ecole de fontaineblau peinture

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La peinture entre désormais dans l'ère du spectacle, le spectateur devient l'observateur d'une mise en scène à laquelle il est invité à participer. L'auteur devient un artiste dont la personnalité s'affirme, animée du pouvoir de plier les nouveaux codes picturaux aux hasards de sa rêverie ou de sa conviction. Dans les pays du Nord, l'artiste décisif est Jan Van Eyck (1390- 1445). Là où les artistes italiens cherchent à rendre la nature au moyen d'une armature géométrique de lignes perspectives, le peintre flamand obtient l'illusion de la réalité par une accumulation de détails tendant à faire du tableau le miroir du monde visible. Dans son célèbre tableau, Les Arnolfini (1434), c'est tout un coin du monde réel qui se trouve ressuscité : le tapis, le chapelet, les fruits sur le rebord de la fenêtre. Dans le miroir apparaît l'image du peintre- témoin : pour la première fois dans l'histoire, l'artiste devient un parfait oil enregistreur. L'ECOLE DE FONTAINEBLEAU ET LA RENAISSANCE FRANCAISE Les derniers Valois et l'Ecole de Fontainebleau La naissance d'une tendance artistique propre ou la pleine Renaissance française Le château de Fontainebleau Rosso et la galerie François Ier Les derniers Valois et l'Ecole de Fontainebleau De Charles de Valois, qui sera Philippe VI (1293-

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 La peinture entre désormais dans l'ère du spectacle, le spectateur devient l'observateur d'une mise en scène à laquelle il est invité à participer. L'auteur devient un artiste dont la personnalité s'affirme, animée du pouvoir de plier les nouveaux codes picturaux aux hasards de sa rêverie ou de sa conviction. Dans les pays du Nord, l'artiste décisif est Jan Van Eyck (1390-1445). Là où les artistes italiens cherchent à rendre la nature au moyen d'une armature géométrique de lignes perspectives, le peintre flamand obtient l'illusion de la réalité par une accumulation de détails tendant à faire du tableau le miroir du monde visible. Dans son célèbre tableau, Les Arnolfini (1434), c'est tout un coin du monde réel qui se trouve ressuscité : le tapis, le chapelet, les fruits sur le rebord de la fenêtre. Dans le miroir apparaît l'image du peintre-témoin : pour la première fois dans l'histoire, l'artiste devient un parfait oil enregistreur.

L'ECOLE DE FONTAINEBLEAU ET LA RENAISSANCE FRANCAISE

 

Les derniers Valois et l'Ecole de Fontainebleau

La naissance d'une tendance artistique propre ou la pleine Renaissance française

Le château de Fontainebleau

Rosso et la galerie François Ier

 

 

Les derniers Valois et l'Ecole de Fontainebleau

De Charles de Valois, qui sera Philippe VI (1293-1350) à Henri III (1551-1589), le long règne des Valois à donné à la France des grands mécènes qui favoriseront le développement de l'art. C’est au cours des guerres d’Italie, menées par Charles VIII dès 1494, poursuivies par Louis XII et François Ier, que les rois de France découvrirent la civilisation italienne de la Renaissance et ses réalisations très différentes du style gothique. C'est à Fontainebleau que François Ier, sans doute désireux de rivaliser avec la splendeur des cours italiennes, provoqua un bouleversement fondamental dans l’évolution de l’art français. À l'homme politique, fluctuant et indécis, s'oppose le mécène au goût sur ; Il y fit venir des artistes de la péninsule : Rosso Fiorentino qui, arrivé en France en 1530, voulut auprès de lui d'autres artistes italiens : Luca Penni et surtout Primatice (1532) qui assurera la direction des travaux de décoration de Fontainebleau après la mort de Rosso, et plus tard en 1540 Niccolò dell'Abate. Le grand Léonard de Vinci arrivé en France en 1516, avait cessé de créer et mourut en 1519.

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À partir du décor s'impose un style dont les principes vont s'étendre d'une manière qu'on n'avait encore jamais vue en France à toutes les branches de l'art. C'est que le langage maniériste, en apparence étranger, offrait en réalité de nombreuses affinités avec le goût français.

 

Diane chasseresse (portrait de Diane de Poitiers), vers 1550, peintre Anonyme de l'Ecole de Fontainebleau, (Paris, musée du Louvre). Cette peinture qui avait été attribuée dans un premier temps à l'italien Luca Penni, montre l'influence de la statuaire antique sur les peintres de l'Ecole de Fontainebleau. L'attitude de la déesse semble s'inspirer d'une sculpture hellénistique intitulée la Diane à la Biche, dont un exemplaire fondu en bronze par Primatice se trouvait à Fontainebleau au XVIe siècle. Elle résume ces caractères et ces influences en une sorte d'archétype de l'idéal bellifontain (de l'école de Fontainebleau). L'étirement en hauteur de la figure, impression que devait accentuer le format primitif du tableau plus étroit que le format actuel, le refus de la profondeur, tout contribue à l'abstraction de la forme. L'œuvre représente très certainement un portrait idéalisé de Diane de Poitiers, maîtresse du roi Henri II.

À l'image de l'Italie donc, les souverains du royaume de France au XVIe siècle, très actifs sur le plan politique et sur le plan artistique ont promu de nombreuses et intéressantes innovations culturelles. Le XVIe siècle voit, d'un côté, la neutralisation des ambitions expansionnistes, amplement compensée par un magnifique développement des commandes architecturales et artistiques, malgré la succession douloureuse de sanglantes guerres de religion. Tel est le cadre de la floraison culturelle et artistique que résume bien l'école de Fontainebleau, l'une des expressions les plus séduisantes de la Renaissance en Europe. De François Ier à Henri

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IV, les rois de France développent le mécénat artistique, inspiré principalement de modèles italiens.

 

La naissance d'une tendance artistique propre ou la pleine Renaissance française

À la suite des événements aussi graves que le Sac de Rome de 1527 et le siège de Florence en 1529-30, François Ier fait venir en France des équipes entières de peintres, stucateurs, sculpteurs et architectes italiens, auxquels il confie des charges prestigieuses. Les tombes royales de la basilique Saint-Denis confirment l'orientation du goût de la cour en faveur de la Renaissance italienne. À Paris, l'affirmation progressive du style italien s'allie à la vitalité des modèles traditionnels : les chantiers des dernières églises gothiques (Saint-Eustache, Saint Etienne du Mont et Saint-Germain-l'Auxerrois) se confrontent avec les solutions « renaissance » adoptées par Pierre Lescot dans la cour carrée du Louvre (1546) et avec les fontaines publiques de Jean Goujon et de Germain Pilon. À la série de portraits de cour et "crayons" de Jean et de François Clouet s'ajoutent d'importants traités d'inspiration classique sur l'art et l'architecture. Les guerres de religion que marqueront durement l'histoire de France, époque, dramatique est symbolisée par les sculptures empreintes d'angoisse de Ligier et qu'Henri IV clôt de la célèbre phrase ; "Paris vaut bien une messe".

 

Portrait équestre du roi François I, vers 1540, François Clouet, (Florence, Offices )

Dans l'"Eva Prima Pandora de Jean Cousin (vers 1538) qui atteste l'influence de Rosso et de Cellini pour le nu, l'on retrouve dans le paysage rocailleux de la grotte, une connaissance de Vinci et des gravures des écoles nordiques, notamment celle du Danube. L'une des difficultés

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concernant la peinture française de cette époque est la diversité des influences auxquelles elle fut soumise. De nouvelles sources apparaissent dans les portraits, comme celui de "Pierre Qute (1562) de François Clouet, qui s'inspire manifestement des portraits de cour de Bronzino, ainsi que d’Holbein et des Pourbus de Flandres. Mêmes influences dans la "Dame au bain" (vers 1570), portrait classique de la maîtresse royale dans son rôle officiel, lointaine, couverte de bijoux même au bain, la fleur de la passion à la main, elle est entourée des attributs de son état: mobilier, héritier dans les bras de sa nourrice, Amour voleur de fruits. Elle est parée des ornements classiques et combine la provocation et la respectabilité d'un langage érudit. "Vénus et Cupidon entre le Temps et la Folie" de Bronzino, envoyé à François Ier par Cosme I de Médicis, eut certainement beaucoup d'importance dans l'introduction en France d'un nu hardi au dessin dur et aux couleurs froides, obsédantes. La version donnée par Bronzino de la "Léda" de Michel-Ange à laquelle se mêle l'influence de Corrège et de Titien, croisés à leur tour avec les figures en stuc du Primatice, aboutit à des œuvres comme la "Naissance de l'Amour" du maître de Flore. Le Primatice se montra le plus convaincant, car sa traduction de l'art italien fut la plus aisément et la plus longtemps disponible.

 

Diane au bain, vers 1528, François Clouet, (Washington, National Gallery). œuvre symbole de la pleine Renaissance française, ce tableau présente une articulation complexe de l'espace dans sa profondeur : trois plans différents s'y étagent comme des épisodes se succédant dans une action théâtrale ; cependant, la signification de l'ensemble reste obscure en grande partie. Au-delà d'un rideau s'œuvre une vaste pièce, dont la fenêtre donne sur un jardin et où se tient une servante ; celle-ci a un précédent illustre dans la "Vénus d'Urbino" de Titien, mais avec le goût maniériste de l'école de Fontainebleau. L'idéalisation contemplative de la représentation de la jeune femme contraste avec la vigueur réaliste, d'inspiration flamande, des autres éléments de la scène, aussi bien la "nature morte" du

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premier plan que la pièce à l'arrière-plan. À la jeune femme nue immobile s'oppose vivement la nourrice, rustique mais non sans grâce, qui allaite un nouveau-né, pendant que, entre elles, un garçonnet tend la main ver le panier de fruits.

 

Portrait du botaniste Pierre Quthe, 1562, François Clouet, (Paris, musée du Louvre). La simplicité du costume et le calme du regard deviennent au cours du XVIe siècle des traits distinctifs de la catégorie sociale des intellectuels et des savants, notamment par comparaison avec le faste et l'assurance des gentilshommes et des militaires. François Clouet donne au portrait du personnage un caractère officiel très marqué en recourant à des procédés de représentation typiques : le rideau de satin, le buste tenu bien droit, le regard tourné directement sur le spectateur. L'herbier prend place dans la longue chaîne qui va du carnet-recueil de recettes de la fin de Moyen Age au répertoire de "merveilles" naturelles et exotiques au seuil de l'époque baroque. C'est précisément pendant la seconde moitié du XVIe siècle que l'herboristerie et la pharmacie acquièrent le statut et le rang de disciplines universitaires autonomes.

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Traité d'architecture, 1568-69, Sebastiano Serlio (1475-1554), (New York, Metropolitan Museum).

Troisième artiste attaché à la cour de François Ier, Sebastiano Serlio, Bolognais, né en 1475 (donc beaucoup plus âgé que Rosso Fiorentino et le Primatice, il avait été à Rome l'assistant de Peruzzi, un proche de Bramante. Après le Sac de Rome, Serlio alla à Venise où il travailla sur un traité d'architecture illustré à l'usage des architectes et de leurs mécènes. Il dédia un volume à François Ier en 1540, fut invité en France et devint l'architecte du château de Fontainebleau. Ses livres eurent un immense succès dans toute l'Europe. En France il lui fallut rivaliser avec Lescot et Delorme qui comprenaient beaucoup mieux le style italien.

La suprématie italienne, absolue sous François Ier, est à sa mort en 1546, battue par le "parti français". À côté du faible Henri II, Diane de Poitiers, au goût singulièrement éclairé, exerce une sorte de dictature. Elle sait imposer Philibert Delorme : de son talent original, il donne la preuve à Anet, au château neuf de St Germain, à Chenonceaux, à Ecouen et Chantilly, et à Meudon. Plus tard, sous Catherine de Médicis, aux Tuileries et à St Maur ; de la même manière Jean Goujon dépasse l'italianisme, malgré de multiples emprunts, par une plus grande familiarité avec l'antique (Fontaine des Innocents, Tribune des Cariatides au Louvre).

 

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Nymphe et génie, bas-relief provenant du soubassement de la fontaine des Innocents, 1547-1549, Jean Goujon, (Paris, musée du Louvre). Jean Goujon, maître du bas-relief, est apparu sur les chantiers normands en 1540, et s'affirme à Paris en collaboration avec Pierre Lescot, avant de s'installer à Bologne, peut-être chassé par les persécutions contre la religion réformée à laquelle il adhérait. Pour la fontaine, adossée primitivement à l'angle de deux rues, achevée pour l'entrée d'Henri II à Paris, il insiste sur la ligne des personnages, cernés d'un contour net, découpés sur un fond nu, et ploie la figure humaine à la dimension du cadre architectural. Dans ces formes maniéristes élégantes et intellectuelles, l'essentiel devient le corps, souplement dessiné en longues spirales langoureuses, deviné sous un drapé léger, mouillé, animé de sinuosités graphiques.

 

Le château de Fontainebleau

En 1528, François Ier, renonçant aux charmes des châteaux de la Loire, berceau de la première Renaissance, avait annoncé son intention de vivre "la plupart de sa demeure et séjour en sa bonne ville et cité de Paris et alentour". Pour y loger cette cour de plus en plus nombreuse qui enchaînait à lui les nobles, il allait développer les constructions et porter son choix sur le rendez-vous de chasse de Fontainebleau, un manoir entouré d’une forêt incomparable, à soixante kilomètres de Paris. En ce lieu se crée un nouveau style décoratif, foyer de cette Ecole de Fontainebleau, représentative de l'art de la Renaissance en France (une interprétation française mesurée du maniérisme ) qui devait briller avec tant d'éclat au cours du siècle. L'école de Fontainebleau est née sous l’influence de deux maîtres italiens œuvrant au château : le Rosso et Primatice. Par extension, ce terme s’est appliqué à toutes les formes d’art qui se sont épanouies à Fontainebleau, et un peu plus tard, dans le même esprit, à Paris et jusqu'au règne d'Henri IV.

 

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Château de Fontainebleau, cour d'honneur. François Ier concentra son mécénat sur la décoration du château de Fontainebleau, qui donna le ton au nouveau style. Allégories, mythologies, histoires peintes, toutes exaltent la gloire du roi ; elles étaient encadrées de figures, trophées, guirlandes, panneaux en cuir découpé, putti, exécutées en haut-relief presque dégagé. Les tapisseries du même type, les tableaux de chevalet où le nu féminin y est omniprésent. Les portraits imitant les élégants portraits de cour des Médicis par Bronzino, les paysages imaginaires aux immenses panoramas, les tableaux religieux à l'imagerie complexe et au "contrapposto" torturé, même les arts appliquées comme les miniatures, la joaillerie, les textiles, témoignent de l'impact du château de Fontainebleau.

 

Fresques et stucs, vers 1552, le Primatice, (Château de Fontainebleau, Escalier du Roi)

 

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Alexandre apprivoise son cheval Bucéphale, vers 1545, fresque, Le Primatice, (Château de Fontainebleau). Le Primatice dans les années 1540, introduit le dernier cri de la "manière" italienne. Le château de Fontainebleau devient le centre d'une école italienne en France.

Née en 1530 lors de l'arrivée à Paris du Rosso, la première Ecole de Fontainebleau ne disparaît pas à la mort de ses deux derniers créateurs. Elle se survit, parfois d'une façon très archaïque jusqu'à la fin du siècle. Son emprise sur l'art français est étonnante : en Province les fresques de Tanlay (Tour de la Ligue), d'Oiron. L'art du vitrail en est touché, le meuble copie les motifs les plus célèbres. Les sculpteurs, même les plus grands, n'y sont pas insensibles. Les patrons exécutés par les artistes de Fontainebleau pour les tapissiers, les orfèvres et les émailleurs contribuèrent naturellement à l'étroite interdépendance des arts à cette époque. À cette dernière époque, certains spécialistes l'appellent la seconde école de Fontainebleau. La seconde génération d'artistes nés en France ne comportait personne de la valeur de Rosso Fiorentino et du Primatice. Elle était trop souvent attirée par les éléments voyants et fantastiques des modèles italiens, les perspectives extrêmes et la palette outrée; trop d'œuvres sombrent dans une forme confuse et un érotisme évident, signes d'une compréhension superficielle de l'art de la Renaissance. À la fin du siècle, les guerres de religion mirent quasiment fin au mécénat. Lorsque les arts commencèrent à se relever sous Henri IV, on puisa encore aux sources de Fontainebleau, ainsi que chez les Flamands italianisants qui importèrent d'autres distorsions dans leurs emprunts. Ambroise Dubois, Flamand installé en France et Toussaint Dubreuil poursuivirent les distorsions fantastiques et les nus érotiques, mais la flamme était éteinte. Les confusions d'espace et d'échelle masquent la pauvreté de l'imagination et du style. Seul Antoine Caron impressionne par son art de cour extrêmement sophistiqué. Ses tableaux ressemblent à des gigantesques ballets ; ils s'en inspiraient sans doute car c'était un des divertissements préférés de la cour de Catherine de Médicis, la reine mère, son principal mécène.

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Les Massacres du triumvirat, détail, 1566, Antoine Caron, (Paris, musée du Louvre). Cette composition, avec distribution de petits personnages par groupes, est très caractéristique de la manière d'Antoine Caron, l'un des représentants les plus typiques de l'école de Fontainebleau. Le sujet du tableau est lié à la période de troubles du siècle I avant J.C., mais il est facile d'y voir une image brutale de la situation qui prévaut à l'époque de l'artiste, celle des guerres de religion. Un cruel épisode historique sert de prétexte pour représenter les principaux édifices de la Rome antique. Le tableau fait allusion au massacre des protestants pendant les guerres de religion : le 6 avril 1561, le connétable de Montmorency, Jacques d'Albon de Saint-André et le duc de Guise formèrent un Triumvirat contre les protestants. Les monuments antiques et modernes de Rome ainsi que les sculptures (l'Apollon du Belvédère, les Dioscures), sont sans doute inspirés par des gravures d'Antoine Lafréry.

 

Rosso et la galerie François Ier

Après s'être assagit à Rome de ses réactions rageuses contre le classicisme académique, Giovanni Battista di Jacopo, dit Rosso Fiorentino (Florence 1495 - Fontainebleau 1540) est l'artiste clef pour la transmission de la "maniera moderna" (le maniérisme selon Vasari) en France. En 1530, un dessin du Rosso envoyé à François Ier, décida sans doute de l'art français : on y voyait Mars conduit vers Vénus par les Amours et les Grâces, allusion au mariage du roi avec la sœur de Charles-Quint ; "la Paix des Dames" mettait fin à la guerre de la maison d'Autriche ; le roi guerrier allait devenir mécène. L'"Allégorie" avait été traitée par le Rosso avec une sensualité

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raffinée qui ne pouvait que toucher son destinataire. Rosso Fiorentino fut accueilli par François Ier avec une extrême faveur à Fontainebleau où il arrive en octobre 1530. Sous sa direction, une équipe de peintres, sculpteurs, doreurs et stucateurs italiens, français et flamands, exécuta d'abord les stucs, puis les peintures de la galerie. François Ier y est partout présent : la salamandre couronne chacun des grands tableaux qui lui sont dédiés et il y apparaît lui-même, soit personnellement, soit symboliquement (l'"Eléphant fleurdelisé). Le seul précédent iconographique vraiment comparable est la décoration de Perino del Vaga au Palais Doria à Gênes. Nous ne connaissons plus du Rosso à Fontainebleau que cette galerie ; la Salle Haute qu'il décora au-dessus du Pavillon des Poêles fut abattue et la petite galerie disparut, lors de la construction de la Salle de Bal. Il nous reste de dessins des projets qui, peut-être, ne furent jamais exécutés. À la tête d'une équipe, dont fait partie le Primatice, et qui ne tarde pas à prendre l'allure d'une véritable école, Rosso réalise la grandiose galerie reliant l'ancien et le nouveau château (1532-1537), monument fondamental pour la diffusion de l'esthétique maniériste en Europe. Au-dessus d'un lambris sculpté, il dispose les peintures face à face, entourées d'un cartouche, flanquées de reliefs en stuc d'une importance et d'une signification égales au sujet principal.

 

L'éléphant fleurdelisé, fresque, 1534-1536, Le Rosso, (Fontainebleau, galerie François I). À travers un jeu symbolique d'une grande virtuosité, les motifs secondaires tour à tour peints et sculptés interviennent comme des gloses subtiles et spirituelles autour des grands panneaux. Rien de tel n'avait encore été réalisé nulle part ; l'équipe italienne a su inventer un décor adapté au goût français. Le répertoire décoratif à base de guirlandes, de "putti", de chutes de fruits, est une synthèse étourdissante de tout ce qu'on pouvait connaître.

 

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Stuc de la Galerie de François I, 1534-1537, Rosso Fiorentino, (Château de Fontainebleau). Le Rosso semble bien être le premier à avoir utilisé le stuc comme une véritable sculpture. Des expériences des décorateurs issus de Raphaël et Michel-Ange, il a tiré une synthèse personnelle où l'exemple de la Chapelle Sixtine a probablement joué un rôle déterminant, car c'est de la structure architectonique imaginée par Michel-Ange que découle, en définitive, le complexe décoratif de la Galerie de François Ier. Mais alors que Michel-Ange s'était exprimé au moyen d'un pur illusionnisme, aux fresques et aux sculptures feintes, le Rosso mêle hardiment stucs et peintures.

Le Rosso reçoit en 1532 des lettres patentes que lui confèrent privilèges et liberté ; la même année il est fait chanoine de la Sainte-Chapelle. Il touche 400 livres par an, plus qu'aucun autre artiste; l'affection du Roi pour son "cher et bien-aimé peintre ordinaire" ne se démentira jamais. Sa mort à 46 ans, en 1540, demeure mystérieuse. Il était d'une grande culture et philosophe, avec des manières de grand seigneur, mais indépendant, entier, violent; ainsi son œuvre, érudite, cérébrale, raffinée, d'un accent souvent farouche. Dans la "Pietà" (1535-1538), (Paris, musée du Louvre) qui fut peinte pour le Connétable Anne de Montmorency, elle ornait jadis la chapelle du château d'Ecouen. Si le motif principal rappelle le thème central de "La Déposition" de Borgo San Sepolcro, la structure de toute l'œuvre diffère, riche certainement des expériences spatiales de la Galerie François Ier. Réduit aux acteurs essentiels, le drame religieux atteint une admirable concentration des effets, mettant en valeur les moindres intonations. Chaque visage porte ce masque "cruel et désespéré" qui

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frappait déjà autrefois à Florence le camerlingue de Santa Maria Nova.

Pietà, entre 1530 et 1540, Rosso Fiorentino, (Paris, musée du Louvre). Seule œuvre de chevalet connue qui soit assurément peinte pendant le séjour de Rosso en France entre 1530 et 1540. Les coussins supportant le corps du Christ sont ornés des alérions bleus sur fond orangé qui composent les armoiries du connétable Anne de Montmorency, et c'est de son château d'Ecouen que la Pietà provenait lorsqu'elle entra au Museum à la fin du XVIIIe siècle. Mais on ignore la destination exacte et la date de commande de l'œuvre.

 

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La Charité, vers 1543, Jean Cousin le Père (Sens vers 1490 - Paris 1560), (Montpellier, Musée Fabre). Cette allégorie, d'une véhémence issue du Rosso, que tempère l'exécution lisse et légère : son ampleur montre de quelle façon personnelle Cousin a assimilé l'exemple de Fontainebleau. Le groupe, conforme à la tradition, est encadré d'un rideau rouge ; la robe bleue joue avec bonheur sur le fond de paysage à la flamande. L'activité de Jean Cousin commence en Bourgogne par des cartons pour vitraux ; il apparaît dès lors comme l'un des protagonistes de la scène artistique et il concourt à l'inflexion du goût de la cour de France vers le maniérisme. Sa présence à Paris est attestée à partir de 1539 ; il y réalise en abondance cartons et dessins pour vitraux et décorations éphémères. De 1549 date le cycle de six toiles avec des "Scènes de la vie de saint Germain l'Auxerrois", exécuté en collaboration avec Louis Dubreuil, et de cette période date aussi son œuvre picturale la plus célèbre, "Eva prima Pandora", alliance originale de mythes classiques et de thèmes chrétiens. La personnalité de Jean Coussin, longtemps confondue avec celle de son fils, Vasari le cite avec éloge, à propos de Vignole, pour ses travaux de perspective qui furent publiés : "La perspective" en 1560, "Le Livre de portraiture" en 1571. Il avait illustré de nombreux ouvrages tel "Horus et Apollo" (1543). Son nom se retrouve aussi sur un petit nombre de gravures.

 

La première école de Fontainebleau

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La première Ecole de Fontainebleau s'est formée autour de trois décorateurs italiens, Le Rosso, Le Primatice et Niccolò dell'Abate arrivés à Fontainebleau respectivement en 1530, 1532 et 1552. Leurs personnalités ont été souvent confondues : en fait, compte tenu des échanges qu'implique une intime collaboration, ils sont tous trois fort différents; chacun est responsable d'une orientation particulière de l'Ecole, prouvé à de longues années de distance par leur vive influence personnelle. Autour d'eux quelques figures émergent peu à peu de l'anonymat : parmi les Italiens, Lucca Penni, parmi les Français, Antoine Caron. Jean Cousin le Père ne travailla jamais à Fontainebleau, mais son style lui doit tout ; l'œuvre de François Clouet déborde le cadre de l'Ecole de Fontainebleau, mais ses thèmes qui furent maintes fois repris invitent à l'inclure dans son histoire.

 

Eva Prima Pandora, vers 1538, Jean Cousin, (Paris, musée du Louvre). Cette œuvre atteste l'influence de Rosso Florentino et de Cellini pour le nu, mais le paysage rocailleux de la grotte et le panorama témoignent d'une bonne connaissance de Vinci et des gravures des paysages de l'ecole du Danube. L'une des difficultés concernant la peinture française de cette époque est la diversité des influences auxquelles elle fut soumise. Le tableau illustre avec audace la superposition des deux figures chrétienne et païenne : Eve, qui a apporté par le péché la mort (le crâne) à l'humanité, est la première Pandore à ouvrir le vase contenant tous les maux qui se sont répandus sur Terre.

 

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Le Bain de Diane, vers 1555, François Clouet, (Rouen, musée des Beaux-Arts). Le contraste entre le corps à demi bestial des satyres sylvestres et les chairs lumineuses de Diane et de ses compagnes dénudées pour le bain est typique du jeu des oppositions expressives chères au maniérisme. Les poses serpentines des corps offerts à la vue correspondent au code formel italianisant bien assimilé par l'école de Fontainebleau. L'on reconnaît à l'arrière-plan un portrait d'Henri II monté à cheval et sur les traits de Diane, sa maîtresse Diane de Poitiers.

Autour de ces maîtres, certains artistes peuvent être caractérisés à l'aide d'un dessin ou d'une gravure. On sait quel secours la gravure a apporté à l'art de Fontainebleau : elle a été un admirable agent de transmission des formes et des idées ; Jean Adhémar a montré son rôle considérable dans l'internationalisation du maniérisme. Essentiellement gravure de reproduction, parfois coloriée, elle se met tout de suite au service du nouvel art, peut-être encouragée par le Roi. Antonio Fantuzzi répand les dessins de son maître, Le Parmesan; ses "Patrons et Pourtraicts en façon de grotesques" divulguent le vocabulaire ornemental bellifontain. À la gravure, il faut joindre les livres illustrés. Entre 1540 et 1560 se placent les chefs-d'œuvre du livre français : le "Songe de Poliphile" (1546) attribué à Jean Goujon, le "Livre de perspective" de Jean Cousin (1560).

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Fontaine, modèle d'orfèvrerie d'après Rosso ou Léonard Thiry, René Boyvin, burin, (Paris, Bibliothèque nationale de France). À partir de 1545-1547, un nouveau foyer de gravure se développe à Paris, où sont repris les thèmes bellifontains. Mais il s'agit de graveurs de métier qui ont suivi un apprentissage de plusieurs années en travaillant au burin. S'ils n'ont pas la personnalité et le talent des aquafortistes bellifontains, ce sont des interprètes fidèles, soucieux de la qualité technique et décorative de ses œuvres. Ce sont les burinistes qui ont fait connaître le mouvement bellifontain. Vasari les cite en 1568 dans la "Vie de Marcantonio Raimondi" : Pierre Milan (la "Nymphe de Fontainebleau" et René Boyvin, qui a travaillé dans son atelier et qui interprète avec fidélité Rosso ("Modèles d'orfèvrerie"), Penni ou Léonard Thiry.

 

Architectes et sculpteurs

Comme Jean Goujon, dans sa post-face à "L'architecture de Vitruve" (1547), Philibert de l'Orme souligne le rôle de Serlio dans la conversion de la France au langage classique romain dans son "Premier Tome de l'architecture" (1567) : "C'est lui qui a donné le premier aux Français par ses livres et ses dessins la connaissance des édifices antiques et de plusieurs fort belles inventions". En 1541, Serlio arrive à Fontainebleau. Sous le patronage de François Ier, puis d'Henri II, il poursuit la publication de son traité et un recueil de modèles de portes "délicates" et "rustiques" qui eut une immense influence. Dans ce rôle de donneur de modèles, Serlio est concurrencé par Jacques Androuet du Cerceau. S'il ne peut imposer ses vues à Fontainebleau ni son projet pour le Louvre, ses deux principales réalisations, l'hôtel de Ferrare (1544-1546) à Fontainebleau et le château d'Ancy-le-Franc en Bourgogne (1546) offrent de passionnants essais d'hybridation entre usages français et italien.

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Château d'Ancy-le-Franc, façade sur cour, vers 1546, Sebastiano Serlio (Bologne, vers 1480- Fontainebleau, vers 1554), (Ancy-le-Franc - Yonne).

Pierre Lescot (1515-1578 ne reçut pas une formation de maçon, comme c'était souvent le cas ; il fit ses études et se rendit peut-être à Rome dans sa jeunesse. Son chef-d'œuvre est au Louvre ; le donjon fut démoli pour faire place à une cour carrée qu'il commença en 1546. Plus tard, ses dimensions furent doublées et elle devint l'actuelle Cour carrée, même si ce grand projet ne fut réalisé qu'au XVIIe siècle. Au sud-ouest de la cour, l'aile de Lescot, fort classique a des proportions pures ; l'attention aux détails n'empêche pas une réelle compréhension des ordres. Lescot conserva le "frontispice" -un portail surmonté d'une tour -, traité comme un élément important sur l'axe central du bâtiment, mais cette forme traditionnelle trouva des nouvelles combinaisons rationnelles. Les détails sont superbes ; la sculpture d’excellente qualité est sans doute de Jean Goujon, qui créa aussi avec Lescot, la grande salle des Cariatides. Germain Pilon, autre grand sculpteur de l'époque, s'est inspiré des stucs de Fontainebleau, mais il créa un mouvement gracieux et profondément expressif.

 

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Cour Carrée, détail de l'aile neuve commencée en 1546, Pierre Lescot, (Paris, Louvre). Le 2 août 1546, François Ier décidait de reconstruire l'aile ouest du vieux Louvre. Le projet de Pierre Lescot (1515-1578) comprenait un "grand corps d'hôtel" d'un seul étage carré avec un avant-corps central abritant l'escalier. En 1549, à la demande d'Henri II, l'escalier, déjà en partie construit, est démonté et remonté à droite pour donner plus d'ampleur à la grande salle basse, dont l'extrémité gauche forme tribunal, plate-forme surélevée sur laquelle se tient le roi. La façade présente donc trois avant-corps, sur lesquels Jean Goujon s'engage à faire "quatre figures de demi-taille" de la grandeur des deux qui ont été déjà faites au centre. Entre 1551 et 1553, l'aile neuve est surélevée d'un second petit étage, ou attique. La façade ouest est achevée en 1556, la construction du corps sud engagé de 1558 à 1574.

 

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Salle des Cariatides, vers 1550, Jean Goujon, (Paris, Louvre). Dans la salle des Cariatides, la galerie des musiciens est portée par des figures féminines, selon la forme décrite par Vitruve. Jean Goujon était  architecte et sculpteur au service du roi Henri II.

Avec Philibert De l'Orme, la France trouva le premier architecte du Nord capable de figurer parmi les grands Italiens. Fils de maçon né à Lyon (vers 1505-1510), il alla à Paris vers 1540, à peu près en même temps que Serlio. Il réalisa d'abord le château de Saint-Maur-des-Fossés, aujourd'hui détruit. Bâti en carré autour d'une cour, il rappelait le plan du palais du Té à Mantoue, mais possédait un double étage articulé par un ordre colossal pour le corps principal - première apparition dans le Nord d'un ordre bien conçu, et surtout un ordre colossal. Il édifia aussi le château d'Anet pour Diane de Poitiers, la maîtresse d'Henri II ; seuls le portail et la chapelle sont encore en place, le frontispice central a été intégré à l'Ecole des beaux arts de Paris. Les blocs maçonnés et les terrasses à balustrades servent à créer des masses d'ombre et de lumière ; les chiens de meute symétriques et le cerf aux abois au sommet, la "Nymphe" de Cellini autrefois sur le tympan sont à leur place comme compléments à un système architectural. Construite au début des années 1550, la chapelle ce n'est plus une simple imitation des aspects superficiels des formes italiennes, comme chez Serlio. Delorme commença à écrire ses deux traités d'architecture après la mort d'Henri II, son mécène.

 

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Frontispice provenant du château d'Anet, 1547-1552, Philibert Delorme, (Paris, Ecole des beaux-arts). Exemple de portail médiéval avec tour, rationalisé dans les nouveaux édifices par une suite d'ordres aux proportions adéquates, l'un au-dessus de l'autre. Delorme, architecte proche d'Henri II, bâtit le château de sa maîtresse Diane de Poitiers à Anet : le frontispice à trois ordres superposés (remonté à l'Ecole des beaux-arts après la Révolution), le cryptoportique avec ses escaliers inspirés de celui du Belvédère de Bramante, la coupole à caissons losangés de la chapelle témoignent de sa nouvelle culture architecturale.

Avec Lescot, Delorme, Goujon et Germain Pilon, on comprit que l'art italien était plus : une affaire de formes et de proportions. La peinture transforma en art monumental un art d'abord limité aux enluminures, aux retables, aux petites œuvres de dévotion, aux portraits de faibles dimensions. Les immenses projets décoratifs, comme celui de Fontainebleau, étaient exceptionnels, mais l'introduction de nouveaux thèmes - laïcisation de la peinture par le développement de sujets picturaux autres que religieux (le paysage, le portrait) - reflète l'ouverture de l'esprit renaissant. Le peintre (comme l'érudit) de la Renaissance permit à son contemporain de juger avec détachement et curiosité ses réalisations et le monde qui l'entourait, de se créer une image propre. Il prit ainsi conscience de lui-même, acquit dignité et confiance. L'impact de la Renaissance à Fontainebleau peut sembler, au vu de l'affaiblissement des brillantes lumières italiennes, une piètre fin à tant d'espoirs et d'efforts ; c'est bien avec Philibert Delorme qu'apparaît réellement la Renaissance dans le Nord. Et c'est dans son univers que Poussin et Philippe de Champaigne firent connaissance d'un art fondé sur les classiques italiens.

 

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Nymphe de la Fontaine des Innocents, 1547, Jean Goujon, (Paris, place des Innocents).

Le repertoire iconographique de Goujon (figures feminines aux

Peintre et enlumineur, portraitiste réputé, Jean Fouquet est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands créateurs de son temps. Au confluent des influences flamandes et toscanes qui dominent la peinture européenne de l'époque, son art renouvela profondément la peinture française du XVe siècle.

    Une vie mal connue

 

On est mal renseigné sur la biographie et le détail de la carrière de Jean Fouquet, qui naquit, pense-t-on, vers 1420 et mourut avant 1480. Ses années de jeunesse et le milieu artistique où il reçut sa formation font l'objet de discussions. Peut-être fréquenta-t-il à ses débuts les ateliers parisiens. Du moins sait-on qu'il fit le voyage d'Italie. Ce séjour apparemment prolongé dans la péninsule le mit en contact avec les artistes les plus novateurs de la Florence des Médicis et marqua profondément son style pictural, où se fondent en une synthèse harmonieuse le réalisme flamand et la rationalité latine. De retour en France aux alentours de 1450, il s'installe à Tours, mettant son expertise de metteur en scène au service de la ville et travaillant pour le haut clergé local ainsi que pour les représentants les plus éminents de l'État monarchique. Ses rapports avec Charles VII sont moins clairs et ce n'est que sur le tard, en 1475, sous Louis XI, qu'il devient peintre du roi. Célébré de son vivant (quelques écrivains, dont le rhétoriqueur Jean Lemaire de Belges, l'évoquent encore avec éloge dans les premières années du XVIe siècle), Fouquet subira

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ensuite une longue éclipse jusqu'à sa réhabilitation au XIXe siècle avec le regain d'intérêt des romantiques pour l'art du Moyen Âge. On redécouvre alors, en France et en Allemagne, l'importance de son ouvre de peintre et d'enlumineur. L'exposition des "Primitifs français" organisée à Paris en 1904 consacre cette reconnaissance.

    Un artiste polyvalent et inventif

    Le "bon peintre du roi Louis le XIe, Jehan Fouquet, natif de Tours" s'impose dès lors comme un artiste polyvalent et expérimentateur qui maîtrisa les techniques les plus diverses : principalement peintre et illustrateur de manuscrits, il pratiqua l'émail peint, appris en Italie, le vitrail, et probablement la tapisserie. Expert en héraldique, il fut aussi metteur en scène et organisateur de spectacles liés aux entrées royales. Fouquet, très apprécié par les milieux de la cour, réalisa d'admirables portraits de Charles VII, du trésorier de France Étienne Chevalier, du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins. Exceptionnel pour l'époque, l'autoportrait d'émail en camaïeu d'or conservé au Louvre est révélateur d'une conscience déjà humaniste. Enraciné dans la tradition monumentale française, mais attentif aux innovations picturales qui se font jour, à l'époque même de sa formation, en Flandre et en Italie (un séjour prolongé dans la péninsule contribue à élargir sa vision de peintre nordique), il révèle aussi un goût prononcé pour les formes pures et les problèmes de perspective tels qu'aimaient les résoudre Uccello et Piero della Francesca. Il a su manier "l'art de géométrie" pour le mettre au service de savantes mises en espace. Si Fouquet connaît la perspective géométrique définie par Alberti, il est redevable aux grands précurseurs flamands, Jan Van Eyck en tête, de son étonnante maîtrise de la perspective aérienne, des effets atmosphériques, des reflets et de la diversité des matières. Fouquet s'impose aujourd'hui comme l'une des figures majeures de la peinture européenne de son temps.1 cm)

Portrait de Charles VII, roi de France (1403-1461) Tableau de Jean Fouquet, vers 1450-1455 Huile sur bois (chêne), 98,8 x 84,5 cm (surface peinte : 86 x 7

Paris, musée du Louvre, département des Peintures, Inv. 9106 © photo RMN - G. Blot

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