guide du mythe de cthulhu

18

Upload: others

Post on 18-Jun-2022

30 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Guide du mythe de Cthulhu
Page 2: Guide du mythe de Cthulhu

GUIDE DU MYTHE DE CTHULHU

E N C R A G E dirigé par ALFU

Page 3: Guide du mythe de Cthulhu

Dans la même collection :

27. Francis Lacassin

Le Cimetière des éléphants

28. Michael Hardwick

Guide complet de Sherlock Holmes

29. Jean-Claude Alizet

L'Année de la fiction — 7

30. Jacques Baudou Radio Mystères

Le théâtre radiophonique policier

31. Roland Lacourbe

John Dickson Carr, le scribe du miracle

32. Jean-Claude Alizet

L'Année de la fiction — 8

33. Claude Lengrand

Dictionnaire des Voyages extraordinaires

34. Jean-Claude Alizet

L'Année de la fiction — 9

Si vous souhaitez être tenu au courant de nos publications, veuillez adresser vos coordonnées à :

Encrage Edition, B.P. 0451, 80004 Amiens cedex 1.

Page 4: Guide du mythe de Cthulhu

TRAVAUX collection dirigée

par Alfu

Guide du mythe de Cthulhu

e n c r a g e — 1 9 9 9 —

Page 5: Guide du mythe de Cthulhu

OUVRAGE PROPOSÉ PAR JOSEPH ALTAIRAC

Crédit photographique : droits réservés.

© 1999, Dominique SIGNORET pour l'illustration de couverture

© 1999, SOCIÉTÉ D'EDITION LES BELLES LETTRES 95 boulevard Raspail 75006 Paris

I.S.S.N. 1159-7763 I.S.B.N. 2-911576-13-6 (Encrage)

I.S.B.N. 2-251-74102-X (Les Belles Lettres)

Page 6: Guide du mythe de Cthulhu
Page 7: Guide du mythe de Cthulhu

Remerciements :

Que soient remerciés pour leur contribution à la réalisation de cet ou- vrage : Joseph Altairac, Jean-Luc Buard, Jean-François Gérault et Jean-Louis Sarro.

Page 8: Guide du mythe de Cthulhu

C t h u l h u e t a p p r o u v é

Le puriste lovecraftien se méfie des épigones ; non qu'il conteste la qua- lité de la production des plus doués d'entre eux, mais parce qu'il tient à ce que l 'œuvre du maître soit connue et appréciée pour elle-même.

Cette méfiance est hélas légitimée par l'attitude de certains éditeurs qui, par étourderie, à moins que ce ne soit — mais nous dépasser ions alors en horreur les pires abominations jamais surgies de la plume de Lovecraft — par cupidité, entretiennent l 'ambiguité en mélangeant les écrits du vieux gentleman à ceux de ses imitateurs plus ou moins respectueux. Il est vain de citer des noms pour tenter de séparer le bon grain de l'ivraie : quand les temps seront venus, Cthulhu saura bien reconnaître les siens.

L'essai de Patrice Allart ne s'inscrit nullement dans cette entreprise de confusionnisme. Il s'agit au contraire d 'une analyse systématique et rigou- reuse d'un très étonnant phénomène de contagion littéraire qui ne semble pas posséder d'équivalent. Allart cite à juste titre les noms de Conan Doyle et d'Edgar Rice Burroughs comme exemples de ces rares démiurges qui ont vu — de l'au-delà — leur œuvre pastichée, complétée, prolongée, et, inévi- tablement, déformée voire totalement défigurée par des épigones. Mais l'influence de la folle mythologie sortie du cerveau de Lovecraft — le Mythe de Cthulhu, pour reprendre l 'expression désormais consacrée — est d 'une toute autre ampleur, ainsi que d 'une toute autre subtilité. Elle touche des créateurs aux talents les plus divers, aux préoccupations les plus éloi- gnées : que trouver de commun entre un Fred Chapell, styliste trop rare adepte du suggéré, et un Brian Lumley, prolifique écrivain populaire sans complexe et amateur d'effets ? Précisément : leur dévotion au Mythe de Cthulhu, dans lequel ils communient — si l 'on ose dire — chacun à leur ma- nière. Il y a là l 'expression d'une singulière fraternité où se trouve transcen- dée la distinction entre littérature savante et littérature populaire.

Il est une très bizarre manifestation du phénomène lovecraftien sur lequel Patrice Allart n'insiste pas, car se situant aux frontières de son propos, mais dont nous dirons quelques mots, à titre informatif pour les plus lunatiques de nos lecteurs : la postérité factuelle du Necronomicon. Si l'on se réfère à

Page 9: Guide du mythe de Cthulhu

u n e r é c e n t e é t u d e t r è s foui l lée d u e à Danie l M. Harms et John W i d s o n Gonce , III, The Necronomicon Files (Night Shade Books, 1998), le livre mau- dit inven té d e toute p i è c e p a r Lovecraft n ' e n finit p a s d e susc i te r d e nou- v e a u x a d e p t e s qui c ro ien t d u r c o m m e fer à son ex i s t ence ! Les faux Necro- nomicon se mul t ip l i e ra ien t et, p lu s inquié tant , se rv i ra ien t d e r é f é r e n c e à d e s c é r é m o n i e s occul t i s tes don t il n ' e s t p a s ce r t a in qu ' e l l e s re lèvent exclu- s ivemen t d u d o m a i n e lud ique . . . Nous nous re t rouvons ce t te fois à l ' o p p o s é m ê m e d e la le t t re e t d e l ' e sp r i t d e Lovecraft qui, e n imaginant l ' ouv rage d e l ' A r a b e fou Abdu l Alhazred, avait sous -es t imé un e n n e m i au t r emen t p lus re- d o u t a b l e q u e n ' i m p o r t e l aque l l e d e s e s c r éa tu re s c o s m i q u e s : la bê t i s e hu- maine .

P r é v e n o n s les â m e s s e n s i b l e s ou i n e x p é r i m e n t é e s : la lec ture e n continu du Guide d e Cthulhu r i s q u e d e les p l o n g e r dans un cu r i eux état d e s u g g e s - t ion h y p n o t i q u e don t ils n e p o u r r o n t p lu s j amai s s e d é g a g e r en t i è r emen t . Pour les autres , — la m a s s e groui l lan te d e s a d o r a t e u r s d e Cthulhu —, le mal es t fait d e p u i s l o n g t e m p s , et ils a b s o r b e r o n t ce s p a g e s su l fureuses avec avi- d i t é e t r e c o n n a i s s a n c e — c o m m e une i n d i s p e n s a b l e d rogue .

Joseph ALTAIRAC

Page 10: Guide du mythe de Cthulhu

Introduction

D ans la littérature fantastique, s'est développé au cours du XX siècle un corpus singulier initié par le grand écrivain H.P. Lovecraft, et repris par une multitude de continuateurs.

Ce corpus est composé de récits disparates qui ont la particularité d' être reliés entre eux par un référent commun, plus ou moins apparent, plus ou moins important dans le récit, n'allant parfois pas au-delà d'une simple allu- sion, voire d'un seul nom jeté au détour d'un paragraphe, mais qui revient comme une litanie : Arkham, Dunwich, Innsmouth, Nyarlathotep, Yog So- thoth, Cthulhu, le Nécronomicon.

Ce référent est d'abord celui d'une géographie imaginaire doublant celle de la Nouvelle-Angleterre, puis d'une histoire cachée, doublant l'histoire des hommes, enfin il a tous les aspects d'une vaste mythologie imaginaire, assise sur un panthéon de divinités extraterrestres, venues de la nuit des temps et du fond des étoiles. Aujourd'hui, on chuchote aux veillées que des zélateurs humains les guettent et attendent leur retour, que des adorateurs fanatiques se regroupent en sectes ésotériques et invoquent leur retour par des rituels impies...

Tous cherchent à lire le Néconomicon, le livre qui rend fou... Cette inspiration fantastique a pris une importance et une extension

considérable de nos jours, elle s'est extraordinairement enrichie, au point de devenir un sous-genre à part entière de la littérature fantastique, que l'on dé- nommera le Mythe de Cthulhu, et au point que cette thématique et ce réfé- rent contaminent de nombreuses œuvres fantastiques chez de nombreux auteurs.

D'autres écrivains se spécialisent quasiment dans ce genre, et œuvrent à enrichir le corpus, à approfondir certains aspects de cette histoire occulte parallèle. Le Mythe de Cthulhu est un vaste assemblage d'éléments les plus divers, qui ne tiennent finalement que par un arrière-plan qui leur donne une cohérence générale. L'ensemble de ce corpus est en fait une collection de cycles particuliers et de récits isolés, éparpillés à la fois dans le temps et chez les auteurs les plus variés. Et toujours on revient au cycle, à ses élé-

Page 11: Guide du mythe de Cthulhu

ments récurrents, au leitmotiv, à là litanie et au rituel sinistre... et à l'Appel de Cthulhu.

Cet univers s'est étendu plus récemment au cinéma, à la bande dessinée et au jeu de rôle. Mais sa cohérence ultime, c'est la complicité qui se crée entre l'auteur, qui s'ingénie à rendre réelles les histoires les plus extraordi- naires, et le lecteur, qui suspend son incrédulité, à moins qu'il ne devienne lui-même un zélateur fanatique. C'est à la force de conviction de cet imagi- naire fantastique, à sa puissance d'évocation, à son pouvoir de fascination sur les auteurs et les lecteurs qu'est consacrée la présente étude.

Page 12: Guide du mythe de Cthulhu

1. H.P. Lovecraft

et

H oward Philips Lovecraft est né en 1890 à Providence, en Nouvelle An- gleterre, où il a vécu — et rêvé — presque toute sa vie. Enfant solitaire et fragile, intelligent et d'une grande culture, il écrit dès son plus jeune

âge — le plus ancien récit connu est daté de 1896. Plus tard, il a détruit ses textes d'enfance, quatre seulement ayant été sauvés par sa mère. L'influence des « dime-novels » — histoires populaires de super détectives et d'aventu- riers — s'y fait sentir, mais on y trouve déjà des cimetières, des cachettes se- crètes et des vengeances posthumes.

Lovecraft lui-même n'a conservé que deux textes jugés dignes de survivre. La Bête de la caverne (1905) est un texte court et à l 'atmosphère réussie où le narrateur est perdu dans des tunnels. Le jeune écrivain a bien rendu l'an- goisse du personnage devant une mort inexorable et surtout solitaire... du moins jusqu'à ce qu'une série de bruits de pas lui inspire une nouvelle ter- reur ; car ceux-ci, dans l'obscurité, n'ont pas l'air humains. Lovecraft montre déjà qu'il préfère la suggestion au choc visuel, rejoignant en cela les auteurs qu'il admire, comme Poe, Machen ou Bierce. Le narrateur tue la « chose », et découvre l'horrible vérité : cette inhumaine créature des profondeurs a jadis été un homme — un de ceux ayant disparu depuis longtemps comme le hé- ros l'avait évoqué au début du récit. Les textes ultérieurs de HPL montreront à quel point le thème de la dégénérescence l'intéressait.

L'Alchimiste (1908) constitue une histoire de malédiction ancestrale : de- puis des générations, les membres d'une famille de châtelains meurent au même âge, des suites d'un sort lancé par un sorcier. Lorsque l'histoire dé- bute, le narrateur approche de l'âge fatidique. Il survivra néanmoins, non sans avoir découvert que les victimes ont toutes été assassinées, ce qui aboutira à une vérité encore plus surprenante : le meurtrier a toujours été ce sorcier, rendu immortel par ses philtres. L'alchimiste sera le premier d'une longue série d'immortels sorciers.

Howard Lovecraft découvre l'univers du journalisme amateur en 1914, alors qu'il a cessé d'écrire depuis six ans. C'est Paul W. Cook, créateur du

Page 13: Guide du mythe de Cthulhu

fanzine The Vagrant, qui parvient à le convaincre de se remettre à l'écriture de contes fantastiques — après avoir publié La Bête de la caverne.

En 1917, HPL écrit donc Dagon, texte important dans la mesure où il s'agit de la première pierre du mythe. Là encore l'histoire est contée à la première personne, par un homme au bord de la folie. Seul survivant d'un naufrage, il a abordé une gigantesque île surgie des flots à la suite d'une secousse sis- mique, dans le Pacifique Sud. Cette île lui laisse une impression d'horreur la- tente. Il y découvre un immense monolithe aux hideux bas-reliefs, représen- tant des humanoïdes à l'aspect de batraciens aussi grands que des baleines. Lorsqu'il voit un de ces êtres en chair et en os, il fuit en plein délire. Quand il est recueilli, l'île a de nouveau disparu et ses souvenirs sont flous ; per- sonne ne le croit, et il craint d'être poursuivi. La fin relève du pur fantasme et prouve la folie du narrateur — du moins à ce niveau — lorsqu'il pense en- tendre un être gigantesque à sa porte.

A l'époque, Lovecraft n'a sans doute pas à l'esprit cet extraordinaire cycle cosmique qu'est le mythe de Cthulhu lorsqu'il s'inspire de la légende de Da- gon, le dieu Poisson des Phillistins. Il ne s'est pas encore dégagé de l'in- fluence de Poe et de ses héros au seuil de la folie, contant des récits douteux. Cette influence se retrouve dans La Tombe, encore plus morbide de par les sujets traités, la nécrophilie et la métempsychose. Le narrateur raconte son histoire de l'asile où il est enfermé, l'ennui de son enfance jusqu'à la décou- verte d'une crypte qui, dès lors, le fascina. L'hérédité maudite fait également sa première apparition dans son œuvre, le jeune Jervas découvrant qu'il des- cend d'une lignée mal considérée.

Peut-être Lovecraft a-t-il alors l'intention de continuer dans la veine de Da- gon, mais il découvre Lord Dunsany en septembre 1919, et il est fasciné par la mythologie imaginée par cet écrivain anglais, et par son univers de songe et de fantaisie, qui répond à celui que lui-même avait dépeint dans Polaris en 1918, où le narrateur rêve d'une existence antérieure dans l'antique cité d'Olathoe, dans le pays de Lomar. Le premier ouvrage de la bibliothèque lo- vecraftienne y faisait son apparition : les Manuscrits pnakotiques pré-humains.

Le premier texte dunsanien du Solitaire de Providence est Le Bateau blanc qui lui permet de visiter son Monde du Rêve par l'entremise d'un gardien de phare : Zar, le pays de la beauté, Thalarion, le pays du mystère, Xura, le pays du plaisir, Sona-Nyl, le pays de l'imagination, et l'immense cataracte du bout du monde, où l'océan se déverse dans le néant.

Avec La Malédiction de Sarnath, il aborde cet univers sans passer par un rêveur et fait montre de son talent pour l'Histoire imaginaire en contant celle de Sarnath, dans le pays de Mnar, dont les habitants massacrèrent le peuple- lézard de la cité d'Ib, aussi vieille que le monde. Sarnath fut détruite mille ans après par les spectres de ces êtres, éveillés par leur dieu Bokrug.

En contant une histoire vieille de dix mille ans, HPL s'aventure dans le do- maine de la fantasy où excelleront ses amis R.E. Howard et C.A. Smith. Cet univers se retrouve encore dans Les chats d'Ulthar et dans Les Autres dieux, où un vieux sage, Barzai, d'Ulthar, voulut voir les dieux de la Terre sur le mont Ngranek, et fut puni par les autres Dieux, « les dieux des enfers exté- rieurs qui protègent les faibles dieux de la Terre ».

En 1921, Lovecraft a déjà l'idée d'une mythologie basée sur des dieux ve-

Page 14: Guide du mythe de Cthulhu

nus de l'espace ou d'autres dimensions. Il les avait évoqués dans Nyarlatho- tep, où la féerie dunsanienne est submergée par l 'horreur lovecraftienne lors- qu'apparaît le magicien basané Nyarlathotep, qui apporte le Chaos et modifie la réalité. Le narrateur, peut-être au bord de la folie — Poe toujours —, a la vi- sion d'autres dimensions où l'on entend :

La faible plainte monotone de flûtes impies [venue] de lieux obscurs, in- concevables [où] dansent lentement, gauchement, absurdement, les dieux ul- times [...] dont Nyarlathotep est l'âme.

La Cité sans nom introduit également l 'horreur lovecraftienne du mythe dans l'univers hérité de Dunsany. Le narrateur découvre une cité perdue du désert d'Arabie, d'une lointaine antiquité, évoquée jadis par le poète dément Abdul Alhazred, et fait aussi référence à « Sarnath la maudite, qui se dressait dans le pays de Mnar au temps de la jeunesse de l'humanité, et à Ib aux pierres grises, antérieure même à l'existence de l'homme ». Il y découvre des représentations de monstres difficilement descriptibles, proches de reptiles, et s'enfuit en apercevant leurs descendants. L'auteur ne cache pas ses in- fluences, citant Dunsany, comme il citait Poe dans Dagon.

Le mythe se dessine, encore imprécis, et déjà les personnages font d'hor- ribles et évocateurs cauchemars en ces lieux que sont l'île de Dagon, les villes hantées par Nyarlathotep, « le chaos rampant », et La Cité sans nom. La plupart des puristes font démarrer le cycle avec La Cité sans nom, mais d'autres in- cluent des textes antérieurs, comme Dagon, Nyarlathotep et Par delà le mur du sommeil — pour S.T. Joshi. Ce dernier texte, bien que ne se rattachant pas ou- vertement au mythe, ne manque pas d'allusions, histoire d'une « mystérieuse entité flamboyante » vivant dans les étoiles qui échange son esprit avec un humain pendant son sommeil. Comme dans le cycle dunsanien, le rêveur vit d'extraordinaires aventures dans un corps d'emprunt. Francis Lacassin pense que Lovecraft n'a jamais eu l'intention d'intégrer cette nouvelle au cycle, puisqu'il en a réutilisé la trame dans une histoire du mythe, Dans l'abîme du temps ; et pourtant, il y a cette brève allusion à un « plateau désolé de l'Asie préhistorique », qui est peut-être celui que HPL baptisera Leng.

De la même manière, La Transition de Juan Romero, texte des plus sybillins où il est question d'un étrange bruit venant des profondeurs d'un puits sans fond et d'allusions aux légendes du Mexique, pourrait être rattaché au Mythe, notamment en le rapprochant de textes ultérieurs comme L'Exécuteur des hautes œuvres et Le Tertre.

Troisième texte cité par Lacassin comme étant « une plate-forme d'ac- cueil » du mythe, Le Temple rappelle Dagon, et son temple sous-marin laisse supposer l'intervention de « Ceux des Profondeurs », intervention confirmée par la présence de dauphins (cf. James Wade). Mais l 'aspect ouvertement humain du dieu représenté sur la statuette ne permet pas d'annexer l'his- toire.

Tout étant bien entendu affaire d'interprétation, les avis diffèrent sur ces textes précurseurs, mais tous sont d'accord sur l 'appartenance du Festival (1923). Le narrateur retourne dans sa ville natale de Kingsport et participe malgré lui à la célébration d'un culte impie, où sont invoquées dans les pro- fondeurs de la cité des créatures inhumaines autour d'une colonne de flammes. Le narrateur voit « quelque chose d'amorphe » qui souffle dans une

Page 15: Guide du mythe de Cthulhu

flûte. Visiblement, la lecture assidue du Necronomicon l'a endurci, car il ne fuit que plus tard, quand il aperçoit ce qui se cache sous le capuchon de son guide, révélé par un extrait du livre de l'Arabe :

[...] l'âme de celui qui a été acheté par le diable ne sort pas de son charnier d'argile mais nourrit et instruit le ver qui ronge, jusqu'à ce que de la décom- position jaillisse la vie, et que les nécrophages de la terre croissent et devien- nent assez puissants pour la tourmenter [...].

Par la suite, jamais il ne retrouvera l'endroit et naturellement personne ne le croira.

Les avis divergent en revanche pour Le Molosse, inclus par L. Carter et F. Lacassin. J'adopterais plutôt l'avis d'A. Derleth et de S.T. Joshi, car ce récit macabre où deux occultistes nécrophiles sont traqués depuis un cimetière de Hollande par un sorcier vampire n'est important que comme première ap- parition du Necronomicon — sous son nom. Néanmoins, l'amulette volée qui leur vaut le courroux du vampire représente « le symbole spirituel et spec- tral du culte nécrophage de l'inaccessible Leng, au cœur de l'Asie centrale ».

Trois autres nouvelles de cette époque méritent à mon avis le qualificatif de « plate-forme d'accueil du mythe ». Le savant fou de De l'au-delà (1920) a inventé une porte sur une autre dimension d'où il a « ramené des démons ve- nus des étoiles ». Le héros de La Musique d'Erich Zann (1921) se lie avec un vieil artiste dont la musique trouve de lointains échos à travers la fenêtre d'une mansarde parisienne donnant sur « l'infini d'un espace sans fond ; d'un espace inimaginable vibrant de musique et de mouvement, ne ressemblant à rien de ce qui pouvait exister sur cette terre » ; dans une rue qu'il ne re- trouva jamais. Enfin, L'Indicible (1923), au nom évocateur, est l'horreur aper- çue dans une maison abandonnée près d'un antique cimetière d'Arkham, où naquit le fruit d'une union contre nature ; il s'agit d'une créature indescrip- tible avec cornes et sabots, « [...] une sorte de gélatine — de gelée — et qui pourtant avait des formes — mille formes si horribles [...]. Il y avait des yeux — et une souillure... C'était la fosse, c'était le maelström [...]. » Cette entité innommée pourrait être ce que HPL appellera Shub Niggurath, le Bouc aux Mille Chevreaux.

En 1926, c'est le choc de L'Appel de Cthulhu. Lovecraft a utilisé un subter- fuge pour accroître la crédibilité de l'histoire, composée de comptes rendus d'événements censés s'être déroulés au Groenland en 1860, en Nouvelle-Or- léans en 1908 et à Providence en 1925, et qui prouvent la survivance dans dif- férents pays d'un culte remontant à l'aube de l'humanité. Il s'agit de la pre- mière évocation des « Grands Anciens, qui avaient existé bien des âges avant qu'il n'y ait eu des hommes et qui étaient descendus du ciel pour occuper le jeune monde ». Ils ont disparu mais continuent de survivre en se manifestant à travers les rêves des humains.

C'est une épidémie de rêves qui attire l'attention du chercheur, ainsi que la découverte d'une statuette d'un « monstre à la silhouette vaguement an- thropoïde, avec une tête de pieuvre dont la face n'aurait été qu'une masse de tentacules, un corps écailleux, d'une grande élasticité [...], des griffes prodigieuses [...], de longues et étroites ailes dans le dos » : Cthulhu, qui en ce début d'année 1925, est libre d'aller hors de sa prison sous-marine de R'lyeh, émergée à la suite d'un séisme (comme dans Dagon), après vingt mil-

Page 16: Guide du mythe de Cthulhu

lions d'années de sommeil. Heureusement, un second cataclysme renverra le titan enfermé dans sa cité sous l'océan, à 47°9' de latitude Sud et 126°43' de longitude Ouest. De façon étonnante et originale dans ce genre de récits, le narrateur ne participe à aucun de ces événements, mais en a connaissance par différentes sources. Ces sources mentionnent également le Nécronomi- con et la Cité des Colonnes d'Arabie, Irem (cf. La Cité sans Nom), qui sera au centre du Culte.

Bien que seul Cthulhu soit cité, Lovecraft a déjà à l'esprit une gigantesque cosmogonie. Des textes inachevés prouvent que bien avant 1926, il y pensait sérieusement : Azathoth (1922) ne cite l'entité que dans le titre du court frag- ment, mais ses apparitions postérieures donnent un éclairage nouveau aux joueurs de flûtes de Nyarlathotep, Le Festival et peut-être La Musique d'Erich Zann ; Le Descendant (1926) fait référence au Nécronomicon et à la Cité sans Nom d'Arabie, mais le décor en est curieusement une Angleterre imprégnée de légendes celtes qu'on a plus l 'habitude de rencontrer chez son futur ami R.E. Howard.

A la recherche de Kadath (1927) clôture d'étonnante façon le cycle dunsa- nien en l'intégrant au Mythe de Cthulhu, preuve que Lovecraft s'était enfin libéré de l'influence de Dunsany pour se consacrer à ses propres mythes. Autre preuve : le peu de textes fantastiques qui ne se rat tachent pas au Mythe après 1926. Francis Lacassin en recense cinq entre 1927 et 1935 contre vingt-six entre 1917 et 1926. Encore faut-il préciser qu'au moins deux ne sont pas de véritables nouvelles écrites par Lovecraft à des fins de publi- cation, mais des lettres racontant des rêves publiées à titre posthume (Le Peuple ancien, Le Clergyman Maudit), et peut-être est-ce aussi le cas pour La Chose dans la clarté lunaire, dont le narrateur perdu dans un rêve s'appelle Howard Philips ; les intentions de l 'auteur quant au Livre, resté inachevé, sont inconnues, et la collaboration de HPL au Défi d'outre-espace appartient sans aucun doute au cycle.

De la même manière, parmi les vingt-six textes antérieurs, plusieurs peu- vent s'y rattacher à divers degrés : Par delà le mur du sommeil — c'est aussi l'avis de Joshi —, La Transition de Juan Romero, Le Terrible vieillard — per- sonnage qu'on retrouve dans L'Etrange maison haute dans la brume —, Le Temple, Faits concernant feu Arthur Jermyn — où on retrouve plusieurs in- fluences, Poe pour la dégénérescence familiale et l 'hérédité maudite, et Ed- gar Rice Burroughs pour l'allusion à une cité du Congo, une « ville grise peu- plée de singes blancs soumis à l'autorité d'un dieu blanc » —, De l'au-delà, L'Image dans la maison déserte — nouvelle allusion aux singes blancs du Congo —, Je suis d'ailleurs — allusions à certains noms égyptiens : Nephren- Ka, Neb, Nitokris —, La Musique d'Erich Zann, Herbert West, réanimateur — long récit de commande mésestimé mais populaire pastichant le Franken- stein de Shelley pour son savant obsédé par l'idée de vaincre la mort, qui in- troduit l'université de Miskatonic —, Les Rats dans les murs — nouvelle his- toire de folie et de dégénérescence familiale dans le style Poe, rattachée ar- tificiellement au Mythe par le délire du narrateur, dément ou possédé, mau- dit par l'hérédité en tout cas, qui mentionne qu'au « centre de la terre, [...] Nyarlathotep, le dieu fou sans visage, hurle aveuglément dans les ténèbres, aux sons aigus de deux joueurs de flûte, amorphes et idiots » —, L'Indicible et

Page 17: Guide du mythe de Cthulhu

Smith) : Dieu-crapaud, enfermé dans les pro- fondeurs de l'Oklahoma (le royaume souterrain et abandonné de N'kai) ; sans doute un Elémen- taire de la Terre : 17, 20-21, 24, 26, 29, 34, 38, 40- 42,45,54, 71, 76, 82-84, 102-103, 118, 132, 135

(Ubbo Sathla, C.A. Smith) : Le se- cond des Grands Anciens, la source informe de toute vie terrestre ; il est le Père de tous les An- ciens de la Terre, qui hantent comme lui les pro- fondeurs, et à différencier des Elémentaires de la Terre, représentations extra-terrestres de l'élément : 38, 42, 46, 72, 83-84, 101

(A travers les portes de la clé d'ar- gent, H.P. Lovecraft) : Le mystérieux Gardien de l'Ultime Porte, dans le Monde des Rêves : 17,42

: (C.A. Smith) : Serviteurs hyperbo- réens de Tsathoggua : 38, 42

Vulthoom : (Zoth Ommog, L. Carter) : Premier Elé- mentaire de la Terre, né de Yog Sothoth ; en- fermé dans les profondeurs martiennes : 83-84

(cf. Ithaqua) : Issu des légendes in- diennes : 48, 73, 77, 94, 133

le Wurm (La Chose des profondeurs, M. J. Cos- tello) : Vers préhistoriques, respirant non pas l'oxygène mais le carbone, inspirateurs du Ser- pent de la Bible ; réfugiés près des sources sous-marines d'hydrocarbures : 98-99, 101

(cf. Yog Sothoth) : 103 (Le Dernier examen, H. P. Lovecraft) : Dieu mi-

neur, souvent associé à Nug : 18, 20, 27, 132

Y'golonac (Sueurs froides, R. Campbell) : Un An- cien Des profondeurs (donc sans doute né d'Ubbo Sathla) ayant le pouvoir de prendre l'ap- parence de ses victimes : 66

Yibb Tstll (Le Rempart de béton, B. Lumley) : Sei- gneur d'une dimension voisine extérieure à l'Es- pace-Temps, et donc hors de l'influence de Yog Sothoth ; certainement un Ancien de même puissance que ce dernier, donc né d'Azathoth : 68, 70-71,76,135

Yidhra (Là où marche Yidhra, W.C. De Bill Jr) : Or- ganisme protéiforme, absorbant l'énergie vitale de ses victimes, et se montrant à elles sous l'ap- parence de leur choix ; adoré(e) dans une ville perdue du Texas : 81

Yig : (La Malédiction de Yig, H.P. Lovecraft) : Dieu- serpent des indiens de l'Oklahoma : 19-21, 27, 45,54,56, 74, 84, 103, 136

Yog Sothoth (L'Affaire Charles Dexter Ward, H.P. Lovecraft) : Incarnation de l'Espace et du Temps, donc de notre réalité, né d'Azathoth ; Père des incarnations des Eléments ; principa- lement chez Lovecraft, Derleth, Lumley, Mas- terton : 17-21, 23, 26, 30, 34-36, 38, 40-42, 44-45, 54, 56, 68, 70-71, 75-76, 80, 83, 87, 91, 101-103, 106,111,133,135

Ythogtha (L. Carter) : Elémentaire de l'Eau, né de Cthulhu ; emprisonné dans la cité sous-marine de Yhe : 74, 83

Zhar (A. Derleth) : Elémentaire de l'Air, né d'Has- tur : 40,42, 71, 76,83-84,133

Zooth (La Passion selon Satan, J. Sadoul) : 111

(L. Carter) : Elémentaire de l'Eau, né de Cthulhu ; emprisonné au large de Ponapé : 74,83-84,101-102,110

(L. Carter) : Né d'Ubbo Sathla : 84, 132-133

Page 18: Guide du mythe de Cthulhu

I l a é t é t i r é d e c e t o u v r a g e

u n e é d i t i o n o r i g i n a l e c o n s t i t u é e

d e 2 9 9 e x e m p l a i r e s n u m é r o t é s d e 1 à 2 9 9

e t d e q u e l q u e s e x e m p l a i r e s d e c o l l a b o r a t e u r s

h o r s - c o m m e r c e m a r q u é s H . C .