En 1908, Harvard proposait son tour le premierprogramme intitul Master of Business Administration (titre que le

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    bureau du prsident trouvait parat-il abominable [Heaton1968:71]). Stanford introduisit le second MBA en 1925, poque laquelle lhabitude de proposer une formation aux affaires aux tu-diants ayant dj pass deux ans sur les bancs de luniversit tait djfermement tablie aux tats-Unis. (Cest en 1916 que fut tablie lAme-rican Association of [aujourdhui Association to Advance] CollegiateSchools of Business [AACSB] qui allait devenir lagence daccrdita-tion.)

    Mais les quipes de Harvard et de Stanford, confrontes au man-que denthousiasme du monde des affaires, lindiscipline et au scepti-cisme des tudiants, la jalousie et au cynisme de leurs collguesuniversitaires et des conseils dadministration des universits, sansparler des difficults financires, connurent toutes deux des dbuts dif-ficiles (Schlossman et al. 1994:9-10). Trente-trois tudiants staientinscrits au premier MBA de Harvard en 1908, et seulement huit dentreeux revinrent faire leur seconde anne. Quatre diplmes de MBA furentdcerns en 1919 (15, 17).

    Il est intressant de noter que ce sont des thoriciens conomis-tes, psychologues, sociologues, professeurs de sciences politiques quiont donn la principale impulsion [cet] enseignement des affaires enmilieu universitaire et que la plupart dentre eux navaient aucuneconnaissance directe du monde des affaires et mme peu de liens avecdes hommes daffaires1. Ils taient cependant convaincus quilsallaient dcouvrir une science des affaires encore inconnue, la trans-mettre aux futurs leaders de lconomie amricaine et dvelopper ainsiune nouvelle profession, le management. Mme Harvard, les qua-tre fondateurs taient des universitaires possdant une exprience limi-te des affaires (10, 11), y compris Edwin Gay, le premier doyen, quiavait lui aussi soutenu sa thse de doctorat en Allemagne.

    Premires tudes de casTrs vite, on vit coexister deux thmes rivaux, lun fond sur laconnaissance gnrale de la conduite des affaires, lautre sur laconnaissance spcialise des oprations dans des secteurs dactivit bienprcis. Le programme de Harvard, par exemple, comportait des cours

    1. Cette situation a perdur. En 1999 (le 18 octobre, page 78) Business Week apubli le pourcentage des professeurs de vingt coles de gestion ayant au moins cinqans dexprience dans le monde des affaires. Harvard est arriv avant-dernier(lInsead ayant la lanterne rouge), avec 8 % (Stanford tait 20 %, Wharton 10 %).

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    obligatoires en principes de la comptabilit, droit commercial et res-sources conomiques des tats-Unis, ainsi que des cours optionnelsportant sur des domaines comme la banque et les chemins de fer(Schlossman et al. 1994:13, 14).

    Harvard, on pratiquait de prfrence la mthode des cours magis-traux, sauf en droit commercial o lon sappuyait sur des exemplespuiss dans la jurisprudence. Peu peu, lhabitude de donner desexemples, qui passe pour avoir donn naissance la mthode des tu-des de cas, sest rpandue. Un homme daffaires de Chicago, Arch Shaw,allait donner limpulsion dcisive pour gnraliser cette mthode. Il acommenc lutiliser pour les undergraduates (tudiants de licence) la Northwestern University, avant dapprocher Gay (Gleeson et al.1993:15). Les tudes de cas ont fait leur entre Harvard dans un coursobligatoire de seconde anne, intitul Politique des affaires, inscrit auprogramme officiel en 1912. Des hommes daffaires y taient invits venir prsenter un problme pris sur leur bureau. Deux jours plustard, chaque tudiant devait rendre un devoir crit dans lequel il don-nait son analyse du problme et la solution quil recommandait,lhomme daffaires venant par la suite en discuter avec la classe (Cope-land 1954:33). Apparemment, les tudiants aimaient bien cela, mais lerecours aux cas ne sest gnralis quaprs la Premire Guerre mon-diale, sous lgide dun nouveau doyen, Wallace Donham, banquierdorigine.

    Donham remarquait plus tard, parlant de son arrive Harvard : Jenavais aucune connaissance thorique des affaires et jai constat que lesenseignants navaient, eux, gure de connaissances de leur pratique. Con-juguer ces deux lments tait un rel problme (Gleeson et al.1993:17). Si lide dArch Shaw rglait le problme de Donham, elle enrglait aussi un autre : la pression des tudiants, qui tapaient des piedsquand ils jugeaient les cours magistraux trop ennuyeux. Donham confia Copeland, notoirement pitre confrencier, victime frquente de cesbruyantes protestations, la direction de la recherche, en lui demandantde transformer les donnes statistiques en cas dentreprise. Copelandtransforma aussi son cours de marketing et, miraculeusement, ses tu-diants cessrent de taper du pied (18).

    Donham nobligeait personne dautre employer cette mthode,mais les efforts remarquablement fructueux de Harvard pour pro-duire dinnombrables cas incitaient fortement les autres professeurs les utiliser et, vers le milieu des annes 1920, les cas staient infiltrsdans la plupart des cours (Gleeson et al. 1993:18); ils y sont encore

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    aujourdhui. ( Northwestern, o ladministration na jamais prisofficiellement position sur la mthode des cas, leur utilisation tait etreste une affaire trs individuelle [Gleeson et al. 1993:25]).

    Les cas au service de la thorieDonham pensait que lon utiliserait les cas pour prsenter les ques-tions thoriques de faon assimilable, terre terre. Il croyait aussique demander aux tudiants de rdiger leur analyse et leurs recomman-dations encouragerait la naissance de la thorie. En fait, il dcrivaitltude des cas comme une mthode permettant tout simplement desusciter lintrt des tudiants, [nayant rien de] magique, mais permet-tant dentraner les tudiants nettement plus loin sur la voie de lathorie (Gleeson et al. 1993:31). Les professeurs de Harvard avaientleurs propres ides sur la question et donnrent aux tudes de cas unedimension tout fait diffrente, quils ont conserve tout au long du20e sicle et mme, dans une trs grande mesure, aujourdhui.

    en croire Gleeson et al., le corps enseignant de Harvard compre-nait trois groupes. Tout dabord les spcialistes de leur secteur dactivit,souvent des hommes daffaires connus, donnaient des cours trs popu-laires, et Donham sarrangea pour en liminer beaucoup. Deuxime-ment, les spcialistes des fonctions, dans des domaines comme lemarketing, la finance et la production, que Donham encouragea lespremires annes lutter contre la spcialisation par secteur dactivit.Il insistait, largement en vain, pour quils prsentent leurs problmesfonctionnels en les situant dans le contexte de lensemble de la firme.Enfin, les professeurs maison rdigeaient les cas (quils avaient souventutiliss pour dcrocher le nouveau diplme de doctorat). Ces derniersconsidraient les cas comme particulirement prcieux lorsquilsencourageaient les tudiants abandonner la recherche de thorie, leurapprenant prendre seuls des dcisions difficiles et ralistes (32).Donham essaya de contrer ce troisime groupe en rduisant (de prsdes deux tiers) le budget affect la rdaction des cas et en promouvantla recherche en sciences sociales, attirant lcole des intellectuels aussiillustres que Joseph Schumpeter, Elton Mayo et Talcot Parsons. Mais sacause tait perdue davance : Les tudes de cas nont pas donn nais-sance des thories gnralisables (33).

    Ainsi donc, trs tt, le dcor fut plant pour le grand dbat surlenseignement de la gestion : la thorie originale de Wharton, ancredans lrudition, contre la pratique de Harvard, ancre dans lexp-rience, prnant ostensiblement que cest en faisant que lon apprend,

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    approche si vivement critique par Joseph Wharton. Un coup dil surles cours offerts par Harvard, ds le dbut, permet cependant de sedemander si ces diffrences dapproche revtaient rellement unegrande importance.

    Russite sur le march, chec acadmiquePartant de ces origines, les business schools ont connu un grand essoraux tats-Unis. Il y en avait une quarantaine en 1915, et les dix annessuivantes virent la cration de 143 nouvelles coles (Cheir 1975:91);110 diplmes de master furent dcerns en 1920, 1 017 en 1932 et 3 357en 1948 (Gordon et Howell 1959:21).

    Mais la qualit acadmique ne suivait pas. Harvard persista sur lavoie des tudes de cas (en 1949, cette institution avait dcern plus de lamoiti des diplmes de MBA [Aaronson 1992:168]), mais la plupartdes coles sombraient dans le mme temps dans une sorte de moyenge de lenseignement des affaires. la fin des annes 1930 unebonne partie du programme de second cycle de Stanford tait dange-reusement proche des tudes de premier cycle (Gleeson et al. 1993:35),tandis que Columbia vivait le triomphe de la spcialisation on yenseignait en effet des savoir-faire spcifiques (Aaranson 1992:163-164). Wharton, des professeurs plus intresss au consultanat qu larecherche conspiraient avec les proccupations pratiques des tu-diants soucieux des dbouchs pour aller lencontre des grandes idesde Joseph Wharton (Mast 2001:297). Le management lui-mme taitenseign dans les MBA comme une collection de principes vagues, pro-ches parents de la sagesse populaire par exemple, quun dirigeant nedevait pas exercer son autorit sur plus de sept personnes. (Voir la criti-que que fit Simon de ces principes [1957].) la fin des annes 1940,lincapacit dinstitutions aussi litistes que Harvard, Stanford, Colum-bia et Chicago de rpondre la demande dun nouveau type de mana-ger tait vidente. Le monde des affaires changeait trs vite, mais pasles connaissances offertes aux tudiants par les manuels et les tudesde cas (Schlossman et al. 1994:3).

    Retour la respectabilit acadmique

    Le monastre CarnegieLe monastre irlandais du moyen ge de lenseignement des affaires futun lieu remarquable situ Pittsburgh, en Pennsylvanie, qui sappelaitla Graduate School of Industrial Administration (GSIA), au Carnegie

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    Institute of Technology (qui sappelle maintenant universit Carnegie-Mellon). Le GSIA ne sest pas content dentretenir les lumires acad-miques, il les a bel et bien rallumes dans les annes 1950.

    Lvnement qui a dclench cette renaissance fut le recrutement, en1946, dun conomiste, George Leland Bach, qui avait servi la FederalReserve pendant la guerre. Il avait pour mission de relancer le dparte-ment dconomie de luniversit. Bach fit venir William Cooper, spcia-lis dans la recherche oprationnelle (applications mathmatiques desproblmes de systmes), domaine qui venait gagner ses lettres denoblesse dans les applications militaires pendant la guerre, et le duorecruta Herbert Simon, jeune et brillant spcialiste des sciences politi-ques, pour prendre la direction du programme dadministration desaffaires de premier cycle. Zalaznick (1968) devait crire plus tard dansle magazine Fortune que larrive de Simon signalait la communautuniversitaire quune cole de management pouvait se prter au tra-vail portant sur des problmes profonds dune pertinence moinsimmdiate (206).

    La ncessit se fit plus pressante, pendant la guerre froide, damlio-rer les capacits du management amricain, et quand William Morri-mer Mellon fit un don de 6 millions de dollars pour financer la crationdune nouvelle cole dadministration industrielle Carnegie, Bach endevint le premier doyen. Il y apporta son dpartement dconomie.

    La vision tait trs claire, ds le dbut (et non sans liens avec lesefforts initiaux, influencs par lAllemagne, de Wharton, et mme cer-taines des convictions non ralises de Donham) :

    1. La recherche systmatique joue un rle primordial, lenseignementvient ensuite. La recherche tait leurs yeux le premier moteur duprogrs (Gleeson et Schlossman 1995:14).

    2. La recherche devait avant tout tre descriptive, en particulier pourmieux comprendre la vie des affaires et le fonctionnement desentreprises; la prescription pouvait suivre, dans la pratique.

    3. Une telle recherche devait reposer sur un ensemble de disciplinessous-jacentes, notamment lconomie, la psychologie et les math-matiques. Ces matires devaient occuper une place essentielle dansles cours de niveau master; elles devaient galement servir de socleaux fonctions de lentreprise comme la finance, le marketing et lacomptabilit.

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    4. La salle de cours est un lieu o lon doit former les tudiants auxcomptences de rsolution analytique des problmes, la manire dela recherche oprationnelle, ou science du management.

    5. Une attention particulire devait tre accorde aux tudes de docto-rat, afin de stimuler la recherche et de faire en sorte que les diplmsapportent ces ides dautres coles.

    Une chose, cependant, brillait par son absence : la formation desdirigeants. Le GSIA se proccupait davantage de mettre de lordre dansle monde universitaire et de veiller ce que ses professeurs bnficientdu respect qui leur tait d. Le problme ntait pas tant ignor querput inexistant : on partait du principe (comme on le fait encoreaujourdhui) que des coles respectables ne pouvaient manquer de pro-duire des dirigeants dont la pratique serait satisfaisante. En outre, sidiriger une entreprise consiste prendre de bonnes dcisions, le fait dedvelopper les comptences analytiques des tudiants ne pouvaitquamliorer la pratique du management.

    Les professeurs de GSIA tudirent un ensemble remarquablementvaste de problmes et de questions intressantes, mais jamais celui quenous venons dvoquer. Ils ne vrifirent jamais la validit de leurs pro-pres hypothses. Pour dire la vrit, au fil du temps, ils se retranchrentdans les disciplines et le management (quils appelaient administrationdes affaires), objet des premires tentatives dintgration, disparutpurement et simplement.

    Pendant cette priode, le GSIA eut des professeurs de tout premierplan, forms pour la plupart dans les disciplines des sciences sociales.Bach tait conomiste, Simon, spcialiste de sciences politiques, Coo-per, statisticien. Ils devinrent tous clbres, ainsi dailleurs que nombredes enseignants quils recrutrent ensuite : Richard Cyert en conomie,James March en sciences politiques; Harold Levitt en psychologie;Allan Newell en mathmatiques; Franco Modigliani et Morton Milleren conomie et en finance. (Ces deux derniers devaient se voir attribuerensemble le prix Nobel dconomie, que remporta galement Simon,sparment.) Bach dcrivait le GSIA (in Gleeson et Schlossman1995:13, 23) comme un lieu exigeant, o il ny avait pas de place pourun travail mdiocre et o tout le monde discutait de tout. Enfin, depresque tout.

    Surtout, les professeurs du GSIA travaillaient ensemble, sintgrantautour des disciplines et de la technologie de linformation alors mer-gente. Certaines de leurs recherches les plus importantes portaient surles organisations. Dautres recherches srieuses leur avaient dj t

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    consacres, notamment par Max Weber, grand sociologue allemand(voir Gerth et Mills 1958), mais le GSIA, en particulier sous la houlettede Simon, mit la thorie de lorganisation sur le devant de la scne(voir surtout Simon 1947, 1957; March et Simon 1958; et Cyert etMarch 1963; voir aussi le rapport Starbuck, 2002).

    Les autres business schools connaissant une traverse du dsert, leGSIA devint le grand espoir. On y trouvait la respectabilit acadmi-que, absolument jour, avec des ordinateurs et des mathmatiques.Cela pouvait non seulement relier les coles aux disciplines acadmi-ques tablies, mais aussi en faire des centres o lon intgrait certainsprojets dans ces disciplines. Le GSIA la fait, sans aucun doute, aumoins les premires annes. Son activit de recherche, ses trouvaillesconceptuelles, de la psychologie lconomie, surtout celles qui por-taient sur les organisations, furent extraordinaires. Pendant les annes1950, le GSIA fut incontestablement le centre intellectuel le plus pas-sionnant jamais vu dans une business school. En outre, il veillait concrtiser cet effort, produisant un flux rgulier de doctorants appels avoir une influence norme sur les autres business schools, dontbeaucoup furent doyens.

    Le tournant de 1959Deux grandes tudes ont t commandes la fin des annes 1950 ilsagissait danalyser les problmes des business schools amricaines lune par la Fondation Ford (Gordon et Howell 1959), lautre par laCarnegie Corporation (Pierson 1959). Le GSIA leur servait de modle,on ne sen tonnera pas. En fait, Bach tait associ de prs aux deuxrapports (Gleeson et Schlossman 1995:26), il signa mme un chapitredu rapport Pierson dans lequel il prsentait la prise de dcisionanalytique, rationnelle, comme la cl de vote de lenseignement dumanagement (Bach 1959).

    Gordon et Howell dcrivent ce dernier comme rong de doutes,harcel des pointes cruelles dcoches par des critiques acerbes, seretrouvant au bout de la table acadmique avide de respectabilit,mais restant engag, la plupart du temps, dans une formation troite-ment professionnelle (4). Solution propose : la matrise raffinedoutils danalyse et de recherche drivs des disciplines fondamentales,ainsi quun formation approfondie en sciences physiques et humaines,aux mathmatiques et la statistique, conjugue la capacit dappli-quer ces outils aux problmes de management (100, les italiques sontde moi); viendraient sy ajouter les tudes de cas et techniques apparen-

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    tes afin de donner aux tudiants une exprience limite de la faondaborder les problmes quils seraient appels rencontrer dans lemonde des affaires (135-136, les italiques sont de moi). Le rapportrecommandait galement que le corps enseignant puisse consacrerdavantage de temps une activit purement intellectuelle et larecherche (391); il pressait les business schools de mettre en place unecoopration plus intime avec les disciplines sous-jacentes, encherchant intresser davantage de scientifiques du comportement,de mathmaticiens et de statisticiens aux problmes de management,et les engageait offrir davantage de formation dans ces domainesconnexes des candidats au doctorat [et] aux membres actuels deleur corps enseignant (392).

    Le rapport Pierson formulait des recommandations trs similaires,mais se montrait peut-tre plus soucieux de lintgration des diversesmatires, parlant de rehausser les normes acadmiques, de travailacadmique srieux (IX) et du rle primordial de la recherche (xv).Tout cela reposait, une fois encore, sur lhypothse, formule plus tardpar Whitley (1995), selon laquelle la recherche produirait une cul-ture gnrale scientifique qui pourrait tre applique directementaux tches managriales. On pourrait ds lors fabriquer des diri-geants performants grce des tudes universitaires (81). Mais le rap-port faisait davantage rfrence aux affaires et aux hommes daffairesqu la direction de lentreprise et aux dirigeants distinction dontlimportance sest avre importante.

    Si des mots couchs sur le papier ont jamais entran des change-ments significatifs, ces deux rapports en sont certainement lexemple.Leur esprit et une bonne partie de leur contenu spcifique (exceptionfaite de leur plaidoyer pour ce que nous appelons aujourdhui lessavoir-faire soft et pour lintgration entre les fonctions) ont t lar-gement adopts par les business schools, partout aux tats-Unis et danslensemble du monde. (La Fondation Ford a galement inject 35 mil-lions de dollars entre 1954 et 1966 pour crer des centres dexcellence Carnegie, Stanford et une poigne dautres coles [Mast 2001:9].) Leretour du balancier, du pratique lacadmique, savrait sans conces-sion dire vrai, on ramenait lenseignement du management aupoint prcis o Joseph Wharton avait tent de lancrer prs dun sicleplus tt.

    On vit alors les business schools renatre de leurs cendres. Stanford,par exemple, aprs avoir t dans limpasse entre 1945 et 1958, lesymbole mme de tout ce que les rformateurs cherchaient

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    remplacer, fut transforme et joua un rle de tout premier plandans cette avant-garde que Gleeson (1997:46) appelait le New Look,comme le faisait Wharton elle-mme.

    Ces changements entranrent un nouveau respect acadmique surles campus (Cheit 1985:46). La recherche venait dsormais au toutpremier plan et les programmes de doctorat se multiplirent mesureque les business schools prenaient place aux cts des coles profes-sionnelles acceptes et des disciplines scientifiques. Le gouvernementamricain alla jusqu mettre un timbre commmoratif en 1981 (Cheit1985:46-47) en hommage au centime anniversaire de linitiative deJoseph Wharton. On pouvait y lire linscription suivante : ProfessionalManagement.

    La recherche, cest trs bien, mais lenseignement?Il et t plus juste que le timbre portt Business Research (mais quilaurait achet?), car cest dans ce domaine que les deux rapports ontfait leur rvolution. Si le management tait loin de devenir une profes-sion et mme dtre lobjet de beaucoup dattention la recherche, enparticulier dans les fonctions de lentreprise, connut son heure degloire. On vit des intellectuels de tout acabit converger dans les businessschools pour se pencher sur des problmes de marketing, de finance,danalyse, de comportements humains dans les organisations, etc.

    James March, qui passa Stanford quelques annes aprs avoirquitt Carnegie, a soulign limportance de cette recherche, mais en yapportant une tournure intressante. March, qui ne dteste pas la pro-vocation, affirmait que le rle primordial des business schools taitde produire de la recherche (contribuer au savoir), mais que ceci negnre de bnfices que par le subterfuge de lourdes dpenses derecherche camoufles dans la rhtorique et la comptabilit delenseignement (in Schmotter 1995:5).

    Il ne fallait pas sattendre ce que les tudiants partagent le point devue de March. De fait, certains des premiers lves du GSIA disaientque leurs collgues taient dsormais sceptiques concernant lapertinence professionnelle du programme de recherche du corpsenseignant : lors dune confrence organise en 1958, il apparut queles anciens lves ne sintressaient plus et ne staient peut-trejamais intresss au travail de recherche de lcole (cit par Schmot-ter 1995:140).

    Quoi quil en soit, grce la nouvelle respectabilit des MBA, les ins-criptions se multipliaient. En 1958, 4 041 dipmes de master avaient

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    t dcerns aux tats-Unis (il sagissait pour la plupart de MBA), 6 375en 1964, et les chiffres doublrent presque au cours des deux annessuivantes, pour atteindre 12 998. Dix ans plus tard, en 1976, on attei-gnait le chiffre de 42 654. Lanne suivante, le magazine Forbes crivaitque le MBA ntait prcd que par le doctorat en mdecine commepasseport pour la belle vie (cit par Cheir 1985:46). Les chiffres conti-nurent progresser rapidement, mais un rythme moindre. En 1997-1998, la barre des 100 000 tait franchie (site AACSB, novembre 2001)1.Les tats-Unis, eux seuls, produisent maintenant chaque dcennieplus dun million dindividus qui se croient capables de diriger uneentreprise en vertu du fait quils ont pass deux ans dans une cole aca-dmique de business. Cest vers cette proportion non examine etpourtant florissante que nous nous tournons maintenant.

    REMISE EN CAUSE DU CONTENU

    Quand le balancier part trop loin dans une direction, son inertie le ren-voie gnralement dans lautre sens. Il nen va pas ainsi du balancier desbusiness schools voil prs dun demi-sicle quil est bloqu.

    Pierson crivait dans son rapport de 1959 :

    Si les business schools devaient tre de plus en plus nombreuses vo-luer dans la direction [prescrite