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IMAGES DU CASTOR CANADIEN

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François-Marc Gagnon

IMAGES DU CASTOR CANADIEN

XVIe - XVIIIe siècles

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Ce livre est édité avec la collaboration du Musée régional de la Côte-Nord, unecorporation sans but lucratif subventionnée par le ministère de la Culture du Québec etpar la Ville de Sept-Îles. Voué à l’art et l’histoire, le Musée régional de la Côte-Nord aété créé en 1976 dans le but de promouvoir la mise en valeur du patrimoine nord-côtieret de diffuser les travaux en arts visuels des artistes locaux, canadiens et étrangers. Lapublication de cette recherche coïncide avec la présentation à Sept-îles de l’exposition.Ce castor légendaire, organisée à l’été 1994 par François-Marc Gagnon et coordonnéepar Guy Tremblay, conservateur au Musée régional de la Côte-Nord.

Les Nouveaux Cahiers du CÉLAT font état des travaux et des activités scientifiquesmenés et organisés par les chercheurs du Centre d’études sur la langue, les arts et lestraditions populaires des francophones en Amérique du Nord. En lançant cette collectiond’ouvrages, le CÉLAT entend se donner un moyen privilégié pour participer aux débatsde fond traversant le champ des sciences humaines et sociales, de même que pourapprofondir la compréhension de la société qu’il étudie.

Comité éditorialJocelyn Létourneau, directeur (Université Laval)

Marc Angenot (McGill University)Marie Carani (Université Laval)

François-Marc Gagnon (Université de Montréal)Barbara Kirshenblatt-Gimblett (New York University)

Henri Moniot (Université de Paris VII)Rien T. Segers (Rijksuniversiteit te Groningen)

Laurier Turgeon (Université Laval)

Révision du texte: Jean-Pierre AsselinTraitement de texte: Dorothée Lachance

Illustration de la couverture:

Dépôt légal – 2e trimestre 1994Bibliothèque nationale du Québec

© Les éditions du Septentrion1300, av. MaguireSillery (Québec)G1T 1Z3

Données de catalogage avant publication (Canada)

Si vous désirez être tenu au courant despublications

des ÉDITIONS DU SEPTENTRION,vous pouvez nous écrire au

1300 av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3ou par télécopieur (418) 527-4978.

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AVANT-PROPOS

L’occasion prochaine de l’ouvrage que nous présentons au public a étévéritablement la préparation d’une exposition au Musée régional de laCôte-Nord, à Sept-Îles, à l’été de 1994. D’abord conçu comme uncatalogue de musée, il a finalement pris la forme d’un petit livre. L’ami-tié que nous porte le directeur de ce musée, monsieur Guy Tremblay,nous a valu non seulement la faveur de faire connaître les anciennesreprésentations de notre emblème national dans le cadre d’une expositionouverte au public de la région, mais de publier cet ouvrage sous le hautpatronage du CÉLAT, cette dynamique équipe de l’Université Laval, quinous a déjà donné de nombreuses études de qualité. Nous nous en vou-drions donc de ne pas commencer cet ouvrage en le remerciant toutparticulièrement du zèle et des ressources qu’il a mis dans la réalisationde ce double projet.

Mais il est vrai que l’idée de présenter une iconographie du castorcanadien remonte à plus loin et vient en dernière analyse d’une préoccu-pation que nous partageons avec tous ceux qui se sont penchés sur lesarts de la Nouvelle-France et qui ont constaté la part si importante qui ytenait l’art religieux. Ils n’ont pu éviter en effet de se demander ce quedevenait l’art non religieux en pareil milieu et à cette lointaine époquedes débuts de la colonie française d’Amérique. Se pouvait-il que nosancêtres aient été insensibles aux beautés des lieux et ne nous aient laisséaucun paysage, aucune vue du fleuve majestueux qui le traverse, aucunereprésentation des forêts qui le couvre, des collines qui en soulèvent lasurface, sauf cette mauvaise gravure dans Hennepin, dont il sera questionplus loin, représentant les chutes Niagara? Se pouvait-il que nos sculp-teurs n’aient employé leurs ciseaux qu’à tailler les statues qui ornent nos

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églises? N’ont-ils pas été tentés par d’autres sujets? On sait qu’uneréponse magistrale a été donnée à cette dernière question dans l’ouvragede John Porter et Jean Bélisle sur la sculpture ancienne au Québec. Cesauteurs érudits nous ont révélé l’importance des contrats de figures deproue pour les sculpteurs de l’époque. Ce n’est là que le l’aspect le plusfrappant de cette production «profane». Il y en a eu bien d’autres quigagnent à être connus.

Qu’en est-il de la peinture, de la gravure et plus généralement desœuvres sur papier? N’ont-elles servi qu’à illustrer des ouvrages de piété?qu’à décorer des chapelles de mission ou d’humbles églises de rang?qu’à conserver les traits dans de naïfs portraits de quelques-unes de nospremières religieuses et de quelques ecclésiastiques? Pour peu que l’oncesse de chercher du côté des grands genres picturaux — la nature morte,le paysage, le portrait — qui, décidément, sauf le portrait, ne semblentpas avoir intéressé nos premiers peintres ni ceux qui se sont préoccupésen Europe de la représentation de notre pays, avant la fin du XVIIIe

siècle, on est étonné par le nombre des représentations consacrées auxhabitants autochtones de l’Amérique du Nord, à sa faune, à sa flore.Certes, il faut les aller chercher dans les vignettes des cartes géographi-ques, dans les illustrations de récits de voyages, dans des traités d’his-toire naturelle, donc en marge du domaine habituel des beaux-arts. Maiselles y sont et font preuve d’assez d’invention et de fantaisie pour que leprojet de présenter un bestiaire illustré de la Nouvelle-France soit tout àfait faisable. Bien plus, il ne faut pas pratiquer longtemps ce genre dedocuments pour découvrir la place de choix qu’y tient le castor, cetanimal canadien par excellence. Avec les monstres marins, que l’onrencontre aux abords du pays et qui viennent effrayer ceux qui lesaperçoivent jusque dans les eaux du fleuve Saint-Laurent, il est l’animalle plus souvent représenté. Nous tenterons de montrer qu’il est mêmel’occasion d’une iconographie spécifiquement canadienne.

Nous nous en voudrions de terminer cet avant-propos sans les remer-ciements d’usage. À nos étudiants du département d’histoire de l’art del’Université de Montréal d’abord, qui ont souvent eu à nous entendre surce plaisant sujet. Plus spécifiquement, à Pierre Simon Doyon, DorothéeSainte-Marie, Anne-Marie Sioui et Guy Tremblay, déjà nommé, qui onttous partagé notre enthousiasme pour le «Codex canadiensis» et pour letexte de l’«Histoire naturelle des Indes Occidentales» du père LouisNicolas. À nos collègues du même département, qui, à bon droit,

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9AVANT-PROPOS

s’interrogeaient sur les directions que prenaient parfois nos intérêts. Maisaussi à Edward H. Dahl, des Archives nationales du Canada, avec lequelnous avons échangé une correspondance toujours instructive et amu-sante. Il sera heureux de voir que sa patience à notre égard trouve ici sarécompense, sans qu’il soit responsable des erreurs qui ont pu se glisserà notre insu dans ce texte. Je m’en voudrais pour finir de ne pas men-tionner ma compagne de toujours, Pnina, qui a dû endurer la premièretoutes ces «histoires» de castor, elle qui vient d’un pays où l’idée mêmede fourrure est étrange.

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INTRODUCTION

On doit à Michel Foucault d’avoir attiré à notre époque l’attention surl’intérêt de l’histoire naturelle du XVIIe siècle1. Parent pauvre de la litté-rature française d’époque classique, ce genre littéraire se révèle, selonlui, avec la grammaire et l’économie, comme l’un des lieux privilégiésd’une entreprise de représentation du monde sans précédent dans l’his-toire des idées.

Bien que mal connue, la contribution canadienne à ce genre littéraireparticulier n’est pas négligeable. Il n’est guère un récit de voyage de laNouvelle-France, des récits de Cartier au Journal de Charlevoix, qui nedécrive la flore ou la faune de l’Amérique du Nord. Certes, cette littéra-ture qui s’étend sur deux siècles ne provient pas toute du même horizon.Les plus anciens textes témoignent encore d’un vieux mode du savoir paranalogie, qui cherchait dans la ressemblance entre les choses la clé deleur signification. Les autres et, bien sûr, ce sont les plus nombreux, sontplus préoccupés de mesures exactes et de configuration géométrique. Ilsparaissent déjà plus objectifs, plus «scientifiques», au sens moderne duterme. Mais, en réalité, comme nous le verrons, les choses ont été moinstranchées, du moins dans le corpus canadien que nous avons examiné.Quelque peu décalés dans le temps par rapport à leurs modèles euro-péens, les textes canadiens donnent parfois l’impression de retarder surleurs modèles européens, parfois de les imiter. En réalité, ils témoignentdu fait que le passage d’un mode de savoir à l’autre n’a pas été si facile,ni si brusque que Foucault le donnait à entendre en parlant de rupture,de faille, de clivage, etc.

Les XVIe et XVIIe siècles sont aussi le moment où l’on commenceà donner une importance de plus en plus grande à l’illustration dans les

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traités d’histoire naturelle. Konrad Gesner, Leonhard Fuchs, Vesaliusfont partie de ce groupe de savants du XVIe siècle pour qui l’illustrationd’après nature était la meilleure façon de sortir de l’impasse créée par lerecours exclusif à l’écrit, dans l’indentification des espèces ou desorganes, spécialement ceux mentionnés par les anciens. Comme le disaitGesner, dans son De rerum fossilium [...], 1565, ces illustrations aident«à reconnaître plus facilement des objets qui ne peuvent pas être décritstrès clairement en mots2».

Mais, lors même qu’elle se prétend faite d’après nature, l’illustrationreflète les propriétés du discours. Tantôt, elle paraît plus préoccupée derévéler les parties signifiantes des plantes ou des bêtes que d’en donnerdes vues objectives qui se rapprocheraient davantage de l’idéal de repré-sentation que nous avons aujourd’hui. Tantôt, elle s’ingénie au contraireà nous les montrer telles qu’elles sont, sans toujours bien se démarquerdes représentations de ses devanciers.

De tous les animaux canadiens décrits ou représentés dans les récitsde voyage ou les traités d’histoire naturelle de l’âge classique, celui quioccupe la première place est sans contredit le castor. Ce n’était pas unanimal complètement inconnu en Europe à l’époque de la découverte duCanada et des premiers établissements. Certes, il n’était plus aussifamilier qu’il l’avait été au Moyen Âge, comme en témoignaient encoredes vieilles toponymies — rivière de la Bièvre — et tout un folklorezoologique. Son nom même, qui vient du grec kastôr, révèle qu’il étaitdéjà connu des anciens. Aristote et Pline en avaient parlé, et leurs écritsn’étaient pas ignorés des premiers voyageurs en terre canadienne, dumoins les plus cultivés d’entre eux, comme Marc Lescarbot, LouisNicolas, le baron de Lahontan et le père Charlevoix. Les moins éruditssavaient au moins reconnaître l’animal. Jacques Cartier, qui est lepremier à avoir signalé sa présence au Canada, n’avait eu aucun mal àreconnaître sa fourrure. Il le désignait, en 1535-15363, de son vieux nomfrançais de bièvre, mot dérivé du latin fiber, venant à son tour de laracine indo-européenne bhe. C’est à partir de cette racine qu’on avaitcréé des mots à redoublement, comme beber, feber, fiber, etc., signifianttous littéralement brun et servant à désigner le castor par la couleur desa fourrure4.

C’est dire aussi que les premiers voyageurs français venus au Canadane s’y présentèrent pas sans idée préconçue sur le castor, ses mœurs etson utilité. Ils confrontèrent à ces idées leurs propres observations, tantôt

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13INTRODUCTION

pour les confirmer, tantôt pour les discréditer. Aussi, affleurent à l’occa-sion dans leurs écrits des opinions qui remontent à une très hauteantiquité, quand il ne s’agit pas purement et simplement de citationsd’auteurs anciens. Mais, le plus souvent, il s’agit simplement de légendesqu’ils prenaient la peine de dénoncer comme telles, révélant du mêmecoup qu’elles faisaient partie des préconceptions des hommes de leurtemps.

Notes

1. Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des scienceshumaines, Paris, Gallimard, 1966.2. Cité par Martin J. S. RUDWICK, The Meaning of Fossils. Episodes in the Historyof Palaeontology, Chicago, The University of Chicago Press (© 1976), 1985, p. 6.3. Michel BIDEAUX, Jacques Cartier. Relations, Montréal, Les Presses del’Université de Montréal, 1986, p. 152, 166 et 182.4. A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine.Histoire des mots, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1951, p. 412. Des variantes de cetancien mot se retrouvent dans plusieurs langues européennes autres que le français:beaver en anglais, biber en allemand, et vibré en provençal, etc.

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I

LE CASTOREUM

La silhouette caractéristique du castor est dans toutes les mémoires. Lesillustrateurs scientifiques modernes le représentent habituellement dansun décor sauvage, en train de ronger quelques branches ou de lisser safourrure, comme s’ils avaient surpris la bête au moment de son repas oudans un moment d’inattention. Cette façon de représenter le castor quinous paraît aller de soi est en réalité l’aboutissement d’une longuetradition iconographique.

Que l’on compare en effet un dessin de Charles Douglas, illustrateurattaché au Musée d’histoire naturelle du Canada1 à Ottawa avec uneancienne gravure tirée de l’Historia animalium du grand naturalistesuisse du XVIe siècle, Konrad Gesner2. Le castor de l’illustrateurmoderne est vivant. Celui de Gesner ne l’est pas. On notera en effet qu’ilest représenté la gueule ouverte, la langue sortie, la queue posée à platdans le plan de la page et, surtout, au lieu d’avoir cette allure ramasséedu castor vivant, il a le corps allongé d’un animal mort.

Comment expliquer cette différence? Serait-ce simplement qu’il estplus facile de dessiner un castor mort que de le croquer sur le vif dansson environnement naturel? Il faudrait être bien naïf pour croire qu’undessin aussi minutieux que celui de Charles Douglas ait été fait sur lemotif. L’illustrateur moderne travaille à partir de photographies qui

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fixent son sujet aussi efficacement qu’une balle de mousquet. Et sil’observation de l’animal au naturel lui est recommandée, elle ne lui estcertainement pas imposée pour produire une représentation convaincantede l’animal. À tout prendre, si l’on pouvait être sûr que le graveurtravaillant pour Gesner avait eu un animal mort sous les yeux (et non uneautre gravure), on pourrait se demander si ce n’est pas lui qui avait eula tâche la plus difficile. La mort introduit une sorte de raideur oud’extension caractéristique dans le corps des bêtes et brouille les rapportsentre leurs organes, si bien qu’il faut souvent plus d’imagination audessinateur d’animaux morts pour donner un semblant de vie à sonmodèle qu’à celui qui travaille à partir de photographies. Même le grandaquarelliste et naturaliste américain James Audubon n’arrive pas toujoursà nous faire oublier que les oiseaux au cou tordu qu’il peint ont étéabattus à coups de carabine.

Nous serions plus près du compte en partant de l’idée qu’un castormort est un castor utile. C’est une vérité de Lapalice qu’il faut d’abordle tuer pour pouvoir l’utiliser d’une manière ou d’une autre. Le castor deGesner nous donne une vue pour ainsi dire utilitaire de l’animal.

Sa façon de le représenter entraîne une certaine indifférence à l’égardde la «bonne forme» (gestalt) de l’animal, la forme étant forcément liée

Charles Douglas, «Castor», Musée d’histoire naturelle du Canada, Ottawa.

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17LE CASTOREUM

«Castor», dans Konrad Gesner, Historia animalium,1558,vol. IV, f. 336, photo B.N., Paris.

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IMAGES DU CASTOR CANADIEN18

à la vie. Et c’est en lui donnant sa silhouette caractéristique, au dosarqué, que l’illustrateur moderne crée une image plus vivante de l’animalet nous aide à le reconnaître dans la nature.

Ce n’est pas tout. Non seulement, il importait peu à l’anciennaturaliste de représenter l’animal vivant, voire de respecter sa forme etde tenter d’en donner une «bonne» image, mais il semble avoir étécomplètement indifférent à l’environnement dans lequel se situait sonsujet. Il ne l’a pas représenté dans un paysage, fut-il réduit à une simpleligne de base. Même la convention minimale de représenter l’animal àl’horizontale n’est pas respectée. Le castor de Gesner est posé à laverticale dans la marge de son livre. Les chiffres que l’on aperçoit àdroite de la figure ne donnent pas l’échelle de l’animal, mais numérotentles lignes du texte de 10 en 10. Cette présentation est si étrange que l’onpense d’abord à une erreur de mise en page. Il n’en est rien. Placé ainsi,le castor de Gesner paraît indépendant de son support. Il flotte dans lapage, pur signe renvoyant à son objet et épuisant toute sa significationdans son aspect extérieur.

«Castor», dans Guillaume Rondelet, Histoire entière des poissons,1558, vol. 2, f. 177, photo B.N., Paris.

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19LE CASTOREUM

Nous serions tenté de penser que l’aspect extérieur mis en évidenceici est la fourrure de l’animal. N’est-ce pas sa principale utilité aujour-d’hui? Mais ce serait oublier que les anciens qui ont parlé les premiersdu castor décrivaient une espèce qui en était fort peu pourvue, et surtoutpour qui la fourrure, fut-ce celle d’un de nos castors canadiens, n’auraitpas eu grande utilité en Grèce ou dans le Latium. Aussi bien, la fourruredu castor était comptée pour rien à leurs yeux. Quel usage y trouvaient-ils? On ne peut répondre à cette question sans faire appel à l’histoire, tantles usages que les hommes font de la nature varient avec le temps et lescultures.

Ainsi, comment interpréter une autre illustration contemporaine decelle de Gesner, mais qui manifestement n’attire pas l’attention sur la

Anatomie de la région anale du castor.

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fourrure de la bête. Il s’agit d’une illustration tirée de l’Histoire entièredes poissons, composée premièrement en Latin [...] avec leurs pourtraitsau naïf (1558) de Guillaume Rondelet (1506-1566), ami de Gesner,représentant le castor d’un point de vue tout à fait inusité3! Notons toutd’abord qu’il s’agit encore une fois d’un castor mort présenté hors detout contexte, la seule différence étant que, cette fois, la bête est poséesur le dos, les pattes écartées, révélant à la base de la queue deux glandeset un orifice.

Cette manière de représenter le castor ne fait plus de sens aujour-d’hui. Mais elle aurait été parfaitement claire pour les contemporains deRondelet. Il faut savoir qu’à son époque et bien avant — à vrai diredepuis l’antiquité classique — le produit le plus recherché du castor étaitune sécrétion que l’on appelait le castoreum et dont l’usage était phar-maceutique.

On sait que le castor, aussi bien mâle que femelle, possède, dans larégion anale, deux paires de glandes. Les unes sont des glandes à muscqui lui servent à marquer son territoire. Le castor en extrait un liquidequ’il répand sur des monticules de boue et de débris végétaux édifiés parlui le long des canaux et des sentiers qu’il fréquente. C’est sa façon designaler les limites de son territoire et celui de sa famille aux étrangers4.L’autre paire de glandes qu’il possède sécrète une huile dont il lisse safourrure. Comme tous les animaux à fourrure qui passent une grandepartie de leur temps dans l’eau, cette opération, qui rend le pelageimperméable, est essentielle5. C’est la sécrétion des glandes à musc queles anciens appelaient le castoreum. Chose curieuse, l’analyse chimiquedu castoreum a révélé qu’il est probablement le seul produit animal àcontenir de l’acide salicylique, c’est-à-dire, comme l’on sait, la substanceprincipale de l’aspirine6! Il n’est donc pas surprenant qu’on en ait fait unesorte de panacée. Après tout, l’aspirine que nous utilisons au moindremal ne l’est pas moins pour nous.

Nul doute que le graveur de Rondelet avait choisi de représenter soncastor sur le dos pour montrer les glandes à musc dont on tirait le cas-toreum. Autrement dit, le côté inusité de sa présentation était dicté par ledétail qu’il entendait mettre en valeur. Il avait choisi ce détail, parce que,de ces glandes, on tirait un produit utile à l’homme, dans ce cas unproduit pharmaceutique.

Ces glandes à musc donnèrent lieu à beaucoup d’équivoques. Lesanciens les prenaient pour les testicules de la bête — les testicules véri-

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS 8

INTRODUCTION 11

CHAPITRE ILe Castoreum 15

CHAPITRE IIPortrait du castor 35

CHAPITRE IIILa république des castors 65

CONCLUSION 115

BIBLIOGRAPHIE 119

LISTE DES ILLUSTRATIONS 127

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