ThierryMonierexpliquepourquoi2001nepourraitplus se reproduireaujourd’hui PAGE X
Décryptagedela rumeur évoquantun sacrifice dela SommeauprofitdeParis PAGE V
RUMEUR HYDROLOGIE
Il y adix ans
la Sommesous les eaux
MARDI 12 AVRIL 2011
TKE0100ATKE0100A
Trois mois. Trois mois les
pieds dans l’eau, trois mois
d’insomnies, trois mois inter-
minables. Avec Abbeville, Fontai-
ne-sur-Somme est la commune la
plus durement touchée par les
inondations. C’est ici qu’ont eu
lieu les premières évacuations, et
c’est encore ici que le retour à la
normale a pris le plus de temps.
Début avril, au plus fort de la
crue, la rue Verte et la rue Clabaud
sont submergées par plus d’1,
50 mètres d’eau. Les riverains,
impuissants, regardent leur mai-
son s’enfoncer dans les marais.
«On n’aurait jamais dû nous laisser
construire ici, je suis en train de tout
perdre », commente à l’époque
Jean-Paul Boyeldieu, habitant de
la rueClabaud.
L’impression d’êtreseuls au mondeFatigués physiquement et ner-
veusement, les habitants de Fon-
taine-sur-Somme ont aussi
l’impression d’être seuls au mon-
de. Élu depuis seulement une
semaine au moment des faits,
l’ancien maire Patrick Poliautre
n’a rien oublié de ces folles semai-
nes. « Je n’étais évidemment pas pré-
paré à cela et, si nous avons eu la
chance de ne pas avoir de morts, je
n’oublie pas le stress. » Dix ans plus
tard, Fontaine-sur-Somme semble
pourtant avoir en partie évacué le
souvenir. Des habitants sont par-
tis, d’autres sont venus s’installer,
et la mémoire des faits a tendance
às’évaporer. «Bien sûr, on reste vigi-
lants, mais cela ne nous empêche
plus de dormir », résume le maire
actuelGérard Leroy.
Aumaximum de la crise, plus de
700 maisons auront été inondées
à Abbeville. Incontestablement, la
capitale du Ponthieu fut la ville la
plus touchée, à côté de sa voisine
Mareuil-Caubert.
Mais au-delà de la force du chif-
fre, ce sont surtout des images qui
resteront sans doute dans les
mémoires, comme autant de sym-
boles d’une histoire à tiroirs. Celle
d’abord de la gare aux voies fer-
rées transformées en canaux. Cel-
le plus poignante de ces tracteurs
agricoles aux remorques chargées
demeubles d’habitants sauvant ce
qui pouvait l’être dans l’urgence.
Celleencoredesmilitaires, unani-
mement admirée, venus avec
leurs moyens lourds et leurs bras.
Celle de l’installation des mobiles
homes pour reloger les sinistrés,
d’abord àMareuil puis à Abbeville.
Celle aussi plus anecdotique de
Bernadette Chirac sortant d’une
maison de la chaussée de Rouvroy
par une fenêtre.
Lionel Jospin conspuésous les camérasSans oublier enfin celle du pre-
mier ministre Lionel Jospin
conspué sous les caméras par des
sinistrés à bout de nerf. À tel point
qu’il avait renoncé à pousser sa
visite jusqu’à Fontaine-sur-Som-
me.
Il faut dire que le maire d’alors
Joël Hart l’avait senti très tôt : «La
situationpeut durer entre un et trois
mois. » La réalité fut entre les deux.
Un temps suffisamment long pour
quechacunapprennevite à s’orga-
niser dans un quotidien chambou-
lé, et des rues rendues circulables
uniquement en bottes, barques et
chemin de planches. «Même
quand les Allemands avaient inondé
le marais (pendant la guerre), ça
n’avait rien de comparable ! », nous
avait lâchéun ancien.
Caves, pièces à vivre, garages, jar-
dins… partout les mêmes scènes.
Des pompes bruyantes, le moral
variant au gré des averses de pluie
etde lahauteurd’eaudans lesmai-
sons, mais aussi les badauds trou-
vantdans cepaysage extraordinai-
reuneoccasiondesortiedudiman-
che. Usant. « Par moments, nous
avonsdûparler àdes gens quimena-
çaient de se suicider », le dira Joël
Hart, un an après la catastrophe.
Parmi les sinistrés, les relogés en
mobile home ont particulière-
ment ému. «Ma femme pense que
l’on ne passera pas l’été ici. J’aime-
rais qu’elle ait raison, mais au fond
de moi, je sais qu’elle a tort », nous
avait ainsi confiés M. Taghon. En
effet, certains « relogés » ont
réveillonné à Noël dans leur mai-
son enplastique.
«Il y a plus malheureuxque nous »En miroir de cette désolation, le
meilleur aussi s’est exprimé lors
des inondations, à travers unemul-
titude de grands et petits gestes
solidaires. Comme cette coiffeuse
d’Abbeville qui proposa des cou-
pes gratuites aux sinistrés, tandis
Les sinistrés et élus (en bas Guy Dovergne dit «Popof » le maire de Mareuil) ont dû s’adapter
1ER MAILe niveau de l’eaudiminue d’un coup de24 cm à Abbeville ;inauguration d’une« place des inondés »par les sinistrés.
27 AVRILÉtat de catastrophenaturelle déclaré dans107 premièrescommunes ; leprésident Chirac évoquesa « compassion ».
10 AVRILLe Premier ministreLionel Jospin conspué.«On ne m’enlèvera pasl’idée que l’eau vient ducanal du Nord », luijette un sinistré.
2-3 AVRILLes Hortillonnagesd’Amiens submergés ;des dizaines de maisonstouchées à Abbeville etFontaine ; déjà plus de1 000 sur la Somme.
22-25 AVRILUn pic dans le nombrede maisons touchées(2 800) est atteint ;progression de l’eau pluslente depuis la mi-avril,voire quelques décrues.
RAPPELDES FAITS
18-23MARSL’Ancre, la Noye etl’Avre débordent ;premières évacuations ;de fin février à fin mars,des inondationssporadiques.
gINONDATIONS
«Par moments, nousavons dû parler à desgens qui menaçaientde se suicider »Joël Hart
maire d’Abbeville en 2001
Quand le moralvariait avecle niveau de l’eauPendant plus de deuxmois, les sinistrésde la Somme, à bout de nerfs, ont dû tenir bondans un quotidien où chacun a dû apprendreà vivre en bottes, en barque voire enmobile home.
CAHIER SPÉCIALCOURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
TKE02II.TKE02II.
IIII
que Pierrette, une sinistrée de la
chausséedeRouvroy, elle, relativi-
sait su son propre sort : « Il y a plus
malheureuxquenous. Certaines cho-
ses sont plus graves. »
Et puis à la façon d’un miracle,
sans doute aidé par l’installation
de grosses pompes à Saint-Valery
et ailleurs, l’eaua finalementdimi-
nué, en l’espace duweek-end de la
fête du travail. Comme un signe
annonciateur de la suite. Les sinis-
trés allaient désormais franchir le
seuil de leur plus dure épreuve :
l’après inondation.
GAËL RIVALLAIN et FABRICE JULIEN
JEAN-PHILIPPE DAMIEN Président dela Fédération des associations desinistrés de la Somme (FASS).
� Quels sont vos souvenirs mar-quants de ces inondations ? Je reve-nais de Paris. Il y avait quelques
centimètres d’eau dans ma mai-
son que je venais juste d’acheter
(dans le marais Saint-Gilles) à
Abbeville. Les pompiers m’ont
tout de suite prévenu que j’aurais
de 20 à 30 cm en quelques heures.
Ça sentait mauvais. Je voyais des
poissons dans mon entrée. Je
revois aussi ces gens qui
balayaient leur maison pleine
d’eau pour tenter de conjurer
l’adversité. J’ai découvert aussi des
sinistrés qui se trouvaient déjà
dans la précarité, certains qui
n’étaient pas assurés.� Dans ce grand malheur, avez-vous retenu aussi du bon ? Dès quel’eau a monté, j’ai n’ai eu qu’une
hâte : monter une association
pour essayer de comprendre. Je
voulais trouver un responsable,
mais je savais que tout seul je n’y
arriveraispas. Les gens se sont rap-
prochés. J’ai alors trouvé une cha-
leur humaine exceptionnelle, avec
des personnes qui sont restées des
amis depuis. Au risque de cho-
quer, je peux dire aujourd’hui,
qu’au final, je garde plus de bons
que demauvais souvenirs de cette
période...� Dix ans après, faut-il maintenirle souvenir de cette crue ? La tempê-
te en Vendée m’a fait remonter
des flashs. Il est clair quenous som-
mes désormais confrontés à des
changements climatiques. C’est
dans les périodes tranquilles qu’il
ne faut justement pas oublier. Pas
pour affoler mais pour rester vigi-
lant. Jene saispas si une telle catas-
trophe pourrait revenir chez nous.
Onme certifie que l’on est capable
de faire baisser le niveau de l’eau
de30 cmenquelquesheures. Je ne
suis pas ingénieur. Difficile d’en
juger. Depuis 2001, je n’ai jamais
vu de remontée d’eau. Ceci étant,
nous n’avons pas encore acquis
une culture du risque suffisante
dans notre pays. Il reste beaucoup
à faire, notamment sur la gestion
coordonnée des crises et l’adapta-
tion de l’architecture quand on vit
au bordde l’eau.
à la vie sur l’eau. Les inondations ont donné lieu aussi à de nombreux gestes de solidarité.
6 JUINFin de la crue, àFontaine-sur-Somme,dernière communeinondée, deux semainesaprès le reflux de l’eau àAbbeville.
5 MAIDouze mobile-homes àMareuil-Caubert pourreloger les sinistrés,avant un lotissementd’une cinquantaine àAbbeville.
« Il ne faut pas oublier »
«Tout est allé très vite. L’eaumontait de 5 cm toutes les demi-heures »…Isabelle Griffoin était adjointe aumaire d’Amiens, le 17mars 2001, lorsque
l’eau s’est mise à monter le long des voiries situées en bord de Somme.
«Très vite, nous avons su que nous allions faire face à un événement exception-
nel… » Exceptionnel, il le fut, autant par son ampleur que par sa durée.
Jamais de mémoire de riverains de la Somme à Amiens, on n’avait vu l’eau
atteindre une telle hauteur : «Nous habitions chemin de Halage depuis
vingt-huit ans, se souvient Raymonde Prévot. Avant nous, l’ancien propriétai-
re avait habité là pendant plus d’un demi-siècle. Il n’avait jamais eu d’eau
dans son sous-sol… » Raymonde et Maurice Prévot, eux, ont pompé pen-
dant deuxmois. « Je me couchais à 20 h 30 pour me lever à 3 heures dumatin,
se souvient la sinistrée. Avec mon mari, nous alternions, pour qu’il y ait en
permanence quelqu’un… » La ville d’Amiens a elle aussi été durement
impactée par les inondations : chemin de Halage, rue de Verdun, chemin
duMalaquis, Île Sainte-Aragone…Pendant deuxmois, des dizaines d’habi-
tants des bords de Somme ont eu les nerfs à vif, tandis que les services de la
ville, les pompiers et l’armée étaient constamment sur la brèche. In fine, si
de nombreux riverains ont réussi à rester chez eux, d’autres ont fini par
être évacués, particulièrement Chemin duMalaquis et rue de Verdun où il
amême fallu raser unemaison, trop endommagée.
Mais comme ce fut le cas tout au long de la zone sinistrée, cet épisodemal-
heureux aura aussi donné lieu à d’innombrables témoignages de solidari-
té, à l’image de ces hortillons qui ont prêté et cultivé des terres pour les
maraîchers sinistrés de l’île Sainte-Aragone.
PH.F.
3 QUESTIONS À
LE CHIFFRE
3500caves et habitations inondées,plus de 1 100 personnesévacuées. Moins de dix
communes (sur 138 touchées), dont Abbeville,Fontaine-sur-Somme, Mareuil-Caubert, Amiens,Cagny et Camon, concentrent l’essentiel des dégâts.
LA PHRASE«Cette catastrophe sans précédent par sonampleur et sa durée a soumis les sinistrésà des expériences éprouvantes, pouvantentraîner à long terme des séquelles surleur santé physique et mentale. »Rapport d’enquête sanitaire «deux ans après les inondations
À Amiens, les riverainsn’avaient jamais vu cela
Quatre instants à la « une ».De haut en bas : 22 mars, début desdébordements de la Somme ; 4 avril,l’armée est réquistionnée et son arrivéeest fort appréciée par les sinistrés ;10 avril, Lionel Jospin fait une visitehouleuse à Abbeville ; 19 avril, l’heureest à la décrue et au bilan, très lourddes inondations. Et le drame sepoursuivra encore de longs mois.
CAHIER SPÉCIALMARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
IIIIII
TKE03III.TKE03III.
Au printemps 2001, la Haute
Somme n’a pas été épargnée
par les inondations, mais
dansunemoindremesure par rap-
port à l’Ouest du département.
Météo France donne le record de
pluie : 142,4 mm à Epehy et 109,4
à Méaulte, Il a plu 21 jours en ce
mois d’avril. Cela s’est décanté à la
fin du mois, quand cinq pompes
sont mises en marche, dont une à
Cléry-sur-Somme. La navigation
est interdite sur le canal du Nord,
du coup les écluses bloquent l'eau.
Et la décrue est beaucoup plus
lentedans l'Est qu’à Abbeville.
Des ommunes en étatde catastrophe naturelleL’état de catastrophe naturelle
est décrété pour six communes :
Beuvraignes, Bouchoir, Etelfay,
Gruny, Laucourt, Montdidier. Fin
mai, la préfecture publie le pre-
mier plan de prévention des ris-
ques d'inondations, entre autre
pour les cantons d'Albert, Bray,
Combles et Péronne. Cela passe
inaperçu en Haute Somme, où la
populationest occupéeà semobili-
ser contre le troisième aéroport.
L’eau vite oubliée. Pas longtemps,
cependant. Dans la nuit du 6 au 7
juillet s’abattent des pluies dilu-
viennes. Il tombe 150 mm en six
heures ! Les secteurs de Montdi-
dier et Roye sont les plus touchés,
avec 150 habitations inondées, et
25 familles évacuées. Les zones
relativement épargnées en avril
sont fragilisées par des mouve-
ments de terrain. Des excavations
se forment.
Dès le samedi 7, à Roye, l’eau
monte brusquement une fois le
matindans unquartier. Et la polé-
mique enfle aussi : cela serait de la
faute de la Sanef, qui a ouvert une
brèche dans l’A1 pour évacuer
l’eau.
L’A1 coupée toute une journéepar une inondationEn effet, depuis le matin, l’A1 est
fermée dans les deux sens entre
Roye et Estrées-Deniecourt, pour
cause d’inondations à hauteur de
Goyencourt. La chausséeest recou-
verte d’eau surplus de 300mètres,
avec par endroits presque un
mètre de profondeur. Autour, les
champs sont inondés, donc l’éva-
cuation très lente. Des bouchons
énormes se forment, d’abord sur
l’autoroute puis sur les nationales
alentours où voitures et camions
sont envoyés. Les travaux sur l’A1
commencent en soirée, l’eau est
évacuée, et la circulation rétablie.
En attendant, les eaux de ruissel-
lement s’accumulent au point le
plusbasde la région :Fonches-Fon-
chette, où la RN17 forme digue. Le
9 juillet à 8 h 30, on ne passe plus.
Le midi, la Screg attaque la route à
la pelleteuse. Tout s’évacue dans
les champs encontrebas. VersNes-
le, dont le quartier Saint-Léonard
menace à son tour d’être enfoui
sous les eaux.ARoye, l’eaudu robi-
net n’est plus potable.
Le mardi 10 juillet, 49 commu-
nes sont déclarées sinistrées. Le
19 juillet, les premiers mobile
homes arrivent à Montdidier.
D’autres seront livrés à Fescamps
et Etelfay. Et le 26 juillet, un énor-
me orage inonde à nouveau le sec-
teur deMontdidier...
CHRISTÈLE BOUCHÉ
Dans la nuit du 6 au7 juillet 2001, il tombe150 millimètres depluies diluviennesen six heures.
Michel Monard, maire de Beuvraignes se souvientbien de ces mois difficiles de 2001. Il a été élu maire
le 24 mars de cette année-là. Dès le lendemain, il doit
faire face au premier trou. « Il avait beaucoup plu
depuis début mars. La rivière sèche qui traverse la com-
mune a repris ses droits grâce aux nappes à fleur de
peau, gonflées par ces pluies incessantes. C’est parti du
point le plus haut de la commune, la Chapelle des Loges,
et petit à petit, ça a traversé la départementale 133, Beu-
vraignes-Crapeaumesnil, inondant les deux côtés. » Les
excavations et les affaissements de terrain prennent
vite de l'ampleur. «44 trous dans le village et 134 en
plaine voient le jour. Ce n'est plus un village mais un
gruyère, raconte l’élu. Le conseil municipal a pris un
arrêté de péril pour quatre maisons devenues trop dan-
gereuses. » Une reconnaissance de catastrophes natu-
relles pour les événements allant du 1er mars au
25 avril est promulguée au Journal officiel.
Mais, début juillet, les trous se sont élargis avec un
fort orage au début de l’été. Le 7 juillet, il a plu de
1 heure dumatin à 18 heures. Cette fois, 375 excava-
tions sont localisées, dont des cavités mal rebou-
chées des tranchées de la guerre de 1914-1918. Il
faut injecter 120 m3 de sable limoneux pour garder
une habitation debout, le TGV a été ralenti afin de fai-
re des injections de béton dans le pont, et sur la
D133, un vrai lac s'est créé, avec ses mouettes et
d’autres oiseaux. Au final, le hameau de l'Abbaye a
été noyé pendant deux ans. « J'ai pris une disponibilité
de six mois à mon travail pour pouvoir faire face. Heu-
reusement, il y a eu des interlocuteurs dynamiques,
comme le sous-préfet Bruno Sourd, qui m'ont beaucoup
apporté pour le montage des dossiers. C'est devenu de
bons souvenirs maintenant mais cela a été très diffici-
le », conclutMichelMonard.
De notre correspondante CLAUDINE DELAIRE
MARC DENAVARREPrésident de l'Asso-ciation des sinistrésdes inondationsd'Albert (ASIA). Samaison, rue de Cor-bie à Albert, a étéinondée en 2001.
� Est-ce que tous les sinistrés alber-tins ont été indemnisés ? La totalitédes travaux n’a pas été remboursée.
Il y a encore aujourd'hui des gens
qui n’ont pas touché toutes leurs
indemnisations. Pour les premiers
remboursements, les assurances ont
été assez rapides. Mais six mois
après, on a découvert d’autres
dégâts comme les moquettes qui
pourrissaient, les remontées d’eau
par capillarisation… Nous avons dû
faire des aménagements pour éviter
d’être à nouveau dans la panade, des
travaux de prévention. Et ils n’ont
pas voulu prendre en compte non
plus ce qu’on avait commematériel.
Moi j’ai un petit atelier au sous-sol
qui a souffert, des patates aussi…� Combien de personnes sont concer-nées par les inondations de 2001 àAlbert ? Il y a eu dix maisons forte-
ment abîmées, dont la mienne, et
une cinquantaine de familles, qui
adhèrent à présent à l’association,
touchées aussi. L’Association des
maires de la Somme a touché plu-
sieurs millions d’euros de particu-
liers. L’ASIA n’en a vu que 10 000 ¤,
répartie entre les adhérents selon
leurs situations.� Et vous, dans quelle situationêtes-vous à présent, financièrementet moralement ? J’avais contracté unprêt avec le pact adrim de 2 900 ¤
parce qu’il me restait 3 908 ¤ à ma
charge pour des travaux. J’ai fini de
payer en mai 2008. Des travaux de
drainage dans le quartier ont été
entrepris.Mais l’été dernier, des ora-
ges ont encore fait déborder les
regards et inondaient la rue. Ici pen-
dant trois mois et demi, on avait
15 cm d’eau en 2001 ! J’ai encore
une trouille bleue qu’il se remette à
pleuvoir fort cette année !
3 QUESTIONS À
Les inondations ont attendu l’étéEn avril, les étangs de Haute-Somme ont absorbé des millions de litres d’eau, évitant lesinondations dans la région. Un violent orage a pulvérisé ce fragile équilibre, le 7 juillet.
gHAUTE SOMME
Au niveau de Goyencourt, près de Roye, l’A1 s’est couverte d’un lac en moins d’une journée.
« Les travauxde prévention dansles maisons n’ontpas été pris en comptepar les assurances »
Sacré baptême du feu pour Michel Monard : au lendemain deson élection comme maire, il doit affronter les inondations.
Beuvraignes touchée enmars et en juillet
CAHIER SPÉCIALCOURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
TKE04IV.TKE04IV.
IVIV
La folle rumeur » - comme l’a
titré à l’époque Le Figaro-, celle
qui veut qu’on ait inondé la
Somme pour protéger Paris, cou-
vait depuis plusieurs semaines
déjà, avant d’éclater au niveau
national, le 9 avril 2001. Elle fut
alors balayée d’un revers de main
par les spécialistes qui priaient les
Picards de « se raisonner ». Des
sociologues ont quant à eux rame-
né son existence à un simple com-
plexe d’infériorité Province/ Paris,
et l’ont qualifiée d’exutoire pour
une population en pleine détresse,
qui avait besoin d’explications
autres que naturelles.
Une vision assez réductrice,
quand on sait que la catastrophe a
finalement engendré plusieurs
commissions d’enquête (gouver-
nementale et sénatoriale notam-
ment) chargées de faire la lumière
sur les causes réelles de ces crues.
Réductriceaussi, auvude l’inves-
tissement de certaines victimes
des inondations qui ont entrepris
alorsunvéritable travail de recher-
che sur les trois départements,
pour comprendre quelles commu-
nications pouvaient être établies
entre la Somme, le Canal du Nord,
ou encore le bassin de l’Oise,
notamment. S’il faut chercher le
berceau de la rumeur, c’est certai-
nement de ce côté.
À l’époque, dès les premières
inquiétudes palpables de la popu-
lation, vers le mois de février, les
représentants des Voies naviga-
bles de France (VNF) l’assurent :
aucune communication n’est pos-
sible entre ces deux bassins. Sauf
qu’au début du mois d’avril, une
partie du discours change et «des
lâchures » sont reconnues par les
mêmes VNF, principalement liées
à des débordements des affluents
du canal duNord.
Autre question qui attisera les
doutes des sinistrés : la circulation
des péniches qu’il aurait certaine-
ment fallu suspendre pour éviter
des lâchers d’eau à l’ouverture des
écluses. Les réponses des VNF,
alors pointées du doigt, sont dès
lors tropévasives, puis trop techni-
ques pour convaincre les sinistrés
de la vallée. Lesquels assistent en
plus à des changements de
niveauxd’eau aberrants. L’explica-
tion des seules nappes phréati-
ques saturées ne tient plus, et,
relayé par les élus locaux - Joël
Hart,maire d’Abbeville, en tête - le
doute s’insinue.
Unhabitantde laSomme, Fernan-
do Fernandes, investi pendant
plus d’un an à chercher la vérité,
abat alors un travail de titan pour
comprendre ce qui se passe et
pointer les erreurs. Oui, la pluvio-
métrie de cet hiver 2000-2001 a
battu des records. Oui, le manque
d’entretien de la Somme et de ses
berges a participé à cette situation
catastrophique.
Mais après douze mois de rele-
vés, Fernando Fernandes se pré-
sente devant la commission
d’enquête avec des chiffres ren-
dant compte de lâchers d’eau,
notammentpar le biais d’une rigo-
le d’alimentation de l’Oise et du
Noirrieu. Celle-ci permet bien une
communication entre le bassin de
l’Oise et celui de la Somme, via le
canal de Saint-Quentin.
Il conclut aussi à l’absence de
relevés de rapprochement de
cotes d’amont et d’aval, utiles à la
visualisation d’ensemble d’une
situation, et qui anticipent l’ouver-
ture de certaines vannes en cas de
nécessité. Or «non seulement les
cotes n’ont pas été rapprochées,
mais certaines semaines, les
niveauxn’ontpas été relevés, notam-
ment pendant les inondations ! »,
s’insurge-t-il en 2002.
Pire : des travaux sur des écluses
ayant été programmés, deux
biefs : Ham supérieur et Offoy ont
été vidés, et ce, alors qu’Abbeville
étaitdéjà noyé.Autantdemanque-
ments, aujourd’hui clairement
identifiés, qui révèlent, non une
volonté intentionnelle, mais bien
une graveméconnaissance du ter-
rain et des erreurs certaines.
Alors non, la Somme n’a pas été
sciemment inondée pour sauver
Paris.Mais ces erreurs successives,
tant sur le terrain quedans la com-
munication des VNF, laisseront un
doute indélébile dans l’esprit de
ceux qui, trois mois durant, ont
vécu les pieds dans l’eau.
DELPHINE RICHARD
«Certaines semaines,les niveaux n’ontpas été relevés,notamment pendantles inondations »Fernando Fernandes
PIERREMARTIN sénateur UMP dela Somme, auteur d’un rapportparlementaire sur les causes desinondations.
� Pourquoi avez-vous proposé,avec le sénateur Marcel Deneux, deréaliser ce rapport sur les inonda-tions de la Somme ?
J’avais fait une intervention au
Sénat, pour expliquer la situation
catastrophique dans laquelle nous
nous trouvions. J’avais été mar-
qué, notamment, par la tristesse
de la population dansmon canton,
enparticulier à Fontaine-sur-Som-
me. J’ai d’abordorganiséune récol-
tede fonds et l’idéede faireun rap-
port est venue tout naturellement.
Il fallait trouver une explication à
cette catastrophe et avoir des élé-
ments pour faire en sorte que cela
ne se reproduise plus.
� Comment avez-vous procédé ?
La réalisationdu rapport, quenous
avons remis à la fin de l’année
2001, a pris six mois. Nous avons
interrogédesdizaines et des dizai-
nes de spécialistes, dont certains
avaient des avis contradictoi-
res. Mais nous avons appris beau-
coup de choses, sur la nature des
terrains, les sources, l’évolution
des rivières souterraines.
� L’objectif était-il également dedémontrer que la rumeur selon
laquelle la Somme avait été volon-tairement inondée par Paris étaitfausse ? Non. Mais les conclusions
du rapport apportent la répon-
se. Ces inondations exceptionnel-
les sont liées à l’intensité des
pluies et au manque d’entretien
des cours d’eau. Je sais néan-
moins que le rapport n’a pas éteint
la rumeur, laquelle est toujours
vivace aujourd’hui dans l’esprit
des gens. Comme l’a si bien chan-
té Yves Duteil, la rumeur est quel-
que chose de très puissant. Elle
indiffère ceux qui ne sont pas tou-
chés par les faits, mais elle rassure
ceux qui sont concernés. C’est
exactement ce qui s’est passé dans
la Somme.
LES FAITS� Avril 2001 : Le premier minis-tre Lionel Jospin se déplace àAbbeville. Il y essuie la colèredes sinistrés, devant lescaméras des médias nationauxqui relayent la fameuse rumeur :la Somme a été inondée poursauver Paris.� La capitale est alors candidateà l’organisation des JeuxOlympiques de 2008.� La commission d'évaluation
du CIO venait de visiterles équipements de la capitaledu 25 au 30 mars 2001.
« Le rapport n’a pas éteint la rumeur »
PIERRE MARTIN
gPSYCHOSE
3 QUESTIONS À
La rumeur passe, le doute persisteAlors que les habitants de la Somme vivent depuis déjà unmois les pieds dans l’eau,les médias nationaux relayent « la rumeur ». Dix ans après, elle est toujours tenace.
Fernando Fernandes a arpenté les canaux et rivières pour comprendre comment les bassins de l’Oise et de la Sommeentraient en communication. Et contredire ce qu’affirmaient les VNF, depuis le début des inondations.
CAHIER SPÉCIALMARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
VV
TKE050V.TKE050V.
Il fallait bien vivre, pour les victimes des inondations. On s’adaptait donc, comme ici unecolporteuse de presse du « Courrier picard » diffusant le journal en barque.
Image singulière d’une époque qui le fut tout autant.
Pompes à eau dans les maisons et bastaings sur parpaings comme chemin. Un décorqui fut familier pour les Abbevillois. À droite, on remarque une petite Tour Eiffel quilaisse à penser que la « rumeur » mettant en cause la capitale est bien présente.
Scènesde la vieau fil de l’eauPendant près d’un trimestre,début 2001, les habitantsd’Abbeville et de sa procherégion ont dû apprendreà vivre au quotidien avecl’eau. Souvenirs en images.
Image emblématique de la période : la gare d’Abbeville envahie par les eaux. Et ses voies ferrées ressemblant à un canal.
Certains sinistrés ont dû être relogés en mobile-home, comme ici àMareuil-Caubert. Un lotissement entier a même été organisé à Abbeville.
Bottes, cuissardes et barque, l’équipementincontournable en ce printemps 2001.
EN IMAGES à ABBEVILLE PHOTO : SANTIAGO RICHARD, GAËL RIVALLAIN
CAHIER SPÉCIALCOURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
TKE06VIATKE06VIA
VIVI
JUAN
RODRIGUEZ77 ans, retraité,Abbeville.
CHRISTIAN
ARDUINO60 ans,retraité,Abbeville.
J’habitais Mareuil-Caubert qui a étéinondée. Je livrais le Courrier picarden barque, ainsi que des courses et dupain. Cela me prenait toute la journée.Quand on a vu l’ampleur des dégâts,avec quelques bénévoles, nous avonscréé le groupe Javel club, car des per-sonnes nous donnaient des produitsd’entretien pour les sinistrés.
On a eu 1,30 mètre d’eau dans la mai-son pendant trois mois. On s’était réfu-gié à l’étage. Au bout de 15 jours, noussommes allés chez ma fille. Dans lamaison, tout a été abîmé. On a dû toutracheter le mobilier. Pendant un an,nous n’avons pas habité notre mai-son, car il fallait auparavant éliminerles champignons sur les murs.
Durant les inondations, je suis restéchez moi, au premier étage, faubourgdes Planches. J’étais quasiment le seuldu quartier, je montais la garde. J’ai vul’eau arriver, cela m’a permis dem’orga-niser. Avec trois pompes, j’ai rejetél’eau par les fenêtres. Je profitais d’unebarque pour faire mes courses. Je mesuis demandé si l’eau allait repartir.
L’eau est montée jusqu’à un mètre. Audépart, cela a été la surprise, puis del’impuissance. La famille et des voisinsnous ont aidés à sauver du mobilier.On a perdu des photos, des papiers.Durant cette période, on a déménagéquatre fois et quitté la maison pendant53 semaines. Je n’ai gardé que lesmurs extérieurs du pavillon.
BERNADETTE
BIENDILÉ42 ans, Bellancourt.
Le 6 avril, le Courrier picard titrait
en une : «Une crue qui s’éterni-
se ». Deux semaines après le
début de la montée des eaux, nous
n’imaginions pas alors encore à quel
point cela allait être vrai ! Aux
avant- postes de la catastrophe, les
médias locaux ne furent bientôt
plus les seuls à s’émouvoir et s’inter-
roger.
Les sinistrés n’ont pas oublié le
rôle joué par la radio, à commencer
par France Bleu Picardie et sa libre
antenne laissée aux initiatives soli-
daires. Un principe repris ensuite
par RTL, installée le 13 avril en mai-
rie d’Abbeville, avec succès ; à rai-
son de 30 appels à la minute, la sta-
tion a réussi à rassembler 300 000 F.
Le 20 avril, France Inter faisait de
même à l’école de Mareuil-Caubert,
à côté d’Abbeville. Et TF1de son côté
offrait 1 000 places aux jeunes foot-
balleurs des communes sinistrés
pour la finale de Coupe de France
Amiens-Strasbourg à Paris.
Les Abbevillois se souviendront
également de cettemesse de Pâques
décentralisée dans la capitale du
Ponthieu, célébrée par l’évêque
talonné par une forêt de micros.
Dans l’assistance, Jean-Pierre Elkab-
bach (Europe 1) justifiait sa présen-
ce : « J’apprécie de voir les gens sur le
terrain, de ne pas parler d’eux de
manière théorique. On reviendra
quand il fera beau aussi à Abbeville et
à Amiens, dans la Somme, pour voir
comment elle renaît. » Chacun
aujourd’hui pourra juger de la suite
donnéeà cette promesse...
Prompts à ouvrir leurs portes aux
journalistes exutoires de leur peine,
certains sinistrés ont aussi fini par
se lasser de cette effervescence
médiatique, et de ces journalistes
débarquant en bottes toutes neuves,
alors que l’on n’en trouvait déjà plus
depuis longtemps dans la région.
«C’est pas les caméras qui vont faire
baisser l’eau ! », vitupérait ainsi un
riverain bloqué sur son chemin de
planches, le temps que Benoît
Duquesne, le présentateur de Fran-
ce 2, achève le plateau de situation
de son JTdu 27 avril.
Taxés a posteriori d’avoir alimenté
la fameuse rumeur d’Abbeville (lire
page V), les médias ont aussi fait
grincer des dents chez les décideurs
économiques, à l’image du prési-
dent de la fédération hôtelière du
département : « La presse ne donne
qu’une partie de l’info. Pas un seul
hôtel n’a les pieds dans l’eau ! » Tan-
dis que certains relayaient très
(trop ?) tôt le chiffre de 30% d’annu-
lation sur les réservations estivales.
À l’office du tourisme d’Abbeville,
c’est la presse hollandaise qui fit
rugir. Elledécrivait «uneSommecom-
plètement inondée », alors que les
Hortillonnages furent le seul site tou-
ristique touché.
Par méconnaissance de la géogra-
phie locale, on a pu s’amuser à lire
que « la baie de Somme est inondée »
(NDLR : ce qui n’est pas faux, puis-
que cela arrive tous les jours à cha-
quemarée !) On goûtera encore cet-
te anecdote rapportée par Jean-Phi-
lippe Damien, le président de la
FASS, à qui un journaliste d’une
radio nationale demanda de com-
menter la prolifération de mousti-
ques à Abbeville.Malgré les dénéga-
tions du sinistré, le journaliste insis-
tait : « oui mais c’est mon sujet ! »
Néanmoins, le même Jean-Philippe
Damien l’a souvent répété, non sans
gratitude : «Ce sont aussi les médias
qui nous ont permis d’interpeller les
politiques et d’exprimer notre ressen-
ti. » Ce qui n’était pas rien. Car petit à
petit, le sort des sinistrés aurait pu
disparaître sous la surface des eaux
sommâtres des inondations, à la
faveur de la loi du zapping, et pour
une catastrophe qui fut désespéré-
ment interminable. Comme la pres-
se, aussi, n’en avait encore jamais vu
jusqu’alors.
G.R.
Pendant plusieurs semaines, les Abbevillois se sont habitués à croiser des équipes de télé ou de radio. (Photo d’archives G.RIVALLAIN)
Six mois après la catastrophe, le
rapport du Sénat avançait un bilan
des dégâts à 100 millions d’euros.
Un autre rapport, ministériel
celui-là, conclura plus tard à
160 millions d’euros. Cette facture
aussi permet aussi de mesurer
l’ampleur de l’événement. Si
2 800 maisons ont été inondées à
l’époque, les dommages sur l’habi-
tat n’ont représenté «que » 21% du
coût global. Des maisons qui, par
ailleurs, ont perdu 20% de leur
valeur après l’inondation.
Les dommages aux voiries ont
représenté plus de 50 millions
d’euros (pour l’essentiel hors zone
inondée). Quelque 200 entrepri-
ses aussi ont souffert. Dans l’Abbe-
villois, unecinquantaineadû inter-
rompreen toutoupartie sonactivi-
té, dont l’emblématique COMAP
(robinetterie de 250 salariés), qui,
depuis a carrément déménagé.
Au niveau agricole (5 % de
l’ensemble des dommages), les
maraîchers desHortillonnages ont
le plus retenu l’attention du grand
public, mais dans la profession, on
n’aura pas oublié non plus la soli-
darité des autres départements
pour l’approvisionnement en four-
ragesdu bétail.
À ce tableau, il faut ajouter le tou-
risme, largement impacté. Au-
delà des Hortillonnages (-36% de
fréquentation en 2001 et 2002), le
P’tit train de la Haute Somme, le
parc de Samara, le zoo d’Amiens et
même le musée de Picardie ont
subi des baisses, tandis que les
Hôtels et campings de la Somme
enregistraient 12 millions d’euros
deperte en 2001-2002.
Quels souvenirsconservez-vousdes inondations ?
VOTRE AVIS ?gMÉDIAS
DANIEL
PAPILLON64 ans, retraité,Abbeville.
Une onde surfant sur l’eau croupieD’abord traité par la presse régionale, « l’événement » des inondationsavite vu rappliquer lesmédiasnationaux. Avecparfois des approximations.
gÉCONOMIE
Une facture totale de 160 millions d’euros
« J’apprécie de voirles gens sur le terrain.On reviendra aussiquand il fera beau »Jean-Pierre Elkabbach, Europe 1
CAHIER SPÉCIALMARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
VIIVII
TKE07VII.TKE07VII.
Richard Pierru est président de
l’Association des victimes des
inondations d’Abbeville
(AVIA), qui compte 300 familles.
Grâce à sa longévité, son expérien-
ce et aussi parce que, le temps
aidant, elle s’est posée davantage
comme partenaire que comme
adversaire, l’AVIA est reconnue par
les pouvoirs publics comme un
interlocuteur important des ques-
tions relatives à la gestion de l’eau
et de ses risques]
� Àquoi sert L’AVIA en 2011 ?Elle poursuit une action nécessai-
re de prévention des risques, aux
côtés des responsables, des élus.
Elle est associée dans des comités
de pilotage, que ce soit sur le ru du
Maillefeu (à Abbeville) ou sur l’étu-
de hydraulique du bassin versant
de laSomme.Onparticipe àdes réu-
nions sur les travaux qui restent à
faire. L’AVIA constate aussi que la
remontée de nappen’est pas le seul
risque d’inondation, il y a égale-
ment le ruissellement. On l’a vu
avec l’orage dumois d’août 2008, à
Abbeville.
Nous sommes là aussi pour appor-
ter notre expérience et jouer notre
rôle de relais d’information entre
population et élus. Enfin, se met en
place le syndicat d’aménagement
de gestion de l’eau (Sage) aval, dans
l’ouest du département, avec une
commission locale de l’eau qui sera
un peu son Parlement. Un siège est
destiné aux sinistrés. Nous som-
mescandidats et espéronsêtre rete-
nus avant la fin de ce semestre.
� Qu’est-ce qui a été fait pourjuguler les inondations ?Des travaux ont été effectués
dans l’urgence. On a remonté les
berges avec des sacs de sable. Tous
les Abbevillois s’en souviennent.
Après, on les a confortées par des
matelasdegabions, pardespalplan-
ches. On a ouvert unepasse supplé-
mentaire dans le barrage supérieur
deSaint-Valery.Onaouvert lespor-
tes à flot, réalisé une passe supplé-
mentaire dans le barrage inférieur.
On a installé définitivement la sta-
tion de pompage de Sur Somme.
Trois pompes ont été mises en pla-
ce à Abbeville : sur leMaillefeu, sur
la Plume et la troisième dans le
marais Saint-Paul. À côté de cela,
un service de vigilance de crues a
été mis en place. Des repères de
crues ont été installés. Un comité
de surveillance des inondations a
été créé en juin 2009, par lamunici-
palité d’Abbeville, dans lequel nous
siégeons.
Une règle nous apparaît évidente,
c’est qu’en dehors des travaux qui
améliorent le fluxde l’eau, unecoor-
dination des acteurs est nécessaire.
Si le fleuve Somme dépend du
conseil général, les rivières comme
le Maillefeu et la Plume dépendent
de la ville, voire de la communauté
de communes. Nous n’avons qu’un
seul but : que l’eau, par le biais du
canalmaritime, parvienne à lamer.
La coordination est le meilleur
moyen d’améliorer l’efficacité des
travaux réalisés et de ceux qui res-
tent à entreprendre.
� Que reste-t-il à faire ?À Abbeville, il reste à améliorer
les rus du Doigt et des Nonains.
Depuis 2001, il y avait l’idée d’un
canal de dérivation, qui, rive gau-
che, permettrait de contourner
Abbeville et d’aboutir, en aval, au
canal maritime. Cette hypothèse a
évolué. Aujourd’hui, on en est à
quelque chose de plus réaliste et
réalisable. On va améliorer le flux
de l’eau, en améliorant les berges
des Nonains pour permettre un
meilleurécoulement jusqu’auquar-
tier de Mautort. Ces deux rivières
vont être recalibrées.
� Avez-vous eu le sentimentd’être suffisamment entendus ?Ça dépend sur quel thème. Après
les deux premières années, je crois
qu’onaété effectivementété enten-
dus. Notre action s’inscrit dans une
démarcheparticipative et construc-
tive. Elle est reconnue. Ça a été
long. Un peu trop. Une méfiance a
existé. On se demandait d’ailleurs
dans les premières années si on
allait pouvoir exister longtemps.
Oncompte beaucoupsurnous, aus-
si, pour jouer ce rôle de relais
d’information. Même si nous ne
sommes pas des techniciens, nous
faisons remonter des observations.
Cela veut dire que des questions
existent et méritent qu’on s’y pen-
che.
� Comment lutter contre l’oubli,risque supplémentaire, selonvous, que les choses se répètent ?Ceuxqui ont vécu ces inondations
n’ontqu’une envie : oublier. Et pen-
ser que ça n’arrivera plus. Or, on
sait que le risque zéro n’existe pas.
Lutter contre l’oubli, c’est faire en
sorte que chacun soit soucieux de
l’entretien des cours d’eau, entre-
tienne ses berges, cure son fossé, se
préoccupe de son environnement
en général. Le problème, après les
travaux d’urgence et de consolida-
tion, c’est qu’on est entré dans un
domaine technique. Quand on par-
le de syndicat d’aménagement et
de gestion de l’eau, les gens ne
voient pas à quoi cela peut servir.
On voudrait que les gens compren-
nent que si on a gardé notre sigle
«Associationdesvictimesdes inon-
dations », nous sommes engagés
dans une gestion globale de l’eau et
ouverts à tous. Lutter contre l’oubli,
c’est se préserver, entretenir
l’ensemble du réseau et être vigi-
lant sur les aménagements à appor-
ter et la gestion de l’alerte. Cela doit
être permanent. Rien n’est totale-
ment réglé et rienne le sera jamais.
Propos recueillis parVINCENT HERVÉ
Richard Pierru, le président de l’Association des victimes des inondations d’Abbeville,sur une rive du Doigt, un des rus de la ville devant être recalibré. (Photo FRED HASLIN)
«Un seul but : que l’eau aille à la mer »Passée d’une posture revendicative à «une démarche participative », l’Associationdes victimes des inondations d’Abbeville fait valoir le point de vue des habitants.
gSINISTRÉS
«Sans être techniciens,nous faisons remonterdes observations.Cela veut dire que desquestions existent »Richard Pierru
L’hôpital d’Abbeville n’a pas été touché par lesinondations de 2001,mais une partie de son per-sonnel a été mobilisée afin d’apporter une assis-tance psychologique. C’est le «plan blanc ». Ce dis-positif vise àmobiliser dupersonnelmédical, tech-
nique et administratif afin de répondre à une
situation de crise.
Si la crue de la Somme n’a pas entraîné de pertes
humaines, de nombreuses infirmières et méde-
cins psychologue ont été mis à contribution.
«Nous avions eu peu d’accueil de personnes bles-
sées. Seul un grave accident de la route concernant
un véhicule de l’armée avait eu lieu. Ce qui nous a
mobilisés, c’est l’assistance psychologique aux victi-
mes des inondations. Des personnes souffraient de
problèmes psychiques, de manque de sommeil,
d’obnubilations », relateHervéDucroquet, le direc-
teur de l’hôpital abbevillois, déjà en poste à l’épo-
que.
Le jour, les infirmières en psychiatrie recevaient
des victimes à l’hôpital. Le soir, elles partaient en
barque pour aller au-devant de victimes n’ayant
pas quitté leur domicile. «Cela a nécessité un impor-
tant investissement. Les autorités départementales
ont également envoyé des psychologues à Abbeville.
se souvient le directeur. Pour des catastrophes
importantes, comme les inondations de 2001, le
cadre dépasse le niveau du plan blanc d’un établisse-
ment de santé. »
En cas d’inondation de l’hôpital, «nous avions pré-
vu un plan de repli au centre de gérontologie, situé
plus haut, afin demaintenir un accueil des urgences.
Nous aurions également dû déplacer des patients
dans les hôpitaux et cliniques d’Amiens en cas de
panne d’électricité », se rappelle Hervé Ducroquet.
Si chaque année, un «plan blanc » est planifié à
l’hôpital d’Abbeville, aucun n’a concerné la théma-
tique des inondations depuis 2001. Cela ne servi-
rait pas à grand-chose. Dans ce cas, la lente mon-
tée des eaux permet au personnel de l’hôpital de
s’organiser plus sereinement que lors d’une catas-
trophe plus brusque.
ALEXANDRE BOUDARD
L’hôpital avait mobilisé pour «une assistance psychologique »
CAHIER SPÉCIALCOURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
TKE08VIII.TKE08VIII.
VIIIVIII
Un chantier permanent. De sa
source à son embouchure,
mais aussi le long des
1 000 km de cours d’eau du bassin
versant, la Somme n’a jamais été
aussi bien entretenue.Unmoindre
mal, au regard de nombreux rive-
rains, qui ont longtemps déploré
un certain laisser-aller avant la
catastrophe. Les inondations
auront eu au moins le mérite de
réveiller les consciences, et
d’ouvrir le portefeuille des pou-
voirspublics.Depuis 2001, 30 mil-
lions d’euros ont ainsi été investis
pour la réalisation d’ouvrages, le
curage des cours d’eau, ou encore
l’entretien des berges. La priorité
de l’Ameva, le syndicat mixte
d’aménagement hydraulique du
bassin versant de la Somme, fut
d’aborddedéterminer la pertinen-
ce d’un ouvrage avant sa réalisa-
tion. «Les travauxhydrauliques coû-
tent très chers, on n’a pas le droit de
se tromper », insiste OlivierMopty,
directeur de l’Ameva. Une des rai-
sons pour laquelle la mise en
œuvre des chantiers, dont certains
sont programmés jusqu’en 2013, a
pris un certain temps.
Au préalable, le syndicat a mis-
sionné la Sogreah, cabinet d’étu-
des spécialisé, afin de mesurer
l’impact de tel ou tel ouvrage. Une
étude de modélisation hydrauli-
que, basée sur les données des
inondations de 2001, a ainsi per-
mis demettre en place un schéma
d’aménagement global sur toute
la vallée. «Ce qui se fait à un endroit
a des répercussions ailleurs, on ne
peut pas travailler chacun dans son
coin », poursuit Olivier Mopty. De
même, l’opportunité de certains
ouvrages estparfois remiseen cau-
se au fil de l’avancement des chan-
tiers. Le projet de contournement
d’Abbeville, par exemple, long-
temps évoqué, demeure
aujourd’hui une hypothèse peu
probable. « Ce chantier colossal
aurait un coût exorbitant et pour-
rait poser des problèmes environne-
mentaux. Par ailleurs, la réalisation
d’une troisième passe à l’écluse de
Saint-Valery-sur-Somme a permis
d’améliorer considérablement la
situation à Abbeville. Un canal de
contournement ne semble donc plus
du tout opportun. »
L’appréhension de l’événement
de 2001 modifie également les
stratégies de défense contre les
inondations. Dans l’hypothèse
d’une crue denappe, commece fut
le cas, la créationdezonesd’expan-
sion est nécessaire, mais insuffi-
sante. «Ce qu’il faut, c’est évacuer. »
D’où le projet stratégique de créa-
tion d’une station de pompage à
Péronne, destinée à renvoyer l’eau
de la Sommevers le futur canal Sei-
ne-Nord. Dix ans après la catastro-
phe, la réalisation de tous ces tra-
vaux aura permis, selon les études
réalisées par la Sogreah, de limiter
considérablement les risques. On
estime, par exemple, qu’il y aurait
deux fois moins d’eau dans les
rues d’Abbeville, soit entre 30 et
50 cm.
De même, la création de Vigi-
crues, système de surveillance des
cours d’eau et des nappes créé au
lendemain des inondations de la
Somme, demeure un indispensa-
ble outil d’anticipation des phéno-
mènes. «Mais dans le cas d’une crue
de type 2001, on n’arrivera pas à
mettre hors d’eau toutes les habita-
tions, prévient Olivier Mopty. C’est
pourquoi il est également important
de lutter contre l’oubli, de travailler
sur la mémoire et la conscience du
risque. »
FABRICEJULIEN
LES FAITS� L’Ameva, syndicat mixted’aménagement du bassinversant de la Somme, réalisedes études pour la réalisationde travaux, et met en cohérencela gestion sur l’ensemble dubassin versant, soit 1 000 kmde cours d’eau.� Le syndicat regroupe830 communes de la Sommeet une centaine de l’Aisne.
gTRAVAUX
Une Somme de chantiers depuis 2001Plus de 30 millions d’euros de travaux ont été engagés le long de la Somme. Ils ontpermis de gagner jusqu’à 60 cm de hauteur d’eau sur les secteurs inondés en 2001.
« Il est importantde lutter contrel’oubli, de travaillersur la mémoire etla conscience du risque »Olivier Mopty
CAHIER SPÉCIALMARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
IXIX
TKE09IX.TKE09IX.
� En quoi a consisté votre travailau sein du cabinet Sogreah, réali-sé après les inondations de laSommede 2001 ?À la demande de l’Ameva (le syn-
dicat mixte d’aménagement du
bassin versant de la Somme), nous
avons réaliséuneétudedemodéli-
sation de toute la vallée, de 2005 à
2007, basée sur une topographie
précise du bassin. Ce modèle
numérique a permis de mieux
comprendre les phénomènes de
crues, et de mettre en place des
simulationspour testerdesaména-
gements destinés à limiter
l’impactdes inondations. Ces simu-
lations permettent de vérifier que
l’on est bien dans l’objectif voulu,
au cas où une crue de type 2001
revenait. Une première liste
d’actions a été hiérarchisée en
fonctiondes intérêts et des bénéfi-
ces attendus, puis, une étude de
programmation a été engagée site
par site afind’approfondir des solu-
tions et permettre à des collectivi-
tés de porter ces projets.
� Les travaux entrepris sur laSomme sont-ils suffisants pouréviter une catastrophe de type2001 ?
Si une telle crue revenait, les
enjeux essentiels, c’est-à-dire les
zones urbanisées et les zones
d’activité économique seraient
miseshorsd’eau. Certaineshabita-
tions pourraient néanmoins être
touchées mais, dans ces cas-là, les
volumes d’eau seraient considéra-
blement réduits avec des gains
pouvant aller jusqu’à 60 cm dans
une ville comme Abbeville, par
exemple. Mais il y aurait beau-
coup moins de casse car les tra-
vaux réalisés ont considérable-
ment amélioré l’écoulement.
� Dans votre étude, avez-vouségalement analysé précisémentl’originede cette crue ?Nous avons aujourd’hui une très
bonne compréhension de cet épi-
sode. C’est unphénomènedegran-
de ampleur qui se joue sur plu-
sieurs semaines, et même plu-
sieurs années, avec des excédents
d’eau qui ont conduit à la satura-
tiondesnappes.
Le problème, c’est que le réseau
hydraulique n’est pas en capacité
d’absorber un phénomène aussi
rare. De mémoire d’homme, per-
sonne n’avait connaissance d’un
tel événement mais, c’est surtout
lié au fait qu’il y a cent ans, les
zones urbanisées étaient moins
étendues et les dégâts forcément
moins importants.
� Les inondations de la Sommeont-elles un caractère particu-lier ?Bien sûr. En France, c’est un des
raresbassins, sinon le seul, qui pos-
sède la particularité de drainer des
plateaux crayeux sur tout son
cours. La plupart des rivières tra-
versent des régions géologiques
qui alternent, ce n’est pas le cas
dans la Somme. Cette particularité
met le bassinà l’abri desphénomè-
nes courts, comme les orages,
mais il devient très vulnérable lors
d’une période humide de très lon-
gue durée. La cause des inonda-
tions de 2001 est donc avant tout
géologique.
� Lors de votre étude, sur le ter-rain, avez-vous été confronté à larumeur selon laquelle la Sommeavait été volontairement inondéepourprotéger Paris ?Pas directement, mais j’en ai
beaucoup entendu parler. Et je
sais aussi que, même si cette
rumeur n’a aucun fondement, il y
a, comme pour toute rumeur, un
petit fond de vrai. Le canal du nord
a un fonctionnement très compli-
qué, car il franchit des affluents de
la Somme en divers endroits. Et
ponctuellement, c’est vrai, il existe
des déchargeoirs où l’on peut voir
l’eau couler vers la Somme. Mais
c’est aussi vrai dans l’autre sens et,
au final, les quantités s’équili-
brent. Ce fait est en tout cas suffi-
sant pour alimenter ce type de
rumeur.
� Les changements climatiquesvont-ils accentuer les risquesd’inondationsdans la Somme ?Oui et non. Une étude menée
récemment dans l’ouest de l’Euro-
pe montre que les phénomènes
pluvieux sur une longue période
conduisant à de fortes recharges
des nappes seront de plus en plus
rares. Néanmoins, la hausse des
niveaux marins aura une inciden-
ce, notamment en aval du fleuve.
Mais ce même secteur devrait
bénéficierd’undébitmoins impor-
tant car nous allons certainement
vers des périodes plus sèches. Ces
éléments, qui n’ont pas été pris en
compte dans les précédentes étu-
des, le seront certainement dans
les prochaines.
Propos recueillis parFABRICE JULIEN
Il y a eu l’urgence. Prise en charge de la popu-lation, lutte contre la crue… dans l’organisa-
tion commedans le financement, Bernard Flo-
rin, secrétaire général de la sous-préfecture
d’Abbeville en poste au plus fort des inonda-
tions, se souvient de services de l’État tou-
chant à leur expression la plus forte. « Je reste-
rai à jamais marqué. Comme ce silence, sur une
barque, plus un bruit d’oiseaux, rien et cette eau.
Et la solidarité qui a joué entre tous était remar-
quable », confie aujourd’hui le désormais
sous-préfet de l’arrondissement de Montdi-
dier. Il est de ceux qui ont géré la crise, et
l’après. Un après qui perdure.
«Le plus jamais ça » passe par le plan de préven-
tion des risques d’inondation de la vallée de la
Somme et de ses affluents, le «PPRI ». Approu-
vé par arrêté préfectoral du 1er décem-
bre 2004, il concerne 118 communes de la
Somme et de ses affluents. Sauf qu’il a été
annulé par un arrêt de la cour administrative
d’appel de Douai (10 décembre 2009). «Pour
un détail de vice de procédure. Le PPRI fera
l’objet d’une nouvelle enquête publique cette
année », annonce la préfecture. Cela ne remet
pas en cause, les zones identifiées comme
exposées au risque naturel (zone d’aléas). «Ce
qui permet de refuser les permis de construire
pour les mêmes motifs que si le PPRI était appli-
cable », prévient l’État. Ce dernier a lancé la
création du service de prévision des crues de
la Somme, le dossier départemental des ris-
quesmajeurs (risques, attitude à tenir en fonc-
tion etc.) et les plans de sauvegarde commu-
naux, outil d’assistance à la population (qua-
tre-vingt-quatre communes en ont l’obliga-
tion, trente-quatre l’ont déjà réalisé).
Puis, de la gestion de la catastrophe, l’humain
s’est souvenu qu’il possédait une vallée. Les
collectivités veulent une Somme retrouvée,
au potentiel touristique intéressant. Cela pas-
se par sa préservation.
Le plan Somme 2007-2013 prévoit 16 mil-
lions d’euros à la lutte contre les inondations
mais aussi à la protection des milieux aquati-
ques (2,5 par l’État). 18 m¤ iront à la restaura-
tion des bassins versants, cours d’eau et leurs
débordements, zones humides et écosystè-
mes, jusqu’aux eaux pluviales… de la Haute
Somme aux côtes. Deux territoires, avec cha-
cun un schéma directeur d’aménagement et
de gestion des eaux à potasser par des dizai-
nes de maires, car cela impacte les plans
locauxd’urbanisme. Le Crotoy connaît la chan-
son, il y joue, entre autres, son autorisation de
baignade.
La catastrophe de 2001 va donc très loin dans
ses conséquences en aménagement du terri-
toire. Cela a pu aussi, peut-être, contribuer à
l’obtention par la Baie de Somme (20 000 ha,
25 communes) du label Grands sites de France
attribué par l’État «pour une gestion conforme
aux principes du développement durable ».
Au final, les inondations ont au moins réveillé
les pouvoirs publics sur un patrimoine excep-
tionnel, mais qui reste capable du pire.
DAVID VANDEVOORDE
Dix ans de plans pour protéger de la Haute Somme au littoral
gHYDROLOGIE
«Il y aurait beaucoup moins de casse »Ingénieur hydrologue, ThierryMonier a réalisé une étude destinée à planifier destravaux facilitant l’écoulement de la Somme. Pour lui, 2001 ne pourrait se reproduire.
Le «plus jamais ça », ce fut d’abord des réponsesphysiques : les écluses (ici Abbeville) ont été rénovées.
Thierry Monier (à gauche), du cabinet Sogreah, a réalisé une étude de modélisationnumérique de toute la vallée de la Somme. Ici lors d’une rencontre avec des élus.
« La causedes inondationsde 2001 est avanttout géologique »Thierry Monier
CAHIER SPÉCIALCOURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
TKE100X.TKE100X.
XX
Comme l’eau, il y a dix ans, les
émotions vont remonter à la
surface. Cette histoire-là ne
repassera jamais complètement
au sec. Les gens sont marqués. À
vie. Deux jours durant, les same-
di 16 et dimanche 17 avril, l’hôtel
de ville d’Abbeville abrite une
exposition, sobrement baptisée
«Abbeville, 10 ans après les inon-
dations ».
L’Association des victimes des
inondations de cette ville en est le
maître d’œuvre. L’AVIA fait donc
parler ses archives, documents,
photographies, coupures de pres-
se, accrochés sur une vingtaine de
panneaux, que ses bénévoles ont
réalisés. Il y a même des bouts de
vidéo ou de films, tournés par les
habitants eux-mêmes sur l’arrivée
et le départ de l’eau, dont unmon-
tage d’une vingtaine de minutes a
été effectué. En matière de témoi-
gnage direct, difficile de faire
mieux. Ce film passera en bou-
cle. Demêmequeceluide laDirec-
tion régionale de l’environnement
et de l’énergie (Diren), intitulé La
Somme, un fleuve pas si tranquille.
Deux diffusions d’un troisième
film, plus long (une heure envi-
ron), sont prévues durant les deux
matinées. Il s’agit des 100 jours de
la Somme, de Geneviève Roger. Un
diaporama d’une trentaine de
vues des aménagements qui ont
été réalisés depuis dix ans, sera
également diffusé. Il émane du
Syndicatmixte d'aménagement et
de valorisation du bassin de la
Somme. Son président, Bernard
Lenglet et son directeur, Olivier
Mopty, animeront une conférence
évoquant ce qui a été fait pour que
de nouvelles inondations ne se
renouvellent pas dans de telles
proportions et ce qu’il reste à faire,
en particulier dans la vallée de la
Somme, mais aussi à Abbe-
ville. Dans cette ville, par exem-
ple, les rus des Nonains, du Doigt
et de La Maillefeu doivent être
recalibrés. Il est probable qu’à cet-
te occasion, l’épineuse question
durôledes riverains, tenusd’entre-
tenir les berges sera évoquée avec
le public (16 h 30, samedi). Une
autre conférence, sur le thème de
la gestion communale de l’eau, à
Abbeville, sera animée dimanche
(15 h 30), par Émilie Coulon-Cor-
nu, adjointe au développement
durable et Stéphane Bellambois,
responsabledu servicedéveloppe-
ment durable à la mairie d’Abbe-
ville. Ce dernier a été nommé
«Monsieur inondations » au sein
d’un comité de suivi des risques
d’inondations, créé en 2009. Rom-
pu à ces questions, il connaît les
problèmes rencontrés dans les
périodes lesplus critiques, évidem-
ment 2001, mais aussi lors du vio-
lent orage d'août 2008. Cet événe-
ment avait d’ailleurs décidé la
municipalité d’Abbeville à amélio-
rer la remontée et la circulation de
l’information des différents servi-
ces, qui ont à traiter des écoule-
ments d'eaupluviale et fluviale, de
l’entretien des rivières, des rus et
du faucardagedes berges.
V.H.
� «Abbeville, 10 ans après lesinondations » samedi 16 (9 à 19 heures) etdimanche 17 avril (10 heures à 18 heures),Hôtel de ville d’Abbeville. Entrée libre.
Acte de bonté dans le courantgLITTÉRATURE
gEXPOSITION
Comment relativiser une inonda-
tion centennale ? En remontant le
temps au travers des registres civils
et paroissiaux. C’est l’ambition por-
tée par Myriam Provence, généalo-
giste, auteure des catastrophes
météo dans la Somme, qui s’insère
dans une collection de synthèses
locales des grands événements cli-
matiques. Le moins qu’on puisse
dire, c’est que sur un millénaire, la
Somme a connu son lot de crues, de
vaguesde froid et de tempêtes.
Agrémenté de récits et descriptifs
d’époque, le recensement débute
en 1001 par un tremblement de ter-
re, suivi de l’observation… d’une
comète ! L’opuscule s’achève
en 2007 avec une mini-tornade
dans le Santerre. Entre-temps, c’est
la litanie des inondations (par dizai-
nes) quimarque le plus la chronolo-
gie du petit livre, comme celles
de 1658, où le 5 mars à Abbeville « la
Sommedébordeavec tantd’impétuosi-
té qu’elle inonde les deux tiers de la vil-
le. Des ponts sont détruits et plusieurs
personnesmeurent noyées. »
D’autres records jalonnent le
récit : suite à l’ouragan de 1842 à
Cayeux par exemple, « on enregistre
114 décès, soit deux fois plus qu’habi-
tuellement. » En 1422, « les Amiénois,
Abbevillois, Péronnais et Doullennais
voient leur vin geler dans les celliers. »
En 1881, on relève -21,5ºC, et -22ºC
en 1928-1929. Et en 1958, «onmesu-
re jusqu’à 40 cmde neige à Amiens ! »
À l’autre bout du thermomètre,
en 1785, «desprocessions sont organi-
sées contre la grande sécheresse ». La
Sommeaussi a connudes étés étouf-
fants, comme 2003 et ses 37,3ºC.
Plus étonnant encore, alors que le
bassin picard est réputé l’un des
moins sismique de France, on
apprend que des tremblements de
terreont jalonné l’Histoirede laSom-
me, en particulier aux XVIIe et
XVIIIe siècles. De quoi faire réfléchir
aujourd’hui sur le discours des
tenants du risquemodéré…
Au bout des 70 pages de synthèse
des aléas climatiques, on sort de cet-
te rapide traversée des siècles les
cheveux en bataille et les chausset-
tes mouillées. Au point de presque
comprendre que l’année 2001 n’y
soit traitée qu’en cinq lignes.
G.R.
� « Les catastrophes météo dans laSomme », Myriam Provence, ed. Archives &Culture, 12 ¤ (www.archivesetculture.fr)
Abbeville, dix ans aprèsUne exposition, des films, deux conférences se dérouleront ce samedi 16 et dimanche17 avril, évoquant les événements de 2001 et les améliorations apportées depuis.
gESSAI
Supplémentau numéro 21 117du 12 avril 2011
Rédaction en chef : Didier LOUISRéalisation : Daniel MURAZRédaction : Christelle BOUCHÉ, Alexandre BOUDARD, Aude COLLINA,Philippe FLUCKIGER, Vincent HERVÉ, Fabrice JULIEN, Delphine RICHARD,Gaël RIVALLAIN, David VANDEVOORDE.
Unmillénaire de catastrophesLes inondations de la Somme ont
aussi donné lieu à différentes ini-
tiatives caritatives. Parmi celles-
ci, le magazine mutualiste Viva,
afin de manifester sa solidarité
avec les victimes des inondations,
sollicita Philippe Lacoche, alors
chef d’agence du Courrier picard à
Abbeville et lauréat 2000 du Prix
du livre populiste (pour son
recueilHLM, ed. Castor Astral) afin
d’écrire une nouvelle originale sur
ledrame. Parue sous formedebro-
chure, et désormais épuisée, Une
bonté à contre-courant, décalé et
tendre mais en pleine prise avec
l’actualité abbevilloise, permit de
récupérer des fonds qui furent
remis aux sinistrés.
� Cette nouvelle est à lire dans notredossier spécial sur les inondations,sur notre site www.courrier-picard.fr
Cette photographie de la gare d’Abbeville inondée sert de support à l’affiche réalisée pour l’exposition de la mi-avril (Photo DR)
L’Associationdes victimesdes inondationsd’Abbeville faitparler ses archives
CAHIER SPÉCIALMARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
XIXI
TKE11XI.TKE11XI.