estienne - statues de dieux isolées et lieux de culte

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Madame Sylvia Estienne Statues de dieux « isolées » et lieux de culte : l'exemple de Rome In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8, 1997. pp. 81-96. Citer ce document / Cite this document : Estienne Sylvia. Statues de dieux « isolées » et lieux de culte : l'exemple de Rome. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8, 1997. pp. 81-96. doi : 10.3406/ccgg.1997.1434 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1997_num_8_1_1434

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  • Madame Sylvia Estienne

    Statues de dieux isoles et lieux de culte : l'exemple deRomeIn: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8, 1997. pp. 81-96.

    Citer ce document / Cite this document :

    Estienne Sylvia. Statues de dieux isoles et lieux de culte : l'exemple de Rome. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8,1997. pp. 81-96.

    doi : 10.3406/ccgg.1997.1434

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1997_num_8_1_1434

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    Sylvia Estienne

    STATUES DE DIEUX ISOLES ET LIEUX DE CULTE L'EXEMPLE DE ROME

    L'tonnement faussement naf d'un Ovide s'exclamant : Comme un sot, j'ai longtemps cru qu'il existait une statue de Vesta ; mais j'ai appris par la suite qu'il n'y en avait aucune sous la coupole ronde de son temple : c'est le feu perptuel qui y est cach, mais niVesta ni le feu n'ont d'image \ pour rvlateur qu'il soit de la conception romaine des dieux, n'en illustre pas moins l'vidente quation qui s'impose tout Romain de son temps : un temple, demeure du dieu, a avant tout pour fonction d'abriter une statue de la divinit titulaire, sans compter par ailleurs toutes les autres images divines qui peuvent lui tre consacres2. Toutefois la remarque d'Ovide trahit galement la difficult que les Anciens avaient dj dfinir les lieux de culte de faon unitaire, comme le montrent les diverses etymologies proposes pour les diffrents termes dsignant les sanctuaires3 ; elles oscillent toutes entre un espace rituellement dfini et le lieu de rsidence de la divinit, matrialis soit par un difice, soit par sa reprsentation figure. S'il peut sembler lgitime a priori de voir dans la prsence de statues de dieux un des principaux indicateurs de lieux de culte, bien que souvent insuffisant en pratique pour permettre une identification4, la place des reprsentations divines dans la dfinition de l'espace sacr reste une question sous-jacente. Aussi ne s'agira-t-il pas ici d'analyser comment les multiples statues (ou fragments le plus souvent) de dieux

    1 Fast., 6, 295 sqq. 2 Cf. la distinction faite par Tibre, dans son refus des honneurs divins, entre les simulacra des

    dieux et les ornamenta aedium, parmi lesquelles il autorise qu'on place ses statues ou portraits (statuas atque imagines), Sut., Tib., 26 ; cf. Serv., ad Georg., 3, 16 : et enim sacratus numini locus est, cuius simulacrum in medio collocatur : alia enim tantum ad ornatum pertinent . Le temple de Vesta abritait d'ailleurs la plus fameuse des statues divines, le Palladium.

    3 Cf. les deux etymologies quelque peu fantaisistes proposes pour templum et delubrum, synonyme vieilli du terme courant dsignant le temple, aedes : Macr., Sai., 3, 4, 1 : Varr libro octavo Rerum divinarum delubrum ait alios aestimare in quo praeter aedem sit area adsumpta deum causa, ut est in Circo Flaminio Iovis Statoris, alios in quo loco dei simulacrum dedicatum sit ; et adiecit, sicut locum in quo figrent candelam candelabrum appellatum, ita in quo deum ponerent nominatum delubrum , contredite par cette autre, Prob., App. gramm.,4, 202 : Inter templa et delubra hoc interest, quod templa ubi simulacra sint dsignt, delubra vero aream cum porticibus dsignt .

    4 Comme c'est le cas pour un temple de Diane Planciana sur le Quirinal, rcemment identifi par S. Panciera, dans RPAA, 43, 1970-1971, 125-134, identification permise moins par la prsence d'une statue fragmentaire de Diane, encore non publie, que par la dcouverte d'une nouvelle inscription (AE, 1971, 32) ; ce sont essentiellement les documents pigraphiques mentionnant l'existence d'un aedituus Dianae Plancianae qui attestent coup sr un sanctuaire, sans doute priv, que la seule mention connue jusqu'alors d'une statua Planci ne laissait gure deviner.

    Cahiers Glotz, VIII, 1997, p. 81-96

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    conserves par des fouilles plurisculaires peuvent servir la reconstitution de la gographie religieuse de la ville de Rome, uvre titanesque s'il en est, mais plutt de vrifier la lgitimit d'une telle dmarche, ou plus exactement d'en prciser les prsupposs, en se demandant quelles conditions la prsence avre d'une statue de dieu implique ncessairement un lieu de culte.

    Pour ce faire, nous voudrions envisager plus particulirement une catgorie certes empirique, mais reprsentant un corpus relativement limit, celle des statues de dieux que l'on pourrait qualifier d' isoles . Il s'agit des statues qui, du tmoignage des Anciens eux-mmes, sont mentionnes en marge des grands sanctuaires publics, ou du moins se situent hors de l'crin naturel du temple en tant qu'difice, l'air libre, et qui, l'instar de la statue de Vertumne5 sur le viens Tuscus, semblent pouvoir constituer elles seules un lieu de culte. Si la notion rsiste mal un examen pouss, elle permet cependant de mieux comprendre, partir essentiellement de sources littraires et iconographiques, quelles conditions on peut parler de lieux de culte et d'en prciser la typologie, de poser la question de la valeur intrinsque d'une statue de dieu et son rle dans l'espace sacr.

    Un rapide dpouillement des statues traditionnellement recenses comme telles par les divers ouvrages de rfrence sur la topographie romaine6 nous amne d'abord prciser les modalits qui ont prsid la slection des exemples. La documentation tant de faon gnrale dj assez tnue, il est difficile de prendre en compte, sinon dans un souci d'exhaustivit, un certain nombre de cas o la dfinition de statue isole n'est finalement qu'une interprtation facilior. Les catalogues rgionnaires, datables du IVe s. ap. J.-O, nous ont ainsi conserv un certain nombre de toponymes rduits au seul nom d'une divinit accole d'une pithte, dont on peut supposer qu'il s'agit d'un lieu de culte, sans pouvoir nanmoins assurer qu'il s'agit proprement parler d'une statue isole7. Dans la regio XII par exemple, entre la porta Capena et Vaedes Bonae Deae Subsaxanae, sont mentionnes une Fortuna Mammosa et une Isis Athenodoria8 gnralement interprtes comme des statues, la premire, sur la foi de son pithte vocatrice, comme une statue du type de l'Artmis d'Ephse ou de la Fortuna Muliebris9, la seconde par le rapprochement avec un pied, fragment d'une statue colossale, trouv par Visconti sur la via Appia, non loin des thermes de Caracalla, en face de

    5 Cf. Prop., 4, 2, 5 : haec mea turba iuuat, nec tempio laetor eburno . 6 Essentiellement H.Jordan - Ch. Hiilsen, Topographie des Stadt Rom in Altertum, I, 1-3, H,

    Berlin, 1878 -1907 ( dsormais abrg en Jordan - Hiilsen) ; S.B. Platner - Th. Ashby, A topo- grafical Dictionnary of Ancient Rom, Oxford, 1929 ( dsormais abrg en Platner - Ashby) ; G. Lugli, Roma antica, il centro monumentale, Rome, 1946 ( dsormais abrg en Lugli) ; G. Lugli, Fontes ad topographiam veteris urbis Romae pertinentes, t. I-VII, Rome, 1952-1969 ( dsormais abrg en Fontes) ; LJr. Richardson, A new topographical dictionnary of Ancient Rome, Baltimore- Londres, 1992 (abrg en Richardson) ; E.M. Steinby, Lexicon topographicum urbis Romae, seulement I II publis, Rome, 1994-95 ( dsormais abrg en Lex Rom).

    7 Cf. F. Coarelli, // Foro Boario, Rome, 1988, p. 197-198, propos d'Hercules Oliuarius. 8 Jordan - Hiilsen, II, p. 560, 1.3, p. 197 ;Valentini-Zucchetti, I, p. 137 et 180. 9 Pour Fortuna Mammosa, voir en dernier lieu Lex Rom, I, p. 272, bibliographie ad loc.

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    S. Cesareo10. En l'absence d'autres tmoignages antiques, ce type d'attestation reste trop hypothtique pour tre exploitable, mais a le mrite de souligner l'troite marge de manuvre que nous nous sommes fixe dans notre enqute, dans la mesure o l'hypothse de travail dont nous partons, celle de statues de dieux constituant des lieux de culte part entire, suppose une typologie prcise des lieux de culte, depuis les aedes publics jusqu'aux sacella, qui est loin d'tre tablie.

    Une premire bauche de corpus dfinie, nous nous proposons d'envisager les donnes ainsi retenues selon quatre critres : tout d'abord celui de la terminologie employe pour dsigner et dcrire ces statues ; puis, partir de l'examen des donnes littraires, iconographiques, voire archologiques, celui du contexte architectural et topographique immdiat (prsence d'un autel, d'une base, d'un enclos ; liaison avec un autre sanctuaire ou un lieu public), pour enfin envisager celui des rites, lorsqu'ils sont attests, avant de tenter de prciser le statut de ces images divines, travers les problmes de ddicaces et de conscration.

    1 . La terminologie. Le premier critre de dfinition des statues de dieux isoles, et plus gnralement des statues cultuelles, est de toute vidence celui du vocabulaire employ pour les dsigner, mais d'emble la varit des termes et de la valeur qu'on peut leur attribuer pose plus de problmes qu'elle n'en rsout. Quatre termes en effet peuvent dsigner des statues : simulacrum, signum, statua et imago, mais l'une des manires les plus courantes de les signaler est encore d'utiliser le nom propre de la divinit, ce qui, on l'a vu dans les cas de la Fortuna Mammosa et de Y Isis Athenodoria, dbouche directement sur le problme mme de l'identification comme statue dite isole .

    Les diverses tudes consacres au vocabulaire de l'image et de la statuaire11 ont permis d'en souligner la complexit, tout en faisant apparatre quelques constantes qui, dfaut d'tre systmatiques, n'en sont pas moins rvlatrices. On constate en effet que les termes de signum et simulacrum sont rservs aux reprsentations de dieux et d'empereurs diviniss et ont donc une connotation religieuse, qui reste prciser, tandis que statua et imago dsignent gnralement des statues en pied, le plus souvent honorifiques, et des portraits d'hommes, vivants ou morts. Cependant l'usage est loin d'tre systmatique

    10 Voir en dernier lieu M. Malaise, Inventaire prliminaire des documents gyptiens dcouverts en Italie, Leiden, 1972 {EPRO, 21) p. 222-224 : l encore l'pithte de la desse a t interprte comme un indice en faveur de l'identification comme statue, Athenodoria tant rapproch du nom du fameux sculpteur du Laocoon, Athnodore. Les lments rassembls par M. Malaise tendent d'ailleurs plutt identifier notre Isis comme la mention d'un temple ddi Isis Pelagia et dot d'un aedituus (cf. C/L,VI, 8707) ; l'ensemble du dossier reste cependant trs hypothtique. Cf. Lex. Rom., III, p. 112.

    11 Voir P. Gros, Aurea templa, Rome, 1976, p. 160-162 ; R. Daut, Imago. Untersuchungen zum Bildbegriff der Rmer, Heidelberg, 1975 ; G. Lahusen, Statuae et imagines, dans Festschrift fiir U. Hausmann, p. 101-112 ; id., Untersuchungen zur Ehrenstatue in Rom. Literarische und epigraphische Zeugnisse, 1983 ; sur le vocabulaire grec, mieux tudi et semble-t-il plus clair, voir en dernier lieu C. Rolley, La sculpture grecque, I, Paris, 1994, p. 22-53, avec bibliographie antrieure.

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    et souffre beaucoup d'exceptions, en fonction du contexte. Les analyses dtailles de R. Daut sur le vocabulaire de Cicron, de Varron et des potes augustens en particulier ont soulign la diversit de l'usage littraire de ces mots, o la prcision le dispute au souci de variation rhtorique, si bien qu'une mme statue de dieu peut dans un texte de Cicron tre appele simulacrum, puis signum, tandis que le terme statua pourra tre employ pour dsigner la mme statue en tant qu'uvre d'art12.

    A cet gard le passage que Pline, au livre XXXIV de son Histoire naturelle, consacre aux statues de bronze est assez exemplaire : aprs quelques remarques prliminaires sur l'usage du bronze dans l'artisanat d'art, Pline aborde la question de la statuaire : La technique du bronze s'tendit ensuite, communment et partout, la reprsentation des dieux {effigies deorum). ]e trouve qu' Rome la premire statue (simulacrum) faite en bronze fut consacre Crs sur le pcule de Spurius Cassius, que son pre avait fait mourir pour avoir aspir la royaut. Puis (de la reprsentation) des dieux, elle s'tendit aux statues et portraits (statuas atque imagines) des hommes sous diverses formes 13. Suit alors un long dveloppement sur les statues honorifiques et leur typologie14, qui n'est que l'illustration de la dernire phrase et o Pline utilise presque systmatiquement le mot statua, en alternance parfois avec celui d'effigies ; ce n'est qu'au paragraphe 33 qu'il revient son propos gnral, celui de l'utilisation du bronze pour la statuaire : Que la statuaire (en bronze) soit en Italie aussi un art familier et ancien en tmoignent l'Hercule consacr par Evandre au Forum Boarium (...) ainsi que le Janus geminus ddi par le roi Numa (...). Et pour ce qui est des statues (signa) dites 'toscanes' disperses travers le monde, il n'est pas douteux qu'elles aient t faites en trurie. Je penserais que celles-ci ne reprsentaient que des dieux, si Metrodorus Scepsius ne nous accusait pas d'avoir rduit Volsinies pour ses deux milles statues (statuarum). Il me semble tonnant qu'alors que la statuaire (en bronze) a une origine si ancienne en Italie, on ait prfr ddier des statues (simulacra) en bois ou de terre cuite dans les sanctuaires, jusqu' la conqute de l'Asie d'o est venue la luxuria 15. Les commentateurs n'ont pas manqu de souligner les contradictions de Pline, qui cherche concilier deux arguments nationalistes , pour justifier d'une part l'anciennet de la technique du bronze en Italie et d'autre part le schma traditionnel d'une religion romaine originelle au caractre fruste, dont quelques idoles archaques de bois ou d'argile conserveraient le souvenir ; nanmoins la logique interne de la pense de

    12 Daut, o.c.,p. 32-40. 13 Pline, 34, 15 : Transiti deinde ars uulgo ubique ad effigies deorum. Romae simulacrum ex aerefac-

    tum Cereri primum reperto ex peculio Sp. Cassi, quem regnum adfectantem pater ipsius interemerit. Transiti et a dus ad hominum statuas atque imagines multis modis.

    14 Ibid., 16-30. 15 Ibid., 33-34 : Fuisse autem statuariam artem familiarem Italiae quoque et uetustam indicant

    Hercules ab Euandro sacratus (. . .) in Foro Boario (. . .), praeterea Ianus geminus a Numa rege dicatus (...). Signa quoque Tuscanica per terras dispersa, quin in Etruria factitata sint non est dubium. Deorum tantum putarem ea fuisse, ni Metrodorus Scepsius (...) propter MM statuarum Volsinios expugnatos obi- ceret. Mirum mihi uidetur, cum statuarum origo tam uetus Italiae sit, lignea potius aut fictilia deorum simulacra in delubris dicata usque ad deuictam Asiam, unde luxuria.

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    Pline s'articule autour de la distinction qu'il fait entre les reprsentations divines et les reprsentations humaines et l'ide nonce au paragraphe 15, que les reprsentations des dieux ont prcd celles des hommes, distinction qu'il abandonnera par la suite, en organisant son expos sur la statuaire suivant une liste d'artistes plus ou moins clbres ; si l'embarras de Pline est visible dans sa tentative de retracer l'volution de l'art de la statuaire de bronze, son utilisation des termes dsignant les statues n'en est que plus rigoureuse et rvlatrice : les images divines consacres sont dsignes soit par simulacrum, soit par leur nom propre, soit encore par le terme plus gnrique de signa, tandis que le terme de statua est rserv aux images honorifiques et la conception technique de la statue, d'o la perplexit avoue de Pline devant les statuae deVolsinies.

    Dans ce contexte, il est d'autant plus troublant de noter deux exceptions a priori cette rgle : d'une part au paragraphe 26 o, parlant des statues honorifiques riges sur les rostres, Pline qualifie de simulacra les statues de Pythagore et d'Alcibiade leves aux angles du comitium lors d'une des guerres samnites, sur la foi d'un oracle de la Pythie de Delphes16 ; d'autre part il qualifie de statuas trois reprsentations de Sibylles situes prs des Rostres et restaures l'poque augustenne, mais qu'il tient pour tre parmi les plus anciennes de Rome et fait remonter l'poque royale17. On identifie gnralement ces statues avec les Tria Fata connues par le tmoignage tardif de Procope18, et que C.Vermeule a rcemment tent d'identifier avec les Fatis vitricibus d'un aureus de Diocltien des annes 284-86 19. La premire exception peut se rsoudre, me semble-t-il, par la comparaison avec un passage de la vie de Numa de Plutarque, relatant le mme pisode, o les statues d'Alcibiade et de Pythagore sont qualifies d'eiKOva , c'est--dire l'quivalent de statuas ; le terme simulacra dans le texte de Pline n'est d'ailleurs employ que pour rapporter les paroles de la Pythie, tandis que le mot statuas est sous-entendu pour le reste de la phrase : souci de variation rhtorique ou emploi du terme simulacrum dans un sens plus figur que technique (il s'agit alors moins de portraits d'individus prcis que de reprsentations idales du courage et de la sagesse), l'exception confirme plutt la rgle dans ce cas. En revanche la prsence des trois Sibylles incarnant les destins de Rome20, proximit d'autres symboles du mme type, comme la louve, la statue d'Attius Navius, le ficus Ruminalis, s'inscrit dans le dveloppement de Pline comme

    16 Ibid., 26 : Inuenio et Pythagorae etAkibiadi in cornibus comitii positas, cum bello Samniti Apollo Pythius iussisset fortissimo Graiae gentis et alteri sapientissimo simulacra celebri loco dicari. Sur l'rection de ces deux statues symboliques, voir F. Coarelli, II foro romano, II, periodo repubblicano e augusteo, Rome, 1985, 119-122.

    17 Ibid., 22 : Equidem et Sibyllae (sous-entendu statuas) iuxta rostra esse non mirar, trs sint licet : una quam Sextus Pacuuius Taurus aed.pl. restituit ; duae quas M. Messala Primas putarem has et Atti Naui, positas aetate Tarquini Prisci, ni regum antecedentium essent in Capitolio.

    18 Procop., Bell. Goth., 1, 25, 9. Le toponyme est d'ailleurs attest l'poque tardive (Cyprian., Epist., 21) et l'glise de S. Adriano est parfois situe, l'poque mdivale, in tribus fatis, cf. Lugli, 87.

    19 The Cuit images of imperial Rome, Rome, 1987, 69, pi. XXXII, fig. 52. 20 Sur les trois destins de Rome, voir Dumzil, La religion romaine archaque, Paris, 19742, p. 497-98.

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    relevant d'un usage honorifique et politique assez gnralis. Doit-on voir dans le terme employ l'indice que ces statues n'taient pas considres, du moins pas encore, comme des statues de dieux valeur cultuelle, mais seulement comme des statues auxquelles leur emplacement, dans des lieux publics signifiants, confre une valeur sinon sacre , du moins symbolique ? Le dossier est trop pauvre pour tre probant, mais il a le mrite d'attirer notre attention sur cette zone trs particulire, entre les rostres et la curie, dans le voisinage immdiat du comitium, o sont concentrs un grand nombre de statues fortement lies la reprsentation de la cit par elle-mme21.

    Si l'on examine sous cet angle les diverses attestations de statues de dieux isoles que nous avons cru pouvoir rassembler, selon des critres trs lches encore, on en arrive la constatation relativement logique que la moiti d'entre elles sont dsignes par le seul nom de la divinit, quatre par le terme de signum (Aesculapius, Liber Pater in Capitolio, Pudicitia Patricia, Vortumnus), cinq par celui de simulacrum (Angerona, Apollo Sandaliarius, Iuppiter Tragdus, le colosse de Nron devenu Sol, Stata Mater), tandis que certaines cumulent les deux appellations, signum et simulacrum (Cloacina, Diuus Augustus) ; deux enfin sont concurremment appeles statua et signum (Hercules tunicatus et Marsyas), qui se trouvent toutes deux ... iuxta rostra22. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces deux cas plus avant, nanmoins on peut dj noter qu'il y a une ambigut dans leur dnomination, qui peut certes tre rapporte une analyse plus fine du contexte et des sources, mais qui, a priori, me semble assez significative. Plus simple est le cas de la statue du Diuus Iulius sur l'le tiberine, qui se tourna d'elle-mme vers l'Orient, prsageant ainsi la chute de Nron et l'avnement de Vespasien23 : appele statua et inconnue par ailleurs, nous pouvons l'carter comme tant probablement une statue honorifique ou votive, peut-tre place dans l'enceinte du temple d'Aesculapius ; dans le mme ordre d'ide, le signum d'Aesculapius auprs duquel est place une statua du mdecin d'Auguste, Antonius Musa24, ne me semble pas devoir tre comptabilis parmi les statues dites isoles, mais appartient trs certainement au sanctuaire de l'le tiberine, s'il n'en est pas prcisment la statue de culte25. Quant la statue du Diuus Augustus ddie

    21 voir F. Coarelli, o.c, 28-122. 22 Sur l'Hercule tunicatus, voir Pline, NH, 34, 93 : In mentione statuarum est et una non praete-

    reunda, quamquam auctoris incerti, iuxta rostra, Herculi tunicati, sola eo habitu Romae, toma jade sen- tiensqtie suprema tunicae. In hac trs sunt tituli : L. Luculli imperatoris de manubiis, alter : pupillum Luculli filium ex SC dedicasse, tertius :T. Septimium Sabinum aed. cur. ex priuato in publicum restituisse. Tot certaminum tantaeque dignationis simulacrum id fuit ! Pour les sources sur Marsyas, voir F. Coarelli, o.c, 91-93 : la vrit la statue du Silne est tantt appele simulacrum (Servius, ad Aen, III, 20 ; le mythographe du Vatican, 3, 2, 1 qui reprend le mme passage que Servius), signum (Porphyr., ad Hor. Sat., 1, 6, 115-117), statua (Pseudo-Acron., ad loc), soit beaucoup plus simplement par son seul nom (Hor., o.c. supra).

    23 Tac, Hist, I, 86 ; Sut., Vesp, 5, 7 ; Plut., Othon, 4, 8. 24 Sut., Aug, 59 : Medico Antonio Musae cuius opera ex ancipiti morbo conualuerat statuam aere

    conlato iuxta signum Aesculapi statuerunt. 25 Selon Jordan - Hiilsen, I, 3, 635, n. 32, il n'est pas sr que la statue de Musa soit dans le

    temple ; Platner - Ashby : renvoi l'art. Aesculapius aedes, 3, o ils proposent d'y voir une statue ct du temple, ou ailleurs dans Rome ; Richardson : renvoi Aesculapius aedes, 4, sans

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    par Livie et Tibre en 22 ap. J.-C. prs du thtre de Marcellus, sa qualification d'effigies par Tacite n'a gure de poids face aux tmoignages des Fastes Prnestins (signum) et des Actes des Arvales (simulacrum)26, qui confirment encore une fois que ces deux termes, ressentis comme quivalents, ont une forte connotation religieuse et peuvent, sous rserve d'indices corroborants, signaler sinon des lieux de culte, du moins des idoles consacres.

    Faut-il essayer d'aller plus loin et distinguer les simulacra plus particulirement comme des statues de culte ? P. Gros, propos de la distinction entre statue de culte et statue votive l'intrieur des sanctuaires27, soulignait dj que malgr une prsomption en faveur de simulacrum pour dsigner la statue de culte, trop d'incertitudes pesaient sur la valeur exacte de ces deux mots pour en tirer des conclusions valables. Il en va de mme pour les statues divines hors des temples : ainsi la statue d'Angerona, qui semble tre abrite dans le sacellum d'une autre divinit,Volupia28 est-elle dite simulacrum et c'est elle que s'adressent les sacrifices des Angeronalia ou Divalla du 21 dcembre29 : doit-on imaginer qu'elle est la seule statue de fait dans cette chapelle ? QueVolupia et Angerona ne font qu'une seule et mme divinit ? Que le terme de simulacrum n'est employ que pour signaler l'anciennet de la statue ? L'enqute parat assez dsespre, et si les quelques exemples dont nous nous occupons ne peuvent constituer un chantillonnage valable, tant donn leur nombre limit et la pauvret des sources leur gard, ils ne font qu'illustrer une fois de plus l'impasse laquelle mne l'enqute. Tout au plus peut- on constater que le terme simulacrum, plus rare, connote souvent une ide d'anciennet et donc de plus grande vnrabilit30, ide que les exemples d'Angerona, Cloacina, Stata Mater pourraient illustrer, mais que la mention du simulacrum du Diuus Augustus vient infirmer.

    prcision ; M. Besnier, L'ile Tiberine dans l'Antiquit, Paris, 1902, 196-97, opte pour la mme prudence. La prsence d'une statue d'homme ddie dans un sanctuaire public, par le Snat, comme c'est ici le cas, bien que relativement rare, n'a rien d'anormal ( voir G. Lahusen, o.c, 33 sqq.) et l'absence de prcision propos de la statue d'Aesculapius, dont le seul temple public l'poque est celui de l'le tiberine, m'incite plutt penser qu'il s'agit de la statue de culte.

    26 Fast. Praen., la date du 23 avril, voir Insc. It., XIII, 2, 477 ; Act. am, le 24 mai 38 ap. J.- C, voir CiL,VI, 2028 = 324344.

    27 P. Gros, o.c, 161-162, notamment les n. 48 et 49. 28 Macr., Sat., I, 10, 7-9 : XII (kal. Ian.) veroferiae sunt diuae Angeroniae, cui pontifices in sacello

    Volupiae sacrum faciunt. (...). Masurius adicit simulacrum huius deae ore obligato atque signato in ara Volupiae propterea collocatum, quod qui suos dolores anxietatesque dissimulant perueniant patientae bene

    ficio ad maximam uoluptatem. Iulius Modestus ideo sacri/cari huic deae dicit quod populus Romanus morbo qui angina dicitur praemisso uoto sit liberatus.

    29 voir H.H. Scullard, Festivals and ceremonies of the Roman Republic, Londres, 1981, 209-210 ; F. Coarelli, U Foro Romano, I, il periodo arcaico, Rome, 1983, 257-258.

    30 Pour l'analyse des sources littraires, voir Daut, o.c. ; un rapide survol des attestations du terme simulacrum dans les indices du C/L, VI ouvre peut-tre une voie explorer : sur la cinquantaine d'inscriptions signalant la ddicace, ou l'existence, d'une statue de dieu, seulement 6 utilisent le terme de simulacrum, dont 3 sont tardives (IV- Ve s. ap.J.-C.) : CIL, VI, 1196 (arc de triomphe en l'honneur d'Arcadius, Honorius et Thodose l'occasion de leur triomphe sur les Gtes en 405 ; des images {simulacra) des empereurs sont placs sur l'arc) ; CIL, VI, 526 (= 1664), qui commmore la rfection d'un simulacrum Minerbae aprs un incendie par le prfet de la Ville

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    Cependant le cas relativement atypique des Dei consentes pose d'autres problmes, car si leur aspect cultuel peut sembler tabli, ils semblent tre la pierre de touche de ce que nous venons de voir. On pourrait hsiter les classer parmi les statues de dieux isoles, non pas tant parce qu'ils sont douze que parce qu'ils semblent constituer une aedes au dire deVarron31, bien que l'ensemble des autres tmoignages ne permettent pas de se faire une ide trs prcise de cet difice. La mention la plus ancienne de ces douze dieux est due encore une fois Varron qui dans ses Res rusticae les oppose douze divinits agraires : et puisque, comme on dit, les dieux aident ceux qui agissent, j'invoquerai d'abord, non pas, comme Homre et Ennius, les Muses, mais les douze Dei consentes, et non pas ceux de la ville, dont les images (imagines) dores se dressent prs du Forum, six de sexe masculin et six galement de sexe fminin, mais les douze dieux qui prsident le plus aux travaux des champs 32. Cependant les lieux n'ont t identifis avec le portique qui se trouve prs du temple de Vespasien, sous le Tabularium, au bord du Cliuus Capitolinus que grce l'inscription tardive deVettius Praetextatus, prfet de la Ville en 367 ap. J.-C, qui a restaur les sacrosancta simulacra 33. L'interprtation du btiment, essentiellement d'poque flavienne dans son aspect actuel, reste problmatique et on ne sait gure o taient places les douze statues qui semblent constituer l'lment essentiel de ce sanctuaire et dont, bien videmment, il ne reste aucune trace : faut-il les restituer deux deux dans les pices du fond du portique34, qui sont cependant au nombre de huit, et o d'autres ont voulu voir des boutiques ou des bureaux, lis l'administration du Trsor, officiellement situ dans le temple de Saturne voisin ? Ou bien admettre que les statues taient installes, suivant un arrangement difficile reconstituer, sur la terrasse devant le portique35 ? Reste que nous avons affaire un monument atypique, qui n'tait sans doute pas celui que Varron avait sous les yeux ; peut-on supposer que ces douze statues, commmorant peut-tre le lectis-

    Anicius Acilius Aginatius dans la zone du Forum (?), en 472/3 (?) (voir l'hypothse d'A. Fraschetti, L'atrium Minervae in epoca tardoantica, dans Opusc. Instituti Romani Finlandiae, 1, 1980, 33-40) ; C/L,VI, 102, clbre ddicace des sacrosancta simulacra des Dei consentes restaurs par Vettius Praetextatus, prfet de la Ville en 367 ap. J.-C. Les 3 autres inscriptions, plus anciennes, relvent du domaine priv semble-t-il, mais deux font expressment rfrence une restauration (C/L,VI, 67 ; 597=30801), la troisime pourrait tre galement une reddicace d'une statue d'Apollon (C/L,VI, 408 = 30759). Faut-il voir dans le terme de simulacrum l'indice d'une statue considre comme ancienne et restaure avec soin ? 31 LL, 8, 71 : Cur appellant omnes aedem Deum Consentium et non Deorum Consentium ?

    32 RR, 1, 1,4 : Et quoniam, ut aiunt, deifacientes adiuuant, prius inuocabo eos, nec, ut Homerus et Ennius, Musas, sed duodecim deos consentis ; neque tamen eos urbanos, quorum imagines ad forum aura- tae stant, sex mares etfeminae totidem, sed illos XII deos, qui maxime agricolarum duces sunt.

    33 CIL, VI, 102 : [deorum cjonsentium sacrosancta simulacra cum omni lo[ci totius adomatiojne cultu in f[ormam antiquam restituto] \ [VJettius Praetextatus v.c. pra[efectus u]rbi [reposuit] \ curante Longeio [...v.c. c]onsul[ari] , l'inscription se trouvait sur l'architrave du portique.

    34 F. Coarelli, Guide archologique de Rome, Paris (trad, franc.), 1994, 52. 35 Sur l'interprtation des lieux, voir en dernier lieu G. Nieddu, dans BdA, 37-38, Suppl.,

    1986, 37-52.

  • Statues de dieux isoles et lieux de culte Rome

    terne de 217 av. J.-C.36, n'ont reu que progressivement un crin architectural, fait d'amnagements successifs et qui pourrait expliquer l'aspect peu habituel des lieux ? Il me semble nanmoins que nous avons l un bon exemple des problmes poss par des statues de dieux dans une certaine mesure isoles , et les divers termes employs pour les dsigner ne nous avancent gure ; R. Daut consacre un long dveloppement au terme utilis parVarron, imagines, qui semble contredire l'usage normal du mot, d'autant plus que l'aspect cultuel de ces statues est attest par Varron lui-mme, et confirm par l'inscription de Vettius Praetextatus, bien que beaucoup plus tardive ; il y voit notamment la marque de la mfiance dont Varron fait preuve l'gard de la figuration des dieux et de sa thorie de l'aniconisme primitif de la religion romaine s'opposant une forme trop hellnise des dieux37. Cet exemple montre, me semble-t-il, qu'il ne faut pas trop surinterprter le vocabulaire dsignant les statues, tant pour en dgager une connotation cultuelle que pour y chercher une valeur non religieuse.

    2. Le contexte architectural et topographique. Si l'tude du vocabulaire ne suffit pas constituer un indice valable pour signaler des statues comme lieu de culte, peut-tre faut-il renverser la perspective et examiner les cas de statues isoles constituant, en apparence du moins, des lieux de culte. Certaines en effet des statues de dieux isoles sont explicitement signales comme des lieux de culte : outre le cas un peu particulier de la statue d'Angerona, in sacello ou in ara Volupiae, on peut ajouter la liste celui de Cloacina, signal comme sacrum par Plaute38 et document par une reprsentation montaire de 42 av. J.-C.39, celui deVertumne, dont un commentateur d'Horace signale le sacellum40, ainsi que celui de Vara ou du templum o se trouvait le signum de la Pudicitia Patricia, situ au Forum Boarium41, et sur l'existence duquel on a beaucoup discut42. Si les termes employs ne laissent gure de doute sur le fait que ces statues sont au centre du lieu de culte, reste en prciser les modalits et dfinir la place des statues dans ce type de lieu de culte, afin de voir si les lments ainsi dgags peuvent servir mieux cerner les autres cas de statues isoles, moins bien documentes.

    36 Liv., 22, 10, 8. Cf. Ennius, dans ses Annales, fr. 45, o apparat la mme liste. Voir Dumzil, o. c, p.460-461, M. Nouilhan, Les lectistemes rpublicains, dans Entre hommes et dieux, Lire les poly- thismes, n2, p. 27-41. Il me semble nanmoins qu'on puisse exclure l'hypothse d'un lieu de type puluinar, dans la mesure o Varron prcise que les statues des dieux sont debout {stani) et que le terme tant attest par ailleurs, il l'aurait sans doute employ au lieu de celui 'aedes.

    37 Voir Varron, ap. Augustin, CD, 4, 31 = fragment 18 , Cardauns. Cf. Plut., Numa, 8. Daut, o.c, 75-98.

    38 Plaute, Cure, 471 : apud Cloacinae sacrum. 39 RRC, n.494, 42 a-c, 43 a ; G. Fuchs, Architekturdarstellungen auf romischen Mnzen der

    Republik und derfriihen Kaiserzeit, 1969, 31-32, taf. 4, 45-46 (monnaies de L. Mussidius Longus). 40 Porphyr, ad Hor. Epist., 1, 20, 1 : qui in vico Turano sacellum habuit. 41 Fest, 282 L. : Pudicitia signum in Foro Bouario est, ubi Aemiliana aedis est Herculis. Earn quidam

    Fortunae esse existimant. item via Latina ad miliarium MI Fortunae muliebris nefas est attingi, nisi ab ea quae semel nupsit. Cf. Paul, 283 L ; Liv., 10, 23, 3-5 ; Prop, , 6, 25-26 ; Juv., 6, 308-315.

    42 Voir en dernier lieu J. Champeaux, Fortuna, I, Rome, 1982, 356, n. 117.

  • 9O Sylvia Estienne

    Le sacellum de Vertumne ne nous apporte gure d'informations, sinon qu'il ne s'agit pas d'un temple, comme celui de l'Aventin, mais d'une structure l'air libre, au bord du vicus Tuscus, d'o le dieu peut apercevoir le Forum et contempler la foule qui se presse devant lui43 ; les seules attestations archologiques, une inscription ddie Vortumnus et une base de statue assez tardive44 ne permettent pas d'en avoir une ide plus prcise. De mme celui de la Pudicitia Patricia, appel tantt ara (Tite-Live,Juvnal), tantt templum (Tite-Live, Properce), sans attestation archologique, reste nig- matique. Quant la fameuse chapelle de Volupia et d'Angerona, l'hypothse, si ingnieuse soit-elle, de F. Coarelli, qui a propos de la reconnatre, dans une phase certes tardive, dans l'dicule ddi Iuturna derrire le temple des Castors sur le Forum romain45, ne permet pas d'tayer notre dossier. Tout au plus peut-on tirer des sources46 quelques indices d'un ensemble cultuel compos d'une statue au moins, d'un autel et vraisemblablement d'une curie (la curia Acculeia) , servant peut-tre de salle de banquet pour les pontifes aprs le sacrifice, mais les liens entre Volupia et Angerona, le sens mme de ce rite semblaient dj chapper aux Romains de la fin de la Rpublique. Le seul lieu de culte aisment reconstituable n'en est pas moins problmatique ; le lieu de culte de Cloacina est en effet reconnaissable sur une monnaie de l'poque triumvirale, abondamment commente et confirme par la dcouverte de substructures circulaires devant la basilique Iulia47. Sorte de tmenos ciel ouvert (Lugli, p. 89) constitu d'un petit podium circulaire bord d'une balustrade, pourvu d'un escalier et, visiblement, d'un autel, gauche sur la monnaie, d'un arbre (?) droite (un myrte ?48), il accueille non pas une, mais deux statues fminines, difficilement dtaillables, que l'on identifie comme celles de Vnus Cloacine, sur la foi du tmoignage de Pline qui parle des signa Veneris Cloacinae. Ces quelques rapides constatations nous permettent d'une part de recenser les lments qui identifient un lieu de culte, et plus particulirement de type sacellum, mais par ailleurs de relativiser la place des statues dans de tels ensembles. En effet les deux derniers lieux de culte que nous venons d'numrer s'inscrivent tout fait dans les dfinitions donnes par Festus et Aulu-Gelle des sacella : sacel- la dicuntur loca a dis sacrata sine tecto et sacellum est locus parvus deo sacratus

    43 Cf. Prop., 4, 2, 5. 44 C/L,VI, 803 ; C/L,VI, 804 : Vortumnus \ temporibus \Diocletiani et | Maximiani : le for

    mulaire, sans prcision de ddicace ou de conscration, mais plutt du type des tituli de statues dcoratives, dans les jardins par exemple, pourrait faire penser qu' cette poque le culte de Vertumnus tait peut-tre tomb dans l'oubli, pour n'tre plus qu'un point de repre topographique et historique.

    45 F. Coarelli, II Foro Romano, l, perodo arcaico, Rome, 1983, 237 sqq. 46 Piine, 3, 5, 65 ; Fast. Praen. ad XII kal. Ian. ; Varr, LL, 6, 23 : Angeronalia ab Angerona, cui

    sacrificium fit in curia Acculeia et cuius feriae publicae is dies ; Macr., Sat., 1, 10, 7-9 : XII (kal. Ian.) vero feriae sunt diuae Angeroniae, cui pontifices in sacello Volupiae sacrum fadunt ; Solin., 1, 6 : Inter antiquissimas sane religiones sacellum colitur Angeronae, cui sacrifcatur a. d. XII kal. Ian. ; quae diua praesul silentii istius, praenexo obsignatoque ore simulacrum habet.

    47 Voir supra ; pour une bonne reproduction, Coarelli, o.c, 84, fig. 27 ; Lex Rom, I, fig. 167-168. 48 Cf. Pline, 15, 119-120; 122.

  • Statues de dieux isoles et lieux de culte Rome 91

    cum ara 49, mais les statues n'y sont pas indispensables et c'est moins la statue que l'espace dcouvert, mais dlimit par une barrire ou un enclos, et l'autel qui semblent tre les lments matriels dterminants ; un certain nombre de sacella attests ne comportent pas de statues connues50 et un monument comme Y Ara Pads est bien la preuve que la figuration des dieux ne passe pas forcment par une statue de culte. Certes, dans le cas de Cloacina, on peut pour justifier le lieu de culte par la prsence de la statue invoquer le tmoignage de Lactance51, mais celui-ci ne parat gure exploitable, sinon dans une perspective mythologique. Ce rapide aperu montre bien que, conformment aux tmoignages pigraphiques d'ailleurs52, la statue de la divinit est un lment important mais non suffisant pour la dfinition des lieux de culte mineurs du type sacellum.

    Mais, dfaut d'attestation de sacellum, d'enclos et surtout d'autel, quels lments matriels peut-on retenir dans la dfinition d'une statue, sinon la base ? Comme l'attestent les formulaires pigraphiques : signum cum base, ou signum et basim53, la base et la statue sont deux lments indissociables ; Cicron, dans ses Catlinaires, rappelle comment, l'anne prcdente, les haruspices, la suite de prodiges, ont prescrit de rehausser et de changer d'orientation la base d'une statue colossale de Iupiter situe sur le Capitole de sorte qu'elle regarde vers le Forum et la curie, symbole que Cicron ne manque pas d'exploiter54. Certes les statues simplement honorifiques sont galement pourvues de base, et sans doute, comme Pline le rappelle propos des colonnes et des arcs de triomphe, leur but est-il de manifester la supriorit par rapport au commun des mortels55, mais, dans un sens strictement religieux, la remarque de Pline sur l'Hercule carthaginois qui tait devant l'entre du portique des nations, inho- norus nec in tempio (...) humi stans. . . 56 est tout fait rvlatrice. Dans le mme ordre d'ide, s'il est logique que sur les anaglypha Traiani la statue du Marsyas soit reprsente sur une base, il parat plus curieux que le ficus Ruminalis qui lui est associ le soit galement, du moins d'un point de vue raliste, si ce n'est pour manifester, par une convention iconographique, que les deux symboles de la libert civique et du destin de Rome sont mettre sur le mme plan.

    49 Fest., p. 422 L. ; Geli., , 1, 12, 2. 50 Sur les sacella, voir . Fridh, Sacellum, sacrarium,fanum and related terms, dans Studia Graeca

    et Latina Gothoburgensia, 54, Greek and Latin Studies in memory of Caius Fabricius, d. par Sv. Teordorsson, Gtheburg, 1990, 173-187.

    51 Lact, Inst., 20, 11 : Cloacinae simulacrum in Cloaca maxima repertum Tatius consecrauit et quia cuius effigies ignorabat ex loco UH nomen imposuit.

    52 Cf. par ex. De Ruggiero, DE, 1895, s.v. aedes, 201-202, o sont rpertories un certain nombre d'inscriptions de ddicaces de temples et de chapelles ; Rome, par ex., CIL, VI, 597 : imperio | domini Siluani | C(aius) Cossutius C(aii) lib(ertus) Epaphroditus \ aram Siluano marmorauit item | simulacrum Herculis restituii item \ aediculam et aram eiusdem corrupta ref(ecit) \ dedicami k(alen- dis) martis | P(ublio) Caluisio Rusone L(ucio) Caesennio Peaeto cos.

    53 Rome, voir CJL.VI, 375, 422, 460, 596, 622, 653, 663, 683 par exemple. 54 Cic, Cat, 3, 19-20 ; cf. Dion Cassius, 37, 9. 55 34, 27 : Columnarum ratio erat attolli super ceteros mortales, quod et arcus significant nouicio

    inuento. 56 Ibid., 36, 39.

  • 92. Sylvia Estienne

    Cependant , pour significative que soit la prsence d'une base, elle ne suffit pas faire d'une statue une statue cultuelle ; plus encore que la base, c'est l'autel et les rites qu'il symbolise qui sont sans doute l'lment essentiel dans la dfinition de la statue comme objet de culte. Ainsi sur le clbre relief des Haterii les statues de culte titulaires , reprsentes dans leur temple ou travers un arc, sont-elles distingues des autres figures de divinits par la prsence d'un autel57.

    3. Le contexte rituel. En l'absence de reprsentation iconographique, comme pour Cloacina, ou d'attestation archologique d'autel, c'est l'attestation, plus ou moins directe, de rites et de ddicaces qui apparat comme le critre dcisif pour dfinir la nature des statues de dieux isoles. Certains tmoignages sont prcis, comme dans le cas d'Angerona ou de Pudicitia Patricia, mme si le dtail des rites nous chappe gnralement : peut-tre faut-il voir dans les matrones mches de Juvnal arrosant l'effigie de Pudicitia58 la parodie d'un rite difficile reconstituer. l'inverse, c'est le rite qui peut dfinir la personnalit d'une divinit, mal connue par ailleurs, comme Mercure dit Sobrius , sur la foi d'un passage de Festus qui explique le nom du viens Sobrius soit par l'absence de tavernes, soit par la prsence d'un Mercure qui l'on faisait des supplications non avec du vin, mais avec du lait 59. Son existence est galement atteste par deux inscriptions o il sert de repre topographique60, et lorsqu'en 1888 on a trouv les restes d'un difice compi- talice sur l'Esquilin avec une base ddie Mercure, c'est immdiatement que G. Gatti l'a rapproch de notre sobre divinit61. L'interprtation du monument est d'ailleurs intressante puisque Gatti y voyait un lieu de culte trs ancien, du type des sacraria des Arges, reconverti ou restaur l'poque augustenne en chapelle de carrefour. Sans entrer dans le dtail de ce dossier complexe, il y a sans doute, dans la perspective d'une tude sur les statues isoles , une enqute faire du ct des chapelles de carrefours, auxquelles on associe gnralement l'Apollo Sandaliarius et le Jupiter Tragdus ddis uicatim par Auguste en 12 ap. J.-C.62, l'autel de la Concorde trouv au Forum Boarium63 ou encore les ventuelles effigies de la Stata Mater, si l'on se fie au passage de Festus et aux donnes pigraphiques64. l'inverse, on peut

    57 Sur ce relief, voir F. Castagnoli, Gli edifici rappresentati in un rilievo del sepolcro degli Haterii, dans BCAR, 69, 1941, 59-69.

    58Juv., 6, 308-311. 59 Fest., 383 L : Sobrium vicum Romae dictum putatur uel quod in eo nulla taberna fuit, uel quod

    in eo Mercurio lacte, non uino supplicabatur. B. Combet-Farnoux, Mercure romain. Le culte public et la fonction mercantile Rome de la Rome archaque l'poque augustenne, Rome, 1980, 293, voit dans ce rite un lment du ritus graecus, ce qui n'est gure convaincant a priori.

    60 C/L,VI, 9483, 9714. 61 BCAR, 1888, 16, 221-239 ; CIL,Vl, 30974 (ILS, 92) ; voir galement Jordan - Hiilsen, I,

    2, 334-335. 62 Sut, Aug., 57. 63 Voir A.-M. Colini, dans RPAA ,43, 1970-711, 55-70. 64 Fest., 416 L : Statae Matris simulacrum in foro colebatur, postquam id Cotta stravit ne lapides igne

    corrumperentur, qui [plurimis] ibifiebat nocturno tempore, magna pars populi in suos quique vcos ret-

  • Statues de dieux isoles et lieux de culte Rome 93

    se demander si l'attestation d'un rite fait forcment une statue cultuelle ; ainsi les Fasti Farnesiani signalent-ils, le 17 mars, lors des Liberalia, une crmonie Libero in Capitolio65, prcision que ce calendrier est le seul donner, et qui est sans doute mettre en rapport avec la crmonie accomplie par les jeunes garons qui prenaient la toge virile66 ; or des diplmes militaires, datables de 70 71 ap. J.-C, o sont prciss les lieux d'affichage des originaux portent la mention ad aram gentis Iuliae latere dextro ante signum Liberi patris pour les uns, in podio parte exteriore arae gentis Iul(iae) contr(a) sig(num) Lib(eri) patris pour les autres67 ; on en conclut donc qu'il existait une statue de Liber pater, situe ct de l'autel de la gens Iulia, dans lequel M. Torelli reconnat Vara Pietatis Augustae et qu'il propose de placer dans Y area Capitolina devant le temple de Jupiter capitolin, lgrement au S-E, o des substructures sont encore visibles68 ; doit-on rapprocher cette statue des rites attests par les Fasti Farnesiani, ou, comme S. Dusanic, supposer qu'il s'agit d'une statue rige par Vespasien, en liaison avec l'exaltation de la Libertas propre aux premires annes de la dynastie flavienne69, sans rapport avec l'ancien autel de Liber pater ? Il est vrai que le rite de la prise de la toge virile aux Liberalia semble moins suivi sous le principat, en juger du moins par l'exemple des princes impriaux70, et qu'il s'adressait aussi Jupiter Capitolin et Juventas, dont l'autel tait inclus dans le temple du Capitole. En l'absence d'autres lments corroborants, on est bien oblig de conclure qu'une attestation de rites ne suffit pas parfois prouver qu'une statue est un lieu de culte. Mais si l'inclusion de la statue de Liber pater dans Y area Capitolina confirme, sinon son rle cultuel, du moins sa valeur religieuse et probablement votive, on peut en revanche poser le problme des statues colossales, forcment situes hors des temples, mais tantt en liaison avec des difices cultuels, tantt disperses travers Rome.

    4. Le problme des ddicaces et des conscrations. On peut au moins dnombrer sept colosses, plus ou moins isols, connus notamment par un long passage que leur consacre Pline dans son livre XXXIV71, mais aussi par le plus exemplaire d'entre eux, le colosse de Nron, transform en statue de Sol aprs la mort du prince. Que ce dernier, une fois ddi Sol, ait t l'objet de vnration et ait constitu un lieu de culte, les sources, surtout tardives, semblent

    tulerunt eis deae cultum. Il existe un vicus Statae Matris dans la regio II, tandis qu'ont t trouves diverses ddicaces Stata Mater Augusta faites par des magistri de vici (C/L,VI, 762 766 ; 802 o elle est associe avec Volcanus Quietus Augustus). Sur la proposition de Coarelli d'en faire la pardre de Volcanus, jusqu' la rfection syllanienne du Forum, voir Coarelli, o.c, 172.

    65 H.H. Scullard, o.c, p. 91-92 ; /. It., XIII, 2, p. 425. 66 Ovide, Fast., 3, 771-3 ; Cic, ad Ait., 6, 1, 12. 67 CIL, XVI, 10, 11,13. 68 M. Torelli, Typology and structure of Roman Historical Reliefs, Ann Arbor, 1982, 79 sqq, fig.

    Ill, 32. 69 S. Dusanic, Loci constitutionum fixarum, dans Epigrafica, 1991, p. 101, n. 42. 70 J.-P. Nraudau, tre enfant Rome, Paris, 1984, p. 254. 71 34, 39-47.

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    l'attester72, mais le statut exact de cette image impriale, puis divine est peut- tre prciser ; un passage de l'Histoire Auguste parat cet gard assez rvlateur73 : si le Colosse est dit dicatus tant qu'il reprsente Nron, il devient consacr partir du moment o il reprsente Sol et est install devant le temple de Vnus et Rome ; la destine voudra qu'on l'associe l'amphithtre voisin, mais le projet originel d'Apollodore, l'architecte d'Hadrien, tait, semble-t-il, d'en faire une des figures de l'ensemble monumental qu'il avait conu avec le templum Urbis, en l'associant une sorte de pardre, Luna, avec laquelle il aurait mont la garde, splendide portier de la Rome Eternelle. La valeur cultuelle du colosse ne se concevait alors que dans ce rapport avec un temple, ce qui n'en fait pas rellement une statue isole . De mme trois des autres colosses attests se trouvent au Capitole, sous l'gide de Jupiter Capitolin, symboles de triomphe et de butin pris l'ennemi, comme l'Hercule de Lysippe pris Tarente par Fabius Maximus74, l'Apollon rapport du Pont par Lucullus75 et le Jupiter fait avec les armes prises aux Samnites par Spurius Carvilius76, sans que l'on puisse situer leur emplacement exact, mais ils semblent tre considrs comme des offrandes de manubiis au dieu souverain. Pourtant toutes les statues colossales n'ont pas cet honneur, l'attestation d'une statue colossale d'Apollon77 face l'entre du Circus Maximus, rapproche de la mention par Pline d'un Hercule carthaginois plac humi ante aditum porticus ad nationes18, de l'existence d'un Iuppiter Africus attest par plusieurs diplmes militaires dans Y area Capitolina19, ainsi que d'un colosse de Jupiter ddi par Claude prs du thtre de Pompe pose le problme de l'utilisation des statues colossales dans l'espace public et de leur statut.

    Ces derniers exemples indiquent, me semble-t-il, qu'une statue de dieu peut tre ddie publiquement, sans tre pour autant consacre religieusement, comme le montre le cas de l'Hercule carthaginois. Revenant des divinits moins barbares , je terminerai en rexaminant le cas des statues places sur le Forum , et en particulier de la statue de Marsyas. Pline, toujours dans le livre XXXIV, ajoute une statue celles que l'on peut situer iuxta ros-

    72 Sur l'ensemble du dossier littraire et archologique, voir C. Lega, II Colosso di Nerone, dans BCAR, 1989-90, 338-371, en particulier 365 sqq. pour les sources. Pline, 34, 45-46 : Zenodorus (...) Romam accitus a Nerone, ubi destinatum illius principis simulacro colossum fecit CXIXS pedum in longitudinetn qui dicatus Soli uenerationi est damnatis sceleribus illius principis. Voir galement les Mirabilia (VZ, III, 32).

    73 SHA, Hadrien, 19, 13 : Ei cum hoc simulacrum post Neronis uultum, cui antea dicatum fuerat, Soli consecrasset, aliud taie Apollodoro architecto auctore facere Lunae molitus est.

    74 Pline, 34, 40 ; Strabon, 6, 3, 1 ; Plut., Fab. Max., 22. 75 Pline, 4, 92 ; 34, 39 ; Strabon, 7, 6, 1 ; Appien, Illyr., 30. 76 Pline, 34, 43. 77 Plut., Flamin., 1,1; l'inscription grecque associe la prsence d'une statue de Flamininus

    aux cts de l'Apollon ne semble gure compatible avec la mention de la prtendue origine carthaginoise de la statue.

    78 Pline, 36, 39 : Inhonorus est nec in tempio ullo Hercules ad quem Poeni omnibus annis huma- na sacrificauerant uictima, humi stans ante aditum porticus ad nationes . La mention de cette dsacralisation de l'idole africaine ne va gure dans le sens d'une evocano des dieux carthaginois propose par Coarelh ; voir Dumzil, o. c, 460-61 nanmoins.

    79 CIL, XVI, 21 ;31.

  • Statues de dieux isoles et lieux de culte Rome 95

    tra, une statue d'Hercule tunicatus, dont la base ne mentionne pas moins de trois ddicaces, l'une de Lucius Lucullus de manubiis, puis celle de son fils et enfin celle de Titus Septimius Sabinus, dile curule qui l'a restitue du domaine priv dans le domaine public ; il est clair dans le texte de Pline qu'il ne s'agit pas d'une statue de dieu consacre au sens plein du terme, mais d'une statue ddie publiquement, commmorant une victoire, ce qui explique le passage, sinon lgal du moins licite, dans le domaine priv80. On pourrait sans doute rapprocher ce cas de celui cit par Cicron d'une statue de la Concorde, que le censeur Q. Marcius avait fait faire et placer dans un lieu public (in publico conlocarat) et qu'un de ses successeurs transfra dans la curie ; voulant ddier (dedicaret) cette statue et la curie la Concorde, il se heurta au refus du collge des pontifes81 ; cette anecdote montre bien qu'il y a plusieurs types de ddicaces de statues : une statue de dieu peut tre place dans un lieu public, sous l'autorit d'un magistrat du moins, sans avoir de valeur cultuelle, mais simplement symbolique ; il est permis de la dplacer, voire de l'enlever sans doute, comme les statues honorifiques peuvent l'tre82 ; elle peut tre dite collocata in publico, comme chez Cicron, mais vraisemblablement galement dicata, comme l'Hercule tunicatus de Pline. En revanche, une statue peut tre ddie dans un temple et donc offerte la divinit, nanmoins, si elle n'est que votive, elle peut tre dplace83. Enfin, pour tre rellement et religieusement consacre, une statue, ou un autel doivent l'tre avec l'autorisation du peuple et dans un endroit prcis84. Pour conclure, prenons comme pierre de touche le fameux Marsyas qui, sans le tmoignage de Servius, qui en fait l'emblme de la libert des cits et des citoyens85, serait sans doute rest le symbole d'un lieu fort mal frquent, rendez-vous des dbiteurs et des noceurs. Entre signum et statua, il n'est pas proprement parler un dieu, mais, comme le prcise Servius, le minister de Liber pater, in tutela Liberi patris ; ce n'est pas lui que s'adressent les sacrifices des cits libres, d'aprs le mythographe du Vatican, mais Bacchus, c'est--dire Liber pater. Par ailleurs un passage de Pline atteste qu'il recevait des couronnes86, mais on ne sait quelle occasion. Pour la plupart des commentateurs, la valeur sacrale du Marsyas ne fait pas de doute87 et M. Torelli voit mme dans le double suovtaurile des Anaglypha

    80 Voir ce sujet l'indignation de Caton le Censeur, Jordan, frgt. 71 : miror audere atque reli- gionem non tenere, statuas deorutn, exempla eorumfacierum, signa domi pro supellectile statuere.

    81 Cic, Doni., 130. 82 Voir Pline, 34, 30. 83 Voir Cic, Dont., 121 : simulacrum autem aut aram si dedicasti, sine religione loco moveri potest. 84 Fest., 424 L : Gallus Aelius ait sacrum esse quocumque modo atque instituto ciuitatis consecra-

    tum sit, sive aedis sive ara sive signum sive locus sive pecunia sive quid aliud quod dis dedicatum atque consecratum sit ; Gaius, 2, 4-5 : sacrae sunt quae dus superis consecratae sunt ; religiosae quae dus Manibus relictae sunt. Sed sacrum quidem hoc solum existimatur quod ex auctoritate populi Romani consecratum est, veluti lege de ea re lata aut senatusconsulto facto .

    85 Serv., adAen., 3, 20 ; 4, 58; voir Coarelli, il Foro Romano, II, periodo repubblicano e augusteo, Rome, 1985, 91-93.

    86 21, 8-9. 87 Voir en dernier lieu, M. Denti, An A StorAnt, 13, 1991, 133-188, propos du Marsyas de

    Paestum ; sur le Marsyas de Rome, p. 172 sqq.

  • 96 Sylvia Estienne

    Traiani le lustrum du ficus Ruminalis et du Marsyas, symboles de la libert de la plbe et de la continuit de l'empire, et dans le monument lui-mme un crin protgeant les deux symboles ainsi reconsacrs88. proprement parler, rien ne permet de faire du Marsyas un lieu de culte, au mme titre que Cloacina ou Vertumne, nanmoins il semble occuper une place part, qui sans doute volua sous le principat, encore dfinir.

    Au terme de cette bauche d'enqute, on peut sans doute dfinitivement abandonner l'ide d'une catgorie de lieu de culte caractris par des statues de dieux isoles , car ce n'est pas tant la statue qui fait le lieu de culte que le lieu qui dsigne la statue comme un objet cultuel. Nanmoins plusieurs critres sont retenir pour la dfinition d'une typologie des lieux de culte : les problmes de dfinition du statut des images divines, de la ddicace et de la conscration, de l'amnagement des lieux et de l'attestation de rites. Plutt qu'une catgorie de lieu de culte, nous avons entrevu une multiplicit de lieux de culte, les uns lis aux origines mythiques de la cit et la dfinition primitive de l'espace civique et social (Vertumne, Angerona, Cloacina, Pudicitia Patricia), les autres l'organisation spatiale et politique de la cit dans une phase plus tendue (les chapelles de carrefours), tandis que nombre des statues apparemment isoles taient en ralit replacer dans un contexte, religieux et/ou civique, plus vaste (colosses, area Capitolina, statues du Forum romain).

    88 M. Torelli, ox, 108-109.

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