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7/21/2019 Histoire Et Littrature
1/15
EHESS
Histoire et littrature: propos de RacineAuthor(s): Roland BarthesSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 15e Anne, No. 3 (May - Jun., 1960), pp. 524-537Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27580147.
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
2/15
D?BATS ET COMBATS
Histoire
et
litt?rature
:
?
propos
de
Racine
Il
existe
actuellement
?
la
Radiodiffusion
fran?aise
une
?mission
na?ve
et
touchante
*
:
touchante,
parce
qu'elle
veut
sugg?rer
au
grand
public
qu'il
n'y
a
pas
seulement
une
histoire
de la
musique
mais
qu'il
y
a
aussi
des
rap
ports
entre
l'histoire
et
la
musique;
na?ve,
on ne
voit
que
trop
pourquoi
:
le
principe
de l'?mission
consiste
?
rapprocher
des
?v?nements
et
des
uvres.
Le trait
d'union,
le
rapport,
l'?l?ment
commun,
bref
le facteur
d'identit??
la date.
On
nous
annonce:
1788
?
Convocation des
?tats
g?n?raux
;
Rappel
de
Necker
;
Concerto
n?
IV
?
quatre,
en
ut
mineur,
pour
cordes,
de
B.
Galuppi.
La
ponctuation
laisse
ici
perplexe
:
l'auteur de l'?mission
pense-t-il
?
un
rap
port analogique
entre
le
rappel
de Necker
et
le concerto
de
Galuppi
?
Veut
il
seulement
nous
sugg?rer
que
Pun
et
l'autre
font
partie
d'un
m?me
ensemble
causal
?
Ou
au
contraire
nous
alerte-t-il
sur
une
coexistence
piquante,
vise
t-il
?
nous
faire
mesurer
toute
la dissemblance d'un
concerto et
d'une
r?vo
lution?
Veut-il
nous
manifester
perfidement,
sous
couleur
d'histoire,
le
d?sordre
de
productions
esth?tiques,
la
vanit? de
toute
histoire
totale,
en
laissant
parler
de lui-m?me
le ridicule
d'une
m?thode
qui
rapproche
la
d?faite navale
de
la
Hougue
et
les
sonates
de
Corelli,
l'?lection
du
Pr?si
dent
Doumer
et
les Cris du
Monde de
Honegger
?
Laissons
cette
?mission;
dans
sa
na?vet?,
elle
ne
fait
que poser
au
grand
public
de
la Radio
ce
vieux
probl?me
des
rapports
de
l'histoire
et
de
l'
uvre
d'art, que Pon
d?bat
activement,
avec
des
fortunes
et
des
raffinements
divers,
depuis qu'il
y
a une
philosophie
du
temps,
c'est-?-dire
depuis
le
si?cle
dernier. Voici
deux
continents
:
d'une
part
le
monde,
son
foisonnement
de
faits,
politiques,
sociaux,
?conomiques,
id?ologiques;
d'autre
part
l'
uvre,
d'apparence
solitaire,
toujours ambigu? puisqu'elle
se
pr?te
?
la
fois
?
plu
sieurs
significations.
Le
r?ve serait ?videmment
que
ces
deux
continents
eussent
des
formes
compl?mentaires,
que,
distants
sur
la
carte,
on
p?t
cepen
dant,
par
une
translation
id?ale,
les
rapprocher,
les
embo?ter Pun
dans
l'autre,
un
peu
comme
Wegener
a
recoll?
l'Afrique
et
l'Am?rique.
Malheu
reusement,
ce
n'est
qu'un
r?ve
:
les formes
r?sistent,
ou,
ce
qui
est
pire,
elles
ne
changent
pas
au
m?me
rythme.
A vrai
dire,
jusqu'?
pr?sent,
ce
probl?me
ne
s'est
donn?
comme
r?solu
1.
Cette
?mission,
intitul?e
?
L'Histoire de
la
Musique
?,
a
lieu
le
vendredi
sur
France
III.
524
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
3/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
qu'?
la lumi?re
des
grandes philosophies,
celles de
Hegel,
de
Taine,
de
Marx.
Hors des
syst?mes,
mille
rapprochements,
d'un
savoir,
d'une
ing?niosit?
admirables,
mais
semble-t-il,
par
une
derni?re
pudeur,
toujours
fragmen
taires,
car
l'historien
de la litt?rature
coupe
court
d?s
qu'il approche
de l'his
toire
v?ritable
:
d'un continent
?
l'autre,
on
?change quelques signaux,
on
souligne
quelques
connivences. Mais,
pour
l'essentiel,
l'?tude de chacun
de
ces
deux
continents
se
d?veloppe
d'une
fa?on
autonome
:
les
deux
g?ographies
communiquent
mal.
Voici
une
histoire de la
litt?rature
(n'importe
laquelle
:
je
n'?tablis
pas
un
palmar?s,
je
r?fl?chis
sur
un
statut)
;
elle n'a
d'histoire
que
le
nom
:
c'est
une
suite
de
monographies,
dont
chacune,
?
peu
de
choses
pr?s,
encl?t
un
auteur et
l'?tudi?
pour
lui-m?me
;
l'histoire n'est
ici
que
succession
d'hommes
seuls;
bref
ce
n'est
pas
une
histoire,
c'est
une
chronique;
certes
l'effort
de
g?n?ralit?
existe
(et
de
plus
en
plus),
portant
sur
des
genres
ou
des
?coles;
mais
il
est
toujours
cantonn?
?
la
litt?rature
elle-m?me;
c'est
un
coup
de
chapeau
donn?
en
passant
?
la
transcendance
historique,
un
hors-d'
uvre
au
plat
principal
:
l'auteur. Toute
histoire litt?raire
nous
renvoie
ainsi
?
une
s?quence
de
critiques
closes
: aucune
diff?rence
entre
l'histoire
et
la
critique;
travaillant
sur
Racine,
je
puis,
sans
secousse
m?thodique,
passer
du Racine
de
Thierry
Maulnier
au
chapitre
d'A.
Adam
sur
Racine,
dans
son
Histoire
de
la
Litt?rature
fran?aise
au
XVIIe
si?cle
:
c'est
le
langage
qui
change,
non
le
point
de
vue
;
dans
l'un
et
l'autre
cas,
tout
part
de Racine
et
rayonne
diversement, ici
vers
une
po?tique, l?
vers une
psychologie tragique
:
en
mettant
les choses
au
mieux,
l'histoire litt?raire n'est
jamais
que
l'histoire
des
uvres.
Peut-il
en
?tre
autrement
? Dans
une
certaine
mesure,
oui
:
une
histoire
litt?raire
est
possible,
en
dehors
des
uvres
m?mes
(j'y
arrive
?
l'instant).
Mais,
de
toutes
mani?res,
la
r?sistance
g?n?rale
des
historiens
de
la
litt?ra
ture ?
passer
pr?cis?ment
de la litt?rature
?
l'histoire
nous
renseigne
sur
ceci
:
qu'il
y
a un
statut
particulier
de
la
cr?ation
litt?raire;
que
non
seule
ment
on
ne
peut
traiter la litt?rature
comme
n'importe
quel
autre
produit
historique
(ce
que
personne
ne
pense
raisonnablement),
mais
encore
que
cette
sp?cialit?
de
l'
uvre
contredit dans
une
certaine
mesure
?
l'histoire,
bref
que
l'
uvre
est
essentiellement
paradoxale, qu'elle
est
?
la
fois
signe
d'une histoire, et r?sistance ? cette histoire. C'est ce
paradoxe
fondamental
qui
se
fait
jour,
plus
ou
moins
lucidement,
dans
nos
histoires
de la litt?ra
ture;
tout
le
monde
sent
bien
que
l'
uvre
?chappe,
qu'elle
est
autre
chose
que
son
histoire
m?me,
la
somme
de
ses
sources,
de
ses
influences
ou
de
ses
mod?les
: un
noyau
dur, irr?ductible,
dans la
masse
ind?cise
des
?v?nements,
des
conditions,
des mentalit?s
collectives
;
voil?
pourquoi
nous
ne
disposons
jamais
d'une
histoire de
la
litt?rature,
mais
seulement
d'une
histoire des
litt?rateurs.
En
somme,
dans
la
litt?rature,
deux
postulations
:
l'une
histo
rique,
dans la
mesure
o?
la
litt?rature
est
institution;
l'autre
psychologique,
dans
la
mesure
o? elle
est
cr?ation. Il faut
donc,
pour
l'?tudier,
deux
disci
plines
diff?rentes
et
d'objet
et
de
m?thode;
dans
le
premier
cas,
l'objet,
c'est
l'institution
litt?raire,
la
m?thode,
c'est la
m?thode
historique
dans
ses
plus
r?cents
d?veloppements;
dans
le
second
cas,
l'objet,
c'est la cr?ation litt?
raire,
la
m?thode,
c'est
l'investigation psychologique.
Il faut le dire
tout
de
525
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
4/15
ANNALES
suite,
ces
deux
disciplines
n'ont
pas
du
tout
les
m?mes
crit?res
d'objectivit?;
et
tout
le
malheur de
nos
histoires
litt?raires c'est
de les
avoir
confondues,
encombrant
sans cesse
la
cr?ation
litt?raire de
menus
faits
venus
de
l'his
toire,
et
m?lant
au
scrupule
historique
le
plus
sourcilleux,
des
postulats
psy
chologiques
par
d?finition
contestables1. Devant
ces
deux
t?ches,
on
ne
demandera
ici rien
de
plus
qu'un
peu
d'ordre.
N'exigeons
pas
de
l'histoire
plus
qu'elle
ne
peut
nous
donner
:
l'histoire
ne nous dira
jamais
ce
qui
se passe dans un auteur au moment o? il ?crit.
Il serait
plus
efficace
d'inverser
le
probl?me
et
de
nous
demander
ce
qu'une
uvre
nous
livre de
son
temps.
Prenons
donc r?solument
l'
uvre
pour
un
document,
la
trace
particuli?re
d'une
activit?,
dont seul
le
versant
collectif,
pour
le
moment,
nous
int?ressera;
voyons
en
un
mot
ce
que
pourrait
?tre
une
histoire,
non
de
la
litt?rature,
mais de la
fonction
litt?raire. Pour
cet
examen,
nous
disposons
d'un
guide
commode,
quoique
visiblement
h?tif
:
quelques
remarques
de
Lucien
Febvre,
rapport?es
ici m?me
par
Claude Pi
chois,
dans
une
contribution
au
probl?me
qui
nous
int?resse
2. Il
suffira
de
confronter
les
points
de
ce
programme
historique
avec
quelques
travaux
r?cents
de
la
critique
racinienne,
l'une des
plus
vivantes
qui
soient
(j'ai
dit
qu'en
mati?re
de
litt?rature,
histoire
et
critique
?taient
encore
confondues),
pour
cerner des lacunes
g?n?rales,
d?finir des t?ches.
Le
premier
v u
de Lucien
Febvre
est
une
?tude
du milieu.
En
d?pit
de
sa
vogue
critique, l'expression
me
para?t
incertaine. S'il
s'agit
du
groupe
humain
tr?s restreint
qui
entoure
l'?crivain
et
dont
chaque
membre
est
?
peu
pr?s
connu
(ses
parents,
ses
amis,
ses
ennemis),
le
milieu de
Racine
a
?t?
souvent
d?crit,
du moins
dans
ses
aspects
circonstanciels;
car
les
?tudes
de
milieux n'ont
?t?
souvent
que
des
recensions de
biographies
mineures,
l'his
toire
anecdotique
de
certaines
fr?quentations
ou
mieux
encore
de
certaines
?
brouilles
?.
Mais
si
l'on
con?oit
le
milieu d'un
?crivain
d'une
mani?re
plus
organique, plus
anonyme,
comme
le
lieu
des
usages
de
pens?e,
des
tabous
implicites,
des
valeurs
?
naturelles
?,
des int?r?ts
mat?riels d'un
groupe
d'hommes associ?s r?ellement
par
des
fonctions
identiques
ou
compl?men
taires,
bref comme une
portion
de classe
sociale,
les ?tudes se font bien
plus
rares.
Pour
l'essentiel de
sa
carri?re,
Racine
a
particip?
?
trois
milieux
(dont
souvent
deux
?
la
fois)
:
Port-Royal,
la
Cour,
le
Th??tre;
sur
les
deux
pre
miers,
ou
plus
exactement
sur
leur intersection
(et
c'est
cela
qui
compte
pour
Racine),
nous
avons
l'?tude
de
Jean
Pommier
sur
le
milieu
jans?niste
et
mondain de
la
comtesse
de
Gramont;
on
conna?t
d'autre
part
l'analyse,
?
la fois
sociale
et
id?ologique,
que
Lucien Goldmann
a
faite
de
l'aile
?
droi
1.
Marc Bloch disait
d?j?
?
propos
de
certains
historiens
:
?
S'agit-il
de
s'assurer
si
un
acte
humain
a
vraiment
eu
lieu?
Ils
ne
sauraient
porter
dans
cette
recherche
assez
de
scrupules.
Passent-ils
aux
raisons
de
cet
acte?
La
moindre
apparence
les
satisfait
:
fond?e
?
l'ordinaire
sur un
de
ces
apophtegmes
de
banale
psychologie,
qui
ne
sont
ni
plus
ni
moins
vrais
que
leurs contraires
?.
(M?tier d'historien, p. 102J.
2.
Cl.
Picho
is
:
?
Les
cabinets
de
lecture ? Paris durant
la
premi?re
moiti? du
XIX?
si?cle
?,
Annales,
juil.-sept.
1959,
pp.
521-84.
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5/15
HISTOIRE ET
LITT?RATURE
ti?re
?
du
jans?nisme.
Sur
le
milieu
th??tral,
?
ma
connaissance,
peu
d'infor
mations,
sinon
anecdotiques,
nulle
synth?se;
ici
plus
que
jamais,
le fait
bio
graphique
?clipse
le fait
historique
:
Racine a-t-il
eu
une
fille de
la Du Parc
?
Ce
probl?me
dispense
d'entrer
dans les
usages
du milieu
com?dien,
?
plus
forte
raison d'en chercher
les
significations
historiques.
De
ce
bilan num?ri
quement
modeste,
saisissons
tout
de suite le vice
:
l'extr?me
difficult? d'at
teindre la
g?n?ralit?
d'un milieu
?
travers
une
uvre ou une
vie
;
d?s
que
l'on
demande
au
groupe
?tudi?
une
certaine
consistance,
l'individu
recule;
?
la
limite,
il
est
?
peine
n?cessaire,
?
moins
m?me
qu'il
ne
g?ne.
Dans
son
RabelaiSyL.
Febvre
a
vraiment
vis?
un
milieu;
Rabelais
y
est-il
central ?
nulle
ment;
c'est
plut?t
un
point
de
d?part
pol?mique (la pol?mique
?tant
le
d?mon
socratique
de L.
Febvre),
le
pr?texte passionnel
?
redresser
une
inter
pr?tation
trop
moderne
de l'ath?isme
au
xvie
si?cle;
bref
un
cristallisateur.
Mais
que
l'on
accorde
trop
?
l'auteur,
que
le
g?nie
soit
observ?
avec
trop
de
complaisance,
et
c'est
tout le milieu
qui s'?parpille
en
relations,
en
anecdotes,
en
?
promenades
?
litt?raires1.
Sur le
public
de Racine
(second
point
du
programme
de
L-
Febvre),
beau
coup
de
remarques
incidentes,
des
chiffres
pr?cieux,
cela
s'entend
(notam
ment
dans
Picard),
mais
nulle
synth?se
r?cente,
le
fond
de
la
question
reste
myst?rieux.
Qui
allait
au
spectacle
?
A
lire
la
critique
racinienne,
Corneille
(tapi
dans
une
loge)
et
Mme de
S?vign?.
Mais
qui
encore
?
La
cour,
la
ville,
qu'?tait-ce
exactement
? Et
plus
encore
que
la
configuration
sociale
de
ce
public,
c'est
la
fonction
m?me
du th??tre
?
ses
yeux qui
nous
int?resserait
:
distraction
?
r?ve
?
identification
?
distance
?
snobisme
?
Quel
?tait le
dosage
de
tous
ces
?l?ments ?
Une
simple
comparaison
avec
des
publics
plus
r?cents
soul?ve
les v?ritables
probl?mes historiques.
On
me
dit
en
passant
que
B?r?
nice
obtint
un
vif
succ?s
de
larmes.
Mais
qui
pleure
encore
au
th??tre?
On
souhaiterait
que
les larmes de B?r?nice
renseignent
autant
sur
ceux-l?
m?mes
qui
les
versaient,
que
sur
celui
qui
les
faisait
verser,
qu'on
nous
donn?t
une
histoire
des
larmes,
qu'on
nous
d?crivit
?
partir
de l?
et
gagnant
de
proche
en
proche
d'autres
traits,
toute
une
affectivit?
d'?poque (rituelle
ou
r?elle
ment
physiologique?),
exactement
?
la
fa?on
dont Granet
a
reconstitu?
les
manifestations
du
deuil
dans la
Chine
classique.
Sujet
mille
fois
signal?,
mais
jamais
encore
exploit?,
s'agissant
pourtant
du
si?cle vedette de
notre
litt?rature.
Autre
objet
historique
(indiqu?
par
L.
Febvre)
:
a
formation
intellectuelle
de
ce
public
(et
de
ses
auteurs).
Or
les
indications
qu'on
nous
donne
sur
l'?ducation
classique
sont
?parses,
elles
ne
permettent pas
de reconstituer
le
syst?me
mental
que
suppose
toute
p?dagogie.
On
nous
dit,
toujours
en
passant,
que
l'?ducation
jans?niste
?tait
r?volutionnaire,
qu'on
y
enseignait
le
grec,
que
la classe
s'y
faisait
en
fran?ais,
etc.
Ne
peut-on
aller
plus
avant,
soit
dans le
d?tail
(par
exemple,
le
?
v?cu
?
d'une
classe),
soit
dans
la
pro
fondeur
du
syst?me,
ses contacts
avec
l'?ducation
courante
(car
le
public
de
Racine
n'?tait
pas
tout
jans?niste)
?
Bref
ne
peut-on
tenter
une
histoire,
m?me
partielle,
de
l'enseignement
fran?ais
?
En
tout
cas,
la lacune
est
parti
culi?rement
sensible
au
niveau
de
ces
histoires
litt?raires,
dont
le
r?le
serait
1.
Si discute
que
soit
son
Port-Royal,
Sainte-Beuve
a
eu
l'?tonnant
m?rite
d'y
d?crire
un
milieu
v?ritable,
o? nulle
figure
n'est
privil?gi?e.
527
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
6/15
ANNALES
pr?cis?ment
de
nous
fournir
des informations
sur
tout
ce
qui,
dans
l'auteur,
n'est
pas
l'auteur lui-m?me.
A
la
v?rit?,
la
critique
des
sources
appara?t
d'un
int?r?t
d?risoire ? c?t? de l'?tude du
v?ritable
milieu
formateur,
celui
de
l'adolescent.
Peut-?tre
une
bibliographie
exhaustive
nous
fournirait-elle
sur
tous ces
points
l'essentiel
de
ce
que
nous
demandons.
Je
dis
seulement
que
le
temps
de la
synth?se
est
venu,
mais
que
cette
synth?se
ne
pourra
jamais
s'accomplir
dans
les cadres
actuels
de
l'histoire
litt?raire. Derri?re
ces
lacunes,
en
effet,
il
y
a un
vice
qui,
pour
n'?tre
que
de
point
de
vue,
et
non
d'information,
n'en
est
pas
moins
fondamental
:
le
privil?ge
?
centralisateur
?
accord?
?
l'auteur.
Partout, c'est Racine qui fait compara?tre l'histoire devant lui, autour de
lui,
ce
n'est
pas
l'histoire
qui
cite Racine. Les
causes,
du
moins
mat?rielles,
en
sont
claires
:
les
travaux
raciniens
sont,
pour
l'essentiel,
des
travaux
uni
versitaires;
ils
ne
peuvent
donc
transgresser,
sinon
en usant
de
subterfuges
limit?s,
les
cadres
m?mes
de
l'enseignement
sup?rieur
:
d'un c?t?
la
philo
sophie,
d'un
autre,
l'histoire,
plus
loin
la
litt?rature;
entre
ces
disciplines,
des
?changes,
de
plus
en
plus
nombreux,
de
mieux
en
mieux
reconnus;
mais
l'objet
m?me
de
la
recherche
reste
pr?d?termin?
par
un
cadre
d?suet,
de
plus
en
plus
contraire
?
l'id?e
que
les
nouvelles sciences
humaines
se
font
de
l'homme K Les
cons?quences
sont
lourdes
: en
accommodant
sur
l'auteur,
en
faisant
du
?
g?nie
?
litt?raire le
foyer
m?me
de
l'observation,
on
rel?gue
au
rang
de
zones
n?buleuses,
lointaines,
les
objets
proprement
historiques;
on ne les touche que par hasard, en
passant;
dans le meilleur des cas, on les
signale,
laissant
?
d'autres
le
soin
de les
traiter,
un
jour;
l'essentiel
de l'his
toire
litt?raire
tombe
ainsi
en
d?sh?rence,
abandonn?
?
la
fois
par
l'historien
et
le
critique.
On
dirait
que
dans
notre
histoire
litt?raire,
l'homme,
l'auteur,
tient
la
place
de
l'?v?nement dans l'histoire
historisante
:
ind?niable
capital
? conna?tre
sur un
autre
plan,
il bouche
pourtant
toute
la
perspective;
vrai
en
soi,
il induit ?
une
vision fausse.
Sans
parler
encore
des
sujets
inconnus,
vastes
terres
qui
attendent
leurs
colons,
voyez
un
sujet
d?j?
excellemment
d?frich?
par
Picard
:
la
condition
de
l'homme
de
lettres
dans la
seconde moiti?
du
XVIIe
si?cle. Partant
de
Racine,
oblig?
de
s'y
tenir,
Picard
n'a
pu
apporter
ici
qu'une
contribution,
l'histoire
est encore
fatalement
pour
lui le
mat?riau
d'un
portrait;
il
a vu
le
sujet
dans sa
profondeur
(sa pr?face
est
cat?gorique
sur le
point),
mais ce
n'est
encore
qu'une
terre
promise;
oblig?
par
la
primaut?
de l'auteur
de
donner
autant
de
soin
?
l'affaire des
Sonnets
qu'aux
revenus
de
Racine,
Picard
contraint
son
lecteur
?
chercher
ici
et
l?
cette
information sociale
dont
il
a
bien
vu
l'int?r?t;
encore ne nous
renseigne-t-il
que
sur
la
condition
de
Racine. Mais
est-elle
vraiment
exemplaire?
Et
les
autres,
y
compris
et
surtout,
les
?crivains
mineurs
?
Picard
a
beau
repousser
sans cesse
Tinter
1. Il
est
bien
?vident
que
les
cadres de
l'enseignement
suivent
l'id?ologie
de
leur
temps,
mais
avec
des
retards
variables
;
au
temps
o?
Michelet
commen?ait
son
cours
au
Coll?ge
de
France,
le
d?coupage,
ou
plut?t
la
confusion
des
disciplines
(notam
ment
philosophie
et
histoire)
?tait
tout
proche
de
l'id?ologie
romantique.
Et
aujour
d'hui? Le cadre
?clate,
on le voit ? certains
signes
:
adjonction
des Sciences
Humaines
aux
Lettres dans le
nom
de
la
nouvelle
Facult?,
enseignement
de
l'Ecole
des
Hautes
Etudes.
528
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7/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
pr?tation psychologique
(Racine
?tait-il
?
arriviste
?
?),
sans
cesse
la
per
sonne
de Racine
revient
et
l'embarrasse.
Restent,
autour
de
Racine,
bien
d'autres
attitudes
?
explorer,
celles-l?
m?mes
qui
formaient
le
dernier
point
du
programme
de L.
Febvre
:
ce
qu'on
pourrait
appeler
les faits de
mentalit? collective. Des
raciniens avertis
les
ont
eux-m?mes
signal?s
au
passage,
en
souhaitant
qu'un
jour,
bien
au-del?
de
Racine,
on
les
explore.
C'est
Jean
Pommier
r?clamant
une
histoire
du
mythe
racinien,
dont
on
peut
sans
peine
imaginer
quel
?clairage
pr?cieux
elle
appor
terait
? la
psychologie,
disons
pour
simplifier
:
bourgeoise,
de
Voltaire
?
Ro
bert
Kemp.
Ce
sont
A.
Adam,
R.
Jasinski
et
J.
Orcibal
appelant
l'attention
sur
le
go?t, l'usage
pour
ainsi
dire institutionnel de
l'all?gorie
au
XVIIe
si?cle
:
fait
typique
de mentalit?
collective,
? mon sens autrement
important
que
la
vraisemblance
des
clefs
elles-m?mes.
C'est
encore
Jean
Pommier
demandant
une
histoire
de
l'imagination
au
xvne
si?cle
(et
notamment
du
th?me
de la
m?tamorphose).
On voit
que
les t?ches
de
cette
histoire
litt?raire
dont
on
?value
ici
les
obligations
ne
font
pas
d?faut.
J'en
vois
d'autres,
sugg?r?es
par
une
simple
exp?rience
de
lecteur.
Celle-ci,
par
exemple
:
nous
ne
disposons
d'au
cun
travail moderne
sur
la
rh?torique
classique;
on
rel?gue
d'ordinaire
les
figures
de
pens?e
dans
un
mus?e
du
formalisme
p?dant,
comme
si
elles
n'avaient
eu
d'existence
que
dans
quelques
trait?s de
P?res
J?suitesl;
Racine
pourtant
en
est
plein,
lui
qui
est
r?put?
le
plus
?
naturel
?
de
nos
po?tes.
Or
c'est
tout
un
d?coupage
du monde
que
le
langage
impose,
?
travers ces
figures
de
rh?torique.
Cela
rel?ve-t-il
du
style
?
de
la
langue
?
Ni
de
l'un
ni
de
l'autre;
il
s'agit
en
v?rit? d'une
institution
v?ritable,
d'une
forme
du
monde,
aussi
importante
que
la
repr?sentation
historique
de
l'espace
chez
les
peintres
:
malheureusement,
la
litt?rature attend
encore son
Francastel.
Cette
question
aussi,
que
je
ne
vois
nulle
part
poser
(m?me
pas
dans
le
programme
de
Febvre),
sinon
chez
des
philosophes,
ce
qui
est sans
doute
suffisant
pour
la discr?diter
aux
yeux
de l'historien
litt?raire
:
qu'est-ce
que
la litt?rature
?
Je
ne
demande
rien
d'autre
qu'une
r?ponse
historique
:
qu'?tait
la
litt?rature
(le
mot
est
d'ailleurs
anachronique)
pour
Racine
et ses
contem
porains,
quelle
fonction
exacte
lui
confiait-on,
quelle
place
dans
l'ordre
des
valeurs,
etc.
?
A
vrai
dire,
je
vois
mal
qu'on puisse engager
une
histoire
de
la
litt?rature
sans
que
l'on
s'interroge
d'abord
sur son
?tre
m?me.
Bien
plus,
que
peut
?tre,
litt?ralement,
une
histoire de la
litt?rature,
sinon
l'histoire de
l'id?e
m?me
de
litt?rature ?
Or
cette
sorte
d'ontologie
historique,
portant
sur
l'une
des
valeurs
les moins naturelles
qui
soient,
je
ne
la
trouve
nulle
part.
Et
cette
lacune,
on
ne
la
sent
pas
toujours
innocente
:
si
l'on
s'inter
roge
minutieusement
sur
les
accidents
de la
litt?rature,
c'est
que
son
essence
ne
fait
pas
de
doute;
?crire
appara?t
en
somme
aussi
naturel
que
manger,
dormir
ou
se
reproduire,
cela
ne
m?rite
pas
l'histoire.
D'o?
chez
tant
d'his
toriens
litt?raires,
telle
phrase
innocente,
telle
inflexion
de
jugement,
tel
silence,
destin?s
?
nous
t?moigner
de
ce
postulat
:
que
nous
devons
d?chiffrer
Racine,
non
certes
en
fonction
de
nos
propres
probl?mes,
mais du
moins
sous
le
regard
d'une
litt?rature
?ternelle,
dont
on
peut,
dont
on
doit
discuter
les modes d'apparition,
mais
non
l'?tre m?me.
1.
Voir
par exemple
celui
du
P?re
Lamy
:
La
Rh?torique
ou
Vart de
parler
(1675).
529
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
8/15
ANNALES
Or
l'?tre
de
la
litt?rature
replac?
dans
l'histoire
n'est
plus
un
?tre.
D?sa
cralis?e,
mais
?
mon sens
d'autant
plus
riche,
la
litt?rature
redevient
l'une
de
ces
grandes
activit?s
humaines,
de
forme
et
de
fonction
relatives,
dont
Febvre
n'a
cess?
de
r?clamer l'histoire. C'est
donc
au
niveau
des
fonctions
litt?raires
(production,
communication,
consommation)
que
l'histoire
peut
seulement
se
placer,
et
non au
niveau des individus
qui
les
ont exerc?es.
Autrement
dit,
l'histoire
litt?raire
n'est
possible
que
si
elle
se
fait
sociolo
gique,
si elle s'int?resse
aux
activit?s
et
aux
institutions,
non aux
individus
*.
On voit
?
quelle
histoire
nous
m?ne le
programme
de Febvre
:
?
l'oppos?
m?me des
histoires
litt?raires
que
nous
connaissons;
les mat?riaux
s'y
retrou
veraient,
en
partie
du
moins;
mais
l'organisation
et
le
sens
seraient
contraires
:
les
?crivains
n'y
seraient
consid?r?s
que
comme
les
participants
d'une acti
vit?
institutionnelle
qui
les
d?passe
individuellement,
exactement
comme
dans
les
soci?t?s dites
primitives,
le
sorcier
participe
?
la fonction
magique;
cette
fonction,
n'?tant fix?e
dans
aucune
loi
?crite,
ne
peut
?tre saisie
qu'?
travers
les
individus
qui
l'exercent;
c'est
pourtant
la
fonction
seule
qui
est
objet
de
science.
Il
s'agit
donc
d'obtenir
de l'histoire
litt?raire,
telle
que
nous
la
connaissons,
une
conversion
radicale,
analogue
?
celle
qui
a
pu
faire
passer
des
chroniques
royales
?
l'histoire
proprement
dite.
Compl?ter
nos
chroniques
litt?raires
par
quelques ingr?dients
historiques
nouveaux,
ici
une
source
in?dite,
l?
une
biographie
renouvel?e,
ne
servirait
? rien
:
c'est
le cadre
qui
doit
?clater,
et
l'objet
se
convertir.
Amputer
la
litt?rature
de
l'individu On voit l'arrachement, le paradoxe m?me. Mais
une
histoire
de
la
litt?rature
n'est
possible
qu'?
ce
prix;
quitte
?
pr?ciser
que
ramen?e
n?ces
sairement
dans
ses
limites
institutionnelles,
l'histoire de la litt?rature
sera
de
l'histoire
tout court
*.
Quittons
maintenant
l'histoire
de la
fonction
pour
aborder
celle de la
cr?ation,
qui
est
l'objet
constant
des histoires
litt?raires dont
nous
disposons.
Racine
a
cess?
d'?crire
des
trag?dies apr?s
Ph?dre.
C'est
un
fait;
mais
ce
fait
renvoie-t-il
?
d'autres
faits
d'histoire ? Peut-on
V?tendre
? Tr?s
peu,
son
d?ve
loppement
est surtout de
profondeur;
pour lui donner un sens,
quel qu'il
soit
(et
on
en a
imagin?
de
tr?s
divers),
il
faut
postuler
un
fond
de
Racine,
un
?tre
de
Racine,
cet
?tre
f?t-il
dans
le
monde,
bref il faut toucher
?
une
mati?re
sans
preuve,
qui
est
la
subjectivit?.
Il
est
possible
de saisir
objecti
vement
dans
Racine
le fonctionnement
de
l'institution
litt?raire;
il
est
impos
sible
de
pr?tendre
?
la m?me
objectivit?
lorsqu'on
veut
surprendre
en
lui
le
fonctionnement de
la
cr?ation.
C'est
une
autre
logique,
ce
sont
d'autres
exigences,
une
autre
responsabilit?
;
il
s'agit d'interpr?ter
le
rapport
d'une
uvre
et
d'un individu
:
comment
le faire
sans se
r?f?rer
?
une
psychologie
?
1. Voir
?
ce
sujet
:
I. Meyerson
:
Les
fonctions
psychologiques
et
les
uvres.
Paris
Vrin,
1948,
223
p.
2. Goldmann a bien vu le probl?me : il a tent? de soumettre Pascal et Racine ?
une
vision
unique,
et
le
concept
de
vision
du
monde
est chez
lui
express?ment
socio
logique.
530
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
9/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
Et
comment cette
psychologie
pourrait-elle
?tre autre
chose
que
choisie
par
le
critique?
Bref,
toute
critique
de
la
cr?ation
litt?raire,
si
objective,
si
partielle
qu'elle
se
pr?tende,
ne
peut
?tre
que
syst?matique.
Il
n'y
a
pas
?
s'en
plaindre,
mais
seulement
? demander
la franchise du
syst?me.
Il
est ?
peu
pr?s
impossible
de
toucher
?
la cr?ation
litt?raire
sans
pos
tuler l'existence
d'un
rapport
entre
l'
uvre et
autre
chose
que
l'
uvre.
Pen
dant
longtemps
on
a
cru
que
ce
rapport
?tait
causal,
que
l'
uvre
?tait
un
produit
:
d'o?
les
notions
critiques
de
source,
de
gen?se,
de
reflet,
etc.
Cette
repr?sentation
du
rapport
cr?ateur
appara?t
de
moins
en
moins
soutenante
:
ou
bien
l'explication
ne
touche
qu'une
partie
infime de
l'
uvre,
elle
est
d?ri
soire;
ou
bien
elle
propose
un
rapport
massif,
dont la
grossi?ret?
soul?ve
mille
objections
(Plekhanov,
l'aristocratie et le
menuet).
L'id?e de
produit
a
donc
fait
place
peu
?
peu
?
l'id?e
de
signe
:
l'
uvre
serait le
signe
d'un
au
del?
d'elle-m?me;
la
critique
consiste
alors
?
d?chiffrer la
signification,
?
en
d?couvrir
les
termes,
et
principalement
le
terme
cach?,
le
signifi?.
C'est
actuellement
L.
Goldmann
qui
a
donn?
la
th?orie la
plus pouss?e
de
ce
qu'on
pourrait
appeler
la
critique
de
signification,
du
moins
lorsqu'elle s'applique
?
un
signifi?
historique;
car
si
l'on s'en
tient
au
signifi?
psychique,
la
cri
tique
psychanalytique
et
la
critique
sartrienne ?taient
d?j?
des
critiques
de
signification.
Il
s'agit
donc
d'un
mouvement
g?n?ral qui
consiste
?
ouvrir
l'
uvre,
non
comme
l'effet
d'une
cause,
mais
comme
le
signifiant
d'un
signifi?.
Bien
que
la
critique
?rudite
(dirai-je
pour
simplifier
:
universitaire
?)
reste
encore
pour
l'essentiel
fid?le
?
l'id?e
(organique,
et
non
structurale)
de
gen?se,
il
se
trouve
pr?cis?ment
que
l'ex?g?se
racinienne
tend
?
d?chif
frer
Racine
comme
un
syst?me
de
significations.
Par
quel
biais ? Celui
de
l'all?gorie
(ou
de
la
clef,
ou
de
l'allusion,
selon
les
auteurs).
On
sait
que
Racine suscite
aujourd'hui
toute
une
reconstitution
de
?
clefs
?,
historiques
(Orcibal)
ou
biographiques
(Jasinski)
:
Andromaque
?tait-elle
la
Du
Parc?
Oreste
est-il
Racine
?
Monime
?tait-elle
la
Champmesl?
?
Les
jeunes
Juives
?'Esther
figuraient-elles
les
Filles
de
l'Enfance
de
Toulouse
?
Athalie
est
elle
Guillaume
d'Orange
?
etc.
Or,
quelque
rigueur
ou
quelque
flou
qu'on
lui
donne,
l'all?gorie
est
essentiellement
une
signification,
elle
rapproche
un
signifiant
et
un
signifi?.
Je
ne
reviens
pas
sur
la
question
de savoir
s'il
ne
serait
pas
plus
int?ressant
d'?tudier
le
langage
all?gorique
comme
un
fait
d'?poque, que
d'examiner
la
probabilit?
de
telle
ou
telle
clef.
Je
retiens
seu
lement
ceci
:
l'
uvre
est consid?r?e
comme
le
langage
de
quelque
chose,
ici
tel fait
politique,
l?
Racine
lui-m?me.
L'ennui,
c'est
que
le d?chiffrement
d'un
langage
inconnu,
pour
lequel
il
n'existe
pas
de document
t?moin
analogue
?
la
pierre
de
Rosette,
est
?
la
lettre
improbable,
sauf
?
recourir
?
des
postulats
psychologiques.
Quelque
effort
de
rigueur
ou
de
prudence
que
s'impose
la
critique
de
signification,
le
caract?re
syst?matique
de
la
lecture
se
retrouve
?
tous
les niveaux.
D'abord
au
niveau
m?me du
signifiant.
Qu'est-ce
au
juste qui
signifie
?
un
mot
?
un
vers
?
un
personnage?
une
situation?
une
trag?die?
le
corps
entier
de
l'
uvre1?
1.
Charles
1er
ayant
confi?
ses
enfants ?
Henriette
d'Angleterre
par
ces
mots
:
Je ne
puis
vous
laisser
de
gages
plus
chers,
et
Hector confiant
le
sien ?
Andromaque
Dar ce vers
*
*
Je
te
laisse
mon
fus
pour gage
de
ma
foi,
R.
Jasinski
voit l?
un
rapport
significatif,
il
conclut ?
une
source,
?
un
mod?le.
Pour
531
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
10/15
ANNALES
Qui
peut
d?cr?ter
le
signifiant,
hors
d'une
voie
proprement
inductive,
c'est-?-dire
sans
poser
d'abord
le
signifi?,
avant
le
signifiant
?
Et
ceci,
qui
est
plus
syst?matique
encore
:
que
faire
des
parties
de l'
uvre
dont
on
ne
dit
pas
qu'elles signifient
?
L'analogie
est un
gros
filet
:
les trois
quarts
du
discours
racinien
passent
au
travers.
D?s
lors
que
l'on
entreprend
une
critique
des
significations,
comment
s'arr?ter
en
chemin?
Faut-il
renvoyer
tout
l'insignifiant
?
une
alchimie
myst?rieuse
de
la
cr?ation,
d?pensant
sur
un vers
des tr?sors
de
rigueur
scientifique,
puis,
pour
le
reste,
s'abandonnant
paresseusement
?
une
conception
proprement
magique
de
l'
uvre
d'art
?
Et
quelles
preuves
donner
d'une
signification
?
Le
nombre
et
la
convergence
des
indices factuels
(Orcibal)
? On
atteint
ici,
m?me
pas
le
probable,
seule
ment
le
plausible.
La
?
r?ussite
?
d'une
expression
(Jasinski)
?
C'est
un
pos
tulat
caract?ris?
que
d'inf?rer de la
qualit?
d'un
vers au
?
v?cu
?
du
senti
ment
qu'il exprime.
La
coh?rence du
syst?me
signifiant
(Coldmann)
?
C'est,
?
mon
sens,
la seule
preuve
acceptable,
tout
langage
?tant
un
syst?me
forte
ment
coordonn?;
mais
alors,
pour
que
la coh?rence
soit
manifeste,
il
faut
l'?tendre
? toute
l'
uvre,
c'est-?-dire
accepter
l'aventure d'une
critique
totale.
Ainsi,
de
toutes
parts,
les
intentions
objectives
de
la
critique
de
signification
sont
d?jou?es
par
le
statut
essentiellement arbitraire
de
tout
syst?me
linguistique.
M?me
arbitraire
au
niveau des
signifi?s.
Si
l'
uvre
signifie
le
monde,
?
quel
niveau
du monde
arr?ter
la
signification
? A l'actualit?
(Restauration
anglaise pour Athalie)
? A la crise
politique (crise turque
de
1671 pour Afithri
dat?)
?
Au
?
courant
d'opinion
?? A la
?
vision du monde
?
(Goldmann)
?
Et si l'
uvre
signifie
l'auteur,
la m?me
incertitude
recommence
:
?
quel
niveau
de
la
personne
fixer
le
signifi?
?
?
la
circonstance
biographique
?
au
niveau
passionnel
?
?
une
psychologie
d'?ge
?
?
une
psych?
de
type
archa?que
(Mauron)
? C'est
chaque
fois
d?cider
d'un
palier,
moins
en
fonction
de
l'
uvre
que
de
l'id?e
pr?con?ue
qu'on
se
fait
de la
psychologie
ou
du
monde.
La
critique
d'auteur
est
en
somme une
s?miologie qui
n'ose
pas
dire
son
nom.
Si elle
l'osait,
elle conna?trait
au
moins
ses
limites,
afficherait
ses
choix
;
elle
saurait
qu'elle
doit
toujours
compter
avec
deux
arbitraires,
et
donc les
assumer.
D'une
part, pour
un
signifiant,
il
y
a
toujours plusieurs
signifi?s
possibles
:
les
signes
sont
?ternellement
ambigus,
le
d?chiffrement
est tou
jours un choix. Dans Esther, les Isra?lites opprim?s sont-ils les protestants,
les
jans?nistes,
les
Filles
de
l'Enfance,
ou
l'humanit?
priv?e
de
r?demption
?
La Terre
qui
boit
le
sang
d'Erecht?e,
est-ce
l?
couleur
mythologique,
trait
pr?cieux
ou
fragment
d'un
phantasme
proprement
racinien
?
L'absence
de
Mithridate
est-elle
exil de
tel
roi
temporel
ou
silence
mena?ant
du
P?re
?
Pour
un
signe,
combien
de
signifi?s
Je
ne
dis
pas
qu'il
est
vain de
soupeser
la vraisemblance
de
chacun
d'eux;
je
dis
qu'on
ne
peut
finalement choisir
qu'en
prenant
partie
sur
le
syst?me
mental
dans
son
entier.
Si
vous
d?cidez
que
Mithridate
est
le
P?re,
vous
faites de
la
psychanalyse;
mais si
vous
d?cidez
qu'il
est
Corneille,
vous
vous
r?f?rez
?
un
postulat
psychologique
appr?cier la probabilit? d'une telle signification, qui peut tr?s bien n'?tre qu'une
co?ncidence,
il
faut
se
reporter
?
la discussion
de
Marc
Bloch
dans
M?tier
d'historien
(p.
60
sqq).
532
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
11/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
tout
aussi
arbitraire,
pour
banal
qu'il
soit.
D'autre
part,
la
d?cision
d'arr?ter
ici
et
non
pas
l?
le
sens
de l'
uvre
est
?galement
engag?e1.
La
plupart
des
critiques s'imaginent
qu'un
coup
d'arr?t
superficiel
garantit
une
plus grande
objectivit?
: en
restant
?
la
surface
des
faits,
on
les
respecterait
mieux,
la
timidit?,
la
banalit?
de
l'hypoth?se
serait
un
gage
de
sa
validit?.
De
l?
un
recensement
des
faits
tr?s
soigneux,
souvent
tr?s
fin,
mais
dont
on
coupe
prudemment
l'interpr?tation
au
moment
m?me
o?
elle deviendrait
?clai
rante.
On
note
par
exemple
chez
Racine
une
obsession
des
yeux,
mais
on
s'interdit
de
parler
de
f?tichisme;
on
signale
des
traits
de
cruaut?,
sans
vou
loir
convenir
qu'il
s'agit
de
sadisme,
sous
pr?texte
que
le
mot n'existait
pas
au
XVIIe
si?cle
(c'est
?
peu
pr?s
comme
si
l'on
refusait de
reconstituer
le
cli
mat
d'un
pays
?
une
?poque
pass?e
sous
pr?texte
que
la
dendroclimatologie
n'existait
pas alors);
on
note
qu'alentour
1675,
l'Op?ra
supplante
la
trag?die;
mais
ce
changement
de
mentalit?
est
r?duit
au
rang
de
circonstance
:
c'est
l'une
des
causes
possibles
du
silence
de Racine
apr?s
Ph?dre.
Or
cette
pru
dence
est
d?j?
une vue
syst?matique,
car
les
choses
ne
signifient
pas
plus
ou
moins,
elles
signifient
ou
ne
signifient
pas
:
dire
qu'elles
signifient
super
ficiellement,
c'est
d?j?
prendre parti
sur
le
monde.
Et
toutes
significations
?tant
reconnues
pr?somptives,
comment
ne
pas
pr?f?rer
celles
qui
se
placent
r?solument
au
plus profond
de la
personne
(Mauron)
ou
du monde
(Gold
mann),
l?
o?
on a
quelque
chance
d'atteindre
une
unit?
v?ritable
?
Risquant
un
certain
nombre
de
clefs,
R.
Jasinski
sugg?re
qu'Agrippine
figure
Port
Royal.
Fort bien
;
mais
ne
voit-on
pas qu'une
telle
?quivalence
n'est
risqu?e
que
dans la
mesure
o?
elle
reste
en
chemin
?
plus
on
pousse
l'hypoth?se,
mieux
elle
?claire,
plus
elle
devient
vraisemblable;
car
on
ne
peut
retrouver
Port-Royal
dans
Agrippine
qu'en
inf?rant
de
l'un
et de
l'autre
un
arch?type
mena?ant,
install?
au
plus
profond
de
la
psych?
racinienne
:
Agrippine
n'est
Port-Royal
que
si l'un
et
l'autre
sont
le
P?re,
au sens
pleinement
psychana
lytique
du
terme.
En
fait,
le
coup
d'arr?t
impos?
par
le
critique
?
la
signification
n'est
jamais
innocent.
Il r?v?le
la
situation
du
critique,
introduit
fatalement
?
une
cri
tique des critiques. Toute lecture
de
Racine,
si
impersonnelle qu'elle s'oblige
?
?tre,
est
un
test
projectif.
Certains
d?clarent
leurs
r?f?rences
:
Mauron
est
psychanalyste,
Goldmann
est
marxiste.
Ce
6ont
les
autres
que
je
voudrais
maintenant
interroger.
Et
puisqu'ils
sont
historiens
de
la cr?ation
litt?raire,
comment se
repr?sentent-ils
cette cr?ation
?
Qu'est
exactement
une
uvre
?
leurs
yeux
?
D'abord
et
essentiellement
une
alchimie;
il
y
a
d'un
c?t?
les
mat?riaux,
historiques,
biographiques,
traditionnels
(sources);
et
puis,
d'un
autre
c?t?,
(car
il
est
bien
?vident
qu'il
reste
un
ab?me
entre
ces
mat?riaux
et
l'
uvre),
il
y
a
un
je-ne-sais-quoi,
aux
noms
nobles
et
vagues
:
c'est
Y
?lan
g?n?rateur,
le
myst?re
de
V?me,
la
synth?se,
bref
la
Vie;
de
cette
part-l?,
on
ne
s'occupe
1. Sartre amontr? que la critique psychologique (celle de P. Bourget, par exemple)
s'arr?tait
trop
t?t,
l?
pr?cis?ment
o?
l'explication
devrait
commencer
(L'Etre
et
le
N?ant,
Gallimard,
1948,
p.
643
sqq.).
533
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
12/15
ANNALES
gu?re,
sinon
pour
pudiquement
la
respecter;
mais
en
m?me
temps
on
interdit
qu'on
y
touche
:
ce
serait
abandonner
la
science
pour
le
syst?me.
Ainsi Pon
voit
les m?mes
esprits s'?puiser
en
rigueur
scientifique
sur
un
d?tail
acces
soire
(combien
de
foudres
lanc?es
pour
une
date
ou une
virgule)
et
s'en
remettre
pour
l'essentiel,
sans
combattre,
?
une
conception
purement
magique
de
l'
uvre
:
ici
toutes
les m?fiances
du
positivisme
le
plus
exigeant,
l? le
recours
complaisant
?
l'?ternelle
tautologie
des
explications
scolastiques
;
de
m?me
que
l'opium
fait dormir
par
une
vertu
dormitive,
de
m?me
Racine
cr?e
par
une
vertu
cr?ative
:
curieuse
conception
du
myst?re
qui
sans
cesse
s'ing?nie
?
lui
trouver
des
causes
infimes;
et
curieuse
conception
de la
science,
qui en fait la gardienne jalouse de l'inconnaissable. Le piquant, c'est que le
mythe
romantique
de
l'inspiration (car
en
somme,
V?lan
g?n?rateur
de
Racine,
ce
n'est rien
d'autre
que
le
nom
profane
de
sa
muse)
s'allie ici
?
tout
un
appareil
scientiste;
ainsi de
deux
id?ologies
contradictoires1
na?t
un
syst?me
b?tard,
et
peut-?tre
m?me
un
tourniquet
commode
;
l'
uvre
est
rationnelle
ou
irrationnelle
selon les
besoins
de
la
cause :
Je
suis
oiseau;
voyez
mes
ailes...
Je
suis souris
;
vivent
les
rats
Je
suis
raison;
voyez
mes
preuves.
Je
suis
myst?re;
d?fense
d'approcher.
L'id?e
de consid?rer
l'
uvre comme
une
synth?se
(myst?rieuse)
d'?l?
ments
(rationnels)
n'est
probablement
ni
fausse
ni
vraie;
c'est
simplement
une
fa?on
?
fort
syst?matique
et
parfaitement
dat?e
?
de
se
repr?senter
les choses. C'en est une autre, et non moins
particuli?re,
que d'identifier
fatalement
l'auteur,
ses
ma?tresses
et
ses
amis
avec
ses
personnages.
Racine
c'est Oreste ?
vingt-six
ans,
Racine,
c'est
N?ron;
Andromaque,
c'est
la Du
Parc;
Burrhus,
c'est
Vitar
d,
etc.,
combien
de
propositions
de
ce
genre
dans
la cri
tique
racinienne,
qui justifie
l'int?r?t
excessif
qu'elle
porte
aux
fr?quen
tations
du
po?te
en
esp?rant
les
retrouver
transpos?es
(encore
un
mot
magique)
dans le
personnel
de
la
trag?die.
Rien
ne se
cr?e
de
rien;
cette
loi
de
la
nature
organique
passe
sans
l'ombre
d'un
doute
?
la
cr?ation
litt?raire
:
le
person
nage
ne
peut
na?tre
que
d'une
personne.
Si
encore
on
supposait
? la
figure
g?n?ratrice
une
certaine
indiff?renciation,
de
fa?on
?
tenter
de saisir
la
zone
phantasmatique
de la
cr?ation;
mais
ce
sont
au
contraire
des imitations aussi
circonstancielles
que
possible
que
l'on
nous
propose,
comme
s'il ?tait
av?r?
que
le moi ne retient
que
les mod?les
qu'il
ne
peut
pas
d?former;
du mod?le
?
sa
copie,
on
exige
un
terme commun
na?vement
superficiel
:
Andromaque
reproduit
la
Du Parc
parce
qu'elles
?taient
toutes
deux
veuves,
fid?les
et
pourvues
d'un
enfant; Racine,
c'est
Oreste,
parce
qu'ils
avaient
le
m?me
genre
de
passion,
etc.
C'est
l?
une vue
absolument
partiale
de la
psychologie.
D'abord,
un
personnage
peut
na?tre de
tout
autre
chose
que
d'une
personne
:
d'une
pulsion,
d'un
d?sir,
d'une
r?sistance,
ou
m?me
plus simplement
d'une
sorte
d'organisation endog?ne
de
la
situation
tragique.
Et
puis
surtout,
s'il
y
a
mod?le,
le
sens
du
rapport
n'est
pas
forc?ment
analogique
:
il
y
a
des
filiations
invers?es,
antiphrasiques
pourrait-on
dire;
il
n'y
a
pas
beaucoup
1. H. Mannheim a bien montr? le caract?re
id?ologique
du
positivisme,
ce
qui,
d'ailleurs,
ne
l'a nullement
emp?ch?
d'?tre f?cond
(Id?ologie
et
Utopie,
Rivi?re,
1956,
p.
93
sqj.
534
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
13/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
dfaudace
?
imaginer
que
dans la
cr?ation,
les
ph?nom?nes
de
d?n?gation
et
de
compensation
sont
aussi
f?conds
que
les
ph?nom?nes
d'imitation.
On
approche
ici du
postulat qui
commande
toute
repr?sentation
tradi
tionnelle
de
la
litt?rature
:
l'
uvre
est
une
imitation,
elle
a
des
mod?les,
et
le
rapport
entre
l'
uvre
et
les
mod?les
ne
peut
?tre
qu'analogique.
Ph?dre
met
en
sc?ne
un
d?sir
incestueux;
en
vertu
du
dogme
d'analogie,
on
recher
chera
dans la
vie
de Racine
une
situation incestueuse
(Racine
et
les
filles de
la Du
Parc).
M?me
Goldmann,
si soucieux
de
multiplier
les relais
entre
l'
uvre
et
son
signifi?,
c?de
au
postulat
analogique
:
Pascal
et
Racine
appar
tenant
?
un
groupe
social
politiquement
d??u,
leur
vision
du
monde
repro?
duira cette
d?ception,
comme
si
l'?crivain n'avait
d'autre
pouvoir
que
de
se
copier
litt?ralement
lui-m?me
K Et
pourtant,
si
l'
uvre
?tait
pr?cis?ment
ce
que
l'auteur
ne
conna?t
pas,
ce
qu'il
ne
vit
pas
? Il
n'est
pas
n?cessaire
d'?tre
psychanalyste
pour
concevoir
qu'un
acte
(et
surtout
un
acte
litt?raire,
qui
n'attend
aucune
sanction de
la
r?alit?
imm?diate)
peut
tr?s bien
?tre
le
signe
invers?
d'une
intention;
que
par
exemple,
sous
certaines
conditions
(dont
l'examen
devrait
?tre
la
t?che
m?me
de
la
critique),
Titus fid?le
peut
en
fin
de
compte
signifier
Racine
infid?le,
qu'Oreste,
c'est
peut-?tre pr?ci
s?ment
ce
que
Racine
croit
ne
pas
?tre,
etc.
Il
faut aller
plus
loin,
se
demander
si
l'effort
principal
de
la
critique
ne
doit
pas porter
sur
les
processus
de
d?formation
plut?t
que
sur ceux
d'imitation;
?
supposer que
l'on
prouve
un
mod?le,
l'int?r?t,
c'est de
montrer
en
quoi
il
se
d?forme,
se
nie
ou
m?me
s'?vanouit;
Vimagination
est
d?formatrice;
Vactivit?
po?tique
consiste
?
d?faire
des
images
: cette
proposition
de
Bachelard
fait
encore
figure
d'h?r?sie,
dans
la
mesure
o?
la
critique
positiviste
continue
d'accorder
un
privil?ge
exor
bitant
?
l'?tude des
origines
*.
Entre
l'ouvrage
estimable
de
Knight, qui
recense
tous
les
emprunts
de
Racine
?
la
Gr?ce,
et
celui
de
Mauron,
qui
essaye
de
comprendre
comment
ces
emprunts
se
sont
d?form?s,
on
me
per
mettra
de
penser
que
le
second
approche davantage
le
secret
de la cr?ation
*
D'autant
que
la
critique analogique
est
finalement aussi
aventureuse
que
l'autre.
Obs?d?e,
si
j'ose
dire,
par
le
?
d?nichage
?
des
ressemblances,
elle
ne
conna?t
plus
qu'une
d?marche
:
l'induction;
d'un fait
hypoth?tique,
elle tire des
cons?quences
bient?t
certaines,
construit
un
certain
syst?me
en
fonction
d'une
certaine
logique
:
si
Andromaque
est
la
Du
Parc,
alors
Pyrrhus
est
Racine,
etc.
Si,
?crit
R.
Jasinski,
guid? par
la
Folle
Querelle,
nous
pouvions
croire
?
une
m?saventure
amoureuse
de
Racine,
la
gen?se
d'Andro
maque
deviendrait
claire.
On
la
cherche,
et
naturellement
on
la
trouve.
Les
ressemblances
prolif?rent
un
peu
comme
les
alibis
dans
le
langage
para
1.
Infiniment
moins
souple
que
Goldmann,
un
autre
marxiste,
George
Thomson
a
?tabli
un
rapport
brutalement
analogique
entre le
renversement des
valeurs
au
Ve
si?cle
av.
J.-C,
dont
il
p^nse
retrouver
la
trace
dans
la
trag?die
grecque,
et
le
passage
d'une
?conomie
rurale
?
une
?conomie
marchande,
caract?ris?e
par
une
brusque
promotion
de
l'argent
(Marxism
and
Poetry).
2.
Sur
le
mythe
des
origines,
voir Bloch
:
M?tier
d'historien,
p.
6
et
15.
8.
Il
n'y
a aucune
raison
pour
que
la
critique
prenne
les
sources
litt?raires d'une
uvre,
d'un
personnage
ou
d'une
situation
pour
des
faits bruts
:
si Racine choisit
Tacite,
c'est
peut-?tre parce qu'il y
a
dans
Tacite
des
phantasmes d?j?
raciniens
:
Tacite
aussi
rel?ve
d'une
critique
psychologique,
avec
tous
ses
choix
et toutes
ses
incerti
tudes.
535
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
14/15
ANNALES
nolaque.
?
ne
faut
pas
s'en
plaindre,
la
d?monstration
d'une coh?rence
?tant
toujours
un
beau
spectacle
critique;
mais
ne
voit-on
pas
que,
si le
contenu
?pisodique
de
la
preuve
est
objectif,
le
postulat
qui
en
justifie
la
recherche
est,
lui,
parfaitement
syst?matique
? Si
ce
postulat
?tait
reconnu,
si
le
fait,
sans
qu'on
renonce
aux
garanties
traditionnelles
de
son
?tablissement,
ces
sait
enfin
d'?tre
l'alibi
scientiste d'une
option psychologique,
alors,
par
un
retour
paradoxal,
l'?rudition
deviendrait
enfin
f?conde,
dans
la
mesure
o?
elle
ouvrirait
?
des
significations
manifestement
relatives,
et
non
plus
par?es
des
couleurs d'une
nature
?ternelle.
R.
Jasinski
postule
que
le
?
moi
profond
?
est
modifi?
par
des situations
et
des
incidences,
donc
par
les donn?es bio
graphiques.
Or
cette
conception
du
moi
est
aussi
?loign?e
de la
psychologie
telle
que
pouvaient
l'imaginer
les
contemporains
de Racine
que
des
concep
tions
actuelles,
pour
lesquelles
le moi
profond
est
pr?cis?ment
celui
qui
est
d?fini
par
une
fixit? de
structure
(psychanalyse)
ou
par
une
libert?
qui
fait
la
biographie,
au
lieu
d'?tre conditionn?e
par
elle
(Sartre).
En
fait,
R.
Jasinski
projette
sa
propre
psychologie
en
Racine,
comme
chacun
d'entre
nous;
comme
A.
Adam,
qui
a
bien le droit de dire
que
telle
sc?ne
de Mithridate ?meut
?
ce
que
nous avons
de
meilleur
?;
jugement
express?ment
normatif,
fort
l?gi
time,
?
condition
toutefois de
ne
pas
d?clarer
plus
loin
?
absurde
et
barbare
?
l'interpr?tation
que
Spitzer
donne
du
r?cit de Th?ram?ne.
Oserais-je
dire
?
Jean
Pommier
que
ce
qui
me
pla?t
dans
son
?rudition,
c'est
qu'elle
marque
des
pr?f?rences,
flaire
certains
th?mes
et
non
point
d'autres,
bref
qu'elle
est
le
masque
vivant
de
quelques
obsessions ? Ne sera-t-il
plus sacril?ge,
un
jour,
de
psychanalyser
l'Universit? ? Et
pour
en
revenir
?
Racine,
pense-t-on
qu'on
puisse
d?monter
le
mythe
racinien,
sans
qu'y
comparaissent
tous
les
critiques
qui
ont
parl?
de
Racine
?
On
serait
en
droit de demander
que
cette
psychologie qui
fonde
la
cri
tique
d'?rudition
et
kui
est,
en
gros,
celle
qui
r?gnait
?
la naissance
du
sys
t?me
lansonien,
consente
?
se
renouveler
un
peu,
qu'elle
suive
un
peu
moins
Th?odule
Ribot. On
ne
le demande
m?me
pas;
mais
que
simplement,
elle
affiche
ses
choix.
La litt?rature s'oiTre? la recherche
objective
par
toute sa face institution
nelle
(encore
qu'ici
comme
en
histoire,
le
critique
n'ait
aucun
int?r?t
?
mas
quer
sa
propre
situation).
Quant
?
l'envers
des
choses,
quant
?
ce
lien
tr?s
subtil
qui
unit
l'
uvre
?
son
cr?ateur,
comment
y
toucher,
sinon
en
termes
engag?s
?
De
toutes
les
approches
de
l'homme,
la
psychologie
est
la
plus
improbable,
la
plus marqu?e
par
son
temps.
C'est
qu'en
fait la
connaissance
du
moi
profond
est
illusoire
:
il
n'y
a
que
des
fa?ons
diff?rentes de le
parler.
Racine
se
pr?te
?
plusieurs
langages
:
psychanalytique,
existentiel,
tragique,
psychologique
(on
peut
en
inventer
d'autres;
on
en
inventera
d'autres)
;
aucun
n'est innocen
.
Mais
reconna?tre
cette
impuissance
?
dire
vrai
sur
Racine,
c'est
pr?cis?e
ent
reconna?tre
enfin le
statut
sp?cial
de la
litt?rature.
D
tient
dans
un
paradoxe
:
la
litt?rature
est
cet
ensemble
d'objets
et
de
r?gles,
de
techniques
vt
d'oeuvres,
dont la fonction dans l'?conomie
g?n?rale
de
notre soci?t?
est
pr?cis?ment
d'institutionnaliser
la
subjectivit?.
Pour
suivre
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7/21/2019 Histoire Et Littrature
15/15
HISTOIRE
ET
LITT?RATURE
ce
mouvement,
le
critique
doit lui-m?me
se
faire
pa
adoxal,
afficher
ce
pari
fatal
qui
lui
fait
parler
Racine d'une
fa?on
et
non
d'une
autre
:
lui aussi fait
partie
de la
litt?rature. La
premi?re
r?gle
objective
e